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INTRODUCTION Cela fait 140 ans qu’on sait tout : " Tenue longtemps cachée sous le voile du mystère, nourrie par l’empirisme, et propagée de père en fils par la tradition, l’industrie ver- rière n’a pu se développer que très lentement. Jusqu’au commencement de ce siècle, les moyens de fabri- cation se bornèrent à un nombre très restreint d’élé- ments ; le bois fut l’unique combustible ; les cendres de bois, la potasse, l’oxyde de plomb et la silice entrèrent presque seuls dans la compo- sition du verre. Mais depuis le jour où la science s’empara de cette industrie, et que les savants éminents de notre époque surent circonscrire la vitrifica- tion dans des règles immua- bles, elle a fait subitement des progrès si rapides que ses produits ont atteint un très haut degré de perfection. " Pierre Flamm, 1862 Mais l’application des connaissances laisse à désirer : " Il n’est pas, que je sache, d’in- dustrie plus hérissée d’obsta- cles et dans l’exercice de laquelle on rencontre plus de combinaisons avortées que dans la fabrication du verre. Il faut, toutefois, moins en rechercher la cause dans la dif- ficulté de mener à bonne fin un procédé chimique, que dans l’ignorance ou dans l’oubli des principes élémentaires de la physique et de la chimie. " Du même auteur Serions-nous donc mauvais ? Il est possible que tout ne soit pas de notre faute : " cependant, dans la pratique, les influences de l’atmosphère, la position géographique de l’usine, la qualité du combus- tible et des matières premiè- res, ainsi que bien d’autres circonstances imprévues obli- gent souvent le verrier à s’écarter des règles établies. " Du même auteur Et si tout simplement, on ne savait pas tout ? UN SYSTÈME CHIMIQUE TERRIBLEMENT COMPLEXE Au départ, des matières premières pulvérulentes, de granulométrie comprise entre quelques dizaines de microns à un millimètre. De l’air entre les grains de matières premières : la den- sité apparente du mélange vitrifiable est de l’ordre de 1 alors que celle de la silice (sable) est de 2.3. Un mélange à température ambiante ou à peu près. L’ensemble à pression atmosphérique, ce qui est bien la seule chose à peu près constante. Pendant, une montée en température totalement incontrôlée de 35°C à 1300 ou 1500°C sachant que tout le verre ne "voit" pas la tem- pérature maximale. La montée en température est quasiment impossible à mesurer 1 et à contrôler du M A R I E H É L È N E CHOPINET SAINT-GOBAIN RECHERCHE LES DIFFÉRENTES PHASES DE L’ÉLABORATION DES VERRES THE DIFFERENT STEPS OF GLASS MELTING The aim of this paper was to describe the principles of glass melting and underline the questions yet without answer so as to prompt new investigations in this major field of glassmaking. Countless experiments have shown that glass melting is difficult to study scientifically : the chemical system is very complex, made of solids, liquids and gases simultaneously or successively present, open, in constant evolution and this evolution is controlled more by kinetic than thermochemical effects. If one looks more closely at the physics and chemistry of the system, it can be observed that some phenomena like bubble nucleation, diffusion of species, shearing produced by bubbles, etc. are most probably very much involved in the process and that reliable models are totally lacking to describe them. Verre VOL.10 N°1 MARS 2004 30 RENCONTRES USTV Elaboration des verres 1 : Sauf en laboratoire dans certains essais bien particuliers

VERRE VOL 10 n¡1vol10-n1p30-38).pdf · liquidus est de 950 à 1100°C en fonction de la composi-tion chimique. Pourquoi sommes-nous obligés de chauffer jusqu’à 1500–1600°C

