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  Victimes deffets indésirables graves de médicaments État des lieux & Recommandations  version 1.0 Note de synthèse conjointe  Février 2015 

Victimes d'effets indésirables graves de médicaments : état des lieux (v 1.0)

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DESCRIPTION

De nombreuses associations de victimes, de patients et de professionnels de santé se sont penchés sur les obstacles juridiques qui freinent l'indemnisation des victimes de médicaments. Elles démontrent que nombre de ces obstacles peuvent être levés, moyennant une volonté politique forte, concourrant à une meilleure justice et accceptation sociale du risque médicamenteux.

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  • Victimes deffets indsirables graves de mdicaments

    tat des lieux & Recommandations version 1.0

    Note de synthse conjointe Fvrier 2015

  • SOMMAIRE

    RESUME 3

    PREAMBULE - EFFETS INDESIRABLES : LA FACE CACHEE DES MEDICAMENTS 4

    PARTIE 1 - DEMANDER LA RECONNAISSANCE DES PREJUDICES SUBIS : LES ELEMENTS-CLES DU CADRE JURIDIQUE DANS LUNION EUROPEENNE 6

    Agir avant que laction ne soit plus recevable 6

    Dmontrer lexistence dun dommage et limputabilit mdicamenteuse 6 Dmontrer la prise dun mdicament 6 Dmontrer lexistence dun dommage 6 Difficile dmonstration de limputabilit scientifique du dommage au mdicament 7 Prsomptions graves, prcises et concordantes : en France, apprciation souveraine du juge 7 En Allemagne, fragile prsomption de causalit du mdicament 7

    Rechercher une responsabilit 8 Responsabilit pour faute des firmes : rarement applicable 8 Responsabilit sans faute des firmes : ncessaire dmonstration de la dfectuosit du mdicament 8 Responsabilit dun professionnel de sant pour faute_: une option par dfaut pour les victimes ? 9 Responsabilit dun tablissement de sant : obligation de scurit ; ingalit de traitement selon le statut public ou priv de ltablissement 9 Responsabilit dune autorit sanitaire : responsabilit de ltat engage 10 Absence de responsable : difficile indemnisation par la solidarit 10

    PARTIE 2 - EN PRATIQUE, DEUX VOIES DACTION POUR LES VICTIMES 14 La voie du contentieux : longue, coteuse et prouvante 14

    Le procs au civil 14 Le cas particulier des actions de groupe 14 Le procs au pnal 15

    La voie dite "amiable" : souvent une impasse pour les victimes de mdicaments 17

    Un seuil de gravit lev 17 Une expertise avec de grandes variations dans lvaluation de limputabilit 17 Des avis non contraignants 18 Des prjudices souvent sous-valus 18

    En conclusion 19

    PARTIE 3 - NOS RECOMMANDATIONS CONCRETES DAMELIORATIONS 22

    1. Amliorer lindemnisation des victimes 22 1.1. Faire voluer le droit europen 22 1.2. Faire voluer le droit franais 24 1.3. Recommandations spcifiques 29

    2. Prvenir la survenue deffets indsirables mdicamenteux 30

    ANNEXES 32 Annexe 1 : Liste des premiers co-signataires et contributeurs 33 Annexe 2 : Liste rcapitulative de nos recommandations 34 Annexe 3 : Rgimes amiables dindemnisation des accidents mdicaux non-fautifs 36 Annexe 4 : Diffrents modles dactions de groupe selon les pays 37 Annexe 5 : lments de prise en charge financire des accidents mdicaux en France 38

    EXTRAITS DE NOTRE RECHERCHE DOCUMENTAIRE 40

  • Victimes deffets indsirables graves de mdicaments : tat des lieux & Recommandations

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    Rsum

    En Europe, les victimes deffets indsirables graves de mdicaments qui souhaitent obtenir rparation des prjudices subis sont confrontes un parcours dpreuves plus insurmontables les unes que les autres.

    Afin dobtenir rparation, les victimes doivent :

    o agir avant que leur action ne soit plus recevable ;

    o dmontrer le lien de causalit entre une prise de mdicament et la survenue de leffet indsirable lorigine du dommage (alias imputabilit) ;

    o rechercher une responsabilit.

    Depuis l'application d'une directive europenne de 1985 relative aux produits dfectueux (transpose en France en 1998), les firmes pharmaceutiques n'ont plus d'obligation de scurit de rsultat vis--vis des patients. En l'absence de faute ou quand le produit est considr comme non dfectueux (l'effet indsirable figurait dans la notice), ce qui reprsente la grande majorit des cas, les firmes ne sont pas considres comme responsables.

    En pratique, dans les tats membres de lUnion europenne qui ont mis en place une procdure de rglement amiable des litiges relatifs aux accidents mdicaux, dont la France fait partie, deux voies daction sont possibles pour les victimes :

    o Si la responsabilit dune firme ou dun professionnel de sant est engage, la victime pourra engager soit une procdure contentieuse devant les tribunaux, celle-ci tant souvent longue, coteuse et prouvante ; soit une procdure "amiable" devant le mcanisme dindemnisation national ;

    o En labsence de responsabilit pour faute ou lorsque la responsabilit d'un producteur d'un produit de sant l'origine d'un dommage ne peut pas tre engage (produit non dfectueux, exonration par le risque de dveloppement, prescription de laction), alors la victime pourra se tourner vers le mcanisme dindemnisation national et la solidarit nationale, lOffice national dindemnisation des accidents mdicaux (ONIAM) peut tre amene indemniser la victime en France.

    Le systme franais dindemnisation amiable par lONIAM, mis en place par la loi Kouchner de 2002 relative aux "droits des malades", a t une avance importante pour les victimes dinfections nosocomiales et daccidents mdicaux hors affection iatrogne.

    Cependant, il nest pas adapt aux victimes deffets indsirables graves de mdicaments (alias alas thrapeutiques) qui ont notamment les plus grandes difficults :

    o dmontrer limputabilit du mdicament dans la survenue dun effet indsirable, avec de trs grandes variations dinterprtation entre les Commissions de conciliation et dindemnisation (CCI) et selon les rapports dexpertise tablis_;

    o dmontrer latteinte du seuil de gravit lev requis pour tre indemnis.

    De plus, la date dadministration du traitement en cause, qui doit tre postrieure au 4 septembre 2001, exclut arbitrairement de nombreuses victimes.

    Une meilleure reconnaissance des victimes de mdicaments contribuerait pourtant davantage responsabiliser lensemble des acteurs de sant (notamment les firmes pharmaceutiques, les soignants, et les autorits sanitaires), et par consquent une amlioration de la qualit des soins.

    Aprs avoir prsent ltat des lieux de la situation des victimes deffets indsirables graves de mdicaments, cette note de synthse sintresse aux moyens damliorer la situation des victimes.

    Nos recommandations concrtes sorganisent en 2 objectifs :

    o amliorer la reconnaissance et lindemnisation des victimes ;

    o prvenir la survenue deffets indsirables mdicamenteux.

    En France, dans le cadre de la loi de sant publique en discussion en 2015, la modification de quelques dispositions du Code de la sant publique permettrait de prolonger et complter les avances accomplies en matire dindemnisation des usagers du systme de sant par la loi du 4 mars 2002 :

    o les actions de groupe en sant rendraient la voie contentieuse plus accessible aux victimes ;

    o tandis que la cration dun fonds dindemnisation "produit de sant" spcifique, notamment financ par les firmes pharmaceutiques et dont la gestion serait confie lONIAM, permettrait aux victimes deffets indsirables graves de mdicaments dtre indemnises de leurs prjudices en l'absence de responsabilit du producteur. Cette option a dj t retenue dans plusieurs pays, dont le Japon et Tawan, et est compatible avec la rglementation europenne (pas de modification de fond du droit de la responsabilit).

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    Prambule - Effets indsirables : la face cache des mdicaments

    Avertissement :

    En France, un accident mdical est dfini par la loi de 2002 relative aux droits des malades comme [] un vnement indsirable survenu dans le cadre dune activit de soins, de prvention ou de diagnostic [] et comprend notamment :

    - les infections nosocomiales ; - les affections iatrognes (dont les effets indsirables mdicamenteux font partie) ; - les dommages imputables une activit de recherche biomdicale.

    En France, notamment grce la loi relative aux droits des malades adopte en 2002 (dite Loi Kouchner), les victimes dinfections nosocomiales et les victimes de dommages imputables une activit de recherche biomdicale bnficient dun rgime de responsabilit spcifique plus favorable que celui qui sapplique aux victimes daffections iatrognes.

    Cette note sintresse donc plus spcifiquement lindemnisation des victimes daffections iatrognes, et en particulier aux victimes deffets indsirables mdicamenteux. Des exemples permettent dillustrer le propos.

    Dans l'Union europenne, depuis 1965 (Directive europenne 65/65/CE), les firmes pharmaceutiques souhaitant commercialiser un mdicament doivent dmontrer son efficacit et tudier ses effets indsirables en ralisant des essais cliniques (1). Ces essais cliniques portent gnralement sur un petit nombre de patients pendant une dure courte (quelques semaines quelques mois) (2). Cest sur la base des donnes cliniques obtenues lors de ces essais que les agences du mdicament valuent si, pour une indication thrapeutique donne, la balance entre les bnfices (efficacit) et les risques (effets indsirables) du mdicament semble globalement favorable lchelle collective. Si oui, les agences dcident alors doctroyer la firme une autorisation de mise sur le march (AMM) pour son mdicament.

    Une pidmie silencieuse

    Selon la Commission europenne, les effets indsirables mdicamenteux sont la cause de milliers de morts par an et reprsentent au moins 5 % des hospitalisations dans lUnion europenne (3). En France, le nombre de morts causes par les mdicaments peut tre estim de lordre de 20 000 par an (4). Cest environ 6 fois plus que la mortalit routire (5). Au Royaume-Uni, selon une tude effectue en 2004, chaque anne, 250 000 personnes sont hospitalises en raison deffets indsirables de mdicaments, ce qui cote environ 550 millions deuros par an au systme de protection sociale (6).

    Un profil deffets indsirables incomplet au moment de la commercialisation

    Au moment de la mise sur le march dun mdicament, certains effets indsirables, les plus frquents, ont pu tre dtects dans les essais cliniques, et figurent alors souvent dans la notice destine aux patients.

    Dautres effets indsirables, plus rares mais parfois trs graves, ne sont dtects quune fois le mdicament largement commercialis, notamment grce aux remontes dinformations permises par les notifications spontanes de soignants et de patients auprs des autorits sanitaires dans le cadre de la pharmacovigilance. Cependant, il semble que seulement de 1 5 % des effets indsirables graves (cest--dire lorigine dun dcs ou ncessitant une hospitalisation) soient notifis, ce qui retarde la dtection de signaux de pharmacovigilance (a) (7).

