56
Vendredi 4 juillet 2014 Benedetto et Avignon 2005 En ce 4 juillet c'est l'ouverture du Festival d'Avignon, le signe des vacances, le temps de la culture, alors je reviens à Benedetto à qui j'ai consacré un livre et plusieurs articles sur ce blog. J'ouvre d'ailleurs une catégorie, BenEdetto, Castan, Lubat, Caubère. Le Festival 2005 a été un tournant pour le Off, ou une dérive de plus. Benedetto va devenir le président du Off... Ce petit bilan historique a quelques charmes. Voici donc un article de plus de L'Humanité où l'écrivain a la parole. Jean Paul Damaggio Les dérives, MERCREDI, 27 JUILLET, 2005 Par André Benedetto, metteur en scène, directeur du Théâtre des Carmes à Avignon. Avignon, ça a tout de suite commencé par une dérive ! Char et Zervoz ont proposé à Vilar de jouer une fois Meurtre dans la cathédrale dans la cour du Palais. Et que répond Vilar ? « Formidable » ? Non, pas du tout ! C'est une idée apparemment bonne, mais une autre idée lui vient. Il ne jouera pas ce meurtre mais sa naissance. Il saute sur l'occasion, il saisit sa chance aux oreilles pour tracer sa nouvelle voie avec trois autres pièces pendant une semaine. Et l'année suivante, nouvelle dérive, il intitule festival sa Semaine d'art dramatique de 1947. Vingt après, en 1966, dérive, c'est la danse qui entre dans la cour. En 1967, dérive, c'est le cinéma qui y entre avec la Chinoise de Godard. Le Festival, quant à lui, entre dans le off qui vient de naître, en ouvrant un deuxième lieu au cloître des Carmes où le Living Theatre s'installe en 1968. Grandes agitations. Et à partir des sixties qui finissent, de nouvelles exigences spectaculaires surgissent. Le in lui aussi, comme le off, va multiplier ses lieux, intra et extra-muros, ses spectacles, ses diversités, ses animations et occuper la presse, jour et nuit. Trente ans après, on verra émerger la musique sacrée, et quelques années plus tard les messes. Dès lors, on y trouve de tout. On n'attend plus que des toilettes publiques en nombre suffisant. Et ainsi de dérive en dérive,

Vendredi 4 juillet 2014 Benedetto et Avignon 2005

  • Upload
    others

  • View
    0

  • Download
    0

Embed Size (px)

Citation preview

Page 1: Vendredi 4 juillet 2014 Benedetto et Avignon 2005

Vendredi 4 juillet 2014 Benedetto et Avignon 2005

En ce 4 juillet c'est l'ouverture du Festival d'Avignon, le signe des vacances, le temps de la culture, alors je reviens à Benedetto à qui j'ai consacré un livre et plusieurs articles sur ce blog. J'ouvre d'ailleurs une catégorie, BenEdetto, Castan, Lubat, Caubère. Le Festival 2005 a été un tournant pour le Off, ou une dérive de plus. Benedetto va devenir le président du Off... Ce petit bilan historique a quelques charmes. Voici donc un article de plus de L'Humanité où l'écrivain a la parole. Jean Paul Damaggio Les dérives, MERCREDI, 27 JUILLET, 2005 Par André Benedetto, metteur en scène, directeur du Théâtre des Carmes à Avignon. Avignon, ça a tout de suite commencé par une dérive ! Char et Zervoz ont proposé à Vilar de jouer une fois Meurtre dans la cathédrale dans la cour du Palais. Et que répond Vilar ? « Formidable » ? Non, pas du tout ! C'est une idée apparemment bonne, mais une autre idée lui vient. Il ne jouera pas ce meurtre mais sa naissance. Il saute sur l'occasion, il saisit sa chance aux oreilles pour tracer sa nouvelle voie avec trois autres pièces pendant une semaine. Et l'année suivante, nouvelle dérive, il intitule festival sa Semaine d'art dramatique de 1947. Vingt après, en 1966, dérive, c'est la danse qui entre dans la cour. En 1967, dérive, c'est le cinéma qui y entre avec la Chinoise de Godard. Le Festival, quant à lui, entre dans le off qui vient de naître, en ouvrant un deuxième lieu au cloître des Carmes où le Living Theatre s'installe en 1968. Grandes agitations. Et à partir des sixties qui finissent, de nouvelles exigences spectaculaires surgissent. Le in lui aussi, comme le off, va multiplier ses lieux, intra et extra-muros, ses spectacles, ses diversités, ses animations et occuper la presse, jour et nuit. Trente ans après, on verra émerger la musique sacrée, et quelques années plus tard les messes. Dès lors, on y trouve de tout. On n'attend plus que des toilettes publiques en nombre suffisant. Et ainsi de dérive en dérive,

Page 2: Vendredi 4 juillet 2014 Benedetto et Avignon 2005

ça n'a jamais cessé d'avoir lieu à Avignon, en juillet, de grandir, d'évoluer, de se transformer, quelle que soit la municipalité. Jusqu'en 2003, qui ne fut pas la fin... car trop d'intérêts sont en jeu. Souvent contradictoires, et souvent mal compris. Un monstre. Et maintenant, ce Festival est un gros monstre, dont beaucoup encore ne connaissent pas l'existence et dont personne n'imagine l'ampleur qu'il prend dans quelques consciences avec ses lourdes pattes par dizaines qui font beaucoup de bruit, ses exhibitions nocturnes géantes, ses grognements de bête à l'agonie, ses caprices de nourrisson, ses baves de toutes les couleurs et un je-ne-sai- quoi qui le rend invisible aux uns, insupportable aux autres, merveilleux pour quelques tiers, d'un bon rapport pour ceux qui en vivent et qui ne vont jamais au théâtre et très onéreux, consommations comprises, pour ceux qui y vont, sauf les privilégiés qui ont des billets de faveur. Ce qui est le plus remarquable, c'est qu'en cette période de délocalisation forcenée qui s'empare de l'Europe, le Festival est la cause qu'Avignon est le centre d'une localisation à outrance. Des troupes sont venues s'y installer à l'année. Les directeurs du in y ont même pris demeure. On prédit que le off pourrait lui aussi y avoir ses bureaux. Parmi nous ! À ras des trottoirs. Et encore je ne sais pas tout ! Retour général à la Terre ! Il faut dire qu'on nous a mis Paris si près qu'il vaut bien mieux en partir pour ses loisirs que d'y venir pour le travail ! Et puis c'est plus calme, moins pollué, moins stressant, etc. Un jour toute l'Europe théâtrale va s'établir à Avignon et y développer un nouveau communautarisme culturel, in et off, mis au pas, confondus. Le retour de la papauté. L'été, le in occupe les monuments publics, c'est-à-dire les coeurs historiques de la ville, et en toute saison il s'expose sur les façades, aux fenêtres murées, selon une lèpre de gloire qui gagne tout le centre. Le off occupe presque tout le reste. Et tient à dire qu'il est là et qu'il tient à cette ville par tous ses fils pour marionnettes. Il s'empare du moindre espace, de la moindre aspérité, grille, devanture, du moindre piton, panneau, plot, réverbère pour y accrocher ses cartons se gondolant comme des cartoons, au gré de tous les vents comme un généreux amoncellement de tiers-mondes. Ils clament tous qu'ils font partie, totalement, de cette ville. Il y a ici comme une amorce d'enracinement. Ils vont peut-être même se mettre tous au provençal. C'est étonnant. À quoi ça sert ? À quoi ça sert tout ça ? Qui pourrait répondre à cette question ? En 1947, un type est pressenti. Il vient, il voit, il imagine. Il s'entend avec le maire. Toute une équipe se met en mouvement. Des gens autour. Et puis ça croît. La liberté d'expression, l'émulation et la liberté d'entreprendre aidant, ça croît sans cesse. C'est le principe occidental de l'expansion. On ne sait pas où ça s'arrêtera ! Certains rêvent de le réguler, de le restreindre. Il paraît qu'il le faut. Le off, c'est une sorte de mare originelle. C'est la vie. Ça grouille. Mais ce n'est pas net, pas assez conforme. Ça contient potentiellement toutes les dérives et tous les excès. Il y en a déjà eu beaucoup jusqu'ici, des dérives. Jusqu'à la toute dernière, un PDG comme président... Alors, il faut peut-être en finir avec le off, qui garde malgré tout quelque chose, quelques traces du projet démocratique qui a pris peu à peu consistance avec Vilar depuis les origines du in, pendant quelques années. Mais ça cherche, ça n'arrête pas de chercher, de se chercher, ça ne se demande même pas où ça va. Ça va ! Peut-être bien comme la vie, n'importe où... Quelle est l'eschatologie de l'affaire au moment où il se dit que la scatologie fait son apparition ? Qui peut savoir ? Et cette année alors ? Eh bien, on continue ! À zigzaguer comme d'habitude. 2005, ce sera le quarantième off, au milieu d'un in qui va avoir la soixantaine ! C'est un miroir géant qui renvoie des anamorphoses. Et tout est encore à naître ! Il y a là quelque chose d'increvable.

Page 3: Vendredi 4 juillet 2014 Benedetto et Avignon 2005

Vendredi 6 septembre 2013 Catusse-Benedetto, le théâtre ?

Par l’intermédiaire du baroque, Guy Catusse a voulu croiser ses interrogations nées au GRIHL (Groupe de recherche Interdisciplinaire d’Histoire littéraire) avec la pièce de théâtre de Benedetto jouée à Montauban en 1974 : le siège de Montauban. J’étais curieux de savoir comment ce prof de français que j’avais connu de 1971 à 1982 avait vu en arriver à cette recherche à la fin de sa vie, lui qui, habitant de Montauban à l’époque… n’a pas vu la pièce ! Il avait alors d'autres impératifs culturels. Le 28 mai j’ai été invité au séminaire du GRHIL où Jean-Pierre Cavaillé s’efforça de donner corps à ce projet inachevé de Guy Catusse pour cause de décès prématuré. J’ai découvert que tout reposait sur un document : le texte de la pièce édité par PJO en 1976, document analysé avec minutie et que Jean-Pierre Cavaillé a pu présenter en détail. Le théâtre, art vivant Du spectacle théâtral il ne reste que le souvenir mais grâce à l’éditeur PJ Oswald, il est aussi resté ce texte. Publié dans Théâtre 1 qui regroupe deux autres pièces de Benedetto, avec annonce en fin de volume de la suite des publications avec Théâtre 2 qui devait contenir : Les miroirs vénitiens, Emballage et Rosa Lux/la peste ; puisThéâtre 3 avec A Bec et à Griffes, Le delta c’est moi, Le marcheuretc… Jusqu’à Théâtre 6 ! En 1976 Benedetto a donc déjà derrière lui plus de dix ans de travail ! S’il a commencé les publications par les drapiers jacobins, pièce jouée aussi à Montauban, puis par Le siège de Montauban et Mandrin, c’est le signe d’une importance toute particulière donnée à ce moment d’histoire, importance renforcée par les outils autour de la pièce (introduction, nombreuses photos et surtout très nombreuses notes). L’art vivant et le baroque Guy Catusse a été attiré par cette note de Benedetto : « (20) Nous le mettions [Castan, le directeur du Festival] sous forme d'une grande photo en médaillon comme une cible. Il s'est toujours demandé ce que ça signifiait exactement. On peut être un spécialiste du baroque, et ne pas comprendre une conduite baroque quand on y est en plein dedans. Ce comportement typiquement carnavalesque reste pour une bonne part hermétique à l'intelligence contemporaine. Grandeur et dérision ! « La perfection classique... C'est la mise en évidence d'une hiérarchie. » (André Gide) Bienséance. Honnête homme. Harmonie. Discipline. Ordre. Régularité. Belle ordonnance. Equilibre. Rigueur. Fixité de l'odeur, non ! de l'idée. Logique. Rimes alternées. Hémistiche. Jardin à la française. Vertus de la contrainte. Sens de la grandeur. Et réduisit la muse aux règles du Devoir. Le baroque est presque le contraire de tout cela. Décentrement de l'expression, pluralité des points de vue, perspectives diverses, anti-unitarisme et profusion, révolution copernicienne, voix multiples et égales, dérision du principal et de l'unique autoritaire, démocratie et changement des signes, territoire de la contradiction, force issue des profondeurs de la civilisation en marche et ferment explosif. « Son art et sa pensée (du pays occitan) sont déterminés par un conditionnement rebelle à l'unité interne, et par le jeu des contraires qui en dérive. » (Félix Castan) Baroque : Terme péjoratif emprunté au portugais barroco qui désigne une perle impure. L'origine du terme se passe de commentaire. Il y a ce qui est dur et pur et il y a tout le reste. Lequel devient de plus en plus remuant. Et qui choque par sa bizarrerie ! Ex. : un bas roque... D'après le petit Robert, baroque est le contraire de normal, régulier, classique ! »

Page 4: Vendredi 4 juillet 2014 Benedetto et Avignon 2005

Pourquoi cette note ? A cause de cette phrase du texte : Faites parler Castan / Mettez-le en plein centre / Pour critiquer le centre ». Nous sommes à la fin de l’acte 1, une scène que Benedetto a écrite après une grande écoute de malades à l’hôpital psychiatrique. Les acteurs sont des aveugles et le dernier message à diffuser est celui-ci : « Il n’y a pas de projecteurs au-dessus des classes. » Relire un texte joué ? La recherche de Guy et le débat à quelques-uns posent la question du théâtre : art éphémère, en quoi sa version écrite peut jouer un rôle ? Jusqu’à inclure le théâtre dans la littérature ? Voici le titre de l’étude de Guy : « Captez des yeux et captez des oreilles ». Le Siège de Montauban (A. Benedetto, 1974, 1976) 30 mai 2013 Jean-Paul Damaggio

Page 5: Vendredi 4 juillet 2014 Benedetto et Avignon 2005

Jeudi 5 septembre 2013 Castan-Benedetto et Jean-Louis Portal

Le livre Théâtre 1 d’André Benedetto paru en 1976 chez P.J. Oswald contient la photo ci-dessus. Personnellement je l’ai toujours considéré comme une photo parmi d’autres même si elle m’intriguait pour deux raisons : 1 ) Pendant le travail sur la pièce Le siège de Montauban, que j’ai suivi de A à Z, jamais il n’a été fait référence à la rencontre Benedetto-Castan avec Portal, donc cette photo m’est apparue hors contexte. 2 ) Que pouvait représenter l’affaire Portal par rapport au travail sur le siège de Montauban ? C’est au cours de la rencontre autour de la mémoire de Guy Catusse que j’ai revu mon point de vue. 1 ) Cette photo ne pouvait pas être là par hasard. Elle est la seule à témoigner du travail de rencontres de Benedetto avec les habitants de Montauban, le socle de la pièce. 2 ) Au moment de la photo, en 1973, l’affaire n’avait pas pris la tournure qu’elle prendra d’où la légende de la photo : « Félix Castan et André Benedetto avec Jean-Louis Portal qui devait être tué lors de l’assaut de La Fumade. » En fait la photo pouvait en 1976 être un argument de vente du livre car c’est en 1975 que Jean-Louis Portal est tué par la police, l’affaire prenant une dimension nationale qu’on ne peut imaginer aujourd’hui. Sur l’affaire

Page 6: Vendredi 4 juillet 2014 Benedetto et Avignon 2005

La famille Portal habite le domaine de La Fumade commune de Saint-Nauphary (82) que le père, Léonce, a hérité en 1967 d'un oncle, Louis William, baron de Portal. Dans sa lignée il y a un ministre de Louis XVIII, Pierre-Barthélémy Portal. La succession a été difficile à régler du fait qu'il y avait plusieurs héritiers. Ainsi Léonce a dû, pour équilibrer le partage, s'engager à verser une somme de 300 000 francs aux cohéritiers. Premier point : il n’a pas d’argent et il n’est pas très fort pour en gagner donc il emprunte. Deuxième point : En juin 1972, à la requête du principal créancier, La Fumade est mise en vente par voie de justice. Le domaine est acquis par un certain monsieur Rivière pour un prix très inférieur à sa valeur (autour de 20%). Dorénavant la famille est expulsable. Troisième point : En 1950, à 66 ans, veuf et sans héritier, Léonce se remarie avec Anna, une jeune Polonaise de quarante ans sa cadette. Ils ont deux enfants : Marie-Agnès, née en 1951 et Jean-Louis, né en 1952. Si tout commence en 1973 c’est que cette année là, la justice suit son cours et le 22 février 1973, deux gendarmes apportent à La Fumade l'ordonnance d'expulsion. Jean-Louis les reçoit à coups de fusil, blesse l'un tandis que sa mère mord l'autre. Elle est aussitôt arrêtée. Et pour compliquer l’affaire, le vieux Léonce meurt le 27 mars 1983. Anna s'évade de l'hôpital où elle était gardée et revient à La Fumade. Avec ses enfants, elle refuse de laisser inhumer son mari et installe le cercueil de celui-ci, sur des tréteaux, dans la chambre à coucher. Il y restera vingt et un mois... En effet, la ferme est assiégée et la famille s’enferme auprès du cadavre de l’ancêtre. Le temps passe. Le 10 janvier 1975, Jean-Louis, découvre la présence d'ouvriers agricoles travaillant près de la maison pour le compte du nouveau propriétaire de La Fumade. Il tire dans leur direction six coups de fusil. Il n'atteint personne, mais il y a eu agression et la gendarmerie se rend sur les lieux. Marie-Agnès et Jean-Louis clouent portes et fenêtres et crient au capitaine de gendarmerie : « Si vous entrez, on vous abat et on fait tout sauter. » En janvier 1975 Jean-Louis a 22 ans et tombe sous les balles des gendarmes. Sa mère et sa sœur sont envoyées à l’hôpital psychiatrique. Michel Poniatowski décide de mettre un terme à l’affaire, aussi dans la nuit du 10 janvier, le château est pris d’assaut par 70 gendarmes d’élite. Jean-Louis est mortellement blessé. Anna et sa fille Marie-Agnès sont internées dans des cellules carcérales de l’hôpital psychiatrique de la Grave à Toulouse et sont déclarées « démentes et dangereuses ». Les forces de l’ordre sortent du château le cercueil de Léonce, décédé deux ans plus tôt. Jean-Louis et Léonce sont enterrés de nuit et sans témoins dans le cimetière de Saint Nauphary, le 14 janvier 1975 sans qu’Anna et Marie-Agnès ne soient autorisées à se rendre aux obsèques. Le 13 février 1975, à travers la fenêtre de sa cellule, et en cachette de ses surveillants, Marie-Agnès répond aux questions d’une équipe de journalistes de FR3 venue l’interviewer. Elle explique brièvement les conditions inhumaines dans lesquelles elle et sa mère sont incarcérées depuis un mois. Le reportage, diffusé au journal télévisé national de 20 heures sur Antenne 2, scandalise l’opinion publique et contraint ainsi le Garde des Sceaux à faire finalement libérer les deux femmes, le 22 février 1975. Anna Portal décède le 7 novembre 1991. Sa fille, Marie-Agnès, vit toujours à Montauban. Un bizarre côté politique Le journal royaliste L’Action française va se mobiliser en faveur de la famille Portal avec l’aide de Jean Dutourd dont voici un entretien : "NAF. Il a fallu vingt ans de procès et la mort d'un garçon de vingt-deux ans pour que l'affaire de la Fumade éclate au grand jour. Au travers d'un embrouillamini de procédure, quel sens donnez-vous à cette affaire ? JEAN DUTOURD : D'abord, j'ai cru que c'était une séquelle de la Révolution. L'affaire Portal me semblait baigner dans une espèce de complot paysan qui rappelait bizarrement

