Vies Et Métamorphoses de La Sibylle. Notes Critiques

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  • Revue de lhistoire des religions, 224 - 2/2007, p. 253 271

    JEAN-MICHEL ROESSLIUniversit de Fribourg (Suisse)

    Vies et mtamorphoses de la SibylleNotes critiques*

    Les tudes sur la Sibylle se sont multiplies au cours de ces derniresannes, preuve, sil en faut, de la vivacit de lintrt pour la divination etla posie oraculaire. En raison de la permanence et de luniversalit deson message, la Sibylle, vritable rceptacle du divin, sest prte toutessortes dutilisations, exploitations et manipulations dans les domainesreligieux et artistiques. Elle a inspir potes, peintres et compositeurs etaliment les esprances de plusieurs groupes religieux. Les prsentes notescritiques entendent profiter de parutions rcentes pour rendre compte desrflexions actuelles sur la prophtesse antique et sa survie travers lesges.

    Lives and Metamorphoses of the Sibyl

    Studies on the Sibyl have multiplied these last years, proof, if needed, ofthe liveliness of the question of divination and oracular poetry. Due to thelong-lasting and broad influence of her message, the Sibyl, truthful recipientof divine communication, lent herself to many uses and appropriations in theareas of religion and the arts. She inspired poets, painters and composersand nourished the hopes of various religious groups. The present reviewarticle benefits from recent publications to report on current views aboutthe ancient prophetess and her survival through the ages.

    * propos de : Monique Bouquet et Franoise Morzadec (ds.), La Sibylle.Parole et reprsentation, Rennes, Presses Universitaires de Rennes (PUR),2004, 301 p., 19 figs. (Collection Interfrences ), 23 . Jackie Pigeaud, LesSibylles. Actes des VIIIe Entretiens de La Garenne Lemot, 18 au 20 octobre2001, Nantes 2005, 231 p., 5 pls. en couleur, 30 .

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    Figure fminine de la divination et de la posie, la Sibylle, aunom si mystrieux quil na pas encore livr tous ses secrets1, trouveson origine lpoque archaque, quelque part entre Orient et AsieMineure. Depuis lors, elle na cess de hanter limaginaire desGrecs, des Romains et de leurs hritiers en Occident, et cela depuisle haut Moyen ge jusqu nos jours, en passant par la Renaissanceet lpoque moderne.

    Tour tour une et multiple, paenne, juive et chrtienne, laSibylle se fait porte-parole des polythismes aussi bien que desmonothismes. Par les oracles quelle profre ou ceux quon luiprte, elle se fait encore lcho des revendications identitaires dedivers groupes humains, que ce soit les ambitions politiques dunecit hellnistique ou laffirmation de foi de quelque thologien juif

    1. Les Anciens eux-mmes, linstar de Varron (ap. Lactance, Institutionsdivines, I, 6, 7), Diodore de Sicile (Bibliothque historique, IV, 66, 6) ouServius (Commentaire lnide III, 445), ont tent de lever le voile surlorigine et la signification de ce nom. Leurs hypothses, pour suggestives etsduisantes quelles sont, nen demeurent pas moins indmontrables sur leplan philologique. Elles nourrissent limaginaire et font rver les potes, maisne satisfont pas les linguistes. Les modernes, eux aussi, ont tent de percer lemystre de ce nom, sans parvenir des rsultats plus probants (cf. PierreChantraine, Dictionnaire tymologique de la langue grecque. Histoire desmots, Paris, 1968, s. v. Txa). Ils ont voulu y voir un mot dorigine tanttgrecque, tantt smitique et hsitent y reconnatre au dpart un nom propreappliqu par extension une classe dindividus ou un nom commun qui seserait ensuite cristallis sur un personnage particulier. Le fait que les sourcesles plus anciennes ne semblent connatre quune Sibylle incite toutefois privilgier la premire hypothse. Sur tout cela, voir Herbert Chayyim Youtie, Sambathis , Harvard Theological Review, 37 (1944), p. 209-218. Plusrcemment, Valentin Nikiprowetzky, La Troisime Sibylle, Paris-La Haye,1970, p. 11-16 ; Jean-Marc Rosenstiehl, Jean-Georges Heintz, De ibtu, lareine de Mari, Sambth, la Sibylle chaldenne ? , Revue dhistoire et dephilosophie religieuses, 52 (1972), p. 13-15. Pour dautres hypothses, voirencore Robert B. Coote, Sibyl: Oracle, Journal of Northwest SemiticLanguages, 5 (1977), p. 3-8 ; Jacob Hoftijzer, Karel Jongeling, Dictionaryof the Northwest Semitic Inscriptions (Handbuch der Orientalistik. ErsteAbteilung. Der Nahe und Mittlere Osten, 21), Leyde-New York, 1995, vol. 2,p. 774-775.

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    ou chrtien. Cest sans doute pour rpondre tous ces besoins que laSibylle sest multiplie, de faon tantt anarchique tantt organise,pour voir son nombre canoniquement fix dix dans le catalo-gue de Varron (antiquit. rer. div. frg. 56a Cardauns), puis douze la fin du Moyen ge2. Ce sont les mtamorphoses successivesde cette prophtesse aux multiples visages, qui, de figure inspire,est devenue inspiratrice pour les potes, les artistes-peintres, lescompositeurs et les rudits, que se propose daborder louvragepubli par Monique Bouquet et Franoise Morzadec aux PressesUniversitaires de Rennes. Ce livre runit, en un ensemble varimais cohrent, les vingt-et-une contributions, gnralement brveset synthtiques, dun colloque organis en octobre 2001 par le Centredtudes des Littratures Antiques et Modernes de lUniversit deRennes 2-Haute-Bretagne.

