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CEVIPOF 98, rue de l’Université — 75007 Paris, France [email protected] — Tél. : 33 (0)1 45 49 51 05 — Fax : 33(0)1 42 22 07 64 -1- Vote et insécurité. Par Vincent Tiberj Introduction Depuis le début des années 1990, le décalage entre la demande et l’offre électorale est allé croissant et semble avoir culminé lors du premier tour de l’élection présidentielle du 21 avril 2002. Ce décalage s’est notamment exprimé avec la montée de l’abstention, tout au long de la dernière décennie, quel que soit le type d’élection, celle des votes blancs et nuls, dont la proportion a plus que doublé entre 1981 et 1997. Ce décalage s’est également exprimé par la dispersion des voix, particulièrement au printemps dernier et le choix croissant d’un vote aux extrêmes, de gauche ou de droite. Une des raisons communément admises à ce décalage est la perception d’une distance croissante entre la classe politique et ceux qu’elle représente. Ainsi la proportion de personnes interrogées déclarant que les hommes politiques « se préoccupent peu ou pas du tout de ce que pensent les gens comme eux » est passée de 42% en 1977 à 83% au printemps 2002. Cette tendance peut être interprétée comme une prise de distance générale des citoyens à l’égard du politique (ceux-ci considérant que l’affiliation politique des gouvernants ne permet pas de changer leur vie quotidienne 1 ), comme une carence de proximité des hommes et femmes politiques nationaux, mais aussi comme l’incapacité de la classe politique à résoudre, voire même à prendre en compte, les problèmes que rencontrent les électeurs dans leur quotidien. 1 De fait, près de 79,5% des personnes interrogées lors du Panel Electoral Français en 2002 considéraient que le résultat de l’élection présidentielle améliorerait peu ou pas du tout les choses en France.

Vote et insécurité. - Cevipof...Le succès relatif de l’extrême-droite au soir du 21 avril 2002, les scores historiquement faibles des deux candidats « sortants », Jacques Chirac

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Vote et insécurité. Par Vincent Tiberj

Introduction

Depuis le début des années 1990, le décalage entre la demande et l’offre électorale est

allé croissant et semble avoir culminé lors du premier tour de l’élection présidentielle du 21

avril 2002. Ce décalage s’est notamment exprimé avec la montée de l’abstention, tout au long

de la dernière décennie, quel que soit le type d’élection, celle des votes blancs et nuls, dont la

proportion a plus que doublé entre 1981 et 1997. Ce décalage s’est également exprimé par la

dispersion des voix, particulièrement au printemps dernier et le choix croissant d’un vote aux

extrêmes, de gauche ou de droite.

Une des raisons communément admises à ce décalage est la perception d’une distance

croissante entre la classe politique et ceux qu’elle représente. Ainsi la proportion de personnes

interrogées déclarant que les hommes politiques « se préoccupent peu ou pas du tout de ce

que pensent les gens comme eux » est passée de 42% en 1977 à 83% au printemps 2002.

Cette tendance peut être interprétée comme une prise de distance générale des citoyens à

l’égard du politique (ceux-ci considérant que l’affiliation politique des gouvernants ne permet

pas de changer leur vie quotidienne1), comme une carence de proximité des hommes et

femmes politiques nationaux, mais aussi comme l’incapacité de la classe politique à résoudre,

voire même à prendre en compte, les problèmes que rencontrent les électeurs dans leur

quotidien.

1 De fait, près de 79,5% des personnes interrogées lors du Panel Electoral Français en 2002 considéraient que le résultat de l’élection présidentielle améliorerait peu ou pas du tout les choses en France.

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Il pourrait en aller ainsi d’un problème placé en tête des préoccupations des Français :

l’insécurité. Cet enjeu est déjà ancien2, mais a acquis une importance toute particulière dans

les deux dernières années si l’on se réfère à la place que lui ont accordé les médias et les

hommes politiques. Il semble donc que, pour ce thème particulier, la classe politique ait

répondu aux attentes des Français en proposant différentes solutions, du traitement global des

causes de la délinquance (politique de la ville par exemple), à l’augmentation prévue des

budgets et des effectifs de la police et de la justice, ainsi qu’avec le redéploiement des

effectifs policiers (développement de l’îlotage ou création de la police de proximité).

Mais, ce n’est pas si simple. Le succès relatif de l’extrême-droite au soir du 21 avril

2002, les scores historiquement faibles des deux candidats « sortants », Jacques Chirac et

Lionel Jospin et l’échec électoral de Jean-Pierre Chevènement, ancien Ministre de l’Intérieur,

dont la restauration de l’Etat de Droit était un de ses axes politiques privilégiés, autant de faits

qui laissent à penser que les réponses proposées au problème de la délinquance par les grands

partis n’ont guère convaincu certains Français. Ainsi, alors que 22,5% des personnes

interrogées après le second tour de l’élection présidentielle dans le Panel Electoral Français se

disent tout à fait d’accord ou assez d’accord avec les idées défendues par le président du FN

en général, près de 49% d’entre eux approuvent ses positions sur la sécurité. On ne peut donc

exclure la possibilité que le problème de l’insécurité n’ait contribué à accentuer la distance

ressentie par certains électeurs entre eux-mêmes et la classe politique traditionnelle. En cela

l’insécurité serait un des terrains par lequel s’exprime la crise de la représentation, à travers le

sentiment partagé par certains électeurs que les pouvoirs publics les laissent seuls face à leurs

problèmes quotidiens. Cela supposerait que les citoyens en insécurité diffèrent par leur

comportement électoral effectif, notamment par le recours à des choix hors-système comme le

vote Le Pen ou l’abstention.

2 Dans l’enquête électorale menée par le CEVIPOF en 1995, la sécurité des biens et des personnes recueillait une moyenne de 7,4/10 sur une échelle d’importance allant de 0 à 10, sachant qu’un quart des personnes interrogées environ lui donnait une note d’importance de 10/10.

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C’est le rapport entre insécurité et politique, et plus particulièrement entre insécurité et

vote, que nous traiterons ici. Les électeurs en insécurité se sont-ils distingués du reste du

corps électoral ? Si c’est le cas est-ce dans le sens d’une plus forte abstention, ou d’un vote

aux extrêmes, notamment à l’extrême-droite ? Y a-t-il eu un vote sanction à l’égard du

gouvernement alors en place ?

Pour répondre à ces questions, nous procéderons en trois étapes. La première aura trait

au sentiment d’insécurité, à sa répartition au sein de la population française et à ses causes. La

seconde traitera du jugement porté par les électeurs sur les candidats, leur crédibilité et leurs

propositions sur les problèmes d’insécurité. Enfin, nous analyserons l’incidence du sentiment

d’insécurité, ainsi que de celui du taux de délinquance objectif sur le comportement électoral.

Nous utiliserons deux types de données : en premier lieu, le Panel Electoral Français

qui permettra de saisir les logiques individuelles explicatives du sentiment d’insécurité, leur

relation avec l’insécurité objective mesurée par le Ministère de l’Intérieur et l’incidence de

l’insécurité objective et subjective sur le vote, en second lieu un fichier original croisant les

résultats électoraux et les données du Ministère dans les différentes circonscriptions de

sécurité publique ce qui autorisera une analyse locale de la relation entre insécurité et vote.

Le ou les sentiment(s) d’insécurité

Quand on tente d’analyser le sentiment d’insécurité, plusieurs questions se

doivent d’être posées. Tout d’abord, sur quoi porte-t-il ? On considère généralement le

sentiment d’insécurité comme le résultat direct de l’augmentation de la petite délinquance et

des incivilités quotidiennes. Cependant, l’insécurité peut provenir de multiples sources : il est

fort possible qu’un individu se sente en insécurité pour des raisons économiques (précarité de

l’emploi ou risque de chômage par exemple), ou pour des craintes plus diffuses sur son avenir

personnel ou celui de ses proches. Selon que l’on penche pour l’une ou pour l’autre

possibilité, les conséquences en termes de réponses politiques différeront.

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Autre questionnement, quelle est la part du subjectif dans le sentiment

d’insécurité ? Face à un même niveau de délinquance, les individus réagissent-ils de la même

manière, selon qu’ils appartiennent aux classes aisées ou non, selon qu’ils sont hommes ou

femmes, diplômés ou non ? De même, dans quelle mesure le sentiment d’insécurité ne

dépend-il pas du système de valeurs des individus et de leur perception de la société ? Selon

qu’ils ont ou non confiance dans autrui, voire dans les pouvoirs publics, selon qu’ils sont plus

ou moins autoritaires ou ethnocentristes, plus favorables à un monde ouvert ou fermé, que ce

soit économiquement ou socialement, le sentiment d’insécurité peut varier.

Pour répondre à ces différentes hypothèses nous allons dans un premier temps dresser

un portrait sociologique des individus se déclarant en insécurité dans leur vie quotidienne.

Puis nous analyserons les causes possibles de ce sentiment d’insécurité, notamment la

délinquance objective, et la relation entre systèmes de valeurs et insécurité subjective.

Evolution dans le temps du sentiment d’insécurité

Notre étude se fonde sur une question posée initialement par le CREDOC en 1991 et

1992, libellé comme suit : « dans votre vie quotidienne vous sentez-vous en sécurité ? Tout à

fait en sécurité, assez en sécurité, peu en sécurité, pas du tout en sécurité3 ». Cette question a

été posée lors des deux premières vagues du Panel Electoral Français, nous disposons donc

des réponses de 6 292 individus (4101 en vague 1 et 2191 en vague 2).

Vous sentez-vous ? CREDOC (1991)

CREDOC (1992)

Panel Electoral Français (2002)

Tout à fait en sécurité 35% 38% 22% Assez en sécurité 48% 46% 50,5% Peu en sécurité 14% 12% 19,5%

3 Cette question diffère de celle utilisée par différents instituts de sondage. CSA, par exemple, utilise le même libellé mais les modalités de réponse sont : « souvent, parfois, rarement, très rarement / jamais ». A noter que pour cet institut, est considéré comme se sentant en insécurité les individus répondant souvent ou parfois.

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Pas du tout en sécurité 3% 4% 8% Sous total en insécurité 17% 16% 27,5%

Total 100% 100% 100%

La comparaison sur onze ans démontre bien une augmentation importante du

sentiment d’insécurité : +10,5 points entre 1991 et 2002. On peut d’ailleurs souligner la

baisse des individus se sentant tout à fait en sécurité qui passent de 35% en 1991 et 38% en

1992 à 22% en 2002, tandis que la proportion de personnes interrogées ne se sentant pas du

tout en sécurité fait plus que doubler entre 1991 et 2002. Il semble donc bien que le sentiment

d’insécurité se soit répandu au sein de la population française, la différence entre être « tout à

fait » ou « assez » en sécurité étant à cet égard éclairante.

Cette augmentation du sentiment d’insécurité est à première vue surprenante,

notamment quand on la compare avec le taux de délinquance mesuré par le Ministère de

l’Intérieur. Le taux de crimes et délits pour mille habitants est relativement stable entre les

trois années comparées4.

Cependant, différentes hypothèses peuvent être avancées pour expliquer cette

situation : la première serait une plus grande sensibilité des citoyens aux faits de délinquance

aujourd’hui (un effet de contexte découlant notamment du traitement médiatique et politique

de la question) ; la deuxième que le « chiffre noir » de la délinquance, c’est-à-dire la

proportion d’actes répréhensibles non-signalés aux services de police et de gendarmerie, ait

fortement augmenté en onze ans ; la troisième est que la nature des crimes et délits commis

diffèrent entre les années étudiées avec l’augmentation des actes touchant directement les

personnes5 ; enfin, la quatrième hypothèse serait que le sentiment d’insécurité ne trouve pas

sa source exclusive dans le niveau de délinquance réel et ses évolutions. Compte tenu des

4 Voir Aspects de la criminalité et de la délinquance constatée en France en 2001, Paris, La documentation Française, tome 1 p. 24-29. 5 Ce n’est pas le cas des vols qui constituent la majorité des actes délictueux, dont le nombre n’a guère évolué dans les années étudiées, mais ce pourrait l’être pour les crimes et délits contre les personnes leur proportion ayant doublé entre 1990 et 2002 (op. cit., tome 1 p. 17).

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données dont nous disposons nous ne pourrons pas vérifier l’ensemble de ces hypothèses.

Nous nous intéresserons principalement à la première et la quatrième.

Portrait sociologique de la population en insécurité

Nous allons maintenant analyser la composition sociologique des individus se sentant

peu ou pas du tout en sécurité. Ce sont plus des femmes que des hommes (61% de femmes

alors qu’elles représentent 54% de l’échantillon), des non-bacheliers pour 70% d’entre eux,

des personnes à faible niveau de revenu (47,5% d’entre eux gagnent moins de 1500€ par

mois alors qu’ils représentent 38% de l’échantillon) n’ayant que peu d’éléments de

patrimoine6 (35% des personnes se sentant en insécurité ne disposent d’aucun élément de

patrimoine, alors qu’ils représentent 28% de l’échantillon), enfin ils sont pour 56,5%

d’entre eux ouvriers ou employés. En revanche, on constate que la composition de cette

population par âge et taille d’agglomération est similaire à celle de l’échantillon global.