Page 7: Vendredi 4 juillet 2014 Benedetto et Avignon 2005

les histoires de Biens nationaux de 1792. J'étais convaincu que si ces pauvres gens s'étaient appelés Latruelle ou Torcheboeuf au lieu de « de Portal », il y aurait eu aussitôt une formidable mobilisation de l'opinion, des grèves, des banderoles, des inscriptions sur les murs et sur les routes, des comités de soutien. Mais comme ils avaient une particule, comme on les réputait barons, personne ne se souciait d'eux. Des aristos, pensez donc ! Cela n'intéresse ni la C.G.T., ni la C.F.D.T., ni les signataires de manifestes, ni le gouvernement. Pourquoi ? Parce que les aristos, fussent-ils des gueux comme les Portal, qui sont bien plus pauvres que des manœuvres, n'appartiennent à aucune catégorie sociale organisée. Ce sont des individus. Or moi, j'ai un faible pour l'individu. Non que je me fiche des masses, mais je trouve qu'elles se défendent très bien toutes seules. Elles n'ont pas besoin de moi. Tandis que l'individu, en 1975, si personne n'est là pour se mettre entre lui et la société, cela ne rate jamais, il est écrabouillé. NAF. C'est la mort de Jean-Louis qui vous a déterminé à mener cette bataille ? JEAN DUTOURD : Lorsque Jean-Louis de Portal a été abattu comme un lapin par ces admirables tireurs d'élite qui ratent si bien les bandits, mais qui sont véritablement fabuleux de précision quand il s'agit de tuer des honnêtes gens, lorsqu'on a enlevé Mme et Mlle de Portal pour les jeter en prison, oui, je l'avoue, j'ai été indigné. J'ai trouvé ce dénouement atroce. D'ailleurs tout s'est passé avec la précipitation et la confusion d'un crime. Est-ce qu'il n'y a pas quelque chose de louche, quelque chose de sordide dans l'enlèvement des deux femmes ? On les a attrapées comme deux bêtes. On les a jetées dans une voiture en peignoir, sans leur laisser le temps de s'habiller. Mlle de Portal était toute éclaboussée du sang de son frère. Franchement, est-ce que tout cela n'est pas crapuleux ? Et derrière ce guet-apens, il y a un préfet, un procureur, l'appareil répressif de la société. NAF. Que pensez-vous d'une société qui permet de pareilles injustices ? JEAN DUTOURD : Il n'y a pas de société juste. Cela n'existe pas. Cela n'a jamais existé et n'existera jamais. Dans toute société il y a des injustices. Il était révoltant d'écarteler Damiens parce qu'il avait donné un coup de canif à Louis XV, mais cela ne condamne pas le régime monarchique. A-t-on flanqué par terre le régime soviétique parce qu'il avait organisé les procès de Moscou ? Le met-on en question à cause des millions de malheureux qui pourrissent dans le Goulag ? Je me refuse à généraliser à partir de l'affaire Portal. C'est une injustice, et même une injustice horrible. J'ai fait ce que j'ai pu pour la combattre. Mon objet n'est pas de démolir la société française, mais de l'améliorer. Je vous dirai comme les patronnes d'autrefois qui hésitaient à renvoyer leur domestique : on sait ce qu'on perd, on ne sait pas ce qu'on trouve. 5 mars 1975" Retour à la photo André Benedetto porte la veste en cuir qu’il avait en permanence à ce moment-là, il tyient à la main une sacoche noir et regarde avec intérêt Jean-Louis Portal, un peu penché, des bottes. Félix Castan regarde la photographe. Il a ses longs cheveux sur le côté, le crâne déjà chauve. Il semble un peu ailleurs. La photo est en contre-plongée car ils sont sur la terrasse du « château ». Après réflexion je persiste à penser qu’il n’y a là rien à voir avec la pièce qui surgira du travail de Benedetto sauf à penser que cette pièce, en ayant une suite plus actuelle (c’était prévu), l’actualité de la Fumade aurait pu servir de base à un drame. Jean-Paul Damaggio

Page 8: Vendredi 4 juillet 2014 Benedetto et Avignon 2005

Samedi 17 août 2013 Uzeste 2013

Après le 15 août, il reste le Festival d’Uzeste, pour penser à la fête, juste avant la rentrée. http://www.uzeste.org/ En cherchant sur mon blog, j’ai trouvé quelques références à Uzeste et Lubat. Mais elles sont loin du compte, pour exprimer les expéditions tentées plusieurs fois dans la lande girondine. Au nom du Sauternes. Avec des amis : une fois René Bonetti, une fois René Merle et surtout les rencontres avec l’ami Prada puis les voyages avec Marie-France. Sur le site du festival, un appel est lancé : « Uzeste Musical lance un appel pour les archives des manifestivités transartistiques. Envoyez vos enregistrements, vidéos, photos ou tout autre support créé au cours des manifestivités, à l'adresse [email protected] pour apporter votre subjectivité à la mémoire collective. » Ma subjectivité est quelque part dans un livre et peut-être, au nom d’un certain baroque, prendrais-je la peine d’ajouter quelques notes. En 1985, de retour de mon premier Uzeste, je me suis aussitôt lancé sur mon Amstrad tout neuf à écrire un conte que j’ai d’abord appelé Testa Ment, puis finalement Testa Cassé. Pour la version 2013 j’ai le plaisir de découvrir la présence d’Emile Parisien présent voici peu à Jazz in Marciac. JPD

Page 9: Vendredi 4 juillet 2014 Benedetto et Avignon 2005

Jeudi 15 août 2013 Benedetto, Avignon, 2013

Je n'ai pu voir le spectacle à Avignon donc je donne les documents. D'abord le dos du programme présenté par la carte ci-dessus. Benedetto avec la guitare, une image des années 60-70. JPD Mémento Occitan, Par Philippe Caubère, Cie la Comédie Nouvelle UNE ÉPOPÉE LYRIQUE EN FRANÇAIS, SCANDÉE DE LANGUE OCCITANE L'Occitanie d'André Benedetto roule dans un espace-temps sans bornes, en route vers l'infini. Le pays déborde dans tous les sens, pétri de son soleil, de ses cultures, de ses langues, de ses luttes, de ses héros. Et cela tangue et danse dans la bouche et l'esprit de Philippe Caubère. Le voyage, après un tourbillon de mots et de notes de guitare, s'achève comme un conte, d'un coup de parole magique. « Fantôme d'un pays qui n'a pas existé Autrement que par sa culture et par sa langue L'Occitanie dans sa robe de sel et d'ocre Et de terres abandonnées au plus offrant Abandonnée de tous vous rend ici visite Vous dire d'un pays qui n'a pas de frontières D'un pays qui s'étend des glaces de l'Arctique Aux banquises de l'Antarctique de haut en bas Qui court sous l'Equateur qui court sous les Tropiques D'un pays-océan d'un pays-continent D'un pays dans le ciel d'un pays sous la terre C'est de la poésie occitane en français C'est de la poésie française en occitan Je suis donc la très vivante contradiction "Nàutrei qu'avéra la lenga coma la serp forcada

Page 10: Vendredi 4 juillet 2014 Benedetto et Avignon 2005

Devèm faire sisclar lei belugas entre elei" (Nous qui avons la langue comme le serpent fourchue Nous devons faire crisser les étincelles entre elles) Mise en scène Philippe Caubère , Comédien Philippe Caubère ; Guitariste Jérémy Campagne Régie Générale Jean-Christophe Scottis, Répétitrice occitan : M.Charlotte Chamoux Photo Frances Ashley ENTRETIEN sur le journal La Terrasse Philippe Caubère interprète Le Mémento occitan d'André Benedetto : une épopée lyrique en français, scandée de langue occitane, et un double hommage au Sud et à l'inoubliable directeur du Théâtre des Carmes. Vous renoncez à jouer tes trois spectacles initialement prévus. Que s'est-il passé ? Philippe Caubère: Je me suis rompu le tendon d'Achille, en plein élan, à la deuxième de la reprise de La Danse du Diable. Je m'étais pourtant bien préparé, mais Achille et son tendon m'ont lâché, et la guérison est affaire de quelques mois. Je pourrais reprendre Urgent crier ! et Marsilho en septembre ou octobre, mais je dois attendre décembre pour rejouer La Danse du Diable. C'est d'autant plus cruel car commencer à rejouer ce spectacle a vraiment conforté mon envie de le reprendre, mais, finalement, ça me permet de prendre du champ, de m'occuper sérieusement de l'édition finale de mes pièces, et de chercher un théâtre pour une reprise à Paris en 2014. En revanche, j'ai la chance d'avoir deux spectacles «assis » dans mes projets : Jules et Marcel, et Le Mémento occitan, sorte de road movie sur un tabouret, accompagné par la guitare de Jérémy Campagne, que je travaille depuis deux mois et dont je vais pouvoir assurer les représentations. Pourquoi avoir choisi de jouer ce texte ? P. C. : Urgent crier ! était un portrait de Benedetto ; ce spectacle-là sera plutôt comme un hommage à un torero qui serait mort dans l'arène, que je veux dédier à Frances, sa compagne. Voilà quatre ans qu'il est mort, parti comme un fou dans une de ses légendaires colères, et terrassé par un malaise dans les vignes de Tavel. Le Mémento occitan est son autoportrait. Je veux clamer aujourd'hui cette poésie élégiaque et engagée d'un troubadour sur sa moto. Quelle est la couleur de ce Sud auquel vous- même et Benedetto rendez hommage ? P. C.: Le combat occitan des années 70, c'est celui du Larzac et du plateau d'Albion, mais la Provence, c'est aussi Mistral et le soupçon de la réaction... L'identité occitane dépasse les caricatures : elle est une chose éternelle, qui regroupe tout ce qui se trouve au sud de la Loire, de Bordeaux à l'Italie, de l'Espagne à Clermont-Ferrand. Moi-même, je ne peux pas me détacher de mon enfance marseillaise, et Marseille, c’est tout sauf le foot ! Il y a une telle richesse, une telle diversité dans cette ville tellement belle, tellement laide, une telle violence aussi, qu’elle inspire une passion qui interdit qu’on la réduise à une ville désargentée qui jouerait au foot pour se consoler… Le Sud, ça veut dire une identité particulière, et j’ai envie d’exprimer poétiquement cette identité, qui n’est ni Paris, ni la France, qui est celle d’un autre pays que, là encore, on ne pas réduire à la pagnolade.

Page 11: Vendredi 4 juillet 2014 Benedetto et Avignon 2005

Castan, Benedetto en 1974

J'ai déjà évoqué plusieurs fois la pièce de Benedetto, Le siège de Montauban, jouée à Montauban, en 1974. Je viens de retrouver les documents donnés dans le programme avec ce texte de Castan et le suivant de Benedetto : « SANS PREJUGER DES CONCLUSIONS... Par Félix Castan Mettre en question l'espace et les grandes manœuvres de l'art et de la pensée, l'espace inerte, un éther d'avant Einstein et l'ère relativiste : espace sans espace ! On voudrait respirer. Pas de lieu neutre, ni de point de vue de Sirius pour observer, disserter et juger, on est toujours de quelque part, non seulement d'aujourd'hui, mais encore d'ici, hic et nunc. Toute activité créatrice sécrète, érige son propre observatoire. L'espace de la conscience humaine sera plural ou il sera illusoire. Au pôle cosmopolite qui désoriente la boussole, il s'agit d'opposer des tensions réelles, multilatérales, spécifiques et structurantes. Chacun regarde de sa fenêtre, de son hublot : construire une société des regards.. Montauban, Lodève et le Larzac, Avignon, nos références. Vilar avait fait la moitié du chemin quand il s'installa à Avignon. Reste l'autre moitié ; non point débarquer un jour dans des murs étrangers, mais se mettre à l'écoute d'une autre humanité et d'un autre univers, le nôtre simplement, sachant que ce n'est pas politique de l'autruche et que l'expérience sera vue de tous côtés et jugée. Condamnée peut-être, alors il faudra savoir par qui. Il y va du statut de la classe intellectuelle dans le monde de tous : le but de l'œuvre n'est pas la compétition, - rouler à la manière d'une boule de billard sur une table de jeu ! Elle

Page 12: Vendredi 4 juillet 2014 Benedetto et Avignon 2005

se présente comme un effort toujours recommencé pour mobiliser l'inconscient collectif, pour édifier les architectures dans le paysage et pour justifier les droits de propriété du premier occupant. La technique de l'écoute varie selon les niveaux et les domaines. C'est une entreprise de longue haleine d'arracher à la parole quand elle sourd, les significations qu'elle véhicule, de les additionner, de les évaluer et de les engranger en forme théorique. A ce prix émerge du chaos un pays de langage, notre Occitanie, un pays imprévisible et qui doit étonner pour être. L'Occitanie ne peut se réaliser sans déranger l'acquis de pensée comme les lignes d'action. Impossible de savoir à l'avance de point en point comment : il faut décider d'aller où mène le discours, sans jamais préjuger de ses conclusions. Félix Castan. Mostra del Larzac 9 - IV - 74 POST SCRIPTUM :La notion de minorité nationale relègue la culture occitane en situation marginale. Nous sommes à l'étape où le mouvement occitaniste doit sortir de lui-même, projeter ses finalités dans des réalisations qui ne lui appartiennent pas en propre et qui découlent du cours même de la vie intellectuelle et civique dans chaque métropole et en chaque lieu d'Occitanie : choisir dans tous les cas entre deux concepts antagonistes, la créativité contre l'occitanité. COCAGNE FESTIVAL D'OCCITANIE AN III Par une curieuse évolution, les Festivals, c'est-à-dire l'aventure, d'expéditions en terre lointaine sont souvent devenus la facile proie estivale des organisateurs de spectacle : mondanité annuelle de province... Pour les troupes, après le travail de l'hiver, le moyen de survivre aux champs, en toute quiétude intellectuelle. André Benedetto m'a dit, il y a un an, à Avignon nous reconquerrons tous nos lieux... C'est bien dans la perspective d'une reconquête que le Festival d'Occitanie procède à Moissac et à Montauban, dans ces deux quadrilatères majeurs du Cloître et de la Place Nationale. Qu'est-ce que l'Occitanie, sinon d'abord des lieux qui portent en eux leur sens ? Moissac, la jeunesse de l'Occident, Montauban la jeunesse de la bourgeoisie et du génie urbain. Jamais plus qu'à Moissac on n'a éprouvé au XIe siècle l'attraction de l'avenir et la novation civilisatrice, nulle part on ne saurait mieux apprendre le chant du renouveau, le grand printemps éternel... Jamais peut-être l'histoire n'a illustré de manière aussi exemplaire qu'à Montauban au XVIIe siècle la phrase fameuse de Frédéric Mistral : Alor aviam de conse'e de grands ciutadins Que, quand sentian lo drech dedins, Sabian laissar lo rei defora. (Alors nous avions des consuls et de grands citoyens/qui savaient, lorsqu'ils sentaient le droit dedans/laisser dehors le roi.) Un seuil est franchi. Trois thèmes directeurs désormais : l'Occitanie/le Baroque/la Ville. On avancera la notion de Festival expérimental polyvalent (militant et non publicitaire). Dix jours de chantier critique. Dix jours de confrontation interdisciplinaire : théâtre, musique, arts plastiques, cinéma, marionnettes, poésie éclairent de leurs irréductibles spécificités un même débat sur l’âme de la Ville. ASSIEGES / ASSIEGEANTS Nous trouvons si juste et si sainte La cause que nous soutenons Que nous n’avons aucune crainte De la fureur de vos canons. Nous n'en divertissons nos fêtes, Nos enfants n'en baissent leurs têtes, Et nos femmes, vous le savez,

Page 13: Vendredi 4 juillet 2014 Benedetto et Avignon 2005

Ont souvent d'un pierreux orage Dessus vos têtes engravé Les signaux d'un mâle courage. 3 ème strophe d'un poème anonyme de 270 vers, dont Jean de Scorbiac, grand poète protestant de Montauban, âgé de 57 ans en 1621, semble l'auteur, ce dizain donne le ton de l'épopée que vécurent nos ancêtres assiégés par le Roi de France. L'apostrophe finale au Dieu biblique résume le conflit et l'enjeu : Montre ta divine puissance, Puisqu'on sen prend à notre foi Sous le terme d’obéissance ! La place Royale était en construction au temps du Siège. Aujourd’hui Place Nationale, elle reçoit le Festival d’Occitanie. Que chacun médite sur les constantes et les paradigmes, surt la luette et sur ses termes, sur l’Etat et sur la conscience occitan, sur la foi décentralisatrice, et sur la forteresse de l’unitarisme… LA GENEVE DU MIDI La victoire de Montauban fut la victoire d’une haute conscience capable de cimenter une ville dans l’union sacrée. On s’attaquait à sa vocation hérétique, au cerveau de la Réforme : irréductible leçon… UNE VILLE S’INTERROGE SUR ELLE-MÊME Spectacle en forme de questions ; il justifie un Festival accordé à l’être et aux doutes d’une cité solidaire qui redresse la tête… Le Festival tout entier a pour but de marquer et de proclamer une identité urbaine, le « visage éclairé », aurait dit Bourdelle, d’une ville. Félix Castan ESPACE SCENIQUE, André Benedetto Il fallait un thème à proposer à une ville entière et qu'elle s'y confronte : depuis 9 mois maintenant, le thème est, à partir du Siège de 1621, celui de la ville d'aujourd'hui. Il fallait que des habitants les plus divers donnent leur opinion là-dessus, qu'ils fassent part de leurs désirs et de leurs préoccupations. Il y a eu beaucoup de rencontres et des enquêtes. Et ce n'est pas fini. Il fallait regrouper des garçons et des filles pour participer à l'élaboration du spectacle, prendre en charge l'interrogation et sa réalisation pour les transmettre à leurs concitoyens. Depuis Pâques ils sont avec nous une vingtaine. L'espace scénique du 29 juin portera tout cela dans son tissu et celles et ceux qui viendront passer une soirée avec nous le percevront avec tous leurs sens. Nous souhaitons qu'ils en soient heureux. LIBRE TOUJOURS... 1 Ce serait un espace comme de grands bateaux qui se croiseraient dans les brumes sans s'émouvoir. 2. Tout le monde Ceux qui viendront Sur cette place ne trouveront pas de gradins pour s'installer inconfortablement On entend d'ici les exclamations les hauts cris et les haut-le-cœur de ceux qui savent ce que c'est le théâtre Les bienheureux 3. L'espace un jour ne serait plus la jungle Nous aurions dans la joie résolu la survie, La peur ne serait plus qu'un jeu de société

