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COMPRÉHENSION DU PHÉNOMÈNE DE LA VIOLENCE PSYCHOLOGIQUE AU TRAVAIL Par : Charles Roy - Septembre 2003 (Au moment où ce document a été rédigé, la nouvelle loi des Normes du Travail sur la violence psychologique (juin 2004) n’avait pas encore été adoptée.) _____________________________________________________ Avant d’analyser toute situation vécue par un ou des travailleurs, au chapitre du harcèlement psychologique ou de la violence psychologique au travail, il importe de bien saisir la nature particulière du phénomène, non seulement par rapport aux définitions mais également par rapport au processus collectif et au contexte global dans lequel il s’exerce. Ceci dans le but de dégager des points de repère très clairs pour faire la démonstration de la présence de la problématique de harcèlement ou de violence psychologique. Autrement, en prenant chaque geste à la pièce, on risque de passer à côté de la problématique sans la voir et de tomber dans le piège de la banalisation. Car au chapitre de la convention collective (FSSS CSN) rien ne balise spécifiquement la « violence psychologique ». Toutefois, selon l’article 2 de la convention collective, l’employeur doit "favoriser de bonnes relations avec ses salariés et des conditions de travail visant à promouvoir entre autres leur sécurité et leur bien- être ». Et en vertu de l’article 46 de la Charte québécoise des droits, « il doit leur assurer des conditions de travail justes et raisonnables. » Le Comité interministériel sur la prévention du harcèlement psychologique et le soutien aux victimes (Ministère du travail 2003) rappelle, à partir du même article de la Charte québécoise, que « toute personne qui travaille a droit, conformément à la loi, à des conditions de travail justes et raisonnables et qui respectent sa santé, sa sécurité et son intégrité physique. Toutes ces obligations, jointes à des droits pour le salarié, précisent et réaffirment les devoirs de l’employeur. La loi sur la santé et la sécurité du travailleur impose par ailleurs l’obligation suivante à l’employeur, à l’article 51 : « l’employeur doit prendre les mesures nécessaires pour protéger la santé et assurer la sécurité et l’intégrité physique du travailleur » (Ministère du Travail 2003). Le Comité interministériel poursuit en affirmant : « Finalement, à l’instar des autres lois, la Loi sur les normes du travail (LNT) protège un salarié lorsque l’acte ultime de harcèlement psychologique est son « congédiement déguisé ou non » en vertu de l’article 124 ou lorsque le harcèlement psychologique se traduit en pratiques interdites (suspension, déplacement, mesures discriminatoires, représailles ou toute autre sanction), reliées à des droits reconnus à l’article 122 de cette loi. Toutefois, à partir du 1 er juin 2004, la Commission des Normes du Travail (CNT) recevra les plaintes des salariés 1

VIOLENCE AU TRAVAIL-Compréhension (Gen_F)

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La violence au travail: la détecter et intervenir.La violence au travail est trop souvent banalisée et les personnes qui en sont victimes se retrouvent prises au piège d’un doute insidieux et d’une importante dévalorisation de soi. Une situation de violence au travail contamine les relations de travail et entraîne une dégradation marquée des conditions dans lesquelles les employé(e)s doivent exécuter leur travail. Des impacts importants rejaillissent également sur la famille et les proches. Les employeurs ne sauraient tolérer de tels agissements au sein de leur entreprise ou de leur établissement; il y va autant de la santé des travailleurs que de la qualité des services offerts à la clientèle. Les résultats d’études menées ici et en Europe « montrent que le harcèlement psychologique au travail est une menace importante et peut avoir des effets dévastateurs en ce qui concerne la santé mentale des travailleuses et travailleurs. La prévalence élevée de la détresse psychologique, des symptômes dépressifs et des troubles de stress post-traumatique sont des indicateurs d’une dégradation des conditions ainsi que de la qualité de vie et de la santé mentale des travailleuses et travailleurs. Il est déplorable que le harcèlement psychologique soit encore une réalité présente dans les organisations au Québec » (Soares, 2002).À cet égard, les avocats Gaumond et Roy affirment que les syndicats ont une responsabilité d’intervenir dans la situation. Il ne faut pas perdre de vue que le syndicat a comme mission d’assurer, de concert avec l’employeur, des conditions de travail convenables pour ses membres, et, à ce titre, il est en quelque sorte un partenaire incontournable dans une entreprise. Dans certaines circonstances, il peut même être poursuivi pour son inaction. C’est donc dire qu’en se préoccupant de violence psychologique dans l’entreprise, il remplit la mission qui lui est dévolue auprès de ses membres et de l’entreprise. « Parler de violence, c’est remettre en question les valeurs de notre société, c’est redonner aux valeurs humaines une place centrale dans notre développement » (Gouvernement du Québec, Ministère du travail, 1999).

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COMPRÉHENSION DU PHÉNOMÈNE DE

LA VIOLENCE PSYCHOLOGIQUE AU TRAVAIL

Par : Charles Roy - Septembre 2003

(Au moment où ce document a été rédigé, la nouvelle loi des Normes du Travail sur laviolence psychologique (juin 2004) n’avait pas encore été adoptée.)

_____________________________________________________

Avant d’analyser toute situation vécue par un ou des travailleurs, au chapitre du harcèlement psychologique ou de la violence psychologique au travail, il importe de bien saisir la nature particulière du phénomène, non seulement par rapport aux définitions mais également par rapport au processus collectif et au contexte global dans lequel il s’exerce. Ceci dans le but de dégager des points de repère très clairs pour faire la démonstration de la présence de la problématique de harcèlement ou de violence psychologique. Autrement, en prenant chaque geste à la pièce, on risque de passer à côté de la problématique sans la voir et de tomber dans le piège de la banalisation.

Car au chapitre de la convention collective (FSSS CSN) rien ne balise spécifiquement la « violence psychologique ». Toutefois, selon l’article 2 de la convention collective, l’employeur doit "favoriser de bonnes relations avec ses salariés et des conditions de travail visant à promouvoir entre autres leur sécurité et leur bien-être ». Et en vertu de l’article 46 de la Charte québécoise des droits, « il doit leur assurer des conditions de travail justes et raisonnables. »

Le Comité interministériel sur la prévention du harcèlement psychologique et le soutien aux victimes (Ministère du travail 2003) rappelle, à partir du même article de la Charte québécoise, que « toute personne qui travaille a droit, conformément à la loi, à des conditions de travail justes et raisonnables et qui respectent sa santé, sa sécurité et son intégrité physique. Toutes ces obligations, jointes à des droits pour le salarié, précisent et réaffirment les devoirs de l’employeur. La loi sur la santé et la sécurité du travailleur impose par ailleurs l’obligation suivante à l’employeur, à l’article 51 : « l’employeur doit prendre les mesures nécessaires pour protéger la santé et assurer la sécurité et l’intégrité physique du travailleur » (Ministère du Travail 2003).

Le Comité interministériel poursuit en affirmant : « Finalement, à l’instar des autres lois, la Loi sur les normes du travail (LNT) protège un salarié lorsque l’acte ultime de harcèlement psychologique est son « congédiement déguisé ou non » en vertu de l’article 124 ou lorsque le harcèlement psychologique se traduit en pratiques interdites (suspension, déplacement, mesures discriminatoires, représailles ou toute autre sanction), reliées à des droits reconnus à l’article 122 de cette loi. Toutefois, à partir du 1er juin 2004, la Commission des Normes du Travail (CNT) recevra les plaintes des salariés victimes de harcèlement psychologique sans qu’il soit nécessaire que ces derniers invoquent les autres motifs énoncés précédemment. En effet, le 19 décembre 2002, l’Assemblée nationale a adopté, à l’unanimité, La loi modifiant la Loi sur les normes du travail et d’autres dispositions législatives qui a introduit, à l’article 81.18 de la LNT, une définition du harcèlement psychologique :

« Une conduite vexatoire se manifestant par des comportements, des paroles, des actes ou des gestes répétés qui sont hostiles ou non désirés, laquelle porte atteinte à la dignité ou à l’intégrité

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psychologique ou physique du salarié, et qui entraîne, pour celui-ci, un milieu de travail néfaste. »

En outre, l’article 81.18 de la Loi des Normes du Travail prévoit le droit pour les salariés de bénéficier « d’un milieu de travail exempt de harcèlement psychologique » et une obligation pour les employeurs de prendre les moyens raisonnables pour prévenir le harcèlement psychologique et, lorsqu’une telle conduite est portée à sa connaissance, pour la faire cesser. Cette protection est étendue aux salariés syndiqués de même qu’aux salariés non syndiqués nommés en vertu de la Loi sur la fonction publique. (…) Le recours prévu donne aussi le pouvoir à la CNT d’enquêter lorsqu’elle reçoit une plainte de salariés non syndiqués et de les représenter à la Commission des relations du travail (CRT), si nécessaire. En tout temps les salariés non syndiqués pourront bénéficier d’une médiation si la CNT, avec l’accord des parties, en fait la demande au Ministère du Travail (Ministère du Travail 2003).

