Virus Dieu Le Rapport Ponce Pilate Tome 1 French

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Virus Dieu : Le rapport Ponce PilateTome I

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Anna K. Dick

Tri ww al w.n V ua er n sTome I

ditions DILIVRE APARIS Collection Coup de cur 75008 Paris 2009

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Virus Dieu : Le rapport Ponce Pilate

www.edilivre.com

dilivre ditions APARIS Collection Coup de cur 56, rue de Londres, 75008 Paris Tel : 01 44 90 91 10 Fax : 01 53 04 90 76 mail : [email protected] Tous droits de reproduction, dadaptation et de traduction, intgrale ou partielle rservs pour tous pays. ISBN : 978-2-35335-304-0 Dpt lgal : aot 2009 dilivre ditions APARIS, 2009

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Du mme auteur aux ditions Edilivre :Virus Dieu, le rapport Ponce Pilate Tome 2 Virus Dieu, le rapport Ponce Pilate Tome 3

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Sommaire

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2 M...........................................................................................

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1 Ni Dieu, Ni Matre Seulement Deus. .............................................................................

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11 13 25 39 55 71 85 91 107 123 137 155 1639

3 Nativit. .................................................................................... 4 . ..................................................................................... 5 Rminiscence............................................................................ 6 5. 4. 3. 2. 1. ............................................................................... 7 gypte 1829. Grande Pyramide de Kheops. ......................................................... 8 Tentation. .................................................................................. 9 Desse....................................................................................... 10 Cana. ....................................................................................... 11 Acte notari............................................................................. 12 France 1970. Colombey-les-Deux-glises. .......................................................... 13 Dmoniaque............................................................................

14 Plagiat. .................................................................................... 15 Gurison. ................................................................................. 16 Triunique................................................................................. 17 tats-Unis 1789. New York. ................................................... 18 Transfiguration........................................................................ 19 Ghenne. .................................................................................

179 199 213 231 235 253

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2 MCamille pntra dans lglise. Son doux regard vert fut immdiatement attir par le bnitier. Dessous, un diable rouge hideux aux yeux bleus exorbits criait sa haine en guise daccueil. lextrieur, la locution latine inscrite sur la faade lavait laisse un instant songeuse. Terribilis est locus iste. Presque inconsciemment, elle avait remont le col de son chemisier blanc comme pour se protger de cette mise en garde. prsent, au cur de ce lieu de terreur, une vague apprhension lenvahit comme si ce quelle allait y dcouvrir risquait de la foudroyer sur place. Un lger vertige brouilla sa vision et elle eut la certitude soudaine que son existence allait basculer dans un gouffre sans fond. Elle secoua sa longue crinire brune pour chasser cette ide saugrenue de son esprit. Elle plissa ses paupires sobrement fardes, tira un peu sur sa jupe courte et se signa dun mouvement de la main. Passant ct de trois touristes silencieux et contemplatifs, elle avana dune dmarche fline sur le carrelage noir et blanc en damier. Tel le son dun glas, lcho de ses chaussures talon court rsonna dans la nef. Elle finit par sy immobiliser, balayant dun rapide mouvement de la tte cet environnement captivant. Perdue dans le sud de la France, la petite glise Sainte-Marie-Madeleine de Rennes-le-Chteau mritait amplement sa rputation sulfureuse de sanctuaire hors norme ; les statues des saints exposes au-devant des vitraux lumineux en taient les exemples flagrants : ayant un chien un peu dment ses pieds, la statue de saint Roch exhibait une cuisse portant une plaie visible, comme si le chien venait de lui mordre goulment la jambe. Saint Antoine lErmite tait lui aussi accompagn dun curieux cochon : si

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lattribut canonique de ce saint tait effectivement cet animal, celui-ci tait cependant affubl de crocs menaants. Ces singuliers dtails ntaient quune infime partie des trangets que lon pouvait observer lintrieur de cet difice religieux comme les quatorze gravures du chemin de croix du Christ qui occultaient totalement la rsurrection du Fils de Dieu. Lhrtique qui avait command et ordonn tous ces ouvrages tait labb Saunire. Vers la fin du XIXe sicle, on prtait ce cur sans sou davoir trouv un immense trsor, dune valeur telle quil navait pu le dpenser entirement et ce malgr les millions de francs investis pour restaurer son glise. Il avait fait aussi raliser des terrassements et des constructions pharaoniques dans le modeste village abritant sa paroisse, des travaux onreux pour lpoque, des sommes qui auraient pu permettre en ces temps-l ldification de milliers dglises travers tout le pays. On prtendait galement que les uvres de Saunire dissimulaient des messages cachs, selon un puzzle complexe devant mener au fabuleux trsor que le cur de Rennes-le-Chteau avait dissimul. lintrieur de lglise Sainte-Marie-Madeleine, les trois touristes taient justement en train de considrer ce jeu de piste. ct du diablebnitier, le confessionnal possdait une sculpture particulire : agenouill prs dun mouton, un berger sinquitait de la patte de lovin, comme casse et menaant de se dtacher. Au-dessus du confessionnal, une fresque en relief de grande dimension mettait en scne Jsus sur un monticule jonch de dix-sept roses, entour dhommes glabres et de jeunes femmes aux visages noys damour. Au bas du monticule, un mystrieux sac perc laissait apparatre un indfinissable contenu couleur or. Camille ne sintressa pas lsotrisme des symboles qui lentouraient. Son objectif tait dj l. Elle avait reconnu sa large silhouette : la description succincte quon lui avait faite de Thomas Anderson tait exacte. Assis sur un des bancs en bois de la range de droite, ce solide quadragnaire au crne ras observait attentivement la station n14 du chemin de croix du Christ o lon voyait, clair par une pleine lune, le corps de Jsus port vers son tombeau. Camille avana doucement et prit place derrire lhomme vtu dun polo blanc. Un instant plus tard, les trois touristes quittrent lglise et Camille se retrouva seule avec sa cible. Comment devait-elle laborder ? Devait-elle entamer la conversation ici ou bien attendre quil sorte ? Pour ferrer ce poisson, tait-il prfrable de

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jouer le charme ou lindiffrence ? Il fallait absolument quil croie que cette rencontre tait fortuite et non pas manigance. Camille sinterrogeait sur ce quelle allait faire lorsque Thomas Anderson, dun mouvement lent, se retourna. Surmont de sourcils clairs, son regard bleu acier scruta un instant la nef avant de se poser sur Camille. Le cur de celle-ci se mit battre trs rapidement, ses mains devinrent moites et elle se sentit emporter par les flots dun ocan flamboyant. Comme sil connaissait la vritable raison de la prsence de la jeune femme, Thomas eut un sourire imperceptible. Camille ny fit pas attention, envote par le visage la mchoire carre sillonn de fines rides. Pour Camille, ces stries ne reprsentaient pas les marques du temps mais plutt celles de la sagesse. Elle simagina blottie contre lui, sur sa poitrine puissante et protectrice, lui susurrant son amour ses dlicates oreilles symtriquement parfaites, lui mordillant son nez droit et noble. Ses vingt-neuf annes dexistence ne lavaient-elles pas prpare rencontrer enfin lamour ? cette pense, Camille rougit lgrement. Pour cacher son moi, elle dtourna la tte et se mit considrer la statue de sainte Germaine. Thomas Anderson suivit son regard. Cette statue reprsente la premire lettre du mot Graal, murmura-t-il de sa voix envotante et grave, la lgre consonance suisse-allemande. Passant une main nonchalante sur son paisse chevelure brune, Camille frona son petit nez. Le Graal ? souffla-t-elle avec peine. Oui, affirma Thomas mi-voix. Si on prend la premire lettre de chaque statue, le mot GRAAL apparat. Sainte Germaine reprsente le G. Derrire vous, la statue de saint Roch le R. Puis saint Antoine lErmite pour le A. Ensuite, saint Antoine de Padoue pour de nouveau le A Posant son bras muscl sur le dossier du banc, Thomas Anderson pencha son buste vers Camille. Comme sil tait confesse, il prit un ton confidentiel et chuchota : Saint Antoine de Padoue est le symbole des objets perdus et retrouvs et en face de lui, au-dessus de la chaire, vous avez saint Luc pour le L du GRAAL. Si on trace un trait entre chaque statue et en suivant lordre du mot GRAAL, on obtient un M. Dun mouvement du doigt, Thomas dessina un M imaginaire. Ces statues forment un M autour de la statue de Marie-Madeleine. Encore et toujours des M

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Camille tourna la tte vers la statue de celle qui, selon la Bible, tait possde par des dmons et qui avait eu le privilge dtre gurie par le Christ en personne. Marie-Madeleine est donc le Graal ? demanda-t-elle. Non. Comme les autres statues, elle symbolise uniquement la premire lettre de son nom : le M. Labb Saunire a voulu mettre en valeur ce M. Dailleurs, Saunire en avait galement fait broder un sur son habit de prtre. Un M sur une croix en forme de T. Alors, Marie-Madeleine nincarne pas la qute du Graal ? Non, je suis formel l-dessus. Le Graal nest ni une coupe ni un vase ayant contenu le sang du Christ, ni mme une qute pour dissimuler un mariage secret avec Marie-Madeleine ou un enfant cach de Jsus. Le Graal nest rien de tout a. En fait, le Graal est le rapport Pilate. Le rapport Pilate ? Thomas sourit et murmura : Lendroit ne se prte pas trop la conversation voulez-vous continuer dehors ? Camille accepta la proposition. Dans un parfait ensemble, ils se levrent simultanment. De son mtre soixante-cinq, la svelte silhouette de Camille fut tourdie par la vertigineuse carrure de Thomas. Son pouls se mit battre de nouveau trs vite, faisant natre une pointe douloureuse dans son cur corch. Les yeux meraude de Camille vogurent sur ceux ocan de Thomas. Telle une folle farandole, elle eut limpression que tout tournait autour delle. Portant chacun dans leurs bras un enfant Jsus identique, se faisant face de part et dautre de lautel, la statue de la Vierge Marie au manteau bleu constell dtoiles et celle de Joseph clatant dor semblrent suivre du coin de lil le dpart des deux visiteurs. Silencieusement, ces derniers sortirent de lglise. lextrieur, sous le chant des cigales, le soleil de juin surchauffait latmosphre du modeste village perdu au pied des Pyrnes. lheure du djeuner, les sobres rues de Rennes-le-Chteau taient quasiment dsertes. Marchant cte cte, Camille et Thomas longrent une ruelle avant de tourner sur leur droite. Ils passrent la hauteur de la villa Bthanie, resplendissante btisse de feu labb Saunire. Je mappelle Thomas Anderson mais tout le monde mappelle Tom. Je suis Camille. Enchant de faire votre connaissance, Camille. Elle lui sourit.16