    Aprs un avant-propos rtrospectif sur les tudes rassembles(p. 11-16), une premire srie de travaux est consacre aux inter-prtations romaines de la Sibylle, telles quelles ressortent des uvresde Virgile, Tibulle, Ovide, Silius Italicus et Servius, en passant parles libri Sibyllini et autres recueils doracles, dont la consultationtait place sous le strict contrle de prtres en charge du sacr (uirisacris faciundis). Ces contributions sont opportunment prcdesdun article de Caroline Fvrier sur Le double langage de la Sibylle :de loracle grec au rituel romain (p. 17-27), tant il est frappant deconstater que la Sibylle a pu servir la fois la divination inspire desGrecs et la mantique inductive des Romains, sexprimant pour celaaussi bien dans un langage dbrid que dans un discours construit

    2. Voir notamment mon Catalogues de sibylles, recueil(s) de LibriSibyllini et corpus des Oracula Sibyllina. Remarques sur la formation et laconstitution de quelques collections oraculaires dans les mondes grco-romain,juif et chrtien , dans Enrico Norelli (d.), Recueils normatifs et canons danslAntiquit. Perspectives nouvelles sur la formation des canons juif et chrtiendans leur contexte culturel. Actes du colloque organis dans le cadre duprogramme plurifacultaire La Bible la croise des savoirs de lUniversit deGenve, 11-12 avril 2002 (Publications de lInstitut romand des sciencesbibliques 3), Lausanne, 2004, p. 47-68 (avec une bibliographie abondante surle sujet).

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    et rtrospectivement adapt aux besoins de la politique religieuse dela Rpublique et de lEmpire. Mais lauteur montre que ce doublelangage de la Sibylle se retrouve dans les libri Sibyllini eux-mmes,dont le genre se situe mi-chemin entre oracula et remedia, oscillantde lun lautre en fonction des ncessits. On pourrait ajouter maiscest une vidence que le langage de la Sibylle ne peut tre quedouble, dans la mesure o celui-ci est souvent ambigu, quivoque,obscur, sibyllin pour tout dire. C. Fvrier sinterroge enfin sur lemoment o lon a commenc faire un usage politique de ces libri,sous les Tarquins lpoque archaque ou plus tardivement souslempereur Auguste. Ltude de Charles Guittard (Reflets trusquessur la Sibylle, Libri Sibyllini et Libri Vegoici, p. 29-42) revientensuite sur la question longtemps dbattue des racines trusques dela prophtesse, en examinant le lien, suggr par le commentaire deServius ad Aen. VI, 72, entre la nymphe Vcu, Vgoia ou Bgo etla prophtie sibylline. Une belle traduction de loracle de Vgoiaest donne en appendice de cet article, o un rapprochement estencore propos avec loracle dHystaspe, propos duquel je croisutile dindiquer la contribution de Piero Franco Beatrice, Le livredHystaspe aux mains des chrtiens , dans Corinne Bonnet etAndr Motte (ds.), Les syncrtismes religieux dans le mondemditerranen antique. Actes du colloque international en lhonneurde Franz Cumont loccasion du cinquantime anniversaire de samort, Bruxelles-Rome, 1999, p. 357-382, en complment de celle,fondamentale, de Bidez et Cumont, mentionne par lauteur.

    Ensuite, ce sont les relectures ou appropriations plus spcifique-ment littraires de la Sibylle qui sont explores. Jacqueline Champeauxse demande par exemple, dans son tude sur les Figures romaines dela Sibylle (p. 43-52), si le nom de la prophtesse nest pas devenuune appellation gnrique pour dsigner une figure trange ou unevierge fanatique. Selon lauteur, cest Virgile que lon doit davoir fondu en un seul personnage, la forte identit, les figures multiples,donc fragmentaires, que lui avait lgues la tradition (p. 47). Christo-phe Cusset sintresse lAlexandra de Lycophron (p. 53-60), danslaquelle il dcle une assimilation de Cassandre la Sibylle, toutesdeux vierges et toutes deux associes une demeure souterraine

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    dcrite comme odieuse3. Dans son article intitul La Sibylle etMde : Virgile et la tradition argonautique (p. 61-68), DamienP. Nelis, sinspirant du commentaire dEduard Norden et dunerflexion de Hugh Lloyd-Jones, rapproche la Sibylle virgilienne etMde, chacune delles tant prtresse dHcate et rattache de cefait des traditions catabatiques remontant jusqu lIliade (o Circjoue le rle tenu ailleurs par Mde) et dont on trouve des tracesdans les Argonautiques dApollonios de Rhodes. Albert Foulon traiteensuite des Sibylles lgiaques (p. 69-74), autrement dit des allusionslittraires la Sibylle dans les uvres dOvide, Properce, et surtoutde Tibulle, dont il souligne loriginalit dans limportance accorde la fois au personnage de la Sibylle et au contenu de son message,dpassant le seul destin dne pour anticiper la domination deRome sur tout lunivers (p. 72). Alain Deremetz se penche de sonct sur La Sibylle dans la tradition pique Rome : Virgile, Ovideet Silius Italicus (p. 75-83). Lauteur relve que la figure prophtiquetutlaire de lnide devient une simple voix sans corps dans lesMtamorphoses et une friponne dlure dans les Punica. Sappuyantsur les thories du discours littraire, il conclut que dans ces troispomes la Sibylle joue un double rle, celui de prophtesse desdestins du hros au niveau de laction raconte et celui dun modlepotique qui illustre le rapport de lauteur son uvre (p. 82).

    Franoise Morzadec, lune des deux ditrices du volume, consacreensuite une tude pleine de finesse Stace et la Sibylle : rivalitlittraire autour de la louange de Domitien, la Silve IV, 3 (p. 85-98).Lauteur sefforce de comprendre et de dfinir les raisons qui ontpouss le pote insrer un pangyrique lempereur dans lediscours descriptif et visionnaire de la Sibylle. Pour Stace, ladiffrence de Virgile dont il sinspire et se dmarque tout la fois,

    3. De ce texte capital et fort nigmatique, nous disposons dsormais dedeux nouvelles traductions franaises assorties de notes et commentaires,lune due Grard Lambin, dite dans la mme collection Interfrences des Presses universitaires de Rennes en 2005, lautre de Pascale Hummel, paruedans la Bibliothque volante des ditions CompAct Chambry en 2006. Lemme Christophe Cusset a organis, en partenariat avec Evelyne Prioux, uncolloque sur Lycophron qui sest tenu Lyon et Saint-tienne du 18 au20 janvier 2007. Inutile de dire que les Actes seront attendus avec impatience.

