Anthologie 1er S

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Anthologie en deux partie Lyrique et Engagé avec deux préfaces pour les deux parties

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E ngage

&L yrique

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SommaireI. Prface EngagA. B. C. D. E. F. G. La nuit davril 1915 Guillaume Apollinaire Le Dserteur Boris Vian Prophtie Aim Csaire Libert Paul Eluard La Rose et le Rsda Luis Aragon Le parfum du Jasmin Mohamed Yosri Ben Hemdne Contre les bcherons de la fort de Gastine

II.

Prface LyriqueA. B. C. D. E. Lisolement Lamartine souvenirs Victor HUGO Le serpent qui danse Charles Baudelaire Le Pont Mirabeau Guillaume Apollinaire Les yeux dElsa Louis Aragon

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La posie est avant tout un art de cration qui repose sur une certaine esthtique, issue dun travail sur la langue et une juxtaposition de mots. Cet art longtemps associ la chanson, en plus dtre une uvre artistique, elle est un moyen et un outil de faire passe un message ou une philosophie, mais aussi de sengager contre ou pour une ide, de dnoncer une pratique, de corriger les murs des socits. Plusieurs potes, ont employ leurs art et leurs plumes afin de combattre pour leur engagement de la mme faon que des soldats brandissent leurs armes pour dfendre leurs patries et leurs idaux. Les pomes de cette anthologie, partagent tous un point communs, qui est leur engagement dans des domaines et poques diffrentes issues de potes qui ont consacr leur vie leurs objectifs. Jai choisi tout dabord le thme de lengagement pour la libert de la France face loppression des Nazi, qui as connu les multiplications des moyens de rsistance, et qui passent aussi par la posie, qui elle a transform lart en arme fatal, comme Apollinaire, dans La Nuit dAvril 1915, dnonce lattaque men par les allemands et leurs colonisation. Paul Eluard et Luis Aragon, dans Libert et La Rose et le Rsda, rendent hommage la rsistance, et leffort fait par les troupes pour regagner leurs libert, cela jai ajout le pome du Dserteur, uvre de Boris Vian, dont les tendances antimilitariste lont pouss crire son pome provocateurs et qui t repris et radapter par des chanteurs contemporains. Jai ensuite prit un pome dAim Csaire, prophtie qui montre son engagement contre le racisme et la colonisation qui as persist la fin du 20me sicle, afin daccentuer le fait que la posie engag ne se limite pas au thme de la rsistance et de la guerre, mais aussi des problmes sociaux. Jai aussi, list un pome fraichement crit, qui sinscrit dans notre poque de rvolutions nomms de Printemps arabes , avec une uvre qui glorifie et qui sanctionne le rgime dchus. Pour finir et en adquation avec la proccupation de notre poque le pome de Ronsard, fervent dfendeur de la nature et dont le pome engag prend plus dampleur dans ntre poque. Pour conclure, un pote, contrairement ce que pense la majorit des tudiants de mon ge, nest pas simplement un artiste qui sait enchaner des mots avec sonorits, mais un soldats et dfenseur de la cause humaine, avec un des moyens de dissuasion le plus efficaces.

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La Nuit dAvril 1915LE ciel est toil par les obus des BochesLa fort merveilleuse o je vis donne un bal La mitrailleuse joue un air triples-croches Mais avez-vous le mot Eh ! oui le mot fatal Aux crneaux Aux crneaux Laissez l les pioches

Comme un astre perdu qui cherche ses saisonsCur obus clat tu sifflais ta romance Et tes mille soleils ont vid les caissons Que les dieux de mes yeux remplissent en silence Nous vous aimons vie et nous vous agaons

Les obus miaulaient un amour mourirUn amour qui se meurt est plus doux que les autres Ton souffle nage au fleuve o le sang va tarir Les obus miaulaient Entends chanter les ntres Pourpre amour salu par ceux qui vont prir