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tes-vous un chasseur de trsor ? Qui sait ? rpondit le quadragnaire. Il laissa chapper un rire grave. Allons vers la tour Magdala, voulez-vous ? Camille acquiesa. Surplombant la valle aux terres fertiles, aux confins des jardins de la villa Bthanie, la petite tour de style gothique se dressait orgueilleuse et fire avec ses lourdes pierres unies, brillant dune couleur ocre sous le soleil de midi. Des parfums de lavande et de rsineux ceinturaient ldifice carr ainsi que sa mince et haute tourelle circulaire qui srigeait semblable une excroissance sur larte sud. Voulue par Saunire, la base de la tour sinscrivait dans langle dun chiquier imaginaire, invisible et immense. une cinquantaine de mtres de l, diamtralement oppos cette tour de pierre, lautre angle de lchiquier tait occup par une lumineuse tour de verre : la tour de lOrangeraie. son poque, labb Saunire y exprimentait toutes sortes de plantes rares ayant besoin de chaleur pour crotre. Les entres des deux tours taient accessibles par un belvdre dominant les jardins de la proprit Bthanie, une belle et grande terrasse aux 22 marches rparties sur deux escaliers. Les tours possdaient galement leur propre escalier intrieur de 22 marches. Si celui de lOrangeraie senfonait dans les affres de la terre, celui de Magdala slevait vers le ciel o les 22 crneaux de sa tour contemplaient, les nuits claires, le paradisiaque firmament toil. Sous lombre salvatrice dun pin, Camille et Tom sassirent sur un banc public et considrrent la tour Magdala. Cette tour rend hommage Marie-Madeleine, affirma Tom de son accent grave et suisse-allemand. Normalement, Saunire aurait d lappeler la tour Magdalena . Mais il a prfr faire un jeu de mot en prenant la racine Magdale qui signifie tour en hbreu ancien. Magdala, Maria Magdalena ou Marie-Madeleine dans la langue de Molire toujours des M Il eut un petit rire. Vous disiez que le Graal est le rapport Pilate, dit Camille. Quest-ce que cest ? Ponce Pilate tait le procurateur romain au pays dIsral. Il tait en charge de la province romaine de Jude et de la ville de Jrusalem, de lan 26 36. Selon la Bible, cest lui qui a fait condamner Jsus de Nazareth mort par la crucifixion. Vers lan 36, il a t convoqu Rome devant

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lempereur pour y justifier son mandat et il a rdig un acte, un rapport circonstanci qui relate tous les vnements qui se sont passs lpoque. Je nai jamais entendu parler de ce rapport. Et pour cause, gloussa Tom. Si ce rapport tait rendu public, lapocalypse balayerait la religion chrtienne en un instant. Le Vatican ny survivrait pas, le Pape demanderait lasile politique la Suisse et la basilique Saint-Pierre de Rome mettrait la clef sous la porte comme dailleurs toutes les glises chrtiennes du monde entier. On verrait aussi le peuple traner les prtres devant les tribunaux internationaux pour association de malfaiteurs voire mme pour crime contre lhumanit. Le Vatican prfrerait de loin voir une bombe atomique tomber du ciel sur son Saint-Sige plutt que voir le rapport Pilate tre divulgu au grand public. Mme si une bombe atomique rayait le Vatican de la surface du globe, lglise aurait toujours la capacit de contrler son activit ailleurs. Avec la divulgation du rapport Pilate, aucun espoir : tous les difices chrtiens de la terre scrouleraient et tomberaient en ruine en moins dune heure. O se trouve ce rapport ? demanda Camille, intrigue. Ah ! Bonne question au dpart, lunique exemplaire en latin a t conserv Rome, puis il a t oubli au fil des sicles, puis retrouv pour tre finalement vol par les Wisigoths lors du sac de Rome en 410. cette date, il disparat de nouveau. On retrouve sa trace en Orient, vraisemblablement emport par des marchands trangers. Quelques fidles copies sont faites par les scribes de lpoque ainsi que des traductions dans diverses langues. Lglise apprend la prsence du rapport Pilate Jrusalem et dans les pays limitrophes. Officiellement, lOrdre des Templiers avait t cr pour scuriser le voyage des plerins chrtiens qui se rendaient en Terre sainte. Officieusement, lglise lui a octroy tout le pouvoir et toute la puissance ncessaire pour retrouver le rapport et ses copies ou le Graal si vous prfrez. Une fois que tous les documents ont t rcuprs, lglise a jug bon de se dbarrasser de lOrdre des Templiers pour sceller jamais le secret de ce Graal. Tous les Templiers ont t arrts et torturs, ceux qui avaient eu un rapport de prs ou de loin avec le Graal ont t brls vifs sur le bcher. Mais des Templiers ont russi transmettre de rares copies du rapport quils avaient gardes secrtement pour eux. Ces copies se sont ensuite transmises de gnration en gnration. Cest une de ces copies que labb Saunire a trouve dans son glise Sainte-Marie-Madeleine. Le rapport Pilate ou le Graal est le fameux trsor quon lui prte davoir dcouvert dans son glise Dvoilant ses belles dents blanches, Tom eut un sourire malicieux. Comment le rapport Pilate a-t-il fait pour se retrouver dans cette glise ? senquit Camille.18

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Lhistoire du Graal de Rennes-le-Chteau est complexe. Elle dbute par la confession de la marquise dHautpoul, Marie de Ngri dAble. Elle tait aussi appele marquise de Blanchefort. La veille de sa mort, la marquise sest confie au cur de ce village et elle lui a remis le rapport Pilate quelle dtenait. Le secret tait trop lourd porter pour elle seule et elle voulait que ce secret soit transmis une personne digne de confiance. Le cur sappelait Jean Bigou et il a t branl dans sa foi chrtienne en prenant connaissance de ce Graal et il a eu peur pour lui et ses pairs. Il faut replonger dans le contexte de lpoque : la France vivait alors une priode de troubles politiques qui allaient la conduire quelques annes plus tard la rvolution de 1789. La divulgation du rapport Pilate pouvait rduire nant toutes les glises par un soulvement du peuple contre elles. Les rvolutionnaires auraient alors, non seulement triomph en France, mais aussi dans le monde entier si le rapport avait t port la connaissance de tous. Alors Jean Bigou a dcid de cacher le document. Mais il ne voulait pas que le rapport disparaisse jamais car ce document possdait son sens une valeur inestimable pour lhumanit. Et il devait croire que les gnrations futures seraient aptes en prendre connaissance plus tard et accepter les vrits qui sy trouvaient. Alors, avec prcaution, il a dissimul le document dans lglise de Rennes-le-Chteau. Et il a labor toute une srie dindices, tout un jeu de piste complexe pour permettre des rudits daccder la cache Tom marqua une courte pause puis continua. Aprs avoir t dclar prtre rfractaire en 1792 par les rvolutionnaires, Jean Bigou se rfugia en Espagne o il mourut quelques longs mois plus tard. Cependant, avant de disparatre, il put transmettre labb Cauneille le secret contenu dans le rapport Pilate et le nom du village o tait cach le document sans toutefois rvler lemplacement exact. Labb Cauneille communiqua son tour linformation deux autres prtres ; labb Jean Vi et labb mile Franois Cayron. Jean Vi se fit nommer cur dans la paroisse de Rennes-les-Bains, quelques kilomtres de Rennes-le-Chteau, avec le secret espoir de retrouver le Graal en toute discrtion, sans attirer lattention. Mais il ne put jamais dcrypter les nigmatiques indices de feu labb Bigou. De son ct, labb Cayron chercha le successeur idal pour transmettre et prserver le terrible secret. Il vit chez Henri Boudet le candidat parfait. Mal lui en prit. Pourtant, labb Boudet semblait dune nature humble, discrte et dune noble intelligence suprieure. Brillant homme, il matrisait parfaitement le grec, le latin, langlais et le saxon. Il tait rput pour tre quelquun de bien

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plac dans les socits lettres et intellectuelles de la rgion mais galement avec celles de Paris avec lesquelles il changeait des textes. Ami de la famille, labb Cayron pensait avoir fait le bon choix en accordant sa confiance Boudet parce quil le connaissait depuis son plus jeune ge. Cependant, le secret rvl brisa irrmdiablement la conscience dHenri Boudet, balayant en un instant sa conception du divin et, ne craignant plus les affres de Dieu, il devint une bte humaine. Sa foi clate le mtamorphosa en un fou impnitent. Dans son esprit tortur et malade, une obsession se fit : celle de possder en main propre le rapport Pilate. Il savait que les recherches de labb Jean Vi navaient rien donn et il dcida de prendre la place du cur de Rennes-les-Bains. Et pour ce faire, il nhsita pas lassassiner. Lassassiner ? stonna Camille, les yeux grands ouverts. Ce nest pas possible, aucun prtre naurait pu faire cela Oui, vous devez sans doute avoir raison, rpondit Tom le ton sardonique. Ce nest pas possible. Dailleurs, pour preuve, il ny a jamais eu de prtre pdophile dans lglise chrtienne. Alors, forcment, jamais de meurtrier non plus Camille rougit lgrement. tes-vous certain de ce que vous affirmez ? demanda-t-elle, confuse. Oui, sr et certain. Boudet a tu labb Jean Vi en 1872 et il a t mut au mois doctobre de la mme anne Rennes-les-Bains. Dailleurs, des annes plus tard, Boudet aura peur que Saunire enfin quand je dis Saunire, lui ou un autre, peu importe, mais plus probablement Saunire ait des doutes concernant la mort de Jean Vi. Alors Boudet modifiera la tombe o repose labb Jean Vi Rennes-les-Bains. Il a falsifi la date de dcs sur la stle en y gravant une autre date pour avoir un alibi le jour du meurtre. Cet acte peut paratre ridicule car aucun gendarme naurait regard sur la tombe pour connatre la date de dcs, en toute logique les gendarmes auraient consult les registres de la mairie sils avaient men une enqute. Mais si on rflchit un instant, on doit admettre que cet acte nest pas si ridicule quil y parat de prime abord car si Saunire souponnait Boudet du meurtre de Vi, Saunire navait pas accs au registre de la mairie de Rennes-les-Bains. Il tait oblig de se rendre directement au cimetire pour y regarder la date de dcs avant de poursuivre sa propre enqute. Par la suite, je vois bien Boudet en train dimaginer dtre en prsence de Saunire et de son regard souponneux. Boudet aurait alors voqu lui-mme la mort de son prdcesseur avec tristesse et il aurait dit avec un ton dsinvolte quil se souvenait20