Comme le montre le tableau ci-dessous 31% des femmes se considèrent peu ou pas

du tout en sécurité contre 24% des hommes. Les sans diplômés sont 45% à ressentir le

même sentiment d’insécurité, tout comme 34% des diplômés du primaire et 30% des

diplômés du secondaire alors que seuls 22% des bacheliers et 18,5% des diplômés du

supérieur sont dans cette situation. Le taux d’insécurité décroît également à mesure que

le revenu mensuel augmente (de 41% pour les individus gagnant moins de 750€ par mois à

19% chez ceux gagnant plus de 3000€) et que le nombre d’éléments de patrimoine est

élevé (de 34% chez ceux n’ayant aucun élément de patrimoine jusqu’à 24% chez ceux en

ayant au moins 4). Les ouvriers, les employés et les commerçants et artisans se sentent

6 Le patrimoine est un indicateur construit à partir des éléments suivant : propriété de son logement, d’une résidence secondaire, d’une entreprise ou d’un fonds de commerce, de valeurs mobilières, d’un livret A, de biens immobiliers de rapport.

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plus en insécurité que le reste de l’échantillon (autour de 33%) contrairement aux cadres

supérieurs, aux professions libérales et aux enseignants (autour de 16% d’individus en

insécurité).

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La population en insécurité

Tout à fait en

sécurité Assez en sécurité

peu en sécurité

pas du tout en sécurité

sous total en insécurité

Total

Sexe de la personne interrogée Homme 25 51 17,5 6,5 24 100 Femme 19,5 49,5 21,5 9,5 31 100

Age 18-25 ans 20 55 18 7 25 100 26-35 ans 23,5 51 18,5 7 25,5 100 36-45 ans 23,5 50 20 6,5 26,5 100 46-59 ans 21 49,5 20,5 9 29,5 100 60 et plus 21,5 49 20 9,5 29,5 100

Niveau de diplôme

Sans-diplômes 17,5 37 26 19,5 45,5 100 Diplômés du primaire 20 46 23 11 34 100 Diplômés du secondaire 20,5 49,5 21,5 8,5 30 100 Bacheliers 21,5 56,5 17,5 4,5 22 100 Diplômés du supérieur 26,5 55 14,5 4 18,5 100

Profession de la personne interrogée Agriculteurs, commerçants, artisans 20 49,5 22 8,5 30,5 100 Classes supérieures, professions libérales, enseignants

28,5 55,5 13 3 16 100

Professions intermédiaires 24 53 18,5 4,5 23 100 Employés 18 49 23 10 33 100 Autres 21,5 51 18 9,5 27,5 100 Ouvriers 21 45,5 22 11,5 33,5 100

Revenu mensuel

750€ et moins 17 42 25 16 41 100 De 751€ à 1500€ 22 46,5 21 10,5 31,5 100 De 1501€ à 2250€ 21 52,5 19,5 7 26,5 100 De 2251€ à 3000€ 23 53 18 6 24 100 3001€ et plus 25 56 15,5 3,5 19 100

Eléments de patrimoine

0 21 45 23 11 34 100 1 22,5 50 19,5 8 27,5 100 2 20 55,5 18,5 6 24,5 100 3 25 57 14,5 3,5 18 100 4 et plus 24 51,5 18 6,5 24,5 100

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Taille d’agglomération

Moins de 2.000 h 26,5 49,5 18 6 24 100 2.000 à 3.500 h 25,5 47,5 18 9 27 100 3.500 à 9.000 h 21,5 50 21 7,5 28,5 100 9.0000 à 30.000 h 17 53 20 10 30 100 30.000 à 100.000 h 20 50 22 8 30 100 Plus de 100.000 h 19,5 50 21 9,5 30,5 100 Paris, Lyon, Marseille 19 55 17 9 26 100

(Source Panel Electoral Français, vague 1 et 2)

Concernant l’âge ou la taille de l’agglomération, la part de personnes interrogées

en insécurité est relativement stable dans les différentes classes. La proportion

d’interviewés se sentant en insécurité oscille entre 24% et 30,5%, sachant que les deux

catégories d’agglomération où le sentiment d’insécurité est le plus faible sont les communes

de moins de 2 000 habitants et Paris, Lyon, Marseille, celles où le sentiment d’insécurité est le

plus fort les villes moyennes (de 9 000 à 100 000) et les grandes villes (plus de 100 000).

A noter que les effets du diplôme, du sexe, du revenu et de la profession de la

personne interrogée sont relativement indépendants les uns des autres eu égard au sentiment

d’insécurité. Autrement dit, les effets d’un faible niveau d’études et de revenu, de la

profession et du sexe peuvent s’additionner, ou se compenser. Ainsi les employées non-

bachelières se sentent plus en insécurité que leurs collègues masculins ayant le même niveau

d’études (38% contre 30%) et que leurs collègues bachelières (38% contre 24%), ces

dernières se sentant moins en insécurité que les employés masculins non-bacheliers.

Cependant, le sentiment d’insécurité ne dépend pas que des caractéristiques sociologiques des

individus7.

7 Si on cherche à prédire le sentiment d’insécurité en fonction des caractéristiques sociologiques de l’échantillon, la part de variance expliquée est très faible, 6,5%. Autrement dit, d’autres logiques sont à l’œuvre que le modèle ici utilisé ne prend pas en compte.

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Les résultats ici exposés nous amènent à revoir certaines idées généralement admises.

Tout d’abord, la faible incidence de la taille de la commune sur le sentiment d’insécurité

est surprenante, tant on aurait pu penser que de la même manière que le taux de délinquance,

le sentiment d’insécurité aurait dû augmenter avec le nombre d’habitants8. Que les habitants

de Paris de Lyon ou de Marseille se sentent approximativement autant en sécurité que ceux

des communes de 3 500 habitants et moins laisse à penser que le sentiment d’insécurité ne

dépend pas exclusivement du niveau objectif de la délinquance.

Le sentiment d’insécurité est plus le fait des « petits », des individus à faibles

ressources culturelles ou matérielles. Ceci pourrait s’expliquer de deux façons : ces

individus, de par leur situation, peuvent vivre dans les quartiers les plus exposés à la

délinquance et aux incivilités, auquel cas leur plus fort sentiment d’insécurité serait dû à

l’incidence directe du taux objectif de criminalité ; mais cette population est également la plus

susceptible d’être confrontée à d’autres risques, notamment économiques comme la précarité

de l’emploi. Le sentiment d’insécurité pourrait alors découler de risques de différentes

natures, dont la délinquance mais pas seulement.

Les origines du sentiment d’insécurité

Certains traits sociologiques des individus peuvent constituer une des explications

possibles au sentiment d’insécurité, même si pour l’heure, on ne peut dire s’ils constituent une

raison en soi.

On peut faire l’hypothèse que le sentiment d’insécurité dépend du taux de criminalité

effectif auquel les individus sont confrontés. Mais ce n’est pas la seule source possible, il

convient également de prendre en compte d’autres éventuels déterminants comme le risque

8 Selon la taille des circonscriptions de sécurité, le taux de délinquance moyen en 2001 évolue comme suit : 74,2 pour 1000 habitants dans les circonscriptions comptant moins de 25 000 habitants, 82,57 pour 1000 pour les circonscriptions ayant entre 25 000 et 50 000 habitants, 86,77 pour 1000 pour celles ayant entre 50 000 et 100 000 habitants, 89,77 pour 1000 pour celles ayant entre 100 000 et 250 000 habitants et 112,84 pour 1000 habitants pour celles comptant plus de 250 000 habitants (Paris non compris), la Capitale ayant un taux de criminalité de 146,62 pour 1000.

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économique perçu par les interviewés ou leur système de valeurs. On peut postuler

qu’indépendamment du niveau de criminalité effectif ou du risque économique ressenti,

certains individus se sentent en insécurité, non pour des raisons objectives, mais parce qu’ils

n’ont pas confiance dans autrui et dans la société en général (hypothèse du capital social).

Autre possibilité, face à une société tendant à la pluralité culturelle, certains, par

ethnocentrisme en arrivent à se sentir en insécurité, qu’ils soient ou non confrontés à des

risques criminels. Si les deux dernières hypothèses s’avèrent justes, on pourra alors conclure

que le sentiment d’insécurité est un phénomène essentiellement subjectif dont la relation avec

les risques objectifs est ténue.

Délinquance objective et insécurité subjective :

Pour appréhender le niveau de délinquance objective auquel les personnes interrogées

dans le Panel Electoral Français sont confrontées, nous avons eu recours aux données fournies

par le Ministère de l’Intérieur pour l’année 2001. Cependant, compte tenu de la structure de

l’échantillon nous n’avons pu retenir comme unité d’analyse pertinente pour le Panel

Electoral que le département. Le niveau objectif d’insécurité dans le département est selon

nous une bonne approximation de la perception que se font les individus du niveau de

délinquance dans leur environnement proche. Non pas qu’ils connaissent les taux de

criminalité exacts, mais que ces chiffres, à condition que le chiffre noir de la délinquance ne

varie pas selon les unités d’analyse, approchent l’estimation que les individus font de

l’ampleur des actes délictueux.

Nous avons utilisé l’agrégat « délinquance de voie publique » construit par le

Ministère de l’Intérieur qui regroupe les actes délictueux qui « touchent le plus au quotidien

les biens des citoyens ou leur personne » (vols à main armée, vols avec violences,

cambriolages, vols d’automobiles et de deux roues, vols à la roulotte et d’accessoires

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automobiles, destructions de biens publics et privés, vols à la tire). Sont donc exclus par

exemple les actes de délinquance financière qui, a priori, ne devraient guère être pris en

compte par les citoyens dans leur appréciation de l’insécurité.

Deux mesures peuvent avoir une incidence directe sur le sentiment d’insécurité,

le taux de délinquance de voie publique pour 1000 habitants et l’augmentation de cette

délinquance entre 2000 et 2001. Le taux de délinquance de voie publique peut s’assimiler à

la probabilité d’être effectivement confronté à un acte délictueux, ou qu’un proche le soit.

Nous avons également intégré dans l’analyse la variation de la délinquance de voie publique,

celle-ci ayant été plus souvent reprise dans les médias que son taux effectif. Elle a donc de

fortes chances d’influer sur la perception du problème par les individus.

Taux de délinquance de voie

publique9 (département) Tout à fait en

sécurité Assez en sécurité

Peu en sécurité

Pas du tout en sécurité

Sous-total en insécurité

Total

De 13.62 à 23.56 pour 1000 29,5% 47,5% 17% 6% 23% 100% De 23.57 à 30.21pour 1000 23% 54% 17,5% 5,5% 23% 100% De 30.22 à 41.93 pour 1000 18,5% 50% 20,5% 11% 31,5% 100% De 41.94 à 50.24 pour 1000 20,5% 52% 20,5% 7% 30,5% 100% De 50.25 à 81.79 pour 1000 17,5% 48% 23,5% 11% 34,5% 100%

Ensemble 22% 50,5% 19,5% 8% 27,5% 100%

Il y a bien une relation entre sentiment d’insécurité et taux de délinquance

départementale, mais pas aussi forte qu’attendue. La corrélation entre les deux variables

n’est que de 0.075, un coefficient faible. Le taux de personnes se sentant en insécurité varie

dans un intervalle de 11,5 points de pourcentage. A noter que le taux départemental de

délinquance de voie publique a un effet indépendant des variables sociologiques

significatives comme le diplôme, le sexe, le revenu et la profession de la personne

9 Les caractéristiques du taux de délinquance sur la voie publique par département sont les suivantes : minimum 13,62 pour 1000, moyenne 37,85 pour 1000, médiane 35,02 pour 1000, maximum 81,78 pour 1000. Les cinq niveaux ont été construits de telle manière que les effectifs de chaque groupe soient similaires.

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interrogée10. Autrement dit, il contribue à l’explication du sentiment d’insécurité mais ne

fournit qu’une logique d’explication en sus de celles précédemment avancées. Cela confirme

l’hypothèse que le sentiment d’insécurité provient aussi d’autres facteurs.

Augmentation de la délinquance de voie publique (département)

Tout à fait en sécurité

Assez en sécurité

Peu en sécurité

Pas du tout en sécurité

Sous-total en insécurité

Total

Jusqu'à 5% d'augmentation 21% 49,5% 21,5% 8% 29,5% 100,0% De 5 à 10% d’augmentation 21% 52% 19% 8% 27% 100,0%

De 10% à 15% d’augmentation 23% 49,5% 19% 8,5% 27,5% 100,0% Plus de 15% d'augmentation 22,5% 51,5% 18,5% 7,5% 26% 100,0%

Ensemble 22% 50,5% 19,5% 8% 27,5% 100,0%

En revanche, l’augmentation de la délinquance sur une année n’a aucune relation

avec le sentiment d’insécurité : les individus vivant dans un département où la délinquance

de voie publique a augmenté de moins de 5% ont autant de chances de se sentir en insécurité

que ceux vivant dans un département où elle a augmenté de plus de 15%. Même si on prend

également en compte le niveau de délinquance, seul ce dernier contribue à expliquer le

sentiment d’insécurité.

