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CLAUDE ACHILLE DEBUSSY (1864-1918) Met longtemps à trouver son style (=/= Ravel ; le style de Debussy daterait du Prélude à l’après d’un faune 1894 [à 34 ans]) Il le trouvera en opérant une croissante condensation de l’affect (là où Fauré établit une croissante condensation du matériau). Ses premières mélodies sont influencées aussi bien par Gounod, Massenet ou Bizet ou mêmes orientalistes (découvre le gamelan javanais à l’Expo universelle de Paris en 1899) L’exotisme est important en mélodie française : Poulenc écrit en 1917 une Rhapsodie nègre pour piano, quatuor, flûte, clarinette en ut et baryton ; à l’inverse, Manuel de Falla écrivant Trois mélodies sur des poèmes de Théophile Gautier (1910) : exemple d’un espagnol écrivant à la française. Debussy réagit contre Wagner par l’impressionnisme, un orchestre à la Moussorgsky, des retours aux clavecinistes français (Rameau). L’évolution de son écriture pour la mélodie suit son choix de poètes Il est un des compositeurs les plus attirés par les poètes les plus rénovateurs (parce que c’est une grande époque de rénovation poétique et du fait du complexe intellectuel, culturel et social de Debussy né dans une famille basse et pauvre).

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CLAUDE ACHILLE DEBUSSY (1864-1918)

Met longtemps à trouver son style (=/= Ravel ; le style de Debussy daterait du Prélude à l’après d’un faune 1894 [à 34 ans])

Il le trouvera en opérant une croissante condensation de l’affect (là où Fauré établit une croissante condensation du matériau).

Ses premières mélodies sont influencées aussi bien par Gounod, Massenet ou Bizet ou mêmes orientalistes (découvre le gamelan javanais à l’Expo universelle de Paris en 1899)

L’exotisme est important en mélodie française : Poulenc écrit en 1917 une Rhapsodie nègre pour piano, quatuor, flûte, clarinette en ut et baryton ; à l’inverse, Manuel de Falla écrivant Trois mélodies sur des poèmes de Théophile Gautier (1910) : exemple d’un espagnol écrivant à la française.

Debussy réagit contre Wagner par l’impressionnisme, un orchestre à la Moussorgsky, des retours aux clavecinistes français (Rameau).

L’évolution de son écriture pour la mélodie suit son choix de poètes

Il est un des compositeurs les plus attirés par les poètes les plus rénovateurs (parce que c’est une grande époque de rénovation poétique et du fait du complexe intellectuel, culturel et social de Debussy né dans une famille basse et pauvre).

Debussy (comme d’autres) réunit des poèmes épars et en fait des cycles de mélodies1 (3,4,5 ou 6 mélodies de Paul Verlaine, Pierre Louÿs, Tristan Lhermite et de Stéphane Mallarmé)

Les cycles se distinguent par la cohérence et le contraste.

Debussy cherche dans ses mélodies un chant qui se rapproche le plus possible du chant parlé. Cela fera évoluer son écriture, et il trouvera la solution pour Pélléas qui influencera tout le style de la mélodie française et plus généralement de la vocalité en musique.

1 Cf. Devoir pour Heuillon

PELLÉAS ET MÉLISANDE (1902)

Livret issu d’une pièce de théâtre du belge Maurice Maeterlinck.

« Chercher après Wagner, et non d’après Wagner ».

« La mélodie, si je puis dire, est antilyrique. Elle est impuissante à traduire la mobilité des âmes et de la vie. Elle convient essentiellement à la chanson qui confirme un sentiment fixe. Je n’ai jamais consenti à ce que ma musique brusquât ou retardât, par suite d’exigences techniques, le mouvement des sentiments et des passions de mes personnages. Elle s’efface dès qu’il convient qu’elle leur laisse l’entière liberté de leurs gestes, de leurs cris, de leur joie ou de leur douleur... »2

De Wagner il garde la continuité dramatique (pas de rupture dans l’action car pas de rupture aria/récitatif

prosodie (ce qui a le plus choqué le public) inaugurée dans les Chansons de Bilitis ; très loin de Wagner ; pas de grands écarts, de sauts de registres, de violentes oppositions dynamiques, des ambitus restreints dans des tessitures aisés (pas d’effort du chanteur qui iraient contre l’intelligibilité du texte).

