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1 Le massacre de protestants à Wassy-en-Champagne le 1 er mars 1562 par Jean-Jacques TIJET « Monstrueuse guerre ! Les autres agissent au-dehors ; celle-ci encore contre soi se ronge et se défait par son propre venin » Michel de Montaigne (1533-1592)… à propos des guerres de religions La France a – malheureusement ? - une longue tradition de dualisme. Tout au long de son Histoire, son peuple s’est retrouvé séparer en deux « camps », tantôt pour des différences sociétales, nobles et roturiers (durant l’Ancien Régime ), laïques et cléricaux (au début du XX e ) mais bien souvent pour des différences politiques, jacobins et girondins (durant la Révolution), républicains et monarchistes (durant le XIX e ) et même pour des différences artistiques et littéraires, lors de la querelle des Anciens et des Modernes apparue au XVIII e siècle 1 . Aujourd’hui c’est l’apothéose, avec la bipolarisation de sa vie politique – droite/gauche - affligeante, néfaste et improductive ! Mais il y a eu, durant le XVI e siècle, une singulière confrontation, religieuse celle-ci, entre deux doctrines du christianisme (traditionnelle ou catholique d’un côté et réformée ou protestante de l’autre) qui fut terrible et funeste puisqu’elle a généré, non pas un conflit philosophique et pacifique de théologiens, mais une sanglante guerre civile au cours de laquelle les deux camps d’irréductibles… vont s’égorger pour des futilités métaphysiques, au nom d’un Dieu de paix et de miséricorde 2 . Les lieux et les hommes Wassy est, aujourd’hui, un chef lieu de canton du département de la Haute-Marne à égale distance de Saint-Dizier et de Joinville, 15 kilomètres environ au sud-ouest pour l’une et au nord- est pour l’autre. Parfois appelée Wassy-sur-Blaise (du nom de la rivière qui la traverse, affluent de la Marne) elle marque l’entrée Est de la forêt du Der. Hier, à la fin du XVI e siècle, c’était une petite cité coincée entre la Champagne, territoire appartenant aux rois de France et la Lorraine dont le duc est alors François I er de Lorraine, duc de Guise (territoire au nord de l’actuel département de l’Aisne ) et prince de Joinville. Il descend de René d’Anjou (arrière-petit-fils du roi Jean II le Bon, passé à la postérité comme un grand mécène mais un homme politique médiocre) qui était comte de Guise et qui avait « récupéré » le duché de Lorraine par sa femme Isabelle, fille unique de Charles II de Lorraine. D’une famille illustre donc, d’autant plus que Marie Stuart, l’épouse du roi François II – pâle adolescent qui glissera sur le trône comme une ombre selon le duc de Lévis-Mirepoix - dont le règne fut éphémère (de juillet 1559 à décembre 1560), est sa nièce (la mère de celle-ci, Marie de Guise, reine d’Ecosse par son mariage avec Jacques V, est sa soeur). Il est considéré comme un grand chef de guerre après ses victoires capitales contre les Anglais. La reprise de Calais en janvier 1558 à la suite d’une manoeuvre audacieuse lui donne 1 Dans un sens plus large c’est une opposition qui est universelle et éternelle 2 D’après Claude Genoux (1811-1874) auteur d’une Histoire de Savoie, lui-même athée et républicain convaincu…

Wassy, le 1er mars 1562

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Texte sur le massacre de protestants à Wassy en mars 1562

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Le massacre de protestants

à Wassy-en-Champagne le 1er mars 1562 par Jean-Jacques TIJET

« Monstrueuse guerre ! Les autres agissent au-dehors ; celle-ci encore contre soi se ronge et se défait par son propre venin »

Michel de Montaigne (1533-1592)… à propos des guerres de religions

La France a – malheureusement ? - une longue tradition de dualisme. Tout au long de son Histoire, son peuple s’est retrouvé séparer en deux « camps », tantôt pour des différences sociétales, nobles et roturiers (durant l’Ancien Régime), laïques et cléricaux (au début du XXe) mais bien souvent pour des différences politiques, jacobins et girondins (durant la Révolution), républicains et monarchistes (durant le XIXe) et même pour des différences artistiques et littéraires, lors de la querelle des Anciens et des Modernes apparue au XVIIIe siècle1. Aujourd’hui c’est l’apothéose, avec la bipolarisation de sa vie politique – droite/gauche - affligeante, néfaste et improductive !