En somme, lorsque l’employeur néglige de prévenir le harcèlement psychologique dans son entreprise ou néglige de prendre les moyens nécessaires pour mettre fin à une telle situation, il s’expose au dépôt d’une plainte, notamment à la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse ou à la Commission des normes du Travail, à des poursuites légales devant les tribunaux civils ou administratifs, ou à un grief. Outre les coûts importants résultant de ces poursuites, la réputation des entreprises fautives risque également d’être ternie de façon durable (Ministère du Travail, 2003).

REPÈRES POUR IDENTIFIER LA PRÉSENCE DE HARCÈLEMENT MORAL (VIOLENCE PSYCHOLOGIQUE) AU TRAVAIL

INTRODUCTION

1 PHÉNOMÈNE SUBTIL

2 BANALISATION

3 IMPACT

4 PROCESSUS

5 DÉFINITIONS

6 COMPORTEMENTS ET FORMES 7 VIOLENCE HIÉRARCHIQUE

8 CONCLUSION

INTRODUCTION

La dignité des personnes

« La violence psychologique au travail constitue une typologie qui fait l’objet d’une documentation maintenant étoffée nous rappelant avec justesse que la personne salariée qui offre une prestation de travail n’abdique pas pour autant ses droits à la dignité, au respect et à l’intégrité.  En parallèle, de plus en plus de gens, tant d’allégeance syndicale que patronale, s’intéressent à ce phénomène et tentent d’y apporter des correctifs efficaces, voire de prévenir son apparition » (Gaumond et Roy).

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« L’établissement de rapports sociaux fondés sur la justice, le respect de l’autonomie et de la liberté représente la condition première et indispensable pour atteindre à la dignité. » (CSN 2001, « Agir avant la tempête »)

La récente révision de la loi des normes du travail votée à l'Assemblée Nationale à Québec en décembre 2002 constitue un outil d’importance pour la gestion d’un mal dévastateur dans les entreprises et les établissements. Cette nouvelle loi ne doit pas être vue comme un moyen de nuire au monde du travail, mais doit être considérée comme un moyen d’assainir l’environnement de travail.

Selon le Syndicat des Enseignants de l’Ungava-Témiscamingue, « on parle de plus en plus de violence organisationnelle, de harcèlement psychologique ou moral, de mobbying ou de bullying en milieu de travail. Les milieux juridiques, syndicaux et autres prennent de plus en plus conscience que ces formes de violence existent et causent des dommages importants. (…) Ces comportements et manifestations de violence sont de plus en plus mis à jour et doivent être dénoncés. Il faut apprendre à reconnaître les formes de violence organisationnelle et s’approprier les moyens pour s’en protéger. »

Pour sa part, l’Alliance de la Fonction publique du Canada (2002) affirme que le harcèlement au travail est un phénomène aussi vieux que le travail lui-même, mais que c’est seulement au début de cette décennie qu’il a été vraiment identifié comme un phénomène détruisant l’ambiance de travail, diminuant la productivité, mais aussi favorisant l’absentéisme par les dégâts psychologiques qu’il entraîne.

La CSN rapporte que « Le harcèlement psychologique est une conception hybride de la violence psychologique et du harcèlement puisqu’il ne s’agit pas d’un motif, mais bien d’une manière d’exercer des pressions sur d’autres personnes. Au Québec, l’intérêt public et organisationnel pour le harcèlement psychologique vient d’un malaise grandissant rendu observable par la montée des problèmes de santé mentale, de l’absentéisme et du désengagement organisationnel, particulièrement dans le secteur public(CSN 2001, Agir avant la tempête).

Cependant, malgré les ravages plus qu’évidents que provoque le harcèlement moral ou la violence psychologique au travail, il s’agit cependant d’un phénomène subtil, pernicieux, se produisant la plupart du temps sans témoins et impliquant souvent des comportements qui ne sont pas illégaux.

En matière d’enquête par rapport à une situation de harcèlement ou de violence psychologique, il s’avérera pertinent de posséder une grille d’analyse qui pourra aider à définir et repérer les comportements typiques du harcèlement ou de la violence psychologique et identifier leurs conséquences sur la victime. C’est dans cette optique que cet exposé vous est présenté en préambule. Les principaux paramètres pour repérer la dynamique de violence sont :

la subtilité des gestes, le phénomène de banalisation, le processus d’ensemble, les comportements eux-mêmes, la violence hiérarchique

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et plus que tout autre facteur, l’impact toujours destructeur sur les individus et les entreprises.

1 PHÉNOMÈNE SUBTIL : LA VIOLENCE DISCRÈTE DES RELATIONS DE TRAVAIL

De l’avis de Mme Aurousseau (1996), chercheure à l’UQAM et spécialiste en la matière, la violence psychologique est bien insidieuse et peut être difficile à percevoir. Le Ministère du travail (2001) précise que cette forme de harcèlement, «se compose de petits incidents bénins dont le cumul et la convergence pourraient donner lieu à une lésion professionnelle » et que «c’est le caractère insidieux des comportements qui contribue le plus à l’atteinte psychique. » Le Syndicat de l’Enseignement de l’Ungava et de l’Abitibi-Témiscamingue rapporte que «le harcèlement est caractérisé par des propos et des gestes vexatoires, inopportuns et abusifs. » Il précise d’ailleurs que «selon les tribunaux, il n’est pas nécessaire que les propos ou les gestes posés soient illégaux, prohibés ou déraisonnables pour qu’ils puissent constituer du harcèlement. » Il ne faut donc pas confondre la gravité et les formes de la violence.

Hirigoyen (1998) définit le harcèlement moral comme «une violence à petites touches, qui ne se repère pas, mais qui est pourtant très destructrice. » La Centrale des syndicats du Québec (CSQ 2001) explique que compte tenu de la nature subtile de cette violence, il faut définir ce problème à partir des «différents effets qu’entraînent les comportements ou attitudes de harcèlement » ce qui permet de «saisir le phénomène à partir de ses conséquences, plutôt qu’à partir d’un ensemble complexe de caractéristiques dont il peut être difficile de faire la preuve. »

Le Conseil économique et social (2001) précise d’ailleurs qu’ « à l’inverse des autres violences subies au travail et notamment de celles qui s’expriment dans la brutalité d’un passage à l’acte verbal ou physique, le harcèlement moral au travail est constitué par un processus insidieux se développant dans le temps. Le ou les harceleurs agissent à visage masqué – c’est là leur force -; ils s’appuient en permanence sur le non-dit de leurs desseins et réduisent leurs victimes à la protestation sans effet et/ou au silence, en l’isolant progressivement de tous ceux qui, jusque là, la considéraient. Les capacités de la victime sont peu à peu réduites, aboutissant parfois à une véritable destruction psychique si ce n’est une destruction tout court à travers l’issue suicidaire. »

« Le Conseil économique et social a insisté dans son précédent rapport sur la nécessaire reconnaissance et prise en compte de l’atteinte psychologique pouvant faire suite aux violences. La victime doit être reconnue dans ce qu’elle a subi, même si cette atteinte ne l’a pas marquée en apparence corporellement » (CES 2001).

Selon Lise Beaudoin (2001), avocate en droit du travail « il reste que, malgré la reconnaissance du droit de travailler dans un milieu exempt de harcèlement psychologique, il est souvent difficile d’établir sa présence. (…) Les plaideurs et les arbitres se penchent de plus en plus sur les articles 4 et 46 de la Charte québécoise et l’article 2087 du Code civil pour définir plus précisément les obligations réciproques des salariés et des employeurs dans leurs rapports. Une norme émerge : celle du devoir mutuel de respect, de civilité et de considération, conclut Me Lamy. » « Et même dans une situation d’inaction de l’employeur face à un comportement violent, le tribunal considère qu’il s’agit d’un litige relevant de la convention collective parce que les devoirs implicites de l’employeur lui

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commandent de maintenir la qualité du milieu de travail, de protéger ses employés et de leur assurer des conditions de travail justes et raisonnables (art. 46 Charte).

« Comme le harcèlement est parfois subtil ou fait sans témoin, la victime a souvent du mal à prouver ce qu’elle avance. Comme rien n’est sanctionné, qui déterminera que notre harceleur exagère» (Tremblay 1999)?

