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HAL Id: tel-00149169 https://tel.archives-ouvertes.fr/tel-00149169 Submitted on 24 May 2007 HAL is a multi-disciplinary open access archive for the deposit and dissemination of sci- entific research documents, whether they are pub- lished or not. The documents may come from teaching and research institutions in France or abroad, or from public or private research centers. L’archive ouverte pluridisciplinaire HAL, est destinée au dépôt et à la diffusion de documents scientifiques de niveau recherche, publiés ou non, émanant des établissements d’enseignement et de recherche français ou étrangers, des laboratoires publics ou privés. Vivre et survivre dans une Aire d’Environnement Protégé : le cas d’une petite paysannerie de l’APA (Area de Protecao Ambiental) de Guaraquecaba, Parana, Brésil Catherine Dumora To cite this version: Catherine Dumora. Vivre et survivre dans une Aire d’Environnement Protégé : le cas d’une petite paysannerie de l’APA (Area de Protecao Ambiental) de Guaraquecaba, Parana, Brésil. Anthropologie sociale et ethnologie. Université Victor Segalen - Bordeaux II, 2006. Français. <tel-00149169>

Vivre et survivre dans une Aire d’Environnement ... · mim, companheira, amiga, confidente, a gente se identificou bastante, ... minha querida, Xica minha querida vizinha, Niuza

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  • HAL Id: tel-00149169https://tel.archives-ouvertes.fr/tel-00149169

    Submitted on 24 May 2007

    HAL is a multi-disciplinary open accessarchive for the deposit and dissemination of sci-entific research documents, whether they are pub-lished or not. The documents may come fromteaching and research institutions in France orabroad, or from public or private research centers.

    Larchive ouverte pluridisciplinaire HAL, estdestine au dpt et la diffusion de documentsscientifiques de niveau recherche, publis ou non,manant des tablissements denseignement et derecherche franais ou trangers, des laboratoirespublics ou privs.

    Vivre et survivre dans une Aire dEnvironnementProtg : le cas dune petite paysannerie de lAPA (Area

    de Protecao Ambiental) de Guaraquecaba, Parana,Brsil

    Catherine Dumora

    To cite this version:Catherine Dumora. Vivre et survivre dans une Aire dEnvironnement Protg : le cas dune petitepaysannerie de lAPA (Area de Protecao Ambiental) de Guaraquecaba, Parana, Brsil. Anthropologiesociale et ethnologie. Universit Victor Segalen - Bordeaux II, 2006. Franais.

    https://tel.archives-ouvertes.fr/tel-00149169https://hal.archives-ouvertes.fr
  • Universit Victor Segalen Bordeaux 2

    Anne 2006 Thse n1369

    THSE

    pour le

    DOCTORAT DE L'UNIVERSIT DE BORDEAUX 2

    Mention : Ethnologie, option Anthropologie Sociale et Culturelle

    Prsente et soutenue publiquement

    Le 8 Dcembre 2006

    Par DUMORA, Catherine

    Ne le 06 Dcembre 1973 ARCACHON

    Titre de la Thse

    Vivre et survivre dans une Aire d'Environnement Protg :

    Le cas d'une petite paysannerie de l'APA (rea de Proteo Ambiental)

    de Guaraqueaba, Paran, Brsil

    Membres du Jury

    Mme FERREIRA, Angela Duarte Damasceno, Professeur l'Universit Fdrale du Paran.

    Mr BOURDIER, Frdric, Docteur, Charg de Recherche l'IRD.

    Mme CANDAU, Jacqueline, Docteur, Charg de Recherche au CEMAGREF.

    Mr RAYNAUT, Claude, Directeur de Recherche au CNRS. Directeur de Thse.

  • Universit Victor Segalen Bordeaux 2

    Anne 2006 Thse n1369

    THSE

    pour le

    DOCTORAT DE L'UNIVERSIT DE BORDEAUX 2

    Mention : Ethnologie, option Anthropologie Sociale et Culturelle

    Prsente et soutenue publiquement

    Le 8 Dcembre 2006

    Par DUMORA, Catherine

    Ne le 06 Dcembre 1973 ARCACHON

    Titre de la Thse

    Vivre et survivre dans une Aire d'Environnement Protg :

    Le cas d'une petite paysannerie de l'APA (rea de Proteo Ambiental)

    de Guaraqueaba, Paran, Brsil

    Membres du Jury

    Mme FERREIRA, Angela Duarte Damasceno, Professeur l'Universit Fdrale du Paran.

    Mr BOURDIER, Frdric, Docteur, Charg de Recherche l'IRD.

    Mme CANDAU, Jacqueline, Docteur, Charg de Recherche au CEMAGREF.

    Mr RAYNAUT, Claude, Directeur de Recherche au CNRS. Directeur de Thse.

  • A Edna, sempre comigo, Minha companheira de campo, Minha amiga, Meu anjinho. Aos Batuvanos, Para construir um mundo melhor, Respeitando o homem, o lavrador, a sua roa que sustenta a famlia, A sua dignidade.

    No novo tempo, apesar dos castigos Estamos crescidos, estamos atentos, estamos mais vivos

    Pra nos socorrer, pra nos socorrer, pra nos socorrer No novo tempo, apesar dos perigos

    Da fora mais bruta, da noite que assusta, estamos na luta Pra sobreviver, pra sobreviver, pra sobreviver

    Pra que nossa esperana seja mais que a vingana

    Seja sempre um caminho que se deixa de herana

    No novo tempo, apesar dos castigos De toda fadiga, de toda injustia, estamos na briga

    Pra nos socorrer, pra nos socorrer, pra nos socorrer No novo tempo, apesar dos perigos

    De todos os pecados, de todos enganos, estamos marcados Pra sobreviver, pra sobreviver, pra sobreviver

    Pra que nossa esperana seja mais que a vingana

    Seja sempre um caminho que se deixa de herana

    No novo tempo, apesar dos castigos Estamos em cena, estamos nas ruas, quebrando as algemas

    Pra nos socorrer, pra nos socorrer, pra nos socorrer No novo tempo, apesar dos perigos

    A gente se encontra cantando na praa, fazendo pirraa Pra sobreviver, pra sobreviver, pra sobreviver

    Novo tempo

    Ivan Lins & Vitor Martins

  • REMERCIEMENTS

    Mes remerciements vont tout particulirement Mr Claude Raynaut, qui m'a accompagne durant ce long chemin, qui m'a forme au terrain et l'analyse. Il reste encore du chemin faire mais vous m'avez mise sur la voie, je vous en suis trs reconnaissante. Votre comptence, vos remarques, votre accompagnement et votre investissement m'ont permis d'avancer grand pas dans ma formation. J'aperois clairement mes limites mais pourtant le chemin que vous m'avez fait parcourir m'a permis de progresser et d'amliorer considrablement mon approche anthropologique. J'ai l'impression de venir de loin, je sais galement que je n'ai pas toujours t la hauteur de vos attentes, cependant je sais galement que vous percevez mon cheminement avec beaucoup de discernement. Merci pour tout ce que vous m'avez donn. Je n'oublierai jamais ces moments partags Curitiba, les changes, la vie quotidienne, c'tait une priode merveilleuse; Batuva, sur le terrain, les conseils pratiques, et la caipirinha de trop chez Barbosa face la baie, o je vous ai fauss compagnie car le bateau tanguait de trop dans ma tte; au barreado savour Morretes et aux discussions quotidiennes. Merci Bernadette Raynaut galement pour son accueil et pour les petits moments partags dans le salon de l'appartement Curitiba, votre humour et aux rires changs, au fameux dessert mousse de maracuja, que toute bonne matresse de maison sait nous offrir avec tant d'affection. Bernadette votre accueil si chaleureux chez vous et Condat sur Trincou, merci pour tous ces petits moments de bonheur.

    Je suis trs reconnaissante Angela D.D. Ferreira, pour son accompagnement tout au long de mon parcours, pour ses conseils mthodologiques, thoriques, son coute et son aide logistique. Angela,"a me dos seus orientandos", toujours l en toute circonstance pour nous couter, nous recevoir et nous aider qu'il s'agisse du travail, de la vie quotidienne, de la sant, des tats d'me, elle est toujours d'un grand soutien, merci pour ta guidance et ton amiti. Merci l'accueil chaleureux, aux runions autour du caf et des gteaux de l'aprs-midi dans ta jolie maison o l'on se sent si bien. Un grand merci Paulo, pour son accueil, son aide pratique et ses merveilleux churrascos avec une bonne bire bien gele.

    Je remercie la Rgion Aquitaine, et tout particulirement son Prsident Alain Rousset, pour l'appui financier dont j'ai bnfici au travers d'une allocation de recherche, durant les trois premires annes de la thse, me permettant de raliser le terrain dans les meilleures conditions.

    Merci au Doutorado MADE, qui m'a accueillie comme doctorante part entire au sein de la promotion IV. Je tiens remercier tout spcialement Magda Zanoni, pionnire et fondatrice du Doctorat, galement initiatrice du programme de recherche men Guaraqueaba et des projets de dveloppement qui y ont t concrtiss. Son dynamisme et son enthousiasme dbordant m'ont permis de mener bien cette recherche. Merci aux enseignants et plus particulirement Alfio Brandenburg et Dimas Floriani, pour les changes durant les sminaires et en dehors du cadre universitaire, partageant leurs expriences et leurs vcus. A mes collgues et amis de la promotion, avec qui j'ai partag ces trois ans au Brsil, entre mes alles et venues du terrain : Jefferson Rocha, Cristina Teixeira, Zilna Domingues, Manuy Chang et Guadalupe Dias Vieira, ma collgue et amie gographe et cordon bleu hors pair, avec qui j'ai pass les premiers mois de terrain parcourir l'ensemble du municipe, et dont l'amiti a travers les difficults, les tensions du terrain, et l'ocan. Enfin je tiens remercier Cassia et Iolanda, pour leur accueil, et leur disponibilit, et tous les autres professeurs dont Professeur Naldy pour son aide au dbut de mon terrain.

    Parmi les collgues, compagnons de route et amis, je tiens tout particulirement remercier et runir mes meilleures penses Edna Francisco, nous avons partag un mme terrain, une mme passion pour l'tude et la comprhension du mode de vie des petits

  • agriculteurs familiaux de la valle, nous avons partag la mme maison, et les changes thoriques, mthodologiques ont t des moments de plaisir intense. Os "nossos insights" Edna, vo ficar para sempre na minha memoria, et puis nos doutes, nos dsirs sur la vie, sur l'amour, sur l'avenir Sempre falei para voc vive, vive plenamente a tua vida, tu tem direito a ser feliz, aproveite a tua vida, eu lembro ainda essa frase que voc me retorno depois "A gente merece ser feliz, amada como a gente quer e precisa ser amada, respeitada". se eu souber o que ia acontecer eu ia dizer mais ainda : no minha querida voc no era egosta bem pelo contrario, voc muito generosa, s o teu sorriso dava tanta coisa, tua doura, simplicidade, tua escuta pelo outro. No voc no era mandona, controladora, voc sabia o que voc no queria, e um pouco o que voc queria, eles no souberam te entender e enxergar essa menina que estava dentro de ti, uma criana cheia de alegria, de vida, de paixo para conhecer o mundo, os outros. A Edna, como eu sinto saudade, como voc era importante para mim, companheira, amiga, confidente, a gente se identificou bastante, nervosinhas s vezes mas querendo tanto viver e descobrir coisas novas. Agora voc me acompanha sempre, ou quase, voc meu anjo. No nada acadmico, terico, metodolgico, mas esses ltimos tempos, quantas vezes te pedi ajuda para eu conseguir escrever melhor, ter os insights, mais puxa ainda no estou ouvindo as vozes dos anjos, e parece que na verdade voc est aqui para me dar fora; mas para me ajudar a escrever ai outra coisa, o problema meu, meu cargo, minha tarefa... Obrigada por tudo querida, foi um prazer imenso ter te conhecido e partilhado um pouco esses momentos, fofos, meu anjo. Anjos vivem no cu mesmo, no vivem na terra, assim que eu explico e que eu consigo me conformar com a sua perda.

