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Évaluation des impacts environnementaux de l’informatique Quels outils ? Quelles limites ? Françoise Berthoud, Marianne Parry S elon l’EITO (European Information Technology Observatory), le mar- ché mondial des TIC continue de croître malgré la crise avec une crois- sance attendue pour 2010 de 1,9 % et pour 2011 de 3,7 %. Le marché européen du « cloud computing » (informatique dématérialisée) croît quant à lui de 20 % par an, ce qui implique une augmentation significative de l’utili- sation de la mémoire et des capacités de calcul des ordinateurs et des serveurs [EITO, 2010]. Le consommateur se laisse, en effet, volontiers séduire par un discours marketing vantant l’intérêt pour lui d’acquérir le dernier gadget high-tech, de se doter d’un nouveau logiciel ou service, qui lui apportera de nouvelles fonctionnalités. Google par exemple présente le « cloud computing » comme la solution pour acquérir des applications à plus bas prix, réduire les besoins de maintenance, partager plus rapidement ses innovations avec les utilisa- teurs [Google, 2009]. Les impacts des TIC sur l’environnement, et d’une manière plus géné- rale, des équipements électriques et électroniques ou des produits consom- mateurs d’énergie, ont conduit l’Union européenne à mettre en place des réglementations, que ce soit par exemple pour limiter les substances dange- reuses présentes dans ces produits (directive RoHS, règlement Reach), pour mieux gérer les déchets générés en fin de vie (directive DEEE), ou pour amé- liorer leur conception dans le but de réduire leur impact global sur l’environ- nement (directive EuP). De leur côté, les consommateurs sont davantage sensibilisés aux pro- blématiques écologiques et à leur contribution en tant qu’acheteurs à cette crise environnementale. Les politiques et les organisations non gouverne- mentales focalisent actuellement leur discours environnemental sur les aspects liés au réchauffement climatique, et en particulier, sur les émis- sions de CO2 et sur la consommation énergétique, en insistant le plus sou- vent sur les bénéfices attendus. Par exemple, le rapport Smart 2020 [GeSi, 2008] ne prend en compte que ces seuls aspects, et estime que le secteur ] terminal n° 10 6 - 107 [ 19 1erPartie-T106 27/01/11 17:30 Page 19

Évaluation des impacts environnementaux de l’informatique

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Évaluation des impacts environnementaux de l’informatiqueQuels outils ? Quelles limites ?

Françoise Berthoud, Marianne Parry

Selon l’EITO (European Information Technology Observatory), le mar-ché mondial des TIC continue de croître malgré la crise avec une crois-sance attendue pour 2010 de 1,9 % et pour 2011 de 3,7 %. Le marché

européen du « cloud computing » (informatique dématérialisée) croît quant àlui de 20 % par an, ce qui implique une augmentation significative de l’utili-sation de la mémoire et des capacités de calcul des ordinateurs et des serveurs[EITO, 2010].

Le consommateur se laisse, en effet, volontiers séduire par un discoursmarketing vantant l’intérêt pour lui d’acquérir le dernier gadget high-tech, dese doter d’un nouveau logiciel ou service, qui lui apportera de nouvellesfonctionnalités. Google par exemple présente le « cloud computing » commela solution pour acquérir des applications à plus bas prix, réduire les besoinsde maintenance, partager plus rapidement ses innovations avec les utilisa-teurs [Google, 2009].

Les impacts des TIC sur l’environnement, et d’une manière plus géné-rale, des équipements électriques et électroniques ou des produits consom-mateurs d’énergie, ont conduit l’Union européenne à mettre en place desréglementations, que ce soit par exemple pour limiter les substances dange-reuses présentes dans ces produits (directive RoHS, règlement Reach), pourmieux gérer les déchets générés en fin de vie (directive DEEE), ou pour amé-liorer leur conception dans le but de réduire leur impact global sur l’environ-nement (directive EuP).

De leur côté, les consommateurs sont davantage sensibilisés aux pro-blématiques écologiques et à leur contribution en tant qu’acheteurs à cettecrise environnementale. Les politiques et les organisations non gouverne-mentales focalisent actuellement leur discours environnemental sur lesaspects liés au réchauffement climatique, et en particulier, sur les émis-sions de CO2 et sur la consommation énergétique, en insistant le plus sou-vent sur les bénéfices attendus. Par exemple, le rapport Smart 2020 [GeSi,2008] ne prend en compte que ces seuls aspects, et estime que le s e cteur

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des TIC pourrait en 2020 contribuer à réduire les émissions de CO2 de 15 %.Cependant, les producteurs de TIC sont contraints de s’adapter et

devront accorder une part plus large à la prise en compte de critères environ-nementaux dans la conception des produits, et plus généralement à l’évalua-tion environnementale des produits qu’ils mettent sur le marché. Ils sont etseront de plus en plus amenés à communiquer de manière appropriée sur leurdémarche environnementale auprès des consommateurs et usagers.

L’étape d’évaluation étant un préalable primordial, dans toute démarchecohérente, au travail de conception et de communication, nous présenteronsdans un premier temps les principales méthodes d’évaluation des impactsenvironnementaux utilisées dans le secteur des TIC. Nous mettrons ensuiteen évidence les intérêts et limites qu’engendrent les évaluations partiellescentrées sur quelques critères « à la mode », limitées à certaines phases ducycle de vie du produit.

Nous nous intéresserons alors plus particulièrement aux analyses decycle de vie (ACV) dans le domaine de l’informatique. Nous mettrons enlumière leurs intérêts et leurs limites d’un point de vue méthodologique, leursprésupposés, et les instrumentalisations possibles des résultats.