« Au quotidien, le harcèlement prend diverses formes, dont certaines sont parfois trop subtiles pour qu’on y prête attention sur le coup. Humiliation, menaces, chantage, accusations ouvertes ou à demi mot, insinuations non fondées, critiques de la personnalité plutôt que du travail, etc. : pas étonnant que certains spécialistes de la question parlent de guerre psychologique entre la victime et son harceleur, voire de « psychoterreur » (Tremblay 1999).

Mise en état d’infériorité, soumise à des manœuvres hostiles, perte progressive des responsabilités, exclusion des réunions, mise en doute de l’utilité de la tâche de la personne et de ses talents. Le harceleur connaît habituellement les points faibles de sa victime et sait en tirer profit. (…) L’utilisation de la double contrainte est également un processus subtil : « le harceleur s’y prend de telle sorte que l’employé(e) perd, peu importe ce qu’elle fait » Souvent, le harcèlement est si subtil que la victime a du mal à mettre le doigt sur le problème. Faute de preuves, elle n’ose porter plainte de peur de passer pour capricieuse ou folle. » « Il est toutefois difficile de faire la preuve que le cumul de ces petits événements mine la santé mentale et finit par causer la maladie. Ensuite, on suppose d’abord que la personne exagère, puis, on remet en cause le fait que ce soit l’agression subie au travail qui ait provoqué ces séquelles et on cherche à évoquer d’autres facteurs tels un divorce ou une dépression antérieure.

« Pris séparément, chaque petit manque de respect, chaque mensonge ou critique a souvent l’air anodin, mais ces gestes s’inscrivent dans un processus très destructeur sur le plan de l’estime de soi et renvoient à celui ou celle qui les subit une image d’incompétence et de nullité. La personne qui reçoit ces mauvais traitements se retrouve profondément blessée, troublée et confuse. Elle se sent assommée, anesthésiée et n’arrive plus à comprendre ce qui se passe. Elle développe un sentiment d’irréalité (Voyons! Ça se peut pas…!). Elle cherche des explications à cette méchanceté (Qu’est-ce que j’ai bien pu faire pour subir ça? »)…. Elle s’auto-dévalorise, s’aime de moins en moins jusqu’à avoir l’impression d’avoir très peu de valeur. La confusion combinée au doute et à la baisse d’estime de soi engendre un état de stress et de peur où la personne est constamment sur le qui vive, en état d’alerte. Le sentiment de danger pousse la personne à devenir très vigilante, à tout faire pour contenter l’autre, pour le calmer, pour éviter le conflit…. (Tremblay 1999).

Si la violence peut être ponctuelle, forte et visible, selon la CSN (1999), tel n’est pas souvent le cas pour la violence psychologique. Elle emprunte souvent la forme de « violence soutenue, faible et insidieuse ». « C’est tellement subtil, tellement insidieux, pis t’as pas de témoin de ça – ils ne font jamais ça devant témoin. C’est comme ça, avec l’usure psychologique, avec le temps…  (…) En termes d’impacts sur les personnes, c’est la violence soutenue, faible et insidieuse qui, dans es manifestations extrêmes, semble la plus nocive. (…) L’invisibilité relative des incidents et leur faiblesse intrinsèque font en sorte que les personnes qui la subissent ont du mal à nommer ce qu’elles vivent et à y voir un acte délibéré des supérieurs. En conséquence, l’entourage des personnes subissant de la violence soutenue, faible et insidieuse comprend difficilement ce qui leur arrive, et ce manque de soutien ajoute à leur détresse. »

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2 BANALISATION

Guberman (1998) a produit un rapport basé sur l’analyse de la littérature sur la violence en milieu de travail et des entrevues avec des travailleurs. Outre le constat que la violence en milieu de travail prend de nombreuses formes, il ressort surtout de son rapport que cette violence est banalisée de différentes manières.

La CSN, CSQ, etc. (2000) décrivent « la banalisation de la violence comme l’ensemble des attitudes et des comportements qui tendent à la rendre triviale, ordinaire ou insignifiante.(…) De plus, le degré de banalisation variera en fonction du type de violence en cause. Ainsi, on constate que les séquelles physiques sont moins banalisées que les séquelles psychologiques. (…) Une première forme de banalisation de la violence employée par les supérieurs est la négation de l’existence même de la violence. Une réaction fréquente consiste à la taire ou à la camoufler pour sauvegarder la réputation de l’entreprise. Une deuxième forme de banalisation consiste à blâmer les travailleurs et les travailleuses et à les tenir responsables de la violence ou attribuer celle-ci à des caractéristiques personnelles (sexe, âge, craintes, compétences etc.). … Ainsi, de façon assez généralisée, les employeurs ne tiennent pas compte de l’impact psychologique de l’agression. » L’employeur pourra considérer assez allègrement que les employés ont la « coine » trop sensible.

« Quand les comportements sont insidieux, plusieurs personnes préfèrent fermer les yeux et laisser les victimes seules avec leurs perceptions. Enfin si la personne mise en cause est en position d’autorité, ses comportements seront facilement justifiés par son rôle. Il est à noter que même les victimes peuvent banaliser ce qui leur est arrivé parce qu’elles craignent d’être jugées, entre autres » (CSN 2001).

La banalisation par l’employeur sera également favorisée par la tendance au mutisme des victimes, qui sont incapables de parler parce qu’elles sont trop ébranlées par la situation, soit parce qu’elles craignent les représailles ou les conflits ou encore parce qu’elles ne croient pas possible de changer les choses (Guberman, 1998). Sans compter que «la victime est souvent mise en doute par le milieu, soit parce qu’on remet en question ses compétences et ses réactions ou encore parce qu’on considère qu’elle exagère les conséquences de l’agression. » Les collègues ne veulent pas s’en mêler la plupart du temps, de crainte que la situation ne s’aggrave ou que leur tour ne vienne. 

Soares (2002), précise que «la persécution d’une personne a de puissants effets d’intimidation sur les collègues qui découvrent l’impunité dont jouit l’agresseur. (…) (Les collègues) ont peur » Chacun se protège. (…) Le silence et la défection des témoins, l’absence de solidarité et d’entraide sont catastrophiques pour la victime. » Il n’est pas facile de définir opérationnellement la violence psychologique. Dans le monde du travail, cette notion fait peur. « Cette réticence est générée par la crainte d’être un jour du côté des faux positifs, c’est-à-dire faussement accusé, avec ce que cela implique et comporte » (Goderre, 2002). L’employeur pourra craindre de se voir paralysé dans son droit de gérance par des phénomènes qui lui paraîtront subjectifs et arbitraires.

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Guberman (1998) définit la banalisation de la violence comme « étant toutes attitudes et comportements qui tendent à la rendre triviale, ordinaire ou insignifiante. » La banalisation de la part de l’employeur peut prendre cinq formes :

1) il peut taire et nier la violence; 2) il peut jeter le blâme sur l’incompétence de l’employé; 3) ne pas tenir compte des effets de la violence et ne pas offrir de support; 4) décourager l’employé de se prévaloir des recours disponibles; 5) définir la violence comme faisant partie des prérogatives d’un supérieur.

Du côté des employés, la banalisation peut prendre au moins deux formes : 1) nier, taire et oublier la violence; 2) se sentir responsable ou se blâmer lorsque survient un incident violent.

Un facteur viendra nourrir la tendance à la banalisation : la loi du silence. Une loi subtile, alimentée par la peur de représailles. Car une des nombreuses conséquences de la violence est la tendance au mutisme dans lequel elle enferme les victimes : elles « agissent ainsi soit parce qu’elles sont trop ébranlées par la situation et sont incapables d’en parler, soit parce qu’elles craignent les représailles ou les conflits ou encore parce qu’elles ne croient pas possible de changer les choses. » (Guberman, 1998, p. 5) Il faut donc prendre en compte que l’enquête ou la démarche de cueillette d’information dans un milieu de travail où sévit la violence sera forcément limitée par la peur. Les personnes touchées peuvent avoir peur de porter plainte sachant, que suite à une enquête, il pourrait y avoir des représailles.

3 IMPACTS SUR LES INDIVIDUS, SUR L’ENTREPRISE ET SUR LA FAMILLE

3.1 Impact sur les individus

Les avocats Gaumond et Roy préviennent qu’« Il importe de demeurer attentif aux signaux envoyés par des personnes salariées dans leur milieu de travail puisque ceux-ci sont autant d'indicateurs vous permettant d'évaluer l'ampleur de la problématique de violence qui a cours. De plus, ils constituent des éléments pertinents à mettre en preuve pour soutenir (un) grief.