Page 14: Vendredi 4 juillet 2014 Benedetto et Avignon 2005

Savez-vous que l'espace libéré des contraintes des sièges fixes et des scènes plantées, que l'espace articulé dynamisé dialectisé par les éclairages, les musiques, les acteurs, les spectateurs, les trois chariots sur pneus de la SNCF. Et tous ces chants Et ces grands mouvements Et ce carnaval de la nuit Savez-vous que cet espace scénique libéré Son drame malgré tout réside dans ceci : qu'il procéde des rapports sociaux actuels fondés sur l'échange des marchandises, mais qu'il contient aussi – car nous extrapolons dangereusement – des signes clairs de ce qu’il devrait être en nous C’est sa contradiction. Aussi camarades frères de lutte devons-nous maintenir Cet espace sur une corde raide sans qu’il Bascule jamais. Rien, ne bouge. Rien ne sera immobile. Tout est dans le rapport de l’un et de l’autre. Et la vision. Et l’espace scénique Camarade c’est toi. André Benedetto

Page 15: Vendredi 4 juillet 2014 Benedetto et Avignon 2005

Lundi 15 juillet 2013 Castan, Benedetto, 1793 et l'occitan

Jean-Pierre Cavaillé, sur son blog, vient de s’atteler à la difficile présentation du débat linguistique au moment de la Révolution, à partir d’un contre-sens né d’une pièce de Benedetto jouée à Montauban sous l’impulsion de Félix Castan. Il m’est arrivé d’étudier la question sans jamais avoir eu un commentaire de Félix Castan que je côtoyais alors régulièrement. Il me faut attendre cette présentation d’une grande minutie et d’une grande honnêteté pour saisir l’ensemble de la problématique et mesurer son importance encore aujourd’hui dans le cadre d’un débat toujours pluriel sur la question linguistique. Langue, Peuple, Nation, France, autant de références dont il faut saisir la pluralité plus que l’unité. Et dans cette pluralité, les articulations, les carrefours sont nombreux : L’occitan, langue d’un peuple devant aboutir à une nation ? Mais quel occitan? La France, c’est une langue, un peuple et une nation ? Mais quelle France ? La nation, c’est un peuple debout avec ou contre sa langue ? Pour moi, le point de départ se situe toujours au sein des contradictions du peuple et non au sein des contradictions des élites. Un peuple se sentant riche de ce qu’il porte, face à un peuple en quête de l’habit qu’on veut qu’il porte. Que ce soit l’occitan ou pas, le mot d’ordre sera toujours le même : « parle ta langue ». L’occitanisme m’a appris à devenir un « basiste » à moins que ce ne soit l’inverse. Mais je vous renvoie au très beau travail de Jean-Pierre Cavaillé. J-P Damaggio

Page 16: Vendredi 4 juillet 2014 Benedetto et Avignon 2005

Mercredi 15 mai 2013 Le siège de Montauban par Benedetto

En 1974, au Festival d'Occitanie de Montauban André Benedetto a tenté un pari assez surprenant : une création autour d'un moment historique de la ville, le siège que le roi fait à la cité protestante de Montauban en 1621. Cette création est basée sur plusieurs lieux scéniques. Une grande tour qui est le lieu de la ville assiégée. En face, les forces de l'ordre. Sur les deux autres côtés de la Place nationale, sur des chariots, une scène pour Montauban avant le siège et en face une autre pour les forces royales. Au milieu, un bidon. Parmi les nombreux articles de ce blog concernant Benedetto vous trouverez deux références au siège dont celle sur un moment particulierles répétitions. Grâce à un enchaînement de bonnes volontés que je remercie mille fois, j'ai reçu cette serie de photos qu'il est stupéfiant pour moi, de retrouver quarante ans après. Le texte de la pièce a été publié avec quelques photos en noir et blanc par les Editions PJ Oswald (1) et ma mémoire avait fini par effacer les couleurs des créations de Pierre François. Or ces couleurs, ces "décors" est un des éléments clefs de l'aventure : croiser un siège et un carnaval. Benedetto, dans l'esprit de l'époque, a décidé de briser tous les cadres établis (on y retrouve des inspirations du Théâtre du Soleil). Pour les acteurs (professionnels et amateurs), pour le public (il se déplace), pour le genre (dramatique et comique) etc. La pièce sera reprise au Théâtre des Carmes pendant le Festival d'Avignon mais sans possibilité d'utiliser l'espace de la Place nationale. Je reviendrai sur cette question, fondatrice pour moi d'un rapport original à l'occitanie, à la culture et à la politique. Jean-Paul Damaggio P.S. Sur la photo, je suis avec le chapeau à jouer le Consul Dupuy. (1) André Bendetto, Théâtre 1 P.J Oswald, 1976

Page 17: Vendredi 4 juillet 2014 Benedetto et Avignon 2005

Benedetto et Giordano Bruno

Aujourd’hui, je termine la publication d’une nouvelle brochure d’Alain Mariet, La religion à quoi bon ? que je vais présenter dès que l’impression sera terminée. En clin d’œil à son travail voici un texte de Benedetto du 17 février 2000 dans l'Humanité. Sur la version internet de l’Humanité, dans les Archives, il n’y a malheureusement que la présentation de J-P Monferran.JPD "Souvenons-nous de ce que nous devons aux mauvais esprits ", écrivait, mardi, dans cette page, le physicien et épistémologue Jean-Marc Lévy-Leblond à propos de Giordano Bruno, ce philosophe qui eut l'intuition de "l'univers infini", brûlé vif par l'Inquisition, il y a tout juste quatre cents ans à Rome, le 17 février 1600 (1)... "Souvenons-nous ", c'est tout le sens de l'acte de l'homme de théâtre André Benedetto décidant de reprendre, ce soir, à Avignon, pour une seule représentation, la pièce écrite par lui en hommage à "l'un des esprits les plus libres de tous les temps", Un soir dans une auberge avec Giordano Bruno (2)... "Souvenons-nous ", ce sera le message lancé aujourd'hui dans la capitale italienne par des intellectuels, des " libres penseurs ", des écrivains de plusieurs pays, notamment Salman Rushdie et Rigoberta Menchu, qui entendent rappeler - au moment où des voix divergentes se font entendre au sein de l'Église catholique quant à la nécessité d'un mea culpa qui n'a toujours pas été prononcé - l'actualité de tous les combats " pour la tolérance "... J.-P. M. Le texte de Benedetto Aujourd'hui sur le Campo dei Fiori à Rome, au pied, autour de la gigantesque statue de Giordano Bruno juchée sur un énorme piédestal, des gens venus d'un peu partout et de nombreux pays, se retrouvent pour rendre hommage à celui qui fut brûlé sur cette place il y a quatre siècles exactement. J'aimerais bien y être aussi et me réjouir avec elles et avec eux dans l'évocation de cet être exceptionnel, inconnu du grand public et en même temps très connu et admiré d'un très grand nombre de personnes. Il est le sujet de nombreuses études dans les universités du monde. Il paraît chez nous au moins une biographie de lui par décennie. Et ça va se multiplier. Qui le rencontre ne peut plus l'oublier. Il engendre la passion. Moi, quand je suis tombé sur lui, par hasard dans un ouvrage de Frances Yates, j'ai été saisi et j'ai tout de suite cherché à le connaître. Et le connaissant mieux, j'ai décidé de faire un spectacle sur lui pour l'an 2000. Le spectacle existe et nous le reprenons chez nous aux Carmes en ce jour du 17 février, jour anniversaire de son exécution, à l'aube, par le feu. Car tous les gens qui célèbrent cet anniversaire funeste célèbrent avant tout l'immortalité d'une pensée splendide, la stupéfiante imagination d'un homme qui a secoué tous les carcans de son époque... et qui peut encore nous ravir l'esprit et nous aider dans nos luttes pour nous émanciper les uns et les autres. Rappelez-vous: en ce temps-là, le monde avait commencé avec le grand boom de Dieu (que la lumière soit et la lumière fut : big-bang!), il était fini ce monde, limité par des sphères sur lesquelles étaient accrochées les planètes et les étoiles, le soleil tournait

Page 18: Vendredi 4 juillet 2014 Benedetto et Avignon 2005

autour de la terre, qui était le centre de l'univers clos, la matière était discontinue, tout était hiérarchisé, hétéroclite, Jésus était mort pour sauver les hommes. Alors Giordano Bruno arrive et s'appuyant sur les données fournies par les philosophes de l'Antiquité et sur les observations de quelques astronomes de son temps, dont Copernic, il va aller plus loin que tout le monde, il va tout bouleverser, tout mettre sens dessus dessous, sans jamais mettre sans doute lui-même l'œil à une lunette. Uniquement par la spéculation et le raisonnement, par la puissance de l'imagination. Il invente l'univers infini sans limite, l'éternité d'un univers qui existe depuis toujours et qui existera toujours, la pluralité des mondes qui tournent tous dans l'infini. Il décrit la substance éternelle dont est constitué l'univers, une substance qui prend successivement toutes les formes de la création, de même, explique-t-il que le bois d'abord arbre devient planches, portes, charpentes, meubles, etc. tout en restant le bois. Il prend le contre- pied de toutes les certitudes. Il l'écrit dans des très nombreux ouvrages dont la traduction complète est en cours aux Belles-lettres. Il énonce ainsi des vérités qui sont considérées comme des hérésies. Il ne se prive pas non plus de ricaner sur ce qu'il appelle des contes pour enfants: la Trinité, la virginité de Marie, la divinité de Jésus, la prière aux saintes etc. ça pèsera aussi très lourd contre lui. Capturé en 1592, au terme de huit années d'emprisonnement et de tortures, il sera condamné au bûcher, refusant d'abjurer et expliquant jusqu'au dernier jour qu'il est un philosophe et que cela n'a rien à voir avec la religion. «Je ne veux pas me repentir. Je n'ai pas à me repentir. Il n'y a pas de matière sur laquelle se repentir. Et j'ignore sur quoi je dois me repentir.» Non, il n'a pas choisi la mort. Il a choisi sa vérité, il ne pouvait pas renier toute sa pensée et toute sa vie. C'était un vivant, un grand vivant. C'était un résistant, un grand résistant. Aujourd'hui, nous le célébrons parce que nous l'admirons et parce que nous l'aimons. Parce qu'il nous ouvre encore l'esprit, parce qu'il nous aide dans un monde aujourd'hui terriblement clos, limité, hiérarchisé à outrance, restrictif, castrateur, inquisitorial, et tutti quanti. J'espère qu'ils chantent, qu'ils dansent et qu'ils sautent sur place aujourd'hui sur le Campo dei Fiori à Rome et ailleurs. Il est encore temps de vous joindre à nous, où que nous soyons et où que vous soyez. Courez acheter un livre ! Ouvrez une bouteille de ce que vous aimez et buvez-la à la mémoire de ce père de la philosophie moderne selon Joyce, de ce piéton de l'Europe, de cet ébranleur de ténèbres à l'ironie mordante, de cet homme qui a essayé de comprendre le monde et de se libérer... André Benedetto (*) Écrivain et dramaturge. Directeur du Théâtre des Carmes. Ce soir, à 20 heures, au Théâtre des Carmes, à Avignon. La pièce sera de nouveau jouée, cet été, pendant le Festival.

Page 19: Vendredi 4 juillet 2014 Benedetto et Avignon 2005

Samedi 14 juillet 2012 Philippe Caubère en 2008

Je retombe sur ce texte et un autre suite au spectacle de Caubère en 2008 au Chêne noir d’Avignon au moment où Fellag occupait la même scène. C’est un compte-rendu que j’avais fait avant l’existence de ce blog. Il y décrivait sa vie autour de 1968. Je constate qu’il a « répondu » au souhait que je formulais en conclusion. JPD La question Caubère constitue une partie de mon livre sur Benedetto. L’homme se veut maître sur scène. Un acteur qui ne veut dépendre de personne sauf de lui-même. Or le théâtre est par définition œuvre collective. Lui n’a même pas de décorateur : il préfère travailler sans décor. S’agit-il d’un one man show comme Fellag par exemple ou tant d’autres humoristes ?Caubère fait rire mais sans être un humoriste. Il n’attend pas le rire qui éclate dans la salle de manière désordonnée : certains passages du spectacle font rire les uns, et pas les autres. Ce statut d’homme orchestre c’est un peu celui de l’instit en classe qui, loin de la spécialisation du prof, doit bricoler sa pédagogie en jouant sur divers registres qui tiennent tous de l'artisan. Caubère raconte sa vie, Fellag aussi. La vie de Fellag n’est qu’anecdotiquement celle d’un acteur. Pour Caubère, c’est toujours le film dans le film, la pièce dans la pièce. Le spectacle d’Avignon 2008 est en deux temps ; nous avons vu seulement « la mort d’Avignon » où l’artiste joue George Wilson, Paul Puaux, Jean Vilar et se moque du public du IN du festival d’Avignon, public qu’il eut l’occasion de croiser puisqu’il y joua un été. Le maître des lieux est toujours aussi génial pourtant, petit à petit, en quelque creux du spectacle, une sensation naît : et si le personnage finissait par tourner en rond ? George Wilson lui aurait expliqué que le principe de l’acteur c’est de se saisir du spectateur en le tenant en haleine sans arrêt. Or parfois, le spectacle est fait de connivences pas toujours à la portée du spectateur ordinaire qui, en conséquence, se détache du maître d’école. Fellag parle en permanence du peuple, un peuple tout entier à qui il voue un tel amour qu’il peut le faire connaître à tout un chacun. Caubère sait aussi montrer le peuple mais un peuple au second degré car c’est vers lui qu’il veut attirer l’amour du spectateur. Un peu comme un instit qui lance un bon mot à une classe qui, dans l’ensemble, ne pipe mot. Son art tombe à plat. L’art de Caubère a une fâcheuse tendance, à tomber à plat. Peut-être l’ai-je trop vu ? Comment l’artiste peut-il conserver ses anciens admirateurs tout en s’en fabriquant de nouveaux ? Par définition un acteur change de rôle et dans ce changement il essaie de continuer ce qu’il était, tout en révélant de nouvelles cordes à son art. Caubère ne peut changer de rôle puisque son défi consiste à jouer le même rôle en permanence ! Les cordes qu’il a à son art sont toutes en action dans chacun de ses spectacles. Bien sûr Fellag est confronté au même dilemme mais il a une porte de sortie : il peut présenter à chaque fois un peuple nouveau car il existe en effet des peuples toujours inconnus. Caubère n’étant plus un inconnu, il peut multiplier son engagement sur scène, il reste Caubère : pire l’âge lui impose plutôt de multiplier ses pauses or il n’a personne pour lui en laisser le temps, par des répliques bien senties.

Page 20: Vendredi 4 juillet 2014 Benedetto et Avignon 2005

Vais-je comme les commentateurs classiques d’une pièce du IN parler du jeu sans parler du thème ? Prenons Paul Puaux largement caricaturé dans la pièce. Justement c’est l’instit classique, l’instit de la république qui met sa volonté au service du théâtre. La volonté du successeur de Jean Vilar dépasse son intelligence or le volontarisme est mauvais conseiller. Le Paul Puaux de Caubère est le modèle du personnage qui veut bien faire mais qui ne le peut. Caubère ne pourrait-il pas être caricaturé comme il caricature Puaux ? Je pense que oui et c’est là peut-être toute ma sensation d’arroseur d’arrosé qui m’a saisi en écoutant l’artiste qui, sans avoir de pipe en main, donnait l’impression qu’il fumait vraiment ! Caubère se moque de Wilson sur un autre plan : il démonte sa conception de l’acteur mais sans que personne vienne dire quelle conception lui opposer ! Après son spectacle à la gloire d’Aragon, Caubère pourra-t-il trouver un autre géant à jouer sur scène afin de l’obliger à rallumer sa créativité ? Je le lui souhaite. 1-08-2008 Jean-Paul Damaggio Caubère, Aragon… et 68 Pourquoi revenir encore sur 68 ? L’obsession serait-elle celle de Caubère ou la mienne ? Est-ce ma faute si, à la question de savoir pourquoi l’acteur se lança dans un spectacle monumental sur Aragon, celui-ci répondit : « Ma première réaction a été celle-ci : je ne vais quand même pas repartir dans des trucs que je faisais en 68, quand, avec mes copains, on lisait des poèmes dans les boîtes à Aix et à Marseille. » ? C’est le début d’un entretien qu’on trouve sur le DVD du spectacle où Caubère répond aux questions de Charles Silvestre. Bref, quand Caubère sort enfin de lui-même, c’est pour revenir encore à ce tournant de 68 pris comme sa source d’énergie. D’autant que, le lecteur, le devine, la référence ne peut pas s’arrêter là. Il indique qu’il veut s’adresser aux jeunes : « Je pensais surtout à ces jeunes militants qui, peut-être, ne connaissaient pas bien eux-mêmes leur poète, qui avaient peut-être des idées préconçues : Aragon « crapule stalinienne » avec l’image de Cohn-Bendit hurlant devant lui en 68 : « Même les traîtres ont droit à la parole ». Ce qui, d’ailleurs, aujourd’hui, peut faire sourire. Quoique j’aime beaucoup Cohn-Bendit. »

