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https://TheVirtualLibrary.org Vie de Henri Brulard Stendhal Tome Premier Librairie Ancienne Honoré et Édouard Champion, Paris, 1913

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ViedeHenriBrulardStendhal

TomePremier

LibrairieAncienneHonoréetÉdouardChampion,Paris,1913

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NOTEDEL’ÉDITEUR

Nous tentons pour la première fois de donner au public lettré lesœuvres complètes deStendhal.L’éditionpubliéeparMM.Calmann-Lévy,envolumesd’aspectsetdeméritesdivers,n’estpascomplèteetnerépondpasauxexigencesdelacritiquemoderne,encorequ’elleaitrendudegrandsservices,quelanoticedeMérimée,notamment,placéeàlatêtede la Correspondance ait été longtemps le seul guide des Stendhaliens, et que lapublicationrécenteduJournald’ItalieparM.Arbeletsoitunmodèledesagaceérudition.Les ouvrages posthumes sont dispersés chez différents libraires ou dans des revuesquelquefois peu accessibles; plusieurs sont épuisés ou demeurent introuvables. Rien deplus difficile à constituer qu’une collection des œuvres de Stendhal comme celle qu’aréunie,ausiègeduStendhal-Club,l’archivistezéléetobligeant,M.Paupe.

Sil’onsongeàl’influencedeStendhalsurlesespritslesplusnotoiresdenotregénération,sil’onréfléchitàlasubstancedesonœuvre,onrestesurprisqueledesseind’endonnerune édition complèten’ait tenté aucundenosgrands libraires si audacieux et si avisés.Sans doute ils ont jugé l’entreprise trop malaisée. Stendhal semble avoir pris plaisir àdéroutersesfuturséditeursparl’énigmedesonécriture,desessignesparticuliers,desonlangageconventionnel.Ils’envelopped’ombreetdemystère.Ilfautd’abordl’avoirbienprié,oubienmaltraité,pourqu’ilsedévoile.Etc’estainsiquem’aété laissé lesoindel’éditeur.

StendhalavaitléguésonmanuscritdeBrulardauplusâgédeslibrairesdeLondresetdontle nom commençait par unC.; ce sera le plus jeune des libraires de Paris dont le nomcommenceparunC.quirecueillerapieusementsonlegs.

Unéruditplusqualifiéavaitacceptédedirigernotreentrepriseetdemeneràbiencettelourde tâche. Il savait toutdeStendhal etn’ignorait riendeBeyle. J’ainomméCasimirStryienski, trop tôt enlevé aux lettres et aux études historiques. J’avais jugé naturel etnécessairedeluioffrirladirectiondecetteœuvre,ill’avaitacceptéedansdestermesdontje reste encore confus, mais je ne fus pas moins surpris de sa retraite quand je luidemandai de revoir les textes sur lesmanuscrits de Stendhal qui sont parvenus jusqu’ànous. «Toute réflexion faite, je ne puis me charger de ce grand labeur. Cette éditioncomplète de Stendhal représente un travail considérable: recherches, correctionsd’épreuves,contrôlesdivers.Toutcelaestau-dessusdemesforces.Ilyadixansj’auraisaccepté.J’ai,dureste,destravauxnombreuxenvuequimesuffisent,etjeconsidèrematâchestendhaliennecommefinie.Quelesautresprofitentdetoutcequej’aipublié…Ilvasansdirequejeresteàladispositiondevoscollaborateursetquejeseraitrèsheureuxdeleur donner des conseils…» (19 février 1912).—«Je comprends votre insistance trèsaimable.Jevoisbien,aupointoùj’ensuis,quelprofitvousretireriezdemonnom,maispermettez-moidevousconfesserquej’aimieuxàfaireàmonâge…»(20février1912).Ils’était cependant «ravisé pour un unique volume (Brulard)», «le premier des œuvres

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complètes»,mais ce projet fut définitivement abandonné quand j’exprimaisma volontéabsoluedecorrigerlesépreuvessurlemanuscritconservéàlaBibliothèquedeGrenobleet d’y relever les variantes et les inédits. N’est-ce pas là un détail à noter au chapitreBrularddel’excellenteHistoiredesœuvres?

Jedevaiscesexplicationsauxnombreuxamisconnusouinconnusqui,aucourantdemesprojets,sesontétonnésdelapublicationenjuindernierd’unenouvelleéditiondelaViedeHenriBrulardàlalibrairiedemonexcellentconfrère,M.ÉmilePaul.SiC.Stryienskil’a rééditée, quelques jours seulement avant le tragique accident où il devait trouver lamort, alors qu’il n’ignorait rien demon projet, n’était-ce pas pour affirmer saméthoded’éditeur?Ill’avaitindiquéedèslapremièreédition:«FortdelapermissiondeBeyle,j’aireproduitpresqueentièrementletexte,mepermettanttoutefoisdesupprimerlesreditesetde couper quelques longueurs». «Toutefois», ajoutait-il, «j’ai fort peu profité de cettepermission, jesupposeque les lecteursnes’enplaindrontpas».LarééditionÉmilePaul(1912),presquetextuelle,saufquelquescorrections(dontl’une,proposéeparM.J.Bédier,acceptéesansvérification,n’estpasconfirméeparl’examendumanuscrit),affirmedoncundesseindéterminé:ellesoulèveunproblèmedeméthode,quiaicisonimportance.

M. PaulArbelet, l’un des plus savants et des plus compétents beylistes, a défendu paravancelamémoiredeceluiqu’ildésigneàjustetitrecommel’inventeurdeStendhal[1]:«Ilfallaitglaneretextraire:œuvrepersonnellequechacunentendàsafaçon,œuvredifficileoù l’onnesauraitcontenter tout lemonde,maisquiest ici inévitable.Et il fautadmirerStryienski si,dupremiercoup, il sut aller à l’essentiel…»Par l’effet demon éducationpeut-être,parscrupuledevéritéhistoriquecertainement,jenepuisacceptercettemanièrede voir.Dès qu’il s’agit d’une autobiographie, on doit tout publier. Le lecteur fera lui-mêmesonchoix.Autrementl’onrisquedetrahirl’auteur;etmêmelorsqu’ilvousinviteàles faire, les coupures ne sont pas légitimes, puisqu’il ne les a pas opérées lui-même.«Souviens-toi de teméfier», disait cet ami de Stendhal, ProsperMérimée, lemalicieuxauteur deH. B. Appliquons ici cet axiome. Qui jurerait qu’après la publication de cenouveauBrulard que voici, avec cent et quelques pages inédites, qu’après la nouvelleéditionduJournal et lapublicationdes tomesdédaignéspar lesprécédentséditeurs,unjugement comme celui de M. Paul Bourget, par exemple, ne serait pas à réviser? Etcertainement les biographies, celle de E. Rod, celle deM.Arthur Chuquet, pourtant sistudieuseet sibiendocumentée, lesétudesdeStryienski lui-même,sont toutesà revoir,commelesPageschoisiesdeM.Léautaudàcompléter.Nousnecroyonsdoncpasprudentdefaireuneœuvrepersonnelleenchoisissantlàoùl’auteurn’apasvoululefaire.Sinousnepublionspastoutdes72in-foliosmanuscritsdelaBibliothèquedeGrenoble,cesera—absolument d’accord avecM. P. Arbelet—pour éliminer les versions latines de l’élèveBeyleou lescopiesd’ouvragesexécutésdans l’ennuid’unconsulat. JenepublieraipascommedeStendhaldesfragmentsduDictionnairephilosophiquedeBayle,etj’éviteraiderééditer leCode civil, quand Henri Beyle s’est calmé à en copier les articles les plusconcis.

Voicileplandenotreédition.

EncequiconcernelesouvragesdeStendhaldontnousavonspuretrouverdesmanuscritsauthentiques dans les bibliothèques publiques ou privées, nous avons reproduitscrupuleusement la leçon de ces manuscrits. Quand les originaux ont disparu, nous

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suivons la dernière édition imprimée du vivant de l’auteur. Les variantes des éditionsprécédentesserontnotéesexactement,et,commenousl’avonsfaitpourBrulard,rejetéesàla fin, avec les notes. Celles-ci ne contiendront que l’essentiel. Chaque volume seraaccompagnéd’illustrationsdocumentairespropresàsituerl’œuvreetàl’éclairer.

Les époques de publication seront variables: il paraîtra par an environ quatre volumessuivant, autant que possible, un ordre logique et rationnel. AprèsBrulard, où Stendhalraconte sa jeunesse, suivront le Journal et lesSouvenirsd’égotisme, pour en finir avecl’autobiographie. Sans doute ne résisterons-nous pas au plaisir, avant de continuerl’édition des œuvres connues, de publier certains inédits. Il en est ainsi d’une séried’articlesécritsparStendhalsurlalittérature,lesbeaux-artsetlasociété.Imprimés,aprèstraduction, dans diverses revues anglaises, leMonthly Review, leLondonMagazine, laRevueBritannique,entre1820et1830,ilsontétéretrouvésettraduitsenfrançaisparMissDorisGunnell,maîtredeconférencesàl’universitédeLeeds,etsontcommelespreuvesdesontrèsutileouvrageStendhaletl’Angleterre.

Ils forment lamatièredequatrevolumesdemanuscrits in-folios, et feront l’objetd’unepublicationàlaquelleMissDorisGunnelletM.ÉmileHenriotontacceptédedonnerleurssoins,ensechargeantdemettreenordreetdeprésenteraupubliccesdocumentsinédits.

LesvolumespubliésduvivantdeStendhalparaîtrontdansl’ordredeleurpremièredatedepublication:ViesdeHaydn,MozartetMétastase;HistoiredelapeintureenItalie;Rome,Naples,Florence,etc.,etc.

Lacorrespondanceseraréservéepourlesderniersvolumes:chaquejourelles’augmente,et notre édition aidant, nos appels étant entendus, il ne restera plus bientôt, nousl’espérons, aucun trésor caché et nous pourrons enfin donner une édition complète desLettresdeBeyle.

Jesouhaiteaussique,certainesrichesarchivesprivéesm’étantouvertes,j’ypuissereleverdesannotationsmisesparl’auteurdelaChartreuseenmargedeseslectures.Aenjugerparcellesquiontétépubliéesdéjà,lamoindredesesremarquesadel’intérêt—etellesenprésententtoutespourl’histoiredelaformationintellectuelledeStendhal.

Letoutderniervolumeseraconsacréàunetablegénéraledesnomspropresdepersonnesetdelieux,réelsoufictifs,figurantdansl’œuvreentière.

EntretempsauraparuunebibliographiedeStendhal,dueàM.Cordier,lesavantmembrede l’Institut. C’est le complément indispensable de toute édition.M. Cordier a fait sespreuves d’érudition stendhalienne. En nous apportant tout de suite le résultat de sonexpérience et de ses recherches, en éclairant l’œuvre parfois cachée et mystérieuse deStendhal, enmettantde l’ordre etde la clartédans les travauxdesStendhaliens,depuisqu’ilyenaetquiécrivent,ilaurarenduuninappréciableservicetantànous-mêmesqu’ànos lecteurs. Une notice iconographique par M. Octave Uzanne, avec l’indication desgravures,dessins,tableaux,estégalementdansnotreprogramme.

Chacun de nos volumes sera présenté à l’aide de substantielles préfaces par l’élite desécrivainscontemporainsquenotreœuvreintéresseetquil’encouragent:CharlesMaurras(Rome, Naples, Florence); Rémy de Gourmont (De l’Amour); G. d’Annunzio(Promenades dans Rome); Henry Roujon (Mélanges d’Art), etc., pour n’en citer quequelques-uns et suivant l’ordre de publication.MM.Anatole France etMaurice Barrès

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nous ont promis leur précieux concours pour l’Abbesse de Castro et laChartreuse deParme. Notons ici que cette édition de la Chartreuse sera rendue nouvelle par lesappendicesoù seront relevés,d’après l’exemplaire siprécieuxde l’éruditgrenobloisM.Chaper, les corrections et additionsqu’y fitStendhal après le fameuxarticle deBalzac,quand il cherchait «le caractère de perfection, le cachet d’irréprochable beauté» que luiconseillaitledirecteurdelaRevueParisienne.

Le soin de mettre au point l’édition de Brulard, du Journal, de Lucien Leuwen, deNapoléonetengénéraldetouteslesœuvres,inéditesounon,complètesouébauchées,querenfermentlesmanuscritsdelaBibliothèquedeGrenoble,estéchuàM.HenryDebraye.Ancienélèvedel’Écoledeschartes,archivistedelavilledeGrenoble,M.Debrayes’estvoué entièrement à l’édification de ce monument des Œuvres complètes. L’écriturehiéroglyphiquedeStendhaln’aplusguèredesecretpourlui:tellepagedeBrulardouduJournaldemeuréejusqu’àprésentmystérieuse, il l’adéchiffréeavecunepatienceetunesagacité admirables, se défiant des interprétations de bon sens dont il faut souvent segarder en paléographie.Que l’on compare plutôt son édition et les précédentes!D’unepage deBrulard, écrite en hâte et sans chandelle, deux mots ont pourtant échappé audéchiffrement de M. Debraye—la page entière échappait d’ailleurs le lendemain àStendhal lui-même—nousavonsdécidéde la reproduireen fac-simile:bienque l’imagesoitlégèrementréduiteparlesexigencesdenotreformat,onpourras’amuseràententerlalecture.Etonapplaudiraviteàlascienceduparfaitpaléographequ’estHenryDebraye.

Ilm’est impossible de nommer à cette place toutes les personnes quim’ont encouragédans mon entreprise. Je tiens pourtant à remercier M. Élie-Joseph Bois, rédacteur auTemps,qui,lepremier,aannoncél’éditiondesŒuvrescomplètes;M.HenriWelschinger,qui a réalisé cemiracle de réconcilier Stendhal et l’Institut en lisant à l’Académie desSciencesmoralesdesinéditsensuiteinsérésdanslesProcès-verbauxofficiels:M.GeorgesCain, dont les Souvenirs stendhaliens (Figaro du 29 septembre 1912) me sontparticulièrementchers;M.A.Paupe,dontleconcoursincessantm’esttoujoursprécieuxetdontl’ouvragesouspresse,Vie littérairedeStendhal,Documents inédits,appendiceauxŒuvres complètes, sera bien souvent cité dans nos études préliminaires. M. GeorgesGrappes’estemployéamicalementpourBrulardcommesicetteœuvreétaitsienne.J’aiprofitédesconseilsdeM.MarioRoquesquemonprojetatoujoursintéressé.JedoisaussiunereconnaissancetouteparticulièreàM.Maignien,conservateurdelaBibliothèquedeGrenoble,àsesbibliothécairesetàsescommis.M.Paillart,l’obligeantmaître-imprimeur,asurveillépersonnellement,danssesateliersd’Abbeville,laconfectiondecetteédition,àquiM.Longuet,pard’admirablesphototypiesetM.Lafuma,parunimpérissablepapierpurchiffon,assurent,jepuisledire,l’immortalité.

EDOUARDCHAMPION.

16Février1913.

[1]CasimirStryienskietStendhal,RevueBleue,21septembre1912.

[p.xviii]

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[p.xix]

INTRODUCTION

LEMANUSCRITDELAVIEDEHENRIBRULARD

Une lettre de Henri Beyle annonçait, le 11 novembre 1832, au libraire parisienLevavasseur:«J’écrismaintenantun livrequipeut-êtreestunegrandesottise;c’estMesConfessions, au style près, comme Jean-Jacques Rousseau, avec plus de franchise.»Suivaitunplansommairedunouvelouvrage:«J’aicommencéparlacampagnedeRussieen1812…AcôtédelacampagnedeRussieetdelacourdel’Empereur,ilyalesamoursdel’auteur;c’estunbeaucontraste.»

Stendhal faisait-ilallusionàunepremière rédactiondesonautobiographie,qu’il intitulaplus tard laVie deHenriBrulard?—C’est possible,mais peu probable, nous le verronstoutàl’heure;entoutcas,rienn’estrestédecepremieressai.Aurait-ilétédétruitparsonauteur?Ceseraitbienextraordinaire,carBeylefuttoujourstrèssoucieuxdeconserverlamoindrepagedesesécrits.

Dès1832,cependant,Stendhalsepréoccupaitderaconterlesdifférentespéripétiesdesonexistence. Il écrivait, deCività-Vecchia, le 12 juin, à son amiDiFiore: «Quand je suisexiléici,j’écrisl’histoiredemonderniervoyageàParis,dejuin1821ànovembre1830.Jem’amuseàdécriretouteslesfaiblessesdel’animal;jenel’épargnenullement…»MaiscettehistoireporteletitredeSouvenirsd’Egotisme,ellen’ariendecommunaveclaViedeHenriBrulard.

En 1833, nouvelle tentative: le 15 février,Beyle commence lesMémoires deHenri B.,maisécritàpeinelesquelquespagesdupremierchapitredulivreI,quenousdonnonsenannexedelaprésenteédition.

Enfin, il se décida en 1835: le 23 novembre, il commençait son autobiographie, qu’ilappelaViedeHenriBrulard,etdontilécrivitsansdésemparerprèsdeneufcentspages.

Son idéede1832 lehantaitencore:Stendhaldébuteainsi:«Jeme trouvaiscematin,16octobre 1832…,» et affirme, quelques pages plus loin: «Je ne continue que le 23novembre 1835.» Fantaisie d’écrivain, car le premier feuillet porte bien la date du 23novembre 1835, et celle du 16 octobre 1831 (sic), mise en surcharge, a été ajoutéepostérieurement,lorsqueBeylearevusapremièrerédaction:lesmots:16octobre1831,etlescorrections,sontdelamêmeencre.

Lemanuscrit, tel que le possède laBibliothèquemunicipale deGrenoble, est formé detroisgrosvolumes,cotésR299,duformat300sur210millimètres,queBeylelui-mêmefitrelier,et,enoutre,dedeuxcahiers,l’uncomprisdanslecartoncôtéR300,l’autrereliéavecletomeXIIdelacollectionenvingt-huitvolumes,cotéeR5.896.Lestroisvolumesreliéscontiennentrespectivementlesfeuillets2[1]à248,249à500,et501à796;lafindel’ouvrage(fol.797à808)estdansletomeXIIdelacollectionR5.896;enfin,lecahierR300comprend(danscetordre)leschapitresXV,XIIIetVdelaprésenteédition.Lepapierest rugueux, de couleur verdâtre, sauf à partir du feuillet 708, dans un angle duquelStendhalanoté:«Nouveaupapier,achetéàCività-Vecchia.»

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Stendhaln’apaséconomisésonpapier: ilacouvertseulement lerectodesfeuillets,sonécritureest large, les lignessont trèsespacées.Mais il corrigeait souvent,ajoutaità sontexte, l’accompagnait de réflexions; aussi, en beaucoup d’endroits, les marges, lesinterlignes,leversodespagesontétéabondammentsurchargés.

Enfin, le texte lui-même ou bien le verso des feuillets est illustré de nombreux plans,dessinés à la diable, sans recherche des proportions ni de l’échelle, et cependant, engénéral,exactsdansl’ensemble.Onserappelle,envoyantcescroquisdemathématicien,queBeyleapréparél’Écolepolytechnique;ilsdénotentuntrèsgrandsoucideprécisionetpermettentaulecteurdecomprendresanspeineletexte[2].Ilslocalisent,biensouvent,lasituation exacte d’un évènement, et surtout d’une maison, d’un magasin. En plusieursendroits, la légendequi accompagne leplandeGrenoble en1793, annexéà laprésenteédition,aétéprécisée,aprèsvérification,aumoyendesdessinsdumanuscrit.

LaViedeHenriBrulardseprésentecommetrèshomogènedepenséeetdecomposition;elleaétéécrite,presquesansinterruption,entrele23novembre1835etle17mars1836,tantôtàRome,tantôtàCività-Vecchia.Stendhaloccupaittoussesmomentsdeloisiràsanouvelleœuvre,etenrédigeaitenmoyennedixpagesparjour,ouplutôt,commeilleditlui-mêmedans l’unedesnotesmarginalesde sonmanuscrit, «ordinairementdix-huit ouvingtpagespar jour et, les joursdecourrier, quatreoucinq,oupasdu tout».Au reste,«aucuntravaillesjoursdevoyageetlesoird’arrivée».

Le résultat de ce travail est du plus haut intérêt pour le biographe et le critique, nonseulementàcausedutextelui-même,maisaussiàcausedesnotesetdesobservationsqueStendhalaseméesdanslesmargesetauversodesfeuillets.Manuscritvivantentretous,oùl’auteurseraconteavectoute lasincéritédont ilestsusceptible,oùparfois ilse jugelui-même, où très souvent il met le lecteur au courant des plus petits faits de sa viejournalière; aussi, l’ouvrage est à la fois la synthèse de l’enfance et de la jeunesse deBeyle,etletableaudesonexistenceenItalie,ouplusexactementàRome,àlafinde1835etaucommencementde1836.

Cette autobiographie est certainement, de tous ses livres, celui queStendhal a composéavecleplusdeplaisir.Ildit,lepremierjour:«J’aifaitallumerdufeuetj’écrisceci,sansmentir, j’espère, sansme faire illusion, avec plaisir, comme une lettre à un ami.» Et ilajouteencore, le6avril1836,aprèsavoir rédigé ladernièrepage[3]:«Écrirecequi suitétaituneconsolation.»

C’estmêmeplusqueduplaisir,c’estdelapassion:àmesurequelessouvenirsreviennentenfoule,l’écritureseprécipite,demauvaisedevientparfoisénigmatique,surtoutlorsqueBeyle, emporté par son sujet, laisse tomber le jour et trace dans l’obscurité des signespresqueindéchiffrables.

Ilestfaciledeconstater,d’ailleurs,quelapassionl’entraîne.Audébut,Stendhalestrésoluà produire une œuvre bien écrite et bien composée. Puis, le chaos de ses souvenirsl’embarrasse,leflotdespenséesfaitbouillonnertumultueusementlestyle,quisecharged’incidentes,deparenthèses,deréflexionsquin’ontriendecommunaveclesujet,sibienquecetaveuéchappeàl’auteur:«Enrelisant,ilfaudraeffacer,oumettreàuneautreplace,lamoitiédecemanuscrit.»

LaViedeHenriBrulard,eneffet, tellequenous lapossédons,n’estqu’uneébauche,et

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uneébaucheinachevée.Ondiraitd’unlivreécritenvoyage;et,defait,c’estunpeucela:Beyle résidait lemoinspossibleausiègedesonconsulat, etpassait leplusclairde sontempsàRome;sonmanuscritfitdoncplusieursfoisletrajetdeRomeàCività-Vecchia.Etpuis,lenerveuxécrivainaccused’autrescauses:lesdevoirsdesachargedeconsul,qu’ilappelle dédaigneusement le «métier», ensuite le froid de l’hiver, et surtout l’ennui quil’accableaumilieudes«sauvages»d’Italie.Lui-mêmeexpliquecetétatd’espritdansunelonguenoteajoutéeàl’undescahiersdumanuscrit[4]:

«PourquoiRomem’estpesante.

«C’estquejen’aipasunesociété,lesoir,pourmedistrairedemesidéesdumatin.Quandje faisais un ouvrage à Paris, je travaillais jusqu’à étourdissement et impossibilité demarcher.Sixheures sonnant, il fallaitpourtantallerdîner…J’allaisdansunsalon; là, àmoinsqu’ilnefûtbienpiètre,j’étaisabsolumentdistraitdemontravaildumatin,aupointd’enavoiroubliémêmelesujetenrentrantchezmoi,àuneheure.

«VoilàcequimemanqueàRome:lasociétéestsilanguissante!…

«Toutcelanepeutmedistrairedemes idéesdumatin,de façonque,quand je reprendsmontravail, le lendemain,au lieud’êtrefraisetdélassé, jesuisabîmé,éreinté,et,aprèsquatreoucinqjoursdecettevie,jemedégoûtedemontravail,j’enairéellementusélesidéesenypensanttropcontinuement.JefaisunvoyagedequinzejoursàCività-VecchiaouàRavenne (1835,octobre);cet intervalleest trop long, j’aioubliémon travail.VoilàpourquoileChasseurvert[5]languit,voilàcequi,aveclemanquetotaldebonnemusique,medéplaîtdansRome.»

Stendhalréduisitcet inconvénientauminimumenneseséparantdesonmanuscritdansaucundesesdéplacements.CommencéeàRome le23novembre1835, laViedeHenriBrulardestcontinuéeàCività-Vecchiadu5au10décembre;àRomedenouveaudu13décembre 1835 au 7 février 1836; à Cività-Vecchia du 24 février au 17 mars, avecquelquescorrections, faitesàRome les22et23mars.EnfinStendhalen reste là: le26mars1836,dit-il,«annonceducongépourLutèce; l’imaginationvoleailleurs,ce travailenestinterrompu».Etilajouteavecmélancolie:«L’ennuiengourditl’esprit,tropéprouvéde 1832 à 1836,Rome.Ce travail, interrompu sans cesse par lemétier, se ressent sansdoutedecetengourdissement[6].»

Stendhalcependantcomptaitfairedesesconfessionsunvéritablelivre,ilécrivaitpourlapostérité.Lesnombreuxtestaments,oufragmentsdetestaments,qu’ilsèmeauhasarddesfeuillets,ensontlapreuve.Jeneveuxciterquelespluscaractéristiques.

L’unestdu24novembre1835:

«Testament.

«Je lègueetdonnecemanuscrit:ViedeHenriBrulard, etc., et tousceux relatifs àl’histoiredemavie,àM.AbrahamConstantin,chevalierdelaLégiond’honneur,et,s’il ne l’imprimepas, àM.AlphonseLevavasseur, libraire,placeVendôme, et, s’ilmeurt avant moi, je le lègue successivement à MM. Ladvocat, Fournier, Amyot,TreuteletWurtz,Didot,souslacondition:1°qu’avantd’imprimercemanuscrit, ilschangeronttouslesnomsdefemme:làoùj’aimisPaulineSirot,ilsmettrontAdèle

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Bonnet, et il suffit de prendre les noms de la prochaine liste[7], de changerabsolument tous les noms de femmes et de ne changer aucun nom d’homme.—Seconde condition: envoyer des exemplaires aux bibliothèques d’Édimbourg,Philadelphie,New-York,Mexico,Madrid etBrunswick.Changer tous les noms defemme,conditionsinequanon.

H.BEYLE[8].»

Ledeuxièmetestamentaétéécritmoinsd’unmoisaprès:

«Je lègue et donne le présent volume à M. le chevalier Abraham Constantin (deGenève), peintre sur porcelaine. SiM. Constantin ne l’a pas fait[p. xxviii] imprimerdans lesmille jours qui suivront celui demondécès, je lègue et donne ce volumesuccessivement à MM. Alphonse Levavasseur, libraire, n° 7, place Vendôme.PhilarèteChasles, hommede lettres,Henri Fournier, libraire, rue deSeine, Paulin,libraire,Delaunay,libraire,etsiaucundecesMessieursnetrouvesonintérêtàfaireimprimerdanslescinqansquisuivrontmondécès,jelaissecevolumeauplusâgédeslibraireshabitantdansLondresetdontlenomcommenceraparunC.

H.BEYLE.[9]»

Désireuxdelaisserunlivredignedelui,Stendhalavaiteusoucidelacomposition.Ileutcertainementl’intentiondereprendresapremièrerédactionpourdonneràl’ouvrageplusde cohésion, plus d’harmonie, pour rétablir enfin la chronologie un peu confuse deschapitresconsacrésàsonenfanceetàsapremièrejeunesse.

Ilvoulaitconsacreraumoinsdeuxvolumesàsonautobiographie;lapage249portecettenote:«Laisserlen°249àcettepageetallerainsijusqu’à1.000.»Etjetrouvesurlafeuillecontenant la tabledu troisième tomecettemention:«Chapitre42 [XLVIIde laprésenteédition]commenceralequatrièmevolume.»Or,decequatrièmevolume,Stendhalaécritàpeineunchapitre.

Ils’étaitégalementproposéd’établiruntextedéfinitif,puisqu’ilnoteàlapage783desonmanuscrit:«Aplacerailleursenrecopiant[10].»

Malheureusement, le ministre des Affaires étrangères accorda un congé au consul deFranceàCività-Vecchia;et,laissantlàsouvenirsetréflexions,BeylepartitpourParis.Soncongéseprolongeapendanttroisans.Auretour,laViedeHenriBrulardétaitoubliée,ellenefutjamaisachevée,nicorrigée.

Stendhalavait,avantd’écrire,dresséunplangénéraldesonautobiographie.Levoici,telqu’ilnousestparvenu:

«DIVISION.

Pourlaclarté,divisercetouvrageainsi:

LIVREPREMIER.

«DesanaissanceàlamortdemadameHenrietteGagnon.

LIVRESECOND.

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«Tyrannie Raillane (ainsi nommée non pour sa forme, mais pour ses effetspernicieux).

LIVRE3.

«LemaîtreDurand.

LIVRE4.

«L’Écolecentrale,lesmathématiquesjusqu’audépartpourParis,ennovembre1799.

«Diviserenchapitresdevingtpages.

«Plan:établirlesépoques,couvrirlatoile,puis,enrelisant,ajouterlessouvenirs,parexemple: 1° l’abbé Chélan;—2° je me révolte (l’ouvrier chapelier, journée desTuiles[11]).»

De ce plan si soigneusement établi, ne prévoyant cependant que la première partie del’ouvrage,Stendhaln’apu respecter lecadre.Sessouvenirsétaient,chronologiquement,tropconfus,etlenombredesépisodestropinégalpourchacundesquatrelivresprojetés:lesfaitsdutempsdela«tyrannieRaillane»etceuxdu«maîtreDurand»,parexemple,ontune importance bien différente. Aussi, en cours de rédaction, Stendhal ébauche-t-il unnouveauplan, le livre II devant commencer à sonpremier séjour àParis.Division sansdouteaussiprécairequelapremière,puisquel’auteurneprévoitpasunlivreIIIlorsqu’ilracontesondépartdeParisetsonvoyagejusqu’àMilan,àlasuitedel’arméederéserve.

Cette difficulté de proportionner à peu près également plusieurs livres, Stendhal laretrouvelorsqu’ils’agitdepartagerl’ouvrageenchapitres.Nousl’avonsvutoutàl’heureindiquerunedivision«enchapitresdevingtpages».Danslefait,cetteméthodeestàpeuprèsrespectée,maiselleaétéappliquéeaposteriori.LaViedeHenriBrulardaétéécritesanssoucidechapitresdivers,àpartquelquespériodesbiendéterminées,quiexigeaientunecoupurenetteouracontaientuneanecdotespéciale:lechapitreIII,oùcommencentlessouvenirsdeBeyle,lechapitreX,quinarreledébutdupréceptoratDurand,lechapitreXI,Amar et Merlinot, le chapitre XII, épisode du billet Gardon, le chapitre XIII, premiervoyage aux Échelles, le chapitre XIV, mort du pauvre Lambert, le chapitre XXXI,commencementdelapassionpourlesmathématiques,lechapitreXXXVI,Paris.Plusonva,moins la division est précise. Stendhal, emporté par la passion, jette ses souvenirs,pêle-mêle,surlepapier,aufuretàmesurequ’ilsluiviennentàl’esprit;puis,enrevoyantunepremièrefoissonébauche,ilintercale,devingtenvingtpagesenviron,unfeuilletbis;ce feuillet indique la séparation du chapitre, dont il reproduit généralement la premièrepage, ou seulement les premières lignes; enfin, ce premier travail une fois terminé, leschapitressontnumérotés.

Travail factice, on le voit, et que Stendhal considérait lui-même comme provisoire,puisqu’ilécrità lafindelatablequiterminelepremiervolume:«JelaisseleschapitresXIII et XIV pour les augmentations à faire à ces premiers temps. J’ai quarante pagesécritesàinsérer[12].»

Stendhaldoitcetteincertitudedansladivisionetdanslamiseenplacedecertainsdeseschapitresàl’inexactitudedesachronologie.Ilconnaîtmallesdatesauxquellestelsoutelsévénementssesontpassés.Ilenconvientàplusieursreprisesdanssontexte:«Ilfaudrait,

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dit-ilparexempledansunenote,acheterunplandeGrenobleetlecollerici.Faireprendreles extraits mortuaires de mes parents, ce qui me donnerait des dates, et l’extrait denaissancedemydearestmotheretdemonbongrand-père[13].»

Nous retrouvonspareille incertitudedans la divisionmatérielle des chapitres. J’enveuxseulementpourpreuveleschapitresXVetXVIIIdelaprésenteédition.

Stendhalavaitd’abordsongéà incorporer lechapitreXVauchapitreXVII: ilad’abordoccupé les feuillets 256 à 268, et le feuillet 255 fait précisément partie du chapitreXVII[14]. Ce feuillet, au[p. xxxiii] reste, se termine par cesmots, qui ont été rayés: «Mapauvremèredessinait fort…»,etd’autrepart l’ancien feuillet256continuaitainsi:«…bien,disait-ondanslafamille.»Puis,Stendhals’estravisé,ilasongéàplacerlechapitreXVaprèslechapitreXVI:ladernièrepagedecelui-ciestladeuxcentquarante-huitièmedumanuscrit, et notre chapitre XV porte une nouvelle numérotation 249 à 260. Enfin,l’auteur s’est rendu compte que ce passage ne pouvait convenir ni à l’une, ni à l’autreplace,etilaprislepartideleplacerailleurs,«afterthedeathofpoorLambert»,aprèslerécitdelamortdudomestiqueLambert,etd’enfaireunchapitrespécial.

Même difficulté pour le chapitre de «la première communion», le dix-huitième de laprésenteédition.Stendhall’avaitd’abordincorporéauchapitreX,«lemaîtreDurand»:lesdeux passages, en effet, portent lamêmedate, 10 décembre 1835, et l’un devait suivrel’autre,puisquelesdeuxpremiersfeuilletsduchapitreXVIIIontétéchiffrés168et169;puis un regret est venu, Beyle a continué son chapitre sans numéroter les pages et,incertain de la place définitive, il a inscrit dans son manuscrit deux mentionscontradictoires;entêteduchapitre,onlit:«AplaceraprèsAmaretMerlinot»,etd’autrepart,àlafinduchapitreXVII,aprèslefeuillet259,unenoteindique:«Firstcommunion,à 260.» C’est la place que j’ai choisie, et c’est bien celle que lui attribuait Stendhal,puisqu’ilalaissésanslesnuméroterlesfeuillets260à273,entrelesquelsilafaitrelieretle récitdesapremièrecommunionetcehors-d’œuvre intitulé:«EncyclopédieduXIXe

siècle»,quej’airejetéparmilesannexes[15].

La Vie de Henri Brulard, telle qu’elle nous est parvenue, est donc une ébauche, unamoncellement de matériaux ramassés en vue de la construction d’une œuvre plusparfaite. Stendhal n’a exécuté qu’une partie du plan qu’il s’était tracé: il a «établi lesépoques», ila«couvert la toile»,niais iln’apu«enrelisantajouter lessouvenirs»,ou,plusexactement,touslessouvenirs.Lavaleurlittérairedel’ouvrageyperdpeut-être,maisde quels avantages cette perte légère est-elle compensée! Nous y trouvons d’abord unStendhalsincère,ou,plusexactement,aussisincèrequ’ilpeutl’être,carilditlui-même:«Jen’aipasgrandeconfiance,aufond,dans tous les jugementsdont j’ai rempli les536pagesprécédentes.Iln’yadesûrementvraiquelessensations;seulement,pourparveniràlavérité,ilfautmettrequatredièsesàmesimpressions.Jelesrendsaveclafroideuretlessensamortisparl’expérienced’unhommedequaranteans[16].»

C’est Beyle jugé par Beyle, seulement à trente-cinq ou quarante-cinq ans de distance!Mais on y trouve aussi leBeyle de cinquante-deux ans, et celui-là tout entier. Le texte

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foisonnedejugementscontemporains;deplus,deprécieusesnotesillustrentlemanuscrit,soitdanslesmarges,soitenhautdesfeuillets,soitauverso.Aufuretàmesurequ’ilécrit,Stendhalexpliquesapensée,lajustifie,etracontesesimpressionsousesactionsdujour.

C’estainsiqu’il s’excused’écriresesMémoires:«Droitque j’aid’écrirecesMémoires:quelêtren’aimepasqu’onsesouviennedelui[17]?»Ils’excuseenmêmetempsd’avoirditsouvent du mal de ses parents: «Qui pense à eux aujourd’hui que moi, et avec quelletendresse, àmamère,morte depuis quarante-six ans? Je puis donc parler librement deleursdéfauts.LamêmejustificationpourMme labaronnedeBarckoff,MmeAlexandrinePetit, Mme la baronne Dembowski[18] (que de temps que je n’ai pas écrit ce nom!),Virginie, deux Victorines, Angela, Mélanie, Alexandrine, Métilde, Clémentine, Julia,AlberthedeRubempré,adoréependantunmoisseulement.»

Ildécouvreunpeusaméthoded’investigationpsychologique:«Jeruminesanscessesurcequim’intéresse,àforcedeleregarderdansdespositionsd’âmesdifférentes,jefinisparyvoirdunouveau,etjelefaischangerd’aspect[19].»Plusloin,c’estunpeudesaméthodedecompositionqui transparaît:«Style,ordredes idées.Préparer l’attentionparquelquesmotsenpassant:1°surLambert;—2°surmononcle,danslespremierschapitres[20]».Etailleurs:«Idée:allerpassertroisjoursàGrenoble,etnevoirCrozetqueletroisièmejour.Allerseul,incognito,àClaix,àlaBastille,àLaTronche[21].»

Son style aussi le préoccupe; il écrit, au hasard d’une marge: « Style: pas de stylesoutenu[22].»Cependant,ilchâtiesalangue,denombreusesraturesentémoignent.Et,unefois, il écrit deux phrases de même sens, et note en face: «Style: choisir des deuxrédactions[23].» Ilva jusqu’à jugerseseffets:«Style.Cesmots,pourun instant, sont unrepospour l’esprit; je leseusseeffacésen1830.mais,en1835, je regrettedenepasentrouverdesemblablesdansleRouge[24].»Sonironies’exercemêmeàsespropresdépens:racontant la journée[p. xxxvii] des Tuiles, qui marque le prélude de la Révolution àGrenoble,lamortdel’ouvrierchapelieretl’agitationdecetteridiculebonnefemmequise«révolte»,ilajouteaprèscoupcettephrase:«Lesoirmême,mongrand-pèremecontalamort de Pyrrhus; «et il remarque en note: «Cette queue savante fait-elle bien[25]?» Ilconnaîtsibiensoncaractèrequ’ilécritenmargeduchapitreVII:«Idée.Peut-être,ennecorrigeantpascepremierjet,parviendrai-jeànepasmentirparvanité[26].»

Lesortdesonlivrelepréoccupe.Ilpenseàintéresserlepublic:«Nonlaissercelatelquel.Dorerl’histoireKably,peut-êtreennuyeusepourlesPasquierdecinquanteans.Cesgenssontcependantl’élitedeslecteurs[27].»Maisilsedécourageparfois,ildoutedusuccès,ets’écriemélancoliquement:«Quidiablepourraits’intéresserauxsimplesmouvementsd’uncœur, décrits sans rhétorique[28]?» Ou encore: «J’ai été fort ennemi du mensonge enécrivant, mais n’ai-je point communiqué au lecteur bénévole l’ennui qui me faisaitm’endormiraumilieudutravail,aulieudesbattementsdecœurdun°71,Richelieu[29]?»

Stendhal serait bien rassuré, s’il revenait parmi[p. xxxviii] nous, en voyant avec quellepassionsonrécitautobiographiqueaétéétudiéetcommenté,etquelcassesfidèlesfontdesesconfessions!

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LemanuscritdelaViedeHenriBrulardaunautreintérêtencore:ilcontientdeminutieuxdétailssur lavieaujour le jourd’HenriBeyle.Unpetitnombredeprivilégiésonteulebonheur de voir de leurs yeux le précieuxmanuscrit, c’est pourquoi nous avons tenu àreproduireaussiminutieusementquepossible,danslesnotesplacéesàlafindel’ouvrage,laplupartdesobservations,réflexionset«idées»deStendhal.

L’auteur nous raconte les plus petits détails de son existence, tant àRome qu’àCività-Vecchia. Nous savons qu’il quitta la ville des papes le 3 ou le 4 décembre 1835 pourrejoindresonposte,qu’ilfitunnouveauséjouràRomeentrele11oule12décembre1835etle24février1836,etqu’ilyrevintencore,aprèsuncourtséjouràCività-Vecchia,le19marssuivant.

Noussavonsaussiquelemoisdedécembrefutfroid,àRome,en1835.Le17,lepauvreStendhal avoue: «Je souffre du froid, collé contre ma cheminée. La jambe gauche estgelée.»Lelendemain,encore,«froiddechien,avecnuagesetsoleil»,ettroisjoursaprès,le21,«pluieinfâme»et«continue».Le27,lachaleurn’estpasrevenue,Stendhala«froidauxjambes,surtoutauxmollets,unpeudecolique,enviededormir.Lefroidetlecafédu24décembrem’adonnésurlesnerfs.Ilfaudraitunbain,maiscomment,aveccefroid?»Le4janvier1836,ilestauprèsdesonfeu,«sebrûlantlesjambesetmourantdefroidaudos».La santé, au reste,n’estpas trèsbonne:«A troisheures, idéedegoutte à lamaindroite,dessus;douleurdansunmuscledel’épauledroite.»Puis,c’estdenouveaulapluieau commencement de février; le 4, Beyle va voir le Tibre qui «monte au tiers del’inscriptionsouslepontSaint-Ange».

La température de Cività-Vecchia est plus clémente, car, le 6 décembre 1835, on peuts’habiller «la fenêtre ouverte, à neuf heures et demie; impossible à Rome, plus froidel’hiver».

Mais qu’on s’ennuie dans ce triste port demer!Tout excèdeStendhal: les habitants deCività-Vecchia,quinepeuventsoutenirlamoindreconversationspirituelle,lechancelierdu consulat, Lysimaque Tavernier, sa charge elle-même, qu’il appelle avec dédain le«métier », le «gagne-pain». Aussi, notre consul passe-t-il le plus clair de son temps àRome;là,dumoins,lesdistractionsnemanquentpas.Beyleassiste,le2décembre,àunemesse de Bellini chantée à San Lorenzo-in-Damaso, admire le pape officiant à Saint-Pierre le jourdeNoël, entendunemessegrecque le6 janvieret écoute, le31mars, les«vieux couplets barbares en latin rimé» du Stabat Mater, qui, du moins, ne sont pasinfestésd’«espritàlaMarmontel».

Le«métier»l’occupetoujours,maispeu,etilseconsoleenlisantlesœuvresduprésidentdeBrosses,leChattertond’AlfreddeVigny,leScarabéed’Ord’EdgarPoë,enécrivantàses amis Di Fiore, de Mareste, Romain Colomb. Il visite musées et expositions depeinture, et se promène dans les jardins de la villa Aldobrandini ou à San Pietro-in-Montorio, où l’idéede raconter savie lui vint, en1832. Il dîne enville, va aubal et yébauche même une intrigue avec la comtesse Sandre, du 8 au 17 février. Quoique lamusique romaine soitmauvaise, le concert l’attire, et le 19 décembre il écoute jouer laFilarmonia.

Ilsegarderaitdenégligerlespectacle,quil’atoujourspassionné,etfréquenteassidûmentlethéâtredellaValle.Ilyentend,notamment,une«comédiedeScribe,parBettini»;ily

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passe la soirée du 31 décembre 1835 et termine l’année, de onze heures trois quarts àminuit, chez M. Linpra, en devisant devant le feu avec son jeune ami Don PhilippeCaetani.

Cependant,nousl’avonsdéjàvu,Romel’ennuie,ilaspireàquitterl’Italie,etreçoitavecjoielalettreministériellequiluiaccordeuncongé.Desprojetsdevoyagel’occupent:iliraenbateauàvapeurjusqu’àMarseilleetyprendralamalle-poste,fût-cecelledeToulouseoudeBordeaux,afind’éviterlaroutedeParisparValence,Lyon,SemuretAuxerre,villestropconnues,dontlesouvenirleremplitdedégoût.

Le manuscrit de laVie de Henri Brulard nous raconte tout cela, et beaucoup d’autresmenusdétailsencore.Ilvit,etdelavielaplusintense,ilnousditfidèlementlespetitesjoies,lespetitssoucisdugrandécrivain,ilestletémoinleplussûrd’unetranchedesaviependantquatremois.Lelecteurnemereprocherapas,jel’espère,d’avoirprésentélesà-côtésdulivreavantdeluiendonnerletexteenfincompletet,jeveuxcroire,définitif.

Jedoiscependantdireencorequelquesmotsdecemanuscrit,siprécieuxdansl’histoiredela pensée et de la méthode stendhaliennes. Tout y est particulier, personnel, original:l’écriture,laponctuation,l’orthographe,laformemêmedesnoms.

L’écriture, d’abord. Tout le monde connaît cette graphie fantaisiste, inquiète, éléganteparfois mais plus souvent presque illisible, «en pieds de mouche», comme l’avoueStendhal lui-même.Onen trouveradesspécimenscaractéristiquesaucoursdecesdeuxvolumes. Il faut unœil exercé pour lire intégralement lemanuscrit de laVie deHenriBrulard, encore certains mois échappent-ils même à ceux qui fréquentent le plusassidûmentlespapiersstendhaliens.

Beylemettaitd’ailleurs,àécriremal,unesortedecoquetterie.Ilconsidéraitsesgrimoirescomme une bastille difficilement vulnérable, accessible aux seuls initiés. Il dit quelquepartàcesujet:«Lavergognedevoirunindiscretliredansmonâmeenlisantmespapiersm’empêche, depuis l’âge de raison, ou plutôt pour moi de passion, d’écrire ce que jesens[30].»Ilfautcroirequ’iljugeasonécrituresuffisammentindéchiffrableenrédigeantlaViedeHenriBrulard,carunedesnotesmarginalesporte:«Mamauvaiseécriturearrêtelesindiscrets.» Paroles qu’on jugerait naïves chez un autre que lui—car, après tout, lemeilleurmoyenden’être jamais luestdenepasécrire!—maisquin’étonnentpasde lapartdecetespritsouventmystificateurettoujoursencontradictionaveclui-même.

Lavéritéestplussimple,etBeylen’estpaspousséàmalécrireparledésirden’êtrepaslu.Sonécritureatoujoursétédéplorable;celledelajeunesseestdéjàtrèsdéfectueuse,etStendhalvamêmejusqu’àdirequesongriffonnagede1800,dutempsqu’ilétaitcommisauxiliaireauministèrede laGuerre,était«bienpire»queceluide1836[31].Affirmationd’ailleursinexacte:l’écriturede1800est,dumoinsengénéral,assezlisible.

En fait,Beyle a toujours écrit fort vite[32]. Son esprit vif etmobile obligeait samain àsuivre le cours rapide de ses idées. Et, constatant le résultat de cette méthode: «Voilà,s’écrie-t-il,commentj’écrisquandlapenséemetalonne.Sij’écrisbien,jelaperds[33].»Il

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répondencestermesauxreprochesdeRomainColomb:«Commentveut-onquej’écrivebien,forcéd’écrireaussivitepournepasperdremesidées[34]?»

Etpuis,StendhalécritsaViedeHenriBrulardenhiver:ilfaitfroid,etlesoirtombevite.Ilconfesse,le1erjanvier1836,enécrivantlavingt-sixièmepagedelajournée:«Touteslesplumesvontmal,ilfaitunfroiddechien;aulieudechercheràbienformermeslettresetdem’impatienter,iotiroavanti.»Lapassiond’écriredominesonimpatience.Emportéparsonsujet,ilestparfoisétreintparl’émotion,illaissetomberlejoursanss’enapercevoir,etnotealorsenmarge:«Écritàlanuittombante»,ou:«Écritdenuit»,ouencore:«Écritabsolumentdenuit.»Ilestàremarquerquelespassageslesplusparticulièrementdifficilesàdéchiffrersontprécisémentceuxqu’ilaécritsavecleplusdepassion:lerécitdelamortde samère, lepremier séjour auxÉchelles, le souvenirde l’arrivée àMilan, et certainspassagesoùilchercheàs’analyserplusprofondément.

Une autre particularité complique les difficultés de lecture: c’est ce que j’appellerai lejargondeStendhal.Certainsmotsparaissentillisiblesd’abord,incompréhensiblesensuite;or, ce sont tout simplement des anagrammes; l’auteur s’est contenté d’en intervertir lessyllabesouleslettres.

Leplusconnudecesanagrammesest lemot jésuite, queStendhal écrit leplus souventtejé,ouencore tejésui, tejessui.Cetteméthodeest, laplupart du temps, appliquée àdesmots d’ordre religieux ou politique; Beyle, avec sa prudence habituelle et sa craintemaladivedelapolice,jargonnealorsàplaisir:lejésuitismedevienttistmejésui,lareligions’écritgionreli,ougionré,ouabréviativement,gion;leprêtreestunreprêt,lesprêtres,destrespré, le vicaire, un cairevi; un dévot est un votdé, une absurde dévotion, surdeabtiondévo; les pairs sont sairp ou sraip; des opinions républicaines deviennentkainesrépubli,etlecongéqu’ademandéleconsuldeFrances’appelleungékon.Lesnomspropres sont aussidéformés,puisqueRomeestmuéenOmarouMero,M.Daru enM.Ruda, et le ministre Molé en Lémo. D’autres fois, Stendhal se contente d’écrire lapremièrelettredumot:aulecteurdedevinerlereste.Enfin,lalangueanglaisevientàsonsecours:DieuesttraduitGod,etunrois’appelleunking.

Cescontinuellestranspositionsrendentsouventlalecturedutexteassezpénible,aussiai-jerétabli lesformesrégulières,et indiquéennote laformeoriginale.Mais j’aiconservélesmotsenanglaisetenitalien,dontStendhalaimaitàchargersonstyle.

Mon respect du texte n’est pas allé non plus jusqu’à reproduire l’orthographe parfoisfantaisiste de l’auteur; outre qu’il emploie des formes orthographiques maintenantdésuètes,iltombeparfoisdansl’irrégularitéabsolue.Ils’enexcuseàplusieursreprises,etremarque,parexemple:«Voilàl’orthographedelapassion:orreur!»Oubien:«Voilàdéjàquej’oubliel’orthographe,commeilm’arrivedanslesgrandstransportsdepassion!»

Ce tempérament passionné rend aussi la ponctuation des plus irrégulières. Stendhal eutrarementlesoucidelavirgule,dupointetvirgule,voiremêmedupoint.Illaissaitàseséditeurslesoindemettreaunetsarédaction.Jen’aicrudevoirrespecterscrupuleusementquesescoupuresd’alinéas.J’estimequel’alinéaestplusqu’uneélégancetypographique,ilmarquelesétapesdelapenséed’unécrivain.

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J’aurai donné une idée complète dumanuscrit de laVie deHenriBrulard en décrivantencoredeuxdesesparticularités.

Ilforme,jel’aidéjàdit, troisgrosvolumesin-quarto,plusdeuxcahiers.C’estbeaucouppour 878 pages,même écrites au recto seulement, et pourvues parfois debis, de ter etmême de quater. Mais Beyle a laissé de nombreuses pages blanches à la fin, souventmêmeaumilieudeschapitres.Dansquelbut?Celaestdifficileàdémêler.Mieuxvautneriendirequed’échafauderdehasardeuseshypothèses.

Enfin,lemanuscritestaccompagnéd’unevingtainedegravuresautrait;laplupartontétéinsérées dans le premier volume, quelques-unes ornent le second, et le troisième en estcomplètementdépourvu.CesgravuresreproduisentdestableauxdevieuxmaîtresitaliensaimésdeBeyle:Pérugin,Mantegna,Titien,etsurtoutRaphaëletleDominiquin.Certainesproviennentd’unerevued’artalorsenfaveur:L’ApeItaliana.Deuxd’entreellesportentdesnotesaucrayon,hâtivementgriffonnéesparStendhal.AubasdelaVocationdessaintsPierreetAndré,l’auteuraécrit:«ASaint-AndrédellaValle,admirableDominiquin»;et,sous laSainteFamille d’AnnibalCarrache, il note: «Physionomie commune: les grandspeintres ne vivaient qu’avec des ouvriers, Annibal Carrache par exemple (la Reine deSaba,auxLogesdeRaphaël,canaille).»

Outrecesgravures,Stendhalajointaupremiervolumeunpetitportraitàl’aquarelle,peupoussé,maisde facture largeetagréable. IlnotedesamainqueceportraitestceluideDonPhilippeCaetani.Deuxébauchesaucrayonaccompagnentleportrait;deslégendesdeStendhalannoncentle«baronAulajani»etla«maindelacomtesseSandre».UnenotedeCasimirStryienskiattribueleportraitdeDonPhilippe—dubitativementd’ailleursetsansaucunepreuve—àAbrahamConstantin,peintresurporcelaineetminiaturiste,fortliéavecBeyle,etquieffectivementséjournaitàRomeen1835.

TelleestcettemassetouffueetcependantsivivantequiconstituelemanuscritdelaViedeHenriBrulard.

Avec une piété fidèle, j’ai reproduit ce manuscrit dans son intégralité. En supprimantcertainesparties,enenabrégeantd’autres,onrisquedediminuerl’œuvreetd’égarersoitlesbiographes,soit lescritiques.Sur lafoide l’éditiondeCasimirStryienskiM.ArthurChuquet,l’auteurdeStendhal-Beyle,s’étonne(page5)queStendhalaitàpeinementionnésescamaradesd’enfance,etn’aitpasditunmotdeCrozet.Étonnementinjustifié,surtoutencequiconcerneCrozet.

Adirevrai,leséditionsdeCasimirStryienski,aussibiencellede1890quecellede1912,ont laissé beaucoup d’inédit dans le texte de la Vie de Henri Brulard, surtout dans lapériodedelaformation[p.xlviii]intellectuelledujeuneBeyle.Ellessontsouventinexactesdanslalectureetontmême,unefois,ajoutéautextedeStendhaluneréflexiondeRomainColomb.

Loindemoilapenséed’enfaireungriefàCasimirStryienski.Sonmériteestassezgrand,etilarendutropdeservicesauxfidèlesdeStendhal,pourqu’onnepuisseluipardonnerdespéchés,ensomme,véniels.

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Et,grâceàlui,cetteViedeHenriBrulardestbienautrechosequ’unebanaleréédition[35].

HENRYDEBRAYE.

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[1]Paruneerreurinconcevable,lepremierfeuilletaétéreliéaveclemanuscritR5.886.tomeXII,fol.3.

[2]Nousnepouvons,malheureusement,reproduiretouscesdessins.Maisonlestrouveradécritsaussiminutieusementque possible dans les notes et, d’autre part, résumés en grand nombre, dans deux planches de la présente édition:Grenobleen1793etPlandel’appartementdudocteurGagnon.

[3]Feuilletdegarde,entêtedutomeIIIdumanuscrit.

[4]R.900,fol.09v°vl70v°.

[5]LeChasseurvertdevintLucienLeuwen,publiépourlapremièrefois,en1894,parM.JeandeMitty.

[6]TomeIIIdumanuscrit,dernierfeuillet.

[7]LaclefannoncéeparStendhaln’existepas. Iln’yaplus lieu,d’ailleurs,derespecterexactementceltevolontédutestateur:lesnomscitésparluisontdevenushistoriquespourlaplupart.

[8]ManuscritR5.896,vol.XII,fol.3v°.—Stendhalajouteàcôté:«ViedeHenriBrulard.Conditions:1°N’imprimerqu’aprèsmondécès;2°Changer absolument tous lesnomsde femmes;3°Nechanger aucunnomd’homme.Cività-Vecchia,le30novembre1835.H.Beyle.»

[9]Tome1erdumanuscrit,feuilletdegarde.—Lesautrestestamentsoufragmentsdetestamentssetrouventauxfeuillets7bis,59v°,511v°,554v°et572v°.Lelecteurlestrouveradanslesnotesdelaprésenteéditioncorrespondantàcespassagesdumanuscrit.

[10]VoirchapitreXLII.

[11]CeplansetrouvedansR5.896,tomeXII,fol.2.

[12]Ces quarante pages se trouvent clans le cahierR 300. Elles constituent les chapitresXIII etXV de la présenteédition.

[13]CettenoteestplacéeàlafinducahierR300,fol.68v°.

[14]Lefol.255setermineparcettephrase:«Pendantplusd’unmois,jefusfierdecettevengeance;j’aimeceladansunenfant.»(TomeI,p.200delaprésenteédition.)

[15]Cf.lanoteplacéeentêteduchapitreXVIII,tomeII,p.249.—L’«EncyclopédieduXIXesiècle»estladeuxièmedesannexes,tomeII,p.311.

[16]ChapitreXXXIV,tomeII,p.57-58.

[17]CettenoteestplacéeàlafinducahierR300,fol.08v°.—Lanotecitéeunpeuplusloinestécritesurcemêmefeuillet.

[18]LasecondeestAlexandrine,latroisièmeMétilde,queStendhalciteplusloindanslamêmephrase.

[19]ChapitreXXXI.

[20]ChapitreV.

[21]ChapitreXIV.

[22]ChapitreXXV.

[23]ChapitreXXX.LarédactionécartéeaétérayéeaucrayonparStendhal.

[24]ChapitreXV.Stendhalvientd’écrire:«J’emprunteraipouruninstantlalanguedeCabanis.»

[25]ChapitreV.

[26]ChapitreVII.

[27]ChapitreXXV.

[28]ChapitreXXXIV.

[29]Écritle6avril1830,avantdepartirencongé,surunfeuilletdegardeduvolumeIII.

[30]LettreàRomainColomb,du4novembre1834.

[31]ChapitreXLI.

[32]J’aiécrithorriblementvitedouzeouquinzevolumesin-octavo,queM.deStendhalaimprimés.(LettreàRomainColombcitéeci-dessus.)

[33]ChapitreXXX.

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[34] Chapitre XX.—Stendhal écrit encore, un peu plus loin: « Justification de ma mauvaise écriture: les idées mesalopentets’envontsijenelessaisispas.Souvent,mouvementnerveuxdelamain.»

[35] J’ai l’agréable devoir de remercier, à cette place, tous ceux qui ont bien voulu m’assister de leur expérience.J’adresseenparticulierl’expressiondemagratitudeàM.GeorgesCain,StendhalienpassionnéetParisienérudit,ainsiqu’àmes aimables concitoyensGrenoblois,M. EdmondMaignien, bibliothécairemunicipal, le dévoué et compétentgardiendesmanuscritsdeStendhal;M.SamuelChabert,professeuràlaFacultédesLettres,dontlanoticesurlaMaisonnataled’HenriBeylecomplèteleprésentouvrage,etM.ÉmileRobert,architectemunicipal,undeceuxquiconnaissentlemieuxl’ancienGrenoble.

CHAPITREI[1]

Jemetrouvaiscematin,16octobre1832,àSanPietroinMontorio,surlemontJanicule,àRome. Il faisait un soleil magnifique; un léger vent de sirocco à peine sensible faisaitflotter quelques petits nuages blancs au-dessus dumontAlbano; une chaleur délicieuserégnaitdansl’air, j’étaisheureuxdevivre.JedistinguaisparfaitementFrascatietCastel-Gandolfo,quisontàquatrelieuesd’ici,lavillaAldobrandinioùestcettesublimefresquede Judith duDominiquin. Je vois parfaitement lemur blanc quimarque les réparationsfaitesendernierlieuparleprinceF.Borghèse,celui-làmêmequejevisàWagramcoloneldurégimentdecuirassiers,lejouroùM.deM…,monami,eutlajambeemportée.Bienplusloin,j’aperçoislarochedePalestrinaetlamaisonblanchedeCastelSanPietro,quifutautrefoissaforteresse.Au-dessousdumurcontrelequeljem’appuie,sontlesgrandsorangersduvergerdesCapucins,puisleTibreetleprieurédeMalte,etunpeuaprès,surladroite,letombeaudeCeciliaMetella,Saint-PauletlapyramidedeCestius.Enfacedemoi, je vois[2] Sainte-Marie-Majeure et les longues lignes du palais deMonte-Cavallo.ToutelaRomeancienneetmoderne,depuisl’anciennevoieAppienneaveclesruinesdeses tombeaux et de ses aqueducs jusqu’au magnifique jardin du Pincio, bâtis par lesFrançais,sedéploieàlavue.

Ce lieuestuniqueaumonde,medisais-je en rêvant; et laRomeancienne,malgrémoi,l’emportaitsurlamoderne,touslessouvenirsdeTite-Livemerevenaientenfoule.SurlemontAlbano,àgaucheducouvent,j’apercevaislesPrésd’Annibal.

Quellevuemagnifique!C’estdonc ici que laTransfiguration deRaphaël a été admiréependantdeuxsièclesetdemi.Quelledifférenceaveclatristegaleriedemarbregrisoùelleest enterrée aujourd’hui au fond duVatican!Ainsi, pendant deux cent cinquante ans cechef-d’œuvreaétéici,deuxcentcinquanteans!…Ah!danstroismoisj’auraicinquanteans,est-ilbienpossible!1783,93,1803,jesuistoutlecomptesurmesdoigts…et1833,cinquante.Est-ilbienpossible!Cinquante!Jevaisavoirlacinquantaine:etjechantaisl’airdeGrétry:

Quandonalacinquantaine.

Cette découverte imprévue ne m’irrita point, je venais de songer à Annibal et auxRomains.Deplusgrandsquemoisontbienmorts!…Aprèstout,medis-je,jen’aipasmal

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occupémavie,occupé!Ah!c’est-à-direquelehasardnem’apasdonnétropdemalheurs,carenvéritéai-jedirigélemoinsdumondemavie?

Aller devenir amoureux deMlle deGrisheim!Que pouvais-je espérer d’une demoisellenoble, fille d’un général en faveur deux mois auparavant, avant la bataille de Iéna!Brichaudavaitbienraisonquandilmedisait,avecsaméchancetéhabituelle:«Quandonaimeunefemme,onsedit:Qu’enveux-jefaire?»

Jemesuisassis sur lesmarchesdeSanPietroet là j’ai rêvéuneheureoudeuxàcetteidée: jevaisavoircinquanteans, il seraitbien tempsdemeconnaître.Qu’ai-jeété,quesuis-je,envéritéjeseraisbienembarrassédeledire.

Jepassepourunhommedebeaucoupd’espritetfortinsensible,rouémême,etjevoisquej’ai été constamment occupé par des amours malheureuses. J’ai aimé éperdumentMlle

Kably,MlledeGrisheim,MmedeDiphortz,Métilde,etjenelesaipointeues,etplusieursdecesamoursontdurétroisouquatreans.Métildeaoccupéabsolumentmaviede1818à1824.Etjenesuispasencoreguéri,ai-jeajouté,aprèsavoirrêvéàelleseulependantungrosquartd’heurepeut-être.M’aimait-elle[3]?

J’étais attendri, en prière, en extase. Et Menti[4], dans quel chagrin ne m’a-t-elle pasplongéquandellem’aquitté?Là, j’aieuunfrissonenpensantau15septembre1826,àSanRemo,àmonretourd’Angleterre.Quelleannéeai-jepasséedu15septembre1826au15 septembre 1827!Le jour de ce redoutable anniversaire, j’étais à l’île d’Ischia. Et jeremarquai un mieux sensible; au lieu de songer à mon malheur directement, commequelquesmois auparavant, je ne songeais plus qu’au souvenir de l’état malheureux oùj’étaisplongéenoctobre1826parexemple.Cetteobservationmeconsolabeaucoup.

Qu’ai-je donc été? Je ne le saurai. A quel ami, quelque éclairé qu’il soit, puis-je ledemander?M.diFiorelui-mêmenepourraitmedonnerd’avis.Aquelamiai-jejamaisditunmotdemeschagrinsd’amour?

Etcequ’ilyadesingulieretdebienmalheureux,medisais-jecematin,c’estquemesvictoires (commejelesappelaisalors, la têterempliedechosesmilitaires)nem’ontpasfait un plaisir qui fût la moitié seulement du profond malheur que me causaient mesdéfaites.

LavictoireétonnantedeMentinem’apasfaitunplaisircomparableàlacentièmepartiedelapeinequ’ellem’afaiteenmequittantpourM.deBospier.

Avais-jedoncuncaractèretriste?

…Etlà,commejenesavaisquedire,jemesuismissansysongeràadmirerdenouveaul’aspectsublimedesruinesdeRomeetdesagrandeurmoderne: leColyséevis-à-visdemoietsousmespieds,lePalaisFarnèse,avecsabellegaleriedechosesmodernesouverteenarceaux,lepalaisCorsinisousmespieds.

Ai-jeétéunhommed’esprit?Ai-jeeudutalentpourquelquechose?M.Daru[5]disaitquej’étais ignorant commeune carpe; oui,mais c’estBesançonquim’a rapporté cela et la

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gaietédemoncaractèrerendaitfortjalouselamorositédecetanciensecrétaire-généraldeBesançon[6].Maisai-jeeulecaractèregai?

Enfin, je ne suis descendu du Janicule que lorsque la légère brume du soir est venuem’avertirquebientôtjeseraissaisiparlefroidsubitetfortdésagréableetmalsainquiencepays suit immédiatement le coucher du soleil. Jeme suis hâté de rentrer auPalazzoConti(PiazzaMinerva),j’étaisharassé.J’étaisenpantalonde…[7]blancanglais,j’aiécritsurlaceinture,endedans:16octobre1832,jevaisavoirlacinquantaine,ainsiabrégépourn’êtrepascompris:J.vaisavoirla5[8].

Lesoir,enrentrantassezennuyédelasoiréedel’ambassadeur,jemesuisdit:Jedevraisécriremavie,jesauraispeut-êtreenfin,quandcelaserafini,dansdeuxoutroisans,cequej’aiété,gaioutriste,hommed’espritousot,hommedecourageoupeureux,etenfinautotalheureuxoumalheureux,jepourraifairelirecemanuscritàdiFiore.

Cetteidéemesourit.—Oui,maiscetteeffroyablequantitédeJeetdeMoi!Ilyadequoidonner de l’humeur au lecteur le plus bénévole. Je etmoi, ce serait, au talent près[9],commeM.deChateaubriand,ceroideségotistes.

Dejemisavecmoitufaislarécidive…

Jemedisceversàchaquefoisquejelisunedesespages.Onpourraitécrire,ilestvrai,enseservantdelatroisièmepersonne,ilfit,ildit;oui,maiscommentrendrecomptedesmouvements intérieurs de l’âme? C’est là-dessus surtout que j’aimerais à consulter diFiore.

Je ne continue que le 23 novembre 1835. La même idée d’écriremy life m’est venuedernièrementpendantmonvoyagedeRavenne;àvraidire,jel’aieuebiendesfoisdepuis1832,maistoujoursj’aiétédécouragéparcetteeffroyabledifficultédesJeetdesMoi,quiferaprendrel’auteurengrippe;jenemesenspasletalentpourlatourner.Avraidire,jenesuisrienmoinsquesûrd’avoirquelquetalentpourmefairelire.Jetrouvequelquefoisbeaucoupdeplaisiràécrire,voilàtout[10].

S’ilyaunautremonde,jenemanqueraipasd’allervoirMontesquieu;s’ilmedit:«Monpauvreami,vousn’avezpaseudetalentdutout,»j’enseraifâché,maisnullementsurpris.Jesenscelasouvent,quelœilpeutsevoirsoi-même?Iln’yapastroisansquej’aitrouvécepourquoi.

Je vois clairement que beaucoup d’écrivains qui jouissent d’une grande renommée sontdétestables.Cequiseraitunblasphèmeàdireaujourd’huideM.deChateaubriand(sortedeBalzac)serauntruismen1880.Jen’aijamaisvariésurceBalzac:enparaissant,vers1803, leGénie de Chateaubriand m’a semblé ridicule[11]. Mais sentir les défauts d’unautre,est-ceavoirdutalent?Jevoislesplusmauvaispeintresvoirtrèsbienlesdéfautsles

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unsdesautres:M.IngresatouteraisoncontreM.Gros,etM.GroscontreM.Ingres(jechoisisceuxdontonparlerapeut-êtreencoreen1835).

Voici le raisonnement qui m’a rassuré à l’égard de ces Mémoires. Supposons que jecontinuecemanuscritetqu’unefoisécritjenelebrûlepas;jeleléguerainonàunamiquipourraitdevenirdévot[12]ouvenduàunparti,commecejeuneserindeThomasMoore,jelelégueraiàunlibraire,parexempleàM.Levavasseur(placeVendôme,Paris).

Voilà donc un libraire qui, après moi, reçoit un gros volume relié de cette détestableécriture. Il en fera copier quelque peu, et lira; si la chose lui semble ennuyeuse, sipersonneneparleplusdeM.deStendhal,illaisseralàlefatras,quiserapeut-êtreretrouvédeuxcentsansplustard,commelesmémoiresdeBenvenutoCellini.

S’il imprime, et que la chose semble ennuyeuse, on en parlera au bout de trente anscommeaujourd’huil’onparledupoèmedelaNavigationdecetespiond’Esménard,dontilétaitsisouventquestionauxdéjeunersdeM.Daruen1802.Etencorecetespionétait,ceme semble, censeur ou directeur de tous les journaux qui lepoffaient (de to puff) àoutrance toutes les semaines.C’était leSalvandyde ce temps-là, encoreplus impudent,s’ilsepeut,maisavecbienplusd’idées.

MesConfessionsn’existerontdoncplustrenteansaprèsavoirétéimprimées,silesJeetlesMoi assomment trop les lecteurs;et toutefois j’auraieu leplaisirde lesécrire, etdefaireàfondmonexamendeconscience.Deplus,s’ilyasuccès,jecourslachanced’êtreluen1900parlesâmesquej’aime,lesmadameRoland,lesMélanieGuilbert,les…[13]

Parexemple,aujourd’hui24novembre1835,j’arrivedelachapelleSixtine,oùjen’aieuaucunplaisir,quoiquemunid’unebonnelunettepourvoirlavoûteetleJugementdernierdeMichel-Ange;maisunexcèsdecafécommisavant-hierchez lesCaetanipar la fauted’une machine que Michel-Ange[14] a rapportée de Londres, m’avait jeté dans lanévralgie.Unemachinetropparfaite.Cecafétropexcellent,lettredechangetiréesurlebonheuràvenirauprofitdumomentprésent,m’arendumonanciennenévralgie,et j’aiétéàlachapelleSixtinecommeunmouton,idestsansplaisir,jamaisl’imaginationn’apuprendresonvol.J’aiadmiréladraperiedebrocartd’or,peinteàfresqueàcôtédutrône,c’est-à-diredugrandfauteuildeboisdenoyerduPape.Cette,draperie,quiportelenomdeSixteIV,Pape(SixtusIIII,Papa),onpeutlatoucherdelamain,elleestàdeuxpiedsdel’œiloùellefaitillusionaprèstroiscentcinquantequatreans.

N’étant bon à rien, pas même à écrire des lettres officielles pour monmétier, j’ai faitallumer du feu, et j’écris ceci, sansmentir j’espère, sansme faire illusion, avec plaisir,comme une lettre à un ami. Quelles seront les idées de cet ami en 1880? Combiendifférentesdesnôtres!Aujourd’huic’estuneénormeimprudence,uneénormitépour lestroisquartsdemesconnaissances,quecesdeuxidées:leplusfripondesKingsetTartarehypocrite[15]appliquéesàdeuxnomsque jen’oseécrire;en1880,ces jugementsserontdestruismsquemêmelesKératrydel’époquen’oserontplusrépéter.Ceciestdunouveaupour moi; parler à des gens dont on ignore absolument la tournure d’esprit, le genred’éducation,lespréjugés,lareligion [16]!Quelencouragementàêtrevrai,etsimplement

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vrai,iln’yaquecelaquitienne.Benvenutoaétévrai,etonlesuitavecplaisir,commes’il était écrit d’hier, tandis qu’on saute les feuillets de ce jésuite[17] deMarmontel quipourtant prend toutes les précautions possibles pour ne pas déplaire, en véritableAcadémicien.J’airefuséd’achetersesmémoiresàLivourne,àvingtsouslevolume,moiquiadorecegenred’écrits.

Maiscombiennefaut-ilpasdeprécautionspournepasmentir!

Par exemple, au commencementdupremier chapitre, il y aunechosequipeut semblerunehâblerie:non,monlecteur,jen’étaispointsoldatàWagramen1809.

Il fautquevous sachiezque,quarante-cinq ans avantvous, il était demoded’avoir étésoldatsousNapoléon.C’est,doueaujourd’hui,1835,unmensongetoutàfaitdigned’êtreécrit que de faire entendre indirectement, et sansmensonge absolu (jesuitico[18]more),qu’onaétésoldatàWagram.

Lefaitestquej’aiétémaréchaldeslogisetsous-lieutenantausixièmedragonsàl’arrivéedecerégimentenItalie,mai1800,jecrois,etquejedonnaimadémissionàl’époquedelapetitepaixde1803.J’étaisennuyéàl’excèsdemescamarades,etnetrouvaisriendesidouxquedevivreàParis,enphilosophe,c’étaitlemotdontjemeservaisalorsavecmoi-même, au moyen de cent cinquante francs par mois que mon père me donnait. Jesupposaisqu’après lui j’aurais ledoubleoudeuxfois ledouble;avec l’ardeurdesavoirquimebrûlaitalors,c’étaitbeaucouptrop.

Jenesuispasdevenucolonel,commejel’auraisétéaveclapuissanteprotectiondeM.lecomteDaru,moncousin,maisj’aiété,jecrois,bienplusheureux.JenesongeaibientôtplusàétudierM.deTurenneet à l’imiter, cette idéeavait étémonbut fixependant lestrois ans que je fus dragon. Quelquefois elle était combattue par cette autre: faire descomédiescommeMolièreetvivreavecuneactrice. J’avaisdéjàalorsundégoûtmortelpour les femmeshonnêteset l’hypocrisiequi leurest indispensable.Maparesseénormel’emporta;unefoisàParis,jepassaisdessixmoisentierssansfairedevisitesàmafamille(MM.Daru,MmeLeBrun,M.etMmedeBaure),jemedisaistoujoursdemain;jepassaideuxansainsi,dansuncinquièmeétagedelarued’Angiviller,avecunebellevuesurlacolonnade du Louvre, et lisant La Bruyère, Montaigne et J.-J. Rousseau, dont bientôtl’emphasem’offensa.Là se formamon caractère. Je lisais beaucoup aussi les tragédiesd’Alfieri,m’efforçant d’y trouver du plaisir, je vénéraisCabanis, Tracy et J.-B. Say, jelisaissouventCabanis,dontlestylevaguemedésolait.JevivaissolitaireetfoucommeunEspagnol,àmillelieuesdelavieréelle.LebonpèreJeki,Irlandais,medonnaitdesleçonsd’anglais,maisjenefaisaisaucunprogrès,j’étaisfoud’Hamlet.

Maisjemelaisseemporter,jem’égare,jeseraiinintelligiblesijenesuispasl’ordredestemps,etd’ailleurslescirconstancesnemereviendrontpassibien.

Donc, à Wagram, en 1809, je n’étais pas militaire, mais au contraire adjoint auxcommissairesdesGuerres,placeoùmoncousin,M.Daru,m’avaitmispourmeretirerduvice,suivantlestyledemafamille.Carmasolitudedelarued’AngivilleravaitfiniparvivreuneannéeàMarseilleavecuneactricecharmante[19]quiavaitlessentimentslesplusélevésetàlaquellejen’aijamaisdonnéunsou.

D’abord, par la grandissime raison que mon père me donnait toujours cent cinquante

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francs par mois sur lesquels il fallait vivre, et cette pension était fort mal payée àMarseille,en1805.

Maisjem’égareencore.Enoctobre1806,aprèsIéna,jefusadjointauxcommissairesdesGuerres, place honnie par les soldats; en 1810, le 3 août, auditeur au Conseil d’Etat,inspecteurgénéraldumobilierdelaCouronnequelquesjoursaprès.Jefusenfaveur,nonauprèsdumaître,Napoléonneparlaitpasàdesfousdemonespèce,maisfortbienvudumeilleurdeshommes,M.leducdeFrioul(Duroc).Maisjem’égare.

[p.14][p.15]

[1]LechapitreIcomprendlesfeuillets1à20.—Écritles23et24novembre1835.—Lefol.1nefaitpaspartiedums.R299delaBibl.mun.deGrenoble.Ilaétéreliéaveclevol.R5896.Lefol.1dums.R299porte:«Moi,HenriBrulard,j’écrivaiscequisuit,àRome,de1832à1836.»

[2]Enfacedemoi,jevois…—Variante:«J’aperçois.»

[3]M’aimait-elle?—Nousn’adoptonspaslaleçonproposéeparM.BédieràM.PaulArbeletetadoptéeparStryienskidanssa2eéditiondelaViedeHenriBrulard.Lemanuscritporteeneffetnettementunpointentrelesmots:peut-êtreetm’aimait-elle.(Cf.CasimirStryienskietPaulArbelet,SoiréesduStendhal-Club,2esérie,p.81note.)

[4]EtMenti…—Clémentine,queStendhalappelleplussouventMenta(SurMmeClémentineC…),voirA.Chuquet,Stendhal-Beyle,p.180-183.

[5]M.Daru….—Ms.:«Ruda.»—SurleshabitudesanagrammatiquesdeStendhal,voirl’Introduction.

[6]…cetanciensecrétaire-généraldeBesançon.—StendhalsurnommesouventBesançonsonamideMareste,quifutsecrétaire-généraldelapréfectureduDoubs.

[7]J’étaisenpantalonde…—Lenomestlaisséenblancdanslemanuscrit.

[8]J.vaisavoirla5.—Entrecetalinéaetlesuivant,Stendhalalaisséunassezgrandespacedanslequelilaécritlemot:«Chap.»

[9]…autalentprès…—Variante:«Moinsletalent.»

