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Usages et coutumes dans l’espace privé Maghrébin. Usages 2.4 Ouriarhli Fikri Nisrine et Ilona Morel Architecture - Développement - Patrimoine Janvier 2017 Architecture - Développement - Patrimoine Janvier 2017

Usages 2.4 Usages et coutumes dans l’espace privé … · a. La médina marocaine, hier et aujourd’hui. 6 Anthropologie de la religion ... tente entre les hommes et les femmes

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Usages et coutumes dans l’espace privé

Maghrébin.

Usages

2.4

Ouriarhli Fikri Nisrine et Ilona MorelArchitecture - Développement - Patrimoine

Janvier 2017Architecture - Développement - Patrimoine

Janvier 2017

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INTRODUCTION

L’ étude de l’architecture médinale s’est divisée en deux parties distinctes, la première concerne l’espace pu-blic, la seconde se concentre spécifiquement sur les es-paces privés. Nous avons constitué ces deux catégories afin de simplifier l’analyse sociologique malgré le fait que ces deux espaces ne sont pas clairement opposés dans l’orga-nisation de la médina. Pour approfondir cette distinction pu-blique, privée nous vous invitons à lire le livre1 de Mohamed Kerrou.1

La maison traditionnelle marocaine se coupe totale-ment de l’espace « public » par son organisation architectu-rale. La maison traditionnelle marocaine s’organise autour d’un patio, «west ed dar» qui offre un espace privé exté-rieur. La plupart des ouvertures des maisons médinales se tournent vers le patio, la maison est alors introvertie et s’op-pose à l’espace public environnant. Vue de la rue, la mai-son dispose de façades muettes, d’ouvertures exiguës ainsi que de petites portes d’entrées. On utilise des fois mêmes des moucharabiés afin de voir l’espace public sans être vue dans son intimité.

Taha Bouhasson dans « Essai d’interprétation de l’espace médinal » décrit la maison médinal : « La demeure étant une habitation à l’écart, un espace qui se cache ja-lousement, loin de tout regard indiscret : un espace où la dimension de l’enclos prend toute sa forme. C’est un lieu exclu du reste du tissu tout en faisant partie et qui, à son tour, exclut tout le reste. C’est un monde à part au cœur d’un univers particulier».

Dans ce développement nous allons exposer les dy-namiques sociologiques et culturelles qui conditionnent l’or-ganisation architecturale de la maison médinale.

1 M. Kerrou, Public et privé en Islam, Institut de recherche sur le Maghreb contemporain, 2002

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I. Approche sociologique de la maison tradition-nelle marocaine

a. Anthropologie de la religion b. Influence de la tente nomade traditionnelle c. Lois en vigueur

II. Les pièces de la maison médinale

a. La maison - «Dar» b. L’entrée - «La Skifa» c. Le centre - «West ed dar» d. Les chambres - «Bits» e. La terrasse - «Le Stah»

III. L’usage de la maison médinale

a. Hiérarchie familiale b. La place des invités dans la maison médinale c. Être un homme à Larache, une place pour la virilité?

IV. Le devenir des maisons médinales

a. La médina marocaine, hier et aujourd’hui

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Anthropologie de la religion

I. Approche sociologique de la maison traditionnelle marocaine

Il est récurent, lorsqu’on s’intéresse à l’architecture marocaine, de trouver des textes qui mettent en relation l’es-pace domestique médinal avec la religion islamique. La reli-gion influence largement les relations au sein de la famille et donc conditionne l’organisation spatiale.

Voici une synthése des sourates en rapport avec l’architec-ture:

Le saint coran n’approuve et ne rejette non plus l’ar-chitecture en soi. L’architecture est appréciée par le coran si elle cherche à faire connaitre Dieu, comme sur les mos-quées1 construites pour servir de lieu de culte, la maison comme lieu de repos et de tranquillité2 et même un palais tapi de verre on dirait des piscines bleues.3 Cette expression de l’art n’a rien à voir avec l’attrait au matérialisme, mais elle montre plutôt que la civilisation humaine peut aller ensemble avec la religiosité. Si par contre les motivations de l’architec-ture sont anti déistes, l’architecture s’érigera en contre-va-leurs. Comme le palais construit par Haman sous l’ordre du pharaon dans le but de rivaliser de puissance avec Dieu.4

Même cela n’a rien d’anti religieux, le coran condamne tou-jours cette motivation architecturale caractérisée par l’inu-tile, le loisir ou le prestige. 5

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1 Sourate Baqarah; 127, Sourate Aali Imran: 96, Sourate Tawbah: 18, Sourate Kahf: 212 Sourate Nahl: 80 «16: 80 »3 Sourate Naml: 44 « 27: 44 »4 Sourate Qasas: 38; Sourate Ghafir: 36 « 40: 36 »5 Sourate Shou’arâ: 128-130 « 26: 128-130 »6 Sourate Tawba: 107 « 9: 107 »7 Sourate Fajr: 5-9, Sourate A’râf: 748 Sourate Foussilat: 159 i, vol 21, page 145

Plus étonnant encore, le coran condamne et remet même en question une mosquée bâtie avec des motivations non religieuses.6 Par ailleurs, Dieu a puni et anéanti les individus peu reconnaissants qui pensent que ce qu’ils construisent tiennent débout grâce à leur pouvoir.7 Ce châtiment de Dieu vise à enlever de la tête des autres constructeurs qu’ils peuvent renforcer leurs édifices contre son pouvoir.8

Que peut-on retenir de tous ces versets ? L’islam est-il contre l’architecture ou non ? On répondra à ceci en disant qu’il ne faut pas s’attendre que l’islam donne un avis positif ou né-gatif vis-à-vis de chaque œuvres ou forme d’art. L’islam se contente de présenter un critère général d’apréciation sur lequel tout artiste doit partir pour réaliser son œuvre d’art. On constate que le coran a une vision générale sur l’art et n’approuve que les œuvres d’art conçues dans les normes islamiques, réalisées pour promouvoir les valeurs et les idéaux divins concordants avec la nature humaine pure.9

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Influence de la tente nomade traditionnelle

Il existe différentes théories sur l’influence de la tente nomade traditionnelle sur l’habitat rural. Nous allons en ex-poser certaines. Les théories dont il est question corres-pondent à une intérprétation personnelle, une hypothèse, il n’y a pas de vérité.