Page 21: Vendredi 4 juillet 2014 Benedetto et Avignon 2005

Samedi 14 juillet 2012 Encore Caubère

« De toutes les villes illustres, Marseille la plus calomniée. Et d'abord, Marseille calomnie Marseille. Chaque fois qu'elle tâche à n'être plus elle-même, elle grimace, elle se gâte au miroir de sa lie. » André Suarès J’apprends qu’à Marseille, Renaud Muselier n’est autre que le petit neveu d’André Suarès. La droite a de ces continuités… Sauf que, seul contre tous, Suarès se voulait un visionnaire dont le réel détruisait les visions. Finalement Caubère se retrouve dans son Marseille : « Ému, il avoue que cette création lui permet également d’aller « vers son père » , lui l’artiste «issu d’un milieu bourgeois » et aux valeurs sociales, toujours « en guerre politique» avec sa famille. » indique La Marseillaise du 22 juin 2012. Un entretien me dévoile comment Caubère a découvert Suarès : « J'ai d'abord découvert André Suarès voilà une quinzaine d'années, par hasard, dans une librairie, avec Poète tragique, Shakespeare ou le portrait de Prospéro. Puis je suis tombé sur André Suarès, l'insurgé, une biographie de Robert Pariente. Lorsque j'ai enfin découvert Marsiho, j'ai reconnu une foule de choses de ma famille, de mon enfance. Cela m'a touché de manière très personnelle, un peu comme lorsque l'on découvre une photographie de nos grands-parents. Cette oeuvre est une véritable peinture de la ville, elle porte quelque chose de l'identité marseillaise. Un Marseillais d'aujourd'hui ne peut rester de marbre face à une telle pérennité. Néanmoins, beaucoup de Marseillais d'appartenance disent également qu'ils y reconnaissent des choses qu'ils n'osent pas ou ne savent pas exprimer. Marsiho possède des vertus de dévoilement incontestables. Ce qui est assez exceptionnel, c'est que Suarès aime vraiment la ville, dans le sens où il ne cache pas ce qui lui déplaît en elle, ses défauts. » Etrangement c’est par le même livre Poète tragique que le sculpteur Bourdelle s’est lié d’amitié avec l’écrivain marseillais. Il y a avait bien sûr le commun amour de la Grèce mais il y avait surtout Poète tragique. Bourdelle écrira trois fois à Suarès pour lui dire son admiration avant de recevoir cette réponse : « Les Kermès, à Carqueiranne (Var). 22 mars 1922. Quand j'ai reçu votre lettre, mon cher Bourdelle, je partais pour la Provence c'est le pays où je suis né. Je n'avais plus quitté Paris depuis neuf ans : je n'en pouvais plus ; j'avais la nostalgie des pins et des oliviers. Mars est le vent même ; et Vénus est la mer. Ils sont là qui se baisent sous mes yeux, dans la lumière. Je suis couché sur la colline. Je sens la chaleur du sein. Ces formes sont divines. Tout parle ici de ligne et d'éternité. Pour moi, il n'y a pas de beauté pure sans cette grâce aride. La fécondité des feuillages est oratoire, comme l’ornement. J’interprète ainsi le roman : entre le grec qui est tout statique, et l’ogival tout dynamique, le roman dans tous les ordres, est de la terre et du réel visités par l’esprit. Le roman agit et il rêve. Vous écrivez comme vous modelez, mon cher Bourdelle : vous êtes roman et antique de la tête aux pieds mais comme nous devons l'être, avec le sentiment de notre vie propre. Je voudrais vous donner les portes et le maître-autel d'une église en ciment armé. Et les tombeaux aussi, dans les chapelles austères. Soyez content, Bourdelle : vous avez été le seul, avec deux autres, à lire Poète Tragique et à l'aimer. Tout le reste a feint de ne pas le connaître. Tel est le sort de l'artiste solitaire, dans cette Ville, dont le sublime est sans cesse masqué par les fumées et

Page 22: Vendredi 4 juillet 2014 Benedetto et Avignon 2005

les grimaces de la mode. Mais pas un mot. La plainte est le dernier des jeux. Il faut manier la foudre ou le silence. Vous m'avez fait du bien, et je veux pourtant vous le dire. Je n'admire pas une générosité, qui vous est si naturelle mais elle me touche. D'ailleurs, vous savez mieux que personne au milieu de quelle tourbe nous vivons, et de quels mensonges la confusion est universelle. Nous sommes cinq ou six à garder la conscience de la forme et le sens héroïque du style pas un de plus. J'attends le plâtre que vous m'avez promis comme une récompense. Me donnerez-vous, un jour, le buste de cette jeune fille que vous pétrissiez, l'an dernier, dans une matière si vivante ? De volupté secrète et de pudeur, elle rougissait sous vos doigts. S'il est quelques- uns de mes livres que j'aie encore, et qui vous plaisent, demandez- les-moi, je vous en prie : ils seront bien chez vous. J'aime vous entendre en nommer les titres. Vous ressemblez à Euripide (1) : autrefois, vous aviez l'air d'un berger sicilien. Les belles filles couraient-elles plus volontiers après vos noires boucles ? Les Muses ont des goûts moins frivoles. Certes, la jeunesse est heureuse à voir mais plus on vit, plus on approche de Psyché et de la forme éternelle. On est plus jeune ainsi, d'une jeunesse invisible et qui ne s'altère pas. Portez-vous bien, mon cher Bourdelle. Je vous serre la main. Soyez heureux. S. » Note JPD : C’est le surnom qu’ensuite Suarès donnera à Bourdelle Voilà, on a retrouvé la Provence, Suarès et peut-être une porte d’entrée pour mieux comprendre Caubère. Jean-Paul Damaggio

Page 23: Vendredi 4 juillet 2014 Benedetto et Avignon 2005

Vendredi 13 juillet 2012 De Suarès à Caubère

L’homme de la photo, qui brandit un beau bouquet de fleurs devant le théâtre des Carmes, c’est un nouveau Caubère doté d’une petite barbe et moustache peut-être pour se sentir encore mieux le personnage qu’il vient de jouer, à savoir André Suarès. En 1990 mon été était paisible et j’ai pu me payer le luxe de lire une biographie au titre engageant :L’insurgé. Un journaliste sportif (Robert Parienté) présenta alors la vie d’André Suarès que je ne connaissais ni d’Eve ni d’Adam. J’ai alors découvert qu’on pouvait être de droite et s’insurger sans tomber dans l’extrême-droite. De quelle insurrection s’agit-il alors ? Plus tard, le 6 janvier 1992, Jean-Pierre Léonardini présenta le livre sous ce titre : «Portrait d’un intraitable» dans l’Humanité, et peut-être est-ce ainsi que Caubère découvrit le Marseillais oublié ? Et portant à la scène,Marsilho de Suarès, l’acteur Caubère a pris quelques risques. Suarès a surtout écrit sur Venise, Florence et Sienne car il fut surtout un amoureux de l’Italie. De l’Italie ai-je écrit ? Mais aussitôt s’impose cette question : de quelle Italie ? Car pour l’Italie comme pour Marseille, Suarès déteste autant qu’il aime ! Et il y a fort à craindre que certains n’aient entendu de Suarès qu’une branche et pas l’autre ! Pour comprendre, cette citation de Suarès reprise de Vues sur l’Europe : « Il est une façon de penser, de sentir et parfois même d’agir qu’on peut appeler « miéterrane », c’est-à-dire propre à tous les peuples de la Méditerranée. Je trouve le mot dans Mistral, qui en est la conscience la plus ardente et l’interprète le plus admirable. En quoi, il est bien le génie de la Provence, et son poète. ? Car la Provence, quoiqu’on veuille

Page 24: Vendredi 4 juillet 2014 Benedetto et Avignon 2005

en faire, au gré des systèmes et des partis, est grecque d’esprit bien plus que romaine ; çà et là, elle est d’oïl aussi, et sarrasine, et ligure et celte, et profondément chrétienne de sentiment. » Dans le texte sur Marseille, le terme « miéterran » est également présent tout comme une présentation minutieuse du parler de la ville qui se distingue du parler provençal et cette distinction aurait pu éclairer Suarès sur l’écart entre Mistral et Gélu. Le souci de ce mot doit nous ramener au principe essentiel de Suarès : « L’esprit aura raison du nombre. Et il faut que le nombre le sache, avant qu’il soit trop tard. Et si, d’aventure, le nombre avait raison de l’esprit, c’en serait fait de l’humanité. » Pour un défenseur de la classe ouvrière, qui a le nombre pour elle, cette exaltation de l’individu a de quoi inquiéter, une exaltation qui n’est rien d’autre que celle de la poésie. Mais que peu la poésie contre l’argent, la guerre, les masses etc ? Le Marseille détesté est celui de sa famille, celui de l’argent, de la Bourse, du commerce, de la Bourgeoisie qui a installé l’infâme lupanar dans les maisons qui hier étaient celle des aristocrates. L’aristocrate cher à Suarès n’est pas le seigneur exploitant les paysans mais l’homme de la distinction. Et pas étonnant si la classe ouvrière a été une classe visible tant qu’elle a eu son aristocratie pour la représenter. Mais comment mettre en scène un texte de Suarès absolument pas fait par le théâtre où les images fusent au rythme d’une rafale de mitraillette ? J’ose imaginer que l’acteur Caubère a été pris par cette folie en lisant la présentation du mistral ! Il s’est aussitôt vu comme le mistral sur scène. Racontant sa vie, il avait déjà fait le mistral mais un mistral ordinaire or là ce vent devenait une épopée à la dimension de tout ce que Suarès ressentait pour la ville. Un vent qui soulage autant qu’il oppresse. Oui, un acteur faisant le vent sans autre outil que sa veste ! Le pari du spectacle sera gagné si les spectateurs sont renvoyés vers les textes de Suarès, un homme dont je n’ai pas encore compris les ressorts de l’amitié avec Bourdelle. Pour joindre l’acte à la parole voici un des chapitres de Vues sur l’Europe. Il aide à comprendre Suarès. Sur ce point aussi sa position va d’un extrême à l’autre : « tantôt celui du héros viril, tantôt celui de la jeune fille». Jean-Paul Damaggio Italie par André Suarès "Que dirai-je encore de l'Italie? Je l'ai chérie comme une sœur merveilleuse, qu'on aime assez pour en faire une maîtresse. Je l'aime toujours. Ma nourrice était de Prato, et sa sœur a nourri mon frère. Un ancien prêtre de Lucques m'a initié au rudiment, et le bon vieil homme avait pour moi l'affection de l'oncle le plus indulgent et le plus tendre : il était de ces quatre ou cinq humanistes que j'ai connus dans mon enfance, qui m'ont entouré d'une admiration si douce et si charmante que toute autre depuis m'a paru bien vaine et bien peu sincère. Villanova, de Florence, fut ensuite mon précepteur pour le latin. J'ai toujours entendu parler italien, du temps que j'étais enfant. Mon père ne savait pas moins Dante que Virgile, et il en récitait bien des vers. Une de mes grand'mères était Marini en son nom, et sa famille venait de Venise. J'ai su que deux ou trois cousins éloignés ont conspiré pour la délivrance de L'Italie au temps du Risorgimento, et l'un d'eux au moins a payé son zèle de sa vie. Dans mon premier voyage en Italie, quand je sortais à peine de la Sorbonne, j'ai vécu plus de dix mois, et j'ai couru l'Italie à pied, entre Gênes et Sélinonte, avec moins de quarante sous par jour, pour le vivre et le couvert. J'ai vécu en toute vérité d’amour, de vin pur et

Page 25: Vendredi 4 juillet 2014 Benedetto et Avignon 2005

d’eau fraîche. Tant la passion de l'Italie, tant la joie d'y être, et la douleur d'y trop tendrement souffrir, m'ont servi de puissante nature. Qu'on puisse aujourd'hui me travestir en ennemi de l'Italie me semble si lourd, si faux, si ridicule, que je ne veux pas m'en indigner; mais j'ai le droit d'en rire. J'ai écrit sur l'Italie les livres de l'amour le plus ardent et le plus vrai, qui est tantôt celui du héros viril, tantôt celui de la jeune fille. Voyage du Condottiere, qu'on aime ou non cet ouvrage, est un grand poème en trois chants à la nature, à l'art, à l'éternelle beauté de l'Italie. Et j'y balaie avec ironie tout ce qui corrompt cette admirable image, tout ce qui l'abaisse, la rend vulgaire, et la ravale au goût mercenaire des sbires et de serfs avilis. Des trois volumes, l'un est la sensation pure l’autre l'intelligence, et le dernier l'amour passionné : Venise, Florence et Sienne. Voilà pourtant l'œuvre que les Italiens méconnaissent. N'importe quel centon de citations ou d'hymnes médiocres, d'opinions toutes faites, rencontre leur faveur et leur agrément. Mes livres, non. Bien plus, ils me font haïr, et de sauvages bouffons me menacent de mort assez souvent, avec un torrent d'injures, par lettres ou autrement. Une sœur merveilleuse, disais-je? Mais quoi de plus funeste et de plus injuste qu'une sœur ennemie ?"

Page 26: Vendredi 4 juillet 2014 Benedetto et Avignon 2005

Jeudi 16 février 2012 Affiche : Géronimo par Benedetto

Voici une affiche du Théâtre des Carmes qui se trouve sur le livre que nos ditions ont consacré à Benedetto. JPD

Page 27: Vendredi 4 juillet 2014 Benedetto et Avignon 2005

Mardi 28 juin 2011 Benedetto en l'an 2000

Avec l’approche de Juillet nous nous préparons pour un retour au Festival d’Avignon donc sur ce blog nous allons passer à une série de chroniques estivales en commençant par des références à André Benedetto à qui j’ai consacré un livre. Ici la reprise d’un article del’Humanité du 12 avril 2000. JPD Le 18 avril à18 heures, au Café du Croissant, à Paris (146 rue Montmartre), là même où fut assassiné Jean Jaurès à la veille de la boucherie de 1914, André Benedetto accueillera les Amis de l'Humanité, organisateurs de la soirée et fera se croiser, se répondre, deux figures admirables de l'esprit de liberté, Jean Jaurès donc et le philosophe et métaphysicien Giordano Bruno (1548-1600), brûlé vif par les soins de l'Inquisition, sur le Campo dei Fiori à Rome. La figure de Jaurès est familière à l'animateur du Théâtre des Carmes d'Avignon. En 1984 à Carmaux, haut lieu de luttes ouvrières historiques où Jaurès était venu exhorter les mineurs en grève, André Benedetto avait présenté Jaurès la voix, qu'il citera ce 18 avril. Il s'agit de magnifier en Jaurès une espèce de secret perdu, celui du tribun dont la voix porte au loin sans souci démagogique et dont l'âme fraternelle fait vibrer les auditeurs en les menant vers le haut, en somme. Travaillant également sur la vie et l'œuvre de Giordano Bruno, en cette période anniversaire de son supplice, Benedetto, qui lui a consacré un spectacle auquel on pourra assister au prochain Festival d'Avignon, évoquera le penseur en tous sens, le poète et savant curieux de l'univers entier, le cerveau jamais en repos qui fut la victime des dogmatismes de son temps et dont l'inextinguible soif de connaissance le mit en porte-à-faux avec toutes les vérités admises d'alors. Homme d'imagination audacieuse, à la verve inventive, humaniste fébrile, écrivain à la langue vive, Giordano Bruno, ces jours-ci à Rome, en plein cœur du jubilé de l'Église, est encore objet de polémiques. Le Vatican, à son endroit, n'est pas prêt à venir franchement à résipiscence. Sa pensée brûle encore.

Page 28: Vendredi 4 juillet 2014 Benedetto et Avignon 2005

Voilà au moins quarante ans qu'André Benedetto, dans son repaire -petit de proportions, grand par les ombres qu'il ressuscite et les idées qu'il agite - maintient vive toute l'année la flamme du théâtre, lequel l'été tient le haut du pavé sous l'aspect d'un gigantesque feu de paille festivalier. C'est un choix d'existence, d'exigence. Vivre et travailler au pays, c'est pris chez lui au pied de la lettre. D'où son attachement à l'histoire de la région ainsi qu'aux problèmes de tous ordres qu'elle rencontre. Mais il n'y a chez lui nul sociologisme ni étroit provincialisme. Tout est passé au crible de la poésie, du verbe haut, au fil d'une pensée à la fois ironique et fraternelle. Son Théâtre des Carmes est donc, certes, un repaire, où l'on cultive les repères, ce qui porte la marque d'une conception civique au-dessus de tout soupçon et permet de placer la raison au plus haut prix. André Benedetto ne cesse aussi de jeter des ponts entre des figures de courage et de résistance qui font partie de l'Histoire et qui, à ce titre, doivent être régulièrement revisitées, auscultées, interrogées. On lui doit, entre autres, une forte évocation de Robespierre, Terminus Thermidor. À propos, avez-vous remarqué que ceux que le destin ou les forces noires de toute réaction, condamne à supprimer les hautes figures de la libération humaine portent comme par prédestination des noms d'infamie ? C'est un gendarme nommé Merda qui fracassa d'une balle la mâchoire de l'Incorruptible déjà passablement affaibli. Quant à Jaurès, c'est un certain Villain qui le tua comme un chien. Et ce Villain, nationaliste fanatique, fut acquitté ! Apprêtons-nous, ce 18 avril, jour anniversaire de la création en 1904 du journal l'Humanité par Jean Jaurès, à vibrer à l'unisson de deux pensées radicales grâce à un artiste pour qui l'utopie ne sera jamais un vain mot. JEAN-PIERRE LÉONARDINI

Page 29: Vendredi 4 juillet 2014 Benedetto et Avignon 2005

Samedi 4 septembre 2010 Benedetto Pignon-Ernest, 2002

Le livre sur Benedetto est disponible. D’ici dix jours, il sera en dépôt dans une librairie d’Avignon comme en d’autres endroits. Le lire à présent, avec le recul qu’impose la publication, m’incite à me reposer cette question : les arts sont-ils plus différents entre eux que liés par un fil identique ? Un jour quelqu’un qui me connaissait à peine m’incita à lire Laocoon de Lessing, un livre d’avant la Révolution française, qui montre comment les arts se tiennent entre eux. J’y reviendrai. En attendant voici deux articles de L’Humanité que je viens de trouver dans mes archives au moment où je récupérai mon livre. L’Humanité du 1er avril 2002, et ce n’était pas un poisson d’Avril, a publié l’article ci-dessous. Nous n’avons pas l’ambition de créer sur ce blog une bibliothèque Benedetto mais la relecture de cet article, écrit vingt jours avant la déroute de Lionel Jospin (et du PCF de Robert Hue) qui avait comme secrétaire d’Etat le dénommé Michel Duffour (un membre du PCF), prend un goût amer. Comme pour tout document, a chacun son appréciation. L’Humanité du 28 mars 2002 donnait la parole à Ernest Pignon-Ernest en réponse à la question : « Les intellectuels ont-ils encore quelque chose à dire à la politique ? » JPD Le Chevalier Benedetto Benedetto chevalier de l’ordre des Arts et Lettres… Benedetto médaillé, la breloque au revers du veston, avec l’accolade du ministre, sous les applaudissements du public ? Vous plaisantez ! On ne décore pas le Géronimo des Carmes, le Peire de la madone des ordures, El Commandate de Zone rouge ! Si, justement, on le décore et ça vous a un petit goût d’inattendu, d’insolence, de défi, dans l’ordre bien établi des Arts et Lettres. Officiellement, institutionnellement, hiérarchiquement, Benedetto n’est rien ; Poétiquement, civiquement, humainement, il est tout… Tout un théâtre ; le sien, qui jamais ne se définira mieux que par la fameuse unité : un lieu, une troupe, une œuvre. Ce lundi 25 mars, au n°6 de la Place des Carmes, le secrétaire d’Etat Michel Duffour, se régale. Il fait de la remise des « insignes » à l’Avignonnais, qui n’a jamais quitté sa barricade, un acte message de cette décentralisation culturelle dont il a la charge pour