Enfin, nous parlerons de la manière dont sont pris en compte la fin devie et l’effet rebond dans les évaluations actuelles.

Présentation de différentes méthodes d’évaluation des impactsenvironnementaux

Les impacts environnementaux des TIC sont intrinsèquement difficilesà évaluer : d’une part. parce que les produits utilisés sont technologiquementcomplexes ; d’autre part, parce que les connaissances scientifiques qui per-mettent d’évaluer des impacts sur la planète ou sur le monde du vivant à par-tir de ces données techniques sont insuffisantes.

Cependant, nous sommes confrontés à de nombreux problèmes àl’échelle mondiale : pénurie d’eau potable, pollution par les métaux lourds,modifications climatiques, raréfaction de minéraux, etc. L’urgence est là quiattend des actions. Agir, c’est’améliorer, choisir entre plusieurs options. Lesoutils d’ « aide à la décision » constituent autant d’aides pour exercer unchoix, des choix à tous les niveaux : décideurs politiques, constructeurs, éco-concepteurs, utilisateurs, etc.

« On » aurait aujourd’hui tendance à rechercher un outil simple, quipermette de résumer la complexité du monde et de ses interactions en unseul indicateur dont on connaîtrait le seuil d’acceptation... alors le déci-deur n’aurait qu’un choix limité à faire. Malheureusement, la réalité esttout autre, les indicateurs trop globaux agrègent des données de nature dif-férente, ce qui conduit à des choix qui peuvent s’avérer contre productifs ;les indicateurs trop restreints oublient d’autres réalités qui conduisentaussi à des catastrophes naturelles. Il est difficile de trouver un équilibre !

Plusieurs méthodes d’évaluation des impacts environnementaux sont

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présentées ci-dessous, nous n’avons retenu que les méthodes utilisées dans lecadre des TIC. Elles sont présentées avec leurs avantages et leurs inconvé-nients.

Le bilan Carbone R est une méthode spécifique développée parl’ADEME qui se concentre sur une seule catégorie d’impact : les émissionsde gaz à effet de serre. Cette méthode ramène tous les processus physiquesdont dépend une activité ou un produit à des émissions exprimées en équiva-lent carbone. Outre les difficultés inhérentes aux mesures, son principalinconvénient est qu’elle ne tient compte ni des problématiques de ressources,ni des impacts liés aux différentes autres formes de pollution (production dedéchets dangereux, impacts sur la biodiversité, sur la qualité des eaux...).

L’analyse économique Intrants-Sortants se base sur les flux monétai-res pour estimer les ressources et l’énergie utilisées par un produit ou un ser-vice et évaluer les émissions correspondantes. Les impacts environnemen-taux directs et indirects (consommation énergétique et prélèvement deressources) sont établis pour chaque secteur économique par leur interdépen-dance avec les autres secteurs liés. Cette méthode présente l’avantage deprendre en compte les impacts indirects, mais aussi l’inconvénient d’ignorerl’ensemble des impacts relatifs à la biodiversité, et de perdre en précision aucours des périodes où les cours des marchés ne sont pas stables.

Cette méthode a été utilisée en complément de’l’analyse de cycle devie, lorsque les données pour l’ACV sont incomplètes ou trop peu récentes,en particulier par Éric Williams dans un article paru en 2004 [Williams,2004] et une autre étude à paraître en 2010. Cela aboutit à une méthodehybride qui permet d’affiner les estimations.

L’analyse de cycle de vie est un outil « d’aide à la décision » qui héritedes limites inhérentes à ces méthodes. Elles consistent à évaluer tous lesimpacts environnementaux potentiels d’un produit, d’un service ou d’un pro-cédé sur l’ensemble de leur cycle de vie.

Les ACV sont utilisées dans des domaines très variés, soit par desindustriels pour améliorer leurs produits, procédés ou services et pour com-muniquer sur les avantages de leur produit vis-à vis de l’environnement, soitpar les pouvoirs publics pour définir certaines orientations (choix d’unefilière de traitement de déchets par exemple). C’est aussi cet outil que l’onutilisera pour comparer plusieurs méthodes (processus) qui correspondent àune même « unité fonctionnelle » (voir définition ci-dessous), comme le« coût environnemental de la communication d’une facture papier par rap-port à une facture numérique ».

Pour que les résultats d’une ACV soient exploitables, la norme interna-tionale ISO 14040:2006 [ISO, 2006] en spécifie les principes et le cadre.

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Les analyses de cycle de vie sont construites selon quatre phases :

La phase de définition d’objectifs et du champ de l’étude : elle per-met d’établir les frontières du système considéré, qui sont délimitées parl’unité fonctionnelle. Celle-ci fournit une référence pour comparer les résul-tats, les objectifs poursuivis, les exigences relatives à la qualité des données.Exemple d’unité fonctionnelle : « Ecran d’ordinateur de 17 pouces, techno-logie LCD, utilisé dans des conditions moyennes de luminosité, x heures paran en mode actif et y heures en mode veille ».

La phase d’inventaire de cycle de vie qui recense et quantifie les fluxde matière et d’énergie entrant et sortant du système étudié. La réalisation decette phase exige la collecte de nombreuses données, soit à partir de la biblio-graphie, soit directement auprès des industriels.

La phase d’évaluation d’impact du cycle de vie, qui permet de tra-duire les résultats obtenus au cours de l’inventaire en impacts environnemen-taux potentiels. Les flux sont caractérisés en impacts grâce à des indicateurstels que le Potentiel Global de Réchauffement (PRG). Selon les modélisa-tions choisies, les flux sont classés par catégories d’impact : épuisement desressources, impacts sur la santé humaine, changements climatiques,...