L’hypothèse du risque économique :

Compte tenu de la faible relation entre délinquance objective et insécurité subjective,

deux autres possibilités d’explication s’offrent à nous. La première est celle de la nature des

risques à prendre en compte dans l’explication du sentiment d’insécurité, la seconde porte sur

des prédispositions individuelles favorables au développement de ce sentiment, notamment la

confiance dans autrui et dans les institutions socio-politiques, ou le rapport que les individus

entretiennent avec l’ouverture culturelle et sociale de la communauté politique française.

10 Pris comme seul prédicteur du sentiment d’insécurité, il n’explique que 1,5% de la variance, ajouté aux caractéristiques sociologiques des individus, la part de variance expliquée est de 8,5%.

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Nous avons déjà suggéré, compte tenu du profil sociologique de la population en

insécurité, que le risque économique pouvait être à l’origine du sentiment d’insécurité.

C’est cette hypothèse que nous allons maintenant vérifier. Pour cela nous avons construit un

indicateur de risque économique11. A noter que moins l’individu est diplômé ou plus son

revenu mensuel est faible, plus grandes sont ses chances de ressentir un fort risque lié à

l’économie : les non-bacheliers sont 55% à ressentir un très fort ou un fort risque

économique, contre 36% des bacheliers ; les individus gagnant moins de 750€ par mois sont

57% à être dans la même situation contre 26% de ceux qui gagnent plus de 3 000€ par mois.

De même, ce sont les ouvriers et les employés qui ressentent le plus ce risque économique

(respectivement 60,5% et 57% ; chez les cadres supérieurs et professions libérales, la

proportion n’est plus que de 26%) ainsi que les individus ne disposant d’aucun élément de

patrimoine (57%, en comparaison avec ceux ayant quatre éléments de patrimoine : 24%).

Risque économique

subjectif

Tout à fait en

sécurité

assez en sécurité

peu en sécurité

pas du tout en sécurité

Sous total en

insécurité

Total

Très fort risque 11% 43,5% 29% 16,5% 45,5% 100% Fort risque 19,5% 50% 23,5% 7% 30,5% 100%

Risque moyen 24,5% 51% 19,5% 5% 24,5% 100% Faible risque 23,5% 57,5% 14% 5% 19% 100%

Très faible risque 31% 55% 10,5% 3,5% 14% 100% Ensemble 21,5% 50,5% 20% 8% 28% 100%

La relation entre la perception d’un risque économique et le sentiment

d’insécurité est plus forte qu’avec le niveau de délinquance objective. La proportion

d’individus en insécurité triple quand on compare les modalités extrêmes. Que les ouvriers,

les employés, les peu diplômés ou les individus à faible niveau de ressources soient les plus

11 Les questions utilisées ne sont posées qu’en vague 2 du Panel Electoral. Par conséquent l’analyse portera sur 4017.

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nombreux à ressentir un fort risque face à l’économie, nous permet donc de mieux

comprendre la sociologie de la population en insécurité. Le sentiment d’insécurité n’est

donc pas seulement produit par les risques liés à la délinquance mais par d’autres

facteurs parmi lesquels l’appréhension à l’égard du chômage ou de l’économie

mondialisée. Délinquance et risques économiques sont deux logiques qui se surajoutent dans

l’explication du sentiment d’insécurité12.

La confiance dans autrui et dans les institutions comme troisième explication :

Le type d’explication que nous souhaitons explorer maintenant est plus psychologique.

Le taux de délinquance et la perception du risque économique renvoient à des situations

objectives (craindre l’évolution de l’économie pour un ouvrier ou une personne à faibles

revenus découle de leur position dans la société), ce qui est moins le cas pour la confiance

dans autrui ou dans les institutions socio-politiques. Même si la défiance peut provenir de

l’expérience individuelle, elle découle souvent du système de valeurs des individus. Nous

postulons qu’un individu qui déclare ne pas avoir confiance dans autrui, est dans une situation

d’isolement social et tend alors à ne pas se sentir en sécurité. Il en va de même pour les

individus qui déclarent ne pas avoir confiance dans des institutions comme la justice, la police

ou l’administration.

Tout à fait en

sécurité

assez en sécurité

peu en sécurité

pas du tout en sécurité

Sous-total en

insécurité

Total

Confiance dans les institutions

Faible 17% 45,5% 24,5% 13% 37,5% 100% 12 Si on utilise l’indicateur de risque économique comme unique prédicteur du sentiment d’insécurité la part de variance expliquée est de 8,5% (en comparaison avec le taux de 1,5% obtenu avec la délinquance objective). Si on utilise les deux variables, la part de variance est désormais de 10%, autrement dit chacune d’elles apporte sa part propre d’explication.

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Moyenne 20% 52% 21% 7% 28% 100% Forte 27,5% 55,5% 12,5% 4,5% 17% 100%

Confiance dans autrui On peut faire confiance à la

plupart des gens 34,5% 53,5% 9,5% 2,5% 12% 100%

on n’est jamais assez prudent 18% 51,5% 22% 8,5% 30,5% 100% Ensemble 22,5% 52% 18,5% 7% 25,5% 100%

On constate bien une relation entre défiance et sentiment d’insécurité, que cette

défiance porte sur les institutions, sur autrui ou sur les deux. Ainsi, les personnes

interrogées ayant ni confiance dans autrui ni dans les institutions sont 41% à se sentir en

insécurité, contre 8% chez les individus ayant doublement confiance. L’effet des deux types

de confiance est cumulatif.

De plus, apparaît ici une troisième logique du sentiment d’insécurité

indépendante du taux de délinquance réel et du risque économique13. Ceci implique

notamment qu’il n’y a pas de relation directe entre l’insécurité dans le département de

l’individu et son niveau de confiance (la corrélation entre l’insécurité objective et la confiance

dans autrui est de -0.063, avec la confiance dans les institutions de 0.004). Dès lors, un

individu peut avoir confiance dans autrui alors qu’il vit dans un département à forte

délinquance de voie publique, et être défiant alors que la délinquance dans son département

est faible.

Ce résultat est également intéressant en ce que la défiance envers les institutions est un

des symptômes de la crise de la représentation apparue depuis la fin des années 80 en France.

Il s’avère que les personnes se sentant en insécurité ont également plus de chances de ne

pas être intéressés par la politique (53% de peu ou pas intéressés contre 40% pour le reste

de l’échantillon), de considérer les hommes politiques comme corrompus (73% contre

52% pour le reste de l’échantillon), ou qu’ils ne se soucient pas d’eux (88% contre 79%

13 Prises seules ces deux variables expliquent 8,5% de la variance soit autant que le risque économique. En utilisant comme prédicteurs du sentiment d’insécurité les variables de la confiance, le risque économique et le niveau de délinquance objectif, la part de variance expliquée s’élève alors à 13,5%.

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pour le reste de l’échantillon) et de penser que la démocratie ne fonctionne pas bien en

France (58,5% contre 33%). Le sentiment d’insécurité peut donc être un facteur aggravant du

vote protestataire ou de l’abstention. Nous verrons cette hypothèse par la suite.

Ethnocentrisme et sentiment d’insécurité

Enfin, nous avons testé une quatrième explication possible du sentiment d’insécurité,

l’ethnocentrisme, entendu comme l’attitude consistant selon Claude Levi-Strauss à « répudier

purement et simplement les formes culturelles, morales religieuses, sociales qui sont les plus

éloignées de celles auxquelles nous nous identifions ». Nous sommes encore ici dans une

explication psychologique du sentiment d’insécurité, comme conséquence de l’attitude de

rejet face à autrui, notamment les étrangers, indépendamment du niveau objectif de

délinquance.

Tout à

fait en sécurité

assez en sécurité

peu en sécurité

pas du tout en sécurité

Sous-total en

insécurité

Total

Absence d’ethnocentrisme

47% 46% 6% 1% 7% 100%

Faible ethnocentrisme 27% 60% 11% 2% 13% 100% Ethnocentrisme moyen 20% 54,5% 19% 6,5% 25,5% 100%

Fort ethnocentrisme 14% 52% 24,5% 9,5% 34% 100% Très fort

ethnocentrisme 14% 41% 29,5% 15,5% 45% 100%

Ensemble 23% 52% 18% 7% 25% 100%

Comme le montre le tableau ci-dessus, la proportion de personnes en insécurité

fait plus que sextupler selon que la personne interrogée est pas du tout ethnocentriste ou

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très fortement ethnocentriste. Pris seul le niveau d’ethnocentrisme est la première

logique explicative du sentiment d’insécurité14.

La relation constatée entre niveau d’ethnocentrisme et sentiment d’insécurité est

intéressante à plus d’un titre. Tout d’abord, elle nous permet de comprendre la part de

subjectivité derrière l'insécurité. Le niveau d’ethnocentrisme ne dépend pas de l’insécurité

départementale objective et la relation entre insécurité objective et subjective n’est pas aussi

forte qu’attendue à la différence de celle entre ethnocentrisme et insécurité subjective. Dès

lors, on peut conclure que face à un environnement sécurisé des électeurs se sentiront en

insécurité du fait de leur ethnocentrisme, alors que d’autres, confrontés à une forte

criminalité dans leur département, ne seront pas dans ce cas.

De plus, les chercheurs ont constaté une forte relation entre ethnocentrisme et

vote pour l’extrême-droite dans les années 80 et 90. Il se peut donc que la focalisation de la

campagne électorale sur les thèmes de l'insécurité ait contribué au succès de Jean-Marie Le

Pen le 21 avril 2002. Sachant que son électorat est constitué pour une large part d’électeurs

ethnocentristes15, qui, à ce titre, ont plus de chances de se sentir en insécurité, on peut

postuler que le traitement médiatico-politique de la délinquance a influé sur leur mobilisation

et donc sur les résultats au premier tour de la présidentielle. C’est une des hypothèses que

nous vérifierons dans la dernière partie de ce rapport.

Les sentiments d’insécurité

14 A lui seul, il explique près de 13% de la variance, soit le meilleur score des différentes logiques explicatives proposées. A noter, qu’il fait baisser l’influence du risque économique, les deux variables étant fortement corrélées, même si ce dernier reste significatif. 15 Cf. Nonna Mayer, Ces Français qui votent Le Pen, Paris, Flammarion, 2002, Pascal Perrineau, Le symptôme Le Pen : radiographie des électeurs du FN, Paris, Fayard, 1998.

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Il existe bien une relation entre sentiment d’insécurité et délinquance objective mais

cette relation n’est pas aussi forte qu’attendue. Le sentiment d’insécurité découle également

d’autres risques, notamment les craintes liées à la globalisation de l’économie. Enfin, le

sentiment d’insécurité est avant tout le produit d’une logique subjective, notamment le niveau

d’ethnocentrisme des individus, leur confiance envers autrui ou envers les institutions socio-

politiques. Les raisons pour se sentir en insécurité sont donc multiples. De plus, le sentiment

d’insécurité semble partager des logiques explicatives avec deux autres phénomènes : la

montée de la défiance envers la politique et celle de l’extrême-droite dans l’Hexagone.

Restera à mettre en évidence le lien causal entre insécurité et comportements électoraux

protestataires.

Nous avons utilisé les quatre logiques mises en évidence dans un même modèle afin

de prédire le sentiment d’insécurité. Le modèle proposé permet de bien comprendre ce

phénomène16 et de hiérarchiser entre les logiques à l’œuvre.

Tout d’abord chacune d’entre elles (ethnocentrisme, confiance, risque

économique et délinquance objective) apporte sa part d’explication, toutes choses égales

par ailleurs. Autrement dit, le niveau départemental de délinquance de voie publique a bien un

effet sur le sentiment d’insécurité, que l’individu ait confiance ou non, ressente un fort risque

économique ou non ou soit plus ou moins ethnocentriste. Mais, la première logique

explicative du sentiment d’insécurité reste l’ethnocentrisme. Ainsi selon que l’individu est

pas du tout ou très ethnocentriste, ses chances de se sentir en insécurité sont multipliées par

sept, indépendamment de ses autres caractéristiques. La deuxième logique est le risque

économique : selon que l’individu ressent un très fort ou un très faible risque, sa probabilité

de se sentir en insécurité triple. En troisième place seulement, vient le taux départemental

de délinquance de voie publique, légèrement devant la confiance dans autrui et dans les

16 La part de variance expliquée est de 20%, ce qui constitue un bon résultat.

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institutions. Les chances pour un individu de se sentir en insécurité doublent selon qu’il vit

dans un département où la délinquance de voie publique est très faible ou très forte.

Ceci nous conduira dans les analyses qui suivront à distinguer entre insécurité

subjective et insécurité objective, celles-ci ayant des relations moins fortes qu’attendues. Le

sentiment d’insécurité semble bien être un phénomène plus complexe que la simple

transposition dans l’attitude des individus du risque induit par le taux de délinquance

auquel ils sont confrontés. Essentiellement, l’insécurité subjective dépend de leur attitude à

l’égard de l’ouverture à autrui (notamment aux immigrés et à leur culture, ou de leur

confiance envers autrui), et comme nous l’avons vu cette attitude n’a que peu à voir avec les

actes délictueux advenus dans leur environnement proche.