L’analyse anthropologique, Marie-Luce Gélard1 ex-plique les relations familiales depuis leurs origines. L’auteur prend appui sur les ‘‘Aït Khebbach’’, une des principales tri-bus sahariennes localisés à quelques kilométres de la fron-tière Algérienne. Chez les ‘‘Aït Khebbach’’, la tente est tissée de laines (chèvres et dromadaires). On retrouve essentielle-ment deux métaphores de la tente nomade, celle du corps humain ou de la femme et celle de la famille. Chez les ‘‘Aït Khebbach’’, la tente (takhamt), désigne la famille, entendue dans son acception la plus large. La tente est composée de deux poutres (tihmmarines) symbolisant le couple fondateur à savoir le père et la mère, liées entre elles par une pièce de bois cintrée (ahmar). Au sommet de la tente, les deux poutres s’entrecroisent pour, dit-on, manifester l’intégration et le partage. 1 Marie-Luce Gélard, « De la tente à la terre, de la terre au ciment », Socio-anthropologie, 22 | 2008.

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Cette fonction d’intersection, de croisement, outre les né-cessités proprement techniques, il permet aux deux poutres de tenir l’ensemble le poids de la tente. Les bandes de laine noire tissées (ahlasse) recouvrent cette armature et protègent du froid et du soleil. Les piquets laté-raux (teeakzines) permettent d’étendre l’espace vital de la tente, ils figurent les enfants du couple. Dans cette société agnatique, où le mode de résidence est virilocal, le départ d’un fils qui se marie ne perturbe en rien la structure physique de la tente, l’un des piquets latéral qu’il représentait se détache sans engendrer de modification. La situation est similaire au départ de ses sœurs. Par contre, le décès d’un des deux parents est figuré très concrètement par le retrait de l’un des piliers centraux. La tente perd alors sa forme initiale et ne peut plus représenter l’abri et la pro-tection antérieure. En d’autres termes, lorsque la tente s’af-faisse, c’est toute la structure familiale qui se voit modifiée. Il en est de même pour les interactions familiales au sein de la maison contemporaine; la structure familiale est en coré-lation avec la structure architecturale.

Une autre théorie exposée par Kaddour Zouilai1 ex-plique la manière dont la tente nomade a influencé l’orga-nisation spatiale contemporaine de la maison traditionnelle marocaine.D’après ses recherches, la tente nomade au Maghreb au-rait toujours été divisée en deux parties distinctes. La partie de droite appelée « partie des hommes » et une partie de gauche réservée aux femmes. Ces deux parties seraient séparées par des réserves alimentaires formant ainsi une sorte de « muret » divisant systématiquement la tente en deux.«Lorsqu’il y a présence de visiteurs du sexe masculin, qui étaient toujours reçus dans la partie hommes ; on suspend au dessus du muret un tapis le long de la ligne médiane de la tente afin de préserver l’étanchéité hommes femmes. Les hommes peuvent alors parler à haute voix tandis que 1 Kaddour Zouilai, Des voiles et des serrures: de la fermeture en islam, Paris, Ed. L’Harmattan , 1991.

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les femmes, lors de la préparation de la nourriture des invi-tés, sont condamnées au mutisme.»

Cette opposition homme femme dans la tente nomade se caractérise donc par la séparation à l’aide du « muret ali-mentaire ». De plus, on note des sorties distinctes au sein même de la tente entre les hommes et les femmes. La femme, quel que soit son âge, doit entrer et sortir par la « khâlfa » d’une tente, petite porte située dans la partie gauche de la tente nomade.

Contrairement à la tente des nomades qui était simplement divisée par les réserves alimentaires en deux parties dis-tinctes et qui n’avaient pas de fonctions précises et défi-nies, la maison traditionnelle marocaine se voit attribuer des chambres à coucher situées à l’étage, un espace de réserve bien défini, un ou plusieurs salons de réceptions dis-tincts en fonction des sexes. Nous approfondirons la rela-tion hommes-femmes dans la maison contemporaine dans la partie III.

D’autres théories élucident également le sujet, nous citerons notamment celle de Jean Gallotti1 qui explique l’in-fluence du plan nomade sur l’habitat maghrébin.

«L’origine du plan à cour intérieure est évidemment plus lointaine. Je la chercherais plutôt dans les campements de nomades, dans ces douars au type préhistorique, où s’abritent encore des millions de familles en pays musul-man.Les tentes formant le douar (fig. 1) ne sont jamais groupées par rangs ou en séries de parallélogrammes, comme dans un camp romain par exemple, mais en une seule circonfé-rence, circonscrivant un vaste cercle de terrain où les bêtes sont parquées, où se passe la vie de la tribu.Elles forment une enceinte. Et, particularité remar quable, toutes s’ouvrent vers l’intérieur du cercle.Extérieurement, une gotaa, fossé et talus portant une haie 1 Jean Gallotti, Le jardin et la maison arabe au Maroc, 2008

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d’épines ou de chardons secs, les isole de la campagne et les défend. Elles représentent en somme les pièces de la maison, toutes closes du côté de la rue et donnant sur la cour.

Le Maroc, d’ailleurs, offre de nombreux exemples d’habita-tions appartenant à un stade plus avancé et qui marquent la transition entre le douar et la maison : ce sont les groupes de chaumières ou noualas. (fig. 2). On les trouve surtout dans les pays agricoles de plaine. L’enclos subsiste, mais devient plus petit et prend presque toujours un périmètre rectangulaire. Le talus, se stabilisant, se hérisse de cactus et d’agaves. Les tentes sont remplacées par des cabanes ou des huttes formées d’une base en pisé ou en pierres et d’un toit de roseaux et de chaume. (fig.3)Toutes tournent leur ouverture vers l’intérieur de l’enclos. Ces chaumières, qui n’ont qu’une seule pièce, voisinent parfois avec une construc tion couverte en terrasse, salle unique elle aussi, mais déjà entièrement édifiée en maçon-nerie. Que l’enclos devienne un mur, que les chaumières se couvrent toutes de terrasses et ce sera la maison marocaine à cour intérieure.»

Diverses hypothéses sont présentées pour justifier l’origine du patio. Bernard Huet s’oppose à Jean Gallotti, il justifie l’origine du plan à cour par une explication qui ren-voi à la religion en disant : «il semble que la circularité est le premier aspect de l’es-pace arabe. Elle est davantage une catégorie topologique qu’une catégorie géométrique, puisque le cercle, en tant que forme, n’apparaît qu’exceptionnellement dans l’archi-tecture arabe et les ensembles urbains.»1

Daniel pinson, dans l’ouvrage ‘‘Modèles d’habitat et contre-types domestiques au Maroc’’ partage l’opinion de Bernard Huet sur le sujet en disant «Quoiqu’il en soit, si on en en parle tant, c’est parce qu’il a moins de significa-tion comme modèle que comme paradigme de la circula-rité dont je parle. La circularité, le caractère concentrique du monde musulman, est manifestée même au niveau

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de la géographie religieuse. C’est assez de réfléchir sur ce monde où, cinq fois par jour, des foules de croyants forment un cercle ininterrompu autour d’un centre: La Mecque2.»