Le printemps tout mouill la veilleuse l'attaqueIl pleut mon me il pleut mais il pleut des yeux morts Ulysse que de jours pour rentrer dans Ithaque Couche-toi sur la paille et songe un beau remords Qui pur effet de l'art soit aphrodisiaque Mais orgues aux ftus de la paille o tu dors

Guillaume Apollinaire (1880-1918), pote et crivain franais. Engag pour la libert du peuple franais contre les Allemands, Chef de file du Surralisme

L'hymne de l'avenir est paradisiaque

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Le Dserteur

Boris Vian, crit la fin de la guerre dIndochine 1945 , il adresse ce pome aux chefs des armes , pour critiquer la politique militariste men cet poque.

Monsieur le prsident Je vous fais une lettre Que vous lirez peut-tre Si vous avez le temps Je viens de recevoir Mes papiers militaires Pour partir la guerre Avant mercredi soir Monsieur le prsident Je ne veux pas la faire Je ne suis pas sur terre Pour tuer des pauvres gens C'est pas pour vous fcher Il faut que je vous dise Ma dcision est prise Je m'en vais dserter Depuis que je suis n J'ai vu mourir mon pre J'ai vu partir mes frres Et pleurer mes enfants Ma mre a tant souffert Elle est dedans sa tombe Et se moque des bombes Et se moque des vers

Quand j'tais prisonnier On m'a vol ma femme On m'a vol mon me Et tout mon cher pass Demain de bon matin Je fermerai ma porte Au nez des annes mortes J'irai sur les chemins Je mendierai ma vie Sur les routes de France De Bretagne en Provence Et je dirai aux gens: Refusez d'obir Refusez de la faire N'allez pas la guerre Refusez de partir S'il faut donner son sang Allez donner le vtre Vous tes bon aptre Monsieur le prsident Si vous me poursuivez Prvenez vos gendarmes Que je n'aurai pas d'armes Et qu'ils pourront tirer

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Prophtie L o l'aventure garde les yeux clairsl o les femmes rayonnent de langage l o la mort est belle dans la main comme un oiseau saison de lait l o le souterrain cueille de sa propre gnuflexion un luxe de prunelles plus violent que des chenilles l o la merveille agile fait flche et feu de tout bois

l o la nuit vigoureuse saigne une vitesse de purs vgtaux l o les abeilles des toiles piquent le ciel d'une rucheplus ardente que la nuit l o le bruit de mes talons remplit l'espace et lve rebours la face du temps l o l'arc-en-ciel de ma parole est charg d'unir demain l'espoir et l'infant la reine, Aim Csaire (1913-2004) pote et homme politique martiniquais. Fondateur du mouvement de la ngritude, et engag contre lanticolonialisme et le racisme.

d'avoir injuri mes matres mordu les soldats du sultand'avoir gmi dans le dsert d'avoir cri vers mes gardiens d'avoir suppli les chacals et les hynes pasteurs de caravanes

Je regardela fume se prcipite en cheval sauvage sur le devant de la scne ourle un instant la lave de sa fragile queue de paon puis se dchirant la chemise s'ouvre d'un coup la poitrine et je la regarde en les britanniques en lots en rochers dchiquets se fondre peu peu dans la mer lucide de l'air o baignent prophtiques ma gueule ma rvolte mon nom.