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INTRODUCTION Cela fait 140 ans qu’on sait tout :" Tenue longtemps cachéesous le voile du mystère,nourrie par l’empirisme, etpropagée de père en fils parla tradition, l’industrie ver-rière n’a pu se développerque très lentement.Jusqu’au commencement dece siècle, les moyens de fabri-cation se bornèrent à unnombre très restreint d’élé-ments ; le bois fut l’uniquecombustible ; les cendres debois, la potasse, l’oxyde deplomb et la silice entrèrentpresque seuls dans la compo-sition du verre.Mais depuis le jour où lascience s’empara de cetteindustrie, et que les savantséminents de notre époquesurent circonscrire la vitrifica-tion dans des règles immua-bles, elle a fait subitementdes progrès si rapides que sesproduits ont atteint un trèshaut degré de perfection. "Pierre Flamm, 1862

Mais l’application desconnaissances laisse àdésirer :" Il n’est pas, que je sache, d’in-dustrie plus hérissée d’obsta-cles et dans l’exercice delaquelle on rencontre plus decombinaisons avortées quedans la fabrication du verre. Ilfaut, toutefois, moins enrechercher la cause dans la dif-ficulté de mener à bonne fin unprocédé chimique, que dansl’ignorance ou dans l’oubli desprincipes élémentaires de laphysique et de la chimie. "Du même auteur

Serions-nous doncmauvais ?Il est possible que toutne soit pas de notrefaute :" cependant, dans la pratique,les influences de l’atmosphère,la position géographique del’usine, la qualité du combus-tible et des matières premiè-res, ainsi que bien d’autres circonstances imprévues obli-gent souvent le verrier às’écarter des règles établies. "Du même auteur

Et si tout simplement, onne savait pas tout ?

UN SYSTÈMECHIMIQUETERRIBLEMENTCOMPLEXEAu départ, des matièrespremières pulvérulentes, degranulométrie compriseentre quelques dizaines demicrons à un millimètre. De l’air entre les grains dematières premières : la den-sité apparente du mélangevitrifiable est de l’ordre de 1alors que celle de la silice(sable) est de 2.3. Un mélange à températureambiante ou à peu près.L’ensemble à pressionatmosphérique, ce qui estbien la seule chose à peuprès constante.Pendant, une montée entempérature totalementincontrôlée de 35°C à 1300ou 1500°C sachant que toutle verre ne "voit" pas la tem-pérature maximale.La montée en températureest quasiment impossible àmesurer1 et à contrôler du

M A R I EH É L È N EC H O P I N E TS A I N T - G O B A I N

R E C H E R C H E

LES DIFFÉRENTES PHASES DE L’ÉLABORATION DES VERRES� THE DIFFERENT STEPS OF GLASS MELTING

The aim of this paper was to describe the principles of glass melting and underline the questionsyet without answer so as to prompt new investigations in this major field of glassmaking. Countlessexperiments have shown that glass melting is difficult to study scientifically : the chemical systemis very complex, made of solids, liquids and gases simultaneously or successively present, open, inconstant evolution and this evolution is controlled more by kinetic than thermochemical effects. Ifone looks more closely at the physics and chemistry of the system, it can be observed that somephenomena like bubble nucleation, diffusion of species, shearing produced by bubbles, etc. aremost probably very much involved in the process and that reliable models are totally lacking todescribe them.

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RENCONTRES USTVElaboration des verres

1 : Sauf en laboratoire dans certains essais bien particuliers

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fait du système : les mottesde compositions sont plus oumoins isolantes, le bain desilicate liquide est plus oumoins transmissif sans comp-ter ce qu’on ne sait pas sur lechauffage par les flammes etl’éventuelle impact d’électro-des ou de bouillonneurs.

Toujours pendant l’élabora-tion, on observe la générationd’autres gaz que de l’air et ceen fonction de la température :H2O, CO2 via les réactions dedécarbonatation (par exem-ple, Na2CO3 + SiO2➝Na2O.SiO2 + CO2 vers 800 –1000°C), puis SO2 + O2 vers1200 – 1500°C.On observe la formation deliquides : Na2CO3 à 860°C,l’eutectique Na2CO3 – CaCO3à 785°C, les silicates de sodiumpuis de sodium et de calcium,Na2SO4 à 880°C si l’on affineavec le sulfate.De nombreuses phases solides,liquides et gazeuses apparais-sent et disparaissent au coursde la montée en température.En outre, on constate que l’équilibre thermodynamiqueest difficile à atteindre : la situa-tion et même le système lui-même est constamment évo-lutif, ni isotherme, ni fermé surl’extérieur. Des problèmesd’ordre cinétique se posent.Enfin, le but à atteindre estun produit final hors d’équi-libre thermodynamique

puisque le liquide refroiditsans cristalliser!