« Les professionnels-les ne reconnaissent pas toujours les comportements violents de leurs supérieurs, mais les impacts de cette violence, eux, ne manquent pas de leur indiquer que quelque chose ne tourne pas rond. Outre les impacts immédiats, comme l’incrédulité, la colère et la honte, la violence affecte l’image de soi, la santé physique et mentale ainsi que la vie privée des professionnels. Ces impacts à plus long terme sont difficiles à apprécier, mais ils se répercutent obligatoirement sur leur motivation et leur disponibilité au travail.»(CSN 1997)

Les victimes doivent donc assumer une importante détresse psychologique, une intense souffrance morale. La personne qui reçoit ces mauvais traitements se retrouve profondément blessée, troublée et confuse. C’est l’enfer intérieur. Une véritable tornade

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émotionnelle s’abat sur les personnes : culpabilité, sentiment de persécution, remise en question des compétences professionnelles, peur du jugement des autres, sentiment d’incompétence, isolement, impuissance, honte, méfiance, peur et insécurité pour la victime.

On observera également au plan psychologique des réactions telles que faible estime de soi, difficultés à communiquer, attitude de retrait, sentiment de honte, d'humiliation, sentiment d'incrédulité et d'incompréhension, sentiment de colère, de tristesse, sentiment de peur, d'insécurité et d'impuissance, confusion, réactions paranoïdes, angoisse, stress, appréhensions, sensibilité exacerbée, sentiment d’être diminué, démotivation, dépression, idées suicidaires et épuisement professionnel.

Guberman (1998) repère également les conséquences de cette violence dans la vie des victimes. Il est fait état des conséquences sur la santé telles que les blessures physiques, nausées, pertes d'appétit (de légères à graves), insomnie, réactions nerveuses, idées suicidaires, tendance à l’isolement, perte de l’estime de soi, tendance à se sentir responsables, etc. D’autres effets sont également observés, tels que stress, appréhensions, sensibilité exacerbée, sentiment d’être diminué, démotivation, dépression, etc.

Sans compter qu’au point de vue physique, les impacts sont éloquents : fatigue, perte de l'appétit, perte du sommeil, problèmes digestifs, maux de tête, blessures fréquentes. Soares (2002) souligne que les personnes qui vivent du harcèlement psychologique au travail « présentent d’intenses symptômes post-traumatiques : pensées envahissantes et récurrentes du harcèlement et évitement des éléments qui y sont associés. » La confusion combinée au doute et à la baisse d’estime de soi engendre un état de stress et de peur où la personne est constamment sur le qui vive, en état d’alerte. Le sentiment de danger pousse la personne à devenir très vigilante, à tout faire pour contenter l’autre, pour le calmer, pour éviter le conflit….

Une situation qui peut devenir intenable au point d’entraîner des congés de maladie prolongés et même des démissions, quand ce n’est pas carrément des mises à pied. L’AIISTQ (2000) affirme que « le harcèlement peut causer des torts et des séquelles permanentes aux personnes qui le subissent : stress, maladie, traumatisme psychologique, séquelles physiques, atteintes à la dignité, humiliation, dépression, perte d’emploi et consultations ou traitements auprès de spécialistes» (AIISTQ, 2000).

L’explication de l’efficacité destructrice des pratiques de harcèlement moral en milieu professionnel nous est fournie par les travaux de Christophe Dejours (CES 2001) :

« L’humiliation d’une personne dans son travail, le fait de lui renvoyer une image d’elle-même comme inutile… vient bloquer le processus qui permet d’accéder au plaisir dans le travail. Le travail occupe une place centrale dans le maintien de l’équilibre psychosomatique des personnes. La plupart des individus espèrent avoir l’occasion d’accéder à une reconnaissance de leur valeur dans le champ professionnel et de poursuivre ainsi la construction de leur personnalité. Le fait de priver la personne de la rétribution morale de ce surinvestissement aura évidemment, pour elle, de lourdes conséquences psychologiques. Le harcèlement moral est donc la destruction, jour après jour, de la valeur de l’autre à travers son activité professionnelle qu’il vit, très souvent, comme l’essentiel de sa contribution sociale. »

Les conséquences pour les salariés qui en sont victimes peuvent également se manifester sous forme de troubles psychosomatiques, ou de dépressions pouvant aller jusqu'au suicide. Si bien qu’en France, le législateur est intervenu en janvier 2002 en introduisant la notion de harcèlement moral dans le Code du travail, et sa répression dans le Code pénal (loi de Modernisation sociale).

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Le rapport interministériel sur le harcèlement psychologique (Ministère du travail, 2003) évalue que le harcèlement moral est de nature à « entraîner (…) des conditions de travail défavorables, une mise à pied, un congédiement ou une démission forcée. Toujours selon le ministère, la souffrance ainsi engendrée par l’atteinte à la dignité des personnes peuvent donner lieu à une lésion professionnelle. L’Alliance de la Fonction publique (2002) sonne l’alarme, car « le plus inquiétant dans les cas d’harcèlement et d’abus de pouvoir est le fait que très souvent ils peuvent être acceptés en fonction des cultures organisationnelles d’un milieu donné. On s’accommode du comportement de l’agresseur ou de l’abuseur, on s’accommode d’un environnement empoisonné et hostile. Ce milieu occasionnera du ressentiment, de l’insatisfaction et du stress chez les employés qui ne se rendent pas compte ou n’arrivent pas à identifier le problème Ces individus vivent dans un milieu intimidant, hostile et offensant qui représente une menace à leur santé et qui va jusqu’à être une invasion de leur vie privée. Et dans un tel milieu, généralement la culture fait en sorte qu’on ne parle pas des problèmes personnels qui nous touchent. On peut donc s’attendre à une démotivation des individus qui, malgré leurs compétences, sont soumis à un environnement qui ne permettra pas leur évolution. Il en résulte l’exode du personnel qualifié ».

3.2 Impacts et conséquences pour l’entreprise.

« Pour l’employeur, ces traumatismes se traduisent par des problèmes importants tels que l’absentéisme, une baisse de productivité, un roulement de personnel, une baisse du moral des employés, le détournement du temps investi par le personnel à la gestion de la plainte, des coûts reliés aux congés de maladie, à la formation, aux enquêtes sur le harcèlement, aux litiges et les indemnités monétaires qui s’en suivent, sans compter les risques de mauvaise publicité et l’effet sur la clientèle. (AIISST 2001)

Un salarié harcelé, stressé, ayant perdu toute confiance en lui, aura des difficultés à prendre des initiatives ou des décisions. La qualité de son travail s'en ressentira. Même s'il met toute son énergie à résister à la pression, à "tenir", un jour ou l'autre, il devra s'arrêter de travailler pour se soigner. Et l'absentéisme et la détérioration du climat de travail ont conséquences négatives pour l'entreprise.

Selon l’opinion des avocats Gaumond et Roy, »si la première victime de la violence psychologique au travail est évidemment la personne qui la subit, on passe trop souvent sous silence les coûts économiques et sociaux rattachés à de telles manifestations d'agression. Une entreprise a certes intérêt à tout mettre en œuvre pour stimuler la créativité et le sens du dépassement de ses salariés. Voici énumérés quelques effets néfastes de la violence en milieu de travail :

taux de roulement élevé

taux élevé d'absentéisme

baisse de productivité (quantité et qualité)

démission des meilleurs salariés

climat de travail dénué de collaboration

sens de l'initiative des salariés brimé

climat peu propice aux échanges d'idées

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salariés ne développant pas leur plein potentiel

projection d'une image peu flatteuse de l'entreprise auprès de la clientèle et dans l'entourage des victimes

Travailler dans un environnement où sévit une personne qui harcèle, c'est vite comprendre qu'il faut s'arranger pour sauver sa peau. On va donc observer une diminution des initiatives, une baisse de la créativité et de la productivité. Les éléments les plus dynamiques vont préférer et pouvoir se trouver un poste ailleurs. Les autres vont survivre sans plaisir à faire partie de ce milieu de travail affecté par un cancer sournois.

Guberman (1998) parle aussi des effets sur le travail, soit la perte du lien de confiance avec le milieu de travail, les tensions et conflits avec les collègues, l’absence du travail, l’isolement, la démotivation par rapport au travail, le sentiment d’incompétence et de responsabilité

Le Conseil économique et social (2001) tient à préciser que même si « ces atteintes des personnes ne présentent pas toujours un caractère de gravité particulier; il peut s’agir d’incivilités qui, par leur répétition même, vont contribuer à ce que s’installe un sentiment d’insécurité dans le collectif de travail.

Selon la CEQ, « ces comportements mènent à un roulement rapide du personnel, un absentéisme croissant, une diminution de la production, une apparente inefficacité des départements, un manque de motivation, des tendances à la déprime et une perte de respect pour les supérieurs. (Internationale de l’éducation, 1996, p. 14-15).

