VIALATAUX, La Morale de Kant

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    JOSEPH VIALATOUX .,I

    I

    LA MORALE

    KANT OLLE TION s

    ~53[IVE SITAIRES DE FRANCE

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    A C U LTA PD E~ _ ul llllS-E s t a n t e íS

    Tabla

    N úm 6 S 3

    -

    LA MORALE DE KANT »)b F a .

    A1.A-\ . .

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    « INITIATION PHILOSOPHIQUE »Collection dirigée par J ean LACROIX

    •Comité de patronage

    ALQUIÉ Ferdinand),Professeur ti la Sorbonne.t BACHELARD(Gasten), Membre de l'Institut,

    Professeur honoraireti la Sorbonne.BASTIDE Georges) ,Correspondant de l'Institut,

    Doyen honoraire de laFaculté des Lettres etSciences humaines de Toulouse.

    GOUHIER(Henri), Membre de l'Institut, Pro-fesseur ti la Sorbonne.

    HUSSON(Léon), Professeur ti l' Université deLyon.

    MOROT-SIR(Édouard), Conseiller culturelprést'Ambassade de Franceti Washington, repré-sentant les Universitésfrancaises aux États-Unís.

    RICCEUR(Paul), Professeur ti la Sorbonne.VIALATOUX Joseph) ,Professeur honoraire aux

    Facultés catholiques de Lyon.

    UP

    « INITIATION PHILOSOPHIQUE »Section dirigée parIean LACROIX

    22A 1 1-1

    ~ < ht, '+LA MORALE

    DE KANTpar

    JOSEPH VIALATOUX

    CINQUIEME ÉDITION IIl Wlm fi & l1 L AFA f J l JL r MJ ~,r.¡ ? J i

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    00A~m:W;JÍ8ITARIGRANADA

    ~ - -- .. l - / l N° Docu m e nto 6 Z t 6 J ? Copia 6..sZ.~q .

    PRESSES UNIVERSITAIRES DE FRANCE108, Boulevard Saint-Germain, Paris

    1968

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    DU MEM E AUTEUR

    Le discours et l'intuitiotl, lecon s ph ilosoph iques s ur la c onnais sancehuma ine et la croyance , introductiv es a l'étude de la logique et dela m étaphysique (2 éd., Lycn, Chronique sociale de F ranc e).

    Morale et politique (Desclée de B rouwer) .Philosophie économique, études criti ques sur l e na turali sme (Desc lée

    de Brouwer).De Durkheim. ti Bergson. (La No uvelle Joumée, B loud & Gay).Pour tire Platon. Les antécédents de Platon e t la d octrin e plato-

    nicienne. Lecons s ur l e Phédon (Editions Eco le et collége), 3 éd.,I96r.

    Le probléme de la légit imité du pouvoir (Editions du Li VIe fran cais),La cité totalitaire de Hobbes, essai sur l a conception naturallste de

    la civilisation (édití on augmentée d'une préface nouvelle Chr o-niqu e soc iale de France). '

    Signification. humaine dwtravail (LesEd itions Ouvrí éres), 2 éd., 1 962 ,préface de J. LA cRoIX .

    L'inteniion. philosophique, P. U. F ., 6 éd ., I965.La répression. et la torture, essai de philosoPhie morale et politique

    (Les E ditions Ouv riéres, 1957).Le peuPlemmt humain (Les Editions Ouvriéres) :

    T . 1: Faits et quesiions, 1957.T. II : Doctrines et théories. S ig nifi c at io n humaine du mariage, 1959.

    Ire édition

    DÉPOT LÉGAL4e trimestre 195 62e 1968

    TOUS DROITSdetra duction, dereproduct ion et d'adapta tion

    réservés pour tous pays

    © 1956 , Pr e ss es U ni ve r s ita ir es de France

    INTRODUCTION

    La morale de Kant est un aspect essentie1, et mémesans doute l'aspect dominant, de l'ensemble de sa philo-sophie, plus précisément du Criticisme kantien.

    On sera mieux préparé a en discerner l'intention sion la situe dans le milieu d'idées O Uelle se pose, et auquel,en large part, elle s'oppose.

    Elle s'est élaborée dans les dernieres années du siécleO U brillait « la philosophie des lumiéres », le courantd'idées que les Allemands ont appelé l'Aufklii.rung. PaulHazard a observé les manifestations de cette « penséeeuropéenne auxvme siécle I I (1). Il la voit caractérisée,négativement, par un refus des conceptions philosophi-ques, sociales, politiques, reIigieuses du passé, et, positi-vement, par une croyance enthousiaste en l'avénementprochain du bonheur terrestre humain, frayé par I'avé-

    nement présent des « lumieres »,« O bonheur fin et but de notre étre ... Réfíexions surle bonheur ... Építre sur le bonheur ... Sur la vie heureuse ...Systeme du vrai bonheur ... Essai sur le bonheur ... DellaFelicita... L' Arte di essere felici... Discorso sulla feli-cita: .. Die Glückselligkeit ... Versuch über die Kunststetz frohlich zu sein ... Of Happiness ... Le Temple dubonheur ... C'était a qui répéterait que, de toutes les

    (1) Paul HAZAR D,La pensée européenne au XVIII siécle de Mon-tesquieu ti Lessing.

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    vérités les seules importantes sont celles qui contribuenta nous rendre heureux, que de tous les arts les seulsimportants sont ceux qui contribuent a nous rendreheureux, que toute la philosophie se réduisait aux moyensefficaces de nous rendre heureux ; et qu'enfin il n'y avaitqu'un seul devoir, celuid'étre heureux » Le bonheurtelJe est la fina viser. '

    Mais qui en frayera les chemins? Qui nous apporterala technique du bonheur? - Les Iumiéres - Quelleslumiéres ? - Cel1es des sciences, fruit de l'áge nouveau- de Dignita te et augmentis scientiarum, temp oris par tusmasculus : les sciences de la nature,d é já nées et aussiles sciences naissantes nouvelJes : les sciences del'hommequi s'élaborent sur le modele des sciences de la nature :la Physique. En Angleterre, Bacon les a toutes annon-cées; Hobbes a opéré un transfert de l'ordre géomé-trique a l'ordre moral et politique; Newton a édifié lemodele de toute science : la physique ; Locke a inauguréune « physiologie expérimentale de l'áme » ; et Benthama la téte de l'école nombreuse etflorissante du « Radica-lisme philosophique », met la raison scientifique, laraisoncalculatrice, au service d'une «maximisation du bonheur»d'un bonheur défini comme composé d'un máximumpossible de plaisirs au prix d'un minimum possible depeines. En France, les« philosophes » se rassemblent sousle signe de l'EncycIopédie des sciences et des arts qued'Alembert et Diderot rangent sous le patronage deBacon, de Locke et de Newton. Et c'est sous ce signe queles économistes, premiers physiciens de lasociété, donnenta l'áge qui advient son vrai nom: la physiocratie, l 'ave-nement du regne de la nature que découvre la science.

    Quelques-uns cependant des plus grands penseursveulent chercher, plus profond que la physique, les fon-

    INTRODUCTION 3

    dements mémes de la science et les sources des lumieres,Aux lumieres de la mathématique et de la physique, ilsprétendent superposer ceIles d'une Métaphysique sepré-sentant, el1eaussi, comme Science, science d'objets méta-empiriques, ~'objets transcendant l'espace et le temps,Science de l'Etre en soi, de l'áme, de Dieu, Science dessources ontologiques de la morale et de l'action : Iumiéresd'un rationalisme « dogmat ique » portant les noms deDescartes, de Malebranche, de Spinoza, de Leibniz;de Wolff surtout, disciple de Leibniz et premier maitrede Kant.

    Kant avait recu les « lumiéres » de ce « dogmatisme »,physique et métaphysique. Mais il fut « réveillé de sonsommeil dogmatique» le jour O U illut Hume, notammentla subtile et pénétrante critique de la connaissance de lacausalité, développée dans la septieme section de l'Essa is ur l e nte ndem ent humain de 1748. Cette critique luirévéla que le jugement de causalité n'est point, comme onle croyait, un jugement analytique tirant de la causel'effet qui s'y trouverait précontenu ; mais un jugementsynthétique affirmant une« connexion nécessaire » entreune cause et un effet radicalement hétérogénes l 'un al'autre. La critique de Hume montrait qu'une teIle con-nexion n'est connaissable nia p r io r i par déduction (l'effetn'étant point analytiquement précontenu dans la cause)ni a p oster ior i par expérience (l'expérience ne pouvantdonner a connaítre que des conjonctions empiriquesentre. des événements « entiérement láches et séparés »,mais jamais des connexions nécessaires). Cette critiqueinduisait au scepticisme et compromettait gravement les« lumiéres )), non seulement celles de la métaphysiqueprétendant connaitre des réalités transcendantes, maiscelles m émes de la physique prétendant connaitre des

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    nécessités phénoménales. Seule subsistait, scientifique-ment valable, la mathématique, paree que, les jugementsmathématiques étant, aux yeux de Hume, des jugementsanalytiques, leur nécessité pouvait étre connue a priori.

    Et avec les lumiéres de la science physique et de laScience métaphysique, c'est la morale - l'art de frayer,par les lumíeres, les chemins du bonheur, visé commefin - qui menacait ruine.

    Kant refusa de telles perspectives. Comment nier lapossibilité, tout au moins, d'une physique ? La sciencede Newton est la, triomphante et irrécusable

    Mais la morale ?Kant était prét d é j á a se demander si la moralité, pour

    se constituer, a besoin des lumieres de la physique et decelIes d'une métaphysique se présentant comme science ;si le secret de la morale peutétre demandé soit a unescience physique des phénoménes du monde, soit a uneScience métaphysique de l'étre en soi. Il y était prét,paree que sa pensée inclinait vers d'autres voies sous deuxinfluences profondément pénétrantes :

    D'abord l'influence du« piétisme ))luthérien de Spener,dont l'atmosphere avait entouré et imprégné, des sajeunesse, son éducation religieuse, et l'avait invité achercher la moralité, bien moins dans les écoles savantesdes docteurs physiciens ou métaphysiciens, que dans lasincérité et la pureté du cceur, dans la droiture de labonne volonté, dans la voix intérieure de « la consciencecommune », Spener cependant fondait la morale directe-ment sur la gráce surnaturelIe. Kant se demandera sielle n'a pas un fondement directement rationnel, et si laloi morale n' est pas une loide la raison.

    Ensuite, l'influence de jean- Iacques Rousseau. Rous-seau réveilIa Kant d'un sommeil dogmatique dans la

    INTRODUCTION 5

    phiIosophie morale, comme Hume dans le domaine de lascience. Kant a proclamé cette influence de Rousseausur sa pensée morale : « 11fut un temps O U je croyais quetout cela (l'intelIigence seule, les « lumieres ») pouvaitconstituer l'honneur de l'humanité, et je méprisais lepeuple qui est ignorant de tout. C'est Rousseau quim'a désabusé. Cette ilIusoire supériorité s'évanouit;j'apprends ahonorer les hommes; et je m~ trouve:~sbien plus inutile que le commun des travailleurs, Si jene croyais que ce sujet d'étude peut donner a tou~ lesautres une valeur qui consiste en ceci : faire ressentir ledroit de l'humanité (1). ))((Rousseau, dit encore Kant, estle Newton de la morale. ))

    Réveillé par Hume et par Rousseau, Kant résolut d'e~-treprendre un examen critique de la valeur de notre ~~-son, de l'étendue légitime et des confins de ses pouvorrs.