[10]Jetrouvequelquefoisbeaucoupdeplaisiràécrire,voilàtout.—Unfeuilletintercalaireestainsiconçu:«Aulieudetantdebavardages,peut-êtrequececisuffit:

Brulard(Marie-Henry),néàGrenobleen1786(sic),d’unefamilledebonnebourgeoisiequiprétendaitàlanoblesse,iln’y eut pas de plus fiers aristocrates qu’on pût voir dès 1752. Il fut témoin de bonne heure de laméchanceté et del’hypocrisiede certainesgens, de là sahained’instinctpour lagion.Sonenfance futheureuse jusqu’à lamortde samère, qu’il perdit à sept ans, ensuite les prêtres en firent un enfer. Pour en sortir, il étudia lesmathématiques avecpassioneten1797ou98remportalepremierprix,tandisquecinqélèvesreçuslemoisaprèsàl’Écolepolytechniquen’avaientque le second. Il arriva àParis le lendemaindu18brumaire (9novembre1799),mais segardabiende seprésenteràl’examenpourl’Écolepolytechnique.Ilpartitavecl’arméederéserveenamateuretpassaleSaint-BernarddeuxjoursaprèslePremierConsul.AsonarrivéeàMilan,M.Daru,soncousin,alorsinspecteurauxrevuesdel’armée,lefitentrercommemaréchaldeslogis,etbientôtsous-lieutenant,dansle6edeDragons,dontM.LeBaron,sonami,étaitcolonel.DanssonrégimentB.,quiavait150francsdepensionparmoisetquisedisaitriche,ilavait17ans,futenviéetpastropbienreçu;ileutcependantunbeaucertificatduConseild’administration.Unanaprès,ilfutaide-de-campdubravelieutenant-généralMichaud,fitlacampagneduMinciocontrelegénéralBellegarde,jugealasottisedugénéralBruneetfitdesgarnisonscharmantesàBresciaetBergame.ObligédequitterlegénéralMichaud,carilfallaitêtreaumoinslieutenantpourremplirlesfonctionsd’aide-de-camp,ilrejoignitle6edeDragonsàAlbaetSavigliano,fièrement,fitunemaladiemortelleàSaluces…

Ennuyédesescamarades,culottesdepeau,B.vintàGrenoble,devintamoureuxdeMlleVictorineM.;et,profitantdelapetitepaix,donnasadémissionetallaàParis,oùilpassadixansdanslasolitude,croyantnefaireques’amuserenlisantlesLettresPersanes,Montaigne,Cabanis,Tracy,etdanslefaitfinissantsonéducation.»

[11]…leGéniedeCha[teaubriand]:m’asembléridicule.—LeGénieduChristianismeparuten1802.

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[12]…quipourraitdevenirdévot…—Ms.:«Votdé.»

[13]…lesmadameRoland,lesMélanieGuilbert,les…—Laphraseestinachevée.

[14]…unemachinequeMichel-Ange…—LeprinceMichel-AngeCaetani,frèredeDonPhilippe,amideStendhal.

[15]… leplus fripondesKingsetTartarehypocrite…—Lepremier estLouis-Philippe, le second le tsar deRussie,AlexandreIer.

[16]…lespréjugés,lareligion!—Ms.:«Gionreli.»

[17]…tandisqu’onsautelesfeuilletsdecejésuite…—Ms.:«Tejessui.»

[18]…(jesuiticomore)…—Ms.:«Ticojesui.»

[19]…vivreuneannéeàMarseilleavecuneactricecharmante…—MélanieGuilbert, queStendhal appelle ailleursLouason.

CHAPITREII[1]

Je tombai avec Napoléon en avril 1814. Je vins en Italie vivre comme clans la rued’Angiviller[2].En1821,jequittaiMilan,ledésespoirdansl’âmeàcausedeMétilde,etsongeant beaucoup à me brûler la cervelle. D’abord tout m’ennuya à Paris; plus tard,j’écrivis pour me distraire; Métilde mourut, donc inutile de retourner à Milan. J’étaisdevenu parfaitement heureux; c’est trop dire,mais enfin fort passablement heureux, en1830,quandj’écrivaisleRougeetleNoir.

Je fus ravi par les journées de juillet, je vis les balles sous les colonnes du Théâtre-Français,fortpeudedangerdemapart;jen’oublieraijamaiscebeausoleil,etlapremièrevuedudrapeau tricolore, le29ou le30[3], vershuit heures, après avoir couchéchez lecommandeur Pinto, dont la nièce avait peur. Le 25 septembre, je fus nommé consul àTriesteparM.Molé[4],quejen’avaisjamaisvu.DeTrieste,jesuisvenuen1831àCività-VecchiaetRome[5],où je suisencoreetoù jem’ennuie, fautedepouvoir faireéchanged’idées.J’aibesoindetempsentempsdeconverserlesoiravecdesgensd’esprit,fautedequoijemesenscommeasphyxié.

Ainsi,voicilesgrandesdivisionsdemonconte:néen1783,dragonen1800,étudiantde1803à1806[6].En1806,adjointauxcommissairesdesGuerres, intendantàBrunswick.En1809,relevantlesblessésàEsslingouàWagram,remplissantdesmissionslelongduDanube, sur ses rives couvertes de neige, à Linz et Passau, amoureux de madame lacomtessePetit,pourlarevoirdemandantàallerenEspagne.Le3août1810nomméparelle,àpeuprès,auditeurauConseild’Etat.CetteviedehautefaveuretdedépensesmeconduitàMoscou,mefaitintendantàSagan,enSilésie,etenfintomberenavril1814[7].Quilecroirait!quantàmoipersonnellement,lachutemefitplaisir.

Après la chute, étudiant, écrivain, fou d’amour, faisant imprimer[8] l’Histoire de laPeintureenItalieen1817;monpère,devenuultra,seruineetmeurten1819,jecrois;jereviens à Paris en juin 1821. Je suis au désespoir à cause de Métilde, elle meurt, jel’aimaismieuxmortequ’infidèle,j’écris,jemeconsole,jesuisheureux.En1830,aumoisdeseptembre,jerentredanslacarrièreadministrativeoùjesuisencore,regrettantlavied’écrivainautroisièmeétagedel’hôteldeValois,ruedeRichelieu,n°71.

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J’aiétéhommed’espritdepuisl’hiver1826,auparavantjemetaisaisparparesse.Jepasse,jecrois,pourl’hommeleplusgaietleplusinsensible,ilestvraiquejen’aijamaisditunseul mot des femmes que j’aimais. J’ai éprouvé absolument à cet égard tous lessymptômesdutempéramentmélancoliquedécritparCabanis.J’aieutrèspeudesuccès.

Mais, l’autre jour, rêvantà laviedans lecheminsolitaireau-dessusdu lacd’Albano, jetrouvai que ma vie pouvait se résumer par les noms que voici, et dont j’écrivais lesinitialessurlapoussière,commeZadig,avecmacanne,assissurlepetitbancderrièrelesstationsduCalvairedesMinoriMenzatibâtiparlefrèred’UrbainVIII,Barberini,auprèsdecesdeuxbeauxarbresenfermésparunpetitmurrond[9]:

Virginie (Kably), Angela (Pietragrua), Adèle (Rebuffel), Mélanie (Guilbert), Mina (deGrisheim), Alexandrine (Petit), Angelina que je n’ai jamais aimée (Bereyter), Angela(Pietragrua), Métilde (Dembowski), Clémentine, Giulia. Et enfin, pendant un mois auplus,MmeAzurdont j’aioublié lenomdebaptême[10], et, imprudemment,hier,Amalia(B.).

Laplupartdecesêtrescharmantsnem’ontpointhonorédeleursbontés;maisellesontàlalettreoccupétoutemavie.Aellesontsuccédémesouvrages.Réellementjen’aijamaisétéambitieux,maisen1811jemecroyaisambitieux.

L’étathabitueldemavieaétéceluid’amantmalheureux,aimantlamusiqueetlapeinture,c’est-à-direjouirdesproduitsdecesartsetnonlespratiquergauchement.J’airecherchéavecune sensibilitéexquise lavuedesbeauxpaysages;c’estpourcelauniquementquej’aivoyagé.Lespaysagesétaientcommeunarchetquijouaitsurmonâme,etdesaspectsquepersonnenecitait,lalignederochersenapprochantd’Arbois,jecrois,envenantdeDole par la grande route, sont pour moi une image sensible et évidente de l’âme deMétilde.JevoisquelaRêverieaétécequej’aipréféréàtout,mêmeàpasserpourhommed’esprit.Jenemesuisdonnécettepeine,jen’aipriscetétatd’improviserendialogue,auprofitde lasociétéoù jeme trouvais,qu’en1826,àcausedudésespoiroù jepassai lespremiersmoisdecetteannéefatale.

Dernièrement, j’ai appris, en le lisant dans un livre (les lettres de Victor Jacquemont,l’Indien)quequelqu’unavaitpumetrouverbrillant.Ilyaquelquesannées,j’avaisvulamêmechoseàpeuprèsdansunlivre,alorsàlamode,deladyMorgan.J’avaisoubliécettebelle qualité qui m’a fait tant d’ennemis. (Ce n’était peut-être que l’apparence de laqualité,et lesennemissontdesêtres tropcommunspour jugerdubrillant;parexemple,commentuncomted’Argoutpeut-iljugerdubrillant?Unhommedontlebonheurestdeliredeuxoutroisvolumesderomansin-12,pourfemmedechambre,parjour!CommentM.deLamartinejugerait-ildel’esprit?D’abordiln’enapaset,ensecondlieu,ildévoreaussideuxvolumesparjourdesplusplatsouvrages.VuàFlorenceen1824ou1826.)

Legranddrawback(inconvénient)d’avoirdel’esprit,c’estqu’ilfautavoirl’œilfixésurlesdemi-sotsquivousentourent,etsepénétrerdeleursplatessensations.J’ailedéfautdem’attacheraumoinsimpuissantd’imaginationetdedevenirinintelligiblepourlesautresqui,peut-être,n’ensontquepluscontents.

DepuisquejesuisàRome,jen’aipasd’espritunefoislasemaineetencorependantcinqminutes, j’aime mieux rêver. Ces gens-ci ne comprennent pas assez les finesses de lalanguefrançaisepoursentirlesfinessesdemesobservations:illeurfautdugrosespritde

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commis-voyageur,commeMélodramequilesenchante(exemple:Michel-AngeCaetani)etestleurvéritablepainquotidien.Lavued’unpareilsuccèsmeglace,jenedaigneplusparlerauxgensquiontapplaudiMélodrame.Jevoistoutlenéantdelavanité.

Ilyadeuxmoisdonc,enseptembre1835,rêvantàécrirecesmémoires,surlarivedulacd’Albano(àdeuxcentspiedsduniveaudulac),j’écrivaissurlapoussière,commeZadig,cesinitiales:

V.Aa.Ad.M.Mi.Al.Aine.Apg.Mde.C.G.Ar.123456

(MmeAzur,dontj’aioubliélenomdebaptême).

Jerêvaisprofondémentàcesnomsetauxétonnantesbêtisesetsottisesqu’ilsm’ontfaitfaire(jedisétonnantespourmoi,nonpourlelecteur,etd’ailleursjenem’enrepenspas).

Danslefaitjenaieuquesixfemmesquej’aiaimées.

LaplusgrandepassionestàdébattreentreMélanie,Alexandrine,MétildeetClémentine.

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Clémentine est celle qui m’a causé la plus grande douleur en me quittant. Mais cettedouleurest-elle comparableà celleoccasionnéeparMétilde,quinevoulaitpasmedirequ’ellem’aimait?

Avectoutescelles-làetavecplusieursautres,j’aitoujoursétéunenfant;aussiai-jeeutrèspeudesuccès.Mais,enrevanche,ellesm’ontoccupébeaucoupetpassionnément,etlaissédessouvenirsquimecharment,quelques-unsaprèsvingt-quatreans,commelesouvenirdelaMadonedelMonte,àVarèse,en1811.Jen’aipointétégalant,pasassez,jen’étaisoccupéquedelafemmequej’aimais,etquandjen’aimaispas,jerêvaisauspectacledeschoseshumaines,oujelisaisavecdélicesMontesquieuouWalterScott.Parainsi,commedisentlesenfants,jesuissiloind’êtreblasésurleursrusesetpetitesgrâcesqu’àmonâge,cinquante-deux[ans][11], et en écrivant ceci, je suis encore tout charmé d’une longuechiacchierataqu’AmaliaaeuehieravecmoiauTh[éâtre]Valle.

Pourlesconsidérerleplusphilosophiquementpossibleettâcherainsidelesdépouillerdel’auréolequimefaitallerlesyeux,quim’éblouitetm’ôtelafacultédevoirdistinctement,j’ordonnerai ces dames (langage mathématique) selon leurs diverses qualités. Je diraidonc,pourcommencerparleurpassionhabituelle:lavanité,quedeuxd’entreellesétaientcomtessesetune,baronne.

LaplusrichefutAlexandrinePetit,sonmarietellesurtoutdépensaientbien80.000francsparan.LapluspauvrefutMinadeGrisheim,fillecadetted’ungénéralsansnullefortuneet favori d’unprince tombé, dont les app[ointement]s faisaient vivre la famille, ouMlle

Bereyter,actricedel’Opera-Buffa.

Je cherche à distraire le charme, le dazzling des événements, en les considérant ainsimilitairement.C’estmaseuleressourcepourarriverauvraidansunsujetsurlequeljenepuis converser avec personne. Par pudeur de tempéramentmélancolique (Cabanis), j’aitoujoursété,àcetégard,d’unediscrétion incroyable, folle.Quantà l’esprit,Clémentinel’aemportésurtouteslesautres.Métildel’aemportéparlessentimentsnobles,espagnols;

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Giulia, ce me semble, par la force du caractère, tandis que, au premier moment, ellesemblait laplusfaible:AngelaP.aétécatinsublimeà italienne,à laLucrèceBorgia,etMmeAzur,catinnonsublime,àlaDuBarry.

L’argentnem’ajamaisfaitlaguerrequedeuxfois,àlafinde1805eten1806jusqu’enaoût,quemonpèrenem’envoyaitplusd’argent,etsansm’enprévenir,làétaitlemal;[il]futunefoiscinqmoissanspayermapensiondecentcinquantefrancs.Alorsnosgrandesmisères avec le vicomte[12], lui recevait exactement sa pension, mais la jouaitrégulièrementtoute,lejourqu’illarecevait.

En 1829 et 30, j’ai été embarrassé plutôt par manque de soin et insouciance que parl’absence véritablement de moyen, puisque de 1821 à 1830 j’ai fait trois ou quatrevoyagesenItalie,enAngleterre,àBarcelone,etqu’àlafindecettepériodejenedevaisquequatrecentsfrancs.

Monplusgrandmanqued’argentm’aconduitàladémarchedésagréabled’empruntercentfrancsou,quelquefois,deuxcentsàM.Beau.Jerendaisaprèsunmoisoudeux;etenfin,en septembre 1830, je devais quatre cents francs à mon tailleur Michel. Ceux quiconnaissentlaviedesjeunesgensdemonépoquetrouverontcelabienmodéré.De1800à1830,jen’avaisjamaisdûunsouàmontailleurLéger,niàsonsuccesseurMichel(22,rueVivienne).

Mes amis d’alors, 1830, MM. de Mareste, Colomb, étaient des amis d’une singulièreespèce,ilsauraientfaitsansdoutedesdémarchesactivespourmetirerd’ungranddanger,mais lorsque je sortais avec un habit neuf ils auraient donné vingt francs, le premiersurtout,pourqu’onmejetâtunverred’eausale,(ExceptélevicomtedeBarraletBigillion(deSaint-Ismier),jen’aiguèreeu,entoutemavie,quedesamisdecetteespèce.)

C’étaient de braves gens fort prudents qui avaient réuni 12 ou 15.000 [francs]d’appointements ou de rente par un travail ou une adresse assidue, et qui ne pouvaientsouffrir de me voir allègre, insouciant, heureux avec un cahier de papier blanc et uneplume,etvivantavecnonplusde4ou5.000francs.Ilsm’auraientaimécentfoismieuxs’ilsm’eussentvuattristéetmalheureuxden’avoirquelamoitiéouletiersdeleurrevenu,moiquijadislesavaispeut-êtreunpeuchoquésquandj’avaisuncocher,deuxchevaux,unecalècheetuncabriolet,carjusqu’àcettehauteurs’étaitélevémonluxe,dutempsdel’Empereur. Alors j’étais ou me croyais ambitieux; ce qui me gênait dans cettesupposition[13], c’est que je ne savais quoi désirer. J’avais honte d’être amoureux de lacomtesse Al. Petit, j’avais comme maîtresse entretenue Mlle A. Bereyter, actrice del’Opera-Buffa,jedéjeunaisaucaféHardy,j’étaisd’uneactivitéincroyable.JerevenaisdeSaint-Cloud à Paris exprès pour assister à un acte duMatrimonio segreto à l’Odéon(MadameBarilli,Barilli,Tachinardi.MmeFesta,MlleBereyter).MoncabrioletattendaitàlaporteducaféHardy,voilàcequemonbeau-frère[14]nem’ajamaispardonné.

Toutcelapouvaitpasserpourdelafatuitéetpourtantn’enétaitpas.Jecherchaisàjouiretàagir,maisjenecherchaisnullementàfaireparaîtreplusdejouissancesoud’actionqu’iln’yenavaitréellement.M.Prunelle,médecin,hommed’esprit,dontlaraisonmeplaisaitfort,horriblementlaidetdepuiscélèbrecommedéputévenduetmairedeLyonvers1833,quiétaitdemaconnaissanceencetemps-là,ditdemoi:C’étaitunfierfat.Ce jugementretentitparmimesconnaissances.Peut-êtreauresteavaient-ilsraison.

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Monexcellentetvraibourgeoisdebeau-frère,M.Périer-Lagrange(anciennégociantquise ruinait, sans le savoir, en faisant de l’agriculture près deLaTour-du-Pin), déjeunantavecmoiaucaféHardyetmevoyantcommanderfermeauxgarçons,caravectousmesdevoirs à remplir j’étais souvent pressé, fut ravi parce que ces garçons firent entre euxquelqueplaisanteriequi impliquaitquej’étaisunfat,cequinemefâchanullement.J’aitoujours et commepar instinct (si bien vérifié depuis par lesChambres), profondémentméprisélesbourgeois.

Toutefois,j’entrevoyaisaussiqueparmilesbourgeoisseulementsetrouvaientleshommesénergiquestelsquemoncousinRebuffel[15](négociantrueSaint-Denis), lePèreDucros,bibliothécaire de la ville de Grenoble, l’incomparable Gros (de la rue Saint-Laurent),géomètre de la haute volée et mon maître, à l’insu de mes parents mâles, car il étaitjacobin et toutema famille bigotement ultra. Ces trois hommes ont possédé toutemonestimeet toutmoncœur,autantque le respectet ladifférenced’âgepouvaientadmettrecescommunicationsquifontqu’onaime.Même,jefusaveceuxcommejefusplustardavec les êtres que j’ai trop aimés,muet, immobile, stupide, peu aimable et quelquefoisoffensant à force de dévouement et d’absencedumoi.Mon amour-propre,mon intérêt,monmoi avaient disparu en présence de la personne aimée, j’étais transformé en elle.Qu’était-ce quand cette personne était une coquine comme madame Piétragrua? Maisj’anticipetoujours.Aurai-jelecouraged’écrirecesConfessionsd’unefaçonintelligible?Il faut narrer, et j’écris des considérations sur des événements bien petits mais qui,précisément à cause de leur taille microscopique, ont besoin d’être contés trèsdistinctement.Quellepatienceilvousfaudra,ômonlecteur!

Donc, suivant moi, l’énergie ne se trouvait, même àmes yeux (en 1811), que dans laclassequiestenlutteaveclesvraisbesoins.

Mesamisnobles.MM.RaymonddeBérenger(tuéàLutzen),deSaint-Ferréol,deSinard(dévot mort jeune), Gabriel Du B………. (sorte de filou ou d’emprunteur peu délicat,aujourd’huipairdeFranceetultrapar l’âme),MM.deMonval,m’avaientparucommeayanttoujoursquelquechosedesingulier,unrespecteffroyablepourlesconvenances(parexemple,Sinard).Ilscherchaienttoujoursàêtredebontonoucommeilfaut,ainsiqu’ondisaitàGrenobleen1793.Maiscetteidée-là,j’étaisloindel’avoirclairement.Iln’yapasunanquemonidéesurlanoblesseestenfinarrivéeàêtrecomplète.Parinstinct,maviemorales’estpasséeàconsidérerattentivementcinqousixidéesprincipales,etàtâcherdevoirlavéritésurelles.

Raymond de Bérenger était excellent et un véritable exemple de la maxime: noblesseoblige,tandisqueMonval(mortcoloneletgénéralementméprisévers1829,àGrenoble)étaitl’idéald’undéputéducentre.ToutcelasevoyaitdéjàfortbienquandcesMessieursavaientquinzeans,vers1798.

Jenevoislavériténettementsurlaplupartdeceschosesqu’enlesécrivant,en1835,tantelles ont été enveloppées jusqu’ici de l’auréole de la jeunesse, provenant de l’extrêmevivacitédessensations.

A force d’employer des méthodes philosophiques, par exemple à force de classer mesamis de jeunesse par genres, comme M. Adrien de Jussieu fait pour ses plantes (enbotanique), je cherche à atteindre cette vérité quime fuit. Jem’aperçois que ce que je

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prenaispourdehautesmontagnes,en1800,n’étaientlaplupartquedestaupinières;maisc’estunedécouvertequejen’aifaitequebientard.

Jevoisquej’étaiscommeunchevalombrageux,etc’estàunmotquemeditM.deTracy(l’illustre comte Destutt de Tracy, pair de France, membre de l’Académie française et,bienmieux,auteurdelaloidu3prairial[16]surlesÉcolescentrales),c’estàunmotquemeditM.deTracyquejedoiscettedécouverte.

Ilmefautunexemple.Pourunrien,parexempleuneporteàdemiouverte,lanuit,jemefigurais deux hommes armés m’attendant pour m’empêcher d’arriver à une fenêtredonnantsurunegalerieoùjevoyaismamaîtresse.C’étaituneillusion,qu’unhommesagecommeAbrahamConstantin[17], mon ami, n’aurait point eue.Mais au bout de peu desecondes(quatreoucinqtoutauplus)lesacrificedemavieétaitfaitetparfait,etjemeprécipitaiscommeunhérosaudevantdesdeuxennemis,quisechangeaientenuneporteàdemifermée.

Iln’yapasdeuxmoisqu’unechosedecegenre,aumoraltoutefois,m’estencorearrivée.Lesacrificeétaitfaitettoutlecouragenécessaireétaitprésent,quandaprèsvingtheuresjemesuisaperçu,enrelisantunelettremallue(deM.Herrard),quec’étaituneillusion.Jelistoujoursfortvitecequimefaitdelapeine.

Donc,enclassantmaviecommeunecollectiondeplantes,jetrouvai:

Enfance,premièreéducation,de1786à180015ans.

Servicemilitaire,de1800à18033—

Secondeéducation,amoursridiculesavecMlleAdèleClozeletavecsamère,quisedonnal’amoureuxdesafille.Vierued’Angiviller.EnfinbeauséjouràMarseilleavecMélanie,de1803à18052—

RetouràParis,findel’éducation1—

ServicesousNapoléon,de1806à la finde1815(d’octobre1806à l’abdicationen1814)71/2

Mon adhésion, dans le même numéro duMoniteur on se trouva l’abdication deNapoléon.Voyages,grandesetterriblesamours,consolationsenécrivantdeslivres,de1814à1830151/2

Secondservice,allantdu15septembre1830auprésentquartd’heure5—

J’aidébutédanslemondeparlesalondeMmedeVaulserre,dévoteàlafiguresingulière,sansmenton, filledeM. lebarondesAdretset amiedemamère.C’étaitprobablementvers 1794. J’avais un tempérament de feu et la timidité décrite par Cabanis. Je fusexcessivementtouchédelabeautédubrasdeMlleBonnedeSaint-Vallier,jepense,jevoislafigureetlesbeauxbras,maislenomestincertain,peut-êtreétait-ceMlledeLavalette.M.deSaint-Ferréol,dontdepuisjen’aijamaisouïparler,étaitmonennemietmonrival,M.deSinard,amicommun,nouscalmait.Toutcelasepassaitdansunmagnifiquerez-de-chaussée donnant sur le jardin de l’hôtel des Adrets, maintenant détruit et changé enmaisonbourgeoise,rueNeuve,àGrenoble.Alamêmeépoquecommençamonadmiration

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passionnéepourlePèreDucros(moinecordeliersécularisé,hommedupremiermérite,dumoinsilmesemble).J’avaispouramiintimemongrand-père,M.HenriGagnon,docteurenmédecine.

Aprèstantdeconsidérationsgénérales,jevaisnaître.

[p.30][p.31]

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[1]LechapitreIIcomprendlesfeuillets20à42.Nondaté.

[2] Je vins en Italie vivre comme dans la rue d’Angiviller.—L’auteur était en 1819 àGrenoble, lors de l’élection del’abbéGrégoireàlaChambredesDéputés.(NoteaucrayondeH.Colomb.)

[3]…le29oule30…—C’estle28.(NoteaucrayondeR.Colomb.)

[4]…M.Molé…—Ms.:«Lémo.»—MoléfutministredesAffairesétrangèresentrele11aoûtetle2novembre1830.

[5]…Cività-VecchiaetRome…—Ms.:«Omar.»

[6]…étudiantde1803à1806.—NégociantàMarseille,1805.(NoteaucrayondeR.Colomb.)

[7]…tomberenavril1814.—Enavril1814.(NoteaucrayondeR.Colomb.)—Lemanuscritporte:1815.

[8]…faisantimprimer…—LeslettressurMozart,Haydn,etc.(NoteaucrayondeR.Colomb.)

[9]…enfermésparunpetitmurrond.—Enface,auversodufol.22,estuneesquissedecettescène:le«couvent»,prèsduquel passe la «route tendant àAlbano»; à droite, un arbre entouré d’unmur bas; à droite encore, au borddu«lacd’Albano»,Stendhalassis.Devantlui,encapitales,lesmotssuivants:«ZADIG.ASTARTÉ.»

[10]…dontj’aioubliélenomdebaptême.—MmeAzurestMmeAlberthedeRubempré.

[11]…àmonâge,cinquante-deuxans…—LeschiffresontétéintervertisparStendhal.Ilexpliquele52enmettantensurcharge:(72+3).

[12]Alorsnosgrandesmisèresaveclevicomte…—LevicomtedeBarral.

[13]…cequimegênaitdanscettesupposition…—Variante:«Idée.»

[14]…monbeau-frère…—Pauline,sœurdeBeyle,avaitépouséFrançois-DanielPérier-Lagrange.

[15]…moncousinRebuffel…—Jean-BaptisteRebuffet.StendhalorthographiecontinuellementRebuffel.Nousavonsrespectécetteorthographe.

[16]…loidu3prairial…—LaloiinstituantlesÉcolescentralesestdu3brumaireanIV.

[17]…AbrahamConstantin…—Peintresurporcelaine,originairedeGenève.

CHAPITREIII[1]

Monpremiersouvenirestd’avoirmorduàlajoueouaufrontmadamePison-Dugalland,ma cousine, femme de l’homme d’esprit député à l’Assemblée constituante. Je la voisencore,unefemmedevingt-cinqansquiavaitdel’embonpointetbeaucoupderouge.Cefutapparemmentcerougequimepiqua.Assiseaumilieudupréqu’onappelaitleglacisdelaportedeBonne,sajouesetrouvaitprécisémentàmahauteur.

«Embrasse-moi,Henri»,medisait-elle.Jenevouluspas,ellesefâcha,jemordisferme.Jevois lascène,maissansdouteparcequesur-le-champonm’enfituncrimeetquesanscesseonm’enparlait.

Ceglacis de laportedeBonne était couvert demarguerites.C’estune joliepetite fleurdontjefaisaisunbouquet.Cepréde1786setrouvesansdouteaujourd’huiaumilieudelaville,ausuddel’égliseducollège[2].

Ma tante Séraphie[3] déclara que j’étais un monstre et que j’avais un caractère atroce.CettetanteSéraphieavaittoutel’aigreurd’unefilledévotequin’apaspusemarier.Queluiétait-ilarrivé?Jenel’aijamaissu,nousnesavonsjamaislachroniquescandaleusedenosparents,etj’aiquittélavillepourtoujoursàseizeans,aprèstroisansdelapassionla

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plusvive,quim’avaitreléguédansunesolitudecomplète.

Lesecondtraitdecaractèrefutbienautrementnoir.

J’avaisfaitunecollectiondejoncs,toujourssurleglacisdelaportedeBonne(BonnedeLesdiguières.Demander le nom botanique du jonc, herbe de forme cylindrique commeuneplumedepouletetd’unpieddelong).

Onm’avaitramenéàlamaison,dontunefenêtreaupremierétagedonnaitsurlaGrande-rue,àl’angledelaplaceGrenette.Jefaisaisunjardinencoupantcesjoncsenmorceaux[4]dedeuxpoucesdelongquejeplaçaisdansl’intervalleentrelebalconetlejetd’eaudelacroisée.Lecouteaudecuisinedontjemeservaism’échappaettombadanslarue,c’est-à-dire d’une douzaine de pieds, près d’une madame Chenavaz. C’était la plus méchantefemme de toute la ville (mère de Candide Chenavaz qui, dans sa jeunesse, adorait laClarisse Harlowe de Richardson, depuis l’un des trois cents de M. de Villèle etrécompenséparlaplacedepremierprésidentdelacourroyaledeGrenoble;mortàLyonnonreçu).

Ma tante Séraphie dit que j’avais voulu tuermadameChenavaz; je fus déclaré pourvud’uncaractèreatroce,grondéparmonexcellentgrand-père,M.Gagnon,quiavaitpeurdesafilleSéraphie, ladévote laplusencréditdans laville,grondémêmeparcecaractèreélevéetespagnol,monexcellentegrand’tante,MlleElisabethGagnon[5].

Jemerévoltai, jepouvaisavoirquatreans[6].Decetteépoquedatemonhorreurpour lareligion[7],horreurquemaraisonapuàgrand’peineréduireàdejustesdimensions,etcelatoutnouvellement,iln’yapassixans.Presqueenmêmetempspritsapremièrenaissancemonamourfilialinstinctif,forcenédanscestemps-là,pourla…[8].

Jen’avaispasplusdecinqans[9].

Cette tante Séraphie a été mon mauvais génie pendant toute mon enfance; elle étaitabhorrée,maisavaitbeaucoupdecréditdanslafamille.Jesupposequedanslasuitemonpèrefutamoureuxd’elle,dumoinsilyavaitdelonguespromenadesauxGranges,dansunmaraissouslesmursdelaville,oùj’étaisleseultiersincommode,etoùjem’ennuyaisfort.Jemecachaisaumomentdepartirpourcespromenades.Làfitnaufragelatrèspetiteamitiéquej’avaispourmonpère.

Danslefait,j’aiétéexclusivementélevéparmonexcellentgrand-père,M.HenriGagnon.Cethommerareavait faitunpèlerinageàFerneypourvoirVoltaireetenavaitété reçuavecdistinction. Il avait unpetit buste deVoltaire, gros comme le poing,monté sur unpieddeboisd’ébènedesixpoucesdehaut.(C’étaitunsinguliergoût,maislesbeaux-artsn’étaientlefortnideVoltaire,nidemonexcellentgrand-père.)

Cebusteétaitplacédevantlebureauoùilécrivait;soncabinetétaitaufondd’untrèsvasteappartement donnant sur une terrasse élégante ornée de fleurs[10].C’était pourmoi unerarefaveurd’yêtreadmis,etuneplusraredevoiretdetoucherlebustedeVoltaire.

Etavectoutcela,duplusloinquejemesouvienne,lesécritsdeVoltairem’onttoujourssouverainementdéplu,ilsmesemblaientunenfantillage.Jepuisdirequeriendecegrandhommenem’ajamaisplu.Jenepouvaisvoiralorsqu’ilétaitlelégislateuretl’apôtredelaFrance,sonMartinLuther.

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M.Henri Gagnon portait une perruque poudrée, ronde, à trois rangs de boucles, parcequ’il était docteur en médecine, et docteur à la mode parmi les dames, accusé mêmed’avoirétél’amantdeplusieurs,entreautresmadameTeisseire,l’unedesplusjoliesdelaville,quejenemesouvienspasd’avoirjamaisvue,caralorsonétaitbrouillé,maisonmel’afaitcomprendreplustardd’unesingulièrefaçon.Monexcellentgrand-père,àcausedesaperruque,m’atoujourssembléavoirquatre-vingtsans.Ilavaitdesvapeurs(commemoimisérable),desrhumatismes,marchaitavecpeine,maisparprincipenemontaitjamaisenvoiture et nemettait jamais son chapeau: un petit chapeau triangulaire àmettre sous lebras[11]etquifaisaitmajoiequandjepouvaisl’accrocherpourlemettresurmatête,cequiétaitconsidérépartoutelafamillecommeunmanquederespect;etenfin,parrespect,jecessaidem’occuperduchapeautriangulaireetdelapetitecanneàpommeenracinedebuisbordéed’écaille.Mongrand-pèreadoraitlacorrespondanceapocryphed’Hippocrate,qu’il lisait en latin (quoiqu’il sût unpeude grec), et l’Horacede l’éditiondeJohannesBond,impriméeencaractèreshorriblementmenus.Ilmecommuniquacesdeuxpassionset en réalité presque tous ses goûts, mais pas comme il l’aurait voulu, ainsi que jel’expliqueraiplustard.

SijamaisjeretourneàGrenoble,ilfautquejefasserechercherlesextraitsdenaissanceetde décès de cet excellent homme, quim’adorait et n’aimait point son fils,M. RomainGagnon,pèredeM.OronceGagnon,chefd’escadronsdedragonsquiatuésonhommeenduelilyatroisans,cedontjeluisaisgré,probablementiln’estpasunniais.Ilyatrente-troisansquejenel’aivu,ilpeutenavoirtrente-cinq.

J’aiperdumongrand-pèrependantquej’étaisenAllemagne,est-ceen1807ouen1813,jen’aipasdesouvenirnet.JemesouviensquejefisunvoyageàGrenoblepourlerevoirencore;jeletrouvaifortattristé.Cethommesiaimable,quiétaitlecentredesveilléesoùilallait,neparlaitpresqueplus.Ilmedit:«C’estunevisited’adieu»,etpuisparlad’autreschoses;ilavaitenhorreurl’attendrissementdefamilleniais.

Unsouvenirmerevient,vers1807jemefispeindre,pourengagerMmeAlex.Petitàsefairepeindreaussi, et comme lenombredes séancesétaituneobjection, je laconduisischez un peintre vis-à-vis la Fontaine duDiorama qui peignait à l’huile, en une séance,pour cent-vingt francs[12].Mon bon grand-père vit ce portrait, que j’avais envoyé àmasœur,jecrois,pourm’endéfaire,ilavaitdéjàperdubeaucoupdesesidées;ilditenvoyantceportrait:«Celui-làestlevéritable»,etpuisretombadansl’affaissementetlatristesse.Ilmourutbientôtaprès,cemesemble,àl’âgede82ans,jecrois.

Sicettedateest exacte, ildevait avoir61ansen1789etêtrenévers1728. Il racontaitquelquefoislabatailledel’Assiette,assautdanslesAlpes,tentéenvainparlechevalierdeBelle-Isle en 1742, je crois[13]. Son père, homme ferme, plein d’énergie et d’honneur,l’avaitenvoyélàcommechirurgiend’armée,pourluiformerlecaractère.Mongrand-pèrecommençaitsesétudesenmédecineetpouvaitavoirdix-huitouvingtans,cequiindiqueencore1724commeépoquedesanaissance.

Ilpossédaitunevieillemaisonsituéedans laplusbellepositionde laville, sur laplaceGrenette,aucoindelaGrande-rue,enpleinmidietayantdevantellelaplusbelleplacedela ville, les deux cafés rivaux et le centre de la bonne compagnie.Là, dans unpremierétagefortbas,maisd’unegaietéadmirable,habitamongrand-pèrejusqu’en1789.

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Ilfautqu’ilfûtrichealors,carilachetaunesuperbemaisonsituéederrièrelasienneetquiappartenaitauxdamesdeMarnais.Iloccupalesecondétagedesamaison,placeGrenette,ettoutl’étagecorrespondantdelamaisondeMarnais,etsefitleplusbeaulogementdelaville.Ilyavaitunescaliermagnifiquepourletempsetunsalonquipouvaitavoirtrente-cinqpiedssurvingt-huit.

Onfitdes réparationsauxdeuxchambresdecetappartementquidonnaientsur laplaceGrenette,etentreautresunegippe[14](cloisonforméeparduplâtreetdesbriquesplacéesdechampl’unesurl’autre)pourséparerlachambredelaterribletanteSéraphie,filledeM.Gagnon, de celle demagrand’-tanteElisabeth, sa sœur.Onposa deshappes en ferdanscettegippeetsurleplâtredechacunedeceshappesj’écrivis:HenriBeyle,1789.Jevoisencorecesbellesinscriptionsquiémerveillaientmongrand-père.

«Puisquetuécrissibien,medit-il,tuesdignedecommencerlelatin.»

Cemotm’inspirait une sorte de terreur, et un pédant affreux par la forme,M. Joubert,grand,pâle,maigre,encouteau,s’appuyantsuruneépine,vintmemontrer,m’enseignermura,lamûre.NousallâmesacheterunrudimentchezM.Giroud,libraire,aufondd’unecourdonnantsurlaplaceauxHerbes.Jenesoupçonnais[15]guèrealorsquelinstrumentdedommageonm’achetaitlà.

Icicommencentmesmalheurs.

Maisjediffèredepuislongtempsunrécitnécessaire,undesdeuxoutroispeut-être[16]quimeferontjetercesmémoiresaufeu.

Mamère,madameHenrietteGagnon,étaitunefemmecharmanteetj’étaisamoureuxdemamère.

Jemehâted’ajouterquejelaperdisquandj’avaisseptans.

Enl’aimantàsixanspeut-être(1789),j’avaisabsolumentlemêmecaractèreque,en1828,enaimantàlafureurAlberthedeRubempré.Mamanièred’alleràlachassedubonheurn’avaitaufondnullementchangé, iln’yaquecetteseuleexception: j’étais,pourcequiconstituelephysiquedel’amour,commeCésarserait,s’ilrevenaitaumonde,pourl’usageducanonetdespetitesarmes.Jel’eussebienviteapprisetcelan’eûtrienchangéaufonddematactique.

Jevoulaiscouvrirmamèredebaisersetqu’iln’yeûtpasdevêtements.Ellem’aimaitàlapassion etm’embrassait souvent, je lui rendais ses baisers avec un tel feu qu’elle étaitsouvent obligée de s’en aller. J’abhorrais mon père quand il venait interrompre nosbaisers.Jevoulais toujours les luidonnerà lagorge.Qu’ondaigneserappelerqueje laperdis,parunecouche,quandàpeinej’avaisseptans.

Elle avait de l’embonpoint, une fraîcheur parfaite, elle était fort jolie, et je crois queseulement elle n’était pas assez grande. Elle avait une noblesse et une sérénité parfaitedanslestraits;brune,vive,avecunevraiecouretsouventellemanquadecommanderàsestroisservantesetenfin[17] lisaitsouventdansl’original laDivineComédiedeDante,dontj’aitrouvébienplustardcinqàsixlivresd’éditionsdifférentesdanssonappartementrestéfermédepuissamort.

Ellepéritàlafleurdelajeunesseetdelabeauté,en1790,ellepouvaitavoirvingt-huitou

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trenteans.

Làcommencemaviemorale.

MatanteSéraphieosamereprocherdenepaspleurerassez.Qu’onjugedemadouleuretdecequejesentis!Maisilmesemblaitquejelareverraislelendemain:jenecomprenaispaslamort.

Ainsi,ilyaquarante-cinqansquej’aiperducequej’aimaisleplusaumonde[18].

Ellenepeutpass’offenserdelalibertéquejeprendsavecelleenrévélantquejel’aimais;si je laretrouvejamais, je le luidiraisencore.D’ailleurs,ellen’aparticipéenrienàcetamour.Ellen’enagitpasàlaVénitienne,commemadameBenzoniavecl’auteurdeNella.Quantàmoi,j’étaisaussicriminelquepossible,j’aimaissescharmesavecfureur.

Unsoir,commeparquelquehasardonm’avaitmiscoucherdanssachambreparterre,surunmatelas, cette femmevive et légère commeunebiche sautapar-dessusmonmatelaspouratteindreplusviteàsonlit[19].

Sachambreestrestéeferméedixansaprèssamort[20].Monpèremepermitavecdifficultéd’yplaceruntableaudetoileciréeetd’yétudierlesmathématiquesen1798,maisaucundomestique n’y entrait, il eût été sévèrement grondé, moi seul j’en avais la clef. Cesentiment de mon père lui fait beaucoup d’honneur à mes yeux, maintenant que j’yréfléchis.

Elle mourut donc dans sa chambre, rue des Vieux-Jésuites, la cinquième ou sixièmemaisonàgaucheenvenantde laGrande-rue[21],vis-à-vis lamaisondeM.Teisseire.Làj’étaisné,cettemaisonappartenaitàmonpèrequilavenditlorsqu’ilsemitàbâtirsaruenouvelleetàfairedesfolies.Cetterue,quil’aruiné,futnomméerueDauphin(monpèreétait extrêmement ultra, partisan des pr[êtres] et des nobles) et s’appelle, je crois,maintenantrueLafayette.

Je passais ma vie chez mon grand-père, dont la maison était à peine à cent pas de lanôtre[22].

[p.42][p.43]

[1]LechapitreIIIcomprendlesfeuillets43à59.—ÉcritàRome,les27et30novembre1835.

[2]…ausuddel’égliseducollège.—LaportedeBonne,eneffet,aétédémolieen1832,lorsdel’agrandissementdelapartiesud-estdel’enceintedeGrenobleparlegénéralHaxo,de1832à1836.

[3]MatanteSéraphie…—Sœurcadettede lamèredeBeyle.Sur lesmembresde la familleGagnon,voirplus loin,chapitreVII,etl’AnnexeIV.

[4]…coupantcesjoncsenmorceaux…—Variante:«Bouts.»

[5]…MlleElisabethGagnon.—ElisabethGagnon,sœurd’HenriGagnon,grand-pèrematerneldeBeyle.

[6]…jepouvaisavoirquatreans.—Onlit,àcesujet,surunfeuilletintercaléenfacedufol.8:«M.GagnonachètelamaisonvoisinedemadamedeMarnais,onchanged’appartement,j’écrispartoutsurleplâtredeshappes:«HenriBeyle,

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1789.»Jevoisencorecettebelleinscriptionquiémerveillaitmonbongrand-père.

«Donc,monattentatàlaviedemadameChenavazestantérieurà1789.»]

[7]…monhorreurpourlareligion…—Ms.:«Gion.»

[8]…forcenédanscestemps-là,pourla…—Motillisible.

[9]Jen’avaispasplusdecinqans.—Variante:«Jepouvaisavoirquatreoucinqans.»

[10] … une terrasse élégante ornée de fleurs.—Il s’agit du cabinet d’été d’Henri Gagnon. Voir notre plan del’appartementGagnon.

[11]… un petit chapeau triangulaire à mettre sous le bras …—Dans la marge, Stendhal a fait un dessin grossierreprésentantlechapeaudesongrand-père.

[12]…pourcent-vingtfrancs…—CeportraitestdeBoilly.IlfaitpartieactuellementdelacollectionLesbros.

[13] … la bataille de l’Assiettex …en 1742, je crois.—Cette bataille eut lieu pendant la guerre de la Successiond’Autriche.Le19juillet1747,lechevalierdeBelle-Isle,frèredumaréchal,voulantenvahirlePiémont,futrepousséaucoldel’Assiette,entreExilesetFénestrelles.

[14]…entreautresunegippe…—Termelocal,encoreenusageàGrenoble.

[15]Jenesoupçonnais…—Variante:«Savais.»

[16]…undesdeuxoutroispeut-être…—Stendhalad’abordécrit:«undeceuxp»,puisilcontinue:«desdeuxoutroispeut-être».Ilsembleque,danscesconditions, la leçon«undeceuxp»doiveêtresupprimée,quoiquen’ayantpasétérayéeparl’auteur.

[17]…etenfinlisait…—Lalecturedecetteligneetdelaprécédenteesttrèsincertaine.Cettepartiedutexteestfortmalécrite.Stendhals’enexcusedanslamargeendisant:«Écritdenuitàlahâte.»

[18]…cequej’aimaisleplusaumonde.—Entrecetalinéaetlesuivant,Stendhalalaisséunlargeespaceoùilaécritlemot:«Chapitre.»

[19]…pouratteindreplusviteàsonlit.—Entrecetalinéaetlesuivant,nouvelespaceassezlarge,marquéd’une+.

[20] Sa chambre est restée fermée dix ans après sa mort.—En marge de cet alinéa, Stendhal a fait un croquisreprésentantlachambredesamère,avecunenoticeexplicative.

[21] … en venant de la Grands-rue …—Aujourd’hui rue Jean-Jacques-Rousseau, n° 14.—Voir l’Appendice II, laMaisonnataledeStendhal,parM.SamuelChabert.

[22]…àpeineàcentpasdelanôtre.—Danslamarge,Stendhaladessinéuncroquisdonnantlasituationrespectivedelamaisondesonpère,decelledesongrand-père,etdelamaisondeMarnais.Unautredessinplusgrandestajoutéaumanuscrit.Ilreprésentela«partiedelavilledeGrenobleen1793»compriseentrelarueLafayette,larueSaint-Jacques,laplaceGrenette(oùsontfigurésl’«arbredelaLiberté»,l’«arbredelaFraternité»etla«pompeancienne»),laGrande-rueetlaruedesVieux-Jésuites(aujourd’huirueJean-Jacques-Rousseau).—LamaisonoccupéeparHenriGagnonporteactuellementlen°20delaGrande-rueetlen°2delaplaceGrenette.

Auverso,nouveautestament,ainsiconçu:

«Testament.

Je lègueetdonne laViedeHenriBrulard, écritepar lui-même, àM.AlphonseLevavasseur, placeVendôme, etaprèsluiàMM.PhilarèteChasles,HenriFoumier,Amyot,souslaconditiondechangertouslesnomsdefemmeetaucunnomd’homme.

Cività-Vecchia,le1erdécembre1835.

H.BEYLE.»

CHAPITREIV[1]

J’écriraisunvolumesurlescirconstancesdelamortd’unepersonnesichère[2].

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C’est-à-dire:j’ignoreabsolumentlesdétails,elleétaitmorteencouches,apparemmentparlamaladressed’unchirurgiennomméHérault, sotchoisiapparemmentparpiquecontreunautreaccoucheur,hommed’espritetdetalent,c’estainsiàpeuprèsquemourutMme

Petit en 1814. Je ne puis décrire au long que mes sentiments, qui probablementsembleraient exagérés ou incroyables au spectateur accoutumé à la nature fausse desromans(jeneparlepasdeFielding)ouàlanatureétioléedesromansconstruitsavecdescœursdeParis.

J’apprends au lecteur que le Dauphiné a une manière de sentir à soi, vive, opiniâtre,raisonneuse,quejen’airencontréeenaucunpays.Pourdesyeuxclairvoyants,àtouslestrois degrés de latitude la musique, les paysages et les romans devraient changer. Parexemple, à Valence, sur le Rhône, la nature provençale finit, la nature bourguignonnecommence àValence et fait place, entre Dijon et Troyes, à la nature parisienne, polie,spirituelle,sansprofondeur,enunmotsongeantbeaucoupauxautres.

La nature dauphinoise a une ténacité, une profondeur, un esprit, une finesse que l’onchercheraitenvaindanslacivilisationprovençaleoudanslabourguignonne,sesvoisines.LàoùleProvençals’exhaleeninjuresatroces,leDauphinoisréfléchitets’entretientavecsoncœur.

ToutlemondesaitqueleDauphinéaétéunEtatséparédelaFranceetà-demiitalienparsa politique jusqu’à l’an 1349[3]. Ensuite Louis XI, dauphin, brouillé avec son père,administralepayspendantseize[4]ans,et jecroiraisassezquec’estcegénieprofondetprofondémenttimideetennemidespremiersmouvementsquiadonnésonempreinteaucaractèredauphinois.Demontempsencore,danslacroyancedemongrand-pèreetdematanteElisabeth,véritable typedessentimentsénergiquesetgénéreuxde lafamille,Parisn’était point un modèle, c’était une ville éloignée et ennemie dont il fallait redouterl’influence.

Maintenant que j’ai fait la cour aux lecteurs peu sensibles par cette digression, jeraconteraique,laveilledelamortdemamère,onnousmenapromener,masœurPaulineetmoi,rueMontorge:nousrevînmeslelongdesmaisonsàgauchedecetterue(auNord).On nous avait établis chez mon grand-père, dans la maison sur la place Grenette. Jecouchais sur leplancher, surunmatelas, entre le fenêtreet lacheminée, lorsquesur lesdeuxheuresdumatintoutelafamillerentraenpoussantdessanglots.

«Maiscommentlesmédecinsn’ontpastrouvéderemèdes?»disais-jeàlavieilleMarion(vraieservantedeMolière,amiedesesmaîtresmaisleurdisantbiensonmot,quiavaitvumamère fort jeune, qui l’avait vumarier dix ans auparavant, en 1780) et quim’aimaitbeaucoup.

Marie Thomasset, de Vinay, vrai type de caractère dauphinois, appelée du diminutifMarion,passalanuitassiseàcôtédemonmatelas,pleurantàchaudeslarmesetchargéeapparemment de me contenir. J’étais beaucoup plus étonné que désespéré, je necomprenaispaslamort,j’ycroyaispeu.

«Quoi,disais-jeàMarion,jenelareverraijamais?

—Commentveux-tularevoir,sionl’emportera(sic)aucimetière?

—Etoùest-il,lecimetière?

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—RuedesMûriers,c’estceluidelaparoisseNotre-Dame.»

Tout le dialogue de cette nuit m’est encore présent, et il ne tiendrait qu’à moi de letranscrire ici. Là véritablement a commencé ma vie morale, je devais avoir six ans etdemi.Aureste,cesdatessontfacilesàvérifierparlesactesdel’état-civil.

Jem’endormis;lelendemain,àmonréveil,Marionmedit:

«Ilfautallerembrassertonpère.

—Comment,mapetitemamanestmorte!maiscommentest-cequejenelareverraiplus?

—Veux-tubientetaire,tonpèret’entend,ilestlà,danslelitdelagrand’tante.»

J’allai avec répugnance dans la ruelle de ce lit qui était obscure parce que les rideauxétaientfermés.J’avaisdel’éloignementpourmonpèreetdelarépugnanceàl’embrasser.

Un instant aprèsarriva l’abbéRey,unhomme fortgrand, très froid,marqué[5]depetitevérole,l’airsansespritetbon,parlantdunez,quibientôtaprèsfutgrandvicaire.C’étaitunamidelafamille.

Lecroira-t-on?àcausedesonétatdeprêtrej’avaisdel’antipathiepourlui.

M. l’abbéReyseplaçaprèsde la fenêtre,monpère se leva,passa sa robedechambre,sortitdel’alcôveferméepardesrideauxdesergeverte(ilyavaitd’autresbeauxrideauxdetaffetasrose,brodésdeblanc,quilejourcachaientlesautres).

L’abbéReyembrassamonpèreensilence,jetrouvaimonpèrebienlaid,ilavaitlesyeuxgonflés,etleslarmeslegagnaientàtousmoments.J’étaisrestédansl’alcôveobscureetjevoyaisfortbien.

«Mon ami, ceci vient de Dieu», dit enfin l’abbé; et ce mot, dit par un homme que jehaïssaisàunautrequejen’aimaisguère,mefitréfléchirprofondément.

On me croira insensible, je n’étais encore qu’étonné de la mort de ma mère. Je necomprenais pas ce mot. Oserai-je écrire ce que Marion m’a souvent répété depuis enformedereproche?JememisàdiredumaldeGod.

Aureste,supposonsquejementesurcespointesd’espritquipercentlesol,certainementjenemenspassurtoutlereste.Sijesuistentédementir,ceseraplustard,quandils’agirade très grandes fautes, bien postérieures. Je n’ai aucune foi dans l’esprit des enfantsannonçant un homme supérieur. Dans un genre moins sujet à illusions, car enfin lesmonuments restent, tous les mauvais peintres que j’ai connus ont fait des chosesétonnantesvershuitoudixansetannonçantlegénie.[6]

Hélas!rienn’annoncelegénie,peut-êtrel’opiniâtretéseraitunsigne[7].

Le lendemain, il futquestionde l’enterrement;monpère,dont la figureétait réellementabsolumentchangée,me revêtitd’unesortedemanteauen lainenoire[8]qu’ilme liaancou.Lascènesepassadanslecabinetdemonpère,ruedesVieux-Jésuites:monpèreétaitnoirettoutlecabinettapisséd’in-foliofunèbres,horriblesàvoir.LaseuleEncyclopédieded’AlembertetDiderot,brochéeenbleu,faisaitexceptionàlalaideurgénérale.

Ce….dedroitavait[9]appartenuàM.deBrenier,marideMlledeVaulserreetcomtede…

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[10]MlledeVaulserredonnacetitreàsonmari;dèslorsonavaitchangédenom.VaulserreétantplusnobleetplusbeauquedeBrenier.Depuis,elles’étaitfaitechanoinesse[11].

Touslesparentsetamisseréunirentdanslecabinetdemonpère[12].

Revêtudemamantenoire, j’étais entre lesgenouxdemonpère[en]1 [13].M. Picot, lepère,notrecousin,hommesérieux,maisdusérieuxd’unhommedecour,etfortrespectédanslafamillecommeespritdeconduite(ilétaitmaigre,cinquante-cinqansetlatournurelaplusdistinguée),entraetseplaçaen3.

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UNEPAGEMALÉCRITEDUMANUSCRITDELAVIEDEHENRIBRULARD(Bibl.mun.deGrenoble:msR299,t.1,fol.69)

Aulieudepleureretd’êtretriste,ilsemitàfairelaconversationcommeàl’ordinaireetàparler de laCour. (Peut-être était-ce laCour duParlement, c’est fort probable.) Je crusqu’ilparlaitdesCoursétrangèresetjefusprofondémentchoquédesoninsensibilité.

Uninstantaprèsentramononcle,lefrèredemamère,jeunehommeonnepeutpasmieuxfaitetonnepeutpasplusagréableetvêtuavecladernièreélégance.C’était l’hommeàbonnes fortunesde la ville, lui aussi semit à faire la conversation commeà l’ordinaireavecM.Picot;ilseplaçaen4.Jefusviolemmentindignéetjemesouvinsquemonpèrel’appelaitunhommeléger.Cependant jeremarquaiqu’ilavait lesyeuxfortrouges,et ilavaitlaplusjoliefigure,celamecalmaunpeu.

Il était coiffé avec la dernière élégance et une poudre qui embaumait; cette coiffureconsistaitenuneboursecarréede taffetasnoiretdeuxgrandesoreillesdechien (tel futleur nom six ans plus tard), comme en porte encore aujourd’hui M. le prince deTalleyrand.

Ilsefitungrandbruit,c’étaitlabièredemapauvremèrequel’onprenaitausalonpourl’emporter.

«Ah!çà,jenesaispasl’ordredecescérémonies»,ditd’unairindifférent[14]M.Picotense levant, cequime choqua fort; ce fut làmadernière sensation sociale.Enentrant ausalonetvoyantlabièrecouvertedudrapnoiroùétaitmamère,jefussaisiduplusviolentdésespoir,jecomprenaisenfincequec’étaitquelamort.

MatanteSéraphiem’avaitdéjàaccuséd’êtreinsensible.

J’épargneraiaulecteurlerécitdetouteslesphasesdemondésespoiràl’égliseparoissialedeSaint-Hugues.J’étouffais,onfutobligé,jecrois,dem’emmenerparcequemadouleurfaisaittropdebruit.Jen’aijamaispuregarderdesang-froidcetteéglisedeSaint-Hugueset lacathédralequiest attenante[15].Le son seuldes clochesde la cathédrale,mêmeen1828, quand je suis allé revoir Grenoble, m’a donné une tristesse morne, sèche, sansattendrissement,decettetristessevoisinedelacolère.

En arrivant au cimetière, qui était dans un bastion près de la rue des Mûriers[16](aujourd’hui,dumoinsen1828,occupéparungrandbâtiment,magasindugénie),jefisdesfoliesqueMarionm’aracontéesdepuis.Ilparaîtquejenevoulaispasqu’onjetâtdelaterresurlabièredemamère,prétendantqu’onluiferaitmal.Mais

Surlesnoirescouleursd’unsitristetableauIlfautpasserl’épongeoutirerlerideau.

Parsuitedujeucompliquédescaractèresdemafamille,ilsetrouvaqu’avecmamèrefinit

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toutelajoiedemonenfance.

[1]LechapitreIVcomprendlesfeuillets60à74.—Écritles1eret2décembre1835.

[2]…lescirconstancesdelamortd’unepersonnesichère.—Ensurcharge:«Jerempliraisdesvolumessij’entreprenaisdedécriretouslessouvenirsenchanteursdeschosesquej’aivuesouavecmamère,oudesontemps.»Nilepremiertexte,nicelui-ci,neconviennentabsolument.NousconservonslapremièreleçondeStendhal,quin’apasétérayéeparlui,etquicorrespondmieuxaucontexte.—HenrietteGagnon,mèredeStendhal,mourutle23novembre1790.

[3]…jusqu’àl’an1349.—Unepartiedeladateestenblanc.—LeDauphinéfutcédéauroideFrancePhilippeVIparledauphinHumbertII.

[4]…pendant seize ans…—Egalement en blanc.—Louis XI gouverna le Dauphiné depuis 1440 jusqu’à sa retraiteauprèsdePhilippeleBon,ducdeBourgogne,enaoût1456.

[5]…marquédepetitevérole…—Variante:«Creusé.»

[6]…etannonçantlegénie.—Danslamargedufol.68,onlit:«Écritdenuit,le1erdéc.35.»Defait,l’écrituredecepassageestparticulièrementmauvaise.

[7]…peut-êtrel’opiniâtretéseraitunsigne.—Variante:«Peut-êtrel’opiniâtretéest-elleunsigne.»

[8]…enlainenoire…—Variante:«Noir.»

[9]—Ce…dedroitavait…—Unmotillisible.Lalecturedesautresmotsestincertaine.

[10]…MlledeVaulserreetcomtede…—Motillisible.Cetitredecomtenousesttotalementinconnudansl’unecommedansl’autredesfamillesdeBrenieretdeVaulserre.

[11]Depuiselles’étaitfaitechanoinesse.—Angélique-Françoise-Marie-Louise-Elisabeth-GabrielledeVaulserre,néele4mars1754,épousa,le10juillet1780,Jean-AntoinedeBrenier.Ellemourutle11février1812.

[12]Touslesparentsetamisseréunirentdanslecabinetdemonpère.—Enhautdufol.70onlitladate:«2décembre1835.»

Presquetoutelapageestoccupéeparunplanintitulé:«Corpsdelogisoùjefusplacéavecmonprécepteur,M.l’abbéRaillane.»Stendhalyindique,danslecabinetdesonpère,laplacedecelui-ci,«dansunfauteuil»(1),etcellesdeM.Picot(3)etdeRomainGagnon(4).]

[13]…j’étaisentre lesgenouxdemonpèreen1.—Lesnuméroscorrespondentauplanci-dessus:M.BeyleetHenrisontplacésprèsdelacheminée,MM.PicotetRomainGagnoncontrelemuropposé.

[14] … dit d’un air indifférent M. Picot …—Les mots: «d’un air indifférent» sont en interligne, entre les mots«cérémonies,ditM.»et:achoquafort;cefut.»

[15]…lacathédralequiestattenante.—Enmargeestunplangrossierdel’égliseSaint-Huguesetdelacathédrale.Lemêmeplan,plusprécis,setrouvereproduitenfacedufol.73(versodufol.72).

[16]…cimetière,quiétaitdansunbastionprèsdelaruedesMûriers…—Voirl’emplacementducimetièresurnotreplandeGrenobleen1793.—LecimetièredelaruedesMûriersaétédésaffectéenl’anVIII.

CHAPITREV[1]

PETITSSOUVENIRSDEMAPREMIÈREENFANCE

Al’époqueoùnous[2]occupionslepremierétagesurlaplaceGrenette,avant1790ouplusexactement jusqu’au milieu de 1789, mon oncle, jeune avocat, avait un joli petitappartementau second,aucoinde laplaceGrenetteetde laGrande-rue[3]. Il riait avecmoi,etmepermettaitdelevoirdépouillersesbeauxhabitsetprendresarobedechambre,

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le soir, à neuf heures, avant souper. C’était un moment délicieux pour moi, et jeredescendaistoutjoyeuxaupremierétageenportantdevantluileflambeaud’argent.Monaristocratefamilleseseraitcruedéshonoréesileflambeaun’avaitpasétéd’argent.Ilestvraiqu’ilneportaitpaslanoblebougie,l’usageétaitalorsdeseservirdechandelle.Maiscettechandelle,onlafaisaitveniravecgrandsoinetencaissedesenvironsdeBriançon;onvoulaitqu’ellefûtfaiteavecdusuifdechèvre,onécrivaitpourcelaentempsutileàunami qu’on avait dans cesmontagnes. Jeme vois encore assistant au déballement de lachandelle etmangeant du lait avec du pain dans l’écuelle d’argent; le frottement de lacuillercontre lefonddel’écuellemouillédelaitmefrappaitcommesingulier.C’étaientpresque des relations d’hôte àhôte, comme on les voit dansHomère, que celles qu’onavaitaveccetamideBriançon,suitenaturelledeladéfianceetdelabarbariegénérales[4].

Mononcle,jeune,brillant,léger,passaitpourl’hommeleplusaimabledelaville,aupointque,biendesannéesaprès,madameDelaunay,voulantjustifiersavertu,laquellepourtantavaitfaittantdefaux-pas:«Pourtant,disait-elle,jen’aijamaiscédéàM.Gagnonfils.»

Mononcle,dis-je,semoquaitfortdelagravitédesonpère,lequel,lerencontrantdanslemondeavecdericheshabitsqu’iln’avaitpaspayés,étaitfortétonné.«Jem’éclipsaisauplusvite»,ajoutaitmononclequimeracontaitcecas.

Unsoir,malgrétoutlemonde(maisquelsétaientdonclesopposantsavant1790?),ilmemenaauspectacle.OnjouaitLeCid.

«Maiscetenfantestfou»,ditmonexcellentgrand-pèreàmonretour,sonamourpourleslettresl’avaitempêchédes’opposerbiensérieusementàmacourse[5]auspectacle.JevisdoncjouerLeCid,mais,cemesemble,enhabitsdesatinbleudecielavecdessouliersdesatinblanc.

EndisantlesStances,ouailleurs,enmaniantuneépéeavectropdefeu,leCidseblessaàl’œildroit.

«Un peu plus, dit-on autour demoi, il se crevait l’œil.» J’étais aux premières loges, lasecondeàdroite[6].

Uneautrefois,mononcleeutlacomplaisancedememeneràlaCaravaneduCaire.(Jelegênaisdanssesévolutionsautour,auprèsdesdames.Jem’enapercevaisfortbien[7].)Leschameauxme firent absolument perdre la tête, L’Infante de Zamora, où un poltron, oubien un cuisinier, chantait une ariette, portant un casque avec un rat pour cimier, mecharmajusqu’audélire.C’étaitpourmoilevraicomique.

Jemedisais,fortobscurémentsansdoute,etpasaussinettementquejel’écrisici:«Touslesmomentsdelaviedemononclesontaussidélicieuxqueceuxdontjepartageleplaisirauspectacle.Laplusbellechosedumondeestdoncd’êtreunhommeaimable, commemon oncle. » Il n’entrait pas dansma tête de cinq ans quemon oncle ne fût pas aussiheureuxquemoienvoyantdéfilerleschameauxdelaCaravane.

Mais j’allai trop loin: au lieud’être galant, je devins passionné auprès des femmesque

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j’aimais, presque indifférent et surtout sans vanité pour les autres, de là le manque desuccès et le fiasco. Peut-être aucun homme de laCour de l’Empereur n’a eumoins defemmesquemoi,quel’oncroyaitl’amantdelafemmedupremierministre.

Le spectacle, le son d’une belle cloche grave (comme à l’église de…[8], au-dessus deRolle,enmai1800,allantauSaint-Bernard)sontetfurenttoujoursd’uneffetprofondsurmon cœur.Lamessemême, à laquelle je croyais si peu,m’inspirait de la gravité.Bienjeuneencore,etcertainementavantdixanset lebilletde l’abbéGardon, jecroyaisqueGodméprisaitces jongleurs. (Aprèsquarante-deuxansderéflexions, j’ensuisencore lamystification, trop utile à ceux qui la pratiquent pour ne pas trouver toujours descontinuateurs. Histoire de lamédaille, que raconta avant-hier Umbert Guitri, décembre1835.)

J’ailesouvenirleplusnetetleplusclairdelaperruquerondeetpoudréedemongrand-père,elleavaittroisrangsdeboucles.Ilneportaitjamaisdechapeau.

Ce costume avait contribué, ceme semble, à le faire connaître et respecter du peuple,duquelilneprenaitjamaisd’argentpoursessoinscommemédecin.

Ilétait lemédecinetl’amidelaplupartdesmaisonsnobles.M.deChaléon,dontjemerappelleencorelesondesclercs[9]sonnésàSaint-Louis lorsdesamort;M.deLacoste,qui eut une apoplexie dans les Terres-Froides, à La Frette;M. de Langon, d’une hautenoblesse,disaientlessots;M.deRavix,quiavaitlagaleetjetaitsonmanteauàterresurleplancher, dans la chambredemongrand-père, quimegronda avec unemesure parfaiteparceque,aprèsavoirparlédecettecirconstance,j’articulailenomde[10]M.deRavix;M.etMmedesAdrets,MmedeVaulserre,leurfille,danslesalondelaquellejevislemondepourlapremièrefois.Sasœur,MmedeM…….,mesemblaitbienjolieetpassaitpourfortgalante[11].

Il était et avait été depuis vingt-cinq ans, à l’époque où je l’ai connu, le promoteur detoutes lesentreprisesutilesetque,vu l’époqued’enfancepolitiquedeces tempsreculés(1760), on pourrait appeler libérales.On lui doit laBibliothèque[12]. Ce ne fut pas unepetiteaffaire.Ilfallutd’abordl’acheter,puislaplacer,puisdoterlebibliothécaire.

Ilprotégeait,d’abordcontreleursparents,puisplusefficacement,touslesjeunesgensquimontraientl’amourdel’étude.Ilcitaitauxparentsrécalcitrantsl’exempledeVaucanson.

Quandmongrand-père revintdeMontpellieràGrenoble (docteurenmédecine), ilavaitunefortbellechevelure,maisl’opinionpubliquede1760luidéclaraimpérieusementques’ilneprenaitpasperruquepersonnen’auraitconfianceenlui.UnevieillecousineDidier,quilefithéritieravecmatanteElisabethetmourutvers1788,avaitétédecetavis.Cettebonnecousinemefaisaitmangerdupain jaune(avecdusafran)quandj’allais lavoir lejourdeSaint-Laurent.Elledemeuraitdanslarueauprèsdel’églisedeSaint-Laurent.Dansla même ruemon ancienne bonne Françoise, que toujours j’adorai, avait une boutiqued’épicerie, elle avait quitté ma mère pour se marier. Elle fut remplacée par la belleGeneviève,sasœur,auprèsdelaquellemonpère,dit-on,étaitgalant.

Lachambredemongrand-père,aupremierétagesurlaGrenette,étaitpeinteengrosvertetmonpèremedisaitdèscetemps-là:

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«Legrand-papa,quiatantd’esprit,n’apasdebongoûtpourlesarts.»

LecaractèretimidedesFrançaisfaitqu’ilsemploientrarementlescouleursfranches:vert,rouge,bleu, jaunevif; ilspréfèrent lesnuances indécises.Acelaprès, jenevoispascequ’ilyavaitàblâmerdanslechoixdemongrand-père.Sachambreétaitenpleinmidi,illisaiténormément,ilvoulaitménagersesyeux,desquelsilseplaignaitquelquefois.

Maislelecteur,s’ils’entrouvejamaispourcesfadaises[13],verrasanspeinequetousmespourquoi, toutesmesexplications,peuventêtretrèsfautives.Jen’aiquedesimagesfortnettes, toutesmesexplicationsmeviennentenécrivantceci,quarante-cinqansaprès lesévénements[14].

Mon excellent grand-père, qui dans le fait fut mon véritable père et mon ami intimejusqu’à mon parti pris, vers 1796, de me tirer de Grenoble par les mathématiques,racontaitsouventunechosemerveilleuse.

Mamèrem’ayantfaitporterdanssachambre(verte),lejouroùj’avaisunan,23janvier1784[15],metenaitdeboutprèsdelafenêtre;mongrand-père,placéverslelit,m’appelait,jemedéterminaiàmarcheretarrivaijusqu’àlui.

Alors je parlais un peu et pour saluer je disais hateus. Mon oncle plaisantait sa sœurHenriette(mamère)surmalaideur.Ilparaîtquej’avaisunetêteénorme,sanscheveux,etquejeressemblaisauPèreBrulard[16],unmoineadroit,bonvivantetàgrandeinfluencesursoncouvent,mononcleougrand-oncle,mortavantmoi.

J’étais fort entreprenant, de là deux accidents racontés avec terreur et regret par mongrand-père: vers le rocher de la Porte-de-France je piquai avec un morceau de fagotappointé,tailléenpointeavecuncouteau,unmuletquieutl’impudencedemecampersesdeuxfersdanslapoitrine,ilmerenversa.«Unpeuplus,ilétaitmort»,disaitmongrand-père[17].

Jemefigurel’événement,maisprobablementcen’estpasunsouvenirdirect,cen’estquelesouvenirdel’imagequejemeformaidelachose,fortanciennementetàl’époquedespremiersrécitsqu’onm’enfit.

Lesecondévénementtragiquefutqu’entremamèreetmongrand-pèrejemecassaideuxdentsdedevantentombantsurlecoind’unechaise.Monbongrand-pèrenerevenaitpasdesonétonnement:«Entresamèreetmoi!»répétait-il,commepourdéplorerlaforcedelafatalité.

Le grand trait, àmes yeux, de l’appartement au premier étage, c’est que j’entendais lebruissementdelabarredeferàl’aidedelaquelleonpompait,cegémissementprolongéetpointaigremeplaisaitfort.

LebonsensdauphinoisserévoltaàpeuprèscontrelaCour.Jemesouviensfortbiendu

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départdemongrand-pèrepourlesEtatsdeRomans,ilétaitalorspatriotefortconsidéré,maisdesplusmodérés;onpeutsefigurerFontenelletribundupeuple.

Le jourdudépart, il faisaitunfroidàpierrefendre(cefut (àvérifier) legrandhiverde1789à1790[18],ilyavaitunpieddeneigesurlaplaceGrenette).

Danslacheminéedelachambredemongrand-père,ilyavaitunfeuénorme.Lachambreétaitremplied’amisquivenaientvoirmonterenvoiture.Lepluscélèbreavocatconsultantde la ville, l’oracle en matière de droit, belle place dans une ville de Parlement, M.Barthélemyd’Orbane,amiintimedelafamille,étaitenOetmoienH[19],devantlefeupétillant. J’étais le héros du moment, car je suis convaincu que mon grand-père neregrettaitquemoiàGrenobleetn’aimaitquemoi.

Dans cette position,M.Barthélemy d’Orbanem’apprit à faire des grimaces. Je le voisencoreetmoiaussi.C’estunartdanslequel jefis lesplusrapidesprogrès, jeriaismoi-mêmedesminesque je faisaispour faire rire les autres.Ce fut envainqu’on s’opposabientôtaugoûtcroissantdesgrimaces,ildureencore,jerissouventdesminesquejefaisquandjesuisseul.

Danslarueunfatpasseavecunemineaffectée(M.Lysimaque[20],parexemple,ouM.lecomte…, amant deMme DelMonte), j’imite samine et je ris.Mon instinct est plutôtd’imiterlesmouvementsouplutôtlespositionsaffectéesdelafigure(face)queceuxducorps. Au Conseil d’Etat, j’imitais sans le vouloir et d’une façon fort dangereuse l’aird’importancedufameuxcomteRegnaultdeSaint-Jean-d’Angely,placéàtroispasdemoi,particulièrementquand,pourmieuxécouterlecolériqueabbéLouis,placédel’autrecôtédelasallevis-à-visdelui,ilabaissaitlescolsdémesurémentlongsdesachemise[21].CetinstinctoucetartquejedoisàM.d’Orbanem’afaitbeaucoupd’ennemis.Actuellement,le sagediFioreme reproche l’ironie cachée,ouplutôtmal cachée, et apparentemalgrémoidanslecoindroitdelabouche.

ARomans, il nemanqua que cinq voix àmon grand-père pour être député. «J’y seraismort»,répétait-ilsouventensefélicitantd’avoirrefusélesvoixdeplusieursbourgeoisdecampagne qui avaient confiance en lui et venaient le consulter le matin chez lui. Saprudence à la Fontenelle l’empêchait d’avoir une ambition sérieuse, il aimait beaucoupcependant à faire un discours devant une assemblée choisie, par exemple à laBibliothèque[22].Jem’yvoisencore,l’écoutantdanslapremièresallerempliedemonde,etimmenseàmesyeux.Maispourquoicemonde?àquelleoccasion?C’estcequel’imagenemeditpas.Ellen’estqu’image.

Mongrand-pèrenous racontait souventqu’àRomans son encre, placée sur la cheminéebienchauffée,gelaitauboutdesaplume.Ilnefutpasnommé,maisfitnommerundéputéoudeuxdontj’aioubliélesnoms,maisluin’oubliaitpasleservicequ’illeuravaitrenduetlessuivaitdesyeuxdansl’assemblée,oùilblâmaitleurénergie.

J’aimaisbeaucoupM.d’Orbaneainsiquelegroschanoinesonfrère,j’allaislesvoirplacedesTilleulsousouslavoûtequidelaplaceNotre-DameconduisaitàcelledesTilleuls,à

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deuxpasdeNotre-Dame,oùlechanoinechantait.Monpèreoumongrand-pèreenvoyaitàl’avocatcélèbredesdindonsgrasàl’occasiondeNoël[23].

J’aimais aussi beaucoup le Père Ducros, cordelier défroqué (du couvent situé entre leJardin-de-Ville et l’hôtel de Franquières lequel, àmon souvenir,me semble style de laRenaissance).

J’aimais encore l’aimable abbéChélan, curé deRisset prèsClaix, petit hommemaigre,toutnerfs,toutfeu,pétillantd’esprit,déjàd’uncertainâge,quimeparaissaitvieux,maisn’avait peut-être que quarante ou quarante-cinq ans et dont les discussions à tablem’amusaientinfiniment.Ilnemanquaitpasdevenirdînerchezmongrand-pèrequandilvenaitàGrenoble,etledînerétaitbienplusgaiqu’àl’ordinaire.

Unjour,àsouper,ilparlaitdepuistrois-quartsd’heureentenantàlamainunecuilleréedefraises[24].Enfinilportalacuilleràlabouche.

«L’abbé,vousnedirezpasvotremessedemain,ditmongrand-père.

—Pardonnez-moi, je ladiraidemain,maisnonpasaujourd’hui,car ilestminuitpassé.»Ce dialogue fit ma joie pendant un mois, cela me paraissait pétillant d’esprit. Tel estl’espritpourunpeupleoupourunhommejeune,l’émotionesteneux;—voirlesréponsesd’espritadmiréesparBoccaceouVasari.

Mongrand-père,encestempsheureux,prenaitlareligionfortgaiement,etcesMessieursétaientdesonavis;ilnedevinttristeetunpeureligieuxqu’aprèslamortdemamère(en1790), et encore, je pense, par l’espoir incertain de la retrouver—revoir—dans l’autremonde,commeM.deBroglie[25]quiditenparlantdesonaimablefille,morteàtreizeans:

«IlmesemblequemafilleestenAmérique.»

JecroisqueM.l’abbéChélandînaitàlamaison[26]lorsdelajournéedestuiles.Cejour-là, je vis couler le premier sang répandu par la Révolution française. C’était unmalheureuxouvrierchapelier(S),blesséàmortparuncoupdebaïonnette(S’)aubasdudos.

Onquitta[la]tableaumilieududîner(T).J’étaisenHetlecuréChélanenC.

Je chercherai la date dans quelque chronologie. L’image est on ne peut plus nette chezmoi,ilyapeut-êtredecelaquarante-troisans[27].

Un M. de Clermont-Tonnerre, commandant en Dauphiné et qui occupait l’hôtel duGouvernement, maison isolée donnant sur le rempart (avec une vue superbe sur lescoteauxd’Eybens,unevuetranquilleetbelle,dignedeClaudeLorrain)etuneentréeparunebellecourrueNeuve,prèsde laruedesMûriers,voulut,cemesemble,dissiperunrassemblement; il avait deux régiments, contre lesquels le peuple se défendit avec lestuilesqu’iljetaitduliantdesmaisons,delàlenom:Journéedestuiles[28].

Undessous-officiersdecesrégimentsétaitBernadotte,actuelroideSuède,uneâmeaussinoblequecelledeMurat,roideNaples,maisbienautrementadroit.Lefèvre,perruquieret

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amidemonpère,nousa souvent racontéqu’il avait sauvé lavieaugénéralBernadotte(comme il disait en 1804), vivement pressé au fond d’une allée. Lefèvre était un belhommefortbrave,etlemaréchalBernadotteluiavaitenvoyéuncadeau.

Maistoutceciestdel’histoire,àlavéritéracontéepardestémoinsoculaires,maisquejen’aipasvue.Jeneveuxdireàl’avenir,enRussieetailleurs,quecequej’aivu.