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    la Sibylle est une figure littraire plus quune prophtesse, et le butdu pote est dunir des lments ralistes et imaginaires danslespace privilgi de la louange (p. 93). Monique Bouquet, co-ditrice du volume, sinterroge pour sa part sur La Sibylle servienne,guide de lexgse moderne ? (p. 109-118). Selon lauteur, le clbrecommentaire de Servius dpotise en mme temps quildpersonnalise, pourrait-on ajouter la Sibylle, qui devient unnom commun et peut du mme coup dsigner toute jeune filledont le cur reoit la divinit ( omnis puella cujus pectus numenrecipit , In Aen. III, 445, p. 110). Pour M. Bouquet, Serviusserait Virgile ce que la Sibylle est Apollon (p. 117). Autrementdit, le scholiaste de Virgile fonctionnerait lgard de luvre quilcommente un peu comme la Sibylle face au message du dieuApollon dont elle se fait linterprte. Dautre part, dans soncommentaire, Servius semble suivre la distinction cicronienne entremantique naturelle et mantique artificielle (De divinatione,I, 18) et il dcrit au moins trois phases dans lhistoire de la divina-tion (Aen. VI, 46). Drythres, la Sibylle se rend Cumes dans lebut dobtenir dApollon une longue vie, quelle reoit, mais sanscorps, de sorte quelle finit par ntre plus quune voix (cf. Ovide,Mtamorphoses, 14, 152-153). Cest en lien avec cette tude, maispas seulement, quon lira larticle hautement instructif de GiuseppeRamires sur Les additions italiennes dans lpisode de la Sibylle deCumes : Servius Ad Aen. VI, 37-135 (p. 119-129). Lauteur attirelattention sur les supplementa Italica figurant dans certains manus-crits humanistes de Servius (le Parisinus Latinus 7965, crit Ferrare en 1469, par exemple), qui contiennent des interpolationsparfois antrieures eux, interpolations dues, selon V. Zabughin, la main de matre dun hellniste prouv , mais non identifi(p. 120). Ramires fait une analyse hermneutique de ces inter-polations, notamment celles de Ptrarque dans le codex Ambrosianus.Il examine ensuite quelques-unes des gloses relatives la Sibylledont on ne connat aucun parallle ailleurs et conclut quune tudeglobale de la question rendrait indispensable leur insertion dans lecadre dune nouvelle dition critique du commentaire de Servius,dition quil juge du reste indispensable. Cet article, sign dun

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    auteur italophone, aurait encore gagn en lisibilit, sil avait bn-fici dultimes retouches de la part des ditrices. Un peu plus ttdans louvrage, Sabina Crippa a livr dintressantes rflexions surles Figures du xa| (p. 99-108), verbe dont se moqueAristophane et que Diodore de Sicile dfinit comme lexpressionlinguistique dsignant le fait dtre inspir des dieux (p. 100).Lauteur attire en outre lattention, comme elle avait dj faitailleurs, sur la distinction entre la Sibylle et les sibylles, de mmequentre oralit et criture du langage sibyllin, autrement dit entrevaticinations orales et prophties mises par crit. Dans cette contri-bution aussi, quelques italianismes, quil naurait pas t difficilede supprimer, subsistent dans le nom de quelques auteurs anciens(Erma, pour Hermas ; Ps.-Giustino, pour le Pseudo-Justin, etc.).

    Ileana Chirassi Colombo, co-organisatrice et co-ditrice dunautre colloque sur les sibylles4, sarrte ensuite sur La bru de No(p. 131-149), titre inspir dun vers du troisime livre des Oraclessibyllins (v. 827 : Jtais nymphe et de mme sang que lui [No] ,souvent traduit Jtais sa bru et sa parente [de No] ), qui lie laSibylle, figure prhistorique davant la chute de la Tour de Babel, la famille de No. Cette Sibylle, juive sur les plans tymologique,lexicographique et mtaphorique, est proprement parler laparole de Dieu . Alternativement fille dve ou de Circ, elle envient personnifier le Sabbat lpoque hellnistique (p. 140).Sous le titre Quand Apollon sest tu, les Sibylles parlent encore(p. 151-163), Nicole Belayche sinterroge sur le rle tenu par lessibylles et leurs oracles dans les milieux paens et chrtiens desIIIe et IVe sicles. Elle relve notamment que la transformation de laSibylle, vritable voyante paenne, en une prophtesse quasi-chrtienne, se reflte dans le passage doracles profrs en tat detranse des prophties de plus en plus sophistiques et construites.Lauteur place son excellente tude sous le patronage du Discoursde Constantin lassemble des saints, dont elle ne remet pas encause lauthenticit, pas plus quelle nexprime de doute sur sa date

    4. Ileana Chirassi Colombo, Tullio Seppilli (ds.), Sibille e linguaggioracolari. Mito, storia, tradizione, Atti del Convegno Macerata-Norcia,Settembre 1994, Pise-Rome, 1998 (impr. 1999).

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    de composition, le lieu o il a t prononc et la circonstance pourlaquelle il a t rdig : Antioche, le vendredi saint de lanne325. N. Belayche nignore pourtant pas que la paternit de ceDiscours laquelle je souscris galement ne fait pas lunani-mit, aujourdhui encore (cf. Cataudella, 2001), parmi lesspcialistes, mais il faut ajouter que la date de sa composition,comme le lieu et la circonstance dans lesquels il a t dlivr fontgalement lobjet de dbats entre historiens, qui hsitent entre lesvendredis saints de 313 et 325 et dautres circonstances situesentre ces deux dates5. Quant au lieu o le Discours aurait tprononc sil la jamais t, tout au moins sous la forme o nousle connaissons , Antioche nest pas la seule candidate en lice. On agalement pens Nicomdie (Bleckmann, Barnes) et Rome(Edwards). Or, ce point nest pas sans importance dans largumen-tation de lauteur, puisquelle associe troitement le lieu dudiscours de lempereur la tradition assimilant la Sibylle ionienne Daphn et au sanctuaire dApollon situ dans ce mme lieuproche dAntioche. Il aurait peut-tre t utile de discuter ces diver-ses hypothses et dexpliciter les raisons de la prfrence pourAntioche. La dmonstration aurait mon avis gagn encore enforce de persuasion. Petit dtail enfin : le pome Sur le quatrimeconsulat dHonorius, attribu par tlescopage Rutilius Nama-tianus probablement en raison de la mention du De reditu suo de