2 Daniel Pinson dans Modèles d’habitat et contre-types domestiques au Maroc, 1992.

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Tentes formant le Douar (figure 1)

Groupes de chaumières ou noualas (figure 2)

Huttes en pierrres (figure 3)

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Lois en vigueur

L’ ouvrage de Claudine Smits1 traite des lois en vi-gueur qui conditionnent l’habitat marocain. Malgré le faible pouvoir étatique, ces législations interviennent dans de nombreux cas d’habitations.Le décret datant de 1964 donne avec précision les modali-tés d’implantation et d’édification des immeubles à réaliser. Ce dispositif autorise un habitat dense (mitoyenneté pos-sible sur 3 limites de parcelle), sur des lots relativement exi-gus (allant de 8x8m à 10x10m). Pour résoudre l’éclairement des pièces en bordure de mitoyenneté, le décret impose une servitude de patio dont la superficie minimale est fixée à 16m². Cette superficie varie selon le nombre d’étage (20m² pour un immeuble de deux niveaux).

«Article 3: - hauteur sous plafond- La hauteur mini-mum des pièces d’habitation entre plancher et plafond sera fixée à 2,60m [...] Article 21 : - Hauteurs des constructions - La hauteur maximum des constructions toutes superstructures comprises sera de 3,50 m mesurée au milieu de la façade du lot considéré. Les terrasses ne seront pas accessibles

1 Claudine Smits, La conception de l’espace au Maroc : à la rencontre d’une culture, des différences et de soi-même

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Article 22 : - Superficie minimum des lots - La super-ficie minimum des lots sera de 60 mètres carrés Article 23 : - Dimensions du patio - La superficie minimum du patio mesurée en dehors de toute saillie sera de 16 mètres carrés, la vue directe minimum sera de 4 mètres.»1

Cette conformité introduit cependant, au plan urbain comme au plan domestique, des formes d’organisation em-pruntées à la conception occidentale de l’habitat. Le plan est en effet composé des pièces habituelles rencontrées dans un appartement occidental banal, elles-mêmes distribuées selon la partition devenue classique entre pièces de jour et pièces de nuit. Cette partition est en réalité forte éloignée de la distinction entre « Bit el diaf » (pièce des invités) et « Biout el harem » (pièces familiales) qui structure tradition-nellement la maison arabe.

Le problème se pose dès lors que la proposi-tion de l’administration, en imposant un modèle occidental, ne coïncide pas pleinement avec les attentes des habitants. La conséquence est qu’on assiste à une adaptation du plan par l’habitant, lui-même, et à la recréation d’un système de distribution interne conforme à la logique de la maison arabe, en distinguant un espace des invités, daâr el diaf, d’un espace pour la famille, daâr el harem. La mise en place de cette organisation de la maison selon le type culturel de la famille, est réalisée par des transformations in-ternes, principalement des déplacements de cloisons. Cela est rendu facilement possible par le système constructif de l’habitat économique, le poteau-dalle.2

1 Décret n° 2-64-445 du 21 chaabane 1384 (26 décembre 1964) définissant les zones d’habitat économique et approuvant le règle-ment,général de construction applicable à ces zones.( BO n°2739 du 28 Avril 1965)2 S. ATIF, Typologie de logements Marocains, Enoncé théorique de master, 2010

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La maison - «Dar»

II. Les pièces de la maison médinale

La maison est appelée ‘‘Dar’’ en arabe, le terme se rattache au mot ‘‘ad’dar’’ qui dérive étymologiquement du verbe ‘‘dara’’, qui signifie ‘‘encercler’’, ‘‘entourer’’.

L’article ‘‘La maison et son usage’’ de Jean-Charles Depaule1 et Sawsan Noweir2 nous éclaire un peu plus sur l’origine du mot ‘‘Dar’’. De ce fait, le terme ‘‘Dar’’ est «un espace qu’entourent des murs ou des constructions ou des tentes de nomades, plus ou moins disposés en cercle. ‘‘Da-ratun’’ est le campement de tribu, que l’Afrique du nord ap-pel ‘‘duwwar’’. Dès l’origine s’affirme, dans l’habitation musulmane, l’am-ménagement d’un vide intérieur : parc ou cour.Socialement, le mot dàr signifie la grande Maison de la Fa-mille (la famille ici prend son sens tribal).»

Dans sa recherche sur l’origine du plan d’une mai-son arabe, Jean Hensens3 a une approche comparative. Il met en parallèle la maison marocaine à plusieurs typolo-1 Chercheur en sciences sociales, poète et traducteur, il est auteur de plusieurs recueils de poésie. 2 Professeur d’architecture à l’école nationale supérieure d’architecture de Versailles.3 Architecte-urbaniste belge

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gies de maisons, notamment la maison antique mésopota-mienne, en disant; «L’ancien maison à atrium du Maghreb présente des analogies avec l’antique maison mésopo-tamienne. Elle fut probablement transmise des régions proche-orientales dans toutes les directions par les mou-vements migratoires et commerciaux qui en rayonnérent, jusqu’au Maghreb extrême vers l’ouest.La maison à atrium a dû se fixer assez tôt sur les rives de voies maritimes-au sud de la Méditerrannée - et terrestres caravannières-en bordure oasienne du Sahara. Elle subit, enfin, aussi au Maghreb l’influence d’une présence romaine qui détermina son originalité maghrébine particulière et que l’islam maghrebin et andalou va développer. 4»

4 Jean Hensens, «La maison marocaine», décembre 1990 p.1.

4eme Dynastie de Gizeh (EGYPTE) -2600

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Tell Asmar (MESOPOTAMIE), maison -2500

Delos (GRECE), maison-250

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Pompei (ITALIE), maison des medecins +100

Tetouan (Maroc), Plan de maison de ville ordinaire : la ‘‘dar’’

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Dans son ouvrage ‘‘Espaces et matériels de la vie féminine sur les hauts plateaux du Yémen’’ écrit en 1985, Dominique Champault1 apporte une analyse an-thropologique de la maison arabe. L’auteur développe une analogie entre la maison arabe et le vêtement fé-minin. Selon elle, «il faut voir dans le voile féminin comme un fragment détaché du mur de la maison», qui permet à la femme de sortir à l’extérieur sans vraiment se sé-parer du dedans. Le voile comme le mur de la maison ont comme fonction commune de dissimuler le regard étranger.L’approche anthropologique de l’auteur nous permet de constater que l’organisation de l’espace intérieur d’une maison médinale est révélatrice des rapports sociaux et structures familiales.

On retrouve dans les recherches et notes de Jean Hensens une description objective de la mai-son médinale; «la maison forme un univers fermé, elle ignore les fenêtres sur rue; elle n’a qu’une porte don-nant sur un vestibule très sombre, d’où un couloir tou-jours coudé conduit au patio sur lequel s’ouvrent deux, trois ou quatre salles allongées, éclairées par leur porte-baie. Dans un coin du patio se trouvent cuisine, toilette et remise où se rangent les provisions et dont le maître garde la clé; de la cour, un escalier conduit au 1ér étage, pourvu d’une galerie entourant le patio et sur laquelle donnent les chambres. Dans les riches demeures, est aménagée sur la terrasse, au-dessus de l’étage, une chambre haute qui est parfois même sur-montée d’un mirador.»