Mesparentsayantquitté ledîneravant lafinetmoiétantseulà lafenêtredelasalle-à-manger,ouplutôtàlafenêtred’unechambredonnantsurlaGrande-rue,jevisunevieillefemmequi,tenantàlamainsesvieuxsouliers,criaitdetoutessesforces:«Jemerévorte!Jemerévorte!»

Elle allait de la placeGrenette à laGrande-rue. Je la vis enR [29].Le ridicule de cetterévoltemefrappabeaucoup.Unevieillefemmecontreunrégimentmefrappabeaucoup.Lesoirmême,mongrand-pèremeracontalamortdePyrrhus.

Jepensaisencoreàlavieillefemmequandjefusdistrait[30]parunspectacletragiqueenO. Un ouvrier chapelier, blessé dans le dos d’un coup de baïonnette, à ce qu’on dit,marchait avecbeaucoupdepeine, soutenupardeuxhommes sur les épaulesdesquels ilavait les bras passés. Il était sanshabit, sa chemise et sonpantalondenankinoublancétaient remplisde sang, je levoisencore, lablessured’où le sangsortait abondammentétaitaubasdudos,àpeuprèsvis-à-vislenombril.

On le faisaitmarcheravecpeinepourgagner sachambre, situéeau sixièmeétagede lamaisonPérier[31],etenyarrivantilmourut.

Mesparentsmegrondaientetm’éloignaientde la fenêtrede lachambredemongrand-père pour que je ne visse pas ce spectacle d’horreur, mais j’y revenais toujours. Cettefenêtreappartenaitàunpremierétagefortbas.

Jereviscemalheureuxàtouslesétagesdel’escalierdelamaisonPérier,escalieréclairépardegrandesfenêtresdonnantsurlaplace.

Cesouvenir,commeilestnaturel,estleplusnetquimesoitrestédecestemps-là.

Aucontraire,jeretrouveàgrand’peinequelquesvestigesdusouvenird’unfeudejoieauFontanil (routedeGrenobleàVoreppe)où l’onvenaitdebrûlerLamoignon. Je regrettaibeaucouplavued’unegrandefiguredepaillehabillée,lefaitestquemesparents,pensantbienetfortcontrariésdetoutcequis’écartaitdel’ordre(l’ordrerègnedansVarsovie,ditM.legénéralSébastianivers1632),nevoulaientpasquejefussefrappédecespreuvesdelacolèreoudelaforcedupeuple.Moi,déjààcetâge, j’étaisdel’opinioncontraire;onpeut-êtremonopinionàl’âgedehuitansest-ellecachéeparcelle,biendécidée,quej’eusàdixans.

Unefois,MM.Barthélemyd’Orbane,lechanoineBarthélemy,M.l’abbéRey,M.Bouvier,toutlemonde,parlaitchezmongrand-pèredelaprochainearrivéedeM.lemaréchaldeVaux.

«Ilvientfaireiciuneentréedeballet»,ditmongrand-père;cemotquejenecomprispasmedonnabeaucoupàpenser.Quepouvait-ilyavoirdecommun,medisais-je,entreunvieuxmaréchaletunbalai?

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Ilmourut[32], lesonmajestueuxdesclochesm’émutprofondément.Onmemenavoir lachapelleardente(cemesemble,dansl’hôtelduCommandement,verslaruedesMûriers,souvenirpresqueeffacé);lespectacledecettetombenoireetéclairéeenpleinjourparunequantité de cierges, les fenêtres étant fermées, me frappa. C’était l’idée de la mortparaissantpourlapremièrefois.J’étaismenéparLambert,domestique(valetdechambre)demongrand-pèreetmonintimeami.C’étaitunjeuneetbelhommetrèsdégourdi.

Unde ses amis à lui vint lui dire: «La fille duMaréchal n’est qu’une avare, ce qu’elledonne de drap noir aux tambours pour couvrir leur caisse ne suffit pas pour faire uneculotte.Lestamboursseplaignentbeaucoup,l’usageestdedonnercequ’ilfautpourfaireuneculotte.»Deretouràlamaison,jetrouvaiquemesparentsparlaientaussidel’avaricedecettefilledumaréchal.

Le lendemain fut un jour de bataille pour moi. J’obtins avec grande difficulté, ce mesemble,queLambertmemèneraitvoirpasserleconvoi.Ilyavaitunefouleénorme.JemevoisaupointH[33],entrelagranderouteetl’eau,prèslefouràchaux,àdeuxcentspasen-deçàetàl’orientdelaPorte-de-France.

Lesondestamboursvoilésparlepetitcoupondedrapnoirnonsuffisantpourfaireuneculottem’émutbeaucoup.Maisvoicibienuneautreaffaire:jemetrouvaisaupointH,àl’extrêmegauched’unbataillondurégimentd’Austrasie,jecrois,habitblancetparementsnoirs,LestLambertmedonnantlamainàmoi,H.J’étaisàsixpoucesduderniersoldatdurégiment,S.

Ilmedittout-à-coup:

«Eloignez-vousunpeu,afinqu’entirantjenevousfassepasmal.»

Onallaitdonctirer!ettantdesoldats!ilsportaientl’armerenversée.

Jemouraisdepeur;jelorgnaisdeloinlavoiturenoirequis’avançaitlentementparlepontdepierre[34], tiréepar sixouhuit chevaux. J’attendais en frémissant ladécharge.Enfin,l’officierfituncri,immédiatementsuivideladéchargedefeu.Jefussoulagéd’ungrandpoids.Acemoment,lafouleseprécipitaitverslavoituredrapéequejevisavecbeaucoupdeplaisir,ilmesemblequ’ilyavaitdescierges.

On fit une seconde, peut-être une troisième décharge, hors de la Porte-de-France,maisj’étaisaguerri[35].

IlmesemblequejemesouviensaussiunpeududépartpourVizille(Etatsdelaprovince,tenus au château de Vizille, bâti par le connétable de Lesdiguières). Mon grand-pèreadoraitlesantiquitésetmefitconcevoiruneidéesublimedecechâteauparlafaçondontil en parlait. J’étais sur le point de concevoir de la vénération pour la noblesse, maisbientôtMM.deSaint-FerréoletdeSinard,mescamarades,meguérirent.

Onportaitdesmatelasattachésderrièreleschaisesdeposte(àdeuxroues).

LejeuneMounier,commedisaitmongrand-père,vintàlamaison.C’estparl’effetd’uneséparationviolentequesafilleetmoin’avonspasconçuparlasuiteunepassionviolente

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l’un pour l’autre, dernière heure que je passai sous une porte cochère, rueMontmartre,versleboulevard,pendantuneaverse,en1803ou1804,lorsqueM.MounierallaremplirlesfonctionsdepréfetàRennes[36].(MeslettresàsonfilsEdouard,lettredeVictorine,àmoiadressée.Lebonestqu’Edouardcroit,cemesemble,quejesuisalléàRennes.)

Le petit portrait raide et mal peint que l’on voit dans une chambre attenant à labibliothèquepubliquedeGrenoble,etquireprésenteM.Mounierenhabitdepréfet,sijenemetrompe,estressemblant[37].Figuredefermeté,mais têteétroite.Sonfils,que j’aibeaucoupconnuen1803etenRussieen1812(ViasmasurTripes)[38],estunplat,adroitetfinmatois,vraitypedeDauphinoisainsiqueleministreCasimirPérier,maiscedernieratrouvéplusDauphinoisquelui.EdouardMounierenal’accenttraînant,quoiqueélevéàWeimar, il est pair de France et baron, et juge bravement à la Cour de Paris (1835,décembre).Lelecteurmecroira-t-ilsij’oseajouterquejenevoudraispasêtreàlaplacedeMM.FélixFaureetMounier,pairsdeFranceetjadisdemesamis?

Mongrand-père,amitendreetzélédetouslesjeunesgensquiaimaientàtravailler,prêtaitdes livres àM.Mounier, et le soutenait contre le blâme de son père. Quelquefois, enpassantdanslaGrande-rue,ilentraitdanslaboutiquedecelui-cietluiparlaitdesonfils.Le vieux marchand de drap, qui avait beaucoup d’enfants et ne songeait qu’à l’utile,voyaitavecunchagrinmortelcefilsperdresontempsàlire.

Le fort deM.Mounier fils était le caractère,mais les lumières ne répondaient pas à lafermeté. Mon grand-père nous racontait en riant, quelques années après, que madameBorel, qui devait être la belle-mère de M. Mounier, étant venue acheter du drap, M.Mounier,commisdesonpère,déployalapièce,fitmanierledrap,etajouta:

«Cedrapsevendvingt-septlivresl’aune.

—Hébien!monsieur,jevousendonneraivingt-cinq»,ditmadameBorel.

SurquoiM.Mounierreplialapiècededrap,etlareporta[39]froidementdanssacase.

«Mais,monsieur!monsieur!ditMmeBorel étonnée, j’irai bien jusqu’à vingt-cinq livresdixsous.

—Madame,unhonnêtehommen’aquesonmot.»

Labourgeoisefutfortscandalisée.

Cemêmeamourdutravailchezlesjeunesgens,quirendraitmongrand-pèresicoupableaujourd’hui,luifaisaitprotégerlejeuneBarnave[40].

Barnaveétaitnotrevoisindecampagne,luiàSaint-Robert,nousàSaint-Vincent(routedeGrenobleàVoreppeetLyon).Séraphieledétestaitetbientôtaprèsapplauditàsamortetaupeudebienquirestaitàsessœurs,dontl’unes’appelait,cemesemble,madameSaint-Germain. A chaque fois que nous passions à Saint-Robert: «Ah! voilà la maison deBarnave»,disaitSéraphie, et elle le traitait endévotepiquée.Mongrand-père, trèsbienvenu des nobles, était l’oracle de la bourgeoisie, et je pense que lamère de l’immortel

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Barnave,qui levoyait avec peine négliger les procès pourMably etMontesquieu, étaitcalmée par mon grand-père. Dans ces temps-là, notre compatriote Mably passait pourquelquechose,etdeuxansaprèsondonnasonnomàlaruedesClercs[41].

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[1]LechapitreVnefaitpaspartiedestroisvolumesdelabibliothèquemunicipaledeGrenoblecotésR299.Ilformelesfeuillets39à68(numérotésenoutreparStendhalde1à29)d’uncahiercôtéR300,n°1.Stendhalaécritdanslamargedufol.39:«Adicteretmettreàsaplacepage75.Reliercemanuscritàlafindusecond.»Ilindiqueencore,enmargedufol.40:«Petitssouvenirs.Aplacerà son rangvers1791.Copier àgaucheà son rang.»Enfin,un feuillet intercalaireporte:«Petitssouvenirs,àplaceraftertherecitofmymotherdeath:Barthélémyd’Orbane.DépartpourRomans,grandeneige.DépartpourVizille.HainedeSéraphiepourlesdemoisellesBarnave.Décrirelacampagne(maisondecampagne)…(unmotillisible)nouspassonsàSaint-Robert.»

D’autrepart,Stendhalaécritauversodufol.74(ms.R299,t.I):«Amonégardlaplusnoireméchancetésuccèdeàlabontéetàlagaieté.

CHAPITRE4bis:SOMMAIRE

Voicilessouvenirsquiaprès23X2ansmerestentdesjoursheureuxpassésdutempsdemamère:Salons.Soupers.LePère Chérubin Beyle. L’abbé Chélan. Je me révorte! Départ pour Romans. Barthélémy d’Orbane. M. Barthélemym’apprendlesgrimaces.»

—Enhautdufol.39(ms.R300),onlitladatesuivante:«17-22décembre1835,Omar.»Onlitégalementauversodufol.38:«18déc.1835,de2à4h.1/2,14pages.Jesuissiabsorbéparlessouvenirsquisedévoilentàmesyeuxquejepuisàpeineformermeslettres.»

[2]Al’époqueoùnousoccupionslepremierétage…—Variante:«Quandnousoccupions…»

[3]…aucoindelaplaceGrenetteetdelaGrande-rue.—17déc.1835.Jesouffredufroid,collécontrelacheminée.Lacuissegaucheestgelée.(NotedeStendhal.)

[4]… suite naturelle de la défiance et de la barbarie générales.—Style. Ordre des idées. Préparer l’attention parquelques mots en parlant: 1° de Lambert;—2° sur mon oncle, dans les premiers chapitres. 17 déc. 35. (Note deStendhal.)—AutrenotedeStendhal: «Style.Rapportdesmots aux idées:directeur à l’Académie, artiste,Saint-Marc-Girardin,chevalierofKonigvonJanfoutre,Débats.»

[5]…des’opposerbiensérieusementàmacourseauspectacle.—Ilyaunblancdanslemanuscritentre«course»et«auspectacle».

[6]J’étaisauxpremièresloges,lasecondeàdroite.—IciStendhaladessinéunplandelasalleduThéâtre,aveccettelégende:«InfâmesalledespectacledeGrenoble,laquellem’inspiraitlavénérationlaplustendre.J’enaimaismêmelamauvaiseodeur.Vers1794,95et96,cetamourallajusqu’àlafureur,dutempsdeMlleKably.»—Enface,plandelapartiede lavilleoùestsitué le théâtre, jusqu’à«laBastille, fortifiéede1826à1836par legénéralHaxo(infatigablehâbleur)».

[7]Jem’enapercevaisfortbien.—Variante:«Dequoijem’apercevais.»

[8]…commeàl’églisede…—Lenomaétélaisséenblanc.

[9]…jemerappelleencorelesondesclercs…—Cemotestsurmontéd’unecroix.Cesignerevientplusieursfoisdanslemanuscrit, à des passages incomplets ou obscurs. Il indique sans doute les endroits que Stendhal se proposait decorrigerultérieurement.

[10]…j’articulailenomdeM.deRavix…—Variante:«Jenommai.»

[11]…MmedeM……,mesemblaitbienjolieetpassaitpourfortgalante.—Toutcetalinéaestuneaddition,quiparaîtavoirétéécritelelendemain,d’aprèslacomparaisondesécritures.

[12]On lui doit la Bibliothèque.—Le nom de M. Henri Gagnon figure en effet parmi ceux des fondateurs de labibliothèquemunicipale.

[13]…s’ils’entrouvejamaispourcesfadaises…—Variantes:«Fariboles,puérilités.»

[14]…enécrivantceciquarante-cinqansaprèslesévénements.—Suitunplandel’appartementdeM.GagnonayantvuesurlaGrande-rueetlaplaceGrenette.Stendhaln’yindiquepasleschambresd’ElisabethetdeSéraphieGagnon.Ilditàcesujet:«JenevoispasoùlogeaientmatanteSéraphieetmagrand’tanteElisabeth.J’aiunsouvenirvagued’unechambre entre la salle-à-manger et laGrande-rue.»—En face, plan du quartier Saint-Laurent entre le pont de pierre(aujourd’huipontdel’Hôpital)etlespremièresmaisonsdeLaTronche.LaTroncheétaitl’«églisedeM.Dumolard,monconfesseur,curédeLaTroncheetgrandtejé».Dansl’enceintedeGrenoble,nonloindelaCitadelle,Stendhalindiquel’emplacement de la amaison d’éducation deMlle de La Sagne, ma sœur, son amieMlle Sophie Gauthier». C’estl’anciencouventdesUrsulines,rueSainte-Ursule,aujourd’huioccupéparlesbureauxdeladirectionduGénie.

[15]…lejouroùj’avaisunan,23janvier1784…—Stendhalindique1783(1786—3).Cetteerreurestvolontaire,car

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elleestreproduitedansunplandel’appartementdeM.Gagnon,dessinaauversodufol.8,etportant:«Détail,23janvier1788—5.»

[16]…jeressemblaisauPèreBrulard…—ChérubinBeyle,né le17septembre1709, religieuxducouventdeSaint-François de Grenoble, fils de Joseph Beyle et oncle de Joseph-Chérubin Beyle, père de Stendhal. (Sur la famillepaternelledeStendhal,voirEd.Maignien,LafamilledeBeyle-Stendhal,Grenoble,1889,broch.in-8.)

[17]«Unpeuplusilétaitmort»,disaitmongrand-père.—Enface,setrouveuncroquisreprésentantune«coupedelaPorte-de-France»,avecle«lieudelaruadedumulet».

[18]… legrandhiverde1789à 1790…—En surcharge, au crayon, de lamain deR.Colomb: «1788 à 1789».LasessiondesEtatsdeRomansàlaquelleStendhalfaitallusionadurédu2novembre1788au16janvier1789.

[19]…M.Barthélémyd’Orbane,amiintimedelafamille,étaitenOetmoienH…—Enface,estunpland’unepartiedel’appartementdeM.Gagnon.AucoinàdroitedelacheminéeestBarthélémyd’Orbaneetprèsdelui,devantlefeu,lejeuneHenri.

[20] … M. Lysimaque …—Lysimaque Tavernier, chancelier du consulat de France à Cività-Vecchia.—Sur cepersonnage,voirC.Stryienski,SoiréesduStendhal-Club(1899),p.236-242,etA.Chuquet,Stendhal-Beyle (1904),p.532-533.

[21]… il abaissait les cols démesurément longs de sa chemise.—Dans la marge est un croquis donnant les placesrespectivesde«l’Empereur»,du«colériqueabbéLouis(alorsnonvoleuretfortestimé)»,du«terriblecomteRegnault»,etdesauditeursauConseild’Etat,parmilesquelsHenriBeyle.

[22]…devant une assemblée choisie, par exemple à laBibliothèque.—Labibliothèquemunicipale était alors situéedans le passage dit aujourd’hui du Lycée, près de l’École centrale, plus tard lycée de garçons (voir notre plan deGrenobleen1793).

[23]…Al’occasiondeNoël.—Variante:«PourNoël.»

[24]…tenantàlamainunecuilleréedefraises.—Dansl’interligneestcetteaddition,marquéededeuxcroix:«Commeilallaitmangerdesfraises.»

[25]…M.deBroglie.—Ms.:«Gliebro.»SurleshabitudesanagrammatiquesdeStendhal,voirnotreIntroduction.

[26]…M.l’abbéChélandînaitàlamaison…—Suitunpland’unepartiedel’appartement«au1erétage»,aveclatabledanslasalle-à-manger,lacuisineetunechambreàcoucher.Onyvoitégalement,surlaplaceGrenette,l’emplacementoùfuttuél’ouvrierchapelier(aupieddesdegrésquiconduisentaujourd’huiaun°4delaplaceGrenette).

[27]…ilyapeut-êtredecelaquarante-troisans.—LajournéedesTuileseut lieu le7 juin1788.(VoiràcesujetA.Prudhomme,HistoiredeGrenoble,p.587-590.)

[28]Journéedestuiles.—J’ailaisséàGrenobleunevuedecetterévolte-émeuteàl’aquarelle,parM.LeRoy.(NotedeStendhal.)

[29]JelavisenR.—PlanindiquantlaplacedelavieillefemmeenR(Grande-rue)et«venantenR’»(placeGrenette),etlasituationenO(angleNorddelaplaceGrenette)del’ouvrierblessé.

[30]…quandjefusdistrait…—Variante:«Maisbientôtaprèsjefusdistrait…»—Enface,auversodufol.19,onlit:«Cettequeuesavantefait-ellebien?22décembre.»

[31]…lamaisonPérier.—MaisonPérier-Lagrange,aujourd’huiplaceGrenette,n°4.(VoirnotreplandeGrenobleen1793.)

[32]Ilmourut…—NoëldeJourda,comtedeVaux,maréchaldeFranceetlieutenantgénéralduroienDauphiné,mourutàGrenoblele14septembre1788.

[33]JemevoisaupointH…—Deuxcroquisexpliquentlapositiondespersonnages;l’unestencoupe,l’autreenplan.Unautredessin(encoupe)setrouveégalementauversodufol.10.Surleborddelaroute,ducôtédel’Isère,estenHle«pointd’oùj’aivupasserlavoiturenoireportantlesrestesdumaréchaldeVaux,et,cequiestbienpis,pointd’oùj’aientenduladéchargeàdeuxpiedsdemoi».

[34]…lepontdepierre…—Aujourd’hui,pontdel’Hôpital.

[35]…maisj’étaisaguerri.—Ici,nouveauplanindiquantlaplacedeStendhal,enH,àlapremièreetauxsecondeettroisièmedécharges.

[36]…M.MounierallaremplirlesfonctionsdepréfetàRennes.—Mounierfutnommépréfetdel’Ille-et-Vilainele13avril1802parBonaparte,premierconsul.

[37]…M.Mounier en habit de préfet… est ressemblant.—Un portrait deMounier existe en effet dans la galerie

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dauphinoisedelaBibliothèquemunicipale.

[38](ViazmasurTripes…)—Viazma,chef-lieudedistrictdugouvernementdeSmolensk,estsituésurdeuxrivières:laViazmaetlaBebréïa.

[39]…etlareportafroidementdanssacase.—Variante:«Remit.»

[40]…luifaisaitprotégerlejeuneBarnave.—23déc.35.Fatiguédutravailafter3heures.(NotedeStendhal.)

[41]… la rue desClercs.—Le feuillet se termine par un plan indiquant la «grand’route» deGrenoble àLyon, avecSaint-RobertetlamaisondeBarnave,leFontaniletSaint-Vincent,avecla«chaumièrepittoresquedemongrand-père»,ditStendhal.

Auversodecefeuillet,onlit:«Aplacer:Secretde lafortunedeMM.Rothschild,vuparDominiquele23décembre1835.Ilsvendentcedont tout lemondeaenvie,desrentes,etdepluss’ensont faits fabricants (idest enprenant lesemprunts).»

Au-dessous:«IlfaudraitacheterunplandeGrenobleetlecollerici.Faireprendrelesextraitsmortuairesdemesparents,cequimedonneraitdesdates,etl’extraitdenaissancedemydearestmotheretdemonbongrand-père.Décembre1835.—Quipenseàeuxaujourd’huiquemoi,etavecquelle tendresse,àmamère,mortedepuisquarante-sixans?Jepuisdoncparler librementdeleursdéfauts.LamêmejustificationpourmadamelabaronnedeBarckoff,MmeAlex.Petit,Mme la baronneDembowski (que de temps que je n’ai pas écrit ce nom!),Virginie, 2Victorines,Angela,Mélanie,Alexandrine,Méthilde,Clémentine,Julia,AlberthedeRubempré(adoréependantunmoisseulement).

V.2V.A.M.A.M.C.I.A.

Unhommepluspositifdirait:

A.M.C.I.A.»

Onlitencore:«Droitquej’aid’écrirecesmémoires:quelêtren’aimepasqu’onsesouviennedelui?»

—Deux feuillets supplémentaires, numérotés 69 et 70du cahier, portent: (Fol. 69 recto) «20décembre1835.Faits àplacerenleurlieu,misci-derrièrepournepaslesoublier:nominationd’inspecteurdumobilier,derrièrelapage254delaprésentenumération.—Aseptanscommencélelatin,doncen1790.»

(Fol.69verso):«Faitsplacésicipournepaslesoublier,àmettreenleurlieu:PourquoiOmarm’estpesante.

C’estquejen’aipasunesociétélesoirpourmedistrairedemesidéesdumatin.QuandjefaisaisunouvrageàParis,jetravaillais jusqu’àétourdissements et impossibilitédemarcher.Sixheures sonnant, il fallaitpourtant allerdîner, souspeinededéranger lesgarçonsdu restaurateur,pourundînerde3 fr.50,cequim’arrivait souvent, et j’en rougissais.J’allaisdansunsalon;là,àmoinsqu’ilnefûtbienpiètre,j’étaisabsolumentdistraitdemontravaildumatin,aupointd’enavoiroubliémêmelesujetenrentrantchezmoiàuneheure.»

(Fol70verso):«20décembre1835.Fatiguedumatin.

VoilàcequimemanqueàOmar:lasociétéestsilanguissante(MmeSandre,themotherofMarieta),lacomtesseRave…,laprincessedeDa…nevalentpaslapeinedemonterenvoiture.

Toutcelanepeutmedistrairedesidéesdumatin,defaçonquequandjereprendsmontravaillelendemain,aulieud’êtrefraisetsoulagéjesuisabsolumentéreinté.

Etaprèsquatreoucinqjoursdecettevie,jemedégoûtedemontravail,j’enairéellementtuélesidéesenypensanttropcontinuement.JefaisunvoyagedequinzejoursàCività-VecchiaetàRavenne(1835,octobre).Cetintervalleesttroplong, j’ai oublié mon travail. Voilà pourquoi leChasseur vert languit, voilà ce qui, avec le manque total de bonnemusique,medéplaîtdansOmar.»

CHAPITREVI[1]

Après lamort demamère,mon grand-père fut au désespoir. Je vois,mais aujourd’huiseulement,quec’étaitunhommequidevaitavoiruncaractèredanslegenredeceluideFontenelle,modeste,prudent,discret,extrêmementaimableetamusantavantlamortdesa

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fillechérie.Depuis,ilserenfermaitsouventdansunsilencediscret.Iln’aimaitaumondequecettefilleetmoi[2].

Sonautrefille,Séraphie,l’ennuyaitetlevexait;ilaimaitlapaixpar-dessustout,etellenevivaitquedescènes.Monbongrand-père,pensantàsonautoritédepère,sefaisaitdevifsreprochesdenepasmontrerlesdents(c’estuneexpressiondupays;jelesconserve,saufàlestraduireplustardenfrançaisdeParis, je lesconserveencemomentpourmieuxmerappelerlesdétailsquim’arriventenfoule).M.Gagnonestimaitetcraignaitsasœur,quiluiavaitpréférédanslajeunesseunfrèremortàParis,chosequelefrèresurvivantneluiavaitjamaispardonné,maisavecsoncaractèreàlaFontenelle,aimableetpacifique,iln’yparaissaitnullement;j’aidevinécelaplustard.

M.Gagnonavait une sorted’aversionpour son fils,RomainGagnon,mononcle, jeunehommebrillantetparfaitementaimable.

C’estlapossessiondecettequalitéquibrouillait,cemesemble,lepèreetlefils;ilsétaienttousdeux,maisdansdesgenresdifférents,leshommeslesplusaimablesdelaville.Mongrand-père était plein demesure dans les plaisanteries et son esprit fin et froid pouvaitpasserinaperçu.Ilétaitd’ailleursunprodigedesciencepourcetemps-là(oùflorissaitlaplus drôle d’ignorance). Les sots ou les envieux (MM. Champel, Tournus (le cocu),Tourte)luifaisaientsanscesse,poursevenger,descomplimentssursamémoire.Ilsavait,croyaitetcitaitlesauteursapprouvéssurtoutessortesdesujets.

«Mou filsn’a rien lu»,disait-il quelquefois avechumeur.Rienn’était plusvrai,mais ilétait impossible de s’ennuyer dans une société où étaitM.Gagnon le fils. Son père luiavaitdonnéuncharmantappartementdanssamaisonetl’avaitfaitavocat.Dansunevilledeparlement,toutlemondeaimaitlachicane,etvivaitdelachicane,etfaisaitdel’espritsurlachicane.Jesaisencoreunnombredeplaisanteriessurlepétitoireetlepossessoire.

Mongrand-pèredonnaitlelogementetlatableàsonfils,plusunepensiondecentfrancspar mois, somme énorme à Grenoble en 1789, pour ses menus plaisirs, et mon oncleachetaitdeshabitsbrodésdemilleécusetentretenaitdesactrices.

Jen’aifaitqu’entrevoirceschoses,quejepénétraisparlesdemi-motsdemongrand-père.Jesupposequemononclerecevaitdescadeauxdesesmaîtressesriches,etaveccetargents’habillaitmagnifiquement et entretenait lesmaîtressespauvres. Il faut savoirque,dansnotrepaysetalors,iln’yavaitriendemalàrecevoirdel’argentdeMmeDulauron,oudeMmedeMarcieu,oudeMmedeSassenage,pourvuqu’onledépensâthicetnuncetqu’onne thésaurisât pas. Hic et nunc est une façon de parler que Grenoble devait à sonparlement.

Ilestarrivéplusieursfoisquemongrand-père,arrivantchezM.deQuinsonnasoudansunautre cercle, apercevait un jeune homme richement vêtu et que tout le inonde écoutait,c’étaitsonfils.

«Monpèrenemeconnaissaitpasceshabits,medisaitmononcle,jem’éclipsaisauplusviteetrentraispourreprendrelemodestefrac.Quandmonpèremedisait:Maisfaites-moiunpeuleplaisirdemedireoùvousprenezlesfraisdecettetoilette.—Jejoueet j’aidubonheur,répondais-je.—Maisalors,pourquoinepaspayervosdettes?—EtmadameUnetellequivoulaitmevoiraveclebelhabitqu’ellem’avaitacheté!continuaitmononcle.Je

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m’entiraisparquelquecalembredaine.»

Jene sais simon lecteurde1880connaîtun roman fort célèbreencoreaujourd’hui: lesLiaisons dangereuses avaient été composées à Grenoble par M. Choderlos de Laclos,officierd’artillerie,etpeignaientlesmœursdeGrenoble.

J’ai encoreconnuMmedeMerteuil, c’étaitMme deMontmort, quimedonnait des noixconfites,boiteusequiavaitlamaisonDrevonauChevallon,prèsl’églisedeSaint-Vincent,entreleFontaniletVoreppe,maisplusprèsduFontanil.Lalargeurducheminséparaitledomaine deMme de Montmort (ou loué par Mme de Montmort) et celui de M. HenriGagnon.La jeunepersonne richequi est obligéede semettre au couvent adû êtreunedemoiselledeBlacons,deVoreppe.

Cettefamilleestexemplaireparlatristesse,ladévotion,larégularitéetl’ultracisme,oudumoinsétaitexemplairevers1814,quandl’Empereurm’envoyacommissairedans la7medivisionmilitaireaveclevieuxsénateurcomtedeSaint-Vallier,undesrouésdel’époquedemononcleetquimeparlabeaucoupdeluicommeayantfaitfaired’insignesfoliesàmesdamesN.etN., j’aioublié lesnoms.Alors j’étaisbrûlédu feusacréetne songeaisqu’auxmoyensderepousserlesAutrichiens,oudumoinsdelesempêcherd’entreraussivite.

J’aidoncvucettefindesmœursdeMmedeMerteuil,commeunenfantdeneufoudixansdévoréparun tempéramentde feupeutvoirceschoses,dont tout lemondeévitede luidirelefinmot.

[p.76][p.77]

[1]LechapitreVIestlechapitreIVbisdumanuscrit(R299,fol.75à81).—ÉcritàRome,le2décembre1835.

[2]Iln’aimaitaumondequecettefilleetmoi.—EtmoiaétéajoutéaucrayonparStendhal.

CHAPITREVII[1]

Lafamilleétaitclonecomposée,à l’époquede lamortdemamère,vers1790,deMM.Gagnonpère, 60 ans;RomainGagnon, son fils, 25;Séraphie, sa fille, 24;Elisabeth, sasœur,64;ChérubinBeyle,songendre,43;Henri,sonfils,7;Pauline,safille,4;Zénaïde,safille,2.

Voilà les personnages du triste drame dema jeunesse, qui neme rappelle presque quesouffrances et profondes contrariétés morales.Mais voyons un peu le caractère de cespersonnages.

Mongrand-père,HenriGagnon(60ans);safilleSéraphie,cediablefemelledontjen’aijamais su l’âge, elle pouvait avoir 22 ou 24 ans; sa sœur Elisabeth Gagnon (64 ans),grandefemmemaigre,sèche,avecunebellefigureitalienne,caractèreparfaitementnoble,mais noble avec les raffinements et les scrupules de conscience espagnols. Elle a à cet

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égardformémoncœuretc’estàmatanteElisabethquejedoislesabominablesduperiesdenoblesseàl’espagnoledanslesquellesjesuistombépendantlespremierstrenteansdemavie. Je suppose quema tanteElisabeth, riche (pourGrenoble), était restée fille à lasuited’unepassionmalheureuse.J’aiappris[2]quelquechosecommeceladelabouchedematanteSéraphiedansmapremièrejeunesse.

Lafamilleétaitenfincomposéedemonpère.

Joseph-Chérubin Beyle, avocat au Parlement du pays, ultra et chevalier de la Légiond’honneur,adjointaumairedeGrenoble,morten1819,à72ans,dit-on,cequilesupposenéen1747.Ilavaitdonc,en1790,quarante-troisans[3].

C’étaitunhommeextrêmementpeuaimable,réfléchissanttoujoursàdesacquisitionsetàdesventesdedomaines,excessivementfin,accoutuméàvendreauxpaysansetàacheterd’eux,archi-Dauphinois.Iln’yavaitriendemoinsespagnoletdemoinsfollementnobleque cette âme-là, aussi était-il antipathique à ma tante Elisabeth. Il était de plusexcessivement ridéet laid,etdéconcertéet silencieuxavec les femmes,quipourtant luiétaientnécessaires.

Cettedernièrequalité lui avait donné l’intelligencede laNouvelle-Héloïse etdes autresouvragesdeRousseau,dontilneparlaitqu’avecadoration,toutenlemaudissantcommeimpie,carlamortdemamèrelejetadanslaplushauteetlaplusabsurdedévotion[4].Ils’imposa l’obligation de dire tous les offices d’un prêtre, il futmême question pendanttroisouquatreansdesonentréedanslesordres,etprobablementilfutretenuparledésirde me laisser sa place d’avocat; il allait être consistorial: c’était une distinction nobleparmi les avocats, dont il parlait comme un jeune lieutenant de grenadiers parle de lacroix.Ilnem’aimaitpascommeindividu,maiscommefilsdevantcontinuersafamille.

Ilauraitétébiendifficilequ’ilm’aimât:1°ilvoyaitclairementquejenel’aimaispoint,jamais je ne lui parlais sans nécessité, car il était étranger à toutes ces belles idéeslittérairesetphilosophiquesquifaisaientlabasedemesquestionsàmongrand-pèreetdesexcellentesréponsesdecevieillardaimable.Jelevoyaisfortpeu.MapassionpourquitterGrenoble,c’est-à-direlui,etmapassionpourlesmathématiques,—seulmoyenquej’avaisde quitter cette ville que j’abhorrais et que je hais encore, car c’est là que j’ai appris àconnaîtreleshommes,—mapassionmathématiquemejetadansuneprofondesolitudede1797à1799. Jepuisdireavoir travaillépendantcesdeuxannéesetmêmependantunepartiede1790commeMichel-AngetravaillaàlaSixtine.

Depuismondépart,à lafind’octobre1799,—jemesouviensde ladateparcequele18brumaire, 9 novembre, je me trouvais à Nemours,—je n’ai été pour mon père qu’undemandeurd’argent,lafroideurasanscesseaugmenté,ilnepouvaitpasdireunmotquinemedéplût.Monhorreurétaitdevendreunchampàunpaysanenfinassantpendanthuitjours,àl’effetdegagner300francs;c’étaitlàsapassion.

Riendeplusnaturel.Sonpère,quiportait,jecrois,legrandnomdePierreBeyle,mourutdelagoutte,àClaix,àl’improviste,à63ans.Monpèreà18ans(c’étaitdoncvers1765)setrouvaavecundomaineàClaixrendant800ou1.800francs,c’estl’undesdeux,unecharge de procureur et dix sœurs à établir, unemère, riche héritière, c’est-à-dire ayantpeut-être 60.000 francs et en sa qualité d’héritière ayant le diable au corps. Elle m’aencore longtempssouffletédansmonenfancequand je tirais laqueueà sonchienAzor

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(chiendeBologneàlonguessoiesblanches).L’argentfutdonc,etavecraison,lagrandepensée de mon père, et moi je n’y ai jamais songé qu’avec dégoût. Cette idée mereprésentedespeines cruelles, car en avoir neme fait aucunplaisir, enmanquer est unvilainmalheur.

Jamaispeut-être lehasardn’a rassemblédeuxêtresplus foncièrementantipathiquesquemonpèreetmoi.

Delàl’absencedetoutplaisirdansmonenfance,de1790à1799.Cettesaison,quetoutlemonde[5] dit être celle des vrais plaisirs de la vie, grâce àmon père n’a été pourmoiqu’unesuitededouleursamèresetdedégoûts.Deuxdiablesétaientdéchaînéscontremapauvreenfance,matanteSéraphieetmonpère,quidès1791devintsonesclave.

Le lecteurpeutse rassurersur le récitdemesmalheurs,d’abord ilpeutsauterquelquespages,partiquejelesuppliedeprendre,carj’écrisàl’aveugle,peut-êtredeschosesfortennuyeusesmêmepour1835,quesera-ceen1880?

En second lieu, je n’ai presque aucun souvenir de la triste époque 1790-1795, pendantlaquelle j’ai été un pauvre petit bambin persécuté, toujours grondé à tout propos, etprotégéseulementparunsageàlaFontenellequinevoulaitpaslivrerbataillepourmoi,etd’autant qu’en ces batailles son autorité supérieure à tout lui commandait d’éleverdavantagelavoix,orc’estcequ’ilavaitleplusenhorreur;etmatanteSéraphiequi,jenesaispourquoi,m’avaitprisenguignon,lesavaitbienaussi.

Quinze ou vingt jours après la mort de ma mère, mon père et moi nous retournâmescoucher dans la triste maison, moi dans un petit lit vernissé fait en cage, placé dansl’alcôve demon père. Il renvoya ses domestiques etmangea chezmon grand-père, quijamaisnevoulutentendreparlerdepension.Jecroisquec’estparintérêt[6]pourmoiquemongrand-pèresedonnaainsilasociétéhabituelled’unhommequiluiétaitantipathique.

Ilsn’étaientréunisqueparlesentimentd’uneprofondedouleur.Al’occasiondelamortdemamère,ma famille rompit toutes ses relations de société, et, pour comble d’ennuipourmoi,elleadepuisconstammentvécuisolée.

M.Joubert,monpédantmontagnard(onappellecelaàGrenobleBet,cequiveutdireunhommegrossiernédanslesmontagnesdeGap),M.Joubertquimemontraitlelatin,Dieusaitavecquellesottise,enmefaisantréciterlesrèglesdurudiment,chosequirebutaitmonintelligence, et l’onm’en accordait beaucoup,mourut. J’allais prendre ses leçons sur lapetiteplaceNotre-Dame[7],jepuisdiren’yavoirjamaispassésansmerappelermamèreetlaparfaitegaietédelaviequej’avaismenéedesontemps.Actuellement,mêmemonbongrand-pèreenm’embrassantmecausaitdudégoût.

Lepédant Joubert à figure terribleme laissa en legs le secondvolumed’une traductionfrançaisedeQuinte-Curce,ceplatRomainquiaécritlavied’Alexandre.

Cetaffreuxpédant,hommedecinqpiedssixpouces,horriblementmaigreetportantuneredingotenoire,saleetdéchirée,n’étaitcependantpasmauvaisaufond.

Maissonsuccesseur,M.l’abbéRaillane,futdanstoutel’étenduedumotunnoircoquin.Jeneprétendspasqu’ilaitcommisdescrimes,maisilestdifficiled’avoiruneâmeplussèche, plus ennemie de tout ce qui est honnête, plus parfaitement dégagée de tout

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sentimentd’humanité.Ilétaitprêtre,natifd’unvillagedeProvence;ilétaitpetit,maigre,trèspincé,leteintvert,l’œilfauxaveclessourcilsabominables.

Il venait de finir l’éducation de Casimir et Augustin Périer et de leurs quatre ou sixfrères[8].

CasimiraétéunministretrèscélèbreetselonmoidupedeLouis-Philippe[9].Augustin,leplusemphatiquedeshommes,estmortpairdeFrance[10].Scipionétaitmortunpeufouvers1806[11].Camille a été un plat préfet[12] et vient d’épouser en secondes noces unefemme fort riche[13], il est un peu fou comme tous ses frères. Joseph,mari d’une joliefemmeextrêmementaffectueuseetquiaeudesamourscélèbres, apeut-êtreété leplussagede tous[14].Unautre,Amédée[15], je crois, apeut-êtrevolé au jeuvers1815, aimamieuxpassercinqansàSainte-Pélagiequepayer.

Touscesfrèresétaientfousaumoisdemai,ehbien!jecroisqu’ilsdevaientdépartircetavantageànotrecommunprécepteur,M.l’abbéRaillane.

Cethomme,paradresse,ouparinstinctdeprêtre[16],étaitennemijurédelalogiqueetdetoutraisonnementdroit.

Mon père le prit apparemment par vanité. M. Périer milord[17], le père du ministreCasimir, passait pour l’homme le plus riche du pays.Dans le fait, il avait dix ou onzeenfants et a laissé trois cent cinquantemille francs à chacun[18].Quel honneur pour unavocatauparlementdeprendrepoursonfilsleprécepteursortantdechezM.Périer!

Peut-êtreM.Raillane fut-il renvoyé pour quelqueméfait; ce quime donne ce soupçonaujourd’hui, c’est qu’il y avait encore dans la maison Périer trois enfants fort jeunes,Camilledemonâge,JosephetAmédée,jecrois,beaucoupplusjeunes.

J’ignore absolument les arrangements financiers quemon père fit avec l’abbéRaillane.Touteattentiondonnéeauxchosesd’argentétait réputéevileetbasseausuprêmedegrédansma famille. Ilyétait enquelquesortecontre lapudeurdeparlerd’argent, l’argentétaitcommeune tristenécessitéde lavieet indispensablemalheureusement,commeleslieuxd’aisance,maisdontilnefallaitjamaisparler.Onparlaittoutefoisetparexceptiondes sommes rondes que coûtait un immeuble, le mot immeuble était prononcé avecrespect.

M.BellierapayésondomainedeVoreppe20.000écus.Parisetcoûteplusde12.000écus(detroislivres)ànotrecousinColomb.

Cetterépugnance,sicontraireauxusagesdeParis,deparlerd’argentvenait,dejenesaisoùet sestcomplètement impatroniséedansmoncaractère.Lavued’unegrossesommed’orneréveilled’autreidéeenmoiquel’ennuidelagarantirdesvoleurs,cesentimentasouventétéprispourdel’affectation,etjen’enparleplus.

Toutl’honneur,touslessentimentsélevéeetfiersdelafamillenousvenaientdematanteElisabeth;cessentimentsrégnaientendespotesdanslamaison,ettoutefoiselleenparlaitfortrarement,peut-êtreunefoisendeuxans;engénéral,ilsétaientamenésparunélogede son père. Cette femme, d’une rare élévation de caractère, était adorée, par moi, etpouvait avoir alors soixante-cinq ans, toujours mise avec beaucoup de propreté etemployant à sa toilette fort modeste des étoiles chères. On conçoit bien que ce n’est

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qu’aujourd’hui et en y pensant que je découvre ces choses. Par exemple, je ne sais laphysionomied’aucundemesparentsetcependant,j’aiprésentsleurstraitsjusquedanslepluspetitdétail.Sijemefigureunlieulaphysionomiedemonexcellentgrand-père,c’estàcausedelavisitequejeluifisquandj’étaisdéjàauditeurouadjointauxcommissairesdesguerres;j’aiperduabsolumentl’époquedecettevisite.J’aiétéhommeforttardpourle caractère, c’est ainsi que j’explique aujourd’hui ce manque de mémoire pour lesphysionomies.Jusqu’àvingt-cinqans,quedis-je,souventencoreilfautquejemetienneàdeuxmainspourn’êtrepastoutàlasensationproduiteparlesobjetsetpouvoirlesjugerraisonnablement, avecmon expérience.Mais que diable est-ce que cela fait au lecteur?Queluifaittoutcetouvrage?Etcependant,sijen’approfondispascecaractèredeHenri,sidifficileàconnaîtrepourmoi,jenemeconduispasenhonnêteauteurcherchantàdiresursonsujettoutcequ’ilpeutsavoir.Jepriemonéditeur,sijamaisj’enaiun,decouperfermeceslongueurs.

Unjour,matanteElisabethGagnons’attendritsurlesouvenirdesonfrère,mortjeuneàParis;nousétions seuls,uneaprès-dînée,dans sa chambre sur laGrenette.Evidemmentcette âme élevée répondait à ses pensées, et commeellem’aimaitm’adressait la parolepourlaforme.

«…Quel caractère! (Ce qui voulait dire: quelle force de volonté.)Quelle activité!Ah!quelle différence!» (Cela voulait dire: quelle différence avec celui-ci, mon grand-père,HenriGagnon.)Etaussitôt,sereprenantetsongeantdevantquielleparlait,elleajouta:«Jamaisjenenaitantdit.»

Moi:«Etàquelâgeest-ilmort?»

MlleElisabeth:«Avingt-troisans.»

Le dialogue dura longtemps; elle vint à parler de son père. Parmi cent détails, demoioubliés,elledit:

«Atelleépoque,ilpleuraitderageenapprenantquel’ennemisapprochaitdeToulon.»

(Maisquand l’ennemi s’est-il approchédeToulon?Vers1736,peut-être, dans laguerremarquéeparlabatailledel’Assiette,dontjeviensdevoiren34unegravureintéressanteparlavérité.)

11 aurait voulu que la milice marchât. Or, rien au monde n’était plus opposé auxsentimentsdemongrand-pèreGagnon,véritableFontenelle,l’hommeleplusspiritueletle moins patriote que j’aie jamais connu. Le patriotisme aurait distrait bassement mongrand-pèrede ses idées élégantes et littéraires.Monpère aurait calculé sur-le-champcequ’il pouvait lui rapporter.Mon oncleRomain aurait dit d’un air alarmé: «Diable! celapeut me faire courir quelque danger.» Le cœur dema vieille tante et le mien auraientpalpité[19]d’intérêt.

Peut-être j’avance un peu les choses à mon égard et j’attribue à sept ou huit ans lessentimentsquej’eusàneufoudix.Ilestimpossiblepourmoidedistinguersurlesmêmechoseslessentimentsdedeuxépoquesantiques.

Cedontjesuissûr,c’estqueleportraitsérieuxetrébarbatifdemonarrière-grand-père[20]dans son cadre doré à grandes rosaces d’un demi-pied de large, quime faisait presque

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peur,medevintcheret sacrédèsque j’eusappris les sentimentscourageuxetgénéreuxqueluiavaientinspirélesennemiss’approchantdeToulon.

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PORTRAITDEHENRIGAGNON.MÉDECIN(Bibl.mun.deGrenoble.collectiondeportraitsDauphinois)

[1]LechapitreVIIestlechapitreVdumanuscrit(fol.81à99).—ÉcritàRome,le2décembre,etàCività-Vecchia,le5décembre1835.—Onlitauversodufol.92:«Idée:Peut-êtreennecorrigeantpascepremierjetparviendrai-jeànepasmentirparvanité.Omar,3décembre1835.»

[2]J’aiappris…—Variante:«Su.»

[3]Ilavaitdonc,en1790,quarante-troisans.—Chérubin-JosephBeyleétaitnéle29mars1747.Ilépousale20février1781Caroline-Adélaïde-HenrietteGagnonetmourutle20juin1819.

[4]…laplusabsurdedévotion.—Ms.:«Surdeabtiondévo.»

[5]Cettesaison,quetoutlemonde…—Variante:«Cetâge,quel’avisdetoutlemonde…»

[6]Jecroisquec’estparintérêtpourmoi…—Variante:«Amitié.»

[7]J’allaisprendre ses leçons sur lapetiteplaceNotre-Dame…—Acette époque, la «voie centrale» (ruePrésident-Carnot)etl’avenueMaréchal-Randonn’étaientpasencoreouvertes.VoirnotreplandeGrenobleen1793.

[8]…CasimiretAugustinPérieretde leursquatreousix frères.—CasimiretAugustinPérierétaient filsdeClaudePérier.ClaudePériereutneuffilsettroisfilles:Jacques-Prosper(mortenfant),Elisabeth-Joséphine,Euphrosine-Marine(morte enfant), Augustin-Charles, Alexandre-Jacques, Antoine-Scipion, Casimir-Pierre, Adélaïde-Hélène, surnomméeMarine,Camille-Joseph,Alphonse,Amédée-AugusteetAndré-Jean-Joseph.

[9]Casimiraétéunministretrèscélèbre…—Casimir-PierrePérier,leministre,étaitnéàGrenoblele11octobre1777;ilmourutàParisle16mai1832.

[10]Augustin…estmortpairdeFrance.—Augustin-CharlesPérierétaitnéàGrenoblele22mai1773.PairdeFranceàlamortdesonfrèreCasimir(16mai1832),ilmourutàFrémigny(Seine-et-Oise),le2décembre1833.

[11]Scipionétaitmort…vers1806.—ScipionPérierestmortàParisen1821.(NoteaucrayondeR.Colomb.)—Ilétaitnéle14juin1776.

[12]Camilleaétéunplatpréfet…—Camille-JosephPérier,néaGrenoblele15août1781.PréfetdelaCorrèzedepuisle12février1810jusqu’en1815,etdelaMeusedepuis le10février1819jusqu’en1822.PlustarddéputéetpairdeFrance,ilestmortle14septembre1844.

[13]…etvientd’épouserensecondesnocesunefemmefortriche…—Erreur,MlledeSahunen’apaseuunsoudedot.(Note au crayon de R. Colomb.)—Camille Périer épousa en premières nocesAdèle Lecoulteux de Canteleux, et ensecondesnocesAméliePourcetdeSahune,cousinedeLouise-HenriettedeBerckeim,femmed’AugustinPérier.

[14] Joseph, mari dune jolie femme…—André-Joseph-Jean Périer, né à Grenoble le 27 novembre 1786, dirigea labanque Périer frères, à Paris. A l’époque où Stendhal écrivait laVie de Henri Brulard, il était député de laMarne(Epernay) depuis le 15novembre1832. Il épousaMlleMarie-Aglaé duClavel deKergonan etmourut à Paris le 18décembre1868.

[15]…Amédée…apeut-êtrevoléaujeuvers1815…—Amédée-AugustePérier,néàGrenoblele14mars1785,estmort àParis en1851.—L’histoire racontéeparStendhal nous est absolument inconnue et nous semble unproduit del’espritcaustiquedenotreauteur.

[16]…parinstinctdeprêtre…—Ms.:«Reprêt.»

[17]M.Périermilord…—SurcesurnomdemilorddonnéàClaudePérier,voirt.II,p.149.

[18]…alaissétroiscentcinquantemillefrancsàchacun.—-M.Périeralaissédixenfantset500.000francsàchacun.(NoteaucrayondeR.Colomb.)—Enréalité,ClaudePériereutdouzeenfants,dontdeuxmoururentjeunes.

[19]…auraientpalpité…—Variante:«Palpitaient.»

[20]…leportraitsérieuxetrébarbatifdemonarrière-grand-père…—Lemanuscritporte:«Mongrand-père.»

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CHAPITREVIII[1]

A cette occasion, ma tante Elisabethme raconta quemon arrière-grand-père était né àAvignon, ville de Provence, paysoù venaient les oranges,me dit-elle avec l’accent duregret,etbeaucoupplusrapprochéedeToulonqueGrenoble.Ilfautsavoirquelagrandemagnificencedelavillec’étaientsoixanteouquatre-vingtsorangersencaisse,provenantpeut-être du connétable de Lesdiguières, le dernier grand personnage produit par leDauphiné, lesquels, à l’approche de l’été, étaient places en grande pompe dans lesenvirons de la magnifique allée des Marronniers, plantée aussi, je crois, parLesdiguières[2].«Ilyadoncunpaysoùlesorangersviennentenpleineterre?»dis-jeàmatante.Jecomprendsaujourd’huique,sanslesavoir,jeluirappelaisl’objetéterneldesesregrets.

Ellemeracontaquenousétionsoriginairesd’unpaysencoreplusbeauquelaProvence(nous, c’est-à-dire les Gagnon), que le grand-père de son grand-père, à la suite d’unecirconstancebienfuneste,étaitvenusecacheràAvignonàlasuite[3]d’unpape;quelàilavait été obligé de changer un peu son nom et de se cacher, qu’alors il avait vécu dumétierdechirurgien.

Avec ce que je sais de l’Italie d’aujourd’hui, je traduirais ainsi: qu’unM.Guadagni ouGuadanianno,ayantcommisquelquepetitassassinatenItalie,étaitvenuàAvignonvers1650,àlasuitedequelquelégat.Cequimefrappabeaucoupalors,c’estquenousétionsvenus(carjemeregardaiscommeGagnonetjenepensaisjamaisauxBeylequ’avecunerépugnancequidure encore en1835), quenous étionsvenusd’unpaysoù lesorangerscroissentenpleineterre.Quelpaysdedélices,pensais-je!

Cequimeconfirmeraitdanscetteidéed’origineitalienne,c’estquelalanguedecepaysétaitengrandhonneurdanslafamille,chosebiensingulièredansunefamillebourgeoisede1780.Mongrand-pèresavaitethonoraitl’italien,mapauvremèrelisaitleDante,chosefortdifficile,mêmedenos jours;M.Artaud,quiapassévingtansen Italieetquivientd’imprimer une traduction de Dante, ne met pas moins de deux contre-sens et d’uneabsurditéparpage.DetouslesFrançaisdemaconnaissance,deuxseuls:M.Fauriel,quim’adonnéleshistoiresd’amourarabes,etM.Delécluze,desDébats,comprennentDante,etcependanttouslesécrivailleursdeParisgâtentsanscessecegrandnomenlecitantetprétendantl’expliquer.Riennem’indignedavantage.

MonrespectpourleDanteestancien,ildatedesexemplairesquejetrouvaidanslerayondelabibliothèquepaternelleoccupéparleslivresdemapauvremèreetquifaisaientmaseuleconsolationpendantlatyrannieRaillane.

Monhorreurpourlemétierdecethommeetpourcequ’ilenseignaitparmétierarrivaàunpointquifriselamanie.

Croirait-onque,hierencore,4décembre1835,venantdeR[ome]àC[ivit]à-V[ecchia],j’aieul’occasionderendre,sansmegêner,unfortgrandserviceàunejeunefemmequejenesoupçonne pas fort cruelle. En route, elle a découvert mon nommalgrémoi, elle étaitporteurd’unelettrederecommandationpourmonsecrétaire.Elleadesyeuxfortbeauxetcesyeuxm’ontregardésanscruautépendantleshuitdernièreslieuesduvoyage.Ellem’apriédeluichercherunlogementpeucher;enfinilnetenaitprobablementqu’àmoid’en

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êtrebientraité;mais,commej’écriscecidepuishuitjours,lefatalsouvenirdeM.l’abbéRaillane était réveillé. Le nez aquilin,mais un peu trop petit, de celte jolie Lyonnaise,Mme…[4], m’a rappelé celui de l’abbé, dès lors il m’a été impossible même de laregarder,etj’aifaitsemblantdedormirenvoiture.Même,aprèsl’avoirfaitembarquerpargrâce et moyennant huit écus au lieu de vingt-cinq, j’hésitais à aller voir le nouveaulazaretpourn’êtrepasobligédelavoiretderecevoirsesremerciements.

Comme il n’y a aucune consolation, rien que de laid et de sale, dans les souvenirs del’abbéRaillane,depuisvingtansaumoinsjedétournelesyeuxavechorreurdusouvenirdecette terribleépoque.Cethommeauraitdû fairedemoiuncoquin,c’était, je levoismaintenant, un parfait jésuite[5], il me prenait à part dans nos promenades le long del’Isère,delaportedelaGraille[6]àl’embouchureduDrac,ousimplementàunpetitboisau-delàdutraversdel’îleA[7]pourm’expliquerquej’étaisimprudentenparoles:«Mais,Monsieur,luidisais-jeend’autrestermes,c’estvrai,c’estcequejesens.

—N’importe,monpetitami,ilnefautpasledire,celaneconvientpas.»Sicesmaximeseussentpris, jeseraisricheaujourd’hui,car troisouquatrefois lafortuneafrappéàmaporte.(J’airefuséenmai1814ladirectiongénéraledessubsistances(blé)deParis,souslesordresdeM.lecomteBeugnot,dontlafemmeavaitpourmoilaplusviveamitié;aprèsson amant, M. Pépin de Bellile, mon ami intime, j’étais peut-être ce qu’elle aimait lemieux.) Je serais donc riche, mais je serais un coquin, je n’aurais pas les charmantesvisionsdubeau,quisouventremplissentmatêteàmonâgedefiftytwo.

Lelecteurcroitpeut-êtrequejechercheàéloignercettecoupefataled’avoiràparlerdel’abbéRaillane.

Il avait un frère, tailleur au bout de la Grande-rue, près la place Claveyson, qui étaitl’ignobleenpersonne.Uneseuledisgrâcemanquaitàcejésuite[8],iln’étaitpassale,maisaucontrairefortsoignéetfortpropre.IlavaitlegoûtdesserinsdesCanaries,illesfaisaitnicheret les tenait fortproprement,maisàcôtédemon lit. Jeneconçoispascommentmonpèresouillaitunechoseaussipeusaine.

Mongrand-pèren’était jamais remontédans lamaison[9] après lamortde sa fille, il nel’eûtpassouffert, lui:monpère,ChérubinBeyle,commeje l’aidit,m’aimaitcommelesoutiendesonnom,maisnullementcommefils.

Lacagedesserins,enfilsdeferattachésàdesmontantsenbois,eux-mêmesattachésaumur par des happes à plâtre, pouvait avoir neuf pieds de long, six de haut et quatre deprofondeur. Dans cet espace voltigeaient tristement, loin du soleil, une trentaine depauvresserinsdetoutecouleur.Quandilsnichaient,l’abbélesnourrissaitavecdesjaunesd’œuf, et de tout ce qu’il faisait cela seulm’intéressait.Mais ces diables d’oiseauxmeréveillaientaupointdujour,bientôtaprèsj’entendaislapelledel’abbéquiarrangeaitsonfeuavecunsoinquej’aireconnuplustardappartenirauxjésuites[10].Maiscettevolièreproduisait beaucoup d’odeur, et à deux pieds demon lit et dans une chambre humide,obscure, où le soleil ne donnait jamais. Nous n’avions pas de fenêtre sur le jardinLamouroux, seulement un jour de souffrance (les villes de parlement sont remplies demots dedroit) qui donnait unebrillante lumière à l’escalierL[11], ombragépar unbeautilleul,quoiquel’escalierfûtaumoinsàquarantepiedsdeterre.Cetilleuldevaitêtrefort

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grand.

L’abbésemettaitencolèrecalme,sombreetméchanted’undiplomateflegmatique,quandjemangeais le pain sec demon goûter près de ses orangers. Ces orangers étaient unevéritablemanie, bien plus incommode encore que celle des oiseaux. Ils avaient les unstroispoucesetlesautresunpieddehaut,ilsétaientplacéssurlafenêtreO,àlaquellelesoleilatteignaitunpeupendantdeuxmoisd’été.Lefatalabbéprétendaitquelesmiettesquitombaientdenotrepainbisattiraientlesmouches,lesquellesmangeaientsesorangers.Cetabbéauraitdonnédes leçonsdepetitesseauxbourgeois lesplusbourgeois, lespluspatets de la ville. (Patet, prononcez: Patais, extrême attention donnée aux plus petitsintérêts.)

Mescompagnons,MM.Chazel etReytiers[12], étaient bienmoinsmalheureux quemoi.Chazelétaitunbongarçondéjàgrand,dontlepère,méridionaljecrois,Cequiveutdirehommefranc,brusque,grossier,etcommis-commissionnairedeMM.Périer,netenaitpasbeaucoup au latin. Il venait seul (sans domestique) vers les dix heures, faisaitmal sondevoirlatinetfilaitàmidietdemi,souventilnevenaitpaslesoir.

Reytiers, extrêmement joli garçon, blond et timide comme une demoiselle, n’osait pasregarderenfaceleterribleabbéRaillane.Ilétaitfilsuniqued’unpèreleplustimidedeshommes et le plus religieux. Il arrivait dès huit heures, sous la garde sévère d’undomestiquequivenait lereprendrecommemidisonnaitàSaint-André(égliseàlamodede laville,dontnousentendions fortbien lescloches).Dèsdeuxheures, ledomestiqueramenaitReytiers avec songoûter dansunpanier.En été, vers cinqheuresM.Raillanenousmenaitpromener,enhiverrarement,etalorsc’étaitverslestroisheures.Chazel,quiétaitungrand,s’ennuyaitdelapromenadeetnousquittaitbienvite.

Nousambitionnionsbeaucoupallerducôtédel’îledel’Isère:d’abordlamontagne,vuedelà,aunaspectdélicieux,etl’undesdéfautslittérairesdemonpèreetdeM.Raillaneétaitd’exagérer sans cesse les beautés de la nature (que ces belles âmes devaient bien peusentir; ilsnepensaientqu’àgagnerde l’argent).A forcedenousparlerde labeautédurocherdelaBuisserate[13],M.l’abbéRaillanenousavaitfaitleverlatête.Maisc’étaitunbienautreobjetquinous faisaitaimer le rivageprès l’île.Lànousvoyions,nousautrespauvresprisonniers,desjeunesgensquijouissaientdelaliberté,allaientetvenaientseulset après se baignaient dans l’Isère et un ruisseau affluent nommé laBiole[14].Excèsdebonheurdontnousn’apercevionspasmêmelapossibilitédanslelointainlepluséloigné.

M.Raillane,commeunvraijournalministérieldenosjours,nesavaitnousparlerquedesdangers de la liberté. Il ne voyait jamais un enfant se baignant sans nous prédire qu’ilfinirait par se noyer, nous rendant ainsi le service de faire de nous des lâches, et il aparfaitementréussiàmonégard.Jamaisjen’aipuapprendreànager.Quandjefuslibre,deuxansaprès,vers1795,jepense,etencoreentrompantmesparentsetfaisantchaquejourunnouveaumensonge,jesongeaisdéjààquitterGrenoble,àquelqueprixquecefût,j’étaisamoureuxdeMlleKably,etlanagen’étaitplusunobjetassezintéressantpourmoipourl’apprendre.Touteslesfoisquejememettaisàl’eau,Roland(Alphonse)ouquelqueautrefortmefaisaitboire.

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Jen’ai pointdedatespendant l’affreuse tyrannieRaillane; jedevins sombre et haïssanttout lemonde.Mongrandmalheurétaitdenepouvoir joueravecd’autresenfants;monpère,probablementtrèsfierd’avoirunprécepteurpoursonfils,necraignaitrienàl’égaldemevoiralleravecdesenfantsducommun,telleétaitlalocutiondesaristocratesdecetemps-là.Uneseulechosepourraitme fournirunedate:MlleMarinePérier[15] (sœurduministreCasimirPérier)vintvoirM.Raillane,quipeut-êtreétaitsonconfesseur,peudetempsavantsonmariageaveccefoudeCamilleTeisseire,patrioteenragéquiplustardabrûlésesexemplairesdeVoltaireetdeRousseau,qui,en1811,luiétantsous-préfetparlagrâcedeM.Crétet, soncousin, fut si stupéfait de la faveurdont ilmevit jouirdans lesalon[16] de madame la comtesse Daru (au rez-de-chaussée sur le jardin de l’hôtel deBiron, je crois, hôtel de la Liste civile, dernière maison à gauche de la rue Saint-Dominique, au coin du boulevard des Invalides). Je vois encore samine envieuse et lagaucheriedesapolitesseàmonégard.CamilleTeisseires’étaitenrichi,ouplutôtsonpères’étaitenrichienfabriquantduratafiadecerises,cedontilavaitunegrandehonte.

Enfaisantrechercherdanslesactesdel’état-civildeGrenoble(queLouisXVIIIappelaitGrelibre) l’acte de mariage de M. Camille Teisseire (rue des Vieux-Jésuites ou placeGrenette,carsavastemaisonavaitdeuxentrées)avecMlleMarinePérier,j’auraisladatedelatyrannieRaillane.

J’étais sombre, sournois,mécontent, je traduisaisVirgile, l’abbém’exagérait lesbeautésde ce poète et j’accueillais ses louanges comme les pauvres Polonais d’aujourd’huidoivent accueillir les louanges de la bonhomie russe dans leurs gazettes vendues; jehaïssaisl’abbé,jehaïssaismonpère,sourcedespouvoirsdel’abbé,jehaïssaisencoreplusla religion[17] au nom de laquelle il me tyrannisait. Je prouvais à mon compagnon dechaîne,letimideReytiers,quetoutesleschosesqu’onnousapprenaitétaientdescontes.Oùavais-jepriscesidées?Jel’ignore.Nousavionsunegrandebibleàestampesreliéeenvert,avecdesestampesgravéessurboisetinséréesdansletexte,rienn’estmieuxpourlesenfants. Jeme souviens que je cherchais sans cesse des ridicules à cette pauvre bible.Reytiers,plustimide,pluscroyant,adoréparsonpèreetparsamère,quimettaitunpiedderougeetavaitétéunebeauté,admettaitmesdoutesparcomplaisancepourmoi.

NoustraduisionsdoncVirgileàgrand’peine,lorsquejedécouvrisdanslabibliothèquedemonpèreunetraductiondeVirgileenquatrevolumesin-8°fortbienreliés,parcecoquind’abbéDesfontaines, je crois. Je trouvai le volume correspondant auxGéorgiques et ausecond livre que nous écorchions (réellement nous ne savions pas du tout le latin). Jecachaicebienheureuxvolumeauxlieuxd’aisance,dansunearmoireoùl’ondéposaitlesplumes des chapons consommés à la maison; et là, deux ou trois fois pendant notrepénibleversion,nousallionsconsultercelledeDesfontaines.Ilmesemblequel’abbés’enaperçutparladébonnairetédeReytiers,cefutunescèneabominable.Jedevenaisdeplusen plus sombre, méchant, malheureux. J’exécrais tout le monde, et ma tante Séraphiesuperlativement.

Unanaprèslamortdemamère,vers1791ou92,ilmesembleaujourd’huiquemonpèreendevintamoureux,delàd’interminablespromenadesauxGranges[18],oùl’onméprenaitentiersenprenantlaprécautiondemefairemarcheràquarantepasenavantdèsquenousavions passé la porte deBonne. Cette tante Séraphiem’avait pris en grippe, je ne saispourquoi, et me faisait sans cesse gronder par mon père. Je les exécrais et il devait y

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paraître puisque, même aujourd’hui, quand j’ai de l’éloignement pour quelqu’un, lespersonnesprésentess’enaperçoiventsur-le-champ.Jedétestaismasœurcadette,Zénaïde(aujourd’hui Mme Alexandre Mallein[19]), parce qu’elle était chérie par mon père, quichaque soir l’endormait sur ses genoux, et hautement protégée par Mlle Séraphie. Jecouvraislesplâtresdelamaison(etparticulièrementdesgippes)decaricatures[20]contreZénaïderapporteuse.MasœurPauline(aujourd’huiMmeveuvePérier-Lagrange)etmoiaccusionsZénaïdedejouerauprèsdenouslerôled’espion,etjecroisbienqu’ilenétaitquelque chose. Je dînais toujours chezmon grand-père,mais nous avions fini de dînercommeuneheureetquartsonnaitàSaint-André,etàdeuxheuresilfallaitquitterlebeausoleil de la place Grenette pour les chambres humides et froides que l’abbé Raillaneoccupait sur la cour de la maison paternelle, rue des Vieux-Jésuites. Rien n’était pluspénible pourmoi; comme j’étais sombre et sournois, je faisais des projets dem’enfuir,maisoùprendredel’argent?

Unjour,mongrand-pèreditàl’abbéRaillane:

«Mais, monsieur, pourquoi enseigner à cet enfant le système céleste de Ptolémée, quevoussavezêtrefaux?

—Maisilexpliquetout,etd’ailleursestapprouvéparl’Eglise.»

Mon grand-père ne put digérer cette réponse et souvent la répétait,mais en riant; il nes’indignaitjamaiscontrecequidépendaitdesautres,ormonéducationdépendaitdemonpère,etmoinsM.Gagnonavaitd’estimepoursonsavoir,plus il respectaitsesdroitsdepère.

Maiscetteréponsedel’abbé,souventrépétéeparmongrand-père,quej’adorais,achevadefairedemoiunimpieforcenéetd’ailleursl’êtreleplussombre.Mongrand-pèresavaitl’astronomie, quoiqu’il ne comprit rien au calcul; nous passions les soirées d’été sur lamagnifiqueterrassedesonappartement, là ilmemontrait lagrandeet lapetiteOurseetme parlait poétiquement des bergers de la Chaldée et d’Abraham. Je pris ainsi de laconsidérationpourAbraham,etjedisàReytiers:Cen’estpasuncoquincommecesautrespersonnagesdelaBible.

Mongrand-père avait à lui, ou emprunté à labibliothèquepublique, dont il avait été lepromoteur, un exemplaire in-4° du voyage deBruce enNubie et Abyssinie. Ce voyageavaitdesgravures,delàsoninfluenceimmensesurmonéducation.

J’exécraistoutcequem’enseignaientmonpèreetl’abbéRaillane.Or,monpèremefaisaitréciter par cœur la géographie deLacroix, l’abbé avait continué; je la savais bien, parforce,maisjel’exécrais.

Bruce, descendant des rois d’Ecosse,medisaitmon excellent grand-père,medonna ungoûtvifpourtouteslessciencesdontilparlait.Delàmonamourpourlesmathématiqueset enfin cette idée, j’ose dire de génie: Les mathématiques peuvent me faire sortir deGrenoble.

[p.102][p.103]

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[1]LechapitreVIIIestlechapitreVIdumanuscrit(fol.99à121).—ÉcritàCività-Vecchia,les5et6décembre1835.

[2]…lamagnifiquealléedesMarronniers,plantée…parLesdiguières.—Ils’agitdelapromenadedelaTerrasseduJardin-de-Ville.LesorangersdelaVilledeGrenobleproviennenteneffetdeLesdiguières.Lorsdelaventedel’hôteldeLesdiguières auxConsuls deGrenoble pour en faire unHôtel-de-Ville, il y eut une longue discussion au sujet de lacessiondel’orangerieetdesorangers.Ceux-cifurentdéfinitivementcomprisdans lecontratdeventedu5août1719(Arch.mun.deGrenoble,DD101).—Ilimportetoutefoisdenoterquelaterrasseetl’orangerienefurentpasl’œuvredeLesdiguièreslui-même.Ellesdatenteneffetde1675environ.—Lesorangerssontencoreaujourd’hui,—maisnonplus«engrandepompe»,—placésdansleJardin-de-VilleetsurlaplaceGrenette.

[3]…étaitvenusecacheràAvignonàlasuite…—Aprèscesmotsilyadanslemanuscritunblancd’unedemi-ligne.

[4]—cettejolieLyonnaise,Mme…—LenomaétélaisséenblancparStendhal.

[5]…unparfaitjésuite…—Ms.:«Tejé.»

[6]… laportede laGraille…—Cetteportese trouvait sur l’actuelquaiCréqui.Elleaétédémolieen1884, lorsdel’agrandissementdel’enceinte.(VoirnotreplandeGrenobleen1793.)

[7]…au-delàdutraversdel’îleA…—Iciunplanexplicatif.—L’îleadisparuaujourd’hui;elles’appelaitl’îleSirand.

[8]Uneseuledisgrâcemanquaitàcejésuite…—Ms.:«Tejé.»

[9]Mongrand-pèren’étaitjamaisremontédanslamaison…—Suitunpland’unepartiedela«maisonpaternelle»,ruedesVieux-Jésuites.

[10]…quej’aireconnuplustardappartenirauxjésuites.—Ms.:«Tejés.»

[11]…qui donnait une brillante lumière à l’escalier L…—Ainsi désigné par Stendhal dans son plan de lamaisonpaternelle:«Escalierrejoignantceluidelamaison.»

[12]…Reytiers…—Teisseire.(NotedeStendhal.)

[13]… labeautédurocherde laBuisserate…—LamontagneduNéron,appeléeaussi, improprement, leCasquedeNéron,quisetermineau-dessusdelaBuisserate(hameaudeSaint-Martin-le-Vinoux)parunrocheràpicde300mètresenviron.

[14]…unruisseauaffluentnommélaBiole.—Motpatoissignifiantpetitruisseau.Ils’agitsansdouted’unpetitcoursd’eau,dénomméaujourd’huicanaldelaScierie,etquidutempsdeStendhalservaitaucolmatagedesterrainsvoisins.

[15]MlleMarinePérier…—Adélaïde-Hélène,diteMarinePérier,aépouséCamille-HyacintheTeisseirele13thermidoranII(31juillet1794).

[16]…lafaveurdontilmevitjouirdanslesalon…—Variante:«Oùilmevitétablidans…»

[17]…jehaïssaisencorepluslareligion…—Ms.:«Gion.»

[18]…d’interminablespromenadesauxGranges…—Cequartiersuburbain,alorspeupléengrandepartiedepeigneursdechanvre,estaujourd’huiàl’intérieurdelaville.Ilestsituéauxalentoursdel’égliseSaint-Joseph.(VoirnotreplandeGrenobleen1793.)

[19]…MmeAlexandreMallein…—Marie-Zénaïde-CarolineBeyle, née le 10 octobre 1788, épousa le 30mai 1815Alexandre-CharlesMallein,contrôleurdesContributionsdirectes.

[20] Je couvrais les plâtres de la maison de caricatures …—Je me rappelle d’une fort plaisante. Zénaïde étaitreprésentéedévidantdufilplacésuruntour;elleyétaitdessinéeenpied,assezgrotesquement,aveccettedeviseaubas:«Zénaïde,jalousierapportante,CarolineBeyle.»(NoteaucrayondeR.Colomb.)

CHAPITREIX[1]

Malgré toute sa finesse dauphinoise, mon père, Chérubin Beyle, était un hommepassionné. A sa passion pour Bourdaloue et Massillon avait succédé la passion del’agriculture,qui,danslasuite,futrenverséeparl’amourdelatruelle(oudelabâtisse),

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qu’il avait toujours eu, et enfin par l’ultracisme et la passion d’administrer la Ville deGrenobleauprofitdesBourbons[2].Monpèrerêvaitnuitetjouràcequiétaitl’objetdesapassion, il avait beaucoup de finesse, une grande expérience des finasseries des autresDauphinois, et je concilierais assezvolontiersde tout celaqu’il avait du talent.Mais jen’aipasplusd’idéedecelaquedesaphysionomie.

MonpèresemitàallerdeuxfoislasemaineàClaix;c’estundomaine(termedupaysquiveutdireunepetiteterre)decentcinquantearpents,jecrois,situéaumididelaville,surlepenchantdelamontagne,au-delàduDrac[3].ToutleterraindeClaixetdeFuronièresest sec, calcaire, rempli de pierres. Un curé libertin inventa, vers 1750, de cultiver lemaraisaucouchantdupontdeClaix;cemaraisafaitlafortunedupays.

LamaisondemonpèreétaitàdeuxlieuesdeGrenoble,j’aifaitcetrajet,àpied,millefoispeut-être.C’est sans doute à cet exercice quemon père a dû une santé parfaite qui l’aconduit jusqu’àsoixante-douzeans, jepense.Unbourgeois,àGrenoble,n’estconsidéréqu’autant qu’il a un domaine. Lefèvre, le perruquier demon père, avait un domaine àCorencetmanquait souvent sapratiqueparcequ’il étaitallé àCorenc, excuse toujoursbienreçue.QuelquefoisnousabrégionsenpassantleDracaubacdeSeyssins,aupointA.

Monpèreétaitsiremplidesapassionnouvellequ’ilm’enparlaitsanscesse.Il fitvenir(terme du pays, apparemment), il fit venir de Paris, ou de Lyon, la Bibliothèqueagronomiqueouéconomique,laquelleavaitdesestampes;jefeuilletaisbeaucoupcelivre,ce quime valut d’aller souvent à Claix (c’est-à-dire à notremaison de Furonières) lesjeudis, jours de congé. Je promenais avec mon père dans les champs et j’écoutais demauvaisegrâcel’exposédesesprojets,toutefoisleplaisird’avoirquelqu’unpourécoutercesromansqu’ilappelaitdescalculsfitqueplusieursfoisjenerevenaisàlavillequelevendredi;quelquefoisnouspartionsdèslemercredisoir.

Claix me déplaisait parce que j’y étais toujours assiégé de projets d’agriculture; maisbientôtjedécouvris[4]unegrandecompensation.JetrouvaimoyendevolerdesvolumesdeVoltaire[5] dans l’éditiondes quarante volumesencadrés quemon père avait àClaix(son domaine) et qui était parfaitement reliée, en veau imitant le marbre. Il y avaitquarantevolumes,jepense,fortserrés,j’enprenaisdeuxetécartaisunpeutouslesautres,iln’yparaissaitpas.D’ailleurs,celivredangereuxavaitétéplacéaurayonleplusélevédelabibliothèque,enboisdecerisieretglaces,laquelleétaitsouventferméeàclef.

Par la grâce de Dieu, même à cet âge les gravuresme semblaient ridicules, et quellesgravures!CellesdelaPucelle.

CemiraclemefaisaitpresquecroirequeDieum’avaitdestinéàavoirbongoûtetàécrireunjourl’HistoiredelaPeintureenItalie.

Vouspassionstoujourslesféries[6]àClaix,c’est-à-dire lesmoisdeseptembreetd’août.Mesmaîtresseplaignaientquej’oubliaistoutmonlatinpendantcetempsdeplaisir.Rienne m’était si odieux[7] que quand mon père appelait nos courses à Claix nos plaisirs.J’étaiscommeungalérienquel’onforceraitàappelersesplaisirsunsystèmedechaînes

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unpeumoinspesantesquelesautres.

J’étaisoutréet,jepense,fortméchantetfortinjusteenversmonpèreetl’abbéRaillane.J’avoue,maisc’estavecungrandeffortderaison,mêmeen1835,quejenepuisjugercesdeux hommes. Ils ont empoisonné mon enfance dans toute l’énergie du motempoisonnement. Ils avaient des visages sévères et m’ont constamment empêchéd’échangerunmotavecunenfantdemonâge.Cen’estqu’àl’époquedesÉcolescentrales(admirableouvragedeM.deTracy)que j’aidébutédans la sociétédesenfantsdemonâge,mais non pas avec la gaieté et l’insouciance de l’enfance; j’y suis arrivé sournois,méchant, rempli d’idées de vengeance pour le moindre coup de poing, qui me faisaitl’effetd’unsouffletentrehommes,enunmottout,exceptétraître.