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Sur les sentiers veills Sur les routes dployes Sur les places qui dbordent Sur les saisons fiances J'cris ton nom Sur la lampe qui s'allume Sur tous mes chiffons d'azur Sur l'tang soleil moisi Sur le lac lune vivante Sur mes cahiers d'colier Sur mon pupitre et les arbres Sur le sable sur la neige J'cris ton nom Sur les champs sur l'horizon Sur les ailes des oiseaux Et sur le moulin des ombres Sur toutes les pages lues Sur toutes les pages blanches Pierre sang papier ou cendre J'cris ton nom Sur chaque bouffe d'aurore Sur ses oreilles dresses Sur la mer sur les bateaux Sur sa patte maladroite Sur la montagne dmente J'cris ton nom Sur les images dores Sur les armes des guerriers Sur le tremplin de ma porte Sur la couronne des rois J'cris ton nom Sur la mousse des nuages Sur les objets familiers Sur les sueurs de l'orage Sur le flot du feu bni Sur la pluie paisse et fade J'cris ton nom Sur la jungle et le dsert Sur les nids sur les gents Sur toute chair accorde Sur l'cho de mon enfance J'cris ton nom Sur les formes scintillantes Sur le front de mes amis Sur les cloches des couleurs Sur chaque main qui se tend Sur la vrit physique J'cris ton nom Sur les merveilles des nuits Sur le pain blanc des journes J'cris ton nom J'cris ton nom J'cris ton nom J'cris ton nom Sur mon chien gourmand et tendre J'cris ton nom Sur le fruit coup en deux Dur miroir et de ma chambre Sur mon lit coquille vide J'cris ton nom Sur la lampe qui s'teint Sur mes maisons runis J'cris ton nom J'cris ton nom

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Sur la vitre des surprises Sur les lvres attentives Bien au-dessus du silence J'cris ton nom Sur l'absence sans dsir Sur la solitude nue Sur les marches de la mort J'cris ton nom Sur mes refuges dtruits Sur mes phares crouls Sur les murs de mon ennui J'cris ton nom Sur la sant revenue Sur le risque disparu Sur l'espoir sans souvenir

J'cris ton nom

Et par le pouvoir d'un mot Je recommence ma vie Je suis n pour te connatre Pour te nommer

Libert

Couverture de Libert , de Paul Eluard 1942

Paul Eluard (1895-1952), pote engag contre loccupation Allemande. Un des crivain du Surralisme

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La Rose et le RsdaCelui qui croyait au ciel Celui qui n'y croyait pas Tous deux adoraient la belle Prisonnire des soldats Lequel montait l'chelle Et lequel guettait en bas Celui qui croyait au ciel Celui qui n'y croyait pas Qu'importe comment s'appelle Cette clart sur leur pas Que l'un fut de la chapelle Et l'autre s'y drobt Celui qui croyait au ciel Celui qui n'y croyait pas Tous les deux taient fidles Des lvres du coeur des bras Et tous les deux disaient qu'elle Vive et qui vivra verra Celui qui croyait au ciel Celui qui n'y croyait pas Quand les bls sont sous la grle Fou qui fait le dlicat Fou qui songe ses querelles Au coeur du commun combat Celui qui croyait au ciel Celui qui n'y croyait pas Du haut de la citadelle La sentinelle tira Par deux fois et l'un chancelle L'autre tombe qui mourra Celui qui croyait au ciel Celui qui n'y croyait pas Ils sont en prison Lequel A le plus triste grabat Lequel plus que l'autre gle Lequel prfre les rats Celui qui croyait au ciel Celui qui n'y croyait pas Un rebelle est un rebelle Deux sanglots font un seul glas Et quand vient l'aube cruelle Passent de vie trpas Celui qui croyait au ciel Celui qui n'y croyait pas Rptant le nom de celle Qu'aucun des deux ne trompa Et leur sang rouge ruisselle Mme couleur mme clat Celui qui croyait au ciel Celui qui n'y croyait pas Il coule il coule il se mle la terre qu'il aima Pour qu' la saison nouvelle Mrisse un raisin muscat Celui qui croyait au ciel Celui qui n'y croyait pas L'un court et l'autre a des ailes De Bretagne ou du Jura Et framboise ou mirabelle Le grillon rechantera Dites flte ou violoncelle Le double amour qui brla L'alouette et l'hirondelle La rose et le rsda

Luis Aragon (1897 - 1982) , pote , romancier et essayiste franais , membre du courant littraire du dadasme , puis du surralisme. Il est engag pour la cause du communisme et la libration.