LE DÉROULEMENT DESÉVÈNEMENTS Les matières premières dedépart, oxyde de silicium(sable à 99 % SiO2) et carbo-nates, calcaire CaCO3 et car-bonate de sodium ("soude"de nos ancêtres) Na2CO3,conduisent à un silicate desodium et de calcium decomposition chimiquehomogène.D’un mélange de poudresde 0.1 à 1 mm on doit abou-tir à un liquide homogène àl’échelle de la liaison chi-mique, 1 nanomètre. La"fusion" du verre est doncbien une réaction chimiqueet pas un processus physiquecomme le terme "fusion"pourrait le laisser croire.Si l ’on examine le dia-gramme de phases du verresilicosodocalcique, on cons-tate que sa température deliquidus est de 950 à 1100°Cen fonction de la composi-tion chimique.

Pourquoi sommes-nousobligés de chaufferjusqu’à 1500–1600°C ?Un petit calcul du nombrede défauts résiduels en fonc-tion de l’état d’avancementde la réaction permet d’avancer un peu : si la réactionn’est effective qu’à 99.9 %, ilrestera dans le liquide 50 à100 grains infondus et 1 bulle de 1 mm par kilo-gramme de verre final, cequi n’est absolument pastolérable par nos clientsactuels. Leur demande estde 99.99999 % d’avance-ment de la réaction.Fondamentalement, c’estbien la raison pour laquellenous chauffons nos fours jus-qu’à ces températures biensupérieures à la températureà laquelle le verre est liquide,la température de liquidus.

Précisons un peules choses :L’énergie injectée dans unfour sert pour 50 % à chauf-fer le verre de 25 à 1500°C,30 % à effectuer la réaction

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au sein du mélange vitrifia-ble et 16 % à chauffer les gazde 25 à 1500°C. Le reste seretrouve dans des pertesthermiques.La dépense d’énergie consa-crée à chauffer verre et gaz,soit 46 %, sert donc enpartie à monter, de la tem-pérature de l iquidus à1500°C.

Et pourtant, que dit lathermochimie desréactions au sein dumélange vitrifiable ?De la réaction entre carbo-nate de sodium et silice ?La réaction de décomposi-tion de Na2CO3 ne se pro-duit pas sans SiO2 mais, parcontre, en présence de cetoxyde, la réaction pourrait seproduire même en dessousde 600°C ! (Figure 4)Or, ce n’est pas ce que nousmontrent les essais d’ATD-ATG:quand la granulométrie estnormale, autour du millimètre,aucune réaction ne sedéroule avant la fusion ducarbonate de sodium à860°C. La réaction est doncconditionnée par autrechose que la thermochimie.La cinétique des réactions enphase solide joue un rôleimportant dans le déroule-ment des événements.(Figure 5)En fait, on a affaire à un sys-tème dans lequel, en denombreuses circonstances,la cinétique réactionnelleprime sur la thermodyna-mique.La formation du silicate desodium est le début de la"silicatisation" de la fonte.Progressivement, SiO2 rem-place CO2 dans la phaseliquide.Avec le carbonate de sodium,la réaction commence à860°C. Que se passe-t-il

quand on ajoute CaCO3 ?En principe, on devrait obser-ver la formation d’un eutec-tique entre Na2CO3 etCaCO3 et donc le début duprocessus à plus basse tem-pérature. Ce n’est pas tout àfait ce qui se produit : (Figures 6 et 7)La formation du mélangeeutectique est incomplète :encore une fois, la cinétiqueprime sur la thermodyna-mique.L’apparition de la phase car-bonatée liquide est doncimmédiatement suivie de laréaction avec les grains desilice :

Na2CO3 + SiO2 ➝Na2O.SiO2 + CO2

CO2 est généré en contactavec les grains de silice et onpeut imaginer que cela accé-lère le processus de dissolu-tion : ce qui reste cependantà démontrer.