    En France, environ 20 000 morts par an sont dus aux

    mdicaments

    a- Par exemple, en retenant lhypothse dune notification de 1 % des cas, un effet indsirable rare (cest--dire survenant chez 1 patient sur 1 000 patients traits) ne peut tre dtect que lorsquenvirons 100 000 patients ont t traits.

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    Quel cadre juridique pour la

    reconnaissance des prjudices subis ?

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    Partie 1 - Demander la reconnaissance des prjudices subis : les lments-cls du cadre juridique dans lUnion europenne

    Dans le cas des dommages corporels, la rparation se traduit en gnral par une indemnisation de la victime, cest--dire par le versement dune somme dargent correspondant lintgralit des prjudices par le responsable les ayant occasionns (voire dans certains cas, par la solidarit nationale ou des fonds de garantie financs par les assureurs (b)).

    En cas deffet indsirable grave li un mdicament, une victime peut vouloir demander rparation du dommage subi afin den compenser au mieux les consquences (amnagement de son domicile ou de son vhicule, impossibilit de continuer travailler, etc.).

    - Afin dobtenir rparation, la victime doit : - agir avant que son action ne soit plus recevable ; - dmontrer l'existence du dommage et dmontrer le

    lien de causalit entre ce dommage et le mdicament (alias imputabilit) ;

    - rechercher une responsabilit.

    Agir avant que laction ne soit plus recevable

    Dans tous les tats membres de lUnion europenne, la dure au-del de laquelle une action en justice contre une firme pharmaceutique nest plus recevable a t drastiquement rduite par ladoption de la directive europenne sur les produits dfectueux de 1985. Elle est dsormais de 3 ans pour agir compter de la connaissance du dommage, et ce dans les 10 ans partir du moment o le mdicament a t "mis en circulation" (c) (8). Avant lapplication de cette directive, en France, la

    b- En France, il existe lOffice National dIndemnisation des Accidents Mdicaux (ONIAM) mis en place par la loi relative aux droits des malades du 4 mars 2002 (dite "loi Kouchner") et financ par la Scurit sociale au titre de la solidarit nationale (lire pages 11).

    Il existe aussi le Fonds de Garantie des Assurances Obligatoires de dommages (FGAO), financ exclusivement par les assurs et les assureurs et plac sous la tutelle du Ministre de lconomie ; il gre notamment le Fonds de Garantie des Victimes des actes de Terrorisme et d'autres Infractions (FGTI), aliment par une contribution forfaitaire de 3,30 euros prleve sur chaque contrat d'assurance de biens souscrit auprs d'une entreprise oprant en France (le FGAO a remplac le Fonds de Garantie Automobile qui avait t cr ds 1951 et ses comptences ont progressivement t tendues) (ref. 49).

    c- Un produit est "mis en circulation" lorsque le producteur sen est dessaisi volontairement (article 1386-5 alina 1er du Code civil franais). Concernant les produits fabriqus en srie, la Cour de Cassation (Cass. 1re civ. 24 Janvier 2006, Bull. civ. I, n33) prcise que la date de mise en circulation correspond la date de dessaisissement de chaque exemplaire dans le circuit de production/vente. Pour les mdicaments, cela peut tre le moment o le mdicament quitte le site de production pour l'officine, voire le moment o le mdicament est vendu au patient lofficine ou en ligne.

    dure pour agir tait de 30 ans compter de la consolidation de ltat de sant suite au dommage (9).

    10 ans aprs la "mise en circulation" dun mdicament, le

    fabricant nen est plus responsable, mme sil est "dfectueux"

    Ces dlais raccourcis pour agir exonrent souvent les fabricants de leur responsabilit concernant les effets indsirables long terme de leurs mdicaments (effets tratognes, cancrognes, mdicaments lorigine de dtrioration dorganes). Ces effets surviennent en effet plusieurs dizaines dannes aprs que les patients y aient t exposs. La responsabilit des firmes pharmaceutiques sans faute ne peut alors plus tre recherche. Dans les tats membres o un mcanisme national dindemnisation est en place, ce sera alors ventuellement la solidarit nationale dindemniser les victimes reconnues comme telles (lire pages 10 et 11).

    Dmontrer lexistence dun dommage et limputabilit mdicamenteuse Sauf exception, cest sur la victime que repose la charge de la preuve. Elle doit dmontrer :

    - la prise dun mdicament ; - lexistence dun dommage ; - et que la prise du traitement est la cause du

    dommage subi (alias dmonstration de limputabilit du dommage au mdicament).

    Dmontrer la prise dun mdicament

    Les victimes doivent avant tout disposer dune preuve matrielle quelles ont consomm tel ou tel mdicament (document mdical ou administratif) (d).

    Dmontrer lexistence dun dommage

    Il est prfrable que lexistence dun dommage soit documente par un mdecin auprs duquel la victime doit solliciter un certificat mdical descriptif (e). Dans le cadre

    d- Par exemple : anciennes ordonnances, extraits de lordonnancier remis par leur pharmacien, relevs dtaills des remboursements effectus par leur assurance maladie complmentaire, conditionnement du mdicament et trace du paiement afin de dater la dlivrance en cas dautomdication.

    e- En France La fourniture dun certificat mdical dcrivant la nature prcise et la gravit [du] dommage est par exemple une condition de

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    de la procdure dindemnisation, quelle que soit la voie choisie (judiciaire ou extrajudiciaire), une expertise mdicale sera systmatiquement ralise afin dvaluer les dommages (lire pages 17 19).

    Difficile dmonstration de limputabilit scientifique du dommage au mdicament

    Lorsquil y a dj eu suffisamment de cas dun effet indsirable donn avec un mdicament donn (effet repr lors des essais cliniques ou grce aux notifications de pharmacovigilance), cet effet indsirable figurera souvent dans la notice du mdicament, ce qui facilitera la reconnaissance de limputabilit au mdicament de la survenue dun dommage. Mais la victime est tributaire de lefficacit du systme de pharmacovigilance et de leffort de recherche allou la dtection des risques, qui est infiniment moindre que celui allou la dmonstration des bnfices du mdicament.

    De plus, lorsque dautres causes peuvent aussi expliquer la survenue du dommage, la victime devra dmontrer que le dommage est bien li un effet indsirable du mdicament et pas ces autres causes (f).

    Si leffet indsirable ne figure pas dans la notice, limputabilit scientifique sera particulirement difficile dmontrer pour :

    - les victimes deffets indsirables trs rares, dont la sous-notification retarde la dtection (g) (9) ;

    - les premires victimes dun mdicament qui vient dtre commercialis ;

    - si le mdicament est retir du march aprs seulement quelques mois de commercialisation, ce qui ne permet pas un cumul de cas suffisant pour constituer un signal de pharmacovigilance.

    Prsomptions graves, prcises et concordantes : en France, apprciation souveraine du juge

    En France, en labsence de dmonstration scientifique formelle dun lien de causalit entre la survenue dun dommage et un mdicament, conformment larticle 1353 du Code civil, la victime doit sefforcer de soumettre

    recevabilit de la demande dindemnisation exige par les Commissions de Conciliation et dIndemnisation (rf. 17).

    f- Cest par exemple une difficult rencontre par les patients gs souffrant datteinte de leurs valves cardiaques suite la consommation de benfluorex (ex-Mediator ou autre) : ils se voient parfois opposer que leur ge peut tre responsable de leur tat, ce qui ne permet pas dimputer avec "certitude" latteinte de leurs valves cardiaques au benfluorex (rf. 50).

    g- Ce fut le cas des victimes du syndrome de Lyell qui avaient pris du ttrazpam (ex-Myolastan et ses copies), une benzodiazpine aux effets myorelaxants finalement retire du march europen en juillet 2013, aprs plus de 40 ans de commercialisation, en raison de la survenue de syndromes de Lyell et de Stevens-Johnson (rf. 51).

    au juge des lments de preuve lui permettant de retenir lexistence de prsomptions graves, prcises et concordantes permettant de dire que le lien causal entre la maladie et la prise du produit tait suffisamment tabli (alias dmonstration dimputabilit juridique) (9).

    Il sagit par exemple de justifier :

    - du lien temporel entre la prise dun mdicament et la survenue dune raction nocive ou dune maladie ;

    - dun bon tat de sant antrieur de la victime ; - de l'absence d'antcdents familiaux ou de

    labsence dautres facteurs de risque ; - voire de rapporter des signaux de

    pharmacovigilance qui, sils ne permettent pas daffirmer une imputabilit scientifique, contribuent tayer le faisceau dindices disposition du juge (h).

    Cependant, ces lments sont souvent difficiles rassembler pour la victime et son avocat, qui ne disposent pas de laccs aux donnes cliniques sur le mdicament, ni de lexpertise scientifique ncessaire leur interprtation. De plus, quelle que soit la qualit des informations apportes, la reconnaissance ou pas de lexistence de prsomptions graves, prcises et concordantes dpend de lapprciation souveraine du juge (9).

    En Allemagne, fragile prsomption de causalit du mdicament

    Suite au dsastre du thalidomide dans les annes 1960, lAllemagne a renforc sa rglementation sur le mdicament (i). Le mdicament ayant t reconnu comme dangereux par nature, les victimes bnficient dune prsomption de causalit : c'est la firme de dmontrer que le mdicament n'a pas caus le dommage (renversement de la charge de la preuve) (j).

    h- Par exemple, documents du dossier mdical du patient mentionnant le lien de causalit voqu par les praticiens, publication de rapports de cas (en anglais "case reports") dans des revues scientifiques, faisant tat de la survenue du mme effet indsirable avec le mme mdicament ou une substance du mme groupe pharmacologique.

    i- Commercialis en Allemagne ds 1957 sous le nom commercial Contergan par la firme allemande Grnenthal, le thalidomide a largement t utilis comme mdicament anti-nauseux chez les femmes enceintes. En Allemagne, qui reprsentait environ la moiti des parts de march pour ce mdicament, le thalidomide a t lorigine denviron 5 000 naissances denfants porteurs de graves malformations, avec notamment des membres atrophis ou manquants (rf. 47).

    j- Le considrant 13 de la directive 85/374/CEE prcise : dans la mesure o une protection efficace des consommateurs dans le secteur des produits pharmaceutiques est galement assure dans un tat membre par un rgime spcial de responsabilit, des actions bases sur ce rgime doivent galement rester possibles_. En se basant sur ce considrant, lAllemagne a russi prserver son rgime particulier pour risque des fabricants de produits pharmaceutiques issu de la loi allemande sur le mdicament du 24 aot 1976 (rf. 8).