    C'est cette entreprise qui définit le ( Criticisme ))kantien.

    La question fondamentale de la valeur et des pouvoirslégitimes de notre raison, se ramifie, selon Kant, en troisgrands problémes, qui sont for~ulés dans les te:~essuivants par la 2 e section du chapitre II de la DeuxiémePartie de la Critique de la raison pure :1 0 Que puis-je savoir ? was kann ich wissen ?20 Que dois-je faire ? was soll ich thun ?30 Que m'est-il permis d'espérer ? was dar ich hoffen?

    La premiere de ces trois questions fait l'objet de la Cri-tique de la raison pure (Kritik der reinen Vernunf t), 1781.

    Les deux derniéres sont traitées dans Les Fondementsde la métaphysique des mceurs (Grundlegung zur Meta-

    (I) Bemerkungew Z1' den Beobachiwngen uber das Gefühl des SchOnenund. Erhobenen (éd . Rose nkranz, vo l. II, 1'e P., p. Z40 ) . • _

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    p hys ik de rSitten ), 1785 (1), et dans laC ritique de larais on p r atiqu e K ritik derp rak ti schen Vernunft ),1788 (2).

    (1) I1faudrait traduire exact ement : Etabliss ement d'un fond ementpour une m étaphysique d es mc eurs, Le mot Grundlegung, en effe t,signifie litt éralement l'action de fonder, d 'établir un fondement;et la conjon ction zu en exprim e l'intention.

    (2) A la phil osophie pratique de Kant on peut rattach er : la Cri-tique du iugemmt (1790) ; La religion dans les limites de la raison(1793) ; Les premiers principes de la doctrine dlt droit et Les premíerspríncipes de ladoctrine de la cert« (1797); le Traité depédagogie (1803).

    Nous born erons notre exposé a la Grundlegung ... et 11 la Kritikder praktischen Verrunit - aprés avoir r appelé l'essenti el des conclu-SiOD Sde la K ritik der reinen Vernunft, et de l'importante préface desa deuxí éme éditi on de I787.

    Lectures n écessaires :KANT, Critique de la raison pure (trad. TREMESA VGU ESt PACAUD ,

    P. U . F.).KANT, Fondements de la Métaphysique des mceurs, trad . et intr od. de

    V. DELBO S (De1agrave). - M éme ouvrage, trad. et intr od, deJ. LACH ELIER(Hach ette).

    KANT, Critique de la raison pratique, trad. fr. PIC AVET,P. U. F.Lectures part ículiér ement utiles :

    A. HANNEQ UIN,Préjace 11la trad. TR EMESAVG UESt PACAUDde 1905de la Cr. de la r p ure

    R. THAMIN,Pr éface a la trad. BARNIdu Traité de pédagogie.F. ALQUIÉ , Lntroduction a la trad . PI CAVET(r943) de laCrít. dela r, prai,V. DELBOS ,La philosophie pratique de Kant (Alean, 1905).ID., Kant, d ans Figures et doctrines de philosophes (Plon, r9I8).E. BOUTR oux, La philosoPhie deK ant, préface d e E. GILSON(Vr in, 1926).P. LACHI EZE·REv, L'I:déalisllle kantien (Alcan, I93I).ID., Le moi, le monde el Dieu (notamment les compléments de la

    nouvell e édition, Aubier, I950).R. L E SENNE, Traité de morale générale (P. U. F. , 1942, p . 232-

    256, « Legos »).J. LACROn :,Personne et amour, 26 éd.,chap.II (EditionduS euil, 1955).ID., Kant et le kantisme, coll.« Que sais-je ? , nO 1213 (P. U. F., 1966).ID., La phil osophie kantienne de l'histoíre iRecherches et dialogues

    économioues el phslosophiques, nO 3, décembre I958), étude réé-ditée dans l e volume : Hisioire el mystére, 1962.

    G. DELEU ZE,La philosophie cubique de Kant (P.U.F., 2 éd., 1967).E. WEIL, Problémes kantiens (Vrin ).G. M ADINI ER,La conscience morale, p. 64-67 (P . U. F. , 1954).G. PASCAL, Pour connatire la pensée de Kan (Bordas).Pasquale SALV UCCI,L'uomo di Kant, studi filosofici (Argalia Editor e

    Urbino, 1963) .

    PREMIERE QUESTION

    QU E PO UVO N S N OUS S AV OIR?(DOCTRINE DE LA SCIENCE)

    Quelle est la valeur et l'étendue de notrep ou voir deconnaitre (Erkenntnissvermogen) ?

    Que notre raison ait un certain pouvoir de connaitre,cela est attesté, en fait, par l'existence et le progrés de lascience - notamment de cette physique matémathiquede Newton que Kant avait sous les yeux. Des lors que, enfait, elle est la,i1 faut bien que, en droit, elle puisse étrela. Mais de que droit est-elle la? A quelles conelitionsest-elle possible ? Il s'agit dejustifier son existence, et dedéfinir l'étendue de son ressort. Il s'agit d'établir uneRechtfertigung de la science, de elire cornment et dansquelles limites elle est possible, quels objets de connais-sanee lui sont accessibles.

    Devant cette question, laCr itique de la rais on p u re faitla elistinction essentielle, en toute connaissance, d'unematiéreet d'une forme. La matiére de la connaissance seraap port ée a l'esprit (sous une réserve importante indiquéeci-dessous). La forme de la connaissance es appor tée parl'esprit.

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    8 QUE POUVONS-NOUS SAVOIR?A MORALE DE KANT 9

    La connaissance est possible moyennant ce doubleapport.

    l0 La forme de notre connaissance humaine estration-nelle. Notre raison connaissante est une raisonfor melle ;une structure de formes qu'unifie l'unité transcendan-tale du « Je pense », Cette structure comprend :

    a) Des formes réceptives de l'expérience, que Kantappelle : formes transcendantales oua priori de la sens~-bilité. Il ne s'agit point ici, sous ce terme, de la sensr-bilité affective, mais de la sensibilité transcendantale eta p rior i de notre raison; c'est-á-dire de la raison elle-méme en tant que puissance derecevoir une matiere.Ces formes de la sensibilité de la raison sont l'espace etle temps. Tout ce que notre raison recevra sous ces formesaura nécessairement, de ce chef, forme spatio-temporelle._ Elles font l'objet, dans la premiereCritique, de « 1'Es-thétique transcendantale » ( oc t c r6 'Y )

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    ro LA MORALE DE KANT QUE POUVONS-NOUS SAVOIR? II

    elles, sans eetteunité de la consciencequi précede (logi-quement) toutes les données des intuitions, et par rap-port a laquelle seulement toute représentation d'objet estpossible... »

    La forme de la connaissaneeest rationnelle.

    20 La matiére de la eonnaissanee est sensible.Elle estdonnée dansl intuition. Et nos esprits humains n'ontd'autres intuitions que les intuitions sensibles. A savoir :d'abord les« in tu itio ns p u re s ) )de l'espaee et du temps,intuitions sensiblesa p rior i ; - et ensuite lesintuitionsempir iques,apportées,a p os teriori, par les sensations, etrecuespar les formesa pr ior i de la sensibilité de la raison :espaee et temps. La est la réserve importante annoneéeci-dessus. L'espaee et le temps, qui sontfor me s a p r ior i,apportées par l'esprit, réeeptives de toutes les donnéesempiriques a p o s te r io r i, sont en méme temp~ matiéreintuitivea p r io r i, apportée également par l'esprit, offertea la morsure des eatégories de l'entendement. L'espaeeet le temps sonta la fois forme et matiére, mais pas sousle méme rapport : formea p r io ri par rapport au donnéempirique a p o s te r io r i; et matiere sensible intuitiveapriori, par rapport aux eatégories intelleetuelles. Ce quiexpliquera: d'une part, la possibilité d'une scieneemathé-matique, qui aura pour matiere les intuitions puresde la sensibilité de la raison (espaee et temps), et pourforme les eatégories intelleetuelles de la quantité, et dontles jugements pourrontétre, tout a la fois, a priori etsynthétiques (eontrairementa ee que eroyait Hume) ;et d'autre part, la possibilité d'une scienee des phéno-menes sensibles de la nature, lesquels, recus par la formespatio-temporelle des intuitions pures, tombera du eoupsous la prise de la mathématique.

    Nous avons ainsi desfo rmes intelleetuelles, mais quine sont que formelles ; et des intuitions (soit pures, soitempiriques), fournisseuses d'une matiére, mais qui nesont que sensibles. Nous n'avons pas d'intuitions intel-leetuelles(1). Les formes rationnelles duJ e p e ns ene trou-vent, cheznous, a s'alimenter que d'intuitions sensibles.

    Que suit-il de la quant a notre pouvoir deconnaítre ?

    Que pouvons-nous savoi r ? Notre science sera néeessai-rement limitée au domaine de l'expérienee spatio-tem-porelle. Dans ees limites, nous avons : et des formesrationnelles pour éclairer et organiser nos intuitions sen-sibles, et des intuitions sensibles pour alimenter nosformes rationnelles. Sans ees intuitions, nos formes res-teraient vides; sans ees formes, nos intuitions resteraientaveugles et dispersées : un pur « divers » insaisissable,re ine Mannigfal t igkeit . La subsomption des intuitionssensibles sous les formes rationnelles, l'injonetion desformes rationnelles sur les intuitions sensibles, eonsti-tuent valablement Wle« nature », une expérienee et uneseienee. Mais hors de ees limites, nous ne sommes plusoutillés pour savoir,paree que plus aueune intuition n'estofferte aux formes de notre raison, qui n'est que formelle.

    La prétention d'outre-passer ees limites serait semblablea eelle d'une eolombe légere qui prétendrait voler au-des-sus des límites de l'atmosphere. Les seulsobjets deeonnaissanee aeeessiblesa notre pereeption eta notreseienee sont desobjetsp hénoménaux . Nous ne sommespasen mesure deconnaítredes objets transeendantaux. C'estl e s u je t,e'est leJe p ens equi est transeendantal (et, en eesens, métaphysique). Mais, faute d'intuitions intellee-

    (1) Si nous en avions no us n'aurions plu s a distínguer forme etmatiére dans la con naíssance . - . .

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    tuelles, et bornée qu'elle est, du cóté de sa matiére, aune matiere sensible, notre science ne peut porter sur desobjetssupra-sensibles. Une mathématique et une physiqueobjectives du monde extérieur et une psychologie expé-rimentale des phénomenes intérieurs sont possibles etvalables ; mais non pas une métaphysique se présentantcomme science d'objets transcendants. Cela ne signifie

    pas qu'aucune métaphysique ne nous soit accessible;nous pourrons parler légitimement, selon Kant, d'une« métaphysique de lanature» et d'une « métaphysique desmeeurs », mais O U il ne pourra étre question que du sujettranscendantal, des conditions subjectives transcendan-tales d'une science des phénoménes et d'une moralité desactions.

    Ce dernier point, chez Kant, est capital. Notre raison,en imposant ses formes aux intuitions sensibles, et enproduisant, au-dessusde l'expérience phénoménale, lesidées transcendantales, les « nouménes » régulateurs del'expérience, révéle du méme coup sa transcendantalitépar rapport a la nature, et justifie d'avance la possibilitétranscendantale d'une « causalité par liberté », Redisons-le : si nos objets connaissables sont phénoménaux, lesujet connaissant est transcendantal. Et par la,la Critiquede la r ais on pur e apporte déjá une garantie anticipée, cellede l'existence valable de la science et des conditionsa p r io ri de sa possibilité et de sa valeur,a une valeurpratique de la raison 1) .