LegrandmaldelatyrannieRaillane,c’estquejesentaismesmaux.JevoyaissanscessepassersurlaGrenettedesenfantsdemonâgequiallaientensemblesepromeneretcourir,orc’estcequ’onnem’apaspermisuneseulefois.Quandjelaissaisentrevoirlechagrinqui me dévorait, on me disait: «Tu monteras en voiture», et madame Périer-Lagrange(mèredemonbeau-frère), figuredesplus tristes,meprenait dans savoiturequandelleallaitfaireunepromenadedesanté;ellemegrondaitaumoinsautantquel’abbéRaillane,elleétaitsècheetdévoteetavait,commel’abbé,unedecesfiguresinflexiblesquinerientjamais.Queléquivalentpourunepromenadeavecdepetitspolissonsdemonâge!Quilecroirait,jen’aijamaisjouéauxgobilles(billes)etjen’aieudetoupiequ’àl’intercessiondemongrand-père,auquel,pourcesujet,safilleSéraphiefitunescène.

J’étaisdoncfortsournois,fortméchant,lorsquedanslabellebibliothèquedeClaixjefisladécouverted’unDonQuichottefrançais.Celivreavaitdesestampes,maisilavaitl’airvieux, et j’abhorrais tout ce qui était vieux, carmes parentsm’empêchaient de voir lesjeunes et ils me semblaient extrêmement vieux. Mais enfin, je sus comprendre lesestampes, qui me semblaient plaisantes: Sancho Pança monté sur son bon biquet estsoutenuparquatrepiquets,GinèsdePanamoneaenlevél’âne[8].

DonQuichotteme fitmourir de rire.Qu’on daigne réfléchir que depuis lamort demapauvremèrejen’avaispasri,j’étaisvictimedel’éducationaristocratiqueetreligieuselaplussuivie.Mestyransnes’étaientpasdémentisunmoment.Onrefusaittouteinvitation.Je surprenais souventdesdiscussionsdans lesquellesmongrand-pèreétaitd’avisqu’onmepermîtd’accepter.MatanteSéraphiefaisaitoppositionentermesinjurieuxpourmoi,monpère,qui luiétait soumis, faisaitàmongrand-pèredes réponses jésuitiques,que jesavaisbienn’engageràrien.MatanteElisabethhaussaitlesépaules.Quandunprojetdepromenadeavaitrésistéàunetellediscussion,monpèrefaisaitintervenirl’abbéRaillanepourundevoirdontjenem’étaispasacquittélaveilleetqu’ilfallaitfaireprécisémentaumomentdelapromenade.

Qu’onjugedel’effetdeDonQuichotteaumilieud’unesihorribletristesse!Ladécouvertede ce livre, lu sous le second tilleul de l’allée du côté du parterre, dont le terrains’enfonçaitd’unpied,etlàjem’asseyais,estpeut-êtrelaplusgrandeépoquedemavie.

Quilecroira?Monpère,mevoyantpoufferderire,venaitmegronder,memenaçaitdeme

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retirer le livre, ce qu’il fit plusieurs fois, et m’emmenait dans ses champs pourm’expliquersesprojetsderéparations(bonifications,amendements).

Troublé,mêmedanslalecturedeDonQuichotte,jemecachaidanslescharmilles,petitesalledeverdureàl’extrémitéorientaleduclos(petitparc),enceintedemurs[9].

Je trouvai un Molière avec estampes, les estampes me semblaient ridicules et je necompris que l’Avare. Je trouvai les comédies deDestouches, et l unedes plus ridiculesm’attendritjusqu’auxlarmes.Ilyavaitunehistoired’amourmêlédegénérosité,c’étaitlàmon faible. C’est en vain que je cherche dans ma mémoire le titre de cette comédie,inconnuemêmeparmilescomédiesinconnuesdeceplatdiplomate.LeTambournocturne,oùsetrouveuneidéecopiéedel’anglais,m’amusabeaucoup.

Jetrouvecommefaitétablidansmatêteque,dèsl’âgedeseptans,j’avaisrésoludefairedes comédies, comme Molière. Il n’y a pas dix ans que je me souvenais encore ducommentdecetterésolution.

Mongrand-pèrefutcharmédemonenthousiasmepourDonQuichottequejeluiracontai,carjeluidisaistoutàpeuprès,cetexcellenthommede65ansétait,danslefait,monseulcamarade.

Ilmeprêta,maisàl’insudesafilleSéraphie,leRolandfurieux,traduitouplutôt,jecrois,imité de l’Arioste parM. deTressan (dont le fils, aujourd’huimaréchal de camp, et en1820,ultraassezplat,mais, en1788, jeunehommecharmant, avait tantcontribuéàmefaireapprendreàlireenmepromettantunpetitlivrepleind’imagesqu’ilnem’ajamaisdonné,manquedeparolequimechoquabeaucoup).

L’Ariosteformamoncaractère,jedevinsamoureuxfoudeBradamante,quejemefiguraisunegrossefilledevingt-quatreansavecdesappasdelapluséclatanteblancheur.

J’avais en horreur tous les détails bourgeois et bas qui ont servi à Molière pour faireconnaîtresapensée.Cesdétailsmerappelaienttropmamalheureusevie.Iln’yapastroisjours (décembre1835)quedeuxbourgeoisdemaconnaissance, allantdonnerentreeuxunescènecomiquedepetitedissimulationetdedemi-dispute,j’aifaitdixpaspournepasentendre.J’aihorreurdeceschoses-là,cequim’aempêchédeprendredel’expérience.Cen’estpasunpetitmalheur.

ToutcequiestbasetplatdanslegenrebourgeoismerappelleGrenoble,toutcequimerappelleGrenoblemefaithorreur:non,horreuresttropnoble,malaucœur.

Grenobleestpourmoicommelesouvenird’uneabominableindigestion; iln’yapasdedanger,maisuneffroyabledégoût.Toutcequiestbasetplatsanscompensation,toutcequiestennemidumoindremouvementgénéreux,toutcequiseréjouitdumalheurdequiaimelapatrieouestgénéreux,voilàGrenoblepourmoi.

Rien nem’a étonné dansmes voyages comme d’entendre dire par des officiers demaconnaissance queGrenoble était une ville charmante, pétillante d’esprit et où les joliesfemmesnes’oubliaientpas.Lapremièrefoisquej’entendiscepropos,cefutàtable,chezle généralMoncey (aujourd’hui maréchal, duc de Conegliano), en 1802, àMilan ou àCrémone;jefussiétonnéquejedemandaidesdétailsd’uncôtédelatableàl’autre:alorssous-lieutenant riche, 150 francs parmois, je ne doutais de rien.Mon exécration pourl’état demal au cœur et d’indigestion continue, auquel je venais seulementd’échapper,

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étaitaucomble.L’officierd’état-majorsoutintfortbiensondire,ilavaitpasséquinzeoudix-huitmoisàGrenoble,ilsoutenaitquec’étaitlavillelaplusagréabledelaprovince,ilme citamesdamesMenand-Dulauron, Piat-Desvials, Tournus, Duchamps deMontmort,les demoiselles Rivière (filles de l’aubergiste, rue Montorge), les demoiselles Bailly,marchandesdemodes,amiesdemononcle,messieursDrevon,Drevonl’aînéetDrevonlaPareille,M.DolledelaPorte-de-France[10],et,pour lasociétéaristocrate (motde1800,remplacéparultra,puisparlégitimiste),M.lechevalierdeMarcieu,M.deBailly.

Hélas! à peine avais-je entendu prononcer ces noms aimables! Mes parents ne lesrappelaientquepourdéplorer leur folie, car ilsblâmaient tout, ils avaient la jaunisse, ilfaut le répéter pour expliquermonmalheur d’une façon raisonnable. A lamort demamère,mesparentsdésespérésavaientromputouterelationaveclemonde;mamèreétaitl’âmeetlagaietédelafamille,monpère,sombre,timide,rancunier,peuaimable,avaitlecaractèredeGenève(onycalculeetjamaisonn’yrit)etn’avait,cemesemble,jamaiseuderelationsqu’àcausedemamère.Mongrand-père,hommeaimable,hommedumonde,l’hommedelavilledontlaconversationétaitleplusrecherchéepartous,depuisl’artisanjusqu’augrandseigneur,depuisMmeBarthélemy,cordonnière,femmed’esprit,jusqu’àM.lebarondesAdrets,chezquiilcontinuaàdînerunefoisparmois,percéjusqu’aufondducœurparlamortduseulêtrequ’ilaimâtetsevoyantarrivéàsoixanteans,avaitrompuaveclemondepardégoûtdelavie.MaseuletanteElisabeth,indépendanteetmêmeriche(de la richesse deGrenoble en 1789), avait conservé desmaisons où elle allait faire sapartie le soir (l’avant-souper, de 7 heures à 9). Elle sortait ainsi deux ou trois fois lasemaineetquelquefois,quoiquerempliederespectpourlesdroitspaternels,parpitiépourmoi, quandmon père était àClaix, elle prétendait avoir besoin demoi etm’emmenait,comme son chevalier, chez Mlle Simon, dans la maison neuve des Jacobins, laquellemettaitunpiedderouge.MabonnetantemefitmêmeassisteràungrandsouperdonnéparMlleSimon.Jemesouviensencorede l’éclatdes lumièresetde lamagnificenceduservice;ilyeutaumilieudelatableunsurtoutavecdesstatuesd’argent.Lelendemain,matanteSéraphiemedénonçaàmonpèreetilyeutunescène.Cesdisputes,fortpoliesdanslaformemaisoùl’onsedisaitdecesmotspiquantsqu’onn’oubliepas,faisaientleseul amusement de cette famille morose où mon mauvais sort m’avait jeté. Combienj’enviaisleneveudemadameBarthélemy,notrecordonnière!

Je souffrais, mais je ne voyais point les causes de tout cela, j’attribuais tout à laméchanceté de mon père et de Séraphie. Il fallait, pour être juste, voir des bourgeoisbouffis d’orgueil et qui veulent donner à leurunique fils, comme ilsm’appelaient, uneéducationaristocratique.Cesidéesétaientbienau-dessusdemonâge,etd’ailleursquimelesauraitdonnées?Jen’avaispouramisqueMarion,lacuisinière,etLambert,levaletdechambre de mon grand-père, et sans cesse, m’entendant rire à la cuisine avec eux,Séraphie me rappelait. Dans leur humeur noire, j’étais leur unique occupation, ilsdécoraientcettevexationdunomd’éducationetprobablementétaientdebonnefoi.Parcecontactcontinuel,mongrand-pèremecommuniquasavénérationpourleslettres.Horaceet Hippocrate étaient bien d’autres hommes, à mes yeux, que Romulus, Alexandre etNuma.M.deVoltaireétaitbienunautrehommequecetimbéciledeLouisXVI,dontilsemoquait, ou ce roué de LouisXV, dont il réprouvait lesmœurs sales; il nommait avecdégoûtladuBarry,et l’absencedumotmadame,aumilieudenoshabitudespolies,mefrappabeaucoup, j’avaishorreurdecesêtres.Ondisait toujours:M.deVoltaire,etmon

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grand-pèreneprononçaitcenomqu’avecunsouriremélangéderespectetd’affection.

Bientôtarrivalapolitique.Mafamilleétaitdesplusaristocratesdelaville,cequifitquesur-le-champ je me sentis républicain enragé. Je voyais passer les beaux régiments dedragonsallantenItalie,toujoursquelqu’unétaitlogéàlamaison,jelesdévoraisdesyeux;or, mes parents les exécraient. Bientôt, les prêtres se cachèrent, il y eut toujours à lamaisonunprêtreoudeuxdecaché.Lagloutonneried’undespremiersquivinrent,ungroshomme avec des yeux hors de la tête lorsqu’ilmangeait du petit salé,me frappa[11]dedégoût. (Nous avions d’excellent petit salé que j’allais chercher à la cave avec ledomestiqueLambert,ilétaitconservédansunepierrecreuséeenbassin.)Onmangeait,àla maison, avec une rare propreté et des soins recherchés. On me recommandait, parexemple, de ne faire aucun bruit avec la bouche. La plupart de ces prêtres, gens ducommun,produisaientcebruitde la languecontre lepalais, ils rompaient lepaind’unemanièresale,iln’enfallaitpastantpourquecesgens-là,dontlaplaceétaitàmagauche,mefissenthorreur[12].

OnguillotinaundenoscousinsàLyon(M.Senterre),etlesombredelafamilleetsonétatdehaineetdemécontentementdetouteschosesredoubla.

Autrefois, quand j’entendais parler des joies naïves de l’enfance, des étourderies de cetâge,dubonheurdelapremièrejeunesse,leseulvéritabledelavie,moncœurseserrait.Jen’airienconnudetoutcela;etbienplus,cetâgeaétépourmoiuneépoquecontinuedemalheur,etdehaine,etdedésirsdevengeance toujours impuissants.Toutmonmalheurpeutserésumerendeuxmots:jamaisonnem’apermisdeparleràunenfantdemonâge.Et mes parents, s’ennuyant beaucoup par suite de leur séparation de toute société,m’honoraientd’uneattentioncontinue.Pourcesdeuxcauses,àcetteépoquedelavie,sigaiepour les autres enfants, j’étaisméchant, sombre,déraisonnable,esclave en unmot,danslepiresensdumot,etpeuàpeujeprislessentimentsdecetétat.Lepeudebonheurque je pouvais arracher était préservé par le mensonge. Sous un autre rapport, j’étaisabsolumentcommelespeuplesactuelsdel’Europe,mestyransmeparlaienttoujoursaveclesdoucesparolesdelaplustendresollicitude,etleurplusfermealliéeôtaitlareligion[13].J’avaisàsubirdeshoméliescontinuellessur l’amourpaternelet lesdevoirsdesenfants.Unjour,ennuyédesparolesdemonpère,jeluidis:«Situm’aimestant,donne-moicinqsousparjouretlaisse-moivivrecommejevoudrai.D’ailleurs,soisbiensûrd’unechose,c’estquedèsquej’aurail’âgejem’engagerai.»

Monpèremarcha surmoi commepourm’anéantir, il était horsde lui. «Tun’es qu’unvilain impie», me dit-il. Ne dirait-on pas l’empereur Nicolas et la municipalité deVarsovie,dontonparletantlejouroùj’écris(7décembre1835,Cività-Vecchia),tantilestvraiquetouteslestyranniesseressemblent.

Par un grand hasard, il me semble que je ne suis pas resté méchant, mais seulementdégoûtépourlerestedemaviedesbourgeois,desjésuites[14]etdeshypocritesdetouteslesespèces.Jefuspeut-êtreguéridelaméchancetéparmessuccèsde1797,98et99etlaconscience de mes forces. Outre mes autres belles qualités, j’avais un orgueilinsupportable[15].

Avrai dire, enypensantbien, jeneme suispasguéri demonhorreurpeu raisonnablepourGrenoble; dans le vrai sens dumot, je l’aioubliée. Lesmagnifiques souvenirs de

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l’Italie,deMilan,onttouteffacé.

Ilnem’estrestéqu’unnotablemanquedansmaconnaissancedeshommesetdeschoses.TouslesdétailsquiformentlaviedeChrysaledansl’ÉcoledesFemmes:

EthorsungrosPlutarqueàmettremesrabats[16],

me font horreur… Si l’on veut me permettre une image aussi dégoûtante que masensation, c’est comme l’odeur des huîtres pour un homme qui a eu une effroyableindigestiond’huîtres.

TouslesfaitsquiformentlaviedeChrysalesontremplacéschezmoiparduromanesque.Jecroisquecelletachedansmontélescopeaétéutilepourmespersonnagesderoman,ily a une sorte de bassesse bourgeoise qu’ils ne peuvent avoir, et pour l’auteur ce seraitparlerlechinois,qu’ilnesaitpas.Cemot:bassessebourgeoise,n’exprimequ’unenuance,cela sera peut-être bien obscur en 1880. Grâce aux journaux, le bourgeois provincialdevientrare,iln’yaplusdemœursd’état:unjeunehommeélégantdeParis,aveclequeljemerencontraisencompagniefortgaie,étaitfortbienmis,sansaffectation,etdépensait8ou10.000francs.Injourjedemandai:

«Quefait-il?

—C’estunavoué(procureur)fortoccupé»,medit-on.

Jeciteraidonc,commeexempledelabassessebourgeoise,lestyledemonexcellentamiM. Fauriel (de l’Institut), dans son excellenteVie deDante, imprimée en 1834 dans laRevue de Paris. Mais, hélas! où seront ces choses en 1880? Quelque homme d’espritécrivantbienseseraemparédesprofondesrecherchesdel’excellentFauriel,etlestravauxde ce bon bourgeois si consciencieux seront complètement oubliés. Il a été le plus belhomme de Paris. Madame Condorcet (Sophie Grouchy), grande connaisseuse, sel’adjugea, le bourgeois Fauriel eut la niaiserie de l’aimer, et enmourant, vers 1820, jecrois, elle lui a laissé1.200 francsde rente, commeàun laquais. Il a étéprofondémenthumilié.Jeluidis,quandilmedonnadixpagespourl’Amour,aventuresarabes:«Quandon a affaire à une princesse ou à une femme trop riche, il faut la battre, ou l’amours’éteint.»Ceproposluifithorreur,etilleditsansdouteàlapetitemademoiselleClarke,quiestfaitecommeunpointd’interrogation,commePope.Cequifitque,peuaprès,ellemefitfaireuneréprimandeparunnigauddesesamis(M.AugustinThierry,membredel’Institut),etjelaplantailà.Ilyavaitunejoliefemmedanscettesociété,madameBelloc,maisellefaisaitl’amouravecunautrepointd’interrogation,noiretcrochu,mademoiselledeM….;et,envérité,j’approuvecespauvresfemmes.

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[1]LechapitreIXestlechapitreVIIdumanuscrit(fol.122à144).—ÉcritàCività-Vecchia,les6et7décembre1835.

[2]…lapassiond’administrerlaVilledeGrenobleauprofitdesBourbons…—ChérubinBeyle,lepèredeStendhal,nommé adjoint aumaire deGrenoble le 29 septembre 1803, était encore en fonctions lors de l’avènement deLouisXVIII.Ilfutremplacéen1816parlemarquisdePina,quidevintlamêmeannéemairedelaville.

[3]…surlepenchantdelamontagne,au-delàduDrac.—SuitunplandesenvironsaumidideGrenoble.En«A,pontenfildeferétablivers1826;—B,pontdeClaix,fortremarquable,àpleincintre;—C,citadelle;—G,placeGrenette;—D,rocherdeComboire,àpicsurleDrac,lequelestfortrapide,rocheretboisremplisderenards;—R,maisondecampagnequijoualeplusgrandrôledansmonenfance,quej’airevueen1828,vendueàungénéral».—LepontsuspendusurleDrac,ditpontdeSussenage,remplaçaen1826lebacdeSeyasins,dontStendhalparleunpeuplusloin.

[4]…maisbientôtjedécouvris…—Variante;«Trouvai.»

[5]JetrouvaimoyendevolerdesvolumesdeVoltaire…—Ensurcharge:«Bientôtaprès,jevolaidesvolumes.»

[6]NouspassionstoujourslesfériésàClaix…—C’est-à-direvacances.Nomlatinfrancisé.

[7]Riennem’étaitsiodieux…—Lerestedelaligneaétélaisséenblancetmarquéd’une+.

[8]…GinèsdePanamoneaenlevél’âne.—SuitungrossiercroquisdeSanchoPançasursonâne.

[9]…petitesalledeverdure…enceintedemurs.—SuitunplandelapropriétédeClaix,aveclamention:«Ceclosasixjournauxde600toises.»

[10]…M.DolledelaPorte-de-France…—Jean-BaptisteDollelejeune,quiavaitconstruitàgrandsfrais,au-dessusdurocherdelaPorte-de-France,unbeaujardind’agrément.(VoirJ.Vellein,L’habitationdeplaisanced’ungrenobloisauXVIIIe siècle. Les JardinsDolle. Grenoble, 1896, br. in-8°.) Ces jardins sont aujourd’hui la propriété de laVille deGrenoble;ilssontlouésauSyndicatd’initiativedeGrenoble,quienafaitànouveauunebellepromenadepublique.

[11]…mefrappa…—Cemotestmarquéd’unecroix.Ilétaitcertainementdestinéàêtrecorrigé.

[12]…mefissenthorreur.—Ms.:«Fît».—Lebasdu fol.138estoccupépardeuxplans:1°«Voici leplande la tablechez mon grand-père, où j’ai mangé de 7 ans à 16 et demi»;—2° «Voici la salle-à-manger.» Celle-ci possède denombreuxdégagements:«D,portesurlepetitescaliertournant»;«R,portedelacuisine»;«E,grandpassageconduisantdans l’autre maison sur la place Grenette»; «N, entrée de la chambre de Lambert»; «T, grande porte sur le grandescalier»,«trèsbeau»;«K,portedelachambredemongrand-père.»(Voirnotreplandel’appartementGagnon.)

[13]…leurplusfermealliéeétaitlareligion.—Ms.:«Gion.»

[14]…desjésuites…—Ms.:«Tejé.»

[15]… j’avaisunorgueil insupportable.—Le fol. 141 commencede lamanière suivante: «Quand j’arrivai à l’Écolecentrale(enl’anV,jecrois),dèsl’annéesuivantejeremportaidespremiersprix,peut-êtreya-t-ilmémoiredeceladansles papiers du Département (depuis, préfecture). Quand j’arrivai à l’École centrale, j’y apportai tous ces vicesabominables,dontjefusguériàcoupsdepoing.»Stendhalaajoutédanslamarge:«Renvoyéàl’article:Écolecentrale.»

[16]EthorsungrosPlutarqueàmettremes rabats.—Stendhal avouludire:«lesFemmes Savantes» (Acte II, scèneVII).

CHAPITREX[1]

LEMAITREDURAND

JenetrouveaucunemémoiredelamanièredontjefusdélivrédelatyrannieRaillane.Cecoquin-làauraitdûfairedemoiunexcellentjésuite[2],dignedesuccéderàmonpère,ouun soldat crapuleux, coureur de filles et de cabarets. Le tempérament eût, comme chezFielding,absolumentvoilél’ignoble.Jeseraisdoncl’uneoul’autredecesdeuxaimableschoses, sansmon excellent grand-père qui, à son insu,me communiqua son culte pourHorace, Sophocle, Euripide et la littérature élégante. Par bonheur, il méprisait tous les

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galantsécrivainssescontemporains,jenefuspointempoisonnéparlesMarmontel,Doratet autres canailles. Je ne sais pourquoi il faisait à tous moments des protestations derespectenfaveurdesprêtres,quidanslefaitluifaisaienthorreurcommequelquechosedesale.LesvoyantimpatronisésdanssonsalonparsafilleSéraphieetmonpère,songendre,ilétaitparfaitementpoliàleurégardcommeavectoutlemonde.Pourparlerdequelquechose,ilparlaitlittératureet,parexemple,desauteurssacrés,quoiqu’ilnelesaimâtguère.Maiscethommesipoliavaittouteslespeinesdumondeàdissimuler[3]leprofonddégoûtqueluidonnaitleurignorance.«Quoi,mêmel’abbéFleury,leurhistorien,ilsl’ignorent!»Jesurprisunjourcepropos,quiredoublamaconfianceenlui.

Je découvris bientôt après qu’il se confessait fort rarement. Il était extrêmement polienvers la religion[4] plutôt que croyant. Il eut été dévot s’il avait pu croire de retrouverdanslecielsafilleHenriette(M.leducdeBro[glie]dit:«IlmesemblequemafilleestenAmérique»), mais il n’était que triste et silencieux. Dès qu’il arrivait quelqu’un, parpolitesseilparlaitetracontaitdesanecdotes.

Peut-êtreM.Raillane fut-il obligé de se cacher pour refus de serment à laConstitutioncivileduclergé.Quoiqu’ilensoit,sonéloignementfutpourmoileplusgrandévénementpossible,etjen’enaipasdesouvenir.

Ceciconstitueundéfautdematête,dontjedécouvreplusieursexemples,depuistroisansquem’estvenue,sur l’esplanadedeSanPietro inMontorio (Janicule), l’idée lumineusequej’allaisavoircinquante[5]ansetqu’ilétaittempsdesongeraudépart,etauparavantdesedonnerleplaisirderegarderuninstantenarrière.Jen’aiaucunemémoiredesépoquesoudesmoments où j’ai senti tropvivement.Unedemes raisonspourme croire brave,c’estquejemesouviensavecuneclartéparfaitedesmoindrescirconstancesdesduelsoùjemesuis trouvéengagé.Al’armée,quandilpleuvait,etquejemarchaisdans laboue,cettebravoureétaitsuffisante tout juste;maisquandjen’avaispasétémouillédurant lanuitprécédente,etquemonchevalneglissaitpassousmoi,latéméritélapluspérilleuseétaitpourmoi,àlalettre,unvraiplaisir.Mescamaradesraisonnablesdevenaientsérieuxetpâles,oubientoutrouges,Mathisdevenaitplusgai,etForisseplusraisonnable.C’estcommeactuellement,jenepensejamaisàlapossibilitéofwantingofathousandfrancs,cequimesemblepourtantl’idéedominante, lagrandepenséedemesamisdemonâge,qui ont une aisance dont je suis bien loin (par exemple,MM.Besan[6], Kolon[7], etc.);maisjem’égare.Lagrandedifficultéd’écrirecesmémoires,c’estden’avoiretden’écrirejuste que les souvenirs relatifs à l’époque que je tiens par les cheveux; par exemple, ils’agit maintenant des temps, évidemment moins malheureux, que j’ai passés sous lemaîtreDurand.

C’étaitunbonhommedequarante-cinqanspeut-être,grosetronddetouteslesmanières,quiavaitungrandfilsdedix-huitansfortaimable,quej’admiraisdeloinetquiplustardfut, je pense, amoureux de ma sœur. Il n’y avait rien de moins jésuite[8] et de moinssournoisquecepauvreM.Durand;deplus ilétaitpoli,vêtuavecunestricteéconomie,maisjamaissalement.Alavérité,ilnesavaitpasunmotdelatin,maisnimoinonplus,etcelan’étaitpasfaitpournousbrouiller.

JesavaisparcœurleSelectæeprofanis,etsurtoutl’histoired’Androclèsetdesonlion,jesavaisdemêmel’AncienTestamentetpeut-êtreunpeudeVirgileetdeCornéliusNepos.

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Maissi l’onm’eûtdonné,écriteen latin, lapermissiond’uncongédehuit jours, jen’yeusseriencompris.Lemalheureuxlatinfaitpardesmodernes,leDeVirisillustribus,oùl’on parlait de Romulus, que j’aimais fort, était inintelligible pour moi. Hé bien! M.Durandétaitdemême,ilsavaitparcœurlesauteursqu’ilexpliquaitdepuisvingtans,maismongrand-pèreayantessayéuneoudeuxfoisdeleconsultersurquelquedifficultédesonHorace non expliqué par Jean Bond (ce mot faisait mon bonheur; au milieu de tantd’ennuis,quelplaisirdepouvoirriredeJambon!),M.Durandnecomprenaitpasmêmecequifaisaitl’objetdeladiscussion.

Ainsilaméthodeétaitpitoyableet,sijelevoulais,j’enseigneraislelatinendix-huitmoisà un enfant d’une intelligence ordinaire. Mais n’était-ce rien que d’être accoutumé àmangerdelavacheenragée,deuxheureslematinettroisheureslesoir?C’estunegrandequestion.(Vers1819,j’aienseignél’anglaisenvingt-sixjoursàM.AntonioClerichetti,deMilan, qui souffrait sous un père avare. Le trentième jour, il vendit à un libraire satraductiondesinterrogatoiresdelaprincessedeGalles(CarolinedeBrunswick), insignecatinquesonmari,roietprodiguantlesmillions,n’apaspuconvaincredel’avoirfaitcequesont95marissur100.)

Donc,jen’aiaucunesouvenancedel’événementquimeséparadeM.Raillane.

Aprèsladouleurdetouslesmoments,fruitdelatyranniedecejésuite[9]méchant,jemevois tout-à-coup établi chezmon excellent grand-père, couché dans un petit cabinet entrapèzeàcôtéde sachambre,et recevantdes leçonsde latindubonhommeDurandquivenait, ceme semble, deux fois par jour, de dix à onze heures et de deux à trois.Mesparentstenaienttoujoursfermementauprincipedenepasmelaisseravoircommunicationavecdesenfantsducommun.Mais les leçonsdeM.Durandavaient lieuenprésencedemon excellent grand-père, en hiver dans sa chambre, au pointM, en été dans le grandsalonducôtédela terrasse,enM’,quelquefoisenM”dansuneantichambreoùl’onnepassaitpresquejamais[10].

LessouvenirsdelatyrannieRaillanem’ontfaithorreurjusqu’en1814;verscetteépoqueje les ai oubliés, les événements de la Restauration absorbaient mon horreur et mondégoût. C’est ce dernier sentiment tout seul que m’inspirent les souvenirs du maîtreDurandà lamaison, car j’ai aussi suivi son cours à l’École centrale,mais alors j’étaisheureux, du moins comparativement, je commençais à être sensible au beau paysageformé par la vue des collines d’Eybens et d’Echirolles et par le beau pré anglais de laporte de Bonne, sur lesquels dominait la fenêtre de l’École, heureusement située autroisièmeétageducollège[11];onréparaitlereste[12].

Ilparaîtqu’enhiverM.Durandvenaitmedonnerleçondeseptheuresdusoiràhuit.Dumoins, jemevoissurunepetite tableéclairéeparunechandelle,M.Durandpresqueenrang d’oignons[13] avec la famille, devant le feu demon grand-père, et par un demi àdroitefaisantfaceàlapetitetableoùmoi,H,étaisplacé[14].

C’estlàqueM.Durandcommençaàm’expliquerlesMétamorphosesd’Ovide.Jelevoisencore,ainsiquelacouleurjauneouracinedebuisdelacouverturedulivre.Ilmesemblequ’àcausedusujettropgaiilyeutunediscussionentreSéraphie,quiavaitlediableaucorpsplusquejamais,etsonpère.Paramourdelabellelittérature,iltintfermeetaulieudeshorreurssombresdel’AncienTestament[15],j’euslesamoursdePyrameetdeThisbé,

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et surtout Daphné changée en laurier. Rien ne m’amusa autant que ce conte. Pour lapremièrefoisdemavie,jecomprisqu’ilpouvaitêtreagréabledesavoirlelatin,quifaisaitmonsupplicedepuistantd’années.

Mais ici la chronologie de cette importante histoire demande: «Depuis combiend’années?»

Envérité,jen’ensaisrien,j’avaiscommencélelatinàsept[16]ans,en1790.Jesupposequel’anVIIdelaRépubliquecorrespondà1799àcausedurébus:

LancetteLaitueRat[17]

affichéauLuxembourgàproposduDirectoire.

Ilmesemblequ’enl’anVj’étaisàl’Écolecentrale.

J’yétaisdepuisunan,carnousoccupionslagrandesalledesmathématiques,aupremier,quand arriva l’assassinat de Roberjot à Rastadt[18]. C’était peut-être en 1794 quej’expliquais lesMétamorphoses d’Ovide.Mon grand-pèreme permettait quelquefois delirelatraductiondeM.Dubois-Fontanelle,jecrois,quiplustardfutmonprofesseur.

Ilme semble que lamort de LouisXVI, 21 janvier 1795, eut lieu pendant la tyrannieRaillane.Chose plaisante et que la postérité aura peine à croire,ma famille bourgeoisemaisquisecroyaitsurleborddelanoblesse,monpèresurtoutquisecroyaitnobleruiné,lisait touslesjournaux,suivait leprocèsduroicommeelleeutpusuivreceluid’unamiintimeoud’unparent.

Arriva la nouvelle de la condamnation;ma famille fut au désespoir absolument. «Maisjamaisilsn’oserontfaireexécutercetarrêtinfâme»,disait-elle.«Pourquoipas,pensais-je,s’ilatrahi?»

J’étaisdanslecabinetdemonpère,ruedesVeux-Jésuites,verslesseptheuresdusoir,nuitserrée,lisantàlalueurdemalampeetséparédemonpèreparunefortgrandetable[19].Jefaisaissemblantdetravailler,maisjelisaislesMémoiresd’unhommedequalitédel’abbéPrévost, dont j’avais découvert un exemplaire tout gâté par le temps. La maison futébranléeparlavoitureducourrierquiarrivaitdeLyonetdeParis.

«Ilfautquej’aillevoircequecesmonstresaurontfait»,ditmonpèreenselevant.

«J’espèrequeletraîtreauraétéexécuté»,pensai-je.Puisjeréfléchisàl’extrêmedifférencedemes sentiments et de ceux demon père. J’aimais tendrement nos régiments, que jevoyaispassersurlaplaceGrenettedelafenêtredemongrand-père,jemefiguraisqueleroicherchaitàlesfairebattreparlesAutrichiens.(Onvoitque,quoiqueàpeineAgédedix[20]ans, jen’étaispasfort loinduvrai.)Mais j’avoueraiqu’ilm’eûtsuffide l’intérêtqueprenaientausortdeLouisXVIM.legrandvicaireReyetlesautresprêtres,amisdelafamille,pourmefairedésirersamort.Jeregardaisalors,envertud’uncoupletdechansonque je chantais quand je ne craignais pas d’être entendu par mon père ou ma tanteSéraphie,qu’ilétaitdedevoirétroitdemourirpourlapatriequandillefallait.Qu’était-ceque la vie d’un traître qui par une lettre secrète pouvait faire égorger un de ces beauxrégimentsquejevoyaispassersurlaplaceGrenette?Jejugeaislacauseentremafamille

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etmoi, lorsquemonpère rentra. Je levoisencore,en redingotedemolletonblancqu’iln’avaitpasôtéepouralleràdeuxpasdelaporte.

«C’enestfait,dit-ilavecungrossoupir,ilsl’ontassassiné.»

Jefussaisid’undesplusvifsmouvementsdejoiequej’aieéprouvésenmavie.Lelecteurpensera peut-être que je suis cruel, mais tel j’étais à dix ans, tel je suis à cinquante-deux[21].

Lorsqu’endécembre1830l’onn’apaspunidemortcetinsolentmarauddePeyronnetetles autres signataires des Ordonnances, j’ai dit des bourgeois de Paris: ils prennentl’étiolementde leurâmepourde lacivilisationetde lagénérosité.Comment,aprèsunetellefaiblesse,osercondamneràmortunsimpleassassin?

Ilmesemblequecequisepasseen1835ajustifiémaprévisionde1830.

Je fus si transporté de cegrand actede justicenationaleque je nepuspas continuer lalecturedemonroman,certainement l’undesplus touchantsquiexistent.Je lecachai, jemisdevantmoile livresérieux,probablementRollin,quemonpèremefaisait lire,et jefermailesyeuxpourpouvoirgoûterenpaixcegrandévénement.C’estexactementcequejeferaisencoreaujourd’hui,enajoutantqu’àmoinsd’undevoirimpérieuxriennepourraitme déterminer à voir le traître que l’intérêt de la patrie envoie au supplice. Je pourraisremplirdixpagesdesdétailsdecettesoirée,maissileslecteursde1880sontaussiétiolésquelabonnecompagniede1835,lascènecommelehérosleurinspirerontunsentimentd’éloignement profond et allant presque jusqu’à ce que les âmes de papier mâchéappellent de l’horreur. Quant à moi, j’aurais beaucoup plus de pitié d’un assassincondamnéàmortsanspreuvestout-à-faitsuffisantesqued’unKingquisetrouveraitdanslemêmecas.LadeathofaKingcoupableesttoujoursutileinterrorempourempêcherlesétrangesabusdanslesquelsladernièrefolieproduiteparlepouvoirabsolujettecesgens-là.(Voyezl’amourdeLouisXVpourlesfossesrécemmentrecouvertesdanslescimetièresdecampagnequ’ilapercevaitdesavoitureenpromenantdanslesenvironsdeVersailles.VoyezlafolieactuelledelapetitereineDonaMariadePoctugal.)

LAMAISONNATALEDRSTENDHAL14rueJ.J.Rousseau,àGrenoble

Lapagequejeviensd’écrirescandaliseraitfortmêmemesamisde1835.Jefushonniparle cœur chez Mme Bernonde, en 1829, pour avoir wished the death of the Duke ofBordeaux. M. Mignet même (aujourd’hui conseiller d’Etat) eut horreur de moi, et lamaîtressede lamaison,que j’aimais (did like)parcequ’elle ressemblaitàCervantès,nemel’ajamaispardonné,elledisaitquej’étaissouverainementimmoraletfutscandalisée,en1833,auxbainsd’Aix,parcequemadamelacomtesseC…al[22]prenaitmadéfense.Jepuis dire que l’approbation des êtres que je regarde comme faibles m’est absolumentindifférente. Ils me semblent fous, je vois clairement qu’ils ne comprennent pas leproblème.

Enfin,supposonsquejesoiscruel,hébien,oui,jelesuis,onenverrabiend’autresdemoi

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sijecontinueàécrire.

Je conclusdece souvenir, siprésent àmesyeux,qu’en1793, il y aquarante-deuxans,j’allais à la chassedubonheurprécisément commeaujourd’hui, end’autres termespluscommuns, mon caractère était absolument le même qu’aujourd’hui. Tous lesménagements,quandils’agitdelapatrie,mesemblentencorepuérils.

Jediraiscriminels,sansmonméprissansbornespourlesêtresfaibles.(Exemple:M.FélixFaure,pairdeFrance,PremierPrésident,parlantàsonfils,àSaint-Ismier,été1828,delamortdeLouisXVI:«Ilaétémisàmortpardesméchants.»C’est lemêmehommequicondamne aujourd’hui, à la Chambre des Pairs, les jeunes et respectables fous qu’onappellelesconspirateursd’avril.Moi,jelescondamneraisàunandeséjouràCincinnati(Amérique),pendantlaquelleannéejeleurdonneraisdeuxcentsfrancsparmois.)Jen’aiun souvenir aussidistinctquedemapremièrecommunion,quemonpèreme fit faireàClaix,enprésencedudévotcharpentierCharbonot,deCossey[23],vers1795.

Comme, en 1793, le courriermettait cinq grandes journées et peut-être six, de Paris àGrenoble,lascèneducabinetdemonpèreestpeut-êtredu28ou29janvier,àseptheuresdusoir.Asouper,matanteSéraphiemefitunescènesurmonâmeatroce,etc.Jeregardaismonpère, iln’ouvraitpas labouche,apparemmentdepeurdeseporteretdemeporterauxdernièresextrémités.Quelquecrueletatrocequejesois,dumoinsjenepassaispaspour lâchedans la famille.Monpèreétait tropDauphinoiset tropfinpournepasavoirpénétré,mêmedanssoncabinet(àseptheures),lasensationd’unenfantdedix[24]ans.

A douze ans, un prodige de science pour mon âge, je questionnais sans cesse monexcellent grand-père, dont le bonheur était deme répondre. J’étais le seul être à qui ilvoulûtparlerdemamère.Personnedanslafamillen’osaitluiparlerdecetêtrechéri.Adouzeansdonc,j’étaisunprodigedescienceet,àvingt,unprodiged’ignorance.

De1796à1799,jen’aifaitattentionqu’àcequipouvaitmedonnerlesmoyensdequitterGrenoble,c’est-à-direauxmathématiques.Jecalculaisavecanxiétélesmoyensdepouvoirconsacrerautravailunedemi-heuredepluspar jour.Deplus j’aimais,et j’aimeencore,lesmathématiques pour elles-mêmes, comme n’admettant pas l’hypocrisie et le vague,mesdeuxbêtesd’aversion.

Danscetétatdel’âme,quemefaisaituneréponsesenséeetdéveloppéedemonexcellentgrand-pèrerenfermantunenoticesurSanchonioton,uneappréciationdestravauxdeCourtdeGebelin[25],dontmonpère,jenesaiscomment,avaitunebelleéditionin-4°(peut-êtrequ’iln’yenapasd’in-12),avecunebellegravurereprésentantlesorganesdelavoixchezl’homme?

Adixans, jefisengrandecachetteunecomédieenprose,ouplutôtunpremieracte.Jetravaillaispeuparcequej’attendaislemomentdugénie,c’est-à-direcetétatd’exaltationqui alorsme prenait peut-être deux fois parmois.Ce travail était un grand secret,mescompositionsm’onttoujoursinspirélamêmepudeurquemesamours.Riennem’eûtétépluspéniblequed’enentendreparler.J’aiencoreéprouvévivementcesentimenten1830,

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quandM.VictordeTracym’aparlédeLeRougeetleNoir(romanendeuxvolumes).

[p.132][p.133]

[1] Le chapitreX est le chapitre VIII du manuscrit (fol. 146 ter à 169; les feuillets 145, 146, 146 bis et 153 sontnumérotés,maislaissésenblanc).—Écritles9et10décembre1835.

[2]…fairedemoiunexcellentjésuite…—Ms.:«Tejé.»

[3]…touteslespeinesdumondeàdissimuler…—Variante:«Cacher.»

[4]…extrêmementpolienverslareligion…—Ms.:«Gionré.»

[5]…j’allaisavoircinquanteans…—Ms.:«25x2.»

[6]…Besan…—Besançon,c’est-à-direlebarondeMareste.

[7]…Kolon…—RomainColomb.

[8]…riendemoinsjésuite…—Ms.:«Tejé.»

[9]…latyranniedecejésuite…—Ms.:«Tejé.»

[10]…dansuneantichambreoùl’onnepassaitpresquejamais.—Enface,planexplicatif.LepointMestenfacedelacheminéede la chambredeHenriGagnon, laquelle étaitmeubléedu«magnifique lit dedamas rougedemongrand-père»,de«sonarmoire,»d’une«magnifiquecommodeenmarqueterie,surmontéed’unependule:Marsoffrantsonbrasà laFrance; laFrance avait unmanteaugarni de fleursde lis, cequiplus tarddonnadegrandes inquiétudes».Cettechambreétaitéclairée, sur lagrandecour,parune«unique fenêtreenmagnifiquesverresdeBohême.L’und’eux,enhaut,àgauche,étantfendu,restaainsidixans».LepointM’estprèsd’unedesfenêtresdu«grandsalonàl’italienne»;lepointM”estdevantlafenêtredel’antichambredusalon.(Voirnotreplandel’appartementGagnon.)

[11]… située au troisième étage du collège…—La fortification passait alors derrière le collège, ou École centrale(aujourd’huilycéedefilles),lequelsetrouvaitnonloindelaportedeBonne.(VoirnotreplandeGrenobleen1793.)

[12]…onréparaitlereste.—Lefol.153,numérotéparStendhal,estrestéenblanc.

[13]…presqueenrangd’oignons…—Leseigneurd’Oignon.(NotedeStendhal.)

[14]…lapetitetableoùmoi,H,étaisplacé.—SuitunplandelapositiondespersonnagesdanslachambredeHenriGagnon,voisinedelasalle-à-manger.Ilssontendemi-cercleautourdelacheminée,latabled’Henriestjusteenfacedecettecheminée,etplacéeobliquement.

[15].…l’AncienTestament…—Ms.:«Ment-testa»,selonlaméthodeanagrammatiquechèreàStendhal.

[16]…j’avaiscommencélelatinàseptans…—Ms.:«17—10.»

[17]LancetteLaitueRat.—«L’anVIIlestuera».Aprèslemot«rat»,Stendhalafaituncroquistrèsgrossierreprésentantcetanimal.

[18]…l’assassinatdeRoberjotàRastadt.—28avril1799.

[19]…séparédemonpèreparunefortgrandetable.—SuitunplanindiquantlesplacesrespectivesdeBeyleetdesonpère.Celui-ci tournait ledosàsonfilsetétaitassisàsonbureau,dansunanglede lapièce:«Monpère,placéàsonbureauCetécrivant.»

[20]…quoiqueàpeineâgédedixans…—Ms.:«2x5.»

[21]…telj’taisàdixans,teljesuisàcinquante-deux.—Ms.:«5X2»et«10X5+2».

[22]…madamelacomtesseC…al….—Lerestedunomestenblanc.

[23]…Cossey…—HameaudeClaix.

[24]…lasensationd’unenfantdedixans.—Ms.:«2X5.»

[25]…uneappréciationdestravauxdeCourtdeGebelin…—L’Histoirenaturelledelaparole,deCourtdeGebelin,paruten1776,enunvolumein-8°,accompagnédedeuxgravures.

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CHAPITREXI[1]

AMARETMERLINOT

CesontdeuxreprésentantsdupeuplequiunbeaujourarrivèrentàGrenoble[2]etquelquetemps après publièrent une liste de 152 notoirement suspects (de ne pas aimer laRépublique,c’est-à-direlegouvernementdelapatrie)etde350simplementsuspects.Lesnotoirement devaient être placés en état d’arrestation; quant aux simplement, ils nedevaientêtrequesimplementsurveillés.

J’aivutoutcelad’enbas,commeunenfant,peut-êtrequ’enfaisantdesrecherchesdanslejournal du Département, s’il en existait un à cette époque, ou dans les archives, ontrouveraittoutlecontrairequantauxépoques,maispourl’effetsurmoietlafamilleilestcertain. Quoiqu’il en soit, mon père était notoirement suspect et M. Henri Gagnonsimplementsuspect[3].

Lapublicationdecesdeuxlistesfutuncoupdefoudrepourlafamille.Jemehâtededirequemonpèren’aétédélivréquele6thermidor(ah!voiciunedate.Délivréle6thermidor,troisjoursavantlamortdeRobespierre)etplacésurlalistependantvingt-deuxmois.

Ce grand événement remonterait donc au 26 avril 1793[4]. Enfin je trouve dans mamémoirequemonpèrefutvingt-deuxmoissurlalisteetn’apasséenprisonquetrente-deuxjoursouquarante-deuxjours[5].

Ma tante Séraphie montra dans cette occasion beaucoup de courage et d’activité. Elleallaitvoir lesmembresduDépartement, c’est-à-dire de l’administrationdépartementale,elleallaitvoirlesreprésentantsdupeuple,etobtenaittoujoursdessursisdequinzejoursouvingt-deuxjours,decinquantejoursquelquefois.

Mon père attribue l’apparition de son nom sur la fatale liste à une ancienne rivalitéd’Amaraveclui,lequelétaitaussiavocat,cemesemble[6].

Deuxoutroismoisaprèscettevexation,delaquelleonparlaitsanscesselesoirenfamille,ilm’échappaunenaïveté qui confirmamon caractèreatroce[7].On exprimait en termespolistoutel’horreurqu’inspiraitlenomd’Amar.

«Mais,dis-je,àmonpère,Amar t’aplacésur la listecommenotoirementsuspectdenepasaimerlaRépublique,ilmesemblequ’ilestcertainquetunel’aimespas.»

Acemot,toutelafamillerougitdecolère,onfutsurlepointdem’envoyerenprisondansma chambre; et pendant le souper, pour lequel bientôt on vint avertir, personne nem’adressa laparole.Jeréfléchissaisprofondément.«Rienn’estplusvraiqueceque j’aidit,monpèrese faitgloired’exécrer lenouvelordredeschoses (termeà lamodealorsparmilesaristocrates);queldroitont-ilsdesefâcher?»

Cette forme de raisonnement: Quel droit a-t-il? fut habituelle chez moi depuis lespremiers actes arbitraires qui suivirent la mort de mamère, aigrirent mon caractère etm’ontfaitcequejesuis.

Le lecteur remarquera sansdoutequecette formeconduisait rapidementà laplushaute

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indignation.

Mon père, ChérubinBeyle, vint s’établir dans la chambreO, appelée chambre demononcle[8]. (Mon aimable oncleRomainGagnon s’étaitmarié auxÉchelles, en Savoie, etquandilvenaitàGrenoble, touslesdeuxoutroismois,àl’effetderevoirsesanciennesamies, il habitait cette chambre meublée avec magnificence en damas rouge—magnificencedeGrenoblevers1793.)

On remarquera encore la sagesse de l’esprit dauphinois. Mon père appelait se cachertraverserlarueetvenircoucherchezsonbeau-père,oùl’onsavaitqu’ildînaitetsoupaitdepuis deux ou trois ans. La Terreur fut donc très douce et j’ajouterai hardiment fortraisonnable,àGrenoble.Malgrévingt-deuxansdeprogrès,laTerreurde1815,ouréactiondupartidemonpère,mesembleavoirétépluscruelle.Maisl’extrêmedégoûtque1815m’ainspirém’afaitoublierlesfaits,etpeut-êtreunhistorienimpartialserait-ild’unautreavis.Jesupplielelecteur,sijamaisj’entrouve,desesouvenirquejen’aideprétentionàlavéracité qu’en cequi touchemes sentiments; quant aux faits, j’ai toujours eupeudemémoire.Cequi fait,parparenthèse,que lecélèbreGeorgesCuviermebattait toujoursdanslesdiscussionsqu’ildaignaitquelquefoisavoiravecmoidanssonsalon,lessamedis,de1827à1830.

Monpère,poursesoustraireà lapersécutionhorrible,vints’établirdans lachambredemononcle,O.C’étaitl’hiver,carilmedisait:«Ceciestuneglacière.»

Je couchais à côté de son lit dans un joli lit fait en cage d’oiseau et duquel il étaitimpossibledetomber.Maiscelanedurapas.Bientôtjemevisdansletrapèzeàcôtédelachambre,demongrand-père[9].

Ilmesemblemaintenantquece fut seulementà l’époqueAmaretMerlinotque jevinshabiterletrapèze,j’yétaisfortgênéparl’odeurdelacuisinedeM.ReybozouReybaud,épicier,provençal,dontl’accentmefaisaitrire.Jel’entendissouventgrommelercontresafille, horriblement laide, sans quoi je n’eusse pas manqué d’en faire la dame de mespensées.C’étaitlàmafolieetelleadurélongtemps,maisj’eustoujoursl’habituded’unediscrétionparfaitequej’airetrouvéedansletempéramentmélancoliquedeCabanis.

Je fusbienétonné,envoyantmonpèredeplusprèsdans lachambredemononcle,detrouver qu’il ne lisait plus Bourdaloue, Massillon ou sa Bible de Sacy en vingt-deuxvolumes.LamortdeLouisXVIl’avaitjeté,ainsiquebeaucoupd’autres,dansl’HistoiredeCharlesIerdeHume;commeilnenesavaitpasl’anglais,illisaitlatraduction,uniquealors, d’unM.Belot, ou présidentBelot.Bientôtmon père, variable et absolu dans sesgoûts, fut toutpolitique. Jenevoyaisdansmonenfanceque le ridiculeduchangement,aujourd’hui jevois lepourquoi.Peut-êtreque l’abandonde touteautre idéeavec lequelmon père suivait ses passions (ou ses goûts) en faisait un homme un peu au-dessus duvulgaire.

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LevoilàdonctoutHumeetSmolettetvoulantmefairegoûterceslivrescomme,deuxansplustôt,ilavaitvoulumefaireadorerBourdaloue.Onjugedelafaçondontfutaccueillieceltepropositiondel’amiintimedemonennemieSéraphie.

Lahainedecetteaigredévoteredoublaquandellemevitétablichezsonpèresurlepiedde favori.Nous avionsdes scèneshorribles ensemble, car je lui tenais tête fort bien, jeraisonnaisetc’estcequilamettaitenfureur.

MesdamesRomagnieretColomb,demoitendrementaimées,mescousines,femmesalorsde trente-sixouquaranteans, et la secondemèredeM.RomainColomb,monmeilleurami(quiparsalettredu..décembre1835,reçuehier,mefaitunescèneàl’occasiondelaPréfacededeBrosses,maisn’importe),venaientfairelapartiedematanteElisabeth.Cesdamesétaient étonnéesdes scènesque j’avais avecSéraphie, lesquellesallaient souventjusqu’àinterrompreleboston,etjecroyaisvoirévidemmentqu’ellesmedonnaientraisoncontrecettefolle.

En pensant sérieusement à ces scènes depuis leur époque, 1793, ce me semble, je lesexpliquerais ainsi: Séraphie, assez jolie, faisait l’amour[10] avec mon père et haïssaitpassionnémentenmoil’êtrequimettaitunobstaclemoraloulégalàleurmariage.Resteàsavoirsien1793l’autoritéecclésiastiqueeûtpermisunmariageentrebeau-frèreetbelle-sœur.Jepensequeoui,SéraphieétaitdupremiersanhédrindévotdelavilleavecuneMme

Vignon,sonamieintime.

Pendant ces scènes violentes, qui se renouvelaient une ou deux fois par semaine, mongrand-pèrenedisaitrien,j’aidéjàavertiqu’ilavaituncaractèreàlaFontenelle,maisaufondjedevinaisqu’ilétaitpourmoi.Raisonnablement,quepouvait-ilyavoirdecommunentreunedemoiselledevingt-sixoutrenteansetunenfantdedixoudouzeans?

Les domestiques, savoir: Marion, Lambert d’abord et puis l’homme qui lui succéda,étaient demonparti.Ma sœurPauline, jolie jeune fille qui avait trois ouquatre ans demoins que moi, était de mon parti. Ma seconde sœur, Zénaïde (aujourd’hui madameAlexandreMallein), étaitdupartideSéraphieetétait accuséeparPaulineetmoid’êtresonespionauprèsdenous.

Jefisunecaricaturedessinéeàlaminedeplombsurleplâtredugrandpassagedelasalleà manger aux chambres de la Grenette, dans l’ancienne maison de mon grand-père.Zénaïde était représentée dans un prétendu portrait qui avait deux pieds de haut, au-dessousj’écrivis:

Caroline-ZénaïdeB…,rapporteuse.

Cettebagatelle fut l’occasiond’unescèneabominableetdont jevoisencore lesdétails.Séraphieétaitfurieuse,lapartiefutinterrompue.IlmesemblequeSéraphiepritàpartiemesdamesRomagnieretColomb.Ilétaitdéjàhuitheures.Cesdames,justementoffenséesdesincartadesdecettefolleetvoyantquenisonpère(M.HenriGagnon)nisatante(magrand’tante Elisabeth) ne pouvaient ou n’osaient lui imposer silence, prirent le parti des’enaller.Cedépartfutlesignald’unredoublementdanslatempête.Ilyeutquelquemot

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sévèredemongrand-pèreoudematante;pourrepousserSéraphievoulants’élancersurmoi,jeprisunechaisedepaillequejetinsentrenous,etjem’enfusàlacuisine,oùj’étaisbiensûrquelabonneMarion,quim’adoraitetdétestaitSéraphie,meprotégerait.

Acôtédesimageslesplusclaires,jetrouvedesmanquesdanscesouvenir,c’estcommeune fresquedontdegrandsmorceauxseraient tombés. JevoisSéraphiese retirantde lacuisine etmoi faisant la conduite à l’ennemi le longdupassage.La scèneavait eu lieudanslachambredematanteElisabeth.

Je me vois et je vois Séraphie au point S[11]. Comme j’aimais beaucoup la cuisine,occupéeparmesamisLambertetMarionetlaservantedemonpère,quiavaientlegrandavantage de n’être pas mes supérieurs, là seulement je trouvais la douce égalité et laliberté.Jeprofitaide lascènepournepasparaître jusqu’ausouper. Ilmesembleque jepleuraideragepourlesinjuresatroces(impie,scélérat,etc.)queSéraphiem’avaitlancées,maisj’avaisunehonteamèredemeslarmes.

Jem’interrogedepuisuneheurepoursavoirsicettescèneestbienvraie,réelle,ainsiquevingtautresqui,évoquéesdesombres,reparaissentunpeu,aprèsdesannéesd’oubli;maisoui, cela est bien réel, quoique jamais dans une autre famille je n’aie rien observé desemblable.Ilestvraiquej’aivupeud’intérieursbourgeois,ledégoûtm’enéloignaitetlapeur que je faisais par mon rang ou mon esprit (je demande pardon de cette vanité)empêchaientpeut-êtrequedetellesscèneseussentlieuenmaprésence.Enfin,jenepuisdouterdelaréalitédecelledelacaricaturedeZénaïdeetdeplusieursautres.Jetriomphaissurtout quandmonpère était àClaix, c’était un ennemi demoins, et le seul réellementpuissant.

«Indigneenfant,jetemangerais!»meditunjourmonpèreens’avançantsurmoifurieux;maisilnem’ajamaisfrappé,outoutauplusdeuxoutroisfois.Cesmots:indigneenfant,etc.,mefurentadressésunjourquej’avaisbattuPaulinequipleuraitetfaisaitretentirlamaison.

Auxyeuxdemonpèrej’avaisuncaractèreatroce,c’étaitunevéritéétablieparSéraphieetsur des faits: l’assassinat deMmeChenavaz,mon coupde dent au front deMme Pison-Dugalland,monmotsurAmar.BientôtarrivalafameuselettreanonymesignéeGardon.Mais il faut des explications pour comprendre ce grand crime. Réellement ce fut unméchanttour,j’enaieuhontependantquelquesannées,quandjesongeaisencoreàmonenfance avant ma passion pourMélanie, passion qui finit en 1805, quand j’eus vingt-deux[12] ans. Aujourd’hui que l’action d’écrire ma vie m’en fait apparaître de grandslambeaux,jetrouvefortbienlatentativeGardon.

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[1]LechapitreXIest lechapitreIXdums.deStendhal (fol.172à187).—Lesfol.170et171ontéténumérotésparStendhal,maislaissésenblanc.—Enhautdufol.172,onlit:«10déc.1835.»Etplusbas:«Chronologie:peut-êtreM.Durand ne vint-il dans la maison Gagnon qu’après Amar et Merlinot.» En face: «Voir la date dans les Fastes deMarrast.»—CechapitreaétéécritenpartieàCività-Vecchia,le10décembre1835(fol.172et173),etenpartieàRome,le13décembre.

[2]…deuxreprésentants…arrivèrentàGrenoble…—AmaretMerlinotarrivèrentàGrenoblele21avril1793.

[3]…monpèreétaitnotoirementsuspectetM.HenriGagnonsimplementsuspect.—Cependantnil’unnil’autren’ontéténiobligésdesecacher,niemprisonnés.(NoteaucrayondeR.Colomb.)—Leslistesontétépubliéesle26avril1793avecunarrêtéd’AmaretdeMerlinot.Parmiles«personnesnotoirementsuspectes»figurait«Beyle,hommedeloi,ruedesVieux-Jésuites»;maislenomdudocteurGagnonn’estpasinscritsurlalistedespersonnes«simplementsuspectes».Le 6 thermidor correspondant au 24 juillet 1794, c’est donc pendant quinzemois seulement queChérubinBeyle futconsidérécommenotoirementsuspect.

[4]Cegrandévénementremonteraitdoncau26avril1793.—Ladateestenblancdanslemanuscrit.

[5]. … n’a passé en prison que trente-deux jours ou quarante-deux jours.—Comme le dit plus haut R. Colomb,ChérubinBeylenefutjamaisemprisonné.

[6]…Amar…avocat,cemesemble.—Amar(néàGrenoblele11mai1755)étaitaumomentdelaRévolutiontrésorierdeFranceaubureaudesFinancesdeGrenobleetavocatauParlementdecetteville.

[7]…quiconfirmamoncaractèreatroce.—Onliten têtedufol.175:«13décembre1835.Omar.Repris le travailofLife.»Etauversodufol.174:«Écritdelapage93àcelle-ciàCività-Vecchiadu3au13décembre1835.»

[8]Monpère… vint s’établir dans la chambreO…—Aubas du fol. 176 est un plan de la partie de l’appartementGagnonvoisinede lamaisonPérier-Lagrange.Onyvoit, enO, la«chambredemononcle»occupéepar«monpère,ChérubinBeyle, lisantHume». Cette chambre s’ouvrait sur la «terrasse avec vue admirable» donnant sur le «jardinPérier»et,pardelàcelui-ci,surle«jardinpublicnomméJardin-de-Ville».Elleétaitvoisined’une«grandesalle»oùétaitunautel.(Voirnotreplandel’appartementGagnon.)

[9]Bientôt jeme vis dans le trapèze à côté de la chambre demon grand-père.—Suit un plan de la chambre deM.Gagnon et de la chambre en trapèze.Cette forme était nécessitée par l’escalier voisin.Le «trapèze» donnait sur une«petitecour.OdeurdecuisinedeM.Rayboz».

[10]Séraphie,assezjolie,faisaitl’amour…—Italianismeàôter.(NotedeStendhal.)

[11]JemevoisetjevoisSéraphieaupointS.—Suitunplandeslieuxdelascène:«Lalignepointillémarquelalignedebataille»,àtraverslachambred’ElisabethGagnon,lepassage,lasalle-à-mangeretlacuisine.LepointSestsituédanslepassage.

[12]…quandj’eusvingt-deuxans.—Ms.:«11x2.»

CHAPITREXII[1]

BILLETGARDON

Onavaitformélesbataillonsd’Espérance,oul’arméed’Espérance(chosesingulière,queje ne me rappelle pas même avec certitude le nom d’une chose qui a tant agité monenfance).Jebrûlaisd’êtredecesbataillonsquejevoyaisdéfiler.Jevoisaujourd’huiquec’étaituneexcellenteinstitution,laseulequipuissedéracinerlejésuitisme[2]enFrance.Aulieudejoueràlachapelle,l’imaginationdesenfantspenseàlaguerreets’accoutumeaudanger.D’ailleurs,quand lapatrie lesappelleàvingtans, ils savent l’exercice, et aulieudefrémirdevantl’inconnu,ilsserappellentlesjeuxdeleurenfance.

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LaTerreurétait sipeu laTerreur àGrenobleque les aristocratesn’envoyaientpas leursenfants.

UncertainabbéGardon,quiavaitjetélefrocauxorties,dirigeaitl’arméedel’Espérance.Jefisunfaux,jeprisunmorceaudepapierpluslargequehaut,delaformed’unelettredechange(jelevoisencore)et,encontrefaisantmonécriture,j’invitailecitoyenGagnonàenvoyer sonpetit-fils,HenriBeyle, àSaint-André,pourqu’ilpût être incorporédans lebataillondel’Espérance.Celafinissaitpar:

«Salutetfraternité,

Gardon.»

Laseuleidéed’alleràSaint-Andréétaitpourmoilebonheursuprême.Mesparentsfirentpreuve de bien peu de lumières, ils se laissèrent prendre à cette lettre d’un enfant, quidevait contenir cent fautes contre la vraisemblance. Ils eurent besoin des conseils d’unpetitbossunomméTourte,véritabletoad-eater[3],mangeurdecrapauds,quis’étaitfaufiléàlamaisonparcetinfâmemétier.Maiscomprendra-t-oncelaen1880?

M. Tourte[4], horriblement bossu et commis expéditionnaire à l’administration duDépartement,s’étaitfaufiléàlamaisoncommeêtresubalterne,nes’offensantderien,bonflatteur de tous. J’avais déposé mon papier dans l’entredeux des portes formantantichambresurl’escaliertournant,aupointA[5].

Mesparents,fortalarmés,appelèrentauconseillepetitTourtequi,ensacapacitédescribeofficiel,connaissaitapparemmentlasignaturedeM.Gardon.Ildemandademonécriture,compara avec sa sagacité de commis expéditionnaire, etmon pauvre petit artifice poursortir de cage fut découvert. Pendant qu’on délibérait surmon sort, onm’avait reléguédans le cabinet d’histoire naturelle de mon grand-père, formant vestibule sur notremagnifiqueterrasse[6].Làjem’amusaisàfairesauterenl’air(locutiondupays)uneboulede terre glaise rouge que je venais de pétrir. J’étais dans la positionmorale d’un jeunedéserteurqu’onvafusiller.L’actiondefaireunfauxmechicanaitunpeu.

IlyavaitdanscevestibuledelaterrasseunemagnifiquecarteduDauphiné[7]dequatrepiedsdelarge,accrochéeaumur.Mabouledeterreglaise,endescendantduplafondfortélevé,touchalaprécieusecarte,fortadmiréeparmongrand-père,et,commeelleétaitforthumide,ytraçaunelongueraierouge.

«Ah!pourlecoup,jesuisflambé,pensai-je.Ceciestbienuneautreaffaire;j’offensemonseulprotecteur.»J’étaisenmêmetempsfortaffligéd’avoir faitunechosedésagréableàmongrand-père.

Encemomentonm’appelapourcomparaîtredevantmesjuges,Séraphieentête,etàcôtéd’ellelehideuxbossuTourte.Jem’étaisproposéderépondreenRomain,c’est-à-direquejedésiraisservirlapatrie,quec’étaitmondevoiraussibienquemonplaisir,etc.Maislaconsciencedemafauteenversmonexcellentgrand-père(latacheàlacarte),quejevoyaispâleàcausedelapeurqueluiavaitfaitlebilletsignéGardon,m’attendrit,etjecroisqueje fuspitoyable.J’ai toujourseu ledéfautdeme laisserattendrircommeunniaispar lamoindreparoledesoumissiondesgenscontrelesquelsj’étaisleplusencolère,ettentatumcontemni.Envainplus tardécrivis-jepartoutcetteréflexiondeTite-Live, jen’ai jamaisétésûrdegardermacolère.

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Je perdis malheureusement par ma faiblesse de cœur (non de caractère) ma positionsuperbe. J’avais le projet de menacer d’aller moi-même déclarer à l’abbé Gardon marésolutiondeservirlapatrie.Jefiscettedéclaration,maisd’unevoixfaibleettimide.Monidéefitpeuretonvitquejemanquaisd’énergie.Mongrand-pèremêmemecondamna,lasentence fut que pendant trois jours je ne dînerais pas à table. A peine condamné,matendressesedissipaetjeredevinsunhéros.

«J’aime bien mieux, leur dis-je, dîner seul qu’avec des tyrans qui me grondent sanscesse.»

LepetitTourtevoulutfairesonmétier:

«Mais,monsieurHenri,ilmesemble…

—Vousdevriezavoirhonteetvoustaire,luidis-jeenl’interrompant.Est-cequevousêtesmonparentpourparlerainsi?»etc.

—Mais,monsieur,dit-il,devenutoutrougederrièreleslunettesdontsonnezétaitarmé,commeamidelafamille…

—Jenemelaisseraijamaisgronderparunhommetelquevous.»

Cetteallusionàsabosseénormesupprimasonéloquence.

Ensortantdelachambredemongrand-père,oùlascènes’étaitpassée,pourallerfairedulatintoutseuldanslegrandsalon,j’étaisd’unehumeurnoire.Jesentaisconfusémentquej’étaisunêtrefaible;plusjeréfléchissais,plusjem’envoulais.

Lefilsd’unnotoirementsuspect, toujourshorsdeprisonaumoyendesursis successifs,venantdemanderàl’abbéGardondeservirlapatrie,quepouvaientrépondremesparents,avecleurmessedequatre-vingtspersonnestouslesdimanches?

Aussi,dèslelendemainonmefitlacour.Maiscetteaffaire,queSéraphienemanquapasdeme reprocher dès la première scène qu’elleme fit, éleva comme unmur entremesparents et moi. Je le dis avec peine, je commençai à moins aimer mon grand-père, etaussitôtjevisclairementsondéfaut:Ilapeurdesafille,ilapeurdeSéraphie!MaseuletanteElisabethm’étaitrestéefidèle.Aussimonaffectionpourelleredoubla-t-elle[8].

Ellecombattait,jem’ensouviens,mahainepourmonpère,etmegrondavertementparcequ’unefois,enluiparlantdelui,jel’appelaicethomme.

Surquoijeferaideuxobservations[9]:

1°Cettehainedemonpèrepourmoietdemoipour luiétaitchose tellementconvenuedansmatête,quemamémoiren’apasdaignégarder[10]souvenirdurôlequ’iladûjouerdanslaterribleaffairedubilletGardon.

2° Ma tante Elisabeth avait l’âme espagnole. Son caractère était la quintessence del’honneur.Ellemecommuniquapleinementcettefaçondesentiretdelàmasuiteridiculedesottisespardélicatesseetgrandeurd’âme.Cettesottisen’aunpeucesséenmoiqu’en1810,àParis,quandj’étaisamoureuxdeMmePetit.Maisencoreaujourd’hui l’excellentFiore(condamnéàmortàNaplesen1800)medit:

«Voustendezvosfiletstrophaut.»(Thucydide.)

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Ma tante Elisabeth disait encore communément, quand elle admirait excessivementquelquechose:

«CelaestbeaucommeleCid.»

Elle sentait, éprouvait[11], mais n’exprimait jamais, un assez grand mépris pour leFontenellismedesonfrère(HenriGagnon,mongrand-père).Elleadoraitmamère,maisellenes’attendrissaitpasenenparlant,commemongrand-père.Jen’aijamaisvupleurer,jecrois,matanteElisabeth.Ellem’eûtpardonnétoutaumondeplutôtqued’appelermonpèrecethomme.

«Mais comment veux-tu que je puisse l’aimer? lui disais-je.Exceptémepeigner quandj’avaislarache[12],qu’a-t-iljamaisfaitpourmoi?

—Ilalabontédetemenerpromener.

—J’aimebienmieuxresteràlamaison,jedétestelapromenadeauxGranges.»

(Versl’églisedeSaint-Josephetausud-estdecetteéglise,quel’oncomprendmaintenantdanslaplacedeGrenoblequelegénéralHaxofortifie[13],mais,en1794,lesenvironsdeSaint-Josephétaientoccupéspardestassesàchanvreetd’infâmesroutoirs(trousàdemipleinsd’eaupourfairerouirlechanvre),oùjedistinguaislesœufsgluantsdegrenouillesquimefaisaienthorreur:horreurestlemotpropre,jefrisonneenypensant.)

Enmeparlantdemamère,unjour,iléchappaàmatantededirequ’ellen’avaitpointeud’inclinationpourmonpère.Cemotfutpourmoid’uneportéeimmense.J’étaisencore,aufonddel’âme,jalouxdemonpère.

J’allai raconter cemot àMarion, quime combla d’aise enme disant qu’à l’époque dumariagedemamère,vers1780,elleavaitditun jouràmonpèrequi lui faisait lacour:«Laissez-moi,vilainlaid.»

Jenevispointalorsl’ignobleetl’improbabilitéd’untelmot,jen’envisquelesens,quimecharmait.Lestyranssontsouventmaladroits,c’estpeut-êtrelachosequim’afaitrireleplusenmavie.

NousavionsuncousinSenterre[14],hommetropgalant,tropgaiet,commetel,assezhaïdemongrand-père,beaucoupplusprudentetpeut-êtrepastout-à-faitexemptd’enviepourcepauvreSenterre,maintenant sur l’âge et assezpauvre.Mongrand-pèreprétendait nefaireque lemépriseràcausedesesmauvaisesmœurspassées.CepauvreSenterreétaitfortgrand,creusé(marqué)depetitevérole,lesyeuxbordésderougeetassezfaibles,ilportaitdeslunettesetunchapeaurabattuàgrandsbords.

Tous les deux jours, ce me semble, enfin quand le courrier arrivait de Paris, il venaitapporteràmongrand-pèrecinqousixjournauxadressésàd’autrespersonnesetquenouslisionsavantcesautrespersonnes.

M.Senterrevenaitlematin,verslesonzeheures,onluidonnaitàdéjeunerundemi-verredevinetdupain,etlahainedemongrand-pèreallaplusieursfoisjusqu’àrappelerenmaprésencelafabledelaCigaleetdelaFourmi,cequivoulaitdirequelepauvreSenterrevenaitàlamaisonattiréparledoigtdevinetlecrochondepain[15].

LabassessedecereprocherévoltaitmatanteElisabeth,etmoipeut-êtreencoreplus.Mais

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l’essentielde lasottisedes tyrans,c’estquemongrand-pèremettaitses lunetteset lisaithautàlafamilletouslesjournaux.Jen’enperdaispasunesyllabe.

Et dans mon cœur je faisais des commentaires absolument contraires à ceux quej’entendaisfaire.

Séraphie était une bigote enragée,mon père, souvent absent de ces lectures, aristocrateexcessif,mongrand-père,aristocrate,maisbeaucoupplusmodéré;ilhaïssaitlesJacobinssurtoutcommegensmalvêtusetdemauvaiston.

«Quelnom:Pichegru!»disait-il.C’étaitlàsagrandeobjectioncontrecefameuxtraîtrequialorsconquéraitlaHollande.MatanteElisabethn’avaithorreurquedescondamnationsàmort.

Les titresdeces journaux,que jebuvais,étaient:LeJournaldeshommes libres,Perlet,dont je vois encore le titre, dont le dernier mot était formé par une griffe imitant lasignaturedecePerlet[16];leJournaldesDébats;leJournaldesdéfenseursdelaPatrie.Plus tard, ceme semble, ce journal, qui partait par courrier extraordinaire, rejoignait lamalle,partievingt-quatreheuresavantlui.

JefondemonidéequeM.Senterrenevenaitpastouslesjourssurlenombredejournauxqu’ilyavaitàlire.Maispeut-être,aulieudeplusieursnumérosdumêmejournal,yavait-ilseulementungrandnombredejournaux.

Quelquefois, quand mon grand-père était enrhumé, j’étais chargé de la lecture. Quellemaladressechezmestyrans!C’estcommethePapesfondantunebibliothèqueaulieudebrûlertousleslivrescommeOmar(dontoncontestecettebelleaction).

Pendant toutes ces lectures qui duraient, ceme semble, encore un an après lamort deRobespierreetquiprenaientbiendeuxheureschaquematin,jenemesouvienspasd’avoirétéuneseulefoisdel’avisquej’entendaisexprimerparmesparents.Parprudence,jemegardais bien de parler, et si quelquefois je voulais parler, au lieu de me réfuter onm’imposait silence. Je voismaintenant que cette lecture était un remède à l’effroyableennuidanslequelmafamilles’étaitplongéetroisansauparavant,àlamortdemamère,enrompantabsolumentaveclemonde.

LepetitTourteprenaitmonexcellentgrand-pèrepourconfidentdesesamoursavecunedenosparentesquenousméprisionscommepauvreet faisant tortànotrenoblesse. Ilétaitjaune,hideux,l’airmalade.IlsemitàmontreràécrireàmasœurPauline,etilmesemblequel’animalendevintamoureux.Ilamenaàlamaisonl’abbéTourte,sonfrère,quiavaitlafigureabîméed’humeursfroides.Mongrand-pèreayantditqu’ilétaitdégoûtéquandilinvitaitcetabbéàdîner,cesentimentdevintexcessifchezmoi.

M.Durandcontinuaitàveniruneoudeuxfoislejouràlamaison,maisilmesemblequec’étaitdeuxfois,voicipourquoi:j’étaisarrivéàcetteépoqueincroyabledesottiseoùl’on

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fait faire des vers à l’écolier latin (on veut essayer s’il a le génie poétique), et de cetteépoquedatemonhorreurpourlesvers.MêmedansRacine,quimesemblefortéloquent,jetrouveforcechevilles.

Pourdévelopperchezmoi legéniepoétique,M.Durandapportaungrand in-12dont lareliurenoireétaithorriblementgrasseetsale.

Lasaletém’eût faitprendreenhorreur l’AriostedeM.deTressan,que j’adorais,qu’onjuge du volume noir deM. Durand, assez mal mis lui-même. Ce volume contenait lepoèmed’un jésuite surunemouchequi senoiedansune jattede lait.Tout l’espritétaitfondésurl’antithèseproduiteparlablancheurdulaitetlanoirceurducorpsdelamouche,ladouceurqu’ellecherchaitdanslelaitetl’amertumedelamort.

Onmedictaitcesversensupprimantlesépithètes,parexemple:

Musca(épit.)duxeritannos(ép.)multos(synonime).

J’ouvrais leGradusadParnassum; je lisais toutes les épithètesde lamouche:volucris,avis, nigra, et je choisissais, pour faire la mesure de mes hexamètres et de mespentamètres,nigra,parexemple,pourmusca,felicespourannos.[17]

Lasaletédulivreetlaplatitudedesidéesmedonnèrentunteldégoûtquerégulièrementtouslesjours,verslesdeuxheures,c’étaitmongrand-pèrequifaisaitmesversenayantl’airdem’aider.

M.Durandrevenaitàseptheuresdusoiretmefaisaitremarqueretadmirerladifférencequ’ilyavaitentremesversetceuxduPèrejésuite.

Il faut absolument l’émulation pour faire avaler de telles inepties.Mon grand-père meracontaitsesexploitsaucollège,et jesoupiraisaprès lecollège, làdumoins j’auraispuéchangerdesparolesavecdesenfantsdemonâge.

Bientôtjedevaisavoircettejoie:onformauneÉcolecentrale,mongrand-pèrefutdujuryorganisateur,ilfitnommerprofesseurM.Durand.

[1]LechapitreXIIestlechapitreXdumanuscritdeStendhal(fol.188à210).—ÉcritàRome,le14décembre1835.

[2]…quipuissedéracinerlejésuitisme…-Ms.:«Tisjésui.»

[3] … toad-eater …—Expression anglaise signifiant littéralement: mangeur de crapauds, et, au figuré: flagorneur,flatteur,parasite.

[4]M.Tourte…—Donnaitdesleçonsd’écritureàPauline;jelevoisencore,taillantdesplumes,d’unairimportant,avecdeslunettesdontlesverresavaientl’épaisseurd’unfonddegobelet.(NoteaucrayondeR.Colomb.)

[5]…l’entredeuxdesportesformantantichambre…aupointA.—Suitunplandecettepartiedel’appartement;dansl’antichambre,enA,entrelesdeuxfenêtresdonnantsurlapremièrecour,estlaplaceoùlejeuneBeyleavaitplacélebilletGardon.

[6]…formantvestibulesurnotremagnifiqueterrasse.—Enface,estunplandecettepartiedel’appartementGagnon.Au fonddugrandsalonà l’Italienne,en«A,auteloù je servais lamesse tous lesdimanches»;dans lapiècevoisine,donnantaccèssurlaterrasse,étaitpenduela«carteduDauphinédresséeparM.deBourcet,pèreduTartufeetgrand-pèredemonamiàBrunswick,legénéralBourcet,aide-de-campdumaréchalOudinot,maintenantcocuet,jecrois,fou».

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DanslecabinetdeM.Gagnon,égalementvoisindugrandsalon,setrouvait,dansunangle,un«tasderomansetautresmauvaislivresayantappartenuàmononcleetsentantl’ambreoulemuscd’unelieue».Enfin,depuis«laterrasse,mursarrazin large de quinze pieds et haut de quarante», Stendhal indique une vue «magnifique vers lesmontagnes en S(montagnedeSeyssinsetSassenage),B(Bastille,quelegénéralHaxofortifieen1835)etR(tourdeRabot)».