Mais il y a eu, durant le XVIe siècle, une singulière confrontation, religieuse celle-ci, entre deux doctrines du christianisme (traditionnelle ou catholique d’un côté et réformée ou protestante de l’autre) qui fut terrible et funeste puisqu’elle a généré, non pas un conflit philosophique et pacifique de théologiens, mais une sanglante guerre civile au cours de laquelle les deux camps d’irréductibles… vont s’égorger pour des futilités métaphysiques, au nom d’un Dieu de paix et de miséricorde2.

Les lieux et les hommes

Wassy est, aujourd’hui, un chef lieu de canton du département de la Haute-Marne à égale distance de Saint-Dizier et de Joinville, 15 kilomètres environ au sud-ouest pour l’une et au nord-est pour l’autre. Parfois appelée Wassy-sur-Blaise (du nom de la rivière qui la traverse, affluent de la Marne) elle marque l’entrée Est de la forêt du Der.

Hier, à la fin du XVIe siècle, c’était une petite cité coincée entre la Champagne, territoire appartenant aux rois de France et la Lorraine dont le duc est alors François Ier de Lorraine, duc de Guise (territoire au nord de l’actuel département de l’Aisne) et prince de Joinville.

Il descend de René d’Anjou (arrière-petit-fils du roi Jean II le Bon, passé à la postérité comme un grand mécène mais un homme politique médiocre) qui était comte de Guise et qui avait « récupéré » le duché de Lorraine par sa femme Isabelle, fille unique de Charles II de Lorraine. D’une famille illustre donc, d’autant plus que Marie Stuart, l’épouse du roi François II – pâle adolescent qui glissera sur le trône comme une ombre selon le duc de Lévis-Mirepoix - dont le règne fut éphémère (de juillet 1559 à décembre 1560), est sa nièce (la mère de celle-ci, Marie de Guise, reine d’Ecosse par son mariage avec Jacques V, est sa sœur).

Il est considéré comme un grand chef de guerre après ses victoires capitales contre les Anglais. La reprise de Calais en janvier 1558 à la suite d’une manœuvre audacieuse lui donne

1 Dans un sens plus large c’est une opposition qui est universelle et éternelle

2 D’après Claude Genoux (1811-1874) auteur d’une Histoire de Savoie, lui-même athée et républicain convaincu…

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une prestigieuse aura auprès des Français. Animé d’une puissante personnalité il est, durant le règne du faible et maladif François II, un des maîtres du royaume. Flanqué de ses frères Charles, le cardinal de Lorraine (qui a été nommé archevêque de Reims en 1538 à l’âge de 13 ans) et Louis, le cardinal de Guise (évêque de Troyes puis archevêque de Sens), il est aussi un des plus illustres et respectés chefs du parti catholique.

Cependant Wassy est une terre champenoise3, royale donc et administrée par un gouverneur – le représentant dans une province de la personne même du roi - qui était à cette époque, le duc de Nevers et comte de Rethel, François II de Clèves… qui venait de succéder à son père François Ier de Clèves décédé en février 1562.

La naissance du protestantisme

La religion issue de Jésus-Christ a généré, au fil des siècles, de nombreux mouvements de

dissidence. Pas seulement pour des différences doctrinales comme l’arianisme4 mais aussi et surtout pour des problèmes comportementaux de la curie pontificale et des hauts prélats (évêques et abbés de riches abbayes) à qui on reproche leur opulence et leurs mœurs dissolues en contradiction avec ce que préconisait Jésus-Christ, la pauvreté et faire œuvre de charité (les sectes vaudoise et cathare en particulier aux XIIe et XIIIe siècles).

Le Grand Schisme d’Occident de 1378 à 1417 a affaibli durablement la chrétienté divisée en deux obédiences ; cette crise morale de l’Eglise en dehors de toute référence doctrinale va provoquer des courants réformateurs - développés par l’Anglais John Wyclif (1326-1384) et le Tchèque Jan Hus (1370-1415) - qui, s’appuyant sur les erreurs du catholicisme et profitant du désordre de l’Eglise, remettent en cause l’autorité pontificale. Ils sont à l’origine du protestantisme dont le véritable initiateur est le moine augustin Martin Luther5… après un séjour à Rome en 1510.

Au début du XVIe siècle beaucoup de catholiques sont exaspérés par les abus de l’Eglise comme la pauvreté et l’ignorance du bas clergé en opposition avec la vie souvent scandaleuse des évêques – qui ne vivaient plus dans leur diocèse mais à la cour. La « goutte d’eau » a peut-être été le commerce des indulgences – il faut payer pour être remis de ses péchés6 – qui a été vu comme une corruption et qui favorise les riches7… ! Le pape Léon X l’a beaucoup pratiqué pour la construction de la basilique St Pierre de Rome entre 1513 et 1521.