1 Ethnologue, chargée du «Département d’Afrique Blanche et du Levant» au Musée de l’Homme

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Jean Hensens2 nous fait part de sa perception de la maison médinale, ainsi, dans son texte intitulé ‘‘La maison marocaine’’ écrit en décembre 1990, il aborde l’idée d’orga-nisation et de structuration en disant; «Avant la colonisation européenne de l’Afrique du Nord, la maison ‘‘maghrebine’’ a été décrite ainsi : La maison module tout l’ensemble urbain. Elle est un organisme familial qui rassemble des locaux privés autour d’une cour. Interdite au regard extérieur - la façade est aveugle et l’entrée en chicane - elle abrite une seule famille. L’immeuble qui associerait plusieurs foyers est inconnu3.»

Ainsi, la lecture de plusieurs ouvrages nous a permis d’ apporter une description à la maison arabe; Depuis l’extérieur, la maison est sobre, la recherche de l’intimité est materialisée par les murs aveugles pour em-pêcher les regards non voulus, à l’exception de quelques ouvertures étroites permettant de voir sans être vu, notam-ment par la présence de moucharabieh. Le moucharabieh est un mécanisme de ventilation naturelle originaire de l’architecture traditionnelle arabe. Composé par l’assemblage de petits élèments géométriques en bois, le moucharabieh forme une paroi qui a deux fonctions au sein de la maison arabo-musulmane.D’une part c’est un mécanisme de ventilation naturelle per-mettant le passage de l’air qui, au contacte avec l’eau de la fontaine située dans la cour centrale de la maison, permet de diffuser sa fraîcheur dans les pièces intérieurs.D’autres part, ce dispositif spatial sert à voiler les femmes des regards non voulus. Celles-ci peuvent observer ce qui se passe à l’extérieur de la maison sans être vues.

2 Architecte-urbaniste belge3 Jean Hensens, «La maison marocaine», décembre 1990.

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L’entrée - «La Sqifa»

Jean-charles depaule et Sawsan noweir nous in-forme dans l’ouvrage «la maison et son usage»1 que l’entrée est formée de trois élèments : Bab ‘‘porte’’ ; sqifa ‘‘vestibule’’ ; chicane ‘‘un jeu de portes ou un passage indirect’’.Bab, la porte a dans la maison arabe une certaine impor-tance car c’est la principale richesse de la façade. Cette porte est la limite franche entre le monde extérieur et le monde intérieur.

Par la suite, On note la présence de la Sqifa qui n’est autre que le prolongement de l’entrée. La sqifa est un espace cou-vert, amménagé par des banquettes qui se trouve à l’entrée de la maison, c’est un dispositif spatial qui marque la transi-tion entre la rue et l’espace intérieur.

Les auteurs de l’ouvrage «la maison et son usage» décrivent la sqifa comme ce qui suit;«Sqifa (de sqaf qui signifie la toiture), est un long banc ou estrade devant une maison disposé pour s’y coucher ou s’y reposer. Les deux mots ont produit la signification suivante : un espace, devant la maison, couvert d’une toiture voûtée et rangée avec des bancs.1 Depaule, Jean-Charles, Noweir, Sawsan, ‘‘La maison et son usage’’, Architecture, mouvement, continuité n° 48, avril 1979, 74-76

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La sqifa est une pièce carrée ou rectangulaire, richement décorée, des banquettes se trouvent le long des deux murs latéraux. Quand le rez-de-chaussée a d’autres usages, l’es-calier qui monte à l’étage se trouve directement dans cette pièce. Si la porte est la limite entre le monde extérieur et le monde intérieur, la sqifa est le passage entre ces deux mondes.»

De la même manière que la sqifa, les deux auteurs conti-nuent par décrire la Chicane comme «l’espace qui prolonge la sqifa par un ou plusieurs passages qui conduisent à l’in-térieur de la maison. Cet accès coudé et indirect n’est pas propre seulement à l’entrée mais on peut le trouver dans les autres passages qui mènent à des parties plus cachées.»La chicane est décrite comme un sas d’entrée en forme de ‘‘L’’, sa forme permet de limiter les regards étrangers prove-nant de l’extérieur. L’habitant peut ouvrir sa porte d’entrée pour ventiler l’intérieur de sa maison sans pour autant lais-ser passer les vues indésirables. De manière générale la chikane permet de filtrer les visi-teurs et représente le dernier seuil à franchir avant de pou-voir pénetrer au coeur de la maison.

Dans son ouvrage, ‘‘le jardin et la maison arabe’’, Jean Gal-loti2 nous décrit l’entrée de la maison médinale en disant; «C’est dans un angle aussi qu’en général se placera l’en-trée: un cou loir, doublement coudé pour que, si par hasard la porte de la rue restait ouverte, aucun passant ne puisse rien voir à l’intérieur (...) L’escalier sera souvent placé dans le même angle que l’entrée, de façon à rester indépendant.3»

2 Ecrivain français, ayant vécu au maroc 3 Gallotti, Jean, Le jardin et la maison arabe, tomes 1&2, Edition Albert Lévy, Paris, 1926.

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DAR UAZANI, Tetouan

DAR JMIYA, Marrakech

DAR BENCHEKROUN, Fes

Comparaison des chicanes de 3 différentes maisons médinales marocaines (1/500)

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Le centre - «West ed dar»

La maison médinale tourne le dos au tissu urbain auquel elle appartient. Elle s’organise autour d’un centre ap-pelé le west-ed-dar; sorte de cour intérieure à plan carré, vécu à la fois comme un dehors et comme un dedans. Le west-ed-dar permet d’une part, d’ammener un éclairage par la lumière naturelle au coeur de la maison et de ventiler les différentes pièces, et d’autre part, de favoriser l’intimité familiale. Le west-ed-dar représente l’élément dominant dû à sa com-position morphologique et à la décoration de ses façades.

Shama Atif opère une description du west ed dar dans son énoncé théorique de master1, selon elle; «El wüst el daâr signifie littéralement le centre de la maison. Tradi-tionnellement, il est effectivement au centre du logement aussi bien au sens propre qu’au sens figuré. El wüst el daâr incarne l’intimité absolue du foyer. La cour est l’endroit com-munautaire par excellence. Elle est à la fois le lieu de ren-contre et de dispersion de la famille traditionnelle. Il est l’élé-ment fondamental de la maison arabe et est profondément enraciné dans l’inconscient marocain, qui tend à le repro-duire systématiquement même quand le type d’habitat ne 1 Atif, Shama, Typologie de logements marocains, Modèles d’habitats entre persistances et mutations, Énoncé Théorique De Master, 2010 / 2011

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le permet, a priori pas. Cela dénote d’une ‘vision du monde qui place la cour dans la maison comme l’oasis au milieu de l’espace désertique et comme la famille au milieu de la société’. Mais quelles que soient sa forme, sa taille et les pièces qui l’entourent, l’espace central accomplit avant tout une fonction de distribution. Il est le lieu où on accède en premier et le lieu d’où l’on accède aux autres pièces.»