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Offre politique et demandes des électeurs sur la délinquance :

Les développements qui suivent visent à dresser l’état des préférences des électeurs en

matière de traitement de l’insécurité et établir si, d’une part, les candidats à la présidentielle,

pris comme un ensemble, ont su les satisfaire et, d’autre part, quels candidats apparaissent

comme les mieux à même de résoudre ce problème. Cette partie constitue donc une étape

intermédiaire nécessaire à l’étude des relations entre vote et insécurité.

Cette question de la rencontre entre l’offre et la demande renvoie également à la

problématique de la crise de la représentation qui semble bien avoir culminée lors de la

dernière présidentielle. Comme nous l’avons déjà fait remarquer, une des explications à la

montée des comportements électoraux protestataires peut être l’incapacité des hommes

politiques à résoudre les problèmes que rencontrent les Français ou l’inadéquation entre leurs

programmes et les souhaits des électeurs. Le problème de l’insécurité peut constituer un

terrain de validation de cette hypothèse, si la rencontre entre offre et demande n’a pas eu lieu,

puisqu’il constitue à la fois une des premières préoccupations des Français et le thème le plus

abordé lors de la campagne. De même, en analysant les candidats placés en tête par les

Français pour résoudre la délinquance on pourra dire « à qui profite le crime », les candidats

des partis traditionnels ou les candidats hors-système comme Jean-Marie Le Pen ?

Les analyses qui suivent porteront essentiellement sur la première vague du Panel

Electoral Français, qui comporte plusieurs questions relatives aux moyens à mettre en œuvre

pour résoudre la délinquance et sur la crédibilité des candidats en la matière.

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Les moyens de résoudre la délinquance privilégiés par les Français

Différentes politiques de sécurité ont été testées, il est donc possible de dresser un

panorama des préférences des Français en la matière17.

Quels seraient à votre avis les deux moyens les plus efficaces pour lutter contre l’insécurité ? En premier ? En second ? En Premier En premier ou en second

Une justice plus sévère 43% 60% Davantage de moyens pour la police 20,5% 52,5%

L’amélioration des conditions de vie dans les grands ensembles

19,5% 36,5%

Un meilleur encadrement des adolescents 16% 47% Se défendre par ses propres moyens 1% 2,5%

Total 100% Plusieurs réponses possibles

Pour chacune des de ces mesures, estimez-vous qu’elle est souhaitable et réalisable, souhaitable mais pas réalisable, pas souhaitable ? La création de centres fermés pour les délinquants

mineurs multi-récidivistes ? Souhaitable et réalisable 69%

Souhaitable mais pas réalisable 17%

Pas souhaitable 14%

Total 100%

17 Les questions diffèrent cependant dans leurs formats et dans les dimensions utilisées. Pour la première sont proposés aux personnes interrogées quatre moyens de traiter la délinquance (une justice plus sévère, davantage de moyens pour la police, l’amélioration des conditions de vie dans les grands ensembles, un meilleur encadrement des adolescents, se défendre par ses propres moyens), à charge pour eux de choisir les deux plus efficaces. Pour la seconde, est demandé aux interviewés si la création de centres fermés pour les mineurs délinquants est une mesure souhaitable et réalisable, souhaitable mais non réalisable ou pas souhaitable. On mesure donc à la fois l’accord et la dimension du possible. Enfin, dans la troisième est testé l’accord des personnes interrogées avec la suppression des allocations familiales aux familles des mineurs délinquants. A noter que pour chacune de ces questions, les taux de sans-réponses sont très faibles (0,5% pour le premier moyen le plus efficace, 2% pour le second, 4% pour les centres fermés et 4% pour la suppression des allocations familiales).

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Pour lutter contre la délinquance il faudrait supprimer les allocations familiales aux familles de mineurs délinquants.

Tout à fait d’accord 25,5%

Plutôt d’accord 27,5%

Plutôt pas d’accord 27%

Pas d’accord du tout 20%

Total 100%

Le résultat le plus marquant est l’approbation des Français dans leur majorité

pour les politiques de répression plutôt que de prévention. C’est particulièrement le cas

pour la question des moyens les plus efficaces où la sévérité de la justice et l’augmentation

des moyens pour la police sont largement privilégiées par rapport à des politiques plus

préventives comme l’amélioration des conditions de vie ou l’encadrement des adolescents.

Ceci est corroboré par le soutien exprimé par plus d’un Français sur deux pour la création des

centres fermés (86% si on ajoute ceux qui émettent des doutes sur la faisabilité du projet), et

le soutien majoritaire à la suppression des allocations familiales (53,5%). Les solutions

privilégiées par les Français restent cependant politiques, seuls 2,5% des interviewés

privilégiant la self-défense et 1% la considérant comme le moyen le plus efficace.

Ces résultats mettent à jour une tendance dans le temps vers un plus grand

soutien aux politiques répressives de la part des électeurs. La question des moyens les plus

efficaces avait déjà été posée en 1993 avec des résultats sensiblement différents. En 10 ans, la

proportion de personnes interrogées citant la sévérité de la justice comme l’un des deux

moyens les plus efficaces est passée de 49% à 60%, alors que le soutien aux moyens de la

police n’a augmenté que de 4,5 points et l’amélioration des conditions de vie a perdu 5,5

points passant de 42% à 36,5%. En 2000, la suppression des allocations familiales a

également été testée, mais sous l’angle de l’efficacité et non de l’accord. A l’époque, 45% des

Français la considéraient comme un moyen très ou assez efficace pour lutter contre la

délinquance, aujourd’hui une majorité des Français est d’accord avec sa mise en œuvre.

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Les clivages internes de l’électorat sur les politiques de sécurité

Nous avons analysé les variations des réponses à ces questions en fonction des

caractéristiques socio-démographiques des individus. Le soutien aux politiques répressives

augmente avec l’âge et chez les peu ou pas diplômés. Il en va ainsi de la suppression des

allocations familiales dont le taux d’accord est de 59,5% chez les sans-diplômes contre 44,5%

chez les diplômés du supérieur, de 44% chez les 18-25 ans contre 53% pour le reste de

l’échantillon. C’est également le cas des moyens les plus efficaces pour lutter contre la

délinquance : les diplômés du supérieur ne sont que 45,5% à citer une justice plus sévère ou

43,5% qui se prononcent pour plus de moyens à la police alors qu’ils sont 50,5% à privilégier

l’amélioration des conditions de vie et 58% à plaider pour un meilleur encadrement des

adolescents. En revanche, les sans-diplômes sont 73% à citer la sévérité de la justice et 58,5%

davantage de moyens pour la police. Plus la personne interrogée est âgée, plus elle

privilégiera la sanction par rapport à la prévention (la sévérité de la justice est citée par 51,5%

des 18-25 ans, 57% des 26-35 ans contre 65% des plus de 60 ans, l’encadrement des

adolescents par 53,5% des 18-25 ans, 48,5% des 26-35 ans et 44% des plus de 60 ans).

Insécurité objective, insécurité subjective et politiques de sécurité

Nous avons également analysé ces questions aux prismes de l’insécurité objective

(mesurée par le taux départemental de délinquance de voie publique) et de l’insécurité

subjective (sentiment d’insécurité). Il s’avère que seule la seconde entraîne des variations

significatives pour les préférences en matière de traitement de la délinquance. Moins

l’individu se sent en sécurité dans sa vie quotidienne plus grandes sont ces chances de

pencher pour les politiques répressives, alors que vivre dans un département à forte ou à

faible délinquance n’induit pas de réponses différentes. Par exemple, le taux d’accord

concernant la suppression des allocations familiales passe de 39,5% pour les individus se

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sentant tout à fait en sécurité à 70,5% pour ceux se sentant pas du tout en sécurité, alors qu’il

est de 51% pour les individus vivant dans les départements où la délinquance de voie

publique est soit la plus faible soit la plus forte. Même à niveau d’insécurité subjective égal,

l’insécurité objective n’a pas de relation significative allant dans le sens d’un soutien plus

prononcé auxs politiques de sanction. Cependant, le taux d’insécurité objectif a une influence

sur les réponses des plus de 60 ans, notamment pour le soutien à la suppression des

allocations familiales.

Il semble donc que ce soit la dimension des valeurs à l’origine du sentiment

d’insécurité mise en évidence dans la première partie qui pèse ici et non pas l’origine

objective de ce sentiment. Le niveau d’ethnocentrisme, notamment parce qu’il va très

souvent de pair avec l’autoritarisme, est fortement associé au soutien aux politiques de

sanction. Pour la suppression des allocations familiales le taux d’accord passe de 23,5% chez

les « pas du tout ethnocentristes » à 80,5% chez les « très ethnocentristes ». Les premiers sont

71% à citer l’amélioration des conditions de vie dans les grands ensembles comme un moyen

efficace pour lutter contre la délinquance et 67,5% à privilégier un meilleur encadrement des

adolescents, alors qu’ils ne sont plus que 12,5% et 33% chez les seconds.

Préférences politiques et politiques de sécurité

Enfin, puisque nous traitons ici de la relation entre offre et demande politique nous

avons analysé l’incidence des préférences politiques individuelles (positions sur l’axe gauche

/ droite et proximité partisane) sur le soutien aux politiques de traitement de la délinquance.

Les préférences des personnes de gauche tendent vers les politiques de prévention et

celles des individus de droite vers les politiques de sanction : « une justice plus sévère » est

cité par 48% des individus de gauche, 64,5% des ni de gauche ni de droite et 72,5% des

individus de droite, « davantage de moyens pour la police » par 44,5% des premiers, 53% des

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deuxièmes et 64% des troisièmes, « l’amélioration des conditions de vie » par 50,5% des

premiers, 29,5% des deuxièmes et 23% des troisièmes, « un meilleur encadrement des

adolescents » par 54,5% des premiers, 46% des seconds et 37% des troisièmes.

A l’intérieur de chacun des camps, on constate une relation linéaire allant vers

plus de sanction : selon que l’individu est d’extrême-gauche, de gauche ou de centre gauche,

le privilégie accordé aux politiques de sanction évolue à la hausse, tout comme avec le

passage du centre droit, à la droite ou à l’extrême-droite le soutien aux politiques de sanction

augmente. Il en va de même pour la suppression des allocations familiales, la majorité des

individus de gauche s’y oppose, alors que le reste de l’échantillon l’approuve avec un pic pour

les individus d’extrême-droite qui la souhaitent (69%). La création des centres fermés pour

mineurs délinquants est une mesure à la fois souhaitable et réalisable pour la majorité des

personnes interrogées quelle que soit leur position sur l’axe gauche / droite avec un soutien

d’autant plus fort chez les individus de droite.

L’analyse des réponses par la proximité partisane des individus recoupe les

résultats obtenus avec l’axe gauche / droite. A noter que les proches du Mouvement des

Citoyens penchent plus pour les politiques répressives que les proches des autres partis de

gauche et que les proches des écologistes ou des mouvements d’extrême-gauche sont les plus

en faveur des politiques de prévention et les plus opposés aux politiques de sanction. Quant

aux proches du FN, ils se caractérisent par un soutien encore plus fort aux politiques de

sanction que les proches des partis de la droite modérée18.

La majorité des moyens pour résoudre la délinquance sur lesquels les interviewés

avaient à se prononcer figurait bel et bien dans les programmes défendus par un ou plusieurs

candidats (notamment l’augmentation des moyens de la police, les centres fermés, ou la

sévérité de la justice). Il s’agit maintenant de déterminer la crédibilité des différents candidats,

18 Pour la suppression des allocations familiales, 35,5% des proches de LO, de la LCR ou du PT l’approuvent, 40% des proches des écologistes, 43% des proches du PCF, 44% des proches du PS, 61% des proches du MDC, 54% pour les proches de l’UDF, 62,5% pour les proches du RPR et 81,5% pour les proches du FN.

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de déterminer lequel est considéré comme le meilleur en la matière, de voir si les propositions

défendues sur l’insécurité ont profité à des candidats traditionnels ou hors-système.

L’évaluation des candidats sur le problème de l’insécurité

La hiérarchie des problèmes lors de l’élection présidentielle

Nous avons pour l’heure analysé les préférences des individus en matière de traitement

de l’insécurité. Cependant, prendre position sur les meilleurs moyens à appliquer ou sur la

suppression des allocations familiales, n’impliquent pas que tous les électeurs aient pris en

compte la délinquance dans leur évaluation des candidats. Le vote est un processus complexe,

notamment par la multiplicité des critères que les électeurs sont amenés à utiliser. Certains

raisonnent en fonction de la personnalité, de leur affiliation politique ou en fonction de leurs

priorités et des problèmes qui leur importent. Pour certains commentateurs, l’insécurité

était la première préoccupation des Français, mais ceci n’implique pas qu’elle l’ait été

pour chaque électeur.

