56
VERS UNE NOUVELLE CONCEPTION DE LA RELATION SOIGNANT-SOIGNÉ PARTICIPATION DU PATIENT ET DU CITOYEN À L'EVOLUTION DU SYSTEME DE SANTÉ SE REAPPROPRIER SON CORPS VERS UNE RESPONSABILI- SATION ACCEPTABLE DES LIEUX D'EXPÉRIENCES INNO- VANTES ET PROMETTEUSES Volume 19 - hors série - 2000

VERS UNE NOUVELLE CONCEPTION DE LA RELATION ...ergotooletp.e-monsite.com/medias/files/bep-2000-hs.pdfVERS UNE NOUVELLE CONCEPTION DE LA RELATION SOIGNANT-SOIGNÉ PARTICIPATION DU PATIENT

  • Upload
    others

  • View
    5

  • Download
    0

Embed Size (px)

Citation preview

Page 1: VERS UNE NOUVELLE CONCEPTION DE LA RELATION ...ergotooletp.e-monsite.com/medias/files/bep-2000-hs.pdfVERS UNE NOUVELLE CONCEPTION DE LA RELATION SOIGNANT-SOIGNÉ PARTICIPATION DU PATIENT

VERS UNE NOUVELLE CONCEPTION DE LA RELATIONSOIGNANT-SOIGNÉ PARTICIPATION DU PATIENT ET DUCITOYEN À L'EVOLUTION DU SYSTEME DE SANTÉ SEREAPPROPRIER SON CORPS VERS UNE RESPONSABILI-SATION ACCEPTABLE DES LIEUX D'EXPÉRIENCES INNO-VANTES ET PROMETTEUSES

Volume 19 - hors série - 2000

Page 2: VERS UNE NOUVELLE CONCEPTION DE LA RELATION ...ergotooletp.e-monsite.com/medias/files/bep-2000-hs.pdfVERS UNE NOUVELLE CONCEPTION DE LA RELATION SOIGNANT-SOIGNÉ PARTICIPATION DU PATIENT

PUBLICA TION TRIMESTRIELLE

Les articles publiés reflètent les opinions de leur(s) auteur(s), mais pas nécessairementcelles des responsables du BEP. Ils peuvent être reproduits moyennant la citation des sources

et l'envoi d'un exemplaire de la reproduction ou de la citation à la rédaction.

BULLETIN D'EDUCATION DU PATIENT À SA MALADIE ISSN = 0777-0898

EDIT

OR

IALREDACTEUR EN CHEF :

- Jean-Luc Collignon*;COORDINATION ET SECRÉTARIATDE REDACTION :- Anne Malice*;COMITÉ DE RÉDACTION :- Jean-Luc Collignon*;- Marie-Madeleine Leurquin*;- Anne Malice*;- Alain Schoonvaere*;- Aurore Vincent*.COMITE DE LECTURE :- Pr Jean-Philippe Assal (Suisse);- Pr Alain Deccache (Belgique);- Pr Jean-François d'Ivernois (France);- Dr Rémi Gagnayre (France);- Dr Alain Golay (Suisse);- Mr Stéphane Jacquemet (Suisse);- Pr Michel Mercier (Belgique).

ILLUSTRATION ET MISE EN PAGE :- Emmanuel Lefebvre*.

SECRÉTARIAT ET TRAITEMENT DE TEXTE :- Pierrette Honnay*;- Annie Pennetreau*;- Régine Roba*.

IMPRIMERIE :- NUANCE 4, Rue des Gerboises 5,

Zoning Industriel B-5100 NANINNETél. : 081 / 40 85 55 Fax : 081 / 40 85 50

EDITEUR RESPONSABLE :- Pr. Patrick De Coster, Avenue Dr. Thérasse, 1,

B-5530 Yvoir.

* : Centre d'Education du Patient.

Pour vous abonner, il vous suffit d'effectuer le paiement en Francs Belges, en Francs Français,ou en Euros avec la communication : «Abonnement BEP».

Pour la Belgique : par virement bancaire au n° de compte de la BACOB 796-5303234-18.Pour la France : par chèque bancaire ou postal à l'ordre du Centre d'Education du Patient ou

par virement bancaire au n° de compte de la Société Générale 30003-00581-00037270119-52.Pour les autres pays : par chèque bancaire international ou chèque tiré sur une banque belge.

Pour plus de renseignements, Tél. : ++ 32 (0)82 61 46 11 (Centre d'Education du Patient).

ONT CONTRIBUÉ À LA JOURNÉE IPCEM 99- Olivier Abel- Jean-Philippe Assal- Laurence Banoun- Philippe Barrier- Charles Boelen- Jacques Bury- Rémi Gagnayre- Jean-François d'Ivernois- Michelle Martini- Yves Magar

Pour plus de renseignements sur l’IPCEM :IPCEM, site Bayer - Tour Horizon, 52, quai de Dion-Bouton, F-92807 Puteaux Cedex.Tél. : ++ 33 (0)1 49 06 56 24 - Fax : ++ 33 (0)1 49 06 84 75E-mail : [email protected]

- Alain-Charles Masquelet- Joël Ménard- Etienne Mollet- Bernadette Oberkampf- Gérard Reach- Pierre-Yves Traynard- Monique Vicariot- Georges Vigarello- François Zito

*Veuillez nous parvenir une photocopie de votre carte d'étudiant en même temps que votre demande d'abonnement.

300 Bef 1200 Bef 900 Bef 750 Bef

7,44 Euros 29,75 Euros 22,31 Euros 18,59 Euros

48,8 Frf 195,1 Frf 146,3 Frf 121,9 Frf

TARIFS ET ABONNEMENTS 2000ABONNEMENT D’UN ANAU NUMÉRO

INSTITUTION INDIVIDUEL ETUDIANT*

Page 3: VERS UNE NOUVELLE CONCEPTION DE LA RELATION ...ergotooletp.e-monsite.com/medias/files/bep-2000-hs.pdfVERS UNE NOUVELLE CONCEPTION DE LA RELATION SOIGNANT-SOIGNÉ PARTICIPATION DU PATIENT

1

Bulle

tin d

'Educa

tion d

u P

atie

nt, V

ol. 1

9 - H

ors sé

rie - 2

000

INTRODUCTION AU COLLOQUE

INTERVENANTS :

Pr Rémi Gagnayre et Pr Jean-François d'Ivernois Page 3

Page 4: VERS UNE NOUVELLE CONCEPTION DE LA RELATION ...ergotooletp.e-monsite.com/medias/files/bep-2000-hs.pdfVERS UNE NOUVELLE CONCEPTION DE LA RELATION SOIGNANT-SOIGNÉ PARTICIPATION DU PATIENT

2

Bulle

tin d

'Educa

tion d

u P

atie

nt, V

ol.

19 -

Hors

série -

2000

L’IPCEM fête ses 10 ans

L’IPCEM est un Institut agréé par la FormationProfessionnelle Continue (France).Créé, il y a 10 ans, avec le soutien des laboratoiresBAYER, l’IPCEM a déjà formé plus de 1000professionnels de santé travaillant dans plus de 250institutions de santé.

Ses formations

L’IPCEM en organise de plusieurs types :- Des cycles de formation pédagogique dans les

domaines du diabète, de l’asthme, de l’hémophilieet des risques cardio-vasculaires. Elle forme lepersonnel soignant chargé de l’éducation desenfants, quelle que soit la pathologie chronique encause. Les cycles comprennent 2 à 3 forums de 2à 3 jours. Ils sont organisés sur 6 à 9 mois.

- Des formations-conseil au sein même des lieux desoins : les forums «Développement».

- Des formations de 3 jours destinées aux décideurschargés d’organiser eux-mêmes des programmesd’éducation : les forums «Unité d’éducation».

- Des formations de 2 jours destinées aux anciensstagiaires de l’IPCEM : les forums«Perfectionnement pédagogique».

Ses colloques

L’IPCEM organise, chaque année, un colloque sur unthème de recherche dans le domaine des sciencesde l’éducation.En 1999, pour ses 10 ans, l’IPCEM organisait uncolloque à l’UNESCO sur le thème «Educationthérapeutique du Patient : vers une Citoyenneté deSanté», dont vous pouvez bénéficier des Actes.La prochaine «Journée de l’IPCEM» aura lieule 23 juin 2000.Depuis plusieurs années, les Actes de ces journéessont publiées dans le Bulletin d’Education du Patient(BEP).

Ses éditions

L’IPCEM a édité plusieurs documents :- L’annuaire des mémoires de recherche (réalisés par

les stagiaires IPCEM).- L’«Hypopuzzle» : support pédagogique destiné à

l’éducation thérapeutique des enfants diabétiquesde 3 à 10 ans.

Page 5: VERS UNE NOUVELLE CONCEPTION DE LA RELATION ...ergotooletp.e-monsite.com/medias/files/bep-2000-hs.pdfVERS UNE NOUVELLE CONCEPTION DE LA RELATION SOIGNANT-SOIGNÉ PARTICIPATION DU PATIENT

3

Bulle

tin d

'Educa

tion d

u P

atie

nt, V

ol. 1

9 - H

ors sé

rie - 2

000

des décisions concernant sa santé. Le patient devientplus connaissant et animé d’un sens critique. Il sollicitedes informations et en retour, il participe à la préventionde son «capital santé». Il en découle une relationpatient - soignant qui confère aux deux partenaires lestatut d’apprenant. Soigner et être soigné, c’est seconsidérer en apprentissage à de nouvellespotentialités, à de nouvelles normes, à de nouveauxprojets de vie.

Ces changements ne relèvent pas uniquement de lamédecine. Ils sont aussi l’expression d’une sociétéqui interpelle la médecine dans ses finalitéstechniques, sollicite des débats qui jusqu’alors étaientréservés aux seuls spécialistes. La collectivité seréapproprie la problématique de la santé, considèrequ’elle a un point de vue à exprimer dont il faut tenircompte. L’éducation thérapeutique constitue unepratique qui offre les conditions de cette implicationcitoyenne. D’où le titre de ce colloque : «Educationthérapeutique des patients : vers une citoyenneté desanté».

C’est ainsi que son programme a voulu portertémoignage de ces changements, refléter l’esprit quianime ce partenariat. Les communications sontprésentées dans l’ordre de programmation ducolloque. Un lecteur attentif se rendra compte combien

Le partenariat entre l’association IPCEM et le CentreCollaborateur de l’Organisation Mondiale de la Santépour le développement des ressources humaines ensanté de l’UFR SMBH de Bobigny (UniversitéParis 13) s’explique par le fait que les deux structuresconcourent selon leur domaine d’activité à promouvoirl’éducation thérapeutique des patients.

La première intervient auprès des praticiens del’éducation du patient. Elle conçoit et organise desformations, des journées scientifiques, l’accompa-gnement pédagogique des soignants dans lesstructures de santé.

Le centre collaborateur OMS a pour but de sensibiliserles responsables de santé à l’éducation thérapeutiqueafin qu’ils en intègrent les principes et les modalitésdans la définition des politiques de santé.

Ces deux structures sont largement complémentaires.Chacune d’elles signale et initie les changementsqu’entraîne l’acte d’éduquer un patient. Ceschangements concernent la transformation du statutet du rôle des acteurs de santé.

Le soignant ne peut plus totalement se substituer aupatient, faire à sa place, penser à sa place. Il doit l’aidermaintenant à assurer ses propres soins et prendre

Bulletin d'Education du Patient,Vol. 19 - Hors série - 2000.

Education thérapeutique du Patient :vers une Citoyenneté de Santé

Introduction au Colloque

17 septembre 1999, UNESCO, Paris

par Rémi Gagnayre (1) et Jean- François d’Ivernois (2)

«Soigner et être soigné, c’est seconsidérer en apprentissage à denouvelles potentialités, à denouvelles normes, à de nouveauxprojets de vie.»

Mots-clés : Educationthérapeutique du Patient,citoyenneté, politique desanté, participation,autonomie.

(1) Médecin, Professeur, Conseillerpédégogique à l’IPCEM, Maître deConférences de Sciences del’Education,

(2) Médecin, Professeur de Sciencesde l’Education, Président de l’IPCEM,

Centre collaborateur OMS pour lespersonnels de santé, Département depédagogie des siences de la santé,UFR Bobigny, Université Paris-Nord,Rue Marcel Cachin, 74, F-93017Bobigny CedexTél. : ++ 33 (0)1 48 38 76 41Fax : ++ 33 (0)1 48 38 76 19E-mail : [email protected]

La collectivité se réapproprie laproblématique de la santé,considère qu’elle a un point de vueà exprimer dont il faut tenircompte. L’éducation thérapeutiqueconstitue une pratique qui offre lesconditions de cette implicationcitoyenne.

Page 6: VERS UNE NOUVELLE CONCEPTION DE LA RELATION ...ergotooletp.e-monsite.com/medias/files/bep-2000-hs.pdfVERS UNE NOUVELLE CONCEPTION DE LA RELATION SOIGNANT-SOIGNÉ PARTICIPATION DU PATIENT

4

Bulle

tin d

'Educa

tion d

u P

atie

nt, V

ol.

19 -

Hors

série -

2000

les contenus des interventions se renvoient l’un àl’autre signalant une cohérence de l’analyse de la partdes différents intervenants.

Les recommandations del'OMS et ses implications pour

les politiques de santé

Le premier volet des communications traite desrecommandations actuelles de l’Organisation Mondialede la Santé et ses implications pour les politiques desanté. Joël MÉNARD explique, en tant qu’ancienDirecteur Général de la Santé, les conditionsnécessaires pour que le pouvoir législatif prenne actede la réalité mouvante d’une société. Il anticipe ce quedira d’une autre manière Jacques BURY. Cette prisede conscience, il en fournit des exemples avec le travailaccompli sous sa direction, au Ministère de la Santé,pour obtenir la reconnaissance de l’éducationthérapeutique.Il souligne que du point de vue d’un Directeur Généralde la Santé, l’éducation thérapeutique est un exemplesignificatif du changement des conceptions de santéque toute politique de santé à venir devrait pouvoirprendre en compte. C’est ainsi que la plus grandeaccessibilité aux informations sanitaires par internet,la nécessité que le médecin établisse une relation avecson patient sur des bases scientifiques de moinsgrande certitude sont des paramètres qui devraientinfluencer la conception des prochaines politiques desanté.

Un des signes concrets de cette prise de consciencedes institutions de santé, Jean Philippe ASSALl’évoque pour nous. Il s’agit de l’édition du rapporttechnique OMS-Europe. Ouvrage collectif, initié partrois centres collaborateurs de l’OMS (Genève,Bobigny, Louvain), il a pour but de constituer uneréférence pour les responsables de santé quisouhaiteraient développer des programmes deformation à l’Education Thérapeutique du Patient. Cerapport Jean-Philippe ASSAL le considère commeunique parce qu’à l’inverse d’autres rapportstechniques de l’OMS, il concerne plusieurspathologies. Il rappelle qu’il est le fruit de l’expériencede cliniciens, de spécialistes de l’éducation qui se sontinterrogés sur les limites des approches médicalesclassiques pour prendre en charge des maladieschroniques. Il souligne comme plus loin Alain CharlesMASQUELET et Gérard RÉACH le rôle fondamentaldu clinicien pour aider le patient à interpréter son corps.

Charles BOELEN resitue les concepts d’éducation dupatient et de la citoyenneté de santé dans uneapproche globale des soins telle qu’elle est promuepar l’Organisation Mondiale de la Santé. Une nouvellefois, la participation des citoyens est sollicitée,souhaitée de sorte que le système de santé allie quatrevaleurs : la qualité, l’équité, la pertinence et le coût-efficacité.

Les trois conférenciers évoquent chacun à leur façonla complexité de l’évolution du système de santé dans

lequel le citoyen est considéré comme acteur, tout àla fois responsable et bénéficiaire. Si jusqu’à présent,sa participation demeurait modeste, c’est que lesystème de santé était centré sur la maladie. Sonrééquilibrage au profit de la préservation de la santéa comme conséquence que des débats réservésautrefois aux spécialistes, s’ouvrent à l’ensemble desacteurs de la société.

Histoiredes pratiques de santé

Si l’éducation thérapeutique constitue une pratiqueconcrétisant ces nouveaux échanges, les historiensnous enseignent qu’elle s’inscrit dans une longuehistoire des rapports entre la médecine et l’éducation.Cet éclairage constitue le second volet du colloque.

Jacques BURY souligne le rôle subversif del’éducation pour la santé du patient et de l’éducationthérapeutique depuis une trentaine d’années. Cesformes d’éducation concourent, selon son expressionà «une démocratie sanitaire» faisant partie intégralede la démocratie sociale. L’éducation représente unélément important d’une stratégie pour fairedisparaître des zones de non droit comme peut l’êtrel’hôpital lorsqu’il nie l’expérience, le projet de vie dupatient. L’éducation permet un processus deréappropriation par les citoyens d’un objet de sociététrop souvent confisqué et monopolisé. L’éducationthérapeutique intervient alors comme le moyen dedonner sens et possibilité d’action autonome aupatient.

Pour nous aider à comprendre cette lecture actuellede l’éducation thérapeutique, Alain-CharlesMASQUELET et Georges VIGARELLO nousmontrent que cette pratique répond à une nécessitéhistorique et qu’elle n’est pas, comme l’écrit Alain-Charles MASQUELET, «l’effet d’un mouvement debonté d’une médecine désormais soucieuse de sonimage …».Pour ce dernier, il est possible de se référer aux écritsde DESCARTES pour montrer comment il estpossible d’objectiver le corps tout en laissant la placeà «une médecine fondée sur l’expérience empiriquequotidienne qui permet à chacun d’être son propremédecin». Selon, Alain Charles MASQUELET, ilsemble que nous touchions là une problématiqueactuelle de l’éducation thérapeutique. En cela, il rejointles conférenciers précédents lorsqu’il considèrel’éducation thérapeutique comme conséquenceobligée d’une réappropriation de son corps par lepatient lui-même après que la médecine du XIXème etXXème siècle ait construit son intervention et salégitimité sur un corps confisqué.

Georges VIGARELLO décrit les grandes périodes quimarquent le rôle attendu par le patient. Il montrecomment se forge au cours du XVIIIème siècle latechnicité du médecin et émerge parallèlement lanotion d’éducation du patient. Mais cette éducationest souhaitée par le médecin. Elle s’inscrit dans la

L’éducation permet un processusde réappropriation par lescitoyens d’un objet de société tropsouvent confisqué et monopolisé.L’éducation thérapeutiqueintervient alors comme le moyende donner sens et possibilitéd’action autonome au patient.

L’éducation actuelle est autantsollicitée par les patients et lasociété que par le corps médical.Cette inversion des demandesconstitue un changementhistorique qui témoigne unenouvelle fois de ce mouvement deréappropriation.

Page 7: VERS UNE NOUVELLE CONCEPTION DE LA RELATION ...ergotooletp.e-monsite.com/medias/files/bep-2000-hs.pdfVERS UNE NOUVELLE CONCEPTION DE LA RELATION SOIGNANT-SOIGNÉ PARTICIPATION DU PATIENT

5

Bulle

tin d

'Educa

tion d

u P

atie

nt, V

ol. 1

9 - H

ors sé

rie - 2

000

vision de la santé du médecin et de son rapport avecle patient. Il s’agit donc d’une éducation pour seconformer aux préceptes médicaux. Cependant,souligne Georges VIGARELLO, l’EducationThérapeutique du Patient tel que nous la définissonsaujourd’hui ne porte pas le même projet. L’une desdifférences les plus significatives et la placequ’accordent nos sociétés à la consommation et à laresponsabilité de chacun. Placés devant des choix quiconcernent leur santé, les patients sollicitent uneéducation pour pouvoir les opérer d’une manièreéclairée. L’éducation actuelle est autant sollicitée parles patients et la société que par le corps médical.Cette inversion des demandes constitue unchangement historique qui témoigne une nouvelle foisde ce mouvement de réappropriation.

Point de vue des praticiens

Le rapport historique entre l’éducation, le corps, lamaladie et la santé, comme témoignage deconceptions, d’objets de pouvoir, comme trace del’implication de la société, de milieux professionnelsdans les enjeux de santé, nous les retrouvons dansles expériences actuelles des praticiens. Ellesconstituent le troisième volet de ce colloque.Médecins, diététiciens, directrice de centre climatiquesont impliqués dans la prise en charge des patientsdiabétiques, asthmatiques, hémophiles. Tous relatentleur parcours d’éducateur, les obstacles qu’ilsrencontrent dans la mise en œuvre de cette éducation.Ils illustrent la nécessaire transformation de leuridentité de soignant et les résistances institutionnellesà l’implantation de l’éducation thérapeutique. Ilsracontent leurs échecs. Cependant, tous ont un pointcommun. Portés, semble-t-il, par le sens de cettehistoire évoquée plus haut, ils n’ont jamais considéréque leur projet d’éducation était irréaliste. Convaincus

par la pertinence historique de leur initiative, ils ontcréé les espaces qui sont aujourd’hui les lieuxd’expériences innovantes et prometteuses.

Approches philosophiques

Les interrogations des praticiens dépassent largementle champ de l’Education Thérapeutique du Patient. Aucours du dernier volet du colloque, les philosophesnous aident à y répondre. Tous les trois nousaccompagnent vers un questionnement fondamental.

Gérard RÉACH nous invite à repenser sur ce que nousnommons l’observance thérapeutique du patient. Ennous interrogeant sur ce qui fonde l’action volontairedu patient, il nous rappelle un principe majeur del’apprentissage selon lequel les règles qu’on utilisesont celles que l’on a découvertes par l’expérience.S’appuyant sur les théories de l’action volontaire, ilconclut que c’est le partage des croyances de santéqui selon lui constitue l’étape essentielle d’uneéducation. Ce partage peut permettre de comprendrela genèse des actions d’observance ou de non-observance thérapeutique. Dès lors, dans uneéducation centrée sur l’autonomie du patient, la non-observance ne serait-elle pas le témoin d’unerésistance à être éduqué, c’est-à-dire la premièreétape d’une réappropriation ?

Le partage des croyances de santé est remis enperspective par l’intervention d’Olivier ABEL. Cedernier attire notre attention sur la singularité dechaque patient, son altérité.Il nous met en garde vis à vis d’un modèlephilosophique trop marqué de la notion deresponsabilité de la personne qui conduirait pour finirà écraser le patient.À l’opposé, les approches philosophiques de la morale,

Dans une éducation centrée surl’autonomie du patient, la non-observance ne serait-elle pas letémoin d’une résistance à êtreéduqué, c’est-à-dire la premièreétape d’une réappropriation ?

L'Education du thérapeutique dupatient vise à- augmenter sa «capacité

interprétative» et à pouvoir enfaire état;

- l'aider à verbaliser son corps.

Page 8: VERS UNE NOUVELLE CONCEPTION DE LA RELATION ...ergotooletp.e-monsite.com/medias/files/bep-2000-hs.pdfVERS UNE NOUVELLE CONCEPTION DE LA RELATION SOIGNANT-SOIGNÉ PARTICIPATION DU PATIENT

6

Bulle

tin d

'Educa

tion d

u P

atie

nt, V

ol.

19 -

Hors

série -

2000

de la fragilité, de la victimisation dont découlent desinstitutions sur-protectrices, n’offriraient pas lesconditions d’un apprentissage à une «responsabi-lisation acceptable».

Il ne s’agit donc pas d’osciller entre ces deuxphilosophies mais de les associer dans un processuséducatif. Il faut développer une éducation de la tensionentre deux pôles apparemment opposés. Pour cela,Olivier ABEL nous propose d’augmenter chez lepatient sa «capacité interprétative «et à pouvoir en faireétat. L’intention de faciliter l’apprentissage du patientà interpréter son traitement et ses signes ne nousrenvoie-t-elle pas à l’objectif clinique de Jean-PhilippeASSAL d’aider le patient à verbaliser son corps ? Enfondant l’acte d’éduquer sur le respect de la potentialitédu patient à gérer cette tension, nous éveillerions chezlui sa gamme interprétative de ses événements de viel’aidant à mieux décider.

Dans cette approche philosophique, PhilippeBARRIER nous invite à réfléchir le parcours de vie.«Diabétique honoraire» comme il se plaît à seprésenter, il propose tout au long de son texte desrepères pratiques pour mieux accompagner lespatients. Reprenant comme Olivier ABEL la notionselon laquelle l’éducation n’est pas un processus figé,il plaide pour une éducation réciproque dans laquellele patient n’est pas implicitement et toujours celui qui

ne sait pas. Il s’érige contre l’infantilisation, larecherche d’une autodiscipline du patient qui n’a rienà voir avec l’autonomie souhaitée d’un sujet-patient.

Pour conclure

L’ensemble de ces textes témoigne de la multiplicitédes grilles de lecture de l’Education Thérapeutique duPatient. Cependant, il existe des fortes convergences.Nous n’en retiendrons que quelques-unes. Toutd’abord, éduquer le patient relève d’une nécessitéhistorique. Pour éviter que cette éducation serveactuellement une politique qui voudrait toutresponsabiliser ou tout victimiser, il est fondamentalqu’elle soit mise au service du patient en l’amenant àl’exercice d’une «responsabilité acceptable». Aussi,doit-elle pouvoir s’appuyer sur une médecine qui offreles conditions de la réappropriation par le patient deson corps tandis que la santé deviendrait un véritableobjet citoyen. Cette éducation doit aider le patient àobjectiver son corps, à découvrir ses croyances et àl’aider à reconstruire une histoire de vie. Elle doitl’accompagner dans la réalisation de ses choix, de sesactes autonomes. Enfin, comme dans toute éducation,elle doit selon l’expression de Philippe BARRIER lepréparer à son rôle de guetteur de démocratie et deliberté.

Cette éducation doit aider lepatient à objectiver son corps, àdécouvrir ses croyances et àl’aider à reconstruire une histoirede vie. Elle doit l’accompagnerdans la réalisation de ses choix,de ses actes autonomes. Enfin,comme dans toute éducation, elledoit selon l’expression dePhilippe Barrier le préparer à sonrôle de guetteur de démocratie etde liberté

Le patient n'est pas implicitementet toujours celui qui ne sait pas.

Page 9: VERS UNE NOUVELLE CONCEPTION DE LA RELATION ...ergotooletp.e-monsite.com/medias/files/bep-2000-hs.pdfVERS UNE NOUVELLE CONCEPTION DE LA RELATION SOIGNANT-SOIGNÉ PARTICIPATION DU PATIENT

7

Bulle

tin d

'Educa

tion d

u P

atie

nt, V

ol. 1

9 - H

ors sé

rie - 2

000

THÈME 1 :

L’Education thérapeutique du Patient, lesrecommandations de l’Organisation

Mondiale de la Santé :

Implication pour les politiquesde santé

INTERVENANTS :

Pr Joël Ménard Page 8

Dr Charles Boelen Page 11

Pr Jean-Philippe Assal Page 14

Page 10: VERS UNE NOUVELLE CONCEPTION DE LA RELATION ...ergotooletp.e-monsite.com/medias/files/bep-2000-hs.pdfVERS UNE NOUVELLE CONCEPTION DE LA RELATION SOIGNANT-SOIGNÉ PARTICIPATION DU PATIENT

8

Bulle

tin d

'Educa

tion d

u P

atie

nt, V

ol.

19 -

Hors

série -

2000

Mesdames, messieurs, je suis heureux d’avoir pu mejoindre à vous grâce à l’invitation du Pr d’IVERNOIS.

Dans mon exposé, je souhaiterais vous montrer deuxpoints de vue.

Tout d’abord, je vous donnerai le point de vue de laDirection Générale de la Santé, au cours des deuxannées passées, dans la suite des recommandationsde la Conférence Nationale de Santé dont je me suisoccupé entre 1996 et 1999. Tout le travail de réflexionqui a lieu en France depuis deux ans sur l’EducationThérapeutique du Patient se poursuit exactementcomme avant. Les directeurs passent mais les chosesimportantes continuent.

Dans un deuxième temps, je vous donnerai un pointde vue de professionnel. Pourquoi ? En venanttravailler avec vous, je me suis en effet rendu compteque je n’avais pas très bien saisi toutes les finessesde l’éducation du patient, alors que je soigne deshypertendus depuis 25 ans et que j’étaispersonnellement responsable d’environ 12.000personnes au cours de cette période. Je vais vousdire quelle est ma position de professionnel venu d’unautre milieu et qui n’a jamais eu la chance de participerà vos réunions avant d’être Directeur Général de laSanté, sauf des discussions avec Pr d’IVERNOISdans les années 83, 84, 85 où, à Bobigny, il s’efforçaitvraiment de faire un travail qui était, à l’époque, tout àfait pionnier et extrêmement utile pour notre pays.

Quels ont été les objectifsde la Direction Générale

de la Santé ?Reconnaissance professionnelle et

valorisation financière

Le premier objectif a été dedonner une reconnais-sance professionnelle etune valorisation financièreaux actes non techniquesayant démontré leur effica-cité sur des événementsde signification clinique in-discutable (morbidité etmortalité) ou sur des para-mètres intermédiaires, dé-montrés comme étant liésaux effets terminaux quesont la prévention de lamorbidité ou de la morta-lité.

Nous avons donc très clairement voulu individualiserce qui avait démontré son efficacité par des métho-des scientifiques. Nous avons également voulu trou-ver le système pour que ceci puisse être accepté surle plan financier en particulier, dans les établissementshospitaliers publics et privés et dans le secteur libé-ral. Ces actes concernent aussi bien l'enseignementà des individus ou en groupe, qu'il soit assuré par dupersonnel médical ou du personnel paramédical.

Pour introduire cela dans un pays et aboutir à unereconnaissance financière dans le contexte actuel, ilfaut premièrement qu’il y ait une volonté politique, cequi était le cas et ce qui est certainement encore lecas. Deuxièmement, il faut que l’ensemble desDirections d’Administration concernées et les Caissesd’Assurance - Maladie travaillent ensemble. Del’expérience, finalement assez brève, que j’ai del’administration, ce paramètre du travail en communn’est pas toujours simple à générer. Sur cet objectifse retrouvent aujourd’hui la direction des hôpitaux, laDirection de la Sécurité Sociale, la Direction Généralede la Santé et l’ensemble des Caisses d’Assurance-Maladie.De temps en temps, j’ai entendu des professionnelsdire : «Mais que se passe-t-il ? On devrait faire ci, ondevrait faire ça.» Très bien. Chacun défend, bien sûr,son point de vue, le valorise. Mais il faut bien que vousvoyiez que l’ensemble du corps de santé a ses proprespriorités et vient toujours demander que ses propresactions soient valorisées, et ceci, bien évidemment,au milieu de multiples choix.

Préciser les conditionsd'exercice professionnel

Le deuxième objectif de la Direction Générale de laSanté a été, avec votre aide, de préciser les conditionsd’exercice professionnel nécessaires à l’application enpratique courante des études scientifiques ayantdémontré l’efficacité de l’éducation thérapeutique. Ces

conditions s'obtiennent par lanégociation.L’objectif des groupes detravail de la DirectionGénérale de la Santé a doncété progressivement dechercher comment recon-naître les personnels quiseraient certifiés, habilités àdonner cet enseignement àl’intérieur des hôpitaux et enville.Croyez-moi, il était totalementimpossible d’introduire dansun intervalle de temps, dedeux ans (ce qui semble long

L'Education thérapeutique du Patient :points de vue du décideur

politique et du professionnelpar Joël Ménard (1)

Bulletin d'Education du Patient,Vol. 19 - Hors série - 2000.

(1) Professeur de médecine, ancienDirecteur Général de la Santé (DGS),Hôpital Européen Georges Pompidou,Département Santé Publique(ouverture en juillet 2000),Rue Leblanc, 20, F-75015 Paris.

Mots-clés : Educationthérapeutique du Patient,reconnaissanceprofessionnelle, valorisationfinancière, «evidence basedmedecine», communicationdes risques, doute actif,gestion des incertitudes,France.

Page 11: VERS UNE NOUVELLE CONCEPTION DE LA RELATION ...ergotooletp.e-monsite.com/medias/files/bep-2000-hs.pdfVERS UNE NOUVELLE CONCEPTION DE LA RELATION SOIGNANT-SOIGNÉ PARTICIPATION DU PATIENT

9

Bulle

tin d

'Educa

tion d

u P

atie

nt, V

ol. 1

9 - H

ors sé

rie - 2

000

mais qui, en fait, est très bref) un acte qui va mettreen jeu la nomenclature des actes médicaux, le budgetdes hôpitaux, les contrats d’objectifs et de gestionentre les Agences Régionales d’Hospitalisation et lesétablissements publics et privés.Le nombre de partenaires est extrêmement important,et les réformes ne peuvent avancer que si lesprofessionnels eux-mêmes, intéressés par le sujet,font une certaine unanimité et apportent une vuecommune. Le travail des dernières années a étéessentiellement d’entretenir cette motivation qui s’estconcrétisée déjà par des faits : d’une part, dans lareconnaissance de l’éducation du patient, dans la loide financement de la Sécurité Sociale de 1999 et de2000 - des textes sont en préparation - et, d’autre part,dans les critères d’accréditation des hôpitaux établispar l’ANAES. L’éducation thérapeutique a été retenuecomme un critère de qualité de fonctionnement desétablissements publics et privés; elle a été introduitedans les processus d’accréditation.

Quand on veut développer l’Education Thérapeutiquedu Patient, quelle idée véhicule-t-on ? On voudrait unprogrès médical qui se sépare de l’escaladetechnologique qui caractérise notre société commeen témoigne le nombre d’examens complémentairesde plus en plus important. On est persuadé que cettedémarche s’inclut dans la pensée générale sur lemaintien de l’équilibre des comptes de l’Assurance -Maladie. Cependant, s’insinue un doute lorsqu’onpense à l’équité d’accès à des soins de qualité. Lesprocessus d’éducation commencent en fait dèsl’enfance. Les inégalités dans le niveau d’éducationcommencent quasiment à la naissance en fonction dumilieu dans lequel on naît; c’est ainsi que lorsque l’ondéveloppe certaines formes d’éducation à la santé, ily a un énorme risque de privilégier certainespersonnes dont la tendance naturelle est d’avoir accèsà de plus en plus d’informations. Ce point, je crois,n’est pas négligeable et ceci existe dans tous les pays.

Il faut aussi savoir que l’éducation thérapeutique peutinduire des changements dans la position desprofessionnels les uns par rapport aux autres. On peutcréer, dans le milieu des professionnels, des tensionssur la responsabilité partagée entre médecinsspécialistes, non-spécialistes, non-médecins. Toutceci freine sans doute la mise en oeuvre de l’éducationthérapeutique qui, jusqu’à ce jour, a toujours été lefait de personnes extrêmement motivées,extrêmement volontaires qui ont réussi, dans différentspays du monde et en différentes régions de France, àréaliser des projets. Mais ces réalisations restent desexemples isolés vers lesquels on se retourne souventen disant : «Ce sont des modèles».