Dans leur écrit2, Jean-charles Depaule et Sawsan Noweir apportent une description du west ed-dar basée plu-tôt sur l’appropriation de l’espace selon le genre. Les au-teurs présentent le west ed dar comme ce qui suit; « un espace carré ou rectangulaire encadré par deux, trois ou quatre galeries couvertes. Il est pavé ou carrelé de pierres ou de marbre, il est rafraîchi par les lavages quotidiens, par des fontaines et des arbres. Les angles sont occupés par l’escalier, un ‘‘coin-cuisine’’ autour du Kanoun, ‘‘four à pain’’, et un ‘‘coin-buanderie’’; cuisine et buanderie sont ouvertes sur west ed-dar. West ed-dar est l’élèment essentiel pour les femmes. Sans lui la maison n’en est pas une; c’est leur es-pace commun dans lequel elles travaillent, vivent et circulent librement; c’est aussi le lieu où les enfants jouent. Mais pour les hommes ce n’est ni l’un ni l’autre, ils l’utilisent seulement comme un passage pour aller chez eux dans leur pièces. Toutes les activités communes de femmes se passent dans west ed-dar : le lavage, la préparation des grandes provi-sions pour toute l’année, et les conversations autour d’une tasse de café.»

Les travaux de Jean Hensens réalisés 1967 sur la rénovation de l’habitat dans la vallée du Draa, se sont in-téressés à l’utilité que pouvait avoir l’espace central dans une maison médinale. Selon lui; «Le mode de groupement annuaire des pièces en enclos a défini un espace décou-vert central particulier, cour intérieur ou patio, aux fonctions collectives affirmées. C’est l’espace de rencontres et de re-lations par excellence d’une maisonnée, l’équivalent de la ‘‘salle commue’’ ou du ‘‘séjour des logements européens’’. 2 Depaule, Jean-Charles, Noweir, Sawsan, ‘‘La maison et son usage’’, Architec-

ture, mouvement, continuité n° 48, avril 1979, 74-76.

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(...) C’est le coeur de la maison vers où convergent toutes les relations familiales. La pièce couverte confrontée avec la cour se présente comme un isoloir, un refuge individuel.»

Le travail de fin d’étude de Kenza Lazrak attribue un sens symbolique à l’espace du west ed dar, celui-ci est comparé à une scène de théâtre. Selon elle, «le west el dar nous permet de penser à une scène d’un théâtre, à partir de laquelle nous apercevons l’entièreté de la salle. Cette salle n’est en fait que les pièces principales de la maison. Les éléments structurants de la scène ne sont que les colonnes et les portiques. Le décor de la scène n’est que les parois de mosaîques, le stuc ciselé, le plafond et les boiseries de cèdres. L’éclairage n’est que la lumière naturelle venant du ciel et jouant avec les différentes couleurs du décor pour participer à l’ambiance intérieure.La musique n’est autre que le roulement de l’eau dans la fontaine murale. Les loges des artistes ne sont que les es-paces de services. Les balcons ne sont que les galeries de l’étage3.»

Kaddour Zouilai4 justifie la présence du west ed dar. La confrontation du west ed dar et de l’espace extérieur fait dire à l’auteur que; « La cour est une échappatoire naturelle qui paraît rétablir un équilibre vital. C’est une soupape minimale de respiration, imposée à l’étouffement du nœud que constitue la maison. A travers la cour, on voit un peu d’extérieur, un morceau de ciel bleu, de l’air de la lumière. On y perçoit même des bruits de dehors. Par son ouverture, la cour fait intro-duire une extériorité au cœur de la maison. Et c’est dans cette extériorité que réside l’intérieur de l’habitation. »

3 Lazrak, Kenza, Une maison médinale à Fes, p. 304 Kaddour Zouilai, Des voiles et des serrures: de la fermeture en islam, Paris, Ed. L’Harmattan , 1991.

Différentes positions et configurations de l’espace central

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Positionnement et comparaison des west-ed-dar de différentes maisons médi-nales marocaines (1/500)

DAR UAZANI, Tetouan

DAR JMIYA, Marrakech

DAR BENCHEKROUN, Fes

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Les chambres - «Bits»

A partir du west-ed-dar se distribuent les différentes pièces de la maison appellées ‘‘Bits’’, celles-ci s’orientent et s’ouvrent tous vers la cour. On retrouve d’un côté les espaces privés et de l’autre les espaces de réception.

Kenza Lazrak, dans son mémoire intitulé ‘‘Une maison mé-dinale à Fès1’’ définit les facteurs qui déterminent l’organisa-tion des chambres autour du west-ed-dar, elle commence par décrire la pièce traditionelle en disant; «unité fondamen-tale de l’architecture sous forme de pièce rectangulaire très allongée. Ils sont organisés en rez-de-chaussée et en étage autour du west-ed-dar. Leur organisation est faite dans un ordre défini selon les orientations les plus appréciables par les occupants.Au rez-de-chaussée, deux bits sont disposés selon un axe de symétrie suivant une direction perpendiculaire à la fontaine. Ils ont la même disposition spatiale; ainsi ils pré-sentent une même hauteur de 6,50 m - même dimension en largeur qu’en longueur, largeur de 2,80, longueur égale à un côté du west-ed-dar, même position des portes et fenêtres ,une porte centrée et une fenêtre de chaque côté. 1 Lazrak, Kenza, ‘‘Une maison médinale à Fès’’, La Cambre, Mémoire de fin d’études, sous la dir. du prof. M.Gossé, Janvier 1987

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Un bit faisant face à la fontaine est disposé différemment, il occupe un côté du west-ed-dar diminué du vestibule de l’entrée. Sa hauteur elle aussi est de moindre importance.»Positionnée face à la fontaine murale du west-ed-dar, la pièce fait office de pièce de réception, sa situation permet aux invités de pouvoir apprécier l’écoulement continue de l’eau de la fontaine faite de marbre ou parsemé de zelliges traditionnels.