    Nous pouvons aborder maintenant la deuxiemequestion.

    DEuxr:EME QUESTION

    LA MORALE DE KANT

    QUE DEVONS NOUS FAIRE?(DOCTRINE DE LA MORALITÉ)

    Ce que nous devons faire, nous ne saurions légitime-ment le demander a la science , qui ne peut connaítre quedes objets phénoménaux. La science peut bienservirnotre action, en lui faisant connaitre son théátre, le mondesensible; mais elle ne saurait régner sur l'action en lui

    (1) Les ligues su ivant es d 'Hanneq uin nous semb lent exprime ravec bon heur l e lien étroit qui unit, dans la pensée de Kant, les deuxCritiques:

    « Si l'ac tion m orale reste pour la conscience, en dép it de tous les

    effort s tentés pour di ssiper cette illu sion pr étendue, u ne inspira tion,nous voulons dire un acte décidémen t impr évisible, ... c omm entoubli erions -nous q u'il en est de mé me de la scíence, e t que, si lasci ence tou te faite es t un ensemb le de t raditions ... ; la scíence q ui sefait es t une inspirati on, un e spontan éité, une vie, ayant dans une

    un ique raison, hu maine a la fois e t uni ve rselle, la source évid emm entinconna issable de tou te conn aissance et de toute activ ité? S i lascienc e et l'action son t des suites de la rai son, n e deman dons po inta la science de nous faire conmaitre ce qui, étant au-dess us des ca té-gori es s cientifiq ues, ne saurait s'y so umettre sans une interversiondes vra is rapp orts des cho ses , et ne de ma ndons po int a l'ac tion dedéchoir de son rang , qui est le premier, pour tom ber sous les pri sesd'un déterminisme qui resterait indémontr ab le, s' il devait se pré-sent er comm e autre cho se que comme une co nséquence de l'appli -catíon d es lois de not re connai ssa nce a la natu re et a l'expé rience ...La science, d'aprés l'auteur d es Fondements de la métaphysique desmceurs, devient la garant ie de fait de l'exi stence du d evoi r ... »(Préfacede la trad. fr. d e la Critique de la raison pltre, p. XI-XI I).

    I1 serait intéressan t de rapp rocher ces ligues de ce lles écrites pa rJ. SEGOND ,dans son Traité d'esthétique, p. 18r.

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    14 LA MORALE DE KANT QUE DEVONS-NOUS FAIRE ?

    fournissant sa loi, car l'ordre desphénoménes, objet de lascience, loin d'apporter au sujet transcendantal la loi deson action, recoít au contraire de la raison transcendantalela forme de sa légalité naturelle, la Ge setzmiissigkeit de lana ture.

    Ce que nous devons faire, nous ne saurions le deman-der non plus a une métaphysique se présentant comme

    science d'objets transcendants, une telle scienc e étantinaccessible a notre raison formelle, qui ne trouve as'alimenter que d'intuitions sensibles, et ne connait qued'objets phénoménaux.

    Sont ainsi exclues les morales dites scientifiques et lesmorales dites thé ologiques . - Les unes et les autrescherchent en vain la solution du probléme moral en setournant du cóté d' objets a connaitre, faisant ainsi de lamoralité le privilege d'un savoir pour une aristocratiede doctes.

    Une seule voie reste ouverte : celle qui retourne larecherche du cóté du Su jet transcendantal lui-méme,- de la raison en tant qu'elle s'impose a l action, en unmot de la raison pratique. Quel est le dessein et quelle vaétre la méthode de Kant ?

    (dans la raison transcendantale) les lois dec e q ui est dansl xp é rience.

    Ce qui doit étre par la liberté ne saurait étre fondé surl'expérience, sur une observation empirique de l'homme(psychologie ou anthropologie). Certes, tout homme abien en lui ce qu'il faut pour juger du bien et du mal.~ais c'est a la métaphysique qu'il revient dejonder le~

    jugements moraux de la conscience commune. Certesaussi, pour appliquer a l'homme la loi morale, la moraleaura bien a considérer l'homme ; mais autre est la tached'appliquer la moralea l'homme, autre celle de la fonder.Avant d'étre appliquée a l 'homme en particulier, la mo-rale devra étre fondéeuniversellement p our tout étre rai-sonnable. Et son application mémea l'homme devrac?nsister, n~n pointa accommoder aux conditions empi-rrques humaines, en tant qu'empiriques, les Iois universel-les de toute volonté raisonnable en tant que raisonnablemais a subsumer la nature humaine sous la loi régís~sant tout étre raisonnable en général. Pour assurer l'em-pire souverain de la loi morale universelle sur l'honuneen particulier, il faut fonder cette loi - indépendarnmentdes propriétés particuliéres de la nature humaine - enpure raison. Telle est précisément la tache d'une méta-physique des meeurs. Le concept essentiel d'une tellemétaphysique, c'est le concept deYétre raison nable engé néral. Sans doute c'est l'homme qui nous suggérece concept, nous donne occasion de le concevoir ; maisc:est sur tout étre raisonnable que regne une« métaphy-sique des moeurs» (1). La raison est la facuIté de produire

    Le dessein. - Il s'agit d'établir une « métaphysique desmoeurs » (qui appellera a son tour une « critique de laraison pratique » pour la justifier). Non point une méta-physique seprésentant comme une science d'objets trans-cendants, mais une métaphysique consistant en un retourauSujet.

    La tache d'une « métaphysique des meeurs », c'est defonder dans la raison transcendantale les lois de ce quidoit étr e p ar la liber té - a la différence de la « méta-physique de la nature » dont la tache était de fonder

    )\ ,

    (r ) 1.1faut id remarquer que le conce pt d é tl e raisonnable est plusextensíf que le concept d ho mm e, alors méme que nous ne rencon-trons, dans l'expérience, d'autre étre r aisonnab le que I'homm e :car, méme alors; d'autr es étres raisonnables que l'honune sont couce:

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    16 LA MORALE DE KANTQUE DEVONS-NOUS FAlRE ?

    des lois, d'établir une légalité (Gesetzmiissigkeit). Toutétre ayant cette facuIté est unétre raisonnable. La néces-síté de la morale, comrne d'autre part la nécessité de lascience, tient a sa légalité rationnelle. La loi moralevau-dra pour notre volonté humaine paree qu'el/e vaut pour lavolonté de tout étre raisonnable doué de volonté, et quel'homrne est un tel étre.

    mpirique, n'est point extérieura la conscience moralehumaine la plus comrnune, la plus vulgaire - notre cons-ience a tous -, mais s'y trouve engagé et compris. Et ce

    n'est point en la quittant, mais en l'approfondissant, qu'ils'agit de découvrir la présence en elle de la raison trans-cendantale qui vaut pour tout étre raisonnable.

    La méthode. - Cette pureté rationnelle de la loi,objectif de la métaphysique des mceurs, c'est par la voied'une analyse régressive qu'il faut la découvrir. ~etteanalyse partira des jugements moraux de la conscrencecomrnune - (de méme que les analyses régressives de laCritique de la raison pure partaient d~s jugemen:s. dela perception comrnune pour découvrir les conditionsrationnelles a priori de l'expérience).

    Il s'agira ensuite, par voie de synth~~e dégressive,d'expliquer le jugement moral par les conditions transcen-dantales qu'il implique.

    (Cette analyse régressive est conduite par l~s deuxpremieres sections de laar.u~,dlegung.. Elle p:epare .lasynthese esquissée par la troisieme section, puis repnseet complétée par la Kritik.)

    La partie analytique de la méthode a done pour but dedégager des jugements m?raux de .la,consclenceC01~-mune l'élément formel uníversel qui s y trouve engage.Car le fondement transcendantal, métaphysique, méta-

    PREMIERE PARTIE

    Analyse régressive vers la métaphysique des mosurs(Zur Metaphysik der Sitten)

    La premiére section de la Grundlegung formule lasimple déposition de la conscience cornmune, de laee saine raison vulgaire », La seconde répond a l'appeld'une « philosophie pratique », soucieuse de creuser jus-qu'aux fondements métaphysiques de la moralité.

    § l. LA CONSCIENCE COMMUNE OU« RAISON VULGAIRE »

    Il faut prendre acte d'abord du térrtoignage que déposela saine raison vulgaire sur la moralité.

    l ° La bonne volonté. - Ce que notre conscience tientpour bon moralement sans restriction, c'est la bonnevolonté. Nous ne qualifions pasmoraux par eux-méme,les dons de la nature ou de la fortune, ou les talents del'esprit. Car ils ne déterminent pas par eux-mémesl'usage qu'enfait la uolonté,Elle peut en faire un mauvaisusage. La seule chose moralement bonne par elle-méme,c'est la bonne volonté. EIle l'est, non par ses succés, mais

    vabl es, La loí morale quí interdit de t romp~r vaut l ?our Luci~er.qui n 'est pas un h omme, comme pour E,:,e . q~ est un etre humai n pour l e « Malín Génie » hypothétíque qui inquiete Descar~es, et quio'est pas un ho mm e, comme pour l'homme Desea .rtes. LQClf ~rtramopant Eve . le Ma lin Gé nie tro~pan t ~escar tes, vio lent la 101moraleuniverselle qui vau t pour tout etre raisonnable, homm e ou autre.

    J . VIALATO UX2

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    18 LA MORALE DE KANTQUE DEVONS-NOUS FAlRE ? 19

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    par son vouloir méme, son intention et son effort, lamaxime qui inspire son aetion (1). Milis ~ marehand avisé peut agir ainsi par intérét,

    S n action alors est bien extérieurement conforme aud ivoir ; ~lle,n:est pas cependant accompliepar devoir,mais par mteret.

    Une action pourra d'ailleurs étre accomplie tout a lafois par devoír et par inclination et intérét,

    b) Conserver ~a ~ie ~~t tout a la fois (normalement)U ?devoir .et une íncíínatíon. Chacun y apporte une sollí-citude qur est le plus souvent sans v.a1eur proprementmor~e, paree que procédant de l'inclination plus que dudevoír. Pour que la volonté de conserver sa vie füt unebonne volonté, i1 faudrait qu'elle voulüt cela par devoiren méme temps que par inclination, ou méme, le caséchéant, centre l'inclination comme dans le cas d'unmalheureux qui, désirant la mort, résisterait par devoira la tentation de suicide.

    e) Etre bienfaisant est un devoir. Ce n'est cependantpas la méme chose de I'étre par sympathie naturelle oude l'étre par devoir (avec ou sans sympathie naturelle),

    ~~ Kant d?nne ~ exemple plus subtile encore, quimente attentIon. Cest un devoir (indirectement) de sepréo~cuper de S O ?propre bonheur temporel; paree quele faír de ne pas etre content de son état et de vivre sousla constante pression de besoins non satisfaits constitueune tentation permanente d'enfreindre ses devoirs; etc'est un devoir d'écarter autant que possible ce danger., . , ,e est pourquol e est un devoir de travailIer a son proprebonheur temporel et a celui d'autrui. Or, chacun inclineau bonheur. Mais ce n'est pas la mérne chose de chercherle bonheur seulement par inclination, ou de le faire en~eme,t~mps f~rdevoir. Et Kant observe que le précepteevangelique d aimerson proehain et méme son ennemí nese eomprend que gráce a eette distinction. L'amour par

    2 0 L'obéissance au devoir et le sentiment du respecto-Mais la bonne volonté implique tacitement une notionque l'analyse doit expliciter. Qu'est-c~ qui fai~ ~'unevolonté une volonté bonne ? Cette question renvoie 1 a~a-

    lyse régressive a un autre concept qui permettra de .dis-cerner la bonté d'une volonté. Ce concept est celui dudevoir. La bonne volonté, c'est celle qui agitpar devoir.

