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L’EXISTENCE ET LE TEMPS PEUT-ON ECHAPPER AU TEMPS ? INTRODUCTION Deux questions se posent : 1) Est-il possible d’échapper au temps ? Nous avons une date de naissance et en suspens il y a une date de décès. La mort semble indiquer qu’il est impossible d’échapper au temps. Toutefois s’il y a de l’éternité, alors le salut consisterait à trouver cette sortie. L’éternité ici à deux sens : la perpétuité ou la sempiternité ; l’atemporalité. Il y a des choses intemporelles qui valent pour tous les temps. Il existe des expériences où l’atemporalité est en jeu. 1

 · Web viewêtre continument conscient. Les philosophes du vedanta distingue trois états : l’état d’éveil, l’état de rêve et l’état de sommeil. Si l’atemporalité

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L’EXISTENCE ET LE TEMPS

PEUT-ON ECHAPPER AU TEMPS ?

INTRODUCTION

Deux questions se posent :

1) Est-il possible d’échapper au temps ?

Nous avons une date de naissance et en suspens il y a une date de décès. La mort semble indiquer qu’il est impossible d’échapper au temps.

Toutefois s’il y a de l’éternité, alors le salut consisterait à trouver cette sortie. L’éternité ici à deux sens :

· la perpétuité ou la sempiternité ;

· l’atemporalité.

Il y a des choses intemporelles qui valent pour tous les temps.

Il existe des expériences où l’atemporalité est en jeu.

+ Une première concerne l’expérience du sommeil. On s’endort, on ferme les yeux, on les ouvre et nous voici le lendemain. Nous n’avons alors eu aucune notion de temps intérieur. La philosophie indienne du vedanta affirme que cette l’atemporalité du sommeil profond met en jeu la dimension de l’esprit la plus profonde et qu’il est possible d’en être continument conscient. Les philosophes du vedanta distingue trois états : l’état d’éveil, l’état de rêve et l’état de sommeil. Si l’atemporalité propre au sommeil profond est maintenue lors de l’éveil et du rêve, alors on estime qu’est réalisée la conscience absolue, éternelle source de tout être et de la personne où elle s’est réalisée.

+ Une seconde expérience concerne l’écart entre un sentiment de soi-même où en première personne à l’innocence de l’enfant que nous étions et ce visage là-bas sur ce miroir qui est plus mûr, qui prend de l’âge et qui portera bientôt les traces inéluctables du temps.

+ Une troisième expérience est celle des réminiscences comme l’épisode de la Madeleine dans A la recherche du temps perdu de Marcel Proust.

2) Est-il permis d’échapper au temps ?

a) La vie vaut-elle d’être vécue ?

De nos jours la chirurgie esthétique consiste souvent à effacer les traces du temps comme les rides, les poches sous les yeux, etc. Est-ce une fuite illusoire ?

Bien entendu entre notre naissance et notre mort, il y a une vie à vivre. Encore faut-il se demander si elle vaut le coup d'être vécue. Dans Le mythe de Sisyphe, Albert Camus commence par poser la question du suicide. Faut-il par la bonne mort, l'euthanasie, échapper au plus vite à une vie absurde et tragique ? Ou tant que nous en avons la force, faut-il le courage d'affronter cette dimension absurde comme Sisyphe qui tente de monter son rocher au sommet et qui le voit sans cesse décaler la pente ?

Au sens le plus profond vouloir échapper au temps n’est-ce pas vouloir échapper à notre responsabilité créatrice ?

b) Il semble que le temps nous amène à des illusions psychologiques malheureuses dont nous devons nous défaire pour notre bien-être et libérer notre énergie créatrice.

La nostalgie n’est-elle pas le désir d’échapper à l’irréversibilité du temps ? N’y a-t-il pas là une illusion psychologique ?

Une sagesse de l’acceptation de ce qui est, a été et de ce qui advient n’est-elle pas nécessaire pour libérer notre énergie créatrice ?

3) Il se pourrait que le temps soit une bénédiction, qu’il soit la condition même de salut de notre liberté humaine seule dotée d’une réversibilité dans ses tendances. Vouloir échapper au temps reviendrait alors à risquer de refuser l’essence libératrice de la Vie, se condamner au malheur du refus.

Origène avec l’apocatastase envisage que nous sommes des âmes prédestinées dans un premier mouvement à refuser la lumière spirituelle du bien et que cette chute de notre âme n’est pas perpétuelle par le biais du temps qui permet de rejouer ce choix originaire qui dans le temps ne saurait être absolu. Il conjugue alors une métaphysique réincarnationiste platonisante avec une métaphysique chrétienne où la création cosmique loin d'être une perte d'être par sa diffusion en dehors du divin est une oeuvre libératrice du refus du bien. Si Dieu est amour, il ne peut créer aucun être en sachant par son savoir tout puissant que l'usage de sa liberté le conduira inéluctablement à vivre un enfer éternel. Supposons un ange qui dans la lumière éternelle refuse le bien, il serait perpétuellement enfermé dans le refus. Le temps permet une réversibilité morale et spirituelle. La réversibilité morale offerte par le temps est le pardon qui comprend la réhabilitation par le rachat de la dette morale. Plus profondément, le temps permettant de perdre la lumière éternelle de vue permet paradoxalement de la vouloir et de se préparer à la reconnaître. L’enjeu est de retrouver une dimension éternelle en laquelle s’abandonner. Pour Origène même les anges déchus pourraient donc être sauvés de l'enfer éternel.

Cette théologie même si on n'adhère pas à la foi en un Dieu d'amour pur permet de penser que le temps n'est pas seulement une punition. L'existentialisme qu'il soit chrétien ou athée voir dans le temps le lieu par excellence de la liberté humaine capable de réversibilité phénoménologique. Échapper au temps ne serait-il pas prendre le risque de perdre l'exercice de notre liberté existentielle ? Fuir le temps ne serait-ce pas une démarche malhonnête pour fuir nos responsabilités morales ?

I - SOMMES-NOUS DANS LE TEMPS OU LE TEMPS EST-IL EN NOUS ?

A - On peut distinguer un temps objectif par notre appartenance au cosmos et un temps subjectif propres à nos vécus intérieurs.

+ Le temps cosmique et sa connaissance pour en maîtriser le déroulement.

L’espace est comme une boîte vide où se passent des phénomènes du point de vue d’un temps absolu.

Avant même de considérer le temps des horloges, on remarque que le temps cosmique est le temps objectif sur lequel nous sommes spontanément en accord. Il y a le jour solaire. Le cycle lunaire, le cycle des saisons. Enfin il y a des phénomènes célestes cycliques à durée plus longs comme le passage de telles comètes.