Quand tout le carbonate estdécomposé, à plus hautetempérature, au-delà de1000°C…Que reste-t-il à faire ?- dissoudre les grains desable résiduel jusqu’au der-nier (99.99999 % au moins)- homogénéiser tout le liquidesur le plan de sa chimie- éliminer tous les gaz résiduelsqui pourraient se retrouver entant que bulles dans le pro-duit final.C’est l’opération que l’onappelle "affinage" du verre.Quand elle est bienconduite, on obtient unliquide homogène, necontenant aucune inclusionsolide, liquide ou gazeuse.

" L’affinage du verre consiste àle purifier, au moyen d’unetrès haute température, long-

temps soutenue, ayant poureffet une plus grande liquéfac-tion du verre, qui permet auxgaz de s’échapper de lamasse, sous forme de bulles,et au fiel, ainsi qu’à l’excédentdes fondants de se dissiper,afin d’obtenir un verre homo-gène, dur et exempt de corpsétrangers (…) "P. Flamm - Le verrier duXIXème siècle - 1862

Le problème des bulles est liéà la viscosité du verre. Lavitesse de montée est pro-portionnelle au carré de leurdiamètre et inversementproportionnelle à la viscositédu liquide. Pour qu’ellespuissent monter il faut doncfaire gonfler les petitesbulles. Dans ce but la solu-tion la plus élégante qu’onait trouvée est de générer ungaz à haute température ausein du système. Le liquidese met en équilibre avec cegaz et les petites bulles s’enremplissent et sont éliminéesà la surface du bain de verre.Le problème des grains desable incomplètement digé-rés est aisément mis en évi-dence dans un verre sansaffinant :Même au bout de 75 minu-tes le verre contient encoredes infondus. (Figure 8)Ce problème est lié à celui del’homogénéisation du verre :

" Comme les compositionsrenferment une quantitéconsidérable de minium à l’égard du sable, en se liqué-fiant, ce verre tend à former,par sa pesanteur spécifique,plusieurs couches superposées,de différentes densités, ce quinuirait à la réfraction uniformede la lumière. Par la mêmeraison, le flint-glass doit êtrede toute pureté, de finesse etd’homogénéité parfaites,

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Figure 4. Calculs de thermochimie : réactivité du carbonate de sodium

Figure 5. ATD-ATG carbonate de sodium + silice

Figure 7. ATD-ATG carbonate de sodium + carbonate de calcium + silice

Figure 6. Eutectique Na2CO3 - CaCO3

Figure 8

avec SiO2

sans SiO2

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exempt de stries qui, en défor-mant les images, rendraient ceverre impropre aux instrumentsd’optique. "Pierre Flamm, 1862

Ou bien encore :" Il est nécessaire de mélangertoutes les parties vitrifiées defaçon intime ; or, les verressont formés de silicates decomposition définie, mainte-nus en dissolution dans dessilicates basiques qui jouent lerôle de fondants ; aussi rienn’est moins aisé que d’éviterla séparation de ces élémentshétérogènes. "Mantois cité par Henrivaux,1897

Tout cela est vrai des verresd’optique mais égalementdes verres sodocalciquescomme on peut le montrersur un verre dans desconditions suffisammentisothermes pour qu’aucuneconvection thermique ne sedéveloppe dans le creuset.Une analyse d’une carottede verre prélevée dans lecreuset révèle en effet unetrès forte hétérogénéité surla hauteur de l’échantillon,en l’absence d’affinant dansle mélange. (Figure 9)La raison : des différences dedensités entre les liquides quise forment et les solides quirestent : SiO2 par exempleest beaucoup plus "léger"que le verre sodocalcique etpeut donc flotter au sein duliquide et s’élever vers la sur-face où il va s’accumuleréventuellement.

