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Josef Ofer, Sans tre, 2016 Hendrick Goltzius, Beached whale near Berckhey, 1598 Josef Ofer, Sans tre, 2012 Violence et Vanité Le Romansme Noir de Josef Ofer Terry van Druten Une énorme baleine repose sur une grande table de banquet. Cependant qu’un jet d’eau jaillit encore de son évent, la cage thoracique de l’animal a déjà été dépecée par de nombreuses petes figures. Elles grimpent sur la dépouille de la bête comme les Lillipuens sur le corps entravé de Gulliver. Leur pete taille contraste plus intensé- ment encore que le couteau et la fourche sont plus grands que nature qui sont piqués à l’arrière de la baleine, pris dans les serres de deux amples vautours. Ce dessin de Josef Ofer a été acquis récemment par le Tey- lers Museum aux Pays-Bas. Il y entre en résonance avec le célèbre dessin de la collecon du musée figurant une baleine échouée sur la côte nord de la mer Hollandaise réalisé par l’arste du seizième siècle Goltzius. Sur cee œuvre aussi l’on voit de petes figures humaines autour et au-dessus du gigantesque animal marin, besognant à récolter la précieuse graisse de la baleine. Goltzius a néanmoins restué fidèle- ment une baleine véritablement échouée au début de l’an- née 1598, tentant de demeurer le plus près possible de ce dont il avait été témoin dans la réalité sur la plage. Que cela est différent du dessin d’Ofer. Bien que, comme Goltzius, il use d’un style clair et réaliste dans le trait, sa baleine semble finalement avoir plus en commun avec les textes religieux menaçants qu’écrivait fréquemment Goltzius dans son journal inme en réacon aux échouages de baleines. Les écrivains de tels textes voyaient les baleines comme d’énormes monstres bibliques et un mauvais présage indéniable qui venait pointer les inévitables péchés de l’hu- manité et l’urgence d’un repenr. Un regard uniformément sombre sur l’existence humaine joue un rôle important dans le travail d’Ofer. Violence et vanité sont au devant de la scène dans presque chacun de ses dessins où sont présents faux, guillones, squelees et démons. Et pourtant, le travail d’Ofer n’est jamais exagéré- ment lugubre. Malgré ce point de vue morose sur l’humanité, il semble toujours y avoir une dose éthérée de compassion, comme s’il disait : « Regardez ces fous, ils ne peuvent pas nous aider, ils sont trop étroits d’esprit, trop myopes et trop ignorants ». Comme la réminiscence d’un sar- casme indulgent dans le ton de la voix de Daumier sur ses - rages sariques au milieu du dix-neuvième siècle. Comme un dieu contemplant ici-bas les déficiences de sa créaon avec un noble amusement. Ofer offre une vue plongeante sur nos mesquines acvités lorsque nous nous prétendons des êtres si spéciaux, aspirant pourtant à de vaines ambions, quêtant l’oubli dans le sexe et l’alcool, alors même que la mort se ent constamment derrière nous. Les dessins de Josef Ofer ont d’intenses affinités avec la sare de Daumier, mais aussi avec ce que l’on nomme com- munément le Romansme Noir, une période sombre autour de 1800 lorsque la culture occidentale fut mise sens dessus dessous par de profonds changements sociaux, poliques et économiques. Le travail de Francisco Goya vient tout par- Galerie Dukan - 107, rue des Rosiers, 93400 Saint Ouen, France - Spinnereistraße 7, Halle 18.I, 04179 Leipzig, Deutschland

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Josef Ofer, Sans titre, 2016

Hendrick Goltzius, Beached whale near Berckhey, 1598

Josef Ofer, Sans titre, 2012

Violence et VanitéLe Romantisme Noir de Josef Ofer

Terry van DrutenUne énorme baleine repose sur une grande table de banquet. Cependant qu’un jet d’eau jaillit encore de son évent, la cage thoracique de l’animal a déjà été dépecée par de nombreuses petites figures. Elles grimpent sur la dépouille de la bête comme les Lilliputiens sur le corps entravé de Gulliver. Leur petite taille contraste plus intensé-ment encore que le couteau et la fourche sont plus grands que nature qui sont piqués à l’arrière de la baleine, pris dans les serres de deux amples vautours.

Ce dessin de Josef Ofer a été acquis récemment par le Tey-lers Museum aux Pays-Bas. Il y entre en résonance avec le célèbre dessin de la collection du musée figurant une baleine échouée sur la côte nord de la mer Hollandaise réalisé par l’artiste du seizième siècle Goltzius. Sur cette œuvre aussi l’on voit de petites figures humaines autour et au-dessus du gigantesque animal marin, besognant à récolter la précieuse graisse de la baleine. Goltzius a néanmoins restitué fidèle-ment une baleine véritablement échouée au début de l’an-née 1598, tentant de demeurer le plus près possible de ce dont il avait été témoin dans la réalité sur la plage.

Que cela est différent du dessin d’Ofer. Bien que, comme Goltzius, il use d’un style clair et réaliste dans le trait, sa baleine semble finalement avoir plus en commun avec les textes religieux menaçants qu’écrivait fréquemment Goltzius dans son journal intime en réaction aux échouages de baleines. Les écrivains de tels textes voyaient les baleines comme d’énormes monstres bibliques et un mauvais présage indéniable qui venait pointer les inévitables péchés de l’hu-manité et l’urgence d’un repentir.