Il ne s'agit pas d'échapper au temps cosmique mais d'en affiner la connaissance pour mieux anticiper les phénomènes dans la durée. D'où l'astronomie confondue dans un premier temps avec l'astrologie. Mais aussi à l'échelle d'une journée une connaissance plus fine du temps peut socialement être utile pour se fixer rendez-vous. La durée de cuisson de l'oeuf change son statut : œuf à la coque ou œuf dur. Pouvoir mesurer un temps court s'avérer utile. Loin de vouloir échapper au temps nous voulons en connaître les lois précises pour mieux maîtriser les phénomènes en son sein.

+ Le déterminisme absolu du temps galiléen et newtonien.

Mais si de fait nous sommes essentiellement un corps, on ne peut pas échapper au temps, puisque nous voici un élément de l’espace sur lequel le déroulement du temps s’impose.

Dans la représentation vulgaire du temps, il y a des embranchements, il y a des choix.

En fait dans une fonction newtonienne, le temps est une variable qui détermine une position dans l'espace. Toute mathématisation des mouvements est une équation mettant en jeu f(t) = axtxt + bxt + c

L’attraction universelle est liée à une loi d’attraction entre les masses des corps.

Un exemple d’application permet de déduire la force d’attraction terrestre sur les objets terrestres. On retrouve alors les formules de Galilée. La position s’exprime en fonction du temps (t).

Nous avons alors affaire à un déterminisme absolu.

Non seulement nous ne pouvons pas échapper au temps pour la plupart mais si nous ne sommes qu'un corps qui prend ses décisions cérébralement, il nous détermine dans nos décisions en nous déterminant matériellement. Autrement dit notre sentiment d'avoir un libre arbitre serait illusoire d’après le déterminisme si notre esprit et notre corps sont des dimensions qui réduisent l’une à l’autre. Notre idée de jugement moral et surtout notre désir de justice serait en grande partie illusoire en faisant des actes des choix libres des personnes.

Force est de constater que nos décisions sont souvent déterminées inconsciemment, semble-t-il, avant que nous en soyons conscients :

Spinoza nous invite à considérer une pierre qui lancée en vol prendrait soudain conscience d’elle-même. On voit bien que ce que la pierre devenu consciente croit désirer librement or elle n’est pas consciente de toutes les forces qui la déterminent. Son désir est en fait la force imprimée par le lancer devenue consciente en elle. Cette force qui la fait avancer est devenue force d'inertie de son corps mais à l'origine cette force est passée du lanceur à son corps. Elle lui a été transmise et n'est pas de son ressort. Elle est donc mue dans son propre désir par une force qu’elle ressent comme sienne par le principe d’inertie sans voir qu’elle en a reçue l’impulsion de l’extérieur. 

Dans le conflit de sa propre force avec celle de la gravité, elle peut la ressentir comme subie.

En fait phénoménologiquement, nous ressentons en effet le poids de notre corps comme subi et notre désir comme libre alors que notre énergie vitale où notre désir s’origine a pour cause divers phénomènes de l’univers qui ont donné vie et donnent vie à notre corps et à nos désirs.

Ainsi je crois que je désire cette nourriture mais c’est bien en fait la nourriture qui cause en moi son désir. Ce sont les objets qui m’attirent qui suscitent mon désir et non moi qui choisis de désirer librement cet objet.

Spinoza cite 3 exemples :

Le lait du bébé ; les actes effectués sous l’emprise de l’alcool et enfin les bavardages. C'est bien le lait qui cause les pleurs du bébé animé par la faim ; c'est bien l'alcool qui cause des actes ou des propos que son auteur regrettera une fois dégrisé. Dans le cas du bavardage les personnes croient contrôler leurs paroles mais elles se laissent aller à dire ce qu'elles devraient taire car elles sont attirées par la curiosité de l'autre qu'elles veulent intéresser plus que par le fait de vraiment contrôler leurs propos et le fait de ne pas trahir des confidences qu'on leur a faites.

En science, l’expérience en neurologie de Benjamin Libet a sérieusement réduit la défense d’un libre-arbitre absolu comme l’existentialiste le conçoit.

Le dispositif de l’expérience de Benjamin Libet.

Résultat de l’expérience.

On observe une activité cérébrale du cerveau préparant la décision bien avant que celle-ci soit consciente. L'expérience est de l'ordre de sixième de seconde. Dans une semblable expérience avec un IRM l'écart est de l'ordre des secondes. Ainsi la conscience de la décision suit le processus de décision inconscient cérébral. L'analyse conceptuelle de Spinoza semble confirmée expérimentalement.

+ Il faut éviter un faux-sens fataliste sur le déterminisme :

Le fataliste affirme son irresponsabilité car tout est décidé de toute éternité (ici par Dieu). Dans le grand livre de la vie il est écrit que… Donc je ne puis rien faire d’autre que cela.

Ceci est l’argument paresseux.

L'erreur fataliste consiste précisément à se déresponsabiliser en se présentant comme manipulé par le divin ou la nature alors que nos actes sont des expressions directes du divin ou de la nature.

+ La porte de sortie spinoziste : la liberté est la connaissance de la nécessité.

Spinoza est l’héritier des stoïciens comme Chrysippe.

Un cylindre sur une pente ne peut s’opposer à la nécessité pour lui de dévaler la pente mais il lui appartient de reconnaître ou non cette nécessité donc d’être passif ou actif.

Pour Spinoza plus l’activité augmente plus la joie croît. Plus l’activité diminue et la passivité augmente plus la tristesse augmente

Nous pouvons par la connaissance devenir conscience du tout qui s’autodétermine dans un acte individuel. C’est un point de vue sub specie aeternitatis intuitif mais que la raison scientifique semble préfigurer. La science permet de sortir par la raison de la boîte où tout est déterminé passivement par une loi nécessaire en fonction du temps. La raison donne accès à une vérité éternelle. Ceci sort de l’imagination d’être doté d’un libre-arbitre qui est un premier genre de connaissance. Avec la raison on en est à un deuxième genre de connaissance. L’intuition directe de maintenant être l’autodétermination du tout individualisé est un troisième genre de connaissance.

Problème interne  : la libération est une autodétermination individualisée de l’univers où un acte ressenti comme produit par nous individuellement se réalise comme fait éternel «instantanéisé » et «individualisé » du tout de l’univers. Comment s’opère cette réalisation si ce n’est pas un choix individuel ? Comment l’univers a-t-il pu s’oublier dans l’individualité séparé et illusoirement maître de ses actes ?