Les coûts directs et indirects d'un mauvais climat de travail peuvent être énormes, non seulement pour l'entreprise, mais également pour toute la société. Il faut, en effet, tenir compte de la prise en charge des victimes de harcèlement par les organismes de Sécurité sociale.

L’Alliance de la Fonction Publique du Canada (2002) parle d’un climat de travail empoisonné. Le harcèlement au travail diminue la productivité et favorise l’absentéisme par les dégâts psychologiques qu’il entraîne.

« Les conséquences organisationnelles du harcèlement psychologique se traduisent par un taux d’absentéisme élevé et une dégradation et une désintégration du climat organisationnel, impliquant une réduction de la qualité et de la quantité du travail, des difficultés pour le travail en équipe, une détérioration de l'image de l’organisation, des primes d’assurance élevées et une augmentation des coûts reliés aux services juridiques. Dans le cadre de cette recherche, nous avons repéré 1500 jours qui ont été perdus à cause du harcèlement psychologique. » Soares, 2002.

Dans ces circonstances, nous pouvons espérer que le monde du travail devienne plus vivant et respectueux des forces vives des travailleurs. Il n'en sera que plus productif.

3.2 Impacts sur la familleCes individus vivent dans un milieu intimidant, hostile et offensant qui représente une menace à leur santé et qui va jusqu’à être une invasion de leur vie privée. Des effets sur la vie privée seront observés, tels que les conflits dans le couple, l’impatience envers les

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enfants, et le sentiment d’être seul (Guberman, 1998). La colère contre l’entourage est également une réaction courante.En conclusion, et compte tenu de ces impacts majeurs au plan de la santé mentale des travailleurs et de la détérioration de leurs conditions de travail et de leur qualité de vie, Soares (2002) déplore que le harcèlement psychologique soit encore une réalité présente dans les organisations au Québec. 

4 PROCESSUS DE LA VIOLENCE : LE CONTEXTE D’ENSEMBLE

Comme il a été mentionné précédemment, la violence psychologique au travail est un phénomène subtil, pernicieux. Aussi une façon de la repérer est de prendre en compte l’ensemble du processus, soit l’élément de contexte, c’est-à-dire, la répétition de ces gestes. « Il ne faut pas hésiter à faire des rapprochements entre des situations similaires puisque cela peut permettre d’établir un « pattern » dans un même service.

Soares (2002) précise qu’ « au contraire de d’autres types de violence au travail, le harcèlement psychologique est un processus constitué de différents types d’agissements qui se développent dans le temps. Puisqu’il y a processus, il est important de comprendre comment et quand il s’institue, simplement pour qu’on puisse le prévenir ou intervenir le plus tôt possible. C’est d’autant plus important, car c’est exactement au tout début du processus que les mesures de prévention doivent être efficaces. »

Et dans la démarche d’enquête, on ne doit pas se limiter aux seuls salariés victimes de violence, mais également auprès de collègues du même service qui ont été témoins de scènes d’agression, de dévalorisation, de menaces. « Il peut être intéressant de faire la preuve d’un comportement de violence psychologique similaire fait à l’endroit de plusieurs personnes pour établir un pattern et corroborer les prétentions de la ou des personnes plaignantes. Il s’agit d’une preuve acceptée en arbitrage (Gaumond et Roy) ».

5 DÉFINITIONS

Beaucoup de définitions ont vu le jour concernant cette problématique et certains éléments se recoupent. Soares (2000) remarque que les différentes définitions se rejoignent dans au moins trois dimensions toujours présentes : « (1) la répétition et la persistance de l’action; ensuite, (2) les effets toujours négatifs, dévastateurs et destructeurs sur la personne cible et finalement : (3) la définition est centrée sur les effets subis par la personne cible et non sur les intentions de la personne qui harcèle. »

Le Ministère du travail (2003) définit le harcèlement psychologique comme étant « une conduite vexatoire se manifestant par des comportements, des paroles, des actes ou des gestes répétés qui sont hostiles ou non désirés, laquelle porte atteinte à la dignité ou à l’intégrité psychologique ou physique du salarié, et qui entraîne, pour celui-ci, un milieu de travail néfaste. Le Ministère reconnaît donc la dimension de souffrance morale.

« On peut dire qu’il y a violence psychologique lorsqu’une personne adopte une série d’attitudes et de propos qui visent à dénigrer et à nier la façon d’être d’une autre personne » (Poudrette 2000). Cette même source attire l’attention sur un phénomène important : il faut

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bien comprendre qu’il est possible d’ébranler, de fragiliser et de blesser l’autre par des paroles et des gestes en apparence inoffensifs, des insinuations, des sous-entendus, des silences. Et « ce qui devient particulièrement troublant, destructeur et inacceptable, c’est lorsque la violence est niée, qu’elle se répète dans le temps et qu’elle augmente en fréquence. (…) Certaines personnes sont incapables de se remettre en question : elles se sentent bien et puissantes que lorsqu’elles dominent et contrôlent les autres » (Poudrette, 2000).

« C’est un processus destructif, constitué d’un enchaînement de propos et d’agissements hostiles qui, pris isolément, pourraient sembler anodins, mais dont la répétition constante a des effets pernicieux » (Leymann, 1996) « Il peut prendre différentes formes et se traduire notamment par des insultes, des humiliations, des menaces, du chantage, des accusations parfois ouvertes, parfois exprimées à demi-mot, des insinuations non fondées, des représailles injustifiées, des critiques constantes portant plus sur la personnalité que sur le travail accompli » (Au bas de l’échelle, 1998). Hirigoyen (2001, p. 13) précisera que ces conduites mettent en péril l’emploi de la personne ou dégradent le climat de travail

Soares (2000) retient pour sa part les définitions suivantes :

« Une souffrance infligée sur le lieu de travail de façon durable, répétitive et/ou systématique par une ou plusieurs personnes à une autre, par tous moyens relatifs aux relations, à l’organisation, au contenu et aux conditions du travail en les détournant de leur finalité, manifestant ainsi une intention consciente ou inconsciente de nuire, voire de détruire (Drida et col., 1999 : p. 92).

« Tous agissements répétés visant à dégrader les conditions humaines, relationnelles, matérielles de travail d’une ou plusieurs victimes, de nature à porter atteinte à leurs droits et leur dignité, pouvant altérer gravement leur état de santé et pouvant compromettre leur avenir professionnel (Conseil économique et social, 2001).

« On parlera donc de violence dans tous les cas où quelqu’un cherche à imposer sa volonté à une autre personne, que ce soit par la force physique, les menaces verbales, l’humiliation, etc. » (FIIQ).

6 LES COMPORTEMENTS DE VIOLENCE : LES GESTES ET ATTITUDES COMME TEL

Rappelons encore une fois que « le harcèlement est caractérisé par des propos et des gestes vexatoires, inopportuns et abusifs et que « selon les tribunaux, il n’est pas nécessaire que les propos ou les gestes posés soient illégaux, prohibés ou déraisonnables pour qu’ils puissent constituer du harcèlement. (Syndicat de l’Enseignement de l’Ungava et de l’Abitibi-Témiscamingue).

L’Alliance de la fonction publique du Canada (AFPC) 2002 considère parmi les diverses formes de harcèlement, celle qui consiste à créer un « climat de travail empoisonné ». «  Par le harcèlement au travail, on doit entendre : «toute conduite abusive se manifestant notamment par des comportements, des paroles, des actes, des gestes, des écrits, pouvant porter atteinte à la personnalité, à la dignité ou à l’intégrité physique ou psychique d’une personne, mettre en péril l’emploi de celle-ci ou dégrader le climat de travail».

Le groupe Au bas de l’échelle, spécialisé dans la défense des droits des travailleurs non syndiqués, observe que « les personnes victimes de harcèlement psychologique au travail subissent souvent un contrôle constant et abusif de leurs allées et venues, des contacts qu’ils ont avec leurs

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collègues, de leurs conversations téléphoniques, du temps qu’ils mettent à accomplir chacune de leurs tâches (Tremblay 1999).

La CSQ (2001) soutient que « la violence psychologique renvoie aux actes qui visent à blesser une personne sur le plan émotionnel et se traduit dans les faits soit par une surveillance abusive d’une personne dans son travail, soit par des dépréciations ou des évaluations négatives, etc. Elle est la forme la plus courante de violence en milieu de travail. » Johanne Tremblay (1999) repère certains comportements reliés au harcèlement psychologique  : les menaces, les moqueries, les gestes d’intimidation et d’humiliation ou le « trip de pouvoir.