    Un grand merci Eleusis et Nilson, Laura et Luiz, Filo et Mana, Arilson et Graziela, Tatiana et Duda, Joo, Gerson et Adriana, Clo, Clao, Ci, Xuxu, Janise, Jaci et Jaime, Vera et Fabio, Izolda, Dina, Claudia, Anglica et Esau. Aux habitants de Batuva, de Rio Verde et de Guaraqueaba, qui m'ont ouvert leur porte, m'ont accueillie, m'ont offert le gte et le couvert, m'ont supporte Et tout particulirement Maria Antnia Da Silva Borges qui je souhaite un bon rtablissement : Querida Maria Antnia, voc esta no meu corao sempre, junto com Edna vocs eram minhas confidentes, companheira de campo e minhas amigas queridas a quem sempre penso mesmo longe, mesmo sem noticias, sonho em nossos encontros futuro, na alegria de te rever, sonho no que eu faria para voc se eu fosse rica, ou sem ser rica se eu tiver muito dinheiro. Porque no tem jeito para sair das condies difceis da vida material precisa de dinheiro. Querida Maria Antnia, logo, logo eu venho te ver.

    A Dona Maria Soares Dias, minha av querida, adorei passar tanto tempo com voc, ouvir voc me contar a vida no Batuva, o historia do lugar, a historia do trabalho, do servio como voc fala "ela quer entender o servio da gente", da roa, do tempo de antes como se fazia nas regras, e do tempo de hoje que se perdeu o jeito certo de fazer. Dona Maria a senhora linda, maravilhosa, eu amo voc e toda sua famlia to acolhedora. No meu corao eu fao parte da sua famlia. Obrigada a famlia Dias (no vou enumerar os nomes seno no vou acabar e posso esquecer), A Mario e Maica, Servino e Marina, Tinha e Muchinha, Ivanira minha querida, Xica minha querida vizinha, Niuza e Haroldo, Dirceu, Nica e os filhos, Diones, Junior, Ngo, os trs gatos do Batuva que me ajudaram muito (Oups desculpa no tem que dizer), vocs me agentaram, parabns, indo l no centro, l na roa : mas o que, que essa mulher est querendo, se convidando toda hora para comer, sempre eu chegava bem na hora do almoo, do caf e eu comia aqueles pratos gostosos, sem vergonha que eu sou.... Muito obrigada a vocs. A Pedro e Delfina, e toda a famlia adorei tambm passar esses tempos com vocs. A Leonel e Maria Olinda, eu gostaria mesmo ter ficado mais tempos com vocs, ao Abilio e Maria, por todas essas conversas interessantes.

  • A Eva, Nelson, e os filhos tambm para me agentar tanto, "ich" como eu gostei da comida da Eva, de tudo que ele tinha para me ensinar, sobre a vida, o quintal, cuidar das coisas. A Nica e aos seus filhos, eu j falei, bom mais um pouco, para ter me acolhido, me der at o seu quarto para dormir, a todos esses momentos partilhados. Eu no esqueo o Benedito, muito obrigada pela ajuda pelo acolhimento, eu agradeo muito, voc muito generoso e foi muito generoso comigo.

    A meus vizinhos do Batuva, a Zoraide, querida, que sempre vinha perguntar se estava tudo bem, e a querida Priscila, que vinha me trazer uns presentes, me ajudar no meu trabalho, fofinha, linda, a Cristiane, Alessandra e Osias, mais tmido e muito fofo tambm. A Dona Alzira e Seu Deco, para as noites de conversas na frente do fogo a lenha, no acolhimento na sua casa em Canania. Vocs so maravilhosos, muita fora e sade para vocs.

    A Cuatinha e Doracino, muitos beijos, e fora, eu penso em vocs. A Sidnei e Marcia, com quem me identifiquei muito, o casal jovem, tranqilo. Adorei

    conversar com vocs, vocs so lindos. A Dona Olga, Durvalina, seu Arzemiro, obrigada pelas conversas, pelo acolhimento tambm, muita fora, sade, e paz. Penso muito em vocs. Obrigada tambm a Neuzi pelo carinho, a Irzo, Pedrina, Sidinilson pelos papos.

    A Diniz e Leozilda, pelas conversas ricas que eu tive com vocs, pela historia to bem contada, pelo carinho. A Eloi e Leonete tambm pelo chimarro partilhado na varanda, pelos papos e pelo leite e os queijos gostosos.

    Em fim aos meus compadres, Ozenir e Isabel, tantas saudades, obrigada pelo carinho, obrigada por me ter dado a oportunidade de entrar na famlia de forma to linda, era muito emocionante, beijos aos baixinhos, meu afilhado, Alessandro e Ariel "Dida". Enfin mes amis en France et au Brsil, et un grand merci ma famille pour leur soutien, la confiance, la force qu'ils m'ont donne. Un grand merci Nathalie Dem et Marianne Brient pour leur relecture et les corrections finales, ainsi que pour leur rconfort tout particulirement dans les derniers moments de l'aventure. Merci Annick Tijou-Traor, Isabelle Gobatto et Rachel Besson, pour leur aide et leur soutien dans la dernire ligne de la rdaction, pour leur coute et leurs conseils. Au laboratoire ADES-SSD, je tiens encore remercier Frdric Thion, Charles Cheung, Maryse Gaimard et Guy Di Mo, pour leur aide la ralisation de la thse.

    A Denise et Pierre qui ont toujours eu leurs meilleures penses qui m'ont accompagnes, pour ma russite, qui ont accueilli Duda comme un petit-fils, avec beaucoup de tendresse et de respect.

    A ma petite maman enfin, qui m'a toujours soutenue dans cette aventure, qui m'a fait confiance, m'a coute dans les moments difficiles de doute, ma confidente de toujours.

    Enfin mes anges : Edna et Pap Tieno. Et Duda, merci de m'avoir supporte, aide, encourage, d'avoir valoris mon travail

    chaque instant. Ton soutien chaque jour m'a permis de tenir le cap.

  • SOMMAIRE INTRODUCTION 1

    CHAPITRE 1 : LE PARAN : UNE GOGRAPHIE CONTRASTE, UNE ACCLRATION RCENTE DE L'HISTOIRE 44

    1. LE CADRE GOGRAPHIQUE 45 a) Le clivage entre la rgion littorale et les hautes plaines 45 b) Un climat contrast 48 c) Le vestige d'une fort disparue 49 2. LES GRANDES TAPES DU PEUPLEMENT 53 a) Un littoral trs tt dcouvert 53 b) La naissance de l'Etat du Paran 59 c) Le temps des grands flux migratoires 60 3. QUELQUES REPRES DANS L'HISTOIRE CONOMIQUE ET AGRICOLE DU

    PARAN 66 a) Le rve phmre de l'or 66 b) La fort, source diversifie de richesses 67 c) Une position centrale sur les voies de circulation du btail 67 d) L're du bois et du caf : La transformation radicale d'un paysage 69 e) L'essor d'une grande agriculture industrielle 70 4. LES ENJEUX CONTEMPORAINS DANS LE MONDE RURAL 73 a) Les politiques publiques dans le domaine agricoles 73 b) Les politiques publiques sociales compensatoires 79 c) La question foncire : une problmatique centrale au Brsil 80 d) La dfense de la Mata Atlntica : naissance de l'enjeu environnemental 88 e) La dfinition des Aires Protges au Brsil : de l'absence la participation des populations locales 99

    CHAPITRE 2 : GUARAQUEABA : UNE REALIT GOGRAPHIQUE SINGULIRE AU SEIN DU LITTORAL DU PARAN 104

    1. LE LITTORAL DU PARAN : HTROGNIT DE L'ESPACE RGIONAL ET POLARISATIONS CONOMIQUES 104

    a) Un milieu naturel diversifi 105 b) La polarisation maritime : facteur structurant de l'conomie locale 107 c) La population du littoral : des racines anciennes, une volution rcente 112 d) Exemplarit de Guaraqueaba 116 2. LE MUNICIPE DE GUARAQUEABA : UNE RALITE GOGRAPHIQUE

    DIVERSIFIE 117 a) Une topographie mouvemente 118 b) Une fort aux facis htrognes 122 c) Un espace cloisonn 125 d) Une occupation humaine clate, des quipements collectifs prcaires 127 e) Une socit rurale diffrencie 134

    CHAPITRE 3 : GUARAQUEABA : ENTRE OUBLI ET EXCS D'INTRT : UNE HISTOIRE MOUVEMENTE 141

    1. 1730-1888 : LA MISE EN PLACE D'UNE SOCIT AGRAIRE DIFFRENCIE (ESCLAVAGISTES ET PAYSANNERIE) 142

    2. 1888-1930 : LES BOULEVERSEMENTS D'UNE SOCIT AGRAIRE ET SON RAPPORT AU MILIEU NATUREL 147

    3. 1930-1960 : CRISE ET CHANGEMENTS DANS LES MODES D'EXLOITATION DU MILIEU COMME RPONSE A LA CRISE 153

    4. 1960-1980 : REGAIN D'INTRT POUR UNE RGION EN DCLIN, GRAVES MENACES SOCIALES ET ENVIRONNEMENTALES 158

    5. 1980-2000 : MERGENCE ET DVELOPPEMENT DE LA QUESTION ENVIRONNEMENTALE 164

  • CHAPITRE 4 : LA SOCIT RURALE DE GUARAQUEABA ET SA DIVERSIT 180 1. LA POPULATION DES COMMUNAUTS AGRICOLES DE GUARAQUEABA :

    CARACTRISTIQUES GNRALES 181 a) Les donnes dmographiques 183

    (1) La distribution par sexe et par ge 184 (2) Composition et structure des mnages 186 (3) La mobilit de la population 187

    b) Les caractristiques socio-conomiques 189 c) Les agriculteurs et leurs activits productives 197 2. UN PROFIL DIVERSIFI DE LA POPULATION RSIDENTE DES DIFFRENTES