+ Cependant il y a d’autres options.

· Auto-objection de Libet : à la conclusion déterministe au sujet de son expérience : le sujet peut changer d’idée une fois conscient de son impulsion. Libet en revient à l'expérience cartésienne du doute hyperbolique qui confère à la conscience le pouvoir de se défaire de tout acte interne et externe en cours. Cette suspension intérieure par le doute nous confère une liberté d'indifférence mais en choisissant ne serait-ce pas des forces matérielles qui de nouveau dicte leur déroulement. La marge de manoeuvre serai étroite.

· Objection scientifique au démon de Laplace : La réalité est en partie indéterminée. C'est le système à plusieurs planètes. C’est le résultat de la mécanique quantique [cf. les fentes d’Young]. A l’échelle du vivant c’est aussi un modèle auto-organisé de hasard et de nécessité qui prévaut.

· Nouvelle objection à Spinoza déduite de l'indéterminisme de la réalité : s'il y a contingence alors l'effet l'enveloppe pas la cause de façon déterminée et donc on ne voit pas très bien comment se tenir dans la connaissance du troisième genre des actes de l'instant nous plongerait dans un point de vue éternel englobant le temps ?

+ La représentation du temps commune à partir de l’observation immédiate est fausse.

Toutefois nos raisonnements sur la liberté ont mis en jeu une réflexion restée dans un cadre newtonien. L’indéterminisme dont nous avons parlé reste lié à une pensée newtonienne du temps prisonnière elle-même de la pensée usuelle.

Transition :

Objection 1 au temps newtonien :

Mais en fait ce que nous observons tout autour de nous nous arrive décalé.

Objection 2 au temps newtonien : les satellites GPS se plantent si on suppose un temps se déroulant à la même vitesse partout.

+ Le temps einsteinien

Enfin la relativité affirme qu’il y a plusieurs temps, plusieurs rythmes d’écoulement selon le lieu de l’espace ou la vitesse.

Introduction à la relativité générale :

Donc on suppose :

Or on observe :

On suppose :

Albert Einstein postule la relativité restreinte qui suppose C vitesse de la lumière comme vitesse maximale dans l’univers.

Dès lors on a le problème suivant :

Deux solutions sont possibles pour expliquer ce phénomène :

Le paradoxe des jumeaux de Langevin :

Le cas des satellites GPS confirme l’hypothèse 2.

Dès lors il faut admettre ce qui semble un voyage dans le futur.

+ Ce voyage dans le temps et pas seulement dans l'espace ne nous fait pas malgré tout échapper au temps. Même si je n'ai pas vieilli autant que mon jumeau, du temps est passé pour moi aussi.

Par ailleurs être plus vieux peut signifier avoir davantage vécu et donc avoir davantage évolué. Une civilisation vivant près d'un corps céleste massif évoluerait plus vite...

Toutefois :

+ Trois théories du temps se jouent donc en science :

=> présentisme (seul le présent existe : premièrement le futur n’existe pas encore ; deuxièmement le passé n’existe pas, seul le présent est avec des traces de ce qui fût mais le passé réel ne peut pas être rejoint car il n’est plus) ;

=> possibilisme (le futur n’existe que comme possibilité mais le passé perdure comme durée présente grosse du passé) ;

=> éternalisme (le temps est une impression d’échelle plus ou moins illusoire).

+ Les voyages dans le temps nous font-ils échapper au temps ?

On notera que voyager dans le temps vers le futur a à voir plutôt avec l'éternalisme. La relativité d'Einstein a donc tendance à aujourd'hui produire de théories où l'éternalisme fait disparaître la variable t des équations (cf. Rovelli, Si le temps n’existait pas ?).

Il semble dès lors que l’indéterminisme observé à l’encontre du déterminisme newtonien n’existe plus alors à un autre niveau. L’indétermination paraît telle du point de vue des connaissances du passé mais si quelqu’un voyage vers notre futur, il perçoit ce qui semblait des indéterminations comme des déterminations éternelles.

Cependant le voyage dans le futur puis le retour au moment suivant le départ semble théoriquement possible même s'il est controversé. Certes un voyage dans le temps dans le passé au-delà du point de construction de la machine à voyager dans le temps semble impossible en l'état des connaissances scientifiques. Mais cette simple possibilité que le physicien Paul Davies envisage même technologiquement pointe un étrange paradoxe.

Un voyage dans le futur amène le voyageur à y découvrir une technologie révolutionnaire, il revient vers le passé avec celle-ci qui bien sûr sera développée. Ici il n’y a pas d’incohérence comme dans les histoires où plusieurs voyageurs qui sont toute la même personne se rencontre et où l’information du plus âgé change les décisions des plus jeunes et donc implique d’autres que ceux qui se sont rencontrés. Mais malgré tout c’est ce voyage qui a causé une boucle où quelque chose d’inédit est apparu.

Mais si je reviens dans le passé avec une information essentielle au sujet d’une décision d’un ami et que je lui transmets. Est-ce que le futur dont je reviens va demeurer le même ou bien va-t-il changer ? on pourrait imaginer une expérience avec des machines où telle chose observée dans une expérience dans son devenir futur conduit une machine voyageant dans le temps à revenir changer les conditions initiales de cette expérience…

Faut-il rouvrir dès lors la ligne d’un mixte entre possibilisme et éternalisme ?

2 - Aristote définit le temps comme le nombre du mouvement : aujourd'hui le temps est en physique défini par le rythme oscillatoire d'une particule.

Cela peut paraître absurde de revenir dans l'histoire des sciences à ce qui a précédé Einstein et Newton mais Aristote pose un problème essentiel même si sa réponse d'ailleurs est proche de celle des sciences.

Il est intéressant d'examiner les relations de l'âme et du temps, et de se demander pourquoi le temps paraît être présent en tout être, dans la terre, la mer et le ciel. N'est-ce pas parce qu'il est une détermination et une disposition du mouvement, lui qui en est le nombre, et que toutes ces choses sont en mouvement ? Car elles sont toutes en un lieu ; et le temps et le mouvement vont de pair, aussi bien selon la puissance que selon l'acte. Ce qui fait encore problème, c'est de savoir si oui ou non, en l'absence de l'âme, le temps pourrait être. Car s'il est impossible qu'existe un nombrant quelconque, il est du même coup impossible qu'existe un nombrable, pas plus, évidemment qu'un nombre : le nombre est, en effet, soit le nombré, soit le nombrable. Mais si la nature n'accorde qu'à l'âme la faculté de nombrer, et plus précisément à cette partie de l'âme qu'est l'intellect, il est impossible que le temps soit l'âme, sauf quant à son substrat, au sens où l'on dit que le mouvement peut-être sans l'âme. Et l'antériorité et la postériorité se trouvent dans le mouvement, et constituent le temps dans la mesure où elles sont nombrables.