L’Alliance de la Fonction Publique du Canada (2002), allègue que « ce peut être aussi une manœuvre perverse d’un individu qui a besoin pour se rehausser d’écraser les autres, ou qui a besoin pour exister de démolir un individu choisi comme bouc émissaire » Et cette même source précise que :

« Très souvent, le harcèlement se met en place quand une victime réagit à l’autoritarisme d’un chef et refuse de se laisser asservir. C’est sa capacité de résister à l’autorité malgré les pressions qui la désigne comme cible. »

« Pour garder le pouvoir et contrôler l’autre, on utilise des manœuvres anodines qui deviennent de plus en plus violentes si l’employé résiste. Dans un premier temps, on lui retire tout sens critique jusqu’à ce qu’il ne sache plus qui a tort et qui a raison. On le stresse, on le surveille, on le chronomètre pour qu’il se sente en permanence sur le qui-vive et, surtout, on ne lui dit rien de ce qui pourrait lui permettre de comprendre ce qui se passe. L’employé, acculé, en accepte toujours plus et n’arrive pas à dire que c’est insupportable. » (AFPC 2002)

Mais de façon concrète, quelles formes peut prendre le harcèlement moral, aussi désigné sous le terme de psychoterreur ou "mobbing" ? Pris isolément, ces agissements hostiles peuvent sembler anodins. Mais leur répétition au quotidien peut affecter gravement la personne et avoir des répercussions importantes sur sa santé, physique et psychologique. Ces agissements peuvent se présenter sous différentes formes :

refus de toute communication absence de consignes ou consignes contradictoires privation de travail ou surcroît de travail tâches dépourvues de sens ou missions au-dessus des compétences "mise au placard", conditions de travail dégradantes critiques incessantes, sarcasmes répétés brimades, humiliations propos calomnieux, insultes, menaces.

Selon l’enquête de Chantal Arousseau (1996), voici les comportements les plus souvent décriés par les victimes.

1. les propos camouflés. Le harceleur fait es remarques qui ont l’air anodines, mais qui laissent planer un reproche, un doute, voire une accusation sans fondement

2. le refus de communiquer. Comme un roi qui punit l’un de ses suivants, le harceleur cesse tout contact avec l’employée: il lui transmet ses ordres par note de service et lui laisse ses dossiers sur son bureau, avec un minimum d’explications.

3. Le discours partial ou mensonger. Le harceleur s’en donne à cœur joie : évaluations tendancieuses, notes de service qui portent atteinte à la réputation de l’employée

4. Le refus de formation professionnelle . Une autre forme de punition. On refuse à l’employée participer à des colloques, de suivre des cours, etc.

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5. Le refus de soutien professionnel. Un moyen qui permet à l’employéedébordée u excédée e s’enliser plus vite. Le patron pourra lui reprocher d’avoir mal fait son travail, même si elle n’aurait jamais pu y arriver seule.

6. Ses compétences sont mises en doute. Comment? En lui retirant ses dossiers sans raison, en exigeant que son travail soit vérifié et approuvé par un tiers, en laissant entendre devant témoins qu’elle n’est pas à la hauteur.

7. Le manque de respect. Le supérieur fait des commentaires sur l’apparence de l’employée, lui parle avec mépris, dénigre ses façons de faire.

8. Le harcèlement administratif. Bombardée de note de service, d’évaluations, d’avertissements, l’employée a la très nette impression qu’un dossier est monté contre elle. Elle a sans doute raison.

9. Le contrôle excessif. Le travail est sélectionné et minuté, les heures d’arrivée et de départ sont enregistrées, même les déplacements aux toilettes sont notés. Peu à peu, l’employée voit son travail lui échapper.

10. Les menaces. Plusieurs se font dire que d’autre seront ravis de prendre leur place.11. L’intimidation. Le patron s’y prend de bien des manières : il crie, lance des objets,

envahit l’espace vital de l’employée.12. L’exclusion. L’employée se retrouve sans bureau ou dans un local grand comme un

placard à balais. En milieu syndiqué, cela se traduit par une suspension ou l’abolition du poste.

Soares (2002) rapporte les agissements suivants comme étant parmi les plus fréquents dans le harcèlement psychologique (%) :

Insinuations sans rien dire directement - 66% Regards négatifs ou gestes qui ont un sens négatif - 58% Un supérieur a limité vos possibilités d’exprimer vos opinions - 45% Des gens remettent en question votre jugement - 40% Faisait des attaques constantes par rapport à votre travail -- 32% La performance est évaluée sur de fausses prémisses -- 20% Menaces verbales -- 25%

L'étude de Heinz Leymann sur la persécution au travail a permis de cibler une série de comportements qui engendrent la psychoterreur chez une personne salariée. L’auteur répartit ces agissements en cinq catégories dont voici les principaux éléments.

1. Agissements visant à empêcher la victime de s'exprimer

Le supérieur hiérarchique refuse à la victime la possibilité de s'exprimer

La victime est constamment interrompue

Critiquer le travail de la victime

Critiquer sa vie privée

Terroriser la victime par des appels téléphoniques

La menacer verbalement

Refuser le contact (éviter le contact visuel, gestes de rejet, etc.)

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Ignorer sa présence, par exemple en s'adressant exclusivement à des tiers »

« 2. Agissements visant à isoler la victime

Ne plus lui parler

Ne plus se laisser adresser la parole par elle

Lui attribuer un poste de travail qui l'éloigne et l'isole de ses collègues

Interdire à ses collègues de lui adresser la parole

Nier la présence physique de la victime »

3. Agissements visant à déconsidérer la victime auprès de ses collègues

Médire d'elle ou la calomnier

Lancer des rumeurs à son sujet

Se gausser d'elle, la ridiculiser

Attaquer ses convictions politiques ou ses croyances religieuses

Se gausser de sa vie privée

Se moquer de ses origines, de sa nationalité

La contraindre à un travail humiliant

Noter le travail de la victime inéquitablement et dans des termes malveillants

Mettre en question, contester les décisions de la victime

4. Discréditer la victime dans son travail

Ne plus lui confier aucune tâche

La priver de toute occupation et veiller à ce qu'elle ne puisse en trouver aucune par elle-même

La contraindre à des tâches totalement inutiles et/ou absurdes

La charger de tâches très inférieures à ses compétences

Lui donner sans cesse des tâches nouvelles

Lui faire exécuter des travaux humiliants

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Confier à la victime des tâches exigeant des qualifications très supérieures à ses compétences, de manière à la discréditer "

5. Compromettre la santé de la victime

Contraindre la victime à des travaux dangereux ou nuisibles à la santé

Occasionner volontairement des frais à la victime dans l'intention de lui nuire

D'autres indicateurs de la violence psychologique au travail

Le contrôle de la communication

Heinz Leymann (1996)a insisté sur la place centrale tenue par la communication dans le processus de mobbing : le mobbing peut faire en sorte que la victime n’ait plus aucune possibilité de faire entendre son point de vue. On veille à ce qu’elle n’ait plus accès à l’information. On l’accule dans une position dans laquelle l’agresseur fixe les règles de communication. La plupart du temps les demandes d’explication de la victime tournent court. Le ou les agresseurs donnent une interprétation malveillante de tout ce que dira la personne ciblée. Le déséquilibre des forces est encore plus flagrant lorsque l’agresseur occupe une position hiérarchique supérieure. La communication entre la victime et son environnement professionnel est alors plus facilement manipulable : elle peut être centralisée, supprimée, pervertie (en adoptant un mode d’expression systématiquement agressif ou méprisant y compris sur un registre non verbal, haussement d’épaule, détournement de tête, claquement de porte). Le refus d’aide, l’induction à l’erreur par des promesses non tenues, la falsification des informations participent également de cette communication pervertie mais comme l’a souligné Heinz Leymann, ces pratiques (…) constituent une manipulation de fonctions et de situations professionnelles. »

La notion de double contrainte

Cette stratégie consiste pour les supérieurs à placer les professionnels dans des situations de double contrainte. Les professionnels sont piégés parce qu’on les oblige à faire des choix qui pourront toujours leur être reprochés. Tout en sachant qu’ils seront blâmés qu’elle que soit la décision ou l’action privilégiée, le statu quo ne peut être maintenu puisqu’il serait aussi une source de blâme. » Parfois, sous le couvert d'une apparente ouverture d'esprit de l'agresseur, se cache même une volonté délibérée de nuire à l'autre et de le pousser à se diminuer.