    Par devoir (aus Pflicht), et non pas seulement enconformité avec le devoir (pflichtmássig). D~s actes co?-formes au devoir peuvent n'étre pas accomplis par devoir.Kant propose ici des exemples : .

    a) Il est conforme au devoir d'un march~d d ~ervlrloyalement ses elients sans abuser de leur mexpenence.

    (1) De ee jugemen t de no tre eonscienee, Kant donne ici une justi-fication indirect e demandé e a l'idée d'un e fina ht é d e la na tu rec'est-a-dire a l'idée que, chez les vivant s, tout or gane est ad,apt~ asa fonctíon, Si l'intention de la natur e eüt été d'orient~r 1 aetionhumaine vers la pro spérité et le bonh eur tempo rel de 1agent , etsi e'était a eette fin qu'eJle nous eüt dévolué une rals,?n pra tique d?ntla fonetion serait de viser eette fin, la natur e s'y ~ralt f or, :m al, pnse,et aurait mi eux f ait de eonfier ee soin a un instinct plutot qu a uneraison ... Car la rai son (Rou ssea ul'a bien vu) empecheso .uven tl'hon;unede se s entir et de se rendre heure,ux d ans ee l1l;0ndeb ~en plus q u.ellene l'y aid e (de la vient la misologíe de ceux qU1?DplOlent le;tr raisona cette visée). La destinati on de la raison ne .dOltdone pas etre danseette fonet ion utilitaire. Elle est d e produi re une. volonté bonne ,bonne p ar sa dispos ition p ropre. Et p~r la, la ~oraJ¡ té ne sera pas leprivilége d'une aristoc ratie du savo ir. Con sístant dan s la bonn evolonté elle est a la portée de tous les hommes.

    Stua; t Mill d evai t faire, en termes émo uvants, .l'~veu de e~t échecd'une visée du bonbeur : « Essaye z de faire des plaisirs de la vie le butprincipal de la vie, et du eoup vou s ne les trouvez plus suffi~ts. lisne supportent pas u n examen rigoureux. Demandes-vous SI vousétes heureux et vous cess ez de I'étre ... » (Autobiographie, trad. fr. deCAZELLES,I874, chap. V, p. I35-I36).

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    LA MORALE DE KANT

    inclination ne peut se commander; maisil peut étrecommandé de faire le bien méme sans inclination, commec'est le cas quand il s'agit d'un ennemi. Kant dénonce laconfusion de 1'amour qu'il appelle « pathologique », quiréside dans la sensibilité, et de l'amour qu'il appeIle« pratique », qui réside dans la volonté agissante. C'est cedernier qui est commandé par le précepte évangélique.

    La bonne volonté, c'est done la volonté d'agir pardevoir.

    Le rigorisme kantien. - Aussi est-ce dans les cas oüeIle lutte contre l'inclination, plutót que dans ceux oül'inclination concorde avec le devoir, qu'on peut lareconnaitre avec le plus de süreté. Mais il faut se garderde confondre le cas qui permet de la reconnaitre avecle caractere essentiel qui la constitue. Ce qui constituela volonté bonne, c'est la soumission au devoir, et nonpas essentiellement 1'antagonisme avec l'inclination. Ilfaut comprendre la signification exacte du « rigorisme »kantien. Ce rigorisme - auquel Kant tenait - a étéparfois incompris. On 1'a interprété comme s'il exigeaitque le devoír, pour étre obéi, le soit sans inclination oumieux encore a 1'encontre de l'inclination; comme sil'action ne pouvait étre voulue par bonne volonté qu'á lacondition de répugner a l'inclination. Schiller s'est moquéde ce rigorisme en deux épigrarnmes intitulées : « Scru-pule de conscience et Décision » (1). Schopenhauer s'estassocié a cette moquerie : on ne pourrait faire son devoir

    1 SCl'upule de conscience : • Je sers vo lonti ers mes amis, mais,hélas je le fais avee inelination (mit Ne igung), et ains i j'ai souventun r emo rds de u' étre pas ver tueux . • - Décision. : « Tu n'as qu 'uneehose a faire : il faut táche r de m épriser ee tte inelination, et fairealors avee répugnanee ee que t'ordonne le devoír, , (SCH ILLER, Lesphilosophes.)

    QUE DEVONS-NOUS FAIRE ? 21

    qu a la co~dition ,de .n'avoir pas de bons sentiments (1).ette mt~rpretatlOn fausse la pensé e de Kant. Le

    probleme qui occupe Kant est ce1ui dufondement de la111 rale: ~a.t~ese es~que la morale ne peut étre fondée surIn sensibilité affective, Pour lui, toutes nos inclinations( omme toutes nos intuitions) sont sensibles. L'idée debon~eur ~'es~ pas une idée rationneIle pure. C'est un idéalde llmagmatlon et non de la raison. Par saforme, cette~dé~po~e un tout absolu : le contentement de toutes leslnclinatI?~s; elle exigerait la pleine connaissance de toutesles conditions de ce contentement. Par sa matiére elle nese. c~mpose que de données particuliéres, Idéal indéter-rnme :.nous ~oulons tousétre heureux, mais personne nep~ut dire au juste ce qu'il souhaite. Lerigorismede Kantn est autre, chose,.au fond, que son rationalisme, quiveut une metaphyslque des moeursétablie en raison pureet v~ab e pour tout étre raisonnable, indépendammentdes l?clinatI~ns sensibles qui peuvent exister chez ceuxdes etres raisonnables qui, tels les hommes sont enméme temps des étres sensibles. '

    M.ais c~la ~'entraine point une forme d'ascétisme quiconsisterait a repousser le bonheur. La tendance aubonheu.r est ~nscrite nécessairement dans la nature de:( tout. etre raísonnable fini », - Kant ne demande pasa ~et ~tre ~e renoncer au bonheur. Nous avons vu qu'illui fait meme un devoir de se préoccuper de sonpropre bonheur temporel et de celui d'autrui . et nousverro~s qu'il inclut dans le Souverain Bien le' Bonheurparfait,

    ~e rigorisme k~ntien ne consistepas a déclarer mau-vaises les Inclinations ; maisa refuser qu'eIles servent de

    (r) SC HO PENHA UER , Le [ondement de la morale, chap. II, § 6.

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    LA MORALE DE KANT QUE DEVONS-NOUS FAlRE?

    maximes a la volonté et de príncipe a la moralité. I1 necondamne point les bons sentiments ni ne réprouve lajoie de bien faire; mais il refuse que ce soient ces senti-ments qui fournissent a la volonté ses regle s de déter-mination. I1 n'exc1ut pas de la moralité l'acte accompliavec inclination mi t Neigung) mais l'acte accompli seule-ment par inclination au s Neigung).

    La bonne volonté, c'est la volonté qui veut obéir audevoir, quel que soit le désir (1).

    ti cule et n'ayant d'autre objet qu'elle. Ce sentiment se11 mme Respect (Achtung). Sentiment sui ge neris, qui apour objet la lo i (et les p erso nnes comme sujets de la1 i) - jamais des choses.

    Le sentiment de respect a un double aspect : d'uneI art, il humilie notre amour-propre en tant que nousornmes individu sensible;' d'autre part, il nous donne

    le sentiment de la grandeur de la personne raisonnable,revétue d'une dignité. I1 unit ainsi les deux parties de'notre dualité humaine. Méme lorsque nous n'obéissonspas a la loi morale, nous éprouvons pour elle lesentimentde respecto

    Le respect est un« produit spontané » de la raíson ennous - en nous, étres sensibles. C'est un effet de la raison

    •sur la sensibilité. C'est pourquoiil suppose des étres qui,comme les hommes, sonta la fois raisonnables et sensi-bles. Il est le retentissement de la rationalité de l'étreraisonnable (auteur de la loi) sur la sensibilité de I'étresensible (sujet subordonné a la loi). Il est, non le fonde-ment, mais le mobile subjectif de la moralité.

    Ce sentiment de respect, qui a pour objet direct, enmoi, la loi morale universelle, a pour objet du méme couptous mes semblables en tant que tels, c'est-á-dire en tantqu'ils sont, comme moi, des personnes en qui est présentela loi morale universelle. Le respect, en méme tempsqu'il va a la loi, va a tous ceux qui relévent comme moide la loi. La bonne volonté est une intention qui implique,selon l'expression de M. Ricceur, « l'acte de se situer soi-méme dans un tout de personnes comme membre etsouverain de la communauté éthique que les personnesformeraient toutes ensemble si chacun se situait parrapport a tous selon la réciprocité du respect ».

    Obéissance intentionnelle a la loi, respect de la loi et

    L e r es p ecto - I1 faut cependant aussia l homme, puis-que l'homme est un étre sensible en mérne temps queraisonnable, un« mobile » moral. Tandis que lesmotifssont des raisons déterminantes (exemple : agir p ar devoirou p ar intérét), lesmobiles sont des sentiments inclinants.La volonté d'un étre raisonnable et sensible doit se déter-miner par unmotif et un mobile moraux. Nous venons devoir que lemotif moral de la volonté bonne, c'est l'obéis-sanee au devoir par devoir. Quel est maintenant sonm ob ile m or al ?

    Le mobile de la volonté bonne est un sentiment origi-nal, engendré p ar la seule représentatíon de la loi, lié a

    (1) Les pensées s uívan tes de F. Rauh, t res conso nantes avec lapensée de Kant touchan t le « rigo risme », peuvent aide r a le com -prendre : « Le d ésintéressement es t un sigu e ordina ire de lamora lité . ..Les dispositions égois tes sont p lus comm unes e t plus for tes queles atru ístes e t risquent davan tage de nous aveug ler sur la vérité ...I1 serait cependant absu rde de ne t enir pou r morales q ue les ac tionsindiffé rentes ou douloureuses po ur la sensibilité rebe lle.. . I1 ne fa utpas identif ier le ca lme et la raison. La sottise, la láche té conscien teou in cons ciente ont d es a llures parfois sages, mé thodiq ues. I 1 y a aucontr aire de saintes coléres. .. Ne p reno ns pas le sigue pour la chos esignifiée.. . L'h onnéte homm e ne recule ni d evan t la souffra nce nidevant le sacrific e. Mais i1n e les cherche pas pour eux-mémes , illesaccepte comme d es conséquences i névitables, a ttachées a la recherchede la vérité .. . » (L'expérimce morale, 36 éd., p. 39-41).

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    24 LA MORALE DE KANT QUE DEVONS-NOUS FAIRE ? 25

    d'autrui - voilá ce qui fait la honté de la bonne volonté.La volonté bonne, dit Kant, c'est celle qui ne se laissedéterminer :- o bje ctive me nt,que par la loi morale ;- s ub je ctive me nt,que par le sentiment du respecto

    L'action moralement bonne, c'est l'action voulue parune volonté bonne. Sa moralité est constituée par saforme et non par samatiére.