Voilà la vue que j’ai eue en tant que Directeur Généralde la Santé. Le rôle que je crois avoir eu dans cetteposition, a été de motiver l’administration, de faireparler les professionnels entre eux et d’essayer detrouver le juste milieu acceptable dans l’objectif queje vous ai indiqué, c’est-à-dire la reconnaissanceprofessionnelle et la valorisation financière de l’acte.

Mon point de vuede professionnel

Différentes problématiques m'intéressent particu-

lièrement :- l’influence des nouvelles méthodes de formation et

d’information des médecins sur la communicationavec les personnes malades;

- l’introduction d’information en groupe qui, dansnotre pays, suscite encore des réticences;

- le développement de la prise en charge des patientseux-mêmes grâce au développement de latechnologie (comme cela se fait depuis de trèsnombreuses années dans le domaine du diabètepar l'autodiagnostic et l'autosurveillance).Lorsqu’on aborde ce domaine, on se heurte auxreclassements professionnels, à la place desbiologistes dans le système de soins.

Les implications de l’« evidence basedmedecine »

L’«evidence based medecine» existe depuis 1985.On peut retrouver des articles de Barbara McNEALdans les années 70-80, mais une impulsion a étédonnée par Cot MASTER dans les années 90-92.

Cette référence marque un changement complet,profond de l’enseignement médical et de la pratiquemédicale. Dans le stade typique de ce que l’on appelle«l’evidence based medecine», il y a une critique desfaits scientifiques de telle sorte que le niveau depreuves est pris en compte et que brusquement lesmédecins découvrent, ce qu’ils n’apprécient pastoujours, qu’il y a des zones de certitude et des zonesd’incertitude. Le progrès scientifique se définit, enquelque sorte, par une meilleure définition de la zoned’incertitude. Cependant, quand vous avez eu unmilieu médical formé à recevoir des vérités assénéespar les professeurs, la découverte de la zoned’incertitude n’est pas facile à faire comprendre.Ce qui m’intéresse aujourd’hui, c’est l’effort que nousfaisons pour que l’enseignement de la médecine et lapratique médicale changent, par l’introduction d’uneforme de doute actif - pas un doute passif. Cetteintroduction va avoir d’énormes conséquences dansle dialogue médecin - malade puisque le médecin, nepensant plus de façon identique, ne pourra pas fairele même type d’enseignement et le même typed’annonce à son patient.On peut se demander aussi quelle sera la position desgens lorsque, la technologie ayant tellement avancé,on les amènera dans des zones d’incertitude où ilsdécouvriront qu’on n’est pas forcément anormal endépit de normes et que l’on a le choix entre plusieursétudes thérapeutiques.

Dans la revue «Lancet», un article récent explique queles diabétologues ne savent toujours pas exactementcomment définir le diabète non insulinodépendant.Tout simplement parce que le mode de la norme neconvient pas. Il en est de même de l’étiologie.Auparavant, c’était très simple. Les gens me disaient :«J’ai de l’hypertension artérielle. D’où cela vient-il ?».Je répondais :«C’est une hypertension artérielleessentielle». Alors, ils étaient contents.

Quant au pronostic, on touche également un véritableproblème. La médecine ayant avancé dans le stadedu diagnostic, nous ne faisons pas, en fait, undiagnostic mais nous engageons les gens sur unpronostic, c’est-à-dire que nous introduisons unecommunication sur les risques. Dans ce concept

Dans l'«evidence base medecine»,la critique des faits scientifiquesmet en évidence des zones decertitude et des zones d'incertitude.Cette introduction du doute actifva avoir d'énormes conséquencesdans le dialogue médecin -malade.

Ces zones de certitude etd'incertitude touchent aussi bien laphysiopathologie, l'étiologie, lepronostic, les thérapeutiques.Le rôle des professionnels de lasanté est donc de guider les choixdes patients.

Page 12: VERS UNE NOUVELLE CONCEPTION DE LA RELATION ...ergotooletp.e-monsite.com/medias/files/bep-2000-hs.pdfVERS UNE NOUVELLE CONCEPTION DE LA RELATION SOIGNANT-SOIGNÉ PARTICIPATION DU PATIENT

10

Bulle

tin d

'Educa

tion d

u P

atie

nt, V

ol.

19 -

Hors

série -

2000

médical nouveau, comment changer le dialogue avecle patient pour une communication sur les risques ?Ce problème existe aussi dans l’environnement. Vousavez vu que la communication sur les risques de ladioxine du poulet ou du coca-cola est unecommunication difficile parce que c’est unecommunication sur le pronostic. Nous essayonsbrusquement de faire comprendre leur vie aux gens.Je crois que cette dimension n’est pas du toutabordée. Or, si nous ne l’abordons pas, les genscomme nous, comme moi, qui avons la possibilité deconsulter tout un monde d’informations sur Internet,vont se créer leur propre réponse avec toutes lesconséquences possibles.

Changer la communicationet l'information

Sur le plan des thérapeutiques, à partir du momentoù la médecine basée sur les preuves repose sur desessais thérapeutiques contrôlés et des méta-analyses,on ne peut plus donner aux gens la certitude queprendre tel médicament ou avoir telle chirurgie serabon. On leur dit que, selon les bases connuesactuellement, il y a des choix à faire.Il faut donc guider les choix des patients. Lorsqu’onexplique correctement ce qu’est l’ablation del’adénome de la prostate, un malade sur deux choisitle traitement médical au lieu du traitement chirurgical,ce qui n’est quand même pas inintéressant.

La réflexion qui m’intéresse, et que j’ai essayéd’impulser à la Direction Générale de la Santé, est leconstat d’un changement profond de l’exercicemédical pour lequel il faut mener en même temps unchangement dans la communication et dansl’information. J’ai pris conscience, à l’occasion desréunions avec vous, que les gens comme moi qui ontcette vue-là (vue respectable et que je veux, en toutcas, très volontaire), n’ont pas complètement comprisce qu’était une approche plus profonde de lapersonnalité de la personne dans la modification deses connaissances et de ses comportements. En effet,nous avons une vue extrêmement rigoureuse, chiffrée,mathématique de la médecine qui doit probablementêtre tempérée. Nous cherchons à introduire cettedémarche et ce vocabulaire chez les médecins enexercice et les étudiants en médecine. Vous voyeztrès bien quelles conséquences formidables cela aurasur la compréhension des maladies et du pronosticchez des personnes qui seront noyées d’informationssous une forme différente et, en particulier, par leréseau Internet.

Pour vous en donner un exemple : je pourrais pratiquerla médecine de manière complètement différented’aujourd’hui. Si j’annonce aux personnes que, dansle cas d’une hypertension artérielle, grâce à montraitement, ils ne feront plus d’accidents vasculairescérébraux et ils ne feront pas de maladie coronarienne,c’est un message tout à fait extrême mais quifinalement est donné de tout temps.Mais, on pourrait également donner un messagedifférent en disant que la personne peut constater que,dans les essais thérapeutiques, sur les 5 ans quiviennent, 95 % des personnes ne font pas d’accidents.Ce résultat serait peut-être meilleur si les médecinsétaient capables de repérer de manière un peu plus

précise ceux qui en feront.Le langage présenté de cette façon-là aboutit chezles médecins à des changements de comportementet de prescription et aboutira chez les patients à deschangements de compréhension du message en leurdonnant, dans certaines maladies (dans le diabète,dans l’hypertension artérielle, dans l’hypercho-lestérolémie), la possibilité d’un choix de vie.Si cette approche ne repose pas sur des baseschiffrées à partir de l’«evidence based medecine», ily aura des distorsions à l’intérieur même du corpsmédical.

Pour vous donner un autre exemple et vous montrerque le mouvement est général, voici ce qui a été faiten Angleterre. Ce travail remonte maintenant à 3-4 ans environ. Des personnes, comme AngelaCOOLTER, insistent sur le fait que, quand on regardedans le détail le matériel d’information qui est donnéaux malades, on promet l’immortalité aux gens contredes techniques qui ont aussi leurs effets secondaires.Ceci aboutit au fait que l’information que l’on donneaux malades sur certains domaines, ou plusexactement aux personnes saines, n’est pas correcte.La certitude qui est donnée est une certitudeinterprétative, ce n’est pas un choix qui est laissé.Dans la deuxième partie du résumé de l’article, oninsiste sur la nécessité absolue, dans tous lesdomaines de la médecine, d’avoir non seulement,comme vous le faites, une réflexion sur l’éducationmais de modifier l’information donnée, quel que soitle média qui véhicule cette information, depuis le livred’éducation du patient jusqu’au Cédérom et jusqu’àdemain l’information sur l’Internet.

En guise de conclusion

Pour terminer, je vais vous raconter un échec terriblede ma pratique professionnelle que j’étais totalementincapable, avec mes collègues, de modifier. Nousavions travaillé sur l’observance des maladeshypertendus entre 1975 et 1980. Nous voulions savoirquels étaient les facteurs prédictifs de l’observance,(c’est-à-dire quels étaient les gens qui continuaient àvenir sur un suivi de 3 ans). Nos observations ontporté sur les patients qui fumaient et sur ceux quiavaient un excès de poids, dans la mesure où nousavions constaté qu’ils disparaissaient et ne revenaientpas à nos consultations sur un suivi de 3 mois.Nous avons constaté que lorsque les comportementsdes gens sont en cause - le tabagisme est uncomportement, le comportement alimentaire en est unautre, le médecin autoritaire ou le groupe de médecinsautoritaires auquel j’appartenais, très centré sur unchiffre, avait donné certainement le bon messagescientifique, avait expliqué aux gens qu’il fallaitabsolument arrêter de fumer et absolument perdre dupoids. Mais on avait oublié que ce n’est pas possiblede faire à la fois le traitement de l’hypertension artérielleet l’arrêt du tabac (qui entraîne une augmentation dupoids), et que la seule manière pour le patient de sedéfendre, c’était de ne pas revenir aux consultations.

Le fait de travailler avec vous quand j’étais DirecteurGénéral de la Santé, a au moins eu l’avantage que,sur le plan médical, mes jeunes collègues auxquelsje donne maintenant ce message seront certainementmeilleurs que ceux de la génération précédente.

Des personnes, comme AngelaCOOLTER, insistent sur le fait que,quand on regarde dans le détail lematériel d’information qui estdonné aux malades, on prometl’immortalité aux gens contre destechniques qui ont aussi leurseffets secondaires. Ceci aboutit aufait que l’information que l’ondonne aux malades sur certainsdomaines, ou plus exactement auxpersonnes saines, n’est pascorrecte. La certitude qui estdonnée est une certitudeinterprétative, ce n’est pas unchoix qui est laissé. Elle insisteégalement sur la nécessitéabsolue, dans tous les domaines dela médecine, d’avoir nonseulement une réflexion surl’éducation, mais de modifierl’information donnée, quel que soitle média qui véhicule cetteinformation, depuis le livred’éducation du patient jusqu’auCédérom et jusqu’à demainl’information sur l’Internet.

Page 13: VERS UNE NOUVELLE CONCEPTION DE LA RELATION ...ergotooletp.e-monsite.com/medias/files/bep-2000-hs.pdfVERS UNE NOUVELLE CONCEPTION DE LA RELATION SOIGNANT-SOIGNÉ PARTICIPATION DU PATIENT

11

Bulle

tin d

'Educa

tion d

u P

atie

nt, V

ol. 1

9 - H

ors sé

rie - 2

000

(1) Médecin - chef OMS,Rue Appia, 20 , CH-1211 Genève 27.Tél.: 00 41 22 79 121 11Fax : 00 41 22 79 131 11

Le titre du colloque étant : «Education thérapeutiquedu patient, vers une citoyenneté de santé» et n’étantspécialiste d'aucun de ces domaines, je suisnéanmoins très intéressé à développer macommunication sur le thème de la citoyenneté.

Je dirai d’emblée que l’Education Thérapeutique duPatient m’apparaît comme une activité faite aubénéfice du patient (même si ce dernier peut être actifdans ce processus), tandis que «la citoyenneté dupatient» évoque une participation volontariste etresponsable d’un individu dans l’évolution du systèmede santé ou du système de soins. C’est de cela dontje vais parler.Je souhaite donc partager quelques idées sur lacomplexité de l’évolution du système de santé et laplace importante que devrait évidemment tenir lecitoyen, qu’il soit malade, en bonne santé, à titreindividuel ou collectif.

Je vous présente Mr. Durand. Cela pourrait être Mr.Dubois, cela pourrait être vous, moi, n’importe qui. Ilest entouré de sa femme, de sa petite fille qui elle-même tient sa poupée. On peut imaginer aussi qu’ilfait partie d’un plus grand ensemble : sa famille, sonvillage, son district, sa nation. Bref, c’est un individuau milieu de la société.

Intéressons-nous à Mr. Durand d’abord, car le sensde tout système de santé est de répondre aux attenteset besoins de chaque individu. La santé est un état debien-être physique et moral qui doit être ressenti parchacun d’entre nous. Un service de santé a donccomme but de s’intéresser à améliorer, à restaurer età maintenir cet état chez chaque personne. Nousreplacerons cet objectif dans le cadre plus général d’unprojet de société.

Les valeurs du système desanté

Posons-nous une questionfondamentale sur les valeursqui sous-tendent notre ac-tion, à nous «entrepre-neurs» de la santé.

L'axe du rêveLa qualité

D’abord, nous sommesintéressés à apporter à Mr.Durand une réponsesatisfaisante à sesproblèmes de santé. Onappellera cette valeur, laqualité.

Quelle définition pratique pouvons-nous donner à«qualité» ?Disons que la qualité est la mesure suivant laquelleune réponse adéquate est donnée à toute personnesouffrante ou nécessitant une intervention dans ledomaine de sa santé. On peut envisager la «réponseadéquate» sous deux aspects.D’abord, l’aspect strictement professionnel qui est des’assurer que l’on donne à Mr. Durand le meilleur dece que la science et la technique peuvent donner. Celaévolue évidemment avec les avancées de la rechercheet des technologies. Malgré les bonnes intentions, onne peut être sur des résultats, on entre dans la zonede certitude comme l’évoquait le PrMÉNARD.Il y a ensuite le point de vue du patient. Ainsi, Mr.Durand entend par service de qualité, un servicedonné à une personne humaine, considérée dans sonintégrité, pas comme une somme de molécules ouune somme d’organes. Une personne humaine,unique évidemment, comprise dans sonenvironnement culturel, social et économique. Certes,il faut trouver des approches pour satisfaire ces deuxaspects de la qualité, une approche scientifique et uneapproche humaine.

L'équité

Cette ambition de qualité, nous ne la souhaitons passeulement pour nous seuls, pour ceux que nousaimons ou pour ceux que nous connaissons, nous lasouhaitons pour chaque citoyen de notre société.Ainsi, la deuxième valeur à tenir en compte, c’est cellede l’équité. En somme, nous voulons donner à MrDurand et à tout le monde, sans aucune forme dediscrimination, culturelle, raciale, religieuse etcertainement pas socio-économique, ce qu’il y a demieux.Sur ce plan, certains observateurs diront que c’estune vue utopiste en faisant remarquer que ces deuxvaleurs sont sous-tendues par des forcescontradictoires. On ne peut pas donner le meilleur dece qui existe, diront-ils, et le donner à tout le monde.

Nous, entrepreneurs de lasanté, nous disons qu’ils’agit d’un rêve et qu’il s’agitde trouver des stratégiespour le rendre réalisable, enparticulier en faisant appelà d’autres valeurs ouexigences du système desanté.

L'axe de la réalitéLa pertinence

Ainsi, nous introduisons unautre axe, celui de la réalitéavec deux autres valeurs :

Le citoyen et les défis dusystème de santé

par Charles Boelen (1)

Bulletin d'Education du Patient,Vol. 19 - Hors série - 2000.

... L’Education Thérapeutique duPatient m’apparaît comme uneactivité faite au bénéfice du patient(même si ce dernier peut être actifdans ce processus),tandis que «la citoyenneté dupatient» évoque une participationvolontariste et responsable d’unindividu dans l’évolution dusystème de santé ou du système desoins...

Les valeurs qui sous-tendent lesystème de santé :

- La qualité, qui est la mesuresuivant laquelle une réponseadéaquate est donnée à toutepersonne souffrante ounécessitant une intervention dansle domaine de sa santé.Deux aspects se dégagent de laqualité : l'aspect professionnel(scientifique, technique) etl'aspect humain.

- L'équité, qui consiste à donner àtout le monde, sans aucuneforme de discrimination,culturelle, raciale, religieuse etcertainement pas socio-économique, ce qu’il y a demieux.

- La pertinence, qui consiste àmettre des priorités dans nosactions.

- Le rapport coût/efficacité, quiconsiste à tirer le meilleurbénéfice des ressources dontnous disposons.

Mots-clés : Educationthérapeutique du Patient,citoyenneté, système de santé,qualité, équité, pertinence,efficience, partenariat, OMS.

Page 14: VERS UNE NOUVELLE CONCEPTION DE LA RELATION ...ergotooletp.e-monsite.com/medias/files/bep-2000-hs.pdfVERS UNE NOUVELLE CONCEPTION DE LA RELATION SOIGNANT-SOIGNÉ PARTICIPATION DU PATIENT

12

Bulle

tin d

'Educa

tion d

u P

atie

nt, V

ol.

19 -

Hors

série -

2000

celle que nous appellerons la pertinence, qui consisteà accepter le fait qu’il faut mettre des priorités dansnos actions. On doit faire l’effort, difficile, de déciderce qui est important et de lui donner une attentionparticulière. Chacun dira que ces principes tombentsous le sens, cependant ceux-ci suscitent des débatsconsidérables dans la société.

Le rapport coût/efficacité

La deuxième valeur de la réalité, c’est le rapport coût/efficacité.Il faut pouvoir tirer le meilleur bénéfice des ressourcesdont nous disposons. Or, les ressources en santé sontévidemment toujours limitées. J’ai assisté il y aquelques années à une réunion des ministres de laSanté des pays francophones dans laquellel’observation avait été faite qu’aucun budget n’avaitsubi d’augmentation et que pour les pays les pluspauvres, la plupart des budgets avaient été réduits. Ilfaut donc tirer le meilleur de ce que nous avons. Iciaussi, ce principe sera largement accepté mais sonapplication peut entraîner des conséquencesconsidérables, particulièrement au niveau desprofessions de santé.

Par exemple : on entend dire dans beaucoup de paysque le médecin généraliste pourrait s’acquitter decertaines tâches actuellement faites par des médecinsspécialistes (tout aussi bien et moins cher). Dansd’autres cas, il semble que des infirmière, encoreappelées «infirmières praticiennes» ayant reçu uneformation particulière et ayant acquis descompétences diagnostiques et thérapeutiquespeuvent assumer certaines tâches actuellementaccomplies par des généralistes et semble-t-il avecle même niveau de performance, et évidemment moinscher. Dans certains pays, on entend des assistantessociales prétendre faire aussi bien certains gestes queles infirmières. Et enfin, comme un effet de cascade,n’entend-t-on pas dire quelquefois que la mère defamille pourrait s’acquitter de la plupart des tâches del’assistante sociale, et cela à un coûtincomparablement compétitif.Et, nous voilà arrivés, par le biais bien particulier dusocio-économique, au niveau de la citoyenne et ducitoyen…

La boussole

Ce schéma de deux axes coupés perpendiculairement,avec les quatre valeurs à leur bout, ressembleétrangement à une boussole. Il est vrai que lessystèmes de santé devraient prendre ces valeurscomme des références, comme un guide.Ceci dit, l’image de la boussole convient-elle ? Uneboussole est un instrument permettant de déciderd’une direction à suivre et puis de s’y tenir. Dans notrecas, cette analogie ne tient pas puisque nous nepouvons pas nous permettre de choisir une valeur (oupoint cardinal) au dépend des trois autres. Cependant,j’aime garder cette analogie absurde, car elle illustrebien la tension à laquelle nous devons faire face dansnos systèmes de santé. On ne peut pas privilégierune valeur et négliger les autres. Ce sont les quatreautres qu’il faut soigner à la fois, de façon équilibrée.A mon avis, c’est tout l’art de la réforme des systèmesde santé.

L’autre défi réside dans le fait que le processus deréforme n’est pas dans les mains d’un seul grouped’acteurs.Si nous prenions la «boussole» avec les quatre valeurscomme l’agenda de réforme et que nous proposionsaux médecins, par exemple, d’être les architectes dela réforme, il est probable qu’ils privilégieraient la valeur«qualité» aux dépens des autres, arguant que lecontrat particulier qu’ils ont avec chacun de leurspatients est sacré. La contrainte des ressourcespasserait éventuellement au second plan.Si cet agenda de réforme était confié à deséconomistes - et nous en voyons une illustration avecdes projets de la Banque Mondiale dans plusieurspays - ils choisiront la valeur «coût/efficacité». Onconnaît les dommages que cela entraîne dans ledomaine de l’équité.Des sociologues pourraient prétendre connaître lesbesoins fondamentaux de la société et de ce fait,revendiquer qu’ils pourraient proposer des prioritésd’action comme le laisse supposer la valeur«pertinence».Enfin, l’agenda de la réforme de la santé confié à deshommes politiques pourrait aboutir à une situation où«l’équité» devient la vertu cardinale, dans la mesureou tout serait promis au peuple avec en retour l’attentede voix supplémentaires au prochain scrutin.On est donc obligé de travailler en équipepluridisciplinaire. Mais au delà, il s’agit d’identifier lespartenaires clés dans le système de santé qui peuvent,par une politique intelligente et cohérente, répondreau défi de cette «boussole».

En somme, le défi reviendrait à créer une unitéd’intention et d’action pour servir l’agenda communde la «boussole» entre différents partenaires ayantdes intérêts non nécessairement concordants etquelquefois contradictoires. C’est effectivement unegageure, car il s’agit de promouvoir l’unité dans unmilieu caractérisé par le cloisonnement et lafragmentation. Prenons le cas de l’OMS, par exemple,qui, il y a quelque 21 ans, a lancé, avec l’approbationde la communauté des nations, sa politique des soinsde santé primaires. Cette politique a eu unretentissement non négligeable auprès des pays .Engros, le monde y a souscrit et des politiques nationalesde santé ont été élaborées en tenant compte desrecommandations proposées. Cependant, sur le plandes stratégies concrètes d’application, il y a eu manquede propositions innovantes.On a eu la faiblesse de penser que cette vision dejustice sociale était tellement forte qu’elle seraitpartagée, comme par enchantement, par l’ensembledes grands acteurs de la santé. Dans les faits, cetteconvergence n’a jamais lieu. Ce que nous observonsà l’oeuvre, dans la plupart des systèmes de santé,c’est l’action prédominante de forces centrifuges. Unefragmentation grandissante s’installe et nous éloigneinsidieusement et progressivement de nos grandesaspirations.

Réduire les antagonismes

On observe actuellement des disparités, desdichotomies, des compétitions qui sont autantd’obstacles au bon fonctionnement de nos systèmes

Pertinence

Coût/efficacité

Qualité Equité

Axedu RÊVE

Axe

de

la R

EA

LIT

E

Une boussole pour les systèmes desanté ?

Page 15: VERS UNE NOUVELLE CONCEPTION DE LA RELATION ...ergotooletp.e-monsite.com/medias/files/bep-2000-hs.pdfVERS UNE NOUVELLE CONCEPTION DE LA RELATION SOIGNANT-SOIGNÉ PARTICIPATION DU PATIENT

13

Bulle

tin d

'Educa

tion d

u P

atie

nt, V

ol. 1

9 - H

ors sé

rie - 2

000

de santé. Une des plus importantes dichotomies, àmon sens, est celle qui divise la médecine et la santépublique (en d’autres termes les interventions enfaveur d’individus et en faveur de groupes ou decommunautés).Certes, il y a des plages de recouvrement, mais, engénéral, ce sont des modes de pensée différents etdes dynamiques différentes. Il continue d’exister uneséparation entre le curatif et le préventif. Là encore,des pratiques peuvent intégrer l’un et l’autre, mais engénéral, des groupes et des agences particulièrestraitent de l’un ou de l’autre.

Il y a également un schisme entre le généraliste et lespécialiste. Dans certains pays, une véritable tensionexiste tandis que des chasses gardées deviennent deplus en plus contestées. Il y a une compétition quandce n’est pas une opposition entre le public et le privé.Dans la grande vague d’incitation à l’initiative privée,souvent pour de bonne raisons - à savoir l’émulationpour la qualité et la réduction des coûts - il peut enrésulter le développement de nouvelles zonesd’inéquité, de mal-utilisation de ressources et descompétitions malsaines . Ceci s’observe dans les paysriches comme dans les pays moins nantis.Enfin, il y a cette fracture entre l’usager – disons, lecitoyen - et le dispensateur de services de santé, entrecelui qui prétend savoir et celui qui est supposé nepas savoir. Cette fracture existe entre l’économiqueet le social.

A mon sens, la véritable réforme du système de santé,c’est de trouver des façons de réduire tous cesantagonismes. L’OMS a le projet d’étudier et depromouvoir des approches pour dépasser cesdifférences. La chiquenaude de départ pour provoquerun emballement en faveur d’une approche coordonnéeet unitaire pourrait résider dans l’intégration entremédecine et santé publique. Beaucoup pensentqu’effectivement ce serait le début d’une cascaded’événements qui pourraient nous ramener vers dessystèmes beaucoup plus cohérents et mieux orientésvers la satisfaction des besoins prioritaires de lapopulation.On peut imaginer que, pour intégrer médecine et santépublique, il faut des règles, et des références.

Organiser le partenariat

Mais revenons sur la façon d’organiser le partenariatdont le citoyen serait partie prenante. Il conviendraitd’identifier les partenaires indispensables à la réussited’une action unitaire de santé sur le terrain.

Cinq catégories peuvent être identifiées :- les décideurs politiques , capables de provoquerdes prises de conscience, de faire un plaidoyer pourun projet collectif, de débloquer des ressourcesnécessaires à l’expérimentation et l’institution-nalisation.- Les gestionnaires de la santé , qui peuvent ouvrirle champ d’intérêt de leurs institutions (hôpitaux,centres de santé, …) au large spectre d’interventionsen faveur de la santé des individus et des populations.- Les professions de santé , qui sont essentiellescomme acteurs au quotidien. Certes nous savons que

les professions sont très diverses et que l’unanimitésur des stratégies d’action n’est pas un fait facilementacquis. Des profils de professions ont vocationd’évoluer. Pour certaines professions , c’est plus facileque pour d’autres. On entend certaines associationsde dentistes dire qu’ils ne sont pas simplement destechniciens de la bouche, mais de fervents partisansd’une approche globale de soins de santé primaireset d’une approche intégrée de la santé d’une personne.Des raisonnements semblables sont prêtés auxpharmaciens, etc.- Les institutions académiques , qui ont laresponsabilité de penser, de faire de la recherche, deformer, de servir de référence. Elles ont un pouvoirconsidérable parce qu’elles possèdent un capitalextraordinaire de réflexion et d’innovation concernantla recherche d’alternatives en matière d’organisationdes services de santé. D’une façon générale, ons’attendrait à ce que les universités interviennent plusactivement dans ce domaine et aussi qu’elles utilisentce qu’elles revendiquent tant à savoir, la libertéacadémique, c’est-à-dire la liberté de parole, pourexprimer sans contrainte la nature de réforme desservices de santé dont la nation aurait besoin.- Les citoyens , qui sont au coeur du débat de cecolloque. Quel place pour les citoyens dans la prisede décisions relatives au développement dessystèmes de santé ? Je pense que l’on a peu travaillésur le domaine d’attribuer davantage deresponsabilités et de prérogatives pour le citoyen.On souhaite que le citoyen soit d’abord parfaitementinformé sur les risques pour la santé et sur lesdifférentes opportunités pour agir sur les facteursdéterminants de la santé. Envisager un citoyen quipourrait non seulement savoir ce qui lui arrive parcequ’il a accès au dossier médical, etc. mais aussi quiaurait la capacité de savoir ce qui peut lui arriver.Imaginons une «carte de crédit» santé permettant desavoir à tout moment son bilan de santé et departiciper à des prises de décision sur son avenirsanitaire, notamment en adoptant certaines habitudesde vie ou en ayant accès à un ensemble de servicesde conseils.

Conclusions

Le projet de l’OMS «Towards Unity for Health», quel’on peut traduire en français «Vers une unité pour lasanté» peut offrir l’occasion de réfléchir sur ce rôledu citoyen dans la perspective globale d’une réformedu système de santé. Ce projet a comme objectifd’étudier des initiatives prises dans certains pays pourrapprocher les cinq principaux partenaires que nousévoquions plus haut et de proposer des approchespour créer un service de santé intégrant les différentesactions de santé destinées à des individus et à descommunautés.

Enfin, j’encourage une collaboration internationale surles trois points suivants : Comment donner davantagede pouvoir au citoyen dans l’organisation de la santé ?Comment définir des territoires d’intervention danslesquels les citoyens seraient en position deleadership ? Quelles sont les alliances possibles quel’on devraient faciliter entre les citoyens et les quatreautres catégories de partenaires cités plus haut ?

Page 16: VERS UNE NOUVELLE CONCEPTION DE LA RELATION ...ergotooletp.e-monsite.com/medias/files/bep-2000-hs.pdfVERS UNE NOUVELLE CONCEPTION DE LA RELATION SOIGNANT-SOIGNÉ PARTICIPATION DU PATIENT

14

Bulle

tin d

'Educa

tion d

u P

atie

nt, V

ol.

19 -

Hors

série -

2000

J’aimerais d’abord vous remercier pour cette invitationet dire combien je suis sensible à cette journée quicélèbre l’effort immense d’introduire dans la pratiquedes soins cette approche thérapeutique appeléeéducation thérapeutique du malade.

En tant que directeur d’un Centre Collaborateur del’OMS depuis 1982, je suis le témoin de ces salles del’OMS, de ces présences préoccupées, pour ne pasdire frustrées, des participants qui viennent à l’OMS,parce que les problèmes de soins et de santé dansleur propre pays ne sont pas ce qu’ils aimeraient qu’ilssoient. Je suis le témoin des discussions à des niveauxphilosophiques qui, si elles nous renvoient le problème,nous permettent de le recadrer, et nous exposent dansnos structures de santé à des résistances farouches.

Quand j’entendais le Pr MÉNARD parler avec autantde pertinence de sa découverte, si j’ose dire, en tantque spécialiste des maladies cardio-vasculaires et del’hypertension, du rôle formateur de l’éducation dumalade, je me suis rappelée la mienne. J’ai fait toutel’école du cirque de la médecine, convaincu que,connaissant la pathologie d’une maladie, j’allais pouvoirla maîtriser, connaissant la pharmacocinétique dumédicament, le traitement allait pouvoir être engagé,connaissant la rigueur de la prise en chargeadministrative et puis de l’application des algorithmesthérapeutiques, les problèmes allaient être résolus.

Il m’a fallu à peu près 20 ans pour réaliser que rienn’en était, sauf dans les situations aiguës. Alors, jeme suis progressivement centré sur le pourquoi oules pourquoi. Et si je me suis progressivement inté-ressé à l’éducation théra-peutique du malade, c’estpar frustration perpétuelled’un thérapeute.

Nous avons des outils dia-gnostiques et des formulespharmacologiques impres-sionnants. Comment se fait-il que le tiers ou la moitié despatients ne prennent pas,dans le continu, leur traite-ment ? De quoi ont besoinles malades ? De quoi ontbesoin les soignants ?Depuis une dizaine

(1) Professeur de médecine,Diabétologue, Directeur,Centre collaborateur OMS, Divisiond’Enseignement Thérapeutique pourMaladies Chroniques, Départementde médecine interne, HôpitalCantonal,Rue Micheli-du-Crest, 24, CH-1211Genève 14.Tél. : ++ 41 22 372 97 01Fax : ++ 41 22 372 97 10E-mail :[email protected]

d’années, trois centres collaborateurs de l’OMScentrés sur l’éducation, celui du Pr d’IVERNOIS àBobigny, celui du Pr DECCACHE à Louvain et le mien,nous nous réunissons une fois par an pour nousposer, en petits groupes, cet éventail de problèmes.

A propos du partenariat

Dans ces réunions, nous n'avons jamais discuté duthème des résistances. Ce matin, cela m'a paruencore plus clair avec ce que vous avez dit, PrBOELEN. Tout ce que vous avez dit est d’une clarté,d’une limpidité stratégique. Je pense que, dans lediplôme que nous délivrons à Genève, nous allonsinclure une semaine de formation sur le travail de deuxthèmes qui sont les résistances et les identitésprofessionnelles. Parce que, quand vous dites : «Ilfaut qu’on travaille ensemble», tout le monde veuttravailler ensemble ! Le problème, c’est que ce n’estpas du tout facile, parce que l’autre a un caractère quine veut pas favoriser une fonction sociale. Saformation l’a déformé dans une lecture de cette réalitéincroyablement complexe, incluant une ou deuxdémarches : le diagnostic juste, le choix thérapeutiqueet certainement pas le suivi du malade.

A propos del’«evidence based medecine»

Nous avons fait un effort absolument helvétique, c’est-à-dire laborieux, à Genève, pour la réforme des étudesde médecine, avec une démarche tout à fait touchantede décentrement à partir des approches canadiennes

d’éducation. «Problemssolving» - résolution deproblèmes. Les étudiantsen médecine sont venusnous voir, il y a une année,et ils nous ont dit : «Maisdites donc, et la mort ?».Parce qu’en médecine,dans la formation médicaleet aussi dans la formationinfirmière, il y a toujours enpermanence une solutionau niveau théorique. Alorsque la vie est un parcoursde solutions de plus en plusoptimales, c’est-à-dire de

L'Education thérapeutique dupatient : le projet OMS et les

applications pratiques

par Jean-Philippe Assal (1)

Bulletin d'Education du Patient,Vol. 19 - Hors série - 2000.

Edition anglophone (en haut) etfrancophone (en bas) dudocument relatif à l'éducationthérapeutique du patient publiéspar l'OMS en 1998.

Mots-clés : Educationthérapeutique du Patient,communication thérapeutique,identité professionnelle,interdisciplinarité,apprentissage, autonomiethérapeutique.

Page 17: VERS UNE NOUVELLE CONCEPTION DE LA RELATION ...ergotooletp.e-monsite.com/medias/files/bep-2000-hs.pdfVERS UNE NOUVELLE CONCEPTION DE LA RELATION SOIGNANT-SOIGNÉ PARTICIPATION DU PATIENT

15

Bulle

tin d

'Educa

tion d

u P

atie

nt, V

ol. 1

9 - H

ors sé

rie - 2

000

moins en moins efficaces, jusqu’au moment où onarrive dans une zone où, quoi qu’on fasse, on fait faux;il faut donc choisir : je fais le moins faux possible et, àla fin, il y a la fin.