«La configuration spatiale des bits, sous forme très allongée et étroite, est due à la difficulté de se procurer de longues poutres ; elle est limitée par la longueur possible des solives. La hauteur sous plafond élevée lui donne un volume qui compense l’absence de ventilation transversale. Portes et fenêtres donnent sur le west-ed-dar .» Ainsi, l’importance de la hauteur des pièces à pour avantage d’évacuer l’air chaud vers le haut pour laisser place à l’air frais provenant du west ed dar. Ce mécanisme permet de ventiler la pièce de manière continue.Notons que certaines maisons sont dotées d’une toiture en voûte, cette forme permet d’accroître la hauteur sous pla-fond et ainsi participe à une ventilation naturelle forcée qu’on retrouve dans la majorité des maisons traditionelles arabes.

L’auteur du mémoire continue en disant «Contraire-ment au rez-de-chaussée, la symétrie est gardée seulement en façade (sur le west-ed-dar), alors qu’en plan les Bits sont superposés à ceux du rez-de-chaussée ; ils s’étendent sur des locaux de service afin de s`attribuer un espace annexe, ou pour prendre une toute autre allure. On ne peut plus, dans ce cas, parler de bit, mais d’ensemble de bits avec un espace central de distribution et constitue alors une sorte de petit appartement pour une famille parmi celles qui consti-tuent la grande famille.»

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Différentes configurations et aménagements de la pièce de réception

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Relevé de la maison Benchekroun à Fes, position des Bits au rez-de-chaussée et à l’étage3

3

0

0

6

6

9

9

12m

12m

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Relevé de la maison Benchekroun à Fes, Position des Bits au rez-de-chaussée et étage

10 m0

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La terrasse - «Le Stah»

Christine Schaut1 dans son ouvrage ‘‘Anthropologie de l’espace’’ attribue l’espace de la terrasse à la femme ma-rocaine en disant : «La terrasse, «le stah», fait communiquer les femmes du voisinnage, les maisons de la même lignée entre elles. c’est aussi le lieu de la femme, les garçons y accompagnent leur mère jusqu’à la puberté, les filles jusqu’à leur mariage.»

David Amster, dans son article ‘‘L’architecture des maisons marocaines, Exemple de maisons à Fes2’’ présente le stah marocain de manière analogue que l’anthropologue, il décrit l’espace comme une forme d’appropriation par la femme en disant; «Depuis la terrasse il y a souvent une vue panoramique, mais dans les plus vieilles maisons, il pouvait y avoir de hauts murs pour préserver l’intimité, car c’était le domaine exclusif des femmes jusqu’à récemment. Les femmes utilisent encore principalement la terrasse pour faire sécher le grain, la laine ou les vêtements. Il est rare que les gens demeurent sur les terrasses, bien que pendant les jours les plus chauds de l’été, il est très courant que la famille y dorme.»

1 Sociologue, professeure à la Faculté d’Architecture de l’ULB où elle enseigne, l’anthropologie de l’espace et la sociologie des politiques de la ville.2 David, Amster, L’architecture des maisons marocaines, Exemple de maisons à Fez, http://dar-mia.com/architecture.html, page consultée le 6/12/16

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Jen Hensens quant à lui, considére le Stah comme un espace qui répond au besoin d’ouverture face à toute cette organisation spatial cloisonnée. Dans son article ‘‘Ha-bitat rural traditionnel au maroc3’’, il énonce; «Le besoin ata-vique d’espace infini, d’étendues ciel et horizon, de s’aérer, est demeuré très ancré dans l’habitat sédentaire. L’occupa-tion des terrasses et le choix de points élevés ou de pentes dominantes répondent à cette nécessité physiologique qui intervient aussi dans la morphologie de l’habitat, surtout quand il est concentré comme dans un qsar, ou une médi-na. La médina concilie la plus grande promiscuité collective avec un maximum d’évasion individuelle.»

Dans son énoncé théorique4 de master, Shama Atif se livre à une analyse spatiale, notamment par la description du foncitonnement de la terrasse au sein de la maison ara-bo-musulmane; «La terrasse, accessible et plus ou moins aménagée, est un dispositif quasiment généralisé à travers les différents types de logements présents au Maroc, autant en milieu médinal que dans l’habitat économique. Elle prend d’autant plus d’importance lorsque la densité du lieu ne permet pas d’offrir suffisamment d’espaces extérieurs au sol. Les murs de façades remontent relativement haut, de manière à em-pêcher le regard vers le bas mais également à protéger du vent l’espace de la terrasse.La terrasse, au quotidien, sert d’espace à de nombreuses fonctions domestiques. Balayée par l’air et arrosée par le soleil, la terrasse est essentiellement dévouée aux linges, aux lessives et la buanderie, et est l’espace privilégié du net-toyage hebdomadaire. La terrasse semble remplir, surtout dans les lotissements d’habitat économique, les fonctions domestiques nombreuses qui ne trouveraient pas leur place à l’intérieur de l’habitation, d’autant que la cour s’y fait de plus en plus absente. La terrasse est, donc, vécue comme le prolongement de la cuisine. Certaines terrasses possèdent

3 Jean Hensens, ‘‘L’habitat rural au Maroc’’, CERF, Rabat, 1972.4 Atif, Shama, Typologie de logements marocains, Modèles d’habitats entre persistances et mutations, Énoncé Théorique De Master EPFL - ENAC - SAR, 2010 / 2011.

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même une petite pièce qui peut servir de cuisine d’appoint, plus ou moins sommairement aménagée. Et dans certains cas, on constate une partition de la terrasse avec un espace dévolu au stockage des céréales et à l’autoproduction des denrées familiales, au travers de l’élevage de poules ou de lapins. La terrasse est l’espace privilégié mais surtout pré-féré des femmes, car il n’est pas seulement celui du travail, mais celui aussi de la réunion avec d’autres femmes, du re-pos, de l’observation du quartier ou simplement du contact avec le ciel et le soleil.»5

5 Atif, Shama, Typologie de logements marocains, Modèles d’habitats entre persistances et mutations, Énoncé Théorique De Master, 2010 / 2011

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Position du Stah dans une maison médinale

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Les modes d’habiter traditionnels marocains sont or-ganisés sur la base d’oppositions simples. On retrouve les mêmes oppositions qu’en Occident, naturelles et fondamen-tales, telles que servant/servi, jour/nuit, privé/public mais également d’autres propres à la culture marocaine. Ainsi il y existe des oppositions corporelles, telles que homme/femme, adultes/enfants, noble/honteux concernant les par-ties du corps humain, et des oppositions liées à la nature, telles que jour/nuit, été/hiver et homme/animal1. Certaines oppositions sont d’ordre symbolique. L’opposi-tion parties nobles/parties honteuses du corps se ressent directement sur le mode d’habiter et l’on retrouve des pièces nobles et des pièces taboues dans le logement. La pièce de réception, bayt el diaf, sera traitée et décorée très convena-blement, voire même avec ostentation, tandis que l’espace de préparation des aliments sera quelconque, alors que les toilettes seront complètement délaissées et taboues. Cette opposition recouvre globalement ce qui au niveau fonction-nel correspond à I’opposition public/privé. Les pièces liées à la sphère publique seront traitées avec attention, tandis que les pièces privées le seront nettement moins.