Aristote

Physique

IVe siècle avant J.-C

Toutefois même le temps en physique n'est pas réductible à une seule définition.

Le temps subjectif semble donc du fait des temps pluriel de la physique gagner en crédibilité.

De fait le futur ou le passé sont des projections dans le temps subjectif présent.

Ce n'est pas user de termes propres que de dire : il y a trois temps, le passé, le présent et l'avenir. […] Car ces trois sortes de temps existent dans notre esprit et je ne les vois pas ailleurs. Le présent du passé, c'est la mémoire ; le présent du présent, c'est l'intuition directe ; le présent de l'avenir, c'est l'attente.

Saint Augustin

Les Confessions

398 après J.-C

B- Selon Kant le temps comme l'espace sont des conditions a priori de l'intuition des phénomènes de notre conscience.

II - POUVONS-NOUS VIVRE AU PRÉSENT SANS PASSIONS ILLUSOIRES SUR LE PASSE ET L’AVENIR ?

A - Ce sont des passions qui nous emprisonnent subjectivement dans le temps. [Pascal]

Que chacun examine ses pensées, il les trouvera toutes occupées au passé et à l'avenir. Nous ne pensons presque point au présent ; et, si nous y pensons, ce n'est que pour en prendre la lumière pour disposer de l'avenir. Le présent n'est jamais notre fin : le passé et le présent sont nos moyens ; le seul avenir est notre fin. Ainsi nous ne vivons jamais, mais nous espérons de vivre ; et, nous disposant toujours à être heureux, il est inévitable que nous ne le soyons jamais.

Pascal

Pensées

1669

B - Nietzsche évoqué la nécessité de l'oubli.

« Dans le plus petit comme dans le plus grand bonheur, il y a quelque chose qui fait que le bonheur est un bonheur : la possibilité d’oublier, ou pour le dire en termes plus savants, la faculté de sentir les choses, aussi longtemps que dure le bonheur, en dehors de toute perspective historique. L’homme qui est incapable de s’asseoir au seuil de l’instant en oubliant tous les événements du passé, celui qui ne peut pas, sans vertige et sans peur, se dresser un instant tout debout, comme une victoire, ne saura jamais ce qu’est un bonheur et, ce qui est pire, il ne fera jamais rien pour donner du bonheur aux autres. Imaginez l’exemple extrême : un homme qui serait incapable de ne rien oublier et qui serait condamné à ne voir partout qu’un devenir; celui-là ne croirait pas à sa propre existence, il ne croirait plus en soi, il verrait tout se dissoudre en une infinité de points mouvants et finirait par se perdre dans ce torrent du devenir. Finalement, en vrai disciple d’Héraclite, il n’oserait même plus bouger un doigt. Tout action exige l’oubli, comme la vie des êtres organiques exige non seulement la lumière mais aussi l’obscurité. Un homme qui ne voudrait sentir les choses qu’historiquement serait pareil à celui qu’on forcerait à s’abstenir de sommeil ou à l’animal qui ne devrait vivre que de ruminer et de ruminer sans fin. Donc, il est possible de vivre presque sans souvenir et de vivre heureux, comme le démontre l’animal, mais il est encore impossible de vivre sans oubli. Ou plus simplement encore, il y a un degré d’insomnie, de rumination, de sens, historique qui nuit au vivant et qui finit par le détruire, qu’il s’agisse d’un homme, d’une peuple ou d’une civilisation »,

Nietzsche – Considérations inactuelles.

« L’oubli n’est pas seulement une vis inertiae, comme le croient les esprits superficiels ; c’est bien plutôt un pouvoir actif, une faculté d’enrayement dans le vrai sens du mot, faculté à quoi il faut attribuer le fait que tout ce qui nous arrive dans la vie, tout ce que nous absorbons se présente tout aussi peu à notre conscience pendant l’état de « digestion » (on pourrait l’appeler une absorption psychique) que le processus multiple qui se passe dans notre corps pendant que nous « assimilons » notre nourriture. Fermer de temps en temps les portes et les fenêtres de la conscience ; demeurer insensibles au bruit et à la lutte que le monde souterrain des organes à notre service livre pour s’entraider ou s’entre-détruire ; faire silence, un peu, faire table rase dans notre conscience pour qu’il y ait de nouveau de la place pour les choses nouvelles, et en particulier pour les fonctions et les fonctionnaires plus nobles, pour gouverner, pour prévoir, pour pressentir (car notre organisme est une véritable oligarchie) voilà, je le répète, le rôle de la faculté active d’oubli, une sorte de gardienne, de surveillante chargée de maintenir l’ordre psychique, la tranquillité, l’étiquette. On en conclura immédiatement que nul bonheur, nulle sérénité, nulle espérance, nulle fierté, nulle jouissance de l’instant présent ne pourrait exister sans faculté d’oubli. »,

Nietzsche – Généalogie de la morale.

C - Eckhart Tolle rappelle la nécessité de la vigilance que la tradition chrétienne appelle garde du cœur pour rester dans la conscience du présent sans tomber dans les illusions mentales psychologiques du futur et du passé.

Dans Le pouvoir du moment présent, Eckhart Tolle écrit :

« Chapitre III : Plongez dans le moment présent

La clef pour entre dans la dimension spirituelle...

Dans les situations où la vie est mise en jeu, ce basculement de la conscience du temporel à la présence se produit naturellement. La personnalité qui a un passé et un futur, s’efface temporairement pour être remplacée par une intense et consciente présence, à la fois très calme et très alerte. Les gestes posés pour répondre à ces situations naissent de cet état de conscience.

La raison pour laquelle certaines personnes aiment prendre part à des activités dangereuses, comme l’alpinisme, la course automobile et autres, c’est que cela les oblige à être dans l’instant présent, même si elles ne sont pas conscientes de ce fait. Ces activités les amènent dans cet état intensément vivant qui est libéré du temps, des problèmes, de la pensée et du fardeau de la personnalité. Oublier ne serait-ce qu’une seconde le moment présent peut se traduire par la mort. Malheureusement, ces gens viennent à dépendre d’une activité particulière pour retrouver cet état.

[...]

[Mais il n’est pas nécessaire de mettre sa vie en jeu pour connaître cet état de conscience]

Les maîtres spirituels de toutes les traditions font de l’instant présent la clé d’accès à la dimension spirituelle, et ce, depuis toujours. [...]