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    Cependant, si la firme apporte la preuve que d'autres causes peuvent avoir t lorigine du dommage, cest alors la victime de dmontrer que le mdicament a bien t lorigine du dommage (k) (10). De plus, comme en France, en application de la directive europenne sur les produits dfectueux (lire page 11), les firmes peuvent tre exonres de leur responsabilit sans faute si elles peuvent dmontrer que l'tat des connaissances ne permettait pas de connatre l'existence des effets indsirables au moment de la mise en circulation [exonration de responsabilit sans faute des firmes par le risque de dveloppement] (8).

    Rechercher une responsabilit

    En droit, la responsabilit civile vise rparer les consquences dommageables du non-respect d'une obligation ou d'un devoir envers autrui. Dans la plupart des tats membres, si une personne est reconnue responsable des prjudices dune victime, cest cette personne ou son assureur dindemniser la victime.

    Pour tre indemnise, une victime deffets indsirables graves de mdicaments pourra tre amene chercher engager la responsabilit :

    - de la firme pharmaceutique commercialisant le mdicament ;

    - dun professionnel de sant (prescripteur ou dispensateur du mdicament) ou dun tablissement de sant (l) ;

    - voire dune autorit sanitaire ou de ltat quand la victime estime que cette autorit a failli sa mission de police sanitaire.

    Une responsabilit ne peut, en principe, tre engage quen cas de faute. Par exception, avec la directive europenne concernant la responsabilit du fait des produits dfectueux (directive 85/374/CEE) de 1985, en cas de dommage caus par un dfaut de son produit, la responsabilit dun fabricant peut tre engage mme en labsence de faute (alias responsabilit sans faute) (8). Cependant, si cette directive europenne relative aux produits dfectueux a pu constituer un progrs pour les biens de consommation courants, elle a constitu une

    k- Entre en vigueur en 1978, la "loi sur le mdicament" ("Arzneimittelgesetz") a prcis : Si un mdicament pour lequel une autorisation de mise sur le march a t octroye () a tu, caus des dommages corporels ou la sant d'un tre humain (), la firme pharmaceutique l'ayant mis en circulation est dans l'obligation d'indemniser la victime pour les dommages subis . Il est prcis que cette prsomption de causalit tombe si une autre cause peut tre l'origine du dommage (article 84(2) de la rf. 10, notre traduction).

    l- En cas de faute dun professionnel de sant exerant dans le cadre hospitalier public, le professionnel est cependant exonr de responsabilit personnelle lgard du patient sauf si la faute est considre comme "dtachable du service" La victime peut toutefois tre indemnise par l'assureur de l''tablissement au titre de la faute de service (rf. 28).

    rgression majeure en termes de protection des victimes de mdicaments dans la plupart des tats membres (lire page 12).

    De plus, suivant la date de survenue du dommage et les acteurs impliqus, la victime doit composer avec la multiplicit des rgimes applicables, pas toujours lisibles.

    Responsabilit pour faute des firmes : rarement applicable

    La faute du producteur est particulirement difficile prouver. Elle rside souvent dans une dissimulation prjudiciable d'information, voire dans une tromperie sur la qualit du produit utilis. Ce cas de figure est relativement rare. Le plus souvent, il n'y a pas de faute du producteur. L'mergence d'une action de groupe en sant pourrait cependant faciliter la rvlation de certains scandales sanitaires.

    Responsabilit sans faute des firmes : ncessaire dmonstration de la dfectuosit du mdicament

    Avant lapplication de la directive relative aux produits dfectueux, les mdicaments ntaient pas considrs comme des marchandises comme les autres. Dans la plupart des tats membres, les firmes avaient une obligation de scurit de rsultat vis--vis des patients (9). Par exemple, en France, pour engager la responsabilit dune firme, la victime ne devait dmontrer que le lien entre la prise du traitement et le dommage subi (imputabilit) et avait 30 ans pour agir (9).

    La directive europenne relative aux produits dfectueux a constitu

    une rgression majeure

    Avec lapplication de cette directive, pour engager la responsabilit sans faute du fabricant, la victime doit dsormais non seulement dmontrer limputabilit, mais aussi la dfectuosit du mdicament et le lien entre le dommage et ce dfaut (8). Or, selon la directive, un produit est dfectueux lorsquil noffre pas la scurit laquelle on peut lgitimement sattendre compte tenu () notamment de la prsentation du produit, de lusage qui peut en tre raisonnablement attendu et du moment de sa mise en circulation (8). Pour les mdicaments, cette dfinition signifie en pratique que ds lors quun effet indsirable donn est mentionn dans la notice, la survenue de cet effet ne permet plus de considrer le mdicament comme tant dfectueux (m,n) (8,9).

    m- Les notices sont ds lors devenues un "parapluie" juridique pour les firmes qui listent de nombreux effets indsirables afin de se prmunir

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    Si un effet indsirable donn est mentionn dans la notice, sa survenue ne permet pas de considrer le mdicament comme tant dfectueux

    Et mme lorsque le risque nest pas mentionn dans la notice, les fabricants peuvent encore sexonrer de toute responsabilit sils peuvent prouver que ltat des connaissances scientifiques et techniques au moment de la mise en circulation du produit (...) ne permettait pas de dceler lexistence du dfaut (alias exonration de responsabilit par le risque de dveloppement prvue par la directive relative aux produits dfectueux, transpose larticle 1386-11 du Code civil) (o) (8).

    En pratique, la seule possibilit pour la victime de dmontrer la fois limputabilit et la dfectuosit dun mdicament est que la notice nait pas encore t mise jour au moment de la survenue de leffet indsirable alors que ce dernier tait connu, par exemple :

    - notice obtenue entre le moment o le fabricant a signal la dcouverte dun nouvel effet indsirable aux autorits sanitaires et a propos de modifier la notice pour inclure cet effet indsirable et le moment o la notice est effectivement mise jour ;

    - effet indsirable prsent dans le Rsum des Caractristiques Produit (RCP) du mdicament mais pas dans la notice patient ;

    - ou en cas deffet indsirable dissimul par le fabricant (p).

    contre une mise en cause de leur responsabilit du fait dune dfectuosit de leurs mdicaments (rf. 9).

    n- La rglementation europenne relative aux dispositifs mdicaux en cours dadoption prvoit qu' une notice soit aussi remise aux patients. Cela constitue un progrs en termes dinformation des soignants et des patients mais pourra tre utilis par les fabricants pour viter une mise en cause de leur responsabilit pour dfectuosit de leur dispositif mdical.

    o- La transposition de cette disposition de la directive tait optionnelle et laisse lapprciation des tats membres. La plupart dentre eux, dont la France et lAllemagne, ont choisi de la transposer.

    p- Une victime et son avocat ont russi dmontrer que les effets indsirables risques daddiction aux jeux et dhypersexualit du mdicament antiparkinsonien Requip (ropinirole) taient connus de la firme mais non indiqus dans la notice. Le mdicament a t considr comme prsentant le caractre dun produit dfectueux , et la firme GlaxoSmithKline a t condamne indemniser la victime hauteur de 220 000 euros (rf. 52).

    Responsabilit dun professionnel de sant pour faute_: une option par dfaut pour les victimes ?

    La responsabilit dun professionnel de sant ne peut, en principe, tre engage que pour faute (article L. 1142-1 du Code de la sant publique). La responsabilit pour faute dun professionnel de sant est cependant souvent plus simple engager que la responsabilit sans faute du fabricant.

    Si le professionnel de sant exerce en libral, sa responsabilit personnelle est en effet engage. Il peut tre considr comme fautif ds lors quil na pas respect une obligation rsultant :

    - dun texte prcis (par exemple, lobligation dinformation sur les risques frquents ou graves normalement prvisibles qui a t raffirme par la loi franaise relative aux droits des malades de 2002) ;

    - dune obligation gnrale de moyens devant permettre dapporter des soins consciencieux, attentifs et conformes aux donnes acquises de la science au moment des faits (11).

    Il est plus facile dengager la responsabilit dun

    professionnel de sant que celle dun fabricant

    La responsabilit des professionnels de sant est engage pendant 10 ans compter de la consolidation des dommages (12). En France, depuis la loi relative aux droits des malades de 2002, les professionnels libraux (mdecins, sages-femmes, dentistes, etc.) ont lobligation de souscrire une assurance responsabilit civile pour pouvoir exercer. Pour engager la responsabilit dun professionnel de sant, la victime na pas montrer la dfectuosit du mdicament. Elle doit dmontrer le lien de causalit entre la faute et le dommage subi (q).

    Responsabilit dun tablissement de sant : obligation de scurit ; ingalit de traitement selon le statut public ou priv de ltablissement

    L_obligation de scurit laquelle est tenu tout fournisseur de produits de sant (article L. 1110-5 alina 3 du Code de la Sant Publique) permet parfois de droger au rgime de responsabilit du fait des produits dfectueux qui ne vise que le producteur (13). En pratique, la

    q- En cas de "dfaut dinformation", la victime devra par exemple prouver que, si elle avait connu le risque de lopration chirurgicale, elle laurait refuse afin dtre indemnise au titre de la perte de chance davoir pu viter le dommage dont elle est atteinte (la rparation ne sera pas intgrale en raison de lincertitude quant la dcision de refus). Elle peut en plus demander rparation du prjudice d'imprparation aux consquences d'un tel risque (rf. 53).

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    responsabilit fautive dun tablissement "utilisant" un produit de sant pourrait tre plus facilement engage en raison de son obligation de scurit, que la responsabilit sans faute dune firme pharmaceutique productrice de ce produit de sant. Cependant sur ce point, le Conseil d'Etat et la Cour de cassation ont des analyses divergentes. L'hpital peut tre responsable sans faute du fait des produits ou du matriels utiliss (r) alors que la Cour de cassation exige une faute pour les tablissements de soins privs (s).

    Par ailleurs, en France, une victime daccident mdical fautif dispose de 10 ans compter de la consolidation de son tat de sant pour agir devant une Commission de conciliation et dindemnisation (CCI) ou devant les juridictions de droit commun (tribunaux).