1 S. ATIF, Typologie de logements Marocains, Enoncé théorique de master, 2010

Hiérarchisation de la famille

III. L’usage de la maison familiale

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De plus dans la culture Maghrébine, contrairement aux Occidentaux, il n’y a pas de nécessité de « s’isoler », il n’y a pas de notion d’espaces privés personnels.

Les marocains sont connus pour entretenir des conversa-tions chaleureuses ; ils parlent forts et proches, il y a beau-coup de contact physique. Il n’y a pas ce fort besoin d’isolement, et encore moins au sein de la famille. Les espaces de la maison sont ouverts les uns aux autres, la taille des salons est privilégiée par rapport aux chambres individuelles. Il n’y a pas, comme en Europe, une identification des membres de la famille à un lieu de la maison car il me semble que « son petit coin » n’a pas le même sens dans la maison marocaine que celle occidentale.

F. Paul-Lévy et M. Segaud dans leur écrit « Anthro-pologie de l’espace»1 décrivent les relations au sein de l’es-pace privé : « dans la famille traditionnelle marocaine, aussi bien dans les villes que dans les campagnes, la chambre conjugale est presque totalement inconnue. En effet, les époux ne partagent jamais sous les yeux de leurs enfants, ou parents, la même chambre. Chacun d’eux passent ses nuits, soit avec les enfants, souvent du même sexe, soit avec d’autres personnes de la famille. Les époux ne s’unissent qu’à l’insu de leurs enfants, à la sauvette, et chacun d’eux regagne l’endroit ou il a l’habitude de dormir.Dans le cas où l’un deux couche dans la chambre conju-gale, c’est l’autre qui le rejoint furtivement dans la nuit. Dans les campagnes, ils s’unissent parfois à l’extérieur de la mai-son, dans les chambres d’hôtes ou dans des magasins ou sont stockées des denrées alimentaires.Les enfants se voient attribuer la pièce la moins recherchée dans la maison. Ils se voient souvent interdire de jouer dans la cour quand les parents se retirent dans leur pièce, ou quand les invités sont là. Pour ne pas déranger la tranquillité des adultes, ils doivent jouer soit dans le hall-couloir, soit au sein de la maison. »1 M. SEGAUD et F. PAUL-LEVY, Anthropologie de l’espace : Habiter, fonder, distribuer, transformer. Paris, Ed Amand Colin, 1992

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Les hommes ne participent pas aux tâches ménagères et règnent en maitres sur la maison, ce sont eux qui occupent les espaces de détente.

Les plus beaux salons leurs sont réservés ; même si il existe un salon de réception destiné aux femmes de la maison et à leurs invités qui sont cependant moins luxueux, la femme se voit attribuer les pièces de la maison les moins recher-chées telle que la cuisine et son espace de repos, ainsi que la chambre conjugale. En effet c’est elle qui s’occupe de toutes les tâches ménagères. Elle n’a donc presque pas le temps de prendre soin d’elle-même et de se reposer. Même si elle tenait à le faire, elle n’occuperait pas les salons de réception et resterait à bavarder dans son espace de repos avec les autres femmes de la maison. Les mouvements des femmes dans la maison sont restreints.

Il existe une hiérarchie entre femmes au sein même de certaines famille. L’espace de réserve qui se situe entre la cuisine et l’espace de repos des femmes ne possède pas d’accès direct vers la cour ; cette pièce de stockage de la nourriture est toujours fermée à clé. La plus vieille femme de la maison possède les clés, et c’est donc à elle seule que revient le privilège de gérer le stock de nourriture.

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Les Magrébins ne s’isolent pas, bien au contraire ils aiment la présence d’invités et leur architecture est condi-tionnée pour pouvoir accueillir du monde.

La capacité d’accueil de la maison va au-delà du noyau familial paternel qu’elle abrite, elle est prête pour le rassemblement du retour estival d’émigration et plus géné-ralement ouverte aux visites impromptues des cousins ou aux fêtes rituelles qui donneront à voir au quartier l’unité et la fécondité nombreuse de la famille.

La place du visiteur est intégré dans l’organisation spatiale de la maison.Le « hall d’entrée » s’organise en chicane afin que toute personne étrangère puisse attendre sans voir l’intérieur de l’habitat. Le visiteur doit patienter l’arrivée du chef de famille et patienter aussi que les femmes de la maison, prennent le temps de regagner leurs espaces (la cuisine ou la chambre conjugale).Effectivement, au sein de la maison familiale, afin de garder l’intimité, il est interdit à toute personne étrangère à la famille de pénétrer dans les espaces de la « femme » sans l’autorisation du chef de famille.

La place des invités dans la maison médinale

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De plus, la cuisine et l’espace de repos sont les seuls es-paces de la maison qui possèdent une connexion directe entre eux. Cet agencement permet aux femmes de passer de la cuisine à l’espace de repos sans passer par la cour centrale. Cette connexion faite entre ces deux espaces peut être interprété une sorte de sécurité pour éviter que les femmes de la maison ne rencontrent malencontreusement un visiteur.

L’arrivée d’un grand événment peut changer la spa-tialité. Une même pièce peut, au fil du temps, alterner plu-sieurs fonctions, d’autant plus dans les grandes et riches demeures qui peuvent, en terme d’espace, spécialiser cer-taines pièces. A ce moment-là, on admet un adjectif sup-plémentaire afin de la qualifier. El bayt el kebir, littéralement la grande pièce, est la pièce réservée aux invités et de ce fait bien que souvent aux proportions les plus généreuses.

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Cette partie s’appui sur un texte sociologique de Marko Jun-tunen faite récemment1. L’auteur fait une analyse spécifique sur les conditions de vie des jeunes hommes (entre 20 et 33ans) au sein de la ville de Larache.

L’auteur met en avant les problèmes financiers des jeunes maghrébins, il utilise le terme « dabbar » pour parler de la débrouille face à laquelle les jeunes sont confrontés. La ville de Larache est particulièrement touchée par une période de sous emploi et de chômage. « De nos jours l’argent c’est tout » Les jeunes hommes survivent financièrement grâce à des commerces de rue et des travaux manuels occasion-nels offrant leurs services à leurs voisins ou membres de leur parenté.La plupart des jeunes hommes de Larache font vivre leur famille grâce à des revenus en tant qu’apprentis dans des garages, travaux en ateliers, petites industries et chantiers de construction. Certains gagne un salaire grâce à la contre bande d’articles ménagers et de petits appareils électro-niques en provenance de l’enclave espagnole de Ceuta.

1 Juntunen, M. (2015). Jeunes hommes des classes populaires à La-rache. Ateliers d’anthropologie. Paris :Laboratoire d’ethnologie et de sociologie comparative.