La formation au doute est extrêmement difficile pourdes jeunes habitués à une démarche cartésienne derésolution de problèmes. Cette formation peut êtrefavorisée par des ateliers de réflexion avec de trèspuissants metteurs en scène qui travaillent, grâce àleur maîtrise clinique, le secteur de l’incertitude.Pour pouvoir enseigner l’incertitude, il faut quandmême être très sûr, très convaincu de l’importancede l’«evidence based medecine». L’incertitude vadonc simultanément avec l’enseignement de lacertitude. Je suis quand même extrêmementimpressionné de l’engouement valable de cettedémarche mais aussi de la cécité que nous avons,nous autres soignants, devant le fait que dansl’«evidence based medecine», ce sont des évidencesthérapeutiques dans un contexte donné et avec ungroupe de médicaments. On connaît des régions quin’ont pas accès à cette possibilité. Voyez de nouveaula relativité de la notion d’évidence.

Nécessité vitalede revoir certains modes

de fonctionnement

Nous sommes ici à la suite de découvertes péniblesd’un ictus chez un patient hypertendu, d’un décèsdans une crise d’asthme alors que la prévention de lacrise devrait, dans 99 % des cas, éviter l’accès àl’hôpital, ou encore devant un diabétique amputé alorsque l’on sait pertinemment que 90 % des 250.000amputations annuelles dans le diabète en Europe,pourraient être évitées.

J’aimerais juste vous raconter l'histoire d’un cas quej’ai vécu d’un bout à l’autre (cfr colonnette).

Si on fait le parcours de cette patiente, le début del’erreur thérapeutique a été une non-maîtrise de lacommunication thérapeutique avec elle : je l’avaisdit - elle allait donc comprendre - elle avait compris -elle allait donc accepter. Et puis, comme c’est unefemme intelligente - parce que je prends une de cesreprésentations sociales que nous avons tous - elleest d’une famille aisée, son mari est PDG, elle va lefaire mais, «avec le laser, on peut faire des trous dansle cerveau !».

La deuxième erreur avec cette personne, c’est cetteidentité professionnelle : je n’ai pas besoin de faireun grand effort sur le moment parce qu’après si celane va pas, il y a toujours cette greffe rénale etpancréatique.

Et puis on aborde le problème interdisciplinaire -parce que l’interdisciplinarité, c’est un thème deconférence, mesdames, messieurs, mais c’est unetragédie sur le terrain.J’ai une belle diapositive où l’on voit une équipesoignante sous l’observation d’un sociologue. Celui-ci explique comment il observe que, lorsque le médecin

parle, l’objectif du malade redevient médical, quandl’infirmière parle, il devient gestion du traitement, quandle diététicien parle, on est dans la comptabilitécalorique, mais jamais le patient dans son ensembleest présenté lors d’une synthèse.

L’exemple de cette pauvre dame illustre parfaitementle problème de la difficulté d’interdisciplinarité, demultidisciplinarité et prouve que l’identitéprofessionnelle est un atout fondamental au niveaudes spécificités et de la technicité de la profession.

La maladie chronique implique un tel parcourshorizontal entre différentes identités professionnellesque, dans la formation en éducation thérapeutique dessoignants, il y a probablement un immense secteur àdévelopper, non seulement pour vaincre lesrésistances mais d’abord pour les comprendre et puisdécouvrir en fait les caractéristiques protectrices dechaque sous-secteur impliqué dans les soins.

II faut travailler à la continuité des soins et à laformation des soignants. Et là, je voudrais dire quel’IPCEM est un exemple assez admirable d’une maisonde produits pharmaceutiques qui, parce qu’elle atravaillé dans le continu avec une équipe deprofessionnels de l’éducation thérapeutique, a puaboutir à un modèle remarquable.

Nécessité de la formation

Chez nous, à la Division d'EnseignementThérapeutique pour Maladies Chroniques, lesassistants en médecine participent systématiquement,parallèlement à leur activité médicale, à la formationdes malades.Chaque assistant est suivi, tout au cours de son annéede formation, par un spécialiste en éducation où lecours qu’il donne au malade est évalué toutes les5 minutes avec une grille d’évaluation. On ne donnepas un bon ou un mauvais cours, on donne un coursqui donne de l’information ou bien on donne un«cours» qui participe à l’apprentissage de l’autre, quiaide le patient à apprendre. C’est au moment où lesoignant aide son patient à apprendre qu’il devientthérapeute.Dans le suivi à long terme du patient, il faut que lemédecin, l’infirmière, la diététicienne, favorisentl’apprentissage en utilisant des méthodespédagogiques permettant aux patients de participeractivement à leur apprentissage. Cette formation dusoignant, cet acquis, permet à l’assistant d’accéder àun niveau supérieur de pertinence thérapeutique.

Recommandations de l'OMS

L'Education Thérapeutique du Patient est définie dansles documents de l'OMS (cfr colonnette, pagesuivante).Je vous en commente quelques extraits :

«L’Education Thérapeutique du Patient devraitpermettre aux patients d’acquérir et de conserverles capacités et les compétences qui les aident àvivre de manière optimale leur vie avec leurmaladie».

Histoire vécue

Une femme, l’épouse d’un dirigeantd’entreprise, diabétique, développeaprès 25 ans de diabète, unerétinopathie importante.

Elle refuse d’aller chez sonophtalmologue pour un traitement aulaser et, après 5 ans d’évolution, estpratiquement aveugle.

On lui avait pourtant dit que letraitement au laser était salvateurpour l’œil. Mais ce que nous n’avionspas découvert, c’est qu’elle avait uneconviction : c’était la grande époquede «La guerre des étoiles», et – je lacite – «si l’ophtalmologue tire à côtéde mon oeil, il va me perforer lecerveau». C’était ça la raison pourlaquelle elle n’a pas été chezl’ophtalmologue.

Par la suite, cette femme, développeune insuffisance rénale avec, en plusdeux pieds totalement insensibilisés.Bien sûr, elle développe un malperforant qu’on a extrêmement bienréussi à maintenir. Cette insuffisancerénale s’accompagne, choserelativement rare, d’une hypertensionpresque maligne chez elle, et ômiracle, une greffe est obtenue. Onpropose la greffe totale qui est faite et,ô miracle de la médecine moderne,elle n’a plus besoin d’insuline, safonction rénale est tout à fait correcte,elle prend bien lesimmunosuppresseurs.

Nous avions été, pendant son séjour,voir régulièrement l’équipechirurgicale pour leur demanderd’avoir grand soin de ses membresinférieurs. Elle sort de l’hôpital avecune immense nécrose - j’ai la photo deses talons - laquelle, sousimmunosuppresseurs, s’infecte. Nousrencontrons l’équipe chirurgicale qui,d’une manière hautaine - l’arrogancedu spécialiste qui n’était pas unearrogance contre nous, mais contrel’intérêt du pied - nous dit : «Quevouliez-vous que nous fassions ? Ellen’était pas chez nous pour laprotection de ses pieds».

Cette femme, à la suite de ce miraclede la médecine aiguë, a passé uneannée en milieu hospitalier. A la suited’une septicémie, on a dû, en urgence,l’amputer d’un côté, parce qu’elle nebougeait presque plus. Elle a attrapédes escarres à l’autre talon, à forced’être dans sa chaise, et ô miracle - ily a quand même une justice -, elle afait une embolie pulmonaire et estdécédée.

Page 18: VERS UNE NOUVELLE CONCEPTION DE LA RELATION ...ergotooletp.e-monsite.com/medias/files/bep-2000-hs.pdfVERS UNE NOUVELLE CONCEPTION DE LA RELATION SOIGNANT-SOIGNÉ PARTICIPATION DU PATIENT

16

Bulle

tin d

'Educa

tion d

u P

atie

nt, V

ol.

19 -

Hors

série -

2000

Il y a d’abord la vie et ensuite la maladie. Il nous a falluune année pour discuter de cette première phraseavec des spécialistes qui ne venaient pas du domainede la diabétologie mais qui venaient du domaine desmaladies pulmonaires. «Mais enfin, non, unasthmatique doit d’abord se traiter !» «Une personnequi a une colostomie doit d’abord faire toute la gestionde l’hygiène de la stomie. Après, on verra si elle peutaller au concert, même si elle a beaucoup de gaz».Et ainsi de suite.Donc, premier point : avec l’éducation thérapeutique,on organise la vie du patient d’une manière optimale,avec lui, en se gardant bien de l’organiser à notre façonen tenant compte du traitement.

«Il s'agit, par conséquent, d'un processuspermanent, intégré dans les soins, et centré surle patient.»Deuxième point, très important : il s’agit, parconséquent, puisque c’est la vie - et là on touche lespouvoirs publics - d’un processus permanent. Tropsouvent les soignants, parce que leurs racines sontdans la médecine aiguë, confondent l’éducationthérapeutique avec la vaccination contre le tétanos.«Je vous ai vacciné contre le tétanos. On va se revoirdans 10 ans mais, pendant 10 ans, c’est bon».

«L'éducation implique des activités organisées desensibilisation, d'information, d'apprentissage del'autogestion et de soutien psychologique...»Une maladie, comme vous l’avez dit, Dr BOELEN,peut avoir une définition organique. Il y a le patient, etpuis il y a le contexte. Cette maladie a donc aussi unedimension psychosociale. La formation médicaleinitiale a, hélas, biaisé la notion de maladie commeétant uniquement une démarche, undysfonctionnement biologique. Le médecin,l’infirmière, la diététicienne qui doivent gérer le patient«chronique» sont les témoins éplorés desconséquences psychosociales de la maladie, parcequ'ils n'ont pas les capacités d'y répondre aussi bienqu'ils ne voudraient le faire.

«Elle vise à aider les patients et leurs familles àcomprendre la maladie et le traitement, coopéreravec les soignants, vivre plus sainement etmaintenir ou améliorer leur qualité de vie.»Là, nous avons eu les écologistes des soins qui nousont agressés en disant : «Ah ! Ça, c’est clair ! Vousvoulez faire de vos malades de bons malades quivont vous satisfaire, vous». Et si c’était vrai, pour quele soignant puisse fonctionner correctement ?Que faire lorsque l’un de vos patients s’adresse à vousau sujet de son hypertension et vous dit : «Docteur,ça ne va pas. - Mais enfin qu’est-ce qui ne va pas ?- Ça ne va pas. - Je vous suis pour votrehypertension, mais quelles sont les valeurs ? - Ellessont trop hautes. - Vous les avez mesurées ? - Oui.Mais quand ? - Il y a 6 mois» ?L'idée est de faire en sorte que le malade - et là, onpourrait imaginer qu’il devient citoyen - soit uncollaborateur du niveau des soignants, pour que lecontact thérapeutique soit éclairant pour le soignant.Pour cela, il faut former le malade à traduire sesimpressions, à traduire cette phraséologie peu claireen des déclarations plus précises que le soignant

puisse développer.

Habituellement, l’OMS fait des documents surl’hypertension, sur l’asthme bronchique, sur lesmalades hépatiques,… Le document présenté ici est,je pense, le premier document horizontal parce qu’ilconcerne les soignants qui prennent en charge à peuprès 80 maladies répertoriées et où la formation dumalade est la seule garantie d'efficacité des traitementspharmacologiques.

En conclusion

Je conclus par cette cascade de phrases qui nousmobilise tous :

«Mais êtes-vous sûr que c’est vraimententendu ? »A l’OMS, il se dit des tas de choses, mais il y a quandmême énormément de choses de l’OMS qui sontentendues.

«Est-ce que ce qui a été entendu des déclarationsde l’UNESCO a vraiment été compris ?»En général, oui, parce que ce sont des documentsbien équilibrés.

«Mais est-ce que cela a été accepté ? Cela ne vientpas de chez nous. Donc... »Là, on repart à zéro. Mais quand on a de la chance,cela a été accepté.

«Est-ce que c’est mis en pratique ? Alors là, n’est-ce pas, pour la mise en pratique, il faut que j’aillevoir le ministre».Vous voyez, dans le fond, cette cascade du désir àl’application.

Je terminerai par une anecdote que j’ai apprise hierquand j’ai été voir l’exposition admirable des peinturesde CHARDIN : CHARDIN va à une réunion dans unconclave de peintres et il entend un peintre qui décritadmirablement comment il mélange ses couleurs -parce qu’à l’époque, il n’y avait pas de tubes depeinture et la facture de la peinture était donc unespécificité, une finesse tout à fait particulière.Au bout d’un moment, CHARDIN ne supporte plusce type qu’il jugeait un mauvais peintre, qui faisait despeintures froides et uniquement avec de la technicité.CHARDIN s’énerve et dit : «Mais enfin, qu’est-ce quivous dit qu’on peint avec les couleurs ?». Le peintreen question dit : «Mais avec quoi donc, maître ?»CHARDIN lui dit très humblement : «Vous savez, onse sert de couleurs mais on peint avec lesentiment ».

Ça, je pense que l’on pourrait un peu le traduire dansl’éducation thérapeutique. On enseigne avec unemaîtrise de pédagogie thérapeutique mais on n’estefficace qu’avec le sens clinique.Et cela remet tous les soignants de nouveau dans leurprofession, dans leurs difficultés, dans l’impossibilitéde tout résoudre. Cela nous protège aussi de croireque la pédagogie en tant que telle va résoudre quelquechose. Dr BOELEN parlait de pertinence. Lapertinence est justement la pertinence clinique.

Définition de l'EducationThérapeutique du Patient (OMS,1998) :

«L'Education Thérapeutique duPatient devrait permettre auxpatients d'acquérir et de conserverles capacités et compétences qui lesaident à vivre de manière optimaleleur vie avec leur maladie. Il s'agit,par conséquent, d'un processuspermanent, intégré dans les soins,et centré sur le patient.L'éducation implique des activitésorganisées de sensibilisation,d'information, d'apprentissage del'autogestion et de soutienpsychologique concernant lamaladie, le traitement prescrit, lessoins, le cadre hospitalier et desoins, les informationsorganisationnelles, et lescomportements de santé et demaladie.Elle vise à aider les patients et leursfamilles à comprendre la maladie etle traitement, coopérer avec lessoignants, vivre plus sainement etmaintenir ou améliorer leur qualitéde vie.»

Page 19: VERS UNE NOUVELLE CONCEPTION DE LA RELATION ...ergotooletp.e-monsite.com/medias/files/bep-2000-hs.pdfVERS UNE NOUVELLE CONCEPTION DE LA RELATION SOIGNANT-SOIGNÉ PARTICIPATION DU PATIENT

17

Bulle

tin d

'Educa

tion d

u P

atie

nt, V

ol. 1

9 - H

ors sé

rie - 2

000

THÈME 2 :

L'Education thérapeutique du Patient :

Histoire des pratiques de santé

INTERVENANTS :

Pr Jacques Bury Page 18

Pr Alain-Charles Masquelet Page 21

Pr Georges Vigarello Page 24

Page 20: VERS UNE NOUVELLE CONCEPTION DE LA RELATION ...ergotooletp.e-monsite.com/medias/files/bep-2000-hs.pdfVERS UNE NOUVELLE CONCEPTION DE LA RELATION SOIGNANT-SOIGNÉ PARTICIPATION DU PATIENT

18

Bulle

tin d

'Educa

tion d

u P

atie

nt, V

ol.

19 -

Hors

série -

2000

Mesdames, mesdemoiselles, messieurs, mercibeaucoup d’abord pour cette invitation à un colloqueambitieux par le sujet, par l’ampleur et par la variétédes invités.

Mon propos sera plutôt d'ouvrir des pistes de réflexionque de tenter de clore un débat en apportant desréponses. Je dois dire que j’appartiens au courant deceux qui pensent qu’on observe les choses, maisqu’on les influence peu. Je crois que ce sont desphénomènes sociaux complexes qui ont tendance àse développer comme résultante d’un ensembleextrêmement varié de forces peu contrôlables. Celafait partie, par exemple, des difficultés de fond que j’aieues, et que j’ai encore, avec une organisation commel’OMS. Je crois vraiment profondément à l’utilité del’utopie, je ne suis pas sûr que l’Organisation puissefaire beaucoup plus que cela.

La place du patientdans l'évaluation

L’évaluation tient nécessairement compte, je crois, del’avis des patients, voire de leur famille. Prendre cetavis n’est pas nécessairement quelque chose desimple. Il ne s’agit pas uniquement de demander :«Etes-vous satisfait ou pas ?» Il faut aussi savoir«satisfait de quoi ?».La satisfaction globale se décompose éventuellementen des points où on est très satisfait et des points oùon ne l’est pas du tout.Et puis, on peut être satisfait tout de suite ou pas, onpeut être satisfait plus tard ou pas. Comme il s’agitfondamentalement des maladies chroniques, la duréedevient, dans ce cas, un élément tout à fait important.

Le patient acteur etproducteur de santé

Tout d'abord, signalonsl'existence d'une distinctionentre Education Thérapeu-tique du Patient et éducationpour la santé du patient carce sont deux réalités quisont en question : l’une,c’est le monde des patients,et l’autre, c’est le monde del’éducation pour la santé engénéral.Le concept de patientacteur, de patient produc-

teur de santé, s’oppose à l’illusion que ce sont lesmédecins qui produiraient la santé. Si l’on n’a pascompris cela, je pense qu’il faut tout recommencer àzéro. C’est le patient qui produit la santé avec l’aideéventuelle des médecins.Ce sont des pas incontournables parce qu’il y a desphénomènes sociaux qu’on observe - je ferai référenceà quelques-uns d’entre eux - et il y a des jeux derésistance normaux, inévitables, que nous aurionstous si nous étions attaqués. Je pense que l’on aintérêt à employer des mots un peu réels. Nousattaquons des positions de privilèges quand nousparlons actuellement de réforme des systèmes desanté dans tous les pays.

Evolution des conceptionsde la relation soignant/soigné

Il y a 20 ans, on ne parlait même pas d’information,d’éducation pour la santé. On parlait de l’informationmédicale. A cette époque, il me semblait que cetteinformation médicale était en jeu entre lesprofessionnels, l’Etat et la population, et qu’en effet, ils’agissait bien d’une forme de lutte de pouvoir, avecdes consensus. Ce courant sociologique a montré,au-delà de la vision des années 60-70 du courantfonctionnaliste, la complémentarité des rôles. On estpassé à une étape peut-être plus marquée parl’analyse des structures et des organisations, etnotamment des corps professionnels, et parl’introduction du conflit dans les relations socialescomme une réalité, une donnée.A l’époque, je pensais que ce qui intéresse les patients,c’est le domaine du pronostic et des résultats, et quec’est là que l’on tombe dans l’incertitude. Ce n’est paspar hasard si cette incertitude - que soulignait lePrMÉNARD, n’intéresse pas et reste étranger auxmédecins. Les médecins ne s’intéressent pasbeaucoup au pronostic.

En 1990, sur l'invitation deJ e a n - F r a n ç o i sd’IVERNOIS, j'avais abordéla notion d'apprentissage dela gestion des incertitudes àla Conférence des doyensde facultés de médecinefrancophones. Un ou deuxdoyens illuminés m’avaiententendu, mais pas plus.

Quand on parle, comme onle fait maintenant, departicipation réelle du

L'Education thérapeutique du Patient :un pas incontournable dans l'évolution

des systèmes de santépar Jacques Bury (1)

Bulletin d'Education du Patient,Vol. 19 - Hors série - 2000.

(1) Psychiatre, Professeur en SantéPublique,Institut de Médecine Sociale etPréventive, CMU,CH-1211 Genève.Tél. : ++ 41 22 702 59 19Fax : ++ 41 22 702 59 12E-mail : [email protected]

Mots-clés : Educationthérapeutique du Patient,patient acteur, apprentissagede l'autonomie, partenariat,gestion des incertitudes,capital social, citoyenneté.

Page 21: VERS UNE NOUVELLE CONCEPTION DE LA RELATION ...ergotooletp.e-monsite.com/medias/files/bep-2000-hs.pdfVERS UNE NOUVELLE CONCEPTION DE LA RELATION SOIGNANT-SOIGNÉ PARTICIPATION DU PATIENT

19

Bulle

tin d

'Educa

tion d

u P

atie

nt, V

ol. 1

9 - H

ors sé

rie - 2

000

patient dans l’acte thérapeutique, je crois que celasignifie profondément que cet acte thérapeutiquedevient l’objet d’une négociation entre partenaires. Jene vois pas comment on peut définir cela autrement.C’est précisément ce genre de chose qui n’est pasnaturellement inscrit dans la formation médicale.Quand je parle de la formation médicale - je ne parlepas beaucoup du contenu des cours, qui n’a, denouveau, qu’une importance toute relative - je parleessentiellement de l’apprentissage de modèles deconduite et de modèles professionnels.

Ce que le Pr J.-Ph. ASSAL a notamment redit cematin, si on doit essayer de résumer en une phraselaconique quel est l’objet de l’éducation des patients,c’est essentiellement l’apprentissage de l’autonomieou d’un degré plus important d’autonomie dans lagestion, intégrée dans leur vie, de leur maladie, leurhandicap. De ce point de vue là, c’est subversif parrapport au système actuel.

Dans un précédent colloque, Jean-Françoisd’IVERNOIS avait dit, je crois : «La différence entreun patient éduqué et un patient pas éduqué, c’est unevaleur ajoutée qui est un potentiel mobilisateur». C’està la fois un potentiel mobilisateur du patient dans sapropre vie, dans ses relations immédiates avec sonmilieu familial mais aussi un potentiel mobilisateur dupatient considéré comme acteur d’un système socialplus général.

Je voudrais aussi rappeler que le niveau d’éducationgénérale dans une population est un des déterminantsles plus importants des niveaux de santé. C’estnettement plus important qu’une quelconque formed’organisation du système de santé.D’où ce rôle nouveau, espéré, des professionnels dela santé comme médiateurs.

Petite parenthèse : Jean-Philippe ASSAL nousévoquait tout à l’heure ce cas dramatique, et nousdisait : «Quand cette patiente était en chirurgie de latransplantation, ils ont négligé des aspects, et, vouscomprenez, elle n’était pas chez nous», ce qui esttout à fait juste et qui rappelle les territoiresprofessionnels à l’intérieur de l’hôpital. Mais elle n’étaitpas chez elle, à l’hôpital, et c’est cela qui estdramatique.

Permettez – moi un parallélisme, notamment parcenous sommes dans cette maison de l’UNESCOconcernant la lutte contre l’illettrisme : on a essayéinitialement d’apprendre aux gens à lire pour se rendrecompte finalement que la question était beaucoup plusglobale et était celle d’un rapport au médium et à l’écrit.Il y a quelque chose de similaire ou de parallèle : il y aun problème d’apprentissage qui n’est pas seulementà «sa» maladie d’aujourd’hui et des années quiviennent mais qui est un problème d'apprentissage àl’utilisation appropriée et adéquate de tout le systèmede santé «à l’occasion de».

Dans plusieurs colloques, on a rappelé à très justetitre, qu’il est impossible de parler d’un partenaire sansparler des autres. Vous me direz que c’est la définitiond’un système et que l’on est d’accord. Il y a un

ensemble de concepts qui se tiennent et sont reliésentre eux : les droits des patients, les devoirs despatients, les droits des professionnels et les devoirsdes professionnels. Il est difficile, je crois, d’aborderl’un en négligeant les autres.Quand on écoute les patients parler, une des chosesqui revient incessamment, c’est : «On ne veut pasêtre traités comme des enfants». Il existe uneinfantilisation qui est l’image en miroir du paternalisme.

D'où vient le changement ?

Abordons les changements dans les systèmessociaux et dans les systèmes de santé. Je ne croispas qu’il y ait une décision politique qui arrivebrusquement. Comme Ch. BOELEN le disait, elle estlà-haut, elle peut flotter, pendant des années sans querien ne se passe, ou bien des changements peuventintervenir, sans passer par une décision législative.

On a commencé à faire des interruptions volontairesde grossesse. On a commencé à faire de l’euthanasie.On a commencé à faire presque tout. C’est normal, iln’y a pas lieu de se plaindre. Cela ne doit pas venird’en haut, sauf dans des grandes dictatures. C’estune interrelation entre une réalité mouvante dontprennent acte, à un moment donné, un pouvoirpolitique, un pouvoir législatif et des décisions degestion.

Que voit-on apparaître dans les années récentes ?La qualité de la vie des patients, concept peu courantil y a 20 ou 25 ans dans la littérature. Maintenant, ilest impossible d’ouvrir un journal sans y voir uneréférence.Il en est de même pour l’assurance qualité dans lesservices dont il faut préciser ce que l’on y inclut.Quelqu’un a posé tout l’heure cette question de : «Est-ce qu’on prend en compte l’opinion des patients ?»Je peux vous dire qu'en 1988, lorsque nous avonscréé un cours d’évaluation de qualité à l’Universitéde Louvain, comme j’étais conseiller du doyen de lafaculté, je lui ai dit : «C’est bien, c’est une bonneinitiative. Ils n’ont pas prévu comment on prendraitl’opinion des patients». Il m’a dit : «Ah oui ! Tu asraison. Je ferai la remarque au conseil de faculté».Celui-ci n'a pas retenu la proposition. Heureusement,en remontant au niveau du rectorat, les facultés desciences humaines ont exigé qu’il y ait un chapitredans ce cours qui porte sur la prise en compte del’opinion des patients.Donc, les opinions changent change. Actuellement,personne ne s’autorisera ou ne sera accepté pourpublication dans une évaluation de qualité qui ne tiennepas compte du point de vue des patients.

Il est intéressant aussi d’observer le vocabulairenouveau qui est apparu dans les années récentes,dans les «clinical guidelines», et qui est arrivé enFrance quelques années plus tard mais s’est traduitsous forme de références médicales opposables. Lagrande crainte américaine était que l’on se serve deces «clinical guidelines» pour faire des cas depoursuite dans les tribunaux. Je suis d’accord avectous ceux qui diront : «Pourvu qu’on n’évolue pas versun système à l’américaine où les gens sont au

Quand on parle, comme on le faitmaintenant, de participation réelledu patient dans l’actethérapeutique, je crois que celasignifie profondément que cet actethérapeutique devient l’objetd’une négociation entrepartenaires. Je ne vois pascomment on peut définir celaautrement.

Quand on écoute les patientsparler, une des choses qui revientincessamment, c’est : «On ne veutpas être traités comme desenfants». Il existe uneinfantilisation qui est l’image enmiroir du paternalisme.

Il y a un problème d’apprentissagequi n’est pas seulement à «sa»maladie d’aujourd’hui et desannées qui viennent mais qui estun problème d'apprentissage àl’utilisation appropriée etadéquate de tout le système desanté «à l’occasion de».

Page 22: VERS UNE NOUVELLE CONCEPTION DE LA RELATION ...ergotooletp.e-monsite.com/medias/files/bep-2000-hs.pdfVERS UNE NOUVELLE CONCEPTION DE LA RELATION SOIGNANT-SOIGNÉ PARTICIPATION DU PATIENT

20

Bulle

tin d

'Educa

tion d

u P

atie

nt, V

ol.

19 -

Hors

série -

2000

tribunal, et où les avocats attendent dans la cour deshôpitaux». Cela ne me paraît pas être une raison pourtomber dans un autre excès. Et nous savons que dansdes systèmes complexes et démocratiques commeles nôtres, il est important que les forces conjuguéescontribuent à un changement. Je crois qu’il est bon etsalutaire qu’il y ait des poursuites de «bad practice»devant les tribunaux. Cela fait partie des forces quifont changer une culture.

Lors d'un colloque précédent, quelqu'un disait :«L’hôpital est certainement le lieu privilégié de ladépossession de pouvoir». C’est, on l’a dit souvent,une zone de non-droits, comme l’école est aussisouvent une zone de non-droits. Il y a donc, d’unepart, le droit qui intervient, mais, d’autre part, au niveaudes directeurs d’hôpitaux, il y a une chanson qu’ilsaiment, autour de la notion de fidélisation de clientèle.

Etre acteurà différents niveaux

Je suis depuis 15 ans profondément convaincu - etl’expérience que j’ai eue à l’OMS et puis à l’Associationdes Ecoles de Santé Publique m’a conforté dans cetteconviction - qu’il y a une continuité et non pas desruptures entre les patients, les usagers des servicesde santé et les citoyens, et de même, entre lesassociations de patients, les associations d’usagerset les associations de citoyens. C’est cela qui nousramène au thème de notre colloque : citoyenneté desanté. Les niveaux sont variables.

Le niveau des patients

Il existe un premier niveau micro individuel, celui dupatient avec son petit groupe familial, son entourageprofessionnel immédiat, autour d’une pathologie, peut-être un peu compliquée, peut-être une doublepathologie.

Le niveau des usagers des services de santé

Le niveau intermédiaire est celui des groupesd’usagers, éventuellement autour d’un hôpital ou d’unservice de santé.

Le niveau des citoyens

Il concerne l’ensemble des services de santé. D’où,par exemple, le rôle des Conférences Nationales deSanté, des Etats Généraux de la Santé.

Ce sont des démarches qui s’inscrivent, pour moi,fondamentalement dans le même mouvement. Celatraduit la réponse à un besoin de la société et cela vadans le sens d’une forme de démocratie de la santé.Je crois que cela déborde le service de santé. Celamet les citoyens dans une attitude par rapport à unPouvoir Organisateur ou un Etat. Parce qu’il s’agittoujours d’une visée d’éducation.Pour la plupart des Ministères de l’Education, leurmission est de former des adultes autonomes. Je nesuis pas sûr que le système éducatif contribueexactement à cela, mais cela ne fait rien.Il s’agit quand même, pour nous, d’aider à uneparticipation éclairée des individus et des groupes auxprises de décisions qui les concernent. C’est ça,

l’éducation.La différence entre l’éducation et l’information, c’estce passage-là, et l’information ne suffit pas. Il fautqu’elle soit là, mais le rôle de l’éducation par rapport àl’information, c’est d’en permettre l’appropriation parles sujets.

On observe cette évolution certainement depuis 30ans. Cela prendra probablement encore 30 ans. Ceque l’on voit apparaître dans la même ligne, c’estl’intérêt pour l’intersectoralité. Je reboucle aussi laboucle sur l’OMS. Quand l’OMS a commencé à parlerd’intersectoralité, il y a 15 ans, tout le monde a dit :«Oh ! C’est intéressant !», et personne n’a rien fait.Mais les choses changent. Maintenant, on commenceà se poser sérieusement des questions sur lestransports et la pollution, sur la nutrition et le rôle del’industrie agro-alimentaire. Ce sont les mêmesquestions.

La notion de « capital social »

Le dernier concept que je souhaite mentionner, c’estla notion du «capital social», notion émergente qui vase définir dans les années à venir mais qui, je crois,est une notion englobante et va devenir centrale dansle débat, et particulièrement par rapport à laglobalisation.Par exemple, il faut comprendre que le problème deMichelin n’est pas seulement un problème français,c’est un problème global, et c’est aussi un problèmede savoir comment les Etats actuels, transitoires, sesituent par rapport à des problématiques globales. Laréponse est essentiellement, pour l’instant, dans ladérégulation que l’on a acceptée, avec les accordsdu GATT, et dont j’ai dit à l’époque que c’était ce quiinfluencerait le plus la santé et les systèmes de santé.Cette dérégulation, non contrôlée, amène maintenantà cette situation où l’on ne sait pas comment on peutréagir et contrôler ce genre d’opérations dont l’effetprincipal est la destruction du capital social. A quoipeuvent s’opposer potentiellement ces tentatives ?J’ai été interrogé à Montréal sur les problèmes del’évaluation de ce genre de pratiques nouvelles. Je leurai répondu : «Arrêtez de vous occuper des techniquesd’évaluation. Ce n’est pas important. L’essentiel, c’estde refuser d’être évalué sur le court terme». On n’apas d’impact à court terme sur des changements dementalité, des changements culturels. Or, c’est bience qui est visé derrière les réseaux. Ce n’est passimplement le fait d’avoir économisé 3% deconsultations superfétatoires qui est essentiel, maisc’est que l’on mette en relation des gens qui ont deschoses à faire ensemble et qui peuvent ensembleorganiser les choses avec une forme différente,alternative et non passive surtout.

Une question d'altruisme

Pour terminer et répondre un peu à la question deJ.-Ph. ASSAL, sur ce qu'il y a d'indispensable àdévelopper pour faire de l'Education du Patient, del'Education pour la Santé, c'est, je crois, uneconception de l'homme et de la société. Je pense quecela rejoint ce qui, peut-être, est fondamentalementune question d’altruisme.

Il s’agit quand même, pour nous,d’aider à une participationéclairée des individus et desgroupes aux prises de décisionsqui les concernent. C’est ça,l’éducation.La différence entre l’éducation etl’information, c’est ce passage-là,et l’information ne suffit pas. Ilfaut qu’elle soit là, mais le rôle del’éducation par rapport àl’information, c’est d’en permettrel’appropriation par les sujets.

L'essentiel est que l’on mette enrelation des gens qui ont deschoses à faire ensemble et quipeuvent ensemble organiser leschoses avec une forme différente,alternative et non passive surtout.

Ce qu'il y a d'indispensable àdévelopper pour faire del'Education du Patient, del'Education pour la Santé, c'est, jecrois, une conception de l'hommeet de la société.

Page 23: VERS UNE NOUVELLE CONCEPTION DE LA RELATION ...ergotooletp.e-monsite.com/medias/files/bep-2000-hs.pdfVERS UNE NOUVELLE CONCEPTION DE LA RELATION SOIGNANT-SOIGNÉ PARTICIPATION DU PATIENT

21

Bulle

tin d

'Educa

tion d

u P

atie

nt, V

ol. 1

9 - H

ors sé

rie - 2

000

(1) Chirurgien orthopédiste, Historiende la médecine,

Université Paris XIII,Rue Marcel Cachin, 74,F-93012 Bobigny cedex.

Hôpital Avicenne, Serviced’orthopédie,Rue de Stalingrad, 125,F-93000 Bobigny.Tél. : ++ 33 (0)148 95 53 10

(ou 53 11)Fax : ++ 33 (0)1 48 95 53 19

Je voudrais d’abord remercier Jean-Françoisd’IVERNOIS de son invitation, mais je pense qu’il n’apas évalué tout à fait les risques de m’avoir invité,parce que je suis effectivement un de ces praticiensde terrain coincés entre la consultation, la chirurgie,le bloc opératoire, les discussions avec les directeursd’hôpitaux - et j’en passe ! - ce qui laisse assez peude temps pour réfléchir. Et cela est attesté finalementpar l’intitulé de mon exposé, qui est assez flou pourlaisser penser qu’il ne recouvre pas grand-chose, en réalité.

De nouveaux enjeux politiques

Cela dit, en guise d’introduction et avec votrepermission, je voudrais dire ce qu’évoque pour moil’intitulé de ce colloque, intitulé qui s’inscrit dansl’irruption, somme toute assez récente, de termes, d’unvocabulaire qu’on n’était pas habitué à lire ni à entendredans le domaine de la santé (en tout cas, dans lapratique de terrain) : éducation , citoyenneté ,démocratie sanitaire . Ces termes traduisent, à monsens, assez bien que la santé est devenue désormaisun théâtre d’enjeux politiques - politiques, au sensnoble du terme bien sûr - c’est-à-dire dans le sensd’un projet de transformation de la société dans le butd’assurer une maîtrise toujours plus grande de son destin.