    5. Cf. Bruno Bleckmann, Ein Kaiser als Prediger : Zur Datierung derKonstantinischen Rede an die Versammlung der Heiligen , Hermes, 125,(1997), p. 183-202 ; Michael Edwards, dans Michael Edwards, Martin Goodman,Simon Price (ds.), Apologetics in the Roman Empire. Pagans, Jews, andChristians, Oxford, 1999, p. 251-275 ; Harold Allen Drake, Constantine andthe Bishops. The Politics of Intolerance, Baltimore, 2000 (Baltimore-Londres,2002) ; Timothy D. Barnes, Constantines Speech to the Assembly of the Saints:Place and Date of Delivery, Journal of Theological Studies, 52 (2001), p. 26-36 ;Maria R. Cataudella, Costantino, Giuliano e lOratio ad Sanctorum Coetum ,Klio, 83 (2001), p. 167-181, pour des prises de position rcentes. Dernirement,Klaus Martin Girardet est revenu sur la question dans un ouvrage collectif surConstantin et conclut que le Discours a t prononc Trves le vendrediSaint 314 ( Konstantin und das Christentum: Die Jahre der Entscheidung310 bis 314 , dans A. Demandt, J. Engemann (ds.), Konstantin der Groe.Geschichte Archologie Rezeption, Trves, 2006, p. 69-81, spcialementp. 76-80).

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    cet auteur la mme note 83, doit tre restitu Claudien, cit lanote suivante.

    Une large place est faite ensuite aux relectures mdivales de laSibylle. Comme on le sait, celle-ci a non seulement inspir les potes,mais aussi les compositeurs de musique, et cela ds le IXe sicle, olacrostiche sibyllin rapport par Augustin dans la Cit de Dieu(XVIII, 23, 1) et repris dans un sermon longtemps attribu lvquedHippone fait son entre dans la liturgie de la nuit de Nol, avantdtre traduit en langues vernaculaires et dtre insr dans desreprsentations thtrales sacres : lordo prophetarum. Partant dunmanuscrit du Xe sicle provenant de Limoges (le BnF Lat. 1154) etcontenant des neumes proto-aquitains, Marie-Nol Colette commentece cantus Sibyllae dans une tude (Le chant de la Sibylle, composition,transmission et interprtation, p. 165-176), qui prcise et complteles travaux, dj anciens, de Solange Corbin, et ceux, plus rcents,de Maricarmen Muntan Gmez. Particulirement pertinente meparat tre lassociation de ce chant de la Sibylle avec le thme delattente eschatologique, central dans lacrostiche et si prgnanttout au long du haut Moyen ge, et particulirement aux approchesde lAn Mil6. Suggestive aussi, lexplication selon laquelle lessignes annonciateurs de la parousie, sombres et terrifiants, ne peuventsexprimer que dans une mlodie sobre et un chant minimal faisanttoute la place au texte et son intelligibilit, ce qui nexclut pastotalement les ornements, qui se multiplieront du reste au cours dessicles (dans la Sibilla Mallorquina du XVe sicle ou la Valencianadu XVIe sicle, que lon peut entendre dsormais dans les enregis-trements de Jordi Savall et de la Capella Reial de Catalunya, AliaVox, 1999)7. Cest en lien avec larticle de M.-N. Colette et comme

    6. Cf. Alfons Puigarnau Torrell, Muerte e Iconoclastia en la Cataluamedieval , dans Milenio : Miedo y religin, Universidad de La Laguna (Tenerife,Islas Canarias), 3-6 de Febrero del 2000, accessible sur le site internet :.

    7. On compltera la bibliographie de cet article par les deux volumes deMaricarmen Muntan Gmez : El Cant de la Sibila, Madrid, 1996-97, et lathse de doctorat non publie de Niobe OConnor, A Study of the Sibyl Chantand its Dramatic Performance in the Spanish Church (Ninth to SixteenthCenturies), Universit de St Andrews, 1984. Pour lacrostiche sibyllin, je me

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    son prolongement thtral quon lira la contribution de Denise Hu(La Sibylle au thtre, p. 177-195), qui aborde prcisment lordoprophetarum8. La datation basse propose pour le sermon pseudo-augustinien Contra Iudaeos, Paganos et Arianos VIIe sicle neme semble pas pouvoir tre suivie, dans la mesure o il figure dans unmanuscrit de la seconde moiti du VIe sicle, le Taurinensis G. V. 26,contenant galement un fragment de lAdversus quinque haereses,longtemps attribu Augustin, lui aussi. Lauteur probable de cesdeux textes est Quodvultdeus, ami et correspondant dAugustin,qui sera lu vque de Carthage entre 437 et 453. Mais quoi quilen soit de la paternit et de la date de composition de ce sermon, sadette lgard de la Cit de Dieu, XVIII, 23 dAugustin est totale,et lacrostiche, de mme que les autres vers sibyllins repris deLactance qui y sont cits, auraient de toute faon t connus desmdivaux, comme latteste lextraordinaire diffusion de la sommeaugustinienne travers tout le Moyen ge. Du reste, la traditionmanuscrite rvle que ces vers sibyllins ont galement circul cette poque sous forme de centons9. D. He voque encore dautrestextes, crits en franais, comme le Girouflier aux dames, qui figure la fin du Mistre du Vieil Testament, ou le Mistre de la Sibylle etdOctovien (p. 185-190), et enfin le Mystre de lIncarnation etNativit de Nostre Seigneur et Redempteur Jsus-Christ, reprsent

    8. Sur cette question, on compltera la bibliographie par les titres suivants :Noeli Kilmer, Ordo prophetarum: A Study and Transcription of the MedievalLiturgical Music-Drama (Thse de doctorat dfendue la Catholic Universityof America en 1975) ; Dorothy F. Glass, LOrdo prophetarum en Italie ,Cahiers de civilisation mdivale, 44 (2001), p. 259-273 (sur les reprsentationsdes prophtes dans lItalie mdivale).