Ebranlé dans son respect à la papauté Luther rédige alors en 1517 un document intitulé Les 95 thèses dans lequel il développe sa conception de la religion chrétienne et qui devient « le credo » de la Réforme. Dans celles-ci il rejette l’autorité du pape, la hiérarchie catholique, le célibat des prêtres, les vœux monastiques, le culte des saints, le purgatoire, la messe et l’Eucharistie. Il traduit ensuite en langue allemande la Bible appelée à devenir le livre-référence du nouveau culte. Sincèrement croyant il n’en était pas moins homme puisqu’il enlève une nonne, l’épouse et lui fera 6 enfants ! Ses idées vite répandues – retour aux sources du christianisme par la lecture de la Bible et dénonciation du ritualisme catholique - correspondaient trop aux besoins de l’époque pour qu’elles ne soient pas acceptées et vite appliquées. C’est ce qui se produisit.

La situation de la France

En ce début de l’année 1562 le roi de France est Charles IX. Il n’a pas encore 12 ans et sa

mère Catherine de Médicis est la régente du royaume ou plus exactement gouvernante de France.

Les problèmes religieux accompagnés de violence ont fait leur apparition sous le règne de François II. La haine s’installe après l’échec de la conjuration dite d’Amboise en mars 1560 et son

3 Elle avait été donnée en apanage à Marie Stuart lors de son mariage avec le roi - selon Mongin de Montrol (1799-1862)

dans son Histoire de la Champagne – mais elle avait quitté définitivement la France en août 1561 pour retourner en Ecosse 4 Arius (236-336) ne croit pas à la Trinité, un seul Dieu en 3 personnes. Ses thèses sont condamnées à Nicée en 325

5 Il est né en 1483 dans une cité de Thuringe

6 En réalité, une diminution du temps de passage au Purgatoire…

7 Les riches, et c’est bien connu, sont toujours favorisés ! Mais ça va changer avec notre gouvernement actuel… (04/2013)

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horrible répression, les cinquante chefs conjurés protestants sont soit pendus soit exécutés – la tête sur le billot – sur la place du château d’Amboise devant toute la cour réunie et tous les notables de la région – de Nantes à Orléans – expressément convoqués ; la piétaille, quant à elle, est jetée dans la Loire ! De la mise à mort, on en fit un spectacle : au XVIe siècle on met l’art partout, même dans les massacres8 ! La cruauté pratiquée avec raffinement, en quelque sorte.

Cependant Catherine est partisane d’une politique de tolérance et de pacification. Face à l’intransigeance à la fois des catholiques et des protestants elle cherche, aidé par son chancelier Michel de L’Hospital, à maintenir l’autorité de la monarchie et préserver la cohésion de l’Etat qu’elle estime incarner. Pour cela elle n’est pas avare d’actes de conciliation comme la réunion des Etats généraux en décembre 1560 et la fameuse réunion des principaux chefs et des théologiens des « deux religions » dans le réfectoire du couvent des dominicaines de Poissy en septembre 1561. Comme ces tentatives de réconciliation sont des échecs elle impose en janvier 1562 par une ordonnance la liberté du culte dans le royaume mais avec quelques restrictions comme la réunion et les prêches [de la religion réformée] qui sont autorisés hors des villes pour éviter toute provocation. C’est le fameux édit de tolérance ou de janvier que l’on évoquera à propos de Wassy.

Cette politique de concorde ne sera pas suivie d’effets malheureusement tant l’abime était profond entre les irréductibles des deux bords. Seule, devant l’impitoyable affrontement entre l’Eglise et la Réforme, elle va essayer de conserver et de maintenir l’indépendance de l’Etat ; cette politique est manifeste dans cet écrit … Il ne s’agit pas de décider quelle est la meilleure religion mais d’organiser au mieux l’Etat. Avouons qu’avoir une telle disposition d’esprit à la fin du XVIe siècle en pleine tourmente religieuse est assez extraordinaire… d’ailleurs cette évidente vérité n’est pas moderne mais de toutes les époques !