Etre un homme à Larache, une place pour la virilité ?

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« On ne peut même pas penser au mariage [...] Une grande majorité des jeunes hommes que j’ai connus à Larache n’est pas mariée. Ce célibat est dû à des situations économiques extrêmement précaires [...] Et ceux d’entre eux qui étaient mariés occupaient des cabanes en tôle accolées à la mai-son de leurs parents. »

Dans le système socio-économique traditionnel basé sur la conservation des liens familiaux, dans lequel les garçons sont, même après leur mariage, soumis à l’autorité de leur père, la demeure traditionnelle consti-tue l’unique logement d’une famille patriarcale constituée du père, de ses fils et de ses petits-fils. Ainsi, chaque pièce de la maison abrite un ménage. Ce n’est qu’après que les petits-fils aient atteint un âge avancé et que la maison du grand-père soit devenue insuffisante tout le monde, ou après la mort de celui-ci, que les fils vont construire un loge-ment particulier pour leur propre famille1.

Il y a une surpopulation au sein des maisons. Cette situation afflige personnellement les habitants de la médina de La-rache. La virilité, appelé « rujula » est un réel problème ; l’af-firmation de leur masculinité par l’autonomie et la débrouille est très difficile.

«Ta mère te fait ce « regard ». Non pas parce qu’elle ressent de la haine, mais parce qu’elle veut te voir agir en homme et aider ton père. Qu’est-ce qu’elle dit ? Elle dit : « Les fils des autres ont tous émigré et se sont débrouillés tout seuls (dabbaru ´ala ras-hom) et toi, tu es toujours là, avec nous. » Alors tu te sens « sous pression » et « embêté » que ta mère ait prononcé ces mots. Alors tu dis (à ta mère) : « Dabbar-moi l’argent pour que je puisse partir avec les pas-seurs. » Mais tu ne trouves pas assez d’argent pour partir. Et tout ça crée un nœud en toi-même, et ces mots restent gravés dans ta mémoire comme sur une cassette.»2

1 S. Atif, Typologie de logements Marocains, Enoncé théorique de master, 20102 Témoignage d’Abdel Ali, 29 ans, un ancien ouvrier du bâtiment au chômage

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La médina marocaine, hier et aujourdh’ui

IV. Le devenir des maisons médinales

Les travaux de Jean Hensens sur la maison ‘‘ma-rocaine’’ aborde cette question du devenir de la médina historique, en comparant la médina d’avant à celle d’au-jourd’hui. «D’une centaine de m2 au sol, cette maison occupe totalement, ou quasi totalement, la parcelle où elle a été construite. Elle s’élève en hauteur progressivement sur 2 ou 3 niveaux, en contigüité bâtie maximale avec les mai-sons semblables qui l’entourent de tous côtés. La maison «marocaine» historique est maintenant défor-mée par les partages spéculatifs qu’elle a subie pour loger les catégories pauvres de population en anciennes médi-nas. Celle d’aujourd’hui est reproduite aussi en partie pour le rapport locatif en banlieues péri-urbaines de manière in-dividuelle sauvage ou règlementée, et sur des lotissements d’habitat de masses autorisés ou non autorisés. La maison ‘‘marocaine’’ d’aujourd’hui est en général plus petite que celle d’hier et se trouve souvent partagée en plusieurs logements distincts pour son rendement locatif. Le logement familial est maintenant avant tout une mar-chandise, tandis qu’autrefois il était avant tout un bien familial de droit. C’est la spéculation marchande qui décide aujourd’hui de la consistance formelle de la maison ‘‘maro-caine’’.

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En milieu urbain, la part de propriétaires de leur logement était en 1985 équivalente à la part de locataires, alors qu’au début de ce siècle, la location de logements n’exis-tait pratiquement pas dans l’habitat marocain permanent - il y avait pour cela des ‘‘foundouks’’, des caravansérails, comme elle n’existe pas encore vraiment en ce moment en milieu rural marocain1».

Jean Hensens poursuit sa comparaison entre la maison médinale d’avant et celle d’aujourd’hui en disant; «La maison marocaine à cour centrale entouré de galeries intérieures sur 2 ou 3 niveaux de hauteur a été l’objet de changement fondamentauxdans l’organisation spatiale et relationelle de ses habitants. Il convient même de préciser aujourd’hui pour la maison traditionnelle marocaine s’il s’agit d’une tradition pré ou post-coloninale puisque des greffes de la tradition européenne ont fait prise maintenant au Maroc dans l’architecture, la construction et l’aménage-ment local de l’habitat.L’ouverture systématique de l’habitation sur l’espace public extérieur, par des fenêtres et des balcons, a impliqué la modification du plan de logement et de l’affectation des pièces. Le marché immobilier a démultiplier la quantité de logements dans une seule habitation familiale, pour assu-rer au propriétaire ou au principal habitant de la maison une rente locative. La cour et la galerie intérieures tendent à disparaître ou à être réduits à une trémie d’escalier ou à un couloir de desserte des multiples logements. Les hau-teurs sous plafond ont été réduites par économie, comme la surface couverte par habitant. La récente fonction commerciale des maisons ‘‘marocaines’’ à multiples loge-ments-marchandises de rapport locatif à progressé simulta-nément à la régression de la structure familiale de la cellule logement.»

1 Jean Hensens, «La maison marocaine», décembre 1990.

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«La construciton a aussi abandonné ses anciennes qualités décoratives et esthétiques dues à l’indissociabilité de la forme et du décor avec la rationalité constructive des édifices. (...) Le plus long à changer dans la maison ‘‘maro-caine’’ c’est la distribution intérieure des locaux qui encadre des pratiques domestiques habituelles et qui établis des relations de convenances entre tous les individus de la famille, entre les fonctions des locaux, entre la famille et la société, etc. Souvent la pièce intérieure à galerie et à ouverture zénithale supprimée réapparaît encoure sous la forme d’un hall central sans ouvertures zénithale, l’entrée en chicane, du salon ‘‘marocain’’ de réception et d’apparat, etc., est entretenu et reproduit avec persistance par les habitants-et quand d’impérieuses circonstances l’exigent, par des architectes centraux-de la même manière que sont encore reproduits dans l’architecture populaire d’an-ciens décors citadins révolus et anachroniques à l’intérieur (stucs, zelliges, ..) et à l’extérieur (arcades, auvents de baies, tuiles émaillées ..) des logements.1»

1 Jean Hensens, «La maison marocaine», décembre 1990, p.5

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- Jean Hensens, ‘‘La maison marocaine’’ planche 1, décembre 1990

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- Jean Hensens, ‘‘La maison marocaine’’ planche 2, décembre 1990

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- Jean Hensens, ‘‘La maison marocaine’’ planche 3, décembre 1990

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- Jean Hensens, ‘‘La maison marocaine’’ planche 7, décembre 1990

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