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RvolutionDe ce peuple opprim qui enfin s'veille,Entends le rugissement, Libert vermeille! Bnis-le, vois ses pleurs, coute ses soupirs, Sois douce, et daigne ne point le faire souffrir!

Ben Ali, tu croyais pourtant la TunisieSoumise tes lois; le nectar et l'ambroisie, Comme les dieux de l'Olympe, beraient ton cur obscur,

Gloire la Tunisie, fire et ternelle!Gloire la patrie et ceux qui meurent pour elle! Gloire aux mres plores, aux veuves, aux bons, aux purs! Le peuple a cueilli sa libert, ce fruit mr, Qui tombe de l'arbre de la dictature! Victime, il soufflette le bourreau qui le torture, Et sourit l'aurore qui reluit dans les cieux, Dployant ses ailes, pour que le soleil radieux Monte enfin, joyeux, dans les nues sublimes!

Mais tu as fui! C'est la fin de ton rgime impur, De ta sombre oppression, de ta dictature vile! Tu mourras oubli, criminel, inutile, Nul homme libre ne chantera ton nom odieux; Tu vcus puissant, tu priras furieux, La Terreur, L'Ere nouvelle, le Sept novembre, Nul ne s'en souviendra! Et, fantme sombre, Ton nom s'envolera, chtiment oublieux! Et dans les vieux livres d'histoire poussireux Sera emprisonn, ternelle gele! Et pareil aux vtustes et mystrieux symboles

Tu ne t'es point tu, , peuple magnanime!Esclave muet, pendant vingt-trois ans, vingt-trois ans! Tu errais, sombre, et tu trainais tes fers pesants, Mais la volont du peuple est souveraine, Bless et pourtant fier, tu brisas tes chanes! Volont sublime qu'encense l'univers! Le printemps rayonne malgr les sombres hivers!

Que l'on voit sur les murs des pyramides anciens, Nul ne le comprendra, car nul ne se souvient!

Mohamed Yosri Ben Hemdne , auteur et crivain tunisien , engag pour la libration de son peuple du joug du prsident dchu, et actif politiquement .

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Contre les bcherons de la fort de Gastinecoute, bcheron, arrte un peu le bras;Ce ne sont pas des bois que tu jettes bas; Ne vois-tu pas le sang lequel dgoutte force Des nymphes qui vivaient dessous la dure corce ? Sacrilge meurtrier, si on pend un voleur Pour piller un butin de bien peu de valeur, Combien de feux, de fers, de morts et de dtresses Mrites-tu, mchant, pour tuer nos desses ? Fort, haute maison des oiseaux bocagers ! Plus le cerf solitaire et les chevreuils lgers Ne patront sous ton ombre, et ta verte crinire Plus du soleil d't ne rompra la lumire. Plus l'amoureux pasteur sur un tronc adoss, Enflant son flageolet quatre trous perc, Son mtin ses pieds, son flanc la houlette, Ne dira plus l'ardeur de sa belle Janette. Tout deviendra muet, Echo sera sans voix ; Tu deviendras campagne, et, en lieu de tes bois, Dont l'ombrage incertain lentement se remue, Tu sentiras le soc, le coutre et la charrue ; Tu perdras le silence, et haletants d'effroi Ni Satyres ni Pans ne viendront plus chez toi. Adieu, vieille fort, le jouet de Zphire, O premier j'accordai les langues de ma lyre, O premier j'entendis les flches rsonner D'Apollon, qui me vint tout le coeur tonner, O premier, admirant ma belle Calliope, Je devins amoureux de sa neuvaine trope, Quand sa main sur le front cent roses me jeta.

Pierre Ronsard (1524-1585), potes franais du 16me sicle, un des principaux acteurs de la renaissance , engag dans la diffusion du savoir et de la prservations de la nature en plus des droits humains.