    Cependant, en cas daccident mdical fautif imputable un tablissement public, la victime ayant saisi ltablissement dune demande dindemnit dispose dun dlai de seulement deux mois compter de la notification de la dcision de rejet de ltablissement pour agir (saisie dune CCI ou procdure devant le tribunal administratif) (dlai de forclusion prvu aux articles R. 421-1 et R. 421-3 1 du code de justice administrative). Il faudra nanmoins que cette dcision contienne les lments suivants : dlais et voies de recours (dont la CCI). Ce dlai extrmement court instaure une ingalit de traitement entre les victimes daccidents mdicaux selon que laccident mdical est survenu au sein dun tablissement public de sant ou survenu au sein dun tablissement priv (14).

    Responsabilit dune autorit sanitaire : responsabilit de ltat engage

    Quand une victime estime quune autorit sanitaire a failli sa mission de police sanitaire (notamment en ne suspendant par lautorisation de mise sur le march ou en ne retirant pas du march un mdicament dont la balance bnfices-risques est devenue dfavorable en vertu de larticle L. 5311-1 du Code de la sant publique), elle peut rechercher la responsabilit de cette autorit conjointement avec celle de ltat (t).

    r- Le Conseil d'tat a jug que l'hpital, en tant qu'utilisateur des produits, tait tenu d'une responsabilit sans faute vis--vis dun patient chez lequel une prothse du genou dfectueuse avait t implante, et cela malgr la directive. En effet, l'utilisateur n'est pas dans le champ de la directive qui ne vise que le producteur (CE, 12 mars 2012, n 327449, Centre hospitalier universitaire de Besanon) (rf. 13)

    s- Cass. 1re civ., 12 juill. 2012, n 11-17.510. Sur cette question, L. Bloch "Produits de sant dfectueux : dsordre au sommet des ordres", Resp. cv. et assur. 2014, tude 1.

    t- noter : les produits mal conditionns / tiquets / conus, entrainant des erreurs (confusion de doses, erreurs dadministration), sont aussi des sources de dommages pour les patients. Les agences du mdicament accordent une importante insuffisante ces lments qui entrent pourtant dans leurs missions de protection des consommateurs,

    notamment au moment de loctroi des AMM.

    Cest ce quont fait, en France, dix-sept victimes du benfluorex (Mediator). Dans un jugement rendu le 3 juillet 2014 par le tribunal administratif de Paris, la responsabilit de ltat a par exemple t retenue en raison des fautes commises par l'agence du mdicament (maintien du mdicament sur le march aprs discussion de signalements deffets indsirables graves en commission nationale de pharmacovigilance, mconnaissance du principe de prcaution) (u). Ltat a t dclar responsable des consquences dommageables ventuelles pour Mme A de labsorption du Mdiator et une expertise mdicale a t ordonne avant de statuer sur les conclusions indemnitaires de la requte (15,16).

    Absence de responsable : difficile indemnisation par la solidarit

    Une responsabilit ne peut, en principe, tre engage que pour faute. Les mdicaments ntant pas considrs comme des marchandises comme les autres avant la directive relative aux produits dfectueux adopte en 1985, les victimes avaient cependant la possibilit dengager la responsabilit sans faute dun fabricant en invoquant son obligation de scurit de rsultat.

    Depuis lapplication de la directive relative aux produits dfectueux, le principe de responsabilit sans faute applicable aux firmes pharmaceutiques est le mme que celui des autres producteurs europens : leur responsabilit sans faute ne peut plus tre engage que lorsquun dommage un consommateur a t caus par un produit prsentant un dfaut (lire page 12).

    Les firmes sont trs souvent exonres de leur responsabilit

    Les firmes sont dsormais de fait trs souvent exonres de leur responsabilit sans faute (9). Des mcanismes dindemnisation nationaux ont donc t mis en place dans certains tats membres afin de permettre certaines victimes dtre quand mme indemnises dans les cas o elles peuvent prouver limputabilit de leur dommage un mdicament.

    a. "Alas thrapeutiques" : absence de responsable

    La solidarit nationale peut tre amene intervenir en cas deffets indsirables considrs comme des "alas thrapeutiques", cest--dire dans les cas o :

    u- La responsabilit de lagence franaise de scurit sanitaire des produits de sant na quant elle pas t retenue : les dcisions de retrait ou de suspension dautorisation de mise sur le march, si elles ressortent de la comptence de lAgence, sont prises au nom de lEtat dont la responsabilit peut seule tre engage raison dun exercice fautif par lagence de son pouvoir de police sanitaire (rf. 15).

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    - aucune responsabilit ne peut tre engage, par exemple : o limputabilit est tablie mais le mdicament

    nest pas considr comme dfectueux, ne permettant pas dengager la responsabilit sans faute de la firme ;

    o limputabilit est tablie mais le professionnel de sant na pas commis de faute, ne permettant pas dengager sa responsabilit fautive ;

    - la firme est exonre de sa responsabilit sans faute, par exemple dans les cas o : o le dlai pour agir contre le fabricant est

    dpass (plus de 3 ans aprs la connaissance du dommage ou plus de 10 ans aprs la mise en circulation) ;

    o la firme fait valoir que ltat des connaissances scientifiques et techniques, au moment o il a mis le produit en circulation, na pas permis de dceler lexistence du dfaut (exonration de la responsabilit sans faute de la firme par le risque de dveloppement) (8).

    En France, le dlai pour agir auprs du mcanisme dindemnisation national est de 10 ans aprs la consolidation du dommage.

    b. Possibilit de recourir au mcanisme national

    dindemnisation : condition de dmontrer limputabilit

    Plusieurs tats membres ont mis en place des mcanismes dindemnisation nationaux afin de permettre certaines victimes dtre indemnises mme en labsence de responsable (v).

    En France, cest lOffice national dIndemnisation des accidents mdicaux (ONIAM), mis en place par la loi relative aux droits des malades du 4 mars 2002 (dite "loi Kouchner"). Il sagit dun tablissement public administratif plac sous la tutelle du ministre charg de la sant et financ principalement par les organismes d'assurance maladie au titre de la solidarit nationale (w). Il sagit dun fonds dindemnisation de victimes daccidents mdicaux, cest--dire de dommages lis un acte de soins, de prvention ou de diagnostic (12,17).

    Lindemnisation par lONIAM nintervient en gnral que :

    - si une Commission de conciliation et dindemnisation (CCI) a donn un avis favorable la demande (lire pages 17 19 propos de la procdure dexpertise utilise dans le cadre de la

    v- Par exemple, au Danemark, le Ministre de la sant indemnise les victimes dalas thrapeutiques (rf. 54).

    w- La dotation globale fixe par la loi de financement de la scurit sociale pour 2014 a t de 138 millions deuros (rf. 55).

    voie amiable et des conditions de gravit qui doivent tre remplies) (x) ;

    - en cas dassignation directe de lONIAM devant les tribunaux par la victime, si le juge condamne lONIAM indemniser la victime (y).

    La dmonstration de la relation de cause effet entre un mdicament et un dommage, indispensable, reste un obstacle important pour la reconnaissance des prjudices de nombreuses victimes.

    c. En France, seulement pour les cas les plus graves et survenus aprs le 4 septembre 2001

    En France, laccs aux commissions de conciliation et dindemnisation (CCI), ainsi que la prise en charge par l'ONIAM, est rserv certaines victimes, dont les dommages doivent remplir lensemble des conditions suivantes (alias critres de recevabilit) :

    - tre directement imputables un acte de prvention, de diagnostic ou de soins, ou rsulter dune recherche biomdicale ;

    - avoir eu lieu aprs le 4 septembre 2001 (date dapplication du dcret mettant en place le mcanisme national dindemnisation) (article L. 1142-1 II du Code de la sant publique) ;

    - dpasser un seuil de gravit lev (lire page 17).

    Par ailleurs, la consolidation de ltat de sant de la victime doit tre intervenue depuis moins de dix ans (z) (17).

    x- Dans le cadre des rgimes spciaux dindemnisation (infections nosocomiales, recherche biomdicale, vaccinations obligatoires ou mesures sanitaires durgence, sang contamin, "vache folle", hormone de croissance, benfluorex), le recours se fait directement devant lONIAM, sans conditions dentre de seuil de gravit (lire en annexe 3 page 36).

    y- Cette pratique est de plus en plus frquente : entre 2011 et 2012, lONIAM a vu ses contentieux augmenter de 25 %. Il sagit pour les avocats des victimes dune stratgie de contournement du dispositif permettant dchapper au barme de lONIAM, infrieur aux indemnisations accords par les tribunaux (rf. 17).

    z- La date de la consolidation de ltat de sant (ou de laggravation) correspond la date o il est possible pour lexpert dsign par la Commission dapprcier un certain degr dincapacit permanente ralisant un prjudice dfinitif (rf. 17).

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    Responsabilit du fait des produits dfectueux (Directive 85/374/CEE) : rgression majeure de la protection des victimes de mdicaments

    La directive europenne relative au "rapprochement des dispositions lgislatives, rglementaires et administratives des tats membres en matire de responsabilit du fait des produits dfectueux" (Directive 85/374/CEE) a tabli un principe de responsabilit sans faute applicable aux producteurs europens.

    En application de cette directive, lorsquun produit prsentant un dfaut cause un dommage un consommateur, la responsabilit du producteur peut tre engage. Cette directive sapplique aussi bien aux lave-vaisselles quaux mdicaments (1). Elle a t transpose aux articles 1386-1 et suivants du Code civil par la loi de 1998 (2).

    Avec lapplication de cette directive, les victimes de mdicaments :

    ont perdu la possibilit dengager la responsabilit sans faute du fabricant comme elle pouvait le faire auparavant en invoquant son obligation de scurit de rsultat (3) ;

    ont vu drastiquement rduire la dure au-del de laquelle une action en justice contre une firme pharmaceutique nest plus recevable : 3 ans contre 30 ans auparavant en France (3) ;

    ne peuvent engager la responsabilit sans faute du fabricant en invoquant la dfectuosit du mdicament que dans les cas o leffet indsirable ne figure pas dans la

    notice (3). Or, si leffet indsirable ne figure pas dans la notice, la dmonstration de limputabilit sera trs difficile face une partie adverse disposant de lensemble des donnes relatives au "suivi de pharmacovigilance" de son mdicament, et qui aura intrt nier tout lien de causalit entre son mdicament et la survenue du dommage.

    De plus, mme si les victimes parviennent dmontrer la fois limputabilit et la dfectuosit dun mdicament, elles peuvent encore se voir opposer lexonration de responsabilit des firmes par le risque de dveloppement. Il suffit aux fabricants de faire valoir que ltat des connaissances scientifiques et techniques au moment de la mise en circulation du produit (...) ne permettait pas de dceler lexistence du dfaut (1,3).