    9. Cf. Bernhard Bischoff, Die lateinischen bersetzungen und Bearbeit-ungen aus den Oracula Sibyllina , dans Mlanges Joseph de Ghellinck, S. J.,tome 1, Gembloux, 1951, p. 121-147 (= Mittelalterliche Studien. AusgewhlteAufstze zur Schriftkunde und Literaturgeschichte, t. 1, Stuttgart, 1966, p. 150-171).

    permets de renvoyer mon tude sur Augustin, les sibylles et les Oraclessibyllins , dans Augustinus afer. Saint Augustin : Africanit et universalit. Actesdu colloque international, Alger-Annaba, 1-7 avril 2001, textes runis par Pierre-Yves Fux, Jean-Michel Roessli, Otto Wermelinger (Paradosis 45/1), Fribourg,2003, p. 263-286.

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    Rouen en 1474 (p. 190-192), dans lesquels la Sibylle devient unpersonnage thtral . Isabelle His aborde pour sa part une tapeultrieure de la rception musicale de la Sibylle dans sa contributionsur La Sibylle en musique : dOrlande de Lassus Maurice Ohana(p. 255-267). Lattention de lauteur porte avant tout sur le rapportsubtil entre texte et musique, en partant des Prophetiae Sibyllarumde celui quon pourrait tout aussi bien nommer Roland de Lassus10(sur le modle de Roland Furieux de Tasse), compares deuxuvres dun compositeur franco-espagnol n au Maroc en 1914 etmort Paris en 1992, la Sibylle pour soprano, percussion et bandes(1968) et Trois prophties de la Sibylle (1989), dont I. His sedemande si elles nont pas t inspires ce dernier par le cycle desdouze motets avec prologue de son prdcesseur la Renaissance.

    Les contributions suivantes sintressent la place de la Sibylledans la littrature franaise du Moyen ge. En examinant les lmentsparodiques des romans arthuriens du XIIIe sicle le Lancelot enprose (1220-1225), les Prophties de Merlin (1276) et le LivredArtus (1280) , Francine Mora explicite, dans son article intitulLa Sibylle sductrice dans les romans en prose du XIIIe sicle : uneSibylle parodique ? (p. 197-209), la faon dont la Sibylle perd soncaractre prophtique, virgilien et virginal (p. 206-207). ChristineFerlampin-Acher montre, dans sa Sebille prophtesse et maternelle :du monde antique au monde arthurien dans Perceforest (p. 211-225),comment, dans ce roman du XIVe sicle, la Sibylle devient, par desmanipulations gnalogiques complexes, ou la mre ancestrale duroi Arthur, ou la fe Morgane, ou la Dame du Lac. Fabienne Pomel(La Sibylle, guide et double de Christine dans lautre monde deslettres le Chemin de longue tude de Christine de Pizan, p. 227-239) examine cette brillante rcriture littraire, inspire de Jean deMandeville, de Boce et surtout de Dante. linstar de Virgile pourle pote florentin, la Sibylle de Christine de Pizan fonctionne demanire subtile comme elle le fait du reste pour le pote latin

    10. Plusieurs enregistrements sont disponibles, le dernier en date tantcelui de lEnsemble Daedalus, dirig par Roberto Festa, 2006 (Alpha 095). Onconsultera aussi Philipp Weller, Notre Divin Orlande : Lassus in His Timeand in Ours , Early Music, 27/3 (1999), p. 493-497, 499.

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    dans lnide , la fois comme double de lauteur, image de lasagesse, du savoir livresque, de la connaissance de lcriture et dela posie prophtique, et comme idal du lecteur et emblme dunevoix transcendante. Vient ensuite une contribution sur le beau livrede Jean Rabel, Jean Dorat et Claude Binet : Sibyllarum duodecimoracula, publi en 1586. Ltude, prcise et soigne, dEmmanuelBuron, na malheureusement pas pu profiter dun article de SalvatoreSettis, Sibilla Agrippa , paru, il est vrai, dans un priodique daccsdifficile : tudes de lettres. Revue de la Facult des Lettres. Universitde Lausanne, 1985/4, p. 89-124. Cette contribution aurait permis lauteur de bnficier de rflexions fort clairantes sur liconographiedes sibylles. Prcisons enfin que le prnom du premier diteur modernedes oracula Sibyllina (Ble, 1545) est Xystus, et non Christus, Betuleius(forme latine de Sixt Birk ou Bircken, philologue augsbourgeoisconnu galement comme auteur de pices de thtre inspires pardes thmes bibliques la manire des Mystres mdivaux).

    Dans un article intitul Sibylles fin de sicle (p. 273-283), AnneDucrey fait rsonner, pour clore le volume, quelques-uns des chosde la Sibylle dans le thtre symboliste de Maurice Maeterlinck,Henri de Rgnier, Alexandre Blok et Fernando Pessoa. On pourraitajouter ici ltrange et difficile sonnet de Gerard Manley Hopkins :Spelt from Sibyls Leaves (1886), aux accents si profondmentvirgiliens11, et les pomes que Marina Tsvetaeva consacra laSibylle12 dans le sillage de son ami Rainer Maria Rilke13 au dbutdu XXe sicle. On pourrait galement rappeler que lun des pomesles plus influents de la littrature anglo-amricaine du XXe sicle,The Waste Land de T. S. Eliot (1922) traduit pour la premire fois

    11. De mme que son modle, le recueil intitul Sibyls Leaves (1817) deSamuel Taylor Coleridge.

    12. Marina Tsvetaeva, , 5 vols, NewYork, Russica, 1980-1993, ici vol. 3, p. 24-26 (traduction franaise dansM. Tsvetaeva, Posies, Paris, 1993, p. 43). Sur ce sujet, voir Olga PetersHasty, Tsvetaevas Orphic Journeys in the Worlds of the Word (Studies inRussian Literature and Theory), Evanston, 1996, spcialement p. 83-109.