Et de son propre lait Euterpe m'allaita.Adieu, vieille fort, adieu ttes sacres, De tableaux et de fleurs autrefois honores. Maintenant le ddain des passants altrs, Qui, brls en l't des rayons thrs, Sans plus trouver le frais de tes douces verdures, Accusent tes meurtriers et leur disent injures. Adieu, chnes, couronne aux vaillants citoyens. Arbres de Jupiter, germes Dodonens, Qui premiers aux humains donntes repatre ; Peuples vraiment ingrats, qui n'ont su reconnatre Les biens reus de vous, peuples vraiment grossiers De massacrer ainsi leurs pres nourriciers ! Que l'homme est malheureux qui au monde se fie ! dieux, que vritable est la philosophie, Qui dit que toute chose la fin prira, Et qu'en changeant de forme une autre vtira ! De Temp la valle un jour sera montagne, Et la cime d'Athos une large campagne ; Neptune quelquefois de bl sera couvert : La matire demeure et la forme se perd.

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Dans lantiquit, la posie lyrique, correspondait aux pomes accompagns de la musique de la lyre un instrument de musique. En 1755 Charles Batteux , donne un nouveau sens la posie Lyrique, qui est une posie qui se dit lexpression des sentiments intimes du pote. Contrairement la posie engage, elle dpend de la priode et des motions que ressent le pote pendant un moment donn. Cette anthologie comporte les plus beaux pomes lyriques mon gout et qui ont russi retranscrire en art crit, les sentiments des potes travers les sicles. Jai donc dcid de choisir 5 pomes selon diffrentes poques de faon chronologique. Avec lisolement de Lamartine, un thme que lon retrouve de plus en plus dans la littrature contemporaine, et qui montre ces sentiments de solitude que ressent le pote au moment de lcriture. Cependant je crois que le recueil des contemplations de Victoire HUGO reste un des grands pomes lyrique, ou ce dernier russi mettre sur du papier ces sentiments de chagrin, aprs la mort de sa fille bien aime et cela de sorte ce que nous lecteurs ressentions les mmes sentiments qutais le sien. Le pome lyrique de Charles Baudelaire , Le serpent qui danse , est lexpression de son amour et sa fascination pour le corps de le femme, on retrouve ce mme thme chez Luis Aragon avec les Yeux dEsla en rfrence sa muse laquelle il lui as accord une grande fascination . Enfin jai insrer le chef duvre bien connu du Pont Mirabeau une pigramme qui montre le sentiment de spleen et de la fuite du temps que ressent Apollinaire. Pour conclure, la posie lyrique et lun des meilleurs outils, pour retranscrire avec fidlit les sentiments de lhomme, qui sont abstrait, et cela grce lesthtique et la beaut des pomes lyriques.

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Alphonse Lamartine (1790-1869) romancier, dramaturge et prosateur en mme temps qu'un homme politique franais

LisolementSouvent sur la montagne, lombre du vieux chne, Au coucher du soleil, tristement je massieds ; Je promne au hasard mes regards sur la plaine, Dont le tableau changeant se droule mes pieds. Ici gronde le fleuve aux vagues cumantes ; Il serpente, et senfonce en un lointain obscur ; L le lac immobile tend ses eaux dormantes O ltoile du soir se lve dans lazur. Au sommet de ces monts couronns de bois sombres, Le crpuscule encor jette un dernier rayon ; Et le char vaporeux de la reine des ombres Monte, et blanchit dj les bords de lhorizon. Cependant, slanant de la flche gothique, Un son religieux se rpand dans les airs ; Le voyageur sarrte, et la cloche rustique Aux derniers bruits du jour mle de saints concerts. Mais ces doux tableaux mon me indiffrente Nprouve devant eux ni charme ni transports ; Je contemple la terre ainsi quune ombre errante : Le soleil des vivants nchauffe plus les morts. De colline en colline en vain portant ma vue, Du sud laquilon, de laurore au couchant, Je parcours tous les points de limmense tendue, Et je dis : Nulle part le bonheur ne mattend. Que me font ces vallons, ces palais, ces chaumires, Vains objets dont pour moi le charme est envol ? Fleuves, rochers, forts, solitudes si chres, Un seul tre vous manque, et tout est dpeupl ! Que le tour du soleil ou commence ou sachve,