    COMMUNAUTS RURALES DE GUARAQUEABA 203

    CHAPITRE 5 : BATUVA ET SA VALLE : UN CONDENSE DE L'HISTOIRE RCENTE DE GUARAQUEABA 219

    1. LA VALLE DU RIO GUARAQUEABA, POINT FOCAL DES CONFLITS D'USAGE DE LA FORT 222

    a) L'avant-garde d'une offensive de plus grande ampleur 227 b) Mainmise sur la valle 228 2. LES ENJEUX DE LA PROTECTION, L'ARRT DONN A L'EXPANSION ET LE

    RENFORCEMENT DU CONTRLE POLICIER 238 3. LA PRIODE CONTEMPORAINE : INTRTS SCIENTIFIQUES ET PROJETS DE

    DVELOPPEMENT 248

    CHAPITRE 6 : BATUVA ET LA VALLE : CADRE DE VIE ET PEUPLEMENT 252 1. PREMIER REGARD SUR LA VALLE DU RIO GUARAQUEABA 252 2. UNE POPULATION AGRICOLE SOLIDEMENT ANCRE DANS SON ESPACE DE

    VIE 259 3. LE PEUPLEMENT DE LA VALLE : UNE HISTOIRE DE FAMILLES 267 a) Amrico Pontes : figure de l'anctre fondateur 268 b) Un peuplement par vagues successives 271

    CHAPITRE 7 : LES RELATIONS FAMILIALES, LMENT STRUCTURANT DE LA VIE SOCIALE 286

    1. L'INSCRIPTION DANS L'ESPACE ET LE CONTRLE DU FONCIER 288 2. LES RELATIONS DE FILIATION. JUSQU'A QUEL POINT PEUT-ON PARLER DE

    LIGNAGES PATRILINAIRES ? 297 3. LE RSEAU COMPLEXE DES ALLIANCES MATRIMONIALES 305

    CHAPITRE 8 : LES DIVERSES FACETTES DE LA SOCIABILIT 317 1. LA SOCIABILIT DANS LES PRATIQUES AGRICOLES 319 a) Le mutiro et ses modifications 319 b) L'change de jour de travail 322 c) L'change de semences 326 2. LA SOCIABILIT AU QUOTIDIEN 328 a) La sociabilit autour de la maison, de l'alimentation et du jardin potager 329 b) La sociabilit autour des moulins farine et des fours de cuivre 336 c) Les lieux de rencontre 341 d) Solidarit et mobilit des familles 3. LA SOCIABILIT AU SEIN DES GLISES 347 4. LES FORMES D'ORGANISATION FACE AUX ENJEUX CONTEMPORAINS 358 a) L'association des habitants et des producteurs du hameau 359 b) Le conseil de l'APA 372

  • CHAPITRE 9 : LES FORMES D'APPROPRIATION DES RESSOURCES ET LES ACTIVITS LIES A L'AUTOSUBSISTANCE 375

    1. LES FORMES D'APPROPRIATION FONCIRE 378 2. LES CONDITIONS D'EXPLOITATION DES RESSOURCES 389 a) Les cultures vivrires 389

    (1) La culture du riz 391 (2) La culture du haricot 400 (3) La culture du manioc 405

    b) Les jardins de case ou jardins potagers, vergers et simples 406 c) La pche et la chasse 413

    CHAPITRE 10 : LES ACTIVITS GNRATRICES DE REVENUS 430 1. AUTOUR DE L'EXPLOITATION AGRICOLE 431 a) La banane 432 b) Le manioc 439 c) La culture du palmier 442 d) Les autres productions agricoles qui font l'objet d'une commercialisation 449 e) Les travaux agricoles rmunrs 454 f) Les sources de revenu lies l'levage 457 2. LA COLLECTE EN FORT ET LA CUEILLETTE 462 a) La collecte du cur de palmier 462 b) L'exploitation du bois 468 3. LES EMPLOIS SALARIS 474 4. LES RETRAITES, PENSIONS ET LES BOURSES 475 5. LES AUTRES ACTIVITS DE COMMERCE 476 6. LES TYPES DE SITUATIONS RENCONTRES 477

    CHAPITRE 11 : L'EXISTENCE AU QUOTIDIEN, PERSPECTIVES D'AVENIR ET STRATGIES SOCIALES 489

    1. CONSOMMATION ALIMENTAIRE : PRODUCTION-ACHAT 490 a) Les denres de bases pouvant faire l'objet d'une production agricole 491 b) Les denres non produites sur place 522 c) Rpartition des denres consommes produites et achetes 526 2. LES AUTRES DPENSES : L'HABILLEMENT, L'HYGINE, L'NERGIE, LES

    OUTILS, LE TRANSPORT 532 3. REPRSENTATIONS ET STRATGIES POUR L'AVENIR 542

    CONCLUSION 553

    BIBLIOGRAPHIE 566

    LISTE DES TABLEAUX 578

    LISTES DES FIGURES 580

    GLOSSAIRE 582

    ANNEXES 583

  • INTRODUCTION

    Le dveloppement durable est devenu au cours des vingt dernires annes une notion

    familire qui est rgulirement rapporte dans l'actualit journalistique, dans les programmes

    politiques ainsi que dans les discours des organismes internationaux de dveloppement. Elle

    nourrit en France et l'tranger les discussions sur l'avenir de l'humanit et de la plante. Elle

    est brandie par les acteurs les plus divers comme une rponse aux erreurs du dveloppement

    conomique nolibral, aux impacts sur l'environnement et l'puisement des ressources

    naturelles. On repre cependant le caractre quivoque de cette notion si diffuse aujourd'hui

    qu'elle en perd toute signification pour devenir trs souvent un prtexte, un slogan, ou plus

    largement "un consensus politique tactique entre acteurs aux ides opposes" (HUFTY,

    2006 : 163).

    C'est autour de l'emblmatique Rapport Brundtland (1987), largement repris lors de la

    confrence sur l'environnement et le dveloppement de Rio en 1992, que la dfinition et les

    objectifs de cette notion sont tablis :

    "Le dveloppement durable est un dveloppement qui rpond aux besoins du prsent sans compromettre la capacit des gnrations futures de rpondre aux leurs. Deux concepts sont inhrents cette notion :

    - Le concept de "besoins", et plus particulirement des besoins essentiels des plus dmunis, qui il convient d'accorder la plus grande priorit, et

    - L'ide des limitations que l'tat de nos techniques et de notre organisation sociale impose la capacit de l'environnement rpondre aux besoins actuels et venir." (Ibid, 1988 pour la traduction franaise : 51)

    Une des priorits est donne aux besoins des plus dmunis et la capacit de

    l'environnement rpondre aux besoins contemporains et pour les gnrations futures.

    Dans les pays du Sud, mergents ou en dveloppement, la protection

    environnementale par la cration d'aires protges, conduit l'utilisation du concept de

    dveloppement durable afin d'assurer la permanence des populations locales trs souvent

    prsentes dans les zones protger, ou soumises la planification de telles aires.

    Comment se traduit alors concrtement le dveloppement durable pour les populations

    qui habitent depuis des gnrations dans des espaces nouvellement patrimonialiss, ou dans

    des aires protges cres depuis une vingtaine d'annes ?

    - 1 -

  • L'tude des relations que les socits entretiennent avec le milieu o se droule leur

    existence et dont elles tirent leur subsistance constitue un des thmes rcurrents de

    l'anthropologie. Dans la continuit de l'tude de l'interface socit-nature, l'anthropologie peut

    contribuer la rflexion autour du concept de dveloppement durable, dans la perspective de

    la protection de l'environnement, et de la permanence des populations locales.

    Il existe une multiplicit de dfinitions du dveloppement durable depuis la premire

    laboration du concept par Brundtland (Ibid, 1987). Pour tre pertinent et permettre de faire

    progresser le dbat, un travail de thse en anthropologie ne peut pas prtendre embrasser

    toutes ces dfinitions. Il doit partir de l'une d'elles et tudier, partir d'une ralit concrte, ses

    implications pour les diffrents acteurs auxquels elle s'applique. Celle sur laquelle je souhaite

    travailler met l'accent sur la fragilit de certains cosystmes qui, par leur biodiversit, sont

    des lments d'un patrimoine commun de l'humanit. Autour de ce constat, se dveloppent

    des images de "nature-mre" qu'il faut dfendre, d'quilibre perdu retrouver, et celles-ci

    inspirent des stratgies de dveloppement durable qui privilgient la protection des espaces

    naturels, souvent aux dpens des groupes humains qui tirent leur existence de ces espaces

    (RAYNAUT et Al., 2000).

    L'objectif de ce travail est de contribuer, avec les outils de la discipline et sur des

    objets de recherche qui entrent dans son champ d'analyse, une rflexion sur une situation

    concrte dans laquelle diffrents acteurs publics et privs, se rclament de la notion de

    dveloppement durable pour appliquer une politique de protection d'un milieu naturel fragile,

    bouleversant ainsi en profondeur les relations que les populations locales entretiennent avec

    les cosystmes dont ils tirent de longue date les moyens de leur survie. A partir du rsultat de

    recherches de terrain, il s'agit donc de contribuer une rflexion d'ensemble sur la notion de

    "dveloppement durable" et, plus largement, aux discussions sur l'apport de l'anthropologie

    l'tude des relations socits/nature.

    Cette recherche s'inscrit dans le cadre d'un programme interdisciplinaire men par le

    Doctorat Meio Ambiente et Desenvolvimento de l'Universit Fdrale du Paran (UFPR,

    Brsil) en collaboration avec l'quipe de recherche "Socits, Sant, Dveloppement" de

    l'UMR CNRS ADES-SSD/Bordeaux 2. Ce programme, entam en 1999, porte sur le thme

    "Dveloppement durable et protection de la nature : Histoire des changements sociaux et des

    transformations de lusage des ressources naturelles au XX sicle dans la rgion littorale

    nord du Paran". L'objectif de ce programme est d'tudier les dynamiques d'volution des

    - 2 -

  • formes d'occupation et d'exploitation du dernier vestige important de la Mata Atlntica

    (cosystme en voie de disparition et class de ce fait comme Patrimoine de l'Humanit par

    l'UNESCO) et danalyser les implications de la politique qui est applique localement au nom

    des principes du "dveloppement durable". Dans ce cadre, la recherche spcifique en

    anthropologie consiste dcrire et analyser les savoirs et les modes d'usage des ressources

    naturelles, ainsi que les stratgies de reproduction matrielle et sociale de la population

    paysanne implante dans la Mata Atlntica du littoral du Paran.

    Une des lignes du programme de recherche men par le Doctorat Environnement et

    Dveloppement (MADE), Chaire UNESCO du dveloppement durable, dans le cadre de sa

    4me promotion, traite plus particulirement : des Systmes sociaux, techniques et naturels en

    Zones Rurales, sur le thme : Dveloppement durable et prservation de la nature en Zones

    d'Environnement Protg : Permanence et changement dans les domaines sociaux et naturels,

    le cas du littoral nord du Paran (Programme du littoral nord) . Le choix s'est port sur l'aire

    protge APA (Area de Proteo Ambiental) de Guaraqueaba et l'attention toute particulire

    l'tude de l'agriculture familiale.