Prônant la lutte contre la Réforme, le duc François de Guise est l’adversaire acharné de la politique de tolérance de la reine mère. Malgré la volonté d’apaisement de celle-ci, catholiques et protestants vont s’affronter et s’entretuer dans nos belles provinces… dix ans avant la funeste St Barthélémy ! En Gascogne et en Languedoc des soldats huguenots pillent des châteaux sensés appartenir à des seigneurs catholiques tandis que des églises sont mises à sac à Montpellier, Montauban et Agen. Ces « désordres » eurent leur conséquence habituelle, près de douze cents assassinats9 !

Les faits et… leurs imprécisions

Le dimanche 1er mars 1562 la majorité des « pratiquants de la religion réformée » de Wassy et

de ses environs (de Joinville en particulier) sont réunis dans une vaste grange, lieu de leur culte, afin d’écouter le prêche dominical. Une troupe de 200 hommes environ fait son entrée dans la ville, elle est commandée par François de Guise.

Il revient de Saverne10 où, accompagné de son frère le cardinal de Lorraine, il a rencontré le très luthérien duc de Wurtemberg – du 15 au 18 février - pour le convaincre de ne pas intervenir dans le conflit religieux français. Grâce à leur habile négociation – le duc et le prélat font preuve de tolérance – Wurtemberg est persuadé, à l’issue des discussions, que le colloque de Poissy a échoué par le fait de l’intransigeance des protestants. Le duc est passé par Joinville saluer sa mère, la duchesse douairière Antoinette de Bourbon, et se rend à Paris pour tenter d’annuler l’édit de tolérance.

Il fait arrêter son escorte et se dirige vers l’église pour assister à la messe. Le curé lui aurait demandé d’éloigner les protestants dont la cérémonie – dans la grange proche de l’église - dérange la sienne. Des émissaires sont envoyés mais bientôt des invectives fusent entre ceux-ci

8 Jean Orieux dans Catherine de Médicis. Cette conjuration (appelée parfois tumulte d’Amboise) est une rébellion d’un

groupe de gentilshommes protestants qui projette d’enlever le roi pour l’obliger à se séparer des Guise et à adopter leur foi.

C’est une affaire autant politique – crime de lèse-majesté - que religieuse c’est la raison pour laquelle elle a été réprimée avec

une grande sévérité ! 9 Selon Jean Orieux

10 D’après Henri Pigaillem dans son livre Les Guise

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et les huguenots et aux injures verbales succèdent des bagarres qui se terminent en combat. Les protestants, non armés, envoient toute sorte de projectiles sur les soldats du duc qui disposent, eux, d’arquebuses, de pistolets et d’épées !

Après avoir été la cible de jets de pierres – et même avoir été atteint par l’une d’elles – François ordonne à sa troupe l’assaut de la grange où les huguenots se sont barricadés. Il veut, dira-t-il plus tard, rétablir l’ordre dans la cité. Des femmes, des vieillards et des enfants sont alors massacrés… le duc s’en aperçoit et veut arrêter ses soldats mais il est trop tard pour se faire obéir car, l’analyse des émeutes – elles ne manquent pas dans l’Histoire - montre que, l’ivresse du sang et la fureur de tuer ne se dissipent pas rapidement.

Les victimes sont nombreuses dans le camp des protestants, 68 hommes et 24 femmes, les blessés, 80 hommes et 24 femmes, dans le camp des soldats un tué et quelques blessés. On a raison, il me semble, d’évoquer un massacre et non pas un combat à la régulière puisque l’équilibre des forces et des armes n’était pas respecté.

Quel est le nombre de protestants présents dans la fameuse grange ? Il ne peut

être déterminé avec précision, 200, 500 et même 1200 sont avancés ; le dernier est sans doute exagéré car il figure dans la légende de la célèbre gravure de Jean Tortorel et de Jacques Perrissin (voir à la fin du texte). Si on considère exact le nombre de victimes (les morts et les blessés, entre 200 et 250, à Wassy même, une plaque commémorative indique 250) 500 doit être assez proche de la vérité.