L’essence même de la philosophie zen consiste à avancer sur la lame de rasoir qu’est le présent, à être si totalement et complètement présent qu’aucune souffrance, rien qui ne soit pas vous en essence, ne puisse survivre en vous. Le temps étant ainsi absent, tous vos problèmes se dissolvent. La souffrance a besoin du temps : elle ne peut survivre dans le présent.

Le grand maître zen Rinzai avait souvent l’habitude de lever le doigt et de poser lentement la question suivante à ses élèves pour les obliger à se détourner de l’attention qu’ils accordaient au temps : « En ce moment que manque-t-il ? »

C’est une question puissante, qui exige une réponse ne provenant pas du mental. Elle est conçue pour ramener votre attention profondément dans le présent.

[...]

Comment se défaire du temps psychologique...

Apprenez à utiliser le temps dans les aspects pratiques de votre vie - on pourrait appeler cela « le temps-horloge », mais revenez immédiatement à la conscience du moment présent quand les choses ont été réglées. De cette façon, il n’y aura aucune accumulation de "temps-psychologique", qui est l’identification au passé et la perpétuelle projection compulsive dans l’avenir.

Le "temps-horloge" [ce peut être :] la prise de rendez-vous, la planification d’un voyage, [...] tirer les leçons du passé afin de ne pas répéter sans arrêt les mêmes erreurs. Se donner des objectifs, et les poursuivre. [Etc.]

Mais même là, dans le cadre des choses pratiques, où nous sommes obligés de nous référer au passé et au futur, le moment présent reste le facteur essentiel. Toute leçon tirée du passé devient pertinente et est appliquée dans le "maintenant". Toute planification ou tout effort pour atteindre un objectif particulier s’effectue dans le "maintenant". Même si la personne illuminée maintient toujours son attention dans le présent, celle-ci est tout de même consciente du temps à la périphérie. Autrement dit, elle continue à se servir du « temps horloge » mais est libérée du « temps psychologique ».

Quand vous vous exercez à cela, soyez attentif à ne pas transformer involontairement le « temps-horloge » en « temps psychologique ». Par exemple, si vous avez commis une erreur dans le passé et en tirez une leçon maintenant, c’est que vous utilisez le « temps horloge ». Par contre, si vous revenez mentalement dessus sans arrêt, si vous vous critiquez et éprouvez des remords ou de la culpabilité, c’est que vous êtes tombé dans le piège du « moi » et du « mon ».Vous assimilez cette erreur au sens que vous avez de votre identité et elle appartient alors "au temps psychologique" Ce dernier est toujours lié à un sens de l’identité faussé. L’incapacité à pardonner se traduit automatiquement par un lourd fardeau de « temps psychologique ». Si vous vous donnez un objectif et travailler pour l’atteindre, vous vous servez du « temps-horloge ». Vous êtes conscient de la direction que vous voulez prendre, mais vous honorez le pas que vous faites dans le moment et lui accordez votre attention la plus totale. Si vous devenez trop axé sur l’objectif parce que, par lui, vous recherchez peut-être le bonheur, la satisfaction et une certaine complétude, vous n’honorez plus le présent.Celui-ci se réduit à un tremplin pour l’avenir sans aucune valeur intrinsèque.

Le « temps-horloge » se transforme alors en « temps psychologique ». Votre périple n’est plus une aventure, mais seulement un besoin obsessionnel d’arriver quelque part, d’atteindre quelque chose, de réussir. Vous ne voyez ni ne sentez plus les fleurs sur le bord du chemin et vous n’êtes plus conscient de la beauté et du miracle de la vie qui sont révélés partout autour de vous quand vous êtes dans l’instant présent.

§[Le temps est-il une illusion totale ?]

[...] Quand je dis cela, mon intention n’est pas d’énoncer un principe philosophique. Je vous remémore un simple fait, un fait si évident que vous avez peut-être de la difficulté à le saisir ou que vous le considérez peut-être comme vide de sens. Mais une fois que vous avez pleinement compris la portée de cette affirmation, celle-ci peut traverser, comme la lame d’un sabre, toutes les couches de complexité et de problématiques créées par le mental. Laissez-moi vous répéter ceci : le moment présent est tout ce que vous aurez jamais. Il n’y a jamais un instant dans votre vie qui n’est pas « ce moment ». N’est-ce pas un fait ? »

Critique de Stephen Jourdain. [Cf. Carnet philosophique. QUEL EST LA NATURE PROFONDE DU MAINTENANT DE MON MOI ? ENTRE ECKHART TOLLE, STEPHEN JOURDAIN ET DOUGLAS HARDING.]

Stephen Jourdain durant une conversation entre lui, Gilles Farcet et Denise Desjardins dans une réédition de L’irrévérence de l’éveil écrit :

« Steve : Il est toutes sortes d’angles d’attaque... Par exemple, la traque magique de l’image mentale « moi ». Quand nous nous reportons à notre moi le plus intime, au moi de notre esprit, nous sommes dans la conviction absolue d’avoir affaire à l’original. Eh bien, cette évidence ment ! C’est immanquablement avec le duplicata que nous commerçons ; avec l’image « moi ». Il fut un temps dans nos vies où cette image était, dans une sorte de subconscience centrale, correctement abordée : comme un symbole ouvrant l’accès à la signification « moi » ; et comme ici le sens et la chose se recouvrent, l’accès à « moi », à ce que nous sommes, était ouvert, et nous étions. Hélas, au tournant de l’enfance, l’image mentale symbolique « moi », à la suite de quelque erreur obscure et tragique, s’est trouvée désymbolisée : il n’est plus resté que la tache mentale. Et dès lors nous nous sommes réduits à la tâche, nos âmes s’y sont purement ci simplement abîmées.

Parler de tragédie est un euphémisme. En effet, au final, de quoi s’agit-il ? Destruction du sens, destruction du signe. Destruction de l’Esprit, matérialisation de l’Esprit : on ne peut imaginer pire désastre, ni pire trahison.Quasiment de la naissance au trépas, un petit objet mental décoloré, blafard, capte notre identité première !

Ceci est l’une des expressions de la Chute dont parlent les chrétiens, à cette différence qu’à mes yeux, l’événement n’a pas de valeur historique, mais uniquement instantanée : actuelle. C’est dans la pointe d’actualité pure de chacun des instants de nos vies, m-a-i-n-t-e-n-a-n-t, que la partie se gagne ou se perd.