    La rgion se caractrise par la prsence d'un des derniers vestiges de la fort atlantique

    du Brsil qui abrite une socit constitue majoritairement de petits agriculteurs et de

    pcheurs qui rencontrent de srieuses difficults socio-conomiques. L'aire protge APA se

    trouve face un dilemme dans la conciliation entre la protection environnementale et le

    dveloppement durable.

    Cr en 1993, le programme du Doctorat Environnement et Dveloppement de l'UFPR

    se consacre particulirement la formation doctorale. Il a pour objectif gnral de former des

    professionnels qualifis pour identifier, analyser et valuer les problmes environnementaux

    rsultant du processus de transformations conomiques et sociales, et de promouvoir

    l'interaction de professionnels dj spcialiss (titulaires d'un master dans diverses disciplines)

    et dj engags sur des thmatiques de l'environnement et du dveloppement. Les principes

    qui inspirent cette formation ont t exposs dans plusieurs textes de rfrence (RAYNAUT et

    Al., 2002 : 25-34; ZANONI, RAYNAUT, 1994 : 143-165; ZANONI, RAYNAUT,

    MENDOCA, 2005).

    Nous allons les rsumer ci-dessous pour camper le cadre thorique et mthodologique

    dans lequel sinscrit cette thse.

    - 3 -

  • PROBLEMATIQUE GNRALE

    La problmatique environnement/dveloppement se rvle tre d'une grande actualit

    dans le contexte brsilien.

    Aujourd'hui, alors que simposent la notion et l'action au nom des "droits des peuples

    indignes", la population paysanne du littoral du Paran doit tre prise en compte. Une

    recherche anthropologique axe sur cette socit nous apparat ncessaire tant en ce qui

    concerne une meilleure connaissance de cette population, de son rapport au monde et la

    nature environnante, quen ce qui concerne la comprhension globale des enjeux qui se tissent

    dans ce contexte singulier.

    Avant de prsenter la problmatique de ma recherche mene dans le cadre du doctorat,

    il convient pralablement d'expliciter la problmatique du programme de recherche

    interdisciplinaire au sein de laquelle est intgre mon tude.

    L'interdisciplinarit, qui s'est dveloppe depuis plus d'une trentaine d'anne,

    particulirement sur les questions de l'environnement, est de plus en plus sollicite dans les

    recherches scientifiques. Pourtant le cheminement dans la pratique du projet interdisciplinaire

    n'a pas t sans embche pour dpasser les frontires des disciplines entre les sciences de la

    nature et les sciences sociales, tel que l'explique JOLLIVET en 1992 dans "les passeurs de

    frontires". L'exigence de l'approche interdisciplinaire dans l'tude des relations

    socits/nature repose sur une dmarche scientifique et mthodologique et sur une pratique de

    recherche dont les modalits et les moyens ne sont pas uniformiss et qu'il s'agit de construire

    en fonction de l'objet d'tude, d'une problmatique ainsi qu'en fonction des personnes

    engages dans la recherche interdisciplinaire (RAYNAUT et Al., 2002). L'interdisciplinarit

    ne signifie pas en finir avec les disciplines, c'est au contraire une pdagogie d'enseignement,

    une pratique o chaque discipline a sa place et sa spcificit venant enrichir la rflexion dans

    l'interaction avec les autres disciplines.

    La pratique de l'interdisciplinarit telle qu'elle est mene au doctorat MADE se

    construit progressivement :

    "Identifier la question exacte laquelle chaque discipline puisse rpondre avec ses comptences spcifiques () organiser la recherche interdisciplinaire en dfinissant la faon travers laquelle vont s'articuler les diffrents travaux des spcialistes, les cadres de rfrences communs (en termes d'chantillons, d'chelles d'analyse, de temporalit) grce auxquels ils peuvent se runir et confronter les rsultats, que chacun a obtenu dans son champ (ou terrain) et par ses mthodes spcifiques. Il est souhaitable, et normalement possible, qu'au moins une opration commune runisse les diffrents chercheurs autour d'un travail de collecte de donnes." (RAYNAUT, 1996 : 26)

    - 4 -

  • La construction d'un programme interdisciplinaire telle qu'elle est mene au doctorat

    MADE s'inspire de programmes de recherche mens en Afrique par Claude RAYNAUT dans

    les annes quatre-vingt. Elle s'appuie tout d'abord sur une aire gographique commune

    comme point de dpart du travail collectif sur "l'tude d'une ralit concrte, formant un

    mme univers de rfrence". Ce point de dpart est primordial pour la cohrence des

    observations faites par les diffrents chercheurs ainsi que dans la relation entre les objets

    tudis. Cependant comme le souligne C. RAYNAUT, "une rflexion thorique gnrale sur

    l'interdisciplinarit n'est pas ncessairement territorialise". Dans le cadre d'un programme

    de recherche, le dfi scientifique consiste identifier, mesurer, les relations entre plusieurs

    variables normalement utilises par des disciplines diffrentes partir d'une aire gographique

    commune, en tant que pratique concrte d'interdisciplinarit (Ibid : 26). Il ne suffit pas, pour

    autant, de runir plusieurs disciplines sur une aire gographique commune, il est ncessaire de

    mettre en place une mthodologie permettant de construire une problmatique commune et

    des programmes de recherche en lien avec les problmes locaux, servant de cadre

    d'articulation pour les diffrents travaux de thses (Ibid). Afin d'y parvenir, la premire tape

    consiste raliser un diagnostic initial par la collecte de donnes afin d'identifier les

    problmes et l'existence de situations de tensions entre dveloppement et environnement. A

    partir de l, une rflexion s'organise autour des relations entre les systmes sociaux et les

    systmes naturels, dans une perspective d'tude des dynamiques sociales et biologiques, qui

    s'intgre dans le cadre de la formation doctorale. Ce diagnostic sert ensuite de base la

    conception et la formulation des programmes de recherche, l'laboration d'une

    problmatique gnrale ainsi qu' la formulation des projets de thse de chaque tudiant en

    fonction de sa discipline et de ses aspirations.

    Il s'ensuit la construction d'un schma d'interactions entre les problmes formuls et

    l'articulation des projets de recherche, chaque tudiant visualisant ainsi, au sein des diffrents

    aspects du programme, son angle d'approche dans le programme commun ; travers

    notamment les apports de sa propre recherche, comme les contributions des autres recherches

    individuelles. Paralllement, ces travaux de thse, et tout au long de la formation doctorale,

    des recherches collectives sont menes plusieurs niveaux : historiques, collectes de donnes,

    description de la socit et de la population, fournissant ainsi un cadre de rfrence commun

    tous les travaux (Ibid). Les rsultats de ces travaux collectifs sont ensuite rinsrs dans les

    thses individuelles selon les sujets abords, permettant alors la confrontation et l'articulation

    des diffrentes informations. Enfin, des sminaires rguliers sont raliss afin de prsenter

    l'avance des recherches personnelles, de mettre en commun des rsultats et des analyses,

    - 5 -

  • changer des ides, des analyses, pour que chacun puisse rutiliser les informations et les

    analyses dans sa propre recherche, enrichissant le travail individuel par des angles croiss et

    multiples, par des approfondissements.

    Les sminaires de la 4me promotion ont permis d'tablir une discussion thorique et

    mthodologique partir de recherches bibliographiques, de donnes rcoltes collectivement,

    d'entretiens. Le travail interdisciplinaire ainsi produit a consist laborer une problmatique

    gnrale, et servir d'instrument pour la ralisation des thses individuelles.

    Le thme gnral du programme de recherche sur le rural se centre sur l'tude des

    dynamiques des transformations sociales, techniques et conomiques de la petite agriculture

    familiale, questionnant les perspectives de sa permanence comme ralit sociale et culturelle

    et comme forme de production. L'analyse de ces dynamiques doit prendre en considration

    l'volution de la relation avec l'environnement ainsi que les articulations avec le contexte

    conomique et sociopolitique plus large. Deux tudes de cas ont t dveloppes par la suite :

    l'une dans la Rgion Mtropolitaine de Curitiba et l'autre dans l'Aire d'Environnement

    Protge (APA) de Guaraqueaba.

    Les recherches empiriques cherchent contribuer une rflexion critique sur la notion

    de dveloppement durable applique dans le cadre spcifique de l'articulation entre des

    politiques de protection de la nature et des politiques de dveloppement. L'objectif

    mthodologique tente partir d'une tude de cas illustrative (APA de Guaraqueaba) de

    construire un modle d'analyse applicable des situations diverses.

    La question de la durabilit doit tre aborde partir d'une analyse des interrelations

    entre les dynamiques sociales et les dynamiques environnementales. Il existe une relation

    dialectique entre la reproduction et le changement. Chaque systme (naturel et social) cherche

    maintenir une certaine permanence dans ses proprits fondamentales, en mme temps qu'il

    se transforme constamment : soit en fonction de ses propres contradictions internes, soit en

    fonction d'impacts et d'influences externes. La dimension de la temporalit, l'articulation entre

    l'histoire sociale et l'histoire naturelle, constitue alors un important rvlateur dynamique entre

    social et naturel. Le "local" et le "global" sont ici troitement lis. On ne peut pas comprendre

    une ralit locale sans tenir compte des facteurs lis l'univers social, conomique, et

    politique plus ample, et vice versa.

    Il s'agissait alors de dfinir un cadre de questionnement commun qui oriente la

    recherche de complmentarit entre les travaux individuels et qui permette d'identifier les

    recherches communes raliser, s'inscrivant dans la continuit de la problmatique gnrale

    du programme du littoral, des travaux dj dvelopps par les promotions prcdentes,

    - 6 -

  • comme des rsultats et instruments de travail dj raliss lors des recherches antrieures

    (recensement sociodmographique, analyse d'images satellites, cartographie) et enfin d'ouvrir

    l'quipe de recherche des participations et contributions extrieures.

    La problmatique gnrale commune s'organise ainsi autour de quelques questions

    labores au cours des sminaires de recherche de l'quipe :

    - Quels sont les changements et les permanences d'ordre culturel, social, technique et

    conomique qui ont marqu les conditions de vie des petits agriculteurs familiaux au

    cours du XX sicle, en lien l'usage des ressources naturelles ?

    - Paralllement, quels sont les changements et les permanences qui ont marqu la

    configuration des milieux physico-naturels durant la mme priode ?

    - Quels ont t les divers acteurs sociaux (institutionnels, privs, locaux, externes, etc.)

    qui ont dvelopp des actions en lien avec l'usage des ressources naturelles ? Quelles

    ont t leurs stratgies ? Comment s'est exprime l'action des petits agriculteurs

    familiaux avec celles des autres acteurs ?

    - Dans quelle mesure les stratgies des diffrents acteurs peuvent-elles tre analyses

    comme un ensemble rassemblant diverses dimensions matrielles et immatrielles :

    adaptation aux possibilits et aux restrictions environnementales, ajustements

    techniques lis l'articulation au march, objectifs de reproduction matrielle et

    sociale, dimensions culturelles : reprsentations, savoirs, valeurs et modles culturels ?