Dun il indiffrent je le suis dans son cours ; En un ciel sombre ou pur quil se couche ou se lve, Quimporte le soleil ? je nattends rien des jours. Quand je pourrais le suivre en sa vaste carrire, Mes yeux verraient partout le vide et les dserts : Je ne dsire rien de tout ce quil claire ; Je ne demande rien limmense univers. Mais peut-tre au-del des bornes de sa sphre, Lieux o le vrai soleil claire dautres cieux, Si je pouvais laisser ma dpouille la terre, Ce que jai tant rv paratrait mes yeux. L, je menivrerais la source o jaspire ; L, je retrouverais et lespoir et lamour, Et ce bien idal que toute me dsire, Et qui na pas de nom au terrestre sjour. Que ne puis-je, port sur le char de lAurore, Vague objet de mes vux, mlancer jusqu toi ! Sur la terre dexil pourquoi rest-je encore ? Il nest rien de commun entre la terre et moi. Quand la feuille des bois tombe dans la prairie, Le vent du soir slve et larrache aux vallons ; Et moi, je suis semblable la feuille fltrie : Emportez-moi comme elle, orageux aquilons !

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souvenirs ! souvenirs! Printemps! Aurore ! Doux rayon triste et rchauffant ! - Lorsqu'elle tait petite encore, Que sa sur tait tout enfant... Connaissez-vous, sur la colline Qui joint Montlignon Saint-Leu, Une terrasse qui s'incline Entre un bois sombre et le ciel bleu ? C'est l que nous vivions, - Pntre, Mon cur, dans ce pass charmant ! Je l'entendais sous ma fentre Jouer le matin doucement. Elle courait dans la rose, Sans bruit, de peur de m'veiller ; Moi, je n'ouvrais pas ma croise, De peur de la faire envoler. Ses frres riaient... - Aube pure ! Tout chantait sous ces frais berceaux, Ma famille avec la nature, Mes enfants avec les oiseaux ! Je toussais, on devenait brave. Elle montait petits pas, Et me disait d'un air trs grave : "J'ai laiss les enfants en bas." Qu'elle ft bien ou mal coiffe, Que mon cur ft triste ou joyeux, Je l'admirais. C'tait ma fe, Et le doux astre de mes yeux ! Nous jouions toute la journe. jeux charmants ! Chers entretiens ! Le soir, comme elle tait l'ane,

Elle me disait : "Pre, viens ! Nous allons t'apporter ta chaise, Conte-nous une histoire, dis ! " Et je voyais rayonner d'aise Tous ces regards du paradis. Alors, prodiguant les carnages, J'inventais un conte profond Dont je trouvais les personnages Parmi les ombres du plafond. Toujours, ces quatre douces ttes Riaient, comme cet ge on rit, De voir d'affreux gants trs-btes Vaincus par des nains pleins d'esprit. J'tais l'Arioste et l'Homre D'un pome clos d'un seul jet ; Pendant que je parlais, leur mre Les regardait rire, et songeait. Leur aeul, qui lisait dans l'ombre, Sur eux parfois levait les yeux, Et moi, par la fentre sombre J'entrevoyais un coin des cieux!