Denise : La précision que vous venez d’apporter me semble capitale...Steve : Il en est une autre, d’égale importance : le maintenant spirituel n’est pas le maintenant terrestre. Cela, personne n’en parle ! Oh, du « now » tous font grand cas ... Parfois, je me demande si cette référence si méritante ne s’apparente pas à quelque chose comme une mode ou un « must ».

J’essaye de tempérer mon agacement par cette remarque : après tout, la superficialité ne serait-elle pas une modulation de l’exquise légèreté ? D’ailleurs, qui a décrété que le centre n’était pas à chercher du côté de la surface ? Vive Yves Saint Laurent ! Le « now », c’est adorable. Tu te souviens, Gilles, qu’à La Jolla, Californie, nous avons passé une mémorable soirée en compagnie d’Eckhart Tolle, un type très bien, un grand apôtre du now.

Gilles : Auteur du « Power of Now », best-seller traduit en français sous le titre Le Pouvoir du Moment présent...

Steve : Voilà ! Un type très bien, donc, d’une laideur toute socratique, et qui avec une ingénuité émouvante a disjoncté face au décolleté de Marie-Claude devant lequel il est resté planté deux heures durant...C’était très mignon.

Bref, voilà un homme pur, d’une grande finesse et d’une totale intégrité, et qui cependant n’a pas compris que le mot présent n’a pas la même signification sur terre que dans le sein de notre esprit ! L’expérience terrestre saine et sainte - l’Eden mythique - est certes issue d’un acte premier strictement s-p-i-r-i-t-u-e-l, est certes l’enfant de l’esprit pur, mais tirer argument de cette filiation pour confondre ces deux dimensions (ce qui signifierait implicitement qu’on a déjà nié la verticalité de Dieu-esprit, son absolue primauté) serait la marque d’une légèreté si inconcevable qu’elle ne pourrait être inspirée que par... hé oui, Satan.

Il est un maintenant spirituel, et il est un maintenant terrestre. La portée philosophique de cette discrimination, on s’en fiche. En revanche, prétendre pratiquer l’un ou l’autre de ces deux présents en se bouchant les yeux à leur spécificité absolue, c’est déjà s’être condamné à l’échec - comme l’on dit aujourd’hui, à aller droit dans le mur.

Denise : Qu’est-ce que vous appelez le maintenant spirituel ?

Steve : je vous en demande pardon à l’avance, Denise, je vais vous faire le coup du mythique propos liminaire ...

Oui ou non existe-t-il une part immatérielle de nous-mêmes ?

Immatérielle, irréductible à tout phénomène spatial, à jamais étrangère à toute manifestation sensorielle ?

Oui ou non existe-t-il une chose telle que l’esprit ?

Oublions les colossales finesses, MES colossales finesses sur la nature romanesque, irréelle, de la vie temporelle de l’esprit (dite psychologique ou intellectuelle) : oui ou non cette part de nous-mêmes que chacun nomme « mon esprit » existe-t-elle ? Je foule aux pieds sans le moindre remords mes vues les plus précieuses, et à la question, réponds OUI.

Et dès lors, Denise, je puis vous répondre.

À n’en pas douter, chaque esprit éprouve le sentiment de se vivre dans un présent. Ce sentiment est l’expression d’une connaissance intuitive (immédiate, non réfléchie), antérieure à tous nos prétendus savoirs sur ce mystère pur qu’est le Temps. Hélas, s’agissant de ce présent propre à l’esprit, notre intuition se montre quelque peu flageolante, et le présent qu’elle révèle manque singulièrement et de densité et de concision ; on le dirait volontiers mou, avachi ou lâche ... Ce crayon là aurait grand besoin d’être taillé. Vœu pieux ? Oh, que non ! À tout moment, le sentiment coutumier de notre présent intérieur peut s’aiguiser au-delà de ce qui est concevable ! Perforer sans prévenir comme une pellicule de peau morte ce que nous estimions être le moyeu vivant de notre être ! Toute la spiritualité de l’esprit - et aussi bien, toute l’humanité de l’homme - se trouve condensée en cette pointe ultime d’un présent spirituel absolutisé. NOUS N’AVONS PAS D’AUTRE DEMEURE.Mais l’adorable, le chérubinique Eckhart Tolle est-il au courant ? »

TENTATIVES D’ÉCLAIRCISSEMENT.

Si on comprend bien le propos d’Eckhart Tolle, il s’agit d’éliminer radicalement le temps psychologique.

Le temps psychologique crée un passé et un futur au mépris d’un maintenant non mental perceptif. Si on se maintenait dans le maintenant, en refusant au mental de dire qu’avant c’était mieux ou qu’hier est difficile à supporter ou que demain j’espère ou que ça risque de durer encore trop longtemps, on connaîtrait une acceptation de ce qui est maintenant, on pourrait apprécier ce que la vie nous donne maintenant. La distinction classique entre voir et penser semble animer Eckhart Tolle. Mais la critique de Stephen Jourdain est sans appel : le temps terrestre a un maintenant qui est confondu par Eckhart Tolle avec le maintenant spirituel.

Cette confusion se voit dans les propos d’Eckhart Tolle lorsqu’il prend l’exemple de l’alpiniste, du coureur automobile ou de toute autre activité qui exige une concentration sur le présent et interdit toute divagation mentale sur une ligne de temps psychologique. Car faire de ce modèle le modèle de son maintenant spirituel induit forcément la confusion énoncée par Stephen Jourdain.

Un individu concentré sur le maintenant terrestre n’a guère déchiré ce qui le sépare de l’acte pur du maintenant spirituel qui précisément liquide toute prétention à une quelconque vérité du concept qu’il s’agisse du concept d’acte ou de maintenant.

Celui qui est concentré sur le maintenant terrestre évite certes les divagations mentales mais si l’opercule mental s’est aminci en un « voir-penser », prendre ce modèle pour le maintenant spirituel demeure un « penser-voir ».

Stephen Jourdain dans La bienheureuse solitude de l’âme écrit à ce sujet :

« Mais je ne peux pas « voir-penser » ou « penser-voir ». Cela, ça n’existe pas - c’est une monstruosité.

Question : Nous n’avons jamais une vision directe de l’arbre ni d’aucune chose, nous ne savons que voir-penser !

Par contre penser-voir me laisse perplexe. Ça représente quoi ?