Page 30: Vendredi 4 juillet 2014 Benedetto et Avignon 2005

quelques semaines encore et qu’il a pris au pied de la lettre. Il en a une quinzaine comme ça, et il n’est pas fâché de citer un Résistant de la Vendée, oublié depuis cinquante ans par tous les « décorateurs ». Le Théâtre des Carmes est bondé. Les fondateurs d’il y a quarante ans, avec Jacqueline, sont là, la fratrie au rendez-vous, les amis sont venus de loin, les gens de la ville ont tenu à être au plus près. Bertrand Hurault dit, avec la bouille qu’il a gardée de l’Estragon d’En attendant Godot : « La République s’honore de reconnaître l’établi de l’artisan, l’atelier de Maître Benedetto. » Michel Duffour cite un nombre invraisemblable de créations, d’interventions, de voyages, de rencontres dans ces « Occitanies » dont l’intéressé à toujours préféré le pluriel au singulier. « Cette distinction, je l’accepte comme un engagement à ce que ce théâtre vive encore quarante ans », dit, mi-plaisant, mi-sérieux, celui qui sait comme nul autre que le dernier mot appartient toujours à l’auteur. Charles Silvestre La politique c’est Soweto et Santiago Je pars ces jours-ci en Afrique du Sud travailler parmi des militants qui, après avoir lutté durant des années contre l’apartheid, se trouvent confrontés à la violence dévastatrice de la pandémie de sida. « Briser le silence sur ce tueur silencieux de notre nation » écrivait l’an dernier le Docteur Makgoba dans sa préface au rapport du Conseil de la recherche médicale qu’il préside. Le recul, au procès de Prétoria, des majors de l’industrie pharmaceutique, celui de l’OMC sur les droits de propriété intellectuelle, qui permettent enfin aux pays pauvres l’accès aux génériques, constituent des avancées importantes. De même que la création par l’ONU d’un Fonds mondial de lutte contre le sida. Mais il reste à briser le silence, à combattre les exclusions dont sont victimes les malades, à développer une mobilisation générale, active et solidaire. Du même ordre que celle qui s’était construite contre l’apartheid. En Afrique du Sud, tout est très intense. L’extrême pauvreté comme l’extrême solidarité que j’ai pu observer à Soweto ; et cette sorte d’enchaînement du drame de l’apartheid avec la pandémie du sida me semble être l’un des symboles majeurs de notre époque. Pour moi, la politique s’est toujours jouée hors des frontières : de l’Afrique du Sud au Chili – en train de coller clandestinement, la nuit, sur les murs de Santiago, ou dans la rencontre avec Mathilde Neruda – et de Paris à sa banlieue… Elle signifie respect, tolérance, vision en chaque être humain d’un « potentiel ». Et si l’on se mêle de politique, au fond, c’est parce que l’on souhaite que ce « potentiel « - celui de nos frères, de nos sœurs, de nos voisins – puisse s’épanouir. Mandela ou l’Afrique du Sud, pour moi, c’est tout le contraire de « l’exotisme » : le refus du racisme ou de l’exclusion a partout une résonnance. Quand j’ai rencontré Mandela, j’ai eu le sentiment qu’il nous donnait une leçon –« nous » je veux dire les habitants de ce pays. Lorsque je suis en Afrique du Sud, je n’ai donc pas le sentiment d’être « ailleurs ». Pour moi, le monde est à penser en termes d’échanges, de réciprocités. La sécurité sociale, ici, c’est comme les Lumières. Voilà pourquoi en Afrique du Sud, dans chaque hôpital, je parle de la sécu ou de la CMU, des décennies de luttes que cela représente. La politique, pour moi, c’est cela, c’est ce qui renvoie sans cesse à la manière dont les gens vivent, à comment ils se soignent, à comment ils peuvent éduquer leurs enfants, etc. La politique donc, c’est aussi moi en train de la faire, « en action » ! Au fond, à la question de savoir ce que je pourrais dire à la politique, je réponds : « Je suis dans la politique.» Et j’y suis aussi quand, au cours de mes collages, sur les cabines téléphoniques, je me retrouve avec des gosses en train de les « décorer ». La politique, c’est dont peut-être, tout simplement, la liberté d’être au monde en étant d’ici. 28 mars 2002 Ernest Pignon-Ernest

Page 31: Vendredi 4 juillet 2014 Benedetto et Avignon 2005

Samedi 21 août 2010 Lubat, solo, seul, show

Même si, sous les yeux surpris du public, l’acteur en scène changea l’eau en vin, et s’écria : « voici mon sang », ce compte-rendu du spectacle se veut très terre à terre. Donc commençons par le lieu. Dans le bar-dancing familial de L’Estaminet situé à Uzeste (33), transformé après des années de lutte en Théâtre amusicien, un homme a décidé de raconter sa vie, l’homme qui justement adapté le lieu à son désir de spectacle. L’homme s’appelle Bernard Lubat, un musicien né là, puis parti à travers le monde, pour mieux revenir. En cette année 2010 il propose un spectacle intitulé L’Amusicien d’Uz « une improvision autobiograffitique à savoir l’histoire d’un anartiste avant-gardiste attardé qui ignore ce que lui réserve son passé. » A présent vous savez tout, juste au moment où l’homme entre en scène pour jouer, se jouer et se déjouer. Parmi la déferlante de jeu de mots, un spectateur en capte définitivement « je mentirais si je pensais m’en tirer. » qui témoigne d’une réalité qui va nous faire voyager (réalité que certains voudraient substituer à la réalitélé). Oui Bernard Lubat se mentirait à lui-même s’il pensait pouvoir s’en tirer, par son art, car jamais il ne pourra se tirer, jamais il ne pourra déserter ses combats de toujours. De tels combats débutent par l’enfance mais, contre l’effet dominos cher aux forces dominantes, n’imaginez une enfance arrêtée porteuse de nostalgie. Ses combats de toujours ne sont pas une idée fixe chez Lubat pour la simple raison que son enfance, il la voit encore devant lui. Son enfance fut « une fonction sociale » fonction qu’il a pu retrouver à Uzeste. Combien de décennies faut-il pour enfin devenir un enfant, pour dans ce cas retrouver une fonction ? Pour comprendre, il faut se référer à cette réponse au sujet de son rôle gamin dans l’orchestre familial : « Ce sont les dix années de ma vie où j’ai pu apprendre la musique et la jouant. Donc ça me permettait de jouer à l’apprendre. » [en 1984 dans la revue Amiras]. Contre cette pédagogie de la vie, Lubat rappelle, par le portrait de l’amusicien, la pédagogie de l’ennui : « apprends d’abord, tu joueras plus tard » et il est facile de deviner que pour le jeune déjà doté d’un bagage, cette pédagogie l’incitait à idéaliser les années précédentes. La pratique, par elle-même, est insuffisante pour aller de l’orchestre du dancing à la musique jazz. Les confrontations, les rencontres, les recherches restent des efforts inévitables, mais à condition d’admettre que le cloisonnement entre apprendre et jouer constitue un non-sens. Le spectacle se déroule ; chacun comprend que souvent Lubat tomba très bas, mais que toujours il s’est relevé sans chercher à être Luhaut. Le musicien passa donc de la flute à piston, au piano, à la batterie, à l’accordéon puis à la table de contact, instrument que je découvre et qui cumule, j’imagine, les dernières merveilles de l’électronique. Là le corps devient subitement un tout. La musique du DJ tue la musique. Pour s’ouvrir à l’amusique (contraction de amuse et musique que j’ai découverte d’abord chez Claude Sicre sans que je sache si c’est lui qui l’apporta à Uzeste ou s’il la ramena D’Uzeste) il m’apparaît vital de VOIR des musiciens sur scène. Ignorant en la matière, j’ai commencé à comprendre le jour où, en interrogeant un accordéoniste qui travailla sa vie durant à Paris, il m’indiqua que si les danseurs croient suivre la musique, qu’ils sachent aussi que les musiciens suivent les danseurs : les bals du lundi étant plutôt ceux des boulangers n’étaient pas au même rythme que ceux des coiffeurs, libres un autre jour de la semaine. Ce spectacle de Lubat ne date pas de 2010, il n’est pas tombé tout cuit d’une soirée bien arrosée mais il porte en lui des décennies de commencements. J’en avais découvert des

Page 32: Vendredi 4 juillet 2014 Benedetto et Avignon 2005

éléments à Avignon en 2004 par exemple : cette fois le spectacle est moins que jamais un jeu, pour devenir un enjeu. Par exemple :, Lubat adore les petits automates des gamins qu’on monte avec un ressort, puis qu’on laisse vivre quelques instants, en les lâchant sur une table. Cette fois, sur la table de contact, ils prennent les noms de tous les personnages de la classe politique, et en s’agitant, ils provoquent une musique amusante. A la fin, rassemblés sous un grand plat… d’un geste bref, ils disparaissent. Lubat peut alors, pour réfléchir, se diriger vers un miroir qui le réfléchit. Il ira même derrière le miroir où il fait noir, avant de revenir saluer en pleine lumière. Un journaliste a retrouvé du Raymond Devos dans les jeux de mots qui accompagnent presque deux heures de temps, le va et vient entre poésie et musique mais un Devos clairement politique. Devant ce miroir, l’enjeu devient plus fort : comment joindre l’ultime à l’agréable ? Comment réussir à mourir de dire ? Même si seuls les commencements importent pour l’artiste, il existe des fins où l’autobiographie se fait biodégradable. L’humour, fil conducteur de la présentation, provoque d’incessants rires de la salle, un humour que je dis engagé même si la formule a donné lieu à d’ignobles malversations. « Toute chose sérieuse ment » n’est pas, par exemple, une victoire totale de la dérision. Tout comme pour la conception de l’enfance, méfions-nous de l’effet dominos des dominants. Le dérisoire réside plus dans la discipline que l’indiscipline, l’ordre que le désordre. Lubat se joue minable car ce n’est pas en prenant de la hauteur (même au nom de la révolution) qu’il pourrait continuer sa fonction sociale d’enfant. Nous nageons en pleine poélitique et poésique. J’ai tranché : ce spectacle est invisible en tranches. Mais pourquoi, dans le titre de cet article, redoubler solo par seul ? Même si Bernard Lubat n’est pas seul, pour diverses raisons et autant de raisons diverses, j’ai la sensation qu’il n’est pas seul sur scène par hasard. Souhaitons à l’œuvre qu’il présente de belles rencontres avec des publics imprévus. 22-08-2010 Jean-Paul Damaggio

Page 33: Vendredi 4 juillet 2014 Benedetto et Avignon 2005

Dimanche 15 août 2010 Benedetto à Montech (82)

En juillet-août 1981, pour fêter les 300 ans du Canal du Midi, les pouvoirs publics ont demandé à Benedetto d’y proposer un spectacle itinérant. Pour un fois il n’arriva pas en Tarn-et-Garonne par Montauban, mais par Montech ; le canal du midi a été prolongé jusqu’à Bordeaux au début du 19éme siècle sous le nom de canal latéral à la Garonne. Le journal L’Humanité du début août rendit compte e l’événement par la plume de Jean-Pierre Léonardini. Mention est faite du « dragon de Montech », cette œuvre réalisée par des ateliers d’enfants dans chaque ville étape car il faisait plus de cent mètres. Le spectacle avait été joué dans la salle des fêtes. Voici l’article du chroniqueur théâtral. « Un dialecticien sur l’eau ; Poésie et vie pratique « Le partage des eaux et « Les écluses du temps » par la Compagnie André Benedetto Le théâtre, comme la poésie, peut être de « circonstance » et, au jeu de la commande sociale démocratique, Benedetto est passé maître. Ces deux spectacles en témoignent une fois encore. A partir de la biographie de Paul Riquet, « inventeur » du canal du Midi, Benedetto et les siens présentent « Le Partage des eaux ». Trois barques et quelques accessoires leur suffisent pour recréer, à distance, un temps révolu. Benedetto mène le bal, auteur et metteur en scène au vu de tous. En un peu plus d’une heure, c’est une page d’histoire familièrement revisitée qu’ils feuillettent devant nous. Rien de naïf dans ces envols de drapeaux, dans cette évocation des grèves et revendications ouvrières du 17e siècle, mais plutôt la meilleure ruse dialectique et l’usage raffiné des matériaux pauvres au service d’une grande richesse de sens. « Les Ecluses du temps le montre seul en scène ; pêcheur à la ligne, fantôme féminin du canal, Colbert, Louis XIV ; il est tout à la fois ou l’un après l’autre. C’est aussi fort que Dario Fo. Il y a quelque chose de japonais (du côté du Nô) dans le jeu des ruptures qu’il pratique. Il y a également que son texte est d’un poète en même temps profondément personnel et impersonnel, c’est-à-dire civique. J-P. L. » La troupe comprend : Bernard Wunsche, Pascal Barnicaud, Frédéric Vouland, Madeleine Ravel, Catherine Maurico, Elisabeth Grangeon. Costumes et décors Pierre François. L’article est accompagné d’un entretien avec Benedetto : André Benedetto évoque la croisière Paul-Riquet (du 3 juin au 25 juillet) : « Cette longue croisière malgré la fatigue endurée (nous étions quinze là où il aurait fallu être vingt-cinq), me laisse une impression bienfaisante. Naviguant sur le canal du Midi, nous avions la sensation de nous couler dans un autre temps. Le tracé du canal épouse les accidents du terrain. Nous sommes loin de l’efficacité et du rendement modernes par la ligne droite. Nous nous croyions suspendus dans une utopie liquide. Il faut savoir que le canal du Midi ne sert quasiment plus au transport commercial. La plaisance l’emporte, sous l’égide de trois grandes compagnies étrangères. Or ce sont les péniches, qui en circulant pleine à ras bord, font le lit, c’est-à-dire brassent les eaux du fond, désensablant le cours. Car le danger vient du sable, de l’assèchement lent. Le rail et la route, décrétés plus rentables, ont porté un coup terrible à l’œuvre de Paul Riquet. Le gabarit des péniches passant de 30 mètres à 38,50 m a encore accéléré la raréfaction du trafic. Il faut moderniser les écluses et réhabiliter la batellerie sur cette voie d’eau admirable, en péril de mort. Pour l’instant on en est à se renvoyer la balle. L’Etat dit au commerce : "Prouvez que c’est viable et nous modernisons." Le commerce répond : "Ce sera viable si vous modernisez." »

Page 34: Vendredi 4 juillet 2014 Benedetto et Avignon 2005

Note J-P D. : La création du Canal du Midi démontre que Toulouse était alors tourné vers la Méditerranée mais nous étions juste au moment où l’Atlantique devenait la mer décisive. Le Canal a été prolongé jusqu’à Bordeaux, juste au moment où commençait à se profiler le développement du chemin de fer qui pour le Sud-Ouest relia Sète à Bordeaux au profit de la domination anglaise. A présent avec la LGV Bordeaux-Toulouse voilà que Toulouse se tourne vers l’Atlantique au moment où le P acifique devient la mer décisive. L’histoire de Toulouse semble avoir été à contre-temps sauf sur un point : l’aviation.

Page 35: Vendredi 4 juillet 2014 Benedetto et Avignon 2005

Vendredi 6 août 2010 Benedetto et l’occitan

A la mort de Benedetto la journaliste du monde lui reprocha San Jòrgi Ròc et les Occitanistes crièrent au scandale allant pour certains jusqu’à demander le boycott du quotidien. Je pense qu’ils auraient mieux fait de diffuser ce texte que je viens de découvrir et qui complète ce que je pensais. La pièce écrite après la mort de son frère, André Benedetto rappelle le côté sentimental de son attachement à la langue, le côté tripal. Un attachement à la langue familiale qui peut faire écho à celui de l'ami québécois Jacques Desmarais en faveur de sa propre langue de jeunesse. JPD André BENEDETTO, "San Jòrgi Ròc : Auteurs en scène, n°3, décembre 1998/janvier 1999 San Jòrgi Ròc est la première pièce toute occitane que j’écris. Elle est en provençal, qui est un des parlers de l’occitan, cette langue qui était la nôtre d’origine et dont nous n’avons découvert l’existence que très tard. Vers 1967, nous avions commencé par discuter de l’accent, cet accent que certains nous reprochaient d’avoir et qui paraît-il était un obstacle pour faire du théâtre de qualité. Il n’y a qu’en France qu’on se pose le problème de l’accent qui est loin de préoccuper Hollywood ! En France, Versailles veille. Les acteurs sont mis en demeure de se débarrasser de leur accent ! Mais aussi les universitaires, professeurs, avocats, présentateurs, animateurs télé-radio et autres gens de la parole qui craignent le ridicule ou qui veulent faire une belle carrière sérieuse. Et qui vont souffrir bien des jours pour se normaliser la voix avec le crayon entre les dents. Mais ils ne guérissent jamais tout à fait ! Il leur suffirait, pour se conformer, de prendre l’accent d’une langue étrangère, mais il est difficile de considérer le français, leur langue maternelle, comme une langue étrangère. Ils la considèrent sacrée et c’est à eux les difformes à se reformer, à se transformer le larynx, et les circuits secrets de la pensée profonde ! Car qui sait quelles sont les conséquences dans la cervelle de ce tripatouillage de la phonation ! Au théâtre nous sommes venus à l’occitan en 1971 sans doute avec À bec et à griffes. Marcel le petit bâtisseur du Pont accueillait les spectateurs en leur parlant provençal. Alors d’autres créations ont suivi dans lesquelles, légère diglossie, j’ai employé l’occitan de diverses manières avec des phrases, des échanges de quelques répliques et parfois des paragraphes pour obtenir des effets d’identité aggravée, de coloration, de poésie, ou d’insolite. C’était dans La Madonne des ordures, Pourquoi et comment on a fait un assassin de Gaston D., Géronimo… Après les Rescòntres occitans que nous avions organisés l’été de 1973, en voyant certaines magouilles déplorables, j’ai pris bien des distances avec ce qu’on appelait l’occitanisme. Je ne suis vraiment revenu à cette langue qu’en 1997, avec San Jòrgi Ròc. Je n’ai jamais parlé le provençal mais je l’ai entendu parler dans ma jeunesse par nos grands parents qui la parlaient entre eux sans jamais nous la parler à nous. Quant à nous, hors l’école, nous parlions un mélange curieux, un français mêlé de mots et d’expressions dont nous aurions pu croire que c’était de l’argot et qui venaient tout simplement du provençal. J’ai plus tard retrouvé avec stupéfaction tout ce vocabulaire dans les dictionnaires. J’avais même commencé à cocher tous les mots que je connaissais, mais j’ai vite renoncé car il y en avait trop ! Pour San Jòrgi Ròc, je n’ai pas pu faire autrement, à partir d’un certain moment dans la plongée dans ce projet d’appel au mort, que de le faire en provençal. Je ne pouvais pas faire autrement, et tout à coup ce changement de langue, c’est très abrupt pour les amis