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parfaitement du jour de sa mort malgr les annes car il tait tel endroit avec telle personne et il aurait exhib de manire habile un document ou une photo qui aurait prouv ses dires. Boudet tait un manipulateur de conscience et il savait embobiner les gens. Mais le jour o Boudet a falsifi la date de dcs de labb Vi dans le cimetire, il a t vu par des villageois et cette nouvelle a fait le tour de la rgion. Cela a d confirmer les soupons de Saunire mais il na jamais rien dit finalement de ce meurtre car il tait trop impliqu avec Boudet et personne dautre ne sest proccup de la mort de Vi. Sauf vous, murmura Camille. Comment avez-vous fait pour comprendre ? Tom sourit. Comme la dit un clbre dtective, ma mthode repose sur lobservation des riens. Tous ces petits riens ont normment de choses dire si on sait les couter. Camille acquiesa, captive par le regard de cet homme. Continuez, sil vous plat. Tom poursuivit son rcit : Boudet tait obsd par le rapport Pilate et il arpenta toute la rgion sa recherche. Comme son prdcesseur, il ne parvint pas dcrypter les messages cachs de labb Bigou. Ce dernier avait dissimul et grav des indices dans lglise mais galement sur les pierres tombales du cimetire. Malgr tous ses efforts et les annes passes, Boudet ne trouva pas le ou les rapports cachs Rennes-leChteau. Lobsession de possder lcrit de Pilate devint plus forte en lui et, par dpit, il eut lide den chercher un galement ailleurs : quelque part dans le monde devaient se trouver des copies comme celle quavait eue en main la marquise de Blanchefort. Cependant, il avait besoin dargent pour entreprendre ces recherches onreuses. Alors, comme dautres avaient pu le faire avant lui, il dcida de faire chanter le Vatican. Il sattela la rdaction dun ouvrage de 310 pages quil adressa au pape en menaant de lditer sil nobtenait pas largent quil demandait. Dans une lettre jointe ce livre, Boudet affirmait quil tait dj en possession dun rapport Pilate et quil connaissait pertinemment les endroits o dautres manuscrits se trouvaient cachs, cartes ambigus lappui. Il promit de publier son ouvrage en cas de refus du Vatican et si ce dernier continuait de sentter ne pas payer, de rendre public un second livre bien plus explicite : le rapport Pilate lui-mme. Boudet mentait videmment mais pour rendre son mensonge crdible aux yeux de Rome, ne pouvant appeler un chat un chat, il rdigea un ouvrage cod, jouant avec le mystre et les allusions quivoques pour quon ne voie pas quil ntait pas

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un dtenteur du rapport et quil ne connaissait pas tous les dtails qui pouvaient y figurer. De manire certaine, Boudet savait quun rapport se trouvait Rennes-leChteau. Aprs avoir tudi les lieux et lhistoire des villages voisins, il imagina que dans la petite commune dArques se trouvait une copie du rapport, enterre sous un menhir. Dresse au milieu de nulle part, cette pierre tait lobjet dune lgende locale : on racontait que ce menhir servait de bouchon lentre dune immense caverne et que le jour o lon retirerait cette pierre, tous les vents de la terre sy engouffreraient et provoqueraient la fin du monde. travers cette lgende, Boudet crut voir la prsence du rapport. Cependant, il ne pouvait pas le rcuprer sans attirer lattention car cette entreprise ncessitait la mobilisation de dizaines dhommes et de machines pour soulever le menhir. Nanmoins, tenaill par le doute persistant sur la prsence ou non du rapport en ce lieu, Boudet eut lide ingnieuse de ne pas le citer dans son livre adress au Vatican. Sans voquer celui dArques pourtant si proche, il mentionna un tas de menhirs qui nexistaient pas et fabula sur un monument form par ces pierres verticales disposes en cercle : le cromlech de Rennes-les-Bains. Par cette absence voulue, Boudet voulait mettre en valeur le menhir dArques tout en se prservant dune ventuelle erreur. Et, habilement, il fit de mme pour le village de Rennes-le-Chteau, citant tous les noms des villes avec le mot Rennes en omettant sciemment celui o reposait la marquise de Blanchefort. Effray par ce chantage, le Vatican prfra payer, sinquitant de chaque phrase, comprenant pertinemment les non-dits et les sous-entendus au sujet de Jsus-Christ contenus dans louvrage de Boudet. Celui-ci se fit de plus en plus gourmand et demanda des grosses sommes Rome. Face aux rticences de lglise de continuer verser de telles fortunes, Boudet semporta et fit publier son livre compte dauteur, pour montrer quil ne plaisantait pas. Ce livre sintitulait La Vraie Langue Celtique et le Cromlech de Rennes-les-Bains . Matrisant parfaitement langlais, Boudet avait labor le contenu de son ouvrage autour dun thme ridicule : toutes les langues de la terre descendaient de langlais. Des langues anciennes comme lhbreu et le latin avaient comme seule et unique racine la langue de Shakespeare. La parution de cette thse lui valut les critiques et les railleries de toutes les socits savantes de lpoque. Personne ne comprenait pourquoi un homme aussi lettr et respect que Boudet avait pu crire de telles idioties, de telles inepties portant atteinte son intelligence et son renom. Le Vatican, lui, le savait et se prta de nouveau au chantage.22

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Entra alors en scne labb Saunire. Tom interrompit ses propos. Se dirigeant vers la tour Magdala, un groupe de touristes passa proximit du banc o Tom et Camille taient assis. Celle-ci les regarda sloigner et murmura : Quel est donc ce terrible secret que cache le Graal et qui peut pousser un homme dglise devenir un assassin ? Je repense aux statues dans lglise qui forment les lettres Graal autour de la statue de MarieMadeleine. tes-vous certain que Marie-Madeleine nest pas le Graal ? Je veux dire par l que Ponce Pilate a pu consigner dans son rapport la filiation de Jsus quil a fait condamner mort, une filiation de mariage et mme, pourquoi pas, un enfant avec Marie. Ce serait la preuve irrfutable de la liaison secrte avec Marie-Madeleine Inconsciemment, elle toucha la petite croix en argent accroche une chanette autour de son cou. Franchement, dit Tom, vous croyez vraiment que Boudet est devenu fou parce que Jsus et Marie-Madeleine taient maris ou quils avaient un enfant ensemble ? Vous croyez quon peut devenir fou et tuer pour a ? Des historiens ont voqu au grand jour lhypothse de cette liaison voire celle dune ventuelle descendance : est-ce que les curs ont t branls dans leur foi ? Non. Quand des livres ont t publis ce sujet, est-ce que les prtres ont sombr dans lalcool, le sexe et la dbauche comme a a t le cas pour bon nombre de curs impliqus dans laffaire de Rennes-leChteau ? Non, bien sr que non. Les rvlations contenues dans le rapport Pilate sont bien plus explosives que ce ptard mouill quest la liaison entre Marie-Madeleine et Jsus ou lexistence de leur enfant. Le Graal est une bombe atomique, compar tout a. Le Graal dvoile une chose autrement plus importante que cette historiette sur la vie de Jsus dailleurs, si je me souviens bien, le roi Louis XI a dit que la filiation des rois de France manait du Christ lui-mme si on suit cette logique, le fameux sang bleu des rois de France provenait donc du sang du Christ par sa descendance secrte Et si on se reporte la Bible, les disciples du Christ lappellent rabbi . Or, ce terme juif ne pouvait tre donn un clibataire. Il dsignait un matre mari. Donc, le Jsus de la Bible tait forcment mari Tom laissa chapper un petit rire. De son regard bleu, il considra la jolie brune assise ses cts. Non, je vous le redis, Marie-Madeleine nest pas le Graal. Dans lglise, sa statue nest prsente que pour mettre en valeur la lettre M. Que reprsente ce M ? interrogea Camille.

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Tom eut un moment dhsitation. Un mot. Un simple mot. Un mot commenant par la lettre M. Ce mot a t susurr loreille de labb Boudet et il en est devenu fou au point de devenir un tueur sanguinaire. Dun mot, dun seul et unique mot, le secret du Christ peut tre rvl et rendre fou toute personne cense Tom se tut un instant avant dajouter : Un simple mot commenant par la lettre M La gorge sche, le regard flou, Camille se demanda ce que, ou qui, pouvait incarner cette lettre M.

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3 NativitMarie eut un frisson. La fracheur de la nuit tombante lui fit oublier un court instant la douleur. Elle avanait aussi vite que ses jambes lui permettaient. Brusquement, elle sarrta comme ttanise. En guise de soutien, elle accrocha sa petite main sur une branche darbre. Les contractions se faisaient de plus en plus fortes. Ladolescente se retourna, cherchant son ami le vieillard dans lobscurit grandissante. Joseph, o es-tu ? murmura-t-elle dans un souffle imperceptible. Il ne devait pas tre loin, du moins elle lesprait. Pendant quelques secondes, elle hsita lattendre. Puis, tenant toujours son ventre arrondi dune main, elle continua son chemin. La grotte ne devait plus se trouvait qu une centaine de mtres. L-bas, elle serait en scurit. Personne ne viendrait la chercher et elle pourrait mettre au monde cet enfant qui la faisait tant souffrir. Tout en marchant, elle se retournait frquemment. Elle craignait que les inconnus qui taient arrivs au bourg la veille ne surgissent des tnbres pour fondre sur elle. Elle savait quils taient venus pour elle. Trois trangers somptueusement habills, aux riches parures, leur apparition avait t remarque par tous les habitants de Nazareth et les villageois staient interrogs sur le motif de leur prsence. Marie, elle, en connaissait la raison. Elle caressa son ventre rebondi. Le stress li leur prsence avait engendr des contractions prcipitant le travail de lutrus. Lenfant nallait plus tarder. Pendant les premires semaines de grossesse, elle avait pens avorter mais ctait contre sa nature. Elle ne voulait pas faire de mal son enfant comme on lui en avait fait. Cet enfant tait innocent. De toutes ses forces, elle supplia une nime fois le ciel toil de faire natre une fille. Parfois, les parents laissaient mourir leur fille ne car considre comme

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une bouche inutile nourrir. Ctaient les murs : un mle apportait rjouissance et une fille consternation. Pour Marie, ctait le contraire. Si seulement la Providence faisait natre une fille, alors il ny aurait plus de problme. Son corps frle fut parcouru dun nouveau frisson. Elle remonta le col de son ample tunique. Longtemps, elle avait cherch dissimuler sa grossesse par ce large habit. Mais elle navait pu cacher plus longtemps cette excroissance de par trop visible sur sa fragile silhouette dadolescente. Heureusement, Joseph avait t l. Le seul ayant vraiment une me en ce bas monde. Malgr les rumeurs, la vie avait repris un cours presque normal. Jusquau jour o ces trois inconnus dbarqurent dans son existence. Marie arriva devant la grotte. Se retournant, elle scruta lobscurit. Joseph ntait pas encore l. Il lui avait demand de partir devant lui, il la rattraperait. Le vieillard avait d surestimer ses forces vouloir rcuprer une botte de paille et la transporter jusqu la grotte. ttons, elle sengouffra dans la grotte. Sans lumire, elle nosa avancer trop loin. Elle saccroupit, glissant une main sur son bas-ventre. Elle avait perdu les eaux depuis une heure prsent. Lenfant ne tarderait plus. Elle qui ntait pas encore une femme mais plus une enfant, connaissait parfaitement les choses de la vie. Elle avait vu une voisine donner la vie, aide par une sage-femme. Mais ladolescente devrait se dbrouiller seule. Elle poussa un petit grognement de douleur et de dpit. Au loin, une lueur vacillante apparut dans la nuit. Essayant de se faire encore plus petite quelle ntait, Marie se blottit contre la paroi. Le son dune respiration rauque et familire finit par parvenir jusqu elle. Joseph, vite, je suis l ! Maintenant dune main la botte de paille sur son dos, le vieillard pntra dans la grotte. Lchant son fardeau, il sapprocha dune cavit et y accrocha la torche quil tenait de son autre main. La lumire embrasa lobscurit. Tu nas pas t suivi ? demanda Marie. Suivi ? stonna Joseph. Euh non, bien sr que non. Tout va bien se passer Attends, je vais mettre de la paille. Tu seras mieux. Joseph savait comment sy prendre. Ce ntait pas le premier enfant quil aiderait mettre au monde. Confiant, il soutint la future mre et lallongea sur le dos. Trente minutes plus tard, les cris du nouveau-n retentirent dans la grotte. Dun geste prcis, Joseph coupa le cordon ombilical et donna26