LA NÉCESSITÉ DUBRASSAGE - PEUT-ONCOMPTER SUR LACHIMIE POURHOMOGÉNÉISER ?Théoriquement, un gradientde concentration doit

conduire à une homogénéi-sation par diffusion des espè-ces. Des essais réalisés entredeux verres de compositionchimique légèrement diffé-rente ont montré que toutesles espèces ne diffusaient pasà la même vitesse. (Figure 10)

En 5 heures à 1400°C, deuxmorceaux de verre de 1 mmd’épaisseur se mélangent,deux morceaux de 10 mm,non, à cause des difficultésde diffusion d’espècescomme Al2O3 (ou SiO2).

La diffusion ne peut pas êtrele seul mécanisme d’homo-généisation des calcins : ilfaut faire intervenir laconvection.Remplaçons un des mor-ceaux de verre par un grainde sable et nous avons unproblème similaire : la diffu-sion est sans aucun douteinsuffisante. La question estalors : comment assurer uneconvection suffisante autourdu grain et dans le verre engénéral ? Mais, quelleconvection, à quelle échelle ?La plus grande échelle, laconvection dans le four,métrique, qui étire des filetsde verre …centimétriques(?) La plus petite, celle qui estnécessaire, à l’échelle de laliaison, à l’échelle nanomé-trique ? L’écart est de 107 !!

Historiquement, lesverriers ont trouvé dessolutions : le brassage oumaclage par exemple.

" Pour obtenir toutes ces qua-lités indispensables au flint-glass, on est obligé de sou-mettre le verre à plusieursmaclages pendant qu’il estliquide ; il en résulte une visco-sité de la masse qui rend

impossible toute mise en cou-ches superposées du verre sui-vant sa pesanteur spécifique. "

" Pour obtenir l’homogénéitécomplète, il faut arriver pro-gressivement, par le moyen dubrassage, à mélanger le verrede telle sorte, qu’au bout d’uncertain nombre d’heures, il aitla même composition chi-mique et la même densitédans toutes les parties de samasse "P. Flamm, 1862

" Le maclage se produit aumoyen d’un cylindre creux, enterre à pots, cuit, ayant à sapartie supérieure un largerebord et un trou, dans lequelon peut fixer ou emmancherpromptement une barre defer, coudée, qui elle-même estsuspendue à une chaîne ourepose sur un rouleau adaptésur un chevalet posé devantl’ouvreau. On introduit lecylindre incandescent dans leverre liquide pour commencerle premier brassage. On peut imprimer au cylindreou agitateur un mouvementde va-et-vient et de rotation etagiter ainsi, dans le creuset, lamasse de verre, à ce moment-là aussi fluide que de l’eau. "(Figure 12)

" Pour ce travail, excessive-ment pénible, comme on peutle penser, quatre homme for-mant équipe se relaient decinq en cinq minutes,manoeuvrant à tour de rôlel’agitateur… pendant dix àquinze heures, en ayant soin,pendant ce temps, d’abaisserprogressivement la tempéra-ture en diminuant le feuméthodiquement. Après lespremières heures de brassage,le verre, de très fluide qu’ilétait devient de plus en pluspâteux jusqu’à acquérir une

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Figure 9. Ségrégation des éléments dans une carotte de verre obtenue en four de laboratoire

Figure 11. Pierre-Louis Guinand, 1748-1824, opticien, inventeur du procédéayant permis la fabrication de verres d’optiques homogènes, le maclage.

Figure 12

Figure 10

% SiO2

% CaO

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consistance telle qu’il devienttrès difficile de remuer l’agita-teur. Lorsqu’il n’y a plus àcraindre que la températureremonte et qu’il se produiseune nouvelle séparation deséléments du verre, on retireavec précaution l’agitateur eton jette bas les feux "(Figure 13)

Fatigant, long, compliqué etpolluant pour le verre ! Entout cas, trop compliquépour du verre ordinairecomme le sodocalcique. Leverre ne pourrait-il pas s’ho-mogénéiser tout seul,moyennant un petit coup depouce ?