Le moment choisi pour poser des gestes d'agression

La personne qui exerce de la violence psychologique sur un collègue ou un subordonné va souvent tenter de faire ses interventions dans des moments où sa victime est placée dans une position de grande vulnérabilité. En travaillant sur l'environnement dans lequel prennent place ses agressions, elle jouit ainsi d'un rapport de force plus intéressant. Ce qui a « a pour effet d’atteindre la personne visée

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dans l’une de ses zones de vulnérabilité », soit « à des moments de plus grande fragilité qui assurent l’emprise des supérieurs sur la vie privée des professionnel-les ou à des zones stratégiques dont le contrôle permet d’agir directement sur la motivation des travailleuses et travailleurs. »

« Par exemple, plusieurs incidents rapportés se sont produits à la fin des journées précédant un congé ou une fin de semaine, au retour d’un congé de maladie ou en période de rupture amoureuse. D’autres incidents touchaient les horaires flexibles, les espaces de travail fermés ou encore les dossiers préférés des professionnel-les. » L'impact de son action s'en trouve évidemment bonifié. Des interventions peuvent aussi se faire lorsque la personne salariée se trouve déjà dans une position de faiblesse en raison de problèmes personnels étrangers à sa relation de travail (problèmes familiaux, difficultés financières, etc.)

De même, le fait de prendre un salarié à l'écart, de manière impromptue, alors qu'il est seul pour faire face à des propos accusateurs ou dégradants sera parfois perçu comme une plus grande source d'intimidation. L'emplacement physique joue également un rôle dans la mise en place d'une dynamique de domination qu'un agresseur tente de créer. Les lieux inconnus, isolés ou encore inappropriés sont de nature à rendre tout échange inconfortable.

Différentes études montrent que ces pratiques se sont intensifiées ces dernières années. La situation de l'emploi empêche la victime de fuir la situation en allant travailler ailleurs. La faiblesse des structures de défenses collectives et les pressions à la productivité concourent à exacerber le problème. Une absence de soutien ou de reconnaissance, de la part de la hiérarchie ou des collègues, constitue un des facteurs aggravants des effets du harcèlement moral au travail.

7 VIOLENCE HIÉRARCHIQUE

« De façon encore plus pointue, les situations de harcèlement sont en majorité des situations de violence hiérarchique puisque les employeurs sont les seuls mis en cause dans plus de la moitié des cas rapportés et qu’ils sont encore mis en cause conjointement avec d’autres employé-es dans un autre tiers des cas. »

L’un des motifs sous-jacents aux comportements et qui est les plus souvent invoqué est «  l’autorité conférée par une position dans la structure hiérarchique… Les comportements violents des supérieurs sont souvent perçus comme une simple manifestation de leur autorité et donc considérés normaux. (CSN, CSQ, FTQ, CINBIOSE et SAC-UQÀM, 2002)

« La violence psychologique et verbale des supérieurs est méconnue, voire ignorée, parce qu’elle se manifeste plus souvent de manière insidieuse et parce qu’elle est facilement assimilée aux comportements légitimes associés au pouvoir que leur confère leur place dans la hiérarchie des organisations » (CSN 1997). « De la part des supérieurs ou des employeurs, la violence s’exprime principalement par le harcèlement sexuel, l’abus d’autorité, le contrôle excessif, les menaces, les cris, les paroles méprisantes, humiliantes ou intimidantes et le harcèlement administratif (comme le refus de dates de vacances) » (CSN, CSQ, FTQ, CINBIOSE et SAC-UQÀM, 2002).

L’Alliance de la Fonction publique du Canada (2002) considère qu’une « situation extrêmement fréquente actuellement est le contexte où l’on fait croire aux salariés qu’ils doivent être prêts à tout accepter pour garder leur emploi. L’entreprise laisse un individu diriger ses subordonnés de façon tyrannique ou perverse, parce que cela

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l’arrange ou ne lui paraît pas important. Les conséquences sont très lourdes pour le subordonné. »

L’insécurité dans l’exercice de l’autorité peut expliquer également l’abus de pouvoir : « un supérieur se prévaut de sa position hiérarchique d’une manière démesurée et harcèle ses subordonnés de crainte de perdre le contrôle. C’est le pouvoir des petits chefs. Ce peut être aussi une manœuvre perverse d’un individu qui a besoin pour se rehausser d’écraser les autres, ou qui a besoin pour exister de démolir un individu choisi comme bouc émissaire » (AFPC 2002).

La violence hiérarchique peut se repérer par la présence des éléments suivants : insinuations, reproches voilés, suppression des communications (on ne salue pas la personne), l’utilisation d’ouïe dire, rapports non vérifiés, refus de ressourcement professionnel ou de soutien, la mise en doute des compétences, le manque de respect, le mépris, le harcèlement administratif, par la multiplication des plaintes, mémos, contrôle excessif, les menaces sur la perte d’emploi, l’intimidation, l’exclusion, la double contrainte, etc…

La CSQ (2001a) observe que « les auteurs de persécution à l’encontre (du personnel) sont …les chefs de département. Ces personnes commettent les persécutions en raison de la situation, lorsqu’elles se trouvent sous pression en raison d’un rôle, lorsqu’elles estiment devoir agir de telle ou telle façon pour des raisons culturelles, en raison de la discipline lorsqu’elles croient au bâton plus qu’à la carotte dans les relations avec leurs collaborateurs, ou en raison d’une pathologie lorsqu’elles persécutent tout le monde. [...]

La CSQ (2001a) poursuit en affirmant que « la seconde cause identifiée comme source de violence est l’obligation d’exceller. Les nouvelles valeurs qui se sont introduites dans les milieux de travail à la faveur de la mondialisation ont favorisé l’émergence de discours sur la productivité, la performance et l’efficacité. Dans les syndicats, on établit un lien entre la violence et les nouvelles formes d’organisation du travail; on reproche à certains patrons de trop stimuler, sous prétexte de productivité, la compétition entre les travailleurs. »

Enfin la CSQ considère que « la troisième cause de violence en milieu de travail provient de facteurs liés au milieu de travail lui-même, structures organisationnelles trop hiérarchisées, manque de valorisation des employées et employés, manque de personnel, surcharge de travail, etc.).

En conclusion de cette section sur la violence hiérarchique, il importe de replacer le harcèlement moral au travail dans son contexte. Si le harcèlement est possible dans l'entreprise, c'est aussi parce que celle-ci n'a pas su se structurer de telle sorte que celui-ci n'apparaisse pas. Le harceleur est en effet souvent bien intégré dans l'entreprise, où il trouve des justifications à son action. La dégradation des relations de travail qu'il entretient s'appuie souvent sur des dysfonctionnements ou des problèmes d'ordre organisationnel. L'absence de contrepouvoir et de médiateur dans l'entreprise joue également un rôle.

RÉSUMÉ SYNTHÈSE : Points de repères pour démontrer la présence de harcèlement au travail 

Définition de la violence

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« Il y a violence organisationnelle quand un individu ou un groupe d’individus oeuvrant pour une organisation donnée, par des comportements excessifs par rapport aux normes connues et partagées dans un milieu de travail donné, porte atteinte, de manière intentionnelle ou non-intentionnelle, à l’intégrité physique ou psychologique ou à la sécurité d’un autre individu ou groupe d’individus oeuvrant pour l’organisation.

« Agir avant la tempête », aux pages 18 et 19 (CSN, Décembre 2001)

À la lumière donc des paramètres précédemment rapportés, nous pouvons nous appuyer sur les repères suivants pour identifier la présence de harcèlement ou de violence psychologique.

atteinte intentionnelle ou non-intentionnelle à l’intégrité physique d’un individu ou d’un groupe d’individus

atteinte intentionnelle ou non-intentionnelle à l’intégrité psychique d’un individu ou d’un groupe d’individus

présence de violence organisationnelle de par le fait de comportements excessifs par rapport aux normes connues et partagées dans un milieu de travail donné, porte atteinte, de manière intentionnelle ou non-intentionnelle; à l’intégrité physique ou psychologique ou à la sécurité d’un autre individu ou groupe d’individus œuvrant pour l’organisation.

des comportements généralement répétés et non désirés et plutôt insidieux (en décalage ambigu par rapport aux normes)

un seul acte grave qui a une incidence sur la dignité, la santé ou la sécurité d’une personne peut être considéré comme du harcèlement

De façon encore plus pointue, les situations de harcèlement sont en majorité des situations de violence hiérarchique;

une manière d’exercer des pressions sur d’autres personnes et dont les impacts observables sont : la montée des problèmes de santé mentale, de l’absentéisme et du désengagement organisationnel, particulièrement dans le secteur public.

« Une conduite se manifestant par des paroles, des actes ou des gestes généralement répétés et non désirés, et qui est de nature à (…) : compromettre un droit, à entraîner pour elle des conditions de travail défavorables, une mise à pied, un congédiement ou une démission forcée;

se compose de petits incidents bénins dont le cumul et la convergence pourraient donner lieu à une lésion professionnelle. C’est le caractère insidieux des comportements qui contribue le plus à l’atteinte psychique.