La phase d’interprétation du cycle de vie, qui doit fournir des résul-tats compréhensibles et cohérents avec les objectifs initiaux, et exposer leslimites de l’étude. Elle consiste également à identifier, évaluer et sélection-ner les options d’amélioration de la charge environnementale.

Les normes définissent également des exigences en matière de commu-nication sur les résultats, notamment si ceux-ci sont utilisés dans des affirma-tions comparatives destinées au public. La revue critique d’une ACV par unou plusieurs experts, de préférence externes, renforce la crédibilité de l’ACV.

Pour conclure sur les aspects méthodologiques, les méthodes qui sefocalisent sur les gaz à effet de serre (bilan carbone par exemple) prennentcertes en compte les différentes phases du cycle de vie des produits (dansune certaine mesure et avec beaucoup d’approximations qui sous-estimentl a rgement les phases de production et de traitement de fin de vie), mais lanon-connaissance des autres impacts (par exemple l’éco-toxicologie) estun problème en soi. La méthode hybride essaie de corriger les sous-estimations citées précédemment mais ignore encore les autres impacts.Quant à l’approche A C V, multicritère sur toutes les phases du cycle de vie,elle présente l’énorme avantage de couvrir une grande variété d’impacts etd’être normée, mais elle souffre de la qualité insuffisante des données, cequi reste néanmoins améliorable. L’ A C V fournit des résultats complexes(qui ne se limitent pas à un chiffre), reportant donc le poids de la décision(en toute connaissance de cause) sur ceux qui les analysent !

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Énergie, CO2, usage et production : intérêts et limites des évaluations partielles

Dans la pratique, la plupart des études disponibles, que ce soit sur desproduits ou des services, se restreignent à l’examen de l’énergie utilisée pen-dant la phase d’usage. Et pourtant, déjà à ce niveau, des incertitudes existent.

Phase d’usage : question de l’énergie et ses implications en matièred’évaluation environnementale

Mesurer l’énergie nécessaire à l’utilisation d’un PC pendant une heureest à la portée de tous, estimer pour un individu donné sa consommation pen-dant une année est relativement simple et précis (à l’aide d’un appareil demesure). Estimer la consommation électrique de l’ensemble des foyers fran-çais pour l’ensemble de leurs équipements informatiques et de télécommuni-cation (incluant donc les PC, portables, imprimantes, BlackBerry et autresiPhone, mobiles etc.) relève déjà d’un exercice plus difficile, au cours duquelles données statistiques vont apparaître avec leur lot d’incertitudes, d’ap-proximations et d’hypothèses.

Quant à évaluer la consommation électrique de l’ensemble du réseaud’intercommunication entre tous les objets et de l’ensemble des serveurs quistockent les données, les applications et les contenus de tous ces objets com-municants... cela devient très complexe, d’autant plus que le secteur des TICest extrêmement dynamique, en forte progression en volume et qu’il se répar-tit sur la planète entière. La virtualisation est une conséquence de la globali-sation. Un service sur le réseau peut « déménager » quasi instantanément enun autre point du réseau sur la planète.

Le niveau d’approximation et d’incertitude sur ces données est inconnu,mais certainement important ! Cela dit, des chiffres circulent :

Les TIC au niveau mondial généreraient autant de CO2 que l’avia-tion civile [source Gartner].

Les TIC consommeraient en France 7,3 % de l’électricité produite[IDATE, 2009], (cette estimation ne prend pas en compte l’énergie consom-mée hors de nos frontières lors de l’accès aux centres de données de Google,etc.). Attention : on lit souvent que les TIC consommeraient 13,5 % de l’élec-tricité en France, ce qui représente une énorme différence. En fait, cette der-nière estimation prend en compte les écrans de télévision et d’autres équipe-ments qui ne sont pas forcément inclus dans les TIC, selon la définition quel’on en retient.

Les réseaux d’interconnexion consommeraient 30 % de l’énergienécessaire à l’ensemble des TIC.

A un niveau plus fin, les estimations de consommation électrique deséquipements se basent très souvent sur des hypothèses d’utilisation plus oumoins explicites et sur des modèles choisis en fonction de leurs caractéristi-ques ou selon des moyennes.

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Voici l’exemple complet de calcul de l’impact énergétique d’un poste detravail fixe, à domicile [étude préparatoire European Commission DG Tren,2008] :

L’impact énergétique lié à l’usage d’un poste fixe en Europe (à domicile),si l’on se base sur une durée de vie moyenne de 6,6 années et sur un scénariode fonctionnement (modes on/off/veille) précisé ci-dessous, s’élève à 9 829 MJ(poste) + 3 242 MJ (écran LCD 17 pouces), soit au total 3 630 kWh.

Le détail du calcul est explicité ci-dessous :

L’impact de la phase d’usage étant essentiellement lié à la consomma-tion d’électricité, il est nécessaire de tenir compte du taux de conversionénergie primaire/énergie utile (l’énergie primaire est l’énergie qui est dispo-

nible dans la nature : bois, eau, charbon, uranium, etc.). Ce taux est de l’or-dre de 2,8 en Europe, c’est-à-dire que pour délivrer 1 kWh aux équipements,2,8 kWh d’énergie primaire sont nécessaires. Ceci explique que la valeurretenue pour la phase d’usage du poste de travail dans l’étude EuP est de3630 kWh et non de 1291 kWh.

Deux remarques s’imposent :- Il est important de savoir que l’estimation du taux de conversion est

sujette à discussion ; ce taux varie avec les pays et la nature des matières pre-mières utilisées...