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lenfant Marie. Celle-ci se mit pleurer doucement en le serrant tendrement contre sa poitrine. Des pleurs de soulagement et de consternation. Cest un garon soupira-t-elle. Un garon Du revers de la main, Joseph essuya les larmes de la mre. Oui, cest un garon. Un magnifique garon Joseph hsita un instant, puis ajouta : Jsus Que penses-tu de Jsus ? Cela te plat comme nom ? Elle se mit sangloter, approuvant tristement de la tte. Jsus, oui Jsus dit-elle en caressant du bout du pouce le poignet du bb. Une petite source coulait le long de la roche. Le clapotis de leau rsonnait doucement. Joseph alla sy laver les mains. Puis il prit Jsus des bras de la mre et le lava consciencieusement. Leau froide fit pousser des hurlements de protestation au nouveau-n. Joseph ne se laissa pas attendrir pour autant. Il sortit de longues bandelettes de son sac de toile quil portait en bandoulire. Mticuleusement, il emmaillota lenfant dans des langes. Ce ntait pas tant de tenir le bb au chaud qui motivait cette pratique ; il fallait plutt limiter lenfant dans ses mouvements, des bras et des jambes, afin que ses petits membres deviennent droits et forts. Pour ses autres enfants, Joseph avait eu lhabitude de procder ainsi. Tous les jours, il leur avait t les langes pour les laver, puis il les avait enduits dhuile dolive avant de les poudrer de myrrhe moulue. Puis, il les emmaillotait de nouveau jusquau lendemain. Mais pour Jsus, pas de myrrhe ni dhuile dolive. Dans la prcipitation, Joseph navait emport que les bandelettes. Le vieillard se demanda intrieurement sils pourraient rentrer chez eux cette nuit. Aprs mre rflexion, il en douta. Pour ne pas inquiter davantage Marie, il prfra garder le fruit de sa pense pour lui-mme. Dposant Jsus sur la paille, il seconda la jeune mre pour sa toilette intime. Marie considrait Joseph comme son pre, mme sil avait bien plus lge dun arrire-grand-pre et elle navait aucune fausse pudeur face lui. Elle reprit Jsus dans ses bras et, sasseyant le plus confortablement possible dans la paille, lui donna le sein. Aprs ce merveilleux moment charg dmotion, Joseph sortit sur le seuil de la grotte pour senivrer dair frais en scrutant le ciel toil. Il ne remarqua pas les trois silhouettes tapies derrire des buissons. Elles se dressrent silencieusement et sapprochrent de lentre. Alors ! O est ce roi des Juifs qui vient de natre ? gloussa une voix au ton volontairement menaant.

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Joseph resta paralys de peur. Ses jambes se mirent trembler et il porta une main sur sa poitrine. lintrieur de la grotte, Marie poussa un petit cri. Le feu de la torche venait dclairer le facis des trois inconnus arrivs la veille au bourg. La jeune femme serra lenfant contre sa poitrine, presque ltouffer. Reculant de quelques pas, Joseph essaya de retrouver sa constance mais la peur lui tenaillait le ventre. Comment tes-vous arrivs jusquici ? balbutia-t-il mi-voix. La rponse tait dune vidence manifeste mais lun des inconnus aima se jouer du vieillard. Nous avons suivi son astre qui nous a conduits jusquici et nous sommes venus lui rendre hommage, dit-il dun ton moqueur. Au-dessus de lhorizon, lhomme dsigna Saturne avec Jupiter leur lever hliaque, donnant lillusion dune toile dun clat exceptionnel. Arms dpes dont ils tenaient fermement les pommeaux, les trois hommes pntrrent dans la grotte. la lueur de la torche, les ombres semblaient gigantesques et fantasmagoriques. Les longues barbes noires parfaitement brosses, les somptueux vtements et la prestance des dmarches presque flines narrivaient pas dtromper sur leur vraie nature : celle de brutes aux regards sournois. Celui qui semblait tre le meneur du trio savana vers Marie. Regardant lenfant emmaillot, il interrogea : Cest bien un garon, nest-ce pas ? Marie sembla hsiter un instant, se demandant si elle pouvait lui mentir impunment. Puis voyant le sourire de lintrus, elle comprit quil se moquait delle et quil le savait dj. Subrepticement, cachs non loin de la grotte, ils avaient d assister la naissance. Et mme voir la jeune femme effectuer sa toilette intime. Marie rougit cette ide et, la question de lhomme, elle ne put quacquiescer en silence. Goguenard, le chef du trio tira dun sac une cassette remplie de myrrhe quil jeta ddaigneusement aux pieds de Joseph. Puis, il sortit un autre coffret contenant, cette fois-ci, des pices dor. Dposant la prcieuse cassette devant Marie, il se prosterna devant elle, le sourire en coin. Il saisit le bras de la jeune mre et la fora se lever. Lenfant toujours serr sur sa poitrine moiti dnude, Marie fut emmene sans mnagement au fond de la grotte. Lhomme lui susurra des mots loreille. Se dfaisant de son emprise en rougissant, elle courut se rfugier vers Joseph. Poussant un grognement animal, le chef sortit lpe de son28

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fourreau. Il marcha lentement vers le couple paniqu en faisant crisser la lame menaante sur la roche. Le son dsagrable quil provoqua paraissait le rjouir. Laissez-nous, protesta Joseph en se glissant courageusement devant Marie pour faire obstacle de son corps. Lenfant nen saura jamais rien, je vous le promets. Prenez lor, gardez-le pour vous. Si on nous interroge, nous dirons que des voleurs nous lont drob pendant notre sommeil La paupire du chef fut parcourue par un petit tic nerveux. Il arrta de faire crisser la lame de son pe. Un clair de convoitise enflamma la noirceur de ses prunelles. Il y a assez dor pour trois existences glorieuses, ajouta Joseph, comprenant que ses propos avaient touch la seule corde sensible que possdait la brute. Celle de la vnalit. Il y eut un moment de flottement, dhsitation. Joseph perut comme une lueur dtonnement chez lun des inconnus : cette ide de partir avec lor navait jamais d effleurer son cerveau triqu de tueur sanguinaire. Par sa proposition, Joseph avait provoqu une douloureuse prise de conscience qui venait dembraser leur imaginaire. Dun signe de la tte, le chef ordonna ses hommes de le suivre dehors. Une certaine tension clata entre le trio. Malgr leurs chuchotements, Joseph comprit quils taient diviss sur le choix prendre. Des clats de voix finirent par slever dans la nuit. Je te dis quon risque rien, gronda le chef. Il ne retrouvera jamais notre trace. Et cest ce quon aurait d faire depuis le dbut au lieu de venir ici. Le vieux a raison Mais sil nous retrouve ? coupa lun des acolytes. On ne peut pas trahir impunment Des jurons clatrent. Joseph se demanda sils nallaient pas sentretuer. Comme pour lui donner raison, le meneur de la bande leva son pe et la mit sur la gorge de celui qui se refusait trahir. Ce dernier finit par opiner de la tte, estimant juste titre que ctait la seule chose raisonnable faire dans un moment pareil. Sans un mot, le chef pntra dans la grotte. Il rcupra la cassette dor et la glissa dans son vtement. Pendant quelques secondes, il eut un regard de convoitise qui se porta sur le corps de la jeune femme. Mais le temps semblait lui tre compt. Alors, comme regret, il sortit et disparut avec ses comparses dans lobscurit de la nuit. Marie vint se blottir dans les bras du vieillard. Elle se mit sangloter doucement, comme pour vacuer la tension nerveuse quavait engendre

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lingrence des trois hommes dans son existence. Les yeux noirs de lintrus avaient pntr les siens et elle se sentait souille par ce regard avide. Elle frissonna et Joseph lembrassa affectueusement sur les cheveux. Cest fini, tout va bien prsent, dit-il pour lapaiser. Elle secoua son visage pour signifier son dsaccord. Je ne leur fais pas confiance. Ils peuvent revenir nous devons fuir, loin, trs loin de Nazareth. Et puis, si nous restons ici dautres viendront le chercher Du menton, elle dsigna lenfant quelle serrait contre sa poitrine. Cnest pas sa faute lui. Cest la mienne. Arrte de dire des sottises, ce nest pas ta faute, coupa Joseph. Tu le sais bien. Fuyons, rpta-t-elle. Loin dici Fataliste, le vieillard rpondit : Fuir pour aller o ? On nous retrouvera de toute faon ! Et le Temple ? De par ta ligne tu mas dit que tu connaissais les grands prtres. Ils pourront nous aider, nest-ce pas ? Joseph sembla hsiter. Sils apprennent lexistence de cet enfant, nul doute quils chercheront le cacher. Mais je connais leur conception du futur et je me doute de ce quils feront par la suite. Il lui expliqua sa vision des choses. A-t-on le choix ? senquit-elle. Et nest-ce pas l, la vraie destine de Jsus ? Elle serra le poing, rageuse. La vengeance nest pas la solution, tu le sais bien, affirma-t-il. Mais tu as raison sur un point : on na pas le choix. Peux-tu marcher ? Oui, pour a, ne tinquite pas mais nous navons pas dargent. Je suis partie sans rien. Jai peur que dautres hommes nous attendent au bourg Puisant dans la poche de son vtement, Joseph exhiba quelques pices dor. En souriant, il expliqua quil les avait discrtement chapardes dans la cassette pendant que les trois hommes taient sortis de la grotte. Toute son inquitude, Marie navait pas vu les manigances du vieillard. Elle lui sourit tendrement car ils pouvaient partir ds prsent. Cependant, une pense ngative sinsinua en elle. Et tes enfants ? objecta-t-elle. Joseph luda la question dun geste de la main. Prenant le nourrisson dans ses bras, il fit signe Marie de le suivre. Ensemble, ils partirent dans la nuit.