Le mot «citoyenneté» renvoie au rôle capital desassociations qui sont susceptibles de remplir deuxfonctions ou deux rôles :- un rôle de contre-pouvoir, c’est-à-dire celui de

contester ou d’infléchir une décision;- un rôle de pouvoir, celui de formuler et de faire

appliquer une orientation.

L’«éducation» laisse transparaître des enjeuxd’autonomie, de liberté, de maîtrise par l’instaurationd’un transfert de savoir, avec ses concepts et sestechniques. Plus que de savoir d’ailleurs, il vaudraitmieux, à mon sens, parler de connaissances, au sensétymologique du terme, c’est-à-dire de «co-naître»,de naître ensemble. Nous sommes probablement icipour célébrer les vertus dela connaissance entresoignants et soignés.Mais il est questiond’Education Thérapeutiquedu Patient.A ce stade, je pense que lemot «patient» peut semblermal choisi si on le prenddans son acceptionhabituelle. Il signifie : lapersonne qui souffre sansmurmurer, qui endure, quisupporte, qui subit.Il s’accorde mal, dès lors,avec l’ouverture que

suggère la citoyenneté vers l’action responsable.Si, au contraire, on assigne au «patient» la vertud’attente, l’éducation apparaît alors comme uninvestissement, un projet social, un projet de vie -comme cela a été dit ce matin - quelque chose quis’inscrit contre la temporalité de l’urgence, contre undésir ou une demande qui réclame une satisfactionimmédiate. L’éducation requiert du temps et uneattention réciproque.

Pour en venir à la matière de mon exposé, on peutcertes ne pas croire en une raison qui opérerait dansl’histoire. Je tenterai cependant de montrer quel’éducation thérapeutique répond à une nécessitéhistorique et qu’elle n’est pas, en tout cas, l’effet d’unmouvement de bonté d’une médecine désormaissoucieuse de son image de marque et qui adopteraitsoudain une posture philanthropique, toujours dansun but intéressé.

D'où vient la notiond'Education du Patient ?

La question que je me suis posée est la suivante :«Comment en est-on arrivé à penser cette notion,assez étrange, il faut bien le dire, d’éducation dupatient ?»Plaçons d’abord une borne aux deux extrêmes.ARISTOTE tenait pour le type de causalité parfaite lemédecin qui se soigne lui-même : «Je me soigne bienparce que je suis médecin et je suis devenu médecinparce que je désirais rester en bonne santé».L’autre borne de l’extrême est illustrée par une phrasede Auguste BROCA, chirurgien des hôpitaux,professeur à la Faculté de Médecine de Paris, un«Mister knows best», phrase qu’il a écrite dans lapréface de la nouvelle «Encyclopédie pratique demédecine et d’hygiène», qui était un livre devulgarisation médicale écrit par le Dr REM et publiéen 1922 à Paris (Librairie Aristide Quillet).Auguste BROCA en s’adresse à M. REM en cestermes :

«Vous avez écrit en effet unvéritable traité élémentairede physiologie normale etpathologique. Vous expli-quez ce qu’est le labora-toire, vous groupez didac-tiquement vos descriptions.Votre but principal est d’ap-prendre au profane pour-quoi, quand et comment ilfaut consulter un médecin,seul capable d’établir undiagnostic et, par consé-quent, d’établir un traite-ment. On ne peut pas, en

Corps et pratiques de santé

par Alain-Charles Masquelet (1)

Bulletin d'Education du Patient,Vol. 19 - Hors série - 2000.

Mots-clés : Educationthérapeutique du Patient,citoyenneté, Descartes,histoire de la santé, corps,objectivation, réappropriationdu corps, écoute, réciprocité,partenariat.

La santé est devenue désormais unthéâtre d’enjeux politiques -politiques, au sens noble du termebien sûr - c’est-à-dire dans le sensd’un projet de transformation dela société dans le but d’assurerune maîtrise toujours plus grandede son destin.

Page 24: VERS UNE NOUVELLE CONCEPTION DE LA RELATION ...ergotooletp.e-monsite.com/medias/files/bep-2000-hs.pdfVERS UNE NOUVELLE CONCEPTION DE LA RELATION SOIGNANT-SOIGNÉ PARTICIPATION DU PATIENT

22

Bulle

tin d

'Educa

tion d

u P

atie

nt, V

ol.

19 -

Hors

série -

2000

effet, comprendre un de vos paragraphes sans avoircompris le chapitre entier, sans avoir compris, parconséquent, les principes directeurs du médecinauquel, dès lors, on obéira mieux».Je pense qu’on ne peut pas être plus clair d’unecertaine tendance de la médecine qui a perduréjusqu’à nos jours.

DESCARTES, le précurseur

Entre la causalité circulaire d’ARISTOTE et un ordresacerdotal exerçant son pouvoir, où puiser à la source,historiquement parlant, la problématique de la relationsoignant-soigné ?C’est évidemment une thèse que je défends. Elle esttout à fait personnelle. Mais le point de départ obligéme semble résider dans les écrits du grand penseurde la modernité, celui dont le discours même fonde lamodernité au XVIIème siècle, c’est-à-dire RenéDESCARTES. Celui-ci anticipe le développement dela médecine moderne en ce qu’il montre que laquestion de la maladie et le fondement de l’actethérapeutique sont étroitement liés à la représentationdu corps. Au siècle de la formalisation mathématiquedu mouvement, DESCARTES contribue amplementà la réfutation d’ARISTOTE. DESCARTES est untenant du mécanisme - mécanisme entendu commeexplication des propriétés ou des caractéristiques d’unobjet par référence non à une fin (réfutationd’ARISTOTE), non à une fonction (réfutation deGALIEN) mais à la seule configuration ou dispositiondes parties.Ainsi, au XVIème siècle, qui découvre le corpsanatomique (voir le formidable travail de VÉSALE)succède le mécanisme du XVIIème siècle qui confèreson autonomie à la sphère des corps en expliquant lecorps par le corps seul.

DESCARTES, dans un passage fameux de la sixièmepartie du «Discours de la méthode» - je ne vais pasrésister au plaisir de vous le lire - reconnaît la faiblessede la médecine de son temps mais affirme, envisionnaire, sa possibilité théorique, son utilité et sonavenir historique. DESCARTES parle des quelquesnotions générales de physique qu’il a acquises : «Ellesm’ont fait voir qu’il est possible de parvenir à desconnaissances qui soient fort utiles à la vie. Nousles pourrions employer en même façon à tous lesusages auxquels ils sont propres et ainsi nous rendrecomme maîtres et possesseurs de la nature». Maisc’est la suite qui est la plus intéressante : «Ce quin’est seulement à désirer pour l’invention d’une infinitéd’artifices qui feraient qu’on jouirait sans aucune peinedes fruits de la terre et de toute les commodités quis’y trouvent mais principalement pour la conservationde la santé, laquelle est sans doute le premier bienet le fondement de tous les autres biens de cette vie.Car même l’esprit dépend si fort du tempérament etde la disposition des organes du corps que, s’il estpossible de trouver quelque moyen qui rendecommunément les hommes plus sages et plushabiles qu’ils n’ont été jusqu’ici, je crois que c’est dansla médecine qu’on doit le chercher».

Il y a quand même là-dedans l’esquisse d’un projetsocial, en définitive. «Il est vrai que celle qui est

maintenant en usage contient peu de chose - il enest parfaitement conscient - dont l’utilité soit siremarquable, mais sans que j’en aie aucun desseinde la mépriser, je m’assure qu’il n’y a personne,même de ceux qui en font profession, qui n’avoueque tout ce qu’on y sait n’est presque rien àcomparaison de ce qui reste à y savoir et qu’on sepourrait exempter d’une infinité de maladies, tant ducorps que de l’esprit, et même aussi peut-être del’affaiblissement de la vieillesse, si on avait assez deconnaissances de leurs causes et de tous lesremèdes dont la nature nous a pourvus».

Ce qui est intéressant à savoir, c’est que, du tempsde DESCARTES, le bruit courait qu’il suivait tout untas de régimes diététiques dans l’espoir de vivre 500ans, à l’instar des patriarches.

Une conception double de la médecine

En réalité, DESCARTES a une conception double dela médecine - c’est cela qui me semble intéressant :

D’une part, il entrevoit la possibilité d’une médecinefondée sur une connaissance objective du corps,corps conçu comme un automate (les animaux-machines) sur lequel on peut opérer des interventions.En cela, il est extrêmement moderne : c’est lefondateur.D'autre part, il soutient une pratique de la médecinequi tiendrait compte du problème complexe de l’uniondu corps et de l’âme, une médecine fondée surl’expérience empirique quotidienne qui permet àchacun d’être son propre médecin. Là, nous touchonsdu doigt une problématique qui demeure d’actualité,qui est celle dont nous débattons aujourd’hui.

Ce double statut accordé par DESCARTES à lamédecine se retrouve dans sa conception dusymptôme, attestée par l’exemple fameux del’hydropique, c’est-à-dire le malade atteint d’hydropisie,dans la «VIème méditation métaphysique» (cfrcolonnette).Que veut dire DESCARTES à travers cet exemple ?Premièrement, il faut faire confiance à nos sensationset que tout signal émis par le corps est un besoin ducorps.Ensuite, en même temps et en revanche, le désir peutse révéler nocif, comme dans le cas de l’hydropique,de l’hydropisie, l’anasarque des matheux, le désir deboire est nocif.

Cet exemple nous donne à comprendre, selonDESCARTES, que le symptôme est insuffisant pourdonner du sens. Le symptôme ne délivre qu’uneindication probable. Il doit être intégré au raisonnementqui lui donne du sens. Il faut un regard qui fasse dusymptôme un signe.

«Ce qui rend possible la médecine, pourDESCARTES, c’est l’objectivation du corps, c’est-à-dire en faire un mécanisme visible - c’est un motimportant - soumis à l’entendement et au jugement.Mais, d’un autre côté, l’union du corps et de l’âme nepeut s’éprouver que par l’expérience. C’est pourquoi,en définitive, l’expérience permet de discerner ce quiest bon pour le corps. Notre corps est une

Extraits de la «VIème méditationmétaphysique», révélateurs de laconception du symptôme deDESCARTES.

« ... Or, il n’y a rien que cette naturem’enseigne plus expressément ni plussensiblement sinon que j’ai un corpsqui est mal disposé quand je sens de ladouleur et qui a besoin de manger oude boire quand j’ai les sentiments dela faim ou de la soif, etc. Et, partant, jene dois aucunement douter qu’il n’yait en cela quelque vérité ... ».

Suit un passage fameux également,que l’on apprend jusque dans lesclasses de terminale:« ... La nature m’enseigne aussi, parses sentiments de douleur, de faim, desoif, etc. que je ne suis pas seulementlogé dans mon corps ainsi qu’unpilote en son navire mais, outre cela,que je le suis conjoint très étroitementet tellement confondu et mêlé que jecompose comme un seul tout aveclui ... ».

« ... De même aussi, si je considère lecorps de l’homme comme étant unemachine tellement bâtie et composéed’os, de nerfs, de muscles, de veines,de sang et de peau, je reconnaisfacilement qu’il serait aussi naturel àce corps, étant par exemplehydropique, de souffrir la sécheressedu gosier, qui a coutume de signifier àl’esprit le sentiment de la soif et d’êtredisposé, par cette sécheresse, àmouvoir ses nerfs et ses autres partiesen la façon qui est requise pour boireet ainsi d’augmenter son mal à soi-même qui, lui, est naturel lorsqu’il n’aaucune indisposition d’être porté àboire pour son utilité par unesemblable sécheresse du gosier ... ».

Page 25: VERS UNE NOUVELLE CONCEPTION DE LA RELATION ...ergotooletp.e-monsite.com/medias/files/bep-2000-hs.pdfVERS UNE NOUVELLE CONCEPTION DE LA RELATION SOIGNANT-SOIGNÉ PARTICIPATION DU PATIENT

23

Bulle

tin d

'Educa

tion d

u P

atie

nt, V

ol. 1

9 - H

ors sé

rie - 2

000

composante de notre existence. Nous le connaissonsnon comme un objet mais comme une partie intimede notre être, nous l’éprouvons».

A travers ce déchiffrage, en quelque sorte, deDESCARTES, on saisit bien le grand écart qu’ils’impose quand il pratique la dissection - vous voussouvenez que DESCARTES a passé une grandepartie de sa vie en Hollande et que, dans sa chambre,il avait en permanence des animaux de dissection et,aux visiteurs qui lui rendaient visite, il disait, enmontrant un veau disséqué : «Voici ma bibliothèque».Quand il pratique la dissection, le corps est unautomate, mais, lorsqu’il soigne, il en reste - et je seraistenté de dire «heureusement» - à une conception dela maladie pensée à partir de la vie. PourDESCARTES, faute d’une science médicale assurée,l’expérience permet de pourvoir à la santé du corps.

Je pense que l’attention exprimée par DESCARTESest la même que ressentent nos patients, à ceci prèsque l’opacité de la médecine moderne s’est substituéeà sa faiblesse relevée par DESCARTES au XVIIème siècle.

L'objectivation du corps

Dans la représentation cartésienne du corps et lapossibilité théorique d’une science médicale, la notionde mise à jour d’un mécanisme est cruciale.Michel FOUCAULT a montré, dans d’admirablespages de «La naissance de la clinique», que lamédecine moderne est née au XVIIIème siècle, enquelque sorte, de la combinaison de l’idée d’unevisibilité absolue du corps et d’un regard inspiré parle raisonnement. Michel FOUCAULT dit, dans une trèsbelle phrase : «Le regard clinique, c’est celui qui faitaffleurer en surface ce qui gît invisible en profondeur»et aussi que la réalité du cadavre exposé par ladissection était l’espace du visible, par excellence, celuidu repérage des lésions à confronter aux symptômeset aux signes de la maladie. C’est le formidable travailde BICHAT.On en arrive alors à cette notion, qui me semblecruciale, qui est celle du visible comme condition dela médecine moderne. On peut ainsi dire que, à partirdu XIXème siècle, la médecine moderne apparaîtcomme une vaste entreprise de détournement ducorps, on pourrait même dire de confiscation :confiscation du corps du malade, bien sûr, confiscationdu regard du patient sur la lisibilité du symptôme quiest ce qu’il éprouve. La thérapeutique, au XXème siècle,progressivement s’échafaude sur un corps que je neconnais pas (mon intérieur invisible) à partir d’unsymptôme qu’on a travesti par un raisonnement quim’est complètement obscur.

La réappropriationde son corps par le patient

J’en arrive à ce qui me paraît être la clé de l’espècede genèse ou de généalogie de l’Educationthérapeutique du Patient : l’Education thérapeutiquecomme conséquence obligée d’une réappropriationde son corps par le patient lui-même, réappropriationfondée sur la prééminence d’une représentation ducorps vécu, du corps éprouvé.

Cette représentation tire son origine finalement demultiples sources elles-mêmes intriquées :- Des sources philosophiques - sur lesquelles jene m’étendrai pas, faute de temps et de compétences-mais on peut citer le renversement nietzschéen ducorps grande raison, l’apport de la psychanalyse(FREUD et LACAN), l’approche phénoménologique(celle de MERLEAU-PONTY en particulier).- Des sources sociales , car il est impossible depasser sous silence le vaste mouvement de libérationdes corps des années 60, 1968, conçue commecondition, à l’époque, de la libération politique.- Des sources culturelles , avec le changementradical des pratiques corporelles à partir des années70 marqué par la très belle expression dePrVIGARELLO, qui a beaucoup travaillé sur le sujet,«la montée de l’intime» qui s’accompagne alors dudésengagement social et politique.- Une source médicale (le ver est dans le fruit), parla prise de conscience progressive des patients eux-mêmes de l’échec relatif de la médecine modernerésultant de l’incapacité à prendre en compte la totalitédu lisible, c’est-à-dire le symptôme, au profit d’uneobjectivation accrue du visible.

L'influence des nouvellestechnologiques

Je voudrais terminer en insistant sur l’importance del’effet et des conséquences des nouvellestechnologies sur ce que j’ai appelé la réappropriationdes corps.

Après avoir confisqué le corps pendant deux siècles,la médecine moderne le met à présent à l’écart, carla transparence comme achèvement de la visibilité,transparence obtenue par les investigations d’imagerieactuelle (scanner, IRM, échographie dynamique,reconstruction en trois dimensions) - et le progrèsn’est pas terminé - cette transparence fait que le corpsmalade n’appartient plus au médecin, et c’est tantmieux. L’examen clinique - on le voit chaque jour dansnos hôpitaux - devient désuet. Il est même ressentiparfois par le patient comme inconvenant. Le patientlui-même voit désormais son propre corps au mêmetitre et sur le même rang d’égalité que le médecin quin’a plus recours systématiquement à l’examenclinique.Dès lors, la relation soignant-soigné s’en trouvemodifiée. L’écoute devient la partie essentielle del’examen clinique pour redonner toute sa valeur, sasignification, son réinvestissement au symptôme face,en définitive, à la sécheresse et à la pauvreté du signe.De façon conjointe, la technologie qui oeuvre enchirurgie oeuvre pour une nouvelle clôture des corps.Par analogie, on pourrait dire que cette clôture descorps est parallèle, semblable à celle du Moyen Age.Finis les grandes incisions, les ventres largementouverts, les «plongées dans la nuit des tissus»,comme le disait René LERICHE. Non ! la chirurgiemini-invasive, la vidéochirurgie jouent, à mon sens,également le sens d’une réappropriation des corpspar les patients qui sollicitent une participation audéroulement de l’acte thérapeutique. L’éducationcomme processus de réciprocité est une nécessitéhistoriquement logique. Ce sera ma conclusion.

L'Education thérapeutique est uneconséquence obligée d’uneréappropriation de son corps parle patient lui-même,réappropriation fondée sur laprééminence d’unereprésentation du corps vécu, ducorps éprouvé.

L’examen clinique - on le voitchaque jour dans nos hôpitaux -devient désuet. Il est mêmeressenti parfois par le patientcomme inconvenant. Le patientlui-même voit désormais sonpropre corps au même titre et surle même rang d’égalité que lemédecin qui n’a plus recourssystématiquement à l’examenclinique.Dès lors, la relation soignant-soigné s’en trouve modifiée.L’écoute devient la partieessentielle de l’examen cliniquepour redonner toute sa valeur, sasignification, son réinvestissementau symptôme face, en définitive, àla sécheresse et à la pauvreté dusigne.

Page 26: VERS UNE NOUVELLE CONCEPTION DE LA RELATION ...ergotooletp.e-monsite.com/medias/files/bep-2000-hs.pdfVERS UNE NOUVELLE CONCEPTION DE LA RELATION SOIGNANT-SOIGNÉ PARTICIPATION DU PATIENT

24

Bulle

tin d

'Educa

tion d

u P

atie

nt, V

ol.

19 -

Hors

série -

2000

Les questions que je me suis posées pour préparermon exposé portent sur la manière dont les réflexionsd’aujourd’hui ont pu émerger par rapport auxpréoccupations du passé. Ces éléments fontapparaître d’autant mieux les spécificités del’éducation du patient aujourd’hui.Mon exposé se terminera par un questionnement surles risques de l'éducation du patient.A mon sens, il y a, avant la nôtre, trois grandespériodes.

Etre le médecin de soi-mêmeet des autres

Ce qui a été dit concernant DESCARTES estévidemment tout à fait fondamental. C’est, à mon avis,la première grande période d’une sensibilisation où lesujet peut avoir le sentiment qu’il peut être le médecinde lui-même, avec un certain nombre d’argumentsportant sur le corps, sur l’objectivation du corps.Un auteur que je trouve très pertinent, restérelativement inconnu, a écrit un livre qui peut semblerdérisoire aujourd’hui, intitulé : «De la sobriété». C’estun noble padouan des années du milieu du XVIème quis’était rendu compte, qu'avec des précautionsconcernant son régime, il pouvait, à ses yeux, éviterun certain nombre de maux.Il reprenait effectivement les paroles antiques endisant : «L’homme ne saurait être le médecin que delui seul». D’où cette sorte de texte à visée pédagogiquesur : «Apprenez à contrôler ce que vous mangez,apprenez à contrôler ce que vous ressentez dans lamesure où vous êtes le seul à pouvoir ressentir vospropres impressions venues du corps. A ce moment-là, vous ferez comme je fais». Cet homme a écrit sonlivre lorsqu’il avait 80 ans. A 90 ans, il a ajouté unchapitre supplémentaire. A 95 ans, également. Il estmort, je crois, à 99 ans.Cela fait donc quatrelivres dans un seul,avec des reprisespermanentes.

Dans ce premiermouvement de lamodernité, à savoir :«Nous pouvons être lemédecin de nous-mêmes», il y a une autrevision que je trouveégalement tout à faitintéressante et qui,cette fois, ne s’adresse

plus au sujet vis-à-vis de lui-même mais - on va voirles continuités possibles par rapport à aujourd’hui -s’adresse à l’autre, sur le mode : «Nous pouvons faireune médecine des pauvres. Nous pouvons aider lespauvres à se soigner». C’est totalement élémentaire,mais c’est quand même un projet : «Nous pouvonsfaire circuler des livres qu’eux ne liront pas mais quedes intermédiaires culturels liront (les curés, lesdames de paroisse, éventuellement aussi lesseigneurs). Ces livres, une fois lus, nous diront quelssont les types de maladies possibles et lesmédicaments dont il faut user».

Quand vous lisez ce type de texte, cela vous paraîtcomplètement dérisoire, mais c’est le projet qui estintéressant.Un exemple concernant la dysenterie : «…Il n’est riende plus dangereux que d’employer des astringents»,«… Avaler une bonne pincée de limaille d’étain dansun verre de bonne huile d’olive ou trois ou quatreonces de sucre de plantain cru le matin à jeun….».Ce projet est intéressant, car il consiste à faire en sorteque, pour des raisons quasi religieuses, on aide l’autreen disant : «Voilà. S’il t’arrive telle chose, tu prendstel médicament».Ce n’est pas vraiment de l’éducation, au sens où nousl’entendons, mais c’est quand même un projet quiconsiste à soutenir, éviter des désordres, faire en sorteque les gens puissent réagir, soient à même deprendre des initiatives. Je pense que la modernité,c’est ce double projet : à la fois, pour les lettrés, lapossibilité d’être médecin de soi-même et, pour ceuxqui ne sont pas lettrés, le fait d’être aidés pour qu’ilstrouvent des solutions.

Professionnalisation de lamédecine et information

préventive

La deuxième grandepériode, à mon avis, estbeaucoup plus sociale.C’est celle de ladeuxième moitié duXVIIIème. D’abord, ellereconnaît que lamédecine de soi-mêmeest impossible, parcequ’il y a des exigencestrop grandes à l’égardde la connaissance dessymptômes : il faut unespécificité. Il y a une

Bulletin d'Education du Patient,Vol. 19 - Hors série - 2000.

par Georges Vigarello (1)

De la prévention du malà l'éducation du malade,

quelques jalons historiques

(1) Professeur à l’Université Paris V,Avenue du Dr Netter, 47-49,F-75012 Paris.

Tél. : ++ 33 (0)1 49 54 25 25

Mots-clés : Educationthérapeutique du patient,citoyenneté, histoire de lasanté, responsabilité,consommation, coûts,éducation du citoyen.

Page 27: VERS UNE NOUVELLE CONCEPTION DE LA RELATION ...ergotooletp.e-monsite.com/medias/files/bep-2000-hs.pdfVERS UNE NOUVELLE CONCEPTION DE LA RELATION SOIGNANT-SOIGNÉ PARTICIPATION DU PATIENT

25

Bulle

tin d

'Educa

tion d

u P

atie

nt, V

ol. 1

9 - H

ors sé

rie - 2

000

montée, dans ce XVIIIème de la professionnalisationmédicale : il faut des spécialistes. D’où ces phrases :«Il n’y a pas plus mauvais médecin que de soi-mêmeet on risque de se tuer quand on n’a pas les premièresnotions de cet art». Il faut effectivement connaître l’art,et cela suppose des spécialisations qui font que toutle monde ne peut pas être médecin de soi-même.

Alors que, dans le projet du XVIème et du XVIIème, vousaviez le sentiment qu’on pourrait répandre la possibilitéd’être médecin de soi-même.

A partir du XVIIIème siècle, ce type de projet tombe. Ily a une technicité, il y a une spécificité de la médecine.On le voit d’ailleurs par la densité des médecins àParis. Entre 1750 et 1792, on note 9%d’accroissement de population dans certaines villesfrançaises et 40% d’augmentation du personnelmédical (chirurgiens et médecins).

Et puis, il y a une deuxième idée dans cette «néo-modernité». Ce n’est pas seulement le fait de soulignerla technicité du médecin mais c’est le fait de dire :«Nous pouvons, non seulement aider le patient, maisnous pouvons l’éduquer». C’est-à-dire que «nouspouvons lui apprendre des choses, mais ce que nouspouvons lui apprendre, c’est surtout de l’ordre de laprévention».TISSOT provenant de Lausanne, publiera «Avis aupeuple sur sa santé». Ce texte a un tel succès que sapremière publication en 1761 sera suivie d’unemultiplication de publications : 10 à Lausanne avant1790, 10 quasiment entre Paris et Lyon, publicationdans toutes les grandes nations européennes,systématique et répétée.

Quel est le projet de TISSOT ?1)«Je peux aider le patient à prévenir et à réagir, maisil y a des choses que je ne peux absolument pas faire,c’est trop compliqué, en particulier les maladieschroniques».Or, justement, c’est sur les maladies chroniquesqu’aujourd’hui nous portons notre attention. «Lesmaladies chroniques, c’est trop compliqué». Celanous échappe. Il faut que le médecin soit présent. Jepeux aider le patient à réagir à son propre mal enécoutant le médecin, en sachant qu’il existe despossibilités thérapeutiques qu’il ne doit pas utiliser lui-même. Il ne doit pas aller trop vite. Il doit attendre, ildoit savoir que le médicament doit avoir un certaineffet.Vous trouvez donc ce type de phrases : «Il serait àsouhaiter que le peuple sût que l’on ne peut pasbrusquer les maladies, qu’elles doivent avoir uncertain cours et que l’usage des remèdes violents quece peuple aime à employer peut bien les abréger enle tuant mais ne guérit jamais plus vite et, au contraire,rend la maladie plus fâcheuse, plus longue, plusopiniâtre».

2)«Il y a une mortalité trop grande au niveau dupeuple. Il faut que nous soutenions notre population.Il ne faut pas que la dépopulation s’installe».Ça, c’est une idée vraiment moderne. Ce n’est plussimplement le projet religieux : «Soutenons le projetdes dames patronnesses, soutenons par charité le

pauvre», mais «essayons de transformer notre fondsde population pour qu’il ait à la fois une valencequantitative plus grande et une valence - si je peuxutiliser ce mot - qualitative plus grande»?

3)«Luttons contre les charlatans. Les médecins sontspécifiques. Ils n’ont pas à être supplantés par despersonnes qui ne sont pas spécialistes».Voilà selon moi les trois grandes idées nouvelles, au-delà évidemment du problème de l’objectivationmédicale, et de l’objectivation du corps.

Les manuels du malade

Et puis, le troisième grand moment de l’intérêt portéau patient dans une situation de maladie et passeulement dans les situations préventives, je penseque c’est l’installation de ce que j’appellerai le «Manueldu malade».

Ceci ne peut apparaître qu’à partir du moment où ona un véritable projet d’éducation populaire. C’est l’idéequ’il faut accentuer suffisamment la perception que lepatient a de son corps pour qu’il puisse parler aumédecin, pour qu’il puisse lui parler de façonintelligente, pour qu’il ait des choses à lui dire. Je netrouve pas de «Manuel du malade» avant la fin duXIXème siècle sous cette forme-là. Je crois que c’est,au fond, dans le grand prolongement de l’effortscolaire, de l’effort d’information finalement du public,au sens très large du terme. Ce n’est pas du toutl’éducation, au sens où nous l’entendons, mais c’estquand même un pas considérable.Je vous lis la phrase d’un «Manuel du malade» datantde 1881 : «Il importe au plus haut point que ce maladesoit instruit, qu’il se connaisse et, par conséquent,qu’il soit apte d’abord à s’étudier, à s’interroger, à secomprendre, à faire, en un mot, l’examenphysiologique de son corps avec la facilité qu’il feraiten scrutant le fond de sa pensée, son examen deconscience». C’est un texte que je trouvepersonnellement quasi contemporain mais qui estencore très loin de ce que nous sommes en mesurede projeter. Néanmoins, il redispose la place dumalade qui devient théoriquement un interlocuteur etqui ne devient un interlocuteur qu’à partir du momentoù il est effectivement éduqué, mais éduqué, au senstrès large du terme et non pas éduqué sur sa propremaladie, comme nous, nous pouvons l’entendreaujourd’hui.

Et aujourd'hui ?

Ainsi, quelles sont les originalités, à mon sens, desprojets d’aujourd’hui ? Il me semble que la périodecontemporaine se caractérise par trois changements.

1)L’individu, au sens très large du terme et pasuniquement au sens thérapeutique du terme, est placéaujourd’hui dans une position de responsabilité àl’égard de lui-même qui n’a jamais eu d’équivalent.Il est véritablement face à lui-même. Avec la chutedes institutions, la chute des grands repères, je dirais,même moraux, la chute des grandes voies collectives,les sujets sont de plus en plus mis face à eux-mêmes.Et le fait qu’ils soient mis face à eux-mêmes est

Page 28: VERS UNE NOUVELLE CONCEPTION DE LA RELATION ...ergotooletp.e-monsite.com/medias/files/bep-2000-hs.pdfVERS UNE NOUVELLE CONCEPTION DE LA RELATION SOIGNANT-SOIGNÉ PARTICIPATION DU PATIENT

26

Bulle

tin d

'Educa

tion d

u P

atie

nt, V

ol.

19 -

Hors

série -

2000

favorisé. On insiste sur : «Il faut qu’ils se prennent encharge». Les gens disent : «Nous devons nousprendre en charge».Toute la technique par rapport au Sida me paraît trèsintéressante à cet égard. Il ne faut pas simplementproposer des solutions, il faut que les gens se prennenten charge. Toutes les techniques préventiveségalement sont parfaitement marquantes. Excusez-moi de revenir au problème médical, mais le fait de seprendre en charge, de s’affirmer soi-même, c’est unproblème beaucoup plus large. Les techniquespréventives sont comme des ventes d’objets. «Aveccet objet, vous allez mesurer votre tension»; «Aveccet objet, vous allez mesurer votre taux d’urée», etc.«C’est vous qui pouvez finalement juger vos proprestaux», ce qui est tout à fait nouveau et se passequasiment en dehors de la profession médicale.Il y a un appel du public de par cette culture de la priseen charge. La médecine est donc interpellée. Ce n’estpas une initiative du médecin, c’est une initiative quivient de la culture. Et ça, c’est totalement nouveau.Le texte que je vous lisais tout à l’heure dans le«Manuel des malades», a été écrit par un médecinqui interpellait les malades. Aujourd’hui, ce sont lesmalades qui veulent être des interlocuteurs. C’esttotalement différent, à mon avis, et cela posefinalement le problème à la profession médicale.

2)Le deuxième changement concerne vraiment lamédecine, au sens spécifique du terme, et ce à deux niveaux.- Le premier niveau : les grandes modalités desmaladies ont changé. On n’est plus totalement faceaux maladies infectieuses. Pour des raisons multiples,on est entièrement lié aux progrès de la médecine, liéaux progrès des conditions de vie. On est plus face àdes maladies chroniques, à des maladies invalidantes,ainsi, on se trouve devant un autre paysage médical.On est face à des sujets qui vont chroniciser leur mal.Cela pose évidemment un autre problème.- Le second niveau concerne les réponses techniquesqui sont données à cette situation de chronicité et quipeuvent échapper finalement, par certains côtés, auxmédecins, à condition qu’ils sachent les enseigner auxmalades. Ce phénomène est lié aux progrès de lamédecine. Une nouvelle fois, le médecin est confrontéà l’éducation du patient parce que la médecine aprogressé. A la fois le patient attend et la médecineprogresse.

3)Le troisième changement : celui de la consom-mation. Les personnes, les sujets sont de plus enconfrontés à des choix à l’égard de leurs achats, deleur façon de faire. Que ces choix soient illusoires oupas, le problème n’est pas là. Le problème, c’est qu’ilssont face à des choix. D’où un monde d’objets de plusen plus grand qui ne peut pas ne pas intéresser lamédecine. On peut vendre des tensiomètres, on peutvendre des appareils pour mesurer l’urée, la glycémie,comme au XIXème siècle, on a commencé à vendredes bascules. La bascule, c’est déjà un objet depédagogie, à la limite, du patient. Les objets se sontdémultipliés, et on ne peut pas l’ignorer.

Quels problèmes cela pose-t-il ?

De ces changements découle une question terminale :

quels problèmes cela pose-t-il ? Est-ce que l’éducationdu patient vient dans la foulée et va se faire de façonquasi - mécanique ? Bien sûr que non. Il existe desrésistances à tous les niveaux, comme cela a étéremarquablement montré par les intervenants quim’ont précédé. Interdisciplinarité, techniquesdifférentes, type d’écoute différent. C’est un problèmemajeur qui a été suffisamment évoqué pour que jen’y insiste pas.

Mais il me semble qu’il y a aussi d’autres types deproblèmes, qui ont été également évoqués, surlesquels je préférerais personnellement insister. J’enidentifie trois.- Le premier, c’est celui de la position à l’égard de laconsommation. Je pense que la consommation estun des facteurs du coût de la Sécurité Sociale. C’estle mieux-être sans fin. On a toujours à notre dispositiondes objets. Il suffit de savoir les choisir. Or ça, c’estun type de culture. Et il me semble que ce type deculture est profondément à penser, profondément àréguler. Je pense personnellement que nous nesommes pas nécessairement les sujets de notreculture. C’est un élément de réflexion qui me paraîtfondamental.- Le deuxième problème concerne les coûts. Noussommes de plus en plus face à des problèmes decoûts. Il me semble que, dans bien des cas, le médecinnon prescripteur coûte moins que le médecinprescripteur. C’est beaucoup trop long à développer,mais je pense que je me fais comprendre. Il ne s’agitpas, à mes yeux, vous vous doutez bien, de ne plusprescrire - ce serait ridicule - mais il faut réfléchir à lanon prescription. La non prescription, c’esteffectivement de la prévention, mais la non-prescription, c’est aussi une façon finalementd’accompagner le malade pour qu’il se positionne parrapport à son mal. Et cela entre dans la logique descoûts à l’égard desquels nous sommes totalementdépendants.- Le troisième problème posé est lié à l’évolution dela culture dans laquelle les personnes sont en positionde responsabilité. Mais jusqu’où ? Il faut absolumenty répondre. Comment responsabiliser ? Quiresponsabilise ? Je crois - cela a été dit également etje le redirai avec une certaine force - que cette dernièrequestion n’a de sens que si l’éducation du patient estposée dans une perspective beaucoup plus large, quiest évidemment l’éducation du citoyen, qui estévidemment le problème de l’éducation à la santé àl’école. Or, cette éducation, dont tout le monde parle,figure seulement dans 10% d’un programme optionnel.Cela ne rentre pas dans les vrais programmes, parceque l’éducation à la santé pose trop de problèmes.Cela supposerait que l’on ait un programme communà tous, que l’on ait de nouveaux types d’enseignants.C’est considérable. L’éducation à la santé, ce sontdes objets très multiples. Le Sida, cela n’a pas grand-chose à voir forcément avec le régime, etc.L’éducation à la santé, c’est un terrain éclaté. Cecipose un problème de réflexion sur sa possibleconvergence, sur son unité, sur sa cohérence.C’est ainsi que l’éducation du patient peut s’inscriredans la continuité et la rupture d’une histoire de la santéet de l’éducation dans la mesure où elle peut être uneréponse à ces trois problèmes.