Les personnes interrogées dans les deux dernières semaines avant l’élection devaient

déterminer parmi une liste de douze problèmes le premier, le deuxième et le troisième enjeu

en termes d’importance dans leur vote. La liste comportait les enjeux suivants : la pollution, le

chômage, l’immigration, les inégalités sociales, les scandales politiques, la délinquance, le

fonctionnement de l’école, les retraites, la construction européenne, la lutte contre le

terrorisme, la souveraineté de la France et la baisse des impôts.

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Bien qu’elle ait pris une plus grande importance pour les électeurs depuis la

dernière élection présidentielle19, la délinquance n’est pas le problème le plus cité en

premier par les personnes interrogées, mais le chômage : 19,5% pour la délinquance et

33,5% pour le chômage. 57% des interviewés citent le problème de la délinquance parmi les

trois problèmes qu’ils ont pris en compte avant de voter, contre 62% pour le chômage. Elle

arrive donc en deuxième position et constitue donc bien un enjeu pour nombre de Français,

mais finalement moins que ce à quoi on aurait pu s’attendre.

C’est sur les individus ayant cité la délinquance comme un des trois principaux

problèmes pris en compte dans leur choix électoral que nous focaliserons l’analyse. S’il

existe un effet de l’insécurité sur le choix électoral ce ne pourra être que sur ces individus

particuliers. S’ils n’ont pas sélectionné la délinquance, les chances sont fortes que leur

décision électorale ait été motivée par d’autres enjeux. Auquel cas, même s’ils étaient

informés des propositions défendues par les candidats pour résoudre l’insécurité, ils leur ont

porté un faible intérêt. De plus, moins l’intérêt porté à la délinquance est fort, plus grandes

sont les chances que les individus ne puissent juger de la crédibilité et de la compétence des

candidats sur cet enjeu.

Profil des électeurs citant la délinquance

Environ 63,5% des électeurs plaçant la délinquance en tête de leurs

préoccupations ne se sentent pas en insécurité dans leur vie quotidienne. 31,5% des

individus se sentant en insécurité ne citent pas la délinquance comme un des trois

problèmes les plus importants. Ce dernier résultat permet de démontrer une nouvelle

fois que le sentiment d’insécurité n’est pas que lié à la crainte de la délinquance mais à

d’autres raisons (comme le risque économique). De plus, le niveau départemental

19 En 1995, la sécurité des biens et des personnes n’était que le huitième enjeu le plus important pour les personnes interrogées après, par ordre d’importance, le chômage, la formation des jeunes, le SIDA, l’exclusion, la protection sociale, la corruption et le pouvoir d’achat.

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d’insécurité objective n’a pas de relation avec le fait de placer la délinquance dans les

problèmes les plus importants. Près de 34% des personnes dans ce cas vivent dans des

départements où la délinquance de voie publique est dans la moyenne nationale, voire

inférieure à cette moyenne et ne se sentent pas en insécurité.

On peut donc penser, notamment pour ces individus, que cette préoccupation

pour la délinquance est motivée soit par un effet d’agenda (dû au traitement médiatique

et politique qui en a été fait) soit par des raisons idéologiques. De fait, si on essaye de

prédire la prise en compte de la délinquance dans le choix électoral, trois variables influent de

manière significative : le niveau d’ethnocentrisme, la position sur l’axe gauche / droite (ou la

proximité partisane) et l’insécurité subjective. La délinquance est plus une préoccupation

des individus se situant à droite ou proches des partis de droite : 69% des individus dans

cette situation citent la délinquance comme un des trois problèmes qu’ils ont pris en compte,

contre 58% de ceux qui se situent ni à droite ni à gauche et 48% des personnes de gauche.

De même plus l’individu est ethnocentriste, plus grandes sont ces chances de

prendre en compte la délinquance dans son vote, indépendamment de son positionnement

politique ou du fait qu’il se sente en insécurité ou non : les « peu ou pas du tout

ethnocentristes » sont 41% à citer la délinquance, contre 64,5% des « fortement

ethnocentristes » ; les ethnocentristes de gauche sont 61,5% à citer la délinquance contre 34%

des « peu ou pas du tout ethnocentristes » ayant le même positionnement politique.

Il n’en reste pas moins que la délinquance est considérée comme un des trois

problèmes les plus importants par 30,5% des individus ni de droite, ni ethnocentristes ni

en insécurité. Ceci confirme qu’il y a bien eu un effet du traitement médiatique de

l’insécurité et de la place que lui a réservé la campagne électorale.

Il existe une différence entre ceux qui placent l’insécurité comme premier problème et

ceux qui la placent en deuxième ou troisième position en terme d’importance, ces derniers

étant plus souvent proches des partis de gauche et ne se sentant pas en insécurité. Le premier

groupe cite plus la délinquance pour des raisons idéologiques ou du fait de leur sentiment

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d’insécurité alors que le second intègre plutôt la délinquance à son importance dans la

campagne électorale.

Qui sont les candidats les plus compétents en matière de délinquance ?

Après avoir eu à citer les trois enjeux les plus importants, les personnes interrogées

dans la première vague du Panel Electoral avaient à choisir lequel des candidats leur

semblaient défendre les meilleures solutions sur ces mêmes enjeux. Cette question nous

permettra de déterminer quel candidat disposait aux yeux des électeurs du meilleur

programme ou de la meilleure expertise sectorielle pour résoudre le problème de la

délinquance. D’une certaine manière, à qui profite le crime ?

Un fort taux de non-réponses :

La réponse, en terme de fréquence, est : à personne. 45% des personnes

interrogées soit n’ont pas répondu soit ont répondu « aucun ». Cette proportion de non-

réponse peut s’expliquer de deux manières : soit comme le résultat de la crise de confiance

envers le politique, aucune des réponses aux problèmes de la délinquance proposées par les

candidats n'ayant convaincu, soit parce que la campagne présidentielle, notoirement courte et

ressentie comme sans grand intérêt pour les Français, n’a pas mobilisé les électeurs et donc ne

les a pas suffisamment informé.

Plusieurs faits laissent à penser que la deuxième hypothèse est la bonne. D’abord,

ce fort de taux de non-réponses se retrouve pour la plupart des enjeux testés. Pour sept enjeux

sur douze (dont le chômage ou la délinquance par exemple), le taux de sans-réponses varie

entre 45% et 55,5%. Ensuite, sur l’enjeu de la sécurité des biens et des personnes en 1995 et

celui de la délinquance en 2002 le taux de sans-réponses fait plus que doubler passant de 22%

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à 45%20. La campagne électorale n’a donc pas permis de susciter l’intérêt des électeurs les

moins impliqués, d’où notamment le fort taux d’abstention constaté le 21 avril.

Les quatre candidats les plus crédibles sur la délinquance :

Reste que 55% des personnes ayant cité la délinquance comme l’un des trois

problèmes les plus importants désignent un candidat pour résoudre ce problème21.

Candidat choisi Délinquance citée en premier

Délinquance citée en deuxième ou en

troisième

Ensemble

Lionel Jospin 10% 20,5% 16,5% Jean-Pierre Chevènement 19% 17,5% 18%

Jacques Chirac 22% 17% 19% Jean-Marie Le Pen 23% 19,5% 20,5%

Un autre candidat de gauche 4% 8,5% 7% Un autre candidat de droite

ou d'extrême-droite 22% 17% 19%

Total 100% 100% 100%

Le problème de la délinquance est plutôt défavorable aux candidats de gauche :

41,5% des individus concernés par cet enjeu considèrent un des candidats de la gauche

comme à même de le résoudre. Ceci s’explique notamment par les caractéristiques des

individus préoccupés par la délinquance, plus souvent de droite ou ni de gauche ni de droite.

Cet effet de composition est d’autant plus marquant pour les individus ayant cité la

20 Sachant qu’en 1995, les personnes interrogées devaient déterminer quel candidat était le mieux à même de résoudre l’enjeu, quelle que soit l’importance que l’individu lui accordait alors qu’en 2002 seules les personnes considérant la délinquance comme importante avaient à se prononcer. 21 L’analyse porte sur 1280 individus.

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délinquance comme le premier problème pris en compte dans leur vote. Parmi ceux-ci la part

des candidats de gauche tombe à 33%, sachant que, si l’insécurité a pu motiver le vote, c’est

particulièrement sur eux.

On ne peut que souligner le succès du Président du FN et de celui du MDC qui,

sur la délinquance, jouissent de la reconnaissance d’une expertise largement supérieure

à leur audience habituelle dans l’électorat. D’ailleurs ces deux candidats rassemblent plus

souvent que les deux candidats sortants des individus politiquement non proches d’eux. Ainsi

alors que Lionel Jospin et Jacques Chirac ont essentiellement convaincu sur la délinquance

des individus issus du PS (pour 79,5% des individus citant l’ancien Premier Ministre) ou du

RPR (72,5% des individus considérant le Président sortant comme le plus compétent sur la

question), les proches du FN ne représentent que 31% des individus ayant désigné Jean-Marie

Le Pen et les proches du MDC ne sont que 15% des individus ayant cité Jean-Pierre

Chevènement.

L’expertise sectorielle de Jean-Marie Le Pen

Nous avons analysé le profil des individus ayant choisi l’un de ces quatre candidats en

fonction de plusieurs critères : le positionnement politique des individus, leur niveau

d’ethnocentrisme, leur sentiment d’insécurité et le taux de délinquance de voie publique dans

leur département22. Le profil le plus atypique est celui des personnes interrogées

choisissant Jean-Marie Le Pen plutôt qu’un des trois autres candidats.

La seule différence de profil significative entre les individus choisissant Lionel

Jospin, Jean-Pierre Chevènement ou Jacques Chirac est leur positionnement politique.

Parmi les individus dans ce cas, les chances de choisir Jean-Pierre Chevènement, Jacques

Chirac ou Lionel Jospin sont approximativement les mêmes que l’individu se sente en

22 Si on prend seulement ces quatre variables comme prédicteurs du choix entre Lionel Jospin, Jean-Pierre Chevènement, Jacques Chirac et Jean-Marie Le Pen, on réussit à rendre compte de 42% de la variance. Autrement dit, on peut prédire avec une grande précision les choix individuels entre ces quatre candidats.

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insécurité ou non, qu’il vive dans un département à forte ou faible délinquance ou qu’il soit

fortement ethnocentriste ou non23.

Les personnes qui choisissent Jean-Marie Le Pen se distinguent par contre de

ceux qui désignent l’un des trois autres candidats, non seulement par leur

positionnement politique à droite ou leur fort niveau d’ethnocentrisme, ce qui est un

résultat bien connu, mais surtout par leur plus fort sentiment d’insécurité et le fait qu’ils

vivent plus souvent dans un département à forte délinquance de voie publique. Ainsi les

individus se sentant en insécurité ont deux fois plus de chances de choisir Jean Marie Le Pen

que Lionel Jospin, 1,5 fois plus de chances de choisir le président du FN plutôt que celui du

MDC ou le Président de la République sortant, toutes choses égales par ailleurs. Ceux qui

vivent dans un département à forte délinquance de voie publique ont 1,7 fois plus de chances

de préférer Jean-Marie Le Pen à Jacques Chirac.

Les effets de la délinquance objective et de l’insécurité subjective se surajoutent :

les individus se sentant en sécurité et vivant dans les départements à faible délinquance sont

29% à choisir Jacques Chirac et 24,5% Jean-Marie Le Pen, alors que ceux se sentant en

insécurité et vivant dans les départements à forte délinquance ne sont plus que 16,5% à choisir

le premier mais 42,5% à citer le second.

Le candidat qui a le plus profité du sentiment d’insécurité et de l’insécurité

objective est donc Jean-Marie Le Pen et plutôt au détriment des candidats de la droite

modérée et particulièrement de Jacques Chirac. Même si les électeurs de gauche sont

12,5% à avoir choisi le président du FN comme le meilleur candidat sur l’insécurité, ils sont

pour la plupart restés fidèles à un candidat de leur camp : 71% d’entre eux ont agi ainsi, dont

35,5% en faveur de Lionel Jospin et 24% en faveur de Jean-Pierre Chevènement. En

23 Par exemple 34% des individus ayant choisi l’un de ces trois candidats et se sentant en sécurité choisissent Jacques Chirac, contre 38% pour ceux qui se sentent en insécurité, soit une différence insuffisante pour être significative. En revanche, parmi ceux ayant choisi Jean-Pierre Chevènement, Lionel Jospin ou Jacques Chirac, à peine 7% des individus de gauche ont préféré le président sortant, 33,5% des ni de gauche ni de droite et 70,5% des individus de droite.

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revanche, 28% des électeurs qui se définissent comme plutôt de droite désignent Jean-Marie

Le Pen contre 34% pour Jacques Chirac.

Le Président sortant a été pris lors de cette campagne dans un entre-deux, les

Français privilégiant les politiques de prévention lui préférant les candidats de gauche,

et ceux partisans des politiques de sanction désignant plus souvent Jean-Marie Le Pen.

Les personnes privilégiant comme moyen de lutte contre la délinquance la sévérité de la

justice sont 23,5% à désigner Jean Marie Le Pen comme le meilleur candidat sur la

délinquance contre 20,5% Jacques Chirac, ceux citant l’augmentation du budget de la police

24,5% à choisir le premier et 19,5% le second. Lionel Jospin est le candidat préféré par 24,5%

des individus privilégiant l’amélioration des conditions de vie dans les grands ensembles,

juste devant Jean-Pierre Chevènement (22%), puis Jacques Chirac (14%). Même pour les

personnes interrogées qui préconisent un meilleur encadrement des adolescents, le Président

sortant n’arrive qu’en troisième position après les deux candidats de gauche.