- Par ailleurs, la consommation en mode « idle» (au repos, quand l’ap-pareil ne fait rien du tout) est inférieure à la consommation en mode de fonc-tionnement normal (plusieurs applications chargées).

D’une manière générale, les analyses de cycle de vie expriment l’éner-gie pendant la phase d’usage en énergie primaire. Par contre, les études quine sont pas des ACV utilisent directement l’énergie utile (celle délivrée à laprise de courant et utilisée par l’équipement, comme dans l’étude Remodece[ADEME, 2008]. Enfin, certaines études prennent en compte les pertes élec-triques dues au transport (environ 10 % en France).

De cette estimation de l’énergie utilisée pendant la phase d’usage, on

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Puissance

Poste de travail(domicile)

Ecran LCD(domicile)

Pour un nombred’heures par an

(domicile)

En mode‘idle’

78.2 Wh

31.4 Wh

1 582 h/an

En modeveille

2.22 Wh

0.9 Wh

2 873 h/an

En mode Off

2.27 Wh

0.8 Wh

4 305 h/an

Durée d’utilisation

6.6 années

Soit 195,6kWh/an

Total énergieutile :

1291 kWh pour la phase

d’usage

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peut dégager quelques difficultés. En effet, le résultat final sera fortement liéaux hypothèses de fonctionnement (modes), à la puissance moyenne estiméedu poste de travail, et au taux de conversion énergie primaire/énergie utile,qui dépend étroitement de la façon dont l’énergie est produite et transportée.

Prise en compte de la phase de productionL’énergie nécessaire à la fabrication d’un équipement électronique cor-

respond à la somme de l’énergie utilisée pour l’extraction des matières pre-mières, de l’énergie nécessaire à l’ensemble des processus de transformationde ces matières premières en produits manufacturés, et de l’énergie néces-saire à l’assemblage des pièces. On distingue généralement deux étapes :l’extraction et la fabrication. Selon les études, la phase de fabrication est elle-même décomposée en phase de préfabrication et phase d’assemblage. Làencore, les données sont relativement imprécises et assez disparates.

Les publications récentes donnent les résultats suivants dans le cas d’unordinateur portable [Deng, 2010] :

Les différences proviennent : D’hypothèses différentes sur la durée de vie des équipements (ce qui

a une incidence sur le calcul de l’énergie en cours d’usage),

De la méthodologie (certaines études, comme Williams [2004], uti-lisent une méthode hybride pour calculer les impacts),

Des mix énergétiques utilisés, en fonction de la localisation géogra-phique pour chaque phase et de certaines hypothèses,

Des estimations de l’énergie utilisée pour la phase de fabrication dela partie électronique (microcircuits), sources des plus grosses différences.

D’une façon générale, les données sont de qualité insuffisante : soit tropagrégées (à un niveau national ou international et non pas au niveau des pro-cessus), soit avec des hypothèses non ou mal formulées, d’origine inconnue...

Par exemple, l’ITRS (International Technology Roadmap forSemiconductors) publie chaque année, depuis le milieu des années 2000, undocument de synthèse sur les coûts énergétiques et les matières chimiquespour cette industrie [ITRS, 2009]. Mais les valeurs sont moyennées pourl’ensemble de la production. Or, la fabrication des « micro-circuits » utilisésdans les équipements informatiques actuels sont extrêmement miniaturisés (8cœurs par processeur), et la finesse de gravure nécessite une atmosphère et

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des matériaux particulièrement purs, ce qui est beaucoup plus vorace en éner-gie (proportionnellement au poids ou à la surface) que les autres fabricationsde l’industrie des semi-conducteurs.

Par ailleurs, généralement lorsque les données sont de bonne qualité etaccessibles au public ou à la recherche publique, ce qui est extrêmement rare,elles correspondent à du matériel datant du début des années 1990, au mieuxdu début des années 2000. Les constructeurs et les industriels disposent dedonnées très récentes, mais qui ne sont pas publiées et ni même transmisesdans le cadre d’études spécifiques (essentiellement par crainte de perdre dessecrets industriels).

Enfin, une des difficultés actuelles pour l’obtention des données est liéeà l’extrême parcellisation de la chaîne de production, avec un grand nombrede niveaux de sous-traitance et un grand nombre de sous-traitants, localisésen Asie pour la plupart. De plus, ce morcellement est en perpétuel mouve-ment, les techniques de fabrication évoluant très vite et la course à la mini-misation des coûts provoquant de fréquents changements de sous-traitants.

Il est très probable que les calculs actuels sous-estiment la quantitéd’énergie nécessaire à la phase de fabrication. Quelques données récentesprésentées ci-dessous mettent en évidence un facteur trois entre la valeurobtenue par Rachel Deng et les valeurs annoncées dans le cadre de l’étudepréparatoire EuP :

Il est intéressant de rappeler ici que sur l’ensemble des études considé-rées, le calcul de l’énergie primaire pendant la phase d’usage varie de 1668à 3525 MJ en fonction des hypothèses retenues, en particulier sur la durée devie du matériel, son profil d’utilisation et le taux de conversion. Si l’on repré-sente uniquement les résultats des études EuP [European Commission DGTREN, 2007] et Deng & al [2010], il apparaît non seulement un écart impor-tant dans l’énergie totale utilisée pour les deux phases, mais aussi dans l’im-portance relative de l’une des deux phases par rapport à l’autre.