    13. Cf. Eine Sibylle (crit entre le 22 aot et le 5 septembre 1907 Paris), dans Neue Gedichte II, 1908. Dans ce recueil, le pome Eine Sibylle est immdiatement prcd de Ein Prophet et de Jeremia .

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    en franais par Jean de Menasce en 192614 , est plac sous lepatronage de la Sibylle, dont il met en exergue les paroles prtes Trimalcion dans le Satiricon 48, 8 de Ptrone : Et la Sibylle,donc ! Cumes, je lai vue moi-mme de mes yeux suspendue dansune bouteille, et quand les enfants lui demandaient : Sibylle, queveux-tu ?, elle rpondait : Je veux mourir.

    Louvrage, dont il faut souligner la confection soigne, sachvepar une trs bonne bibliographie, distribue en autant de partiesquil y a de priodes couvertes par les contributions runies. Monseul regret est que ce livre, qui fait la part belle au monde romain,ne consacre pas plus de place aux oracula Sibyllina de compositionjuive et chrtienne. Mme sil navait pas pour ambition de livrerune synthse sur le problme des sibylles, ce volume aurait gagnencore en intrt sil avait aussi tenu compte de cet aspect de lasurvie et de lappropriation du langage oraculaire dans les mondesjuif et chrtien. Peut-tre cette lacune sexplique-t-elle par les limitesimposes aux diteurs. Pour sen faire une ide, le lecteur se reporteraaux introductions et traductions des parties juives et chrtiennes ducorpus des Oracles sibyllins, parues, pour les premires, dans levolume dAndr Dupont-Sommer et Marc Philonenko, La Bible.crits intertestamentaires (Bibliothque de la Pliade), Paris, 1987,p. 1035-1140 (traduction de Valentin Nikiprowetzky), et, pour lessecondes, dans le tome II des crits apocryphes chrtiens, publien septembre 2005 (deuxime tirage en aot 2006) sous la directionde Pierre Geoltrain et Jean-Daniel Kaestli (Bibliothque de la Pliade),p. 1045-1083 (traduction de lauteur des prsentes notes critiques).

    Le programme du colloque de Rennes annonait en outre unecommunication de Patrizia Castelli intitule Triomphes des dieuxsur les murs : la construction des images des dieux et des sibyllesentre 1400 et 1500 , dont le texte ne figure pas dans les Actes. Cetexpos portait peut-tre sur les sibylles du Tempio Malatestiano deRimini ou sur celles, presque aussitt dtruites, du Palais du cardinalOrsini Rome. De cette historienne de lart, active Ferrare, on lira

    14. Cf. mon Jean de Menasce et T. S. Eliot , dans Michel Dousse, Jean-Michel Roessli (ds.), Jean de Menasce (1902-1973), Fribourg, 1998, p. 39-53et 205-225.

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    avec profit Solvet saeclum in favilla. Le immagini delle Sibilleal servizio dellideologia , dans Maria Chiab F. Doglio (ds.),Mito e realt del potere nel teatro : dall antichit classica alRinascimento. Convegno di studi, Roma 29 ottobre-1 novembre 1987(Centro studi sul teatro medioevale e rinascimentale [Viterbo].Convegno di studi 11), Rome, 1988, p. 313-332 et Fonti edimmagini : le dieci sibille ovvero lideologia del potere politico-religioso tra medioevo e rinascimento , publi dans les Actes ducolloque de Macerata, cits ci-dessus en note 4, p. 709-739. Enfin,deux intervenants ont d se dsister au dernier moment : Carla DiFrancesco, qui devait parler des Sibylles de la Casa Romei ,dont elle a dirig la restauration et qui avaient dj fait lobjet dedeux publications de sa part ( Le Sibille di Casa Romei : la propostadi una nuova interpretazione della funzione e del significato deicelebri affreschi quattrocenteschi , Ferrara : voci di una citt 5/8[1998] 8-16 et Le Sibille di Casa Romei : storia e restauro, Ravenne,1998), et Roberto Guerrini, qui avait annonc une confrence sur Les sources antiques du pavement du Dme de Sienne et dontles rsultats avaient dj t publis sous le titre Le Divinae Insti-tutiones di Lattanzio nelle epigrafi delle Rinascimento. Il Collegiodel Cambio di Perugia e il pavimento del Duomo di Siena (ErmeteTrismegisto e Sibille) , Annuario dellIstituto Storico Diocesianodi Siena 1 (1992-1993) 5-3815, lire en lien avec la contributionsuivante dAnna Maria Romaldo : Corpus Titulorum Senensium.Le Divinae Institutiones di Lattanzio e il pavimento del Duomo diSiena (p. 51-81)16. Entre-temps, le mme R. Guerrini a fait paratreavec Marilena Caciorgna un magnifique ouvrage sur le pavementde la cathdrale de Sienne (Il pavimento del duomo di Siena. Lartedella tarsia marmorea dal XIV al XIX secolo : fonti e simbologia,Silvana, 2004), dans lequel un chapitre porte sur Ermete e le sibille.

    15. Repris sous une forme abrge dans Senio Bruschelli (d.), Il Duomocome libro aperto : leggere larte della Chiesa [Quaderni dellOpera, Anno Inumero 1], Sienne, 1997, p. 51-66.

    16. Les deux tudes ont fait lobjet dun compte rendu de Daniela Faustidans le Bullettino Senese di Storia Patria, 104 (1997), p. 567-570.

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    Il primo riquadro della navata centrale e le tarsie delle navate laterali (p. 13-51).

    Il est piquant de noter quune semaine plus tt sest tenue, nonloin de Rennes, une autre rencontre scientifique sur les Sibylles,organise par Alfrieda et Jackie Pigeaud dans le cadre des VIIIe Entre-tiens de La Garenne Lemot et dont les Actes ont t publis Nantes en aot 2005.