8 CONCLUSION

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Il nous est apparu nécessaire d’effectuer la présente démarche de réflexion et d’enquête pour plusieurs raisons.

« Parler de violence, c’est remettre en question les valeurs de notre société, c’est redonner aux valeurs humaines une place centrale dans notre développement » (Gouvernement du Québec, Ministère du travail, 1999).

Une situation de violence au travail contamine les relations de travail et entraîne une dégradation marquée des conditions dans lesquelles les employé(e)s doivent exécuter leur travail. Il y va de l’avantage de tous que les situations de harcèlement moral ou de violence psychologique soient prévenues ou endiguées : les usagers, les travailleurs et les cadres.

Les employeurs ne sauraient tolérer de tels agissements au sein de leur entreprise ou de leur établissement; il y va autant de la santé des travailleurs que de la qualité des services offerts à la clientèle. Les résultats d’études menées ici et en Europe « montrent que le harcèlement psychologique au travail est une menace importante et peut avoir des effets dévastateurs en ce qui concerne la santé mentale des travailleuses et travailleurs. La prévalence élevée de la détresse psychologique, des symptômes dépressifs et des troubles de stress post-traumatique sont des indicateurs d’une dégradation des conditions ainsi que de la qualité de vie et de la santé mentale des travailleuses et travailleurs. Il est déplorable que le harcèlement psychologique soit encore une réalité présente dans les organisations au Québec » (Soares, 2002).

À cet égard, les avocats Gaumond et Roy affirment que les syndicats ont une responsabilité d’intervenir dans la situation. Il ne faut pas perdre de vue que le syndicat a comme mission d’assurer, de concert avec l’employeur, des conditions de travail convenables pour ses membres, et, à ce titre, il est en quelque sorte un partenaire incontournable dans une entreprise. Dans certaines circonstances, il peut même être poursuivi pour son inaction. C’est donc dire qu’en se préoccupant de violence psychologique dans l’entreprise, il remplit la mission qui lui est dévolue auprès de ses membres et de l’entreprise.

La CSQ (2001) affirme également que le syndicat a une responsabilité claire dans ce genre de situation. «… On peut dire que le rôle du syndicat est de travailler au maintien d’un milieu de travail sain, exempt de toutes formes de violence ou de harcèlement. Cela implique à la fois la défense des membres et l’action proactive concernant le respect de la dignité et de l’intégrité physique et psychologique des personnes. Dans cette perspective, il est approprié que le syndicat se dote d’une politique pour contrer la violence en milieu de travail y incluant, bien sûr, le harcèlement psychologique. (…) l’adoption d’une politique syndicale en cette matière constitue (un) élément de première importance au chapitre de la prévention. Ces éléments contribuent à la sensibilisation des membres et aident à repérer, dénoncer et contester les comportements compromettant le maintien d’un milieu de travail respectueux de la dignité des personnes. »

« En plus d’avoir tout intérêt à ce que leur organisation ne souffre pas des conséquences néfastes du harcèlement psychologique, les employeurs ont des responsabilités légales à respecter et ils s’exposent à des poursuites s’ils les ignorent. Au Québec, ces responsabilités des employeurs proviennent des différentes lois et des conventions collectives lorsque ces dernières contiennent des dispositions sur le sujet. Certaines lois sont d’ordre général tandis que d’autres sont plus spécifiquement reliées à la protection de la santé et de la sécurité au travail ou à la notion de harcèlement. » De plus, le Ministère du Travail a été sensibilisé à la problématique et se montre soucieux que les travailleurs et les

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travailleuses aient un milieu de travail exempt de harcèlement. Il a mis en place un comité interministériel.

Compte tenu de ces responsabilités légales et des orientations du Ministère du Travail, l’employeur a le devoir, non seulement de condamner le harcèlement psychologique, mais de ne pas le favoriser dans ses choix de gestion.

Prévenir le harcèlement psychologique

« Participer à la prévention de la violence et du harcèlement demande avant tout que l’ensemble des personnes concernées reconnaissent qu’il s’agit là d’un phénomène inacceptable » (CSN déc. 2001, CSQ 2001b). Un programme de prévention et de lutte contre la violence en milieu de travail débute d’abord, selon la CSQ, par un questionnement de fond sur les valeurs qui sont prônées et vécues dans l’établissement.

Selon Soares (2002) « une intervention de la direction dès les premiers indices de harcèlement psychologique est fondamentale pour prévenir et faire cesser ce type de pratique dans l’organisation et pour que les personnes cibles puissent adopter une stratégie d’action positive afin de contrer cette attaque à leur dignité.

« Le remède évident à la banalisation est l’abaissement du seuil de tolérance. Une façon proactive d’y parvenir consiste à travailler à l’amélioration des conditions de travail. Les conditions de travail font référence à une multitude d’éléments qui ont un effet sur l’environnement et le climat de travail et donc, par ricochet, sur le rendement et la qualité de vie au travail. »

« Nous pouvons facilement constater qu’une politique portant sur l’élimination du harcèlement au travail possède une grande utilité puisqu’elle permet de sensibiliser à l’avance le personnel à cette problématique «  (Gaumond et Roy).

« Valoriser et reconnaître véritablement l’apport de chaque membre du personnel constitue sans doute une des meilleures formes de prévention de la violence ou du harcèlement en milieu de travail.

Parler de harcèlement, c’est reconnaître son existence, c’est prendre en charge la prévention par des moyens efficaces (politique, sensibilisation), mais c’est aussi fournir les services adéquats aux personnes qui en sont affectées.

La CSQ fait deux recommandations en matière de réparation. L’une en regard d’une modification de la Loi sur les normes du travail, de façon à rendre les ordonnances nécessaires, notamment en ce qui a trait à al réintégration à l’emploi et à la réparation en dommages moraux et exemplaires. La seconde, en regard d’une modification de la Charte de droits de la personne, « de façon à rendre à nouveau disponible le recours en dommages compensatoires, moraux ou exemplaires, pour les victimes de harcèlement discriminatoire au travail ayant subi des atteintes à leur santé. »

Pistes de solution

Au-delà de la nécessité de régler de façon urgente les situations qui ont cours au sein d’une entreprise ou d’un établissement, nous ferons nôtres certaines propositions du Ministère du travail (2003). Les acteurs de l’entreprise désireux de se documenter en matière de prévention auront intérêt à consulter ce document à la section : « Les moyens de prévention »

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Voici d’ailleurs quelques paramètres recommandés :

Promouvoir une culture organisationnelle respectueuse des personnes; Avoir la volonté d’investir à long terme dans le capital humain; S’engager à ne pas banaliser les conduite vexatoires; Améliorer l’autonomie professionnelle en faisant participer davantage les employés

aux décisions; Adapter les conditions de travail aux exigences de la vie moderne et aux nouvelles

caractéristiques de la main-d’œuvre en implantant des horaires variables et des mesures de conciliation travail-vie personnelle;

Favoriser les styles de supervision qui permettent aux employés de s’exprimer et de participer aux décisions et évaluer les cadres sur la gestion de leur personnel;

Valoriser le respect des personnes par une conduite exemplaire de la haute direction et en sensibilisant le personnel à cet égard, et en gérant la diversité;

Reconnaître l’existence du harcèlement psychologique en mettant en place, avec la participation des représentants des employés, une politique contre le harcèlement psychologique qui réaffirme la volonté de la direction de le contrer et qui prévoit un soutien adéquat aux victimes.

« La mise en œuvre d’une politique (contre le harcèlement psychologique au travail) implique, il va sans dire, une formation adéquate des personnes responsables de son application, formation faite par des spécialistes dans le domaine et qui comportent de l’information sur les obligations de l’employeur découlant de la charte des droits et libertés de la personne, du Code civil du Québec, de la Loi sur la santé et la sécurité du travail et de la Loi sur les accidents de travail et les maladies professionnelles. (…) Il incombe également (aux employeurs) d’agir sur les conditions de travail qui entraînent l’émergence de tels problèmes comme celles qui favorisent le harcèlement psychologique »(CSQ 2001).

Les objectifs de la présente réflexion et sensibilisation visent à démystifier le phénomène du harcèlement psychologique et, à la lumière des connaissances acquises en la matière, présenter l’amorce d’un programme de prévention du harcèlement psychologique; c’est-à-dire proposer des solutions qui pourraient permettre de contrer le phénomène. Souhaitons que ces réflexions puissent influencer les pratiques de gestion ainsi que les comportements organisationnels en faveur d’un milieu exempt de violence psychologique au travail.

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