Certes on reste dans les mêmes ordres de grandeur, mais compte tenudu volume de matériel produit et du taux d’obsolescence de ces matériels, les

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différences relatives entre l’énergie nécessaire à la production et l’énergie enphase d’utilisation ou lors de la phase de recyclage conduisent à des priori-tés dans les recommandations qui peuvent s’inverser, allant de :

- garder l’équipement le plus longtemps possible (pour économiserl’énergie à la production) ;

- remplacer rapidement l’équipement de façon à avoir un équipement lemoins consommateur possible en phase d’usage.

En réalité, les constructeurs ou même des ONG comme Greenpeace[Greenpeace, 2009] « oublient » tout simplement trop souvent de prendre encompte l’énergie utilisée lors de la production des équipements !

Un critère à la mode : la modélisation en équivalent CO2Le Global Warming Potential en kilogramme d’équivalent CO2 est une

estimation sur un seul impact. Si l’on examine les deux phases de productionet d’usage du cycle de vie, l’impact relatif des phases de fabrication par rap-port à la phase d’usage va être fortement dépendant de la façon dont est pro-duite l’électricité ! Dans notre cas :

- pendant la phase de production (en Asie pour l’essentiel), le taux deconversion est particulièrement défavorable au CO2,

- pendant la phase d’usage en France, le taux de conversion est favora-ble au CO2 mais particulièrement défavorable aux impacts liés aux substan-ces ionisantes (électricité nucléaire).

Quelques chiffres pour illustrer ces propos (à noter que les résultats deRachel Deng n’étaient pas exprimés en équivalents CO2, nous avons simple-ment appliqué ici les même ratios) :

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Ce graphique illustre la difficulté de l’exercice. Le seul impact de laproduction du portable de l’étude de Rachel Deng [Deng & al, 2010],lorsqu’il est traduit en kg eq. CO2, est supérieur à la somme des impacts dela production et de l’utilisation de l’étude EuP.

Par ailleurs, en moyenne, le poids relatif de la phase de production n’estpas surprenant. En effet, les équipements électroniques sont majoritairementproduits dans des régions asiatiques où l’énergie est générée à base de char-bon, et où la part de fuel dans la production est beaucoup plus importante quedans la phase d’usage. Qu’en serait-il si les énergies utilisées dans les régionsasiatiques étaient plus « propres » ?

Évaluer plusieurs critères sur les trois phases de vie d’un équipe-ment : difficultés des ACV

Plutôt que de se focaliser uniquement sur un unique critère « émissionsde CO2 » au risque de créer des transferts d’impacts (diminuer les émissionsmais augmenter les pollutions chimiques par exemple), il paraît important defournir des informations sur l’ensemble des catégories d’impacts.

Obtenir un résultat multicritère oblige à une réflexion d’ordre politiqueet sociétal. Il n’est plus possible de se retrancher derrière un critère uniquequi permet de classer les différents scénarios. Chacun a des implications dif-férentes, il arrive souvent qu’il ne se dégage pas un « bon » scénario maisquelques uns qui sont moins « mauvais ».

Nous illustrons l’utilisation de cet outil au travers de quelques exem-ples, et présentons ci-dessous deux exemples d’ACV complète.

Les résultats sont analysés et présentés selon l’approche « ecoindicator

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99 » : dans cette méthode les impacts (par exemple « acidification »,« déchets ionisants », « déplétion de la couche d’ozone », « réchauffment »sont rassemblés au sein de trois grandes catégories : ressources, qualité desécosystèmes et santé humaine. L’avantage de cette approche est qu’elle per-met de présenter les résultats de façon synthétique sans se limiter à un critèreunique trop simplificateur.

Poids de la fabrication et de l’usage suivant la zone géographiqueNous avons choisi de présenter les résultats de l’ACV conduite par

l’EMPA en 2007 [Eugster, 2007], parce que les résultats (cf. figure suivante)présentent non seulement l’impact de la fabrication par rapport à la phased’usage, mais aussi les phases d’usages en fonction de la zone géographique(dans tous les cas la durée de vie du matériel a été fixée à 6 ans). Il apparaîtclairement que la façon dont l’électricité est produite influence directementles résultats, et que par conséquent les recommandations ne seront pas lesmêmes en fonction des pays. En l’occurrence, pour la France la durée d’uti-lisation optimale des équipements sera plus longue qu’en Chine (compte tenudes progrès technologiques des nouveaux matériels, en particulier par rapportà leur consommation énergétique).

Impacts de l’usage d’un PC dans différentes région du monde, relativement à l’impact dela fabrication [Eugster et al., 2007]

Concernant la phase de production, cette étude met en évidence lagrande importance de la fabrication des circuits intégrés à cause de laconsommation d’énergie pendant cette phase, de la production des plaquet-tes de Silicium (wafer), et de la quantité d’énergie nécessaire au raffinementdes métaux précieux (en particulier l’or). La manipulation de substances chi-miques au cours de l’extraction des métaux, des terres rares, tout comme leprélèvement de ressources de notre planète, génèrent des impacts qui sontcomptabilisés dans cette ACV.

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Impact des différents constituants d’un PC [Eugster et al., 2007]

Écrans d’ordinateurs : le LCD contre le CRT ?Le changement majeur de technologie des écrans depuis le début des

années 2000 a motivé plusieurs études et analyses de cycle de vie, en parti-culier les travaux de Socolof [2001, 2002 et 2005] et les travaux préparatoi-res EuP [European Commission DG TREN, 2007]. L’ACV présentée plushaut [Eugster M., 2007] présente également des résultats concernant lesécrans. Les valeurs brutes des travaux de Socolof [2002] ont été reprises parexemple par l’ADEME pour établir les valeurs de référence de son guide desfacteurs d’émission [ADEME, 2005] ou par la base de données« EcoInvent » utilisée par Sima Pro.