A débattre :- repenser la consommation;- réfléchir à la non prescription;- s'interroger sur la

responsabilité et sur l'Educationà la responsabilité.

Page 29: VERS UNE NOUVELLE CONCEPTION DE LA RELATION ...ergotooletp.e-monsite.com/medias/files/bep-2000-hs.pdfVERS UNE NOUVELLE CONCEPTION DE LA RELATION SOIGNANT-SOIGNÉ PARTICIPATION DU PATIENT

27

Bulle

tin d

'Educa

tion d

u P

atie

nt, V

ol. 1

9 - H

ors sé

rie - 2

000

INTERVENANTS :

Dr Etienne Mollet Page 28

M. François Zito Page 30

Dr Laurence Banoun Page 32

Dr Monique Vicariot Page 34

Mme Michelle Martini Page 36

THÈME 3 :

L'Education thérapeutique du Patient:

Point de vue des praticiens

Page 30: VERS UNE NOUVELLE CONCEPTION DE LA RELATION ...ergotooletp.e-monsite.com/medias/files/bep-2000-hs.pdfVERS UNE NOUVELLE CONCEPTION DE LA RELATION SOIGNANT-SOIGNÉ PARTICIPATION DU PATIENT

28

Bulle

tin d

'Educa

tion d

u P

atie

nt, V

ol.

19 -

Hors

série -

2000

(1) Diabétologue, Formateur IPCEM,Centre Hospitalier Louis Pasteur,Avenue Léon Jouhaux, BP79,F-39108 Dole.

Tél. : ++ 33 (0)3 84 7980 51Fax : ++ 33 (0)3 84 79 81 16

Je voudrais vous parler de quelques réalisations quenous avons eues ces dernières années dans ledomaine de l’éducation thérapeutique des patientsdiabétiques.

Il n’est pas inutile de rappeler que le diabète est letype même des maladies chroniques, qu’on peutconsidérer un peu comme un modèle dans la mesureoù c’est à partir de cette maladie qu’une réflexion surl’éducation thérapeutique et un certain nombre deréalisations ont vu le jour voici déjà de nombreusesannées. Non seulement c’est une maladie chroniquemais c’est une maladie qui, à l’évidence, estextrêmement influencée par le mode de vie, qu’ils’agisse du diabète de type 1 et, encore plus, dudiabète de type 2. Par «mode de vie», j’entendsessentiellement l'alimentation et l'activité physique.

On peut encore souligner une autre caractéristiquede cette maladie qui favorise les applicationséducatives, c’est que le traitement et la surveillanceen sont lourds et contraignants, particulièrement pourles patients qui nécessitent des injections d’insuline.Il y a longtemps que l’on s’est rendu compte que, sil’on voulait avoir un peu de succès dans la gestion decette maladie, il fallait qu’elle soit partagée avec lepatient. En fait, cette gestion repose plus sur le patientlui-même au jour le jour que sur le professionnel.

Parler des choses que nous faisons en matièred’éducation auprès des patients diabétiques doitrendre modeste. En effet, la tradition éducative est déjàlongue dans ce domaine; elle remonte au minimum à40 ans, et l’un des grands promoteurs de l’EducationThérapeutique du Patient est présent dans cette salle;je parle du Pr Jean PhilippeASSAL.

Voici déjà 15 à 20 ans quel’on sait que lesinterventions éducativesapportent des bénéficesobjectifs sur la réductiondes facteurs de risques (aupremier plan desquelsl’équilibre du diabète, traduitpar le taux d’hémoglobineglyquée), sur la diminutionde la consommation dessoins, et notamment des

hospitalisations, sur l’amélioration de la qualité de lavie, et enfin sur la diminution des complications.

Des travaux qui datent déjà de 1981 aux USA, de 1984en Suisse, ont mis en évidence la relation directe entrel’éducation et l’incidence des amputations de membresinférieurs.

Ainsi, après ces quelques considérations générales,je voudrais vous présenter deux réalisations pratiquesqui concernent, l’une, le diabète de type 1, l’autre, lediabète de type 2. Ce sont des expériences quiprésentent probablement quelques intérêts, mais ontaussi et surtout leurs limites et qui pourront faire l’objetd’éclaircissements lors de la discussion.

Diabète de type 1 :stages de sport

Le premier exemple dont je veux parler concerne lediabète de type 1 : il s’agit des stages de sport.

Au cours de stages de cinq jours, des enfants, desadolescents, des adultes, au nombre de 15 à 25, seretrouvent ensemble dans des lieux propices à laconvivialité (chalets de montagne, centre de sportsde plein air). Ils sont encadrés par des professionnelsdu diabète, diabétologues et infirmières, et égalementpar des moniteurs de sport.

L’objectif est que les patients diabétiques quiparticipent à ces stages apprennent à mieux connaîtreet comprendre ce qui se passe réellement au niveaude leurs réactions physiques, et notamment de leur

glycémie lorsqu’ils effec-tuent une activité physique.

Une pédagogie est mise enœuvre, basée sur lesconstatations faites par lespatients eux-mêmes.Un moment important de lajournée est la discussion enpetits groupes, où chacun«raconte ce qui lui estarrivé», parle de seshypoglycémies et autreavatars du diabète, de sesaventures et de sesréactions…

Deux réalisationsd'éducation thérapeutique

de patients diabétiques

par Etienne Mollet (1)

Bulletin d'Education du Patient,Vol. 19 - Hors série - 2000.

Mots-clés : Educationthérapeutique du Patient,diabète, sport, éducation parles pairs, médecinsgénéralistes, formationmédicale continue, suivi dupatient, France.

Page 31: VERS UNE NOUVELLE CONCEPTION DE LA RELATION ...ergotooletp.e-monsite.com/medias/files/bep-2000-hs.pdfVERS UNE NOUVELLE CONCEPTION DE LA RELATION SOIGNANT-SOIGNÉ PARTICIPATION DU PATIENT

29

Bulle

tin d

'Educa

tion d

u P

atie

nt, V

ol. 1

9 - H

ors sé

rie - 2

000

Les questions et commentaires, les suggestions desolutions à un problème ponctuel, notamment pourles adaptations d’insuline et l’alimentation, viennentplus des autres diabétiques que des soignants, quisont là tout de même pour parfois corriger le tir, etsurtout écouter…

De tels stages existent en France dans le Jura, dansle Pas-de-Calais, dans les Hautes-Alpes, dans le cadrede l’Union Sport et Diabète, également en Bretagnesous l’égide de l’Association Française desDiabétiques, mais aussi en Suisse francophone.

Cependant, il faut dire que, pendant ces stages,l’activité physique n’est souvent qu’un prétexte.Naturellement, un certain nombre de diabétiques sontdes sportifs, éventuellement professionnels ou de hautniveau, qui cherchent à améliorer leurs performances.Mais, pour la plupart des participants, qui sont des«sportifs du dimanche», l’activité physique est utiliséesurtout comme un vecteur d’éducation, une sorte demodèle qui reproduit ce qui se passe tout simplementdans la vie de tous les jours. Les messages qui sontdélivrés reposent essentiellement sur les échangesentre patients et soignants d’une part, mais surtoutentre patients et patients. C’est une chose assezextraordinaire que de constater, au cours des stages,la richesse de l’enseignement mutuel, de la prise encharge mutuelle entre les patients.

Diabète de type 2 : éducationen médecine de ville

La deuxième réalisation dont je voudrais vous parlerconcerne le diabète de type 2. Le diabète de type 2est beaucoup plus difficile, à certains points de vue, àappréhender et à prendre en charge que le diabète detype 1. Il s’agit d’une maladie qui n’est pas «visible»pendant des périodes extrêmement longues, tout enétant aussi dangereuse puisque les complications sontles mêmes.

Nous savons que le mode de vie joue un rôleextrêmement important dans la prévention etl’évolution du diabète de type 2. Tant qu’on n’a pasappréhendé les problèmes concernant l’alimentationet l’activité physique, la prise en charge demeurelargement inefficace.

Il faut tenir compte du fait que la très grande majoritédes patients (90%) sont pris en charge par leursmédecins généralistes et ne voient pratiquementjamais de spécialistes diabétologues, que ce soit enville ou à l’hôpital, du moins tant qu’ils ne sont pasarrivés au stade des complications graves de lamaladie.

Partant de ces constatations, une expérimentation aété récemment mise en place dans trois départementsen France, portant le nom de «ASAVED» (Associationdes Structures d’Aide à la Vie et à l’Education desDiabétiques). Il s’agit d’un programme d’éducation despatients diabétiques de type 2 par les médecinsgénéralistes et les infirmières de ville. Les soignantsreçoivent une formation de 4 jours (2 séminaires de 2jours), formation à la fois diabétologique et

pédagogique, de façon à acquérir une compétencedans l’éducation des patients. Ces médecinsgénéralistes et infirmières vont par la suite assurerun programme d’éducation auprès de leurs patientsdiabétiques de type 2 de façon totalementdécentralisée, c’est-à-dire dans leur lieu d’exercice. Ils’agit d’une éducation en groupe bâtie sur unprogramme de six séances, dont les objectifs, lesméthodes et l’évaluation ont été déterminés de façonprécise.

Pour le suivi des patients (Jean-Philippe ASSALsoulignait qu’il ne fallait pas faire la comparaison entrel’éducation et la vaccination comme si le suivi équivalaità un rappel), le fait que cette éducation se passe enmédecine générale permet à notre avis de résoudrele problème. Les patients qui ont été éduqués par leurmédecin généraliste sont ensuite régulièrement revuspour leur suivi habituel par le même médecingénéraliste, qui assure en même temps si nécessaireles compléments ou les reprises d’éducationthérapeutique.

Actuellement, l’expérience ASAVED se poursuit surtrois sites en France (Jura, Pas de Calais, Sarthe).Une centaine de médecins généralistes sontimpliqués. Ce programme fait l’objet d’une évaluationrandomisée en collaboration avec l’INSERM, et cen’est pas avant l’an 2001 qu’il sera possible d’en tirerdes conclusions pour savoir ce qu’il est possible defaire en matière de prise en charge du patientdiabétique de type 2 dans le cadre de la médecine deville.

Page 32: VERS UNE NOUVELLE CONCEPTION DE LA RELATION ...ergotooletp.e-monsite.com/medias/files/bep-2000-hs.pdfVERS UNE NOUVELLE CONCEPTION DE LA RELATION SOIGNANT-SOIGNÉ PARTICIPATION DU PATIENT

30

Bulle

tin d

'Educa

tion d

u P

atie

nt, V

ol.

19 -

Hors

série -

2000

Dans cet exposé, je voudrais vous parler du conceptde l’alliance.L’équipe à laquelle j’appartiens s’intéresse à lapédagogie du patient depuis une vingtaine d’annéeset a commencé à structurer cette activité depuis ledébut des années 1990.

Ce qui émerge aujourd’hui des propos émis par lessoignants et par les malades, c’est la notion d’allianceentre les soignants, d’une part, et entre les soignantset le soigné, d’autre part.

Une alliance, qu’est-ce que c’est ? C’est, pourreprendre la définition du dictionnaire, «une unioncontractée, un accord entre des personnes ou desgroupes, une combinaison de choses différentes». Ilest vrai que nous étions, au début de notre aventurepédagogique, vraiment différents, avec nosconvictions, nos certitudes, nos valeurs et nosterritoires à protéger.Nous avions une volonté commune : faire du patientdiabétique un partenaire à part entière dans la priseen charge de sa maladie. Cette idée généreuse abouleversé nos pratiques au-delà de ce que noussommes capables d’imaginer. Au commencement denotre entreprise, chacun au sein de l’équipe détermine,en fonction de sa spécificité, ce qu’il fallait que lemalade sache.Chacun s’est investi pour bâtir le programmepédagogique où chaque traitement, chaque aliment,chaque signe, chaque risque, chaque geste estanalysé, expliqué, défini, illustré, raconté, montré,appris, évalué, codifié, répété par chaque intervenant,convaincu d’agir dans l’intérêt du malade qui, lui, n’apas trop le choix.Il est clair que le professionnel accorde encorebeaucoup d’importance à son propre message et leconsidère comme unenotion fondamentale dupartenariat avec le malade.Le contenu est devenu deplus en plus lourd alors quela durée moyenne de séjourest revue à la baisse. Maispersonne ne semble tout àfait prêt à réduire le tempsconsacré à sa matière.Ainsi, tout faire, tout letemps, tout de suite, plusvite devient ingérable.

Imaginez la souffrance de ladiététicienne qui doit

supprimer sa séance d’équivalence glucidiquepratique, abandonnant, la mort dans l’âme, le maladeà sa gourmandise, à ses tentations et le laissant«creuser sa tombe» avec sa fourchette.

Imaginez le désarroi de l’infirmière qui se demandecomment ce même malade va s’en sortir avec soninsuline intermédiaire alors qu’il n’a pas encorecompris que la dose du matin agit jusqu’au soir et celledu soir jusqu’au matin, qui refuse en outre de prendresa collation en cas d’activité au risque de faire unehypoglycémie qui provoquera finalement unehyperglycémie réactionnelle, aggravant le risque decomplications à long terme.

Imaginez l’inquiétude du médecin qui, lors de la visitedes cours, est étonné que son malade va sortir sansune sécurité totale et absolue. Il affole tout le mondeen voulant que tout soit fait au plus tard pour lelendemain.

Imaginez le malade sur son lit, murmurant : «C’estdifficile. Je ferai ce que je peux» ou encore indiquantavec sérieux : «Mais pourquoi n’avez-vous pas misles trois doses d’insuline dans la même piqûre ? Celam’aurait arrangé pour le travail».

Enfin, même si, ni les soignants, ni les malades, n’ytrouvent actuellement pleinement leur compte, lesmessages passent, le nombre de malades capablesd’être acteurs dans l’équilibre de leur diabèteaugmente. Ce qui est encourageant. Mais cechangement n’est pas sans conséquences.

Des changements dans larelation soignant-soigné

- Premièrement, lessoignants extra-hospitaliersse trouvent peu à peu enface de patients désireux defaire valoir leur savoir, et leurlogique : «C’est monmédecin qui me l’a dit» ou«C’est mon infirmière àdomicile qui me l’a dit». «Al’hôpital, ils nous ont montréles nouveaux mesureurs deglycémie, et j’ai choisi lemodèle avec la mémoireintégrée. Je vais pouvoirconnecter l’appareil à mon

Construire une allianceentre les acteurs de l'éducation

thérapeutique

Bulletin d'Education du Patient,Vol. 19 - Hors série - 2000.

par François Zito (1)

(1) Cadre diététicien,CHRU Thionville,

Rue du Friscaty, 1,F-57100 Thionville.

Tél. : ++ 33 (0)3 82 55 89 26Fax : ++ 33 (0)3 82 55 89 18

Mots-clés : Educationthérapeutique du Patient,diabète, relation soignant-soigné, partenariat, aspectpsychosocial, communication,hôpital, France.

Page 33: VERS UNE NOUVELLE CONCEPTION DE LA RELATION ...ergotooletp.e-monsite.com/medias/files/bep-2000-hs.pdfVERS UNE NOUVELLE CONCEPTION DE LA RELATION SOIGNANT-SOIGNÉ PARTICIPATION DU PATIENT

31

Bulle

tin d

'Educa

tion d

u P

atie

nt, V

ol. 1

9 - H

ors sé

rie - 2

000

ordinateur et sortir des graphiques. Je vousexpliquerai, docteur, comment cela marche pour quevous me disiez si ça va. Vous me dites de ne pasmanger de bananes, mais, à l’hôpital, j’en recevais.Il faudrait savoir !»Cela génère parfois des réactions épidermiques, voirehostiles chez les soignants peu préparés.Nous n’avons pas d’emblée toujours fait preuve, faceà ces réactions, d’une humilité suffisante pour gérerau mieux cette situation.

- Deuxièmement, à l’hôpital, nous sommesconfrontés à des situations similaires. Les maladeséduqués refusent de plus en plus souvent le dialoguesoignant-soigné habituel qui leur donne le sentimentd’être coupables quand les glycémies ne sont passatisfaisantes.Ils sont formels : «Je vous dis que je n’ai pas mangéplus que la ration prescrite. Je suis sûr que l’effet demon insuline n’est pas assez long. Vous êtes vraimentcertain que je dois prendre une collation à 22 heures ?J’ai toujours une glycémie élevée le matin».

- Troisièmement, en fait, tout en considérant quenous les aidons à devenir plus autonomes, les maladesnous interpellent...

l Sur leur difficulté de compréhension et lanécessité impérative de disposer de temps pourêtre capables de mieux collaborer. «Vous mebourrez le crâne avec trop de choses que j’ai dumal à intégrer comme vous le voulez».l Sur le manque de cohérence du discourssoignants : «Mon médecin traitant ne dit pascomme vous».l Sur notre doute à leur égard qu’ils considèrentne pas être toujours justifié : «A vos yeux, je suissouvent responsable quand je n’obtiens pas lesrésultats que vous attendez».l Sur notre susceptibilité qui «bloquel’échange» : «Vous êtes toujours sur ladéfensive si j’émets une réserve à propos desoptions que vous m’imposez».l Ils s’interrogent enfin sur la place qu’ilsoccupent dans ce partenariat que nousprétendions développer.

- Quatrième conséquence : trop longtemps centréssur la pathologie, nous n’évoquions peut-être passuffisamment les contraintes, les difficultés, lesbouleversements qu’elles génèrent dans la vie dupatient et nous découvrions, en outre, que nospartenaires soignants extra-hospitaliers avaient denouvelles situations à gérer, du fait de notre action.

l Partenaire : «Personne, groupe auquel ons’associe pour la réalisation d’un projet».l Le projet est ce que l’on a l’intention de faire.l Associer, mettre ensemble, réunir, former unensemble harmonieux.

Nous étions dans notre forteresse et nous noussommes mis à douter. Les interrogations n’ont pasmanqué. Ce que nous faisions était-il toujours utile ?Comment mieux détecter l’incident pédagogique ?Ecoutons-nous suffisamment les malades ?Ecoutons-nous mutuellement nos remarques au seinde l’équipe et nos souhaits ? Quel dialogue avons-

nous avec les infirmières libérales et les médecinsgénéralistes ? Quand et comment donnons-nous laparole aux malades ? Comment travailler plusétroitement avec nos partenaires extra-hospitaliers ?

Ainsi des réunions de travail, de formation, desrencontres pluridisciplinaires intra- et extra-hospitalières, des journées «Portes ouvertes», desconseils de services, des tables rondes et parfoismême des «coups de gueule» ont été nécessairespour nous aider à prendre en compte tous les pointsde vue, évaluer objectivement nos pratiques, partagerle temps, créer des synergies, admettre nos limites,émousser nos certitudes, bref, tout simplement, nousentendre.

Trouver une zone d'alliance

L’éducation du patient, malgré les difficultés deconception et de mise en œuvre, nous a conduits àaccepter les logiques de tous les partenaires sans enprivilégier une au détriment des autres. Elle nous aréunis peu à peu dans une zone d’alliance où lescompétences et les expériences s’additionnent,enrichissant celui qui donne et celui qui reçoit et faisanten sorte que chaque personne soit une force deproposition.

En outre, sur un plan purement pratique, cette zoned’alliance a contribué à l’explosion des anciensschémas thérapeutiques. Elle a provoqué l’adhésiondes patients à des contraintes que nous pensionsinacceptables. Elle a atténué l’image restrictive de ladiététique, brisé la routine de la consultation, généréde nouvelles formes de suivi posthospitalier, facilitéla mise en oeuvre d’alternatives à l’hospitalisationclassique, désacralisé l’hôpital.

En conclusion

Aujourd’hui, chacun est invité à s’impliquer dans cettezone d’alliance pour l’enrichir de nouvelles facettessans craindre de perdre son identité. Nous avons prisconscience que, pour aider le malade à être unpartenaire à part entière dans la prise en charge desa maladie, il fallait, en plus de tout ce que nous devonspartager et de ce que nous sommes prêts à donneret à apporter, faire preuve de prudence, de patience,de sagesse, d’honnêteté et d’humilité.

© Hugues de Würstemberger/95Question Santé

Page 34: VERS UNE NOUVELLE CONCEPTION DE LA RELATION ...ergotooletp.e-monsite.com/medias/files/bep-2000-hs.pdfVERS UNE NOUVELLE CONCEPTION DE LA RELATION SOIGNANT-SOIGNÉ PARTICIPATION DU PATIENT

32

Bulle

tin d

'Educa

tion d

u P

atie

nt, V

ol.

19 -

Hors

série -

2000

Je vais vous parler de l’éducation du patient hémophile,de la remise en question de notre approche depuisque nous avons fait un apprentissage, avec l’équipesoignante, à l’éducation du patient. Je vais égalementaborder les difficultés que nous rencontrons.

L’hémophilie est une maladie rare, peu ou mal connue,à travers les médias essentiellement ces dernièresannées. C’est une maladie dont la représentation esttrès mauvaise, très néfaste (anomalie héréditaire dusang, tare héréditaire), et dont le coût du traitementest prohibitif.

L’hémophilie est une maladie chronique hémorragiquedue à un déficit complet ou partiel d’un facteur decoagulation. Le traitement consiste en l’injectionintraveineuse du facteur de coagulation déficient pourprévenir ou arrêter une hémorragie. Des accidentshémorragiques sévères peuvent survenir,essentiellement après des traumatismes, et doiventêtre traités en urgence en milieu hospitalier. En dehorsde ces accidents, le pronostic de la maladie estessentiellement articulaire car les hémophiles peuventsaigner spontanément dans leurs articulations.

Si une injection du facteur antihémophilique déficientest faite rapidement, dès les premiers symptômes,l’hémorragie peut être prévenue ou arrêtée à son débutet l’intégrité articulaire préservée.C’est la raison pour laquelle, depuis plus de 20 ans,nous avons organisé un apprentissage àl’autotraitement de nos patients. L’autotraitementpermet au patient de se faire une injection du facteurantihémophilique déficient dès l’apparition despremiers signes d’hémorragie et d’être moinsdépendant de visites régulières à l’hôpital.

Commentéduquons-nous ?

De quelle façon est faite, ou étaitfaite, cette éducation ?

Au cours d’entretiens person-nels lors des consultations, trèslongues, au cours desquelles lemédecin explique ce qu’est lamaladie et essaie de répondreaux questions des enfants et deleurs parents.

Elle est faite aussi au cours de

stages organisés de façon différente selon les équipes(on rejoint là le cas d’autres maladies chroniques).Il s’agit parfois de stages d’une semaine qui réunissentdes enfants hémophiles, des parents, des médecinset une ou deux infirmières; ou bien de réunions d’unedemi-journée par semaine pendant quelquessemaines.Pendant ces stages, des cours théoriques sont (jesouhaiterais dire «étaient») dispensés par desmédecins sur la maladie, ses complications, sontraitement; puis, une infirmière enseignait soit auxparents d’enfants petits, soit aux enfants plus grandsà faire des injections intraveineuses et à se traiter.

Nous avons découvert que nous faisions del’enseignement du patient plus que de l’éducationquand nous avons nous-mêmes fait un apprentissageà l’éducation du patient. Nous nous sommes alorsinterrogés sur ce qu’avaient compris nos patients del’enseignement que nous avions fait, sur ce qu’ilsavaient réellement intégré.

Evaluer les acquisdes patients

Nous avons alors décidé de faire une évaluation despatients qui avaient reçu ces enseignements. Nousavons choisi la tranche d’âge des 15 à 25 ans, et avonscherché à savoir comment ils se traitaient et commentils vivaient avec leur maladie.Cette évaluation s’est faite de façon assez peurigoureuse, c’était une évaluation au cours d’entretiensindividuels, à partir du carnet de traitement del’hémophile et sans questionnaire validé. Chaquepatient possède un carnet sur lequel il note sesaccidents hémorragiques, les injections et leur rythme,

les doses de produitsantihémophiliques utilisées.A la suite de cette évaluation,nous avons analysé les lacunesde nos patients.Quel que soit leur niveauintellectuel, quelle que soit leurévolution psychologique, nousavions à peu près toujours lesmêmes observations à faire : ilssavaient ce qu’était la maladie,quelle en était la cause, quelétait son mode de transmission.Par contre, ils n’avaient pascompris comment mener leur

(1) Hématologue,Centre de traitement de l’hémophilie,CHU Brest,F-29609 Brest cedex.

Tél. : ++ 33 (0)2 98 22 36 37Fax : ++ 33 (0)2 98 44 16 27

Bulletin d'Education du Patient,Vol. 19 - Hors série - 2000.

Evolution du projet éducatifdans un centre de traitement de

l'hémophiliepar Monique Vicariot (1)

Mots-clés : Educationthérapeutique du Patient,hémophilie, évaluation,gestion du traitement,éducation par les pairs,changement, autonomie,risques de l'autonomie, centrede traitement, France.

Page 35: VERS UNE NOUVELLE CONCEPTION DE LA RELATION ...ergotooletp.e-monsite.com/medias/files/bep-2000-hs.pdfVERS UNE NOUVELLE CONCEPTION DE LA RELATION SOIGNANT-SOIGNÉ PARTICIPATION DU PATIENT

33

Bulle

tin d

'Educa

tion d

u P

atie

nt, V

ol. 1

9 - H

ors sé

rie - 2

000

traitement, les doses de produits à injecter, lanécessité de répéter les injections en fonction du typeet de la gravité de l’hémorragie.Nous avons par ailleurs constaté que le vécu de lamaladie dépendait essentiellement de l’environnementfamilial.Nous n’avons, dans cette évaluation, pas fait decontrôle du geste technique de l’injection parce quenous savons que les patients savent se piquer, ils lefont sans difficultés. Il y a néanmoins certainementdes dérives quant à certaines règles d’asepsie. Ilfaudrait pouvoir s’en assurer.

Se remettre en question

Nous nous sommes alors interrogés sur les causesde cette mauvaise compréhension du traitement.

Il nous est apparu évident, qu' en fait, il nous étaitfacile d’expliquer, parce que nous étions «de bonsmédecins» qui avions bien appris dans les livres cequ’était l’hémophilie, quel était le déficit, les modesde transmission de la maladie par les femmes auxhommes, etc. Le tout avec des schémas, destableaux.

Pour le traitement, nous avions été assez sommairesdans nos explications parce que, au fond, nousvoulions garder la mainmise sur le traitement.Nous ne leur faisions pas confiance et nous préférionsqu’après une première injection, ils nous téléphonentou viennent nous voir, afin que nous prenions encharge la suite du traitement.Nous faisions une grave erreur, car alors qu’on neleur donnait pas vraiment les règles du traitement, onleur en donnait les outils.Nous leur permettions de se traiter, leur apprenions àse piquer, mais ne leur expliquions pas suffisammentles règles du traitement et ne nous assurions pas qu’ilsétaient compétents pour se prendre en charge. Ainsi,ils utilisaient les outils.Au début, ils nous téléphonaient, ils venaient s’ilsavaient des problèmes et puis, au bout de quelquesannées, ils ont eu envie de se dégager de la tutellemédicale, ils en ont eu assez de voir le médecin, assezd’aller en consultation, assez d’aller à l’hôpital : ils nousont échappé et se sont mis à se traiter seuls et souventmal.

Travailler avec les familles

Il fallait absolument travailler sur l’éducation desfamilles, dès le diagnostic, si l’on voulait que la maladiene soit pas vécue comme une tare honteuse, ce quiest souvent le cas. L’image du sang, du handicap esttrès mal vécue par la plupart des familles. Il fallaitrendre la famille, en même temps que les enfants,capable de prendre en charge la maladie et sontraitement pour la dédramatiser et les sécuriser. Jedonnerai un exemple du vécu des familles à traverscette réflexion d’un hémophile d’une trentained’années hospitalisé pour une interventionchirurgicale : «Est-ce que, sur ma pancarte, on vamarquer que j’ai reçu des produitsantihémophiliques ? Est-ce que vous pouvezdemander qu’on ne le marque pas ?»

Lorsque je lui ai demandé pourquoi, il m’a dit : «Parceque personne, en dehors de mes parents, ne sait queje suis hémophile». Il a une soeur qui s’est mariéerécemment et n’a pas dit à son mari que son frèreétait hémophile. C’est dire qu’il y a des vécus familiauxdont on peut découvrir combien ils sont difficiles.

Donner plus de place aupatient, mais jusqu'où ?

Nous avons essayé de mettre en application cesréflexions lors d’un stage que nous avons organiséd’une façon complètement différente. Nous avonsréuni quatre enfants de 11 à 13 ans, des mercredisaprès-midi. Ils sont déjà venus trois fois.

Avant chaque journée de stage, nous leur avonsenvoyé une question, différente pour chacun d’entreeux en leur précisant qu’ils auraient à nous expliquerleur réponse à cette question. Ils sont venus, deuxd’entre eux ont apporté, l’un des dessins, l’autre untableau, ils ont fait leur enseignement aux autres quiont posé des questions.

Nous nous sommes mis en retrait, ce qui, pour nous,était quand même très nouveau. Nous les avonsécoutés, photographiés même, parce que c’étaitimpressionnant de voir combien ils étaient sérieux.Nous avons corrigé, réexpliqué. C’est une expérienced’apparence simple, mais qui montre comment nousavons évolué.

Mais cette évolution, nécessaire, dans nos relationsavec nos patients pose d’autres problèmes :«Jusqu’où peut-on aller dans la liberté de traitementque l’on donne au patient ?» Nous rencontrons despatients qui nous disent : «Je me perfuse tous lesmatins, et après je peux aller jouer au foot sansdanger» «Oui ? Non ?»

Comment conserver un dialogue avec eux lorsquel’éducation initiale est terminée ?Ne prend-t-on pas le risque d’abandonner le patient ?Il faudrait éviter de confondre l’autonomie et l’abandonqui peut conduire le patient à une grande solitude.Quelqu’un a souligné ce point ce matin en disant : «Ilva rester seul avec sa maladie et cela peut poserdes problèmes.»

Trouver des moyens ?

Enfin, nous rencontrons des difficultés dans la miseen place de cette éducation du patient et dans sonévaluation continue à cause du manque de moyens.Il y a peu d’hémophiles en France. C’est donc unemaladie et, en conséquence, une discipline peureconnue.Le temps nécessaire à l’éducation individuelle dechaque patient, et à l’éducation collective lors destages, est important.Les équipes soignantes sont très réduites etfonctionnent souvent selon une sorte de bénévolat,en complément d’une autre activité. Tout cetinvestissement sera-t-il maintenu lors d’unchangement d’équipe ? C’est là notre dernièreinquiétude.

Page 36: VERS UNE NOUVELLE CONCEPTION DE LA RELATION ...ergotooletp.e-monsite.com/medias/files/bep-2000-hs.pdfVERS UNE NOUVELLE CONCEPTION DE LA RELATION SOIGNANT-SOIGNÉ PARTICIPATION DU PATIENT

34

Bulle

tin d

'Educa

tion d

u P

atie

nt, V

ol.

19 -

Hors

série -

2000

Bulletin d'Education du Patient,Vol. 19 - Hors série - 2000.

Une réalisation d'Educationthérapeutique en pneumologie

«Je vous remercie de me laisser la parole, puisque,si j’ai bien compris, dans une table ronde, tout lemonde peut s’exprimer mais en fait plus que de parler,j’ai envie que l’on prenne le temps de m’écouter. Quel’on m’appelle public, patient, sujet, je veux être aucentre de l’éducation. J’ai envie qu’on parle de moi,de mes problèmes, de mes attentes et avec mesmots. J’ai envie de comprendre ma maladie, montraitement et ce que nous allons faire dans cetteéducation».Cette phrase de patient est le fruit des évaluations quenous faisons en fin des tables rondes de patients àl’hôpital Avicenne où je travaille.

Mais, avant d’arriver à ces tables rondes, il a fallusuivre un parcours relativement long, seméd’embûches et procéder par étapes.

Le parcours

Où se réunir ?

La première a été d’avoir un lieu où se réunir. Je saisque beaucoup ont ce problème-là. Je me suispromenée pendant très longtemps avec un cartonsous le bras, mes patients derrière moi montant lesescaliers, essoufflés. Et puis, un jour enfin, un locals’est libéré que l’on a pu aménager et transformer enun endroit accueillant... Il y avait enfin un lieu. J’airemarqué alors que l’attribution d’une salle fixe avaitenfin permis la reconnaissance dans le service de cetteactivité jusque là ignorée.

Choisir une équipe

La deuxième étape a été de choisir une équipe. Jereste persuadée que l’éducation ne peut être pratiquéepar une seule personne dans un service. Elle est lefruit d’un travail d’équipe qui regroupe des médecins,des infirmières, des kinésithérapeutes, despsychologues et des personnes formées enpédagogie. Là aussi, les motivations se font rares :«Je n’ai pas le temps, je n’aipas de personnel, ce n’estpas rémunéré». Jusqu’aujour où une infirmière a étédéléguée, pour une demimatinée (au lieu des deuxque j’avais prévues). Mais,grâce à elle, un sang neufest arrivé avec beaucoupd’enthousiasme. Elle apermis un nouveau lien avecle personnel de l’hôpital.Deux éléments importantssont nés de cettecollaboration : nous avons

pu structurer un programme et nous avons pu informerrégulièrement les confrères et les auxiliaires médicauxde l’évolution de cette éducation.

Choisir le moment

La troisième étape a consisté à choisir le moment oùse ferait cette éducation.

- Nous avons d’abord testé l’hôpital de jour. Maisnous nous sommes heurtés à différents problèmes :les attentes après de multiples examens, le ras lebol du patient après une journée de bilan ce qui lerendait inattentif, non impliqué car pressé d’en finir;ou encore être dérangé sans cesse par d’autresexamens d’où l’impossibilité d’un entretien suivi.Nous ne pouvions que mettre en évidence lesproblèmes et aller à l’essentiel.

- En consultation individuelle : longtemps conditionnépar l’absence de lieu de rencontre, l’entretien étaitlà très riche mais il manquait la relation à l’autre etl’interactivité.

- Tout cela nous a conduit à des réunions de groupeoù nous avons mis en présence plusieursasthmatiques, avec un animateur soignant. Cela apermis aux patients de partager les expériences, dese reconnaître dans l’autre , de parler d’eux, de leurvécu et de faire émerger des représentations, desconceptions préalables.