    ____

    Rfrences :

    1- "Directive 85/374/CEE du Conseil, du 25 juillet 1985, relative au rapprochement des dispositions lgislatives, rglementaires et administratives des tats membres en matire de responsabilit du fait des produits dfectueux" version consolide (intgration des modifications (Directive 1999/34/CE) au texte de base). Site eur-lex.europa.eu consult le 4 avril 2014 : 8 pages.

    2- "Loi no 98-389 du 19 mai 1998 relative la responsabilit du fait des produits dfectueux" JORF n117 du 21 mai 1998 pages 7744-7746.

    3- Bloch L et Le Pallec S Plaidoyer pour les gueules casses du mdicament Revue Gnrale de Droit Mdical 2012 ; 3 (42) : 101-132.

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    En pratique, quelles voies daction pour les victimes ?

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    Partie 2 - En pratique, deux voies daction pour les victimes

    Le cadre juridique de lindemnisation des victimes deffets indsirables graves de mdicaments tant pos (lire la partie 1), il convient de sintresser aux voies daction auxquelles les victimes peuvent recourir en pratique.

    Si la responsabilit dune firme ou dun professionnel de sant est engage, la victime pourra engager une procdure contentieuse devant les tribunaux. En cas d"ala thrapeutique", cest--dire daccident mdical sans responsable, les victimes ont parfois la possibilit de recourir un mcanisme national dindemnisation.

    Certains tats membres ont aussi mis en place une procdure de rglement amiable des litiges relatifs aux accidents mdicaux. Les victimes peuvent alors avoir le choix entre deux voies daction qui ne sexcluent pas :

    - la voie du contentieux, alias procs, qui peut avoir lieu au civil ou plus rarement au pnal ;

    - la voie dite "amiable" (procdure extrajudiciaire).

    Dans les deux cas, la premire difficult laquelle est confronte la victime est lobtention de son dossier mdical (aa).

    La voie du contentieux : longue, coteuse et prouvante

    Une procdure devant les tribunaux est souvent :

    - longue (plusieurs annes) ; - trs coteuse (frais judiciaires, honoraires de

    lavocat, honoraires des experts accompagnant la victime quand lexpertise est contradictoire (de lordre de 2 000 euros), voire paiement des frais de justice engags par la partie adverse en cas de perte du procs) ;

    - une preuve psychologique lourde pour les victimes, qui sont confrontes au dni de la ralit de leurs dommages par la partie adverse.

    Par contre, les indemnisations sont globalement plus leves sur le terrain judiciaire que par la voie dite "amiable".

    Le procs au civil

    En cas de recherche de responsabilit dune firme pharmaceutique (bb) ou dune responsabilit pour faute

    aa- En France, le non-respect de lobligation faite aux professionnels et tablissements de sant de transmettre leur dossier mdical aux victimes (article L. 1111-7 CSP) ne faisant pas lobjet de sanction, plus de 10 ans aprs ladoption de la loi, les victimes et les experts des Commissions de conciliation et dindemnisation ont encore de grandes difficults obtenir une rponse (rfs. 18,26).

    dun professionnel de sant ou dun tablissement de sant, les procs ont gnral lieu au civil, cest--dire, en France, devant un tribunal de grande instance (ou un tribunal administratif en cas de procs contre un tablissement public de sant). Cest par exemple suite des procdures judiciaires au civil quune victime deffets indsirables dun mdicament antiparkinsonien et plusieurs victimes du DES ont pu tre indemnises (relire la note p page 9 et lire lencadr DES en page 16).

    Il est particulirement utile de consulter un mdecin de recours

    Lexprience dassociations de victimes montre quil est particulirement utile de consulter un mdecin de recours, form la rparation du dommage corporel, avant de sengager dans la voie contentieuse (18). Cest sur la base des constatations du mdecin de recours que lavocat de la victime pourra introduire laction en justice (assignation dune firme, dun professionnel ou dun tablissement de sant) ou tenter dobtenir un accord amiable.

    En cas daction en justice, la procdure se droule en deux phases :

    - linstance en rfr : lavocat saisit le juge des rfrs pour demander une expertise mdicale devant clairer le juge sur dventuels manquements et valuer les prjudices subis ;

    - puis la procdure au fond pour fixer les responsabilits et valuer le montant de lindemnisation.

    Lexpertise judiciaire doit respecter le principe du contradictoire, cest--dire que toutes les parties y sont prsentes et que le rapport est opposable tous. Quand laffaire parat prte tre juge, laffaire est renvoye devant le tribunal pour tre plaide. Le tribunal dlibre et rend un jugement qui clt le litige, sauf exercice dune voie de recours (appel, voire pourvoi en cassation) (19).

    Le cas particulier des actions de groupe

    Les actions de groupe, alias recours collectif, permettent des victimes caractrises par une grande similarit des situations de se regrouper. Ce regroupement

    bb- La responsabilit dune firme peut tre recherche (lire en partie_1) : - sans faute si la victime peut prouver que la dfectuosit du mdicament est la cause de son dommage ; - ou pour faute (par exemple, pour "manquement une obligation de vigilance", "mise en danger de la vie dautrui", "atteinte involontaire intgrit corporelle").

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    favorise la constitution de dossiers bien documents (partage des lments de preuve rassembls par les victimes), facilitant ainsi la procdure judiciaire. Il suffit par exemple dtablir une seule fois limputabilit du dommage un mdicament donn pour que tous les dossiers similaires bnficient dune prsomption de causalit (20).

    Dans le domaine de la sant, les actions de groupe sont possibles notamment aux tats-Unis, en Australie, au Brsil, au Canada (notamment au Qubec), en Isral, et dans certains tats membres de lUnion europenne, dont la Belgique, les Pays-Bas, le Portugal (lire en annexe 4 page 37). La firme commercialisant le rofcoxib (Vioxx) a ainsi t amene provisionner 5 milliards de dollars pour lindemnisation des victimes tatsuniennes (cc) (21).

    En France, un projet de loi de sant rendu public en octobre 2014 prvoit aussi une procdure daction de groupe pour la rparation des dommages causs par des produits de sant (22).

    Le procs au pnal

    En gnral, une procdure pnale est engage quand une victime recherche la sanction du responsable pour une faute particulirement grave (par exemple, empoisonnement, homicide involontaire ou blessures involontaires), ou dans les cas particulirement complexes o une enqute simpose (dd,ee) (23).

    Dans laffaire du Mediator, des poursuites ont par exemple t engages au pnal contre les responsables de la firme Servier pour tromperie, et cest dans le cadre du volet conflits dintrts de lenqute que deux responsables de lAgence franaise des produits de sant (Afssaps), Jean-Michel Alexandre et Eric Abadie, ont t mis en examen (24).

    Daprs des statistiques de compagnies dassurance, au pnal, dans le domaine de la sant, 7 plaintes sur 8

    cc- Le Vioxx est un anti-inflammatoire qui a finalement t retir du march en 20014 en raison dun risque accru dinfarctus du myocarde et daccidents vasculaires crbraux. Ses effets indsirables ont t dissimuls pendant plusieurs annes (rf. 45).

    dd- Contrairement au doit civil, qui porte sur les litiges entre personnes prives, le procs pnal est rpressif et implique la prsence dun accusateur (le procureur de la Rpublique), charg de reprsenter les intrts de la socit (action publique) (rf. 23).

    ee- Le juge dinstruction est dot de larges pouvoirs (procder des perquisitions et saisies, ordonner des expertises, etc.), quil dlgue en pratique la police judiciaire dans le cadre de commissions rogatoires. lissue de linstruction, si le juge estime quil existe des charges suffisantes lencontre du mis en examen, laffaire est envoye devant la juridiction de jugement. Dans le cas contraire, une ordonnance de non-lieu est rendue (rf. 23).

    aboutissent un classement sans suite, un non-lieu ou une relaxe (ff) (18).

    Depuis 2000, en cas de non-lieu, la victime peut quand mme exercer une action au civil afin dobtenir la rparation dun dommage en responsabilit civile (gg). Pour des raisons de "bonne justice", le juge civil attend par contre souvent pour se prononcer que le juge pnal ait statu. En cas de plainte pnale, la dure au procs au civil peut ainsi tre prolonge de plusieurs annes (18).

    Les firmes utilisent tous les recours possibles pour retarder

    leur condamnation

    ff- Si tout se droule en faveur de la victime, celle-ci doit sattendre _: une instruction longue, avec expertise, ventuellement contre-expertise et parfois la dsignation dun 3e expert ; une audience devant la Chambre dInstruction ; un pourvoi ventuel devant la Cour de Cassation ; un procs devant le Tribunal Correctionnel ; un procs devant la Cour dAppel ; ventuellement un nouveau pourvoi en Cassation avec, en cas de cassation de larrt rendu, un nouveau procs devant la Cour dAppel et un ventuel dernier pourvoi devant la Cour de Cassation (rf. 18).

    gg- La loi du 10 juillet 2000 a remplac le principe didentit de la faute pnale et de la faute civile par le principe de la dualit, rendant ces deux fautes indpendantes. La faute civile recouvrant un domaine plus large que la faute pnale, un dfendeur pourra, mme sil bnficie dune relaxe au plan pnal, tre condamn civilement des dommages et intrts (rf. 18).

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    Procs au civil : lexprience de victimes du DES

    Le dithylstilbestrol (DES), commercialis en France sous le nom Distilbne, a t prescrit pendant des dizaines dannes des femmes enceintes. On estime 200 000 le nombre de femmes enceintes ayant pris du DES entre 1948 et 1977.

    Les effets indsirables tratognes et cancrognes du DES impactent plusieurs gnrations, avec notamment des malformations de lappareil gnital des filles DES, exposes in utero au DES. Chez ces femmes, le DES peut, tre lorigine de strilit, de grossesses extra-utrines, de fausses couches. Les filles DES sont aussi exposes un risque accru dadno-carcinome cellules claires (cancer ACC) et de cancer du sein (1). En France, plus de 70 procs sont en cours ou ont t jugs (2).

    Pot de terre contre pot de fer. L'exprience des victimes du DES qui se sont engages dans des procs contre les firmes ayant commercialis le DES (UCB Pharma et Novartis) a mis en lumire la disproportion de moyens entre les victimes et les firmes. Les firmes utilisent tous les recours possibles pour retarder leur condamnation dfinitive. Les victimes sont ainsi confrontes une stratgie dpuisement, notamment financire (2).