Il est cependant surprenant d’observer des différences dans la traductionen kg eq. CO2 par exemple, alors qu’elles reposent sur la même étude :

Les variations s’expliquent en grande partie par les hypothèses utilisées

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pour traduire les énergies en équivalent CO2 en fonction de la zone géogra-phique où sont produits les équipements, comme indiqué dans le tableau pré-cédent. A noter que sur cet exemple, si l’on raisonne uniquement par rapportà la phase de production et uniquement sur l’impact GWP, l’écran CRT estmeilleur (moins impactant) dans toutes les études.

Compte tenu des différences dans la consommation énergétique entreles écrans CRT et LCD et des incitations au renouvellement des écrans, ilnous a paru opportun de présenter les résultats d’une ACV comparative quenous avons menée afin de comparer les deux scénarios suivants :

On garde son vieil écran CRT pendant 6 ans, On change son écran CRT par un écran LCD au bout de 3 ans.

Nous avons utilisé le logiciel SimaPro 7.1 qui se base sur la base dedonnées EcoInvent. On obtient la figure page suivante qui donne l’avantageau premier scénario (dans cette figure, l’axe vertical correspond à l’impactexprimé en % de l’impact moyen annuel d’un Européen).

ACV comparative : utiliser un écran pendant 6 ans : scénario 1 (écran CRT conservépendant 6 ans) versus scenario 2 (écran CRT remplacé par un écran LCD au bout de 3ans).

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Si l’on avait tenu compte de la fin de vie, il est certain que la préférenceserait encore allée au CRT, puisque qu’il n’existe aujourd’hui pas de proces-sus technologiques industriels permettant de recycler les écrans LCD àgrande échelle. Dans l’exemple précédent, nous avons choisi une étude fonc-tionnelle qui conduit finalement le citoyen à effectuer un choix parmi lesdeux options présentées (CRT remplacé par un LCD au bout de 3 ans, CRTpendant 6 ans). Il lui apparaîtra donc complètement pertinent de conserverson vieil écran plus longtemps.

Si nous avions choisi de comparer par exemple l’écran LCD et l’écranCRT au cours de l’ensemble de leur cycle de vie (6 ans ici), la conclusionaurait été inversée : l’écran LCD était meilleur (cf. tableau ci-dessous : ACVcomparative entre un écran LCD et un écran CRT (utilisés pendant 6 années).ACV comparative entre un écran LCD et un écran CRT (utilisés pendant 6 années).

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La conclusion de ces deux analyses comparatives est la suivante : il estpréférable de conserver son écran CRT le plus longtemps possible. En fin devie (lorsque l’écran ne fonctionne plus), il est plus avantageux de le rempla-cer par un écran LCD de taille équivalente.

« Dématérialisation » : oubli des conséquences sociales et analysecoûts/bénéfices non systématiques

Prenons enfin l’exemple fictif d’une analyse de cycle de vie compara-tive entre un affranchissement colissimo numérique par rapport à un affran-chissement à la poste. Quelles difficultés ce type d’ACV soulève-t-il ?

L’unité fonctionnelle est claire, mais il est important de définir précisé-ment les processus impliqués. Par exemple : pour envoyer un colis affranchipar Internet, il est nécessaire de se connecter sur un serveur web, de rentrerun certain nombre d’informations, de payer par Internet, et enfin d’imprimerun document papier pour coller sur le colis, après quoi il faudra de toutefaçon se déplacer à la poste pour porter le paquet qui lui reste bien matériel! Un ou deux mails seront envoyés au client (expéditeur) pour confirmer latransaction bancaire...

Il s’agira ensuite de calculer la contribution de chaque étape aux équi-pements qui sont mis en jeu : par exemple, quel pourcentage de serveur(mail, Web base de données, etc.) est utilisé dans cette transaction pour cha-que service ? Quel pourcentage des équipements réseaux, des câbles ? Deséquipements de la maison (PC ou portable, box ADSL), de l’imprimante,etc. ? Le reste du processus est le même que dans le cas d’un affranchisse-ment classique. Ces informations sont difficiles à obtenir parce qu’en géné-ral les fournisseurs ne communiquent pas sur les éléments qui permettraientd’avoir des données suffisamment fiables. Par ailleurs, les données sur leséquipements réseau sont très difficiles à évaluer aujourd’hui.

Dans cet exemple, il paraît cependant probable que la « d é m a t é r i a l i-s a t i o n », vendue en général comme un bénéfice pour l’environnement, estplus impactante que la méthode traditionnelle d’affranchissement. Pourd’autres cas, le bénéfice peut s’avérer positif... mais il n’est jamais possi-ble d’en être certain sans avoir réalisé ce long travail d’inventaire, de col-lecte des données et de simulation. Par ailleurs, le coût social de la« d é m a t é r i a l i s a t i o n », est loin d’être négligeable : réduction des emplois,d i fficulté d’accès pour les plus défavorisés et les personnes âgées, coûtfinancier non négligeable si l’on n’a pas d’autres utilisations des nouvel-les technologies, etc. Cette composante du développement durable mérite-rait d’être évaluée de façon systématique !