    Tout étre doué de raison est capable de volonté bonne.La bonne volonté est ainsia notre portéea tous. La raisonest la faculté de l'universel. La bonne volonté n'agiradone que d'aprés une maxime ~versalisable. Cela e~tinscrit lisiblement dans la conscience commune, la« rai-son vulgaire », le « bon sens populaire », M'est-il permis,par exemple, si je me trouve dans l'embarras, de me tirerd'affaire par une promesse fallacieuse? 11 me suffit deme demander si je pourrais admettre que la maxime decette action prit la valeur d'une loi universelle, régissantmoi et les autres. Je vois aussitót qu'il n'en est rien,et que par conséquent cette action est mauvaise. Cela estaccessible a la conscience d'un enfant des que s'ouvresa raison. Et tout éducateur de bon sens saura éveiller saconscience par cette simple question : Veux-tu quetout le monde agisse ainsi? Es-tu raisonnable en agissantcomme tu ne voudrais pas qu'agissent les autres? As-turaison de vouloir pour toi une exception?

    Pour que la volonté soit bonne, point n'est done besoinde perspicacité infaillible, de subtilité, de science pous-sée, de ca1culs savants.11 suffit d'avoir cette faculté del'universel qui s'appelle la raison, qui est en nous tous,et de lui obéir dans la pratique. La raison vulgaire est icicompétente, des qu'elle exclut de ses déterminations les

    I I I1l ilcs sensibles, c'est-á-dire toutautre mobile que celuiqlllcst de provenance rationnelle :le r es pect 1).

    Les pages de la Critique consacrées au sentiment duI • pect (chap. III del Analytique) se terminent par l'apos-I r phe célebre :

    « Devoir nom sublime et grand, toi qui ne renfermesdc~ en ~oi ,d'agréable, rien qui implique insinuation,

    mais qU1 reclames la soumission, qui cependant nemenaces de rien de ce qui éveille dans l'áme une aversionnaturelle, pour mettre en mouvement la volonté mais1ose simplement une loi qui trouve d'elle-mem: accésdans l'áme et qui cependant gagne elle-méme malgrénous la vénération... , quelle origine est digne de toietoü trouve-t-on la racine de ta noble tige ? »

    Ce sera précisément la tache d'une« métaphysique desmoeurs » et d'une « critique de la raison pratique » derépondre a cette question, qui est posée par la présencedu devoir, présence impliquée dans la bonne volonté auceeur méme de la conscience commune : trouver la racinede cette noble tige.

    Appe l a une PHILOSOPHIE pratique. - Ce qui importedone a la moralité de l'agent moral, c'est de savoir mettrea par~ d~s.mobil~s d'origine sensible le seul mobile quisoit d ongine ratronnelle, afin, non point nécessairement

    (~) Kant avait dit d éjá dansla Critique de la raison pure :« .I'admetsqu'il ,Y ~ réeIlement des lois morales pures qui d éterminent pleinem enta pri or i .I'usage de la lib ;rté d'un étre raisonuable en général, etque ces 100S command ent d un e maníére a bsolue ... et que par con sé-que;ut eIles sont a tous les poi nts de vue nécessair es. J e puís a bondroít supp oser cette prop osition, en in voqua nt non seuI ement l espreu ves des moraIist es les plus célebres, maís encor e le jugement mo-ral d e tout homm e quand iI veut penser clairem ent une t eIle loi »(He Partie, chap. H, 2e question).

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    2 6 LA MORALE DE KANT

    /

    de détruire tous les autres, mais de n'admettre que cedernier a présider souverainement a la détermination del'action. Mais comme notre volonté humaine, sollicitéed'un cóté par la raison, est aussi sollicitée d'un autrecóté (et méme d'abord) par les mobiles sensibles, e~ecourt grand risque de se laisser entrainer, par une « dia-lectique naturelle )), a sophistiq~er ~on~re la reg:e du

    devoir pour 1'accommoder aux inclinations sensibles ;d'oü le besoin, pour la « raison vulgaire )), de s'appro-fondir, de passer a une philosophie pratique - vers unemétaphysique des mceurs.

    Rema rq ue . - Pour comprendre, par la suite, le langagede Kant, une remarque de vocabulaire s'impose ici.

    Dans ce qui va suivre, Kant va opposer sans ~ess~,comme il vient de le faire déjá, l objecti j et le subjectif,11va notamment nous dire que la loi détermine « objecti-vement )) la volonté, tandis que les maximes sont desprincipes « subjectifs ))de la détermination de la volonté.

    Ces termes pourront surprendre si 1'on considere que,d'apres la Cr itique de la rai son p ure, i1 n'est d'autre objetconnaissable que l'ordre spatio-temporel desphénomenes,et que c'est du cóté du sujet de la connaissance que doi-vent étre cherchées les formes réceptives, les formesconstituantes et les idées régulatives de la connaissance.Et plus généralement, on peut ca~actérise~ 1'~u~re entierede Kant commeétant une réflexion et méditation vers lesuje t spiritue1, 1'esprit, « l Unité du Je pens e», Rien de plusjuste que de soutenir que, selon Kant, la moralité a sonprincipe, son fondement, dans le Sujet, et ~ue t~ute ladocttine morale kantienne se propose de « déterminer lesconditio ns s ubject ives de la moralité, comme il avait, d~sla Critique de la rais o n p ure, déterminé celles de la connais-

    QUE DE VONS-NOUS FAIRE ? 27

    nc ))(Alquié, Introduction a la traduction Picavet de la , ritique de la raison p ratique , p. VI).

    r, cette facon de caractériser la philosophie kantiennep urrait sembler contredite par les affirmations répétées1 .la Grundlegung et de la Cr itique de la raison pratique,

    qut ne cessent d'exiger la soumission des mobilessubjec-lifs a la loi morale ob jective . La bonne volonté vient

    d' étre définie comme la volonté qui ne se laisse déter-miner, objectivement , que par la loi morale, et, subjective-ment , que par le seul sentiment du respect pour cette loi. Etla suite va redire que la moralité est constituée par la sou-mission des maximes subjectives a la loi morale ob ject ive .

    I1 n'y a la cependant aucune contradiction. Pour enécarter l'apparence, il suffit de rappeler une distinction. essentielle chezKant, concernant le mot suje t - et dediscerner la distinction non moins essentielle qui enrésulte concernant le mot ob jeto

    a) Sous le mot sujet, il importe de ne pas confondre lesujet tr ans cendantal rationnel et le sujet individuelhumain envisagé par son cóté sensible et empirique.- Le .sujet transcendantal est le sujet rationnel pur, quiaPI?artlent au regne nouménal, au« monde intelligible )),qui est membre du « regne des fins )),et qui impose salégalité rationnelle, soit a la nature par les catégories etpríncipes de l'entendement, soit aux actions humainespar l'impératif catégorique. Le sujet individuel et empi-rique, c'est le sujet humain envisagé par son cóté sensibleet appartenant au monde sensible. La dualité humaines'exprime précisément par ce double sens du motsuje to

    Cette distinction, chére a Kant, est capitale. Elle signi-fie que c'est en l hommeméme que passe la ligue de démar-cation et d'articulation du physique et du métaphysique,du temporel et de l'éternel, du monde sensible et du

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    28 LA MORALE DE KANT

    monde intelligible, de l'ordre phénoménal et de l'ordretranscendant. Ce n'est pas en quittant l'homme que l'onentre dans l'ordre métaphysique, car l'homme y est partiel-lement compris et c'est en l'hommemém equ'est ~it~ée ~avoie de passage. La dualité humaine est celle du sujet l~dl-viduel, partie de l'ordre phénoménal et du mon~e sen~l?le,et du Sujet transcendantal, membre du monde íntelligible

    et du regne des fins, citoyen de la cité deDieu (1).C'est a la lumiere de cette distinction que devait étrecomprise la these en vertu de laquelle la philosoph~espéculative de la Critique de la raison p ure se présentaitcomme une réfutation décisive de l'idéalisme. Il fautentendre par la que l'idéalisme t r~n;ce~dantal ~e. laCritique de la raison pure écarte un idéalisme empmque(celui des Protagoras ou des Berkele~). .. .

    Et c'est a la lumiere de cettememe distinction quedevra étre comprise, comme nous leverrons, dans laCritique de la raison p ratique, la justification de l'impé-ratif catégorique par le concept de la liberté.

    b) Le mot ob jet, des lors (toujours corrélatif au motsuje t), a, comme lui, un double sens. Il peut. s'entendre,soit par opposition au sujet transcendantal, ~~lt par oPP.o-sition a la subjectivité sensible. Par Opposluon au su ettranscendantal il désigne l'ordre phénoménal spatio-temporel, l'objet de la perception et de la science, la

    (1) On n ous p ennettra une métaph ore. ~In e faut pas di re que }amétaphysique, se lon Ka nt, commenc e ,et s étend au-dessus de la tetede l'homme ; mais commen ce, en I homme, a u-dessus du .c ceur(entendons : de la sensib ilité), avec la téte (entendons : la , ralso?),et p our s'élever, au-d essus de la téte, dans I'atmosphere ou la t eterespi re. L'homme ress.emb le a un nageur, larg~en t engagé dans lemili eu aqua tique, mais e n éme rgeant par la tete -:' la surface deI'eau représentant, en cette mé taphore, la démarca tíon d u sensibleempi rique et de l 'intelligible transcendan tal.

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    QUE DEVONS-NOUS F AlRE ? 29

    nature; et en ce sens, c'est des catégories et príncipes dusujet rationnel transcendantal que lanature recoit salégalité objective (sa Gesetzmáss igkeit y. Mais par oppo-sition a la subjectivité sensible, le terme objectivitédésignel'ordre rationnel universel, l'ordre nouménal concu parla pure raison.

    Il n'y a done aucune contradiction entre l'affirmationqui caractérise la philosophie de Kant tout entiére commeune réflexion vers le sujet (transcendantal) soumettant etla nature (par les catégories) et l 'action (par l'impératifcatégorique) a la loi du « [e pense » transcendantal - etles affirmations répétées de la Grundlegung et de la Crit .de la rais . p rat. qui font consister la moralité dans lasoumission de la subjectivité (sensible et empirique) al'objectivité (rationnelle et transcendantale). L'analyserégressive de la Grundlegung et la déduction transcen-dantale de la Raison pratique emploient généralementdans ce deuxieme sens les termessubjectij et objectij. Lasubjectivité dont il s'agit est celle du sujet humain indi-viduel, empirique et sensible; et l'objectivité c'est, paropposition a cette subjectivité, celle de la loi rationnellepure, régissant universellement tout étre raisonnable, ets'imposant sous la forme d'un impératif catégorique a lavolonté ambigué d'un étre a la fois raisonnable etsensiblecomme l'homme. Le mot objectij signifie alors univer sel,va lable pour tout étr e raisonnable 1).

    (1) Cette signification es t d'ailleurs pr écisée e xplí cítement p ar cer-tains textes de Kant . Exemples :

    La loi de l'action nous prescrit « de prendre pour régles subjectivesde not re cond uite, c 'est-a-dir e pour m aximes, des princip es s uscepti-bles de revétír une va leur objectiue e'est-á-dire unioerselle • (G1 ,,,,dle-gun g 3 s ectí on «De J'íntérét qui s'attache au x idées de la moralité .).