Les solutions à la délinquance proposées par les candidats des partis traditionnels

correspondaient bien aux attentes de la majorité des Français, mais cette adéquation ne

leur a guère profité. Premièrement, Les électeurs qui ont explicitement fait mention du

problème de la délinquance comme l’un de ceux pris en compte dans leur évaluation des

candidats sont près de la moitié à ne pas pouvoir (ou vouloir) désigner un candidat comme le

mieux à même de le résoudre. En cela on retrouve un effet direct de la trop courte campagne

présidentielle, insuffisante pour permettre aux électeurs de se mobiliser et de se faire leur

opinion. Deuxièmement le candidat le plus compétent pour ces individus est un candidat hors-

système, Jean-Marie Le Pen, ceci étant d’autant plus vrai que les électeurs se sentent en

insécurité et vivent dans un département à forte délinquance de voie publique. On peut y voir

une des raisons du succès du président du FN, même s’il reste à démontrer si cette préférence

s’est effectivement traduite dans les urnes. Il semble que ces électeurs en insécurité ne fassent

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plus confiance aux partis et candidats traditionnels pour résoudre leurs problèmes, lui

préférant des alternatives plus radicales.

Insécurité objective, insécurité subjective et comportement électoral

Il s’agira ici d’évaluer la part d’explication de l’insécurité objective et subjective dans

les résultats du premier tour de l’élection présidentielle de 2002. Plusieurs questions se posent

à cet égard. D’abord, certains commentateurs et hommes politiques ont établi un lien de

causalité directe entre délinquance objective, insécurité subjective et vote, analysant ainsi

l’échec de Lionel Jospin et le succès de Jean-Marie Le Pen notamment. Mais compte tenu des

résultats obtenus dans les deux premières parties, plusieurs questions se posent.

Tout d’abord, on a pu remarquer la faible incidence du niveau d’insécurité objective

sur la place que les individus attribuent à la délinquance dans leurs préoccupations, voire dans

leur appréciation du meilleur candidat sur la question. Il se peut donc que la relation entre

insécurité objective et vote soit plus complexe qu’attendue. Nous postulons, compte tenu de

nos premiers résultats, qu’au niveau national (que l’on peut assimiler à l’échantillon des

personnes interrogées dans le Panel Electoral Français), la relation entre niveau objectif de

délinquance et comportement électoral sera faible. On peut penser que, si influence du niveau

objectif de délinquance il y a, cette influence sera liée à certaines caractéristiques des

individus et de leur environnement immédiat. Pour vérifier cette hypothèse nous procéderons

à deux analyses : la première examinera l’influence de l’insécurité objective à l’échelle

nationale en utilisant le Panel Electoral Français, la seconde sera une analyse écologique

portant sur les villes de plus de 9000 habitants pour lesquelles nous mêlerons les résultats

électoraux, les caractéristiques socio-économiques de l’électorat et le taux de délinquance

(utilisant comme données sources le taux de délinquance par circonscription de sécurité

publique).

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On peut également mettre en question l’influence du sentiment d’insécurité sur le vote.

Comme nous l’avons vu dans la première partie, les raisons de se sentir en insécurité sont

multiples (insécurité objective, crainte face à l’économie, défiance envers autrui ou envers les

institutions, ethnocentrisme) et chacune de ces raisons peut peser différemment sur la relation

entre ce sentiment et le comportement électoral. Par exemple, un fort niveau d’ethnocentrisme

entraîne une plus forte probabilité d’un vote à l’extrême-droite, il se peut donc que le

sentiment d’insécurité n’ait pas d’effet propre sur le vote Le Pen. De même, les individus se

sentant en insécurité pour des raisons économiques peuvent différer du reste de la population

en insécurité notamment par un vote en faveur de l’extrême-gauche. Il peut aussi constater

une relation entre sentiment d’insécurité et abstention, notamment parce que l’un et l’autre

dépendent de la confiance des électeurs envers la politique et ceux qui l’incarnent. Enfin, on

peut se demander si le sentiment d’insécurité est un facteur de mobilisation supplémentaire de

certains électorats (cette population étant plutôt de droite, proches des partis de la droite

modérée ou de l’extrême-droite), ou bien un facteur troublant la relation entre préférences

politiques et vote, qui entraînerait un vote sur enjeu en défaveur du candidat et du parti que les

individus soutiennent traditionnellement, voire les deux.

Pour qui votent les électeurs en insécurité ?

Nous avons utilisé principalement dans les analyses, qui suivent la deuxième vague du

Panel Electoral Français réalisée après le deuxième tour de la présidentielle, préférant

travailler sur le vote effectif des individus plutôt que sur leurs intentions de vote recueillies

lors de la première vague. Cependant, nous y recourrons de manière ponctuelle. Par souci de

clarté dans la démonstration nous avons regroupé certains votes, notamment pour les

candidats de l’extrême-gauche, de la gauche plurielle, Jean-Pierre Chevènement non-compris,

les candidats de droite, Jacques Chirac étant distingué, et le vote pour l’un des deux candidats

d’extrême-droite (Jean-Marie Le Pen étant le candidat choisi par 91% des individus

concernés)

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Extrême-

gauche Gauche plurielle

Jean-Pierre Chevènement

Candidats de droite

Jacques Chirac Extrême-droite Abstention, nul ou sans-réponses

Total

Tout à fait en sécurité 8,5% 30% 3% 13,5% 11% 8% 26% 100% assez en sécurité 8% 18,5% 4,5% 14% 15% 11% 29% 100%

Sous-total en sécurité

8% 22% 4% 14% 13,5% 10% 28,5% 100%

peu en sécurité 6,5% 11% 4% 11% 14% 22% 31,5% 100% pas du tout en

sécurité 5% 10% 2% 10% 12% 26,5% 34,5% 100%

Sous-total en insécurité

6% 10,5% 3,5% 10,5% 13,5% 23% 33% 100%

Ensemble 7% 19% 4% 13% 13,5% 14% 29,5% 100%

Taux de

délinquance de voie publique

Extrême-gauche

Gauche plurielle

Jean-Pierre Chevènement

Candidats de droite

Jacques Chirac Extrême-droite Abstention, nul, ou sans-réponses

Total

De 13.62 à 23.56 pour 1000

8% 18% 3% 13% 16% 14% 28% 100%

De 23.57 à 30.21pour 1000

8,5% 18% 3% 14,5% 13% 12,5% 30,5% 100%

De 30.22 à 41.93 pour 1000

6,5% 20% 4% 11% 13% 17,5% 28% 100%

De 41.94 à 50.24 pour 1000

8% 18,5% 4,5% 14% 13% 12% 30% 100%

De 50.25 à 81.79 pour 1000

7% 18,5% 4% 11,5% 13,5% 13,5% 30% 100%

Ensemble 7% 19% 4% 13% 13,5% 14% 29,5% 100%

Alors que l’on constate un comportement électoral significativement différent

selon que les personnes interrogées se sentent en insécurité ou non, le niveau d’insécurité

objectif auquel elles sont confrontées ne semble pas avoir de relation avec le vote (ou le

non-vote). Autrement dit, à l’échelle d’un échantillon national représentatif, c’est l’insécurité

subjective qui semble influer et non l’insécurité objective. Ceci n’induit pas qu’à une autre

échelle, comme les villes ou les départements, ce sera nécessairement le cas, comme nous le

tenterons de le voir par la suite, mais qu’à niveau de délinquance de voie publique égal, les

électeurs raisonnent différemment.

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Les électeurs se sentant en insécurité diffèrent dans leur comportement électoral

sur plusieurs points : d’abord par un plus fort vote pour l’extrême-droite (+13 points), ainsi

que par une baisse sensible du vote pour la gauche plurielle (-11,5 points).

La proportion de vote pour l’extrême-droite chez les individus en insécurité s’explique

par la probable conjonction de deux facteurs : d’abord parce que la principale source du

sentiment d’insécurité est le niveau d’ethnocentrisme et que plus un individu est

ethnocentriste, plus grandes sont ses chances de voter pour l’extrême-droite, ensuite parce que

Jean-Marie Le Pen était le candidat le plus souvent cité pour résoudre le problème de la

délinquance. En ce qui concerne le score des candidats de la gauche plurielle, en forte baisse

dans la population en insécurité, on peut se demander dans quelle mesure il n’est pas dû à un

effet de composition, les individus concernés étant plus de droite que de gauche24

Pour le reste, les variations ne sont pas suffisantes pour être significatives. Jean-Pierre

Chevènement ou Jacques Chirac n’ont guère plus de succès chez les individus en insécurité

que dans le reste de la population, malgré leur positionnement fort sur la question. De même,

les candidats d’extrême-gauche ne voient pas leur influence électorale diminuée

significativement dans la population en insécurité, à la différence des autres candidats de

gauche, probablement parce que le sentiment d’insécurité provient également de la perception

d’un risque économique et que le positionnement de ces candidats s’adresse bien aux

électeurs dans cette situation25.

L’analyse en composition des différents électorats vient confirmer les résultats

précédents. Alors que le taux moyen de personnes en insécurité dans l’échantillon est ici de

25%, l’électorat de l’extrême-droite se compose de 46% d’individus dans cette situation.

Jacques Chirac compte 27% d’électeurs en insécurité, soit guère plus que la moyenne et Jean-

Pierre Chevènement 24%. On le voit, l’insécurité subjective a surtout profité aux deux

candidats extrêmes, principalement à Jean-Marie Le Pen, et non aux deux autres

24 45% des individus se sentant en sécurité se placent à gauche, contre 31% des électeurs en insécurité. 25 18% de vote pour l’extrême-gauche chez les individus ressentant un fort risque économique, 12,5% chez ceux ressentant un risque moyen et 6,5% chez ceux ne ressentant qu’un faible risque ou pas de risque du tout.

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candidats plus traditionnels qui ont fait de la délinquance un de leurs principaux axes de

campagne.

La comparaison entre l’électorat de l’extrême-gauche et celui de la gauche

plurielle est également intéressante : alors que les électeurs de Lionel Jospin, de Robert

Hue, de Christine Taubira et de Noël Mamère sont les moins nombreux à se sentir en

insécurité (15,5%) ce n’est pas le cas de l’électorat d’extrême-gauche (22,5% soit une

proportion similaire à celle des votants de Jean-Pierre Chevènement). Ce résultat vient

renforcer l’hypothèse de l’insécurité économique comme une des explications de ce vote.

Vote conforme, vote non-conforme et insécurité subjective.

Dans quelle mesure l’effet de l’insécurité sur le vote est un effet de mobilisation, les

individus en insécurité ayant choisi de voter pour le candidat qui leur est politiquement

proche, ou bien un effet troublant les liens politiques traditionnels ? Le succès de Jean-Marie

Le Pen dans la population en insécurité est-il dû au fait que ces individus sont plus souvent

proches du Front National, ou bien qu’il a su rassembler sur son nom des individus provenant

d’autres partis politiques grâce à son discours sur le traitement de la délinquance ?

La mobilisation des électeurs d’extrême-droite

Que la campagne électorale ait été centrée sur le thème de l’insécurité a bien eu

un effet de mobilisation sur l’électorat de Jean-Marie Le Pen et uniquement sur cet

électorat. Alors que la proportion de personnes interrogées en insécurité est relativement

similaire pour les sympathisants des partis traditionnels (de 19% pour les socialistes à 28%

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pour le RPR avec une moyenne de 25%), les sympathisants du FN se caractérisent par une

très forte proportion d’individus dans cette situation : 56%. Or c’est également pour les

proches de ce parti que la proportion de vote pour le candidat qu’il soutient est la plus forte :

79% des sympathisants du FN ont voté pour Jean-Marie Le Pen, alors que le taux moyen est

de 55% (par exemple 57% des proches du RPR ont effectivement voté pour Jacques Chirac).

L’insistance sur le thème de la délinquance a donc fidélisé l’électorat naturel de Jean-Marie

Le Pen, mais pas les autres.

L’insécurité comme explication des votes non-conformes pour l’extrême-droite

Il se peut également que ce thème ait contribué à apporter à Jean-Marie Le Pen les

suffrages d’électeurs proches d’autres partis. Pour cela nous avons mené une analyse

spécifique sur les « votants non-conformes » que nous définissons comme des électeurs

proches d’un parti ayant choisi de voter pour un candidat autre que celui présenté par

ce même parti26.