Page 36: Vendredi 4 juillet 2014 Benedetto et Avignon 2005

qui ne comprennent pas le provençal. Et en plus je refuse de traduire. Vous qui ne savez pas lire le provençal et qui ne comprenez pas quand vous l’entendez, veuillez m’excuser de ne pas fournir une traduction en français. Si j’ai écrit ce texte en provençal, c’est que je ne pouvais pas faire autrement. Il est d’abord destiné à des occitanophones, ou qui tentent de le redevenir. Je peux même dire que je n’imagine même pas une traduction, et je vais essayer de vous dire pourquoi ! On assiste depuis des siècles à la lente descente de cette langue aux enfers qui sont pavés de bonnes intentions. Pour tenter de continuer à se faire comprendre, pour maintenir en vie cette langue minorisée, on a commencé depuis longtemps par l’écrire dans une graphie fondée sur la phonétique française ! Était-ce pour faciliter la lecture par des gens qui ne savaient pas lire ? Pour tenter de mesurer l’ampleur de cette distorsion et les maux qui en découlent, imaginez que vous dussiez écrire l’anglais dans la phonétique française. Et vous écririez à votre chère fille que vous l’aimez : Aie leuve iou maille dire doteur. Imaginez maintenant la tête des Anglais tombant là-dessus… Pire encore : essayez d’écrire le français dans la phonétique anglaise puisque c’est cela qui nous attend quand le français sera minorisé par rapport à l’anglais comme le provençal le fut par rapport au français ! Ça commencerait par Oui ma sœur… We ma sir… Bon courage pour la suite ! On ne s’en est pas tenu là ! Un peu plus tard a commencé le système de la traduction par l’auteur de ses propres œuvres, Mistral en tête dont l’immense notoriété imposa le système surtout dans l’aire provençale. Le mal s’aggrave encore quand on constate que le texte original est souvent édité sur les pages de gauche, en regard de la traduction française, et non l’inverse comme cela se fait pour toutes les langues étrangères qui ont toujours la priorité sur leur traduction : on les édite à droite. Et voici qu’après la graphie en phonétique française et la traduction systématique, la descente aux enfers continue par la volonté tout aussi systématique de divertissement. Vous ne comprenez pas bien mais vous allez rire. Ça passera mieux. Et ainsi de marche en marche, de farce lourde en blague grasse, on ne cesse de descendre et on arrive enfin à la perte quasi complète de la langue d’origine, et on piétine dans une bouillie de sons, dans un bouillon d’onomatopées. On ne voit plus écrit, on n’entend plus parlé qu’un idiome misérable, un patois truffé de vulgarités et de gros mots, un mauvais français provençalisé qui, malgré tout, paradoxe étonnant, montre la vigueur de cette langue occitane capable encore d’en prendre une autre toute crue entre les dents et de l’assimiler ! Or il faut bien comprendre que si des gens achètent des livres et vont voir des spectacles en occitan c’est pour pratiquer la langue. Lire, écouter la langue et rien d’autre. Ils ne sont pas en quête de sens, de divertissement mais en quête de la langue. Ils se plongent dans un univers culturel spécifique. Ils tentent de renouer qui sait quel cordon ombilical, de retrouver des repères en eux déposés dans leurs enfances, forme de régression sans doute. Pour tenter de retrouver le fil, de retrouver et de remettre en vie quelqu’un qui est en eux endormi, et avec lui bien des parents et des amis. La langue est l’outil même, le commencement et la fin. Elle est le fil même de la compréhension. Elle ne vient pas pour être traduite mais pour être. Et si je viens l’écouter c’est pour l’entendre, pour découvrir les échos en moi de cette langue dans mes mémoires, et me situer, et savoir où j’en suis de la renaissance d’une certaine vie en moi qui disparaissait. Et je mesure que la langue est toujours en état de transformation chez les autres comme chez moi. Ce n’est pas tellement ce qui se dit qui est important mais la manière dont ça se dit puisque cette manière de se dire contient le sens même dans lequel il faut se diriger, la piste à suivre pour retrouver le sens. Ah si j’étais linguiste je m’expliquerais peut-être mieux ! Si je mets la traduction en regard, je réduis cette langue

Page 37: Vendredi 4 juillet 2014 Benedetto et Avignon 2005

à un seul sens et j’arrête dans mes lecteurs et auditeurs occitanophones ce qu’ils recherchent : le processus d’accouchement en eux de cette langue. Si je ne veux pas donner de traduction ce n’est pas pour embêter les francophones, ce n’est pas pour cacher quelque secret, c’est seulement pour ne pas priver les occitanophones de cette interminable remontée en eux comme en moi d’éléments anciens qui se réchauffent et se remettent à vivre et à se développer. Car cette langue n’est pas une langue étrangère. Elle est en moi une langue en attente, une langue en gestation, un corps vivant longtemps paralysé qui se remet à frémir, à bouger, à se dire. Après le théâtre et son double, voici le français et son double !

Page 38: Vendredi 4 juillet 2014 Benedetto et Avignon 2005

Jeudi 5 août 2010 Benedetto et Mazauric

Sur la pièce de Benedetto Les Drapiers Jacobins, évoquée sur ce blog, voici la notice de Claude Mazauric, historien, publiée dans Les Annales de la Révolution Française, année 1979, volume 135. Le point de vue de Mazauric est d’autant plus juste que le document utilisé l’est à contre sens Gautier-Sauzin l'auteur d'une pétiton en faveur de langue d'oc ayant été confondu avec Gautier qui était en effet un des multiples sans-culottes montalbanais dont j'ai étudié les ramifications dans un livre : Les sans-culottes Montauban/Verdun. J'aurais simplement aimé une distinction entre la situation des villes et celle des campagnes car sinon comment expliquer qu'encore en 1940 ma mère ait eu l'occitan comme langue maternelle dans un milieu très à gauche ? JP. D NOTICES A propos d'une pièce de théâtre : « Les drapiers jacobins » d'André BENEDETTO. — La troupe de la Nouvelle Compagnie du théâtre des Carmes d'Avignon a présenté, d'abord en 1976 à Montauban, puis en 1977 au Festival d'Avignon, une pièce d'André Benedetto, légèrement remaniée à Avignon, mise en scène par l'auteur : Les drapiers jacobins. Je ne me prononcerai pas sur les nombreuses qualités dramatiques et scéniques du travail de Benedetto. L'imagination, la verve et le talent de ce dernier n'ont plus besoin d'être soulignés, a fortiori dans une revue comme les Annales dont ce n'est pas la vocation. Benedetto est de ceux qui ont redonné vie, intelligence et popularité en province, à un vrai théâtre populaire de qualité et proche des gens. Les drapiers jacobins : c'est une réflexion, en partie prononcée en langue occitane, sur la question de l'unité nationale pendant la Révolution française. La pièce est fondée sur une solide base documentaire, puisée aux meilleures sources et éloignée de toute référence étroitement régionaliste ou « fédéraliste ». La pièce énonce une thèse : la révolution jacobine a été libératrice de tous les hommes et des cultures particulières ; elle a même favorisé l'expression d'un mouvement féministe (avec Olympe de Gouges) ; mais la véritable nation jacobine, fondée sur la reconnaissance de la personnalité linguistique, a été appropriée par les bourgeois et elle est devenue destructrice des cultures populaires en raison du contenu de classe finalement donné à la révolution bourgeoise. A Robespierre et à leur homologue montalbanais Gautier-Sauzin, respectueux de la langue occitane, s'opposent Grégoire ou Barère, et leur correspondant à Montauban, le manufacturier Ratier. Ceux-ci expriment par leur comportement linguistique « la rapacité glacée du Capital » selon le mot de Félix Castan, l'écrivain occitan qui préface la pièce de Benedetto. Quels que soient le talent et la vigueur entraînante de Benedetto, il faut bien dire que la thèse est fausse ; quelques documents non négligeables certes, mais dont le sens est démesurément grandi, ne sauraient lui donner une quelconque confirmation. 1. — Jamais Robespierre ni les Jacobins robespierristes après 1792 ne se sont séparés des partisans de l'unification linguistique comme Grégoire ou Barère ; remarquons d'ailleurs que les « fédéralistes » ne se seraient pas opposés à eux sur ce plan. Tous étaient persuadés, en se fondant sur les conceptions linguistiques des Lumières, que le progrès de l'histoire des peuples se traduit par un progrès dans la langue et qu'agir sur la langue c'est agir sur l'histoire. Tous voyaient dans la diversité linguistique et le maintien des parlers « d'autrefois » un fait de barbarie, utilisable au surplus par la contre-révolution. Les Jacobins ont approuvé le discours de Barère du 8 pluviôse an II, et localement ont contribué à la mise en œuvre des décrets de la Convention. Le recours à la traduction écrite, puis orale simultanée, n'a jamais été pour eux qu'un expédient pratique et non le

Page 39: Vendredi 4 juillet 2014 Benedetto et Avignon 2005

résultat du choix théorique reconnaissant un statut de dignité aux « idiomes particuliers ». 2. — L'unification linguistique par le français national n'a pas seulement résulté de la politique de lu langue des révolutionnaires, mais aussi d'un dessaisissement en profondeur par les masses françaises (révolutionnaires ou révolutionnées) de leurs parlers régionaux, lesquels étaient précisément adaptés aux anciennes formes de la vie sociale. Cela fut particulièrement vrai en Occitanie où des appareils révolutionnaires puissants et le départ à l'armée ont été les moyens essentiels de ce dessaisissement de masse, consolidé et réorienté par l'école, après la Révolution, dans le sens d'un processus de ségrégation de classe. Remarquons que ce « dessaisissement linguistique » reflète très précisément le consentement de la société civile dans son ensemble à l'hégémonie de la bourgeoisie révolutionnaire à la fin du XVIIIe siècle. Cela fut sensible dans les villes du Midi, de Bretagne, de Flandre et peut- être ailleurs. Ce rappel étant fait, Je voudrais en même temps saluer personnellement le mérite de Benedetto, mérite que je qualifierai de politique et d'idéologique. Par conviction et ascendance, le propos passionné de l'auteur des Drapiers jacobins me touche profondément. Il vise à extirper le mouvement culturel occitan des pesanteurs conservatrices, d'origine contre-révolutionnaire où il a été si longtemps retenu. Nous ne sommes plus en 1793. La revendication de dignité et de personnalité des régions face au laminage des cultures et de tous les usages par la techno-structure et le grand capital concentré, est un élément important du renouveau national du pays et de son enrichissement culturel (donc linguistique). D'autre part, la reconnaissance du droit à la différence devient aujourd'hui une dimension des luttes pour la liberté. Dans ce contexte, une nouvelle approche de la portée nationale et des effets de la Révolution devient peut-être souhaitable et possible ; il ne saurait y avoir de tabou dans l'histoire de la Grande Révolution. Mais cela suppose peut-être de privilégier la démarche historienne, laquelle s'établit en contradiction avec les mythes dont elle a précisément pour objet d'éclairer le sens. La pièce de Benedetto me suggère l'évocation de précédents illustres : Buchner, Romain Rolland ou Anouilh, Abel Gance, Renoir et Ariane Mnouchkine. Mais c'est aussi manière pour nous de rappeler que l'effet de puissance qui jaillit de l'évocation des mythes nourris d'histoire, et l'effet idéologique de masse ne sauraient réduire la distance irréductible qui sépare, par principe, le mythe de l'Histoire. — Claude Mazauric

Page 40: Vendredi 4 juillet 2014 Benedetto et Avignon 2005

Mercredi 4 août 2010 Jaurès, Benedetto, Léonardini

Par ailleurs, je conteste la présentation d'un spectacle de Benedetto faite par son ami Léonardini. Pour rétablir l'équilibre je donne ici un autre article de mes archives où je me retrouve totalement d'accord avec Léonardi. JPD Saint Jean Bouche d’or Avignon l’été souffre d’une indigestion de théâtre, tandis que c’est la morte saison onze mois de l’année. Trois compagnies à demeure maintiennent la flamme : celles de Gélas, Timar, Benedetto. Le petit théâtre des carmes vient d’être repeint. Celui qui l’anime réussit le tour de force d’être avec lui-même constant, au fil des transformations successives. Ainsi la mode, par définition versatile, vient lécher les pieds de la minuscule citadelle des Carmes, mais l’occupant des lieux continue d’y faire entendre son chant civique singulier. Cette fois, il propose plusieurs coup de théâtre de midi à minuit, et notamment « Jaurès la voix » qu’il étrennait à Carmaux pour la fête en l’honneur du fondateur de L’Humanité. C’est une parlerie, à la gloire de celui qui voulut faire un rempart de son corps devant l’Europe courant au massacre. Benedetto est centre, l’allure d’un gitan en dimanche (costume clair et pochette de mousseline rose). De sa bouche le texte coule, torrentueux, lyrique, chargé d’accents et d’aromates, puissamment évocateur de son modèle : le tribun aux inflexions tantôt douces et tantôt rocailleuses. Cela constitue un étonnant exercice de mimétisme imaginaire, une recréation de l’intérieur, une transfusion de sens permanente. Autour de Benedetto, proférant, murmurant, profus de paroles, économe en gestes, volète ironiquement une musique de supermarché tandis que gravitent, en silence, ceux qui miment la vie et la mort du héros (1). Est-il besoin de dire que la figure de Jaurès et l’évocation du « grain de sa voix » offrent encore à Benedetto l’occurrence d’un éloge de la méridionalité, voire de la latinité ? Ce verbe recréé charie donc un monde et son histoire, en ses inspirations les plus sensibles. Alors, grâce au poète, Jaurès redevient ce sain Jean Bouche d’or de la paix, dont la voix chère s’est tue sous le coup d’un assassin infâme. La guerre de 14 a commencé au Café du Croissant. Jean-Pierre Léonardini L’Humanité 26 juillet 1984 (1) Claude Djian, Sophie Calimache, Charlotte Chamoux, Véronique Decours, Madeleine Ravel, Frédéric Vouland, Michel Laurent, Jean-Luc Parent.

Page 41: Vendredi 4 juillet 2014 Benedetto et Avignon 2005

Samedi 31 juillet 2010 La fête à Benedetto en 2010

En 1979 André Benedetto a transporté au parc Champfleury à Avignon la pièce qu’il avait créée pour le Festival d’Occitanie, Pique-nique au Moulin d’Ardus. J'ai été mazrqué par cette pièce que j'évoque déjà deux fois dans le blog. http://la-brochure.over-blog.com/article-pique-nique-au-moulin-d-ardus-ii-50549046.html Jean-Pierre Léonardini, le même que celui qui participe à la fête de 2010 à la gloire de Benedetto, en rendit compte d’une drôle de manière dans L’Humanité. J’avais alors envoyé une lettre au journal pour dire maladroitement ma colère, lettre qui ne fut pas publiée mais qui me valut une réponse de la direction du journal. Autant de documents qui éclairent un débat crucial sur l’art, le théâtre et la vie. Pour comprendre commençons par un court échange entre Benedetto et Castan diffusé pendant le Festival de Montauban. Débat Castan-Benedetto Castan : André, voici le troisième volet de la trilogie que tu as écrite sur et pour notre ville. 1974 : le siège de Montauban, une ville libre, en 1621, lutte pour indépendance politique et religieuse ; 1976, les drapiers jacobins : le rêve d’une république une et infiniment divisible, en 1791… ; 1979 : Pique-nique au Moulin d’Ardus. Que dirons-nous de cette évocation de Montauban en 1935 ? Benedetto : Dans cette évocation, qui ne prétend pas être une reconstitution méticuleuse, nous verrons un grand nombre de personnages (imaginés) aux histoires entremêlées, des jeux divers, des affrontements sur une scène principale dont le décor est extrait de la toile de Cadène ; et des hommages en style de théâtre d’intervention sur une scène secondaire qui introduit un deuxième regard. Nous verrons surtout, et c’est la leçon fondamentale, que ce Montauban 35 est un microcosme exemplaire où, face à la montée du totalitarisme nazi, deux tendances anti-fascistes se dégagent complémentairement : celle des militants du Front populaire et celle des jeunes poètes. Castan : Qui interpelle cette ville ? Le siège : Richelieu, symbole du centralisme, à qui la ville répondait ce qu’il ne souhaitait pas entendre ; les drapiers : schéma inversé, par la voix de Gautier-Sauzin et d’Olympe de Gouges, la Ville interpellait la Nation, laquelle, par la voix de Robespierre, répondait des paroles de liberté sociale, linguistique, individuelle ; Pique-nique : est-ce Cadène qui interroge, ou Cadène qui répond ?

Page 42: Vendredi 4 juillet 2014 Benedetto et Avignon 2005

Benedetto : Par cette toile unique à l’époque, Cadène interroge et répond en même temps. Mais surtout, nous, il nous provoque, nous incite, nous inspire. Par la texture et le sujet, ce chef d’œuvre est porteur de toutes les aspirations de 36. Et cela dès 1935, et c’est donc en répondant par prémonition que Cadène nous interroge. Pourquoi a-t-il fait cela à ce moment-là et en cette ville ? La toile opère une synthèse entre les forces de la vie. Si elle est commandée par la municipalité à l’initiative de conseillers liés au peintre dans une dynamique prolétarienne, elle est fortement inspirée par le comportement de ces jeunes femmes et hommes, épris de poésie, de jazz, de loisir… d’amitié. Castan : Venir d’Avignion pour interroger Montauban, puis transporter à Avignon un théâtre où se mêlent l’historique et l’imaginaire, quel est l’intérêt de la démarche ? Benedetto : L’intérêt de la démarche est qu’elle se fait en collaboration dès la première idée avec un Festival qui se conçoit d’abord comme un outil d’interrogation et d’investigation de son temps à partir de sa ville même. Alors la ville, la cité, apparaît come porteuse de contradictions – c’est-à-dire d’éclairages – qui ont une valeur universelle. Alors il est bon que ce travail, de haute conscience et de bon divertissement, soit présenté dans un autre carrefour artistique comme exemple de ce qu’il est possible de créer, et pour cette année particulièrement, comme modèle de questionnement dont, en ces heures difficiles, la collectivité française a le plus grand besoin. Distribution de la pièce Phaye Poliakoff Le voyageur dans la toile qui joue aussi par force, le peintre lui-même, le garçon de café et le policier dans un arbre : Bertrand Hurault Mademoiselle Hortense, Jacqueline Benedetto Max, Picou et Picart : André Benedetto Les trois poètes et les trois militants du Front populaire : Bernard Wunsche (Raoul - Léon) ; Gilbert Lyon(Sylvie-Maurice) ; Claude Djian (Thomas-Edouard) Les quatre actrices du théâtre d’intervention : Agnès et fleuriste- Marie-Charlotte Chamoux ; Voyante et tenancière – Soizic Arsal ; Liede et fille - Annie-Claire Pankowsky ; La vierge Marie :. Aicha : Martine et le père de Max : Georges Benedetto. Avec la collaboration de Frances Ashley et de Pascale Benedetto pour les décors, costumes et accessoires et deBruno Hurault pour la régie. Critique de Jean-Pierre Léonardini Entrer dans la toile En 1935, Lucien Cadène, artiste peintre montalbanais, réalise « Dimanche à Ardus » une huile de 200x300. C’est une composition sympathique (on en distribue la reproduction en carte postale au début du spectacle). Sur cette toile – de facture post-impressionniste- figurent onze personnages : couple attablé, un pêcheur vu de dos en slip de bain ; une jeune femme en robe jaune sur une balançoire ; un chien endormi… de l’herbe verte, de l’eau gris-bleu, des arbres au feuillage léché, bref, une scène de genre, pas génialement peinte mais attendrissante, quoique un peu raide dans la composition. On sent l’artiste à l’hédonisme appliqué. Benedetto imagine qu’un type d’aujourd’hui entre dans la toile, pour remonter jusqu’au temps qui la vit naître. Les personnages peints s’animent, d’autres les rejoignent. Jeunesse petite et moyenne bourgeoisie dorée, radicaux, socialistes, communistes, une femme rêvant de voyages, une voyante mère-maquerelle, une prostituée qu’on veut tirer de là, un père riche et de droite qui ne l’entend pas de cette oreille etc. En face, à l’autre bout du hangar, trois jeunes comédiennes font, par moment, de l’agit-prop par-dessous la jambe. Cela ne mène pas loin. On s’en aperçoit vite. L’écriture est relâchée, Benedetto s’en remet trop vite à son aisance. Le jeu sur les mots tourne court.