    - Quelles ont t les interactions entre les permanences et les changements associs

    l'action des diffrents acteurs sociaux, les volutions observes dans l'environnement

    local : changements induits par l'usage humain, dynamiques naturelles de

    rcupration, restrictions dans l'usage cres par les changements environnementaux ?

    Comment ces interactions s'articulent dans l'organisation d'un territoire ?

    - En quoi les changements dans l'histoire locale des relations avec l'environnement

    peuvent-ils tre mis en lien avec des facteurs, des influences, des pressions provenant

    de sphres d'actions plus globales : politiques publiques, actions d'acteurs externes,

    volution du march rgional, national, international ?

    A partir de ce cadre de questionnements autour des changements et des permanences tant

    sociaux qu'environnementaux, on cherche repenser la notion de durabilit de la petite

    agriculture familiale et penser ses volutions futures.

    - 7 -

  • - 8 -

    C'est partir de cette problmatique gnrale que les projets individuels et les travaux

    collectifs ont t construits.

    Ainsi se rpartissent les recherches individuelles au sein du doctorat :

    - Jefferson ROCHA, conomiste a tudi plus particulirement les logiques des

    politiques de dveloppement rural dveloppes dans l'APA.

    - Man Yu CHANG, galement conomiste, s'est concentre sur l'tude des

    dimensions politiques, socioconomiques et cologiques des projets de puits de

    carbone mis en place par l'ONG SPVS (Socit de Recherche sur la Vie Sauvage

    et l'Education l'Environnement).

    - Zilna DOMINGUES, ingnieur forestier, a travaill sur l'histoire du couvert

    vgtal et forestier.

    - Cristina TEIXEIRA, sociologue, a tudi la construction sociale de la protection

    environnementale, les reprsentations des acteurs politiques.

    Dans le cadre de recherches menes par d'autres tudiants en master et en doctorat

    l'extrieur du doctorat MADE :

    - Jane CHEREM, anthropologue, a men une tude sur la mmoire de la population

    locale, en tudiant une communaut rurale : histoire de vie, lgendes, etc., dans le

    cadre de son DEA.

    - Edna FRANCISCO, sociologue, a tudi l'agriculture familiale sous l'angle des

    stratgies de reproduction de leur mode de vie, dans une communaut rurale,

    galement pour son DEA.

    - Claudia SAMPAIO, agronome, s'est concentre sur l'tude des stratgies de

    reproduction de l'agriculture familiale, dans le cadre de sa thse en Ingnierie

    Agricole.

    - Priscilla LAULAN, biogographe, a travaill sur l'volution des modes d'usages et

    la transformation du couvert forestier, pour son DEA.

    - Eduardo BRITTO SANTOS, sociologue, a men une tude sur le thme de la

    reproduction sociale de l'agriculture familiale dans un hameau rural.

    Je serai amene, tout au long de cette tude, faire rfrence ces diffrents travaux

    mens au sein du programme de recherche interdisciplinaire. L'articulation des travaux de

    thses individuelles, de masters et des recherches collectives (histoire agraire, des conflits

    fonciers, etc.) est reprsente dans le schma suivant :

  • - 9 -

    FIGURE 0 : CADRE TOPOLOGIQUE D'ARTICULATION ENTRE LES RECHERCHES

    Source : RAYNAUT, 2001. Sminaire Doctorat MADE, UFPR.

    SYSTEME SOCIAL LOCAL

    Grandes volutions du systme agraire local :

    changements conomiques, changements

    techniques, nouveaux intervenants

    Analyse des bases familiales du fonctionnement des

    communauts paysannes locales : volution des rseaux de parent

    comme cadre de sociabilit. Analyse des stratgies de

    reproduction sociale et matrielle des agriculteurs familiaux

    Stratgies conomiques des acteurs externes (tat, agents privs, ONG). Impact sur les

    grands dterminants de la situation locale : valorisation des

    ressources naturelles, foncier, filires commerciales

    Analyse des dynamiques volutives du systme

    forestier local - effets de processus internes et

    rponses des interventions externes.

    tude des phnomnes de rsilience.

    Confrontation de cette image dynamique aux

    dcoupages imposs par les lois de protection

    environnementale

    tude de la dynamique des reprsentations,

    savoirs et pratiques

    touchant la fort

    tude des conflits entre acteurs locaux et acteurs extrieurs en relation au

    contrle, l'utilisation ou la gestion des espaces

    forestiers.

    tude de l'articulation entre les stratgies politiques et

    conomiques globales lies la cration de "puits de

    carbones" (chelles nationales et internationales)

    et les dynamiques engendres par leur

    application dans le cadre de l'APA.

    Description et cartographie de la

    variabilit stationnelle du systme fort

    SYSTEME NATUREL LOCAL

    ACTEURS EN INTERVENANTS EXTERIEURS

    ACTEURS EN INTERVENANTS EXTERIEURS

    Stratgies d'ajustement techniques appliques

    par les agriculteurs locaux en rponse

    diverses contraintes : volution du march,

    volution dmographique,

    mesures de protection environnementale

  • PROBLMATIQUE DE LA RECHERCHE ANTHROPOLOGIQUE

    Dans cette problmatique gnrale, lanthropologie sinterroge plus particulirement

    sur les conditions d'existence de la population soumise une logique verticale de protection

    de son espace de vie, par l'imposition de restrictions svres et l'absence de participation

    locale au processus de prservation.

    La mise en place d'aires protges, au sein desquelles rside une population,

    saccompagne le plus souvent aujourdhui de la rfrence la notion de dveloppement

    durable, avec lobjectif de concilier protection de l'environnement et maintien des populations

    locales.

    Lintrt de cette recherche porte sur la problmatique de la permanence des

    populations locales en Zone dEnvironnement Protg. La situation dune population dans son

    environnement doit se penser en termes dinterrelations entre un milieu social et son

    environnement. Cest donc la socit elle-mme quil faut comprendre avec ses dynamiques

    de reproduction sociale, physique et matrielle dans une relation avec le milieu dont elle tire

    totalement ou en partie les moyens de cette reproduction. Limposition de rgles et de

    restrictions dans lusage des ressources naturelles rclame, de la part des socits concernes,

    des ajustements, des changements, qui sont les conditions mmes de leur permanence.

    Le travail anthropologique cherche prsenter les dynamiques locales (pratiques et

    savoirs, histoire, aspirations, perspectives davenir) afin d'apporter les connaissances sur la

    ralit locale et de contribuer la rflexion sur la problmatique gnrale autour des questions

    du dveloppement durable. Comme tout autre travail scientifique, la recherche de

    l'anthropologue est un travail de construction de la connaissance. Dans le cadre de notre

    discipline cest un travail :

    "de dcouverte et dinterprtation de ralits sociales et culturelles, de faits et de pratiques jusque-l inconnus ou mconnus par des personnes trangres ces ralits et ces cultures." (GODELIER, 2004 : 194-195).

    Au cur de la dynamique locale, on s'interroge sur la reproduction sociale et

    matrielle, sur les stratgies de reproduction dans des contextes diversifis et

    complmentaires qu'ils soient historiques, gographiques, conomiques, politiques et sociaux.

    Dans les pays du Tiers Monde en gnral et au Brsil en particulier, les populations

    prsentes dans les aires environnementales protges se situent le plus souvent la priphrie

    politique, conomique et culturelle de ltat auquel elles appartiennent, leur systme de

    production nest que faiblement articul lconomie de march dominante, leurs techniques

    - 10 -

  • de production font pas ou trs peu appel un outillage moderne, et elles demeurent attaches

    des styles de vie et des modles socioculturels bien des gards diffrents de ceux qui

    dominent la socit globale. Quil sagisse de petits agriculteurs, dleveurs ou mme de

    chasseurs-cueilleurs comme certains indiens, ce sont des populations dont les formes

    dorganisation sociale et les pratiques techniques ont rsist au mouvement de transformation

    et dhomognisation qui a affect la socit globale dans son ensemble. Pour les qualifier, on

    fait gnralement appel la notion de tradition , on les dsigne alors comme populations

    traditionnelles : appellation qui nest pas sans liens avec une vision volutionniste de

    lhistoire des socits humaines et qui en fait en quelque sorte des vestiges dtat de socits

    pr-modernes . Ce nest pas par hasard que le conservationnisme environnemental,

    lorsquil est inspir par lide dun retour une nature originelle critiquant avec force les

    consquences environnementales dsastreuses de la modernit valorise souvent

    simultanment limage de populations traditionnelles qui avaient su trouver un rapport

    harmonieux avec leur milieu : ne le perturbant pas dans la mesure o elles-mmes ne

    changeaient pas. DIEGUES, pour le Brsil a analys en profondeur ce double mythe de la

    Nature intouche et celui de la tradition (DIEGUES, 1998 ; DIEGUES, 1999).

    Comme nous le verrons, la population qui rside au sein de laire protge de

    Guaraqueaba na pas chapp ce phnomne de traditionalisation au moment mme o

    la fort dans laquelle elle vivait se voyait attribuer une valeur de relique. Nous verrons

    galement les contradictions que cela a gnr en termes de politiques et de pratiques

    concrtes de gestion dune aire protge. Cela mamnera minterroger sur le concept de

    population traditionnelle utilis dans le discours sur la protection environnementale, et

    comment il est peru et vcu localement ? Il en va de mme pour les notions de communaut,

    de paysannerie et d'agriculture familiale qui font rsonance ou non localement dun point de

    vue social, dmographique, dorganisation sociale et matrielle. Il s'agit d'identifier s'il y a

    adquation avec le rel ou s'il s'agit l encore de catgories poses de manire verticale pour

    clore un dbat, cantonner les gens et leurs pratiques dans une image pr-tablie. C'est autour

    des notions de changement et de permanence que peut tre mene la rflexion, sur comment

    se caractrise la population. Une question centrale dans notre recherche est celle de savoir ce

    que lon entend sous les termes de communaut rurale ainsi que de population traditionnelle.

    Ces termes sont en effet largement employs pour parler de ces populations rurales, de ces

    entits sociales et ils apparaissent obsoltes, inadquats dans une certaine mesure. Il me faut

    donc les expliquer, analyser lusage qui en a t fait par les intellectuels et les populations

    elles-mmes, ainsi que dans la mise en place de laire protge.

    - 11 -

  • Paralllement, le contexte local permet de rentrer dans le dbat sur la paysannerie,

    l'agriculture familiale et le dveloppement rural par le biais des stratgies de reproduction

    matrielle et sociale.

    Cadre gnral

    Lun des questionnements centraux de lanthropologie porte sur les relations que la

    socit entretient avec la nature. Dans leur rapport la nature, comment les individus et les

    familles russissent se reproduire, localement, matriellement et socialement et comment ils

    envisagent leur avenir ?

    La problmatique centrale de la prsente recherche concerne donc les conditions

    dexistence et les possibilits de permanence de populations locales au sein dune Aire

    dEnvironnement Protg. En dautres termes, et au-del de la relation socit/nature, il sagit

    de sinterroger, partir dune situation concrte, sur la difficile conciliation entre

    durabilit environnementale et durabilit sociale.