Ainsi classifiés, les votants non-conformes représentent 44% des électeurs proches

d’un parti (3475 individus). Leur choix s’est plutôt porté sur l’extrême-gauche (28%),

l’extrême-droite, principalement Jean-Marie Le Pen (18,5%), et Jean-Pierre Chevènement

(12%) au détriment du président sortant (16% alors que 22% des votants conformes ont voté

pour lui) et de la gauche plurielle (6,5% des votants non-conformes l’ont choisi et 50,5% des

votants conformes). Cette répartition nous permet de mettre en évidence les capacités

respectives des composantes de l’offre politique à convaincre au-delà de leur camp naturel :

26 Par souci de simplification nous avons classé les électeurs en votant conforme ou non conforme selon qu’ils choisissent le candidat de leur parti ou un des candidats compris dans les différents groupements effectués précédemment, ou un autre. Dans cette analyse un proche du PS votant pour Lionel Jospin ou Noël Mamère sera considéré comme conforme (celui-ci restant fidèle à la gauche plurielle). En revanche s’il a choisi un candidat d’extrême-gauche ou Jean-Pierre Chevènement il sera considéré comme non-conforme (les candidats concernés s’étant positionnés explicitement contre l’alliance PS-PCF-Verts). De même un proche du MNR choisissant l’un des deux candidats d’extrême-droite sera considéré comme conforme et non-conforme s’il a choisi un candidat de droite, Jacques Chirac, ou un candidat de gauche).

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une forte capacité pour l’extrême-droite et l’extrême-gauche, une très faible capacité pour la

gauche plurielle. Les votants non-conformes se sentent un peu plus en insécurité que les

votants conformes, 29% contre 20,5%, ce qui implique que d’autres raisons motivent

également le vote non-conforme (la protestation à l’égard de la politique de l’ancien

gouvernement par exemple).

Nous avons comparé la proportion de personnes en insécurité dans chaque groupe

d’électeurs non-conformes, groupes définis par le candidat effectivement choisi au premier

tour. Ceci nous permettra de vérifier dans quelle mesure l’insécurité est une des raisons du

choix d’un vote non-conforme particulier.

Choix électoral des votants non-conformes

Pourcentage d’électeurs en

insécurité Extrême-gauche 23, 5% Gauche plurielle 18%

Jean-Pierre Chevènement 27% droite modérée 26,5% Jacques Chirac 33,5% Extrême-droite 41,5%

Ensemble 29%

Seuls trois groupes s’écartent significativement de la moyenne27, les votants non-

conformes pour l’extrême-gauche, pour la gauche plurielle et pour Jean-Marie Le Pen. Pour

les deux premiers groupes, ce résultat implique que le choix des individus concernés n’a

probablement que peu à voir avec le sentiment d’insécurité. Ce n’est pas le cas pour le

troisième groupe. On peut dire que parmi les votants non-conformes, le fait de se sentir 27 L’analyse porte sur 1033 individus. Ceci a pour conséquence d’accroître les intervalles de confiance nécessaire pour qu’un pourcentage s’écarte significativement de la proportion moyenne. Par exemple, la proportion d’individus en insécurité choisissant Jacques Chirac n’est pas statistiquement différente de la moyenne de l’échantillon pour cette raison.

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en insécurité accroît sensiblement les chances de voter pour l’extrême-droite. Par

modélisation on peut dire que la probabilité de voter pour l’extrême-droite double voire triple

si l’électeur se sent en insécurité.

Ce résultat est corroboré dans la première vague quand on mène la même

analyse sur les intentions de vote non-conformes, pour un autre candidat que celui présenté

par le parti ou le camp duquel l’individu se déclare proche, comme le montre le tableau ci-

après.

Intentions de vote non-conformes

Pourcentage d’électeurs citant la

délinquance

Pourcentage d’électeurs en insécurité

Extrême-gauche 51% 25,5% Gauche plurielle 42,5% 34%

Jean-Pierre Chevènement 62% 28,5% droite modérée 55% 25,5% Jacques Chirac 54,5% 28% Extrême-droite 69% 56,5%

Ensemble 55,5% 31%

Les résultats obtenus pour la deuxième vague sont confirmés avec les personnes

interrogées dans la première vague du Panel Electoral. Comme précédemment, les votants

non-conformes prévoyant de choisir un candidat d’extrême-droite, essentiellement le

président du FN, sont les seuls à se distinguer significativement des autres par un plus

fort sentiment d’insécurité. Ils sont également nettement plus nombreux que le reste des

votants non-conformes à citer la délinquance comme l’un des trois problèmes pris en

compte pour faire leur choix (ainsi que les électeurs non-conformes envisageant de voter

Jean-Pierre Chevènement). Par modélisation, les électeurs aux intentions de vote non-

conformes se sentant en insécurité ont entre 2,5 et 3,5 fois plus de chances de choisir un vote

d’extrême-droite que leurs homologues en sécurité.

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L’insécurité subjective n’est pas la seule explication aux résultats électoraux du

21 avril 2002, mais on la retrouve à l’origine de nombre de comportements qui y ont

amené. La dimension économique du sentiment d’insécurité a probablement contribué au

succès de l’extrême-gauche au détriment de la gauche plurielle et particulièrement du

candidat socialiste. Mais l’influence principale de l’insécurité subjective sur le vote est à

chercher dans le succès de Jean-Marie Le Pen. Non seulement les proches du FN étaient les

plus concernés par ce thème, ceux-ci se sentant beaucoup plus en insécurité que le reste du

corps électoral, mais c’est également l’électorat « naturel » qui s’est montré le plus fidèle au

candidat de son parti. De plus, Jean-Marie Le Pen est le seul candidat qui a profité du

sentiment d’insécurité hors des proches de son parti, au détriment de ses concurrents. Les

électeurs en insécurité ont largement préféré le leader de l’extrême-droite à Jacques Chirac,

Jean-Pierre Chevènement et, a fortiori, Lionel Jospin.

L’incidence de l’insécurité objective sur le vote

Avant d’en terminer avec cette étude, il nous paraît important de revenir sur un point

particulier : la relation entre taux de délinquance et comportement électoral. Comme nous

l’avons vu précédemment, il n’a pas d’influence sur le choix d’un candidat plutôt qu’un

autre à l’échelle d’un échantillon national représentatif. Cependant, cette échelle

d’analyse n’est pas forcément la plus pertinente pour mettre en évidence une telle

relation.

L’insécurité objective est une logique locale, une affaire d’environnement

quotidien. De plus la prise en compte et l’appréciation de l’insécurité objective varie

selon les caractéristiques des individus. Certaines strates de la population peuvent se sentir

plus en insécurité que d’autres, alors même que le niveau de délinquance auquel elles sont

confrontées est équivalent. Par exemple, les Parisiens interrogés dans le Panel Electoral

Français constituent un des groupes les moins en insécurité alors même que le taux de

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délinquance dans la capitale est un des plus importants de l’Hexagone. Ceci s’explique

notamment par les caractéristiques de cette population, en moyenne plus jeune, plus instruite

et à plus fort revenu.

Or, dans un sondage qui a pour but d’être représentatif du corps électoral dans son

ensemble, cette influence de l’environnement immédiat et son interaction avec les

caractéristiques individuelles tendent à rester cachées, ne serait ce que parce que différentes

configurations peuvent se compenser par leur simple agrégation. Ceci ne remet pas en

question la validité des résultats précédemment obtenus. Au niveau national, l’insécurité

objective n’a probablement pas d’influence systématique sur le vote, mais à un niveau plus

fin, la situation peut être différente, ne serait-ce que parce que dans certains cas les électeurs

en tiennent compte et dans d’autres non. Nous allons donc prendre en compte cette logique

territoriale.

C’est pourquoi nous avons mené une dernière analyse en examinant l’influence

du taux de délinquance objective dans 416 chefs-lieux de circonscriptions de sécurité

publique comptant au moins 9000 habitants pour lesquels nous disposons à la fois des

caractéristiques sociologiques de la population (classes d’âge, catégories

socioprofessionnelles, sexe) et des résultats électoraux.

Une faible relation globale entre taux de délinquance et comportement électoral

La seule relation significative entre insécurité objective et vote porte sur le vote

pour l’extrême-droite, sachant qu’à l’échelle des 416 chefs-lieux de circonscriptions

publique, elle reste relativement faible.

On ne constate pas de vote sanction contre Lionel Jospin par exemple alors qu’on

aurait pu postuler une diminution de son score avec l’augmentation du taux de délinquance.

La corrélation n’est que de - 0.10, à la limite de la significativité statistique, et similaire à

celle entre vote pour Jacques Chirac et taux de délinquance (- 0.09). De même, le vote

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Chevènement ne dépend pas du niveau de délinquance. Autrement dit, les logiques derrière

le vote pour chacun de ces trois candidats dépendent probablement d’autres facteurs

que l’insécurité objective, comme la composition socioprofessionnelle de la population dans

chacun des chefs-lieux étudiés par exemple.

En revanche, il existe une relation significative entre taux de délinquance et vote

pour Jean-Marie Le Pen (0.19) ou Bruno Mégret (0.17), qui laisserait à penser que plus

le taux de délinquance est fort, plus important est le vote pour l’extrême-droite.

Cependant, la corrélation reste relativement faible. Si on essaye de prédire le score de chacun

des deux candidats d’extrême-droite en fonction du taux de délinquance, on ne réduit l’erreur

que de 3% à 3,5%. D’une part, le vote pour les deux candidats d’extrême-droite obéit à

d’autres logiques et, d’autre part, des villes confrontées à des niveaux de délinquance

similaires n’accordent pas la même proportion de leurs suffrages à ces deux candidats.

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Graphique 1 relation globale entre taux de délinquance et vote pour l’extrême-droite

Le graphique 1 est à cet égard éclairant. Nous avons regroupé les votes pour les deux

candidats d’extrême-droite, ces derniers étant fortement corrélés (0.57). En abscisse est figuré

le taux de délinquance des 416 chefs-lieux de circonscriptions de sécurité publique, en

ordonnée, le score électoral des candidats d’extrême-droite. À taux de délinquance égal, le

vote pour l’extrême-droite varie considérablement. Ainsi pour les chefs-lieux dont le taux

de délinquance varie entre 3,5% et 6,5%, le vote pour l’extrême-droite est en moyenne de

18% mais est compris entre 7,5% et 36% des suffrages exprimés. De la même manière pour

les villes où le taux de délinquance est fort (supérieur à 10%), le vote pour Jean-Marie Le Pen

et Bruno Mégret varie entre 10,5% et 40,5%.

Nous avons également reproduit une droite de régression qui peut s’interpréter comme

la prédiction du vote moyen pour l’extrême-droite pour un niveau de délinquance donné. Ce

modèle prévoit qu’avec l’augmentation d’un point de pourcentage du taux de délinquance, le

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vote pour l’extrême-droite progresse de 0,5%, ce qui reste relativement faible. Par exemple,

avec un taux de délinquance de 5%, le vote pour l’extrême-droite serait de 17,5%, avec un

taux de 15%, le vote pour l’extrême-droite atteindrait 22,5%. Il est donc possible que

l’insécurité objective soit une des explications possibles du vote d’extrême-droite, mais, à

elle seule, elle ne l’explique que marginalement28.

Cette faible relation à l’échelle des 416 chefs-lieux de circonscriptions de sécurité

publique vient donc renforcer nos résultats sur le Panel Electoral Français où nous ne

trouvions aucun rapport entre insécurité objective et comportement électoral. Mais ceci

n’empêche pas qu’au sein des villes étudiées la relation entre vote et insécurité évolue.

Une relation à contextualiser

On peut émettre différentes hypothèses allant dans le sens d’une relation variable

entre vote pour l’extrême-droite et insécurité objective.

Certains segments de la population peuvent être plus confrontés à l’insécurité ou y être

plus sensibles, et agir en conséquence lors de l’élection présidentielle. Par exemple les

personnes âgées peuvent se distinguer du reste de la population par une plus grande sensibilité

aux actes délictueux ou aux incivilités. Dès lors, dans les villes où cette partie de la population

est très présente, la relation entre vote et taux de délinquance devrait être plus forte que dans

les autres chefs-lieux de circonscription de sécurité publique.

De même, la petite délinquance tend à davantage toucher la population à faibles

ressources. Dès lors on peut postuler que plus la proportion d’ouvriers dans une ville est forte

plus la relation entre délinquance et vote pour l’extrême-droite le sera. Une hypothèse

alternative serait que la crainte de l’insécurité, et donc sa prise en compte dans le vote, soit

28 D’autres facteurs semblent être plus influents comme la proportion d’ouvriers dans les villes étudiées, le pourcentage d’immigrés ou la structure d’âge de la population.

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plus le fait des « possédants », auquel cas, on peut envisager la relation inverse : plus faible

est la proportion d’ouvriers, plus forte est la prise en compte de la délinquance objective et sa

relation avec le vote d’extrême-droite.

Une autre hypothèse à explorer est l’incidence de la taille de la commune. Dans quelle

mesure la sensibilité du public à l’insécurité et sa traduction dans le vote ne dépend-elle pas

du fait de vivre dans une ville moyenne ou dans une grande agglomération ? Comme le

montrent les données du Ministère le taux de délinquance moyen est plus fort dans les

grandes agglomérations que dans les villes moyennes, ce qui peut avoir plusieurs incidences :

soit une banalisation de la délinquance dans les grandes villes, donc une moindre sensibilité à

celle-ci et donc une moins forte relation avec le vote à l’extrême-droite, soit une plus grande

sensibilité et donc une relation forte avec le vote pour Jean-Marie Le Pen ou Bruno Mégret.