Page 43: Vendredi 4 juillet 2014 Benedetto et Avignon 2005

L’esthétique de l’opérette provençale à l’amicale laïque vaut-elle vraiment la peine d’une réhabilitation ? Un tel spectacle de la part d’un homme de théâtre singulier et inventif, constitue un signe de désespoir. Avoir à écrire cela est pour nous un crève-cœur. Qu’on admette, du moins, l’amitié comme notre seul mobile. J-P L Réponse Jean-Paul Damaggio Cher camarade, J’ai lu dans l’Huma le point de vue sur la dernière pièce de Benedetto : Pique-nique au Moulin d’Ardus. Je me permets d’apporter une autre vision de la pièce que j’ai vue à Montauban où elle fut créée. C’est ce qui me permet d’entrer dans la toile d’une autre façon. Mais de quelle toile s’agit-il ? J.P.L. commence son article par une description de la peinture. A-t-il pris la peine d’aller voir la peinture que pourtant Benedetto (me semble-t-il) a pris la peine d’amener à Avignon avec une exposition à son sujet ? Manifestement non et c’est ma première déception à la lecture de l’article. Il y a le pécheur : sa canne à pêche tombe dans une barque ; il y a une femme qui se balance dans une espace que l’on ne peut situer. Les personnages ne se regardent pas. Ces détails scabreux sont une des dimensions majeures de la toile qui donne le ton, qui donne un ton. C’est un artiste de province qui s’est toujours refusé d’exposer à Paris et qui s’inscrit dans la vie d’une ville de province. Et « le type d’aujourd’hui » qui entre dans la toile est le peintre lui-même. « Le jeu sur les mots tourne court » parce que la vie de la jeunesse dont il est question tourne court. La toile faite en 1935 pour décorer une Maison du Peuple toute neuve (c’est un autre aspect de la toile) porte en effet tout un monde qui est entre (ou avec) l’espoir de vacances au soleil, et la fin d’un monde. Et le rapport au surréalisme, au jazz… La pièce de Benedetto est une pièce de province sur une ville de province et la richesse de cette province que l’on peut ainsi découvrir, est un signe d’espoir. Tout n’y est pas, et le monde qui s’y trouve n’est pas tout, mais il est pour moi une part de moi-même et je suis sorti du spectacle plus riche, plus fort, plus chez moi, ce qui veut dire plus Occitan et plus Français par là-même. Peut-être y a-t-il encore beaucoup à faire pour que les gens de Paris et les gens d’ici se comprennent ! Ce qui est en jeu Ma réponse est maladroite car elle n’insiste pas assez sur la richesse propre à l’instant mis parfaitement en scène par Benedetto. J’ai voulu être trop gentil. Qui se souvient que le jazz en France s’est développé grâce à Hugues Panassié qui habitait alors Montauban, et Lucien Bonnafé pourrait rappeler, s’il était là, l’incompréhension première des communistes par rapport à cette musique. Richesse propre à l’instant… que Léonardini oublie d’indiquer, celui de la montée du Front populaire. Voir la toile et donc la pièce, consistait non en une description photographique mais artistique. Là où Léonardini voit une œuvre sympathique (la sympathie du mépris) il existe en fait une œuvre novatrice. Pour une Maison du peuple ! Oui, Lucien Cadène était un grand peintre, généreux, ouvert au monde de partout et au sien propre, et la richesse propre dont j’aurais dû mieux parler, tourne autour de cette capacité à être à la fois d’ici et de partout. Tout l’art de Benedetto me semble contenir dans cette contradiction (mot clef de son esthétique) présentée comme un éclairage : l’ici fortement revendiqué pour mieux voir ailleurs. Mais à chacun de tirer ses propres découvertes de cette confrontation de textes. 31 juillet 2010. JPD http://la-brochure.over-blog.com/article-castan-benedetto-montauban-43684793.html Cette fois j'y reviens car je retrouve la critique qu'en fit J-P Léonardini qui participa à la fête de cette année pour honorer Benedetto. D'où les documents qui suivent.

Page 44: Vendredi 4 juillet 2014 Benedetto et Avignon 2005

Vendredi 30 juillet 2010 Et maintenant Benedetto...

Nous venons tous de quelque part, cette géographie constituant une part de notre sentiment d’appartenance, une part de notre identité. Marthaler de Suisse et d’Allemagne, Mouawad du Liban et du Québec, Benedetto de Marseille comme de Bordeaux. Que Benedetto appartienne à l’Occitanie est une évidence, sauf que l’Occitanie n’est pas une évidence. Le comédien avignonnais se construira l’Occitanie de sa référence à travers une formule qu’il citera souvent en précisant le nom de son créateur, Félix Castan. Dans un long texte de Benedetto publié le 16 juillet 1977 dans L’Humanité, nous lisons : « «L’Occitanie a engendré la France ». Cette vigoureuse formule de Félix Castan qu’il développe d’une autre manière, je la fais mienne au point où j’en suis d’une lente réconciliation avec la France, par le chemin occitan. Mais pas n’importe laquelle ! Celle-là seule capable de se concevoir, comme un devenir acceptable, transformable, et non comme une idée enfin réalisée. » Trois ans après à la Fête de L’Humanité Benedetto lira son texte poétique Le mémento occitan où il dira d’une autre façon la même chose : « C’est Castan ui disait un jour Oui la France est une invention Occitane qui a mal tourné. » Cette double citation en lien avec le quotidien du Parti communiste, avec en référence un créateur lui-même communiste toute sa vie annonce une autre appartenance, une autre communion des saints, une autre famille, la famille communiste. Et quand on ajoute que la poésie de la dite Fête de 1980 est présenté avec le concours de la Compagnie Lubat, on, s’ancre encore plus dans la même communion qui ne peut cependant pas être la simple communion orthodoxe de la « religion » du PCF. La vision que ce parti avait de la France une et indivisible, était jusqu’au tournant de 1976 contraire à la vision qu’en avait Benedetto. Au cours du XXIIe Congrès, les dirigeants communistes décidèrent de nouer des liens avec l’autogestion, le combat régionaliste et pour le Midi, le combat occitaniste. D’où la publication du livre de René Merle, Cultura per avançar ? ou la série de texte dans l’Huma de l’été 1977 sous le titre générique : Lire le pays. Benedetto inscrit donc son évolution dans cette même histoire. Il précise dans l’article évoqué : « C’est en travaillant aux « Drapiers jacobins » que j’ai découvert la notion non figée de nation. Une notion active, ouverte, en devenir, conçue comme un projet toujours actualisable et non comme un dogme et une fin en soi devant lesquels il faudrait abdiquer. Ma région commence peut-être bien avec ce fait surprenant, étonnant : l’hymne national s’appelle « la Marseillaise » ! » Les Drapiers jacobins, c’est une pièce créée à Montauban sur proposition de Félix Castan, ce dernier pensant avoir trouvé, parmi les révolutionnaires montalbanais, un sans-culotte défenseur de la langue d’oc, ce qui permettait de rappeler ainsi que toute la Révolution n’avait pas suivi l’abbé Grégoire et son désir d’éliminer les patois. La publication de la pièce va donner lieu à une préface de Castan au titre provocateur :Robespierre anti Grégoire. Personnellement j’étais sur la même pente et j’ai alors tenté d’étudier la vie de ce sans-culotte. Malheureusement Gautier-Sauzin n’avait rien à voir politiquement avec le Gautier sans culotte, la pièce faisant un amalgame malheureux. Construite sur un contre-sens historique, car parfois à trop vouloir démontrer on se fabrique une réalité à sa convenance, elle fit évoluer Benedetto dans son rapport à la nation française. Pour ma part, je reste un jacobiniste authentique, attentif à la grande foule de ceux qui créèrent les sociétés populaires, je voudrais plus de

Page 45: Vendredi 4 juillet 2014 Benedetto et Avignon 2005

rues portant le nom de Robespierre qui n’a jamais été le sanguinaire présenté par l’idéologie dominante, je pense que l’unité de la nation ne se réduit pas à l’uniformité, mais rien à mes yeux ne fait de Robespierre un anti Grégoire. Sans le vouloir, mes recherches historiques m’envoyèrent sur la marge d’une sympathique communion des saints, ou pour le dire autrement, à la marge de la marge. Pour retrouver totalement Benedetto, pour me retrouver avec lui, avec son art, avec son épique, j’ai repris son petit texte, Jaurès la voix. Dès les premiers mots, j’ai la sensation de l’entendre à nouveau, je ne sais exactement où je l’ai entendu, mais l’effet est sidérant, je l’entends exactement comme il joua ce fleuve de mots. Une fois encore, la Fête de L’Humanité accepta d’accueillir les désormais complices permanents, Lubat-Benedetto, pour faire entendre Jaurès la voix. Sur la grande scène. Mais ce n’est pas là que j’ai pu l’entendre. Peut-être à Carmaux. « et alors cette bouche s’ouvre et la parole coule les mots les phrases et le souffle la voix déverse des idées des images ouvre la rideaux les fenêtres sur les pays du monde… Benedetto lui-même était avant tout une voix, non pas une voix « au service d’un texte » mais une voix imposant son texte. D’où le décalage avec Castan qui était beaucoup plus du côté de la France de l’écrit. D’où deux conceptions de la langue totalement différentes. Et ce n’est pas une surprise si nous arrivons ici, par cette porte, à la question de la langue. L’homme de théâtre authentique, même s’il joue un texte classique de Molière, même si l’acteur et le metteur en scène doivent respecter le texte, s’impose par la voix. Et Benedetto était une voix unique, un forme d’intervention de la voix unique, Et j’en conviens, tous les comédiens sont soumis à la même règle, tous doivent mesurer la force de leur propre originalité, tous doivent travailler cette voix pour exploser et exposer leur être, et Benedetto joua sa partition en permanence. Cette découverte relève sans doute pour beaucoup de personnes de l’ordinaire sauf que la France, par son école républicaine, appartient à la culture sacrée de l’écrit. La catastrophe de l’exercice de la « récitation » est infinie. La voix devant se plier au texte, grâce à l’intonation juste, ne devait laisser place à aucune originalité. Ayant été instit, je me souviens de mon premier stage de trois mois en classe de C.P. où un enfant avait une façon de réciter fabuleuse, rendant sans hésiter un texte triste, comique. Trahissait-il le texte ? Je crois plutôt que c’est son génie qui a dû ensuite être trahi par la normalisation. J’ai connu le Jaurès joué par Alrancq, le Jaurès présenté p ar Jordi Blanc, ce Jaurès dont les Occitanistes voudraient être les enfants, mais celui de Benedetto m’est resté dans l’oreille. « c’est lapeur qui est au pouvoir cet été-là la peur a pris le gouvernail la peur conduit la barque vers les pires tourmentes sur les gouffres sans fond par une nuit sans lune qui va durer quatre ans. » Chez les Occitanistes j’ai croisé un jour Rémi Pech (pour honorer Auguste Fourès) que des années après j’ai découvert à nouveau dans un livre intitulé Jaurès paysan. Un très beau livre n’en déplaise à Jordi Blanc qui sans doute, rebuté par le titre, n’a pas dû le lire. Socialement Jaurès n’était pas un paysan mais il vécut en un temps où tout un chacun pouvait se nourrir de la culture paysanne jusqu’à devenir paysan et c’est le mérite de Jaurès, du Jaurès orateur, du Jaurès de la voix dont des décennies après Benedetto peut être encore le frère. Jordi Blanc comme Castan appartiennent à l’écrit or l’occitan écrit c’est un aventure qui vit cette langue très longtemps « pollué » par son oralité. Pour éviter la culture patoise, localiste, celle de l’idéologie dominante même quand elle n’est pas en français, fallait-il cracher sur la langue orale authentique ? Dans sa préface aux Drapiers Jacobins, Castan conclut par son définition de la langue :

Page 46: Vendredi 4 juillet 2014 Benedetto et Avignon 2005

« Quand tout serait perdu des antiques héritages, une langue ne subit pas nécessairement le sort général, car une langue, seule parmi les faits humains, n’est pas univoque. Une langue peut tout dire, elle n’est pas enfermée dans les frontières de son pays comme une muette, elle dit s’il le faut ce qui est au-delà des ces frontières, et dans ce retournement de fonction elle acquiert une valeur nouvelle et universelle, des justifications inaliénables. » Et pour justifier cette analyse il pouvait après avoir vue la pièce jouée à Montauban : « Qu’en langue d’Oc, pour conclure la pièce, sur la Place nationale décorée aux couleurs nationales, ait été chantée une Marseillaise que le public n’a nullement refusé, cela signifiait plus qu’il ne paraissait. D’abord ceci : quand tout serait perdu… » Oui la langue d’oc peut dire : « Anem enfants de la patria Lo jorn de gloria es arribat… » La langue d’oc a survécu par les paysans et quand les paysans s’en vont, elle s’en va avec. Qu’elle puisse tout dire, partout, n’est la garantie de rien ; seulement une abstraction. Sans les parlers vivants, toutes les langues entrent au panthéon des langues mortes. Dans toute l’œuvre de Benedetto, quelle part est réservée à la langue d’oc ? Une petite part qui confirme que cette langue mérite la défense qu’il propose sans pouvoir promouvoir un avenir plein de justifications inaliénables. 30 juillet 2010 Jean-Paul Damaggio

Page 47: Vendredi 4 juillet 2014 Benedetto et Avignon 2005

Dimanche 25 juillet 2010 Benedetto, Off ; Marthaler, In

Avignon 2010 : sur la photo Marthaler (le barbu au centre) et son équipe rencontrent le public. En 1973, André Benedetto décida, avec la complicité de Félix Castan, de créer une pièce de théâtre pour un lieu précis, la Place nationale de Montauban, une pièce qui ne pourrait pas être répétée ailleurs, une pièce s’appuyant sur l’histoire de ce bijou architectural. En 2010, premier festival off d’Avignon sans Benedetto, Christoph Marthaler décida, avec la complicité des organisateurs du festival In, de créer une pièce de théâtre pour un lieu précis, la Cour du Palais des Papes, une pièce qui ne pourrait pas être répétée ailleurs, une pièce s’appuyant sur l’histoire de ce bijou architectural. Le parallélisme entre les deux démarches s’arrête là. Je veux dire, s’arrête à l’ombre de deux démarches théâtrales totalement différents. La coïncidence mérite cependant ce livre qui va continuer le précédent au sujet de l’action de Wajdi Mouawad, dans cette même Cour d’honneur en 2009. A qui appartenons-nous ? Avant de rejouer sa trilogie avignonnaise, à Montréal, Wajdi Mouawad a décidé de se poser à lui-même cette question : à qui j’appartiens ? Une question difficile vu le parcours qui le transporta de l’origine libanaise, à son installation au Québec, en passant par son séjour français etc. Avant de retrouver les réponses de Mouawad et Benedetto, voici ce que dit Marthaler quand on l’interroge sur son rapport au temps, qui est un point crucial de son art : « En Suisse, il existe des bistrots où les gens sont complètement silencieux : et quand ils commencent à parler, il y a comme un brouhaha soudain. »

Page 48: Vendredi 4 juillet 2014 Benedetto et Avignon 2005

Plus loin dans le même entretien (publié pour le festival chez ¨P.O.L.) : « Tout mon théâtre porte la marque de mes origines suisses, mais aussi de mon séjour en Allemagne de l’Est, où nous étions quelques Suisses à la Volksbühne de Berlin à travailler avec des acteurs allemands encore marqués par la RDA et dont certains avaient connu trois révolutions : j’y ai beaucoup appris. » Plus loin encore : « En bon Suisse, j’ai besoin de régler les choses. Mais comme chez tout créateur, la contradiction n’est pas loin : « Pour faire du théâtre, je dois sortir de ma biographie, sortir de moi pour me concentrer sur les autres. Et le soir, je rentre dans ma vie, les comédiens sont très loin, le travail est terminé. » Le bon Suisse Marthaler appartient-il aux autres ? S’est-il mis à exister, à créer quand il a pu s’offrir aux autres ? La pièce de théâtre dont il est question est fondamentalement une œuvre collective. Avec le metteur en scène, nous trouvons à égalité la scénographe Anne Viebrock, le dramaturge Malte Ubenauf, la collaboration de l’écrivain Olivier Cadiot, l’auteur des costumes, la direction musicale et bien sûr tous les acteurs dont on ne peut pas dire que l’un apparu plus que l’autre. Les autres sont-ils seulement « son équipe » ou faut-il y inclure le public ? S’est-il mis à créer quand il a pu découvrir qu’il était le seul à pouvoir aller dans son sens à lui ? Quittant sa Suisse alémanique natale pour Berlin, a-t-il appris là-bas qu’il avait une e fonction unique ? Il faudrait connaître l’origine des deux personnes décisives du puzzle : Anne Viebrock, très présente sur Avignon, et Malte Ubenauf, totalement absent. Quand on demanda à Christoph de qui était le texte sur le mensonge, il répondit comme si c’était une évidence, de Malte Ubenauf, son dramaturge. En fait Marthaler est là pour… mettre en musique. Il continue au théâtre d’être le musicien de ses débuts, mais pour quel objectif ? Je n’ai pas écrit « pour quel message ? » question démodée et bonne tout juste pour la publicité… Je déduis de ce premier détour que Marthaler appartient à la Suisse d’où il est sorti en sortant de lui-même au contact de Berlin. Pour Benedetto les faits sont simples : à partir des cas de Marseille et Avignon, il appartient au Sud de la France, un Sud en mouvement, en révolte, en action, un Sus ainsi en phase avec d’autres mouvements, révoltes et actions. Quand il arrive à Montauban au début des années 1970, il se retrouve comme chez lui, et il va s’y installer encore plus au fil des ans. Il travaille avec d’autres, il soulève des montagnes, et en tant que créateur s’il appartient au théâtre c’est pour les droits à la parole trop souvent bafoués. L’hommage qui lui est rendu en 2010 est une reprise de cette appartenance par le Sud de Philippe Caubère pour Marseille jusqu’à celui de Bernard Lubat pour la Gascogne. Pas un Sud enfermé sur lui-même s’auto-glorifiant d’être la revanche sur Paris, un Sud cristallisant toute une histoire. Qu’aurait-il pensé du travail de Marthaler ? Qu’il avait totalement le droit de venir à Avignon en transportant sur son dos sa maison Suisse ? Que comme pour lui, la biographie n’est pas tout ? Que la Cour n’était pas dans ses cordes ? Que notre monde artistique est éli-triste même chez un prince sans rire ? Car pour comprendre Marthaler, c’est sûr, il fallait peut-être des clefs chères sans doute à quelques élites capables de goûter le plaisir de voir une machine à laver nettoyer les péchés d’un menteur. Beaucoup penseront de Benedetto qu’il a trop appartenu au théâtre militant, or son rapport à l’engagement n’est pas différent de celui des autres créateurs, puisque tout est engagement, même chez ceux qui prônent le désengagement. D’accord, une telle phrase ne dit rien puisqu’ensuite il reste à voir comment s’articule art et engagement.