La grange, était-elle dans la cité ou en dehors ? C’est une question essentielle car on

sait que l’édit de janvier permettait aux protestants de célébrer leur culte à l'extérieur des villes. Les avis sont partagés ; à vrai dire, seul l’article qui m’inspire - écrit par Jean Héritier11 en 1962 - assure qu’elle était en dehors du périmètre de la ville… Le plan de Wassy, tel qu’il a été dressé au XVIe siècle, montre que la grange, où se réunissaient les huguenots, était bien en dehors de la ville… Je ne sais pourquoi, aujourd’hui, tous les articles que j’ai lus sur internet mentionnent que la grange était à l’intérieur de la cité… alors qu’à ma connaissance aucune étude n’a été publiée depuis de nombreuses années qui aurait pu remettre en cause les thèses du livre du pasteur ! D’autre part pourquoi, dans ce cas, les autorités royales - en particulier le prévôt - qui se trouvaient à Wassy ont laissé se dérouler les cérémonies religieuses des protestants si elles ne respectaient pas l’édit ? De toute manière pour un seigneur comme le duc de Guise, imbu de sa grandeur et de sa position, peu lui importait la loi : des prêches se tenaient à Wassy, localité proche de ses domaines et des habitants de Joinville – ses sujets – y assistaient, extra muros ou intra muros il devait s’en moquer et se devait d’intervenir… mais ce ne sont que des suppositions !

Mais la réalité est peut-être plus simple… ce bourg n’étant pas une ville fermée, le prêche y était légalement ouvert12. Cela veut dire que Wassy n’avait pas de rempart et que, par conséquent, il n’y avait pas vraiment de distinction entre extra et intra muros !

Quelles sont les responsabilités de François de Guise ou, en d’autre terme, a-t-il

prémédité son intervention ? Il ne faut pas se fier et tenir compte des rodomontades du duc qui aurait dit quelque temps auparavant Patience, cet édit, dont l’attache est si forte passera bientôt par le tranchant de celle-ci… en tenant fermement par une main la garde de son épée ! Cela fait partie des fanfaronnades des grands seigneurs de cette époque contraints, pour leur gloriole et leur renommée, à de tels propos devant la cour de leurs partisans.

Sur son lit d’agonie, victime d’une embuscade lors du siège d’Orléans le 18 février 156313, François de Guise demande… « de croire que l’inconvénient advenu à ceux de Wassy était advenu contre sa volonté, car il n’y alla oncques avec intention de leur faire aucune offense ». Si

11

Dont la source est le livre du pasteur Charles Serfass “Histoire de l’Eglise réformée de Wassy-en-Champagne » de 1928 12

Voir note 13 13

Combat entre troupes catholiques et protestantes ; le protestant Jean de Poltrot de Méré est l’auteur du coup

d’arquebuse fatal ; il sera capturé puis supplicié quelques jours plus tard.

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on considère que, à l’approche de rejoindre Dieu, un catholique convaincu comme l’était le duc ne ment pas, il faut admettre qu’il était sincère. Cependant en tant qu’homme de guerre « qui en a vu d’autres » c’est à dire habitué aux effroyables violences des combats de l’époque (on n’en est plus aux batailles chevaleresques du XIIe siècle) il faut admettre aussi que, dans son esprit, l’affaire de Wassy n’a été qu’une rixe qui s’est mal terminée et qui a entraîné morts d’hommes. D’ailleurs le terme qu’il emploie « inconvénient », sans doute plus fort au XVIe qu’aujourd’hui, signifie fâcheux et regrettable… On écarte donc la thèse de la préméditation. Mais le duc n’est pas blanchi pour autant.

Deux questions restent en suspens, la première concerne les circonstances des premières échauffourées entre les soldats du duc et les protestants. Quelle communauté a provoqué l’autre ? Chacune a sa propre version et rejette la responsabilité sur l’autre. La seconde concerne la volonté du duc, au commencement du massacre, de vouloir arrêter l’effroyable carnage. On n’a pas aujourd’hui de certitude et on en n’aura jamais. Comme son expérience de grand chef de guerre ne lui a servi à rien – les émeutes populaires ne se mènent pas comme une bataille entre soldats « professionnels » – on peut supposer qu’il s’est laissé surprendre par l’audace des réformés et qu’ensuite, si réellement il a voulu s’interposer, il n’a pas été obéi.

Conclusion

Après les plaintes déposées par la communauté protestante et une enquête, le Parlement de

Paris, par un arrêté du 31 décembre 1563, a déclaré François de Guise non coupable. On a du mal aujourd’hui à nous rendre compte du terrible état d’esprit qui régnait alors à cette

époque dans toutes les classes de la société et dans toutes les provinces, je veux parler de la haine de l’autre à partir du moment où il ne respectait pas les mêmes doctrines religieuses que vous… en voici la preuve.