Contraintes liées à l’utilisation de l’ACVSi la procédure pour réaliser une ACV est bien encadrée par un ensem-

ble de normes de référence, cet outil présente quelques limites, et les résul-

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tats ne doivent pas être perçus comme une vérité absolue. Nous avons illus-tré ces limites dans les exemples précédents :

Contraintes méthodologiques : les résultats sont dépendants de lazone géographique d’où proviennent les données, des hypothèses de départ,et des choix effectués notamment en ce qui concerne la définition de l’unitéfonctionnelle retenue qui va orienter l’interprétation des résultats. C’est pour-quoi les normes ISO insistent sur la transparence de la méthode (tous leschoix doivent être écrits et justifiés). L’évaluation porte sur des impactspotentiels et non des impacts réels. Tout n’est pas pris en compte, comme lesimpacts économiques et sociaux par exemple ou certaines classes d’impacts(bruit, champ électromagnétiques...).

Contraintes relatives aux données : la qualité de l’ACV dépend cru-cialement de l’existence et de l’accessibilité aux données. Or, de nombreusesdonnées ne sont pas disponibles soit parce qu’elles ne sont pas mesurées soitqu’elles sont confidentielles ou difficilement exploitables. Les données four-nies par les bases de données disponibles posent des problèmes de représen-tativité, de complétude, et d’obsolescence. En particulier, le transport est sou-vent sous-évalué. Pour pallier à cela, l’expert qui réalise l’ACV est obligéd’avoir recours à un grand nombre d’hypothèses, de simplifications et d’in-certitudes. Les bases de données privées de type Eco-Invent (www.ecoin-vent.ch) ne sont pas utilisables pour des dispositifs d’affichage environne-mental publics harmonisés, alors que les bases de données publiques enconstruction sont pour l’instant très pauvres en données (par exemplehttp://lca.jrc.ec.europa.eu/lcainfohub/datasetArea.vm).

Contraintes par rapport à la conception des produits : les ACVrequièrent un grand nombre de données et de ressources. Seuls des expertspeuvent manipuler correctement les informations et les outils afin d’interpré-ter les résultats de l’ACV de la façon la plus juste. Cet outil complexe et coû-teux est donc difficile à utiliser pour les PMI-PME. Plusieurs méthodes ditessimplifiées et plus abordables leur sont proposées.

Contraintes relatives à la définition de l’unité fonctionnelle : la défi-nition de l’unité fonctionnelle est capitale. Lorsqu’il s’agit d’une ACV com-parative entre plusieurs solutions, elle oriente le lecteur sur l’une des solu-tions imaginées, mais pas sur d’autres options, qui s’écarteraient des modèlesproposés.

Temps, argent et civilisation de consommation : de la non-priseen compte du recyclage à l’effet rebond

Qu’en est-il du « recyclage » ?Le terme « recyclage » comprend plusieurs déclinaisons qui vont de la

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réutilisation de pièces détachées à l’incinération des équipements, en passantpar des techniques de valorisation énergétique ou matérielle. Les analysesde cycles de vie doivent tenir compte du devenir en fin de vie de ces équi-pements. Une partie des DEEE est exportée et sera exploitée pour la récu-pération des métaux précieux dans des conditions sanitaires et environne-mentales scandaleuses. La proportion de déchets recyclés dans les règlesde l’art, en France ou en Europe, semble finalement très faible, maisaucune donnée consolidée ne permet aujourd’hui de connaître précisémentle pourcentage traité dans chacune des filières. Les logiciels d’ACVcomme Simapro sous-estiment très largement l’impact de cette phase ducycle des produits électroniques.

Cependant, une étude [Duan, 2009] montre que l’impact peut être posi-tif, c’est-à-dire que sur l’ensemble du cycle de vie le traitement en fin de vieapporte des bénéfices lorsque celui-ci est réalisé avec les dernières technolo-gies. A contrario, ce même traitement peut être fortement impactant selon lesprocessus utilisés dans les cas de recyclage sans dépollution ou de mise endécharge. La figure suivante illustre ce constat et compare les impacts durecyclage avec ceux des phases de production et d’utilisation.

Impacts environnementaux (méthode EcoIndicateur 99) selon différents scénarios derecyclage [Duan, 2009].

Il est extrêmement difficile aujourd’hui de connaître le devenir des mil-lions de tonnes de DEEE (Déchets d’Équipements Électriques et Électroni-ques) qui ne sont pas traitées via la filière adaptée et réglementaire (tout aumoins pour la France), soit plus de 80 % en 2009 ! Il sera donc nécessairetemporairement et faute de mieux de faire des hypothèses pour la phase defin de vie lors de l’analyse de cycle de vie. Compte tenu du poids relatif dutraitement de fin de vie par rapport aux phases de production et d’usage, ceshypothèses seront déterminantes pour le résultat de l’analyse de cycle de vie.

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Le temps libéré, l’argent économisé, dans une civilisation deconsommation, incitent à « investir » ailleurs... ou « l’effet rebond »

Revenons sur les écrans un instant : dans toute la démonstration précé-dente, nous avons implicitement admis l’hypothèse de stabilité de l’offre etde la consommation en termes de taille des écrans. Or, compte tenu de ladiminution des prix des écrans LCD et d’autre part du plus faible encombre-ment de ces moniteurs, le marché s’est déplacé vers des écrans de plus enplus grands, à tel point que les constructeurs ne proposent plus d’écrans de15 pouces aujourd’hui et quasiment plus de 17 pouces.

On est ici dans le cas typique d’un effet rebond où les progrès techno-logiques et les offres commerciales ont modifié les « besoins » des utilisa-teurs. La conséquence est que ce progrès technologique n’a pas conduit à uneréduction globale (si on tient compte de toutes les phases du cycle de vie etdu renouvellement précoce des équipements) des impacts environnementaux(à cause du surcoût de la phase de production et du traitement de fin de vie),mais que les besoins ont augmenté, ce qui conduit à des coûts environnemen-taux supérieurs pour toutes les phases du cycle de vie, y compris pendant laphase d’usage (un écran 24 pouces consomme aujourd’hui de l’ordre de 60Wh (ce qui correspond à l’ordre de grandeur de l’écran CRT 17 pouces).