    • Dans la déduction. (du princi pe supréme de la raison p ure pratiqu e)c'est-á-díre dan s la justificat ion de la va leur objectiue et Im iver :

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    3° LA MO RALE DE KANT

    § 2. PASSAGE DE LA CONSCIENCE COMMUNEA LA MÉTAPHYSIQUE DESM

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    3 2 LA MORALE Dll KANT

    s'adresse done pas sousla forme d'un im pératif, Mais a lavolonté ambigué d'un étre double comme I'homme,a la fois raisonnable et sensible, la raison présente sa loisous la forme d'un impératif s'adressant a une volontésusceptible de se dérober a la loi de la raison pour céderaux inclinations de la sensibilité.

    Tous les impératifs s'expriment par le verbe devoir, etcaractérisent le rapport d'une loi rationnelle objective aune volonté subjective imparfaite, non infailliblementdéterminée par cette loi. C'est pourquoi les mots impératifet devoi r ne conviennent pas lorsqu'il s'agit d'une « volontésainte », c'est-á-dire conforme entierement et sans par-tage a la Raison universelle ou divine.

    Un impératif suppose done l'imperfection subjectivede la volonté de tel ou tel étre raisonnable - de lavolonté humaine par exemple (1).

    Les impératifs commandent ou hypothétiquement oucatégoriquement 2 .

    (1) Qu'on nous pennet te une métaphore, ou, s i l'on veut, un myth e :Supp osons u n oiseau et un poisson d oués de volont é. La loi de l'un

    est de respirer dans l'air ; la loi de l'autre, de respirer d ans l'eau. Laloi d e l'un ni d e l'autre ne régíra point sa volonté sous la f onne d'unimpératit, n'aura pas a commander au premier d e respirer dans l 'air,et au s econd de respirer dans l'eau. M ais supposons maint enant unamphibie susc eptible de respirer dans l 'air et dans l'eau, et dou é devolonté, et supposons que sa raison (pour une raison ou une autre)Iui fasse une loi s'adressan t a sa volont é libre, de ne respirer que dansl'air : alors c ette loi prendra pour sa volonté la fonne d'un comman-dement, d' un impératif. L 'amphibie de ce mythe représente symbo-liquement l 'homme, I'étre a la foi s raísonnable et sensibl e.

    (2) Rappelons id les définitions de quelqu es term es, contenuesdans la Crit. de la r, pure :

    Une propos ition est dit e catégorique quand l' affirmation ( ou la .négation) qu' elle exp rime n'est pas s ubordonnée a une condition ouhypothése , Elle est dite ltypothétique dans le cas contraire.

    Une proposition est d ite problématique, quand elle affinn e une

    QUE DEVONS-NOUS FAIRE ? 33

    a) Les impéra t ij s hypo thé t iques déc1arent l'action pra-tiquement nécessaire comme moyen s i la volonté sepropose telle ou telle fin; - et des lors, subordonnentleur prescription a des fins supposées comme conditions :

    soit a des fins possibles(l'impératif hypothétique estalors problématiquementpratique : si tu poursuistelle fin, prends tel moyen; c'est une regle del habileté) ;

    soit a des fins réelles (l'impératif hypothétique estalors assertoriquement pratique : puisque, en fait,tu veux étre heureux, fais ceci, ne fais pas cela;c'est une regle de la p rudence).

    b) L imp ératij catégorique déc1are l'action objective-ment nécessair e en elle-méme, sans rapport a un but. I1est apodictiquement pratique. C'est la regle, non plus del'habileté, non plus de la prudence, mais de la moralité.

    leí commence a se poser, des ce seuil de la métaphy-sique des meeurs, le probleme critique. Comment cetim p é ra tif e s t-il p o s s ib le ? La tache de la cr itique sera de lejustifier, c'est-á-dire d'expliquer son caractere obligatoirepour la volonté.

    Pour les impératifs hyp othétiques, cela n'offre pas dedifficulté; et Kant s'en acquitte sans plus tarder. Lavolonté qui veut une fin veutp ar cela méme les moyens

    possibilit é; assertorique, quand e1le affinn e une exístence d e fait ;apodictique, quand ell e affinne une n écessit é,

    Un jug ement est dit analytique lorsque l'idée de l 'attribut estnécessair ement cont enue dan s l'idée du sujet (fait partie de sa com -préhension ess entie1le), en s or te qu 'il suffit d'analy ser l'idée méme dusujet p our y trouv er a priori l'attribut . Le jugement est dit synthé-tique lorsque l'attribut est ajouté a la compréhension essentielle dusujet, sans y étre pré-cont enu. E x. : Le cerc1e est r ond, jugementanalytique; ce cercle es t rouge, jug ement·synthétique.

    J . VIALAT OUX 3

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    34 LA MORALE D E KANT

    que la raison lui indique. C'est la une p roposition analy-ti que : l'impératif ne fait que dégager de l'idée de lavolition d'une fin l'idée de la volition des moyens qu'elleexige. Cela est clair pour les impératifs de l'habileté : la« contrainte ))p rescrivant le moyen est analytiquementcontenue dans le vouloir de la fin. Il en va de méme pourles impératifs de la prudence, avec cette différence (impor-tante a d'autres égards, mais sans importance ici) que lafin visée, le bonheur, étant indéterminable pour notreraison, ne comporte que des moyens peu précis, objets deconseils plutót que de préceptes(1); mais cela ne change

    (1) Ka nt con sacr e a ce point un dével oppeme nt dont n ous retrou-verons plu s loin l 'ínt érét. Le concept de bonheur, dit-il, est si indé-termin é que, en dépit du d ésir que nou s avons tous d' étre heureux,pers onne ne p eut dir e ce qu'il désir e absolum ent pour l' étre. C'estque les é léments du c oncep t de bonh eur s ont emprunté s a I'ex pé-rience, alors que ce con cept implique l' id ée d'un tout ab solu. Unétre fini ne peut se f aire une idée exacte de ce que cela c omporte.n me faudr ait une S cience infinie p our d étermin er certa inement ceqni p eut me rendr e heureu x. De l a vient qu e les imp ératifs d e la pro-dence so nt plut ót de s conse ils que d es c omma ndements de la raison.

    La Critique de la raison pure avait d éjá formulé ex pressé ment ladistinction de l'impérat if hypothétique ou relatif de la prudence, etde l'imp ératif ab solu de la moraliié, « J'appelle pragmatique (reglede prud ence) la loi pratique qui a p our m otif le bonh eur, et morale(ou l oi des moeurs ), s' il en e xiste, la loi quí n'll ;,pour m obile qu.ed'indiqu er eomment on peut se rendre d~gne d etre heureu» ( dieWürdigkeit glüeklieh zu sein). La pr emíére conseille ce que n ousavons a fa ire si nous v oulons arriv er au bonheur; la seconde com-mande la man íére d ont nous dev ons nous comport er pour nousrendr e seu lement d ignes du b onheur. La pr emíére se fo nde sur d esprin cipes e mpiriqu es (c'est l'expérience qui fai t conna ítre et les pen-chant s e t les moye ns natur els d e les sati sfaire, c'est- á-dir e les causesnatur elles qui ont p our effe t cette satisf action). La secon de faitabstrac tion des penchants et des moy ens naturels de l es satisfa ire,et ne co nsidere qu e la libert é d'un étre rais onnable en général ...n y a d es lois m orales pu res qui d étermin ent pleinement a priorile [aire et le ne pas [aire ; c'es t-á-di re l 'u sage de la li berté d'un étrerai sonnable en général, et ces loís command ent d 'une m aníé re B;b.so-lue et non po int simp l ement hypothétiqu ement sous la supp ositíond'autres fin s empiriqu es » (p. 626).

    QUE DE VONS- NOUS FA lRE ?

    I

    35

    pas la nature analytique de cet impératif hypothétique.Habileté ouprudence, en effet, l'impératif hypothétiquecommande a celui qui veut la fin de vouloir le moyen,ou bien, s'il ne veut pas le moyen, de renoncer a la finexigeant ce moyen. La volition du moyen se déduitanalytiquement de la volition de la fin. Justifier la possi-bilité d'un impératif hypothétique n'est done pas unprobléme difficile (1). .

    (1) Qui veu t la fin v eut l es mo yens. Obje ctera-t-on qu 'on peutbien vouloir un e fin sans cepe ndant vouloir un m oye n qu 'elle ex ige,e la f in ne justif iant pas toujours les m oyens • ?

    Ce se rait jouer sur les mots. n ne faut p as confondr e vo uloir e tdésirer. On peut c ertes désirer une fin dont on n e ve ut p as le moye n(par exe mple, désirer le sal ut de la vie d e la m ére, sans vouloir lemoyen q u'exige rait, dans la c irconstanc e prese nte, ce salut : tuerl'enf ant par l'embryot omie). - Si l'on ne ve ut p as ce moy en, pourune r aison o u une autr e, par exempl e paree qu'il vous r épugne, oupare e qu'un i ntérét qu elconqu e vous i ncite a conserv er cet enfant,ou enfin paree que cet acte es t interdi t par un impératíf cat égoríque(la má xime de e ette a etion ne pouvant étre érigée en loi un i versellede la natu re, o u consistant a traiter la personne de l'enfant simple-ment comme un m oyen) , - il fa ut renonee r a la fin; l'imp érati fhypothétiq ue retoume a ussi tót son commandem ent : si tu veux lafin , tu dois voulo ir le moye n ; si tu n e ve ux pas le moye n, tu n e doispas uoutoir la fin que tu pe ux désírer, mais q ui exige ce moyen . Lavolition de la fin ne peut é tre sépa rée de la vol ition du moyen pareeque la propos ition « qui ve ut la fin veut les moyens D est une propo -sit ion ana lyt ique. S i le refus du moye n entratne le renoncemen t ala fin, c'est que l'on ne peu t uouloir-la-fin-sans-le-moyen, le tou t nefaisan t qu'un, C' est p ourquoi l ' impératif catégo rique qui m 'interditde vo uloir ce moy en m'interdit du. méme cowp de oouloir-cette- fin-par-ce-moyen ;ear, a i nsi poursuivie et obt enue, eette fin e esse d'étrebonne, viciée qu'elle est p ar le vice du mo yen. L e tout ne f ait qu'un :cela revient a d ire que la proposition est ana lytique . L'imp ératühypothétique , « si tu v eux l a fin, veux lemoy en » a pour eontrepartieinév itab le l'im pératif hypothétique (qui lui est id entiqu e) « si tu n eveux pas le moyen, abandonne l a fin ». Dans l e cas o ú c'est unimpé ratif catégor ique q ui ob lige a ne pas vouloi r le moyen, cet imp é-ratif comman de : tu d ois ( hypo thétiquement) renoncer a cette fin,paree que tu deis (eatégoriquement) ne pas recourir ti ce moyen. L'impé-ratif hypo thétiqu e es t bien une pro pos ition analytique.

    Ob jectera-t-on encore que le rapport du moy en a la fin est un

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    LA MORALE DE KANT

    Mais il en va tout autrement pour l'impératif catégo- 1rique. Cornment un te impératif est-il possible ? Ladifficulté d'un te probleme vient de ce que cet impératifconstitue une proposition a priori et synthétique. Il s'agiradone de résoudre un probleme tout semblable au difficileproblémequ'avait eu déiá a résoudre la Grit. de la r.pure : comment des jugements synthétiques a priori

    peuvent-ils bien étre possibles?On concoit aisément, en effet, qu'un jugement analy-

    tique soit possible a priori, puisqu'il est analytique (lecercle est rond); ou qu'un jugement synthétique soitpossible a posteriori, puisqu'il est rendu possible parl'expérience (ce cercle est rouge). Mais comment sontpossibles des jugements synthétiques a priori dans l'ordrespéculatif? LaGrit. de la r. pure avait a résoudre cettequestion ardue.