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Quelques jours plus tard, le couple se retrouva Jrusalem. Dans leur fuite, ils avaient eu la chance de tomber sur un campement de marchands nomades. Ceux-ci acceptrent de les aider sans poser aucune question. La vue des pices dor y fut pour beaucoup. lintrieur du Temple, les hauts dignitaires religieux juifs coutrent lhistoire qutait en train de leur narrer Joseph. Si au dbut, ils ny prtrent quune attention plus ou moins polie, croyant avoir affaire un quelconque problme dadultre, il nen fut pas de mme quand ils comprirent la vraie nature de lenfant que portait ce vieillard au visage rid et tann par les annes. Malgr son grand ge, Joseph tait encore plein de vigueur, de fougue dans ses propos et sa verve semblait clipser son crne dgarni, sa bouche quelque peu dente et sa disparate barbe blanche. Passant une mince langue sur ses lvres dessches, il conjura son auditoire de les protger. Un peu lcart des autres religieux, un prtre de petite taille se tenait debout contre une des immenses colonnes de lenceinte du sanctuaire. Caressant du bout des doigts son paisse barbe noire, son regard jaune vert au lger strabisme tait riv sur Jsus. Ses sourcils broussailleux ne cessaient pas de se froncer, crant lillusion dun sombre papillon voulant senvoler du large front. Les rvlations que venait de faire Joseph le firent cogiter un futur tout autre pour Isral. Les autres prtres en arriveraient probablement la mme conclusion, il en tait persuad. Pendant un instant, il porta son attention sur Marie qui se tenait timidement en retrait des discussions. Elle ne semblait pas rellement comprendre lampleur de la situation. Son corps frle dadolescente, son regard mutin, ses doux cheveux clairs et son visage juvnile narrivaient pas lui donner ce statut de mre quavait chaque femme aprs avoir offert la vie. Et encore moins celle dune mre ayant enfant un enfant aussi prodigieux que ce Jsus. Aprs avoir dbattu en huis clos, les grands prtres promirent daider Marie sans rserve. Pour plus de scurit, le couple ne devait pas rester dans la ville mais aller dans celle toute proche de Bethlem. Joseph obtint galement que les prtres soccupent financirement du devenir de ses enfants rests en Galile pendant son absence. En contrepartie, le vieillard devait continuer de prendre soin de la jeune femme et de son enfant comme sils taient les siens. Ce quil accepta de faire. Comme la coutume lexigeait, Jsus fut circoncis selon le rituel de la religion. Aprs que les prtres eurent accompli cette tche, ils rendirent lenfant sa mre. Un vieil homme dnomm Symon, portant une toge blanche dissimulant peine son corps rachitique, sapprocha de Marie et de Joseph. Il avait assist au dbat et connaissait le devenir du nourrisson. Il insista pour le prendre dans ses bras maigres. Dun geste de la tte, il

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remercia Marie de lui confier lenfant pour un instant. Couvant Jsus dun regard passionn pendant quelques secondes, il finit par lever ses yeux vers le haut plafond. Comme sil sadressait quelquun dinvisible, il clama dune voix fluette : Maintenant, Seigneur, tu peux laisser ton serviteur sen aller en paix. Je peux mourir car mes yeux ont vu le salut que tu as prpar la face de tous les peuples. Cette lumire pour clairer la nation et la gloire de ton peuple Isral. Tendrement, il regarda de nouveau le nourrisson. En rendant Jsus sa mre, il lui dit que son fils devait amener la chute et le relvement dun grand nombre de personnes en Isral. Mal laise, Marie couta Symon. Elle savait quil avait raison mais elle refusait de voir en son fils un tre pouvant lui briser le cur par les dissensions et les troubles quil causerait plus tard. Aprs une nuit de repos, cachs lintrieur du Temple, Joseph et Marie prirent la route pour Bethlem. Marie ayant des problmes de sant dus au retour de couches, ils furent obligs de faire de nombreuses pauses. Ce ne fut qu la tombe de la nuit quils arrivrent dans la cit. Un fidle disciple des prtres tait cens attendre leur venue pour les hberger discrtement. Malgr les indications prcises quils avaient reues pour arriver jusqu leur hte, Marie et Joseph ne parvinrent pas sorienter dans cette ville quils ne connaissaient pas. la ple lueur de leur lanterne, toutes les rues se ressemblaient. Dans lobscurit grandissante, ils finirent par se perdre. Joseph nosa pas demander son chemin. Il ne faisait confiance personne, voyant dans chaque citadin un espion potentiel. Prs dune auberge, il hsita entrer pour y passer la nuit. Mais il chassa cette ide de sa tte : ctait le plus sr moyen pour que lon retrouve sa trace. Las, le couple neut dautre choix que de se rfugier dans une table dserte, esprant quau lever du jour ils finiraient par retrouver litinraire les conduisant jusqu bon port. Aprs avoir rempli de paille propre la mangeoire bestiaux, Joseph y dposa dlicatement Jsus. reinte, Marie scroula sur la paille frache, fermant les yeux pendant quelques secondes comme pour chasser ses soucis. Elle finit par se relever et vint sasseoir au pied de la crche. Joseph prit un petit tabouret qui tranait dans un coin et sassit galement ct de lenfant. Celui-ci dormait paisiblement mais il nallait pas tarder se rveiller pour rclamer sa tte. Joseph prit un morceau de pain de son sac quil mangea machinalement. Ils taient en train de discuter voix basse quand les portes de ltable souvrirent brusquement. Le bruit rveilla Jsus et il se mit crier. Cinq silhouettes simmobilisrent, surprises.32

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Un mouton bla en entrant dans la grange, suivi par plusieurs autres. Aprs un instant de flottement, les bergers pntrrent leur tour en gardant un silence gn. Lun deux tirait un mulet au bout dune corde. Lanimal fut attach proximit de la crche. Emmaillot dans ses langes, Jsus continuait de geindre. Marie le prit dans ses bras pour le bercer doucement. Elle vient daccoucher ? senquit poliment le plus g des bergers. tonn de trouver un couple avec un bb dans ltable, il pensait que laccouchement venait davoir lieu et que les parents navaient pas eu le temps de trouver refuge dans un lieu plus appropri. Joseph profita de cette salutaire mprise pour ne pas donner la vritable explication sur leur prsence en ces lieux. Oui, acquiesa-t-il. La maman tait incapable daller plus loin. Lenfant est n ici. Pouvons-nous rester ? Il est tard et nous Joseph ? coupa le vieux berger. Cest toi Joseph de Nazareth ? Joseph frona ses sourcils blancs. Puis un sourire claira son visage rid. Il venait de reconnatre un ami denfance quil navait pas vu depuis plusieurs annes. Ils se serrrent affectueusement dans les bras comme sils taient de proches parents. Pendant quelques minutes, ils discutrent joyeusement, oubliant la singularit de la situation. Cest un garon ? finit par demander le berger en dsignant le nouveau-n. Joseph comprit le sous-entendu cach dans la question. Son ami connaissait la situation de veuvage du vieillard. Oui, cest un garon Il hsita un instant. cest mon fils, Jsus. Et voici ma jeune pouse, Marie. Marie nosa pas affronter le regard des autres bergers qui staient assis dans la paille quelques mtres de la crche. Elle plongea son regard dans les yeux bleus de son enfant. Elle alla sisoler dans un coin et tourna le dos lassistance pour donner le sein en toute intimit. Le vieux berger tapa amicalement sur le dos de son ami. Ah ! Je suis vraiment heureux pour toi. Toi qui es de la ligne de David, ce fils ne serait-il pas le roi que nous attendons tous pour le salut dIsral ? En tout cas, lastre qui brille annonce une grande naissance ! Joseph et lui continurent parler pendant une bonne partie de la nuit de leurs souvenirs de jeunesse. Puis, comme les autres, ils finirent par sendormir dans la paille au milieu des quelques moutons prsents.

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Le lendemain, Joseph et Marie retrouvrent leur chemin et purent se rfugier chez le disciple des prtres du Temple. Cachs, menant une existence de clandestins, ne sortant presque jamais de la demeure, ils y sjournrent pendant de longs mois. La vie avait repris un cours paisible pour le couple. Jsus grandissait et se fortifiait de jour en jour. Il tait la vraie seule joie pour sa mre. Celle-ci, malgr une apparente jovialit, vivait dans une angoisse permanente. Le moindre cri slevant dune ruelle voisine, la moindre ombre passant devant les fentres calfeutres du logis dclenchaient en elle dobscures craintes. Elle redoutait pour la vie de son enfant. Joseph avait beau la rassurer, lui affirmant que le temps effaait chaque jour un peu plus les traces de leur fuite, elle nen demeurait pas moins sur ses gardes. Elle apprhendait lavenir. Rveille en pleine nuit par leur hte, le destin donna raison ses pressentiments. Un messager venait darriver de Jrusalem. Joseph et Marie neurent mme pas la possibilit de prendre quelques vtements car le temps pressait. Aids du messager, ils quittrent la cit qui les avait abrits pendant de longs mois. La chance fut avec eux. Car les gardes dHrode le Grand, le roi des Juifs sous lassujettissement des Romains, pntrrent dans Bethlem. Avec une frocit peu commune, ils massacrrent tous les enfants mles de moins de deux ans. Cette nime folie du roi dIsral ne fut pas blme par lautorit romaine qui ferma les yeux sur ce cruel carnage : tant que le roi maintenait son peuple servile et que les impts rentraient dans les caisses de Rome, les affaires internes lui importaient peu. Dans la ville martyre, les pleurs des mres victimes firent place la consternation et lincomprhension des citadins. Des rumeurs couraient, affirmant que les mages dHrode avaient eu la vision dune naissance cleste, celle dun enfant divin qui branlerait le pouvoir du souverain. Dans le doute, faisant confiance aux prdictions des devins qui ignoraient prcisment o se trouvait ce garon divin, Hrode avait ordonn de massacrer ces innocentes petites ttes dans Bethlem et les alentours. Joseph et Marie, eux, savaient de quoi il retournait vraiment. De tout temps, lgypte avait t une terre dasile pour les Hbreux. Des famines aux invasions guerrires, des coups dtat aux conflits fratricides, les Juifs avaient toujours trouv un refuge bienveillant dans cette nation sculaire. Et une fois de plus, le pays des pharaons ne drogea pas la rgle. Le couple et leur enfant purent sy installer sans souci, loin des vicissitudes ayant jusqualors orchestr leur existence. Travailleur acharn et consciencieux, Joseph mit un point dhonneur pour subvenir aux besoins34