[7] … une magnifique carte du Dauphiné …—La carte du Dauphiné par Bourcet est en effet très belle. Elle estcomposéededix feuilles in-folio, portant ce titre:Carte géométrique du hautDauphiné et de la frontière ultérieure,levéeparordreduRoi,sousladirectiondeM.deBourcet,maréchaldecamp,parMM.lesingénieursgéographesdeSaMajesté,pendantlesannées1749jusqu’en1754.DresséparlesieurVillaret,capitaineingénieurgéographeduRoi.—SurlafamilledeBourcet,voir:EdmondMaignien,L’ingénieurmilitaireBourcetetsafamille.Grenoble,1890,in-8°.

[8]Aussimonaffectionpourelleredoubla-t-elle.—Onlitauversodufol.197:«Écritde188à197enuneheure,grandfroidetbeausoleil,le14décembre1835.»

[9]Surquoijeferaideuxobservations.—«Jesensbienquetoutceciesttroplong,maisjem’amuseàvoirreparaîtrecestempsprimitifs,quoiquemalheureux,etjeprieM.Levavasseurd’abrégerferme,s’ilimprime.H.BEYLE.»

[10]…mamémoiren’apasdaignégarder…-Variante:«N’apasgardé.»

[11]Ellesentait,éprouvait…—Unepartiedelaligneaétélaisséeenblanc.

[12]…quandj’avaislaroche…—Affectionducuircheveluchezlesenfants,quelepatoisdauphinoisétend,maisàtort,àlacroûtedelait.

[13]…laplacedeGrenoblequelegénéralHaxofortifie…—L’agrandissementdel’enceinteparlegénéralHaxofuteffectuéentre1832et1836.

[14] … cousin Senterre …—Il était contrôleur de la poste à Grenoble; en sa qualité de mon grand-oncle, ilm’administraitforcetaloches;etlorsquejepleuraistrophaut,ilmefaisaitavalerdesverresdekirsch,pourobtenirdusilenceetsonpardon.(NoteaucrayondeR.Colomb.)

[15]…lecrochondepain.—Termedauphinoissignifiantunmorceaudepain,avecdelacroûte.

[16]…lasignaturedecePerlet…—Alasuitedunom,StendhalatracéuneimitationdelasignaturedePerlet.

[17]…felicespourannos.—Onlitauversodufol.209:«Le14décembre1835,écrit24pagesetfinilaViedeCostard,fouintéressant…»

CHAPITREXIII[1]

PREMIERVOYAGEAUXÉCHELLES

Ilfautparlerdemononcle,cethommeaimablequiportait la joiedanslafamillequanddesÉchelles(Savoie),oùilétaitmarié,ilvenaitàGrenoble.

Enécrivantmavieen1835, j’yfaisbiendesdécouvertes;cesdécouvertessontdedeuxespèces: d’abord, 1° ce sont de grands morceaux de fresques sur un mur, qui depuislongtemps oubliés apparaissent tout-à-coup, et à côté de ces morceaux bien conservéssont,commejel’aiditplusieursfois,degrandsespacesoùl’onnevoitquelesbriquesdumur.L’éparvérage,lecrépisurlequellafresqueétaitpeinteesttombé[2],etlafresqueestàjamaisperdue.Acôtédesmorceauxdefresqueconservésiln’yapasdedate,ilfautquej’aille à la chasse des dates actuellement, en 1835. Heureusement, peu importe unanachronisme,uneconfusiond’uneoudedeuxannées.ApartirdemonarrivéeàParisen1799, commemavie estmêlée avec les événementsde lagazette, toutes lesdates sontsûres.

2° en 1835, je découvre la physionomie et le pourquoi des événements. Mon oncle

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(RomainGagnon)nevenaitprobablementàGrenoble,vers1795ou96,quepourvoirsesanciennesmaîtressesetpoursedélasserdesÉchellesoùilrégnait,carlesÉchellessontunbourg, composé alorsdemanants enrichispar la contrebandeet l’agriculture, et dont leseulplaisirétaitlachasse.Lesélégancesdelavie,lesjoliesfemmesgaies,frivolesetbienparées,mononclenepouvaitlestrouverqu’àGrenoble.

Je fisunvoyageauxÉchelles, ce fut commeun séjourdans le ciel, touty fut ravissantpourmoi.LebruitduGuiers, torrentquipassaitàdeuxcentspasdevant lesfenêtresdemononcle,devintunsonsacrépourmoi,etquisur-le-champmetransportaitdansleciel.

Ici déjà les phrasesmemanquent, il faudra que je travaille et transcrive lesmorceaux,commeilm’arriveraplustardpourmonséjouràMilan;oùtrouverdesmotspourpeindrele bonheur parfait goûté avec délices et sans satiété par une aine sensible jusqu’àl’anéantissementetlafolie?

Jene sais si jene renonceraipas à ce travail. Jenepourrais, ceme semble, peindre cebonheurravissant,pur,frais,divin,queparl’énumérationdesmauxetdel’ennuidontilétaitl’absencecomplète.Or,cedoitêtreunetristefaçondepeindre[3]lebonheur.

Une course de sept heures dans un cabriolet léger par Voreppe, la Placette et Saint-Laurent-du-PontmeconduisitauGuiers,quialorsséparaitlaFrancedelaSavoie[4].Donc,alorslaSavoien’étaitpointconquisepar legénéralMontesquiou,dont jevoisencoreleplumet;elle futoccupéevers1792, jecrois.Mondivin séjourauxÉchellesestdoncde1790ou91.J’avaisseptouhuitans.

Ce fut un bonheur subit, complet, parfait, amené et maintenu par un changement dedécoration. Un voyage amusant de sept heures fait disparaître à jamais Séraphie, monpère, le rudiment, le maître de latin, la triste maison Gagnon de Grenoble, la bienautrementtristemaisondelaruedesVieux-Jésuites.

Séraphie,lecherpère[5],toutcequiétaitsiterribleetsipuissantàGrenoblememanqueaux Échelles. Ma tante Camille Poucet, mariée à mon oncle Gagnon, grande et bellepersonne,étaitlabontéetlagaietémême.Unanoudeuxavantcevoyage,prèsdupontdeClaix,ducôtédeClaix,aupointA[6], j’avaisentrevuuninstantsapeaublancheàdeuxdoigtsau-dessusdesgenoux,connueelledescendaitdenotrecharrettecouverte.Elleétaitpourmoi,quandjepensaisàelle,unobjetduplusardentdésir.Ellevitencore,jenel’aipas vue depuis trente ou trente-trois ans, elle a toujours été parfaitement bonne. Etantjeune,elleavaitunesensibilitévraie.ElleressemblebeaucoupàcescharmantesfemmesdeChambéry (où elle allait souvent, à cinq lieuesde chez elle) si bienpeintespar J.-J.Rousseau(Confessions)[7]; elleavaitunesœurde labeauté laplus fine,du teint lepluspur,aveclaquelleilmesemblequemononclefaisaitunpeul’amour.Jenevoudraispasjurerqu’iln’honorâtaussidesesattentionslaFanchon,lafemmedechambrefactotum,lameilleureetlaplusgaiedesfilles,quoiquepointjolie.

Tout fut sensations exquises et poignantes de bonheur dans ce voyage, sur lequel jepourraisécrire,vingtpagesdesuperlatifs.

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Ladifficulté,leregretprofonddemalpeindreetdegâterainsiunsouvenircéleste,oùlesujetsurpasse trop ledisant,medonneunevéritablepeineau lieuduplaisird’écrire.Jepourrai bien ne pas décrire du tout par la suite le passage duMont-Saint-Bernard avecl’arméederéserve(16au18mai1800)etleséjouràMilandanslaCasaCastelbarcooudanslaCasaBovara.

Enfin,pournepaslaisserenblanclevoyagedesÉchelles,jenoteraiquelquessouvenirsqui doivent donner une idée aussi inexacte que possible des objets qui les causèrent.J’avaishuitanslorsquej’euscettevisionduciel.

Uneidéemevient,peut-êtrequetoutlemalheurdemonaffreuseviedeGrenoble,de1790à 1799, a été un bonheur, puisqu’il a amené le bonheur, que pour moi rien ne peutsurpasser,duséjourauxÉchellesetduséjouràMilandutempsdeMarengo.

ArrivéauxÉchelles,jefusl’amidetoutlemonde,toutlemondemesouriaitcommeàunenfantremplid’esprit.Mongrand-père,hommedumonde,m’avaitdit:«Tueslaid,maispersonnenetereprocherajamaistalaideur.»

J’aiappris,ilyaunedizained’années,qu’unedesfemmesquim’alemieuxoudumoinsleplus longtempsaimé,VictorineBigillion,parlaitdemoidanslesmêmestermesaprèsvingt-cinqansd’absence.

Aux Échelles, je fis mon amie intime de la Fauchon, comme on l’appelait. J’étais enrespectdevantlabeautédematatanCamilleetn’osaisguèreluiparler,jeladévoraisdesyeux. On me conduisit chez MM. Bonne ou de Bonne, car ils prétendaient fort à lanoblesse,jenesaismêmes’ilsnesedisaientpasparentsdeLesdiguières.

J’ai,quelquesannéesaprès,retrouvétraitpourtraitleportraitdecesbonnesgensdanslesConfessionsdeRousseau,àl’articleChambéry.

Bonne l’aîné, qui cultivait le domaine de Berlandet, à dix minutes des Échelles, où ildonnaunefêtecharmanteavecdesgâteauxetdulait,oùjefusmontésurunânemenéparGrubillonfils,étaitlemeilleurdeshommes;sonfrèreM.Biaise,lenotaire,enétaitleplusnigaud.OnsemoquaittoutelajournéedeM.Blaise,quiriaitaveclesautres.Leurfrère,Bonne-Savardin,négociantàMarseille,étaitfortélégant:maislecourtisandelafamille,lerouéquetousregardaientavecrespect,étaitauserviceduroiàTurin,etjenefisquel’entrevoir.

JenemesouviensdeluiqueparunportraitqueMmeCamilleGagnonamaintenantdanssachambreàGrenoble(lachambredefeumongrand-père;leportrait,garnid’unecroixrouge,donttoutelafamilleestfière,estplacéentrelacheminéeetlepetitcabinet[8]).

Il y avait aux Échelles une grande et belle fille, Lyonnaise réfugiée. (Donc la Terreuravait[9]commencéàLyon,cecipourraitmedonnerunedatecertaine.CedélicieuxvoyageeutlieuavantlaconquêtedelaSavoieparlegénéralMontesquiou,commeondisaitalors,etaprèsquelesroyalistessesauvaientdeLyon.)

MlleCochet était sous la tutellede samère,mais accompagnéepar sonamant, unbeaujeunehomme,M…[10], brun et qui avait l’air assez triste. Ilme semble qu’ils venaientseulementd’arriverdeLyon.Depuis,MlleCochetaépouséunbelimbéciledemescousins(M.Doyat,deLaTerrasse,etaeuunfilsàl’Écolepolytechnique.Ilmesemblequ’ellea

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étéunpeulamaîtressedemonpère).Elleétaitgrande,bonne,assezjolieet,quandjelaconnus aux Échelles, fort gaie. Elle fut charmante à la partie de Berlandet. MaisMlle

Poncet, sœur de Camille (aujourd’hui madame veuve Blanchet), avait une beauté plusfine;elleparlaitfortpeu.

LamèredematanteCamilleetdeMMlle…[11],madamePoncet,sœurdesBonneetdemadameGiraud,etbelle-mèredemononcle,étaitlameilleuredesfemmes.Samaison,oùjelogeais,étaitlequartiergénéraldelagaieté[12].

Cettemaisondélicieuseavaitunegaleriedebois,etunjardinducôtédutorrentleGuiers.LejardinétaittraverséobliquementparladigueduGuiers[13].

ÀunesecondepartieàBerlandetjemerévoltaiparjalousie,unedemoisellequej’aimaisavaitbientraitéunrivaldevingtouvingt-cinqans.Maisquelétaitl’objetdemesamours?Peut-être celame reviendra-t-il comme beaucoup de chosesme reviennent en écrivant.Voicilelieudelascène[14],quejevoisaussinettementquesijel’eussequittéilyahuitjours,maissansphysionomie.

Après ma révolte par jalousie, du point A je jetai des pierres à ces dames. Le grandCorbeau(officierensemestre)mepritetmemitsurunpommieroumûrierenM,aupointO,entredeuxbranchesdontjen’osaispasdescendre.Jesautai,jemelismal,jem’enfuisversZ.

Jem’étaisunpeufoulélepiedetjefuyaisenboitant;l’excellentCorbeaumepoursuivit,mepritetmeportasursesépaulesjusqu’auxÉchelles.

Il jouait un peu le rôle de patito, me disant qu’il avait été amoureux deMlle CamillePoncet, ma tante, qui lui avait préféré le brillant Romain Gagnon, jeune avocat deGrenoblerevenantd’émigrationàTurin[15].

J’entrevisàcevoyageMlleThérésineMaistre,sœurdeM.lecomtedeMaistre,surnomméBance,etc’estBance,auteurduVoyageautourdemaChambre,dontj’aivulamontéeàRome vers 1832; il n’est plus qu’un ultra fort poli, dominé par une femme russe, ets’occupantencoredepeinture.Legénieetlagaietéontdisparu,iln’estrestéquelabonté.

Quedirai-jed’unvoyageàlaGrotte[16]?J’entendsencorelesgouttessilencieusestomberduhautdesgrandsrocherssurlaroute.Onfitquelquespasdanslagrotteaveccesdames:MllePonceteutpeur,MlleCochetmontraplusdecourage.Auretour,nouspassâmesparlepontJean-Lioud(Dieusaitquelestsonvrainom).

Que dirai-je d’une chasse dans le bois deBerland, rive gauche duGuiers, près le pontJean-Lioud?Jeglissaissouventsous les immenseshêtres.M…,l’amantdeMlleCochet,chassaitavec…(lesnomsetlesimagessontéchappés).Mononcledonnaàmonpèreunchienénorme,nomméBerland,decouleurnoirâtre.Auboutd’unanoudeux,cesouvenird’unpaysdélicieuxpourmoimourutdemaladie,jelevoisencore.

SouslesboisdeBerlandjeplaçailesscènesdel’Arioste.

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LesforetsdeBerlandetlesprécipicesenformedefalaisesquilesbornentducôtédelaroutedeSaint-Laurent-du-Pontdevinrentpourmoiuntypecheretsacré.C’estlàquej’aiplacétouslesenchantementsd’IsmènedelaJérusalemdélivrée.AmonretouràGrenoble,mongrand-pèremelaissalirelatraductiondelaJérusalemparMirabaud,malgrétouteslesobservationsetréclamationsdeSéraphie.

Monpère,lemoinsélégant,leplusfinasseur,lepluspolitique,disonstoutenunmot,leplusDauphinoisdeshommes,nepouvaitpasn’êtrepasjalouxdel’amabilité,delagaieté,del’élégancephysiqueetmoraledemononcle.

Ill’accusaitdebroder(mentir);voulantêtreaimablecommemononcleàcevoyageauxÉchelles,jevoulusbroderpourl’imiter.

J’inventaijenesaisquellehistoiredemonrudiment.(C’estunvolumecachéparmoisousmonlitpourquelemaîtredelatin(était-ceM.JoubertouM.Durand?)nememarquâtpas(avecl’ongle)lesleçonsàapprendreauxÉchelles.)

Mononcledécouvritsanspeinelemensonged’unenfantdehuitouneufans;jen’euspasla prudence d’esprit de lui dire: «Je cherchais à être aimable comme toi!» Comme jel’aimais,jem’attendris,etlaleçonmefituneimpressionprofonde.

Enmegrondant (reprenant)aveccette raisonetcette justice,oneût tout faitdemoi.Jefrémisenypensant:siSéraphieeûteulapolitesseetl’espritdesonfrère,elleeûtfaitdemoiunjésuite[17].

(Je suis toutconfitdemépris aujourd’hui.Quedebassesse et de lâcheté il y adans lesgénéraux de l’Empire! Voilà le vrai défaut du genre de génie deNapoléon: porter auxpremièresdignitésunhommeparcequ’ilestbraveetaletalentdeconduireuneattaque.QuelabîmedebassesseetdelâchetémoralesquelesPairs[18]quiviennentdecondamnerle sous-officier Samto à une prison perpétuelle, sous le soleil de Pondichéry, pour unefauteméritantàpeinesixmoisdeprison!Etsixpauvresjeunesgensontdéjàsubivingtmois(18décembre1835)!

Dèsquej’auraireçumonHistoiredelaRévolutiondeM.Thiers,ilfautquej’écrivedansle blanc du volume de 1793 les noms de tous les généraux Pairs[19] qui viennent decondamnerM.Thomas,afindelesméprisersuffisammenttoutenlisantlesbellesactionsquilesfirentconnaîtrevers1793.Laplupartdecesinfâmesontmaintenantsoixante-cinqàsoixante-dixans.MonplatamiFélixFaurealabassesseinfâmesanslesbellesactions.EtM.d’Houdetot[20]!EtDijon!JediraicommeJulien:Canaille!Canaille!Canaille!)

Excusez cette longueparenthèse, ô lecteur de1880!Tout ce dont je parle sera oublié àcette époque. La généreuse indignation qui fait palpitermon cœurm’empêche d’écriredavantage sans ridicule. Si en 1880 on a un gouvernement passable, les cascades, lesrapides, lesanxiétéspar lesquelles laFr[ance]aurapassépouryarriverserontoubliées,l’histoire n’écrira qu’un seulmot à celui du nom de Louis-Philippe: le plus fripon desKings.

M.deCorbeau,devenumonamidepuisqu’ilm’avaitrapportésursondosdeBerlandetauxÉchelles,memenaitàlapêchedelatruiteàlalignedansleGuiers.Ilpêchaitentrelesportes deChailles, au bas des précipices du défilé deChailles, et le pont desÉchelles,quelquefoisverslepontJean-Lioud.Saligneavaitquinzeouvingtpieds.VersChailles,en

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relevantvivementl’hameçon,salignedecrinblancpassasurunarbre,etlatruitedetrois-quartsdelivre[21]nousapparutpendantàvingtpiedsdeterreauhautdel’arbre,quiétaitsansfeuilles.Quellejoiepourmoi[22]!

[p.166][p.167]

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[1]Le chapitreXIII se trouve dans un cahier séparé, côtéB 300 (Bibl.mun. deGrenoble), enmême temps que leschapitresV etXV. Il va du feuillet 15 au feuillet 38, et porte une foliotation spéciale, de 1 à 24. En tête, Stendhalindique:«Dictercecietlefaireécriresurlepapierblancàlafindu1ervolume.Reliercechapitreàlafindusecondvolume.18décembre.» Ilajoute:«Placercemorceauvers1792àsonrang,vers1791.»Unfeuillet intercalaireporteencore:«Aplaceràsonépoque,avantlaconquêtedelaSavoieparlegénéralMontesquiou,avant1792.Afairecopiersurlepapierblanc.Placeralafindu1ervolume.»—LechapitreXIIIaétéécritnRomele18décembre1835,parun«froiddechien».

[2]…lecrépisurlequellafresqueétaitpeinteesttombé…—Onlitentêtedufol.2:«18décembre1835.Omar.Froiddechien,avecnuagesauciel.»

[3]…tristefaçondepeindrelebonheur.—Variante:«Rendre.»

[4]…quialorsséparaitlaFrancedelaSavoie.—Onlitentêtedufol.5:«18déc.Froiddeloupprèsdufeu.»

[5]…lecherpère…—Lectureincertaine.

[6]…ducôtédeClaix,aupointA…—Enface,danslamarge,estundessinreprésentantunecoupedupontdeClaix.LepointAestsurlaroute,ausuddupont,surlarivegaucheduDrac.

[7]…J.-J.Rousseau(Confessions)…—Onliten têtedufol.7:«18décembre1835.Froidàdeuxpiedsdemonfeu.Omar.»

[8]…entrelacheminéeet lepetitcabinet.—Enface,estunplande lachambre,avec laplaceduportrait,prèsde lacheminée.

[9]DonclaTerreuravaitcommencé…—Variante:«Etaitcommencée.»

[10]…unbeaujeunehomme,M…—Lenomestenblanc.

[11]LamèredematanteCamilleetdeMlle…—Lenomestenblanc.Ils’agitsansdoutedeMariePoncet,sœurdemadameRomainGagnon.

[12]Samaison,oùje logeais…—PlandesÉchellesetdesesenvirons,avec lamaisonPoncet (M).«AuxpointsAAétaientlespoteauxaveclesarmesdeSavoieducitédelarivedroite.»

[13]…parladigueduGuiers.—Ici,unplandelamaisonPoncet,aveclejardintraverséparladigueduGuiers.

[14]Voicilelieudelascène…—Suitunplangrossierdelascène:derrièreunehaiesetrouveBeylejetantdespierresauxdames,assisessurune«penterapideengazon».C’estune«pentedehuitoudixpiedsoùtoutescesdamesétaientassises, On riait, on buvait du ratafia de Teisseire (Grenoble), les verres manquant, dans des dessus de tabatièred’écaillé».Plushautestl’arbreMdanslafourcheduquelfutplacéBeyle,enO;toutprèsestunruisseau,lelongduquelils’enfuit.

[15]…revenantd’émigrationàTurin.—Entêtedufol.17onlit:«18décembre1835.Froid;jambegauchegelée.»

[16]Quedirai-jed’unvoyageàlaGrotte?—Auversodufol.17estunplandesenvironsdesÉchelles.Lagrotteyestfigurée,avecsonentréesurla«routedeChambéry»,nonloindes«rochesénormescoupéesparPhilibert-Emmanuel»etdela«coupuredanslerocparNapoléon».Ysontfigurésl’«ancienneroute»desÉchelles,la«nouvelleroutequejen’aijamaisvue,faitevers1810»,etlesentierconduisant,au«pontJean-Lioud,à100piedsou80au-dessusdutorrent».—Auversodufol.18estencoreunplandudéfilédeChailles;Stendhalyaindiquélasituationde«Corbaron,domainedeM.deCorbeau».Dessousestun«détaildesPortesdeChailles»:«làsontquatrediocèses».

LepontJean-Lioud,queStendhalorthographieJanliou,estjetésurleGuiers-Mort,lequelavaitsoncoursentièrementenFrance.C’estleGuiers-VifquiservaitdefrontièreentrelaFranceetlaSavoie.—Actuellement,lepontJean-Lioudestune passerelle en bois, utilisée par le charmant chemin qui va d’Entre-deux-Guiers àVillette, prèsSaint-Laurent-du-Pont.]

[17]…elleeûtfaitdemoiunjésuite.—Ms.:«Tejé.»

[18]…lesPairs…—Ms.:«Sraip.»

[19]…touslesgénérauxPairs…—Ms.:«Sairp.»

[20]…M.d’Houdetot…—Ms.:«Detothou.»

[21]…latruitedetrois-quartsdelivre…—Suituneparenthèsecomprenanttroisouquatremotsillisibles.

[22]Quellejoiepourmoi!—Lechapitreestinachevé.Onlitàlafin:«A4h.50m.,manquedejour;jem’arrête.»

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CHAPITREXIV[1]

MORTDUPAUVRELAMBERT

Jeplaceici,pournepasleperdre,undessin[2]dontj’aiornécematinunelettrequej’écrisàmon amiR. Colomb, qui à son âge, en homme prudent, a étémordu du chien de laMétromanie,cequil’aportéàmefairedesreprochesparcequej’aiécritunepréfacepourlanouvelleéditiondedeBrosses;or,luiaussiavaitfaitunepréface.CettecarteestfaitepourrépondreàColomb,quiditquejevaislemépriser.

J’ajoute:s’ilyaunautremonde, j’iraivénérerMontesquieu, ilmedirapeut-être:«Monpauvreami,vousn’avezeuaucuntalentdansl’autreinonde.»J’enseraifâché,maispointsurpris:l’œilnesevoitpaslui-même.

MaismalettreàColombneferaqueblanchirtouslesgensàargent;quandilssontarrivésau bien-être, ils se mettent à haïr les gens qui ont été lus du public. Les commis desAffaires étrangères seraient bien aises de me donner quelque petit déboire dans monmétier.Cettemaladie est plusmalignequand l’hommeà argent, arrivé à cinquante ans,prend lamaniedese faireécrivain.C’estcomme lesgénérauxde l’Empirequi,voyant,vers 1820, que la Restauration ne voulait pas d’eux, semirent à aimer passionnément,c’est-à-direcommeunpisaller,lamusique.

Revenonsà1794ou95.Jeprotestedenouveauquejeneprétendspaspeindreleschosesenelles-mêmes,maisseulementleureffetsurmoi.Commentneserais-jepaspersuadédecettevéritéparcettesimpleobservation:jenemesouvienspasdelaphysionomiedemesparents,parexempledemonexcellentgrand-père,quej’airegardésisouventetavectoutel’affectiondontunenfantambitieuxestcapable.

Comme, d’après le système barbare adopté par mon père et Séraphie, je n’avais pointd’amioudecamaradedemonâge,masociabilité(inclinationàparlerlibrementdetout)s’étaitdiviséeendeuxbranches.

Mongrand-pèreétaitmoncamaradesérieuxetrespectable.

Monami,auqueljedisaistout,étaitungarçonfortintelligent,nomméLambert,valetdechambredemongrand-père.MesconfidencesennuyaientsouventLambertet,quandjeleserraisdetropprès,ilmedonnaitunepetitecalottebiensècheetproportionnéeàmonâge.Je ne l’en aimais que mieux. Son principal emploi, qui lui déplaisait fort, était d’allerchercherdespêchesàSaint-Vincent(prèsleFontanil),domainedemongrand-père.Ilyavait près de cette chaumière, que j’adorais, des espaliers fort bien exposés quiproduisaient des pêchesmagnifiques. Il y avait des treilles qui produisaient d’excellentlardan(sortedechasselas,celuideFontainebleaun’enestquelacopie).ToutcelaarrivaitàGrenobledansdeuxpaniersplacésàl’extrémitéd’unbâtonplat,etcebâtonsebalançaitsur l’épaule de Lambert, qui devait faire ainsi[3] les quatre milles qui séparent Saint-VincentdeGrenoble.

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Lambertavaitde l’ambition, il étaitmécontentdesonsort;pour l’améliorer, il entrepritd’élever des vers à soie, à l’exemple dema tanteSéraphie, qui s’abîmait la poitrine enfaisant des vers à soie à Saint-Vincent. (Pendant ce temps je respirais, la maison deGrenoble,dirigéeparmongrand-pèreetlasageElisabeth,devenaitagréablepourmoi.Jemehasardaisquelquefoisàsortirsansl’indispensablecompagniedeLambert.)

Cemeilleuramique j’eusseavaitachetéunmûrier (prèsdeSaint-Joseph), il élevait sesversàsoiedanslachambredequelquemaîtresse.

Enramassant(cueillant)lui-mêmelesfeuillesdecemûrier,iltomba,onnouslerapportasuruneéchelle.Mongrand-pèrelesoignacommeunfils.Maisilyavaitcommotionaucerveau,lalumièrenefaisaitplusd’impressionsursespupilles,ilmourutauboutdetroisjours. Il poussait dans le délire, qui ne le quitta jamais, des cris lamentables qui meperçaientlecœur.

Jeconnusladouleurpourlapremièrefoisdemavie.Jepensaiàlamort.

L’arrachementproduitparlapertedemamèreavaitétédelafolieoùilentrait,àcequimesemble,beaucoupd’amour.LadouleurdelamortdeLambertfutdeladouleurcommeje l’ai éprouvée tout le reste dema vie, une douleur réfléchie, sèche, sans larmes, sansconsolation. J’étais navré et sur le point de tomber (ce qui fut vertement blâmé parSéraphie)enentrantdixfoislejourdanslachambredemonamidontjeregardaislabellefigure,ilétaitmourantetexpirant.

Jen’oublieraijamaissesbeauxsourcilsnoirsetcetairdeforceetdesantéquesondélirene faisait qu’augmenter. Je le voyais saigner, après chaque saignée je voyais tenterl’expérience de la lumière devant les yeux (sensation quime fut rappelée le soir de labatailledeLandshut,jecrois,1809).

J’aivuunefois,enItalie,unefiguredesaintJeanregardantcrucifiersonamietsonDieuqui, tout-à-coup, me saisit par le souvenir de ce que j’avais éprouvé, vingt-cinq ansauparavant,àlamortdupauvreLambert,c’estlenomqu’ilpritdanslafamilleaprèssamort. Jepourrais remplirencorecinqousixpagesdesouvenirsclairsquimerestentdecettegrandedouleur.Onleclouadanssabière,onl’emporta…

Suntlacrimaererum.

LemêmecôtédemoncœurestémuparcertainsaccompagnementsdeMozartdansDonJuan.

LachambredupauvreLambertétaitsituéesurlegrandescalier,àcôtédel’armoireauxliqueurs[4].

Huitjoursaprèssamort,Séraphiesemitfortjustementencolèreparcequ’onluiservitjenesaisquelpotage(àGrenoble:soupe)dansunepetiteécuelledefaïenceébréchée,quejevois encore (quarante ans après l’événement), et qui avait servi à recevoir le sang deLambertpendantunedessaignées.Jefondisenlarmestout-à-coup,aupointd’avoirdessanglots qui m’étouffaient. Je n’avais jamais pu pleurer à la mort de ma mère. Je ne

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commençaiàpouvoirpleurerqueplusd’unanaprès,seul,pendantlanuit,dansmonlit.Séraphie,enmevoyantpleurerLambert,mefitunescène.Jem’enallaià lacuisineenrépétantàdemi-voixetcommepourmevenger:infâme!infâme!

Mesplusdouxépanchementsavecmonamiavaientlieupendantqu’iltravaillaitàscierleboisaubûcher[5],séparédelacour,enC,parunecloisonàjours,forméedemontantsdenoyerfaçonnésautour,commeunebalustradedejardin[6].

Après sa mort, je me plaçais dans la galerie, au second étage de laquelle j’apercevaisparfaitement les montants de la balustrade, qui me semblaient superbes pour faire destoupies.Quelâgepouvais-jeavoiralors?Cetteidéedetoupieindiquedumoinsl’âgedema raison. Je pense à une chose, je puis faire rechercher l’extraitmortuaire du pauvreLambert,maisLambertétait-ilunnomdebaptêmeoudemaison?Ilmesemblequesonfrère,quitenaitunpetitcafédemauvaiston,ruedeBonne,prèsdelacaserne,s’appelaitaussiLambert.Maisquelledifférence,grandDieu!Jetrouvaisalorsqu’iln’yavaitriendesi commun que ce frère, chez lequel Lambert me conduisait quelquefois. Car, il fautl’avouer,malgrémesopinionsparfaitementet foncièrement républicaines[7]mesparentsm’avaient parfaitement communiqué leurs goûts aristocratiques et réservés. Ce défautm’est resté et par exemplem’a empêché, il n’y a pas dix jours, de cueillir une bonnefortune.J’abhorrelacanaille(pouravoirdescommunicationsavec),enmêmetempsquesouslenomdepeuplejedésirepassionnémentsonbonheur,etquejecroisqu’onnepeutleprocurerqu’enluifaisantdesquestionssurunobjetimportant,c’est-à-direenl’appelantàsenommerdesdéputés.

Mes amis, ou plutôt prétendus amis, partent de là pour mettre en doute mon sincèrelibéralisme.J’aihorreurdecequiestsale,orlepeupleesttoujourssaleàmesyeux.Iln’yaqu’uneexceptionpourRome,maislàlasaletéestcachéeparlaférocité.(Parexemple,l’unique saleté du petit abbé sarde Crobras; mais mon respect sans bornes pour sonénergie.Sonprocèsdecinqansavecseschefs.Ubimissa,ibimenia.Peud’hommessontde cette force. Les princesCaetani savent parfaitement ces histoires deM.Crobras, deSartène,jecrois,enSardaigne[8].)

Les…..[9] que jemedonnais au pointH sont incroyables.C’était au point deme faireéclateruneveine.Jeviensdemefairemalenlesmimiquantaumoinsquaranteansaprès.QuisesouvientdeLambertaujourd’hui,autrequelecœurdesonami!

J’iraiplusloin,quisesouvientd’Alexandrine,morteenjanvier1815,ilyavingtans?

Qui se souvient deMétilde,morte eu 1825?Ne sont-elles pas àmoi,moi qui les aimemieux que tout le reste du monde? Moi qui pense passionnément à elles dix fois lasemaine,etsouventdeuxheuresdesuite[10]?

[p.174][p.175]

[1]LechapitreXIVest lechapitreXIdumanuscrit (Bibl.deGrenoble,R299, fol.211à225).—ÉcritàRome, le15décembre1835.

[2]Jeplaceici…undessin…—Cedessinreprésenteuncarrefouroùaboutissentquatrevoies.Aucentre,aupointA,estlemomentdelanaissance;àdroite,horizontalement,laroutedelafortuneparlecommerceoulesplaces;aumilieuetperpendiculairement,laroutedelaconsidération:FélixFaureestfaitpairdeFrance;àgaucheetobliquement,laroute

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del’artdesefairelire;àgauche,horizontalement,laroutedelafolie.

[3]…Lambert,quidevaitfaireainsi…—Variante:«Quifaisaitainsi.»

[4]LachambredupauvreLambert était située…—En face, est unplan d’une partie de l’appartement.Ony voit lachambredeLambert,voisinedelasalle-à-manger,oùsetrouvait,dansunangle,l’armoireauxliqueurs.Cettechambreavaitune«fenêtreéclairantmal,donnantsurl’escalier,maisfortgrandeetfortbelle»;ellecontenaitune«grandearmoiredenoyerpourlelingedelafamille.Lelingeétaitregardéavecunesortederespect».(Voirnotreplandel’appartementGagnon.)

[5]…scierleboisaubûchier…—Plandubûcherindiquantsapositionausuddelagrandecour,prèsdugrandescalier.

[6]…séparédelacour…—Plandelacour,aveclebûcheretlagalerie.Stendhalyajointdesdessinsreprésentantunchevaletavecunebûche,lasciedeLambertetlesbalustresdubûcher.

[7]…mesopinionsparfaitementetfoncièrementrépublicaines…—Ms.:«Kainesrépubli.»

[8]…M.Crobras,deSartène,jecrois,enSardaigne.—Erreur:SartèneestenCorse.

[9]Les…quejemedonnais…—Deuxmotsillisibles.Stendhaldoitfaireallusioniciàquelquegrimaced’enfant.Dansuncroquisdufol.221il indiquelepointHdans lagaleriedusecondétage,qui longeait lagrandecourde lamaisonGagnon:«H,moi.Delà,jecontemplaislesbarreauxdeboisdubûcheretjemedonnaisdes(lesmêmesmots,toujoursillisibles)enportantlesangàlatêteetouvrantlabouche.»

[10]…souventdeuxheuresdesuite?—Onlitauversodufol.225:«Idée:AllerpassertroisjoursàGrenoble,etnevoirCrozetqueletroisièmejour.AllerseulincognitoàClaix,àlaBastille,àLaTronche.»

CHAPITREXV[1]

Mamèreavaiteuunraretalentpourledessin,disait-onsouventdanslafamille.«Hélas!quenefaisait-ellepasbien?»ajoutait-onavecunprofondsoupir.Aprèsquoi,silencetristeetlong.Lefaitestqu’avantlaRévolution,quichangeatoutdanscesprovincesreculées,onenseignait ledessinàGrenobleaussi ridiculementque le latin.Dessiner,c’était faireavec de la sanguine des hachures bien parallèles et imitant la gravure; on donnait peud’attentionaucontour.

Jetrouvaissouventdegrandestêtesàlasanguinedessinéesparmamère.

Mongrand-pèrealléguacetexemple,ceprécédenttout-puissant,etmalgréSéraphiej’allaiapprendreàdessinerchezM.LeRoy.Cefutungrandpointdegagné;commeM.LeRoydemeuraitdanslamaisonTeisseire,avantlegrandportaildesJacobins[2],peuàpeuonmelaissaallerseulchezluietsurtoutrevenir.

Celaétaitimmensepourmoi.Mestyrans,jelesappelaisainsienvoyantcourirlesautresenfants,souffraientquej’allasseseuldePenR[3].Jecomprisqu’enallantfortvite,caroncomptaitlesminutes,etlafenêtredeSéraphiedonnaitprécisémentsurlaplaceGrenette,jepourraisfaireuntoursurlaplacedelaHalle,àlaquelleonarrivaitparleportailL.Jen’étais exposéquependant le trajet deRenL.L’horlogedeSaint-André, qui réglait laville,sonnaitlesquarts,jedevaissortiràtroisheuresetdemieouquatreheures(jenemesouvienspasbienlequel)dechezM.LeRoyetcinqminutesaprèsêtrerentré.M.LeRoy,ouplutôtmadameLeRoy,unediablessedetrente-cinqans,fortpiquanteetavecdesyeuxcharmants, était spécialementchargée sousmenace, jepense,deperdreunélèvepayantbien, de ne me laisser sortir[4] qu’à trois heures et quart. Quelquefois, en montant, jem’arrêtaisdesquartsd’heureentiers,regardantparlafenêtredel’escalier,enF,sansautre

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plaisirquedemesentirlibre;danscesraresmoments,aulieud’êtreemployéeàcalculerlesdémarchesdemestyrans,monimaginationsemettaitàjouirdetout.

Magrande affaire fut bientôt dedeviner siSéraphie serait à lamaison à trois heures etdemie, heure de ma rentrée. Ma bonne amie Marion (Marie Thomasset, de Vinay),servante deMolière et qui détestait Séraphie, m’aidait beaucoup. Un jour queMarionm’avaitditqueSéraphiesortaitaprèslecafé,verstroisheures,pourallerchezsabonneamiemadameVignon, la boime[5], jeme hasardai à aller au Jardin-de-Ville (rempli depetits polissons gamins). Pour cela, je traversai la placeGrenette en passant derrière labaraquedeschâtaignesetlapompe,etenmeglissantparlavoûtedujardin.

Je fus aperçu, quelque ami ou protégé de Séraphie me trahit, scène le soir devant lesgrands-parents.Jementis,commedejuste,surlademandedeSéraphie:

«As-tuétéauJardin-de-Ville?»

Là-dessus, mon grand-père me gronda doucement et poliment, mais ferme, pour lemensonge.Jesentaisvivementceque jenesavaisexprimer.Mentirn’est-ilpas laseuleressourcedesesclaves?Unvieuxdomestique,successeurdupauvreLambert,sortedeLaRancune,fidèleexécuteurdesordresdesparentsetquidisaitavecmorositéenparlantdesoi:«Jesuisassassineur(sic)depots-de-chambre»,futchargédemeconduirechezM.LeRoy.J’étaislibrelesjoursoùilallaitàSaint-Vincentchercherdesfruits.

Cette lueurde libertémerendit furieux.«Quemeferont-ilsaprès tout,medis-je,oùestl’enfantdemonâgequinevapasseul?»

Plusieursfoisj’allaiauJardin-de-Ville;sil’ons’enapercevaitonmegrondait,maisjenerépondais pas. On menaça de supprimer le maître de dessin, mais je continuai mescourses. Alléché par un peu de liberté, j’étais devenu féroce.Mon père commençait àprendre sa grande passion pour l’agriculture et il allait souvent à Claix[6]. Je crusm’apercevoir qu’en son absence je commençais à faire peur à Séraphie. Ma tanteElisabeth,parfiertéespagnole,n’ayantpasd’autoritélégitime,restaitneutre;mongrand-père,d’aprèssoncaractèreàlaFontenelle,abhorraitlescris;MarionetmasœurPaulineétaienthautementpourmoi.Séraphiepassaitpourfolleauxyeuxdebiendesgens,etparexempleauxyeuxdenoscousines,mesdamesColombetRomagnier,femmesexcellentes.(J’aipu les apprécier aprèsque j’ai eu l’âgede raisonetquelqueexpériencede lavie.)Danscestemps-làunmotdeMmeColombmefaisaitrentrerenmoi-même,cequimefaitsupposerqu’avecdeladouceuroneûttoutfaitdemoi,probablementunplatDauphinoisbien retors. Je me mis à résister à Séraphie, j’avais à mon tour des accès de colèreabominables.

«Tun’iraspluschezM.LeRoy»,disait-elle.

Ilmesemble,enypensantbien,qu’ilyeutunevictoiredeSéraphie,etparconséquent,interruptiondanslesleçonsdedessin.

La Terreur était si douce à Grenoble quemon père, de temps à autre, allait habiter samaison, rue des Vieux-Jésuites. Là, je voisM. Le Royme donnant leçon sur le grandbureau[7]noirducabinetdemonpère[8],etmedisantàlafindelaleçon:

«Monsieur,ditesàvotrecherpèrequejenepuisplusvenirpourtrente-cinq(ouquarante-

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cinq)francsparmois.»

Ils’agissaitd’assignatsquidégringolaientferme(termedupays).Maisquelledatedonneràcette image fortnettequim’est revenue tout-à-coup?Peut-être était-cebeaucoupplustard,àl’époqueoùjepeignaisàlagouache.

LesdessinsdeM.LeRoyétaientcequim’importaitlemoins.Cemaîtremefaisaitfaire[9]desyeuxdeprofiletdeface,etdesoreillesàlasanguined’aprèsd’autresdessinsgravésàlamanièreducrayon.

M.LeRoyétaitunParisienfortpoli,secetfaible,vieilliparlelibertinageleplusexcessif(telleestmonimpression,maiscommentpouvais-jejustifiercesmots:leplusexcessif?),durestepoli,civilisécommeonl’estàParis,cequimefaisait l’effetde:excessivementpoli,àmoiaccoutuméàl’airfroid,mécontent,nullementciviliséquifaitlaphysionomieordinairedecesDauphinoissifins.(VoirlecaractèredeSorelpère,dansleRouge,maisoùdiableseraleRougeen1880?—Ilaurapassélessombresbords.)

Unsoir,àlanuittombante,ilfaisaitfroid,j’eusl’audacedem’échapper,apparemmentenallant rejoindrema tanteElisabeth chezmadameColomb; j’osai entrer à laSociété desJacobins,qui tenaitsesséancesdansl’églisedeSaint-André.J’étaisremplideshérosdel’histoireromaine,jemevoyaisunjourunCamilleouunCincinnatus,outouslesdeuxàla fois[10]. Dieu sait à quelle peine je m’expose, me disais-je, si quelque espion deSéraphie(c’estmonidéed’alors)m’aperçoitici?LeprésidentétaitenP,desfemmesmalmisesenF,moienH[11].

Ondemandaitlaparoleetonparlaitavecassezdedésordre.Mongrand-pèresemoquaithabituellement,etgaiement,deleursfaçonsdeparler.Ilmesemblasur-le-champquemongrand-pèreavaitraison, l’impressionfutpeufavorable, je trouvaihorriblementvulgairescesgensquej’auraisvouluaimer[12].Cetteégliseétroiteethauteétait fortmaléclairée,j’y trouvai beaucoup de femmes de la dernière classe. En unmot, je fus alors commeaujourd’hui, j’aime le peuple, je déteste les oppresseurs, mais ce serait pour moi unsupplicedetouslesinstantsdevivreaveclepeuple.

J’emprunteraipouruninstant[13]lalanguedeCabanis.J’ailapeaubeaucouptropfine,unepeau de femme (plus tard j’avais toujours des ampoules après avoir tenu mon sabrependantuneheure),jem’écorchelesdoigts,quej’aifortbien,pourunrien,enunmotlasuperficiedemoncorpsestdefemme.Delàpeut-êtreunehorreurincommensurablepource qui a l’air sale, ouhumide, ou noirâtre. Beaucoup de ces choses se trouvaient auxJacobinsdeSaint-André.

En rentrant,uneheureaprès,chezmadameColomb,ma tanteaucaractèreespagnolmeregardad’unairfortsérieux.Noussortîmes:quandnousfûmesseulsdanslarue,ellemedit:

«Situt’échappesainsi,tonpères’enapercevra…

—Jamaisdelavie,siSéraphienemedénoncepas.

—Laisse-moiparler…Etjenemesouciepasd’avoiràparlerdetoiavectonpère.JenetemèneraipluschezMmeColomb.»

Ces paroles, dites avec beaucoup de simplicité, me touchèrent; la laideur des Jacobins

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m’avaitfrappé,jefuspensiflelendemainetlesjourssuivants:monidoleétaitébranlée.Simongrand-pèreavaitdevinémasensation,et je luiaurais toutdits’ilm’eneûtparléaumoment où nous arrosions les fleurs sur la terrasse, il pouvait ridiculiser à jamais lesJacobinsetmerameneraugirondel’Aristocratie(ainsinomméealors,aujourd’huipartilégitimiste ou conservateur).Au lieudediviniser les Jacobins,mon imagination eut étéemployéeàsefigureretàexagérerlasaletédeleursalledeSaint-André.

Cettesaletélaisséeàelle-mêmefutbientôteffacéeparquelquerécitdebataillegagnéequifaisaitgémirmafamille.

Verscetteépoque,lesartss’emparaientdemonimagination,parlavoiedessens,diraitunprédicateur.Ilyavaitdansl’atelierdeM.LeRoyungrandetbeaupaysage:unemontagnerapidetrèsvoisinedel’œil,garniedegrandsarbres;aupieddecettemontagneunruisseaupeuprofond,mais large, limpide,coulaitdegaucheàdroiteaupieddesderniersarbres.Là,troisfemmespresquenues(ousanspresque)sebaignaientgaiement.C’étaitpresqueleseulpointclairdanscettetoiledetroispiedsetdemisurdeuxetdemi.

Ce paysage, d’une verdure charmante, trouvant une imagination préparée par Félicia,devintpourmoil’idéaldubonheur.C’étaitunmélangedesentimentstendresetdedoucevolupté.Sebaignerainsiavecdesfemmessiaimables[14]!

L’eau était d’une limpidité qui faisait un beau contraste avec les puants ruisseaux desGranges,remplisdegrenouillesetrecouvertsd’unepourritureverte.Jeprenaislaplantevertequicroîtsurcessalesruisseauxpourunecorruption.Simongrand-pèrem’eûtdit:«C’est une plante, le moisi même qui gâte le pain est une plante», mon horreur eûtrapidementcessé.Jenel’aisurmontéetout-à-faitqu’aprèsqueM.AdriendeJussieu,dansnotre voyage à Naples (1832), (cet homme si naturel, si sage, si raisonnable, si digned’être aimé), m’eut parlé au long de ces petites plantes, toujours un peu signes depourritureàmesyeux,quoiquejesussevaguementquec’étaientdesplantes.

Jen’aiqu’unmoyend’empêchermonimaginationdemejouerdestours,c’estdemarcherdroitàl’objet.Jevisbiencelaenmarchantsurlesdeuxpiècesdecanon(dontilestparlédanslecertificatdugénéralMichaud)[15].

Plus tard, je veux dire vers 1805, à Marseille, j’eus le plaisir délicieux de voir mamaîtresse, supérieurement bien faite, se baigner dans l’Huveaune couronnée de grandsarbres(danslabastidedemadameRoy).

JemerappelaivivementlepaysagedeM.LeRoy,quipendantquatreoucinqansavaitétépourmoil’idéaldubonheurvoluptueux.J’auraispum’écrier,commejenesaisquelniaisd’undesromansde1832:Voilàmonidéal!

Tout cela, comme on sent, est fort indépendant du mérite du paysage, qui étaitprobablementunplatd’épinards,sansperspectiveaérienne.

Plustard,leTraiténul,opéradeGaveau,futpourmoilecommencementdelapassionquis’estarrêtéeauMatrimoniosegreto,rencontréàIvrée(findemai1800),etàDonJuan.

[p.184][p.185]

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[1]ChapitreXV.—CommeleschapitresVetXIII, leprésentchapitrese trouvedansuncahierséparécôtéR300àlabibliothèquemunicipaledeGrenoble,fol.Ià14.Stendhalaindiquéentêtedecechapitre,qu’ilintitule«chapitre13»:«Aplacerafter thedeathofpoorLambert.»—Écrit àRome, le 17décembre1835; corrigé, à partir du fol. 11, le 25décembre.—Onlitentêtedufol.I:«17déc.35.Grandfroidàlajambegauchegelée.»

[2]…M. Le Roy demeurait dans la maison Teisseire, avant le grand portail des Jacobins…—Aujourd’hui, placeGrenette,no5,àl’angledelaruedelaRépublique(autrefoisruedelaHalle).LavoûtequiséparaitlaruedelaHalledelaplaceGrenetteaétédémolieen1908.

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[3]Mestyrans…souffraientquej’allasseseuldePenR…—Auversodufol.2estunplandesenvironsdelaplaceGrenette.Onyvoitles«portesdelamaisondeM.Gagnon(ilmesemblejurerquandjedis:M.Gagnon).»

[4]…denemelaissersortir…—Variante:«Denemelâcher.»

[5]…laboime…—Termedauphinois,queStendhaldéfinitainsi:«BoimeàGrenobleveutdirehypocrite,doucereuse,jésuite-femelle.»(Voirplusloin,chapitreXVII.)

[6]…ilallaitsouventàClaix.—Enface,auversodufol.5,estunecartegrossièredelacampagnesituéeaumidideGrenoble,aveclescheminssuivispouralleràClaixetauhameaudeFuronières,oùsetrouvaitlapropriétédesBeyle.Stendhalajouteennote:«PouralleràClaix,c’est-à-direàFuronières,nousprenionslecheminMeneyparOF,leCours(appeléleCourse)[coursdeSaint-André],lepontdeClaixetlescheminsRetR’,quelquefoislecheminEduMoulin-de-CaneletlebacdeSeyssins.MonamiCrozetyafaitunpontenfildefervers1826.»—LouisCrozetfutinspecteurdivisionnairedesPontsetChaussées;ilexerçalesfonctionsdemairedeGrenobleentre1853et1858.

[7]…surlegrandbureau…—Variante:«Table.»

[8]…cabinetdemonpère…—Unplandessituationsrespectivesdespersonnagesaccompagnelerécit.

[9]Cemaîtremefaisaitfaire…—Variante:«M.LeRoymefaisaitfaire…»

[10]…touslesdeuxàlafois.—Variante:«Enmêmetemps.»

[11]…desfemmesmalmisesenF,moienH.—Enfacedufol.8(versodufol.7)estunplandel’égliseSaint-Andréetdesesabords,etnotamment,danslaGrande-rue,la«maisonoùhabitaientMmesColombetRomagnier.»

[12]…cesgensquej’auraisvouluaimer.—Onlitenhautdufol.9:«17décembre1835.—Jesouffredufroiddevantmonfeu,àdeuxpiedsetdemidufoyer,grandfroidforOmar.»

[13]J’emprunteraipourun instant la languedeCabanis.—Onlit fol.8V°:«Style.Cesmots:pourun instant, je leseusseeffacésen1830,maisen35jeregrettedenepasentrouverdesemblablesdansleRouge.25décembre1835.»

[14]Sebaignerainsiavecdesfemmessiaimables!—Ontrouveentêtedufol.13undessinschématiquedu«PaysagedeM.LeRoy»,etauversodufol.12unplandel’atelier.

[15]…(dont il est parle dans le certificat du général Michaud).—«M. Colomb doit avoir ce certificat,» (Note deStendhal.)«Oui,»aajoutéaucrayonR.Colomb.

CHAPITREXVI[1]

JetravaillaissurunepetitetableaupointP[2],prèsdelasecondefenêtredugrandsalonàl’italienne, je traduisais avec plaisir Virgile ou les Métamorphoses d’Ovide, quand unsombremurmured’unpeuple immense, rassemblésur laplaceGrenette,m’appritqu’onvenaitdeguillotinerdeuxprêtres[3].

C’estleseulsangquelaTerreurde93aitfaitcouleràGrenoble.

Voiciundemesgrandstorts:monlecteurde1880,éloignédelafureuretdusérieuxdespartis,meprendra engrippequand je lui avouerai que cettemort, qui glaçait d’horreurmon grand-père, qui rendait Séraphie furibonde, qui redoublait le silence hautain etespagnoldematanteElisabeth,mefitpleasure.Voilàlegrandmotécrit.

Ilyaplus,ilyabienpis,j’aimeencorein1835themanof1794.

(Voiciencoreunmoyend’accrocherunedatevéritable.Leregistredu tribunalcriminel,actuellement Cour royale, place Saint-André, doit donner la date de la mort de MM.RevenasetGuillabert[4].)

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Monconfesseur,M.Dumolard,duBourg-d’Oisans[5],(prêtreborgneetassezbonhommeen apparence, depuis 1815 jésuite furieux[6]), me montra, avec des gestes qui mesemblèrentridicules,desprièresoudesverslatinsécritsparMM.RevenasetGuillabert,qu’ilvoulaitàtouteforcemefaireconsidérercommegénérauxdebrigade.

Jeluirépondisfièrement:

«Monbonpapa(grand-père)m’aditqu’ilyavingtansonpenditàlamêmeplacedeuxministresprotestants.

—Ah!c’estbiendifférent!

—LeParlementcondamnalesdeuxpremierspourleurreligion,letribunalcivilcriminelvientdecondamnerceux-cipouravoirtrahilapatrie.»

Sicenesontlesmots,c’estdumoinslesens.

Maisjenesavaispasencorequediscuteraveclestyransestdangereux,ondevaitliredansmesyeuxmonpeudesympathiepourdeuxtraîtresàlapatrie.(Iln’yavaitpasen1795etiln’yapasàmesyeux,en1835,decrimeseulementcomparable.)

Onmefitunequerelleabominable,monpèresemitcontremoidansunedesplusgrandescolèresdontj’aiesouvenance.Séraphietriomphait.MatanteElisabethmefitlamoraleenparticulier.Maisjecrois,Dieumepardonne,quejelaconvainquisquec’étaitlapeinedutalion.

Heureusementpourmoi,mongrand-pèrenesejoignitpasàmesennemis,enparticulierilfuttout-à-faitd’avisquelamortdesdeuxministresprotestantsétaitaussicondamnable.

«C’estpetit:sousletyranLouisXVlapatrien’étaitpasendanger.»

Jenedispastyran,maismaphysionomiedevaitledire.

Si mon grand-père, qui déjà avait été contre moi dans la bataille abbé Gardon, se fûtmontrédemêmedanscetteaffaire,c’enétaitfait[7],jenel’aimaisplus.Nosconversationssur la belle littérature, Horace, M. de Voltaire, le chapitre XV de Bélisaire, les beauxendroitsdeTélémaque,Séthos,quiontformémonesprit,eussentcesséetj’eusseétébienplusmalheureuxdanstoutletempsquis’écouladelamortdesdeuxmalheureuxprêtresàmapassionexclusivepourlesmathématiques:printempsouété1797.

Touslesaprès-midid’hiversepassaient,lesjambesausoleil,danslachambredematanteElisabeth,quidonnaitsurlaGrenetteaupointA[8].Par-dessusl’églisedeSaint-Louisouàcôté,pourmieuxdire,onvoyaitletrapèzeTdelamontagneduVillard-de-Lans[9].Làétaitmon imagination,dirigée[10]par l’AriostedeM.deTressan,ellenevoyait, rêvaitqu’unpré au milieu de hautes montagnes. Mon griffonnage d’alors ressemblait beaucoup àl’écritureci-jointedemonillustrecompatriote[11].

Mongrand-pèreavaitcoutumededireenprenantsonexcellentcafé,surlesdeuxheuresaprès-midi,lesjambesausoleil:«Dèsle15février,dansceclimat,ilfaitbonausoleil.»

Il aimait beaucoup les idées géologiques et aurait été un partisan ou un adversaire dessoulèvementsdeM.EliedeBeaumont,quim’enchantent.Mongrand-pèremeparlaitavecpassion,c’estlàl’essentiel,desidéesgéologiquesd’unM.Guettard[12],qu’ilavaitconnu,

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cemesemble.

Je remarquai avecma sœurPauline, qui était demonparti, que la conversationdans leplusbeaumomentdelajournée,enprenantlecafé,consistaittoujoursengémissements.Ongémissaitdetout.

Jenepuispasdonnerlaréalitédesfaits,jen’enpuisprésenterquel’ombre.

Nouspassionslessoiréesd’été,deseptàneufetdemie(àneufheures,leseinousaint[13]sonnait à Saint-André, les beaux sons de cette clochemedonnaient une vive émotion).Monpère, peu sensible à labeautédes étoiles (je parlais sans cesse constellations avecmongrand-père),disaitqu’il s’enrhumait et allait faire la conversationdans la chambreattenanteavecSéraphie.

Cetteterrasse,forméeparl’épaisseurd’unmurnomméSarrasin[14],murquiavaitquinzeoudix-huitpieds,avaitunevuemagnifiquesurlamontagnedeSassenage;là,lesoleilsecouchait en hiver; sur le rocher[15] de Voreppe, coucher d’été, et au nord-ouest de laBastille, donc la montagne (maintenant transformée par le général Haxo) s’élevait au-dessus de toutes lesmaisons et sur la tour deRabot, qui fut, ceme semble, l’ancienneentréedelavilleavantqu’oneûtcoupélerocherdelaPorte-de-France[16].

Mongrand-père fit beaucoupde dépenses pour cette terrasse.LemenuisierPoncet vints’établirpendantunandanslecabinetd’histoirenaturelle,dontilfitlesarmoiresenboisblanc; il fit ensuite des caisses de dix-huit pouces de large et deux pieds de haut, enchâtaignier,rempliesdebonneterre,devigneetdefleurs.DeuxcepsmontaientdujardindeM.Périer-Lagrange,bonimbécile,notrevoisin.

Mongrand-pèreavaitfaitétablirdesportiquesenliteauxdechâtaignier.CefutungrandtravaildontfutchargéunmenuisiernomméPoncet,bonivrognedetrenteansassezgai.Ildevintmonami,carenfinavecluijetrouvaisladouceégalité.

Mon grand-père arrosait ses fleurs tous les jours, plutôt deux fois qu’une; Séraphie nevenaitjamaissurcetteterrasse,c’étaitunmomentderépit.J’aidaistoujoursmongrand-pèreàarroserlesfleurs,etilmeparlaitdeLinnéetdePline,nonpaspardevoir,maisavecplaisir.

Voilà la grande et extrême obligation que j’ai à cet excellent homme. Par surcroît debonheur, il se moquait fort des pédants (les Lerminier, les Salvandy, les…[17]

d’aujourd’hui), il avait un esprit dans le genre de M. Letronne, qui vient de détrônerMemnon[18](niplusnimoinsquelastatuedeMemnon).Mongrand-pèremeparlaitaveclemême intérêtde l’Egypte, ilme fitvoir lamomieachetée,par son influence,pour labibliothèquepublique;là,l’excellentPèreDucros(lepremierhommesupérieurauquelj’aiparlé dansma vie) eutmille complaisances pourmoi.Mon grand-père, fort blâmé parSéraphie appuyée du silence de mon père, me fit lire Séthos (lourd roman de l’abbéTerrasson),alorsdivinpourmoi.Unromanestcommeunarchet,lacaisseduviolonquirendlessons,c’est l’âmedu lecteur.Monâmealorsétait folle,et jevaisdirepourquoi.

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Pendantquemongrand-pèrelisait,assisdansunfauteuilenD[19],vis-à-vislepetitbustedeVoltaireenV,jeregardaissabibliothèqueplacéeenB,j’ouvraislesvolumesin-4°dePline, traduction avec texte en regard. Là je cherchais surtout l’histoire naturelle de lafemme.

L’odeurexcellente,c’étaitdel’ambreoudumusc(quimefontmaladedepuisseizeans,c’est peut-être lamême odeur ambre etmusc), enfin je fus attiré vers un tas de livresbrochés jetésconfusémentenL.C’étaientdemauvais romansnonreliésquemononcleavait laissés àGrenoble lors de son départ pour s’établir aux Échelles (Savoie, près lePont-de-Beauvoisin).Cettedécouvertefutdécisivepourmoncaractère.J’ouvrisquelques-unsdeceslivres,c’étaientdeplatsromansde1780,maispourmoic’étaitl’essencedelavolupté.

Mongrand-pèremedéfenditd’ytoucher,maisj’épiaislemomentoùilétaitleplusoccupédans son fauteuil à lire les livres nouveaux dont, je ne sais comment, il avait toujoursgrande abondance, et je volais un volume des romans de mon oncle. Mon grand-pères’aperçut sans doute de mes larcins, car je me vois établi dans le cabinet d’histoirenaturelle, épiant que quelque malade vînt le demander. Dans ces circonstances, mongrand-pèregémissaitdesevoirenlevéàseschèresétudesetallaitrecevoirlemaladedanssachambreoudansl’antichambredugrandappartement.Crac!jepassaisdanslecabinetd’études,enL,etjevolaisunvolume.

Jenesauraisexprimerlapassionaveclaquellejelisaisceslivres.Auboutd’unmoisoudeux,jetrouvaiFéliciaoumesfredaines.Jedevinsfouabsolument, lapossessiond’unemaîtresseréelle,alorsl’objetdetousmesvœux,nem’eûtpasplongédansunteltorrentdevolupté.

Dèscemoment,mavocationfutdécidée:vivreàParisenfaisantdescomédies,commeMolière.

Ce fut làmon idée fixe, que je cachai sous une dissimulation profonde, la tyrannie deSéraphiem’avaitdonnéleshabitudesd’unesclave.

Jen’aijamaispuparlerdecequej’adorais,unteldiscoursm’eûtsembléunblasphème.

Jesenscelaaussivivementen1835quejelesentaisen1794.

Ces livres de mon oncle portaient l’adresse deM. Falcon[20], qui tenait alors l’uniquecabinetlittéraire;c’étaitunchaudpatriote,profondémentmépriséparmongrand-pèreetparfaitementhaïparSéraphieetmonpère.

Jememisparconséquentàl’aimer,c’estpeut-êtreleGrenobloisquej’aileplusestimé.Ily avait dans cet ancien laquais de madame de Brizon (ou d’une autre dame de la rueNeuve,chezlaquelle[21]mongrand-pèreavaitétéserviàtableparlui),ilyavaitdanscelaquaisuneâmevingtfoisplusnoblequecelledemongrand-père,demononcle, jeneparleraipasdemonpèreetdujésuiteSéraphie.Peut-êtremaseuletanteElisabethluiétait-ellecomparable.Pauvre,gagnantpeuetdédaignantdegagnerdel’argent,FalconplaçaitundrapeautricoloreendehorsdesaboutiqueàchaquevictoiredesarméesetlesjoursdefêtedelaRépublique.

IlaadorécetteRépubliquedutempsdeNapoléoncommesouslesBourbons,etestmortà

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quatre-vingt-deuxans,vers1820, toujourspauvre,maishonnête jusqu’à laplusextrêmedélicatesse.

Enpassant, jelorgnaislaboutiquedeFalcon,quiavaitungrandtoupetàl’œilauroyal,parfaitement poudré, et arborait un bel habit rouge à grands boutons d’acier, la moded’alors, les jours heureuxpour sa chèreRépublique.C’est le plus bel échantillon[22]ducaractère dauphinois. Sa boutique était vers la place Saint-André, je me rappelle sondéménagement.FalconvintoccuperlaboutiqueA[23],dansl’ancienPalaisdesDauphins,oùsiégeaitleParlementetensuitelaCourroyale.JepassaisexprèssouslepassageBpourlevoir.Ilavaitunefillefortlaide,lesujetordinairedesplaisanteriesdematanteSéraphie,qui l’accusait de faire l’amour avec les patriotes qui venaient lire les journaux dans lecabinetlittérairedesonpère.

Plustard,Falcons’établitenA’.Alorsj’avaislahardiessed’allerlirechezlui.Jenesaispassi,dansletempsoùjevolaisleslivresdemononcle,j’euslahardiessedem’abonnerchezlui;ilmesembleque,d’unefaçonquelconque,j’avaisdeseslivres.

MesrêveriesfurentdirigéespuissammentparlaVieetlesaventuresdeMmede***[24],roman extrêmement touchant, peut-être fort ridicule, car l’héroïne était prise par lessauvages. Je prêtai, ce me semble, ce roman à mon ami Romain Colomb, qui encoreaujourd’huienagardélesouvenir.

BientôtjemeprocurailaNouvelle-Héloïse,jecroisquejelaprisaurayonleplusélevédelabibliothèquedemonpère,àClaix.

Je la lus couché sur mon lit dans mon trapèze[25] à Grenoble, après avoir eu soin dem’enfermeràclef,etdansdestransportsdebonheuretdevoluptéimpossiblesàdécrire.Aujourd’hui,cetouvragemesemblepédantesqueet,mêmeen1819,danslestransportsdel’amour leplusfou, jenepuspasen lirevingtpagesdesuite.Dès lors,volerdes livresdevintmagrandeaffaire.

J’avaisuncoinàcôtédubureaudemonpère; ruedesVieux-Jésuites,où jedéposais, àdemi cachés par leur humble position, les livres qui me plaisaient; c’étaient desexemplairesduDanteavecdesgravuressurboisbizarres,des traductionsdeLucienparPerrotd’Ablancourt(lesbellesinfidèles),lacorrespondancedemilordAll-eyeavecmilordAll-ear, du marquis d’Argens, et enfin lesMémoires d’un homme de qualité retiré dumonde.

Jetrouvaimoyendemefaireouvrirlecabinetdemonpère,quiétaitdésertdepuislafataletyrannieAmar etMerlinot, et je passai une revue exacte de tous les livres. Il avait unesuperbe collection d’Elzévirs, mais malheureusement je ne comprenais rien au latin,quoiquesachantparcœurleSelectaeeprofanis.Jetrouvaiquelqueslivresin-12au-dessusde la petite porte communiquant au salon, et j’essayai de lire quelques articles del’Encyclopédie.Maisqu’était-cequetoutcelaàcôtédeFéliciaetdelaNouvelle-Héloïse?

Ma confiance littéraire enmon grand-père était extrême, je comptais bien qu’il nemetrahiraitpasenversSéraphieetmonpère.Sansavouerquej’avaislulaNouvelle-Héloïse,

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j’osailuienparleravecéloge.Saconversionaujésuitisme[26]nedevaitpasêtreancienne,aulieudem’interrogeravecsévéritéilmeracontaqueM.lebarondesAdrets(leseuldesamischezqui il eût continuéàdînerdeuxou trois foisparmois,depuis lamortdemamère),dansletempsqueparutlaNouvelle-Héloïse(n’est-cepas1770[27]?),sefîtattendreunjouràdînerchezlui;MmedesAdretslefitavertirunesecondefois,enfincethommesifroidarrivatoutenlarmes.

«Qu’avez-vousdonc,monami?luiditMmedesAdrets,toutalarmée.

—Ah!Madame,Julieestmorte!»Etilnemangeapresquepas.

Jedévoraislesannoncesdelivresàvendrequiarrivaientaveclesjournaux.Mesparentsrecevaientalors,cemesemble,unjournalensociétéavecquelqu’un.

J’allai m’imaginer que Florian devait être un livre sublime, apparemment d’après lestitres:GonsalvedeCordoue,Estelle,etc.

Je mis un petit écu (3 francs) dans une lettre et j’écrivis à un libraire de Paris dem’envoyeruncertainouvragedeFlorian.C’étaithardi,qu’eûtditSéraphieàl’arrivéedupaquet?

Maisenfiniln’arrivajamais,etavecunlouisquemongrand-pèrem’avaitdonnélejourde l’an j’achetai un Florian. Ce fut des œuvres de ce grand homme que je tirai mapremièrecomédie[28].

[1]LechapitreXVIestlechapitreXIIdumanuscrit(R299,fol.226à248).—ÉcritàRome,les15et16décembre1835.

[2]JetravaillaissurunspetitetableaupointP…—Unfol.226bisestrempliparunpland’unepartiedel’appartementGagnon,avecle«grandsalonàl’Italienne».(Voirnotreplandel’appartementGagnon.)

[3]…m’appritqu’onvenaitdeguillotinerdeuxprêtres.—Variante:«Deuxgénérauxdebrigade.»Voirl’explicationdecetermedonnéeplusloinparl’abbéDumolardaujeuneHenri.

[4]…date de lamort deMM.Revenus etGuillabert—Les abbésRevenas etGuillabert furent guillotinés le 26 juin1794.(VoirA.Prudhomme,HistoiredeGrenoble,p.645.)

[5]…M.Dumolard,duBourg-d’Oisans…—L’abbéDumolardétaitcurédeLaTronche,prèsGrenoble.

[6]…depuis1815,jésuitefurieux…—Ms:«Tejé.»

[7]…c’enétaitfait…—Iciunecroixetunblancd’unedemi-ligne.

[8]…quidonnaitsurlaGrenetteaupointA.—PlandelaplaceGrenette,avecenAlachambred’ElisabethGagnon,àl’extrémitéNorddel’appartement(voirnotreplan).EnB,àl’angledelaplaceetdelaGrande-rue,«salle-à-mangerdupremierétage,occupéparmongrand-pèreavantnotrepassageàlamaisondeMarnais».

[9]…letrapèzeTdelamontagneduVillard-de-Lans.—Croquisindiquantletrapèzeformé,enhautparlacrêtedelamontagne,et sur les troisautrescitéspar l’égliseSaint-Louiset les toitsdesmaisons.Lacrêtede lamontagne,ainsilimitée,correspondàl’arêtedesmontagnesdeLans,entreleMoucherotteetlecoldel’Arc.

[10]…monimagination,dirigée…—Variante:«Formée.»

[11]…l’écritureci-jointedemonillustrecompatriote.—Avec lemanuscritest relié (après les fol.99et231)un fac-similé lithographique de l’écriture de Barnave. Ce fac-similé porte les légendes suivantes: «Extrait d’un album deBarnave…L’originaldecetécrit,tracéparBarnaveen1792,nousaétécommuniquéparMMmessessœurs.»

[12]…M.Guettard.—Guettard (1715-1786),minéralogiste grenoblois, a laissé un ouvrage intitulé:Mémoires sur laminéralogieduDauphiné(Paris,1779,deuxvol.in-4°).

[13]…leseinousaint…—Lesing(designum,signal)annonçaitauxhabitantsdeGrenoblelafermeturedesportesdelaville;cettecoutumefutconservéejusqu’en1877,quoiquedepuis1864onnefermâtpluslesportesdel’enceinte.

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[14]Cetteterrasse,forméeparl’épaisseurd’unmurnomméSarrasin…—Cemur,quiporteencoreaujourd’huilenomdemursarrasin,estenréalité lemurdel’ancienneenceinteromainedeGrenoble.Iln’enresteplusqu’unvestige: laterrassedontparleStendhal,etquiseprolongeàtraverstoutelamaisonpresquejusqu’àlaGrande-rue.(Voirnotreplandel’appartementGagnon.)

[15]…surlerocherdeVoreppe…—Stendhalaoubliéunmot;nouslerétablissonsd’aprèslesensducontexte.

[16]…l’ancienneentréedelavilleavantqu’oneûtcoupélerocherdelaPorte-de-France.—LaroutequipasseaupieddurocherdeRabotdatedelaconstructiondelaPorte-de-FranceparLesdiguièresen1620.Avantcettedate,onarrivaiteneffetàGrenobleparlatourdeRabotetlarueou«montée»deChalemont,etla«montée»duRabot.

Enfacedufol.234,Stendhalafigurélaterrasse,avecl’emplacementdu«cabinetenlosangesdechâtaignieravecformed’architecturedemauvais goût, à laBernin».Yest également figuré le cabinet d’étédeM.Gagnon; dans le cabinetvoisin,«oùs’établitPoncet»,est indiqué le«bancdemenuisieràcôtéduquel jepassaismavie».Dans le lointainestfiguréelasilhouettedela«montagnedeSassenage»,aveclapositiondusoleilàsoncoucherenjuinetendécembre.

[17]…(lesLerminier,lesSalvandy,les…—Lenomestenblancdanslemanuscrit.

[18]…danslegenredeM.Letronne,quivientdedétrônerMemnon…—Jean-AntoineLetronne,célèbrearchéologuefrançais(1787-1848),étaiten1835directeurdelaBibliothèqueroyale.Ilavaitpubliéen1833unmémoiresurlaStatuevocaledeMemnon.

[19]Pendantquemongrand-pèrelisait,assisdansunfauteuilenD…—PlanducabinetdeM.Gagnon.Lefauteuildugrand-pèredeBeyleétaitplacédevantlacheminée,oùsetrouvaitlebustedeVoltaire;derrièreluiétaitlabibliothèqueetdansuncoin,enL,letasdeslivresbrochéslaissésparRomainGagnon.

[20]Ces livres demononcle portaient l’adresse deM.Falcon…—Le libraire Falcon (1753-1830) prit une part trèsactiveaumouvementrévolutionnaire.Ilfutsecrétaire,puisprésident(22juillet-18août1794)delaSociétépopulaire,quiseréunissaitdansl’égliseSaint-André.LaboutiquedeFalconservaitdelieuderéunionauxpatriotesexaltés,sibienque le 24 thermidor an III (11 août 1795) leConseil général de la communedeGrenoble prit une délibération pourinterdireà«ceuxquiontparticipéauxhorreurscommisessouslatyranniedeserendredanslaboutiquedeFalconetlecaféDumasetdanstoutautrelieupublic,àpeinedehuitjoursdedétentionetmêmedeplusgrandepeine,s’ilyéchoit…» Il était en outre enjoint àFalcon«de tenir sa boutique fermée à six heures du soir…, sous lesmêmespeines».(ArchivesmunicipalesdeGrenoble,LL8,page227.)

[21]…uneautredamedelarueNeuve,chezlaquelle…—Ms.:«Lequel.»

[22]C’estleplusbeléchantillon…—Variante:«Exemple.»

[23]Falcon vint occuper la boutique A …—Plan de la place Saint-André, avec la situation, en A, de la premièreboutique de Falcon, à l’angle du passage du Palais, B, «avec têtes en relief, comme à Florence» (ces têtes sontactuellementauMuséedeGrenoble,maisdescopiesornentencore,àleurancienneplace,l’entréeduPalaisdeJustice).EnA’,prèsdela«salledespectacle»,estl’emplacementdelasecondeboutiquedeFalcon.

[24]… la Vie et les aventures deMme de***…—Voici le titre:Vie, faiblesses et repentir d’une femme. J’en ai unexemplaire,misentrèsmauvaisétatparl’humidité.(NoteaucrayondeRomainColomb.)

[25]Jelaluscouchésurmonlitdansmontrapèze…—Voirnotreplandel’appartementdeHenriGagnon.

[26]Saconversionaujésuitisme…—Ms.:«Tismejésui.»

[27]…dansletempsqueparutlaNouvelleHéloïse(n’est-cepas1770?)…—LaNouvelle-Héloïseparuten1761.

[28]—Onlitsurl’avant-dernierfeuilletdupremiervolume:«27décembre1835.LacenaireaussiécritsesMémoires.Onenditbrûléunvolumedansl’incendiedelarueduPont-de-Fer.»Ledernierfeuilletcontientunetable.Ellesetermineainsi:«Je laisse leschapitreXIIIetXIVpour lesaugmentationsà faireàcespremiers temps. J’ai40pagesécritesàinsérer.Levolume2commenceparlechapitreXV.—Bookcommencéthetwentythirdofnovember35,ilya31days.»

CHAPITREXVII[1]

Séraphieavaitfaitsonamieintimed’unecertainemadameVignon,lapremièreboimedela ville[2]. (Boime, à Grenoble, veut dire hypocrite doucereuse, jésuite femelle.) Mme

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Vignondemeuraitautroisièmeétage,placeSaint-André,etétaitfemmed’unprocureur,jecrois,maisrespectéecommeunemèredel’Eglise,plaçantlesprêtresetenayanttoujourschezelledepassage.Cequime touchait, c’estqu’elleavaitune filledequinzeansquiressemblaitassezàunlapinblanc,dontelleavaitlesyeuxgrosetrouges.J’essayai,maisenvain,d’endeveniramoureuxpendantunvoyaged’unesemaineoudeuxquenousfiniesàClaix.Là,monpèrenesecachaitnullementetatoujourshabitésamaison,laplusbelleducanton.

AcevoyageilyavaitSéraphie,MmeetMlleVignon,masœurPauline,moi,etpeut-êtreunM. Blanc, de Seyssins, personnage ridicule qui admirait beaucoup les jambes nues deSéraphie.Ellesortaitjambesnues,sansbas,lemalin,dansleclos.

J’étais tellementemportépar lediable[3]que les jambesdemapluscruelleennemiemefirent impression.Volontiers j’eusseétéamoureuxdeSéraphie.Jemefiguraisunplaisirdélicieuxàserrer[4]dansmesbrascetteennemieacharnée.

Malgrésaqualitédedemoiselleàmarier,ellefitouvrirunegrandeportecondamnéequi,de sa chambre, donnait sur l’escalier de la place Grenette, et à la suite d’une scèneabominable,dans laquelle jevoisencoresa figure, fit faireuneclef.Apparemment, sonpèreluirefusaitcelledecetteporte[5].

Elle introduisait ses amies par cette porte, en entre autres cette Mme Vignon, Tartufefemelle,quiavaitdesoraisonsparticulièrespourlessaints,etquemonbongrand-pèreeuteuenhorreursisoncaractèreàlaFontenelleluieûtpermis:1°desentirl’horreur;—2°del’exprimer.

Mon grand-père employait son grand juron contre cettemadameVignon: LeDiable tecracheaucul!

Monpère se cachait toujours àGrenoble, c’est-à-direqu’il habitait [6] chezmon grand-pèreetnesortaitpasdejour.Lapassionpolitiqueneduraquedix-huitmois.Jemevoisallant de sa part chez Allier, libraire, place Saint-André, avec cinquante francs enassignats, pour acheter la Chimie de Fourcroy, qui le conduisit à la passion pourl’agriculture.Jeconçoisbienlanaissancedecegoût:ilnepouvaitpromenerqu’àClaix.