    Une question ardue analogue se poseraa la Grit. de lar. pratique : cornment un impératif catégorique est-il

    rapp ort de cause a eUet, que ce tte finalité implique une c ausali té(un m oye n étant une cause dont on d ispos e, et quí a pour effet unefin qu 'on s e propose) ? Et fera-t-on observer alors que, le jugementde ca usa lité qui l i e le rapport cause-eff et étant, pour Kant, un juge-ment synthétique, il devrait en étre de méme, 11 ses ye ux, du j ugem entde finalit é liant le rapp ort moyen-¡'in ? - Mais ce se rait c onfondre laconnaissance de ce r apport avec le uouloir de l'acti on indivise qu'ilimplique . Ce rapport ( synthétiqu e) une f ois connu, le vouloir de sonsecond t erme impliqu e (analytiqu ement) le vouloir du pr emie r. C eciétant le moy en de c ela, je ne puis vouloir c ela sans vouloir cecí, nirenoncer 11 ceci sans r enon cer 11 cela. En sorte que, si, p our u neraison qu e1conqu e, je ne veux pas c eci, j e ne puis vouloir c ela. Etdans le ca s oú c'est un imp ératif catégorique qui m'in terdit d evouloirceci, il s'ensuit analytiquemeni que je ne dois pas oouloir-cela-par-ceci,et dois done renoneer 11 cela. Cela serait bon, o btenu autr emen t;mais, eeci étant mau vais (de par un imp érati f ca tégo rique), cela-par-ceci est mauvais.

    L'impératif hypothétique est bien analytiq ue.

    QUE DEVONS-NOUS FAIRE ? 37

    possible ? Car un impératif catégorique est une propo-sition synthétique a priori de l'ordre pratique.

    L'impératif catégorique, en effet, est a priori, puisqu'iln'est tiré d'aucune expérience, mais au contraire estlogiquement antérieur etsupérieur a l'expérience, et lajuge. Et il est synthétique, puisqu'il líe lavolition d'uneaction, non plus, analytiquement, a une volítion pré-

    supposée qui l'inclut logiquement, maisa une volontéraisonnable universelle; en d'autres termes, puisqu'il lieun vouloir, non plus a son propre contenu, maisa une loide la raison.

    Cornment cette proposition pratique synthétiqueapriori est-elle possible ? Ce probleme releve de lacritique.- Au point oü nous en sornmes de l'analyse régressivequi est en train d'expliciter les implications métaphy-siques de la conscience commune - c'est-á-dire de pas-ser de la raison populaire a la métaphysique des moeurs-nous voyons bien se dresser cette question critique. Mais,avant d'entreprendre de la résoudre, et afin méme d'enpréparer et orienter la solution, il importe de poursuivreet de mener a bien cette analyse, et de procéder main-tenant a une formulation explícite de ce cornmandementde la raison pratique qu'est l'impératif catégorique- tache qui intéresse tout a la fois et la métaphysiquedes meeurs qu'il s'agit d'achever, et la critique de laraison pratique qu'il s'agit de préparer.

    2 0 Formulation de l'impératif catégorique :la formule-mére (ou principe formel )

    et les formules-dérivées vers l' a ction humaineL'impératif catégorique est le commandement absolu

    de la raison.Quelle est done l'exigence absolue de la raison ?

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    LA MORALE DE KANT

    C'est L'UNIVERSALITÉ.S'il s'agissait d'un impératif hypothétique, son com-

    mandement serait déterminé seulement par la condition- le« si»- dont il dépend.Mais l'impératif catégorique,lui, ne contient que la loi, et la nécessité morale pour lamaxime (príncipe subjectif d'action) de s'y conformer. Ilne reste done, pour déterminer le commandement del'impératif catégorique, autre chose que l universalité desa loi. Car l'universalité est le caractere essentiel d'uneloi.

    A) La fo rmule- mére . - La loi de laraison commandedone absolument que lamaxim e de l'action soituniversa-li sabl e. D'oü cette formule-mere de l'impératif catégo-rique :« Agis uniquement d aprés la max ime qui jait qu e t up e u x v ou lo iren méme temp s q u e ll esoit une loi u niverselle. »

    Ríen, en cette formule, ne vient de l'expérience. ElIen'est queformelle, sans contenu matér iel. Mais elIe estlepríncipe formel de tous les devoirs. Non pas en ce sensqu'on en puisse déduire nos actionselles-mémes en cequ'elIes ont de matériel; mais en ce sens qu'elIe permetde déduire lesmaximes d'oü doivent procéder nos actionspour étre morales.

    Pour bien comprendre cela, il importe de ne pasconfondremaxime et loi.

    Une maxim e, c'est une regle subjective d'action, uneregle qu'un sujet individuel adopte p our lu i -méme, etselon laquelIe il se propose, pour son propre compte,d'agir. Une maxime peut étre contraire a la loi morale.Par exemple,siun homme d'affaires adopte pour maximede ne prendre en considération, en affaires, que sonintérét individuel et son profit; - ou si un parti poli-tique adopte pour maxime de prendre le pouvoiret de lemettre a son profit particulier par tous les moyens. -

    QUE DEVONS-NOUS FAIRE? 39

    Une maxime régit le sujet individuel qui l'adopte. Unemaxime est« subjective »(1).

    La loi, au contraire, est un príncipe ({objectif » uni-versel, valable pour toutétre raisonnable. (Nous savonsqu'elle prend forme impérative, lorsqu'elle s'adresseaun étre raisonnable qui est aussi un étre sensible, commel'homme, et dont, par conséquent, la volonté, tout enpouvant sedéterminer par la loi rationnelIe universelle,peut aussi se laisser déterminer par l'incIination sensibleparticuliere.)

    Cela précisé, la formule-mere devient claire. Nosmaximes devront étre telIes que nous puissions vouloirqu'elles soient érigées enlois - c'est-á-dire qu'elIessoient universalisables - car le propre d'une loi (quidéfinit son « objectivité ») c'est son universalité.« LoiuniverselIe», c'est la un pléonasme.

    B) Le s jormu le s -d é riv ée s . - De cette formule-mete,Kant déduit aussitót trois formules dérivées. Le butqu'il se propose ici (il nousle dira lui-méme apres chosefaite, mais disons-le d'avance) c'est de ne pas laisser la loimorale rationnelIe, qu'ilvient de formuler, trop loin denous , dans la haute région purement intelligible et nou-ménaledes« étresraisonnables»,maisde l'incliner aussitótvers nous, hommes dans le monde, et de l'engager dansla nature , de lui donner « un acces plus facile dans noscceurs », de la rapprocher « de l'intuition et par la dusentiment» (2). Tandis que laformule-mete exprime la

    (1) Te lles les m aximes de la m orale provisoire de D escartes:• Je me forma i un e morale par provision, qui ne se co mposait qu ede trois o u quatr e max imes, dont [e veux bien vous [aire pa rto » I1n'aurait pas a « vouloir bien nous f aire par t » d'une loi obj ectiveuniv erselle. M ais il a a vouloir bi en nous faire part de ma ximessubjectives partículíéres,

    (2) DELBO S,dans son Introduction a la traduct ion de la . Grundle-

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    LA MORALE DE KANT

    loi morale en elle-méme, les formules-dérívées vontexprimer l'impératif catégorique de la loi morales'enga-geant dans la nature, entrant en action, entreprenant, sil'on peut dire, defairearriver son regne sur laterre commeau ciel. C'est pourquoi.remarquons-le bien, cesformules-dérivéess'impliqueront mutuellement et seront inséparables,indissociables les unes desautres, n'étant que des expres-sionsdiversifiéeset ramifiéesd'un seul et méme impératifcatégorique qui entre en action dans la nature et s'ytrouve aux prises avec ses résistances. Aussi, chacune deces formules (que nous pourrions appeler desformulesd'engagement) ne pourra-t-elle étre bien comprise qu'ácondition de n'étre pas isoléedes autres, d'étre compriseavec elles. Ce point ne devra pas étre oublié.

    10 Agis comme si la maxime de TON ACTIONdeoait par tavolonté étre érigée en loi universelleDE LA NATURE. - Cetteformule, c'est encore la formule-mére elle-méme, maisinclinée cette fois vers la constitution d'unenature, versl'insertion demon action dans une nature. La raisonconstituante se penche ici vers une naturea consti-tuer (1). Son príncipe formel (l'universalité) s'appréteamordre sur une matiére.

    Une nature, c'est un systeme d'objets régi par des loisuniverselles et nécessaires.

    gung, et dans son ouvra ge s ur La philosoPhie pratique de Kant, a faitremarquer l'ambivalence d e ce passage de la G ru n dl e gung qui, touten poursuivant l 'analys e régress ive par laque1le va se d éce1er l'auto-nomie et av ec e1lela lib erté, indi que déjá, au cours d e cette régressionanalytique , l'embranchemcnt des déduct ions de la métaphysique desmceurs aux actions jet ées dan s le monde de la nature par la liberté.

    (1) L'imp ératif cat égorique , par c ette formule, s'engage dans lanatur e, théátre de l 'action, un p eu comm e la caté gor ie, dans la rais onspécu1ative, s e glisse , par la m édiation du schéme, vers l'intuiti onsensibl e sur l aquelle ell e mord , par la form e tempore1le, pui s par laforme spatiale.

    \QUE DEVONS-NOUS FAIRE? 4 1

    Cette premiére formule dérivée signifie done que cha-cune de nos actions devra étre telle que la maxime d'oüelle procede puisse étre érigée en loi d'une nature, c'est-á-dire soit ínsérable, intégrable dans un systeme régi pardes lois universelles, dans un ordre exc1uanttoute contra-diction, toute déraison.

    Kant propose ici quatre exemples, pris dans chacunedes quatre grandes c1assestraditionnelIes de devoirs :

    - devoirs stricts envers soi-méme ;- devoirs stricts envers autrui ;- devoirs larges envers soi-méme ;- devoirs larges envers autrui(1).

    a) Violation d'un devoir strict envers soi-méme :lesuicide. - Puis-je abréger volontairement ma vie paramour pour moi et pour me débarrasser d'une vie dou-loureuse? La maxime de cette action ne peut devenirloi universelle d'une nature; car une nature dont la loiserait de détruire la vie en vertu du sentiment subjectifqui est ordonné a sa conservation se contredirait elle-mérne et n'existerait done pas comme nature.

    b) Violation d'un devoir strict envers autrui : la faussepromesse. - Réduit au besoin d'emprunter, puis-je recou-rir a la promesse fallacieuse de rendre l'argent prété queje n'ai pas l'intention de rendre, ou dont je sais que larestitution me sera probablement impossible?La maximede cette action n'est pas universalisable sans contradic-tion, puisque, universalisée, elle abolirait aussitót laconfiancequ'elle suppose.

    1) Stricts = partait ement déterminés . - Larges = mparfaite-ment d étermiués.