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de la mre et du fils. Pour tous, ce vieux charpentier galilen tait lpoux de la jeune Marie et Jsus son enfant lgitime. Bien que les prtres du Temple envoyassent rgulirement des missaires pour prendre des nouvelles de Jsus et lui apporter de largent, Joseph ne voulait pas vivre aux crochets des religieux. Sa mentalit dartisan rural le lui interdisait. Et puis, quaurait-il fait de ses journes sans travail ? Se morfondre au fin fond dune btisse ntait pas le genre dexistence laquelle il aspirait. Il aimait trop le grand air et le plaisir du travail manuel. Loin de ses enfants rests en Galile, il tait parfois triste. Cependant, Marie lui apportait par sa prsence ce manque daffection familiale quil chrissait tant : elle tait son rayon de soleil et Jsus son enfant chri. Avec eux, il sentait en lui comme une seconde jeunesse. En Isral, le vieux Hrode le Grand rendu fou par les souffrances dues une pnible maladie finit par rendre lme. Le pays fut divis entre ses trois fils, toujours sous la coupe des Romains qui taient les vritables matres de la nation. La mort dHrode dclencha une importante lutte arme paysanne, esprant enfin se librer du joug de loccupant latin. Cette rvolte fut violemment rprime par les lgionnaires et deux mille Juifs furent crucifis autour de Jrusalem pour lexemple. Rome dominait le bassin mditerranen dune main de fer. Quand la situation fut stabilise dans la rgion, Joseph estima quil tait temps de rentrer chez lui. Il eut une conversation avec Marie. Ils ont perdu notre trace ou ils doivent croire que Jsus a t tu lors du massacre de Bethlem. moins que le secret de son existence ne soit jamais Mditatif, il nacheva pas sa phrase. Mais Marie avait compris. Je lespre, dit-elle. Je lespre de tout cur. Alors ? Que faisons-nous ? Te sens-tu prte retourner au pays ? Elle hsita un instant. Oui, ce sera mieux pour Jsus. Ici, il nest quun tranger. L-bas, son destin lattend. Elle soupira, comme apprhendant lavenir pour son fils. Avec laval du Temple, ils revinrent en Isral. Cependant, les prtres protestrent nergiquement quand Joseph sentretint avec eux Jrusalem : pour les religieux, Jsus devait rester avec eux dans la ville. Mais pour le charpentier, il nen tait pas question. Marie et son fils avaient droit une existence normale et non pas au contrle omniprsent des prtres. De plus, cette attention permanente autour de Jsus aurait fini par attirer les regards sur lui et sa trace aurait t retrouve. Dans la cit de Sion, lenfant tait en danger. Joseph proposa de retourner en Galile, Nazareth. Il nestimait pas,

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lui, que ctait une folie. Au contraire, personne ne viendrait les chercher dans cet endroit. Aprs de longues concertations secrtes, les prtres finirent par accder la requte du vieillard, convenant quil avait raison au sujet de la scurit de Jsus. Le couple retourna sinstaller dans le bourg o Jsus avait vu le jour. Les retrouvailles entre Joseph et ses enfants apportrent une grande joie au pre. Ce dernier assuma la paternit lgale de Jsus. Officiellement, lors de leur voyage, le couple stait mari Jamnia, une petite bourgade situe quelques kilomtres de Jrusalem. Les prtres staient occups dofficialiser le mariage. Dans le village, les questions fusrent de toutes parts mais Joseph resta muet sur son dpart prcipit, ludant les allusions sur son absence prolonge dun geste ferme de la main ; alors les interrogations finirent par sestomper et leur existence reprit un cours normal. Les annes dfilrent dans un flot parfaitement immuable. Tout danger semblait cart. Le temps graina encore un peu plus son chapelet doccurrences et finit par emporter le vieux Joseph. Jsus ntait encore quun adolescent quand son pre adoptif mourut. Tous furent trs attrists par cet vnement. Marie nenvisagea pas que ce dcs puisse avoir une autre consquence funeste. La douleur de perdre ltre qui avait rchauff son cur dans les moments pnibles et le poids du secret qui reposait dsormais sur ses seules paules taient bien trop lourds porter. Malgr la promesse quelle avait faite au dfunt, dans un moment de profonde dtresse, elle se confia une parente plus ge, lisabeth. Dans la sobre demeure quavait construite Joseph de ses propres mains, la lueur dune ple lanterne clairant lobscurit grandissante dune nuit sans lune, Marie commena purer sa conscience de ces annes de silence. lisabeth coutait, comprhensive. Les deux femmes ne se doutaient pas quune oreille curieuse venait darriver derrire la porte. Longuement, avec force dtails, Marie rvla la vieille dame le terrible secret qui lui tenaillait lesprit. Quand elle eut fini, Marie se sentit soulage. Mais, comme un grondement de tonnerre au lointain, un cri dchira la nuit. Un cri de dsespoir. Marie sortit sur le seuil de la maison. Elle vit son fils partir en courant. Alors, elle comprit quil avait tout entendu, quil savait tout. Elle voulut se mettre courir derrire lui mais dj il disparaissait au loin. Terrasse, elle tomba genoux et elle se mit pleurer, se tenant le visage de ses frles36

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mains tremblotantes. Elle venait de raliser quen ce jour, elle navait pas seulement perdu Joseph. Elle avait galement perdu Jsus. Elle releva la tte en sanglotant, esprant un miracle, esprant que son fils se tiendrait devant elle et lui pardonnerait ses mensonges. Mais il ntait plus l. Alors, elle comprit que, peut-tre, Jsus ne reviendrait jamais.

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4 lombre dun pin, assise sur un banc public proche de la tour Magdala, Camille se demandait ce que pouvait incarner ce mystrieux mot commenant par la lettre M quavait voqu Tom. Cependant, celui-ci ne semblait pas enclin stendre sur ce sujet. Je disais donc que labb Boudet continuait son chantage auprs du Vatican et quil ne dsesprait pas de mettre la main sur le Graal, sur le rapport Pilate cach Rennes-le-Chteau. Cest dans ce contexte que labb Saunire apparat dans cette histoire. Ctait un cur de trente-trois ans, la fois charismatique et charmeur, un solide gaillard de cent kilos. Il a t nomm cur Rennes-le-Chteau et il a pris possession de lglise Sainte-Marie-Madeleine qui tait dans un tat de dlabrement pitoyable, la toiture ayant quasiment disparu. Il a entrepris de restaurer son lieu de culte avec son propre argent et des dons de villageois. Comme beaucoup de prtres, Saunire tait profondment royaliste. Il a fait des sermons au sein de sa paroisse contre le Parti rpublicain lors de llection lgislative qui sest droule en 1885. Malheureusement pour lui, le Parti rpublicain a gagn le scrutin cette anne-l et Saunire a t dnonc comme incitateur au dsordre public. Il a t suspendu de sa fonction pendant quelques mois et il a d quitter le village. Pendant ce bannissement forc, il a rencontr la comtesse de Chambord, Marie-Thrse dAutriche, la veuve de lhritier du trne de France. La comtesse avait appris quune copie du rapport Pilate se trouvait cache Rennes-le-Chteau par des fuites qui provenaient du Vatican et qui rvlaient le chantage de Boudet. Elle a mandat Saunire pour quil fasse des recherches dans lglise, sans rien lui rvler du secret du Graal, en prtextant dimportants documents familiaux perdus. Elle lui a offert une grosse somme dargent pour quil uvre en toute discrtion et quil puisse commencer restaurer son glise. Saunire lui a promis que sil trouvait ces documents lors des travaux, il les lui remettrait

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Tom poursuivit en relatant que, revenu de son exil, Saunire sactiva aux travaux les plus urgents. Puis, par la suite, le temps passant, il sattaqua lautel qui tait llment le plus important de lglise et qui avait t fortement endommag par les intempries au fil du temps. En dplaant la pierre dautel, lun des piliers de style wisigoth qui la soutenait, rvla sur son sommet un creux de taille rduite. lintrieur, se trouvaient des vestiges, des os. Ce qui tait frquent car, lorsquune glise tait cre, on insrait des reliques, souvent dans la premire pierre pour pouvoir consacrer cette glise aux saints. Haut de presque un mtre et large dune quarantaine de centimtres, ce pilier wisigoth fut plac ultrieurement par Saunire larrire de lglise pour servir de pidestal une statue. Pour une raison inconnue, cette pierre fut positionne tte en bas. En cette anne 1887, Saunire continuait de superviser les travaux de rnovation. Les ouvriers dmontrent la chaire qui menaait de seffondrer. Sous celle-ci, il y avait un balustre de bois sculpt au typique chapiteau corinthien et qui contenait une petite fiole en verre renfermant un parchemin. Lorsquon dplaa cette colonne, la fiole tomba terre et se brisa. Le document fut remis Saunire qui le dchiffra rapidement. Menant au Graal dissimul dans lglise, ce parchemin tait lun des maillons de la chane, lun des ultimes indices du jeu de piste quavait invent labb Bigou un sicle plus tt. Le lendemain de cet pisode, fort de lindication du parchemin, Saunire dsigna une dalle lintrieur de lglise, puis ordonna deux ouvriers de la desceller. Munis dune barre mine, ils soulevrent la pierre. Sur sa face cache, la dalle dvoila un superbe dcor en relief dpoque carolingienne. Elle dissimulait galement lentre dune spulture o lon distinguait des squelettes humains. Saunire sengouffra dans le tombeau avec une lampe et il rapparut quelques instants plus tard avec un rcipient dargile plein de pices dor et de bijoux. Saunire tait dun noble cur. Il comprit quil avait trouv un petit trsor, probablement appartenant la comtesse de Chambord et que les papiers de famille quelle lui avait demand de chercher devaient galement se trouver dans la crypte. Cependant, la comtesse tait morte depuis plusieurs mois et il ne pouvait plus lui restituer lor et les documents. Avant toute chose, labb devait en rfrer sa hirarchie pour connatre la conduite tenir dans une telle situation. Ayant peur que laffaire ne sbruite et quon vienne piller la tombe pendant son absence, quelque peu gn, Saunire mentit aux deux ouvriers en affirmant que ces pices dor ntaient que des mdailles de Lourdes sans valeur. Les deux ouvriers ne furent pas40

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dupes et la nouvelle que le cur de Rennes-le-Chteau avait dcouvert un trsor se rpandit dans la rgion comme une trane de poudre. Ds que labb Boudet fut au courant, il se prcipita chez Saunire. Boudet comprit que Saunire avait mis la main, par hasard, sur la cache du Graal. En effet, en plus des pices dor, Saunire venait de trouver, non pas une mais bien deux fidles copies du rapport dans la crypte. Si jusqualors, les deux curs se frquentaient respectueusement, Boudet navait pas voulu mettre Saunire dans la confidence, estimant que le cur de Rennes-leChteau tait trop intgre dans sa foi chrtienne pour lui exposer le terrible secret de Jsus-Christ. Dailleurs, laurait-il fait que Saunire ne laurait probablement pas cru tant la divulgation semblait inconcevable au premier abord. Toutefois, ayant deux rapports Pilate devant les yeux, Saunire dut admettre la vrit lorsque Boudet lui exposa les tenants et les aboutissants de toute laffaire du Christ. Comme la plupart de ceux qui avaient eu accs ce secret, Saunire eut la conscience broye. Dun naturel jovial, du jour au lendemain, Saunire devint triste et mfiant. Prtre de conviction, sa foi pour le Christ clata. Lamour que portait Saunire pour le Vatican se transforma en rage. juste titre, il tenait responsable Rome davoir asservi lhumanit pour assouvir des intrts partisans. Il voulait se venger de ce crime contre lhumanit. Boudet le mit dans la confidence du chantage et Saunire trouva lgitime ce procd. Il ntait pas le seul. Autour de Boudet, il y avait tout un cercle initi au Graal. Le secret tant trop lourd porter, Boudet lavait partag avec son frre et quelques hommes dglise de la rgion. Parmi eux, Boudet avait un mentor : labb Henri Gasq, lancien cur de lglise de Notre-Dame de Marceille. Situe vingt kilomtres au nord de Rennes-le-Chteau, cette glise incarnait elle seule le parfait chantage : toute lornementation, des tableaux aux statues, en passant par latypique reprsentation du chemin de croix du Christ, tout avait t pens dans le seul but de soutirer de largent au Vatican en leffrayant par les insinuations exposes la vue de tous. Initi au secret du Christ bien avant Boudet lui-mme, Gasq avait eu lide de contraindre Rome en dcorant son glise de sous-entendus menaants. Le Vatican avait achet pendant des annes le prix du silence de labb. Inspir par la tactique de Gasq, Boudet dcida son tour de faire dcorer de la sorte son glise et celle de Saunire. Tel un matre chanteur envoyant encore et toujours de nouveaux clichs compromettants au mari infidle pour le garder sous son emprise psychologique et le pousser payer de plus en plus, Boudet dcida de passer un stade suprieur dans le chantage. Il sactiva donc agencer les glises de Rennes-les-Bains et de