On peut également envisager les deux cas de figure pour les habitants des villes moyennes:

soit une faible sensibilité due au fait que la délinquance y est beaucoup moins prégnante, soit

une plus forte sensibilité découlant de la taille de la communauté à travers notamment un

réseau d’interconnaissances plus serré (un acte délictueux étant alors plus souvent connu et

dénoncé).

L’influence de la taille d’agglomération :

Tout d’abord, la relation entre taux de délinquance et vote pour l’extrême-droite est

liée à la taille de la commune. Pour les villes de 100 000 habitants et plus ainsi que pour les

villes de la région parisienne, on ne note aucune corrélation significative entre vote pour

l’extrême-droite et insécurité. En revanche, pour les villes comptant entre 9 000 et 20 000

habitants et celles comptant entre 20 000 et 100 000 habitants, les corrélations sont

significatives et s’élèvent respectivement à 0.25 et 0.29. C’est d’ailleurs dans ces villes

que le vote d’extrême-droite a le plus progressé entre 1995 et 2002, passant en moyenne

de 13,5% dans les villes de moins de 20 000 habitants à 19% (+5,5), et dans les villes de 20

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000 à 100 000 habitants de 16% à 20,5% (+4,5), alors que dans les villes de 100 000 habitants

et plus la progression n’est que de 3,5 points et de 2 points dans la région parisienne.

L’influence de la composition du corps électoral :

Pour les hypothèses relatives à la proportion de personnes de soixante ans et plus et au

taux d’ouvriers dans l’électorat, nous avons rassemblé les chefs-lieux de circonscriptions de

sécurité publique en trois classes égales : proportion de soixante ans et plus faible, moyenne,

forte, taux d’ouvriers faible, moyen, fort.

C’est dans les villes où la proportion d’ouvriers est faible que la relation entre

insécurité objective et vote pour Jean-Marie Le Pen ou Bruno Mégret est forte : 0.40

contre 0.08 pour les villes à proportion moyenne d’ouvriers et 0.19 pour celles à forte

proportion d’ouvriers. On a ici la confirmation d’une hypothèse précédemment énoncée, la

perception de l’insécurité comme problème est une logique essentiellement subjective. A

l’échelle des villes, la prise en compte de la délinquance et sa traduction dans le vote à

l’extrême-droite évolue considérablement selon la composition de la population. La

population qui prend en compte l’insécurité est plutôt une population riche, ou

appartenant aux classes moyennes, plutôt que les ouvriers qui y sont pourtant assez

souvent confrontés.

Cependant, les ouvriers votent également plus souvent pour Jean-Marie Le Pen

(corrélation de 0.35), mais cette logique ne découle pas du niveau de délinquance. Le taux

d’insécurité agit donc en sus des autres raisons d’un vote pour l’extrême-droite déjà

connues, lui permettant de progresser en 2002 dans des villes où elle n’était pas aussi

forte en 1995. Pour preuve, en 1995 la corrélation entre taux d’ouvriers et vote Le Pen était

de 0.41, en 2002 elle n’est plus que de 0.36, ce qui signifie que les villes tendent à moins se

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différencier et donc qu’une autre logique, probablement la prise en compte de la délinquance,

s’est ajoutée aux raisons habituelles derrière un tel vote.

On remarque également une incidence de la proportion de personnes âgées dans

la population sur la relation entre vote pour l’extrême-droite et insécurité objective.

C’est dans les villes à forte proportion de personnes de soixante ans et plus que le niveau

de délinquance pèse le plus sur les votes Le Pen et Mégret : dans ces chefs-lieux de

circonscriptions de sécurité publique, la corrélation entre niveau de délinquance et vote pour

l’extrême-droite est de 0.42 alors que dans les villes à proportion moyenne de personnes

âgées, elle n’est plus que de 0.05 et dans celles à faible proportion de 0.06.

Ce souci de la délinquance chez les personnes âgées et l’incidence qu’elle a sur le

vote sont nouveaux, notamment quand on compare avec les résultats de 1995. A cette

période, dans les 416 villes étudiées, plus la proportion de personnes âgées dans une ville était

forte, moins le vote Le Pen était important (corrélation : -0.13). En 2002, la corrélation entre

taux de soixantenaires et plus et vote pour l’extrême-droite est désormais de 0.04 (non-

significative). Les villes se sont donc homogénéisées. On peut en déduire que les personnes

âgées ne se distinguent plus du reste de la population, leur probabilité d’un vote Le Pen

ou Mégret est sensiblement la même29.

Compte tenu de ces différents résultats, nous avons mené une analyse pour

déterminer dans quel contexte la relation entre insécurité objective et vote pour

l’extrême-droite est la plus forte. C’est dans les villes de 20 000 à 100 000 habitants à

forte proportion de personnes âgées (corrélation de 0.47). A noter que 62,5% de ces villes

sont également à faible proportion d’ouvriers.

Nous avons mené une analyse spécifique sur ces chefs-lieux de circonscriptions de

sécurité publique, le graphique 2 en rend compte. L’analyse porte sur 64 villes,

comptabilisant environ 818 000 suffrages exprimés, avec un vote moyen pour Jean-

29 Ceci est corroboré par le Panel Electoral.

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Marie Le Pen autour de 18% et pour l’extrême-droite d’environ 20,5%. Cette analyse

est particulièrement intéressante, le vote pour l’extrême-droite y ayant particulièrement

augmenté en sept ans (taux de progression moyen dans ces villes de 35,5% alors qu’il est

dans l’ensemble des chefs-lieux étudiés de 26,5%). En abscisse est reproduit le taux de

délinquance dans ces villes, en ordonnée le vote pour l’extrême-droite.

Graphique 2 Relation entre vote pour l’extrême-droite et taux de délinquance dans les villes moyennes à forte proportion de personnes âgées

La relation est beaucoup plus homogène que dans l’analyse globale comme le montre

la forme du nuage, plus ellipsoïdal que dans l’analyse globale. De fait avec la droite de

régression reproduite, on peut expliquer près de 21,5% de la variance du nuage de points30.

Le modèle prévoit que le score de l’extrême-droite augmente de 1,3% si le taux de

délinquance augmente de 1%, autrement dit vote et niveau d’insécurité sont beaucoup plus

30 A mettre en comparaison avec les 4% de variance expliquée du vote d’extrême-droite par le taux de délinquance à l’échelle des 416 villes étudiées.

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dépendants qu’auparavant. Le score de l’extrême-droite prédit est de 15,3% pour une ville

connaissant un taux de délinquance de 5%, de 21,8% pour un taux de délinquance de 10%.

Conclusion et préconisations

Les insécurités subjective et objective ont principalement profité à l’extrême-

droite lors de la présidentielle, que ce soit par une forte mobilisation de l’électorat naturel de

cette tendance politique qui se distingue par un fort sentiment d’insécurité, ou par la

crédibilité de Jean-Marie Le Pen sur le sujet qui lui a apporté les suffrages d’électeurs en

insécurité hors de sa sphère d’influence habituelle. On a ainsi démontré que sa progression

dans les petites et moyennes villes était due à la prise en compte par une certaine frange de

l’électorat de la délinquance.

Mais, dans quelle mesure ne peut-on pas penser que le 21 avril 2002 constitue un

accident ? En juin 2002, le score du FN était loin d’atteindre celui de son président un mois et

demi plus tôt. Cependant certains indices nous laissent à penser que la relation entre taux

de délinquance et vote pour l’extrême-droite a perduré lors des législatives, même si

l’étiage électoral a baissé. On retrouve la même corrélation globale dans les 416 chefs-lieux

de circonscriptions de sécurité publique que lors du premier tour de la présidentielle (0.28), et

encore une fois cette corrélation est la seule significative31. De même dans les villes

moyennes à forte proportion de soixantenaires et plus, la corrélation entre vote pour

l’extrême-droite et taux de délinquance reste forte (0.51) et explique 26,5% de la variance de

ce vote.

31 Par exemple, taux de délinquance et vote pour la droite modérée (UMP et UDF) n’est que de 0.01.

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Autant de résultats qui incitent à une plus grande prise en compte de la

problématique de la sécurité publique. Cependant, cette prise en compte ne doit pas faire

oublier différentes caractéristiques du sentiment d’insécurité.

Tout d’abord, le sentiment d’insécurité reste avant tout motivé par l’attitude face

à l’autre, c’est-à-dire le niveau d’ethnocentrisme. En cela il est nécessaire de développer une

pédagogie politique de la tolérance face à des cultures et manières de vivre différentes.

Ensuite, une des raisons du sentiment d’insécurité est la perte de confiance envers

autrui mais également envers les institutions et les hommes politiques. Nous avons ainsi

souligné la forte corrélation entre sentiment d’insécurité, sentiment que la démocratie

fonctionne mal ou que les hommes politiques n’écoutent pas ceux qu’ils représentent. Il paraît

donc nécessaire de réconcilier les citoyens avec le politique, par une attention plus forte

portée à leurs problèmes quotidiens, les électeurs en insécurité étant en demande d’Etat

(comme le montrent les moyens qu’ils privilégient pour résoudre la délinquance). A cette

nécessaire proximité du politique, s’ajoute l’insistance qu’il convient de donner à une éthique

du politique afin de restaurer la confiance.

Enfin, le traitement de la délinquance est plus que nécessaire, bien que sa relation avec

l’insécurité subjective ne soit pas aussi forte que généralement admise. A cet égard, l’effort

doit porter principalement sur les petites villes et les villes moyennes, dans lesquelles

nous avons démontré l’influence de l’insécurité objective sur la poussée de l’extrême-

droite.

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Annexe : construction des indicateurs

Construction de l’indicateur risque économique

Il regroupe les  questions suivantes :   « Avez‐vous  l’impression que, dans  la vie de  tous  les  jours,  les gens  comme vous vivent mieux ou moins bien qu’avant ? »  « Que pensez‐vous de  la proposition  suivante :  il  faudrait  interdire aux entreprises de licencier ? » « Pour faire face aux difficultés économiques, pensez‐vous qu’il faut que l’Etat fasse confiance aux entreprises et leur donne plus de liberté ou, au contraire, que l’Etat les contrôle et les réglemente plus étroitement ? » « D’une  façon  générale,  pensez‐vous  que  le  fait  pour  la  France  de  faire  partie  de l’Union européenne est une bonne chose, une mauvaise chose, une chose ni bonne ni mauvaise ? »  « Certaines personnes peuvent avoir des craintes concernant la construction européenne. Pour chacun des aspects suivants, dites-moi si vous en avez personnellement peur ou non ? Que la France paye pour les autres pays ? Qu’il y ait moins de protection sociale en France ?

 Ces questions à notre  sens peuvent  rendre  compte des différents  types de  craintes suscitées par l’économie, que ce soit les licenciements (d’où les deux questions sur le contrôle  de  l’Etat),  ou  le  rapport  à  la  globalisation  de  l’économie,  en  utilisant  le prisme de  la construction européenne. Enfin, nous avons  rajouté  la question sur  la situation  actuelle de  l’individu, qui  agit probablement  comme  facteur  aggravant  à l’appréciation individuelle du risque économique. L’indicateur ainsi construit prend la  forme d’une note  allant de  0  (forte  crainte  à  l’égard de  l’économie)  à  8  (crainte inexistante). Nous avons recodé cet indicateur en cinq classes.  

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Les deux indicateurs de confiance Pour la confiance dans autrui, la question qui en rend compte est la suivante : « d’une manière générale, diriez-vous qu’on peut faire confiance à la plupart des gens ou qu’on n’est jamais assez prudent quand on a affaire aux autres ? ».

Pour  la  confiance  dans  les  institutions  a  été  créé  un  indicateur  comptabilisant  le nombre de  fois où un  individu déclare ne pas avoir confiance dans  les  institutions suivantes :  l’école,  la  police,  les  syndicats,  l’Etat,  l’Assemblée Nationale,  la  justice, l’armée,  les  partis  politiques.  Les  réponses  vont  de  0  (confiance  dans  toutes  les institutions) à 8 (confiance dans aucune).  Les  questions  utilisées  ont  été  posées  en  vague  2,  l’analyse  porte  donc  sur  4017 individus.  

Construction de l’échelle d’ethnocentrisme

 L’échelle est construite à partir des quatre questions suivantes : « Voici maintenant une liste de phrases. Pour chacune d’elles, pouvez‐vous me dire si vous êtes tout à fait d’accord, plutôt d’accord, plutôt pas d’accord ou pas du tout d’accord ?  Il y a trop d’immigrés en France.  La présence d’immigrés en France est une source d’enrichissement culturel.  Les juifs ont trop de pouvoir en France. »  «   Vous  personnellement,  vous  sentez‐vous :  seulement  Français,  plus  Français qu’Européen, autant Européen que Français. » On obtient ainsi une échelle allant de 0 à 11, cette dernière note étant le niveau maximal d’ethnocentrisme. Nous avons mené l’analyse sur la vague 2 pour permettre l’utilisation simultanée des autres indicateurs et recodé l’échelle en une variable comptant cinq positions.