Maistoutcelanefut-ilpascauséparsesamoursavecSéraphie,siamourya?Jenepuisvoirlaphysionomiedeschoses,jen’aiquemamémoired’enfant.Jevoisdesimages,jemesouviensdeseffetssurmoncœur,maispourlescausesetlaphysionomie,néant.C’esttoujourscomme les fresquesdu [Campo-Santo][7] dePise, où l’on aperçoit fort bienunbras,etlemorceaud’àcôté,quireprésentaitlatête,esttombé.Jevoisunesuited’imagesfortnettes,maissansphysionomieautrequecellequ’elleseurentàmonégard.Bienplus,jenevoiscettephysionomiequeparlesouvenirdel’effetqu’elleproduisitsurmoi[8].

Mon père éprouva bientôt une sensation digne du cœur d’un tyran. J’avais une griveprivéequisetenaitordinairementsousleschaisesdelasalle-à-manger.Elleavaitperduunpiedàlabatailleetmarchaitensautant.Ellesedéfendaitcontreleschats,chiens,ettoutle

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mondelaprotégeait,cequiétaitfortobligeantpourmoi,carelleremplissaitleplancherdetachesblanchespeupropres. Jenourrissais cettegrived’une façonpeupropre, avec leschaplepans[9]noyésdanslabennedelacuisine(cafardsnoyésdansleseaudel’eausaledelacuisine).

Sévèrementséparédetoutêtredemonâge,nevivantqu’avecdesvieux,cetenfantillageavaitducharmepourmoi.

Tout-à-coup, la grive disparut, personne ne voulut me dire comment: quelqu’un, parinadvertance, l’avaitécraséeenouvrantuneporte.Jecrusquemonpère l’avait tuéeparméchanceté;illesut,cetteidéeluifitpeine,unjourilm’enparlaentermesfortindirectsetfortdélicats.

Jefussublime, je rougis jusqu’aublancdesyeux,mais jen’ouvrispas labouche. Ilmepressa de répondre,même silence;mais les yeux, que j’avais fort expressifs à cet âge,devaientparler.

Me voilà vengé, tyran, de l’air doux et paternel avec lequel tum’as forcé tant de foisd’alleràcettedétestablepromenadedesGranges,aumilieudeschampsarrosésaveclesvoituresdeminuit(poudrettedelaville).

Pendantplusd’unmoisjefusfierdecettevengeance;j’aimeceladansunenfant[10].

LapassiondemonpèrepoursondomainedeClaixetpourl’agriculturedevenaitextrême.Il faisait faire de grandes réparations, amendements, par exempleminer le terrain, ledéfonceràdeuxpiedsetdemideprofondeuretemporterdansuncoinduchamptouteslespierresplusgrossesqu’unœuf.JeanVial,notreancienjardinier,Charrière,Mayousse,levieux…[11],anciensoldat,exécutaientcestravauxparprixfaits,parexemplevingtécus(soixante francs) pour miner une tière, espace de terre compris entre deux rangées dehautaiesoubiend’érablesporteursdevignes.

Mon père planta les grandes Barres, ensuite la Jomate, où il arracha la vigne basse. Ilobtintparéchangede l’hôpital (qui l’avaiteue,cemesemble,par le testamentd’unM.Gutin,marchanddedraps)lavigneduMolard(entrelevergeretnotreMolardànous),ill’arracha, laminaenenterrant leMurger (tasdepierresde septàdixpiedsdehaut), etenfinlaplanta.

Ilm’entretenait longuement de tous ces projets, il était devenu un vrai propriétaire duMidi.

C’estungenredefoliequiserencontresouventaumidideLyonetdeTours;cettemanieconsisteàacheterdeschampsquirendentunoudeuxpourcent,àretirer,pourcelafaire,del’argentprêtéaucinqousix,etquelquefoisàemprunteraucinqpours’arrondir,c’estlemot,enachetantdeschampsqui rapportent ledeux.Unministrede l’Intérieurquisedouteraitdesonmétierentreprendraitunemissioncontrecettemaniequidétruitl’aisanceet toutelapartiedubonheurqui tientà l’argent,danslesvingtdépartementsaumidideToursetdeLyon.

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Mon père fut un exemple mémorable de cette manie, qui a sa source à la fois dansl’avarice,l’orgueiletlamanienobiliaire[12].

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DEUXCHAPITRESSURLAMÊMEPAGE-DÉBUTDESCHAP.XVIIIETXIX(Bibl.mun.deGrenoble:msR299.t.II,fol.260bis)

[1]LechapitreXVIIestlechapitreXVdeStendhal(fol.249à258).—ÉcritàRome,les16,17et25décembre1835.—Aveccechapitrecommencelesecondvolumedumanuscrit.

[2]…lapremièreboimedelaville.—Onlitentêtedufol.249bis:«16déc.1835.—EnvoyélafinduchapitreXII.—Laisserlen°249àcettepageetallerjusqu’à1.000.—Fairesuivreaussilesnumérosdeschapitres.»

[3]J’étaistellementemportéparlediable…—Variante:«Parl’âge.»

[4]Jemefiguraisunplaisirdélicieuxàserrer…—Variante:«Tenir.»

[5]… son père lui refusait celle de cette porte.—En face, au verso du fol. 250, plan d’une partie de l’appartementGagnon,avecla«chambredeSéraphie»etlaportesurl’escalierdelaplaceGrenette.Acôté,dansla«chambredematanteElisabeth»,«la famille au soleil».A l’anglede laGrande-rue et de laplaceGrenette, en«O, logementdemononcle,ausecondétage,avantsonmariage».Surceplansontégalementindiquéeslesruesvoisines:ruedesClercs,«icilogeaientMablyetCondillac»;rueduDépartement(aujourd’huirueDiodore-Rahoult),aupoint«G’,làjem’élevaià7avecMrGalice»;placeSaint-André,oùsont indiquées lesmaisonsdeMmeVignonetdeFalcon. (Voirnosplansdel’appartementGagnonetdeGrenobleen1793.)

[6]…ilhabitait…—Variante:«Logeait.»

[7]…lesfresquesduCampo-Santo…—Lenomaétélaisséenblancdanslemanuscrit.

[8]…l’effetquelleproduisitsurmoi.—Onlitdanslamarge:«MettreunmotdespromenadesforcéesauxGranges.»

[9]…avecles chaplepans…—Cemot signifie, en patois duDauphiné, gâcheur de pain (dechapla, briser en petitsmorceaux,etpan,pain).

[10]…j’aimeceladansunenfant.—Onlitauversodufol.254:«20décembre1835,faitsàplacerenleurtemps,misicipour ne pas l’oublier: inspecteur dumobilier de laCouronne, comment, 1811.—Après l’objection de l’Empereur, jedevinsinspecteurdumobilieraumoyendemonactedenaissance,2°ducertificatMichaud,3°del’additiondenom.Lafaute est de ne pas avoirmis: Brulard de la Jomate (la Jomate étant à nous.)M. de Bor (Baure) était unmagistratparfaitement sage et poli de la fin du XVIIIe siècle; il aimait ce qui était honnête et droit, et n’aurait commis unemauvaiseactionqu’àladernièrenécessitéetàsoncorpsdéfendant.Dureste,del’esprit,disert,biendisant,possédantunegrandeconnaissancedesauteurs,amiparticulierdeM.lecoloneldeBeaussacetdeM.deVillaret,évêque(del’(unmot illisible)), grand,maigre, digne, avec de petits yeuxmalins et un nez infini; ilme fut un excellent et très dignearcher.Ilsouffraitpourdel’argentcequejen’auraissouffertpourrien,d’êtrevilipendéparM.lecomteDaru,dontilétaitlesecrétairegénéral.Cefutluiqui,pourobligerM.Petit(carmoi,avecmonétourderieetmesidéesdehauteetfranchevertu,jedevaislechoquervingtfoisparjour),moyennetoutemanominationaprèsl’objectiondel’Empereur.MourutàAmsterdamle…septembreounovembre1811.»

[11]…Charrière,Mayousse,levieux…—Lenomestenblancdanslemanuscrit.

[12]…cettemanie,quiasasourceàlafoisdansl’avarice,l’orgueiletlamanienobiliaire.—Variante:«Cettemanie,quitientàlafoisàl’avarice,àl’argentetàlamanienobiliaire.»

CHAPITREXVIII[1]

LAPREMIÈRECOMMUNION

Cette manie, qui a fini par ruiner radicalement mon père et par me réduire, pour toutpotage,àmontiersdeladotdemamère,meprocurabeaucoupdebien-êtrevers1794[2].

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Mais avant d’aller plus loin, il faut dépêcher l’histoire de ma première communionantérieure,cemesemble,au21juillet1794[3].

Cefutunpr[être][4]infinimentmoinscoquinquel’abbéRaillane,ilfautl’avouer,quifutchargéde cettegrandeopérationdemapremière communion, à laquellemonpère, fortdévot dans ce temps-là, attachait la plus grande importance. Le jésuitisme de l’abbéRaillanefaisaitpeurmêmeàmonpère;c’estainsiqueM.Coissiafaitpeur,icimême,aujésuite[5].

Cebonprêtre,sibonhommeenapparence,s’appelaitDumolardetétaitunpaysanremplide simplesse et né dans les environs de laMatheysine ou de LaMure, près le Bourgd’Oisans.Depuis, il est devenuungrand jésuite[6] et a obtenu la charmante cure deLaTronche,àdixminutesdeGrenoble.(C’estcommelasous-préfecturedeSceauxpourunsous-préfet,âmedamnéedesministresouquiépouseunedeleursbâtardes.)

Danscetemps-là,M.Dumolardétaittellementbonhommequejepusluiprêterunepetiteédition italienne de l’Arioste en quatre volumes in-18. Peut-être pourtant ne la lui ai-jeprêtéequ’en1803.

LafiguredeM.Dumolardn’étaitpasmal,àcelaprèsd’unœilquiétaittoujoursfermé;ilétait borgne, puisqu’il faut le dire, mais ses traits étaient bien et exprimaient nonseulementlabonhomie,mais,cequiestbienplusridicule,unefranchisegaieetparfaite.Réellementiln’étaitpascoquinencetemps-là,etpourainsidire,enyréfléchissant,mapénétrationdedouzeans,exercéeparunesolitudecomplète,futcomplètement trompée,car depuis il a été un des plus profonds jésuites[7] de la ville, et d’ailleurs sonexcellentissimecure,àportéedesdévotesdelaville,jurepourluietcontremaniaiseriededouzeans.

M. lePremierPrésidentdeBarrai, l’homme leplus indulgent et lemieux élevé,meditvers 1816, je crois, en me promenant dans son magnifique jardin de La Tronche, quitouchaitlacure:

«CeDumolardestundesplusfieffésco[quins]delatroupe.

—EtM.Raillane?luidis-je.

—Oh! le Raillane les passe tous. Comment M. votre père avait-il pu choisir un telhomme?

—Mafoi,jel’ignore,jefusvictimeetnonpascomplice.»

Depuisdeuxoutroisans,M.Dumolarddisaitlamessesouventcheznous,danslesalonàl’italienne de mon grand-père. La Terreur, qui jamais ne fut Terreur en Dauphiné, nes’aperçutjamaisquequatre-vingtsoucentdévotessortaientdechezmongrand-pèretouslesdimanches,àmidi.J’aioubliédedirequetoutpetitonmefaisaitservircesmesses[8],etjenem’enacquittaisquetropbien.J’avaisunairtrèsdécentettrèssérieux.Toutemavielescérémoniesreligieusesm’ontextrêmementému.J’avaislongtempsservilamessedececoquind’abbéRaillane,quiallaitladireàlaPropagation,auboutdelarueSaint-Jacques,àgauche;c’étaituncouventetnousdisionsnotremessedanslatribune.

Nousétions tellementenfants,Reytiersetmoi,qu’ungrandévénement,un jour, futqueReytiers,apparemmentpartimidité,fitpipipendantlamesse,quejeservais,surunprie-

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Dieude sapin.Le pauvre diable cherchait à absorber[9] l’humidité produite à sa grandehonteenfrottantsongenoucontrelaplanchehorizontaleduprie-Dieu.Cefutunegrandescène. Nous entrions souvent chez les nonnes; l’une d’elles, grande et bien faite, meplaisaitbeaucoup,ons’enaperçutsansdoute,carencegenre j’ai toujoursétéungrandmaladroit,etjenelavisplus.Unedemesremarquesfutquemadamel’abbesseavaitunequantitédepointsnoirsauboutdunez;jetrouvaiscelahorrible.

LeGouvernementétaittombédansl’abominablesottisedepersécuterlesprêtres.LebonsensdeGrenobleetsaméfiancedeParisnoussauvèrentdecequecettesottiseavaitdetropâpre.

Lesprêtressedisaientbienpersécutés,maissoixantedévotesvenaient,àonzeheuresdumatin,entendreleurmessedanslesalondemongrand-père.Lapolicenepouvaitmêmefairesemblantdel’ignorer.LasortiedenotremessefaisaitfouledanslaGrande-rue[10].

[1]LechapitreXVIIIestlechapitreXVIdeStendhal(fol.260à266;lefol.259estblanc).—Laleçonquejedonnedecechapitrenesuitpasd’unemanièreabsoluel’ordredumanuscrit.LepremieralinéaestsuividecetteobservationdeStendhal: «Ici, ma première communion.» Conformément à cette indication, j’ai inséré à cette place le récit de lapremièrecommunion,lequel,danslemanuscrit,setrouvereliéimmédiatementavant,sanspagination.Lefolio260bisaété écrit le 25décembre1835, alors que«la première communion» est du 10 décembre.Ce dernier texte commenceainsi:«Cequimeconsoleunpeudel’impertinenced’écriretantdejeetdemoi,c’estquejesupposequebeaucoupdegensfortordinairesdeceXIXesièclefontcommemoi.OnseradoncinondédeMémoiresvers1880etavecmesjeetmesmoi, je ne serai que comme tout lemonde.M. deTalleyrand,M.Molé, écrivent leursMémoires,M.Delécluzeaussi.»J’aicrudevoirallégerlerécitdecetalinéa.

Entêtedurécitdesapremièrecommunion,Stendhalavaitécrit:«AplaceraprèsAmaretMerlinot.10décembre1835,corrigé le3 janvier1836.» Jen’aipas suivi cette indication,quidéjàn’apuêtre respectéeexactementdans l’éditionStryienski,et jemesuisconforméàlanotedeStendhal indiquéeci-dessus,opinionjustifiéeencoreparcefaitquelefragment: «La première communion», est relié immédiatement avant le fol. 260, c’est-à-dire à peu près à sa placelogique.

[2]…meprocurabeaucoupdebien-être vers 1794.—Le fol. 260bis est daté: «25décembre1835.» Il comprend ledébutdu chapitreXVIII et celuiduchapitre suivant, queStendhal amarquédans lamargepar cettenote: «Chapitrecommençant à: «Mon père fut rayé.» Le lecteur pourra se rendre compte de la méthode que j’ai adoptée dansrétablissementdutexteducommencementdeschapitresXVIIIetXIX,ensereportantàlaplanchereproduisantlefol.260bis.

[3]Maisavantd’allerplusloin…—Ainsiquelelecteurpeuts’enrendrecomptesurl’illustration,cetalinéanefaitpasimmédiatementsuiteauprécédentsurlemanuscrit.Jel’aicependantplacéici,àcauseducontexte,etparcequ’ilfaitunetransitionvoulueparStendhallui-même.

[4]Ce fut un prêtre…—Le feuillet 261 et tous ceux qui constituent désormais notre chapitre XVIII n’ont pas éténumérotésparStendhal.Notrefoliotation(261à266)estfactice.CettenumérotationnenuitpasàlafoliotationindiquéeparStendhallui-même,carl’auteuralaisséenblanclesfeuilletscomprisentreleschiffres261et273.C’estainsiquenousverronslechapitreXIXcommenceraufol.260bispourcontinueraufol.274.

[5]…afaitpeur,icimême,aujésuite.—Ms.:«Tejê.»

[6]…devenuungrandjésuite…—Ms.:«Tejê.»

[7]…undesplusprofondsjésuites…—Ms.:«Tejê.»

[8]…onme faisaitservircesmesses…—Acetteépoque, jeservaisuneetquelquefoisdeuxmessespar jour,cequiprobablementm’aempêchédemerappelerquel’auteurfaisaitlamêmebesogne.(NoteaucrayondeR.Colomb.)

[9]Lepauvrediablecherchaitàabsorber…—Variantes:«Consommer,essuyer.»

[10]La sortie de notre messe faisait foule dans la Grande-rue.—Suit un plan du quartier où était située lamaison

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Gagnon.Onvoit,surlaGrande-rue,en«A’,porteparlaquellesortaientlessoixanteouquatre-vingtsdévotes,verslesonzeheuresetdemie».

Alasuitedecechapitreestunfragmentintitulé:«EncyclopédieduXIXesiècle.»Stendhall’aaccompagnédecettenote:«Aplaceraprèsmafirstcommunion.»Cefragmentn’ayantriendecommunaveclerécit,nousl’avonsrejetéenannexe.

CHAPITREXIX[1]

Mon père fut rayé de la liste des suspects (ce qui, pendant vingt-et-unmois, avait étél’objetuniquedenotreambition) le21juillet1794,à l’aidedesbeauxyeuxdemajoliecousineJoséphineMartin.

IlfitalorsdelongsséjoursàClaix(c’est-à-direàFuronières[2]).Monindépendancepritnaissancecommelalibertédanslesvillesd’ItalieversleVIIIesiècle[3],parlafaiblessedemestyrans.

Pendantlesabsencesdemonpère,j’inventaid’allertravaillerruedesVieux-Jésuitesdanslesalondenotreappartement,où,depuisquatreans,personnen’avaitmislespieds[4].

Cetteidée,filledubesoindumoment,commetouteslesinventionsdelamécanique,avaitd’immensesavantages.D’abord,j’allaisseulruedesVieux-Jésuites,àdeuxcentspasdelamaison Gagnon; secondo, j’y étais à l’abri des incursions de Séraphie qui, chez mongrand-père, venait, quand elle avait le diable au corps plus qu’à l’ordinaire, visitermeslivresetfourragermespapiers.

Tranquilledanslesalonsilencieuxoùétaitlebeaumeublebrodéparmapauvremère,jecommençaiàtravailleravecplaisir.J’écrivismacomédieappelée,jecrois,M.Piklar.

Pourécrire,j’attendaistoujourslemomentdugénie.

Jen’aiétécorrigédecettemaniequebientard.Sijel’eussechasséeplustôt,j’auraisfinima comédie de Letellier et Saint-Bernard, que j’ai portée à Moscou et, qui plus est,rapportée(etquiestdansmespapiers,àParis).Cettesottiseanuibeaucoupàlaquantitédemestravaux.Encoreen1806,j’attendaislemomentdugéniepourécrire.Pendanttoutle cours dema vie, je n’ai jamais parlé de la chose pour laquelle j’étais passionné, lamoindre objectionm’eût percé le cœur.Mais je n’ai jamais parlé littérature.Mon ami,alors intime,M.AdolphedeMareste(néàGrenoblevers1782),m’écrivitàMilanpourmedonnersonavissurlaViedeHaydn,MozartetMétastase.Ilnesedoutaitnullementquej’eufussetheauthor.

Si j’eusse parlé, vers 1795, de mon projet d’écrire, quelque homme sensé m’eût dit:«Ecriveztouslesjourspendantdeuxheures,génieounon.»Cemotm’eûtfaitemployerdixansdemaviedépensésniaisementàattendrelegénie.

Monimaginationavaitétéemployéeàprévoirlemalquemefaisaientmestyransetàlesmaudire;dèsquejefuslibre,enH[5],danslesalondemamère,j’eusleloisird’avoirdugoûtpourquelquechose.Mapassionfut:lesmédaillesmouléesenplâtresurdesmoulesou creux de soufre. J’avais eu auparavant une petite passion: l’amour des épinaux[6],

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bâtonsnoueuxprisdansleshaiesd’aubépine,jecrois;lachasse.

MonpèreetSéraphieavaientcomprimélesdeux.Cellepourlesépinauxdisparutsouslesplaisanteries de mon oncle; celle pour la chasse, appuyée sur les rêveries de volupténourriesparlepaysagedeM.LeRoyetsurlesimagesvivesquemonimaginationavaitfabriquéesenlisantl’Arioste,devintunefureur,mefitadorerlaMaisonrustique,Buffon,mefitécriresurlesanimaux,etenfinn’apériqueparlasatiété.ABrunswick,en1808,jefusundeschefsdechassesoù l’on tuait cinquanteou soixante lièvresavecdesbattuesfaitespardespaysans.J’eushorreurdetuerunebiche,cettehorreuraaugmenté.Riennemesembleplusplataujourd’huiquedechangerunoiseaucharmantenquatreoncesdechairmorte.

Simonpère,parpeurbourgeoise,m’eûtpermisd’alleràlachasse,j’eusseétéplusleste,cequim’eûtservipourlaguerre.Jen’yaiétélestequ’àforcedeforce.

Jereparleraidelachasse,revenonsauxmédailles[7].

[1]LechapitreXIXestlechapitreXVIdumanuscrit(fol.260biset274à279;lesfol.261à273sontblancs).—ÉcritàRome,les25et26décembre1835.—Ausujetdel’établissementdutextedudébutdecechapitre,voirlesnotesdudébutduchapitreXVIII,etlareproductiondufol.260bis.

[2]…Furonières…—HameaudelacommunedeClaix.

[3]…lesvillesd’ItalieversleVIIIesiècle…—Avérifiersurladissertation55deMuratori,lueilyaquinzejoursetdéjàoubliéequantàladate.(NotedeStendhal.)

[4]…où,depuisquatreans,personnen’avaitmislespieds—Enface,auversodufol.273,planduquartierdesmaisonsGagnonetBeyle.Onyvoit,àl’angledelaGrande-rueetdelarueduDépartement,l’emplacementdu«cafétenuparM.Genou,pèredeM.deGenoude,delaGazettedeFrance».(VoirnotreplandeGrenobleen1793.)Acesujet,onlitcettenoteaucrayondeR.Colomb:«LecaféGenouétaitsurlaplaceSaint-André,danslamaisonqu’habitaitMmeVignon,jecrois;celuidelaGrande-rueétaittenuparCharréa.»

[5]…dèsquejefuslibre,enH…—Enface,auversodufol.274,plandel’appartementBeyle,ruedesVieux-Jésuites.Onvoitdanslesalon,prèsdelafenêtre,en«H,tabledetravail»deBeyle.

[6]…l’amourdesépinaux…—Lalectureduderniermotestincertaine.

[7]Jereparleraidelachasse,revenonsauxmédailles.—Onlitauversodufol.279,avecladatedu26décembre:«Aplacer:«Caractèreofmy fatherChérubinBeyle.—Iln’étaitpointavare,maisbienpassionné.Rienne luicoûtaitpoursatisfaire lapassiondominante:ainsipourfaireminerunetière, ilnem’envoyaitpasàParis les150francsparmois,sanslesquelsjenepouvaisvivre.

Ileutlapassionpourl’agricultureetpourClaix,puisunanoudeuxdepassionpourbâtir(la maison de la rue de Bonne, dont j’eus la sottise de faire le plan avec Mante). Ilempruntaitàhuitoudixpourcentàl’effetdeterminerunemaisonquiunjourluirendraitlesix.Ennuyéde lamaison, ilse livraà lapassiond’administrerpour lesBourbons,aupointincroyabledepasserdix-septmoissansalleràClaix,àdeuxlieuesdelaville.Ils’estruinéde1814à1819,jecrois,époquedesamort.Ilaimaitlesfemmesavecexcès,maistimide comme un enfant de douze ans;Mme AbrahamMallein, née Pascal, semoquaitfermedeluiàcetégard.»]

CHAPITREXX[1]

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Aprèsquatreoucinqansduplusprofondetduplusplatmalheur, je respirai seulementalors,quandjemevisseuletferméàclefdansl’appartementdelaruedesVieux-Jésuites,jusque-là abhorré par moi. Pendant ces quatre ou cinq ans, mon cœur fut rempli dusentiment de la haine impuissante. Sans mon goût pour la volupté, je serais peut-êtredevenu,parunetelleéducation,dontceuxquiladonnaientnesedoutaientpas,unscélératnoirouuncoquingracieuxetinsinuant,unvraijésuite[2],etjeseraissansdoutefortriche.La lecture de la Nouvelle-Héloïse et les scrupules de Saint-Preux me formèrentprofondémenthonnêtehomme;jepouvaisencore,aprèscettelecturefaiteaveclarmesetdansdes transportsd’amourpour lavertu, fairedescoquineries,mais jemeseraissenticoquin. Ainsi, c’est un livre lu en grande cachette et malgré mes parents qui m’a faithonnêtehomme.

L’histoire romaineducotonneuxRollin,malgré sesplates réflexions,m’avaitmeublé latête de faits d’une solide vertu (basée sur l’utilité et non sur le vaniteux honneur desmonarchies;Saint-SimonestunebellepiècejustificativepourlamanièredeMontesquieu,l’honneur bas des monarchies; il n’est pas mal d’avoir vu cela en 1734 dans l’étatd’enfanceoù,àcetteépoque,étaitencorelaraisondesFrançais).

Avec les faits appris dans Rollin, confirmés, expliqués, illustrés par la conversationcontinuedemonexcellentgrand-pèreetlesthéoriesdeSaint-Preux,rienn’étaitégalàlarépugnanceetauméprisprofondquej’avaispourles…[3]expliquéspardesprêtresquejevoyaischaquejours’affligerdesvictoiresdelapatrieetdésirerquelestroupesfrançaisesfussentbattues.

Laconversationdemonexcellentgrand-père,auquel jedois tout,savénérationpourlesbienfaiteurs de l’humanité, si contraire aux idées du ch[ristian]isme, m’empêcha sansdouted’êtrepriscommeunemouchedanslestoilesd’araignéeparmonrespectpourlescérémonies. (Je vois aujourd’hui que c’était la première forme de mon amour pour lamusique,1,lapeinture,2,etl’artdeVigano,3.)Jecroiraisvolontiersquemongrand-pèreétaitunnouveauconvertivers1793.Peut-êtres’était-ilfaitdévot[4]àlamortdemamère(1790), peut-être la nécessité d’avoir l’appui du clergé dans sonmétier demédecin luiavait-elle imposé un léger vernis d’hypocrisie en même temps que la perruque à troisrangsdeboucles.Jecroiraisplutôtcedernier,carjeletrouvaiami,etdelonguedate,deM.l’abbéSadin,curédeSaint-Louis(saparoisse),deM.lechanoineReyetdeMlleRey,sasœur,chezlequelnousallionssouvent(matanteElisabethyfaisaitsapartie),petiteruederrière Saint-André, plus tard rue du Département[5], même l’aimable et trop aimableabbéHélie,curédeSaint-Hugues,quim’avaitbaptiséetmel’arappelédepuisaucafédela Régence, à Paris, où je déjeûnais vers 1803 pendant mon éducation véritable, rued’Angiviller.

Ilfautremarquerqu’en1790lesprêtresneprenaientpaslesconséquencesdelathéorieetétaient bien loin d’être intolérants et absurdes[6] comme nous les voyons en 1835. Onsouffrait fort bien que mon grand-père travaillât en présence de[7] son petit buste deVoltaire et que sa conversation, excepté sur un seul sujet, fût ce qu’elle eût été dans le

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salondeVoltaire,et lestroisjoursqu’ilavaitpassésdanscesalonétaientcités[8]parluicomme les plus beaux de sa vie, quand l’occasion s’en présentait. Il ne s’interdisaitnullementl’anecdotecritiqueouscandaleusesurlesprêtres,etpendantsalonguecarrièred’observations cet esprit sage et froid en avait recueilli des centaines. Jamais iln’exagérait,jamaisilnementait,cequimepermet,cemesemble,d’avanceraujourd’huiquequantàl’espritcen’étaitpasunbourgeois;maisilétaitapte[9]àconcevoirdeshaineséternelles à l’occasion de torts très minimes [10], et je ne crois pas laver son âme dureprochedebourgeoisie.

Je retrouve le type bourgeois,même àRome, chezM.…et sa famille,…M.Bois, lebeau-frère,enrichi…[11].

Mongrand-pèreavaitunevénérationetunamourpourlesgrandshommesquichoquèrentbienM. le curé actuel de Saint-Louis et M. le grand vicaire[12] actuel de l’évêque deGrenoble, lequel se fait un point d’honneur de ne pas rendre sa visite au préfet, en saqualitédeprincedeGrenoble[13],jecrois(racontéparM.Rubichonetavecapprobation,Cività-Vecchia,juin1835).

Le Père Ducros, ce cordelier que je suppose homme de génie, avait perdu sa santé enempaillantdesoiseauxavecdespoisons.Ilsouffraitbeaucoupdesentraillesetmononclem’appritparsesplaisanteriesqu’ilavaitun…[14].Jenecomprisguèrecettemaladie,quime semblait toute naturelle. Le Père Ducros aimait beaucoup mon grand-père, sonmédecin, et auquel il devait en partie sa place de bibliothécaire; mais il ne pouvaits’empêcher deméprisoter un peu la faiblesse de son caractère, il ne pouvait tolérer lesincartadesdeSéraphie,quiallaientsouventjusqu’àinterromprelaconversation,troublerlasociété,etforcerlesamisàseretirer[15].

Lescaractèresà laFontenellesont fort sensiblesàcettenuancedeméprisnonexprimé,mon grand-père combattait donc souvent mon enthousiasme pour le Père Ducros.Quelquefois,quandlePèreDucrosarrivaitàlamaisonavecquelquechosed’intéressantàdire,onm’envoyaitàlacuisine;jen’étaisnullementpiqué,maisfâchédenepassavoirlachose curieuse. Ce philosophe fut sensible àmes empressements et au goût vif que jemontraispourlui,etquifaisaitquejenequittaisjamaislachambrequandilyétait.

Ilfaisaitcadeauàsesamisetamiesdecadresdorésdedeuxpiedsetdemisurtrois,garnisd’une grande vitre, derrière laquelle il disposait six ou huit douzaines de médailles enplâtre de dix-huit lignes de diamètre. C’étaient tous les empereurs romains et lesimpératrices, un autre cadre présentait tous les grands hommes de France, de ClémentMarotàVoltaire,Diderotetd’Alembert.Quedirait leM.Reyd’aujourd’huiàune tellevue?

Cesmédailles étaient environnées, avec beaucoup de grâce, de petits cartons dorés surtranche,etdesvolutesexécutéesenmêmematière remplissaient les intervallesentre lesmédailles. Les ornements de ce genre étaient fort rares alors et je puis avouer quel’opposition de la couleur blanc mat des médailles et des ombres légères, fines, bien

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dessinées,quimarquaientlestraitsdespersonnages,aveclatranchedoréedescartonsetleurcouleurjauned’or,faisaientuneffettrèsélégant.

LesbourgeoisdeVienne,Romans,LaTourduPin,Voiron,etc.,quivenaientdînerchezmongrand-pèreneselassaientpasd’admirercescadres.Moi,demoncôté,montésurunechaise,jenemelassaispasd’étudierlestraitsdeceshommesillustresdontj’auraisvouluimiterlavieetlirelesœuvres.

LePèreDucrosécrivaitdanslehautdelapartielaplusélevéedecescartons[16]:

HOMMESILLUSTRESDEFRANCEou

EMPEREURSETIMPÉRATRICES.

ÀVoiron,parexemple,chezmoncousinAllardduPlantier[17](descendantdel’historienetantiquaireAllard),cescadresétaientadmiréscommedesmédaillesantiques;jenesaispasmêmesilecousin,quin’étaitpasfort,nelesprenaitpaspourdesmédaillesantiques.(C’étaitunfilsétioléparunpèrehommed’esprit,commeMonseigneurparLouisXIV.)

Unjour,lePèreDucrosmedit:

«Veux-tuquejet’apprenneàfairedesmédailles?»

Cefutpourmoilescieuxouverts.

J’allaidanssonappartement,vraimentdélicieuxpourunhommequiaimeàpenser,telquejevoudraisbienenavoirunpareilpouryfinirmesjours.

Quatrepetiteschambresdedixpiedsdehaut,exposéesaumidietaucouchant,avectrèsjolie vue sur Saint-Joseph, les coteaux d’Eybens, le pont de Claix et les montagnes àl’infiniversGap.

Ceschambresétaientrempliesdebas-reliefsetdemédaillesmouléessurl’antiqueousurdumodernepassable.

Lesmédaillesétaient,laplupart,ensoufrerouge(rougiparunmélangedecinabre),cequiestbeauetsérieux;enfin,iln’yavaitpasunpiedcarrédelasurfacedecetappartementqui ne donnât une idée. Il y avait aussi des tableaux. «Mais je ne suis pas assez riche,disait le Père Ducros, pour acheter ceux qui me plairaient.» Le principal tableaureprésentaituneneige,cen’étaitpasabsolumentmal.

Mon grand-père m’avait mené plusieurs fois dans cet appartement charmant. Dès quej’étaisseulavecmongrand-père,horsdelamaison, loindelaportéedemonpèreetdeSéraphie,j’étaisd’unegaietéparfaite.Jemarchaisfortlentement,carmonbongrand-pèreavaitdesrhumatismes,quejesupposegoutteux(carmoi,sonvéritablepetit-filsetquiailemêmecorps,j’aieulagoutteenmai1835àCività-Vecchia).

Le Père Ducros, qui avait de l’aisance, car il a fait son héritierM. Navizet, de Saint-Laurent, ancien entrepreneur de chamoiserie, était fort bien servi par un grand et grosvalet,bonhommequiétaitgarçondebibliothèque,etuneexcellenteservante.Jedonnaisl’étrenneàtoutcela,paravisdematanteElisabeth.

J’étaisneufautantquepossibleparlemiracledecetteabominableéducationsolitaireetdetoute une famille s’acharnant sur un pauvre enfant pour l’endoctriner, dont le système

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avait été fort bien suivi parce que la douleur de la famillemettait ce système dans sesgoûts.

Cette inexpériencedeschoses lesplus simplesme fit fairebiendesgaucherieschezM.Darulepère,denovembre1799àmai1800.

Revenonsauxmédailles.LePèreDucross’étaitprocuré,jenesaiscomment,unequantitédemédaillesenplâtre.Illesimbibaitd’huileetsurcettehuilecoulaitdusoufremêléavecdel’ardoisebiensècheetpulvérisée.

Quand cemoule ôtait bien froid[18], il ymettait un peu d’huile, l’entourait d’un papierhuilé,haut,deAenB,detroislignes,lemouleaufond.

Surlemouleilversaitduplâtreliquidefaitàl’instant,etsur-le-champduplâtremoinsfinetplusfort,defaçonàdonnerquatrelignesd’épaisseuràlamédailleenplâtre.Voilàcequejeneparvinsjamaisàbienfaire.Jenegâchaispasmonplâtreassezvite,ouplutôtjele laissais s’éventer.C’estenvainqueSaint-…[19], levieuxdomestique,m’apportaitduplâtreenpoudre.Jeretrouvaismonplâtreengelée,cinqousixheuresaprèsl’avoirplacésurlemouleensoufre.

Maiscesmoules-làétantlesplusdifficiles,jelesfissur-le-champ,etfortbien,seulementtropépais.Jen’épargnaispaslamatière.

J’établismonatelierdeplâtreriedanslecabinetdetoilettedemapauvremère,pénétraisdanscettechambreoùpersonnen’entraitdepuiscinqansqu’avecunsentimentreligieux;j’évitaisderegarderverslelit.Jen’auraisjamaisridanscettechambre,tapisséedepapierdeLyonimitantbienledamasrouge.

QuoiquejeneparvinssejamaisàfaireuncadredemédaillercommelePèreDucros,jemepréparaiséternellementàcegrandrenomenfaisantunequantitédemoulesensoufre(enB,danslacuisine)[20].

J’achetaiunegrandearmoirerenfermantdouzeouquinzetiroirsdetroispoucesdehaut,oùj’emmagasinaismesrichesses.

JelaissaitoutcelaàGrenobleen1799.Dès1796jen’enfaisaisplusdecas;onaurafaitdesallumettesdecesprécieuxmoules(oucreux)ensoufredecouleurd’ardoise.

Jelusledictionnairedesmédaillesdel’Encyclopédieméthodique[21].

Un maître adroit qui eût su profiter de ce goût m’eût fait étudier avec passion toutel’histoire ancienne; il fallaitme faire lire Suétone, puisDenis d’Halicarnasse, àmesurequemajeunetêteeûtpurecevoirlesidéessérieuses.

Mais le goût régnant alors à Grenoble portait à lire et à citer les épîtres d’un M. deBonnard,c’est,jepense,dupetitDorât(commeondit:dupetitMâcon).Mongrand-pèrenommaitavecrespectlaGrandeurdesRomainsdeMontesquieu,maisjen’ycomprenaisrien; chose peu difficile à croire, j’ignorais les événements sur lesquelsMontesquieu adressésesmagnifiquesconsidérations.

IlfallaitaumoinsmefairelireTite-Live.Aulieudecela,onmefaisaitlireetadmirerleshymnesdeSanteuil:«Eccesedelouantes…»Onpeutsefigurerlafaçondontj’accueillaiscettereligion[22]demestyrans.

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Lesprêtresquidînaientàlamaisoncherchaientàreconnaîtrel’hospitalitédemesparentsen me faisant du pathos sur la Bible de Royaumont, dont le ton patelin et mielleuxm’inspirait le plus profond dégoût. J’aimais cent fois mieux le Nouveau Testament eulatin, que j’avais appris par cœur tout entier dans un exemplaire in-18. Mes parents,commelesroisd’aujourd’hui,voulaientquelareligionmemaintintensoumission[23],etmoijenerespiraisquerévolte.

Je voyais défiler la légionAllobroge (celle, je crois, qui fut commandée parM.Caffe,mortauxInvalides,à85ans,ennovembreoudécembre1835),magrandepenséeétaitàl’armée.Neferais-jepasbiendem’engager?

Je sortais souvent seul, j’allais au Jardin[24], mais je trouvais les autres enfants tropfamiliers,deloinjebrûlaisdejoueraveceux,deprèsjelestrouvaisgrossiers.

Jecommençaismême,jecrois,àallerauspectacle,quejequittais[25]aumomentleplusintéressant,àneufheuresenété,quandj’entendaissonnerlesing(ousaint)[26].

Toutcequiétaittyranniemerévoltait,etjen’aimaispaslepouvoir.Jefaisaismesdevoirs(thèmes, traductions, vers sur la mouche noyée dans une jatte de lait[27]) sur une joliepetitetabledenoyer,dansl’antichambredugrandsalonàl’italienne,exceptéledimanchepournotremesse;laportesurlegrandescalierétaittoujoursfermée.Jem’avisaidécriresurleboisdecettetablelesnomsdetouslesassassinsdeprinces,parexemple:Poltrot,ducdeGuise, en1562.Mongrand-père, enm’aidant à fairemesvers, ouplutôt en lesfaisant lui-même,vitcette liste;sonâmeassez tranquille,ennemiede touteviolence,enfut navrée, d en conclut presque que Séraphie avait raison quand elle me représentaitcommepourvud’uneâmeatroce.Peut-êtreavais-jeétéconduitàfairemalisted’assassinsparl’actiondeCharlotteCorday—11ou12juillet1793—dontj’étaisfou.J’étaisdanscetemps-làgrandenthousiastedeCatond’Utique,lesréflexionsdoucereusesetchrétiennesdubonRollin,commel’appelaitmongrand-père,mesemblaientlecombledelaniaiserie.

Etenmêmetempsj’étaissienfantqu’ayanttrouvédansl’HistoireanciennedeRollin,jecrois,unpersonnagequis’appelaitAristocrate,jefusémerveillédecettecirconstanceetfispartagermonenthousiasmeàmasœurPauline,quiétaitlibéraleetdemonparticontreZénaïde-Caroline,attachéeaupartideSéraphieetappeléeespionneparnous.

Avantouaprès,j’avaiseuungoûtviolentpourl’optique,quimeportaàlirel’OptiquedeSmithàlabibliothèquepublique.Jefaisaisdeslunettespourvoirlevoisinenayantl’airderegarderdevantmoi[28].Onpouvait encore, avecunpeud’adresse,par cemoyen-là,facilementmelancerdanslasciencedel’optiqueetmefaireemporterunbonmorceaudemathématiques.Delààl’astronomie,ilnyavaitqu’unpas.

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[1]LechapitreXXestlechapitreXVIIdumanuscrit(fol.280à298).—ÉcritàRome,les26,27et29décembre1835.

[2]…unvraijésuite…—Ms.:«Tejê.»

[3]…j’avaiepourles…—Suiventquelquesmotsanglaisillisibles.

[4]Peut-êtres’était-ilfaitdévot…—Ms.:«Votdé.»

[5]…pluetardrueduDépartement…—Plustardencore,rueSaint-André,aujourd’huirueDiodore-Rahoult.

[6]…intolérantsetabsurdes…—Ms.:«Surdesab.»

[7]…quemongrand-pèretravaillâtenprésencede…—Variante:«Devant.»

[8]…danscesalonétaientcitésparlui…—Variante:«Rappelés.»

[9]…maisilétaitapte…—Variante:«Facile.»

[10]…àl’occasiondetortstrèsminimes…—Variante:«Pourdestortstrèspetits.»

[11]…chezM…etsafamille,…M.Bois,lebeau-frère,enrichi…—Troismotsillisibles.

[12]…M.legrandvicaire…—Ms.:«Cairevi.»

[13]…ensaqualitédeprincedeGrenoble…—L’évêquedeGrenobleavaitletitred’évêque-prince.

[14]…mononclem’appritparsesplaisanteriesqu’ilavaitun…—Unmotillisible.

[15]…forcerlesamisàseretirer.—Enface,auversodufol.285,onlit:«Réponseàunreproche:commentveut-onquej’écrivebien,forcéd’écrireaussivitepournepasperdremesidées?27décembre1835.RéponseàMM.Colomb,etc.»

[16]LePèreDucrosécrivaitdanslehautdelapartielaplueélevéedecescartons.—Auversodufol.287,Stendhaladessiné lemodèle de l’un de ces cadres, avec la légende suivante: «Cadre demédailles en plâtre blanc par le PèreDucros,bibliothécairedelaVilledeGrenoble(vers1790),mortvers1806ou1818.»

[17]…moncousinAllardduPlantier…—AllardduPlantier(1721-1801),avocatauParlementdeGrenoble,futéluen1788députéduTiers-EtatduDauphinéauxÉtats-Généraux.IlseretiraàVoironen1790.

[18]Quandcemouleétaitbienfroid…—Dessindumoule.Lepapierhuiléestplushaut(deAenB)quel’épaisseurdumoule,demanièreàpouvoirrecevoirleplâtrecoulé.

[19]C’estenvainqueSaint-…—Lerestedunomestenblanc.

[20](…enB,danslacuisine).—Auversodufol.291estunpland’unepartiedel’appartementBeyle.Dansla«chambredemamère», en «A, atelier demon plâtre»; dans la cuisine, en «B, fourneau où je faisaismes soufres».On lit au-dessous:«Maisonpaternelle,vendueen1804.En1816,nouslogionsaucoindelaruedeBonneetdelaplaceGrenette,oùjefisl’amouràSophieVernieretàMlleElise,en1814et1816,maispasassez,jemeseraismoinsennuyé.Delàj’entendisguillotinerDavid,quifaitlagloiredeM.leducDecazes.»

[21]…l’Encyclopédieméthodique.—Onlitauversodufol.293:«27décembre1835.Fatiguéaprès13pages.Froidauxjambes,surtoutaumollet;unpeudecolique;enviededormir.Lefroidetlecafédu24décembrem’ontdonnésurlesnerfs.Ilfaudraitunbain,maiscomment,aveccefroid?Commentsupporterai-jelefroiddeParis?»

[22]…j’accueillaiscettereligion…—Ms.:«Gionreli.»

[23]…memaintîntensoumission…—Variante:«Abjection.»

[24]…j’allaisauJardin…—Ils’agitduJardin-de-Ville.

[25]…àallerauspectaclequejequittais…—Variante:«Dontjesortais.»

[26]…quandj’entendaissonnerlesing(ousaint).—Surlesing.voyezplushaut,notesduchapitreXVI,p.244.

[27]…verssurlamouchenoyéedansunejattedelait…—Allusionàlapiècedeverslatindéjàcitéeplushaut,chapitreXII.

[28] Je faisais des lunettes pour voir le voisin en ayant l’air de regarder devant moi.—Suit un grossier croquisreprésentantunelunettemunied’unmiroirincliné.

CHAPITREXXI[1]

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Quandjedemandaisdel’argentàmonpèreparjustice,parexempleparcequ’ilmel’avaitpromis, ilmurmurait,sefâchait,etaulieudesixfrancspromism’endonnait trois.Celam’outrait;comment?n’êtrepasfidèleàsapromesse?

Les sentiments espagnols communiqués par ma tante Elisabeth me mettaient dans lesnues, jenesongeaisqu’à l’honneur,qu’à l’héroïsme. Jen’avaispas lamoindreadresse,paslepluspetitartdemeretourner,paslamoindrehypocrisiedoucereuse(oujésuite[2]).

Cedéfautarésistéàl’expérience,auraisonnement,auremordsd’uneinfinitédeduperiesoù,parespagnolisme,j’étaistombé.

J’ai encore cemanque d’adresse: tous les jours, par espagnolisme, je suis trompé d’unpauloudeuxenachetantlamoindrechose.Leremordsquej’enai,uneheureaprès,afiniparmedonner l’habitudedepeuacheter. Jeme laissemanqueruneannéedesuited’unpetitmeublequimecoûteradouzefrancsparlacertituded’êtretrompé,cequimedonneradel’humeur,etcettehumeurestsupérieureauplaisird’avoirlepetitmeuble.

J’écriscecidebout,surunbureauàlaTronchinfaitparunmenuisierquin’avaitjamaisvutelle chose, il y a un anque jem’enprive par l’ennui d’être trompé.Enfin, j’ai pris laprécautionden’allerpasparleraumenuisierenrevenantducafé,àonzeheuresdumatin,alorsmoncaractèreestdanssafougue(exactementcommeen1803quandjeprenaisducaféenflammérueSaint-Honoré,aucoindelaruedeGrenelleoud’Orléans),maisdanslesmomentsdefatigue,etmonbureauàlaTronchinnem’acoûtéquequatreécusetdemi(ou4X5,45=24fr.52[3]).

Ce caractère faisait que mes conférences d’argent, chose si épineuse entre un père decinquante-et-un[4] ans et un fils de quinze, finissaient ordinairement dema part par unaccèsdeméprisprofondetd’indignationconcentrée.

Quelquefois,nonparadressemaisparpurhasard,jeparlaisavecéloquenceàmonpèredelachosequejevoulaisacheter,sansm’endouterjel’enfiévrais(jeluidonnaisunpeudema passion), et alors sans difficulté,même avec plaisir, ilme donnait tout ce qu’ilmefallait.UnjourdefoireplaceGrenette,pendantqu’ilsecachait,jeluiparlaidemondésird’avoir de ces caractèresmobiles percés dans une feuille de laiton grande comme unecarteà jouer[5]; ilmedonna six ou sept assignats dequinze sous, au retour j’avais toutdépensé.

«Tudépensestoujourstoutl’argentquejetedonne.»

Comme il avaitmisàmedonnercesassignatsdequinzesouscequedansuncaractèreaussidisgracieuxonpouvaitappelerdelagrâce,jetrouvaisonreprochefortjuste.Simesparents avaient sumemener, ils auraient fait demoi un niais comme j’en vois tant enprovince.L’indignationquej’airessentiedèsmonenfanceetauplushautpoint,àcausedemessentimentsespagnols,m’acréé,endépitd’eux,lecaractèrequej’ai.Maisquelestcecaractère?Jeseraisbienenpeinedeledire.Peut-êtreverrai-jelavéritéàsoixante-cinqans,sij’yarrive[6].

Un pauvre qui m’adresse la parole en style tragique, comme à Rome, ou en style decomédie,commeenFrance,m’indigne:1°jedétesteêtretroublédansmarêverie;—2°jenecroispasunmotdecequ’ilmedit.

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Hier,enpassantdanslarue,unefemmedupeupledequaranteans,maisassezbien,disaità unhommequimarchait avec elle:Bisognacamprar (il faut vivre toutefois). Cemot,exemptdecomédie,m’atouchéjusqu’auxlarmes.Jenedonnejamaisauxpauvresquimedemandent,jepensequecen’estpasparavarice.Legrosgardedesanté(le11décembre)àCività-Vecchia,meparlantd’unpauvrePortugaisaulazaretquinedemandequesix…[7] par jour, sur-le-champ je lui ai donné six ou huit pauls en monnaie. Comme il lesrefusait, de peur de se compromettre avec son chef (un paysan grossier, venant deFinevista, nomméManelli), j’ai pensé qu’il serait plus digne d’un consul de donner unécu,cequej’aifait;ainsi,sixpaulsparvéritablehumanité,etquatreàcausedelabroderiedel’habit.

Aproposdecolloquefinancierd’unpèreavecsonfils:lemarquisTorrigiani,deFlorence(grosjoueurdanssajeunesseetfortaccusédegagnercommeilnefautpas),voyantquesestroisfilsperdaientquelquefoisdixouquinzelouisaujeu,pourleuréviterl’ennuidelui en demander, a remis trois mille francs à un vieux portier fidèle, avec, ordre deremettrecetargentàsesfilsquandilsauraientperdu,etdeluiendemanderd’autrequandlestroismillefrancsseraientdépensés.

Celaestfortbienensoi,etd’ailleursleprocédéatouchélesfils,quisesontmodérés.Cemarquis,officierdelaLégiond’honneur,estpèredemadamePozzi,dontlesbeauxyeuxm’avaient inspiré une si vive admiration en 1817. L’anecdote sur le jeu de son pèrem’aurait fait une peine horrible en 1817 à cause de ce maudit espagnolisme de moncaractère, dont jeme plaignais naguère. Cet espagnolismem’empêche d’avoir le géniecomique:

1°jedétournemesregardsetmamémoiredetoutcequiestbas;

2°jesympathise,commeàdixanslorsquejelisaisl’Arioste,avectoutcequiestcontesd’amour,deforêts(lesboisetleurvastesilence),degénérosité.

Leconteespagnollepluscommun,s’ilyadelagénérosité,mefaitvenirleslarmesauxyeux,tandisquejedétournelesyeuxducaractèredeChrysaledeMolière,etencoreplusdufondméchantdeZadig,Candide,lepauvreDiableetautresouvragesdeVoltaire,dontjen’adorevraimentque:

Vousêtes,luidit-il,l’existenceetl’essence,Simpleavecattributetdepuresubstance.

Barral (le comtePauldeBarral,néàGrenoblevers1785)m’acommuniquébien jeunesongoûtpourcesvers,quesonpère,lePremierPrésident,luiavaitappris.

Cetespagnolisme,communiquéparmatanteElisabeth,mefaitpasser,mêmeàmonâge,pourunenfantprivéd’expérience,pourunfoudeplusenplusincapabled’aucuneaffairesérieuse, ainsi que dit mon cousin Colomb (dont ce sont les propres termes), vraibourgeois.

Laconversationduvraibourgeoissurleshommesetlavie,quin’estqu’unecollectiondeces détails laids, me jette dans un spleen profond quand je suis forcé par quelqueconvenancedel’entendreunpeulongtemps.

Voilà le secret de mon horreur pour Grenoble vers 1816, qu’alors je ne pouvaism’expliquer.

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Jenepuispasencorem’expliqueraujourd’hui,àcinquante-deux[8]ans,ladispositionaumalheurquemedonneledimanche.Celaestaupointquejesuisgaietcontent—auboutde deux cents pas dans la rue, jem’aperçois que les boutiques sont fermées:Ah! c’estdimanche,medis-je.

Al’instant,toutedispositionintérieureaubonheurs’envole.

Est-ceenviepourl’aircontentdesouvriersetbourgeoisendimanchés?

J’aibeaumedire:Mais jeperdsainsicinquante-deuxdimanchesparanetpeut-êtredixfêtes;lachoseestplusfortequemoi,jen’aideressourcequ’untravailobstiné.

Cedéfaut—monhorreurpourChrysale—m’apeut-êtremaintenujeune.Ceseraitdoncunheureuxmalheur, comme celui d’avoir eu peu de femmes (des femmes commeBiancaMilai,quejemanquaiàParis,unmalin,vers1829,uniquement,pournem’êtreaperçudel’heureduberger—elleavaitunerobedeveloursnoircejour-là,verslarueduHelderouduMont-Blanc).

Commejen’aipresquepaseudecesfemmes-là(vraiesbourgeoises),jenesuispasblasélemoinsdumondeàcinquanteans[9].Jeveuxdireblaséaumoral,carlephysique,commederaison,estémousséconsidérablement,aupointdepassertrèsbienquinzejoursoutroissemainessansfemme;cecarême-lànemegênequelapremièresemaine.

La plupart demes folies apparentes, surtout la bêtise de ne pas avoir saisi au passagel’occasion.qui est chauve, comme dit Don Japhet d’Arménie, toutes mes duperies enachetant,etc.,etc.,viennentdel’espagnolismecommuniquéparmatanteElisabeth,pourlaquellej’eustoujoursleplusprofondrespect,unrespectsiprofondqu’ilempêchaitmonamitiéd’êtretendre,et,cemesemble,delalecturedel’Ariostefaitesijeuneetavectantdeplaisir.(Aujourd’hui,leshérosdel’Ariostemesemblentdespalefreniersdontlaforcefait l’unique mérite, ce qui me met en dispute avec les gens d’esprit qui préfèrenthautement l’Arioste auTasse, tandisqu’àmesyeux,quandparbonheur leTasseoublied’imiterVirgileouHomère,ilestleplustouchantdespoètes.)

Enmoins d’une heure, je viens d’écrire ces douze pages, et enm’arrêtant de temps entempspourtâcherdenepasécriredeschosespeunettes,quejeseraisobligéd’effacer.

Comment aurais-je pu écrire bien physiquement, M. Colomb?—Mon ami Colomb, quim’accable de ce reproche dans sa lettre d’hier et dans les précédentes, braverait lessupplices pour sa parole, et pour moi. (Il est né à Lyon vers 1785, son père, anciennégociantfortloyal,seretiraàGrenoblevers1788.M.RomainColomba20ou25.000francsderevenuettroisfilles,rueGodot-de-Mauroy,Paris[10].)

[1]LechapitreXXIestlechapitreXVIIIdumanuscrit(fol.299à311).—ÉcritàRome,le30décembre1835.

[2]…hypocrisiedoucereuse(oujésuite).—Ms.:«Tejé.»

[3]…monbureauàlaTronchinnem’acoûtéquequatreécusetdemi(ou4X5.45=24fr.52).—Nousreproduisonssanslemodifier,lecalculdeStendhal.

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[4]…unpèredecinquante-et-unans…—Cinquante-et-unestenblancdanslemanuscrit.

[5]…cescaractèresmobilespercésdansune feuillede laitongrandecommeunecarteà jouer…—Suit une figurereprésentantunBenlaiton.

[6]…verrai-je lavéritéàsoixante-cinqans,si j’yarrive.—Onlitenface,auversodufol.302:«Aplacer.Touchantmoncaractère.Onmedira:Maisêtes-vousunprinceouunÉmilepourquequelqueJean-JacquesRousseausedonnelapeined’étudieretdeguidervotrecaractère?Jerépondrai:Toutemafamillesemêlaitdemonéducation.Aprèslahauteimprudenced’avoirtoutquittéàlamortdemamère,j’étaispoureuxleseulremèdeàl’ennui,etilsmedonnaienttoutl’ennuiquejeleurôtais.Nejamaisparleràaucunautreenfantdemonâge!

—Écriture: les idéesme galopent, si je ne les note pas vite, je les perds. Comment écrirais-je vite (sic)? Voila,M.Colomb,commentjeprendsl’habitudedemalécrire.Omar,thirthentdecember1835,revenantdeSanGregorioetduForoboario.»]

[7]…quinedemandequesix…—Unmotillisible.

[8]…àcinquante-deuxans…—Ms.:«26X2.»

[9]…àcinquanteans.—Ms.:«25X2.»

[10]…rueGodot-de-Mauroy,Paris.—Justificationdemamauvaiseécriture:lesidéesmegalopentets’envontsijenelessaisispas.Souvent,mouvementnerveuxdelamain.(NotedeStendhal.)

Auversodufol.311estcetestamentdeStendhal:«J’exige(sinequanonconditio)quetouslesnomsdefemmesoientchangésavantl’impression.Jecomptequecetteprécautionetladistancedestempsempêcheronttoutscandale.Cività-Vecchia,le31décembre1835.H.BEYLE.»

CHAPITREXXII[1]

LesiègedeLyonagitait[2] tout leMidi: j’étaispourKellermannet lesrépublicains,mesparentspourlesémigrésetPrécy(sansMonsieur,commeilsdisaient).

LecousinSenterre,delaposte,dontlecousinouneveu[3]sebattaitdansLyon[4],venaitàlamaisondeuxfoispar jour;commec’était l’été,nousprenionslecaféaulaitdumatindanslecabinetd’histoirenaturellesurlaterrasse.

C’estaupointH[5]quej’aipeut-êtreéprouvélesplusvifstransportsd’amourdelapatrieetdehainepourlesaristocrates(légitimistesde1835)etlesprêtres[6],sesennemis.

M. Senterre, employé à la poste aux lettres[7], nous apportait constamment six ou septjournauxdérobésauxabonnés,quinelesrecevaientquedeuxheuresplustardàcausedenotrecuriosité. Ilavait sondoigtdevinet sonpainetécoutait les journaux.Souvent, ilavaitdesnouvellesdeLyon.

Je venais le soir, seul, sur la terrasse, pour tâcher d’entendre le canondeLyon. Je voisdans la Table chronologique, le seul livre que j’aie à Rome[8], que Lyon fut pris le 9octobre 1793.Ce fut donc pendant l’été de 1793, à dix[9] ans, que je venais écouter lecanondeLyon;jenel’entendisjamais.JeregardaisavecenvielamontagnedeMéaudre(prononcez Mioudre)[10], de laquelle on l’entendait. Notre brave cousin Romagnier(cousinpouravoirépouséunedemoiselleBlanchet,parentedelafemmedemongrand-père),jecrois,étaitdeMéaudre[11],oùilallaittouslesdeuxmoisvoirsonpère.Auretour,il faisaitpalpitermoncœurenmedisant:«Nousentendons fortbien le canondeLyon,surtoutlesoir,aucoucherdusoleil,etquandleventestaunord-ouest(nordoua).»

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Jecontemplaisavecleplusvifdésird’yallerlepointB,maisc’étaitundésirqu’ilfallaitbiensegarderd’énoncer.

J’auraispeut-êtredûplacercedétailbienplushaut,maisjerépètequepourmonenfancejen’aiquedesimagesfortnettes,sansdatecommesansphysionomie.

Jelesécrisunpeucommecelamevient.

Je n’ai aucun livre et je ne veux lire aucun livre, je m’aide à peine de la stupideChronologiequiportelenomdecethommefinetsec,M.LoïsWeymar.JeferaidemêmepourlacampagnedeMarengo(1800),pourcellede1809,pourlacampagnedeMoscou,pour celle de 1813, où je fus intendant à Sagan (Silésie, sur la Bober); je ne prétendsnullementécrireunehistoire,mais tout simplementnotermessouvenirsafindedevinerquelhommej’aiété:bêteouspirituel,peureuxoucourageux,etc.,etc.C’estlaréponseaugrandmot:

Γνωτισεαυτον

Durant cet étéde1793, le siègedeToulonm’agitait beaucoup; il va sansdirequemesparents approuvaient les traîtres qui le rendirent, cependantma tanteElisabeth, avec safiertécastillane,medit…[12].

JevispartirlegénéralCarteauouCartaud,quiparadasurlaplaceGrenette.Jevoisencoresonnomsurlesfourgons[13]défilantlentementetàgrandbruitparlarueMontorgepouralleràToulon.

Ungrandévénementsepréparaitpourmoi,j’yfusfortsensibledanslemoment,maisilétait trop tard, tout lien d’amitié était à jamais rompu entre mon père et moi, et monhorreurpourlesdétailsbourgeoisetpourGrenobleétaitdésormaisinvincible.

Ma tante Séraphie était malade depuis longtemps. Enfin, on parla de danger; ce fut labonne Marion (Marie Thomasset), mon amie, qui prononça ce grand mot. Le dangerdevintpressant,lesprêtresaffluèrent.

Unsoird’hiver,cemesemble,j’étaisdanslacuisine,verslesseptheuresdusoir[14],aupointH,vis-à-visl’armoiredeMarion.Quelqu’unvintdire:«Elleestpassée.»JemejetaiàgenouxaupointHpourremercierDieudecettegrandedélivrance.

SilesParisienssontaussiniaisen1880qu’en1835,cettefaçondeprendrelamortdelasœurdemamèremeferapasserpourbarbare,cruel,atroce.

Quoiqu’ilensoit,telleestlavérité.Aprèslapremièresemainedemessesdesmortsetdeprières,toutlemondesetrouvagrandementsoulagé[15]danslamaison.Jecroisquemonpèremêmefutbienaised’êtredélivrédecettemaîtressediabolique,sitoutefoiselleaétésamaîtresse,oudecetteamieintimediabolique.

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Unedesesdernièresactionsavaitété,unsoirque je lisaissur lacommodedema tanteElisabeth[16], au point H, laHenriade ouBélisaire, que mon grand-père venait de meprêter,des’écrier:«Commentpeut-ondonnerdetelslivresàcetenfant!Quiluiadonnécelivre?»

Mon excellent grand-père, surma demande importune, venait d’avoir la complaisance,malgrélefroid,d’alleravecmoijusquedanssoncabinetdetravail,touchantlaterrasse,àl’autreboutdelamaison,pourmedonnercelivredontj’avaissoifcesoir-là.

Toutelafamilleétaitenrangd’oignonsdevantlefeu,aupointD[17].Onrépétaitsouvent,àGrenoble,cemot:rangd’oignons[18].Mongrand-père,aureprocheinsolentdesafille,nerépondit,enhaussantlesépaules,que:«Elleestmalade.»

J’ignoreabsolument ladatedecettemort; jepourrai la faireprendresur lesregistresdel’état-civilàGrenoble[19].

Ilmesemblequebientôtaprèsj’allaiàl’Écolecentrale,chosequeSéraphien’eûtjamaissouffert.Jecroisquecefutvers1797etquejenefusquetroisansàl’Écolecentrale.

[p.236][p.237]

[1]ChapitreXXII.—Cechapitre,nonnumérotéparStendhal,vadufol.311teraufol.315bis.—Lechapitrecommenceainsi: «Le fameux siègedeLyon (dont plus tard j’ai tant connu le chef,M.dePrécy, àBrunswick, 1806-1809,monpremiermodèled’hommedebonnecompagnie,aprèsM.deTressan,dansmapremièreenfance).»

—Lefol.311bisportesimplementcesdeuxmentions:«Tomesecond»,et:«SiègedeLyon,étéde1793.»

[2]LesiègedeLyonagitait…—Variante:«Agita.»

[3]…dontlecousinouneveu…—Lesdeuxmots:cousinou,ontétérayésaucrayonparR.Colomb.

[4]…sebattaitdansLyon…—Ilnesebattaitpas;sacondamnationàmortfutmotivéesurunelettreécriteàunedamedesesamiesetinterceptéeparDuboisdeCrancé.(NoteaucrayondeR.Colomb.)

[5]C’estaupointHquej’aipeut-êtreéprouvé…—Enface,auversodufol.311ter,setrouveunplandelascène:dansle «cabinet d’histoire naturelle», garni sur ses deux plus grands murs d’ «armoires fermées contenant minéraux,coquillages», est la «table de déjeuner avec café au lait excellent et fort bons petits pains très cuits, grichesperfectionnées»;autourdelatable,en«S,M.Senterreavecsonchapeauàlargesbords,àcausedesesyeuxfaiblesetbordés de rouge»; en «H,moi, dévorant ses nouvelles».La terrasse est voisine; au bout se trouve en «J,mon jardinparticulier,àcôtédelapierreàeau».

[6]…etlesprêtres…—Ms.:«Tresp.»

[7]M. Senterre, employé à la poste aux lettres…—Stendhal a déjà parlé de son cousin Senterre et de la scène desjournaux.Voirplushaut,chapitreXII.

[8]…leseullivrequej’aiàRome…—Ms.:«Mero.»

[9]…àdixans…—Ms.:«Ten.»

[10]…lamontagnedeMéandre(prononcezMioudre)…—Enface,auversodufol312,estundessin représentant lasilhouettedesplateauxdeSaint-Nizier(A)etdeSornin(B)jusqu’àlavalléedel’Isère(V).«MéaudreouMioudreenM,dans la vallée entre les deuxmontagnesA etB»; «V, vallée deVoreppe, adorée parmoi comme étant le chemin deParis».

[11]…Méaudre…—Ms.:«Mioudre.»—Méaudre est un village de 784habitants situé à 1.012m. d’altitude, dans lavalléedelaBourne.

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[12]…matanteElisabeth,avecsafiertécastillane,medit…—LerestedelapageaétélaisséenblancparStendhal.Cetalinéaetlesuivant,accompagnésd’ungrandblanc,étaientcertainementdestinésàêtredéveloppés.

[13]…surlesfourgons…—Variante:«Sesfourgons.»

[14]…j’étaisdanslacuisineverslesseptheuresdusoir…—Suitunplandelacuisine.Surla«grandetable»demilieu,en«O,boîteàpoudrequiéclata».EnH,lejeuneHenridevantl’armoire.(Voirnotreplandel’appartementGagnon.)

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[15]…setrouvagrandementsoulagé…—Variante:«Délivré.»

[16]…unsoirquejelisaissurlacommodedematanteElisabeth…—Enface,auversodufol.313quater,estunplande la partie de l’appartement Gagnon occupé par les chambres d’Elisabeth et Séraphie Gagnon. Dans la chambred’Elisabeth,en«H,moilisantlaHenriadeouBélisaire,dontmongrand-pèreadmiraitbeaucouplequinzièmechapitreoulecommencement:Justinienvieillissait…QueltableaudelavieillessedeLouisXV,disait-il!»—DansunangledelaplaceGrenette est figuré l’«escalier et perronde lamaisonPérier-Lagrange.François, le fils aîné,bonetbête,grandhommedecheval,épousamasœurPaulinependantlescampagnesd’Allemagne».

[17]Toutelafamilleétaitenrangd’oignonsdevantlejeuaupointD.—Plandelachambred’ElisabethGagnonenhautdufol.314;autourdelacheminée,enD,lafamilleenrangd’oignons;enfacedelacheminée,lejeuneBeylelisantsurlacommode.

[18]…rangd’oignons.—Onlitenhautdufol.315bis:«30décembre1835.Omar.»—Lefol.315portesimplement:«ChapitreXIX.»Cechapitrecommenceaumilieudelapage315bis,suivantuneindicationdeStendhallui-même.

[19]…surlesregistresdel’étatcivilàGrenoble.—SéraphieGagnonestmortele9janvier1797,àdixheuresdusoir.

CHAPITREXXIII[1]

ÉCOLECENTRALE

Biendesannéesaprès,vers1817,j’apprisdeM.deTracyquec’étaitlui,engrandepartie,quiavaitfaitlaloiexcellentedesÉcolescentrales[2].

Mon grand-père fut le très digne chef du jury chargé de présenter à l’administrationdépartementalelesnomsdesprofesseursetd’organiserl’école.Mongrand-pèreadoraitleslettreset l’instruction,et,depuisquaranteans,étaitàlatêtedetoutcequis’étaitfaitdelittéraireetdelibéralàGrenoble.

Séraphie l’avait vertement blâmé d’avoir accepté ces fonctions de membre du juryd’organisation, mais le fondateur de la bibliothèque publique devait à sa considérationdanslemonded’êtrelechefdel’Écolecentrale[3].

MonmaîtreDurand,quivenaitàlamaisonmedonnerdesleçons,futprofesseurdelatin;commentnepasalleràsoncoursàl’Écolecentrale?SiSéraphieeûtvécu,elleeûttrouvéune raison,mais,dans l’étatdeschoses,monpère sebornaàdiredesmotsprofondsetsérieuxsurledangerdesmauvaisesconnaissancespourlesmœurs.Jenemesentaispasde joie; ilyeutuneséanced’ouverturede l’Écoledans lessallesde labibliothèque,oùmongrand-pèrefitundiscours.

C’estpeut-êtrelàcetteassembléesinombreusedanslapremièresalleSS[4],dontjetrouvel’imagedansmatête.

LesprofesseursétaientMM.Durand,pourlalanguelatine;Gattel,grammairegénéraleetmême logique, ceme semble;Dubois-Fontanelle, auteurde la tragédied’Ericie[5]ou laVestaleetrédacteurpendantvingt-deuxansdelaGazettedesDeux-Ponts[6],belles-lettres;Trousset, jeune médecin, la chimie; Jay, grand hâbleur de cinq pieds dix pouces, sansl’ombredetalent,maisbonpourenfiévrer(monterlatêtedesenfants),ledessin,—ileutbientôttroiscentsélèves;Chalvet(Pierre,Vincent),jeunepauvrelibertin,véritableauteur

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sansaucuntalent,l’histoire—etchargéderecevoirl’argentdesinscriptionsqu’ilmangeaenpartieavectroissœurs,fortcatinsdeleurmétier,quiluidonnèrentunenouvellev…,delaquelleilmourutbientôtaprès;enfinDupuy,lebourgeoisleplusemphatiqueetlepluspaternelquej’aiejamaisvu,professeurdemathématiques—sansl’ombredetalent.C’étaitàpeineunarpenteur,onlenommadansunevillequiavaitunGros!Maismongrand-pèrene savait pas unmot demathématiques et les haïssait, et d’ailleurs l’emphase du pèreDupuy (comme nous l’appelions; lui nous disait: mes enfants) était bien faite pour luiconquérir l’estimegénéraleàGrenoble.Cethommesividedisaitcependantunegrandeparole:«Monenfant,étudielaLogiquedeCondillac,c’estlabasedetout.»

Onnediraitpasmieuxaujourd’hui,enremplaçanttoutefoislenomdeCondillacparceluideTracy.

Lebon,c’estquejecroisqueM.Dupuynecomprenaitpaslepremiermotdecettelogiquede Condillac, qu’il nous conseillait; c’était un fort mince volume petit in-12. Maisj’anticipe,c’estmondéfaut, il faudrapeut-êtreen relisanteffacer toutescesphrasesquioffensentl’ordrechronologique.

Le seul homme parfaitement à sa place était M. l’abbé Gattel, abbé coquet, propret,toujours dans la société des femmes, véritable abbé du XVIIe siècle; mais il était fortsérieux en faisant son cours et savait, je crois, tout ce qu’on savait alors des habitudesprincipalesdesmouvementsd’instinctetensecond lieudefacilitéetd’analogieque lespeuplesontsuivieenformantleslangues.

M.Gattelavaitfaitunfortbondictionnaireoùilavaitosénoterlaprononciation,etdontjemesuis toujoursservi.Enfin,c’étaitunhommequisavait travaillercinqàsixheurestous les jours, ce qui est rare en province, où l’on ne sait que baguenauder toute lajournée.

Les niais de Paris blâment cette peinture de la prononciation saine, naturelle.C’est parlâchetéetparignorance.Ilsontpeurd’êtreridiculesennotantlaprononciationd’Anvers(ville),decours,devers.Ilsnesaventpasqu’àGrenoble,parexemple,ondit:J’aiétéauCour-ce,ou:j’ailudesver-cesurAnver-seetCalai-se.Sil’onparleainsiàGrenoble,villed’espritettenantencoreunpeuauxpaysduNord,quipourlalangueontévincéleMidi,que sera-ce à Toulouse, Béziers, Pézenas, Digne? Pays où l’on devrait afficher laprononciationfrançaiseàlaportedeséglises.

Unministredel’Intérieurquivoudraitfairesonmétier,aulieud’intriguerauprèsduroietdanslesChambres,commeM.Guizot[7],devraitdemanderuncréditdedeuxmillionsparanpouramener[8]auniveaud’instructiondesautresFrançaislespeuplesquihabitentdanslefataltrianglequis’étendentreBordeaux,BayonneetValence.Oncroitauxsorciers,onnesaitpaslireetonneparlepasfrançaisencespays.Ilspeuventproduireparhasardunhomme supérieur comme Lannes, Soult, mais le général …[9] y est d’une ignoranceincroyable. Jepensequ’àcauseduclimatetde l’amouretde l’énergiequ’ildonneà lamachine, ce triangle devrait produire les premiers hommes de France. La Corse meconduitàcetteidée.

Avec ses 180.000 habitants, cette île a donné huit ou dix hommes de mérite à laRévolution et le département duNord, avec ses 900.000 habitants, à peine un. Encore

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j’ignorelenomdecetun.Ilvasansdirequelesprêtres[10]sonttout-puissantsdanscefataltriangle.LacivilisationestdeLilleàRenneset cesseversOrléansetTours.AusuddeGrenobleestsabrillantelimite[11].

Nommer les professeurs à l’École centrale[12] coûtait peu et était bientôt fait,mais il yavaitdegrandes réparationsà faireauxbâtiments.Malgré laguerre, toutse faisaitdansces tempsd’énergie.Mongrand-pèredemandait sans cessedes fonds à l’administrationdépartementale.

Lescourss’ouvrirentauprintemps,jecrois,dansdessallesprovisoires.

Celle deM. Durand avait une vue délicieuse et enfin, après unmois, j’y fus sensible.C’était un beau jour d’été et une brise douce agitait les foins des glacis de la porte deBonne,sousnosyeux[13],àsoixanteouquatre-vingtspiedsplusbas.

Mes parents me vantaient sans cesse, et à leur manière, la beauté des champs, de laverdure,desfleurs,etc.,desrenoncules,etc.

Cesplatesphrasesm’ontdonné,pour les fleurset lesplates-bandes,undégoûtquidureencore.

Parbonheur,lavuemagnifiquequejetrouvaitoutseulàunefenêtreducollège,voisinedela salle du latin, où j’allais rêver tout seul, surmonta le profond dégoût causé par lesphrasesdemonpèreetdesprêtres,sesamis.

C’est ainsi que, tant d’années après, les phrases nombreuses et prétentieuses de MM.ChateaubriandetdeSalvandym’ontfaitécrireleRougeetleNoird’unstyletrophaché.Grandesottise,cardansvingtans,quisongeraauxfatrashypocritesdecesMessieurs?Etmoi,jemetsunbilletàuneloterie,dontlegroslotseréduitàceci:êtreluen1935.

C’estlamêmedispositiond’âmequimefaisaitfermerlesyeuxauxpaysagesdesextasesde ma tante Séraphie. J’étais en 1794 comme le peuple de Milan[14] est en 1835: lesautorités allemandes et abhorrées veulent lui faire goûter Schiller, dont la belle âme, sidifférentedecelleduplatGoethe,seraitbienchoquéedevoirdetelsapôtresàsagloire.

Ce futunechosebienétrangepourmoiquededébuter, auprintempsde1791ou95,àonzeoudouzeans,dansuneécoleoùj’avaisdixoudouzecamarades.

Jetrouvailaréalitébienau-dessousdesfollesimagesdemonimagination.Cescamaradesn’étaientpasassezgais,pasassezfous,etilsavaientdesfaçonsbienignobles.

IlmesemblequeM.Durand,toutenflédesevoirprofesseurd’uneÉcolecentrale,maistoujoursbonhomme,memità traduireSalluste,DeBelloJugurtino.La libertéproduisitsespremiersfruits,jerevinsaubonsensenperdantmacolèreetgoûtaifortSalluste.

Tout le collège était rempli d’ouvriers, beaucoup de chambres de notre troisième étage

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étaientouvertes,j’allaisyrêverseul.

Toutm’étonnaitdanscettelibertétantsouhaitée,etàlaquellej’arrivaisenfin.Lescharmesquej’ytrouvaisn’étaientpasceuxquej’avaisrêvés,cescompagnonssigais,siaimables,sinobles,quejem’étaisfigurés,jenelestrouvaispas,maisàleurplace,despolissonstrèségoïstes.

Ce désappointement, je l’ai eu à peu près dans tout le courant de ma vie. Les seulsbonheursd’ambitionenont été exempts, lorsque, en1810[15], je fus auditeur et, quinzejours après, inspecteur dumobilier. Je fus ivre de contentement, pendant troismois, den’êtrepluscommissairedesGuerresetexposéàl’envieetauxmauvaistraitementsdeceshéros si grossiers qui étaient les manœuvres de l’Empereur à Iéna et à Wagram. Lapostériténesaurajamaislagrossièretéetlabêtisedecesgens-là,horsdeleurchampdebataille.Etmêmesurcechampdebataille,quelleprudence!C’étaientdes gens commel’amiralNelson,lehérosdeNaples(voirCalettaetcequem’acontéM.DiFiore),commeNelson, songeant toujours à ce que chaque blessure leur rapporterait en dotations et encroix.Quelsanimauxignobles,comparésàlahautevertudugénéralMichaud,ducolonelMathis!Non,lapostériténesaurajamaisquelsplatsjésuitesontétéceshérosdesbulletinsde Napoléon, et comme je riais en recevant le Moniteur, à Vienne, Dresde, Berlin,Moscou,quepersonnepresquenerecevaitàl’arméeafinqu’onnepûtpassemoquerdesmessages.LesBulletinsétaientdesmachinesdeguerre,destravauxdecampagne,etnondespièceshistoriques.

Heureusement pour la pauvre vérité, l’extrême lâcheté de ces héros, devenus pairs deFranceet jugesen1835,mettra lapostéritéau faitde leurhéroïsmeen1809.Jene faisexceptionquepourl’aimableLasalleetpourExelmans,quidepuis…Maisalorsiln’étaitpasallérendrevisiteaumaréchalBournon,ministredelaGuerre.Monceyaussin’auraitpas fait certaines bassesses, mais Suchet…[16] J’oubliais le grand Gouvion-Saint-Cyravantquel’âgel’eûtrenduà-demiimbécile,etcelteimbécillitéremonteà1814.Iln’eutplus,aprèscetteépoque,queletalentd’écrire.Etdansl’ordrecivil,sousNapoléon,quelsplatsbougres[17]queM.deB….,venantpersécuterM.DaruàSaint-Cloud,aumoisdenovembre, dès sept heures du matin, que le comte d’Argout, bas flatteur du généralSébastiani[18]!