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Rennes-le-Chteau. Il cibla encore plus ses menaces par des dtails criants de vrit, en exposant des statues, des tableaux ou dautres crations rvlant implicitement le secret de Jsus. Comme avec le trop explicite chemin de croix de lglise de Rennes-les-Bains que les instances du Vatican eurent lopportunit de faire disparatre discrtement, un sicle plus tard, lors dune rnovation. Cependant, aprs la mort des diffrents protagonistes impliqus dans le chantage, le Vatican nosa jamais dtruire les uvres des matres chanteurs de peur quun scandale clate et attire lattention de la presse internationale sur ces petits villages et sur leurs atypiques dcorations. De toute faon, le Vatican tait peu prs serein : les uvres taient codes et on ne pouvait en dchiffrer la signification sans tre soi-mme dtenteur du Graal, personne ne pouvait comprendre le secret du Christ expos dans ces glises sans en tre pralablement initi. Les gnrations staient succd sans que personne ne ralise que toutes les crations de Saunire et de Boudet ntaient en aucune manire un message, un jeu de piste complexe destin lguer au monde lemplacement dun fabuleux trsor ou rvler le Graal. Non, tout avait t conu dans le seul but de faire chanter le Vatican et celui-ci paya pour acheter le silence de tous ces curs impliqus dans laffaire, les rendant ainsi extrmement riches. Bien sr, ces hommes dglise auraient pu quitter leurs habits sacerdotaux pour une vie oisive dhomme fortun. Mais le secret du Graal tait si terrible quil pouvait dgoter quiconque dexistence, surtout ces prtres de conviction qui avaient remis depuis si longtemps leur corps et leur me entre les mains du Christ. Comme un enfant victime dun horrible viol par son propre pre, ne pouvant en faire abstraction et ne pouvant recommencer une nouvelle vie ailleurs, lexistence de ces curs tait irrmdiablement brise et ils nespraient quune seule chose : se faire justice eux-mmes. Censs porter lamour et le pardon, ces curs taient dsormais anims par la haine du Vatican et la soif insatiable de vengeance. Ce fut ce leitmotiv qui guida leurs pas pour le restant de leur vie. Ils voulaient saigner blanc financirement le Vatican comme ce dernier les avait saigns spirituellement. Ils voulaient frapper l o cela faisait mal pour le pape et sa clique sans scrupule, coupables davoir rduit la conscience des peuples en esclavage par des mensonges. Saunire, comme Boudet, ne voulaient pas que le Graal soit divulgu. Pour Boudet, il ne fallait pas tuer le Vatican, cette poule aux ufs dor. Il tait tellement plus jouissif de la voir se saigner lentement et de savourer le mal que ces dpenses monstrueuses devaient provoquer pour elle.

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Pour Saunire, il en tait tout autre. Noble cur, il ne voulait pas que lhumanit souffre comme il souffrait. Il voulait protger ses ouailles de la vrit et pouvoir continuer aider les plus dmunis pour les servir sur le chemin du divin mme si ce divin nexistait plus en lui. Car que devait-il faire ? Au nom de la vrit, devait-il tout rvler et rduire nant la croyance de millions de gens endoctrins, de petites gens pour lesquels cette religion tait le seul secours dans leur vie ? Il ne voulait pas rpandre le mal autour de lui. Il y avait des secrets qui pouvaient engendrer le chaos et lanarchie. Il y avait des secrets quil tait prfrable de ne jamais rvler. Pour ces diffrentes raisons, le Graal ne devait pas tre rvl. Et pour cette dernire raison, il fallait sassurer quil ny avait pas dautres rapports cachs ou que personne ne puisse mettre la main dessus. Saunire en avait dcouvert deux par hasard, ce qui signifiait quil ny en avait pas quun seul et motivait une recherche approfondie de toute lglise de Rennes-le-Chteau. Aid de sa servante Marie Dnarnaud, Saunire fouilla de fond en comble lglise et mme le cimetire, creusant les tombes pour sassurer quaucun autre Graal ntait prsent. Il nen trouva pas dautres. Cependant, Saunire et Boudet craignaient que labscons jeu de piste que labb Bigou avait cr cent ans plus tt ne mne une cache qui avait chapp leurs investigations. Alors, anim par le doute, Saunire dtruisit ce jeu de piste en dplaant des stles, en les remplaant ou en burinant les pitaphes pour falsifier les inscriptions. De son ct, Boudet fabriqua de faux documents pour dsorienter quiconque se lancerait la recherche du Graal. Un cycle trois stait mis en place : le Vatican, Saunire-Boudet, les initis. Le Vatican versait largent du chantage sur un discret compte bancaire Budapest. 48 heures de train, Saunire ou parfois Boudet sy rendait pour le rcuprer. leur retour, ils distribuaient gnreusement largent de la justice aux diffrents religieux de la rgion impliqus dans laffaire. Parmi ce groupe de compres, se trouvait le cur Glis. Celui-ci officiait quelques kilomtres de Rennes-le-Chteau, dans le village de Coustaussa. Seuls Saunire et Boudet avaient en leur possession leur propre rapport Pilate. En octobre de lanne 1897, Glis demanda Boudet de lui prter le sien pour le consulter. Une semaine plus tard, au cours dune nuit, lorsque Boudet vint rcuprer son Graal, Glis sy opposa : il avait eu une rvlation au contact du Graal et dsirait que le secret du Christ soit divulgu au monde entier car le mensonge navait que trop dur.

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Boudet aimait fumer et boire de lalcool quand il tait seul ou entre amis. Et ce jour-l, il dut le faire plus que de raison. La conversation senvenima et Boudet sempara dune pincette feu. Il porta plusieurs coups la tte de Glis mais celui-ci russit se lever de son fauteuil et essaya de fuir. Alors, Boudet sacharna sur sa malheureuse victime avec une hachette qui tranait par l et finit par lui fracasser le crne. Boudet fouilla le presbytre et retrouva le rapport Pilate dans une sacoche en cuir. Ensuite, il effaa mticuleusement toutes les traces pouvant lincriminer. Il laissa galement une fausse piste pour les gendarmes en crivant de sa main tremblante Viva Angelina sur une de ses feuilles cigarette. Sans succs, les enquteurs focaliseront leurs recherches sur cette Angelina dans lentourage de Glis, ne se doutant pas un seul instant quils taient manipuls par lintelligence suprieure de Boudet et celui-ci ne fut jamais suspect par les gendarmes. Cette nuit-l, Boudet tait en train de manigancer la scne du crime lorsque Saunire dbarqua. Ce dernier fut horrifi par le carnage, par le sang qui maculait les murs. Boudet se justifia et quitta rapidement le presbytre. Saunire ne sattarda pas non plus. Nanmoins, il ne pouvait laisser son ami Glis tel quel : avec respect, il dplaa son cadavre au milieu de la pice, lui positionnant les bras sur la poitrine comme un gisant. Aprs les funrailles de Glis, Saunire et Boudet ne se frquentrent plus. Le meurtre du cur de Coustaussa brisa leur complicit secrte. Saunire ne dnona pas Boudet de peur que le secret du Graal soit divulgu. Boudet steindra une quinzaine dannes plus tard. Avant de mourir, rong par un cancer, il dtruira ses livres et le rapport Pilate, ne voulant laisser personne le loisir de possder ce quil chrissait tant. Il ne dsira pas tre enterr Rennes-les-Bains o reposaient pourtant sa mre et sa sur car juste leurs cts se trouvait la tombe de labb Jean Vi quil avait assassin des dcennies avant. Comme sil craignait le courroux cleste par la prsence de ce cadavre, Boudet prfra tre inhum dans le cimetire dAxat o gisait son dfunt frre, frre qui lavait aid constituer son livre La Vraie Langue Celtique et le Cromlech de Rennes-les-Bains , livre qui avait t crit pour faire chanter le Vatican ds la premire heure. Dans un dernier pied de nez aux pontes de Rome, Boudet fit graver sur sa tombe un signe qui avait servi autrefois effrayer le Vatican ; sur un petit livre en pierre, figurait ceci : I. X. O. Y. .

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Cette abrviation tait connue depuis trs longtemps dans lhistoire chrtienne, elle tait appele ichthus et se traduisait par Jsus-Christ Fils de Dieu Sauveur . Le Y prsent dans ce mot tait grav comme un I majuscule avec un infime petit v sur son sommet. Alors, si on lisait linscription lenvers, on obtenait une autre rfrence : 3IO et XI. Or, le Cromlech de Rennes-les-Bains comportait justement 310 pages et la page XI tait la premire des pages parler du mot bl , mot important pour Boudet puisquil lavait cit plus dune trentaine de fois dans son ouvrage. Tom poussa un petit soupir. Quel est le rapport entre le bl et Jsus-Christ ? Ne me le demandez pas, je nai pas eu encore le temps dapprofondir ce point particulier. Je nai eu le temps que dattaquer les grandes lignes de cette affaire. En fait, pour dire vrai, je ne me suis pas intress aux dtails particuliers, aux significations individuelles car je connais dj la signification globale, le sens gnral de lensemble des uvres de ces prtres. Je nai pas voulu perdre mon temps tout dcrypter. Lobservation de ces riens qui reste encore faire nest plus que des points de dtails que les historiens samuseront cibler plus tard. Camille acquiesa. Quest devenu labb Saunire ? Les dernires annes de Saunire nont pas t trs glorieuses. Lvque de Carcassonne, Monseigneur Billard tait le complice de Saunire et il tait galement un suprieur hirarchique trs complaisant. Mais sa mort, il a t remplac par Monseigneur Beausjour, un sbire du Vatican. Beausjour a accus Saunire de trafic de messes car il savait pertinemment que Saunire ne pouvait justifier en aucune manire son train de vie fastueux. Tout a dans le but de saper le moral de Saunire et pour le suspendre de ses fonctions de cur. Saunire na jamais compris que le Vatican et le nouveau pape qui tait entr en fonction depuis peu taient derrire toutes ces manigances car le pape lui assurait hypocritement son soutien dans ce procs pour trafic de messes. Au final, Saunire a t suspendu de son poste, il a sombr dans la dpression et, partir de l, ses problmes de sant se sont amplifis car il sest adonn de plus en plus lalcool. En 1917, il a eu un malaise et il est tomb dans le coma. On a russi le ranimer et Saunire a compris quil ne lui restait que quelques jours vivre. Alors, il a command sa servante Marie Dnarnaud de brler des papiers secrets, papiers qui taient relatifs au Graal. Il aurait voulu sans doute dtruire galement le rapport Pilate mais il tait devenu inaccessible pour un homme alit et mourant et il ne voulait pas mettre Marie Dnarnaud dans la confidence.