Page 49: Vendredi 4 juillet 2014 Benedetto et Avignon 2005

Pour Wajdi Mouawad, une Québécoise a retenu, sur son blog, les deux citations suivantes pour dire sa joie devant son théâtre : « Nous n’appartenons à personne ; nous appartenons à notre capacité de mettre en forme la beauté qui nous hante. Aller vers l’autre, parfois, c’est comme pénétrer dans une forêt vierge. »Wajdi Mouawad. « La famille qui ferme les volets sur elle-même devient inhumaine. [ ] La famille peut devenir l’enfermement le plus horrible et la quête généalogique c’est le risque de s’y emprisonner soi-même. » Jean-Paul Damaggio, Au Carrefour de Wajdi Mouawad, 2009. Dans le Carrefour Wajdi Mouawad j’ai tenu à poser la question du non-dit autour de cet artiste, à savoir son appartenance à la culture nord-américaine, une appartenance que je ne concevais pas comme un enfermement mais comme un constat. Quand Wajdi répond qu’il appartient à sa capacité à mettre en forme la beauté qui le hante, il laisse vide cette autre question : par quel chemin une beauté s’est-elle mise à le hanter ? Pour les trois artistes nous tournons autour du rapport de la biographie à l’acte de créer, l’une engendrant l’autre et réciproquement ; mais l’une ne pouvant jamais effacer l’autre ! L’acte de créer est constitutif de l’évolution biographique de l’artiste au moment où l’artiste puise dans sa biographie la force de créer. Pour trois résultats totalement différents qui tiennent à l’autre dimension évoquée par les citations de Louise : que deviennent les autres et pour ce qui nous concerne ici, le public ? 25 juillet 2010 JP D

Page 50: Vendredi 4 juillet 2014 Benedetto et Avignon 2005

Jeudi 6 mai 2010 Castan-Benedetto : Le siège

Sur cette photo de Frances ASHLEY quelques uns des acteurs qui répètent Le siège de Montauban en public au moment du marché de Montauban. Ils sont installés sur des éléments mobiles prêtés par la SNCF. Ci-dessous la liste de toutes les personnes qui ont participé à la création telle qu’elle a été donnée par le quotidien du Festival. JPD LES PARTICIPANTS DE LA CREATION "LE SIEGE DE- MONTAUBAN - Frances ASHLEY ; - André BENEDETTO ; - Pascale BENEDETTO ; - André BERNARD ; - Frédéric CARRAL ;- Gérard CATHALA ; - M-Charlotte CHAMOUX ; - Jean COBAT ; - J-Paul DAMAGGIO ; - Jacques DUFAUT ; - M-Joëlle ENGUIALE ; - Nadine FERRUA ; - Francis FEUTRIER ; - Patricia FIOT ; - Anne FONSAGRIVE ; - Michèle FOURTON ;- Agnès FRANCOIS ; - Isabelle FRANCOIS ;- Maryse FRANCOIS ; - Pierre FRANCOIS ; - J-Louis GAUDAS ; - Jocelyne GUBIOTTI ; - Alain HEBRARD ; - Guy LABADENS ; - Elyane LATU ; - Jacques LATU ; - Guy LENOIR ;- J-Pierre MEYER ; - Charles NEBOT ; - Madeleine RAVEL ; - Michèle REYNES ; - Marie-Hélène SARRASY ;- J-Marc SEYRESSOL.

Page 51: Vendredi 4 juillet 2014 Benedetto et Avignon 2005

Mercredi 5 mai 2010 Benedetto en 1968

Prochainement à Larrazet Félix Castan sera célébré et en cette occasion il y aura un retour sur l'artiste Benedetto. Nous allons contribuer à cette action par quelquesarticles.Ici des éléments de sa revue. JPD Soirées n°20 Septembre-Octobre 1968 Benedetto en action Bien souvent, la rumeur fait de Mai 68 un début quand il s’agit d’une fin. André Benedetto en est déjà au n° 20 de Soirées, une revue bimestrielle donc, à six par an, on peut dater le début de quatre ans avant environ soit 1964. C’était l’heure de Zone Rouge Feux interdits. La revue recense les articles de presse s’étant fait l’écho du spectacle. Philippe Madral dans l’Humanité, Guy Dumur dans le Nouvel Observateur, Henri Lépine dans La Marseillaise, R. Gaudy dans France Nouvelle, Le Méridional, Le patriote de Côte d’Azur, Le Provençal. Dans L’Humanité « Il y a deux façons de parler des mêmes mots : « jeune théâtre », « théâtre révolutionnaire », « théâtre libre » : la première est de tourner perpétuellement, sans jamais leur apporter de réponse en évoquant la mort du théâtre et son impossibilité d’existence dans une société où l’homme exploite l’homme. La deuxième est d’œuvrer au

Page 52: Vendredi 4 juillet 2014 Benedetto et Avignon 2005

corps à corps avec la pratique théâtrale pour la transformer et faire jaillir une réalité dramatique nouvelle, capable d’aider à son tour à une prise de conscience et à un éveil à la sensibilité populaire, dans un sens progressiste. Il faut savoir gré à André Benedetto, et à ses amis, d’avoir choisi cette seconde voie, sans bavardage inutile, en nous présentant une œuvre poétique aussi forte dans son écriture dramatique que dans son écriture scénique. … Il ne s’agit là nullement d’un drame vécu mais de l’exposé de différentes possibilités offertes à la conscience d’un jeune homme occidental assoiffé de changements ; possibilité vécues et réinventées dans l’imaginaire. En ce sens « Zone rouge » est un psychodrame idéologique, un cours mental singulièrement efficace et d’une actualité brûlante – à la suite des derniers événements de mai et juin – pour tous ceux qui s’interrogent sur les moyens de changer le vieux monde et l’homme. Philippe Madral L’Humanité 31/7/68 » Dans le Nouvel Observateur « … j’ai cru, après Olivier Todd qui en avait déjà parlé ici, la révélation d’un jeune auteur-metteur en scène, André Benedetto, qui vient de créer « Zone Rouge », spectacle qui pour rappeler ce que fait le Living n’en a pas moins trouvé une expression puissamment originale. C’est miracle que, sans l’aide de personne, et dans une ville où règnent une petite et moyenne bourgeoisie actives mais très conventionnelles en matière de spectacles, puissent se manifester, avec tant de tyzalent, un écricvain solitaire et une troupe de jeunes comédiens. Guy Dumur – Nouvel Observateur 22-7-1968 » Je me garde bien, plus de quarante ans après de tout commentaire. 5-5-2010 JP D

Page 53: Vendredi 4 juillet 2014 Benedetto et Avignon 2005

Mardi 26 janvier 2010 Castan Benedetto Montauban

Parmi les mille actions de Benedetto il y a eu des revues du Théâtre des Carme et je reprends ici celle de mars-avril 1979 qui évoque une création en préparation à Montauban. Elle se base sur un tableau dont il publie le croquis et qu’il présente ainsi : « Ci-contre croquis de la peinture de Lucien Cadène (1887-1958) appartenant à la municipalité de Montauban et se trouvant dans la Maison du Peuple de cette ville. Longueur 3 m. Hauteur 2 m. Très claire. » [depuis ongtemps elle a quitté la Maison du Peuple pour rejoindre la Maison de la Culture puis les réserves du Musée Ingres et c’est à mes yeux un scandale car elle a été faite pour la dite Maison du Peuple construire avec les dons des citoyens suite aux inondations de 1930. jpd] André Benedetto indique le 16/2/ 1979 : « Eté 1935. Des jeunes gens, des couples au bord d’une rivière. Imaginez la grande et lumineuse toile, pleine d’histoire entremêlées, de nostalgie. Un garçon pêche, une fille cueille des pâquerettes. Une autre se balance poussée par son amant. Des amoureux sont assis face à face. Nous, maintenant, quand nous examinons ce moment de loisir suspendu dans le temps, nous savons que l’Histoire autour de cet îlot, mettait ses bottes et affûtait ses armes. Nous

Page 54: Vendredi 4 juillet 2014 Benedetto et Avignon 2005

savons ce qu’ils pressentaient. Mais jusqu’où imaginaient-ils leur destin ? Il y eut 36, 37, 39, 45… 58, 68 et 78 ! Ces jeunes femmes, ces jeunes hommes qui allaient au Moulin d’Ardus en pique-nique, que sont-ils devenus ? et leurs aspirations ? Et les nôtres, pourrions-nous dire. Car nous sommes au milieu d’eux, immobiles, dans leur attente, destins enchevêtrés. Leur futur, c’est notre passé…. Et nous, peut-être, que nous fera-t-on dire dans 44 ans ? » [il y a déjà 30 ans] Un extrait de lettre de Félix Castan est jointe au dossier : « Oui, on connaît les gens qui ont posé : la fille du centre et Lilette, femme de Malrieu[1], qui donnera beaucoup d'informations. C'était le début d'une "Bande" de jeunes de 20 ans constituée sous l’impulsion d'Herment[2], un poète assez remarquable, à laquelle participait aussi Malrieu. Son histoire a été racontée par l’un et l’autre. Un jour ils sont allé chercher Panassié[3] dans son château rouergat, lequel s’est définitivement installé à Montauban. Et tout le monde s’est converti au jazz, à Ste-Thérèse de Lisieux et à quelques autres saints, pour peu de temps d'ailleurs. La Bande se disloqua vers 1941. C'est ensuite que nous avons fait la connaissance de Malrieu... Sujet inépuisable et plein de significations. Quant à la peinture, Marcelle[4] remarquait l’audace d'un peintre qui avait su percevoir cette novation qu'avait été la "création" de la plage d'Ardus (toujours vivante à 6 kms de Montauban), par la jeunesse de l’époque. Et aussi l’émancipation toute nouvelle des jeunes-filles (qui sont picturalement mieux abouties que les garçons). Marcelle en ce temps-là enviait Lilette, une blonde énigmatique qu'elle ne connaissait pas, parce qu'elle portait des soquettes (ex non des bas) et n'allait pas en classe. Cadène était, à près de 50 ans, le représentant d’une première vague intellectuelle à Montauban, qui se terminait, tandis qu'apparaissait une deuxième vague toute différente, celle qui vient jusqu'à nous. La peinture est à la charnière. Précédant 1936, il faut l’analyser sans doute autrement que comme un produit des congés payés. Cadène est un peintre très estimable. Contemporain et un peu parent du provençal Chabaud : mais avec des positions plus catégoriques, plus fortement incarnées. Il avait connu le cubisme à Paris avant 1914. Revenu blessé de la guerre, il se fixa définitivement à Montauban et vécut de sa peinture. Sa clientèle était sur place, et dans toutes tes maisons de Montauban on peut voir ses oeuvres, - je ne pense pas qu’il ait jamais exposé à Paris, ni dans des galeries. Il participait d'une véritable école picturale montalbanaise[5], avec Andrieu (qui a été le maître à penser de notre génération), Marcel Lenoir, Desnoyer, l’ébéniste Soureilhan, le ferronnier Barthélémy... (Extrait d'une lettre de Félix Castan.21/1/197)

[1] L’épouse du poète Jean Malrieu (1915-1976). C’est chez leur fils Pierre, à Penne, que Félix Castan aura, sans le que personne ne le devine, son dernier repas. [2] George Herment (1912-1969) un poète à la vie mouvementée. [3] Hugues Panassié (1912-1974) : un défenseur mondialement connu du jazz. [4] Marcelle Dulaut, peintre, était l’épouse de Félix Castan. [5] Félix Castan aimait toujours placer les peintres dans des écoles.

Page 55: Vendredi 4 juillet 2014 Benedetto et Avignon 2005

Lundi 20 juillet 2009 André Benedetto d’hier à aujourd’hui

André Benedetto d’hier à aujourd’hui Photo sérieuse de René, Jacques, Marie-France et Annette avec au fond le Théâtre des Cames. Le 9 juillet 2009 une coïncidence rassembla quelques amis au resto grec de la Place des Carmes à Avignon. Deux faisaient connaissance physiquement (internet n’est pas toujours que du virtuel), René Merle et Jacques Desmarais, tandis qu’Annette la compagne de René, Marie-France et moi-même participions à la conversation. J’étais tourné face au Cloître des Carmes quand je vis passer André Benedetto. Justement, avec René nous constations que notre premier voyage à Avignon, ce fut pour y découvrir le phénomène Benedetto, quand je le vis passer dans la rue. Nous aurions pu nous lever pour aller saluer l’artiste que nous avions eu le plaisir d’entendre longuement à Larrazet en novembre 2008 où il parla de son travail avec Félix Castan. Mais je fus stupéfait par l’apparition : j’eus la sensation de voir passer un fantôme et Annette eut ce mot amical dans sa bouche : « On dirait un petit vieux ». Quatre jours après, André décédait à l’hôpital de Nîmes du même choc qui frappa Félix Castan : un accident vasculaire cérébral qu’autrefois nous appelions une attaque. Autour de la table de la Place des Carmes, j’eus spontanément envie de rappeler l’immense dette que je dois à Benedetto et qu’à présent j’écris ici. Je me revois très bien, un soir de décembre 1973 au Théâtre des Augustins à Montauban, quand Benedetto muni d’un livre qu’il avait pris au hasard sur les étagères de ce local de la Fédération des Oeuvres laïques, annonça à la petite troupe rassemblée, qu’il allait nous démontrer ce qu’est le théâtre. Nous étions des acteurs amateurs en puissance qui devions participer à une création avec Benedetto pour le Festival d’Occitanie animé par Félix Castan. Assis en demi cercle nous

Page 56: Vendredi 4 juillet 2014 Benedetto et Avignon 2005

attentions impatient la démonstration, tandis que André jetait un œil sur le livre dont il tournait tranquillement les pages. Il s’agissait d’un livre touristique des plus ordinaires, présenté par la présidente du Conseil général aussi nous nous demandions : quel rapport entre le projet (expliquer ce qu’est le théâtre) et ce livre trop banal pour être vrai ? J’avais vingt deux ans et j’étais plus idiot encore que ce que l’on peut être à cet âge là aussi le choc en sera d’autant plus grand quand j’ai entendu Benedetto nous dire : « Je vais vous lire la préface de ce livre ! ». Et en cinq minutes, j’ai appris définitivement ce qu’est le théâtre ! Ce souvenir s’est installé en moi comme un flash ineffaçable ! Le théâtre ce n’est donc pas ce qui est écrit mais d’abord la façon de dire ce qui est écrit ! Avec à l’appui des milliers d’autres artifices. A lire ce texte banal, avec le sérieux bien connu de Benedetto, nous découvrions tout à coup une oeuvre merveilleusement comique ! En un clin d’œil, à le survoler, le comédien avait décidé de le lire sous l’angle de l’humour cher à Dario Fo un auteur que je découvrirai bien plus tard. Tout le monde s’esclaffait sans susciter le moindre sourire sur les lèvres d’André qui impertubable continuait sa lecture. Tout d’un coup il ne s’agissait pas de bien s’appliquer pour lire un texte (mettre l’intonation si scolaire) mais d’adopter un point de vue sur le texte et de le lire suivant ce point de vue. En conséquence pour jouer la pièce je n’ai jamais eu la sensation d’apprendre un texte : il s’est construit par les répétitions et rien sauf le récit croisé des témoins encore vivants (je pense à Eliane Latu pilier de l’épreuve) ne peut rendre l’essentiel de l’événement. En lisant sous la plume de Wajdi Mouawad sa création de Seuls, je découvre la même démarche. Ce que j’écris là paraîtra pour des lecteurs comme une évidence or des années plus tard j’ai vérifié que l’évidence est ailleurs ! En conférence pédagogique une IEN (inspectrice de l’éducation nationale) décida de proposer le classement de « production d’écrits » en deux parties : ceux de l’ordre de l’oral et ceux de l’ordre de l’écrit. J’ai bien sûr classé le texte d’une pièce de théâtre dans la première catégorie. Horreur ! Il n’y a pas plus livre qu’une pièce de Molière ou de Corneille me répondit-elle scandalisée ! Pour une fois j’ai essayé d’expliquer mais en vain et j’ai eu l’impression de passer pour un idiot (même si ce n’était plus celui que j’étais à vingt ans !). Ce débat nous pourrions le pousser beaucoup plus loin à travers le lien entre André Benedetto et Félix Castan tous deux venus aussi du monde de l’école primaire et liés à l’idéal communiste. Benedetto toujours du côté de la parole et en face Castan du côté de l’écrit. Pour comprendre il suffit de lire l’édition du Théâtre complet d’Olympe de Gouges proposé par Castan qui indique : « Chaque pièce est précédée ou suivie ans l’édition originale de documents sur les difficultés et les démêlés qu’elle a entraînés pour l’auteur, lesquels portent rarement sur le contenu de l’œuvre, et nous avons préféré les renvoyer à une section spéciale du quatrième volume des œuvres complètes.» Pour Castan l’essentiel c’est l’œuvre écrite or en matière de théâtre le texte ne se sépare pas des conditions de production et de réception du texte en conséquence je considère erronée le choix qui a été adopté, surtout quand on a l’occasion de se plonger dans les dites préfaces ou post-faces. En conclusion, si je peux donc me permettre un souhait, c’est que la correspondance Castan-Benedetto soit déposée aux Archives pour que des chercheurs puissent y étudier deux façons à la fois très opposées et très solidaires de concevoir la culture, un débat avec un lien plus vaste sur les conceptions de la révolution. 18-07-2009 Jean-Paul Damaggio