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    42 LA MOR ALE DE K ANT

    e) Violation d'un devoir large envers soi-mémel oisiveté. - Laisser incultes, en friches, ses talentsnaturels pour se livrer au seul plaisir : voilá une maximede conduite dont l'universalisation pourrait peut-étrelaisser subsister encore une nature une fois constituée(comme on voit subsister encore des peuplades incultes) ;mais on ne peut vouloir raisonnablement qu'elle devienneloi universelle de la nature et regne en nous comme uninstinct naturel, car un étre raisonnable ne peut vouloirque la loi de facultés orientées vers toutes sortes de finssoit de rester sans développement. La constitution d'une« nature » est incompatible avec une loi d'atrophie de sespuissances.

    d) Violation d'un devoir large envers autrui : r efuser desecour ir autrui dans le besoin. - L'universalisation de lamaxime de conduite qui consisterait a s'abstenir seule-ment d'exploiter les autres, mais sans jamais les aider etsecourir (máxime de justice négative sans charité posi-tive) laisserait sans doute subsister l'espece humaine (etmieux méme qu'une sympathie ou une fausse charitédépourvue de justice). Mais on ne peut vouloir sansdéraison que cette maxime soit érigée en loi universellede la nature; car, érigée en loi universelle, elle aboliraitaussi bien l'aide que j'ai besoin de recevoir que l'aide queje refuse de donner.

    Ce dernier exemple semble se préter a une interpréta-tion utilitaire : aide autrui dans le besoin, si tu veux aton tour étre aidé au cas oü tu viendrais a tomber dansle besoin. En sorte que ce prétendu impératif catégoriquene serait au fond qu'un impératif hypothétique, subor-donné tout simplement a I'égoísme, comme dans lesmorales de I'intérét et les calculs avisés de Bentham.Schopenhauer n'a pas manqué de reprocher cette faute

    /QUE DEVONS-NOUS FA IRE ? 43

    a Kant, - et le quatrieme exemple. de Kan~ ~e faitqu'illustrer, selon Schopenhauer, un vice de prmcipe dela morale kantienne. « La regle premiére, selon Kant,n'est pas, comme il ne cesse de le répéter, un impératifcatégorique, mais bien en réalité un impératif hypoth~-tique, ear il est au fond toujours subordonné a une condi-tion sous-entendue : la loi qu'il s'agit de m'imposercomme agent devient, si je l'éleve au rang de loi univer-selle valable aussi pourmoi comme patient, et c'est sous, . .cette condition, comme patient éventuel, que je ne pursconsentir a l'injustice eta l'insensibilité (1)) (a la violationdes devoirs stricts ou larges envers autrui.) Je ne dois pasmentir, paree que, universalisée, la maxime de cetteaction ferait qu'on ne me croirait plus. [e dois étre justeet charitable, afín d'étre payé de méme monnaie.

    Il faut reconnaitre que certains textes mal rédigés deKant semblent se préter parfoisa cette interprétation.Mais cette interprétation serait entierement fausse. Ledevoir de bienfaisance n'est pas dicté par un calculd'égoísme, prescrivant de secourir autrui afin d'étresoi-méme éventuellement secouru; ou l'interdiction dementir, par le besoin égoíste de pouvoir tabler sur laconfiance d'autrui. Ce ne sont pas des regles d'habileté

    prescrites par une raison calculatrice servante de l'intérétégoíste mais des regles de moralité prescrites par uneraison universelle et souveraine excluant du vouloir lacontradiction.

    Kant fait remarquer que chacun peut vérifier lui-mémela vérité de cette premiere formule : car si nous faisonsattention a ce qui se passe en nous quand nous violonsun devoir, nous verrons bien ce que nous voulons et ne

    (1) SCH OPENHAU ER, Le [ondement de la mora/e, chap. II, § 7.

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    voulons paso Nous ne voulons pas que notre maximedevienne loi universelle; nous voulons quela loi soiteontraire a no tre m ax ime ; mais nous voulons une maximeparticulié re p our nous, nous permettant de faire exeeptiona la loi, pour nous seulement, ou pour eette fois seule-ment, en faveur d'un désir ou d'un intérét partieulier. Ilsuffirait, pour apereevoir la eontradiction dans notrevolonté, de eonsidérer les ehoses du seul point de vuede la raison. Seulement voilá : tout en eonsidérant lesehoses du point de vue de la raison pour affirmer la loi,nous eonsidérons notre action du point de vue de l'incli-nation pour nous permettre uneexception a la loi.

    (Aprés avoir développé, a l'aide de ees exemples, eettepremiere formule de l'impératif eatégorique, Kant a soind'introduire id eomme une parenthese destinée a fairele point, a préciser ee qui est établi et ee qui reste a éta-blir. Il est établi, par ee qui précede, que,si le eoneept dudevoir a une signifieation et eontient une véritable légis-lation pour notre eonduite, il ne peut s'exprimer dans desimpératifs hypothétiques, mais seulement dans des impé-ratifs eatégoriques ; et de plus (ee qui est un grand point)le eontenu de l'impératif eatégorique. Mais ee qui restea établir, e'est l'impératif catégorique, ou plus précisé-ment la justification de sa possibilité.)

    2 0 « Agis de maniére el tra ite r l humanité , aus si bien dansta per so nn e q ue d an sla personne des autres, ja ma is s im p le-m ent com me un m oyen, m ais toujou rs en méme temps commeune f in . » - La volonté ne peut vouloir a vide. Elle veutquelque ehose. Il faut qu'elle ait un objeto L'objet d'unevolonté se nomme une fin.

    La fin d'une volonté raisonnable, posée par la raison,doit étre valable pour tous les étres raisonnables.

    QUE DEVONS-NOUS FAIRE ? 45

    Les fins des inelinations sensibles sont particuliéres etrelatives. Pour de telles fins, la détermination dela volontéreleve d'impératifs hypothétiques. Mais, si un impératifcatégorique est possible, il implique une fin posée par laraison seule et valable pour tous les étres raisonnables.Elle ne peut étre autre que l'étre raisonnable lui-méme (1).

    Une volonté bonne veutdone eette fin-la.Les étres raisonnables sont des per sonnes. Les étres

    dépourvus de raison, les étres de lanature, sont des choses.L' hommemaintenant (et e'est iei que la deuxieme for-

    mule se rapproche de nous), l'homme, étant un étre rai-sonnable, est une personne. I I existe done eomme finen soi et non pas seulement eomme moyen. Sans doutel'homme, étant aussi un étre sensible dans la nature,peut bien, a ee titre, servir comme moyen; mais il nedoit jamais étre traité s imp lement (bloss) eomme tel,mais toujours en méme temp s (zugleich) eomme finen soi.

    Il ne faut pas omettre, dans le eommentaire de eettedeuxieme formule, eomme on le fait trop souvent, lesmots blos set zu gleich, qui sont appelés par la nature eom-plexe de l'homme, lequel appartient, d'une part, aumonde sensible (et par ee caté peut et doit servir), et aurégne des fins (eta ee titre n'est pas exploitable). Il nefaut done jamais le traitersimplementeomme moyen, sansle traiter aussi et conjointement eomme fin.

    (r) Dans la Crit . de la r . pratique, KANTfait observer que ce tteconditi on - ne jamais traiter la personne comme moye n - n ousl'attribu ons ave c rais on a la volonté d ivine, relativ ement a= étresraisonn ables qui sont dans le monde comm e ses cr éatur es, puísqu'ellerepose s ur la personnalité, par laquelle seule ces créatures sont desfíns. Di eu nous traite comme des pe rsonnes.

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    Les exemples qui ont illustré la premiere formuleillustrent aussi la deuxieme :a) Celui qui veut se suicider veut disposer de sa per-

    sonne comme d'un simple moyen pour cesser desouffrir, conformément a 1'inclination sensible. (Etnous pouvons remarquer que cette observations'applique également au suicide altruiste. Le sui-

    cide altruiste consistea ne se considérer et traitersoi-méme que comme un moyen pour les autres,et un moyen devenu inutile.)

    b) Celui qui fait une fausse promesse se sert de la per-sonne d'autrui comme d'un simple moyen a exploi-ter pour satisfaire sa propre inclination sensible.

    e) L'oisif qui néglige de faire valoir ses talents ne traitepas sa propre personne comme une fin, puisqu'ilne cherche pas a la développer, mais l' emploiecomme moyen de jouissance.

    d) Celui qui refuse de secourir autrui refuse de traiterla personne d'autrui comme une fin en soi. Il latraite comme chose indifférente et sans valeur.

    30 Agis de telle sorte que ta volonté puisse se considé-rer comme étant elle-méme la légis latr ice de la loi univer-

    selle a laquelle eIle sesoumet.Une volonté raisonnable peut,en tant que raisonnable,se considérer comme législatrice universeIle. Une volontédont la maxime ne lui permettrait pas de se considérercomme teIle ne serait done pas une volonté raisonnable.

    Cette troisiéme formule énonce l' autonomie commeprincipe fondamental de la moralité. La volonté d'unétre raisonnable en tant que raisonnable est une volontéautonome.

    Qu'en est-il alors pour 1'homme?

    QUE DEVONS-NOUS FAIRE ? 47

    L'homme est double : étre raisonnable et étre sensible.Sujet sensible, il est subordonné a la loi impérative ;

    son inclination sensible, ou plutót sa volonté en tant quesollicitée par 1'inclination sensible, doit se soumettre ala loi. Par ce cóté l'homme est hétéronome. Mais commesujet raisonnable, il est lui-méme auteur de la loi, mem-bre de la puissance législatrice qui est la Raison. Par ce

    cóté, il est autonome. En obéissant a 1'impératif de lar ais on, c'est a elle-méme qu'obéit une volonté raisonnable.L au tonom ie est attribuée par Kant, non point pure-

    ment et simplement a l'homme, mais a la volonté des étresraisonnables en tant que r aisonnables, qu'il appeIle souvent« volonté pure », Ce qu'on désigne assez couramment par1'expression « théorie kantienne de l'autonomie de lavolonté » doit étre interprété en ce sens, sous peined'une grossiere méprise. La volonté que Kant qualifieautonome, c'est la « volonté pure », et la volonté purec'est la volonté desétres raisonnables entant que raison-nables : « Nous sommes sans doute, dit la Grit. de la r.p rat. (liv. I, chap. IlI), des membres législateurs d'unroyaume moral, qui est possible par la liberté et qui nousest représenté par la raison pratique cornme un objet derespect ; mais en méme temps nous en sornmes les sujetset non le souverain, et méconnaitre notre position infé-rieure comme créatures, rejeterprésomptueusement 1'au-torité de la loi sainte, c'est déiá faire défection a la loi enesprit, quand méme on en remplirait la lettre (1).»

    (I) « Kant app el1e volonté pure cel1e qui o béit te1lement J. la loimorale qu'elle se donne J. elle-méme la loi et est autonome; maisune te1le volonté est un ídéal. A la vo lonté réelle, la vótre ou lamienne, il app artient de faire effort p our obéir J. la loí, malgrél'obstac1e des pe nchants contraires .• (OLL É-LAPR UNE , Essai sur lam o rale d'Aristote, p. 2I3.)

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    Cette troisieme formule est impliquée dans les deuxprécédentes. Si, en effet, l'étre raisonnable ne doit agirque d'apres des rnaximes universalisables pouvant cons-tituer par la une nature - et s'il doit se traiter etétretraité comme fin en soi - il ne peut pas sans contradic-tion étre símplement (bloss) auservice de la loi univer-selle, car il ne serait alors lui-méme qu'un simple moyen.Il faut done, pour que soit sauvegardée sa dignité defin, qu'il en soit le législateur en méme temps que(zugleich) le serviteur.

    Si done un impératif catégorique est possible, il ne peutordonner qu'une chose : agis toujours selon l