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Sa servante ntait donc pas au courant ? interrogea Camille. Marie Dnarnaud tait bien plus que sa servante, elle tait aussi lune de ses nombreuses matresses. Saunire na jamais voulu la mettre dans la confidence par peur de lui briser son me dvote. Il pensait lui rvler un jour le secret du Graal et du chantage quil faisait au Vatican. Il la voyait dans le futur comme une vieille dame dtentrice du Graal qui le Vatican continuerait de payer le prix du silence. Mais la veille de mourir, Saunire a prfr emporter son secret dans la tombe pour ne pas blesser celle quil aimait et lui pargner le fardeau de ce lourd et terrible secret. Il a voulu cependant apaiser sa conscience en se confessant sur son lit de mort. Saunire sest confess labb Rivire, un jeune cur quil apprciait. Il a avou le secret du Graal, le chantage auprs du Vatican et les meurtres de Boudet. Labb Rivire a t compltement boulevers, pouvant par ces rvlations, comme sil avait vu le Diable en personne, et il na pas voulu donner les derniers sacrements Saunire. cause de ce quil avait entendu concernant le Christ, labb Rivire a sombr dans la dpression et la folie quelque temps plus tard. Cette folie qui la terrass est un trait commun beaucoup de protagonistes qui ont eu connaissance du Graal. Ils ont galement t nombreux finir dans la dbauche, la vnalit, le sexe et lalcool. Tom eut un sourire triste. tonnant pour des curs, vous ne trouvez pas ? Et tout dcoule de la dcouverte du rapport Pilate Pensive, Camille murmura comme pour elle-mme : Alors, finalement, Saunire na jamais dcouvert de trsor Effectivement, part une oule de pices dor qui se trouvait dans la crypte, Saunire na pas dcouvert de trsor. Dailleurs, il y a une preuve toute simple qui prouve quil na pas trouv de trsor : sur ses livres de comptes, on voit quil attendait que largent rentre avant de pouvoir payer ses cranciers. Parfois, il tait oblig darrter les travaux quil avait entrepris car largent du Vatican se faisait attendre. Ses cranciers le relanaient sans cesse et il mettait un temps infini pour les payer. Sil avait vraiment eu tout lor quon lui attribuait, il naurait jamais attendu tant de temps pour payer. Une sensation trange se fit en Camille. Savez-vous o se trouve le Graal ? demanda-t-elle soudain. Vous avez devin, nest-ce pas ? Cest pour cela que vous tes ici Tom laissa chapper un petit rire et tourna son regard vers la tour Magdala. Vous savez o se trouve le Graal, nest-ce pas ? insista Camille.46

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Oui, je sais o il se trouve, finit-il par dire. Lobservation des riens est une science exacte pour qui sait tre attentif ces insignifiantes choses. La cache de Saunire est tellement visible quelle en devient quasiment invisible pour la conscience. Vous-mme, vous tes passe juste ct du Graal sans le voir. Camille frona ses sourcils noirs. Humm Il est dans le cimetire ? Tom sourit. Non, mais cest bien essay. Il est vrai que Marie Dnarnaud la fidle servante de Saunire a pu dire de son vivant que les gens dici marchaient sur de lor sans le savoir. Donc, la cache dans le cimetire est effectivement une possibilit. Mais cette histoire dor sous les pieds des villageois est fausse. Saunire a menti Dnarnaud. Il lui a dit quil avait trouv un trsor et quil y en avait dautres un peu partout enterrs dans des lieux secrets et cest dailleurs comme a quil a pu justifier les fouilles dans le cimetire. Dnarnaud tait nave, elle a cru toute sa vie que largent que Saunire ou Boudet lui donnaient provenait de la vente de ce trsor. Quand Saunire est mort, elle a fini sans argent, persuade que de fabuleux trsors taient enterrs tout prs. O est-il alors ? interrogea Camille. Le rapport Pilate est cach dans un coffre-fort, dit Tom, espigle. Un coffre-fort ? Je nai vu aucun coffre-fort Qui sait ? gloussa Tom. Camille ralisa quil ne voulait pas lui rvler le mystrieux emplacement. Changeant de sujet, elle aborda une question qui lui brlait les lvres depuis le tout dbut de leur conversation. Que contient exactement lcrit de Ponce Pilate ? demanda-t-elle. Ce quil contient exactement ? Pour dire vrai, je ne sais pas ce que je sais par contre, cest ce quil ne contient pas Tom eut un sourire nigmatique.

Lo ajusta ses jumelles. une centaine de mtres de l, le couple tait toujours en train de dialoguer sur le banc public. Lhomme au crne ras, ce Thomas Anderson, tait Satan incarn et la jeune brune ses cts une brebis gare.47

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Si on laissait agir ce Thomas Anderson, lapocalypse fondrait sur terre, le feu de la ghenne balayerait les mes humaines et le royaume du Diable simposerait en matre absolu. Pendant un instant, Lo pensa courir vers Satan pour lui enfoncer un poignard dans son corps sans cur, pour le chasser du royaume terrestre et lexpdier l o il devait normalement demeurer. Nanmoins, lenfer devait encore attendre. Desse lui avait bien dit de ne pas le tuer. Du moins, tant que Lo ne serait pas en possession du Livre. Ce Livre tait le Mal, les forces des tnbres personnifies en objet. Par le pass, le Livre avait ravi une multitude dmes, notamment celles dhommes dglise qui avaient cru pouvoir regarder le Mal en face. Sans exception, ils avaient tous t terrasss par la puissance du nant. Desse avait bien dit de ne jamais ouvrir le Livre car il librerait une arme de dmons sur terre. Heureusement, Lo tait l : il tait un ange mandat par Dieu pour sauver les hommes malgr eux. Et Desse tait sa Madone. Qui tait-elle vraiment ? Lo lignorait pour lheure. Il ne connaissait que sa voix suave et envotante. Mais il savait quil finirait par la rencontrer. Il tait tomb perdument amoureux delle et il rvait parfois de son divin visage venant lembrasser dans son sommeil. Dans ses rves, elle finissait par fusionner avec limage de sa mre. Enfant, Lo aimait se blottir contre sa mre, partager son lit toujours douillet, sendormir entre ses seins lourds et pais. Il tait le seul laimer cette grosse et vieille sorcire comme ses camarades de classe lappelaient quand elle venait laccompagner lcole. Son physique non plus navait pas chapp la rise des autres enfants : en forme de choux, ses oreilles taient dcolles, sa voix et son visage taient si dlicats quon le confondait avec une fille. Souvent, il avait d jouer des poings dans la cour de rcration. Sans frre ni sur, dans la solitude dune existence pauvre, son pre lui avait manqu affreusement. O tait son pre ? Il ne lavait jamais su. Parfois, il avait espr le reconnatre dans ces ombres de passage qui allaient et venaient dans la chambre de sa mre. Un jour, il avait os entrebiller la porte. Il avait assist alors une dbauche sexuelle qui lui avait laiss un got trange dans la bouche. Attache sur le lit, sa mre subissait le courroux dun homme noir au pnis monstrueux. Ce sale macaque lavait surpris derrire la porte et tait parti en laissant sa mre enchane. Lo tait venu prs delle. M par la main de Dieu, il le savait prsent, il avait serr la gorge de la perversit. Comme se rveillant dun48

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Une nuit frache et humide tait tombe depuis des heures sur le village de Rennes-le-Chteau. Une aurore nouvelle nallait plus tarder imposer le rgne du jour. Dj, comme une avant-garde lumineuse, une pleine lune bravait les tnbres en refltant les rayons de lastre de vie englouti par une terre endormie. Lombre lourde de Tom se glissa le long des ruelles dsertes, marchant vers la silencieuse glise Sainte-Marie-Madeleine. Cependant, Tom nalla pas jusqu elle. Il sarrta quelques mtres du porche. Dune main habille, de son lance-pierres, il brisa lclairage public. Une semi-obscurit baigna la place, Tom poussa la grille qui ntait pas ferme cl et il pntra dans le petit jardin. Dress sur un pidestal de quatre marches, le pilier wisigoth invers tait l. Dessus, comme craignant pour son intgrit, les mains jointes en supplique, la statue de Notre Dame de Lourdes considrait la prsence de lintrus au regard trouble. Si prs du but, un bonnet viss sur son crne ras, un doute envahit lhomme tout de noir vtu. Tom se demandait si le Graal tait toujours dissimul sous ce pilier invers.49

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cauchemar, il avait retrouv sa mre sans vie. Alors, il avait fui et avait trouv refuge dans la demeure de Dieu. Depuis, Dieu avait absous son crime. Il lui avait montr la lumire par la Bible et le salut de son me par la repentance. Le Seigneur Jsus-Christ guidait dsormais ses pas et lui dsignait les ennemis de la foi combattre. Lo tait un ange, un soldat divin, le bras arm de Dieu pour punir les pcheurs et mme le Diable en personne. Et le Diable stait incarn dans la personne de Thomas Anderson. Lo baissa ses jumelles. Sa main fine ramena en arrire ses longs cheveux raides et noirs qui tombaient sur son visage imberbe et juvnile. Similaire celle dune adolescente, la silhouette androgyne de Lo avana lentement. Tout en marchant, ses yeux bleus ne cessrent de fixer le couple assis au loin, se demandant ce quils pouvaient se dire. Lo sarrta. Thomas Anderson venait de se lever du banc. La jeune femme avait fait de mme. Lo regarda le couple se sparer et partir chacun dans une direction oppose.

Il avait tourn et retourn dans sa tte la raison de cette inversion. Il tait certain quil ne fallait pas y chercher une explication mtaphysique, un sens sotrique mais bien un sens tout pragmatique et psychologique. Il pensait avoir compris ce qui stait pass lpoque de Saunire : celui-ci avait gard pendant des annes le rapport Pilate avec lui, ne sen sparant jamais. Il craignait les voleurs et en particulier des sbires du Vatican qui espraient lui ravir son bien. Cependant, Saunire ne pouvait continuer de conserver le Graal sur lui. Il lavait lu et relu et il dsirait le mettre en lieu sr. Il dcida de le rendre invisible par le principe mme dexposition publique ; la vue de tous, il disparaissait des consciences aveugles et avides de trsors cachs. En grande pompe, Saunire voulait inaugurer un monument qui trnerait sur une place du village, un monument qui servirait de cache en son sein. Ainsi, le Graal deviendrait invisible par la magie du visible. Saunire pensa utiliser la pierre wisigothe, l