Une évolution pas à pas

Ces étapes ont été franchies non sans difficultés.Certaines de ces difficultés sont issues de résistancesau sein du service. Il nous fallait comprendre cesrésistances. J’ai discuté ces dernières semaines avecles personnes les plus réticentes. J’ai relevé quelquescauses à ces résistances.Pour certains, la mise en place d’un programme

d’éducation a suscité «unsentiment de déssaisis-sement et l’impression demal faire».«Une fois la réticencepassée» et grâce à laprésence au sein de laconsultation du pneumolo-gue de l’infirmière éduca-trice , «des résultats trèssatisfaisants» ont étéconstatés dans lecomportement de nombrede patients.

par Laurence Banoun (1)

Mots-clés : Educationthérapeutique du Patient,pneumologie, asthme, hôpital,tables rondes, organisation dutravail, sensibilisation,France.

(1) Allergologue,CHU Avicenne AP-HP, Service depneumologie,Rue de Stalingrad, 125,F-93000 Bobigny.

Tél. : ++ 33 (0)1 43 81 35 01Fax : ++ 33 (0)1 43 81 69 11E-mail : [email protected]

Page 37: VERS UNE NOUVELLE CONCEPTION DE LA RELATION ...ergotooletp.e-monsite.com/medias/files/bep-2000-hs.pdfVERS UNE NOUVELLE CONCEPTION DE LA RELATION SOIGNANT-SOIGNÉ PARTICIPATION DU PATIENT

35

Bulle

tin d

'Educa

tion d

u P

atie

nt, V

ol. 1

9 - H

ors sé

rie - 2

000

Pour le milieu infirmier , l’éducation fait partie de l’acteinfirmier. Mais faute de temps, on privilégie latechnicité. L’infirmière chargée d’éducation aremarqué qu’une prise en charge de qualité faisantpartie de l’acte de soins apporte une relation nouvelleet enrichissante. Elle a été source pour elle de progrèset de valorisation.

Pour les médecins , l’éducation rend le patientresponsable, autonome dans sa vie, tout en lefidélisant par une relation privilégiée avec l’équipeéducative. Cette relation nouvelle nécessite unecoopération de toute l’équipe soignante.

Ma perception est que cette évolution se fait lentement,par petites touches. La difficulté est de ne pasinterférer dans la relation médecin-patient, de se situersur un plan différent, en complémentarité et non enrivalité.

Dans notre service, nous avons mis en place desinformations régulières de l’équipe soignante en

expliquant le contenu de l’éducation et l’évolution dupatient au sein de cette éducation.Nous avons fait des réunions de service sur lesthèmes : «Qu’est-ce que l’éducation ?»Nous avons présenté un outil : un carnet de suivi quenous avons mis en place.Nous avons décrit le déroulement du parcours éducatifdu patient et multiplié courriers et feuillets que l’oninsère dans le dossier médical, tout cela dans le butde relations soignants-éducateurs sans cesse àaméliorer.

En conclusion

Après maintenant deux années de tâtonnements afinde trouver un lieu, une équipe , de mettre en route unprogramme défini, l’éducation du patient asthmatiqueest une activité reconnue dans le service depneumologie de l’hôpital Avicenne.

Reste à continuer à mobiliser les énergies et à évoluerdans l’intérêt de nos patients.

Page 38: VERS UNE NOUVELLE CONCEPTION DE LA RELATION ...ergotooletp.e-monsite.com/medias/files/bep-2000-hs.pdfVERS UNE NOUVELLE CONCEPTION DE LA RELATION SOIGNANT-SOIGNÉ PARTICIPATION DU PATIENT

36

Bulle

tin d

'Educa

tion d

u P

atie

nt, V

ol.

19 -

Hors

série -

2000

Je ne vous parlerai pas dans le détail du projetd’éducation d’établissement mais plutôt de l’évolutionde l’établissement.La «Grand’Maye» est un établissement spécialisédans la prise en charge des maladies des voiesrespiratoires. Nous recevons 90% de jeunesadolescents atteints d’asthme.A l’origine, il s’agissait d’une structure accueillant desenfants et adolescents entre 6 et 17 ans, une structuretout à fait classique : hospitalisation en internat de typeinstitutionnel avec une durée de séjour d’une annéescolaire. La prise en charge était organisée autour dela maladie et du soin, avec comme priorité le sevragemédicamenteux, principalement celui descorticothérapies au long cours et, bien entendu, ladisparition des crises d’asthme.

Se centrer sur les adolescents

Nous avons rapidement réalisé que prendre en chargedes enfants entre 6 et 17 ans posait des problèmes :les besoins sont différents et il y avait trop de disparitésau niveau de la mise en place de l’éducation. Nousavons donc décidé de limiter l’accueil à l’adolescent.Cela a été la première décision de changement.

Pourquoi l’adolescent ?Cela nous paraissait la période la plus intéressante etla plus importante à prendre en charge. C’est unepériode de la vie où l’individu est souvent en échec,c’est une période où il est fragile et c’est la période laplus propice aux comportements à risques et aux non-observances.

Repenser la prise en charge

Nous décidons donc de proposer aux usagers uneprise en charge spécifique de l’adolescence et de leurdonner, bien entendu, une éducation sanitaire quidevrait les conduire à unebonne connaissance de leurmaladie, à l’acceptation decelle-ci comme une affectionde la vie entière, à unemeilleure observance et àune amélioration de laqualité de leur vie.

Nous avons mis cela enplace. Les résultats obtenusnous ont paru assez médio-cres. Evidemment, en milieuprotégé, les symptômesrégressent, voire disparais-sent, le patient est bien

stabilisé, on peut le sevrer de cortisone, on peut mettreen place des désensibilisations.Tout l’apprentissage technique que nous avions misen place était positif, à savoir l’évaluation de tout cequi est technique (prise de spray, utilisation deschambres d’inhalation, tenue des courbes dedébitmètre de pointes respiratoires).Ceci avait l'air...

Par contre, les résultats obtenus étaient médiocres,voire insuffisants, parfois inexistants dans tout ce quiconcernait la prise de conscience de la maladie,l’analyse des situations difficiles, la connaissance desfacteurs déclenchants de la crise, l’analyse descourbes de débit des pointes, les prises de décisionet l’acquisition de l’observance. Cette prise deconscience redevenait aléatoire, voire inexistante lorsdes retours à la maison aux vacances scolaires.Tous ces résultats insatisfaisants nous prouvaient bienle manque d’adhésion du patient et donc l’inadaptationde notre prise en charge.

Deux difficultés majeures sont apparues à ce moment-là :- d'une part, le manque de formation du personnel,le manque de formation de l’équipe médicale dans laconnaissance de la maladie, dans la compréhensionde celle-ci et dans les techniques éducatives (à cetteépoque-là, il n’y avait que l’équipe médicale, c’est-à-dire les médecins et les infirmières qui s’occupaientde l’éducation);- d'autre part, la contradiction existant entre lescontraintes liées à l’éducation et la réalité del’adolescence.

Que proposait-on à l'adolescent ?- Bien connaître sa pathologie.- Accepter une maladie qui était souvent vécuecomme un handicap, une entrave à la satisfaction deses besoins, de ses désirs. Cela le positionnaiteffectivement dans un statut d’adolescent malade,

mettant l’accent sur sadifférence à une époque oùl’adolescent a envie deressembler aux autres etsurtout ne pas être différentet où son principal besoinest d’être rassuré sur sondevenir et sa normalité.- Apprendre à bien sesoigner, le faire réguliè-rement, se rendre àl’infirmerie matin, midi etsoir, puis en discuter, toutcela à une période oùl’adolescent a besoin deliberté et d’autonomie. C’est

(1) Directrice,Centre climatique de la«Grand’Maye»,Avenue du Pr Forgues, 33,F - 05 100 Briançon.

Bulletin d'Education du Patient,Vol. 19 - Hors série - 2000.

Répondre aux besoinsd'adolescents asthmatiques

par Michelle Martini (1)

Mots-clés : Educationthérapeutique du Patient,adolescent, asthme, formationdu personnel, autonomie,changement de lieu,changement d'organisation,France.

Page 39: VERS UNE NOUVELLE CONCEPTION DE LA RELATION ...ergotooletp.e-monsite.com/medias/files/bep-2000-hs.pdfVERS UNE NOUVELLE CONCEPTION DE LA RELATION SOIGNANT-SOIGNÉ PARTICIPATION DU PATIENT

37

Bulle

tin d

'Educa

tion d

u P

atie

nt, V

ol. 1

9 - H

ors sé

rie - 2

000

sa principale préoccupation, dirais-je.

Comment répondre à ce réel besoin d’éducationde l’adolescent asthmatique ?Cette prise en charge en milieu climatique estprolongée puisque la prise en charge est en moyenned’une année scolaire.

Nous avons repensé complètement les choses,repensé dans son intégralité la prise en charge entenant compte des besoins de l’individu d’abord (etnon pas des besoins de l’adolescent atteint d’asthme),de ses désirs, en proposant des soins et une éducationsanitaire basés sur un principe de réalité, en harmonieavec la vie quotidienne et non pas en organisant la vieautour de la maladie et du soin, en donnant la paroleà ces adolescents, en les rendant acteurs de leur viequotidienne, et donc de leur traitement.

Cette réalité impliquait forcément la restructuration del’espace institutionnel, même les locaux. Nous avonsdonc décidé de déménager, et avons fait construireun immeuble au centre-ville.Nous avons choisi la vie en appartements parce quel’appartement était la structure la plus proche possiblede la cellule sociale quotidienne, c’est-à-dire la famille,et donc la plus pertinente.

Pourquoi avoir choisi le centre-ville ?Briançon est en altitude, l’air y est pur, alors, même lecentre-ville est un élément climatique satisfaisant.De plus, cela permet une plus grande autonomie etune meilleure liberté à l’adolescent. Donc, fini l’hôpital,finie la grosse structure : l'adolescent vit comme à lamaison dans un appartement avec des camarades deson âge. C’est notamment l’époque des bandes. Laseule différence, c’est qu’il a le téléphone à côté deson lit et l’oxygène dans la chambre. Il s’agit quandmême d’un établissement hospitalier (les établis-sements climatiques d’altitude sont des établis-sements hospitaliers, avec toutes les contraintesadministratives que cela implique).Cela permet donc l’indépendance, cela augmente lesentiment de liberté. On n’a plus besoin du chauffeurpour aller acheter son petit journal favori. L’entrée del’immeuble est volontairement discrète : il n’y a pasde nom. L’adolescent rentre et sort de chez lui, sescamarades peuvent l’attendre, il peut les inviter.Toute cette facilité de déplacement et de contact avecl’extérieur favorise la socialisation qui est quand mêmeindispensable à l’autonomie.

L’adolescent participe activement à la vie. Je vous endonne en illustration l’exemple de la gestion des repas :le jeune participe à la gestion budgétaire et à laconfection des repas. Cela nous paraît très importantparce qu'impliquant une responsabilité importante parrapport aux autres. Certains enfants ont des allergiesimportantes. Cela leur demande donc de prendreconscience et d’être attentif à ce qui se passe. Nouspensons que cela augmente beaucoup l’estime de soi,ce qui est tout à fait favorable à l’autonomie.

En ce qui concerne l’organisation, il n’y a plus dedéplacements vers l’infirmerie, vers les lieux de soins.L’adolescent ou le jeune adulte prend son traitement

là où il le prendrait à la maison, c’est-à-dire le matinau petit déjeuner, à midi, quand c’est le moment. Bienentendu, il est entouré d’une équipe éducative etmédicale importante.

En plus de tout ce qui est mis en place, une évaluationest réalisée au quotidien.Si l’enfant ne prend pas son traitement, s’il n’y a pasd’observance, on le voit, on le note. En fonction decela, les projets sont différents pour chacun selon lesdegrés d’autonomie atteints.

Les jeunes sont satisfaits de ce type de structure, lesadultes aussi, mais il faut bien les former.

Former l'équipe

Comme tout le monde est impliqué dans le projet desoins, puisque chacun accompagne ici à son niveaul’adolescent, nous avons formé à l’EducationThérapeutique du Patient toute l’équipe. Cetteformation a été réalisée, intra muros, avec l’aide del’IPCEM.Ont été formés médecins, infirmières,kinésithérapeutes, éducateurs, puisque la prise encharge est vraiment pluridisciplinaire. Le personnelsoignant a reçu également des formationscomplémentaires sur l’adolescent hospitalisé.En plus, nous travaillons avec Mme Anne LACROIX,psychologue qui a travaillé longtemps avec Pr Jean-Philippe ASSAL, et qui est venue assurer la formationdans notre établissement. Elle effectue le suivi del’équipe dans sa pratique professionnelle. Elle vientrégulièrement travailler avec nous et parler du travailque nous faisons au niveau de l’éducation.

Des résultatstrès encourageants

Les jeunes n’ont pratiquement plus d’absentéismescolaire.Ne parlons pas de la réduction des crises, mais, auniveau de l’acquisition de la connaissance de lamaladie, nous avons noté qu’il y avait une bonneconnaissance de la maladie. Les jeunes sont capablesde la restituer aussi bien dans l’établissement qu’àl’extérieur.Ils sont capables d’évaluer leur état respiratoire. Onévalue cela au quotidien dans l’établissement maisaussi lorsqu’ils rentrent chez eux aux vacancesscolaires. On établit un contrat avec eux, et on leurdemande de faire des courbes de débitmètre de pointeet de noter ce qu’ils font. Quand ils reviennent dansl’établissement, on en parle.

En conclusion

La création d’un lieu de vie chaleureux et accueillant,où l’adolescent évolue à son rythme, comprend qu’ilpeut prendre des responsabilités, réalise qu’il estcapable de mener à bien ce qu’il entreprend dans savie scolaire et relationnelle, parce qu’il a retrouvé laconfiance en lui, est un très grand atout. Dans cesconditions, l’adolescent est prêt à recevoir et à adhérerà une éducation sanitaire, à un contrat.

Page 40: VERS UNE NOUVELLE CONCEPTION DE LA RELATION ...ergotooletp.e-monsite.com/medias/files/bep-2000-hs.pdfVERS UNE NOUVELLE CONCEPTION DE LA RELATION SOIGNANT-SOIGNÉ PARTICIPATION DU PATIENT

38

Bulle

tin d

'Educa

tion d

u P

atie

nt, V

ol.

19 -

Hors

série -

2000

INTERVENANTS :

Dr Gérard Reach Page 37

M. Philippe Barrier Page 45

Pr Olivier Abel Page 49

THÈME 4 :

Vers une citoyenneté de santé:

Approches philosophiques

Page 41: VERS UNE NOUVELLE CONCEPTION DE LA RELATION ...ergotooletp.e-monsite.com/medias/files/bep-2000-hs.pdfVERS UNE NOUVELLE CONCEPTION DE LA RELATION SOIGNANT-SOIGNÉ PARTICIPATION DU PATIENT

39

Bulle

tin d

'Educa

tion d

u P

atie

nt, V

ol. 1

9 - H

ors sé

rie - 2

000

«Le malade ne recouvrera pas la santé, et il peutarriver qu’il soit malade par sa faute en menant unevie de désordres et en n’obéissant pas aux médecins.C’est autrefois qu’il lui était possible d’éviter lamaladie; mais une fois qu’il s’est laissé aller, il esttrop tard. De même qui lance une pierre ne peut plusla rattraper. Toutefois il était en son pouvoir de lajeter ou de la laisser tomber, car cela dépendait delui» (ARISTOTE, «Ethique de Nicomaque»).

On définit la compliance thérapeutique commel’adéquation entre les comportements des patients,par exemple, la prise de médicaments ou le suivi d’unrégime, et les prescriptions médicales [1]. Cettedéfinition reflète essentiellement le point de vue dumédecin.Peut-on envisager le problème de la compliance dupoint de vue du patient, c’est à dire en ne se contentantpas d’observer qu’il ne fait pas ce qu’on a prescrit,mais en cherchant à savoir pourquoi il ne le fait pas ?Nous aborderons ce problème en partant d’un casparticulier précis, l’adaptation des doses d’insuline parle patient diabétique, en la considérant comme uneaction volontaire de la part du patient, inscrite dansune habitude, que nous analyserons à la lumière dela théorie causale de l’action. Ces considérationspourraient être appliquées à d’autres domaines de lamédecine où l’on observe le phénomène de noncompliance thérapeutique.

L’adapt ation des doses d’insuline ,une habitude d’actions

Nous partirons des observations cliniques suivantes :un très grand nombre de patients n’adaptent jamaisleur dose d’insuline mêmelorsque leurs glycémies sonten permanence élevées; encas d’hypoglycémie, il arrivesouvent au contraire que lespatients diminuent correc-tement leur dose d’insuline;cette absence d’adaptationdes doses d’insuline estsouvent constatée alors queles autres gestes dutraitement, par exemple, lesinjections d’insuline et lesmesures de la glycémie,sont faits correctement : lanon compliance a donc unaspect «régional» qu’il faut

(1) Directeur INSERM unité 341,Service de Diabétologie, Hôtel-Dieude Paris.

Adresse pour correspondance :Dr Gérard ReachService de Diabétologie,Hôtel-Dieu,Place du parvis Notre Dame, 1F - 75004 Paris.Tél.: ++ 33 (0)1 42 34 84 11Fax : ++ 33 (0)1 44 07 04 42E-mail : [email protected]

expliquer; enfin, il est très frappant de remarquer qu’encas de grossesse, l’équilibre glycémique s’amélioresouvent brutalement et que les patientes se mettent àadapter leur dose d’insuline correctement; on observeaussi un tel «déclic» en l’absence de grossesse, parexemple chez des adolescents diabétiques : la non-compliance thérapeutique n’est donc pas un étatdéfinitif.

Est-il possible d’expliquer ces observations ? Nousessaierons d’analyser ce que le patient doit fairevraiment quand il adapte ses doses d’insuline.On peut d’abord remarquer que l’acte d’adaptation desdoses d’insuline a deux caractéristiques qui ledifférencient par exemple du geste de l’injectiond’insuline :1) Il nécessite un raisonnement.2) Il peut être fait ou ne pas être fait sans que cela aitdes conséquences immédiates dramatiques : ilnécessite d’être précédé par une intention.C’est donc une «action», dans la mesure où lesactions humaines sont caractérisées par le fait qu’ellessont intentionnelles. Mais il a aussi un caractèreparticulier : pour être efficace, il doit être répété; dansun objectif à long terme, il ne sert à rien d’adapterseulement épisodiquement les doses d’insuline, maisil faut le faire, peut-être pas à chaque fois, mais aumoins le plus souvent, de même qu’il ne suffit pasd’attacher sa ceinture de sécurité seulement de tempsen temps. Il faut donc avoir l’habitude de le faire et onpeut donc proposer de définir l’acte d’adaptation desdoses d’insuline comme des actions répétées, cequ’on pourrait appeler une habitude d’actions.

Comprendre la non complianceLes limites des

explicationscognitives

Y a-t-il des raisonscognitives qui expliquentque certains patientsn’adaptent pas leurs dosesd’insuline ? Par exemple, enraison du fait que leraisonnement est tropcomplexe ?Il est vrai que l’adaptationdes doses d’insulinenécessite de réfléchir surles résultats des glycémies

Non compliance thérapeutique :analyse d’après la théorie

causale de l’actionpar Gérard Reach (1)

Bulletin d'Education du Patient,Vol. 19 - Hors série - 2000.

Mots-clés : Educationthérapeutique du Patient,observance thérapeutique,non compliance, philosophiede l'action, théorie causale del'action, désirs, croyances desanté, maîtrise de soi,attitudes, habitudes de vie,relation de confiance.

Page 42: VERS UNE NOUVELLE CONCEPTION DE LA RELATION ...ergotooletp.e-monsite.com/medias/files/bep-2000-hs.pdfVERS UNE NOUVELLE CONCEPTION DE LA RELATION SOIGNANT-SOIGNÉ PARTICIPATION DU PATIENT

40

Bulle

tin d

'Educa

tion d

u P

atie

nt, V

ol.

19 -

Hors

série -

2000

hypoglycémie.

En fait, tous les éducateurs savent que pour apprendreune règle abstraite, le meilleur moyen pour lutter contrecette abstraction est sûrement de commencer àl’utiliser. Ici à nouveau, on voit que le fait d’avoir utiliséles règles est un préalable à leur maîtrise [3].

Il y a une analogie intéressante : la manière dont onprogresse pour acquérir une maîtrise, par exemple,la conduite automobile ou le jeu d’échec; contrairementà ce qu’on croit intuitivement, la démarche ne va pasde l’observation de cas particuliers pour créer desrègles générales, mais plutôt de l’inverse : oncommence par utiliser des règles théoriques. Ensuite,à force de jouer, on finit par savoir reconnaître dessituations d’échiquier où l’on a utilisé une certainestratégie et où l’on a gagné, ce qui fait que, sans avoirà utiliser de manière analytique des règles, on trouveimmédiatement la solution. C’est ce qui explique queles vrais joueurs puissent jouer aussi rapidement sansfaire l’analyse au coup par coup, ce que font les jeuxd’échecs électroniques [4].Cette comparaison est intéressante parce qu’en faitnos patients diabétiques utilisent très souvent desréponses à des situations qu’ils ont «sélectionnées»et non les règles qu’ils ont apprises. J’ai souventremarqué que lorsque je donne un conseil à un patient,il me répond : oui, mais si je fais ça, je vais avoir unehypoglycémie, et qu’il utilise son expérience plutôt quedes règles théoriques. On voit bien ici que, à nouveau,il faut commencer par adapter les doses d’insuline poursavoir le faire.

Cependant, on peut se demander si les trois difficultés,énumérées ci-dessus, sont les vraies raisons del’absence de modification des doses d’insuline par denombreux patients diabétiques, et ce, pour les deuxraisons suivantes :1) comme on l’a dit, les femmes diabétiques, à partirdu moment où elles se savent enceintes se mettenttout d’un coup à adapter leurs doses d’insulines sansqu’il soit besoin souvent de leur rappeler desconnaissances qu’elles connaissent déjà;2) on a vu qu’il est possible de lutter contre cesdifficultés en se forgeant soi-même son expérienceet ses connaissances : c’est en forgeant qu’on devientforgeron. Le tout est donc de commencer, donc devouloir le faire.

Ceci amène à considérer dans l’acte d’adaptation desdoses d’insuline, après l’aspect cognitif, le deuxièmeaspect qui est l’aspect intentionnel, c’est à dire la placedu «vouloir» dans l’action. Une analyse philosophiquedu problème de la non compliance est donc inévitable.

La philosophie de l’action

D’un point de vue philosophique, la question de l’actionpeut être posée de deux façons [5] : Est-ce moi, sujetpensant, qui suis responsable de mes actes ? Quelleest la structure de l’action ?

La première question revient en fait à se demander sile patient joue vraiment un rôle de sujet et d’acteurdans la prise en charge de son traitement. Nousvoyons que nous sommes ici au cœur du sujet de ce

passées, de la glycémie au moment de faire l’injectionet de l’avenir immédiat, par exemple la pratique dusport. Cette difficulté ne doit pas être sous-estimée.Or, les connaissances que doit utiliser le patientprésentent trois caractéristiques : elles sontincomplètes, incertaines et abstraites.

D’abord,les connaissances sont incomplètes

En effet, ce que nous enseignons aux patients, ce sontdes connaissances souvent éparses qui sont extraitesde l’ensemble des connaissances que nous avons,qui font partie de ce que l’on appelle notre réseausémantique, et qui doivent ensuite aller s’intégrer dansle réseau des connaissances du patient.Pour prendre un exemple, en tant que médecin, jesais que les glucides de l’alimentation entraînent uneaugmentation de la glycémie mais cette connaissanceest associée à un grand nombre d’autresconnaissances qui lui donnent son sens [2]. Si jetransmets uniquement cette connaissance au patient,il pourrait croire que les glucides du dîner ont uneinfluence sur la glycémie du lendemain matin, ce quiest faux. Il y a souvent des contresens qui sontdirectement dus au caractère nécessairementincomplet des connaissances qui sont transmises aupatient, ce dont souvent nous pouvons, nous,éducateurs, ne pas nous rendre compte.

Deuxième difficulté :les connaissances sont incertaines

Les patients ne sont pas sûrs de ce qu’ils savent. Pourutiliser une comparaison, si je n’étais pas sûr de mestables de multiplication, il est vraisemblable quej’hésiterais à en faire une.Avec Asmae ZERROUKI, qui réalise un DEA sur cesujet sous la direction de Jean-François d’IVERNOIS,nous avons présenté à vingt diabétiques insulino-dépendants une liste de propositions (par exemple«l’exercice fait baisser la glycémie») en leurdemandant si cette proposition était vraie ou fausseet en leur demandant de quantifier le degré de certitudede leur réponse. De manière très frappante, pour laplupart des propositions testées, les patients n’étaientpas certains de leur réponse. Cette incertitude pourraitintervenir dans l’hésitation à modifier leur dose d’insuline, mais il y a en fait une autre possibilité : ilest aussi possible que le cheminement mental soitdifférent, et, qu’en fait, le degré de certitude à uneréponse soit influencé par le fait que le patient a déjàutilisé cette connaissance et qu’il s’en est bien tiré :la connaissance qui a été utilisée et qui a été trouvéeutile devient alors, dans l’esprit du patient, «unecertitude».

Troisième difficulté :les connaissances sont abstraites

D’une part, le patient doit raisonner sur un tableau dechiffres notés dans un carnet - et l’organisation de cecarnet prend une importance réelle pour lutter contrecette abstraction.D’autre part, les règles d’adaptation d’insulinereprésentent également une démarche abstraite, toutedifférente d’autres situations auxquelles le patient doitsavoir réagir : par exemple, le resucrage face à une

Page 43: VERS UNE NOUVELLE CONCEPTION DE LA RELATION ...ergotooletp.e-monsite.com/medias/files/bep-2000-hs.pdfVERS UNE NOUVELLE CONCEPTION DE LA RELATION SOIGNANT-SOIGNÉ PARTICIPATION DU PATIENT

41

Bulle

tin d

'Educa

tion d

u P

atie

nt, V

ol. 1

9 - H

ors sé

rie - 2

000

Colloque, intitulé «Vers une citoyenneté de santé»puisqu’un citoyen peut être défini comme un sujet librequi agit de manière responsable dans la cité. Ceciamène à poser une question dont la réponse n’estpas évidente. On dit souvent que l’éducation despatients non seulement doit viser à transmettre desconnaissances mais aussi doit viser à créer ou àmodifier des comportements. L’acte d’adaptation desdoses d’insuline doit-il être considéré comme uncomportement ou comme une action ?

Par comportement, on entend une propriété quientraîne une réponse à un certain environnement.Par exemple, on peut dire que le comportement dusucre quand on le met dans l’eau est de fondre.Cependant, dans la phrase «le sucre fond dans l’eau»,bien que le sucre soit le sujet, il n’est pas acteur parcequ’il n’a pas l’intention de fondre. De même, quand jetousse, ce peut être un acte réflexe, mais ce peut êtreaussi une action, si je tousse volontairement, parexemple pour faire remarquer ma présence.On voit bien que ce qui définit une action volontaire,c’est son caractère intentionnel. Par conséquent,refuser une vision comportementale du problème,c’est un parti-pris philosophique qui tournedélibérément le dos au behaviorisme, qui considèreque les comportements sont des réponses à desstimuli de l’environnement et qui refuse de chercherdes causes à nos actions dans des représentationsmentales qui ne seraient que des illusions [6] : unevision behavioriste des comportements de santé nepeut que conduire à résumer l’éducation des patientsà un dressage.

L’acte d’adaptation des doses d’insuline doit doncd’abord être considéré comme une action volontaire.Il est d’ailleurs intéressant d’analyser l’acte d’adapterles doses d’insuline comme une action (ou des actionsrépétées) et non comme un comportement pour deuxraisons :- 1) Si on veut comprendre les mécanismes qui sontsitués derrière l’intention qui conduit à adapter lesdoses d’insuline, on verra que les notions actuellessur la structure de l’action nous permettront d’avanceralors qu’il est très difficile d’analyser les propriétés quisont derrière un comportement.Pour reprendre l’exemple du sucre dans l’eau, il estfacile d’observer que le sucre fond dans l’eau, mais ilest très difficile de décrire ce que recouvre le conceptde solubilité.- 2) Analyser l’acte d’adaptation des doses d’insulinecomme une action oblige à considérer le problèmedu point de vue particulier de cette action et non pasd’un vague comportement regroupant l’ensemble dela compliance des patients. En effet, la complianceest essentiellement, comme on l’a dit, un phénomènequ’on peut qualifier de régional : il y a des patients quin’adaptent pas leurs doses d’insuline mais qui fonttrès bien tout le reste; de même, il y a des patients quisont capables d’arrêter de fumer mais pas de suivreun régime (qui devient d’ailleurs indispensable quandon arrête de fumer).

La théorie causale de l'action

Il faut maintenant analyser ce qu’il y a derrière la notiond’intention qui motive l’action volontaire puisqu’on a

vu que le problème crucial dans l’exemple que nousavons pris est que les patients peuvent adapter ou nepas adapter leur dose d’insuline, c’est à dire qu’ilsdoivent avoir l’intention de le faire.

La philosophie contemporaine, largement à la suitede l’œuvre de Donald DAVIDSON [7], a proposé uneexplication causale de l’action : on fait quelque chosequand on a une raison de le faire, et cette raison estvéritablement la cause de l’action. DAVIDSON aproposé que cette raison, cause de l’action, est unepro-attitude qui est toujours faite de l’association d’undésir et d’une croyance.Considérons, par exemple, l’action de tondre sapelouse. Je tonds ma pelouse parce que j’ai une pro-attitude faite d’un désir et d’une croyance : le désird’avoir une belle pelouse, qui peut être exprimé sousla forme «Toute action qui va dans ce sens estdésirable»; à ce désir est associé une croyance quiest que je crois que tondre ma pelouse représenteune action qui peut faire que j’aurai une belle pelouse.

Un point essentiel de la théorie causale de l’action,telle qu’elle a été développée par DAVIDSON, est quel’action est définie par sa cause, c’est à dire la pro-attitude faite du désir et de la croyance, et non parson résultat. Pour DAVIDSON, les seules actions quele sujet fait vraiment, ce sont les actions qu’il accomplitdirectement par des mouvements de son corps. Lesconséquences de son action peuvent servir dedescription à l’action, mais ne peuvent pas êtreconsidérées comme des actions du sujet : aprèsl’action, «la nature se charge du reste; nous causonsce que nos actions causent» [8] : par exemple, quandle Prince YOUSSOUPOV met du poison dans lespetits fours qu’il donne à RASPOUTINE, le fait queRASPOUTINE meurt est une description de l’actionde YOUSSOUPOV, mais non son «action» [9].

Si nous revenons au problème qui nous occupe, lepatient peut avoir l’intention d’adapter ses dosesd’insuline s'il a une pro-attitude faite d’un désir et d’unecroyance.Le désir étant, par exemple, d’éviter les complicationsdu diabète et la croyance qu’adapter les dosesd’insuline est une action qui va dans ce sens.L’adaptation des doses d’insuline peut donc bien êtreconsidérée comme une action volontaire. Mais si onapplique la conception Davidsonienne de l’action, laconséquence de l’adaptation des doses d’insuline nerelève pas du sujet, mais bien de «la nature, qui secharge du reste» : on peut dire que le patient adapteses doses d’insuline, on ne peut pas dire qu’ilnormalise sa glycémie [10].Ceci a une implication importante : on peutcomprendre que de nombreuses études qui essaientde trouver une corrélation entre, par exemple, desprogrammes éducatifs et un résultat, ou uneconséquence, comme le taux d’hémoglobine glyquée,soient négatives : c’est que la variable dépendante estbeaucoup trop lointaine par rapport à la variableindépendante. Il serait peut être plus juste derechercher une corrélation entre le programmed’éducation et les gestes que les patientsaccomplissent vraiment (injecter l’insuline, mesurer laglycémie, adapter les doses d’insuline, etc).

Références et Notes

[1] SACKETT D.L. (1979),Introduction., in SACKETT D.L.,HAYNES R.B. eds., Compliance withtherapeutic regimens, Baltimore, TheJohn Hopkins Univ. Press, pp.1-6.

[2]«Notre savoir forme un largesystème. Et c’est seulement dans cesystème que l’élément isolé a la valeurque nous lui conférons», extrait deWITTGENSTEIN (1976), De lacertitude, Traduction J. Fauve,Editions Gallimard, p. 101.

[3]«La question se pose ici de savoirsi les règles doivent être données inabstracto, ou s’il ne faut les apprendrequ’après en avoir fait usage ? ou biens’il faut faire aller ensemble la règle etl’usage ? Ce dernier point de vue estseul sage. Dans l’autre cas, tant quel’on n’est pas parvenu aux règles,l’usage est très incertain. (...) Lesfacultés intellectuelles seront d’autantmieux cultivées que l’on fera soi-mêmece que l’on veut voir fait, par exemple,si l’on met aussitôt en pratique larègle grammaticale que l’on aapprise. La meilleure manière decomprendre une carte de géographie,c’est de pouvoir la réaliser soi-même. Le principal moyen qui aide lacompréhension, est la production deschoses. Ce que l’on apprend le plussolidement et que l’on retient le mieux,c’est ce que l’on a en quelque sorteappris par soi-même», extrait de KANT (1996), Réflexions surl’éducation, Traduction A.Philonenko, Editions Vrin, pp.116-119.

.../...

Page 44: VERS UNE NOUVELLE CONCEPTION DE LA RELATION ...ergotooletp.e-monsite.com/medias/files/bep-2000-hs.pdfVERS UNE NOUVELLE CONCEPTION DE LA RELATION SOIGNANT-SOIGNÉ PARTICIPATION DU PATIENT

42

Bulle

tin d

'Educa

tion d

u P

atie

nt, V

ol.

19 -

Hors

série -

2000

Une conception dispositionnelle-fonctionnaliste des états mentaux

A côté des désirs et des croyances, interviennentd’autres états mentaux qui sont, comme les désirs etles croyances, des attitudes qui ont un contenu : lespeurs, les espoirs, les regrets, la honte, etc.Il est clair, par exemple, que la peur de l’hypoglycémieintervient puissamment dans le choix du patient. Demême que le patient possède un réseau sémantiquefait de ses connaissances, il possède aussi d’autresréseaux, ceux de ses croyances, de ses craintes, deses regrets, etc, qui interviennent également dans seschoix.