    Plusieurs difficults majeures avec le DES. Ces dernires annes, les victimes du DES ont eu surmonter plusieurs difficults majeures, ce qui a permis des avances en termes de jurisprudence :

    - s'agissant d'une exposition in utero (c'est la mre qui a pris la substance, mais c'est sa fille qui a les prjudices), il a fallu rendre les procdures possibles en France en labsence de lien contractuel entre la firme et la fille plaignante ;

    - en raison des difficults retrouver danciennes ordonnances de leurs mres, il a fallu obtenir que des expertises puissent tre conduites sans apporter la preuve de l'exposition in utero au DES par un document contemporain de la grossesse dont la victime est issue (2,3,4) ;

    - pour mettre fin au renvoi de responsabilit dune firme vers lautre, il a fallu aussi obtenir que les deux firmes ayant commercialis la substance soient considres comme constituant, de fait, un groupe.

    Cela a conduit obtenir un renversement partiel de la charge de la preuve : ds lors que l'exposition in utero au DES est reconnue par les experts, et que le lien entre l'exposition et les dommages sont tablis, il appartient alors chacune des firmes de prouver que son mdicament n'est pas l'origine du dommage (2).

    Prouver la faute de la firme. Le 7 mars 2006, la Cour de cassation a mis un terme 15 ans de procdure en rejetant les pourvois d'UCB Pharma et en estimant qu'UBC Pharma avait manqu son obligation de vigilance , constatant que des doutes sur la nocivit du DES existaient avant 1971 et ds les annes 1953-54 (2). Depuis cet arrt ayant reconnu la responsabilit du laboratoire UCB Pharma, plusieurs jugements ont t rendus en faveur de victimes. Cependant, seules les atteintes les plus graves (cancers, strilit, handicap d'un "petit enfant DES") ont abouti une indemnisation, aprs des procdures trs longues (plus de 10 ans) en raison notamment de la contestation des jugements par les firmes (appel, cassation) (2).

    ____

    Rfrences :

    1- Mah V (Rseau D.E.S. France) et Chevallier S (Association Les Filles DES) "Tmoignages de victimes du Distilbne (DES) et de leur entourage" Slection ralise loccasion dune confrence-dbat ; janvier 2014 : 8 pages.

    (http://www.prescrire.org/Docu/Archive/docus/PiluledOr2014_Temoignages%20DES.pdf)

    2- Rseau D.E.S. France "Historique des procs" http://www.des-france.org/accueil/article.php?rubrique=21

    3- Tribunal de grande instance de Nanterre 2me Chambre "Jugement rendu le 22 mai 2014 N R.G. : 13/06010" : 11 pages.

    4- Association Les Filles DES "UCB Pharma a fait appel de la dcision victorieuse rendue dans le scandale du DES" communiqu de presse du 23 juillet 2014 : 1 page.

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    La voie dite "amiable" : souvent une impasse pour les victimes de mdicaments

    En France, une procdure de rglement amiable des litiges relatifs aux accidents mdicaux a t mise en place par la loi du 4 mars 2002. Ses objectifs taient de dsengorger les tribunaux et de faciliter les dmarches des victimes grce la gratuit de lexpertise mdicale (hh) et une dure relativement courte (environ 1 an (ii)) (17).

    Dans le cadre de la procdure "amiable", les victimes doivent dposer leur demande dindemnisation devant une Commission de Conciliation et dIndemnisation des accidents mdicaux (CCI) (25). La saisine des CCI interrompt le dlai de prescription.

    Les conditions pour avoir accs une CCI dans le cadre dune procdure dindemnisation amiable sont les mmes que pour demander lindemnisation dun ala thrapeutique par la solidarit nationale, notamment :

    - accident mdical survenu aprs le 4 septembre 2001,

    - seuil de gravit lev, - demande dans les dix ans aprs consolidation de

    ltat de sant ou de son aggravation.

    Nous dcrivons ci-dessous ces modalits de la procdure amiable, commune l'indemnisation d'un ala thrapeutique comme d'un dommage caus par un responsable identifi, en indiquant les particularits de chacune des 2 situations.

    Un seuil de gravit lev

    Pour quune demande dindemnisation soit considre comme recevable par une CCI, un seuil lev de gravit doit tre atteint. Les critres de gravit qui sont pris en compte sont (article D. 1142-1 du code de la sant publique) :

    - le dcs de la victime ; - le taux datteinte permanente lintgrit physique

    ou psychique (AIPP) qui doit tre suprieur 24 % ; - la dure de larrt temporaire des activits

    professionnelles ou la dure du dficit fonctionnel temporaire (DFT) suprieur 50 %, qui doivent tre au moins gales six mois conscutifs ou six mois non conscutifs sur une priode de douze mois.

    hh- Lorsquune victime bnficie dune indemnisation, les frais quelle a engag pour se faire assister sont pris en charge hauteur de 700 euros (rf. 15).

    ii- La Commission dispose de 6 mois pour rendre un avis. Une fois l'avis rendu, le payeur (assureur ou ONIAM) a 4 mois pour faire une offre et, si la victime accepte loffre, il a un mois pour payer (rf. 17,25).

    Et titre exceptionnel : - des troubles particulirement graves y compris

    dordre conomique dans les conditions dexistence ;

    - linaptitude dfinitive exercer lactivit professionnelle antrieure.

    En 2012 et en 2013, sur environ 6 000 demandes dindemnisation traites par les CCI, plus de la moiti ont fait lobjet dun rejet avant expertise (conclusion ngative sans expertise au fond), en majorit en raison dun seuil de gravit manifestement non atteint (26,27). En effet, le seuil de gravit a t fix pour ne retenir quune minorit de victimes, les plus gravement atteintes. Selon les statistiques des compagnies dassurance, moins de 10 % des victimes daccidents mdicaux ont accs aux CCI (28).

    Plus de la moiti des demandes font lobjet dun rejet avant expertise

    De plus, parmi les 3 000 demandes ayant fait lobjet dune expertise, encore 30 % ont fait lobjet dune conclusion ngative aprs expertise, fonde sur labsence de seuil de gravit suffisant (26,27).

    En cas dala thrapeutique indemnis par lONIAM, aux critres de gravit ncessaires la recevabilit des demandes par les CCI, sajoute un critre supplmentaire pour que la victime puisse tre indemnise (critre dindemnisation) : le dommage doit avoir eu pour le patient des consquences anormales au regard de son tat de sant comme de lvolution prvisible de celui-ci (17).

    Une expertise avec de grandes variations dans lvaluation de limputabilit

    Si la demande est juge recevable par la CCI (accident mdical survenu aprs le 4 septembre 2001, seuil de gravit lev atteint, demande effectue dans les 10 ans aprs consolidation de ltat de sant), le dossier est transmis un expert dune spcialit mdicale en relation avec les dommages corporels de la victime.

    Lexpertise est gratuite pour la victime (jj). La victime doit par contre financer ses frais de dplacement pour aller consulter lexpert, qui est souvent bas dans une autre

    jj- Les frais dexpertise sont pris en charge par la solidarit nationale au travers de lONIAM. En 2013, les honoraires de lexpert sont fixs forfaitairement 700 euros TTC, un barme inchang depuis 2006 (mais, depuis janvier 2014, soumis la TVA au taux de 20 % lorsque les recettes annuelles ralises en expertise sont suprieures 32 600 euros HT). Ces honoraires comprennent ltude du dossier et des pices, la prparation et la conduite de la runion dexpertise, lexamen clinique de la victime, la rdaction du rapport avec lanalyse mdico-lgale aprs des recherches documentaires et aprs plusieurs runions avec le co-expert (rf. 17).

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    rgion afin dviter trop de conflits dintrts, notamment dans les spcialits o les experts sont peu nombreux et connaissent bien la plupart de leurs confrres. Lexpert a de 3 4 mois pour rdiger son rapport aprs avoir tudi le dossier et examin la victime (en ralit, la dure moyenne des expertises est de 5 mois) (17).

    Lexpertise doit tre mene de manire contradictoire (chaque partie et lexpert doivent se communiquer leurs pices), mais le non-respect de cette exigence nest pas sanctionn. Lexpertise nest pas collgiale dans plus de la moiti des cas (kk). De plus, certaines CCI ont massivement recours des experts qui ne sont pas inscrits ni sur la liste des experts judiciaires, ni sur la liste nationale des experts en accidents mdicaux, ce qui peut soulever des doutes en termes dimpartialit et de conflits dintrts (ll).

    Cest sur la base du rapport dexpertise remis par lexpert la CCI que la CCI met un avis. Pour lanne 2011-2012, parmi les 3 018 demandes dindemnisation ayant fait lobjet dune expertise, les CCI ont estim quil ny avait pas lieu de proposer une indemnisation (avis de rejet) dans 55 % des cas, principalement pour absence de lien de causalit (45 % des rejets), avec de trs grandes variations selon les CCI dans lvaluation de lexistence dune causalit (26).

    Dans les cas o lavis de la CCI est favorable (avis de proposition dindemnisation), il sera soit_:

    - transmis lassureur du responsable (par exemple en cas par exemple daccident mdical fautif dun professionnel de sant ou de responsabilit dune firme sans faute du fait de son produit dfectueux). ;

    - soit lONIAM en cas dala thrapeutique (mm).

    Lassureur et lONIAM ont ensuite 4 mois pour faire une offre la victime qui, si elle laccepte, ne pourra plus demander dindemnisation des mmes prjudices dans le cadre dune procdure judiciaire (29).

    Des avis non contraignants

    Les avis des CCI tant non contraignants, lassureur ne fait dans certains cas pas de proposition dindemnisation la victime. Dans ce cas, il est prvu que lONIAM se substitue

    kk- Pour lanne 2011-2012, 51 % des expertises ont t ralises par un seul expert, nayant pas toujours de formation en rparation du dommage corporel (rf 26).

    ll- La CCI de Lyon-Sud a par exemple recours plus de 50 % dexperts qui ne sont inscrits sur aucune liste contre une moyenne de 13 % pour les autres CCI ; le taux de rejet de cette CCI est 62 % pour "absence de lien de causalit" avec lacte en cause, contre une moyenne de 25 % pour les autres CCI (rf. 26).

    mm- Pour donner un ordre de grandeur, suite aux 1 400 avis favorables de lanne 2011-2012 (comprenant aussi les infections nosocomiales et pas seulement les accidents mdicaux), le rgime dindemnisation retenu a t la responsabilit dans environ 60 % de cas, et la solidarit dans environ 40 % des cas (rf. 26).

    lassureur dfaillant et indemnise la victime, puis que lONIAM se retourne ensuite contre lassureur afin de se faire rembourser (recours subrogatoire) (17). Cependant, dans 10 % de ces cas, lONIAM refuse de se substituer lassureur du responsable dfaillant (par exemple, lorsque le droit lindemnisation de la victime lui semble contestable ou dans les cas o il craint ne pas russir se faire rembourser par lassureur (nn) (30)).