Innovation du ‘récitatif mélodique’ : respect total du phrasé, de la prosodie de la langue française. Sait aussi user d’autres procédés quand nécessaires : mélodie populaire de la Chanson de Mélisande, émission chuchotée, articulation haletante et hachurée, expansion lyrique de la scène d’amour,

2 Interview de Debussy par Robert de Flers

Mélodies de Debussy : Maîtrise inouïe des rapports texte/musique (ce qui lui permettra de faire évoluer la mélodie et de révolutionner l’opéra : ses mélodies semblent être un chemin vers Pelléas en ce qu’il chercha toujours à rapprocher le plus possible le chant de la voix parlée [expression déjà utilisée par J.-J. Rousseau pour le récitatif3]

Ravel : base nombre de ses mélodies sur des chansons populaires, des thèmes légers... et prend ainsi le contrepied historique de la mélodie, voie qui sera celle de son évolution (Groupe des Six)

TYPE DE POÉSIE (STRUCTURE DES POÈMES)

Debussy est d’un éclectisme poétique qui stimule le catalogue de sa mélodies : passant de François Villon (1431,1432-1463) à Charles Baudelaire (1821-1867), Stéphane Mallarmé (1842-1898), Paul Verlaine (1844-1896), Pierre Louÿs (1870-1925).

Préfère le vers libre au vers régulier : « Celui-ci pourtant peut permettre de fort belles choses, à condition que le compositeur veuille s’effacer entièrement derrière le poète en consente à suivre ses rythmes pas à pas, cadence par cadence, sans jamais déplacer un accent ni même une inflexion. En un mot, si le musicien veut travailler sur des vers réguliers, sa musique devra simplement souligner le poème, le soutenir, mais elle ne pourra rien en traduire, rien y ajouter. Je crois qu’il vaut mieux, pour peu que l’on ait surtout du sentiment et de la fantaisie, prendre des vers libres. Il me semble criminel en effet d’ "abîmer" les vers classiques... La prose est quelquefois très agréable à mettre en musique et il est des circonstances où elle est merveilleusement appropriée au sujet. Ainsi, j’ai pris plusieurs des Histoires naturelles de Jules Renard ; c’est délicat, rythmé, mais rythmé tout autrement que les vers classiques. »4

Debussy préfère également la prose : « Les vers classiques ont une vie propre, un ‘dynamisme intérieur’, pour parler comme les Allemands, qui n’est pas du tout notre affaire. Avec la prose rythmée, on est plus à son aise, on peut mieux se tourner dans tous les sens. »

3 Querelle des Bouffons : Rameau coin du Roi classicisme français et absolutisme / Rousseau coin de la Reine encyclopédiste

4 Enquête : Sous la musique que faut-il mettre ? De beaux vers, de mauvais, des vers libres, de la prose ? Musica, février-mars 1911.

Dukas considère la fusion de la poésie et de la musique comme une fiction : « Il ne faut pas s’y tromper : on ne met pas des poèmes en musique. On donne un accompagnement aux paroles, et c’est bien autre chose. La première idée, en effet suppose une fusion ; la seconde constate un parallélisme... Vers et musique ne se mêlent pas ; ils ne se confondent jamais... Je mets mon opinion en pratique et jamais, jamais je n’ai adapté de mélodie à un seul poème. » Dukas croit que seule la prose est propre à la musique de théâtre.

Le vers libre et la prose rythmée sont généralement préférés car lorsque le compositeur tend vers une prosodie perfectionnée il détruit la régularité du vers. S’il maintient la structure poétique, se mélodie devient trop monotone, trop cadencée. Au contraire, s’il s’occupe exclusivement de l’accent tonique et de la structure syntaxique, alors il brise les vers et les ramène à de la prose seuls les vers hétérométriques5 et la prose lyrique6 se prêtent à l’adaptation musicale.