    Enfin, quelques notions sont mobilises de faon rcurrente pour interprter la ralit

    sociale locale : en particulier celle de culture et didentit caiaras et aussi celle de

    comunidade qui dsignerait non seulement une proximit de voisinage mais aussi un forme de

    sociabilit particulire.

    Sur des bases empiriques, la recherche anthropologique tente d'apporter une rflexion

    sur les notions de communaut rurale, population traditionnelle, agriculture familiale,

    conciliation ou contradiction entre prservation de l'environnement et dveloppement durable.

    Problmatique dtaille pour y parvenir

    Afin de rpondre au questionnement gnral, je construis une approche par paliers

    successifs, rendue possible par la participation une quipe pluridisciplinaire, et qui permet

    de centrer progressivement le regard sur le cas tudi tout en apportant des lments

    gographiques, historiques, conomiques, sociopolitiques, replaant l'objet de recherche dans

    le contexte plus large o il prend son sens et qui lui donnent sa valeur illustrative.

    Dans quels contextes historique, gographique, conomique, sociopolitique se situent

    la socit que l'on cherche tudier ?

    On cherche au travers des contextes plus gnraux comprendre les caractristiques

    sociales et historiques de la population du municipe (unit administrative au Brsil

    - 12 -

  • correspondant une commune). Une description gnrale du milieu paysan du municipe et

    des diffrences qui le traversent, va permettre de prciser la place du cas illustratif choisi pour

    le regard rapproch. Puis, on s'interroge plus particulirement au cas prcis d'une valle et

    d'un hameau, sur son peuplement. Les relations familiales et sociales permettent de voir

    comment il s'est constitu, et comment il s'organise. Il s'agit galement de retracer les

    circonstances sociales et politiques particulires qui ont conduit la cration de lAPA.

    Ainsi, nous serons amens poser la question de savoir sur quelles bases la socit

    rurale s'organise ? Quels sont les liens sociaux qui sy tissent ? Quels sont les processus

    didentification qui y mergent ? Quelles sont les stratgies de reproduction matrielle et

    sociale qui sy dessinent et des ressources quelles mobilisent ?

    Cest donc cette socit elle-mme quil faut comprendre avec ses dynamiques de

    reproduction sociale, physique et matrielle dans une relation avec lenvironnement, et cela

    dans une perspective de tensions entre les permanences et changements, quelles soient

    dordre historique, social, politique, et/ou cologique. En mme temps quelle sappuie sur

    des fondements historiques prennes, que lon appellera "tradition" ou pratiques

    "traditionnelles", toute socit connat des changements afin de pouvoir se reproduire et se

    perptuer.

    Dans le questionnement gnral sur les relations que la socit entretient avec la nature

    il faut tout d'abord et de faon prcise tudier lorganisation sociale locale, avant d'en venir

    aux conditions dans lesquelles les familles sefforcent dassurer leur reproduction matrielle

    et sociale, court et moyen terme, dans un contexte dsormais marqu par les mesures de

    protection de lenvironnement et de restrictions dusage des ressources naturelles.

    On cherche tudier les relations familiales (gnalogies, alliances matrimoniales,

    trajectoire familiale, histoire de vie, transmission), lment structurant de la sphre sociale et

    politico-conomique, les structures sociales, ainsi que les autres formes d'interaction

    (contacts, rencontres, rseaux, liens, rapprochements, organisation sociale du travail, entraide,

    changes) qui se caractrisent par la sociabilit. C'est toute la dynamique de reproduction

    sociale qui entre dans les stratgies de reproduction matrielle et sociale.

    Enfin, et plus prcisment, on s'interroge sur les modes de relations de la population

    rurale avec la nature, relations qui ont une histoire et qui se reconstruisent aujourd'hui en

    fonction des contraintes cres par les exigences de protection environnementale.

    On cherchera tudier ainsi lusage, lexploitation des ressources naturelles dans

    laspect technique au travers des pratiques de production (agriculture, levage, cueillette,

    - 13 -

  • chasse, horticulture), des techniques de transformation (mode de prparation, conservation,

    consommation). On sefforcera cette occasion didentifier les connaissances sur les

    ressources naturelles, et les modes de reprsentations derrire ces savoirs, distinguant ainsi les

    savoirs oprationnels et les reprsentations.

    Le questionnement sur lusage des ressources naturelles doit se faire dans sa

    contemporanit mais galement dans sa dimension historique, prenant en compte les

    changements de pratiques en fonction des contextes.

    En tenant compte de la dimension historique, mon questionnement se centre sur la

    faon dont, dans ses usages des ressources naturelles, la socit rurale locale sest adapte aux

    nouvelles ralits qui simposaient elle, oprant les changements ncessaires pour assurer sa

    propre survie.

    Quels sont les savoirs et les pratiques que les populations rurales dveloppent pour

    assurer leur subsistance et rpondre leurs besoins de base ? Quels sont leurs moyens et leur

    marge de manuvre concrtement pour perdurer localement ?

    Dans le cadre de la rglementation environnementale, comment se positionnent-elles

    et en quoi sont-elles ou non contraintes d'avoir recours des pratiques illicites ? Quelle est la

    part de ponction/prlvement sur l'environnement, le degr d'autoproduction et de ce qui vient

    de l'extrieur, qui passe par le march, dans leur reproduction matrielle et sociale ? Enfin, on

    cherche non seulement connatre ce que les familles tirent de l'environnement pour gnrer

    des revenus, mais galement les autres sources de revenus qui ne reposent pas sur l'utilisation

    des ressources naturelles.

    Comment, et quel degr, la population parvient-elle, dans ce contexte, rsoudre les

    problmes qui se posent elle au jour le jour, dans la vie quotidienne, pour se nourrir, se

    soigner, entretenir leur espace domestique, shabiller, rpondre au petites ncessits de la vie

    de tous les jours, et surtout, pour beaucoup, prendre soin de leurs enfants dans les meilleurs

    conditions possibles. Autrement dit, comment parvient-elle rpondre aux dfis auxquels elle

    est confronte, tout simplement pour continuer vivre la vie quotidienne de ces mnages ?

    On s'interroge sur les stratgies mises en uvre par ces petits agriculteurs pour satisfaire leurs

    besoins immdiats ainsi que pour assurer leur avenir et celui de leurs enfants, en particulier

    par lducation.

    Plus gnralement, quelles sont leurs stratgies pour fonctionner sur le plan social, et

    matriel ? Et, quelles sont leurs perspectives d'avenir, comment l'envisagent-ils ?

    - 14 -

  • CADRE THEORIQUE

    Dtour sur l'interface socits-nature dans l'approche anthropologique : historique et contemporanit de la thmatique

    La nature qui prexiste lhomme, et dont il fait partie, a dans une majeure partie de la

    surface du globe, et des degrs variables, t anthropise. Lhomme a de tous temps

    entretenu des rapports troits avec son milieu do il puise sa subsistance, et au travers duquel

    il lexplique et se situe. En ce sens, les hommes dfinissent la nature par le regard qu'ils

    posent sur elle ; et ils la transforment par leurs activits. Pour GODELIER :

    "Le milieu naturel n'est jamais une variable compltement indpendante de l'homme, ni un facteur constant. C'est une ralit que l'homme transforme plus ou moins par ses diverses manires d'agir sur la nature, de s'en approprier les ressources. Mais, quoi qu'il en soit, dans tous les cas, un cosystme est une totalit qui ne se reproduit qu' l'intrieur de certaines limites et qui impose l'homme diverses sries de contraintes matrielles spcifiques." (GODELIER, 1984 : 44)

    Alors que l'homme pose son regard sur la nature environnante, la pense et la

    transforme, de mme il en subit en retour les contraintes. Toutefois, face des contraintes

    similaires, chaque socit va construire des interprtations et des pratiques diffrentes. On est

    donc bien dans le cadre dune interaction, dune mise en contrainte rciproque. Les

    reprsentations par rapport la nature sont diverses dun groupe lautre et chacun construit

    dans sa reprsentation toute une conception, un savoir, une logique et un intrt propre qui

    faonne sa perception, son tre au monde et son lien avec le milieu naturel. Des rapports et

    des reprsentations de la nature dans diffrentes socits dcoulent des enjeux, des

    dynamiques et des stratgies sociales et matrielles.

    Les recherches telles que celles de Serge BAHUCHET et de Philippe DESCOLA, par

    leurs tudes respectives sur une population prcise et sur son rapport au milieu naturel

    environnant, nous donnent voir la fois des rapports et des interactions singuliers entre une

    socit et son milieu naturel, de mme que les reprsentations, les conceptions et les

    connaissances quelle cre son propos. Les hommes ont constamment entretenu avec la

    nature environnante des rapports singuliers. Ils ont ainsi construit tant dans la pense que dans

    la pratique des reprsentations particulires, ainsi chaque socit ou groupe humain est

    dpositaire de cette relation singulire.

    Comme le souligne Jacques BARRAU, ds la philosophie grecque on trouve les

    fondements de la pense occidentale et la mise en place de la distinction et de la sparation

    entre lhomme et la nature. Le dualisme homme/nature voit ainsi le jour pour perdurer jusqu

    - 15 -

  • aujourdhui. En marge de cette pense, naissante dans un premier temps, dominante par la

    suite, a perdur et sest dveloppe lide du lien troit entre lhomme et la nature dans les

    pratiques et les savoirs locaux dits "populaires" des populations (BARRAU, 1991). Pourtant,

    dans lhistoire de la pense et de la philosophie occidentale, la nature a recouvert, englob des

    aspects plus ou moins diffrents, incluant ou non lhomme, plaant ce dernier des positions

    diffrentes. Autant de reprsentations et de dfinitions qui ont largement construit

    limaginaire social dont nous sommes encore les dpositaires. Roy ELLEN nous apporte dans

    lintroduction de louvrage collectif "Redefining Nature", une prsentation claire et largie du

    concept de nature :

    "Dans les notions Occidentales, la nature est plus manifestement reconnaissable comme ce qui est "l-bas", ce qui nest pas nous-mme et "qui peut prendre soin, soccuper delle-mme". Nous trouvons la mme ide, dune manire autrement frappante, dans beaucoup dautres traditions culturelles diffrentes." (ELLEN, 1996 : 7)

    Ce contenu peut varier dune culture lautre. Communment en Occident limage de

    la nature est la fort, les montagnes, la nature sauvage "wilderness" en anglais ou nature

    vierge, selon les auteurs (LARRERE, 1997 : 85-98). Catherine et Raphal LARRERE nous

    clairent sur le cheminement du concept de nature :

    "Sil y a une liaison si troite entre notre vision (essentiellement informe par la science) de la nature et le rapport thique que nous entretenons avec elle, cest que connatre la nature, cest dabord se situer par rapport elle. Schmatiquement, on peut tre dedans, ou dehors. Quand on est dedans, on peut se placer au centre, ou pas. On peut donc dfinir trois positions diffrentes : celle qui place lhomme, microcosme dans le macrocosme, au centre de la nature, en position dobservation. Celle qui met lhomme lextrieur de la nature, en position dexprimentation et de matrise. Celle qui rinscrit lhomme dans la nature, sans position privilgie, et qui le considre comme un "compagnon-voyageur des autres espces dans lodysse de lvolution". Ces trois visions sont apparues successivement. La premire est typiquement grecque. La seconde est incontestablement moderne : elle spare le sujet et lobjet, ouvrant la possibilit dune matrise exprimentale et technique. La troisime, enfin, est la plus rcente : elle insiste sur notre appartenance la nature, elle y insre la relation de connaissance aussi bien que la technique." (LARRERE, 1997 : 18-19)

    Chacune de ces positions a prdomin en son temps, il ne reste pas moins quune ide

    fondamentale a tenu le centre des reprsentations pendant longtemps : lopposition entre

    lhomme et la nature ou la dichotomie nature-culture. Tout un enchevtrement de logiques et

    de pratiques a dcoul de cette dichotomie. La philosophie, la religion vont faonner la

    construction de cette sparation entre lhomme et la nature, communment distinct dans le

    dualisme nature-culture. Cest partir de cette opposition entre lhomme et la nature que vont

    se construire aussi les sciences dun ct (sciences naturelles, physique, astronomie) et les

    lettres de lautre (philosophie puis la sociologie et lanthropologie). On connat la difficult

    - 16 -

  • encore aujourdhui du passage et du travail en commun entre les sciences dites dures et les

    sciences sociales. Ainsi, cette dichotomie cre a fond tout un mode et tout un monde de

    penses, a structur et est la base de la pense occidentale et de son dcoupage cognitif.