Chacune de ces attitudes, qu’on appelle des attitudespropositionnelles, parce qu’il s’agit d’attitudes (je croisque, je crains que, je regrette que, etc.) qui ont uncontenu ayant la forme d’une proposition, interfèrententre elles pour représenter autant de dispositions àl’action. Non seulement elles interfèrent entre elles,mais leur contenu peut être modifié par le résultat del’action à laquelle elles ont conduit.Pour ne prendre qu’un exemple, un patient qui auraeu une hypoglycémie sévère verra se transformer,comme l’effet des ondes provoquées par le jet d’uncaillou dans une mare, tous les réseaux de sescroyances, de ses craintes, de ses regrets, etc.Ceci explique ce par quoi doit commencer touteéducation, et les éducateurs le savent bien, quipratiquent ce qu’ils appellent le diagnostic éducatif :essayer de savoir, à propos d’un sujet donné, ce quele patient, déjà, sait , croit, espère, craint, regrette,etc.

Il faut aussi concevoir ces attitudes propositionnellescomme des dispositions, soit à une assertion(l’expression, par le langage, du contenu de lacroyance) ou à une action :«Jeanne désire éviter les complications du diabète= Jeanne est disposée à accomplir toutes les actions(par exemple adapter les doses d’insuline) qu’ellecroit susceptibles d’assouvir ce désir»;«Irène croit que l’insuline fait grossir = Irène estdisposée à faire des actions dont l’une est de diminuerses doses d’insuline même quand sa glycémie estélevée, car son désir de maigrir serait satisfait, s’ilest vrai que l’insuline fait grossir (ce n’est pas vrai !)».

On voit, dans le cadre d’une telle conceptiondispositionnelle-fonctionnaliste des états mentaux, queles croyances et les désirs se définissent, d’une part,entre eux et, d’autre part, par le fait que, nés desperceptions que le sujet a du monde qui l’entoure, ilsinterviennent en tant que dispositions à l’assertion ouà l’action [11].

La théorie dispositionnelle-fonctionnaliste a l’avantagequ’elle ne préjuge en rien des structures physiquessous-jacentes et n’a pas besoin de faire d’hypothèsessur leur signification neuro-physiologique. Elle secontente de décrire de manière opérationnellecomment les différentes attitudes propositionnellesfonctionnent pour représenter des dispositions à leurénonciation sous forme d’une assertion, ou leurexpression sous forme d’une action [12] .

La logique de l’action volontairecomme syllogisme pratique

La théorie causale de l’action implique qu’il y a unelogique dans l’action, puisque, par définition, cettethéorie propose que les actions, ou du moins lesactions intentionnelles, sont causées par des raisons.

Ceci revient à considérer la logique de l’action commeun syllogisme pratique, de même que, depuisARISTOTE, la logique théorique tire, à partir d’uneprémisse majeure (tous les hommes sont mortels) etd’une prémisse mineure (SOCRATE est un homme),une conclusion (donc SOCRATE est mortel) : l’actionpeut être considérée comme un syllogisme pratiquefait d’une prémisse majeure, un désir (toute actionqui rend belle ma pelouse est désirable), d’uneprémisse mineure, une croyance (je crois que tondrema pelouse appartient à ce type d’action), donts’ensuit, une conclusion dont découle,immédiatement, l’action (donc, immédiatement, jetonds ma pelouse).

Le problème est que je ne tonds jamais ma pelouse.De même, il arrive que des patients n’adaptent jamaisleurs doses d’insuline, ou qu’ils ne prennent pas leurscomprimés, ne suivent pas leur régime, fument, etc.Pourquoi ? C’est qu’en face de l’action de tondre mapelouse, il y a une autre possibilité qui est de ne pasla tondre, et qu’il faut aussi considérer comme uneaction parce qu’elle repose aussi sur un désir et unecroyance : le désir étant ici de ne pas me fatiguer etla croyance, que le fait de ne pas tondre ma pelousegarantit mon repos.

De même, le patient diabétique a en face de l’actiond’adapter ses doses d’insuline la possibilité de ne pasle faire, cette possibilité reposant sur le désir parexemple de ne pas avoir d’hypoglycémie et la croyanceque le fait de ne pas augmenter la dose d’insuline vadans ce sens.On voit que le désir sous-jacent à l’action de ne pasadapter la dose d’insuline n’est pas simplement lenégatif de l’action d’adapter la dose d’insuline; c’estun tout autre type de désir. Ceci implique quel’événement consistant en la non adaptation des dosesd’insuline n’est pas identique à l’absence del’événement que constitue l’adaptation des dosesd’insuline : comme diraient les logiciens, l’occurrencede non-a n’est pas la même chose que la non-occurrence de a.

Ces considérations nous amènent à découvrirquelque chose qui n’était pas évident a priori : le faitde ne pas adapter les doses d’insuline, comme le faitde l’adapter, a aussi une cause faite d’un désir et d’unecroyance, et doit donc être aussi considéré commeune action volontaire.En d’autres termes, il ne s’agit pas d’un état passif dusujet, ce qu’on a trop souvent tendance à considérerquand on voit ces carnets où il n’y a aucunemodification des doses d’insuline au cours des troismois qui précèdent et où l’on a tendance à se dire :«Il est vraiment passif». On devrait plutôt se dire :«il n’adapte pas ses doses d’insuline», c’est uneaction intentionnelle, et il faut rechercher les raisonsde son choix.

.../...

[4] DREYFUS H.L. (1992), La portéephilosophique du connexionnisme, inIntroductions aux sciences cognitives,sous la direction de D. Andler, pp.352-373.

[5] DESCOMBES V. (1995), L’action,in KAMBOUCHNER D. (sous ladirection de), Notions de philosophie,Editions Gallimard, Paris, pp. 103-174.

[6] Le behaviorisme psychologiqueregrette qu’alors que les sciencesphysiques ont depuis des lunes rejetédes notions comme celle d’ARISTOTEqui soutenait qu’un corps accélère sachute parce qu’il se réjouit de plus enplus d’approcher de son pointd’arrivée, «et ce fut pour le mieux, lessciences du comportement cependantont encore recours à de états internecomparables. Nul ne s’étonned’entendre dire d’une personne quiporte de bonnes nouvelles qu’ellemarche plus vite parce qu’elle estjoyeuse» (SKINNER B.F. (1971), Pardelà la liberté et la dignité, EditionsRobert Laffont, p. 18). Lesbehavioristes en déduisent qu’ondevrait aussi abandonner les étatsmentaux : ce qui est à vrai dire surtoutétonnant, c’est que l’on puisse déduireque l’on doive renoncer à l’attributionnaturelle à l’esprit humain desdonnées immédiates del’introspection, aussi sujettes àcaution soient elles, du fait qu’il étaitjustifié d’abandonner unanthropomorphisme appliqué demanière naïve dans l’antiquité à laphysique.

[7] DAVIDSON D (1993), Actions etévénements, Traduction P. Engel,PUF, Paris.

[8] DAVIDSON D (1993), Actions etévénements, Traduction P. Engel,PUF, Paris, p. 89 et p. 81.

[9] RASPOUTINE n’est pas mortempoisonné, ni des balles de révolverque YOUSSOUPOV et ses amis onttirées. Il est mort noyé dans la Nevaoù il a été jeté…

.../...

Page 45: VERS UNE NOUVELLE CONCEPTION DE LA RELATION ...ergotooletp.e-monsite.com/medias/files/bep-2000-hs.pdfVERS UNE NOUVELLE CONCEPTION DE LA RELATION SOIGNANT-SOIGNÉ PARTICIPATION DU PATIENT

43

Bulle

tin d

'Educa

tion d

u P

atie

nt, V

ol. 1

9 - H

ors sé

rie - 2

000

La non compliance thérapeutique :un cas particulier d’akrasia

Il faut maintenant essayer de répondre à la questiondifficile à laquelle nous arrivons : comment se fait-ilque, quand on est en face d’un choix portant sur deuxactions contradictoires, et qu’on sait, ou qu’on vous adit, que l’une d’elle est meilleure pour vous, onchoisisse de faire la plus mauvaise.Par exemple, au fond, pourquoi certains sujets fument,alors que sur chaque paquet de cigarettes, il est écritque c’est dangereux pour la santé et qu’ils devraientavoir le désir de la conserver et la croyance que nepas fumer fait partie des actions qui contribuent àassouvir ce désir ?

Il s’agit en fait d’un problème philosophique théoriqueconnu sous le nom de «faiblesse de la volonté», enfait, depuis ARISTOTE sous le nom «d’actionsincontinentes», ou «akrasia» [13].On dit qu’un sujet commet une action incontinentelorsque, entre deux actions, et en ayant tout bienconsidéré, il ne choisit pas celle qu’il serait raisonnabled’accomplir.On trouve dans la littérature biomédicale récente deuxréférences au phénomène d’akrasia pour expliquerdes phénomènes apparentés à la non compliancethérapeutique : le tabagisme et d’autres problèmestouchant aux comportements de santé [14] ou ladrogue [15].

En fait, les actions incontinentes représentent unparadoxe : elles devraient être impossibles, car encontradiction avec la logique. Or, l’adoption de lathéorie causale de l’action suggère qu’il y a une logiquedans l’action, puisque, par définition, cette théoriepropose que les actions, ou du moins les actionsintentionnelles, sont causées par des raisons.Il n’est donc pas étonnant que DAVIDSON lui-mêmeait consacré à ce sujet un essai intitulé «Comment lafaiblesse de la volonté est-elle possible ?» pouressayer de résoudre ce paradoxe. Sa réponse est qu’iln’y a pas de réponse et qu’on est obligé de faire appelà l’irrationalité du sujet, c’est à dire le refus deconsidérer toutes les données disponibles pour faireles choix.

Les gens raisonnables, ceux qui n’accomplissent pasl’action incontinente quand ils sont en face d’un telchoix, sont ceux qui agissent en acceptant de «toutbien considérer» pour chacune des actions possibles,donc qui ont adopté un principe de continence, demême qu’il y a des gens braves ou chastes.

Comme il le dit dans les dernières lignes de son essai,«Si l’on comprend la question ainsi : quelle est laraison pour laquelle l’agent fait x quand il croit qu’ilserait meilleur, tout bien considéré, de faire quelquechose d’autre, alors la réponse doit être : pour celal’agent n’a pas de raison. Bien entendu, il a une raisonpour faire x; ce qui lui manque, c’est une raison pourne pas laisser l’emporter sa meilleure raison de nepas faire x. (...) Dans le cas de l’incontinence, toutetentative de lire la raison dans le comportement estnécessairement sujette à un certain degré defrustration. Ce que l’incontinence a de particulier estque l’agent ne parvient pas à se comprendre lui-

même; il reconnaît, dans son comportementintentionnel, quelque chose d’essentiellement sourd»[16].Les patients qui n’adaptent pas leurs doses d’insuline,dans cette optique, ne considèrent qu’un des choix etoublient tout simplement l’autre : quand on demandeà des patients qui, depuis la dernière consultation,n’ont jamais modifié leurs doses d’insuline, alors queleurs glycémies sont toujours élevées, pourquoi ils nel’ont pas fait, ou bien ils ne répondent pas, ou bienleur réponse ne porte que sur un des termes duconflit : les réponses qui arrivent le plus souvent sont :«j’ai peur de l’hypoglycémie» ou bien «en ce moment,j’ai beaucoup de soucis et je n’ai pas le temps dem’en occuper».Le philosophe Alfred MELE [17] a proposél’intervention d’une instance qui fait que le sujet peutjustement décider de tout considérer, c’est ce qu’ilappelle le «self-control» ou la maîtrise de soi. Il donnecomme exemple ULYSSE qui, attiré par le chant dessirènes, demande de se faire attacher au mât de sonnavire. Les sujets qui ont cette «maîtrise de soi»acceptent de considérer les désirs et les croyancesdes deux actions contradictoires et, en fait, donnentplus de poids à ceux qu’ils considèrent comme bonspour eux, même si l’action à laquelle ils correspondentprésente le handicap que la récompense de l’actionn’est pas immédiate, mais plus lointaine que celle del’action qui serait jugée mauvaise.

Ceci nous amène à considérer attentivement la naturedes désirs et des croyances qui sont à la base desdeux actions d’adapter ou de ne pas adapter les dosesd’insuline, et plus généralement, des deux actionscontradictoires - suivre ou ne pas suivre lesrecommandations du médecin - qui vont définir un étatde compliance ou de non compliance thérapeutique.

La place du temps dans le traitementdes maladies chroniques

Le seul fait que nous ayons décrit l’action qui consisteà adapter, de manière répétée, les doses d’insulinecomme des actions répétées inscrites dans unehabitude qui devra être indéfiniment appliquée amèneà considérer un aspect crucial des maladieschroniques, à savoir l’implication du temps, c’est àdire ce «chronos» qui les définit.

On peut remarquer que les désirs sur lesquelsreposent l’acte d’adaptation des doses d’insuline, parexemple, éviter les complications, mener à bien unegrossesse, sont dans l’ensemble tournés vers l’avenir,alors que ceux qui sont à la base de ne pas adapterles doses d’insuline, par exemple, ne pas prendre lerisque d’hypoglycémie, ne pas entraver la qualité devie, sont, au contraire, essentiellement orientés versle présent. Ceci pourrait expliquer, par exemple,pourquoi dans l’adolescence, caractérisée parl’importance de l’instant, du présent, on observe sisouvent des problèmes de non compliance autraitement [18].

Il y a de nombreux travaux expérimentaux qui montrentque chez l’animal, la proximité de la récompense estl’élément le plus important de choix entre deux actionspossibles. Au contraire, l’homme est capable de choisir

.../...

[10] Ceci ne veut pas dire,évidemment, qu’en modifiant sa dosed’insuline, le sujet n’essaie pas denormaliser sa glycémie : «tenter defaire une chose peut consistersimplement à en faire une autre(...). C’est ce fait qui expliquepourquoi nous pouvons être limitésdans nos actions à de simplesmouvements de notre corps, tout enétant cependant capables, (...) detemps en temps, de toucher le centrede la cible», extrait de...DAVIDSON D. (1993), Actions etévénements, Traduction P. Engel,PUF, Paris, p. 90.

[11] ENGEL P. (1995), Les croyances,in KAMBOUCHNER D. (sous ladirection de), Notions de philosophie,Editions Gallimard, Paris.

[12] «Le mot fonction a au moins deuxgrandes acceptations : uneacceptation mathématique et uneacceptation téléologique (…). D’unpoint de vue téléologique, on peutattribuer une propriété fonctionnelle àtout ou partie d’un dispositif physiqueou matériel. Lorsqu’on attribue aucœur la fonction de pomper du sang,on spécifie le rôle d’un organe, lecœur, dans le système circulatoire(…). Dans les deux cas, lacaractérisation fonctionnelle estmuette sur la composition chimique ouphysique des constituants dudispositif», extrait de... JACOB P., Le problème du rapportdu corps et de l’esprit aujourd’hui,essai sur les forces et les faiblesses dufonctionnalisme, in ANDLER D. (sousla direction de), Introduction auxsciences cognitives, p.337.

[13] ARISTOTE (1951), Ethique deNicomaque, Traduction J. Voilquin,Editions Garnier, Livre VII, p.291-349.

[14] O ’CONNELL K.A. (1996),Akrasia, health behavior, relapse andreverse theory, in Nursing Outlook,n°44, pp.94-98.Dans cet article important, l’auteurinterprète l’akrasia du point de vue dela théorie de la réversibilité des étatspsychologiques qui oscillent entre despaires d’états psychologiques (télique/paratélique, négativiste/conformisteetc.).Voir aussi : O’CONNELL K.A. (1991),Why rational people do irrationalthings. The theory of psychologicalreversals, in J. Psychosoc. Nurs.Ment. Health Serv., n°29, pp.11-14.

.../...

Page 46: VERS UNE NOUVELLE CONCEPTION DE LA RELATION ...ergotooletp.e-monsite.com/medias/files/bep-2000-hs.pdfVERS UNE NOUVELLE CONCEPTION DE LA RELATION SOIGNANT-SOIGNÉ PARTICIPATION DU PATIENT

44

Bulle

tin d

'Educa

tion d

u P

atie

nt, V

ol.

19 -

Hors

série -

2000

une récompense plus grande, même si elle est pluslointaine, à condition, au moment de faire ce choix,de mettre en jeu une maîtrise de soi [19] : ULYSSEse fait attacher à son mât pour ne pas succomber auchant des sirènes parce qu’il a en vue une récompenseplus importante - le retour à Ithaque. Sa maîtrise desoi se traduit par son aptitude à choisir cetterécompense, bien qu’elle soit la plus lointaine.

Ceci a été bien vu par Hannah ARENDT : «Le désirest influencé par ce qui est à proximité et ainsi facileà obtenir - suggestion présente dans le mot mêmequi désigne le désir ou l’appétit, orexis, dont lasignification première, venue de orego, se réfère àla main qui se tend vers quelque chose de proche. Cen’est que quand la satisfaction d’un désir se placedans le futur, et doit tenir compte du facteur temps,que la raison pratique est indispensable et que cedésir la stimule. Dans le cas de l’incontinence, c’estla force du désir axé sur ce qui est à portée de lamain qui y conduit, et la raison pratique intervient alorspar souci des conséquences futures. Mais leshommes ne désirent pas que ce qu’ils ont sous lamain; ils sont capables d’imaginer des objets dedésirs qu’ils assureront en mettant au point desmoyens appropriés. C’est cet objet de désir imaginédans le futur qui donne un coup de fouet à la raisonpratique. En ce qui concerne le mouvement produit,l’acte lui-même, l’objet désiré est point de départ,tandis que pour le processus de calcul, il estaboutissement» [20].

Il faut bien dire que la récompense de l’action d’adapterles doses d’insuline n’est pas très attrayante : s’il s’agitd’avoir des glycémies meilleures, c’est souvent unerécompense abstraite; s’il s’agit de ne pas avoir decomplications, c’est une récompense abstraite, maisde plus négative et qui, en fait, n’est jamais reçue.Pour utiliser une comparaison, c’est une assurancedont on ne comprend pas très bien l’enjeu, dont onpaye les primes trois fois par jour et qu’on ne récupèrejamais.Ceci amène à faire deux remarques :1) Concernant le dosage de l’hémoglobine glyquée,on peut se demander si, en plus de donner au médecinune évaluation objective de l’équilibre métabolique deson patient, il n’a pas pour le patient un intérêtsupplémentaire, celui de lui donner tous les trois moisune vision concrète de ce qu’il a en quelque sorteengrangé, comme un relevé de compte, c’est à direune récompense positive. Il suffit pour s’en rendrecompte d’observer comment les patients accueillentle résultat.2) On peut comprendre l’intérêt formidable de lagrossesse, car, ici la récompense n’est ni négative,ni abstraite, mais concrète et positive (avoir un enfant)et, surtout, elle a un terme relativement proche quipeut même être daté, terme où la récompense serareçue.

De même que les désirs correspondant à l’actioncompliante ou à l’action non compliante sont orientés,soit vers l'avenir, soit vers le présent, il est descroyances qui poussent à adapter les doses d’insulinecar elles sont surtout tournées vers l’avenir : ce qu’onappelle les croyances de santé. Ce sont elles qui sont

mises en jeu lorsque le patient prend la décision, pourl’avenir, de prendre l’habitude d’être compliant auxprescriptions médicales : il s’agit de ces croyancesqui font qu’on pense que ce qu’on fait pour se soignerpeut être efficace, c’est à dire qu’il n’y a pas de fatalité,que ce n’est pas fichu, qu’on peut effectivementempêcher les complications d’une maladie grâce à lamédecine (c’est ici également que se trouve ce quiest connu sous le nom de locus de contrôle), lesbénéfices qu’on peut retirer du traitement.On trouve également dans les croyances de santél’idée qu’on se fait de la sévérité de la maladie et desa propre vulnérabilité [21].

En réfléchissant, on peut trouver une grande analogieentre les croyances de santé et les croyancesreligieuses. Les croyances religieuses sont tournéesvers l’avenir, un avenir même très lointain puisqu’ils’agit de l’au-delà : il s’agit de croyances collectivesqui correspondent à un idéal [22]. GeorgesCANGUILHEM compare la santé à un paradis perdudont la maladie nous aurait chassés, à une innocencebiologique originelle qu’il serait vain de vouloir retrouverpar la guérison [23]. Ne s’agit-il pas aussi d’un idéal,et cet idéal n’est il pas essentiellement collectif ?CANGUILHEM rappelle aussi que le frontispice dutome VI de l’Encyclopédie française, «l’Etre Humain»,publié sous la direction de LERICHE, représente lasanté sous les apparences d’un athlète, lanceur depoids [24]. Assimiler la santé à l’athlète, n’est-ce pasassimiler l’exercice de la santé au sport, activitéessentiellement collective ?

On peut remarquer d’ailleurs que dans les maladieschroniques, comme le diabète, les patients seregroupent en associations, qu’ils ont des réunions,des journaux d’information qui ont souvent la formede bulletins de liaisons, et qu’ils y trouvent un réelréconfort, immédiat, face à un avenir incertain.Mais au-delà de ces associations, il y a ce qu’onappelle la santé publique, qui n’est pas la santé dupublic, mais bien la santé pour le public, c’est-à-direun idéal pour lequel la société a besoin de créer descroyances collectives.Ces croyances peuvent-elles, comme les croyancesindividuelles, faire l’objet d’un assentiment ou d’uneacceptation collective ? C’est exactement ce à quoivisent les «conférences de consensus».Peuvent-elles être transmises aux individus pour leurservir, de manière individuelle, de croyances de santé?C’est ce à quoi visent les campagnes d’informationdu public, de la journée sans tabac par exemple, quirevient chaque année comme une fête.

Conclusion

Nous avons défini l’acte d’adapter les doses d’insulinecomme une habitude d’action. Le patient a le choixdifficile entre deux actions opposées : adapter ou nepas adapter les doses d’insuline et ce choix, il doit lefaire à deux moments (cfr. figure 1).

1) Au quotidien s’opposent des désirs et descroyances, mais aussi d’autres états mentaux qui sontcomme les désirs et les croyances, des attitudes quiont un contenu : les peurs, les espoirs, les regrets,

.../...

[15] HEATHER N.A. (1998),conceptual framework for explainingdrug addiction, in J.Psychopharmacol., n°12, pp.3-7.

[16] DAVIDSON D. (1993), Actions etévénements, Traduction P. Engel,PUF, Paris, pp. 64-65.

[17] MELE A.R. (1992), Irrationality,an essay on akrasia, self-deceptionand self-control, Oxford UniversityPress.

[18] ALVIN P. (1997), Non-compliance thérapeutique : véritédifficile à dire ou vérité difficile àentendre ? in Arch. Pediatr. , n°4,pp.395-397.

[19] Le test Persona, qui classe lesindividus en «analysants»,«facilitants», «promouvants», et«contrôlants» suggère que lesindividus «facilitants» sont ceux quisont tournés à la fois vers le passé, leprésent, et le futur. C’est dans cetteclasse qu’on trouve surtout lesmédecins…

[20] ARENDT H. (1983), La vie del’esprit, 2. Le vouloir, PUF, p. 75. Sur les rapports entre le temps et lavolonté, voir le premier chapitre de cetouvrage, «les philosophes de lavolonté».

[21] BECKER M., JANZ N. (1985),The health belief model applied tounderstanding diabetes regimencompliance, in Diabetes Educ., n°11,pp.41-47.

[22] ENGEL P. (1995), Les croyances,in KAMBOUCHNER D. (sous ladirection de), Notions de philosophie,Editions Gallimard, Paris, pp.68-94.

[23] CANGUILHEM G. (1991), Lenormal et le pathologique, P.U.F.,Paris, pp. 87 et 157.

[24] CANGUILHEM G. (1991), Lenormal et le pathologique, P.U.F.,Paris, p.130.

[25] MELE A.R. (1992), Irrationality,an essay on akrasia, self-deceptionand self-control, Oxford UniversityPress, p.69.

Page 47: VERS UNE NOUVELLE CONCEPTION DE LA RELATION ...ergotooletp.e-monsite.com/medias/files/bep-2000-hs.pdfVERS UNE NOUVELLE CONCEPTION DE LA RELATION SOIGNANT-SOIGNÉ PARTICIPATION DU PATIENT

45

Bulle

tin d

'Educa

tion d

u P

atie

nt, V

ol. 1

9 - H

ors sé

rie - 2

000

etc. Ce choix risque d’être difficile. Il est clair que lapeur de l’hypoglycémie intervient puissamment dansce choix.

2) Mais comme nous avons décrit l’acte d’adaptationdes doses d’insuline comme une habitude d’action, ily a un autre moment ou il peut exercer ce choix, c’estle moment où il prend l’habitude de le faire ou de nepas le faire, et c’est ici que les croyances de santéjouent un rôle essentiel.Prendre l’habitude de faire quelque chose a unavantage immense : on n’a plus ensuite besoin auquotidien de faire de choix.Comme le démontre brillamment Alfred MELE dansson essai sur l’«akrasia», il est plus facile d’accomplirune action que l’on croit bonne, mais qui est difficileou ennuyeuse, en faisant appel à la maîtrise de soi,qu’en prenant, directement, la décision de choisir entrecette action et une action qu’on considère peut êtrecomme moins bonne, mais dont la récompense estplus immédiate [25].De même, on fait plus facilement quelque chose qu’ona l’habitude de faire. La maîtrise de soi pourrait d’abordse manifester au moment où le patient fait le choixprimitif d’être, dans l’avenir, compliant, c’est-à-dire deprendre l’habitude de suivre son traitement.Par ailleurs, comme nous l’avons vu au début de ce

Choix primitif

Croyances de santé locus

de contrôle

Prendre l’habituded’adapter les dosesd’insuline

Ne pas prendrel’habituded’adapter les dosesd ’insuline

Adapter les dosesd’insuline

Action

Raisonnement

Action au quotidien

Habitude d’actions

EDUCATION

Résultat

NatureNe pas adapter les dosesd’insuline

CroyancesDésirs

CroyancesDésirsPeurs

Choix quotidien

Figure 1 : Adapter ou ne pas adapterles doses d’insuline dans le traitementdu diabète de type 1 : une habituded’actions.

texte, le fait d’adapter de manière répétée les dosesd’insuline crée l’expérience qui facilite, voire rendinutile, le raisonnement.

En conclusion, c’est à ce niveau de création del’habitude que tout va se jouer, et l’éducation despatients non seulement doit transmettre desconnaissances mais doit viser à réaliser un véritablepartage des croyances entre le médecin et le patient,notamment en ce qui concerne les croyances desanté, de façon à l’aider, au moment de ce choixprimitif, à faire le bon choix.

Le partage des croyances entre le médecin et le patientimplique essentiellement l’établissement d’une relationde confiance, qui signifie littéralement partage descroyances. On comprend l’importance d’une phrasede l’extraordinaire «Prière du Médecin deMaïmonide» : «Fais que mes patients aient confianceen moi».

Et pour terminer, c’est par un partage des croyances,soit par l’éducation des patients, soit dans le cadrede l’Education pour la Santé, que ces croyancespeuvent réellement devenir collectives, la santédevenant alors véritablement l’affaire de tous,accédant ainsi à la citoyenneté.

Page 48: VERS UNE NOUVELLE CONCEPTION DE LA RELATION ...ergotooletp.e-monsite.com/medias/files/bep-2000-hs.pdfVERS UNE NOUVELLE CONCEPTION DE LA RELATION SOIGNANT-SOIGNÉ PARTICIPATION DU PATIENT

46

Bulle

tin d

'Educa

tion d

u P

atie

nt, V

ol.

19 -

Hors

série -

2000

Je m’adresse à vous, non comme spécialiste, maisen tant que patient, et c’est à ce titre que j’ai tenté uneréflexion sur cette orientation vers une citoyenneté desanté qui constitue, moins le thème de cette journée,que le but de nos efforts communs.J’allais dire «je m’adresse à vous en tant que simplepatient», mais l’originalité de ma situation au regardde ce qu’on appelle la santé, fait de moi un patient unpeu plus complexe que n’autoriserait à le penser laformule.En effet, atteint de diabéte insulino-dépendant depuisl’âge de 16 ans, je suis devenu insuffisant rénalchronique à celui de 40; mais une double greffe (rein-pancréas) pratiquée avec succès après seulement 7mois d’hémodialyse, m’a rendu une totale liberté enfaisant disparaître toutes les contraintes liées autraitement de ces deux affections. Elle a égalementstoppé, et sur certains points fait régresser, lesdégénérescences et complications qui en étaient lesconséquences.Cette intervention a, en outre, eu l’effet remarquableet médicalement dérangeant, de faire de moi une sortede paradoxe vivant (position que j’assume depuismaintenant près de 5 ans avec un grand bonheur).C’est que je me considère désormais comme un«ancien» malade chronique, devenu «Diabétiquehonoraire», «insuffisant rénal autosuffisant»... grâceau don inestimable de deux petits morceaux de matièrevivante qu’un être humain, avant de mourir, avait choiside ne pas me refuser.Aussi ai-je parfois la tentation de pouvoir prétendrejouir de ce que NIETZSCHE appelle «la grandesanté». Lorsque la maladie n’apparaît plus que comme«un point de vue sur la santé». Je suis passébrutalement de l’une à l’autre, puis de l’autre à l’une,et peux encore faire le parcours inverse.Vivre successivement ces états différents, que je n’aifinalement fait que traverser, m’enseigne à la fois leurdépendance mutuelle et leur relativité, et me pousseà la dangereuse prétentionde risquer ma propre etnaïve définition de la santé.

Lorsque j’étais un jeunediabétique insulinodépen-dant traité à l’insuline,d’abord suivi par un pédiatre(ce qui me semble consti-tuer déjà une erreur,puisque j’étais adolescent),le mot santé, tel que jel’entendais prononcer,n’avait qu’un sens : c’étaitune norme, à laquelle je neme conformais pas.

Une définition de la santé comme norme, exclut lemalade, et tout particulièrement le malade chronique,puisque cette norme lui est définitivement inaccessible.Dans le cas du DID on lui imposera, de surcroît, ledevoir d’y tendre, de manière asymptotique et doncdésespérante; en particulier à travers une conceptiondraconienne de la normoglycémie.L’état d’esprit qu’impose aux soignants s’en tenant àcette définition rigide et dogmatique de la santé, sansqu’ils en aient nécessairement conscience, fait poureux du patient un déviant. On le considérera alors soitavec méfiance, condescendance, ou même unecertaine forme de compassion; mais de toute façoncomme quelqu’un qui a tort, et qui ne le sait pas -comble de l’ignorance. Ses propos seront«décryptés», «traduits», mais jamais vraimentécoutés pour eux-mêmes.Non seulement il a tort, mais il a le tort de persévérerdans l’erreur - en particulier dans cette faute(quasiment au sens moral) que représente alors lamaladie chronique. Dans cette optique, le maladechronique est un constant «relaps», perpétuellementcoupable de rechute dans l’hérésie.

Il me semble donc que la définition de la santé commenorme n’a pour effet que de culpabiliser et infantiliserle patient. Même si on laisse de côté pour le momentla question de la définition de la citoyenneté, en nousen tenant au sens implicite et général d’être libre etresponsable, on voit comme on est loin de lacitoyenneté de santé dans cet assujettissement dupatient à une autorité qui lui est totalement extérieure,à une conscience qui disqualifie la sienne.

Je suis né, comme chacun, ignorant de la valeur dela santé, non seulement en tant que confort et latitudede bien vivre, mais aussi en tant que signification.Celle-ci me semble s’être imposée à moi par monpassage à la maladie chronique et à la «guéri-son»

(je mets au mot lesguillemets que l’objectivitéimpose, si ma subjectivitéles récuse).

Pour ma part, je propose deconsidérer la santé commeadéquation spontanée,sans cesse réitérée, de lavie avec elle-même. Ou, sivous préférez, commemélodie. Il s’agit, bien sûr,d’une image et non d’unconcept : comme si chaqueindividu développait, au

Bulletin d'Education du Patient,Vol. 19 - Hors série - 2000.

«L’impatient citoyen»

par Philippe Barrier (1)

(1) Professeur de philosophie,Membre du Comité Scientifique del’IPCEMAdresse pour correspondance :Rue de Soissons, 13, F-60800 Crépyen Valois.Auteur de :«Lettre ouverte à ceux qui ne se voientpas donneurs d’organes»Éditions FRISON-ROCHE

Mots-clés : Educationthérapeutique du Patient,citoyenneté, individualité,responsabilité, relationsoignant-soigné, contratsocial.

Il me semble que la définition de lasanté comme norme n’a pour effetque de culpabiliser et infantiliserle patient. Même si on laisse decôté pour le moment la question dela définition de la citoyenneté, ennous en tenant au sens implicite etgénéral d’être libre etresponsable, on voit comme on estloin de la citoyenneté de santédans cet assujettissement dupatient à une autorité qui lui esttotalement extérieure, à uneconscience qui disqualifie lasienne.

Page 49: VERS UNE NOUVELLE CONCEPTION DE LA RELATION ...ergotooletp.e-monsite.com/medias/files/bep-2000-hs.pdfVERS UNE NOUVELLE CONCEPTION DE LA RELATION SOIGNANT-SOIGNÉ PARTICIPATION DU PATIENT

47

Bulle

tin d

'Educa

tion d

u P

atie

nt, V

ol. 1

9 - H

ors sé

rie - 2

000

cours de son existence, une phrase musicale qui luifut propre, et que je conçois comme absolumentunique. Ce qui exclut, par conséquent, toute définitionunifiante, globalisante et «totalitaire» de la santé; maisaussi bien des maladies, car on est autant diabétique,par exemple, qu’on est homme : c’est à dire, chacunà sa façon. Dans ma proposition, la «bonne santé»d’un individu se signale par le caractère harmonieuxde sa phrase musicale.

Prenons un instant au sérieux cette métaphoremusicale : on comprend bien que la mélodie ou,disons, le caractère musical d’une succession desons, ne consiste pas en un accord parfait et unique,maintenu indéfiniment. Il s’agit, bien plutôt, d’unmouvement permanent, d’une structure évolutive oùdes notes et des accords divers, se rencontrent, sefondent ou s’opposent, parfois à la limite de ladissonance.

Alors, si l’on considère notre image comme unedéfinition de la santé, on ne perçoit plus commecontradictoires à cette «adéquation de la vie avec elle-même» les aléas de la vie, les hauts et les bas desétat du corps, l’alternance de périodes de souffranceet de bien-être. On cesse de concevoir une ruptureabsolue entre morbide et sain, surtout, un fossé entremalade et sujet bien portant. Remarquons simplement,par exemple, qu’il est des malades chroniques «bienportants» grâce à leur traitement, et des sujets sainsoccasionnellement «malades».Il nous faut également reconnaître qu’il existe desmusiques atonales, ou se souciant peu de la tonalité.L’oreille classique a dû s’habituer pour reconnaître desphrases musicales «légitimes» dans ce qui luiapparaissait d’abord comme «n’importe quoi». Ainsi,le parcours physiologique de certains individus peut-il apparaître comme plus «atonal» que d’autres, ouplus chargé de «fausses notes», il n’en est pas moins«musical», c’est à dire l’histoire du rapport vivant d’unindividu à son corps.