" On profite de l’abaissementmomentané (de la tempéra-ture) du four (après élimina-tion du fiel) pour macler leverre fondu, afin que les cou-ches inférieures du pot vien-nent à la surface et puissentlaisser échapper leurs gaz, etque toute la masse du verreliquide acquière, par ce mou-vement, plus d’homogénéité.Pour obtenir ce mouvementsalutaire, les anciens se ser-vaient de l ’arsenic qui,plongé, en petite dose, aufond du pot, se volatilise à lahaute température, et lesvapeurs arsénieuses, remon-tant à la surface, produisentun soulèvement impétueuxdans le verre liquide. "

Et encore :" Pour notre part, nous avonssu constamment éviter l’em-ploi de l’arsenic dans la fabri-cation du verre, en introdui-sant une pomme de terre cruedans le verre liquide de chaquepot, au moment où le fiel (sel)a disparu. A cet effet on se sertd’une longue baguette en feravec manche en bois ayant aubout supérieur, légèrement

recourbé, une petite traverseen fer formant avec labaguette un T. A chacune deces pointes, on fixe la moitiéd’une pomme de terre. Enplongeant ce fer au fond dupot, il se produit instantané-ment dans la masse liquide unsoulèvement vigoureux. " Les verres de l’époque(XIXème siècle) étaient faitsà partir de sable, de sulfatede sodium et de charbon.Bien que l’excès de sulfate enait été préalablement ôté (le"fiel"), il en reste suffisam-ment en solution dans leverre pour qu’il réagisse vio-lemment en se décompo-sant au contact d’un réduc-teur…et génère unbouillonnement favorable àl’homogénéisation. On notera d’ailleurs que lesprocessus décrits, le guinan-dage, l’util isation de lapomme de terre (et du sul-fate) ou celle de l’arsenicportent tous deux le mêmenom générique, celui de " maclage " autrement dit de"cisaillement", ce qui indiquebien le sens de l’action entre-prise, le mélange.

PRINCIPES DERÉACTIONS DUSULFATE DE SODIUMET EFFICACITÉ DUPROCESSUS

SiO2 + Na2SO4 ➝Na2O.SiO2+ SO2 + 1/2 O2

La réaction se produit préféren-tiellement au contact desgrains de sable, générant desgaz ou bien quand on retirebrusquement O2 (en introdui-sant une pomme de terre parexemple). En outre, elle faitgrossir les bulles en remplissantle système de gaz (SO2 + O2selon l’état d’oxydo-réduction).

Manring écrit à son tour :" Le phénomène commenceréellement quand Na2SO4liquide commence à sedécomposer. Pendant ladécomposition les produits dela réaction sont transferés àtravers l’interface, brisant latension interfaciale et produi-sant un mouvement convectifvigoureux dans la régionproche de l’interface.” Et “cebullage soutenu produit unbrassage mécanique dans lafonte accroissant la vitesse detransfert de la matière et accé-lérant ainsi la dissolution desgrains de sable” (voir figure 8)L’effet de l’introduction desulfate dans le mélange estdonc bien une intensificationde la convection et donc dubrassage de la fonte.

On en constate d’ailleurs leseffets très facilement dansdes essais de laboratoire :les infondus disparaissentbeaucoup plus rapidementet l’homogénéité s’amé-liore considérablement (tri-angles bleus sur la figure :ajout de 0.5 % SO3 initial et0.05 % coke).(Figure 14)

On peut se rendre comptede l’influence des différentsparamètres influençant ladécomposition du sulfate desodium et donc la généra-tion de bulles et le brassage(?) en écrivant l’équilibre etsa constante :

Na2SO4 + SiO2 ➝Na2O-SiO2 + SO2 + 1/2 O2

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Figure 13

Figure 14. Profil microsonde SiO2

Figure 15 & 16 : Bulles au contact d'un grain de sable

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Le verre génère des bullesquand la somme de pres-sions partielles des gazdevient (au moins ?) supé-rieure à 1 atmosphère, ce quidépend des termes suivants :