    La dmarche anthropologique a pour objectif danalyser et de rendre compte des

    reprsentations, des constructions culturelles par le biais de ltude du langage, des pratiques

    et des savoirs. Ainsi, comme le souligne GUILLE-ESCURET :

    "Un regard sur ltendue des socits en rfrence aux outils et aux mots a pour premier effet quon cesse de voir priori en elles des isolats, des entits indpendantes, ou des systmes plus ou moins ferms : lvidence de leur cohrence quasi solide, aperue par lentremise dimpressions et dintuitions idologiques, sestompe, leur histoire merge et rvle des rapports puissants avec dautres cultures et dautres milieux, passs ou prsents." (GUILLE-ESCURET, 1989 : 115)

    Cest avec Claude LEVI-STRAUSS quune thorie sur ce quil nomme la "science du

    concret" se met en place notamment dans son ouvrage "La Pense Sauvage" en 1962. Il

    sintresse aux savoirs populaires, cette science du concret qui, partir de lobservation

    minutieuse du monde environnant, analyse, classe, ordonne, pense, construit et agit. Cest au

    travers des mythes, des rites, des croyances, du langage, des techniques, des pratiques et des

    autres faits culturels quelle prend sens et se donne voir. Le dcoupage conceptuel, variant

    dune socit lautre, dune langue lautre, souligne lintrt dtudier ces dcoupages dans

    la langue et selon la classification, la taxinomie et lordre indigne ; de l on atteint les

    connaissances prcises, les proccupations et les usages autochtones. Il donne de nombreux

    exemples partir des donnes ethnographiques de terrain de divers auteurs comme de

    HANDY en Polynsie, CONKLIN chez les Hanuno des Philippines, etc. Il en retire que la

    connaissance prexiste lutilit ou lintrt. Pour lui, cette science nest pas de lordre de la

    pratique mais de lintellect, avant de rpondre des besoins. De plus, ce savoir se transmet,

    sacquiert de gnration en gnration par la filiation. La connaissance peut-tre la fois

    objective et subjective, de mme qutre le rsultat du rapport concret de lhomme son

    milieu tant intellectuel quaffectif. C. LEVI-STRAUSS montre ainsi son intrt pour

    lethnobotanique, lethnozoologie et pour les savoirs populaires relatifs la nature

    environnante.

    Maurice GODELIER par la suite thorisera lapproche cologique en anthropologie

    assez significativement dans son ouvrage "Lidel et le matriel" paru en 1984. Il privilgie

    ltude des conditions de reproduction des socits, afin de situer les socits et leurs histoires

    dans la nature. Selon lui, la nature est une ralit que lhomme transforme plus ou moins par

    - 17 -

  • ses actions sur elle, et par lappropriation des ressources. Dans sa manire de sapproprier la

    nature, lhomme invente, met en place des moyens matriels et idels. Il isole ainsi des

    lments du milieu quil exploite et utilise. Pour cela, il labore des rapports sociaux de

    production, des rapports conomiques. GODELIER sinspire ici de MARX dans sa dmarche

    thorique, il met laccent sur les changements et la construction permanente des rapports dans

    lhistoire des socits.

    "La frontire entre la nature et la culture, la distinction entre le matriel et lidel tendent dailleurs seffacer lorsquon analyse la partie de la nature qui est directement soumise lhomme, produite ou reproduite par lui (animaux et plantes domestiques, outils, armes, vtements). Cette nature extrieure lhomme nest pas extrieure la culture, la socit, lhistoire. Elle est la part de la nature transforme par laction et donc par la pense de lhomme. Elle est ralit matrielle et en mme temps idelle, ou du moins elle doit son existence laction consciente de lhomme sur la nature, action qui ne peut exister ni se reproduire sans quintervienne ds le dpart non seulement la conscience, mais la pense dans toute sa ralit, consciente et inconsciente, individuelle et collective, historique et non historique. Cette part de la nature est nature approprie, humanise, devenue socit : lhistoire inscrite dans la nature." (GODELIER 1984 : 13-14)

    Il centre son propos sur les aspects matriels et idels du rapport de lhomme la nature :

    "Lorsque nous avons analys laspect le plus matriel des ralits sociales, les forces productives dont une socit dispose pour agir sur la nature qui lentoure, nous avons constat quelles contenaient deux composantes intimement mles, une part matrielle (les outils, lhomme lui-mme ) et une part idelle (reprsentation de la nature, rgles de fabrication et d'usage des outils, etc.). Ces reprsentations sont indispensables la production et la mise en uvre des moyens matriels." (Ibid : 197). Enfin, plus clairement lidel : "est la pense dans toutes ses fonctions, prsente et agissante dans toutes les activits de lhomme, lequel nexiste quen socit. Lidel ne soppose pas au matriel, puisque penser cest mettre en mouvement la matire, le cerveau : lide est une ralit mais une ralit non sensible. Lidel est donc ce que fait la pense, et sa diversit correspond celle des fonctions de la pense." (Ibid : 199)

    Par la suite, Jacques BARRAU a labor de faon la fois thorique et sur des bases

    empiriques de terrains tout un discours sur le rapport homme-nature et sur les ethnosciences.

    On lui doit surtout un apport important sur la considration croissante des savoirs populaires

    locaux, et sur lexpos de ces ethnosciences quil dfinit comme tant ces savoirs populaires,

    ou "folkscience", ou "science du concret". Il sengage fortement dans limportance que

    lanthropologie a jouer dans la comprhension, la connaissance, la valorisation de ces

    savoirs et de ces reprsentations de lenvironnement (BARRAU, 1992 : 1293).

    Les relations la nature sont des constructions culturelles qui varient dune socit

    lautre, selon les niveaux diffrents de discours et dans des temps diffrents. Concrtement,

    ces variations culturelles se donnent voir travers les engagements pratiques des

    populations de mme que par leurs cognitions. Cest dire travers les sentiments et les

    - 18 -

  • sensations ; lintellectualisation et la construction des savoirs, de la connaissance ; la

    cosmogonie et ltre au monde ; lordre, les classifications, les taxinomies et les

    catgorisations indignes ; les savoir-faire et les usages ; les rituels et le sens de lordre

    Tout cela est largement imbriqu, li les uns aux autres et les divisions cognitives doivent tre

    celles de la pense autochtone mme. Pourtant, en anthropologie, des dcoupages ont t

    raliss afin de faciliter et permettre les recherches et les prsentations acadmiques.

    Chaque socit scrte et dveloppe une relation avec le milieu naturel quelle pense et

    transforme, classe et dont elle labore des savoirs. Les reprsentations, lidel sont lis aux

    savoirs et aux pratiques. La faon singulire chaque culture de penser la nature gnre une

    faon toute aussi singulire dtre au monde et dagir sur lui.

    Ainsi, les socits mettent en place une construction symbolique de la nature, de son

    existence, de son sens et de lexistence humaine en son sein.

    La nature existe en dehors du regard de lhomme comme une entit physique et relle.

    L'anthropologie s'intresse spcifiquement au regard de lhomme sur la nature. Quand il pose

    son regard sur elle, il opre une socialisation de la nature, cest dire que celle-ci entre dans

    la sphre sociale de lhomme partir du moment o lhomme entre en contact avec elle. En

    mme temps que lhomme pose son regard sur la nature, il la pense et la transforme de mme

    que celle-ci va gnrer des contraintes, des penses lies ce quelle est, mais qui seront

    toujours singulires dune socit lautre, mme pour celles vivant dans le mme milieu. La

    nature et la socit sont largement imbriques, lies dans toutes les socits. Cest cette part

    idelle et cratrice de lhomme par rapport la nature qui construit toute une dynamique

    sociale complexe, particulire. De l, la socit labore une rationalit singulire (qui peut

    paratre irrationnelle au regard extrieur). La pense faonne ainsi le monde, ses limites, et les

    ralits sociales. A partir de l, certains anthropologues, selon leur choix, vont privilgier ou

    mettre laccent, dans leur expos et leur analyse, sur la part symbolique ou sur la part

    matrielle du rapport la nature, ou sur les deux troitement lies. De plus, de nombreux

    auteurs saccordent dire que la conception de la nature rvle la conception des rapports

    sociaux. LEVI-STRAUSS soulignait en 1962 :

    " il a fallu, nen doutons pas, une attitude desprit vritablement scientifique, une curiosit assidue et toujours en veil, un apptit de connatre pour le plaisir de connatre, car une petite fraction seulement des observations et des expriences (dont il faut bien supposer quelles taient inspires, dabord et surtout, par le got du savoir) pouvaient donner des rsultats pratiques, et immdiatement utilisables." (Ibid : 28)

    - 19 -

  • Des sicles dobservations et dexprimentations ont permis aux diverses socits de

    fonder une conception particulire de la nature, de la socit ainsi que des multitudes de

    savoirs empiriques singuliers. Toutes les socits laborent une large pistm, cest dire un

    ensemble de connaissances (conception du monde, sciences, philosophie), sur la nature et

    leurs relations avec elle, qui changent au rythme des modifications sociales et culturelles. De

    mme, elles emploient, utilisent la nature des niveaux divers de la socit, des fins et selon

    des modifications varies. Tous ces savoirs, savoir-faire et usages sont le rsultat de longues

    observations et connaissances empiriques. Lhomme fabrique partir de la nature les moyens

    dassurer sa subsistance et sa cohsion sociale.

    J'ai, pour la prsentation, et comme il est l encore communment admis en

    anthropologie, procd une division des utilisations et des techniques lies la nature.