Steve : C’est plus subtil à déceler en soi, mais tout aussi grave que voir-penser. Dans ce dernier cas, on surimpose un voile de pensée sur la sensation pure. Dans l’autre, on surimpose un voile de sensation sur la pensé pure. »

Eckhart Tolle nous invite à renoncer au temps psychologique ou plutôt à se tenir dans le maintenant qui le laisse tomber comme une illusion dès que sont constatés la souffrance sous la forme des remords, de la nostalgie, de la crainte, du manque, etc. ou les plaisirs illusoires associés à des faux espoirs, à l’excitation, etc. A partir de là, nous le voyons distinguer ce temps psychologique illusoire du temps des horloges. Ce temps là serait un temps sain.

Mais si on suit Stephen Jourdain, ce temps des horloges reste un temps mental, un voir-penser dont il faut percevoir l’irréalité pour véritablement s’approcher du voir d’un acte pur de conscience. Le Temps reste un concept même si il est implicite à toute activité conceptuelle. (Kant en fait une intuition a priori de la pensée consciente). Le maintenant spirituel qui veille d’une veille sans fin n’a rien de réflexif selon Jourdain. Un acte de conscience qui le soutient pour ne pas l’enfouir au cœur du jaillissement mental n’aurait donc rien de réflexif : il n’autorise aucun résidu de temps qu’il soit celui psychologique ou celui de soi-disant horloges.

Si c’est une pensée qui me ramène à un maintenant en écartant les pensées anxiogènes ou plus amplement égo-centriques s’enveloppant de passé et de futur, en quoi suis-je libre du mental ? J’ai clarifié le mental, je me suis développé personnellement en tant que troisième personne mais je ne suis pas encore clairement en première personne. Reste une pensée de clarification qui recouvre le pur Voir. Ce que je suis en tant que personne demeure encore une petite présence sur le tableautin mental qui n’aperçoit pas ce qui la symbolise : la première personne source du Voir. Le secret du double fond fondamental de mon esprit n’a pas été découvert. La fouille reste incomplète. Il y a des jeux de significations qui augmentent considérablement l’impression de vitalité mais il n’y a pas un acte de conscience qui en révèle l’acte pur.

III- SOMMES-NOUS MÉTAPHYSIQUEMENT PRISONNIERS DU TEMPS OU LE TEMPS PREND-IL SENS DANS UNE CONSCIENCE ATEMPORELLE?

A - Plotin (après Stephen Jourdain) distingue au-delà du présent psychologique une expérience d'éternité.

L'éternité doit être distinguée de la sempiternité ou perpétuité.

B – Avec Douglas Harding il y a distinction et superposition de l'atemporalité éternelle, ici à 0 distance, à la source de l’esprit et de sa manifestation temporelle « là-bas ».

M’ouvrant à partir de la vision en première personne proposée par Douglas Harding, il y a une lumière intérieure, celle de la transparence du champ d’apparition (la vacuité ?) bordée d’un voile d’inconnaissance et d’un presque rien de la conscience. Demeure dans cette transparence la présence subjective d’un petit moi. C’est juste une lunule de pensée mais qui peut à tout moment transformer le voir en voir-penser puis en penser-voir revendiqué comme un voir. L’intériorité de la vision en première personne se distingue de ma subjectivité mais le flou demeure encore sur ce qui relierait fondamentalement ma subjectivité à mon intériorité. Une part d’ombre demeure encore que précisément Stephen Jourdain dit éclairer.

La lumière intérieure, cette transparence est un acte pur en première personne qui suscite tout ce qui apparaît. Tous les actes à côté de cet acte unique en première personne sont des reconstitutions mentales entre une ou des intentions mentales subjectives et la représentation mental subjective d’un fil des actes en relation à cette ou ces intentions. Cet acte pur de la lumière intérieure en première personne est donc caractérisé en tant qu’acte pur par son im-médiateté radicale. Ce n’est pas une pensée de présent, c’est l’être-là hors du temps d’où surgit en rythme ce que la pensée trame en tant que temps.

En effet du côté de ce que pointe le doigt vers ce qui voit, y a-t-il une quelconque indication de temps ? Peut-on y distinguer un avant et un après ? Ce que pointe ce doigt met entre parenthèse la lunule de la pensée, le présent qu’il pointe ne s’inscrit plus du tout entre un passé et un futur. C’est un présent atemporel qui est pointé. Prenons maintenant en compte le double pointé à la fois vers le pur présent sans forme et donc éternel et ce qui y devient dans la forme. N’est-ce pas alors un rythme qui joint les formes du Devenir et de l’Être ? Ce rythme n’est-il pas comme un retour de l’acte pur d’Être sur lui-même ? Mais d’autre part, cet acte pur de la lumière intérieure en première personne n’est même pas sa propre cause puisqu’il n’est pas son propre effet. Donc il y a un mystère insaisissable du point de vue de la conscience mentale. Cet acte pur est le mystérieux et paradoxal moteur immobile de toute chose du point de vue de ce peut percevoir une conscience mentale... Il n’est donc pas affectée par les activités mentales tendant à vouloir imposer une quelconque idée impliquant toujours une intuition-idée a priori de temps.

Les moyens habiles par lesquels cette première personne en sa lumière transparente s’aperçoit finissent dans le tableau et dans leur imprécision. Le doigt que je tourne vers cela qui voit au-delà de ce qui conçoit n’est pas vu ailleurs qu’au cœur même de ce qui voit. Le champ de la première personnel est omnidirectionnel ce qu’aucun doigt ne peut pointer... Par analogie tout concept échoue à en rendre compte ultimement : il ne pointera que des faits et non des choses car un fait n’est que l’affirmation d’une qualification conceptuelle évoquant une chose quitte à en trahir sa singularité à travers ses généralités inéluctables. Un concept ne peut pointer quelque chose à voir en dehors de lui que s’il avoue son irréalité.

En ce qui concerne le voir, la lumière transparente, qui donne à voir toute chose dans l’acte même de se voir im-médiatement, insuffle l’activité irréelle de la pensée. Mais dès lors il n’y a qu’elle qui puisse se voir en tant qu’essence du voir et la pensée qui se croit nécessaire pour en témoigner ne fait que la trahir.

C – Le temps dans l’éternité comme autocréation de la conscience absolue.

CONCLUSION

TRANSITION :

Notre essence échappe au temps mais notre personnalité semble se tenir dans le temps. Une individualisation comme participation à l'évolution consciente de la conscience ?

EXISTER, EST-CE SIMPLEMENT VIVRE ?

INTRODUCTION

A- Deux sens d'existence.

1- La chaise existe, mais une chaise n'est pas vivante. Si nous identifions ici l'existence à l'être, alors le sujet n'a guère d'intérêt.