Commence par Verlaine (dans les années 1880) et ces premières mélodies contiennent déjà de nombreuses caractéristiques de son futur style (parallélismes d’accords avec 7èmes et 9èmes)

5 Strophe isométrique : composée de vers comportant chacun le même nombre de syllabesStrophe hétérométrique : composée de vers de longueurs différentes

6 Lyrique :

1. Qui se chante sur la lyre. Il s’applique aux poésies destinées à être mises en musique et chantées.

2. Genre de poésie qui a gardé, en souvenir de sa destination primitive, un caractère particulier marqué par l’abondance des images, le mouvement du style et la variété du rythme.

Poésie lyrique. Poème lyrique. Genre lyrique. Vers lyriques.

3. (Par analogie) Ouvrages en vers qui sont faits pour être chantés ou propres à être mis en musique, tels que les cantates, les chansons, les opéras.

Tragédie, drame, comédie lyrique. Un chef-d’œuvre lyrique.

4. (Par extension) Odes, quoiqu’on ne les chante pas.

Ronsard dans ses premières odes a imité la poésie lyrique grecque. Poète, auteur lyrique, Celui qui compose des odes ou des poésies propres à être mises en

musique. Théâtre lyrique, Théâtre sur lequel on représente des ouvrages mis en musique. Artiste lyrique, Celui ou celle qui chante de tels ouvrages.

FÊTES GALANTES (1ÈRE VERSION) 1891-1892

Composées chez – et dédiées à – Mme Vasnier, sa mécène ; bien que la dédicace n’apparaisse plus dans la publication de 1892 avec trois mélodies (infidélités de dédicaces fréquentes chez Debussy qui illustre en fait qu’il comprend tout le pouvoir mondain de la dédicace).

La première version des Fêtes galantes marque l’épanouissement de l’écriture de Debussy : lyrisme, gaîté des quatre mélodies encadrant la recueillie En sourdine.

Mandoline (sera publiée à part en 1890)

Pantomime (seulement après la mort du compositeur)

En sourdine

Clair de lune

Fantoches

Fêtes Galantes - Deuxième Série 1904 poèmes de Paul Verlaine: plus d’ambigüité poétique (lire Colloque sentimental), plus d’ambigüité harmonique (refus des modes simplement Majeur/mineur) et vocale (successivement recto-tono / lyrique / récitatif)

1/ Les ingénus ; 2/ Le Faune ; 3/ Colloque sentimental

ARIETTES OUBLIÉES (1885-1887), RÉVISION 1903

1/ C'est l'extase langoureuse ; 2/ Il pleure dans mon cœur ; 3/ L'ombre des arbres ;4/ Chevaux de bois ; 5/ Green ; 6/ Spleen

Les Ariettes oubliées Se détournent du post-romantisme germanisant des 5 poèmes de Charles Baudelaire absolument wagnériens et qui suivent un voyage à Bayreuth.

CINQ POÈMES DE BAUDELAIRE (1887-1889)

« Quand Debussy à vingt-cinq-ans se tourne vers Baudelaire, il décide pratiquement du sort de la grande musique en France pour une très longue période. A travers les "correspondances" il saisit les couleurs qui vont promouvoir le timbre vers une fonction que les architectures vont désormais intégrer. La conjonction à Mallarmé, plus tardive, est demeurée dans l’œuvre de Debussy au stade de la perception de l’aura de la poésie, sans que la poétique au sens très profond fût réellement pénétrée. »7

Dernières lueurs du romantisme qu’accusent des réminiscences de Tristan.

Tentent d’adapter à la prosodie française le style déclamatoire wagnérien. Au début de Recueillement, on trouve même une allusion thématique à Tristan ; et le chromatisme du Balcon (janvier 1888) puise à la même source. Mais en même temps, Debussy cherche à se libérer de cette influence, tant sur le plan harmonique que sur le plan vocal. Déjà le style vocal de Pelléas se laisse pressentir. La dernière en date de ces mélodies, le Jet d’eau, dont 20 ans plus tard Debussy réalisera une version pour voix et orchestre, est la plus originale. L’écriture vocale de ces pièces, leur prosodie devenue classique déconcertent alors les chanteurs ; de même les vers de Baudelaire, jugés « morbides », et un certain aspect ésotérique de cette musique en détournèrent tous les éditeurs ; Debussy fut réduit à commander par souscription un tirage de luxe, limité à 100 exemplaires.