Mais,bonDieu,oùensuis-je?Al’écoledelatin,danslesbâtimentsducollège.[p.246][p.247]

[1]LechapitreXXIIIestlechapitreXIXdumanuscrit(fol.315bisà331bis).—ÉcritàRome,les30et31décembre1835,et1erjanvier1836.

[2]…laloiexcellentedesÉcolescentrales.—Stendhalavaitd’abordécrit:«LaloiexcellentedesÉcolescentralesavaitétéfaite,cemesemble,paruncomitédontM.deTracyétait lechefavec6.000francsd’appointements, luiquiavaitcommencé avec 200.000 livres de rente; mais ceci arrivera plus tard.»—Sur l’enseignement donné dans les ÉcolescentralesengénéraletdanscelledeGrenoble,enparticulier,ainsiquesur lescamaradesetamisd’HenriBeyle,voirl’ouvragedeM.A.Chuquet,Stendhal-Beyle(1904).

[3]…d’être lechefde l’Écolecentrale.—Peut-êtreaussi lacraintedespatriotesentra-t-ellepourquelquechosedansl’acceptationdecettefonction.(NoteaucrayondeR.Colomb.)

[4]…danslapremièresalleSS…—Plandecettesalle,àl’entréedelaquellesetrouvaitle«bureaudubibliothécaire,le

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R.P.Ducros».—Auversodufol.314,Stendhalafiguréunplanducollège(aujourd’huileLycéedefilles),alorssituéentrela«rueNeuve,lefaubourgSaint-GermaindeGrenoble»,etles«rempartsdelavilleen1795».Onyvoitaurez-de-chausséela«premièresalledesmathématiques»etla«salledelachimie,professéeparM.leDrTrousset»;aupremierétage, la «seconde salle où j’ai remporté le premier prix, sur sept ou huit élèves admis un mois après à l’Écolepolytechnique»;enfinla«salledelatin,ausecondoutroisième,vuedélicieuse»surles«montagnesd’Echirolles»etsurdessommetsrecouvertspardes«neigeséternellesoudehuitmoisdel’annéeaumoins».

[5]…latragédied’Ericie…—Ms.:«Aricie.»

[6]…laGazettedesDeux-Ponts…—LaGazetteuniverselledepolitiqueetde littératuredesDeux-Ponts, fondéeen1770.Dubois-Fontanellen’ycollaboraquejusqu’au1erjuin1776.

[7]…M.Guizot…—Ms.:«Zotgui.»

[8]…pouramener…—Variante:«Porter.»

[9]…maislegénéral…—Lemotestenblancdanslemanuscrit.

[10]Ilvasansdirequelesprêtres…—Ms.:«Tresp.»

[11]AusuddeGrenobleestsabrillantelimite.—Onlitentêtedufol.324:«31décembre1835.Omar.»—Cefeuilletn’aqu’uneseuleligneécrite;leresteestblanc.

[12]Nommerlesprofesseursàl’Écolecentrale…—Onlitenhautdufol.325:«31décembre1835.Omar.Commencécelivre,dontvoicilatroiscentvingt-cinquièmepage,etcent,meferaitquatrecentsle…1835.»—Leversodumêmefeuilletporte:«Rapidité:le3décembre1835,j’enétaisà93,le31décembreà325.232en28jours.SurquoiilyaeuvoyageàCività-Vecchia.Aucuntravaillesjoursdevoyageetlesoird’arrivéeici,soitunoudeuxsansécrire.Donc,en23jours,232,oudixpagespar jour,ordinairementdix-huitouvingtpagespar jour,et les joursdecourrierquatreoucinq ou pas du tout. Comment pourrais-je écrire bien physiquement? D’ailleurs, ma mauvaise écriture arrête lesindiscrets.1erjanvier1836.»

—En interligne (aux mots: les professeurs de l’École centrale), Stendhal a écrit: «MM. Gattel, Dubois-Fontanelle,Trousset,Villars(paysandesHautes-Alpes),Jay,Durand,Dupuy,Chabert,lesvoilààpeuprèsparordred’utilitépourlesenfants; les troispremiersavaientdumérite.»—Enface (fol.324verso)estencoreunplandu«CollègeouÉcolecentrale».]

[13]…sousnosyeux…—Variante:«Vis-à-visdenous.»

[14]…lepeupledeMilan…—Ms.:«Lanmi.»

[15]…lorsque,en1810…—Ms.:«1811.»

[16]…maisSuchet…—Suitunblancd’unquartdeligne.

[17]…quelsplatsbougres…—Ms.:«Ougresb.»

[18]…généralSébastiani!—Ms.:«Bastiani-sebas.»

CHAPITREXXIV[1]

Je ne réussissais guère avec mes camarades; je vois aujourd’hui que j’avais alors unmélangefortridiculedehauteuretdebesoindem’amuser.Jerépondisàleurégoïsmeleplusâpreparmesidéesdenoblesseespagnole.J’étaisnavréquand,dansleursjeux,ilsmelaissaient de côté; pour comble de misère, je ne savais point ces jeux, j’y portais unenoblessed’âme,unedélicatessequidevaientleursemblerdelafolieabsolue.Lafinesseetlapromptitudedel’égoïsme,unégoïsme,jecrois,horsdemesure,sontlesseuleschosesquiaientdusuccèsparmilesenfants.

Pourachevermonpeudesuccès,j’étaistimideenversleprofesseur,unmotdereprochecontenuet dit par hasard par ce petit bourgeois pédant avec un accent juste,me faisait

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venir les larmes aux yeux.Ces larmes étaient de la lâcheté aux yeux deMM.Gauthierfrères,Saint-Ferréol,jecrois,Robert(directeuractuelduthéâtreItalien,àParis),etsurtoutOdru.Cedernierétaitunpaysantrèsfortetencoreplusgrossier,quiavaitunpieddeplusqu’aucundenousetquenousappelionsGoliath;ilenavaitlagrâce,maisnousdonnaitdefièrestalochesquandsagrosseintelligences’apercevaitenfinquenousnousmoquionsdelui.

Sonpère,richepaysandeLumbinoud’unautrevillagedanslavallée[2].(Onappelleainsipar excellence l’admirable vallée de l’Isère, deGrenoble àMontmélian. Réellement, lavallées’étendjusqu’àladentdeMoirans,decettesorte[3].)

Mon grand-père avait profité du départ de Séraphie pour me faire suivre les cours demathématiques,dechimieetdedessin.

M.Dupuy,cebourgeoissiemphatiqueetsiplaisant,était,enimportancecitoyenne,unesortederivalsubalternedeM.ledocteurGagnon.Ilétaitàplatventredevantlanoblesse,mais cet avantage qu’il avait sur M. Gagnon était compensé par l’absence totaled’amabilité et d’idées littéraires, qui alors formaient comme le pain quotidien de laconversation.M.Dupuy,jalouxdevoirM.Gagnonmembredujuryd’organisationetsonsupérieur,n’accueillitpointlarecommandationdecerivalheureuxenmafaveur,etjen’aigagné ma place dans la salle de mathématiques qu’à force de mérite, et en voyant cemérite,pendanttroisansdesuite,miscontinuellementenquestion.M.Dupuy,quiparlaitsanscesseet(jamaistrop)deCondillacetdesaLogique,n’avaitpasl’ombredelogiquedans la tête. Il parlait noblement et avec grâce, et il avait une figure imposante et desmanièresfortpolies.

Il eutune idéebienbelle en1794, ce futdediviser les cent élèvesqui remplissaient lasalleaurez-de-chaussée,àlapremièreleçondemathématiques,enbrigadesdesixoudeseptayantchacuneunchef.

Lemienétaitungrand,c’est-à-direunjeunehommeau-delàdelapubertéetayantunpiedde plus que nous. Il nous crachait dessus, en plaçant adroitement un doigt devant sabouche. Au régiment, un tel caractère s’appelle arsouille. Nous nous plaignions de cetarsouille, nommé, je crois,Raimonet, àM.Dupuy, qui fut admirable de noblesse en lecassant.M. Dupuy avait l’habitude de donner leçon aux jeunes officiers d’artillerie deValenceetétaitfortsensibleàl’honneur(aucoupd’épée).

NoussuivionsleplatcoursdeBezout,maisM.DupuyeutlebonespritdenousparlerdeClairautetdelanouvelleéditionqueM.Biot(cecharlatantravailleur)venaitd’endonner.

Clairaut était fait pour ouvrir l’esprit, que Bezout tendait à laisser à jamais bouché.Chaque proposition, dans Bezout, a l’air d’un grand secret appris d’une bonne femmevoisine.

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Danslasallededessin,jetrouvaiqueM.JayetM.Couturier(aunezcassé),sonadjoint,mefaisaientuneterribleinjustice.MaisM.Jay,àdéfautdetoutautremérite,avaitceluidel’emphase,laquelleemphase,aulieudenousfairerire,nousenflammait.M.Jayobtenaitun beau succès, fort important pour l’École centrale, calomniée par les prêtres. Il avaitdeuxoutroiscentsélèves.

Toutcelaétaitdistribuéparbancsdeseptouhuit[4],etchaquejourilfallaitfaireconstruiredenouveauxbancs.Etquelsmodèles!demauvaisesacadémiesdessinéesparMM.PajouetJaylui-même;les jambes, lesbras, toutétaitenàpeuprès,bienpatauds,bienlourds,bien laids. C’était le dessin de M. Moreau jeune, ou de ce M. Cachoud qui parle sidrôlementdeMichel-AngeetduDominiquindanssestroispetitsvolumessurl’Italie.

Lesgrandestêtesétaientdessinéesàlasanguineougravéesàlamanièreducrayon.Ilfautavouer que la totale ignorance du dessin y paraissait moins que dans les académies(figuresnues).Legrandméritedecestêtes,quiavaientdix-huitpoucesdehaut,étaitqueleshachuresfussentbienparallèles;quantàimiterlanature,iln’enétaitpasquestion.

UnnomméMoulezin,bêteetimportantàmangerdufoinetaujourd’huiricheetimportantbourgeois de Grenoble, et sans doute l’un des plus rudes ennemis du sens commun,s’immortalisabientôtparleparallélismeparfaitdeseshachuresàlasanguine.IlfaisaitdesacadémiesetavaitétéélèvedeM.Villonne(deLyon);moi,élèvedeM.LeRoy,quelamaladieetlebongoûtparisienavaientempêchédesonvivantd’êtreaussicharlatanqueM.VillonneàLyon,dessinateurpourétoffes, jenepusobtenirque lesgrandes têtes,cequimechoquafort,maiseutlegrandavantaged’êtreuneleçondemodestie.

J’en avais grand besoin, puisqu’il faut parler net. Mes parents, dont j’étais l’ouvrage,s’applaudissaient de mes talents devant moi, et je me croyais le jeune homme le plusdistinguédeGrenoble.

Moninférioritédanslesjeuxavecmescamaradesdelatincommençaàm’ouvrirlesyeux.Le banc des grandes têtes, vers H[5], où l’on me plaça, tout près des deux fils d’uncordonnier, à figures ridicules (quelle inconvenance pour le petit-fils deM. Gagnon!),m’inspiralavolontédecreveroud’avancer[6].

Voicil’histoiredemontalentpourledessin:mafamille,toujoursjudicieuse,avaitdécidé,après un an ou dix-huit mois de leçons chez cet homme si poli, M. Le Roy, que jedessinaisfortbien.

Lefaitestquejenemedoutaispasseulementqueledessinestuneinventiondelanature.Je dessinais avec un crayon noir et blanc une tête en demi-relief. (J’ai vu à Rome, auBraccionuovo,quec’est la têtedeMusa,médecind’Auguste.)Mondessinétaitpropre,froid,sansaucunmérite,commeledessind’unjeunepensionnaire.

Mes parents, qui avec toutes leurs phrases sur les beautés de la campagne et les beauxpaysages,n’avaientaucunsentimentdesarts,pasunegravurepassableà lamaison,medéclarèrent très fort endessin.M.LeRoyvivait encore et peignait[7] des paysages à lagouache(couleurépaisse),moinsmalquelereste.

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J’obtinsdelaisserlàlecrayonetdepeindreàlagouache.

M.LeRoyavaitfaitunevuedupontdelaVence,entrelaBuisserateetSaint-Robert,prisedupointA[8].

Jepassaiscepontplusieursfoisl’anpouralleràSaint-Vincent,jetrouvaisqueledessin,surtoutlamontagneenM,ressemblaitfort,jefusillusionné.Donc,d’abord,etavanttout,ilfautqu’undessinressembleàlanature!

Iln’étaitplusquestiondehachuresbienparallèles.Aprèscettebelledécouverte,jefisderapidesprogrès.

LepauvreM.LeRoyvintàmourir,jeleregrettai.Cependant,j’étaisencoreesclavealors,et tous les jeunes gens allaient chez M. Villonne, dessinateur pour étoffes chassé deCommune-Affranchie par la guerre et les échafauds. Commune-Affranchie était lenouveaunomdonnéàLyondepuissaprise.

Jecommuniquaiàmonpère(maisparhasardetsansavoirl’espritd’ysonger)mongoûtpour la gouache, et j’achetai de Mme Le Roy, au triple de leur valeur, beaucoup degouachesdesonmari.

Je convoitais fort deux volumes des Contes de La Fontaine, avec gravures fortdélicatementfaites,maisfortclaires.

«Ce sont des horreurs, me dit Mme Le Roy avec ses beaux yeux de soubrette bienhypocrites;maiscesontdeschefs-d’œuvre.»

Je vis que je ne pouvais escamoter le prix des Contes de La Fontaine sur celui desgouaches.L’Écolecentrales’ouvrit,jenesongeaiplusàlagouache,maismadécouverteme resta[9]: il fallait imiter la nature, et cela empêcha peut-être quemes grandes têtes,copiéesd’aprèscesplatsdessins,fussentaussiexécrablesqu’ellesauraientdûl’être.Jemesouviens du Soldat indigné, dans Héliodore chassé, de Raphaël; je ne vois jamaisl’original(auVatican)sansmesouvenirdemacopie;lemécanismeducrayon,tout-à-faitarbitraire,mêmefaux,brillaitsurtoutdansledragonquisurmontelecasque.

Quand nous avions fait un ouvrage passable, M. Jay s’asseyait à la place de l’élève,corrigeait un peu la tête et raisonnait avec emphase,mais enfin en raisonnant, et enfinsignaitlatêteparderrière,apparemmentnevarietur,pourqu’ellepût,aumilieuouàlafindel’année,êtreprésentéeauconcours.Ilnousenflammait,maisn’avaitpaslapluspetitenotiondubeau.Iln’avaitfaitensaviequ’untableauindigne,uneLibertécopiéed’aprèssafemme,courte,ramassée,sansforme.Pourl’alléger,ilavaitoccupélepremierplanparuntombeauderrièrelequellaLibertéparaissaitcachéejusqu’auxgenoux[10].

La fin de l’année arriva, il y eut des examens en présence du jury, et, je crois, d’unmembreduDépartement.

Jen’obtinsqu’unmisérableaccessit,etencorepourfaireplaisir,jepense,àM.Gagnon,chefdujury,etàM.Dausse,autremembredujury,fortamideM.Gagnon.

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Mongrand-pèreenfuthumilié,etilmeleditavecunepolitesseetunemesureparfaites.Sonmot si simple fit surmoi tout l’effetpossible. Il ajoutaen riant:«Tune savaisquenousmontrertongrosderrière!»

Cettepositionpeuaimableavaitétéremarquéeautableaudelasalledemathématiques.

C’étaituneardoisedesixpiedssurquatre,soutenue,àcinqpiedsdehaut,parunchâssisfortsolide;onymontaitpartroisdegrés.

M.Dupuyfaisaitdémontreruneproposition,parexemplelecarrédel’hypoténuseouceproblème:unouvragecoûtesept livres,quatresous, troisdeniers la toise; l’ouvrierenafaitdeuxtoises,cinqpieds,troispouces.Combienluirevient-il?

Danslecourantdel’année,M.DupuyavaittoujoursappeléautableauM.deMonval,quiétaitnoble,M.dePina,nobleetultra.M.Anglès,M.deRenneville,noble,etjamaismoi,ouuneseulefois[11].

LecadetMonval,buseàfiguredebuse,maisbonmathématicien(termedel’école),aétémassacrépar lesbrigands enCalabre,vers1806, je crois.L’aîné, étant avecPaul-LouisCourierdanssaprise…[12],devintunsalevieuxultra. Il futcolonel, ruinad’unevilainefaçonunegrandedamedeNaples; àGrenoble, voulut souffler le froid et le chaudvers1830, fut découvert et généralement méprisé. Il est mort de ce mépris général, etrichementmérité,fortlouéparlesdévots(voirlaGazettede1832ou1833).C’étaitunjolihomme,coquinàtoutfaire.

M.deP…,maireàGrenoblede1825à1830.Ultraàtoutfaireetoubliantlaprobitéenfaveur de ses neuf ou dix enfants, il a réuni 60 ou 70.000 francs de rente. Fanatiquesombreet,jepense,coquinàtoutfaire,vraijésuite[13].

Anglès,depuispréfetdepolice, travailleur infatigable,aimant l’ordre,maisenpolitiquecoquin à tout faire,mais, selonmoi, infinimentmoins coquin que les deux précédents,lesquels,danslegenrecoquin,tiennentlapremièreplacedansmonesprit.

LajolieMmelacomtesseAnglèsétaitamiedeMmelacomtesseDaru[14],danslesalondelaquelle je la vis.Le joli comtedeMeffrey (deGrenoble, commeM.Anglès) était sonamant.Lapauvrefemmes’ennuyaitbeaucoup,cemesemble,malgré lesgrandesplacesdumari.

Cemari, fils d’un avare célèbre, et avare lui-même, était l’animal le plus triste et avaitl’esprit lepluspauvre, leplusanti-mathématique.D’ailleurs, lâchejusqu’auscandale; jeconteraiplus tard l’histoirede sonsoufflet etde saqueue.Vers1826ou29, ilperdit lapréfecturedepoliceetallabâtirunbeauchâteaudanslesmontagnes,prèsdeRoanne,etymourutfortbrusquementbientôtaprès,jeuneencore.C’étaituntristeanimal,ilavaittoutlemauvaisducaractèredauphinois,bas,fin,cauteleux,attentifauxmoindresdétails.

M.deRenneville,cousindesMonval,étaitbeauetbêteàmangerdufoin.Sonpèreétaitl’hommeleplussaleetleplusfierdeGrenoble.Jen’aiplusentenduparlerdeluidepuisl’école.

M.deSinard,bonécolier,réduitàlamendicitéparl’émigration,protégéetsoutenuparM.deVaulserre,futmonami.

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Montéau tableau,onécrivait enO[15].La tête dudémontrant était bien à huit piedsdehaut.Moi, placé en évidence une fois parmois, nullement soutenu parM.Dupuy, quiparlaitàMonvalouàM.dePinapendantquejedémontrais,j’étaispénétrédetimiditéetje bredouillais. Quand je montai au tableau à mon tour, devant le jury, ma timiditéredoubla, jem’embrouillai en regardant cesMessieurs, et surtout le terribleM.Dausse,assisàcôtéetàdroitedutableau.J’euslaprésenced’espritdenepluslesregarder,deneplus faire attention qu’à mon opération, et je m’en tirai correctement, mais en lesennuyant.Quelledifférenceavec cequi sepassa en août1799! Jepuisdirequec’est àforce demérite que j’ai percé auxmathématiques et au dessin, comme nous disions àl’Écolecentrale[16].

J’étaisgrosetpeugrand,j’avaisuneredingotegrisclair,delàlereproche.

«Pourquoidoncn’as-tupaseudeprix?medisaitmongrand-père.

—Jen’aipaseuletemps.»

Lescoursn’avaient,jecrois,duré,cettepremièreannée,quequatreoucinqmois.

J’allaiàClaix,toujoursfoudelachasse;maisencourantleschamps,malgrémonpère,jeréfléchissaisprofondémentàcemot:«Pourquoin’as-tupaseudeprix?»

Jenepuismerappelersijesuisallépendant

quatreansouseulementpendanttroisàl’Écolecentrale.Jesuissûrdeladatedesortie,examendelafinde1799,lesRussesattendusàGrenoble.

Lesaristocratesetmesparents,jecrois,disaient:

ORus,quandoegoleadspiciam!

Pourmoi,jetremblaispourl’examenquidevaitmefairesortirdeGrenoble!Sij’yreviensjamais, quelques recherches dans les archives de l’Administration départementale, à laPréfecture, m’apprendront si l’École centrale a été ouverte en 1796 ou seulement en1797[17].

OncomptaitalorsparlesannéesdelaRépublique,c’étaitl’anVoul’anVI.Cen’estquelongtempsaprès,quandl’Empereurl’abêtementvoulu,quej’aiapprisàconnaître1796,1797.Jevoyaisleschosesdeprès,alors[18].

L’EmpereurcommençaalorsàéleverletrônedesBourbons,etfutsecondéparlalâchetésans bornes de M. de Laplace. Chose singulière, les poètes ont du cœur, les savantsproprementditssontservilesetlâches.Quellen’apasétélaservilitéetlabassesseverslepouvoir de M. Cuvier! Elle faisait horreur même au sage Sutton Sharpe. Au Conseild’Etat,M.lebaronCuvierétaittoujoursdel’avislepluslâche.

Lorsdelacréationdel’ordredelaRéunion,j’étaisdansleplusintimedelaCour;ilvintpleurer,c’estlemot,pourl’avoir.Jerapporteraiensontempslaréponsedel’Empereur.Arrivésparlalâcheté:Bacon,Laplace,Cuvier.M.Lagrangefutmoinsplat,cemesemble.

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Sûrsdeleurgloireparleursécrits,cesMessieursespèrentquelesavantcouvriral’hommed’Etat:enaffairesd’argent,commeonlesait, ilscourentà l’utile.LecélèbreLegendre,géomètredepremierordre,recevantlacroixdelaLégiond’honneur,l’attachaàsonhabit,seregardaàsonmiroir,etsautadejoie.

L’appartementétaitbas,satêteheurtaleplafond,iltomba,àmoitiéassommé.Dignemortc’eûtétépourcesuccesseurd’Archimède!

Quedebassessesn’ont-ilspasfaitesàl’AcadémiedesSciences,de1825à1830etdepuis,pours’escamoterdescroix!Celaest incroyable, j’enaisuledétailparMM.deJussieu,Edwards,Milne-Edwards,etparlesalondeM.lebaronGérard.J’aioubliétantdesaletés.

UnMaupeou[19]estmoinsbasencequ’ilditouvertement:«Jeferaitoutcequ’ilfautpouravancer[20].»

[p.260][p.261]

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[1]LechapitreXXIVestlechapitreXXdumanuscrit(fol.331bisà355).—ÉcritàRome,le1erjanvier1836.Stendhalnoteaufol.335:«Froidenécrivant.»

[2]…unautrevillagedanslavallée.—DuVersoud.(NoteaucrayondeR.Colomb.)

[3]…lavallées’étendjusqu’àladentdeMoirans,decettesorte.—Suitunecarte-esquisse,d’ailleursinexacte.StendhalappelleDentdeMoiransleBecdel’Echaillon,situésurlarivedroitedel’Isère,au-dessusdeVeurey.EntreMoiransetVoreppe,ilsignaledes«campagnescomparablesàcelledeLombardieetdeMarmande,lesplusbellesdumonde».

[4]Toutcelaétaitdistribuéeparbancsdeseptouhuit…—Suitunplandelaclassededessin;entrelesdeuxrangées,«legrandJayarpentantsasalleavecl’airdegémiretentenantlatêterenversée».LaplacedujeuneBeyleétaitenH,danslesbancsplacésducôtédelarueNeuve.

[5]Lebancdesgrandestêtes,versH…—Cetteréférenceserapporteauplandécritci-dessus.

[6]…lavolontédecreveroud’avancer.—Rapidité,raisondelamauvaiseécriture.1erjanvier1836.Iln’estquedeuxheures,j’aidéjàécritseizepages,ilfaitfroid,laplumevamal;aulieudememettreencolère,jevaisenavant,écrivantcommejepuis.(NotedeStendhal.)

[7]M.LeRoyvivaitencoreetpeignait…—Variante:«Faisait.»

[8]M.LeRoyavaitfaitunevuedupontdelaVence,…prisedupointA…—Suituncroquisschématiquedupointdevue.LepointAestaubasdupont,surleborddutorrent,etl’archedupontencadrelamontagneM.

[9]…maismadécouvertemeresta…—Stendhala,parinadvertance,oubliéunmotenpassantd’unfeuilletàunautre.

[10]…laLibertéparaissaitcachéejusqu’auxgenoux.—-Lefol.345estauxtrois-quartsblanc.

[11]…etjamaismoi,ouuneseulefois.—Enface,auversodufol.346,estunplandelapartieducollègecontenantla«sallededessin»etla«salledesmathématiques».Danscelle-ci,prèsdutableau,en«D,M.Dupuy,hommedecinqpiedshuitpouces,avecsagrandecanne,danssonimmensefauteuil».Parmi lesélèves,en«H,moi,mourantd’envied’êtreappelépourmonterautableau,etmecachantpourn’êtrepasappelé,mourantdepeuretdetimidité».

[12]…avecPaul-LouisCourierdanssaprise…—Unmotillisible.Lalecturedumotprisen’estpascertaine.

[13]…vraijésuite.—Ms.:«Tejé.»

[14]…MmelacomtesseDaru…—Ms.:«Ruda.»

[15]Montéautableau,onécrivaitenO.—Croquisreprésentantunélèveautableau.

[16] … comme nous disions à l’École centrale.—Suit une phrase que Stendhal n’a pas effacée, mais que noussupprimonscependant,carill’aaccompagnéedecettemention:répétition.«Pournepasm’embrouillerdansunelongueopérationd’arithmétique,jememisàneregarderqueletableau.»

[17]…si l’Écolecentraleaétéouverteen1796ouseulementen 1797.—L’ÉcolecentraledeGrenoble, crééepar ledécretde laConventiondu7ventôsean III, fut inaugurée le11 frimaire anV (1erdécembre1796).Desprix furentdécernésauxélèvesle30fructidoranV(16septembre1797),le10germinalanVI(30mars1798),jourdelafêtedelaJeunesse,le30fructidoranVI(16septembre1798)etle17brumaireanVII(7novembre1798).

[18]Jevoyaisleschosesdeprès,alors.—Écriture.Le1erjanvier1836,26pages.Touteslesplumesvontmal,ilfaitunfroiddechien;aulieudechercheràbienformermeslettresetdem’impatienter,iotiroavanti.M.Colombmereprochedanschaquelettred’écriremal.(NotedeStendhal.)

[19]UnMaupeou…—Ms.:«Maudpw.»

[20]—Onlitàlafinduchapitre:«Le1erjanvier1836,29pages.Jecesse,fautedelumièreauciel,àquatreheurestroisquarts.»

CHAPITREXXV[1]

Mon âme délivrée de la tyrannie commençait à prendre quelque ressort. Peu à peu jen’étaispluscontinuellementobsédédecesentimentsiénervant:lahaineimpuissante.

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Mabonne tanteElisabeth étaitmaprovidence.Elle allait presque tous les soirs faire sapartie chez mesdames Colomb ou Romagnier. Ces excellentes sœurs n’avaient debourgeoisquequelquesmaniesdeprudenceetquelqueshabitudes.Ellesavaientdebellesâmes,chosesirareenprovince,etétaienttendrementattachéesàmatanteElisabeth.

Jenedispasassezdebiendecesbonnescousines;ellesavaientl’âmegrande,généreuse;ellesenavaientdonnédespreuvessingulièresdanslesgrandesoccasionsdeleurvie.

Monpère,deplusenplusabsorbéparsapassionpourl’agricultureetpourClaix,ypassaittroisouquatrejoursparsemaine.LamaisondeM.Gagnon,oùildînaitetsoupaittouslesjoursdepuis lamortdemamère,ne lui étaitplusaussi agréableàbeaucoupprès. Ilneparlait à cœur ouvert qu’à Séraphie. Les sentiments espagnols dema tanteElisabeth letenaientenrespect,ilyavaittoujourstrèspeudeconversationentreeux.Lapetitefinessedauphinoisedetouslesinstantsetlatimiditédésagréabledel’uns’alliaitmalàlasincériténobleetàlasimplicitédel’autre.MademoiselleGagnonn’avaitaucungoût[2]pourmonpèrequi,d’unautrecôté,n’étaitpasdeforceàsoutenirlaconversationavecM.ledocteurGagnon;ilétaitrespectueuxetpoli,M.Gagnonétaittrèspoli,etvoilàtout.Monpèrenesacrifiait donc rien en allant passer trois ou quatre jours par semaine àClaix. Ilme ditdeuxoutroisfois,quandilmeforçaitàl’accompagneràClaix,qu’ilétaittriste,àsonâge,denepasavoirunchez-soi.

RentrantlesoirpoursouperavecmatanteElisabeth,mongrand-pèreetmesdeuxsœurs,jen’avaispasàcraindreun interrogatoirebiensévère.Engénéral, jedisaisenriantquej’étaisallécherchermatantechezmesdamesRomagnieretColomb;souvent,eneffet,dechezcesdamesjel’accompagnaisjusqu’àlaportedel’appartementetjeredescendaisencourantpourallerpasserunedemi-heureàlapromenadeduJardin-de-Villequi,lesoir,enété,auclairdelune,sousdesuperbesmarronniersdequatre-vingtspiedsdehaut,servaitderendez-vousàtoutcequiétaitjeuneetbrillantdanslaville.

Peuàpeujem’enhardis,j’allaiplussouventauspectacle,toujoursauparterredebout.

Jesentaisuntendreintérêtàregarderunejeuneactrice,nomméeMlleKably.Bientôtj’enfuséperdumentamoureux;jeneluiaijamaisparlé.

C’étaitunejeunefemmemince,assezgrande,avecunnezaquilin,jolie,svelte,bienfaite.Elleavaitencorelamaigreurdelapremièrejeunesse,maisunvisagesérieuxetsouventmélancolique.

Tout fut nouveaupourmoi dans l’étrange folie qui, tout-à-coup, se trouvamaîtresse detoutes mes pensées. Tout autre intérêt s’évanouit pour moi. A peine je reconnus lesentimentdontlapeinturem’avaitcharmédanslaNouvelleHéloïse,encoremoinsétait-cela volupté de Félicia. Je devins tout-à-coup indifférent et juste pour tout ce quim’environnait,cefut[3]l’époquedelamortdemahainepourfeumatanteSéraphie.

MlleKably jouaitdans lacomédie lesrôlesde jeunespremières,ellechantaitaussidansl’opéra-comique.

Onsentbienquelavraiecomédien’étaitpasàmonusage.Mongrand-pèrem’étourdissaitsanscessedugrandmot:laconnaissanceducœurhumain.Maisquepouvais-jesavoirsurcecœurhumain?Quelquesprédictionstoutauplus,accrochéesdansleslivres,dansDonQuichotteparticulièrement,leseulpresquequinem’inspirâtpasdelaméfiance;tousles

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autres avaient été conseillés par mes tyrans, car mon grand-père (nouveau converti, jepense)s’abstenaitdeplaisantersurleslivresquemonpèreetSéraphiemefaisaientlire[4].

Ilmefallaitdonc lacomédieromanesque,c’est-à-dire ledramepeunoir,présentantdesmalheurs d’amour et non d’argent (le drame noir et triste s’appuyant sur le manqued’argentm’atoujoursfaithorreurcommebourgeoisettropvrai).

MlleKablybrillaitdansClaudine,deFlorian.

Une jeune Savoyarde, qui a eu un petit enfant, au Montanvert, d’un jeune voyageurélégant,s’habilleenhommeet,suiviedesonpetitmarmot,faitlemétierdedécrotteursurune place de Turin. Elle retrouve son amant qu’elle aime toujours, elle devient sondomestique,maiscetamantvasemarier.

L’auteur qui jouait l’amant, nommé Poussi, ceme semble,—ce nomme revient huit àcoup après tant d’années,—disait avec un naturel parfait: «Claude! Claude!» dans uncertainmomentoùilgrondaitsondomestiquequiluidisaitdumaldesafuture.Cetondevoixretentitencoredansmonâme,jevoisl’acteur.

Pendant plusieurs mois, cet ouvrage, souvent redemandé par le public, me donna lesplaisirs lesplusvifs, et jedirais lesplusvifsquem’aientdonnés lesouvragesd’art, si,depuis longtemps,monplaisirn’avaitété l’admiration tendre, laplusdévouéeet laplusfolle.

Jen’osaispasprononcer lenomdeMlleKably; siquelqu’un lanommaitdevantmoi, jesentais unmouvement singulier près du cœur, j’étais sur le point de tomber. Il y avaitcommeunetempêtedansmonsang.

Siquelqu’undisaitlaKably,aulieude:MademoiselleKably,j’éprouvaisunsentimentdehaineetd’horreur[5],quej’étaisàpeinemaîtredecontenir.

EllechantaitdesapauvrepetitevoixfaibledansLeTraiténul,opéradeGaveau(pauvred’esprit,mortfouquelquesannéesplustard).

Làcommençamonamourpourlamusique,quiapeut-êtreétémapassionlaplusforteetlapluscoûteuse;elledureencoreàcinquante-deux[6]ans,etplusvivequejamais.Jenesaiscombiendelieuesjeneferaispasàpied,ouàcombiendejoursdeprisonjenemesoumettrais pas pour entendreDon Juan ou leMatrimonio Segreto, et je ne sais pourquelle autre chose je ferais cet effort. Mais, pour mon malheur, j’exècre la musiquemédiocre (à mes yeux elle est un pamphlet satyrique contre la bonne, par exemple leFurioso de Donizetti, hier soir, Rome,Valle[7]. Les Italiens, bien différents demoi, nepeuvent souffrir une musique dès qu’elle a plus de cinq ou six ans. L’un d’eux disaitdevantmoi,chezmadame…[8]:«Unemusiquequiaplusd’unanpeut-elleêtrebelle?»)

Quelleparenthèse,grandDieu[9]!Enrelisant,ilfaudraeffacer,oumettreàuneautreplace,lamoitiédecemanuscrit[10].

J’apprisparcœur,etavecquels transports!cefiletdevinaigrecontinuetsaccadéqu’on

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appelaitLeTraiténul.

Unacteurpassable,quijouaitgaiementlerôleduvalet(jevoisaujourd’huiqu’ilavaitlavéritableinsoucianced’unpauvrediablequin’aquedetristespenséesàlamaison,etquise livreà son rôle avecbonheur),medonna lespremières idéesducomique, surtoutaumomentoùilarrangelacontre-dansequifinitpar:Mathurinenousécoutait…

Unpaysagedelaformeetdelagrandeurd’unelettredechange,oùilyavaitbeaucoupdegomme-gutte fortifiée par du bistre, surtout sur le premier plan à gauche, que j’avaisachetéchezM.LeRoy,etque jecopiais alorsavecdélices,mesemblait absolument lamêmechosequelejeudecetacteurcomique,quimefaisaitriredeboncœurquandMelle

Kably n’était pas en scène; s’il lui adressait la parole, j’étais attendri, enchanté. De làvient, peut-être qu’encore aujourd’hui lamême sensationm’est souvent donnée par untableauouparunmorceaudemusique.Quedefoisj’aitrouvécetteidentitédanslemuséeBrera,àMilan(1814-1812)!

Cela est d’unvrai et d’une forceque j’ai peine à exprimer, et qued’ailleursoncroiraitdifficilement.

Lemariage,l’unionintimedecesdeuxbeaux-arts,aétéàjamaiscimenté,quandj’avaisdouzeoutreizeans,parquatreoucinqmoisdubonheurleplusvifetdelasensationdevoluptélaplusforte,etallantpresquejusqu’àladouleur,quej’aiejamaiséprouvée.

Actuellement,jevois(maisjevoisdeRome,àcinquante-deux[11]ans)quej’avaislegoûtdelamusiqueavantceTraiténulsisautillant,sifiletdevinaigre,sifrançais,maisquejesaisencoreparcœur.Voicimessouvenirs:1°lesondesclochesdeSaint-André,surtoutsonnées pour les élections, une année quemon cousinAbrahamMallein (père demonbeau-frèreAlexandre)étaitprésidentousimplementélecteur;—2°lebruitdelapompedelaplaceGrenette,quandlesservantes,lesoir,pompaientaveclagrandebarredefer;—3°enfin,maislemoinsdetous,lebruitd’uneflûtequequelquecommismarchandjouait,auquatrièmeétage,surlaplaceGrenette.

Ces choses m’avaient déjà donné des plaisirs qui, à mon insu, étaient des plaisirsmusicaux.

MademoiselleKably jouaitaussidans l’EpreuvevillageoisedeGrétry, infinimentmoinsmauvaise que le Traité nul. Une situation tragique me fit frémir dans Raoul, sire deCréqui;enunmot,touslesmauvaispetitsopérasde1794furentportésausublimepourmoi, par la présence deMelle Kably; rien ne pouvait être commun ou plat dès qu’elleparaissait.

J’eus,unjour, l’extrêmecouragededemanderàquelqu’unoùlogeaitMelleKably.C’estprobablementl’actionlaplusbravedemavie.

«RuedesClercs»,merépondit-on.

J’avais eu le courage, bien auparavant, de demander si elle avait un amant. A quoil’interrogémeréponditparquelquedicton[12]grossier; ilnesavaitriensursongenrede

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vie.

JepassaisparlaruedesClercsàmesjoursdegrandcourage:lecœurmebattait,jeseraispeut-êtretombésijel’eusserencontrée;j’étaisbiendélivréquand,arrivéaubasdelaruedesClercs,j’étaissûrdenepaslarencontrer.

Unmatin,me promenant seul au bout de l’allée des grandsmarronniers, au Jardin-de-Ville,etpensantàelle,commetoujours,jel’aperçusàl’autreboutdujardin,contrelemurdel’Intendance,quivenaitverslaterrasse.Jefaillismetrouvermal[13]etenfinjeprislafuite,commesilediablem’emportait,lelongdelagrille,parlaligneF;elleétait,jecrois,en K’[14]. J’eus le bonheur de n’en être pas aperçu. Notez qu’elle ne me connaissaitd’aucunefaçon.Voilàundestraitslesplusmarquésdemoncaractère,telj’aitoujoursété(mêmeavant-hier).Lebonheurdelavoirdeprès,àcinqousixpasdedistance,étaittropgrand,ilmebrûlait,etjefuyaiscettebrûlure,peinefortréelle.

Cette singularité me porterait assez à croire que, pour l’amour, j’ai le tempéramentmélancoliquedeCabanis.

Eneffet, l’amoura toujoursétépourmoi laplusgrandedesaffaires,ouplutôt la seule.Jamais je n’ai eu peur de rien que de voir la femme que j’aime regarder un rival avecintimité.J’aitrèspeudecolèrecontrelerival:ilfaitsonaffaire,pensé-je,maismadouleurestsansbornesetpoignante;c’estaupointquej’aibesoindem’abandonnersurunbancdepierre,àlaportedelamaison.J’admiretoutdanslerivalpréféré(lechefd’escadronsGiboryetMmeMartin,palazzoAguissola,Milan).

Aucunautrechagrinneproduitchezmoilamillièmepartiedeceteffet.

Auprèsdel’Empereur,j’étaisattentif,zélé,nepensantnullementàmacravate,àlagrandedifférence des autres. (Exemple: un soir, à 7 heures, à…[15], en Lusace, campagne de1813,lelendemaindelamortduducdeFrioul.)

Jenesuisnitimide,nimélancoliqueenécrivantetm’exposantaurisqued’êtresifflé;jemesenspleindecourageetdefiertéquandj’écrisunephrasequiseraitrepousséeparl’undecesdeuxgéants(de1835):MM.deChateaubriandouVillemain.

Sanscloute, en1880, ilyauraquelquecharlatanadroit,mesuré,à lamode,commecesMessieursaujourd’hui.Maission litcecionmecroiraenvieux,cecimedésole;ceplatvicebourgeoisest,cemesemble,leplusétrangeràmoncaractère.

Réellement,jenesuisquemortellementjalouxdesgensquifontlacouràunefemmequej’aime;bienplus,jelesuismêmedeceuxquiluiontfaitlacour,dixansavantmoi.(Parexemple,lepremieramantdeBabet,àVienne,en1809.

«Tulerecevaisdanstachambre!

—Toutétaitchambrepournous,nousétionsseulsdanslechâteau,etilavaitlesclefs.»

Jesensencorelemalquemefirentcesparoles,c’étaitpourtanten1809,ilyavingt-septans;jevoiscettenaïvetéparfaitedelajolieBabet;ellemeregardait.)

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Je trouve[16] sans doute beaucoup de plaisir à écrire depuis une heure, et à chercher àpeindrebien juste mes sensations du temps deMelle Kably[17], mais qui diable aura lecouragedelirecetamasexcessifdejeetdemoi?Celameparaîtpuantàmoi-même.C’estlàledéfautdecegenred’écritet,d’ailleurs,jenepuisreleverlafadeurparaucunesaucede charlatanisme.Oserais-je ajouter: comme les confessions deRousseau? Non,malgrél’énormeabsurditédel’objection,l’onvaencoremecroireenvieuxouplutôtcherchantàétablir une comparaison. effroyable par l’absurde, avec le chef-d’œuvre de ce grandécrivain.

Je proteste de nouveau et une fois pour toutes que je méprise souverainement etsincèrementM.Pariset,M. deSalvandy,M.Saint-MarcGirardin et les autres hâbleurs,pédantsgagéset jésuites[18]du JournaldesDébats,maispourcela jenem’encroispasplus près des grands écrivains. Je neme crois d’autre garant demérite que de peindreressemblantelanature,quim’apparaîtsiclairementendecertainsmoments.

Secondement, je suis sûr de ma parfaite bonne foi, de mon adoration pour le vrai:troisièmement,etduplaisirquej’aiàécrire,plaisirquiallait jusqu’à lafolieen1817,àMilan,chezM.Peroult,corsiadelGiardino[19].

[p.272][p.273]

[1]LechapitreXXVestlechapitreXXIdumanuscrit(fol.356à370;lebasdufol.370etlefol.371,d’abordécritsparStendhal,ontétébarrésaveccettemention:«Longueur»).—ÉcritàRome,les2et3janvier1836.

[2]MademoiselleGagnonn’avaitaucungoût…—Variante:«Pasdegoût.»

[3]…cefutl’époque…—MotoubliéinconsciemmentparStendhal,enpassantd’unfeuilletàunautre.

[4]…quemonpèreetSéraphiemefaisaientlire.—Style.Pasdestylesoutenu.(NotedeStendhal.)

[5] … un sentiment de haine et d’horreur …—Stendhal orthographie: «Orreur.» Et il ajoute en note: «Voilàl’orthographedelapassion:orreur».

[6]…elledureencoreàcinquante-deuxans…—Ms.:«26X2.»

[7]…hiersoir,Rome,Valle.—AuthéâtredellaValle,àRome.(NoteaucrayondeR.Colomb.)

[8]…chezmadame…—Nomenblanc.

[9]Quelleparenthèse,grandDieu!—Onlitentêtedufol.363:«1836,corrigé4janvier1836,auprèsdemonfeu,mebrûlantlesjambesetmourantdefroidaudos.»

[10]…lamoitiédecemanuscrit.—Stendhalaécritàcesujet,auversodufol.362,lanotesuivante:«Nonlaissercelatelquel.Dorer l’histoireKably,peut-êtreennuyeusepour lesPasquierde51ans.Cesgens sontcependant l’élitedeslecteurs.»

[11]…(maisjevoisdeRome,àcinquante-deuxans)…—Ms.:«26X2.»

[12]…parquelquedicton…—Variante:«Lieucommun.»

[13]Jefaillismetrouvermal…—Variante:«Tomber.»

[14]…elleétait,jecroie,enK’—Suitunplandelascène.Enoutre,auversodufol.366,planduJardin-de-Villeetdesesabords.Stendhalsetrouvaitsurlaterrasse.Ilnoteàcesujet:«J’ailaisséàGrenobleunpetittableauàl’huiledeM.Le Roy, qui rend fort bien cette promenade-ci.» Mlle Kably se trouvait dans l’allée qui longeait la rue du Quai(aujourd’huirueHector-Berlioz).Acetteépoque,unmurséparaitlejardindelarue:«Muren1794,bêtementremplacéparunebellegrillevers1814.»

—CemurestappeléparStendhal«murdel’Intendance»,parcequelerez-de-chausséedel’Hôtel-de-Villefutoccupé,jusqu’àlaRévolution,parlesbureauxdel’intendantdelaprovince.]

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[15]…unsoir,à7heures,à…enLusace…—Lenomestenblanc.

[16]Jetrouve…—Variante:«J’ai.»

[17]…messensationsdutempsdeMlleKably…—Variante:«Messensationsd’alors.»

[18]…pédantsgagésetjésuites…—Ms.:«Tejê.»

[19]…chezM.Peroult,corsiadelGiardino.-Peut-êtretout lefeuillet370est-ilmalplacé,mais lafadeurdel’amourKablydoitêtrerelevéeparunepenséeplussubstantielle.(NotedeStendhal.)

CHAPITREXXVI[1]

Mais revenons à Mlle Kably. Que j’étais loin de l’envie, et de songer à craindrel’imputationd’envie,etdesongerauxautresdequelquefaçonquecefûtdanscetemps-là!Laviecommençaitpourmoi.

Iln’yavaitqu’unêtreaumonde:MlleKably;qu’unévénement:devait-ellejouercesoir-là,oulelendemain?

Queldésappointementquandellenejouaitpas,etqu’ondonnaitquelquetragédie!

Queltransportdejoiepure,tendre,triomphante,quandjelisaissonnomsurl’affiche!Jelavoisencore,cetteaffiche,saforme,sonpapier,sescaractères.

J’allais successivement lire ce nom chéri à trois ou quatre des endroits auxquels onaffichait:àlaportedesJacobins[2],àlavoûteduJardin[3],àl’angle[4]delamaisondemongrand-père. Je ne lisais pas seulement son nom, jeme donnais le plaisir de relire toutel’affiche. Les caractères un peu usés dumauvais imprimeur qui fabriquait cette affichedevinrentchersetsacréspourmoi,et,durantdelonguesannées,jelesaiaimés,mieuxquedeplusbeaux[5].

Même,jemerappellececi:enarrivantàParis,ennovembre1799,labeautédescaractèresmechoqua;cen’étaientplusceuxquiavaientimprimélenomdeKably[6].

Ellepartit, jenepuisdirel’époque.Pendantlongtempsjenepusplusallerauspectacle.J’obtinsd’apprendre lamusique, cene fut pas sanspeine: la religiondemonpère étaitchoquéed’unartsiprofane,etmongrand-pèren’avaitpaslepluspetitgoûtpourcetart.

Je pris un maître de violon, nommé Mention, l’homme le plus plaisant: c’était làl’anciennegaietéfrançaisemêléedebravoureetd’amour.Ilétaitfortpauvre,maisilavaitlecœurd’artiste;unjourquejejouaisplusmalqu’àl’ordinaire,ilfermalecahier,disant:«Jenedonneplusleçon.»

J’allaichezunmaîtredeclarinette,nomméHoffmann(ruedeBonne),bonallemand; jejouais un peumoinsmal. Je ne sais comment je quittai cemaître pour passer chezM.Holleville, rue Saint-Louis, vis-à-vis Mme Barthélemy, notre cordonnière. Violon fortpassable,ilétaitsourd,maisdistinguaitlamoindrefaussenote.JemerencontraislàavecM.FélixFaure(aujourd’huipairdeFrance,PremierPrésident,jugeurd’août1835).JenesaiscommentjequittaiHolleville.

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Enfin, j’allaiprendre leçondemusiquevocale, à l’insudemesparents, à sixheuresdumatin,placeSaint-Louis,chezunfortbonchanteur.

Maisrienn’yfaisait:j’avaishorreurtoutlepremierdessonsquejeproduisais.J’achetaisdesairsitaliens,un,entreautres,oùjelisaisAmore,oujenesaisquoi,nellocimento: jecomprenais:dans le ciment, dans le mortier. J’adorais ces airs italiens auxquels je necomprenais rien. J’avais commencé trop tard. Si quelque chose eût été capable de medégoûterdelamusique,c’eûtétélessonsexécrablesqu’ilfautproduirepourl’apprendre.Le seul piano eût pu me faire tourner la difficulté, mais j’étais né dans une familleessentiellementinharmonique.

Quand, dans la suite, j’ai écrit sur la musique, mes amis m’ont fait une objectionprincipale de cette ignorance. Mais je dois dire sans affectation aucune qu’au mêmemomentjesentaisdanslemorceauqu’onexécutaitdesnuancesqu’ilsn’apercevaientpas.Ilenestdemêmepourlesnuancesdesphysionomiesdanslescopiesdumêmetableau.Jevoisceschosesaussiclairementqu’àtraversuncristal.Mais,grandDieu!onvamecroireunsot!

Quandjerevinsàlavieaprèsquelquesmoisdel’absencedeMlleKably,jemetrouvaiunautrehomme.[7]

JenehaïssaisplusSéraphie,jel’oubliais;quantàmonpère,jenedésiraisqu’unechose:nepasmetrouverauprèsdelui.J’observai,avecremords,quejen’avaispaspourluiunegouttedetendressenid’affection.

Jesuisdoncunmonstre,medisais-je.Etpendantdelonguesannéesjen’aipastrouvéderéponse à cette objection. On parlait sans cesse et à la nausée de tendresse dans mafamille.Cesbravesgensappelaient tendresse lavexationcontinuedont ilsm’honoraientdepuis cinq ou six ans. Je commençai à entrevoir qu’ils s’ennuyaient mortellement etqu’ayanttropdevanitépourreprendreaveclemonde,qu’ilsavaientimprudemmentquittéàl’époqued’unepertecruelle,j’étaisleur[8]ressourcecontrel’ennui.

Maisriennepouvaitplusm’émouvoiraprèscequejevenaisdesentir.J’étudiaifermelelatinetledessin,etj’eusunpremierprix,jenesaisdanslequeldecesdeuxcours,etunsecond.JetraduisisavecplaisirlaVied’AgricoladeTacite,cefutpresquelapremièrefoisquelelatinmecausaquelqueplaisir.CeplaisirétaitgâtéamèrementparlestalochesquemedonnaitlegrandOdru,grosetignarepaysandeLumbin,quiétudiaitavecnousetnecomprenaitrienàrien.JemebattaisfermeavecGiroud,quiavaitunhabitrouge.J’étaisencoreunenfantpourunegrandemoitiédemonexistence.

Et toutefois, la tempête morale à laquelle j’avais été en proie durant plusieurs moism’avaitmûri,jecommençaiàmediresérieusement:

«Ilfautprendreunpartietmetirerdecebourbier.»

Je n’avais qu’un moyen au monde: les mathématiques. Mais on me les expliquait sibêtementquejenefaisaisaucunprogrès;ilestvraiquemescamaradesenfaisaientencoremoins,s’ilestpossible.CegrandM.Dupuynousexpliquaitlespropositionscommeunesuitederecettespourfaireduvinaigre[8].

Cependant,BezoutétaitmaseuleressourcepoursortirdeGrenoble.MaisBezoutétaitsi

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bête!C’étaitunetêtecommecelledeM.Dupuy,notreemphatiqueprofesseur.

Mongrand-pèreconnaissaitunbourgeoisà têteétroite,nomméChabert, lequelmontraitlesmathématiquesenchambre.Voilà lemotdupaysetquivaparfaitementà l’homme.J’obtins avec assez de peine d’aller dans cette chambre de M. Chabert; on avait peurd’offenserM.Dupuy,etd’ailleursilfallaitpayerdouzefrancsparmois,cemesemble.

Je répondis que la plupart des élèves du cours de mathématiques, à l’École centrale,allaientchezM.Chabert,etquesijen’yallaispasjeresteraisledernieràl’Écolecentrale.J’allaidoncchezM.Chabert.M.Chabertétaitunbourgeoisassezbienmis,maisquiavaittoujours l’air endimanché et dans les transes de gâter son habit et son gilet et sa jolieculottedeCasimirmerded’oie;ilavaitaussiuneassezjoliefigurebourgeoise.IllogeaitrueNeuve[9],près larueSaint-JacquesetpresqueenfacedeBourbon,marchanddefer,dont lenommefrappait,carcen’étaitqu’avec lessignesduplusprofondrespectetduplusvéritabledévouementquemesbourgeoisdeparentsprononçaientcenom.OneûtditquelaviedelaFranceyeûtétéattachée.

Mais je retrouvai chez M. Chabert ce manque de faveur qui m’assommait à l’Écolecentraleetnemefaisaitjamaisappelerautableau.Dansunepetitepièceetaumilieudeseptàhuitélèvesréunisautourd’untableaudetoilecirée,rienn’étaitplusdisgracieuxquede demander à monter au tableau, c’est-à-dire à aller expliquer pour la cinquième ousixième fois une proposition que quatre ou cinq élèves avaient déjà expliquée. C’estcependantcequej’étaisobligédefairequelquefoischezM.Chabert,sansquoijen’eussejamais démontré. M. Chabert me croyait un minus habens et est resté dans cetteabominableopinion.Rienn’étaitdrôle,danslasuite,commedel’entendreparlerdemessuccèsenmathématiques.

Mais dans ces commencements ce fut un étrangemanque de soin et, pourmieux dire,d’esprit,delapartdemesparents,denepasdemandersij’étaisenétatdedémontrer,etcombien de fois par semaine je montais au tableau; ils ne descendaient pas dans cesdétails.M.Chabert,qui faisaitprofessiond’ungrandrespectpourM.Dupuy,n’appelaitguèreautableauqueceuxquiyparvenaient[10]àl’Écolecentrale.IlyavaituncertainM.de Renneville, que M. Dupuy appelait au tableau comme noble et comme cousin desMonval;c’étaitunesorted’imbécilepresquemuetetlesyeuxtrèsouverts;j’étaischoquéàdéborderquandjevoyaisM.DupuyetM.Chabertlepréféreràmoi.

J’excuse M. Chabert, je devais être le petit garçon le plus présomptueux et le plusméprisant.Mongrand-pèreetmafamillemeproclamaientunemerveille:n’yavait-ilpascinqansqu’ilsmedonnaienttousleurssoins?

M.Chabertétait,danslefait,moinsignarequeM.Dupuy.JetrouvaichezluiEuleretsesproblèmessurlenombred’œufsqu’unepaysanneapportaitaumarché,lorsqu’unméchantluienvoleuncinquième,puisellelaissetoutelamoitiédureste,etc.,etc.

Cela m’ouvrit l’esprit, j’entrevis ce que c’était que se servir de l’instrument nomméalgèbre. Du diable si personne me l’avait jamais dit, sans cesseM. Dupuy faisait desphrasesemphatiquessurcesujet,maisjamaiscemotsimple:c’estunedivisiondutravailqui produit des prodiges, comme toutes les divisions du travail, et permet à l’esprit deréunirtoutessesforcessurunseulcôtédesobjets,suruneseuledeleursqualités.

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QuelledifférencepournoussiM.Dupuynouseûtdit:Cefromageestmou,ouilestdur;ilestblanc,ilestbleu;ilestvieux,ilestjeune;ilestàmoi,ilestàtoi;ilestléger,ouilestlourd.Detantdequalitésneconsidéronsabsolumentquelepoids.Quelquesoitcepoids,appelons-leA.Maintenant,sanspluspenserabsolumentaufromage,appliquonsàAtoutcequenoussavonsdesquantités.

Cettechosesisimple,personnenenousladisaitdanscetteprovincereculée;depuiscetteépoque,l’ÉcolepolytechniqueetlesidéesdeLagrangeaurontreflétéverslaprovince.

Le chef-d’œuvrede l’éducationde ce temps-là était unpetit coquinvêtudevert, doux,hypocrite,gentil,quin’avaitpastroispiedsdehautetapprenaitparcœurlespropositionsquel’ondémontrait,maissanss’inquiéters’il lescomprenait lemoinsdumonde[11].CefavorideM.ChabertnonmoinsquedeM.Dupuys’appelait, si jeneme trompe,Paul-ÉmileTeisseire.L’examinateurpourl’Écolepolytechnique,frèredugrandgéomètre,quiaécritcettefameusesottise(aucommencementdelaStatique),nes’aperçutpasquetoutleméritedePaul-Émileétaitunemémoireétonnante.

Il arriva à l’École; son hypocrisie complète, sa mémoire et sa jolie figure de fille n’yeurentpaslemêmesuccèsqu’àGrenoble;ilensortitbienofficier,maisbientôtfuttouchéde la grâce et se fit prêtre.Malheureusement, ilmourut de la poitrine: j’aurais suivi del’œilsafortuneavecplaisir.J’avaisquittéGrenobleavecuneenviedémesuréedepouvoirunjour,àmonaise,luidonneruneénormevoléedecalottes.

Ilmesemblequejeluiavaisdéjàdonnéunà-comptechezM.Chabert,oùilmeprimaitavecraisonparsamémoireimperturbable.

Pourlui,ilnesefâchaitjamaisderienetpassaitavecunsang-froidparfaitsouslesvoléesde:petithypocrite,quiluiarrivaientdetoutesparts,etquiredoublèrentunjourquenouslevîmescouronnéderosesetfaisantlerôled’angedansuneprocession.

C’estàpeuprèsleseulcaractèrequej’aieremarquéàl’Écolecentrale.IlfaisaitunbeaucontrasteaveclesombreBenoît,quejerencontraiaucoursdebelles-lettresdeM.Dubois-Fontanelle et qui faisait consister la sublime science dans l’amour socratique, que ledocteurClapier,lefou,luiavaitenseigné.

Ilyapeut-êtredixansquejen’aipenséàM.Chabert;peuàpeujemerappellequ’ilétaiteffectivementbeaucoupmoinsbornéqueM.Dupuy,quoiqu’ileûtunparlerplustraînardencoreetuneapparencebienpluspiètreetbourgeoise.

IlestimaitClairautetc’étaitunechose immensequedenousmettreencontactaveccethommedegénie,etnoussortionsunpeuduplatBezout.IlavaitBruce,l’abbéMarie,etde temps à autre nous faisait étudier un théorème dans ces auteurs. Il avait même enmanuscrit quelques petites choses de Lagrange, de ces choses bonnes pour notre petiteportée.

Ilmesemblequenoustravaillionsavecuneplumesuruncahierdepapieretàuntableaudetoilecirée[12].

Madisgrâces’étendaità tout,peut-êtrevenait-elledequelquegaucheriedemesparents,qui avaientoubliéd’envoyerundindon, àNoël, àM.Chabertouà ses sœurs, car il enavait et de fort jolies, et sansma timidité je leur eusse bien fait la cour. Elles avaient

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beaucoup de considération pour le petit-fils de M. Gagnon, et d’ailleurs venaient à lamesseàlamaison,ledimanche.

Nousallionsleverdesplansaugraphomètreetàlaplanchette;unjournouslevâmesunchampàcôtéduchemindesBoiteuses[13].Ils’agitduchampBCDE.M.Chabertfittirerles lignes à tous les autres sur la planchette, enfin mon tour vint, mais le dernier oul’avant-dernier,avantunenfant.J’étaishumiliéetfâché;j’appuyaitroplaplume.

«Mais c’était une ligne que je vous avais dit de tirer, ditM. Chabert avec son accenttraînard,etc’estunebarrequevousavezfaitelà.»

Ilavaitraison.JepensequecetétatdedéfaveurmarquéechezMM.DupuyetChabert,etd’indifférencemarquée chezM. Jay, à l’école de dessin,m’empêcha d’être un sot. J’yavaisdemerveilleusesdispositions,mesparents,dont lamorositébigotedéclamait sanscesse contre l’éducationpublique, s’étaient convaincus sansbeaucoupdepeinequ’aveccinq ans de soins, hélas! trop assidus, ils avaient produit un chef-d’œuvre, et ce chef-d’œuvre,c’étaitmoi.

Unjour,jemedisais,mais,àlavérité,c’étaitavantl’Écolecentrale:Neserais-jepointlefilsd’ungrandprince, et toutceque j’entendsdirede laRévolution,et lepeuque j’envois,unefabledestinéeàfairemonéducation,commedansÉmile?

Carmongrand-père,hommed’aimableconversation,endépitdesesrésolutionspieuses,avaitnomméÉmiledevantmoi,parlédelaProfession[14]defoiduvicairesavoyard,etc.,etc.J’avaisvolécelivreàClaix,maisjen’yavaisriencompris,pasmêmelesabsurditésdelapremièrepage,etaprèsunquartd’heurel’avaislaissé.Ilfautrendrejusticeaugoûtdemonpère, ilétaitenthousiastedeRousseauet ilenparlaitquelquefois,pour laquellechoseetpoursonimprudencedevantunenfantilétaitbiengrondédematanteSéraphie.

[p.284][p.285]

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[1]LechapitreXXVIestlechapitreXXIIdumanuscrit(fol.372à386).—ÉcritaRome,les3,4et6janvier1836.—Enfacedufeuilletcommençantlechapitre,onlit:«Treizepagesenuneheureetdemie.Froiddudiable.3janvier1836.»

[2]…àlaportedesJacobins…—LaportedesJacobinsétaitsituéeplaceGrenette,àremplacementdel’actuelleruedelaRépublique.

[3]…àlavoûteduJardin…—LeJardin-de-Ville.

[4]…à l’angle de la maison…—Stendhal orthographie: «Engle.» Et il ajoute: «Engle, orthographe de la passion,peinturedessons,etrienautre.»

—Auversodufol.372estunplandelaplaceGrenetteetdesesenvirons,aveclesemplacementsoùétaientcolléeslesaffichesthéâtrales.]

[5]…mieuxquedeplusbeaux.—-Onlitenhautdufol.373:«4janvier1836.Atroisheures,idéedegoutteàlamaindroite,dessus,douleurdansunmuscledel’épauledroite.»AussiStendhaln’a-t-ilécritcejour-làqu’unepageetuntiersenviron.

[6]…lenomdeKably.—Lesdeuxtiersdufol.373ontétélaissésenblanc.

[7]…j’étaisleurressource…—Unblancd’untiersdeligne.

[8]…recettespourfaireduvinaigre.—Lefol.379,quisetermineici,estauxtrois-quartsblanc.Onlitentêtedufol.380,quisuit:«6janvier1836.LesRois.Lefroidestrevenuetmedonnesurlesnerfs.Enviededormir.»

[9]IllogeaitrueNeuve…—Aujourd’huirueduLycée.UnplanducarrefourdesruesNeuve,Saint-JacquesetdeBonneestdessinéauversodufol.380.Onyvoitl’appartementdeM.Chabert,figuréautroisièmeétagedel’immeubleportantactuellementlen°15delarueduLycée.Al’angledelaruedeBonneetdelaplaceGrenette,«icifutdixansplustardlamaisonbâtiesurmesplansetquiaruinémonpère».

[10]…ceuxquiyparvenaient…—Variante:«Montaient.»

[11]…s’illescomprenaitlemoinsdumonde.—Lapremièremoitiédufol.383aétélaisséeenblanc.

[12]…suruncahierdepapieretàuntableaudetoilecirée.—Suitunplandelasalled’études.

[13]…un jour noue levâmes un champ à côté du chemin des Boiteuses.—Suit un plan explicatif.—Le chemin desBoiteusesallaitdepuislaportedeBonnejusqu’aucoursdeSaint-André.Ilestremplacéaujourd’huiparlesruesLakanaletdeTurenne.Stendhalyfigure,nonloindelaportedeBonne,en«T,maisondecefoudeCamilleTeisseire,jacobinqui,en1811,veutbrûlerRousseauetVoltaire»;plusloin,en«A,hôteldelaBonneFemme;elleestreprésentéesanstête,celamefrappaitbeaucoup».Cetétablissement,ditdelaFemmesansTête,asubsistelongtempsrueLakanal;iladisparuilyaunehuitained’années,en1905.

[14]…parlédelaProfessiondefoiduvicairesavoyard…—Ms.:«Confession.»

CHAPITREXXVII[1]

J’avais, et j’ai encore, les goûts les plus aristocrates; je ferais tout pour le bonheur dupeuple,maisj’aimeraismieux,jecrois,passerquinzejoursdechaquemoisenprisonquedevivreavecleshabitantsdesboutiques.

Vers ce temps-là, jeme liai, je ne sais comment, avec FrançoisBigillion[2] (qui depuiss’esttué,jecrois,parennuidesafemme).

C’étaitunhommesimple,naturel,debonnefoi,quinecherchait jamaisàfaireentendreparune réponseambitieusequ’il connaissait lemonde, les femmes,etc.C’était lànotregrande ambition et notre principale fatuité au collège. Chacun de ces marmots voulaitpersuaderàl’autrequ’ilavaiteudesfemmesetconnaissaitlemonde;riendepareilchezlebonBigillion.Nousfaisionsdelonguespromenadesensemble,surtoutvers la tourdeRabotetlaBastille.Lavuemagnifiquedontonjouitdelà,surtoutversEybens,derrière

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lequel apparaissent lesplushautesAlpes, élevait notre âme.Rabot et laBastille sont lepremier une vieille tour, la seconde une maisonnette, situées à deux hauteurs biendifférentes[3], sur lamontagne qui enferme l’enceinte de la ville, fort ridicule en 1795,maisquel’onrendbonneen1836[4].

Dans ces promenades nous nous faisions part, avec toute franchise, de ce qui noussemblaitdecetteforetterrible,sombreetdélicieuse,danslaquellenousétionssurlepointd’entrer.Onvoitqu’ils’agitdelasociétéetdumonde.

Bigillionavaitdegrandsavantagessurmoi:

1°Ilavaitvéculibredepuissonenfance,filsd’unpèrequinel’aimaitpointtrop,etsavaits’amuserautrementqu’enfaisantdesonfilssapoupée.

2°Cepère,bourgeoisdecampagnefortaisé,habitaitSaint-Ismier,villagesituéàuneportedeGrenoble,versl’Est,dansunepositionfortagréabledanslavalléedel’Isère.Ceboncampagnard,amateurduvin,delabonnechèreetdesFauchonspaysannes,avaitlouéunpetitappartementàGrenoblepoursesdeuxfilsquiy faisaient leuréducation.L’aînésenommaitBigillion,suivant l’usagedenotreprovince, lecadetRémy,humoriste,hommesingulier, vrai Dauphinois, mais généreux, un peu jaloux, même alors, de l’amitié queBigillionetmoiavionsl’unpourl’autre.

Fondéesur laplusparfaitebonne foi,cetteamitié fut intimeauboutdequinze jours. Ilavaitpouroncleunmoinesavantet,cemesemble,trèspeumoine,lebonPèreMorlon,bénédictinpeut-être,qui,dansmonenfance,avaitbienvoulu,paramitiépourmongrand-père,meconfesseruneoudeuxfois.J’avaisétébiensurprisdesontondedouceuretdepolitesse,biendifférentdel’âprepédantismedescuistresmorfondus,auxquelsmonpèremelivraitleplussouvent,telsqueM.l’abbéRambault.

CebonPèreMorlonaeuunegrandeinfluencesurmonesprit;ilavaitShakespearetraduitpar Letourneur, et son neveu Bigillion emprunta pour moi, successivement, tous lesvolumesdecetouvrageconsidérable[5]pourunenfant,dix-huitouvingtvolumes.

Jecrusrenaîtreenlelisant.D’abord,ilavaitl’immenseavantageden’avoirpasétélouéetprêchéparmesparents,commeRacine. Il suffisaitqu’ils louassentunechosedeplaisirpourmelafaireprendreenhorreur.

Pourque riennemanquâtaupouvoirdeShakespearesurmoncœur, jecroismêmequemonpèrem’enditdumal.

Jememéfiaisdemafamillesurtouteschoses[6];maisenfaitdebeaux-artsseslouangessuffisaientpourmedonnerundégoûtmortelpourlesplusbelleschoses.Moncœur,bienplus avancé que l’esprit [7], sentait vivement qu’elle les louait comme les kings louentaujourd’huilareligion[8],c’est-à-direavecuneseconde foi. Jesentaisbienconfusément,mais bien vivement et avec un feu que je n’ai plus, que tout beau moral, c’est-à-dired’intérêtdansl’artiste,tuetoutouvraged’art.J’ailucontinuellementShakespearede1796à 1799. Racine, sans cesse loué parmes parents,me faisait l’effet d’un plat hypocrite.Mon grand-pèrem’avait conté l’anecdote de samort pour n’avoir plus été regardé parLouisXIV.D’ailleurs, les versm’ennuyaient comme allongeant la phrase et lui faisantperdredesanetteté.J’abhorraiscoursieraulieudecheval.J’appelaisceladel’hypocrisie.

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Comment,vivantsolitairedansleseind’unefamilleparlantfortbien,aurais-jepusentirlelangageplusoumoinsnoble?Oùaurais-jeprislelangagenonélégant?

Corneille me déplaisait moins. Les auteurs qui me plaisaient alors à la folie furentCervantès, Don Quichotte, et l’Arioste (tous les trois traduits), dans des traductions.ImmédiatementaprèsvenaitRousseau,quiavaitledoubledéfaut(drawback)delouerlesprêtres et d’être loué parmon père. Je lisais avec délices lesContes deLa Fontaine etFélicia.Maiscen’étaientpasdesplaisirslittéraires.Cesontdeceslivresqu’onnelitqued’unemain,commedisaitMme***[9].

Quand,en1824,aumomentdetomberamoureuxdeClémentine,jem’efforçaisdenepaslaisserabsorbermonâmeparlacontemplationdesesgrâces(jemesouviensd’ungrandcombat, un soir, au concert deM. duBignon, où j’étais à côté du célèbre généralFoy;Clémentine, ultra, n’allait pas dans cette maison), quand, dis-je, j’écrivis Racine etShakespeare, on m’accusa de jouer la comédie et de renier mes premières sensationsd’enfance,onvoitcombienétaitvrai,cequejemegardaidedire(commeincroyable),quemonpremieramouravaitétépourShakespeare,etentreautrespourHamletetRoméoetJuliette.

Les Bigillion habitaient rue Chenoise (je ne suis pas sûr du nom [10]), cette rue quidébouchait entre la voûte de Notre-Dame et une petite rivière sur laquelle était bâti lecouvent desAugustins.Là était un fameuxbouquiniste que je visitais souvent.Au-delàétaitl’oratoireoùmonpèreavaitétéenprison[11]quelquesjoursavecM.Colomb[12],pèredeRomainColomb,leplusanciendemesamis(en1836)[13].

Dans cet appartement, situé au troisième étage, vivait avec lesBigillion leur sœur,Mlle

Victorine Bigillion, fort simple, fort jolie, mais nullement d’une beauté grecque; aucontraire,c’étaitunefigureprofondémentallobroge[14]. Ilmesemblequ’onappellecelaaujourd’huilaraceGalle.(VoirleDrEdwardsetM.AntoinedeJussieu;c’estdumoinscedernierquim’afaitcroireàcetteclassification.)

MademoiselleVictorine avait de l’esprit et réfléchissait beaucoup; elle était la fraîcheurmême. Sa figure était parfaitement d’accord avec les fenêtres à croisillons del’appartement qu’elle occupait avec ses deux frères, sombre quoique au midi et autroisièmeétage;maislamaisonvis-à-visétaiténorme.Cetaccordparfaitmefrappait,ouplutôtj’ensentaisl’effet,maisjen’ycomprenaisrien.

Là,souventj’assistaisausouperdesdeuxfrèresetdelasœur.Uneservantedeleurpays,simple comme eux, le leur préparait, ils mangeaient du pain bis, ce qui me semblaitincompréhensible,àmoiquin’avaisjamaismangéquedupainblanc.

Làétait toutmonavantageà leurégard;à leursyeux, j’étaisd’uneclassesupérieure: lepetit-fils[15] de M. Gagnon, membre du jury de l’École centrale, était noble et eux,

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bourgeoistendantaupaysan.Cen’estpasqu’ilyeutchezeuxregretnisotteadmiration;parexemple,ilsaimaientmieuxlepainbisquelepainblanc,etilnedépendaitqued’euxdefairebluterleurfarinepouravoirdupainblanc[16].

Nousvivionslàentouteinnocence,autourdecettetabledenoyercouverted’unenappedetoileécrue,Bigillion,lefrèreaîné,14ou15ans,Rémy12,MlleVictorine13,moi13,laservante17.

Nousformionsunesociétébienjeune[17],commeonvoit,etaucungrandparentpournousgêner.QuandM.Bigillion,lepère,venaitàlavillepourunjouroudeux,nousn’osionspasdésirersonabsence,maisilnousgênait.

Peut-êtrebienavions-noustousunandeplus,maisc’esttoutauplus,mesdeuxdernièresannées1799et1798furententièrementabsorbéesparlesmathématiquesetParisaubout;c’étaitdonc1797ouplutôt1796,oren1796j’avaistreizeans[18].

Nous vivions alors comme de jeunes lapins jouant dans un bois tout en broutant leserpolet.MlleVictorineétaitlaménagère;elleavaitdesgrappesderaisinséchédansunefeuilledevigneserréeparunfil,qu’ellemedonnaitetquej’aimaispresqueautantquesacharmantefigure.Quelquefois, je luidemandaisunesecondegrappe,etsouventellemerefusait,disant:«Nousn’enavonsplusquehuit,etilfautfinirlasemaine.»

Chaquesemaine,uneoudeuxfois,lesprovisionsvenaientdeSaint-Ismier.C’estl’usageàGrenoble.Lapassiondechaquebourgeoisest sondomaine, et il préfèreune saladequivient de son domaine à Montbonnot, Saint-Ismier, Corenc, Voreppe, Saint-Vincent ouClaix, Echirolles, Eybens,Domène, etc., et qui lui revient[19] à quatre sous, à lamêmesaladeachetéedeuxsousàlaplaceauxHerbes.Cebourgeoisavait10.000francsplacésau 5%chez les Périer (père et cousin deCasimir,ministre en 1832), il les place en undomainequiluirendle2oule21/2,etilestravi.Jepensequ’ilestpayéenvanitéetparle plaisir de dire d’un air important: Il faut que j’aille àMontbonnot, ou: Je viens deMontbonnot.

Jen’avaispasd’amourpourVictorine,moncœurétaitencore toutmeurtridudépartdeMlleKablyetmonamitiépourBigillionétaitsiintimequ’ilmesembleque,d’unefaçonabrégée,depeurdurire,j’avaisoséluiconfiermafolie.

Il ne s’en était point effarouché, c’était l’être le meilleur et le plus simple, qualitésprécieusesquiallaient[20]réuniesaveclebonsensleplusfin,bonsenscaractéristiquedecettefamilleetquiétaitfortifiéchezluiparlaconversationdeRémy,sonfrèreetsonamiintime,peusensible,maisd’unbonsensbienautrementinexorable.Rémypassaitsouventdesaprès-midientièressansdesserrerlesdents.

Danscetroisièmeétagepassèrentlesmomentslesplusheureuxdemavie.Peuaprès,lesBigillionquittèrentcettemaisonpourallerhabiteràlaMontéeduPont-de-Bois;ouplutôtc’est tout le contraire, duPont-de-Bois ils vinrent dans la rueChenoise, ceme semble,certainement celle à laquelle aboutit la rueduPont-Saint-Jaime. Je suis sûrde ces troisfenêtresàcroisillons,enB[21],etdeleurpositionàl’égarddelarueduPont-Saint-Jaime.Plusque jamais je faisdesdécouvertesenécrivantceci (àRome,en janvier1836). J’aioubliéauxtrois-quartsceschoses,auxquellesjen’aipaspensésixfoisparandepuisvingt

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ans.

J’étaisforttimideenversVictorine,dontj’admiraislagorgenaissante,maisjeluifaisaisconfidencedetout,parexemplelespersécutionsdeSéraphie,dontj’échappaisàpeine,etjemesouviensqu’ellerefusaitdemecroire,cequimefaisaitunepeinemortelle.Ellemefaisaitentendrequej’avaisunmauvaiscaractère.

[p.294][p.295]

[1]LechapitreXXVIIestlechapitreXXIIIdumanuscrit(fol.387à398).—ÉcritàRome,les6et10janvier1836.

[2]Verscetemps-là,jemeliai…avecFrançoisBigillion…—C’estparl’intermédiairedeRomainColomb,quis’étaitliéaveclesdeuxfrères,pourlesavoirrencontrésdanslamaisonFaure,lorsdeleurarrivéeàGrenoble.(NoteaucrayondeR.Colomb.)

[3]Rabotet laBastillesont…situesàdeshauteursbiendifférentes…—LefortRabotestà l’altitudede270mètresenviron,etlaplateformedelaBastilleà470mètres.

[4]…maisquel’onrendbonneen1836.—Onlitentêtedufol.389:«10janvier1836.Lemétierm’aoccupédepuishuitjours.Froiddudiable,6degréslelundi.»

[5]…cetouvrageconsidérable…—Variante:«Grand.»

[6]…surtouteschoses…—Variante:«Surtouslesobjets.»

[7]…bienplusavancéquel’esprit…—Variante:«Matête.»

[8]…louentaujourd’huilareligion…—Ms.:«Gionreli.»

[9]…commedisaitMme***.—Duclos.

[10]LesBigillionhabitaientrueChenoise(jenesuispassûrdunom)…—Ils’agit,eneffet,delarueChenoise.

[11]…l’oratoireoùmonpèreavaitétéenprison…—Erreur;sonpèreapusecacher,maisn’ajamaisétéenprison,surtout à l’Oratoire, où il n’y avait que des femmes et trois enfants: les deuxMonval etmoi. Le guichetier, dur etrenfrogné,s’appelaitPilon.(NoteaucrayondeR.Colomb.)

[12]…avecM.Colomb…—M.Colombpèrea fait toutesaprisonà laConciergerie,placeSaint-André; j’aicouchéquelquefoisaveclui,danscetteprison.(NoteaucrayondeR.Colomb.)