    Parmi les demandes faisant lobjet dune expertise, 55 % ne donnent

    pas lieu indemnisation

    Ainsi, mme en cas davis favorable des CCI, les victimes peuvent tre amenes engager une procdure devant les tribunaux (recours en contentieux contre le responsable voire contre lONIAM). Le plus souvent, l'expertise CCI nest pas suffisante aux yeux des tribunaux et est alors considre comme un simple renseignement. Les victimes devront alors en passer par de nouvelles expertises, plusieurs annes de procdure, etc.

    Des prjudices souvent sous-valus

    Avec la loi relative aux droits des malades de 2002, le lgislateur avait pos une exigence de rparation intgrale des prjudices par la voie amiable (12). Cependant, en pratique, si la victime russit engager la responsabilit dune firme ou dun professionnel de sant, lindemnisation ordonne par les tribunaux suite un procs est en gnral bien plus importante que celle verse dans le cadre de la voie amiable. Par exemple, dans le cas du vaccin antigrippal, les carts entre l'Oniam et les juridictions de droit commun seraient de 65 % (31).

    En 2012 et 2013, le montant moyen par dossier dindemnisation par lONIAM a t dun peu plus de 86 000 euros (lannexe 5 en pages 38 et 39 dtaille le rfrentiel utilis par lONIAM) (26,27). Avant versement aux victimes, les dpenses engages par des tiers payeurs (organismes de scurit sociale et de couvertures complmentaires) sont dduites de ce montant et leur sont rembourses directement (30).

    Lindemnisation ordonne par les tribunaux est bien plus

    importante que celle verse dans le cadre de la voie

    amiable

    nn- Il sagit dune adaptation de la politique publique conduite par lONIAM, partir de lanalyse de lchec de plusieurs de ses recours subrogatoires aprs substitution (rf. 30).

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    Les carts en termes dindemnisation selon la voie choisie sexpliquent notamment par le fait que certains postes dindemnisation comme celui relatif laide la dpendance intitul "tierce personne" (aide de vie, professionnels qui aideront la personne invalide dans son quotidien) est valoris environ 10 euros de lheure charges sociales comprises par lONIAM alors que le Smic horaire est plus de 9 euros de lheure, quand certains tribunaux civils indemnisent hauteur de 18 euros (ce poste de prjudice est de plus souvent vers en une fois, capitalis selon lge de la victime, aboutissant des carts dindemnisation de plusieurs dizaines de milliers deuros) (17).

    Si la victime trouve loffre de lONIAM ou de lassureur insuffisante, elle peut la refuser. Cependant, de 2005 2012, les recours en contentieux de la victime contre lONIAM ont chou dans plus de trois quarts des cas (30).

    En conclusion

    Trop souvent, le choix des victimes deffets indsirables graves de mdicaments se rsume :

    - ne pas tre indemnis par lassureur du fabricant : la voie de la responsabilit sans faute est le plus souvent bloque par la difficult dmontrer la dfectuosit du mdicament ; la voie de la responsabilit pour faute est trs difficile engager pour les victimes qui se heurtent la complexit des procdures et des expertises, et un cot financier lev (9) ;

    - ne pas tre indemnis par le mcanisme national dindemnisation (en France, lONIAM) : la voie de la solidarit est souvent bloque par la difficult de dmontrer limputabilit ou datteindre des seuils de gravit levs : 70 % des demandes naboutissent pas (17).

    tant donn que les dlais pour rechercher la responsabilit des firmes sont courts et que lindemnisation ordonne par les tribunaux est plus importante que celle verse dans le cadre de la procdure amiable, les victimes ayant les moyens davancer les frais d'un procs au civil pourront avoir intrt agir en premier lieu au civil contre la firme.

    Si la victime parvient dmontrer le lien de causalit entre le mdicament et la survenue de son dommage mais choue dmontrer la dfectuosit du mdicament, lONIAM pourra alors tre amen indemniser la victime sous rserve que le dommage soit suffisamment grave et soit survenu aprs le 4 septembre 2001, et condition davoir mis en cause lONIAM conjointement avec la firme ds le dbut de la procdure (oo).

    oo- Mettre la cause lONIAM permet de demander, en subsidiaire, une indemnisation au titre de la solidarit nationale ( dfaut, le rapport dexpertise ne serait pas opposable lONIAM).

    Moins de 2 % des indemnisations verses par

    lONIAM concernent des iatrognies mdicamenteuses

    Dominique Martin, ancien directeur de lONIAM

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    Lexprience des victimes de syndromes de Lyell et du benfluorex (Mediator) : pour les affections iatrognes, une volution de la voie amiable simpose

    Mme quand des tudes pidmiologiques sont disponibles, les experts mdicaux ont du mal utiliser des donnes probabilistes pour reconnaitre limputabilit dun mdicament dans la survenue dun dommage chez une victime donne (1,2). Syndromes de Lyell : moins de 2,5 % des victimes indemnises par lONIAM. Les squelles des syndromes de Lyell sont particulirement graves et limputabilit mdicamenteuse est facile tablir (ltiologie des Lyell est mdicamenteuse dans plus de 80 % des cas). Selon une tude ralise auprs dun chantillon de plus de 100 victimes, moins de 2,5 % dentre elles ont t indemnises par lONIAM depuis sa cration en 2002. Ce chiffre trs bas semble li une reconnaissance insuffisante de limputabilit (3).

    En 2007, une jeune victime de Lyell a ainsi vu sa demande rejete par la CCI, au motif que limputabilit du mdicament incrimin (immunostimulant Imocur) tait considre douteuse. En septembre 2005, lAgence franaise des produits de sant (Afssaps) avait pourtant retir ce mdicament du march pour balance bnfices-risques dfavorable, dans la mesure o leur efficacit nest pas tablie selon les critres actuels et o ils sont lorigine deffets indsirables rares mais parfois graves , notamment des syndromes de Lyell (4).

    Ce faible taux est aussi li une sous-estimation des squelles, par des experts qui ne connaissent pas bien la maladie et dont lvolution "nentre pas dans les cases" des barmes utiliss. Ainsi, malgr une acuit ou un champ visuel corrects, des douleurs, des photophobies intenses peuvent sinstaller dans un contexte de scheresse oculaire svre o la corne est constamment agresse et soumise des infections rcurrentes. Ces squelles oculaires empchent les survivants de syndromes de Lyell de pratiquer normalement nombre dactivits, voire de travailler (5,6).

    Mediator : un premier collge dexperts faisant bnficier le "doute" la firme. Plusieurs tudes pidmiologiques ont dmontr que limputabilit du benfluorex (Mediator) dans la survenue datteintes des valves cardiaques dpasse 75 % dans des cas prcis (1).

    Or, dbut dcembre 2012, sur 797 avis rendus, seulement 6 % taient des avis dindemnisation la charge des laboratoires Servier (6,7). Les victimes du Mediator bnficient pourtant de conditions plus favorables que les victimes dautres mdicaments (pas de seuil de gravit, indemnisation directe sans passer par les CCI).

    Les associations de victimes ont alors appel lintgration des donnes scientifiques disponibles par le collge dexperts afin dassurer une quit de traitement entre les dossiers (6).

    Selon le nouveau prsident du collge, un magistrat nomm dbut 2014, le collge avait fonctionn sur la ncessit dtablir un lien de causalit direct et certain () , faisant bnficier le moindre doute la firme et non aux victimes.

    Au 30 septembre 2014, environ 26 % du total des avis rendus ont t des avis dindemnisation la charge des laboratoires Servier. Depuis 2014, prs de la moiti des dossiers tudis ont donc pu tre indemniss, notamment par la prise en compte de prsomptions graves, prcises et concordantes par le nouveau collge (8,9).

    ___________

    Rfrences :

    1- Nicot P, Frachon I et Hill C propos de lexpertise des dossiers benfluorex (Mediator et gnriques) Presse Md 2013 ; 42 (4 Pt 1) : 411-418.

    2- Sassolas B et coll. "ALDEN, an algorithm for assessment of drug causality in Stevens-Johnson syndrome and toxic epidermal necrolysis: comparison with case-control analysis Clin Pharmacol Ther 2010 ; (88) : 60-68.

    3- Isvy A, Le Pallec S, Vincent R et Haddad C Toxidermies svres : patients ou victimes ? De lenqute aux donnes de loffice dindemnisation (ONIAM) Annales de Dermatologie et de Vnrologie 2013 ; 140 (12S1) Doi : 10.1016/j.annder.2013.09.127.

    4- Afssaps Point dinformation sur le retrait des mdicaments immunostimulants Septembre 2005. Site ansm.sante.fr consult le 9 janvier 2014 : 2 pages.

    5- Le Pallec S ""Gueules casses du mdicament : d'preuves en preuves" Intervention lors de la Pilule d'Or Prescrire ; 29 janvier 2014 : 4 pages + vido (14 minutes). Disponibles ici : http://www.prescrire.org/Fr/109/538/49135/3114/ReportDetails.aspx

    6- Association Amalyste "Les syndromes de Lyell et de Stevens-Johnson dcrits par ceux qui les ont vcus ou par leurs proches" Tmoignages rassembls loccasion de lintervention de Sophie Le Pallec_: page 5-8 du document disponible ici :

    www.prescrire.org/Docu/Archive/docus/PiluledOr2014_SOPHIE_LE_PALLEC.pdf.

    7- Michel de Pracontal "Mediator : le fonds d'indemnisation en panne" 6 dcembre 2012 http://www.mediapart.fr

    8- Favereau E "Mediator : une indemnisation des victimes plus favorable" Libration 27 janvier 2014 : 1 page.

    9- "Statistiques benfluorex au 30/09/2014" : 1 page.

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    Comment amliorer la situation ?

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    Partie 3 - Nos recommandations concrtes damliorations

    Lactuelle rglementation en matire de rgimes de responsabilit des effets indsirables mdicamenteux conduit accorder une quasi-immunit aux firmes pharmaceutiques.

    Ainsi, la prise en charge des effets indsirables mdicamenteux :

    est dplace vers la solidarit nationale pour les cas les plus graves si la victime remplit lensemble des conditions ncessaires, y compris en termes de date de survenue du dommage ;

    ou repose exclusivement sur les patients, voire sur les professionnels de sant quand les patients se retournent contre eux.

    Conscient des carences du dispositif actuel, le lgislateur a multipli les rgimes spciaux en transfrant la solidarit nationale lindemnisation dans certaines situations. Nous nous inspirerons notamment de ces rgimes spciaux pour faire certaines recommandations.