Un regard uniformément sombre sur l’existence humaine joue un rôle important dans le travail d’Ofer. Violence et vanité sont au devant de la scène dans presque chacun de ses dessins où sont présents faux, guillotines, squelettes et démons. Et pourtant, le travail d’Ofer n’est jamais exagéré-ment lugubre. Malgré ce point de vue morose sur l’humanité,

il semble toujours y avoir une dose éthérée de compassion, comme s’il disait : « Regardez ces fous, ils ne peuvent pas nous aider, ils sont trop étroits d’esprit, trop myopes et trop ignorants ». Comme la réminiscence d’un sar-casme indulgent dans le ton de la voix de Daumier sur ses ti-rages satiriques au milieu du dix-neuvième siècle. Comme un dieu contemplant ici-bas les déficiences de sa création avec un noble amusement. Ofer offre une vue plongeante sur nos mesquines activités lorsque nous nous prétendons des êtres si spéciaux, aspirant pourtant à de vaines ambitions, quêtant l’oubli dans le sexe et l’alcool, alors même que la mort se tient constamment derrière nous.

Les dessins de Josef Ofer ont d’intenses affinités avec la satire de Daumier, mais aussi avec ce que l’on nomme com-munément le Romantisme Noir, une période sombre autour de 1800 lorsque la culture occidentale fut mise sens dessus dessous par de profonds changements sociaux, politiques et économiques. Le travail de Francisco Goya vient tout parti-

Galerie Dukan - 107, rue des Rosiers, 93400 Saint Ouen, France - Spinnereistraße 7, Halle 18.I, 04179 Leipzig, Deutschland

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Josef Ofer, Sans titre, 2017

Francisco Goya, Modo de volar (A Way of Flying), 1815-16

Victor Hugo, Ecce Lex (le pendu), 1854

culièrement à l’esprit, comme sa célèbre série imprimée Les désastres de la Guerre. Mais aussi fantastiques et surréalistes que soient ces tirages, tout comme pour la baleine de Goltzius, ces dessins étaient autant de réponses à l’actualité, dans le cas de Goya les guerres napo-léoniennes en Espagne et leurs conséquences. Le travail d’Ofer est moins directement lié à ce type d’évènements authentiques. Ces dessins traitent exclusivement de la condi-tion humaine. En ce sens, ils sont plus connectés aux séries des Disparates que Goya réalisa dans les dernières années de sa vie. Sur ces tirages, l’artiste espagnol traduisait plusieurs folies humaines en autant images oniriques et surréalistes. Prenez par exemple sa Manière de Voler dans laquelle des ailes sont attachées aux personnages qui volent à travers un ciel noir. Il n’est ici pas difficile de voir le lien avec les démons ailés des dessins d’Ofer.

Dans ses travaux récents, Ofer a substitué à son style de dessin précédent, qui mettait l’accent sur un coup de crayon rapide, une approche de la peinture. Ces travaux, plus rapides et plus petits sont réalisés à l’aide de brosse et d’encre, il en découle des images plus lugubres que les dessins anciens. Des démons, des squelettes et des

figures tourmentées émergent des fonds sombres du papier. Leurs actions demeurent indistinctes mais sont constamment envahies par un évident sentiment de délire.

Ses œuvres se font aussi facilement l’écho à l’époque sombre du Ro-mantisme, et cette fois notamment aux dessins de Victor Hugo. Connu essentiellement pour ses écrits romantiques influents, Hugo fut aussi un dessinateur précurseur et prolifique expérimentant des dessins à l’encre mystérieux et surréalistes dans lesquels les images s’élaboraient par coïn-cidence en fonction de matériaux employés de manière aléatoire, comme autant de significations émergeant lors d’un test de Rorschach.

Hugo réalisa la plupart de ces dessins lors de exil sur l’île de Jersey. Quelque chose qui n’est pas sans rappeler Goya, qui produisit ses séries des Disparates pendant son exil fran-çais. Et c’est probablement à ce stade que nous trouvons les similitudes les plus distinctives et les plus éloquentes entre ces artistes et Ofer. Tel un ermite artistique, il s’est choisi une vie bien loin

des grands centres de l’art international. Né en Israël, éduqué en France, il a vécu en région amazonienne pendant près de deux décennies. Et malgré cela, son travail ne possède ni trace de la vie sud-américaine, ni paysages tropicaux.

Cela peut être considéré comme une manifestation réelle et effective de la position artistique de Josef Ofer. Pareil à un étranger, il contemple le monde depuis une perspective autrement plus haute et distante. Pour ainsi dire, comme s’il nous regardait depuis une autre époque, plus complice de celles de Goltzius, Daumier, Goya et Hugo qu’à la masse des artistes d’aujourd’hui. Il moque et commente les activités humaines comme s’il ne participait d’aucune d’entre elles. Et sûrement cela est-il vrai, d’une certaine manière. D’une pers-pective romantique occidentale, il n’est pas difficile d’imaginer Ofer vivre dans un paradis exotique d’où tous les besoins superficiels et les fugaces inquiétudes de la vie moderne sont évidem-ment exclues et où la vie se fait plus simple et plus pure. Une position parfaite pour appréhender avec davantage de clairvoyance et de délicatesse les troubles éternels d’une existence humaine.

Terry van Druten (1975) a étudié histoire de l’art à l’Université d’Amsterdam, après avoir complété l’Académie Willem de Koo-ning à Rotterdam. Depuis 2008, il est conservateur des collections d’art au Musée Teylers de Haarlem.

Galerie Dukan - 107, rue des Rosiers, 93400 Saint Ouen, France - Spinnereistraße 7, Halle 18.I, 04179 Leipzig, Deutschland