    Ayant moi-mme particip ces Entretiens, je ne suis pas lemieux plac pour en discuter le dtail et me bornerai donc uneprsentation gnrale et quelques complments bibliographiques. la diffrence de la rencontre de Rennes, celle de Nantes ne visaitpas offrir un panorama exhaustif du traitement de la Sibylle travers les ges. Il sagissait plutt de favoriser des changes surdivers aspects de la question. Et, cet gard, on peut dire que lesorganisateurs ont atteint leur objectif. Les communications prsen-tes furent en effet trs diverses, par leur contenu comme par leurforme et, malgr limpression dclatement qui peut se dgager delensemble et qui est en grande partie due lapproche rsolumentinterdisciplinaire de J. Pigeaud, les discussions qui entrecouprentles exposs furent au moins aussi nourries que ceux-ci.

    Empchs, pour des raisons familiales, danimer ces Entretiensde leur prsence, Alain Michel et Pierre Brunel ont eu la bonne idede communiquer leur texte aux diteurs, alors que dautres, linstar de Pascal Griener et Brenno Boccadoro, ont prfr yrenoncer, malgr dintressants exposs sur Leffacement de laSibylle chez Ruskin pour le premier et les Prophetiae Sibyllarum deRoland de Lassus pour le second. Sous le titre propos desSibylles : la connaissance de Dieu, lextase et les extra-lucides (p. 7-25), A. Michel nous livre une dissertation savante et riche-ment documente sur le thme de linspiration divine travers lesges. Pierre Brunel, spcialiste bien connu de littrature compare,brosse en fin de parcours un tableau complet de La figure claud-lienne de la Sibylle (p. 191-201). Philippe Marchaux (p. 27-36)nous fait bnficier pour sa part dune lecture rafrachissante dela Sibylle de Panzoust de Sieur Rabelais, parodie combien drleet subtile des commentaires humanistes sur les sibylles et leurs

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    prophties17. Dans ses Notes sur la reprsentation des sibyllesdans lart italien (p. 37-47), douard Pommier nous offre unintressant tour dhorizon de liconographie des sibylles, tourdhorizon qui profiterait encore davantage aux lecteurs si les uvresdes Pisano, Ghiberti, Signorelli et autres Ghirlandaio, Prugin etRaphal quil commente avaient pu tre reproduites. Le titre mini-maliste de la contribution suivante ( Notule sur un tableau dAntoineCaron , p. 49-53) ne doit pas tre pris au premier degr, car sonauteur, Yves Hersant, donne de cette uvre, reproduite en fin darticle,une interprtation qui, si on peut la suivre, se rvle minemmentsduisante. Deux contributions sont ensuite consacres Corinneou lItalie de Madame de Stal, grande admiratrice de la Sibylle duDominiquin, elle-mme figure sous les traits de la Sainte-Ccilede Raphal, comme si, pour le Dominiquin, voix prophtique etinspiration musicale fondaient lune dans lautre et avaient latranscendance pour source commune. Michel Delon intitule sacontribution : Corinne et la Sibylle, ou de lengagement lamlancolie (p. 55-65), Blandine de Saint-Girons : Du gniefminin : Corinne ou la sibylle triomphante (p. 67-82 + 3 pls.).Bien que portant sur une mme uvre littraire, les deux tudes nefont pas double emploi et jettent sur cette appropriation de la Sibylle lge des Lumires un regard ma foi fort clairant. Jean-YvesBoriaud sarrte ensuite sur Les Sibylles et la Renaissance romaine (p. 83-91). Lauteur sintresse tout particulirement la priode quiva de 1480 1520, qui voit apparatre le trait de Filippo Barbieri,Discordantiae nonnullae inter sanctos Hieronymum et Augustinum,dans lequel les sibylles, au nombre de douze et non plus de dix, font lobjet dune description systmatique (p. 86), qui vadurablement influencer liconographie de nos prophtesses, mmesi on en a parfois exagr la porte. Sur le ton lyrique quon luiconnat, Philippe Heuz, en amoureux inconditionnel et transi dupote latin, cherche montrer, dans sa Sibylle selon Virgile (p. 93-98), comment celui-ci a transform, dans lnide, la prtresse

    17. Pour un point de vue diffrent et complmentaire, cf. FlorenceM. Weinberg, Written on the Leaves: Rabelais and the Sibylline Tradition,Renaissance Quarterly, 43/4 (1990), p. 709-730.

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    du dieu Apollon en une initie de lau-del, capable de guider lehros troyen dans sa catabase, tout comme Virgile servira plus tardde guide Dante dans sa traverse des enfers18. tienne Wolffaborde ensuite Lactance et les Oracles sibyllins (p. 99-106).Son tude, un peu rapide et superficielle, mriterait dtre reprise etapprofondie, et surtout dbarrasse des prjugs par trop simplistesde lauteur vis--vis de la littrature palochrtienne. Anna MariaBabbi sinterroge ensuite sur La Sibylle dans les traductionsfranaises du Guerrin Meschino dAndrea da Barberino (p. 107-121). Sous le titre Rvler ce qui doit devenir lvidence ! Posturesde la dcouverte mathmatique lge classique , Jean Dhombres,lui aussi absent de ces VIIIe Entretiens de La Garenne Lemot, nouslivre (p. 123-150) une intressante rflexion dhistorien des sciencessur le dbat autour de la part dinspiration que comporte la dcou-verte scientifique (p. 126). Je signale au passage que le cercle dessavants anglais dans lequel voluait Isaac Newton tait si vivementintress par les Oracles sibyllins que certains dentre eux se disaientprts les voir figurer dans le canon biblique. William Whiston parexemple, successeur de Newton la chaire de mathmatique deCambridge de 1702 1710, a mme t le premier, aprs John Floyer, traduire les Oracles sibyllins en langue anglaise19.