Si j’ai risqué cette métaphore, qu’on trouvera peut-être un peu fantaisiste, c’est surtout pour inciter à uneperception plus ouverte de la santé, et, comme j’ensoulignais la nécessité plus haut, moins normative etpar là moins «répressive».Certes le rôle du médecin est bien d’enrayer, tant qu’ille peut, les processus morbides, mais il me sembleimportant qu’il se prémunisse contre les dangers quereprésente un certain «intégrisme» en matière desanté - c’est à dire une obsession de la norme. Normequi, bien souvent, n’a d’objective que l’apparence.Que le soignant considère la personne qu’il a en facede lui - fût-elle malade chronique - avant tout commeune personne singulière, avec la part de pathologiequi lui est propre (les dissonances qui font la couleurde sa phrase musicale).

La reconnaissance de l’individualité absolue du patientme semble une priorité; à le ranger sous une catégorieabstraite, et donc générale, on se prive et on le privede sa réalité. Cette reconnaissance m’apparaît commeune étape essentielle vers la citoyenneté de santé. Ici,c’est au médecin de faire le premier pas.

Envisageons un instant une sorte de «Par-delà le bienet le mal» qui serait une considération autre duparcours physiologique de l’individu, dénuée del’implicite jugement de valeur (négatif) qu’on pose surlui dès lors qu’on le classe définitivement etabstraitement comme malade (en particulierchronique). Le problème n’est pas une question devocabulaire : l’aveugle, qualifié plus délicatement de«non-voyant», ne voit pas mieux pour autant...

Le problème réside dans la confusion de la personneavec l’étiquette que la commodité de langage imposede lui coller sur le dos. Un homme ne se définit pasplus par le fait qu’il est diabétique, que par la couleurde sa peau.On parlera de racisme dans le second cas, mais pasdans le premier. Pourtant la société, et parfois le corpsmédical, mettent à part (apartheid) les handicapés,les malades chroniques (physiques ou psychiques)trop voyants; et par là-même leur dénientl’appartenance à la communauté des hommes, deségaux.Je n’entends évidemment pas faire la leçon au corpsmédical (auquel, en ce qui me concerne, j’ai bien plutôtà rendre hommage), mais il me semble qu’aller versune citoyenneté de santé, c’est, au moins pour lesoignant, prendre une claire conscience du fait que lepatient qu’il a en face de lui est non seulement àdifférencier de l’affection dont il souffre, mais encoreà distancer de celle-ci.Ce qui sauve bien souvent le malade, c’est la distancequ’il est capable de prendre lui-même avec sa maladie.Lui reconnaître cette faculté, et lui permettre de ladévelopper, c’est le rendre plus libre, plus citoyen, sivous voulez.

Avec la même imprudence, je voudrais tentermaintenant de rendre sensible au moins l’égalité endignité et compétence par rapport à l’homme sain, decelui qu’en tant que malade chronique, on qualifiesouvent d’« insuffisant» (« insuffisant rénal»,«insuffisant respiratoire», etc.). Comme un mauvaisélève, dont les efforts dans certaines disciplinesseraient notoirement insuffisants... Inutile de nier qu’ily a bien une insuffisance organique, caractéristiquede l’affection dont souffre le patient, mais l’expression,employée abruptement devant la personne, lui faitl’effet de la classer, dans sa globalité, dans la catégoriedes cancres.

Regardons de plus près ce qu’il en est dans les faits.Le traitement au long cours, qui est celui de toutemaladie chronique (et particulièrement du diabèteinsulinodépendant, me semble-t-il), se révèle peu àpeu, pour le patient qui le pratique et le subit tout à lafois (dans cette dialectique de l’auto-éducation),comme une tentative pour retrouver et maintenirartificiellement (et héroïquement) une harmonierompue.Ne faut-il pas au diabétique, en effet, jouer sur sesdoses d’insuline et sa quantité d’apport glucidique, surla perte et le surplus - c’est à dire pratiquer la gestionconsciente et volontaire (approvisionnement,conservation, écoulement) de ce double stock que lanature, chez le sujet sain, gère spontanément avec

La reconnaissance del’individualité absolue du patientme semble une priorité; à leranger sous une catégorieabstraite, et donc générale, on seprive et on le prive de sa réalité.Cette reconnaissance m’apparaîtcomme une étape essentielle versla citoyenneté de santé. Ici, c’estau médecin de faire le premierpas.

Page 50: VERS UNE NOUVELLE CONCEPTION DE LA RELATION ...ergotooletp.e-monsite.com/medias/files/bep-2000-hs.pdfVERS UNE NOUVELLE CONCEPTION DE LA RELATION SOIGNANT-SOIGNÉ PARTICIPATION DU PATIENT

48

Bulle

tin d

'Educa

tion d

u P

atie

nt, V

ol.

19 -

Hors

série -

2000

une perfection et un équilibre constants?Il perçoit, au long des années, ce travail permanentde recherche d’équilibre (glycémique) auquel il estastreint, comme la conséquence de son éviction duparadis innocent de l’homme sain, qui laisseparesseusement fonctionner ses organes, sans soucimais aussi sans conscience.

Ce que le diabétique a perdu en confort et liberté demanoeuvre, il l’a gagné en «sur-conscience» (si vousme permettez l’expression) et responsabilité.Conscience exigeante, responsabilité parfoisécrasante, car il est en quelque sorte condamné àtenter une maîtrise du corps inédite chez l’hommeordinaire, à en interpréter continuellement des signessinguliers, en lire les messages normalement tenussecrets par l’organisme, et régler son comportementà partir de ces données, inaperçues ou inexistanteschez les non-diabétiques.

Aussi, sur le plan de la conscience et de laresponsabilité, je définis donc l’homme sain par unmanque, au regard de la situation du diabétique.

Par rapport aux sujets «normaux», le diabétiqueinsulinodépendant, à la fois agent et objet (sujet etobjet) d’un traitement qui est pour lui réellement vital,a franchi un seuil inédit dans l’auto-gouvernement desoi-même.Premièrement, par cette conscience qui lui est proprede mécanismes biologiques fondamentaux quidemeurent ordinairement inconscients (métabolismedes glucides).Ensuite, par le pouvoir constant qu’il lui revientd’exercer sur eux (pouvoir dont les instruments sontl’injection d’insuline, l’absorption de glucides, ladépense musculaire...).Pouvoir qui est toujours potentialité d’erreur etd’échec, et donc responsabilité à la fois immédiate etpermanente. Un trop long moment de relâchementdans cette vigilance ou les actes qu’elle implique(resucrage, correction des doses d’insuline, etc.) etle déséquilibre s’installe (hyperglycémie), ou unerupture brutale intervient (coma hypoglycémique).

Sans cesse se rappellent au diabétique les nécessités,parfois contradictoires, d’un corps à surveiller,contrôler, gérer... qui, en même temps, vit sa proprevie, ni totalement indépendante, ni totalement soumiseà cette «autorité». Celle-ci : la conscience, à la foiscomme regard et commepouvoir sur le corps, étantelle-même en partieconditionnée, ou en tout casnon totalement distincte, dece substrat sur lequel elles’exerce.

Notons, par exemple, quesouvent, en pleine hypogly-cémie, alors que la sagesseconseille de s’alimenter et dese resucrer, le DID éprouveprécisément un fort dégoûtpour toute nourriture (enparticulier sucrée) pouvant

aller jusqu’à la nausée. Il lui faut donc un surcroît deconscience et de volonté pour passer outre auxsuggestions (perçues normalement comme légitimes)de son propre organisme.

Il me semble que l’aporie que souligne le DIDconcernant le rapport de la conscience au corps (quicommande quoi ?), et le fait qu’il développe néanmoinsune pratique viable au sein-même de cette aporie(grâce à sa «sur-conscience» et à son exigence deresponsabilité), offre aussi l’intérêt d’être une imageriche de significations pour le politique; et plusprécisément, pour la démocratie (c’est à dire pour lerégime de la citoyenneté).En effet, de même que le DID ne survit correctementqu’en maintenant sans cesse une exigence impossibleà tenir, de même c’est seulement dans l’exigence sanscesse maintenue de davantage de démocratie,qu’existe la démocratie, au sein même de sescontradictions.

L’idée de ce rapprochement me semble corroboréepar l’observation de la façon dont le diabétiqueinsulinodépendant est amené à considérer le temps.Pour le DID, le temps est toujours piégé. Dans le casd’un traitement à deux injections quotidiennesd’insuline, le matin n’est pas une page vierge surlaquelle se dessinera la journée. La glycémie matinaledu DID est, en grande partie, fonction de la quantitéd’insuline qu’il s’est injectée la veille au soir. Pourdéterminer sa dose à injecter pour la journée quicommence, et malgré la tentation qu’il en a, ce n’estpas de l’état présent de sa glycémie que le diabétiquedoit tenir compte.Il doit, au contraire, mettre entre parenthèses laconscience immédiate de son présent, et mettre encorrélation le calcul de sa dose à effecteur avec lesouvenir de ce que fut sa précédente journée.Et il n’évitera la réitération de son éventuel malaisedu matin, qu’en agissant sur sa prochaine injectiondu soir, c’est à dire en patientant...

Tenter de maîtriser le présent par la pleine consciencedu passé, simultanément, prévoir le futur parl’organisation de cette gestion des effets du passé...ce souci constant du diabétique nous offre, là encore,une image idéale de la sagesse politique. Son contraireétant un pouvoir qui ne ferait que répondre, dansl’urgence, aux exigeantes sollicitations du présent,dans une sorte de fuite en avant où se noierait sa

responsabilité, et quiréitérerait son impuissance.Défaut particulièrementcriant, par exemple, dansune politique de santé neprivilégiant pas la préventionet l’éducation, mais qui neferait, en quelque sorte, quegérer les urgences. Une desacceptions du terme«citoyenneté de santé»pourrait être la revendica-tion, par l’ensemble descitoyens, d’une politique desanté réellement axée sur laprévention et l’éducation.

Ce que le diabétique a perdu enconfort et liberté de manoeuvre, ill’a gagné en «sur-conscience» (sivous me permettez l’expression) etresponsabilité.Conscience exigeante,responsabilité parfois écrasante,car il est en quelque sortecondamné à tenter une maîtrise ducorps inédite chez l’hommeordinaire, à en interprétercontinuellement des signessinguliers, en lire les messagesnormalement tenus secrets parl’organisme, et régler soncomportement à partir de cesdonnées, inaperçues ouinexistantes chez les non-diabétiques.

Il me semble que l’aporie quesouligne le DID concernant lerapport de la conscience au corps(qui commande quoi ?), et le faitqu’il développe néanmoins unepratique viable au sein-même decette aporie (grâce à sa «sur-conscience» et à son exigence deresponsabilité), offre aussi l’intérêtd’être une image riche designifications pour le politique; etplus précisément, pour ladémocratie (c’est à dire pour lerégime de la citoyenneté).

Page 51: VERS UNE NOUVELLE CONCEPTION DE LA RELATION ...ergotooletp.e-monsite.com/medias/files/bep-2000-hs.pdfVERS UNE NOUVELLE CONCEPTION DE LA RELATION SOIGNANT-SOIGNÉ PARTICIPATION DU PATIENT

49

Bulle

tin d

'Educa

tion d

u P

atie

nt, V

ol. 1

9 - H

ors sé

rie - 2

000

La seconde considération qui autorise peut-être à filernotre métaphore, réside dans le fait que cette «hyper-conscience» propre au diabétique, est aussi celle del’échec et parfois de la vanité de ses efforts, car si lafameuse «normoglycémie» est toujours à l’horizon duDID, c’est bien qu’il ne l’atteint jamais - du moinscomme constante.Et c’est peut-être la dernière étape de son initiation àune «citoyenneté du patient».Après la prise d’hyper-conscience biologique (si vousme permettez encore l’expression), l’assomption dela responsabilité immédiate et permanente qu’elleimplique dans la gestion du corps et du temps, vientla conscience des limites de ce pouvoir sur soi, et del’échec.Ce dernier avatar d’une prise de conscience - qui nepeut jamais se permettre d’être purement théorique(car elle a des effets très concrets sur la survie dusujet) - conduit rarement le diabétique au renoncementou à la paresse.De la révolte à la liberté par acceptation descontraintes, connaissance des déterminismes, etreconnaissance des limites et failles de son pouvoird’auto-gouvernement, le diabétique, qui va au bout deson parcours, me semble être amené à une sagessepratique peu commune.

C’est d’abord par solidarité avec tous ceux qui sontrestés ces «malades chroniques» trop souventinfantilisés, ou bien encore inconsciemment méprisés- du simple fait d’être purement étiquetés, doncréifiés - que je tenais à souligner leur exemplarité. Maisaussi parce qu’ils fournissent précisément l’exempleparticulièrement riche d’une sorte de «politique de soi»qui pourrait bien concourir à qualifier cette citoyennetéde santé qui fait l’objet de notre réflexion.

Si j’ai identifié, dans mon titre, le malade chronique àun «impatient citoyen», ce n’est pas seulement pargoût de la provocation, ou pour éveiller la curiosité.Cette «sur-conscience» qui est la sienne, dans le casdu DID, et le fait qu’il soit contraint à participer aussiefficacement que possible à ses propres affaires, neconstitue pas seulement une image d’une parfaitecitoyenneté active, mais, en quelque sorte, un modèle.Sur-conscience et efficacité requises le rendent

«impatient», c’est à dire non passif et exigeant. Il estcelui qui ne souhaite pas souffrir des effets du manqued’exigence des autres envers eux-même.Comme il est absolument tenu d’être exigeant enverslui-même (sauf à le payer très cher), il attend desautres, en retour, une semblable qualité. Il ne s’agitnullement de l’exigence exaspérante duconsommateur insatisfait et sûr de ses seuls droitspuisqu’il paye...Au contraire, le «malade chronique assumé» (si j’osedire) est bien plutôt un guetteur de démocratie, unéveilleur de civisme.

Dans le couple soignant/patient se noue un rapportde pouvoir consenti (comme un contrat civique ousocial).Celui-ci ne sera «démocratique» qu’autant que seraenfin entendue pour elle-même la parole du patient -c’est d’ailleurs à ce prix que celle du médecin serarespectée.

En fait, le patient n’est pas plus autonome par rapportau médecin que le médecin par rapport au patient. Ilsentrent l’un et l’autre dans un rapport nécessaireconsubstantiel à l’état de l’un et à la tâche de l’autre.Pour que cette nécessité soit liberté, il faut à chacunassumer comme un a priori la part de l’autre, c’est-à-dire en faire la pétition de principe.

On a vu (du moins ai-je tenté de le montrer) que c’estl’insuffisance (pancréatique) assumée par lediabétique qui fait sa véritable force d’homme libre,ou, si vous voulez bien encore, de citoyen.Aussi, la citoyenneté de santé vers laquelle il mesemblerait bon de tendre, pourrait-elle êtrel’établissement d’un nouveau rapport patient/soignant(comme un nouveau contrat social) posant cette libertéconsciente d’elle-même comme a priori ou «de droit»,à confirmer dans les faits par une éducation de santé.

Alors, devenue cogestion, reconnaissance et partageéquitable des responsabilités, des compétences, desdroits et des devoirs, la citoyenneté de santé ne serait-elle pas, en quelque sorte, l’idéal de la citoyennetétout court ?

De la révolte à la liberté paracceptation des contraintes,connaissance des déterminismes,et reconnaissance des limites etfailles de son pouvoir d’auto-gouvernement, le diabétique, quiva au bout de son parcours, mesemble être amené à une sagessepratique peu commune.

En fait, le patient n’est pas plusautonome par rapport aumédecin que le médecin parrapport au patient. Ils entrentl’un et l’autre dans un rapportnécessaire consubstantiel à l’étatde l’un et à la tâche de l’autre.Pour que cette nécessité soitliberté, il faut à chacun assumercomme un a priori la part del’autre, c’est-à-dire en faire lapétition de principe.

Page 52: VERS UNE NOUVELLE CONCEPTION DE LA RELATION ...ergotooletp.e-monsite.com/medias/files/bep-2000-hs.pdfVERS UNE NOUVELLE CONCEPTION DE LA RELATION SOIGNANT-SOIGNÉ PARTICIPATION DU PATIENT

50

Bulle

tin d

'Educa

tion d

u P

atie

nt, V

ol.

19 -

Hors

série -

2000

Comme le titre l’indique, je voudrais réassocierétroitement, comme on marie l’eau et le feu, la facepassive, vulnérable, et la face active, capable,responsable, de notre condition humaine qui est aussinotre condition citoyenne.

Aujourd’hui, en effet, on a globalement tendance à tropséparer une vision victimiste, où le sujet humain n’estplus qu’une plainte, et une vision responsabilisatrice,où il n’est plus qu’un bloc de culpabilité. On ne voitpas assez que les victimes peuvent aussi êtreresponsabilisées, ni que les responsables sont aussides êtres fragiles.

Je voudrais ensuite montrer comment l’institution dela santé, pour donner à chacun sa chance, commencepar rétrécir le milieu du patient, pour le réélargirensuite, et lui donner la possibilité d’interpréter sontraitement comme un musicien interprète une partition,la possibilité d’interpréter sa vie.

L’oscillation de deux morales

Nous sommes pris, assez généralement, dansl’oscillation entre deux grands types de philosophiemorale, selon que l’on insiste sur la responsabilité ousur la fragilité du sujet.

La première insistance sur la nécessaire estime desoi, sur les capacités propres du sujet, est le postulatéthique de toutes les philosophies du contrat, quicaractérisent notamment les sociétés plusindividualistes (anglo-saxonnes, protestantes,...). Icil’idée est qu’il n’y a pas de droits sans devoirs et pasde devoirs sans droits : le droit aux soins implique desdevoirs de santé, de maintien de soi (non seulementpar rapport aux alcools, tabacs et autres drogues, maisaussi bien sûr l’hygiène, l’alimentation, les vaccins,etc.) On traite l’individucomme un adulte majeur etvacciné (ou plutôt n’ayantpas peur des vaccins).

La seconde insistance sur lavulnérabilité du sujetdéveloppera surtout lerespect d’autrui, de sonimpuissance, de sonirresponsabilité. Elle constitueplutôt le postulat moral detoutes les philosophies del’institution, qui caractérisentnotamment les sociétés plusholistes ou du moins plus

solidaristes (celles qui suivent plutôt la «voieromaine», par exemple). L’idée en est qu’il fautdissocier complètement les droits et les devoirs, etqu’une personne incapable de porter la charge de sacontribution au bien commun, ni même de sacontribution à son propre bien, n’en a pas moins desdroits fondamentaux. On voit dans l’individu la partde l’enfance, de l’irréductible irresponsabilité.

L’une insiste donc sur la face active, agissante, denotre condition humaine, l’autre insiste sur la facepassive, victimisée, de cette même condition. Ledanger de cette oscillation est de trop séparer ces deuxfaces, ce qui est ruineux pour l’éducationthérapeutique : le praticien est seul acteur et seulementacteur, et le patient est totalement passif. C’estd’ailleurs ruineux pour toute éducation, on le verra, etruineux pour la citoyenneté de santé comme pour toutecitoyenneté : comment penser une responsabilitévulnérable ou une vulnérabilité responsable?

Les risques séparés dechacune des morales

En se séparant en effet, chacune de ces moralesdonne lieu à des effets pervers.

En les relevant, je voudrais un instant pointer ce quel’éducation thérapeutique ne saurait devenir, commedeux limites caricaturales!

L’éthique de la responsabilité individuelle fonde toutsur l’autonomie, l’autodiscipline d’un sujet maître etresponsable de ce qui lui arrive. Tout est son choix etil faut lui donner la maîtrise de ses propres choix. Toutpeut se contractualiser, tout le monde est libre et fort,capable d’intérioriser les règles et les informations aupoint de n’avoir plus besoin de garde-fous extérieurs.

Mais ce faisant ne risque-t-on pas d’aboutir, à l’inverse,à un sujet angoissé dedevoir tout choisir, prêt às’abandonner aux mains decelui qui lui dictera sa Loi?N’aboutira-t-on pas àaugmenter la culpabilité, lestress, la solitude et ladépression de celui qui n’yarrive pas. Ce n’est pas unhasard si les sociétés lesplus individualistes sontaussi souvent les sociétésles plus conformistes,celles qui ont la plus faible

Bulletin d'Education du Patient,Vol. 19 - Hors série - 2000.

Vulnérable responsabilité

par Olivier Abel (1)

(1) Professeur de philosophie etd’éthique,Faculté Protestante de Paris,Boulevard Arago, 83, F-75014 Paris.Tél. : ++ 33 (0)1 42 85 86 88

Mots-clés : Educationthérapeutique du Patient,citoyenneté, responsabilité,fragilité, autonomie,interprétation du traitement,réorganisation du tissu social.

Page 53: VERS UNE NOUVELLE CONCEPTION DE LA RELATION ...ergotooletp.e-monsite.com/medias/files/bep-2000-hs.pdfVERS UNE NOUVELLE CONCEPTION DE LA RELATION SOIGNANT-SOIGNÉ PARTICIPATION DU PATIENT

51

Bulle

tin d

'Educa

tion d

u P

atie

nt, V

ol. 1

9 - H

ors sé

rie - 2

000

tolérance à l’anormal.

La morale de la victimité, de la fragilité, de son côté,veut protéger, assurer, assister, soulager. Elledéveloppera des institutions tutélaires, inamovibles ouplutôt infaillibles, capables de rassurer. Elledéveloppera une pédagogie dogmatique, où le Clerc,le Docteur, le Formateur, l’Éducateur, savent où estle Bien et le Mal, et où il ne s’agit que d’y dresser lessujets (pour leur propre bien). On ne se demande pas«qui» a éduqué les éducateurs, ni si cetteirresponsabilité des sujets n’est pas une infantilisationoù ils ne peuvent jamais grandir ni s’émanciper. Onne voit pas davantage les risques de dérive victimaireet juridique dus à cette surestimation de la victimité.

Distinguer pour associer lafragilité acceptée et la

responsabilité acceptable

Bien sûr, il faut partir d’une situation où le soignantest acteur et responsable et où le patient subit et estvulnérable.Mais, le plus vite possible, il faut reconnaître, rappelerles limites, les impuissances de celui qui agit, et lescapacités et les responsabilités de celui qui subit. C’estlà un enjeu politique de citoyenneté en général; maisles implications médicales sont nombreuses, etd’autant plus que le rapport soignant-soigné se trouvereporté à l’intérieur de chacun de nous.

Dans nos vies, en général, il y a un entrelacementdans la durée de ce que nous subissons et de ce quenous agissons, de ce qui nous arrive et de ce quenous faisons arriver : c’est la structure narrative detout récit, de tout roman.

Or, ce qui se passe avec les maladies chroniques lesplus différentes (le diabète, le Sida que je connaismieux car je suis au Conseil National du Sida,l’hypertension, l’asthme, l’hémophilie,...), c’esttoujours une modification du rapport au temps. Celui-ci est d’abord ébranlé par le sentiment d’une menaceimminente, d’un horizon soudain borné par lapossibilité de la mort, puis par le sentiment peut-êtreencore plus difficile à apprivoiser de devoir s’installerdans la durée avec «ça», de devoir «vivre avec».

Le soin entre ainsi dans une mise en récit qui doitrythmer le curatif immédiat et le préventif à long terme,dans des rythmes évidemment différents (et différentsselon les maladies). Pour associer finement la facepassive et la face active du sujet, ce travail de miseen récit est donc un premier point important, quireplace le présent dans la continuité d’un passé etd’un avenir possible. Et comme on l’a dit, on acceptebeaucoup si on espère beaucoup.Allons plus loin. Il y a une nécessaire sollicitude dusoignant pour la singularité irremplaçable et fragile dupatient. Les patients réagissent différemment : ils ontdes handicaps différents, des moyens financiersdifférents, des habitudes, habitats, cultures,environnement familial, convictions personnellesdifférents.

Pour mettre en oeuvre une éducation singularisée, uneinstitution de santé, comme une institution d’EducationNationale, doit se comprendre elle-même comme uneinstitution, c’est à dire comme un cadre protecteur dela justice, destiné à redonner à chacun (non pas àtout le monde, en gros, de manière uniforme mais àchacun dans sa singularité) sa chance. Et on n’irajamais assez loin dans la sollicitude, dans le souci defaire place à la singularité vulnérable, de l’incorporerau soin.

Mais, d’autre part, le soignant reste en même tempsderrière un voile d’ignorance : ce n’est pas lui-mêmequ’il traite, même s’il doit traiter l’autre comme lui-même; il n’est pas de l’autre côté.Le respect des capacités d’autrui exige de ne pasenfermer l’autre dans sa fragilité, dans son handicap,de faire crédit à sa capacité à interpréter autrement,à réagir autrement, à réinterpréter sa vie.Quand je dis «voile d’ignorance», je ne parle pas del’ignorance de la médecine prédictive quant à l’avenirdu patient, même si cette ignorance est irréductible :je parle de l’acte proprement politique qui nous interditde passer de l’autre côté, et qui laisse à chacun dequoi saisir sa chance, sans l’enserrer dans desassurances (au sens propre) qui seraient aussi descondamnations.

Une remarque en passant : avec le déploiement del’éducation thérapeutique, on pourrait imaginer que lesPouvoirs Publics espèrent faire des économies, sinonquantitatives du moins qualitatives. Si, en effet, il y adavantage de compliance, de plus en plus d’adhésionaux traitements, il devrait y avoir moins de crises, decomplications dangereuses et coûteuses,d’interventions en urgence.Toutefois, il faut savoir que l’économie de la santé seredéploie alors autrement : il devrait y avoir plus deconsultations, ou du moins des consultations moinsexpéditives, où l’on prenne le temps d’écouter,d’informer, de mettre en place pour le patient cetteintrigue active par laquelle il se prend en main sans secroire maître de tout.

L’institution de la santé et lerétrécissement du milieu

Comment les institutions (hôpitaux, écoles, prisons,...)peuvent-elles redonner une chance à chacun?La santé, selon le philosophe et médecin GeorgesCANGUILHEM, est la capacité à organiser (il dit àinstituer) les échanges entre un organisme et sonmilieu, en les régulant et les équilibrant de manièredurable.

Pour lui, la guérison n’est pas un retour à un état desanté antérieur, c’est une réorganisation de ceséchanges, passant par la création de nouvelles règles,de nouvelles normes, de nouveaux équilibres (peut-être un peu inhabituels mais qui «marchent»). Il y adonc dans la santé comme dans la guérison, uneperpétuelle invention du vivant, et le soignant doitapprendre à écouter cela, à en tenir compte.La diversité des réactions du patient face à la maladie

Page 54: VERS UNE NOUVELLE CONCEPTION DE LA RELATION ...ergotooletp.e-monsite.com/medias/files/bep-2000-hs.pdfVERS UNE NOUVELLE CONCEPTION DE LA RELATION SOIGNANT-SOIGNÉ PARTICIPATION DU PATIENT

52

Bulle

tin d

'Educa

tion d

u P

atie

nt, V

ol.

19 -

Hors

série -

2000

et au traitement fait partie de la connaissance de lamaladie et de la mise en oeuvre du traitement.

Or, cette réorganisation commence toujours par sefaire à partir d’un rétrécissement du milieu : lesouvertures sont réduites, dans la variété, dansl’intensité, dans l’espace, dans le temps. Les échangessont soumis à des contraintes limitatives.

Du coup, le sujet peut et doit essayer de nouvellespossibilités d’être, d’être autrement mais pleinement.C’est lui qui réorganise son comportement : la santéreste une autonomie, une auto-régulation, et c’est bience que dit le mot «éducation», s’il s’agit de conduire«hors de» la dépendance (l’autonomie répond ainsi àla question «qui» éduque l’éducateur).La santé ou «le vivre avec la maladie chronique»demandent d’exister par soi-même, de savoir faireavec soi-même (tout un apprentissage decompétences et d’expériences), de connaître soi-même (un savoir médical sur lequel se greffent desbouts de récit de soi).

L’interprét ation du traitementet l’élargissement du milieu

Redonner une chance, dans ce sens-là, c’est d’abordrétrécir le milieu, pour ensuite le réélargir de manièrecontrôlée.Et cet élargissement suppose une alliance, un partagedes compétences, et non leur ségrégation.Tous les actes thérapeutiques à cet égard ont unedimension éducative, une dimension d’«apprendre àinterpréter», de même que l’école primaire apprend àlire, ou le conservatoire à déchiffrer les partitionsmusicales.

La nervosité de notre temps et de notre société tientjustement peut-être au fait que nous ne prenons pasle temps d’interpréter, de différer. Mais quand on vous

fait un cadeau, vous ne rendez pas le plus vite possiblela même chose : vous différez, dans le temps commedans la chose. Et des êtres différents réagirontdifféremment à la même situation, rendront descadeaux très différents pour le même cadeau initial !

Entre ce que passif, je reçois ou subis, et ce qu’actif,je fais ou je donne, il y a tout ce travail del’interprétation, qui s’apprend. C’est comme pour latélévision, il faut apprendre à ne pas tout gober. Il fautaussi apprendre à tirer parti des meilleures choses,qui peuvent sinon s’avérer des poisons.

Le soignant ne doit pas chercher la moyenneinvariante, mais la gamme interprétative, les variationsdans les manières d’interpréter un traitement commeon interprète une musique.Et la prévention consiste à doter le sujet d’une gammeassez large, assez vaste, à augmenter ses capacitésinterprétatives de telle sorte qu’il connaisse les margesprécises de manoeuvre de son traitement (mais ausside son mode de vie) et qu’il puisse moduler au mieuxle traitement, sachant «rétrécir» son jeu quand celadevient nécessaire.Dans le but de rouvrir pour le patient la possibilité d’unegamme interprétative plus grande, il nous faudra bienréorganiser l’ensemble du tissu social (citoyenneté,cité, urbanité, etc.) de manière à faire place vraimentà tous les patients comme aux diverses sortes dehandicaps avec lesquels diversement nous vivons.Ce ne sont pas que les normes architecturales quisont concernées, ni celles de l’urbanisme et destransports, mais ce sont aussi les rythmes sociaux,les formes du travail, les normes juridiques, etc.

Et l’idée citoyenne qui nous anime ici est que cetteréorganisation de nos normes est le meilleur moyenpour obtenir pour tous un milieu et un environnementplus co-habitables. C’est une bonne définition de lacité que nous voulons.

Page 55: VERS UNE NOUVELLE CONCEPTION DE LA RELATION ...ergotooletp.e-monsite.com/medias/files/bep-2000-hs.pdfVERS UNE NOUVELLE CONCEPTION DE LA RELATION SOIGNANT-SOIGNÉ PARTICIPATION DU PATIENT

POUR ÉCRIRE DANS LE BULLETIN D'EDUCA TION DU PATIENT...

Le comité de rédaction et le comité de lecture du Bulletin d'Education du Patient ont élaboréun document reprenant des recommandations pour les auteurs de la revue.

Si vous souhaitez soumettre un article scientifique ou pratique à la revue, nous nous feronsun plaisir de vous envoyer ce document. Pour le recevoir, il suffit de téléphoner au Centred'Education du Patient : ++ 32 (0) 82 61 46 11.

La revue accepte tout article répondant aux recommandations et contribuant à la qualité dela relation soignant-soigné et de l'éducation du patient.La revue publie également des articles : «hors-dossiers», des annonces, des synthèses depublication,...

Dossiers en projet : Education du patient en Europe, Education du patient adolescent, Asthme,Image du corps, Cancer du sein, Colostomie,...

LE CENTRE D'EDUCATIONDU PATIENT

ASSOCIATION SANS BUT LUCRATIF

SES OBJECTIFS- Promouvoir concrètement le droit à l'information du malade.

- Soutenir les initiatives cherchant à assurer une plus grande autonomie du malade.

LE CENTRE PEUT VOUS OFFRIR :Une aide méthodologique pour concevoir et réaliser des plans d'information et des outilsd'éducation efficaces, réalistes et capables d'atteindre des objectifs répondant à vos besoins.Une unité de production d'outils éducatifs, audiovisuels et graphiques, adaptés à vos possibilités etvos besoins.Des évaluations de l'impact des actions éducatives entreprises et des effets des outils créés.Des informations sur les expériences et les outils existants (bibliothèque spécialisée).Des activités de formation : séminaires, stages, conférences.

4, rue du fond de la bicheB - 5530 GodinneTél. : ++ 32 (0)82 61 46 11Fax : ++ 32 (0)82 61 46 25E-mail : [email protected]

CENTRED'EDUCATION DUPATIENT a.s.b.l.

Page 56: VERS UNE NOUVELLE CONCEPTION DE LA RELATION ...ergotooletp.e-monsite.com/medias/files/bep-2000-hs.pdfVERS UNE NOUVELLE CONCEPTION DE LA RELATION SOIGNANT-SOIGNÉ PARTICIPATION DU PATIENT

Bulletin d'Education du Patient à sa maladie ISSN = 0777-0898

Rédaction, administration : Centre d'Education du Patient a.s.b.l. - 4, rue fond de la Biche - B-5530 Godinne - Tél. 082 / 61.46.11 - Fax. 082 / 61 46 25Avec le soutien du Ministère de la Région wallonne - Division de l'Emploi.

Le BULLETIN D'EDUCATION DU PATIENT est une publication duCentre d'Education du Patient A.S.B.L.

Il s'adresse à toutes les personnes intéressées par le problème de l'informationet l'éducation à la santé du patient et de son entourage. Son objectif est d'aiderles professionnels de la santé à rester informés des idées, expériences,mouvements et nouveaux programmes d'éducation à la santé du patient.

EDUCATION THÉRAPEUTIQUE DU PATIEN T :VERS UNE CITOYENNETÉ DE SANTÉ

Introduction au Colloquepar Rémi Gagnayre et Jean- François d’Ivernois

THÈME 1 : Implication pour les politiques de santé

L'Education thérapeutique du Patient :points de vue du décideur politique et du professionnelpar Joël Ménard

Le citoyen et les défis du système de santépar Charles Boelen

L'Education thérapeutique du Patient :le projet OMS et les applications pratiquespar Jean-Philippe Assal

THÈME 2 Histoire des pratiques de santé

L'Education thérapeutique du Patient :un pas incontournable dans l'évolution des systèmes de santépar Jacques Bury

Corps et pratiques de santépar Alain-Charles Masquelet

De la prévention du mal à l'éducation du malade,quelques jalons historiquespar Georges Vigarello

THÈME 3 : Point de vue des praticiens

Deux réalisations d'Education thérapeutiquede patients diabétiquespar Etienne Mollet

Construire une allianceentre les acteurs de l'Education thérapeutiquepar François Zito

Evolution du projet éducatifdans un centre de traitement de l'hémophiliepar Monique Vicariot

Une réalisation d'Education thérapeutique en pneumologiepar Laurence Banoun

Répondre aux besoins d'adolescents asthmatiquespar Michelle Martini

THÈME 4 : Approches philosophiques

Non compliance thérapeutique :analyse d’après la théorie causale de l’actionpar Gérard Reach

«L’impatient citoyen»par Philippe Barrier

Vulnérable responsabilitépar Olivier AbelSOM

MAI

RE2

7

8

11

14

17

18

21

24

27

28

30

32

34

36

38

39

46

50