[13]…RomainColomb,leplusanciendemesamis.—Stendhalécritensuite:«Voicicetterue,dontlenomestàpeuprèseffacé,maisnonl’aspect.»Etildessineau-dessousunplandelapartiedelavilleoùsetrouvaitlarueChenoise.—-LamaisonoùlogeaientlesBigillionsetrouvaitentrelaMontéeduPontdeBois(aujourd’huiruedeLionne)etlarueduPont-Saint-Jaime.

[14] … c’était une figure profondément allobroge.—Elle était plutôt laide que jolie, mais piquante et bonne fille;Victorinejouaitavecnous,sanssedouterquenousappartenionsàdessexesdifférents.(NoteaucrayondeR.Colomb.)

[15]…lepetit-filsdeM.Gagnon…—Ms.:«Lefils.»

[16]…fairebluterleurfarinepouravoirdupainblanc.—Enface,auversodufol.393,estunplandesenvironsdelamaisonoùlogeaientlesBigillion,ainsiqu’uncroquisreprésentantlePont-de-Bois,situéauboutdelaMontéeduPont-de-Bois.Stendhalnoteàcesujet:«J’ailaisséàGrenobleunevuedupontdeBois,achetéeparmoiàlaveuvedeM.LeRoy.Elleestàl’huileetsbiadita,doucereuse,àlaDorat,àlaFlorian,maisenfinc’estressemblantquantauxlignes;lescouleursseulessontadouciesetflorianisées».

[17]Nousformionsunesociétébienjeune…—Variante:«C’étaitunménagebienjeune.»

[18]…en1796j’avaistreizeans.—Ms.:«10+3.»

[19]…quiluirevientàquatresous…—Variante:«Quiluicoûte.»

[20]…qualitésprécieusesquiallaient…—Unblancd’unedemi-ligne.

[21]Jesuissûrdecestroisfenêtresàcroisillons,enB…—Cetteréférenceserapporteauplancitéplushaut.

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CHAPITREXXVIII[1]

LesévèreRémyauraitvudefortmauvaisœilquejefisselacouràsasœur,Bigillionmelefitentendreetcefutleseulpointsurlequeliln’yeutpasfranchiseparfaiteentrenous.Souvent,verslatombéedelanuit,aprèslapromenade,commejefaisaisminedemonterchezVictorine,jerecevaisunadieuhâtifquimecontrariaitfort.J’avaisbesoind’amitiéetdeparleravecfranchise,lecœurulcérépartantdeméchancetés,dont,àtortouàraison,jecroyaisfermementavoirétél’objet.

J’avoueraipourtantquecetteconversation toutesimple, jepréféraisdebeaucoupl’avoiravec Victorine qu’avec ses frères. Je vois aujourd’hui mon sentiment d’alors, il mesemblaitincroyabledevoirdesiprèscetanimalterrible,unefemme,etencoreavecdescheveux superbes, un bras divinement fait quoique un peu maigre, et enfin une gorgecharmante, souvent unpeudécouverte à cause de l’extrême chaleur. Il est vrai qu’assiscontrelatabledenoyer,àdeuxpiedsdeMlleBigillion,l’angledelatableentrenous,jeneparlaisauxfrèresquepourêtrebiensage.Maispourcelajen’avaisaucuneenvied’êtreamoureux,j’étaisscolato(brûlé,échaudé),commeonditenitalien,jevenaisd’éprouverque l’amourétaitunechosesérieuseet terrible.Jenemedisaispas,mais jesentais fortbienqu’autotalmonamourpourMlleKablym’avaitprobablementcauséplusdepeinesquedeplaisirs.

Pendant ce sentiment pour Victorine, tellement innocent en paroles et même en idées,j’oubliaisdehaïretsurtoutdecroirequ’onmehaïssait.

Ilmesemblequ’aprèsuncertaintempslajalousiefraternelledeRémysecalma;oubienilallapasserquelquesmoisàSaint-Ismier.Ilvitpeut-êtrequeréellementjen’aimaispas,oueutquelqueaffaireà lui;nousétions tousdespolitiquesde treizeouquatorzeans.MaisdèscetâgeonesttrèsfinenDauphiné,nousn’avonsnil’insouciancenile…[2]dugamindeParis,etdebonneheurelespassionss’emparentdenous.Passionspourdesbagatelles,maisenfinlefaitestquenousdésironspassionnément.

Enfin,j’allaisbiencinqfoislasemaine,àpartirdelatombéedelanuitousing[3](clochedeneufheures,sonnéeàSaint-André),passerlasoiréechezMlleBigillion.

Sansparlernullementde l’amitiéqui régnaitentrenous, j’eus l’imprudencedenommercettefamille,unjour,ensoupantavecmesparents.Jefussévèrementpunidemalégèreté.Jevismépriser,aveclapantomimelaplusexpressive,lafamilleetlepèredeVictorine.

«N’ya-t-ilpasunefille?Ceseraquelquedemoiselledecampagne.»

Jenemerappellequefaiblement les termesd’affreuxmépriset laminedefroiddédainquilesaccompagnait.Jen’aimémoirequepourl’impressionbrûlantequefitsurmoicemépris.

Cedevait être absolument l’air demépris froid etmoqueurqueM. lebarondesAdretsemployaitsansdouteenparlantdemamèreoudematante.

Mafamille,malgrél’étatdemédecinetd’avocat,secroyaitêtresurleborddelanoblesse,les prétentions de mon père n’allaient même à rien moins que celles de gentilhommedéchu.Tout lemépris qu’on exprima, ce soir-là, pendant tout le souper, était fondé sur

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l’étatdebourgeoisdecampagnedeM.Bigillion,pèredemesamis,etsurcequesonfrèrecadet,hommetrèsfin,étaitdirecteurdelaprisondépartementale,placeSaint-André,unesortedegeôlierbourgeois.

Cette familleavait reçusaintBrunoà laGrande-Chartreuseen….[4].Rienn’étaitmieuxprouvé, cela était autrement respectable que la famille B[ey]le, juge du village deSassenagesouslesseigneursdumoyen-âge.MaislebonBigillionpère,hommedeplaisir,fortaisédanssonvillage,nedînaitpointchezM.deMarcieuouchezMmedeSassenageetsaluaitlepremiermongrand-pèreduplusloinqu’ill’apercevait,et,deplus,parlaitdeM.Gagnonaveclaplushauteconsidération.

Cettesortiedehauteuramusaitunefamillequi,parhabitude,mouraitd’ennui,etdanstoutlesouper j’avaisperdu l’appétitenentendant traiterainsimesamis.Onmedemandacequej’avais.Jerépondisquej’avaisgoûtéforttard.Lemensongeestlaseuleressourcedelafaiblesse.Jemouraisdecolèrecontremoi-même:quoi!j’avaisétéassezsotpourparleràmesparentsdecequim’intéressait?

Ceméprisme jetadansun troubleprofond; j’envois lepourquoiencemoment,c’étaitVictorine.Cen’étaitdoncpasaveccetanimalterrible,siredouté,maissiexclusivementadoré,unefemmecommeilfautet jolie,quej’avais lebonheurdefaire,chaquesoir, laconversationpresqueintime?

Auboutdequatreoucinqjoursdepeinecruelle,Victorinel’emporta,jeladéclaraiplusaimableetplusdumondequemafamilletriste,ratatinée (cefutmonmot),sauvage,nedonnant jamaisà souper,n’allant jamaisdansunsalonoù ilyeûtdixpersonnes, tandisqueMlleBigillionassistaitsouventchezM.Faure,àSaint-Ismier,etchezlesparentsdesamère,àChapareillan,àdesdînersdevingt-cinqpersonnes.Elleétaitmêmeplusnoble,àcausedelaréceptiondesaintBruno,en1080[5].

Biendesannéesaprès, j’aivulemécanismedecequisepassaalorsdansmoncœuret,fauted’unmeilleurmot, je l’aiappelécristallisation (motquia si fort choquécegrandlittérateur,ministredel’Intérieuren1833,M.lecomted’Argout,scèneplaisanteracontéeparClaraGazul[6]).

Cetteabsolutionduméprisdurabiencinqousixjours,pendantlesquelsjenesongeaisàautrechose.CetteinsultesiglorieusementmincemitunfaitnouveauentreMlleKablyetmon état actuel. Sans que mon innocence s’en doutât, c’était un grand point: entre lechagrinetnousilfautmettredesfaitsnouveaux,fût-cedesecasserlebras.

Jevenaisd’acheterunBezoutd’unebonneédition,etdelefairerelieravecsoin(peut-êtreexiste-t-ilencoreàGrenoble,chezM.AlexandreMallein,directeurdesContributions);j’ytraçaiunecouronnedefeuillage,etaumilieuunVmajuscule[7].Touslesjoursjeregardaiscemonument.

AprèslamortdeSéraphiej’auraispu,parbesoind’aimer,meréconcilieravecmafamille;cetraitdehauteurmitVictorine[8]entreeuxetmoi; j’auraispardonné l’imputationd’uncrime à la famille Bigillion, mais le mépris! Et mon grand-père était celui qui l’avaitexpriméavecleplusdegrâce,etparconséquentd’effet!

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Jemegardaibiendeparleràmesparentsd’autresamisque je fisàcetteépoque:MM.Galle,LaBayette…[9]

Galleétaitfilsd’uneveuvequil’aimaituniquementetlerespectait,parprobité,commelemaître de la fortune; le père devait être quelque vieil officier.Ce spectacle, si singulierpourmoi,m’attachaitetm’attendrissait.Ah!simapauvremèreeûtvécu,medisais-je.Si,du moins, j’avais eu des parents dans le genre de madame Galle, comme je les eusseaimés! Mme Galle me respectait beaucoup, comme le petit-fils de M. Gagnon, lebienfaiteur des pauvres, auxquels il donnait des soins gratuits, etmême deux livres debœufpourfairedubouillon.Monpèreétaitinconnu.

Galle était pâle,maigre, crinche,marqué de petite vérole, d’ailleurs d’un caractère trèsfroid, trèsmodéré, trèsprudent. Ilsentaitqu’ilétaitmaîtreabsolude lapetite fortuneetqu’ilnefallaitpaslaperdre.Ilétaitsimple,honnête,etnullementhâbleurnimenteur.Ilmesemblequ’ilquittaGrenobleetl’ÉcolecentraleavantmoipouralleràToulonetentrerdanslamarine.

C’étaitaussiàlamarinequesedestinaitl’aimableLaBavette,neveuouparentdel’amiral(c’est-à-direcontre-amiralouvice-amiral)MorarddeGalles.

IlétaitaussiaimableetaussinoblequeGalleétaitestimable.Jemesouviensencoredescharmantes après-midi que nous passions, devisant ensemble à la fenêtre de sa petitechambre. Elle était au troisième étage d’une maison donnant sur la nouvelle place duDépartement[10].Là,jepartageaissongoûter:despommesetdupainbis.J’étaisaffamédetoute conversation sincère et sanshypocrisie.Acesdeuxmérites, communs à tousmesamis, La Bavette joignait une grande noblesse de sentiments et de manières[11] et unetendressed’âmenonsusceptibledepassionprofonde,commeBigillion,maisplusélégantedansl’expression.

Ilme semble qu’ilme donna de bons conseils dans le temps demon amour pourMlle

Kably, dont j’osai lui parler, tant il était sincère et bon. Nousmettions ensemble toutenotre petite expérience des femmes, ou plutôt toute notre petite science puisée dans lesromanslusparnous.Nousdevionsêtredrôlesàentendre.

BientôtaprèsledépartdematanteSéraphie, j’avais luetadorélesMémoiressecretsdeDuclos[12],quelisaitmongrand-père.

Cefut,cemesemble,àlasalledemathématiquesquejefislaconnaissancedeGalleetdeLaBayette;cefutcertainementlàquejeprisdel’amitiépourLouisdeBarral(maintenantleplusancienetlemeilleurdemesamis;c’estl’êtreaumondequim’aimeleplus,iln’estaussi,cemesemble,aucunsacrificequejenefissepourlui).

Il était alors fort petit, fort maigre, fort crinche, il passait pour porter à l’excès une

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mauvaisehabitudequenousavionstous,etlefaitestqu’ilenavaitlamine.Maislasienneétait singulièrement relevéeparunsuperbeuniformede lieutenantdugénie,onappelaitcelaêtreadjointdugénie;c’eûtétéunbonmoyend’attacheràlaRévolutionlesfamillesriches,oudumoinsdemitigerleurhaine.

Anglès aussi, depuis comte Anglès et préfet de police, enrichi par les Bourbons, étaitadjointdugénie,ainsiqu’unêtre subalterneparessence,ornédecheveux rougesetquis’appelait Giroud, différent du Giroud à l’habit rouge avec lequel je me battais assezsouvent. Je plaisantais ferme leGiroudgarni d’une épaulette d’or et qui était beaucoupplusgrand quemoi, c’est-à-dire qui était un homme de dix-huit ans tandis que j’étaisencoreunbambindetreizeouquatorze.Cettedifférencededeuxoutroisansestimmenseaucollège,c’estàpeuprèscelledunobleauroturierenPiémont.

CequifitmaconquêtenetdansBarral, lapremièrefoisquenousparlâmesensemble(ilavaitalors,cemesemble,poursurveillantPierre-VincentChalvet,professeurd’histoireetfortmaladedelasœuraînéedelapetitevérole),cequidoncfitmaconquêtedansBarral,cefut:1°labeautédesonhabit,dontlebleumeparutenchanteur;—2°safaçondedirecesversdeVoltaire,dontjemesouviensencore:

Vousêtes,luidit-il,l’existenceetl’essence,Simple…[13]

Samère,fortgrandedame,c’étaituneGrolée[14],disaitmongrand-pèreavecrespect,futla dernière de son ordre à en porter le costume; je la vois encore près de la statued’Hercule, au Jardin [15], avec une robe à ramages, c’est-à-dire de satin blanc ornée defleurs, ladite robe retroussée dans les poches commema grand-mère (JeanneDupéron,veuveBeyle[16]),avecunénormechignonpoudréetpeut-êtreunpetitchiensur lebras.Lespetitspolissonslasuivaientàdistanceavecadmiration,etquantàmoij’étaismené,ouporté,parlefidèleLambert:jepouvaisavoirtroisouquatreanslorsdecettevision.CettegrandedameavaitlesmœursdelaChine,M.lemarquisdeBarrai,soumarietPrésident,oumêmePremier Président au Parlement, ne voulut point émigrer, ce pourquoi il étaithonnidemafamillecommes’ileûtreçuvingtsoufflets.

LesageM.DestuttdeTracyeûtlamêmeidéeàParisetfutobligédeprendredesplans,commeM.deBarral,qui, avant laRévolution, s’appelaitM.deMontferrat, c’est-à-direM.lemarquisdeMontferrat(prononcez:Monferâ,a trèslong);M.deTracyfutréduitàvivreaveclesappointementsdelaplacedecommisdel’Instructionpublique,jecrois;M.deBarralavaitconservé20ou25.000francsderente,donten1793ildonnaitlamoitiéoulesdeux-tiersnonàlapatrie,maisàlapeurdelaguillotine.Peut-êtreavait-ilétéretenuenFranceparsonamourpourMmeBrémont,quedepuisilépousa.J’airencontréM.Brémontfils à l’armée,où il était chefdebataillon, je crois, puis sous-inspecteurdesRevues, ettoujourshommedeplaisir.

Jenedispasque sonbeau-père,M. lePremierPrésidentdeBarral (carNapoléon le fitPremierPrésidentencréantlesCoursimpériales[17])fûtungénie,maisàmesyeuxilétait

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tellement le contrairedemonpèreet avait tantd’horreurde lapédanterieetde froisserl’amour-propredesonfilsqu’ensortantdelamaisonpouralleràlapromenadedanslesdélaissésduDrac,

silepèredisait:Bonjour,lefilsrépondaitToujours,lepèreOie,filsLamproie,

etlapromenadesepassaitainsiàdiredesrimes,etàtâcherdes’embarrasser.

Ce père apprenait à son fils les Satires de Voltaire (la seule chose parfaite, selonmoi,qu’aitfaitecegrandréformateur).

Cefutalorsquej’entrevislevraibonton,etilfitsur-le-champmaconquête.

Je comparais sans cesse ce père faisant des rimes et plein d’attentions délicates pourl’amour-propredesesenfantsaveclenoirpédantismedumien.J’avaislerespectleplusprofondpourlasciencedeM.Gagnon,jel’aimaissincèrement,jen’allaispasjusqu’àmedire:

«Nepourrait-onpasréunir[18] lasciencesansbornesdemongrand-pèreet l’amabilitésigaieetsigentilledeM.deBarral?»

Mais mon cœur, pour ainsi dire, pressentait cette idée, qui devait par la suite devenirfondamentalepourmoi.

J’avaisdéjàvulebonton,maisàdemidéfiguré,masquéparladévotiondanslessoiréespieusesoùMmedeVaulserre réunissait,aurez-de-chausséede l’hôteldesAdrets,M.duBouchage(pairdeFrance,ruiné),M.deSaint-Vallier(legrandSaint-Vallier),Scipion,sonfrère.M.dePina(ex-mairedeGrenoble,jésuite[19]profond,80.000francsderenteetdix-septenfants),MM.deSinard,deSaint-Ferréol,moi,MlleBonnedeSaint-Vallier(dontlesbeauxbrasblancsetcharmants,àlaVénitienne,metouchaientsifort).

LecuréChélan,M.Barthélemyd’Orbaneétaientaussidesmodèles.LePèreDucrosavaitletondugénie.(Lemotgénieétaitalors,pourmoi,commelemotDieupourlesbigots.)

[p.306][p.307]

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[1]LechapitreXXVIIIestlechapitreXXIIIdumanuscrit.StendhalamisparerreurlechiffreXXIII,aulieudeXXIV,etcette erreur se perpétue jusqu’à la fin de l’ouvrage.—Comprend les fol. 399 à 416.—Écrit àRome, les 10, 11 et 12janvier1836.

[2]…nil’insouciancenile…dugamindeParis…—Lemotestenblancdanslemanuscrit.

[3]…àpartirdelatombéedelanuitousing…—Ms.:«Saint.»

[4]CettefamilleavaitreçusaintBrunoàlaGrande-Chartreuseen…—Ladateestenblanc.

[5]… à cause de la réception de Saint-Bruno, en 1080.—Date: Saint Bruno, mort en 1101 en Calabre. (Note deStendhal.)—Cettedateestexacte,maisc’esten1084seulementquesaintBrunovintàGrenobleet fonda laGrande-Chartreuse,dontl’églisefutconsacréeen1085.

[6]…scèneplaisanteracontéeparClaraGazul.—LeThéâtredeClaraGazul,deMérimée,aparuen1825.—Mériméeestappelé,laplupartdutemps,ClaraparStendhal.

[7]… j’y traçaiunecouronnede feuillage,etaumilieuunVmajuscule.—Suituncroquisdecette lettreornée.—Enface,auversodufol.403,Stendhalécrit:«Mettrececiici,coupétropnet,leplacerensontemps,à1806ou10.Al’undemesvoyages(retours)àGrenoble,vers1806,unepersonnebieninforméemeditqueMlleVictorineétaitamoureuse.J’enviaifortlapersonne.Jesupposaisquec’étaitFélixFaure.Plustard,uneautrepersonnemedit:«MlleVictorine,meparlantdelapersonnequ’elleaaimésilongtemps,m’adit:Iln’estpeut-êtrepasbeau,maisjamaisonneluireprochesalaideur…C’estl’hommequiaeuleplusd’espritetd’amabilitéparmilesjeunesgensdemontemps.Enunmot,ajoutacettepersonne,c’estvous.»—10janvier1836.—LudeBrosses.»

[8]…cetraitdehauteurmitVictorine…—Ms.:«Virginie.»—Cemotestsurmontéd’unecroix.

[9]MM.Galle,LaBayette…—Uneligneestrestéeenblancaprèscesdeuxnoms.

[10]… la nouvelle place duDépartement.—Près du Jardin-de-Ville.Aujourd’hui place deGordes.Cette place a étécrééeen1791.—Auversodufol.406estunplandelaplaceetdesesalentours.

[11]…LaBayettejoignaitunegrandenoblessedesentimentsetdemanières…—Nousfaisionsdanssachambredespique-niques,àcinqousixsouspartête,pourmangerensembleduMont-d’Or,avecdesgriches,letoutarroséd’unpetitvin blanc qui nous semblait délicieux. La Bayette avait un charmant caractère: il était aimant et avait beaucoupd’expansion.(NoteaucrayondeR.Colomb.)

[12]…lesMémoiressecretsdeDuclos…—LesMémoiressecretssur lesrègnesdeLouisXIVetdeLouisXV furentpubliésen1791,dix-neufansaprèslamortdeDuclos.

[13]Vousêtes,luidit-il,l’existenceetl’essence,Simple…—Onlitentêtedufol.411:«12janvier1836.Omar.Siroccoaprèstrenteouquarantejoursdefroidinfâme…»

[14]Samère,fortgrandedame,c’étaituneGrolée…—LafamilledeGroléeétaitl’unedesfamilleslesplusanciennesetlesplusestiméesduDauphiné.

[15]…près de la statue d’Hercule, au Jardin…—Au Jardin-de-Ville.Aumilieu du jardin se trouve une statue duconnétabledeLesdiguièressouslestraitsd’Hercule,attribuéeàJacobRichier.Cettestatue,primitivementérigéedansl’îledel’étangduchâteaudeLesdiguières,àVizille,aétéacquiseparlaVilledeGrenobleen1740.

[16]… Jeanne Dupéron, veuve Beyle …—Jeanne Dupéron, fille de Pierre, banquier à Grenoble, et de DominiqueBérard,épousa le14septembre1734PierreBeyle,procureurauParlement. (VoirEd.Maignien,La familledeBeyle-Stendhal,notesgénéalogiques.Grenoble,1889.)

[17]…lesCoursimpériales…—Ms.:«Royales.»—M.deBarralfutPremierPrésidentdepuis1804jusqu’endécembre1815.

[18]Nepourrait-onpasréunir…—Variante:«Avoir.»

[19]… ex-maire de Grenoble, jésuite …—Ms.: «Tejé.»—Jean-François-Calixte, marquis de Pina, remplaça commeadjointaumairedeGrenoble,en1816,Joseph-ChérubinBeyle.Ilfutnommémairelamêmeannée,restaenfonctionsjusqu’au13octobre1818.PuisilfutencoremairedeGrenobleentrele26août1824etlarévolutionde1830.

CHAPITREXXIX[1]

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JenevoyaispasM.deBarralaussienbeaualors,ilétaitlabêtenoiredemesparentspouravoirémigré.

Lanécessitémerendanthypocrite(défautdont jemesuis tropcorrigéetdont l’absencem’a tant nui, à Rome[2], par exemple), je citais à ma famille les noms deMM. de LaBayetteetdeBarrai,mesnouveauxamis.

«LaBayette!bonnefamille,ditmongrand-père;sonpèreétaitcapitainedevaisseau,sononcle,M.de…[3],PrésidentauParlement.PourMontferrat,c’estunplat.»

Ilfautavouerqu’unmatin,àdeuxheuresdumatin,desmunicipaux,etM.deBarralaveceux,étaientvenuspourarrêterM.d’Anthon[4],ancienconseillerauParlement,quihabitaitlepremierétage,etdontl’occupationconstanteétaitdesepromenerdanssagrandesalleen se rongeant les ongles. Le pauvre diable perdait la vue et de plus était notoirementsuspect, comme mon père. Il était dévot jusqu’au fanatisme, mais à cela près pointméchant.OntrouvaitindignedansM.deBarrald’êtrevenuarrêterundesconseillersjadissescamaradesquandilétaitPrésidentauParlement[5].

Il faut convenir[6] que c’était un plaisant animal qu’un bourgeois de France vers 1794,quand j’ai pu commencer à le comprendre, se plaignant amèrement de la hauteur desnoblesetentreeuxn’estimantunhommeabsolumentqu’àcausedesanaissance.Lavertu,la bonté, la générosité n’y faisaient rien; même, plus un homme était distingué, plusfortementilsluireprochaientlemanquedenaissance,etquellenaissance!

Vers 1803, quand mon oncle Romain Gagnon vint à Paris et logea chez moi, rue deNemours,jeneleprésentaipaschezMmedeNeuilly;ilyavaituneraisonpourcela:cettedamen’existaitpas.Choquéedecetteabsencedeprésentation,mabonnetanteElisabethdit:

«Ilfautqu’ilyaitquelquechosed’extraordinaire,autrementHenriauraitmenésononclechezcettedame;onestbienaisedemontrerqu’onn’estpasnésousunchou.»

C’estmoi,s’ilvousplaît,quinesuispasnésousunchou.

EtquandnotrecousinClet,horriblementlaid,figured’apothicaireet,deplus,apothicaireeffectif, pharmacienmilitaire, fut sur le point de semarier en Italie,ma tanteElisabethrépondaitaureprochedetournureabominable:

«Ilfautconvenirquec’estunvraiMargageat,disaitquelqu’un.

—A labonneheure,mais il y a lanaissance!CousindupremiermédecindeGrenoble,n’est-cerien?»

Le caractère de cette excellente[7] fille était un exemple bien frappant de la maxime:Noblesseoblige. Jeneconnais riendegénéreux,denoble,dedifficilequi fûtau-dessusd’elleetdesondésintéressement[8].C’estàelleenpartiequejedoisdebienparler;s’ilm’échappaitunmotbas,elledisait:«Ah!Henri!»Etsafigureexprimaitunfroiddédaindontlesouvenirmehantait(mepoursuivaitlongtemps).

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J’aiconnudesfamillesoùl’onparlaitaussibien,maispasuneoùl’onparlâtmieuxquedanslamienne.Cen’estpointàdirequ’onn’yfîtpascommunémentleshuitoudixfautesdauphinoises.

Mais, si jemeservaisd’unmotpeuprécisouprétentieux, à l’instant[9] uneplaisanteriem’arrivait,etavecd’autantplusdebonheur,delapartdemongrand-père,quec’étaientàpeuprèslesseulesquelapiétémorosedematanteSéraphiepermîtaupauvrehomme.Ilfallait,pouréviter leregardrailleurdecethommed’esprit,employer la tournure laplussimpleetlemotpropre,ettoutefoisilnefallaitpass’aviserdeseservird’unmotbas.

J’aivulesenfants,danslesfamillesrichesdeParis,employertoujourslatournurelaplusambitieusepourarriveraustylenoble,etlesparentsapplaudiràcetessaid’emphase.LesjeunesParisiensdiraientvolontierscoursieraulieudecheval;delà,leuradmirationpourMM.deSalvandy,Chateaubriand,etc.

Il y avait d’ailleurs, en ce temps-là, une profondeur et une vérité de sentiment dans lejeuneDauphinoisdequatorzeansquejen’aijamaisaperçueschezlejeuneParisien.Enrevanche,nousdisions:J’étaisauCour-se,oùM.Passe-kin(Pasquin)m’aluunepiècedever-se,surlevoyaged’Anver-seàCalai-ce.

Ce n’est qu’en arrivant à Paris, en 1799, que je me suis douté qu’il y avait une autreprononciation.Danslasuite,j’aiprisdesleçonsducélèbreLaRiveetdeDugazonpourchasserlesderniersrestesduparlertraînarddemonpays.Ilnemeresteplusquedeuxoutroismots(côte,kote,aulieudekaute,petiteélévation;lebonabbéGatteladonceutouteraisondenoterlaprononciationdanssonbondictionnaire,choseblâméedernièrementparun nigaud d’homme de lettres de Paris), et l’accent ferme et passionné du Midi qui,décelant la forcedu sentiment, la vigueur avec laquelle on aime ou on hait, est, sur-le-champ,singulieretpartantvoisinduridicule,àParis.

C’estdoncendisant choseau lieudechause, coteau lieudecaute,Calai-ceau lieudeKalai(Calais),quejefaisaislaconversationavecmesamisBigillion,LaBavette,Galle,Barral.

Ce dernier venait, ce me semble, de La Tronche chaque matin passer la journée chezPierre-VincentChalvet,professeurd’histoire,logéaucollègesouslavoûte[10];versB,ilyavait une assez jolie allée de tilleuls, allée fort étroite,mais les tilleuls étaient vieux ettouffus,quoiquetaillés,lavueétaitdélicieuse;làjemepromenaisavecBarral,quivenaitdu pointC, très voisin;M.Chalvet, occupé de ses catins, de sa v… et des livres qu’ilfabriquait,etdeplusleplusinsouciantdeshommes,lelaissaitvolontierss’échapper.

Je crois que c’est en nous promenant au point P[11] que nous rencontrâmes Michoud,figuredebœuf,maishommeexcellent(quin’aeuqueletortdemourirministérielpourri,et conseiller à la Cour royale, vers 1827). Je croirais assez que cet excellent hommecroyaitquelaprobitén’estd’obligationqu’entreparticuliersetqu’ilesttoujourspermisdetrahirsesdevoirsdecitoyenpourarracherquelqueargentauGouvernement.JefaisuneénormedifférenceentreluietsoncamaradeFélixFaure;celui-ciestnéavecl’âmebasse,aussiest-ilpairdeFranceetPremierPrésidentdelaCourroyaledeGrenoble.

Maisquelsqu’aientétélesmotifsdupauvreMichoudpourvendrelapatrieauxdésirsduProcureurgénéral,vers1795,c’était lemeilleur, leplusnaturel, leplusfin,mais leplus

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simpledecœurdescamarades.

Jecroisqu’il avait apprisà lireavecBarralchezMlleChavand, ilsparlaient souventdeleurs aventures dans cette petite classe. (Déjà les rivalités, les amitiés, les haines dumonde!)Commejelesenviais!Jecroismêmequejementisunefoisoudeuxenlaissantentendre à d’autres de mes compagnons que moi aussi j’avais appris à lire chez Mlle

Chavand.

Michoud m’a aimé jusqu’à sa mort, et il n’aimait pas un ingrat; j’avais la plus hauteestimepoursonbonsensetsabonté.Uneautrefois,nousnousdonnâmesdescoupsdepoing,etcommeilétaitdeuxfoisplusgrosquemoi,ilmerossa.

Je me reprochai mon incartade, non pas à cause des coups reçus, mais comme ayantméconnusonextrêmebonté.J’étaismalinetjedisaisdesbonsmotsquim’ontvaluforcecoups de poing, et ce même caractère m’a valu, en Italie et en Allemagne, à l’armée,quelquechosedemieuxet,àParis,descritiquesacharnéesdanslapetitelittérature.

Quand un mot me vient, je vois sa gentillesse et non sa méchanceté. Je suis toujourssurprisdesaportéecommeméchanceté,parexemple:C’estAmpèreouA.deJussieuquim’ont fait voir la portée du mot à ce faquin de vicomte de La Passe (Cività-Vecchia,septembre 1831 ou 1832): «Oserais-je vous demander votre nom?» que leLa Passe nepardonnerajamais.

Maintenant, par prudence, je ne dis plus ces mots, et, l’un de ces jours, Don PhilippeCaetanimerendaitcettejusticequej’étaisl’undeshommeslesmoinsméchantsqu’ileûtjamaisvus,quoiquemaréputationfûthommed’infinimentd’esprit,maisbienméchantetencoreplusimmoral(immoral,parcequej’aiécritsurlesfemmesdansl’Amouretparceque,malgrémoi, jememoquedeshypocrites,corps respectableàParis,qui lecroirait?plusencorequ’àRome[12]).

Dernièrement,MmeToldi,deValle,dit,commejesortaisdechezelle,auprinceCaetani:

«Maisc’estM.deS[tendhal],cethommedetantd’esprit,siimmoral.»

Uneactricequiaunbambin[13]duprinceLéopolddeSyracusedeNaples!LebonDonFilippomejustifiafortsérieusementdureproched’immoralité.

Même en racontant qu’un cabriolet jaune vient de passer dans la rue, j’ai le malheurd’offensermortellementleshypocrites,etmêmelesniais.

Maisaufond,cher lecteur, jenesaispasceque jesuis:bon,méchant,spirituel,sot.Cequejesaisparfaitement,cesontleschosesquimefontpeineouplaisir,quejedésireouquejehais.

Unsalondeprovinciauxenrichis,etquiétalentduluxe,estmabêtenoire,parexemple.Ensuite, vient un salon de marquis et de grands-cordons de la Légion d’honneur, quiétalentdelamorale.

Un salon de huit ou dix personnes dont toutes les femmes ont eu des amants, où laconversationestgaie,anecdotique,etoùl’onprenddupunchlégeràminuitetdemi,estl’endroit du monde où je me trouve le mieux; là, dans mon centre, j’aime infinimentmieux entendre parler un autre que de parler moi-même. Volontiers je tombe dans le

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silence du bonheur et, si je parle, ce n’est que pour payer mon billet d’entrée, motemployédansce sens,que j’ai introduitdans la sociétédeParis; il est comme fioriture(importé parmoi) et que je rencontre sans cesse; je rencontre plus rarement, il faut enconvenir,cristallisation[14] (voir l’Amour).Mais je n’y tiens pas lemoins dumonde: sil’ontrouveunmeilleurmot,plusapparenté,danslalangue,pourlamêmeidée,jeserailepremieràyapplaudiretàm’enservir.

[1]LechapitreXXIXestlechapitreXXIVdumanuscrit(fol.416à431).—ÉcritàRome,les12et13janvier1836.

[2]…dontl’absencem’atantnui,àRome…—Ms.:«Omar.»

[3]…sononcle,M.de…—Lenomaétélaisséenblanc.

[4]…M.d’Anthon…—Jean-Jacques-GabrieldeVidaudd’AnthondeLaTour,né le28mars1745,avaitéténomméconseillerauParlementparlettrespatentesdu2juillet1766.

[5]…quandilétaitPrésidentauParlement.—Lerestedufeuilletestblanc,ainsiquetoutlefol.419.

[6]Ilfautconvenir…—Onlitentêtedufol.419bis:«12janvier36.Omar.—13janvier,sansfeuaprèscefroidsilongde3à7degrés.»

[7]…cetteexcellentefille…—Variante:«Noble.»

[8]Jeneconnaisriendegénéreux,denoble,dedifficile,quifûtau-dessusd’elleetdesondésintéressement.—Variante:«Aucunsacrificen’eûtétéau-dessusdesagénérositéetdesondésintéressement.»

[9]…unmotpeuprécisouprétentieux,à l’instant…—Variante:«Unmotpeuprécisouprétendantà l’effet, sur-le-champ.»

[10]…aucollègesouslavoûte…—Aujourd’huipassageduLycée,allantdelarueduLycéeàlaplaceJean-Achard,celle-cioccupéeàlafinduXVIIIesiècleparlesrempartsdelaville.Stendhaldonneuncroquisdeslieux.Bestl’alléedetilleuls,surlesremparts.(VoirnotreplandeGrenobleen1793.)

[11] Je crois que c’est en nous promenant au point P…—En face, au verso du fol. 425, est un plan des lieux. Al’extrémitédelaruedesMûriers,quilongeaitlerempartetlederrièredel’Écolecentraleest,en«P,commencementdelapromenadedevieuxtilleulsécourtés(maimed)parlataille;»entrelaruedesMûriersetlapromenade,en«L,jardinencontrebasdeM.dePlainville,commandantouadjudantdelaplace,pèredePlainville,l’amideBarral».(VoirnotreplandeGrenobleen1793.)

[12]…plusencorequ’àBorne.—Ms.:«Omar.»

[13]Uneactricequiaunbambin…—Variante:«Bâtard.»

[14] … il faut en convenir, cristallisation …—Sorte de folie qui fait voir toutes les perfections et tout tourner àperfectiondansl’objetquifaiteffetsurlamatrice.Ilestpauvre,ah!quejel’enaimemieux!Ilestriche,ah!quejel’enaimemieux!(NotedeStendhal.)

NOTESFEUILLETSDEGARDE

Lepremiervolumedumanuscrit(côtéR299)delaViedeHenriBrulardcommenceparuntestament:

«JelègueetdonneleprésentvolumeàM.lechevalierAbrahamConstantin(deGenève),peintresurporcelaine.SiM.Constantinnel’apasfaitimprimerdanslesmillejoursquisuivront celui de mon décès, je lègue et donne ce volume, successivement, à MM.Alphonse Levavasseur, libraire, n° 16, place Vendôme, Philarète Chasles, homme delettres, Henry Fournier, libraire, rue de Seine, Paulin, libraire, Delaunay, libraire; et siaucun de ces Messieurs ne trouve son intérêt à faire imprimer dans les cinq ans quisuivrontmondécès,jelaissecevolumeauplusâgédeslibraireshabitantdansLondreset

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dontlenomcommenceparunC.

Cività-Vecchia,le24décembre1835.»

On lit encore, sur un feuillet intercalé en face du fol. 8, le fragment suivant: «… den’imprimer, si cela en vaut la peine, que quinze mois après mon décès. Rome, le 29novembre1835.H.BEYLE.»

—Surunautrefeuillet,onlit:

«PETITSFAITSAPLACER

1.Mauvaiseodeurdegensquiassistaientauxvêpres,àlaCharité(M.Beyle,supérieur).

2.L’abbéReymefaitentrerdanslechœur,àSaint-André.D’ordinaire,jemetenaistoutprèsdelagrandegrilleduchœur.Sermons.

Tout cela, avant la clôture des églises; mais à quelle époque furent-elles fermées àGrenoble?

3. Enterrement, ou plutôt obsèques, à Notre-Dame, de l’évêque intrus, appelé l’abbéPouchotavecdédainparmafamille.»

Stendhal a pris soin de répéter le titre de son auto-biographie en tête de chacun desvolumes de son manuscrit. Il y ajoute diverses indications destinées à dérouter lesinvestigationspossiblesdelapolice,dontilavaitunecraintemaladive.Voicilesdiversesmentionsplacéessurlesfeuilletsdegardedestroisvolumes:

TOMEIer

ViedeHenriBrulard.

AMessieurs de la Police. Ceci est un roman imité duVicaire deWakefield. Le héros,HenriBrulard,écrit savie,àcinquante-deuxans,après lamortdesa femme, lacélèbreCharlotteCorday.

TOMEII

ViedeHenriBrulard,écriteparlui-même.RomanimitéduVicairedeWakefield,surtoutpourlapuretédessentiments.

AMessieursdelaPolice.Riendepolitique.Lehérosdeceromanfinitparsefaireprêtre,commeJocelyn.

TOMEIII

ViedeHenriBrulard,écriteparlui-même.Romanàdétails,imitéduVicairedeWakefield.

AMessieursdelaPolice.Riendepolitiquedansceroman.Leplanestunexaltédanstouslesgenresqui,dégoûtéetéclairépeuàpeu,finitparseconsacreraucultedeshôtels(sic).

TABLEDESGRAVURESDUTOMEPREMIER

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PortraitdeStendhalReproductionduf°69dumanuscritPortraitd’HenriGagnonLamaisonnataledeStendhalReproductionduf°260bisdumanuscrit

TABLEDUTOMEPREMIER

NOTEDEL’ÉDITEUR

INTRODUCTION.—LemanuscritdelaViedeHenriBrulard,parHenryDebrayeCHAPITREIerCHAPITREIICHAPITREIIICHAPITREIVCHAPITREV.—PetitssouvenirsdemapremièreenfanceCHAPITREVICHAPITREVIICHAPITREVIIICHAPITREIXCHAPITREX.—LemaîtreDurantCHAPITREXI.—AmaretJHerlinotCHAPITREXII.—BilletCardonCHAPITREXIII.—PremiervoyageauxÉchellesCHAPITREXIV.—MortdupauvreLambertCHAPITREXVCHAPITREXVICHAPITREXVIICHAPITREXVIII.—LapremièrecommunionCHAPITREXIXCHAPITREXXCHAPITREXXI

TABLEALPHABÉTIQUE

La table alphabétiquequenousdonnons ici est très succincteet indique simplement lesnomsdepersonnes,sansaucundétailbiographique.UnetablealphabétiqueplusdétailléeformeralederniervolumedesŒuvrescomplètesdeStendhal.

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A

Adrets(lebarondes),I,28,55,111,195,297;II,45.Adrets(Mmedes),femmeduprécédent,I,55.Alembert(d’),I,48,215;II,60,61.Alexandre,I,113.Alexandrine.Voyez:Petit(lacomtesseAlexandrine).Alfieri,I,12;II,65.Allard(Guy),généalogistegrenoblois,I,216.AllardduPlantier,cousindeStendhal,I,216.Allier,libraireàGrenoble,I,199.Amalia,I,17,21.Amar,représentantdupeuple,I,133,134,137,141.Ampère,I,313.Ancelot(Mme),II,152.Angela.Voyez:Pietragrua(Angela).Anglès(lecomte),camaradedeStendhal,plustardpréfetdepolice,I,255,256,302;II,64.Anglès(Mme),femmeduprécédent,I,256.Anthon(d’),conseillerauparlementdeGrenoble,I,308.Arago,II,152.Argens(lemarquisd’),I,194.Argout(lecomted’),I,19,245,299;II,147.Aribert,camaradedeStendhal,II,35.Arioste(l’),I,109,153,163,188,209,229,288;II,19,122,133,134,135,158,177.

Aristote,II,136.Arlincourt(d’),II,4.Artaud,traducteurdeDante,I,90.Aubernon,II,161.Aubernon(Mme),femmeduprécédent,II,161.AuguédesPortes(MmeetMlles),sœuretniècesdeMmeCardon,II

Azur(Mme).Voyez:Rubempré(Alberthede).

B

Babet,maîtressedeStendhal,I,270;II,31.Bacon,I,259;II,95.Bailly(Mlles),marchandesdemodesàGrenoble,I,111.Bailly(Mmede),I,111;II,150.Balzac(Guezde),I,7.Barberen(Mlle),associéeetmaîtressedeRebuffet,II,79.

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Barberini,I,17.Barbier,fermierdesBeyleàClaix,II,41,44.Barilli,acteurdel’OdéondeParis,I,24.Barilli(Mme),actricedel’OdéondeParis,femmeduprécédent,I,23;II,104.Barnave,I,69.Barral-Montferrat(lemarquisde),présidentauparlementdeGrenoble,puisPremierPrésidentdelacourd’appeldeGrenoble,I,303,304,305,307,308.Barral(lecomtePaulde),filsduprécédent,I,227;II,4.Barral(levicomteLouisde),filsetfrèredesprécédents,amideStendhal,I,22,23,302,303,307,311,312;II,11,45.Bartelon,II,126.Barthélemy(Mme),cordonnièreàGrenoble,I,111,112,275.Barthélemyd’Orbane,avocatconsistorialauparlementdeGrenoble,I,59,60,65,305.Barthélemy(lechanoine),frèreduprécédent,I,65.Barthomeuf,commisauministèredelaGuerre,II,142,143,158,159,164.

Bassano(leducde),II,8.Basset(Jean-Louis),barondeRichebourg,camaradedeStendhal,II,10,11.Basville,intendantduLanguedoc,II,78.Baure(M.de),gendredeNoëlDaru,I,11;II,142,143.Baure(Mmede),femmeduprécédent.Voyez:Daru(Sophie).Bayle(Pierre),II,17.Beau,I,22.Beauharnais(Hortensede),II,160.Beaumont(Eliede),I,188.Beauvilliers(leducde),II,151.Beethoven,II,15.Bellier,I,84.Bellile(Pépinde).Voyez:PépindeBellile.Belloc(Mme),I,118.Belot(leprésident),traducteurdeHume,I,137.Benoît,camaradedeStendhalàl’Écolecentrale,I,281;II,17.BenvenutoCellini,I,8,10.Benzoni(Mme),I,40.Béranger,II,125,152,161.Bérenger(Raymondde),camaradedeStendhal,I,25,26.Bereyter(Angelina),actrice,maîtressedeStendhal,I,17,21,24.Bernadotte,roideSuède,I,63.Bernard,II,33.Bernonde(Mme),I,128.Berry(laduchessede),II,33,151.

Page 176: Vie de Henri Brulard - One More Library

Berthier,princedeNeuchâtel,II,154.Bertrand(Mmelacomtesse),II,161.Berwick,graveur,II,123.Besançon.Voyez:Mareste(lebaronde).Beugnot(lecomte),I,92.Beugnot(lacomtesse),femmeduprécédent,II,123.Beyle(Pierre),grand-pèredeStendhal,I,80.Beyle(lecapitaine),grand-oncledeStendhal,II,177.Beyle(Joseph-Chérubin),pèredeStendhal,I,16,77,78-81,93,103,134,135,147,163,168,178,187,198-202,209,223,234,262;II,16,41,56,73,85,108,176.

Beyle(Pauline),sœurdeStendhal,depuisMmePérier-Lagrange,I,45,77,99,139,141,178,198,222;II,50.

Beyle(Zénaïde-Caroline),sœurdeStendhal,depuisMallein,I,77,99,139,141,222.

Bezout,auteurd’unmanueldemathématiques,I,249,250,277,282,299;II,55,66.

Bigillion,I,297,298.Bigillion(François),filsduprécédent,amideStendhal,I,23,285-287,291,295;II,34,45,71,72,92,147.

Bigillion(Rémy),frèreduprécédent,I,286,291,292,295,296,301,311;II,92.

Bigillion(Victorine),filleetsœurdesprécédents,I,159,289-293,295-299;II,34,45,53,74,91,92,93.

Bignon(du).Voyez:DuBignon.Biot,I,249.Blacons(Mllede),I,74.Blanc,I,198.Blanchet(Mlle),puisMmeRomagnier.Voyez:Romagnier(Mme),cousinedeStendhal.Blancmesnil(de),II,105.Boccace,I,61.Bois,I,214.Boissat(Jules-César),II,7.Bonaparte.Voyez:Napoléon.Bond(Jean),traducteurd’Horace,I,35,122.Bonnard(de),I,220.Bonne(MM.),onclesdeMmeRomainGagnon,I,159-160,161.Bonne(Mlle),depuisMmePoncet,mèredeMmeRomainGagnon,I,161.Bonoldi,chanteuritalien,II,103.Borel(Mme),belle-mèredeMounier,I,69.Borel(Mlle),filledelaprécédente,depuisMmeLétourneau,II,34.Borghèse(princeF.),I,1.

Page 177: Vie de Henri Brulard - One More Library

Bossuet,II,121,152.Bouchage(du).Voyez:DuBouchage.Boufflers(lemaréchalde),II,137.Bourdaloue,I,103,137.Bourgogne(laduchessede),II,81.Bourmont(lemaréchalde),II,191.Bournon(lemaréchal),I,244.Bouvier,I,65.Brémont(Mme),depuisMmedeBarral-Montferrat,I,304.Brémont,filsdelaprécédente,I,304.Brenier(de),I,48.Brenier(Mmede),femmeduprécédent.Voyez:Vaulserre(Mllede).Brichaud,I,3.Brizon(Mmede),I,192.Broglie(leducde),I,62,120.Brossard(legénéralde),II,81.Brossard(Mmede),femmeduprécédent.Voyez:LeBrun(MllePulchérie).Brosses(leprésidentde),I,138,167;II,21,135.Bruce,I,101,282.Brun(Joseph),paysandeClaix,II,41.Bruno(saint),fondateurdelaGrande-Chartreuse,I,297,299.Buffon,I,209;II,45.Burelviller(lecapitaine),II,169,171,172,173,174,176,182,183,184,193,198.

C

Cabanis,I,12,17,28,137,180,269.Cachoud,peintreetgraveur,I,250.Caetani(lesprinces),amisdeStendhal,I,9.Caetani(Michel-Ange),I,9,19.Caetani(donPhilippe),frèreduprécédent,I,313.Caetani(donRugiero),II,65.Caffe,I,221.Cailhava,II,94,95.Calderon,II,175.Caletta,I,244.Cambon(Mme),filleaînéedeNoëlDaru,II,80,108,115,116,120,121,126.

Cambon(Mlle),filledelaprécédente,II,166.Campan(Mme),II,160,163.Cardan,mathématicienitalien,II,67.Cardon(Mme),II,119,121,122,141,158,160,162,163.Cardon(Edmond),filsdelaprécédente,amideStendhal,

Page 178: Vie de Henri Brulard - One More Library

II,32,119,122,141,147,158,159,164.CardondeMontigny,filsduprécédent,II,119.Carnot,II,119,166.Cartaud(legénéral),I,233.Castellane(MmeBonide),II,152.Catond’Utique,I,222.Cauchain(lecomtede),II,188.Cauchain(legénéralde),oncleduprécédent,II,188.Caudey(Mlles),marchandesdemodesàGrenoble,II,48,49.Caudey,leurfrère,II,49.Cavé,II,25.Caylus(Mmede),II,151.Cervantes,I,107,129,288;II,19,90,133.Chaalons,II,19.Chabert,professeurdeStendhal,I,277,278-280,281,282,283;II,54,55,56,58,59,60,62,64,67.

Chaléon(M.de),I,54.Chalvet,professeuràl’ÉcolecentraledeGrenoble,I,238,302,311.Champel,I,72.Charbonot,charpentieràClaix,I,130.Charost(leducde),II,151.Charrière(Sébastien),I,201;II,41.Chateaubriand,I,6,7,242,269,310.Chatel,II,33.Chavand(Mlle),maîtressed’écritureàGrenoble,I,312.Chazel,camaradedeStendhal,I,94,95.Chélan(l’abbé),curédeRisset,I,61,62,305.Cheminade,camaradedeStendhal,II,65,68,88.Chenavaz(Mme),I,32,33,141.Chenavaz(Candide),filsdelaprécédente,I,33.Chevreuse(leducde),II,151.Chieze,II,127.ChoderlosdeLaclos.Voyez:Laclos(Choderlosde).Cimarosa,II,99,101,192,193.Clairaut,auteurd’unmanueldemathématiques,I,249,282.Clapier(ledocteur),I,281;II,17.Clara,ClaraGazul.Voyez:Mérimée(Prosper).Clarke(Mlle),I,117.Clémentine.Voyez:Menti.Clermont-Tonnerre(de),gouverneurduDauphiné,I,62.Clerichetti(Antonio),I,123.Clet,cousindeStendhal,I,309.Cochet(Mlle),I,160,162.Coissi,I,204.Collé,II,152.

Page 179: Vie de Henri Brulard - One More Library

Colomb,cousindeStendhal,I,289.Colomb(Mme)femmeduprécédent,I,138,139,178,181,261,262.Colomb(Romain),filsdesprécédents,amideStendhal,I,22,84,121,167,168,193,227,230,289;II,21,45,46,48,50,135.

Condillac,I,239,249.Condorcet,II,114.Condorcet(Mme),femmeduprécédent.Voyez:Grouchy(Sophie).Constantin(Abraham),peintre,I,27;II,102.Corbeau(de),I,161,162,165.Corday(Charlotte),I,222.Corneille,II,8,19,26,133,136,152.CornéliusNepos,I,122.Corner(André),II,32.Corrège,II,25.Courchamp,II,4.Courier(Paul-Louis),I,255.CourtdsGebelin,I,131.Couturier,I,250.Crobras(l’abbé),I,173.Crozet(Louis),amideStendhal,II,5-11,29,147,148.Cuvier(Georges,baron),I,136,258,259.

D

Damoreau(Mme),II,105.Dante,I,39,90,91,194;II,86,167.Daru(Noël),I,5,8,11,218;II,19,78,79,81,91,93,94,107,110,111,112,113,114,120,122,123,124,127,128,134,135,139,160,161.

Daru(Mme),femmeduprécédent,II,80,108,162.Daru(lecomtePierre),filsdesprécédents,I,11,12,244;II,14,80,108,121,122,124,125,128,132,133,137,139,140,141,142,143,144,145,146,157,158,159,160,162,163,164,165,166,167,182.

Daru(Mmelacomtesse),femmeduprécédent,I,97,256.Daru(Martial),frèreducomtePierreDaru,II,19,80,108,118,121,140,141,163,164,166,197,198,199.

Daru(MlleSophie),depuisMmedeBaure,I,11;II,80,108.Daru(Mlles).Voyez:Cambon(Mme);LeBrun(Mme).Dausse,I,254,257;II,70,71.Debelleyme,préfetdepolice,II,7.Delavigne(Casimir),II,153.

Page 180: Vie de Henri Brulard - One More Library

Delécluze,I,91;II,120.Delille,II,20,88,133.DelMonte(Mme),I,59.Dembowski(Mathilde),appeléeMétildeparStendhal,I,4,15,17,18,20,173;II,138.

Denisd’Halicarnasse,I,220.DesAdrets(lebaron).Voyez:Adrets(lebarondes).Desfontaines(l’abbé),traducteurdeVirgile,I,98.Destouches,I,108.DestuttdeTracy.Voyez:Tracy(Destuttde).Diane(Mlle),II,189.Diday(Maurice),camaradedeStendhal,II,29,30,31,34,35.Diderot,I,48,215;II,60.Didier(Mme),cousinedeStendhal,I,56.DiFiore,amideStendhal,I,4,6,60,148,244;II,33,89.Dijon,I,164.Diphortz(Mmede),I,4.Dittmer,II,25.DolleleJeune,I,111.Domeniconi,acteuritalien,II,70.Dominiquin(le),I,1,250.Donizetti,I,265.Dorat,I,119,220.Doyat,I,160.Drevon,I,111;II,110.Drier,cousindeStendhal,II,17.DuBarry(Mme),I,113;II,2.DuBignon,I,289.Dubois-Fontanelle,professeuràl’ÉcolecentraledeGrenoble,I,125,238;II,13-17,19,23,24,25.Dubos(l’abbé),II,28.DuBouchage,I,305.Duchesne,II,154.Duchesnois(Mlle),actricedelaComédiefrançaise,II,10.Duclos,I,301;II,5,63,74,109,152.Ducros(lePère),bibliothécairedelavilledeGrenoble,I,25,29,61,190,214-219,305;II,17.

Dufay.Voyez:Grand-Dufay.Dufour(lecolonel),II,185.Dugazon,actrice,I,310.Dulauron(Mme).Voyez:Menand-Dulauron(Mme).Dumolard(l’abbé),curédeLaTronche,I,204-205.Dupéron(Jeanne),grand’mèrepaternelledeStendhal,I,303.Dupinaîné,II,152.Dupuy,professeuràl’ÉcolecentraledeGrenoble,

Page 181: Vie de Henri Brulard - One More Library

I,238-239,248-250,255,257,277,279,280,281,283;II,35,36,37,54,55,57,58,59,60,64,70,71,72,73.

Durand,précepteurdeStendhal,professeuràl’ÉcolecentraledeGrenoble,I,119,121-125,152-154,163,238,241,243;II,5,67.

Duroc,ducdeFrioul,I,13;II,34.DuvergierdeHauranne,II,25.

E

Edwards(ledocteur),I,259,290;II,7.Esménard,I,8.Euler,I,279;II,57.Euripide,I,119.Exelmans(lemaréchal),I,244.

F

Fabien,maîtred’armesà,II,148,153,164.Falcon,libraireàGrenoble,I,192-193.Fanchon,servantedeRomainGagnonauxÉchelles,I,158.Faure(Félix),pairdeFrance,amideStendhal,I,68,129,164,275,312;II,7,68,91,92,93,146,147,148,154,164.

Faure(Frédéric),frèreduprécédent,II,91,92.Faure(Michel),frèredesprécédents,II,91,92.Faure,pèredesprécédents,I,299.Fauriel,I,91,117;II,114.Fauriel(Mme),femmeduprécédent.Voyez:Grouchy(Sophie).Festa(Mme),actriceitalienne,I,24;II,104.Feydeau,II,104.Fielding,I,119.Fieschi,II,125,153.Fiore(di).Voyez:DiFiore.Fioravanti,II,101.Fitz-James(leducde),II,152.Fleury(l’abbé),I,120.Florian,I,195-196,264;II,20.Foix(leducde),II,151.Fontanelle.Voyez:Dubois-Fontanelle.Fontenelle,I,58,60,71,86.Forisse,I,120.Fourcroy,I,199.Foy(legénéral),I,289;II,6.

Page 182: Vie de Henri Brulard - One More Library

FrançaisdeNantes,II,14.Françoise,servantedesBeyle,I,56.Frioul(ducde).Voyez:Duroc,ducdeFrioul.

G

Gagnon(Elisabeth),grand’tantedeStendhal,I,33,

Page 183: Vie de Henri Brulard - One More Library

37,44,77,78,85-87,89,108,112,138,140,147,148,150,151,169,178,180,181,186,187,192,213,218,223,227,233,234,261,262,308,309;II,30,41,50,64,65,73,100.

Gagnon(ledocteurHenri),grand-pèredeStendhal,I,29,33,34-38,54-62,72,74,77,86,100,134,140,144,148,168,177,187,191,198,213,217,237,241,248,254,262,298,305;II,13,49,54,90,100,131,137,150.

Gagnon(Henriette),mèredeStendhal,I,38-40,57,120;II,99.

Gagnon(Séraphie),tantedeStendhal,I,32,33,37,39,49,71,77,78,81,99,107,112,120,124,127,130,134,138,139,140,141,145,147,148,150,157,164,168,170,171,175,176,177,178,180,185,187,190,192,195,197,198,208,209,215,222,234,235,237,238,242,248,262,264,276,299,301,310;II,1,56,64,65,73,85,90,109,168,176.

Gagnon(Romain),oncledeStendhal,I,35,48-49,51-52,72-73,77,87,135,155-156,162,163,191,308;II,100,110,126.

Gagnon(Oronce),filsduprécédent,I,35.Galle,camaradedeStendhal,I,300,301,311;II,45.Galle(Mme),mèreduprécédent,I,300.Gardon(l’abbé),I,54,141,143-147.Gattel(l’abbé),professeuràl’ÉcolecentraledeGrenoble,I,238,239,310.

Gauthier(lesfrères),camaradesdeStendhal,I,248;II,18,29.Gaveau,I,183,265.Geneviève,servantedesBeyle,I,56.Genoude,oudeGenoude,II,86.Geoffrin(Mme),II,150.Gérard(lebaron),I,259.Gibbon,II,15.Gibory,chefd’escadron,I,269.Giraud(Mme),tantedeMmeRomainGagnon,I,161.Giroud,libraireàGrenoble,I,38.Giroud,camaradesdeStendhal,I,277,302.Giulia,Giul,I,17,22;II,191.Goethe,I,242.GorseouGosse,II,116.Gouvion-Saint-Cyr(lemaréchal),I,244.Gozlan,II,152.Grand-Dufay,camaradedeStendhal,II,1-3,25,28,164.

Page 184: Vie de Henri Brulard - One More Library

Graves(lamarquisede).Voyez:LeBrun(Mme).Grétry,I,3,267;II,97.Grisheim(MlleMinade),I,3,4,17,21.Gros,géomètregrenoblois,professeurdeStendhal,I,25;II,65-68,71.

Gros,peintre,I,7.Grouchy(Sophie),depuisMmedeCondorcet,puisMmeFauriel,I,117;II,114.

Grubillonfils,I,160.Guettard,minéralogistegrenoblois,I,188.Guilbert(Mélanie),actrice,maîtressedeStendhal,I,9,17,20,28,142.Guillabert(l’abbé),I,186.Guise(leducde),I,221.Guitri(Umbert),I,54.Guizot,I,240.Gutin,marchanddedrapsdauphinois,I,201.Guyardet,II,194.

H

Hampden,II,6.Harcourt(leducd’),II,151.Haxo(legénéral),I,149,189.Hélie(l’abbé),curédeSaint-HuguesdeGrenoble,I,213.Hélie(Ennemond),camaradedeStendhal,II,27,28.Helvétius,II,8,9,86,89,159,190.Herrard,I,27.Hippocrate,I,113.Hoffmann,professeurdeclarinetteàGrenoble,I,274.Holleville,professeurdeviolonàGrenoble,I,274,275.Homère,I,229.Horace,I,113,119,122,187;II,125.Houdetot(d’),I,164.Hugo(Victor),II,4.Hume,I,137.Humières(leducd’),II,151.

I

Ingres,I,7.

J

Page 185: Vie de Henri Brulard - One More Library

Jacquemont(Victor),I,18.

Jay,peintre,professeuràl’ÉcolecentraledeGrenoble,I,238,250,254,283;II,26-29,35,46.

Jeki(lePère),I,12.Joinville(lebaron),II,143,194.JOMARD,II,52.Joubert,précepteurdeStendhal,I,38,82,163.Jussieu(Adriende),I,26,182,259,313.Jussieu(Antoinede),I,290.

K

Kably(Virginie),actrice,I,4,17,95,263-271,273-274,276,292,296,299,301;II,53,74,194.

Kellermann,I,231.Kératry(de),I,10.Kersanné,II,147.Koreff,II,5,152.

L

LaBayette(de),camaraddeStendhal,I,300,301,307,311;II,45.LaBruyère,I,11;II,150,151,152.Laclos(Choderlosde),I,74.Lacoste(de),I,55.Lacroix,géographe,I,101.LaFeuillade(leducde),II,151.LaFontaine,I,288;II,8,99,253.Lagarde,II,5.Lagrange,II,9,57,259.Laharpe,II,13,14.Laisné(levicomte),II,8.Lamartine,I,19;II,90.Lambert,valetdechambred’HenriGagnon,I,66,113,114,139,140,167-173,177,303;II,32.

Lamoignon,I,64.Lannes(lemaréchal),I,240.LaPasse(levicomtede),I,313.LaPeyrouse(de),II,43.Laplace(de),I,258,259;II,9.LaRive,acteur,I,310.LaRochefoucauld(leducde),II,151.

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LaRocheguyon(leducde),II,151.Lasalle(legénéral),I,244.LaValette(de),II,42.LaValette(Mme),II,165.LaValette(Mllede),I,28.LaVallière(Mllede),II,136.LeBrun(Mme),filledeNoëlDaru,depuismarquisedeGraves,I,11;II,80,81,108,111,117.

LeBrun(MllePulchérie),filledelaprécédente,depuismarquisedeBrossard,II,81,108.Lefèvre,perruquieràGrenoble,I,62,104.Legendre,I,259.Léger,tailleuràParis,I,22.LéopolddeSyracuse,princedeNaples,I,313.Lerminier,I,190.LeRoy,professeurdepeinturedeStendhalàGrenoble,I,175,176,177,178,179,182,183,209,250,251,266;II,45.

LeRoy(Mme),femmeduprécédent,I,176,253.Lesdiguières(leconnétablede),I,67,89.Lesdiguières(leducde),II,151.Létourneau,II,34.Létourneau(Mme),femmeduprécédent.Voyez:Borel(Mlle).Létourneau(Mlle),depuisMmeMauriceDiday,II,34,35.Letourneur,traducteurdeShakespeare,I,287;II,9,133.Letronne,I,190.Linné,I,190.Lorrain(Claude),I,62.LouisleGros,II,81.LouisXI,I,44.LouisXIV,I,216,288;II,74,81,125,136.LouisXV,I,113,128,187;II,74.LouisXVI,1,113,125,126,129;II,163.LouisXVIII,II,64.Louis-PhilippeIer,I,165.Luther(Martin),I,34.

M

Mably,I,70.Machiavel,II,8.Mâcon,II,194.Maintenon(Mmede),II,151.Maistre(MlleThérésinede),I,162.

Page 187: Vie de Henri Brulard - One More Library

Maistre(lecomteXavierde),frèredelaprécédente,I,162.Mallein(Abraham),beau-pèredeZénaïdeBeyle,I,267.Mallein(Alexandre),filsduprécédent,beau-frèredeStendhal,I,299.Manelli,paysanitalien,I,226.Mante,amideStendhal,II,35,36,45,46,47,50,164.Marcieu(de),I,298.Marcieu(lechevalierde),I,111.Marcieu(Mmede),I,73.Mareste(lebaronAdolphede),surnomméparStendhalBesançon,I,5,22,121,208;II,33,147.

Maria(dona),reinedePortugal,I,128.Marie(l’abbé),mathématicien,I,282;II,55.Marie-Antoinette,II,119,121,163.Marion,servantedesGagnon.Voyez:Thomasset(Marie).Marmont(lemaréchal),ducdeRaguse,II,175.Marmontel,I,10,119;II,14,152.Marnais(Mmesde),I,37.Marot(Clément),I,215.Marquis,camaradedeStendhal,II,17.Martin,II,52.Martin(Joséphine),cousinedeStendhal,I,207.Martin(Mme),I,269.Masséna(lemaréchal),II,134.Massillon,I,103,137.Mathis(lecolonel),I,121,244.Maupeou(de),I,259.Maximilien-Joseph,roideBavière,II,14.Mayousse,paysandeClaix,I,201.Mazoyer,commisauministèredelaGuerre,II,129,132,133,138.Meffrey(lecomtede),I,256;II,33.Menand-Dulauron(Mme),I,73,111.Mengs,II,181.Menti,Menta(Clémentine),I,4,5,17,20,21,289.Mention,professeurdeviolonàGrenoble,I,274;II,97.Mérimée(Prosper),appeléparStendhalClaraouClaraGazul,I,299;II,152.

Mérimée(Mme),femmeduprécédent,II,162.Merlinot,représentantdupeuple,I,133,137.Merteuil(Mmede).Voyez:Montmort(Mmede).Métilde.Voyez:Dembowski(Mathilde).Meyerbeer,II,102.Michaud(legénéral),I,183,244.Michel-Ange,I,9,79,250.Michel,tailleuràParis,I,22.Michoud,camaradedeStendhal,I,311,312;II,45.

Page 188: Vie de Henri Brulard - One More Library

Mignet,I,129;II,161.Milai(Bianca),I,228.Mirabaud,traducteurdel’Arioste,I,163.Milne-Edwards,I,259.Ming,II,52.Mirepoix(Mmede),II,150.Molé,ministredesAffairesétrangèresen1830,I,16;II,152.Molière,I,11,108,109,192,227;II,19,112,148,175,178.Moncey(lemaréchal),ducdeConegliano,I,110,244.Moncrif,II,105.Monge,II,9.Monge(Louis),frèreduprécédent,II,61,69.Montaigne,I,12.Montesquieu,I,7,20,70,167,212,220;II,9,150.Montesquiou(legénéral),I,157,160.Montfort(leducde),II,151.Montmort(MmeDuchampsde),I,74,75,111:II,110.Monval(lesfrèresde),camaradesdeStendhal,I,26,255,257,279;II,28,35,50,86,87.

Moore(Thomas),I,8.MorarddeGalles(l’amiral),I,301.MoreauleJeune,I,250.Morey,II,147.Morgan(lady),I,18.Morlon(lePère),I,287.Moulezin,camaradedeStendhal,I,251;II.28.Mounier,marchanddedrapàGrenoble,I,68,69.Mounier,filsduprécédent,conventionnel,préfetdeRennes,I,67,68.Mounier(Edouard),filsduprécédent,I,67,68;II,62.Mounier(Victorine),sœurduprécédent,I,67;II,34.Mozart,1,171;II,100,101,102.Muller,graveur,II,181,Munichhausen(legrandchambellande),II,154.Murat,roideNaples,I,63.

N

NapoléonIer,I,10,13,15,28,164,243,244,258,269,304;II,61,69,74,125,139,144,145,153,161,166,190,191.

Navizet,entrepreneurdechamoiserieàGrenoble,I,218.Naytall(lechevalier),II,1.Nelson(l’amiral),I,244.Ney(lemaréchal),II,160.Nicolas(l’empereur),I,115.

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Nivernais(leducde),II,152.Nodier(Charles),II,99,152.NumaPompilius,I,113.

O

Odru,camaradedeStendhal,I,248,276;II,28-32.Olivier(legénéral),II,140.Orbane(Barthélemyd’).Voyez:Barthélemyd’Orbane.Ornisse(?lacomtesse),II,111.Ossian,II,25.Ovide,I,124,185;II,15.

P

Paisiello,II,97,101.Pajou,I,250.Panseron,II,105.Pariset,I,271;II,5.Parny,II,14.Pascal(César),II,153,154.Passe(levicomtedela).Voyez:LaPasse(levicomtede).Pasta(Mme),actrice,II,24,67.Pastoret(de),II,153.Penet,camaradedeStendhal,II,18.PépindeBellile,I,92.Périer(Claude),ditmilord,I,83,292;II,150,154.Périer(Amédée),filsduprécédent,I,83.Périer(Augustin),frèreduprécédent,I,83.Périer(Camille),frèredesprécédents,I,83.Périer(Joseph),frèredesprécédents,I,83.Périer(Casimir),ministre,frèredesprécédents,I,68,83,292;II,149,153,154,155.

Périer(Scipion),frèredesprécédents,I,83;II,155.Périer(Elisabeth-Joséphine),depuisMmeSavoyedeRollin,sœurdesprécédents,II,149.Périer(MlleMarine),depuisMmeTeisseire,sœurdesprécédents,I,97.Périer-Lagrange,voisindesGagnon,I,189.Périer-Lagrange(Mme)femmeduprécédent,I,106.Périer-Lagrange,filsdesprécédents,beau-frèredeStendhal,I,24.Perlet,publicisteàParis,I,151.Perrotd’Ablancourt,I,194.Peroult,I,

Page 190: Vie de Henri Brulard - One More Library

271.Petiet(Mme),II,165.Petiet(lebaronAuguste),filsdelaprécédente,II,126.Petiet(Mme),femmeduprécédent.Voyez:Rebuffet(Adèle).Petit(lacomtesseAlexandrine),I,16,17,20,21,23,36,43,148,173;II,138.

Philippe-Auguste,II,74.Piat-Desvials(Mme),I,111.Picard,II,145.Pichegru(legénéral),I,151.Pichot(Amédée),II,4.Picotlepère,I,48.Pietragrua(Angela),maîtressedeStendhal,I,17,22;II,200.Pina(de),camaradedeStendhal,mairedeGrenoble,I,255,257,305.Pinto(lecommandeur),I,16.Pipelet(Constance),depuisprincessedeSalm-Dyck,II,122-123,157.Pison-Dugalland(Mme),cousinedeStendhal,I,31,141.Plana,amideStendhal,II,11.Plana,pharmacienàGrenoble,II,52.Pline,I,190.Poitou(lebaron),II,135.PoltrotdeMéré,I,221.Poncet(Mme),mèredeMmeRomainGagnon.Voyez:Bonne(Mlle).Poncet(Camille),femmedeRomainGagnon,I,157,160,162.Poncet(Mlle),sœurdeMmeRomainGagnon,I,161,162.Poncet,menuisieràGrenoble,I,189.Pope,I,117.Portal(ledocteur),II,93,118.Poulet,gargotieràGrenoble,II,49.Poussi,I,264.Pozzi(Mme),I,226.Précy,I,231.Prévost(l’abbé),I,126.Prié,camaradedeStendhal,II,48.Prunelle,médecin,mairedeLyon,I,24;II,7.Ptolémée,I,100.Pyrrhus,I,63.

Q

Quinsonnas(de),I,73.Quinsonnas(Mmede),femmeduprécédent,II,150.Quinte-Curce,I,82.

Page 191: Vie de Henri Brulard - One More Library

R

Racine,I,153,287,288;II,20,129,133,136,137,138,152.Raillane(l’abbé),précepteurdeStendhal,I,82-84,91,92,93-101,108,120,123,203,205;II,149.

Raimonet,I,249.Raindre,II,31,154.Rambault(l’abbé),I,287.Raphaël,I,2,253.Raymond,II,4.Ravix(M.de),I,55.RebuffetouRebuffel(Jean-Baptiste),neveudeNoëlDaru,I,24;II,79,126,127,155,163.

Rebuffet(Mme),femmeduprécédent,II,126,127,162,166.Rebuffet(MlleAdèle),filledesprécédents,depuisMmeAugustePetiet,I,17;II,79,126,166.RegnaultdeSaint-Jean-d’Angély(lecomte),I,59.Renauldon,mairedeGrenoble,gendredeDubois-Fontanelle,II,14.Renauldon(Ch.),filsduprécédent,II,25.Renault,peintre,directeurd’uneacadémieàParis,II,123.Renneville(de),I,256.Renneville(de),filsduprécédent,camaradedeStendhal,I,255,256,279.Renouvier,prévôtd’armesàParis,II,153.Revenas(l’abbé),I,186.Rey,I,215.Rey(l’abbé),grand-vicairedeGrenoble,I,46,47,60.Rey(lechanoine),I,213.Rey(Mlle),sœurduprécédent,I,213.Rey,notaire,oncledeStendhal,II,37.Rey(Mme),femmeduprécédent,II,37.Rey(Edouard),filsdesprécédents,II,37-38.ReybaudouReyboz,épicieràGrenoble,I,137.Reytiers,camaradedeStendhal,I,94,95,98,101,205-206.Richardson,I,33.Richebourg(lebaronde).Voyez:Basset(Jean-Louis).Richelieu(leducde),II,151.Rietti(Mlle),II,189.Rivaut(legénéral),II,154.Rivière(Mlles),I,111.Roberjot,I,125.Robert,I,248.Robespierre,I,152.Roederer,II,8,14.Roland(Alphonse),I,96.Roland(Mme),I,9;II,40.

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Rollin,I,212,222;II,31.Romagnier(M.),cousindeStendhal,I,232.Romagnier(Mme),femmeduprécédent,I,138,139,178,261,262.Romulus,I,113.Rosset,appeléaussiSorelparStendhal,II,73,74,77,91.Rosset(Mme),femmeduprécédent,II,163.Rossini,II,4,98,102,203.RougetdeLisle,II,100.Rousseau(Jean-Jacques),I,12,79,97,158,159,283,288;II,16,18,19,39,127,167,171,176,179,183,193.

Roy(Mme),I,183.Royaumont,I,220.Royer(Louis),II,30.Royergros-bec,II,33.Rubempré(Alberthede),maîtressedeStendhal,I,17,20,22,38.Rubichon,I,214.

S

Sacy(Silvestrede),I,137.Sadin(l’abbé),curédeSaint-LouisdeGrenoble,I,213.Saint-Ferréol(de),camaradedeStendhal,I,25,29,67,248,305;II,35.

Saint-Germain(Mme),sœurdeBarnave,I,69.Saint-MarcGirardin,I,271.Saint-Priest(de),intendantduLanguedoc,II,78.Saint-Simon,I,212;II,53,63,110,125,151,164.Saint-Vallier(de),I,305.Saint-Vallier(lesénateur,comtede),I,74.Saint-Vallier(MlleBonnede),I,28,305.Sainte-Aulaire,II,152.Salluste,I,243.Salm-Dyck(princede),II,123.Salm-Dyck(princessede),femmeduprécédent.Voyez:Pipelet(Constance).Salvandy(de),I,8,190,242,310.Sandre(lacomtesse),II,1.Santeuil,I,220.Sassenage(Mmede),I,73,298;II,150.SavoyedeRollin(lebaron),II,149.SavoyedeRollin(Mme),femmeduprécédent.Voyez:Périer(Elisabeth-Joséphine).Say(Jean-Baptiste),I,12;II,9.

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Schiller,I,242.Scott(Walter),I,20;II,39,134.Sébastiani(legénéral),I,64,245.Senterre,cousindeStendhal,I,114,149-152,231.Shakespeare,I,287,288,289;II,8,9,19,23,24,53,111,133,134,138,190.

Sharpe(Sutton).Voyez:SuttonSharpe.Sieyès(l’abbé),II,21.Simon(Mlle),I,112.Sinard(de),camaradedeStendhal,I,25,26,29,67,256,305;II,35,36.87.SixteIV,pape,I,9.Smith(Adam),II,9.Smith,physicien,I,222.Smolett,I,137.Sophocle,I,119;II,25.Sorel(M.etMme).Voyez:Rosset.Soulié,II,4.Soult(lemaréchal),I,240.Suchet(lemaréchal),I,244.Suétone,I,220.SuttonSharpe,amideStendhal,I,258.

T

Tachinardi,I,24.Tacite,I,276.Talaru(Mmede),II,152.Talleyrand(leprincede),I,49.Tasse(le),I,229;II,88,89,90.Tavernier(Lysimaque),chancelierduconsulatdeFranceàCività-Vecchia,I,59.

Teisseire,I,40.Teisseire(Camille),I,97.Teisseire(MmeCamille),femmeduprécédent.Voyez:Périer(Marine).

Teisseire(Mme),I,34.Teisseire(Paul-Emile),camaradedeStendhal,I,280-281;II,17,18,58.

Ternaux,II,21.Terrasson(l’abbé),I,190.Thénard,II,9.Thierry(Augustin),I,117.Thiers,I,164;II,152,161.

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Thomas,I,164.Thomasset(Marie),diteMarion,servantedesGagnon,I,45,46,50,113,139,140,149,177,178,234;II,63,65.

Thucydide,I,148;II,33.Tiarini,II,35.Tite-Live,I,2,146,220.Toldi(Mme),actrice,I,313.Torrigiani(lemarquis),I,226.Tortelebeau,II,18,57.Tournus,I,72,111.Tourte,maîtred’écrituredePaulineBeyle,I,72,144-145,146-147,152.Tourte(l’abbé),frèreduprécédent,I,152.Tracy(Destuttde),I,12,27,106,131,237,239,303,304;II,2,8,18,24,60,67,170.

Treillard,camaradedeStendhal,II,46,47,50,51.Tressan(de),traducteurdel’Arioste,I,109,153,188;II,133.Trousset,professeuràl’ÉcolecentraledeGrenoble,I,238.Turenne(de),I,11.Turquin,II,153.

U

UrbainVIII,pape,I,17.

V

Vasari,I,61.Vaucanson,I,55.Vaudreuil(de),II,152.Vaulserre(de),I,256.Vaulserre(Mmede),femmeduprécédent,I,28,55,305.Vaulserre(Mllede),depuisMmedeBrenier,I,48.Vaux(lemaréchalde),I,65-67.Vial(Jean),jardinierdesBeyleàClaix,I,201.Vigano,I,213.Vignon(Mme),amiedeSéraphieGagnon,I,138,177,197,198;II,56.

Vignon(Mlle),filledelaprécédente,I,198.Villars(leducde),II,151.Villèle(de),I,33.Villemain,I,269;II,20,152,153,203.Villonne,professeurdedessinàGrenoble,I,250,253.Virgile,I,97,98,122,229;II,132.

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Voltaire,I,34,97,105,113,187,190,213,215,227,304;II,15,16,19,23,26,33,122,133,134,137,151,152.

W

Weymar(Loïs),I,233;II,20.