    Nos recommandations sorganisent selon 2 objectifs : 1. amliorer lindemnisation des victimes ; 2. prvenir la survenue deffets indsirables mdicamenteux.

    1. Amliorer lindemnisation des victimes

    Nos recommandations ncessitant un changement de la rglementation europenne sont signales par (EU). Celles pouvant tre mises en uvre en France sans attendre de changement europen sont signales par (F). Certaines recommandations sont particulirement pertinentes pour certaines victimes : elles sont alors signales par (Sp) pour spcifique, suivi du nom du mdicament ou de la pathologie (par exemple : (Sp DES) pour les victimes du DES ; ou (Sp Lyell) pour les victimes de syndromes de Lyell ou de Stevens-Johnson).

    1.1. Faire voluer le droit europen

    Une nouvelle rglementation europenne relative la rparation des prjudices des victimes deffets indsirables des produits de sant (mdicaments et dispositifs mdicaux) permettrait, en harmonisant les lgislations des tats membres, de mettre fin aux ingalits entre les citoyens europens et serait le juste pendant de la libre circulation des produits de sant.

    Recommandation 1 (EU) : Rtablir le rgime de la responsabilit contractuelle des firmes vis--vis des patients, avec obligation de scurit de rsultat en rvisant la directive europenne relative aux produits dfectueux (Directive 85/374/CEE) afin :

    soit dexclure les mdicaments de son champ dapplication (ce qui ncessiterait de modifier la dfinition dun produit (article 2 de la directive)) ;

    soit de mettre en place un rgime spcial de responsabilit, prcisant que les produits de sant relvent de la responsabilit sans faute des firmes vis--vis des patients avec obligation de scurit de rsultat (responsabilit du fait des produits de sant), et en mettant en uvre plusieurs mesures complmentaires (lire la recommandation 2).

    Justification :

    Face un effet indsirable grave dun mdicament, le premier responsable devrait tre la firme le commercialisant, dans le cadre dune obligation de scurit de rsultat envers les patients, comme ctait le cas avant lapplication de la Directive relative aux produits dfectueux de 1985.

    Si la survenue deffets indsirables graves engageait la responsabilit sans faute des firmes vis--vis des patients, elles seraient obliges de provisionner ce risque, ce qui aurait un effet autorgulateur. En effet, le ncessaire provisionnement de ce risque contribuerait dissuader les firmes de commercialiser des "mdicaments problmes" cest--dire :

    dont lefficacit nest pas dmontre alors quils peuvent avoir des effets indsirables dramatiques (ctait par exemple le cas du benfluorex (ex-Mediator), qui a pourtant t gnriqu avant dtre retir du march aprs plusieurs dizaines dannes de commercialisation (32) ; de l"immunostimulant" ex-Imocur, retir du march en raison de la survenue de syndromes de Lyell et Stevens-Johnson) (33) ;

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    dont la supriorit en termes d'efficacit sur dautres mdicaments dj commercialiss n'est pas tablie, alors quils prsentent davantage de risques deffets indsirables (cest par exemple le cas des hypoglycmiants tels que les gliptines et les glitazones, des contraceptifs oraux dits de 3e et 4e gnration, etc. ; ctait aussi le cas du rofcoxib (ex-Vioxx), etc.) (34).

    Recommandation 2 (EU) : Proposer une nouvelle directive europenne relative la rparation des prjudices des victimes deffets indsirables des produits de sant (mdicaments et dispositifs mdicaux), comme il existe dj des directives europennes relatives lindemnisation des victimes daccidents de la circulation. Cette nouvelle directive relative la rparation des prjudices des victimes deffets indsirables des produits de sant devrait non seulement rtablir le rgime de la responsabilit des firmes vis--vis des patients, avec obligation de scurit de rsultat (relire la recommandation 1), mais aussi :

    2.1. supprimer la possibilit de lexonration pour risque de dveloppement ; 2.2. ds lors que des prsomptions graves, prcises et concordantes existent, faire bnficier les victimes dune

    prsomption dimputabilit (renversement de la charge de la preuve) ; 2.3. allonger les dlais de prescription des actions en responsabilit contre le producteur : selon la date la plus favorable

    la victime, 30 ans aprs la mise en circulation du produit ou 10 ans aprs la consolidation du dommage ;

    2.4. mettre en place une procdure transfrontalire daction de groupe ; 2.5. clarifier la question de la responsabilit des fabricants de gnriques.

    Justification :

    Les directives europennes relatives lindemnisation des victimes daccidents de la circulation ont mis en place quatre organismes dans chaque tat membre : un fonds de garantie, un organisme d'indemnisation, un organisme d'information et un organisme central (35).

    Une nouvelle directive europenne relative la rparation des prjudices des victimes deffets indsirables des produits de sant permettrait de dvelopper des missions daccompagnement et dinformation des citoyens europens concernant leurs droits dans les diffrents tats membres, avec lide dune plus grande pdagogie des droits des usagers et dune convergence europenne vers les meilleures pratiques des diffrents tats membres.

    2.1. Supprimer la possibilit de lexonration par le risque de dveloppement :

    Lexonration de la responsabilit sans faute dun fabricant par le risque de dveloppement, cest--dire sil peut dmontrer que ltat des connaissances scientifiques et techniques au moment de la mise en circulation du produit (...) ne permettait pas de dceler lexistence du dfaut , tait une mesure optionnelle de la directive 85/374/CEE relative aux produits dfectueux. Les tats membres taient libres de la transposer ou pas, voire de rduire le champ d'application de cette exonration. Ainsi le lgislateur franais a prvu que pour les produits issus du corps humain (sang par exemple), il n'tait pas possible d'invoquer cette dfense (article 1386-12 du Code civil).

    De plus, les fabricants de mdicaments tant les principaux producteurs de donnes scientifiques concernant leurs mdicaments, cette possibilit dexonration les encourage ne pas raliser dvaluation clinique suffisante ou ne pas publier leurs rsultats.

    2.2. Faire bnficier les victimes dune prsomption de causalit en cas de dommages lis un produit de sant :

    Ce renversement de la charge de la preuve permettrait de mettre fin lexigence dune preuve scientifique, difficile dmontrer pour les victimes. Cela reviendrait aussi admettre, comme en Allemagne, que les produits de sant prsentent par nature des risques. Si cest bien les patients qui en subissent les effets indsirables, il revient aux producteurs dassumer les risques des produits quils commercialisent ;

    2.3. Allonger les dlais de prescription des actions en responsabilit contre le producteur : Afin damliorer le "retour sur investissement" des firmes, les mdicaments sont commercialiss de plus en plus tt, conduisant une dtection parfois trs tardive de certains effets indsirables, surtout sil sagit deffets indsirables long terme (effets indsirables tratognes ou cancrognes) (36). Allonger les dlais de prescription des actions permettrait de contrebalancer cette volution.

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    2.4. Actions de groupe :

    Une procdure centralise et transfrontalire daction de groupe serait le juste pendant de la libre circulation des produits de sant et permettrait aux victimes de plusieurs tats membres de lUnion europenne de se regrouper. Le droit un recours effectif figure larticle 13 de la Convention europenne de sauvegarde des droits de lHomme (37).

    2.5. Clarifier la question de la responsabilit des fabricants de gnriques :

    Quand une victime deffet indsirable dun mdicament a consomm ce mdicament sous diffrentes prsentations (par exemple, pour le benfluorex, en ayant consomm le mdicament Mediator et ses gnriques), elle doit pouvoir tre indemnise par les fabricants concerns, considrs de fait comme un groupe, sans quon lui oppose limpossibilit didentifier le fabricant ayant produit le mdicament consomm (pp).

    Recommandation 3 (EU) : Rendre publiquement accessibles lensemble des lments permettant la victime dtayer limputabilit mdicamenteuse (essais cliniques, donnes de consommation, donnes de pharmacovigilance)

    Justification : Les donnes cliniques sont des donnes scientifiques : elles appartiennent au bien commun et, par principe, ne doivent pas tre considres comme commercialement confidentielles (38). Laccs public aux rsultats dtaills des essais cliniques et aux donnes de pharmacovigilance est indispensable afin de permettre aux soignants et aux patients de prendre des dcisions de soins claires, mais aussi pour tre en mesure dtayer et si possible de quantifier limputabilit dun mdicament dans la survenue dun effet indsirable grave.

    Recommandation 4 (EU) : Faire respecter le droit des patients-citoyens europens obtenir leur dossier mdical en exigeant des tats membres la mise en uvre de sanctions et pnalits financires dissuasives en cas de non-transmission des dossiers dans les dlais.

    Justification : Laccs des patients leur dossier mdical est dautant plus important dans un contexte de soins transfrontaliers et de mobilit accrue des citoyens europens.

    1.2. Faire voluer le droit franais

    Sans attendre la refonte du droit europen relatif aux rgimes de responsabilit, la France peut prolonger et complter les avances accomplies, en matire dindemnisation des usagers du systme de sant, par la loi du 4 mars 2002. En sinspirant des rgimes spciaux quelle a dj mis en place, notamment le dispositif de rglement amiable benfluorex financ par le fabricant, et en en tendant le principe lensemble des mdicaments et des fabricants selon leur profil de risque, la France pourrait contourner les dispositions particulirement dfavorables pour les victimes de la directive europenne relative aux produits dfectueux (Directive 85/374/CEE).

    Recommandation 5 (F) : Crer un fonds dindemnisation "produits de sant" spcifique, notamment financ par les firmes pharmaceutiques etdont la gestion sera confie lONIAM, permettant une prise en charge des prjudices des victimes lorsque la responsabilit d'un producteur d'un produit de sant l'origine d'un dommage ne peut pas tre engage (absence de faute, produit non dfectueux, exonration par le risque de dveloppement, prescription de laction), mais que le lien entre le traitement ou le dispositif mdical et ce dommage est acquis.

    pp- Si la firme produisant le Mediator tenait 80 % des parts de march sur la dure pendant laquelle la victime a consomm du benfluorex et les gnriqueurs 20 % du march, 80 % de lindemnisation pourrait par exemple tre due par la firme produisant le Mediator et 20 % de lindemnisation par les gnriqueurs.

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    La solidarit nationale (l'ONIAM) ne prendra en charge que les personnes souffrant d'un dficit fonctionnel permanent (DFP) (qq) (sans seuil minimal) permettant dcarter les effets indsirables non graves, et le critre de trouble particulirement grave dans les conditions dexistence permettra dadapter le dispositif certains cas particuliers graves (rr).

    Le seuil de gravit habituel pour la prise en charge des accidents mdicaux non fautifs (ss), ainsi que la condition d'an