- [Na2SO4] introduit dans lemélange vitrifiable - [SiO2] et [Na2O.SiO2 ] dansle verre (matrice)- Po2 et Pso2 pressions par-tielles des gaz dans la fonte,qu’elles soient locales dues àl’introduction d’un réducteurpuissant comme une pommede terre (Po2 chute) ou glo-bale, via l’introduction d’unréducteur dans le mélangevitrifiable ou au contact del’atmosphère de combustionou autre (Figure 15 page pré-cédente)- La température car K1baisse quand la températureaugmenteEn tout cas, la réaction seproduit à coup sûr près d’ungrain de sable ([SiO2] = 1 et[Na2O.SiO2] = 0) et d’autantplus facilement que[Na2SO4] est grand et latempérature élevée.(Figure 16 page précédente)Cette formation des bullesau contact des grains desable pourrait bien être undes phénomènes accélérantl’élaboration… Saurait-on le"calculer" ?De manière générale, sau-rait-on aussi calculer le bras-sage effectué par une bulle ?

UN MÉCANISME AUTO-ENTRETENU, NÉDE L’HÉTÉROGÉNÉITÉDE DÉPART DU SYSTÈMEToute hétérogénéité - chimique (teneur ponc-tuelle en SiO2 trop élevée ouNa2O trop faible, teneurponctuelle en sulfate tropgrande)- d’oxydo-réduction (pré-

sence d’un réducteur ousimplement d’un verre plusréduit que la moyenne)- en température (pointchaud)conduit à un phénomène dedécomposition et de recom-binaison du sulfate qui parti-cipe à l’homogénéisation dusystème.

En effet, les bulles créées parune hétérogénéité locale onttoutes les chances de pou-voir se résorber un peu plusloin et contribuer de nou-veau à l’homogénéisationultérieurement.Le même phénomène assureaussi l’équilibre des bullesprésentes … et les gonfle deSO2/O2 : elles peuvent ainsimonter plus facilement versla surface et disparaître.

De manière plus générale…Quel est le degré d’hétéro-généité nécessaire audéclenchement de la réac-tion ? - écart d’état d’oxydo-réduction- écart de teneur en silice ouen Na2O- montée en température - écart de concentration enSO3

La contribution du four n’estpas à négliger non plus :La circulation des bullesassure un brassage : laconvection aussi, bien sûr,dans un four !Les zones différentes du sys-tème et donc potentielle-ment réactives se trouventen contact, et peuvent ainsiréagir, augmentant le degréd’homogénéité de l’ensem-ble. On a affaire à un pro-cessus relativement auto-entretenu.Le problème, en ef fet ,peut être d’assurer que le

phénomène se produise jus-qu’à l’obtention du résultat,un liquide parfaitementhomogène et débarrassé deses bulles de CO2 résiduelles.Hormis par expérience, nousne savons pas actuellement :quelle est l’efficacité d’unebulle circulant dans leliquide ? Combien de bullessont nécessaires pour l’équi-librage complet ?Le mécanisme d’interactionavec le verre ? On connaîtrelativement bien la thermo-chimie du système (les cons-tantes d’équilibre), doncl’état final à atteindre et onsait donc repérer les déséqui-libres mais on ne connaît pasaussi bien la cinétique d’éta-blissement de l’équilibre etnon avons vu au début quedans le verre, ce n’était passimple.

Le processus de recyclage dusulfate dépend de la vitessede la bulle par rapport à lavitesse d’échange avec leverre et donc, entre autresparamètres, de la hauteur deverre, par exemple.

CONCLUSIONEn bref, il reste encorepas mal de questions nonrésolues, dont certainessont certainement trèsmal posées !

" Mais depuis le jour où lascience s’empara de cetteindust r ie , e t que lessavants éminents de notreépoque surent circonscrirela vitrification dans desrègles immuables, elle afait subitement des progrèssi rapides que ses produitsont atteint un très hautdegré de perfection. "

Finalement, c’est pourquand ? �

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RENCONTRE USTV > Elaboration des verres