Victor Hugo (1802-1885) Illustre crivain et pote franais, chef de file du romantisme. Aprs la mort de sa fille bien aim Lopoldine, il crit les Contemplations dont est extrait ce pome, exprimant son chagrin. Page 14

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Le serpent qui danseQue j'aime voir, chre indolente, De ton corps si beau, Comme une toffe vacillante, Miroiter la peau! Sur ta chevelure profonde Aux cres parfums, Mer odorante et vagabonde Aux flots bleus et bruns, Comme un navire qui s'veille Au vent du matin, Mon me rveuse appareille Pour un ciel lointain. Tes yeux o rien ne se rvle De doux ni d'amer, Sont deux bijoux froids o se mlent Lor avec le fer. A te voir marcher en cadence, Belle d'abandon, On dirait un serpent qui danse Au bout d'un bton. Sous le fardeau de ta paresse Ta tte d'enfant Se balance avec la mollesse Dun jeune lphant, Et ton corps se penche et s'allonge Comme un fin vaisseau Qui roule bord sur bord et plonge Ses vergues dans l'eau. Comme un flot grossi par la fonte Des glaciers grondants, Quand l'eau de ta bouche remonte Au bord de tes dents, Je crois boire un vin de bohme, Amer et vainqueur, Un ciel liquide qui parsme Dtoiles mon cur!

Charles Baudelaire (1821-1867), pote franaise, connu pour son art qui rompt avec lesthtique classique. Son plus fameux ouvrage et celui des Fleurs du mal.

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Sous le pont Mirabeau coule la Seine Et nos amours Faut-il quil men souvienne La joie venait toujours aprs la peine. Vienne la nuit sonne lheure Les jours sen vont je demeure Les mains dans les mains restons face face Tandis que sous Le pont de nos bras passe Des ternels regards londe si lasse Vienne la nuit sonne lheure Les jours sen vont je demeure Lamour sen va comme cette eau courante Lamour sen va Comme la vie est lente Et comme lEsprance est violente Vienne la nuit sonne lheure Les jours sen vont je demeure Passent les jours et passent les semaines Ni temps pass Ni les amours reviennent Sous le pont Mirabeau coule la Seine Vienne la nuit sonne lheure Les jours sen vont je demeure

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Les Yeux dElsa

Tes yeux sont si profonds qu'en me penchant pour boire J'ai vu tous les soleils y venir se mirer S'y jeter mourir tous les dsesprs Tes yeux sont si profonds que j'y perds la mmoire l'ombre des oiseaux c'est l'ocan troubl Puis le beau temps soudain se lve et tes yeux changent L't taille la nue au tablier des anges Le ciel n'est jamais bleu comme il l'est sur les bls Les vents chassent en vain les chagrins de l'azur Tes yeux plus clairs que lui lorsqu'une larme y luit Tes yeux rendent jaloux le ciel d'aprs la pluie Le verre n'est jamais si bleu qu' sa brisure Mre des Sept douleurs lumire mouille Sept glaives ont perc le prisme des couleurs Le jour est plus poignant qui point entre les pleurs L'iris trou de noir plus bleu d'tre endeuill Tes yeux dans le malheur ouvrent la double brche Par o se reproduit le miracle des Rois Lorsque le cur battant ils virent tous les trois Le manteau de Marie accroch dans la crche Une bouche suffit au mois de Mai des mots Pour toutes les chansons et pour tous les hlas

Trop peu d'un firmament pour des millions d'astres Il leur fallait tes yeux et leurs secrets gmeaux L'enfant accapar par les belles images carquille les siens moins dmesurment Quand tu fais les grands yeux je ne sais si tu mens On dirait que l'averse ouvre des fleurs sauvages Cachent-ils des clairs dans cette lavande o Des insectes dfont leurs amours violentes Je suis pris au filet des toiles filantes Comme un marin qui meurt en mer en plein mois d'aot J'ai retir ce radium de la pechblende Et j'ai brl mes doigts ce feu dfendu paradis cent fois retrouv reperdu Tes yeux sont mon Prou ma Golconde mes Indes Il advint qu'un beau soir l'univers se brisa Sur des rcifs que les naufrageurs enflammrent Moi je voyais briller au-dessus de la mer Les yeux d'Elsa les yeux d'Elsa les yeux d'Elsa

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