7 DELIÈGE, Célestin : Invention musicale et idéologies, Christian Bourgois, Paris, 1986, p. 103.

CHANSONS DE BILITIS (1897-1898)

Premier scandale dans la mélodie française, surtout du au caractère érotique de la poésie de Pierre Louÿs qui fit d’ailleurs une supercherie, prétendant ces vers de comme étant de Bilitis habitante de Lesbos au VIe s. av. J-C. Vers libres, la préférence de Debussy. Il mit également en musique ses propres Proses lyriques en 1892-1893. Debussy s’attache à des poésies en prose avant même que Fauré ne mette en musique en 1906-1910 les poèmes hétérométriques de La Chanson d’Ève de Charles van Lerberghe

Pierre Louÿs. Plus grand ami littérateur de Debussy.

De nombreux projets de collaboration qui tournèrent court (un opéra Cendrelune et un ballet Daphnis et Chloé). Seules aboutirent les Chanson de Bilitis  prouve que la mélodie est la structure minimale, le plus petit et pratique dénominateur commun entre musique et poésie (c’est aussi la dimension réduite de la mélodie qui en fait un lieu d’innovations esthétique : on risque peu à innover en mélodie puisque la mélodie coûte peu, est plus rapidement produite et en plus grand nombre, et peu vite s’oublier).

1. La Flûte de Pan

2. La Chevelure

La plus célèbre

Compte parmi les plus belles réussites vocales de Debussy, esquisse un style prosodique qui sera celui de Pelléas (La scène de la chevelure du IIIème acte de Pelléas évoque d’ailleurs irrésistiblement cette mélodie).

Sur le plan dramatique, Debussy juxtapose un récitatif peu mouvant et des mouvements mélodiques plus souples. Une seule ligne véritablement chantée apparaît au centre expressif du morceau sur la montée « par la même chevelure la bouche sur la bouche ».

3. Le Tombeau des Naïades

En 1900, Debussy, criblé de dettes, accepte d’écrire une musique de scène pour une version ‘’récitée et mimée’’ des Chansons, présenté dans la salle des fêtes du Journal. Il ne conservera pas cette musique dans sa forme originale, mais 14 plus tard, il en tirera la substance de Six Épigraphes antiques (1914 - 15, 2 Piano 4 mains)

TROIS CHANSONS DE FRANCE (1904)

Première des tentatives qu’effectue Debussy entre 1904 et 1910 pour retrouver la forme et l’esprit des œuvres classiques ou anciennes qu’il admirait tant, notamment celle de Rameau. Autres tentatives :

TROIS CHANSONS DE CHARLES D’ORLÉANS (1908)

Pour chœur a capella

TROIS BALLADES DE FRANÇOIS VILLON (1910)

Cette tendance ‘néo-classique’ peut être retracée en France depuis L’Enfance du Christ de Berlioz (Debussy tout en faisant état d’une grande estime pour la couleur orchestrale des autres œuvres de Berlioz, affirme que cet oratorio, conçu dans un esprit de duperie, « est peut-être son chef-d’œuvre ».

Debussy chercha constamment à se libérer des influences du XIXè, notamment par sa tentation pour les formules de la Renaissance ou même du XVIIIè

NOËL DES ENFANTS QUI N’ONT PLUS DE MAISON (1915)

Dérive nationaliste de celui qui se fait alors appeler « Claude de France ».

Il tenait absolument à l’accompagnement du seul piano avec son texte car « il ne faut pas perdre un mot de ce texte inspiré par la rapacité de nos ennemis ».

Sa dernière mélodie est en fait un retour à la romance engagée. (Paradoxe de Debussy le révolutionnaire, mais aussi l’admirateur de Rameau et l’ultra-nationaliste).