Dans cette bonne et bien jolie bourgade de Sens – pourtant bien paisible - il y eut aussi le dimanche 12 avril de la même année (et les jours suivants semble-t-il) un massacre de huguenots qui, cette fois et cela ne fait aucun doute, fut organisé minutieusement. Un projet d’extermination fut arrêté par quelques bourgeois - dont le procureur du roi - qui prévoyait… [d’aller] marquer d'une croix les maisons que l'on devait seulement piller et de deux croix celles dont on devait égorger les habitants14. Il fut réalisé au-delà de toute espérance ; à la suite de la messe dite à l’église de Saint-Savinien15, la foule des fidèles – de qui ? du diable certainement – excités par le prêche virulent d’un moine jacobin alla attaquer avec furie les protestants réunis pour leur office et en tua et blessa un grand nombre… Les corps de toutes ces victimes furent traînés nus à la rivière à travers les rues de la ville… le saccagement et les meurtres, suivis d’obscènes mutilations durèrent plusieurs jours et même selon quelques relations, pendant neuf jours entiers. Le résultat de ces atrocités : une centaine de maisons pillées et saccagées et on n’évalua pas à moins de cent le nombre de personnes égorgées et traînées à la rivière [l’Yonne]. Pour conclure sur cette sinistre et effroyable affaire de Sens, aidons-nous d’une remarque du maréchal de Vieilleville (1509-1571) extraite de ses Mémoires16 …le fait de Wassy n’était rien au regard de celui de Sens !

Cet épisode de notre histoire17, peu reluisant, est moins connu que celui de Wassy tout simplement parce qu’aucun personnage d’importance n’est impliqué. Wassy a traversé l’Histoire à cause de la présence de l’illustre duc François de Guise dont la famille a joué un rôle capital durant la 2e partie du XVIe siècle18.

14

Les textes en italique qui suivent sont d’un recueil intitulé Bulletin des sciences historiques et naturelles de l’Yonne de

l’année 1863 dont le texte principal concerne les guerres du calvinisme et de la ligue dans le département de l’Yonne. 15

Elle serait la première église de Sens, bâtie dès le XIe siècle sur le tombeau du martyr au bord de la route menant à Troyes.

16 L’auteur de ses Mémoires est son secrétaire particulier Vincent Carlois

17 Il y a eu d’autres massacres de protestants à cette époque, à Tours par exemple en juillet

18 A la mort de François au début de 1563 c’est son fils, Henri de Guise dit le Balafré, qui devient le chef de la famille ;

chacun sait qu’il sera assassiné par les « mignons » d’Henri III à Blois le 23 décembre 1588

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Terminons par la conclusion de Jean Orieux extraite de son livre sur Catherine de Médicis… Le sang versé à Wassy allait bientôt retomber sur la France entière…La guerre civile venait de commencer ce dimanche 1er mars 1562.

Le pire ennemi de l’Homme est l’Homme lui-même comme le signale si bien Fénelon (1651-1715)… Toutes les guerres sont civiles c’est toujours l’homme contre l’homme qui répand son propre sang et qui déchire ses propres entrailles. Ne croyons pas que l’époque de telles atrocités est révolue. Il y a peu de temps encore catholiques et protestants s’entredéchiraient sur une île britannique. A notre époque des meurtres de chrétiens sont encore perpétrés dans des pays comme l’Egypte, le Pakistan et l’Inde qui ont découvert, il est vrai, la civilisation un peu tard et par l’intermédiaire des Anglais… Aujourd’hui ce sont deux factions rivales de la religion musulmane qui s’entretuent mais elle peut bénéficier de deux circonstances atténuantes, elle accuse un retard de 622 ans par rapport à celle qui se réclame de Jésus-Christ et elle ne prêche pas l’amour du prochain…

Le célèbre dessin de Jean Tortorel et Jacques Perri ssin daté de 1570 François de Guise est représenté au centre du massacre, une épée à la main.

En haut et à gauche, près de l’église figure le cardinal de Lorraine qui regarde, imperturbable, le massacre. Mais y a-t-il assisté réellement ?

Il figure dans presque tous les documents évoquant Wassy. Je ne l’ai pas pris dans celui qui m’a servi de guide (aux carrefours de l’histoire no 51) mais sur un site/blog bien documenté sur

Troyes au XVIe siècle dont l’auteur est Jacky Provence http://troyes-champagnemeridionale.blogspot.fr/search/label/Guise

Le XVIe n’est pas seulement un siècle violent et cruel, c’est aussi un siècle où l’art s’est épanoui…

démonstration avec mon diaporama sur le beau XVIe en Champagne ! http://www.authorstream.com/Presentation/Jean_Jacques-375274-le-beau-xvie-entertainment-

ppt-powerpoint/