Évidemment, « le service n’est pas le même ! ». Peut-être mais le« besoin » est sensiblement le même et l’un des principaux arguments devente des écrans LCD était précisément leur faible consommation. On a pulire de nombreux conseils incitant les utilisateurs à changer d’écran sans tar-der ! Par ailleurs, lorsque les options choisies ne sont pas de même nature(fourniture papier versus fourniture numérique par exemple), la comparaisonrévèle souvent des transferts de pollution.

Dans un autre exemple illustré ci-dessous, on a comparé la lecturecumulée de documents sur une clé USB par rapport à la lecture cumulée dedocuments papier, pour un volume total de 500 feuilles (soit l’équivalentd’une ramette ou la quantité imprimée en moyenne par un salarié pendant unmois). Cette rapide étude exploratoire prend en compte la clé USB et l’utili-sation de l’ordinateur pour lire les documents à l’écran dans le premier cas etl’utilisation de l’imprimante dans le second cas. La figure ci-dessous indiqueles impacts relatifs de l’une des solutions par rapport à l’autre pour unedizaine d’indicateurs pertinents.

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Il apparaît très clairement des transferts de pollution entre les deuxoptions que la seule lecture (connaissance) de l’indicateur « CO2 » n’auraitpas permis de mettre en évidence.

Ces deux exemples très simples montrent comment les objectifs del’ACV et le choix de l’unité fonctionnelle peuvent conduire à des recomman-dations à l’utilisateur très différentes, voire opposées.

Conclusion

Cet article a mis en évidence les difficultés de réaliser une évaluationenvironnementale fiable, rigoureuse et non orientée. Il est en effet « facile »d’obtenir des résultats sur lesquels un fabricant ou un distributeur va pouvoircommuniquer de manière positive.

Nous pouvons retenir trois paramètres majeurs qui influencent les résul-tats de ces évaluations :

- les hypothèses retenues : l’unité fonctionnelle, le périmètre pris encompte, la zone géographique considérée, permettent de manipuler les résul-tats qui en découlent et empêchent la plupart du temps de comparer les résul-tats des évaluations.

- la méthode retenue : sachant qu’une méthode multicritère et multi-étape sera toujours préférable pour éviter les transferts d’impact. Par contreles ACV sont longues, complexes, coûteuses et encore incomplètes, car ellesne prennent pas en compte les impacts socio-économiques.

- la qualité et la fiabilité des données utilisées : toutes les méthodes

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souffrent de la qualité insuffisante des bases de données disponibles. Les exemples présentés dans cet article montrent l’importance d’exer-

cer un esprit critique et attentif envers toutes les études plus ou moins com-plètes qui concluent à un avantage environnemental d’un service ou d’unproduit par rapport à un autre. Le problème de la qualité des données est cer-tes aigu, mais au-delà de ce point, il convient d’être particulièrement vigilantsur les hypothèses (dont la validité peut être remise en cause en fonction ducontexte) et sur le choix de l’unité fonctionnelle, qui finalement enferme ledécideur dans un choix d’options, alors que d’autres options auraient peutêtre été beaucoup moins impactantes.

Par ailleurs, ces évaluations environnementales ignorent les effetsrebond et autres impacts secondaires, qui de fait sont susceptibles d’effacercomplètement les avantages d’une solution technique sur une autre.

La suite logique de l’évaluation environnementale est la mise en placed’une démarche d’éco-conception des produits de manière à réduire lesimpacts tout au long du cycle de vie. Or là encore, on assiste à un effet demode, renforcé par la nécessité de mettre en avant l’innovation, qui conduitaux mêmes écueils rencontrés pour l’évaluation environnementale. Attentiondonc aux producteurs qui annoncent « faire de l’éco-conception » alors quela conception du produit va se limiter à améliorer l’efficacité énergétique duproduit en phase d’utilisation ou répondre uniquement aux exigences régle-mentaires de suppression de certaines substances dangereuses.

Dans le double contexte actuel de crise économique (les producteurscherchent à vendre à tout prix) et de crise environnementale (les citoyenssont sensibles aux arguments écologiques), il nous paraît important de poin-ter les possibles manipulations du consommateur qui ne peut effectuer deschoix que par rapport à ce qu’il connaît !

Les pouvoirs publics s’inquiètent d’ailleurs de cela et annonçaient dansle cadre du Grenelle de l’environnement un étiquetage environnemental obli-gatoire des produits de consommation à partir de janvier 2011. Des groupesde travail, et donc de pression, se sont montés, par famille de produit pourdéfinir les méthodes de calcul et d’étiquetage. Ils se sont rapidement confron-tés aux mêmes problématiques de définition d’unité fonctionnelle, de critè-res à retenir, de lacunes méthodologiques, de disponibilité et qualité des don-nées... tout cela pour des produits d’une grande disparité et que l’on destineà la comparaison. Il suffit de lire les comptes rendus du « groupe de travailméthodologie générale »1 pour se rendre compte de la difficulté de vouloirmettre en place ce type d’étiquetage. Et d’ailleurs la loi Grenelle 2 adoptéepar l’Assemblée nationale le 11 mai 2010 a finalement restreint l’objectif ini-tial à une simple expérimentation pour quelques produits et sur une duréelimitée à partir du 1er juillet 2011.

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1. Ces comptes rendus sont disponibles sur le site de la plateforme ADEME/AFNOR dédiée à l’affichage

environnementale http://affichage-environnemental.afnor.org

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