    Gardons lesprit que cela permet une comprhension globale et que dans les faits tout nest

    pas si parcell, fragment comme lexpos semble le prtendre. On distingue donc :

    - Les savoirs, les utilisations et techniques lis la nature que nous appelons

    domestiques : alimentation, habitation, vtements, outils domestiques ;

    - Les savoirs, les techniques et utilisations dacquisition ou dappropriation directe de la

    nature : chasse, pche, cueillettes et outils fabriqus et utiliss ;

    - Les savoirs, connaissances, savoir-faire et techniques de production : agricultures,

    levages et les outils utiliss ;

    - Les savoirs, connaissances, techniques, savoir-faire et utilisations de la nature au

    niveau des mdecines indignes (ou ethnomdecine, ethnopharmacologie); et les

    autres ethnosciences cest dire lethnobotanique (ou les savoirs populaires,

    folkscience, sur la flore, les plantes, le vgtal), lethnozoologie (ou les savoirs

    populaires, folkscience, sur les animaux) ;

    - Les rites et la totalit des techniques utilises prcdemment cits.

    On constate une diversit de connections, de corrlations, de liens entre les paroles, les

    discours, les outils, les gestes, les savoirs et lensemble des rapports sociaux au sujet du

    rapport de lhomme la nature dans diffrentes socits. Et, cette diversit rvle une certaine

    universalit savoir que chacune et toutes les socits ont dvelopp, cr des savoirs, des

    penses, des pratiques et des techniques en lien direct avec la nature environnante. Cette

    diversit, variabilit des rapports des cultures avec leur environnement, rsulte du fait que

    chaque culture dfinit, construit son propre rapport la nature. De plus, dans chacun des

    - 20 -

  • domaines que ce soit penser, nommer, classer et utiliser la nature, il ne faut pas oublier le rle

    important de la transmission : transmission des savoirs et des techniques de mme que de

    ltre au monde, du sens et de lordre donn lexistence humaine, la nature environnante.

    Les gnrations se succdent, les savoirs et les pratiques se transmettent et se transforment,

    ainsi que lordre et le sens, lidel et le matriel.

    Au del des tudes anthropologiques prcdemment abordes, les socits ont t

    confrontes des changements structurels. A prsent, au regard des changements oprs

    depuis quelques dcennies, les donnes et les enjeux ont modifi en quelque sorte tant les

    rapports de ces socits leur milieu que lintrt et les nouvelles approches

    anthropologiques. On ne peut plus tudier les socits comme des totalits autonomes, la

    faon de la monographie, de mme quavec les divisions ralises pendant longtemps en

    anthropologie, qui nous avons vu, sont tombes en dsutude. En effet, les socits ne sont

    pas figes, elles changent, se transforment et ces mouvances contribuent des r-

    interprtations, des r-appropriations de la part des populations et des socits, de leurs

    reprsentations et de leurs pratiques en ce qui concerne leur environnement naturel.

    Les socits ne sont pas non plus fermes sur elles-mmes, vivant en totale autarcie, et

    il y a des interrelations entre elles et lextrieur cest dire les autres socits, la socit

    globale, une rgion, un tat, etc. De plus, la quasi-totalit des socits est aujourdhui en lien

    avec lconomie de march, de prs ou de loin ; les socits aussi petites et aussi recules

    soient-elles rentrent dans cette dynamique gnrale et gnralise. Par ailleurs, actuellement

    des bilans se font dans le milieu scientifique sur les dcennies de projets daide au

    dveloppement et sur le dveloppement durable. Ceux-ci ont largement t axs sur un

    dveloppement conomique des socits des pays en voie de dveloppement et des pays du

    tiers-monde. Le souci tait le rendement, la production au niveau des nouvelles rponses

    agraires apportes par des occidentaux. On a voulu intgrer ces socits au mouvement

    global, mondial, occidental, dans la perspective du train occidental dj lanc sur les rails du

    nolibralisme, de lindustrialisation et de la productivit comme tant la norme et lvolution

    positive. Les rponses au dveloppement soccupaient de diffrents aspects comme

    l'agronomique, le biologique, etc. Les bilans font tat de nombreux checs et de russites, et

    tendent montrer que la logique occidentale, simplement dplace dans une logique

    diffrente est irrmdiablement voue lchec. Les conceptions, les reprsentations

    loignes ne saccordent que dans un long dialogue et une coute mutuelle qui font souvent

    dfaut, le positivisme lemportant dans un monologue daction daide sans soccuper des

    - 21 -

  • structures sociales et des logiques locales symboliques et matrielles. Les socits sont

    effectivement lances aussi sur les rails et sont lies au mouvement global. Les nouvelles

    approches de dveloppement durable et de recherche sur le dveloppement se multiplient en

    tentant non seulement dapporter des rponses et des solutions pratiques toutes prtes aux

    populations mais galement en tenant compte des reprsentations, des savoirs et des usages

    locaux. Ces reprsentations, savoirs et savoir-faire ont t dans les premiers programmes de

    dveloppement trop souvent occults. Selon Marc AUGE, lanthropologie est ncessaire :

    "Parce que la question du sens social est partout explicitement pose ou implicitement prsente. Elle est possible pour autant que sa tradition de rflexion autocritique lui permet de sadapter aux changements de lhistoire et aux changements dchelle qui lui correspondent." (AUGE, 1997 : 177)

    Il nous invite : "prendre en considration les modalits nouvelles de symbolisation luvre

    dans lensemble plantaire." (Ibid : 177). Enfin, il souligne que : "sadapter au changement dchelle, ce nest pas cesser de privilgier lobservation de petites units mais prendre en considration les mondes qui les traversent, les dbordent et, ce faisant, ne cessent de les constituer et de les reconstituer." (Ibid : 178)

    Les socits qui nous intressent particulirement sont celles qui ont un rapport troit

    leur milieu naturel environnant. On peut nommer ces socits, ces populations comme tant

    paysannes. Comme le relve J.P. Olivier de SARDAN :

    "Peu danthropologues appellent paysannes les populations quils tudient. Pourtant, on peut considrer que la majorit de celles-ci relve de la paysannerie et non des socits primitives. On admet gnralement que le monde paysan se caractrise par une autonomie relative face des formes dorganisations socio-conomiques dominantes qui lui sont extrieures (socits fodales, tributaires, tatiques, coloniales, capitalistes, socialistes, etc.)" (SARDAN, 1991 : 565)

    La paysannerie est une socit localement situe qui est intgre un systme plus

    large, le plus souvent une rgion, un tat. Nous dirons brivement quelle se caractrise par un

    groupe domestique au centre du fonctionnement, des relations dinterconnaissances et

    dentraide, etc. Pour le moment, cest le rapport que la paysannerie entretient gnralement

    avec lextrieur qui nous importe et les reprsentations par rapport lenvironnement qui se

    superposent pour crer des rapports singuliers de pouvoir, denjeux par rapport au territoire,

    au sol, aux ressources naturelles. Les socits rurales au Nord comme au Sud disposent de ces

    mmes caractristiques, spcificits et entretiennent des changes avec lextrieur, les socits

    extrieures, les voisins, et les tats dominants.

    Dans ce contexte, il est commun en sciences humaines de parler des relations entre la

    sphre locale et la sphre globale. Nous pouvons dire que ce principe dual local/global est

    effectivement une catgorie analytique qui est efficace lorsquon voque les relations dune

    - 22 -

  • population locale avec la socit plus large, globale quest la nation par exemple, et donc

    quelle est utilisable dans notre expos. Ensuite, lutilisation de cette dualit est dans chaque

    cas singulire. Loin de sopposer forcment, ces deux sphres coexistent, tablissent des

    rapports, sont en relation, interagissent, et au niveau du rapport la nature les exemples

    dinteractions sont nombreux. Faute de mieux cette dualit est utilise afin dillustrer notre

    propos. Les socits paysannes sont en lien, en rapport avec les socits englobantes, les tats,

    les nations ; et ces rapports se modifient, changent au cours de leur histoire.

    "La connexion avec lconomie-monde (F. Braudel) implique que le prlvement passe dsormais par des mcanismes conomiques (problme de lchange ingal). Le mystre du fonctionnement dune conomie paysanne dans le contexte du capitalisme [] rside dans le fait suivant : lirruption de lconomie montaire, larticulation avec le march mondial, la domination dappareils tatiques bureaucratiques sont autant dlments auxquels aucune socit agraire nchappe dans le monde, or le fonctionnement interne des conomies paysannes continue manifestement de ntre pas command par la seule recherche du profit et ne peut tre vritablement matris par les institutions politico-conomiques nationales." (Ibid : 566)

    Concrtement, les populations paysannes contemporaines le plus souvent associent

    la fois une production dautosubsistance et une production pour la vente sur le march, de

    mme que parfois des activits salaries. Dans la ralit des faits, il y a une diversit de

    contextes de paysannerie qui entretiennent des rapports complexes avec la socit globale,

    lconomie de march et le systme capitaliste. Mais surtout, et c'est ce qui intresse

    lanthropologue, les relations ne sont pas tant de lordre du niveau local au niveau global,

    mais elles se situent plutt dans un rapport local/local. Tout dabord, car cest l que se jouent

    les relations et les enjeux concrtement, soit par les relations de deux socits au sein dune

    mme rgion, soit lorsque le pouvoir vient au contact de la population locale, ngocie,

    impose, dirige Et ici, la nature fait lobjet de reprsentations diverses et diffrentes, de

    reconnaissance didentit au niveau de la population locale de mme quau niveau des autres

    chelles rgionales, nationales De mme, la nature est au centre denjeux, de

    reprsentations qui se confrontent, de stratgies et dintrts multiples et opposs.

    Pierre GRENAND sest intress aux rapports qui existent entre les tats-Nations et

    les populations forestires qui vivent, habitent sur leur territoire. Il constate que les situations

    sont diffrencies sur les trois continents concerns par les forts denses humides : Afrique

    forestire, Asie forestire et Amrique du Sud forestire. Il note des diffrences entre des

    peuples politiquement dominants et dautres politiquement domins, des enjeux macro-

    conomiques dans des situations no-coloniales et des affrontements moins importants

    certains endroits. Enfin, il accentue son propos sur le fait que lattitude gnrale des tats-

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  • nations par rapport aux populations indignes forestires occupant leur territoire est similaire

    presque partout savoir :

    "Alors que la recherche scientifique est aujourdhui quasi unanime parler de leur excellente adaptation au milieu naturel et de la viabilit de leur agriculture, lessartage est partout violemment combattu. Accus dtre non productif, mangeur de terre et destructeur de fort, on lui oppose une agriculture permanente sense devenir la panace au nom dune inluctabilit du progrs tout fait fantasmatique. Cette agriculture quon leur demande dadopter nest pas seulement faite de plantes de subsistance, mais encore de cultures de rente destines lexportation, telles le caf, le cacao, le coton Comprenons bien que ladoption exclusive de ce type dagriculture na jamais signifi autre chose que la pauprisation de ceux qui la pratiquent, devenus incapables de se nourrir et dpendants des cours dun march mondial dont ils ignorent les mcanismes." (GRENAND, 1997 : 34)

    Tout cela reflte et illustre lhgmonie croissante dun modle unique, dune logique

    unique de pense, et daction en direction du dveloppement conomique. Cette vision

    positiviste et volutionniste est encore et plus que jamais caractristique du monde

    ind