    Spcialiste de littrature espagnole du XXe sicle, Joceline Aub-Bourligueux sest penche sur les rencontres de Federico GarcaLorca avec la Sibylle-Sphinx : la croise des chemins de la culture

    18. La bibliographie fournie dans cet article tant rduite sa plus simpleexpression, le lecteur trouvera toutes les informations utiles dans Enrico Flores, Sibilla , Enciclopedia virgiliana, t. IV, Rome, 1988, p. 825-827. Jajouteraiencore le titre suivant : Harold Mattingly, Virgils Golden Age: Sixth Aeneidand Fourth Eclogue, The Classical Review, 48 (1934), p. 161-165.

    19. John Floyer, The Sibylline Oracles translated from the best Greekcopies and compard with the sacred prophesies, especially with Daniel andthe Revelations, and with so much history as plainly shews, that many of theSibyls predictions are exactly fulfilld. With answers to objections madeagainst them, Londres, 1713 ; William Whiston, A Vindication of the SibyllineOracles, to which are added the Genuine Oracles themselves, with the AncientCitations from them in their Originals and in English, and a few brief notes,Londres, 1715.

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    antique et de la tradition andalouse (p. 151-172)20. Dans son Portraitde lartiste en Sibylle (p. 173-179), Philippe Junod grne quelquesremarques intressantes sur lidal de lartiste dans la peinture de laRenaissance, inspires par les modes de reprsentation des sibylles.Larticle de Jackie Pigeaud ( La Sibylle de Pierre Petit , p. 179-190)aborde enfin un auteur et une uvre largement mconnus des nonmodernistes : le De Sibylla libri tres de Pierre Petit (1617-1687),philosophe et mdecin parisien, pour qui la Sibylle est une et nesaurait se dmultiplier. On saura gr linitiateur des Entretiens deLa Garenne Lemot davoir attir lattention du lecteur sur cet ruditdu XVIIe sicle et davoir ainsi donn accs quelques-unes de sesrflexions sur la prophtesse antique, la mlancolie et sa surpythienne. ce propos, il ne sera pas sans intrt de prciser queles sibylles et les oracles circulant sous leur nom ont occup uneplace de choix dans les dbats intellectuels de lpoque moderne(env. 1500-1800). Ceux-ci portaient avant tout sur des questionsdordre thologique statut des sibylles et des Oracles sibyllins parrapport aux prophtes de lAncien Testament et la Rvlationbiblique, etc. , mais ils dbordaient aussi ce cadre pour toucher des problmes dordre littraire, philosophique et mdical, ce dontPierre Petit fournit un excellent exemple. Les textes explorer dansce domaine sont innombrables et le travail, pour lessentiel, reste faire21. Le volume sachve enfin (p. 203-230 + pl.) sur une tude

    20. Le titre exact est la croise des chemins de la culture antique etde la tradition andalouse : les rencontres de Federico Garca Lorca avec laSibylle-Sphinx .

    21. Jy ai consacr une partie de ma thse de doctorat, qui paratra dans laSeries apocryphorum du Corpus christianorum, sous le titre Les Oraclessibyllins (Livres I, 324-400 ; VI; VII et VIII, 217-500). Origines paennes etappropriations chrtiennes). Voir aussi Anthony Grafton, Higher CriticismAncient and Modern: The Lamentable Deaths of Hermes and the Sibyls, dansA. C. Dionisotti, Anthony Grafton, Jill Kraye (ds.), The Uses of Greek andLatin. Historical Essays (Warburg Institute Surveys and Texts 16), Londres,1988, p. 155-170 (reproduit avec quelques changements sous le titre TheStrange Deaths of Hermes and the Sibyls, dans Anthony Grafton, Defendersof the Text. The Traditions of Scholarship in an Age of Science, 1450-1800,Cambridge (Mass.)-Londres, 1991, p. 162-177) ; Rieuwerd Buitenwerf, Book IIIof the Sibylline Oracles and its Social Setting. With an Introduction, Translation,

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    dtaille du sixime livre des Oracles sibyllins, un hymne auChrist, appel ici Fils de lImmortel, qui pourrait bien constituerlun des plus anciens pomes chrtiens de langue grecque endehors du Nouveau Testament (hymne aux Philippiens, par exem-ple). tant lauteur de cette contribution, je laisserai au lecteur lesoin den juger.

    En guise de conclusion, je crois pouvoir dire que malgr unecertaine ngligence dans la prparation du manuscrit et une mise enpage qui sapparente davantage un mmoire de fin dtudes quun vritable livre, les tudes runies par J. Pigeaud prsentent danslensemble un grand intrt et ont de quoi sustenter les esprits.Elles complteront en outre utilement le volume publi Rennesun an plus tt. Pour cela, il faut esprer quun effort de diffusionleur permette de sortir de la confidentialit.

    [email protected]

    and Commentary (Studia in Veteris Testamenti Pseudepigrapha 17), Leyde-Boston, 2003, p. 5-28 ; Ralph Hfner, Gtter im Exil. FrhneuzeitlichesDichtungsverstndnis im Spannungsfeld christlicher Apologetik und philo-logischer Kritik (ca. 1590-1736) (Frhe Neuzeit 80), Tbingen, 2003 (comptesrendus de Martin Muslow, Christlicher Humanismus im Zeitalter der philolo-gischen Kritik. Zu Ralph Hfners magistralem Werk Gtter im Exil, URL :http://iasl.uni-muenchen.de/rezension/liste/Muslow3484365803_1375.html ;Dieter Martin, Sehepunkte, 6 (2006), URL : http://www.sehepunkte.de/2006/01/9429.html ; Guido Giglioni, Voci della Sibilla e voci della natura: divina-zione oracolare in Girolamo Cardano , Bruniana & Campanelliana, 11/2(2005), p. 365-387 ; Margherita Palumbo, La fortuna degli Oracula Sibyllinanel seicento , ibid., p. 493-508. Dans le cadre du mme colloque sur Le paroledel futuro. Profezia e poesia nellt moderna (Naples, 8-9 octobre 2004), oont t prsentes les deux contributions prcdentes, Michaela Valente avaitbrivement voqu Gli Oracula sibyllina nel Rinascimento , qui sera publiailleurs dans un avenir proche.

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