2- L'existence peut être entendue en un autre sens. Heidegger propose de revenir à l'étymologie du terme : ek-sistere. En ce sens, exister renvoie à la capacité de se tenir en dehors de soi. Sartre dira que le propre de la conscience humaine est de ne pas coïncider avec soi-même. De fait l'ek-sistence par cette non coïncidence interdit de poser une essence existentielle. Or la vie n'est-elle pas un flux qui coïncide avec lui-même ?

B- Dès lors nous avons plusieurs champs de questions.

1- La non coïncidence de la conscience humaine avec elle-même implique une tragédie qui rend en apparence impossible de vivre la vie simplement. Tout d'abord dans sa vie l'homme sans cesse se retrouve à distance de ce qu'il tente : son identité est toujours brisée. Cette faille inquiète. Le vertige des possibles crée l'angoisse. Et parmi les possibles l'un se dessine plus particulièrement comme vertigineux : l'homme en tant qu'ek-sistant se sait mortel.

La mort est en tant que fin de la réalité humaine dans l'être de cet existant qui existe pour sa fin.

Heidegger, Être et Temps, 1927

2- Toutefois ces vertiges ne seraient-ils pas le fait de notre l'ek-sistence ego-centrique ? Surmonter l'illusion ego-centrique ne nous ramènerait-il pas du côté de la vie simplement vécue ?

D'un côté la vie suscite des appétits qu'on peut estimer comme des déterminations. De l'autre la non coïncidence de la conscience avec elle-même permet d'envisager un détachement face aux tendances psychologiques usuelles et suggère la possibilité d'un choix. Mais un détachement ou une connaissance de nos déterminations n'est peut-être pas un libre choix : ce peut être une l'autodétermination de la vie.

3 - Ce que cette formule propose est une sagesse fondée sur l'intelligence du tout de la vie se réalisant elle-même. Un sens de l'harmonie se découvrirait enfin mettant fin au vertige existentiel colorant la vie de l'absurde. Cependant cette sagesse ne fait-elle pas disparaître la dimension individuelle et singulière de l'existence ? Or cette singularisation et donc cette individualisation ne seraient-elle pas une dimension de la vie elle-même ?

I - L'EXISTENCE RÉVÈLE L'ABSURDITÉ DE LA VIE.

A- Faut-il renoncer au piège du pourquoi pour le seul comment ?

B- profiter de la vie n'est souvent qu'un divertissement !

i) Le divertissement selon Pascal.

ii) Faire face à la misère humaine ?

C- l'existence vaut-elle le coup d'être simplement vécue ? [Camus]

D- Transition critique : Mais la vie est-elle par essence absurde ?

II - LE TROUBLE DE L'EXISTENCE EST L'ACTIVITÉ RÉFLEXIVE. EST-ELLE L'ACTIVITÉ AUTO-RÉFLEXIVE DE LA VIE ? [MICHEL HENRY]

A- La piste de l'Être ? [Heidegger]

La rose est sans pourquoi

Elle fleurit parce qu’elle fleurit

Elle n’a nul souci d’elle-même

Elle ne se demande pas si on la voit

Angelus Silesius

Vers la tradition rhénane. Angelus Silesius et Maître Eckhart.

L'œil par lequel je vois Dieu

est le même œil

par lequel Dieu me voit.

Mon œil et l'œil de Dieu

sont un seul œil, une seule vision,

une seule connaissance,

un seul amour.

B - La vie comme objet ou la vie comme auto-affectation.

La vie comme auto-affectation est donc source de la conscience réflexive. Il y a une conscience sans distance réflexive qui est cependant conscience. Dès lors il n'y a pas de distance entre vie et conscience. La conscience de la vie est conscience immédiate de la vie. L'illusion vient donc d'un mésusage de la pensée. La pensée oublié sa condition de possibilité liée à l'œil d'une conscience pure. La tragédie apparente de l'existence prendrait racine dans

III - LA VALEUR CRÉATRICE DE L'EXISTENCE ENTRE INDÉTERMINATION DE LA LIBERTÉ PURE ET L'INDIVIDUALITÉ PERSONNELLE DÉTERMINANTE. [LOUIS LAVELLE]

A - L'existence précède ici l'essence, elle la crée.

L'existence est un régime évolutif conscient de la vie. La continuation aveugle de toute vie est absurde.

B- Rebondissement de l'absurde ? LA MORT DE LA PERSONNE NE DIT ELLE PAS L'ABSURDITE DE L'EXISTENCE HUMAINE ?

i) - Il y a des vertus propres à l'acception de la mort par l'ego.

(a) - L'humilité : je sers l'œuvre de l'essence mais comme serviteur je lui remets mon âme entre ses mains. Il y a un lien avec le karma yoga.

(b) - l'agapè : l'amour même non reçu est à lui-même sa propre récompense. L'ânanda de l'impulsion créatrice ou essence de la manifestation.

(c) - Il y a le pari intérieur de vaincre les forces de récréation ou plutôt de les dompter ou de les convertir au service de la création.

Car pour créer il faut aussi détruire.

(d) - La mort appartient intrinsèquement au processus évolutif. C'est un de ses moteurs en regard de la naissance.

ii) - Toutefois on doit revenir à l'idéal d'une vie sans mort.

Il y a des dangers spirituels de concevoir sa vie à l'aune de la mort :

(a) - on retombe dans les illusions des trois temps psychologiques ;

(b) - on ne vit plus sub specie aeternitatis.

« Il est dans l’âme une puissance qui n’est ni touchée par le temps, ni par la chair, qui émane de l’esprit et reste dans l’esprit et est absolument spirituelle. Dans cette puissance, Dieu se trouve totalement, il y verdoie et fleurit dans toute la joie et toute la gloire qu’Il est en lui-même. Cette joie est tellement du cœur, elle est d’une grandeur si inconcevable, que nul ne saurait l’exprimer pleinement avec des mots. », Maître Eckhart, Traités et sermons, Sermon n°2, Éditions GF Flammarion, page 233.

CONCLUSION

VIVRE LE MOMENT PRÉSENT, EST-CE UNE RÈGLE DE VIE SATISFAISANTE ?

INTRODUCTION

[Accroche] Qui ne vit pas au présent au moment où il vit ? Cependant retournons-nous vers le moment précédent, que faisions-nous, à quoi pensions-nous ? Nous devons admettre que nous sommes finalement assez peu attentifs au moment présent que nous sommes en train de vivre. Le flux chaotique de nos pensées rumine des moments passés, projette ses préoccupations sur le futur, il entraîne notre attention en tout sens si bien qu’il n’y a plus de fil directeur entre les pensées. Le flux chaotique de nos pensées entraîne le flux chaotique du temps à nous échapper, à devenir insaisissable.

[Citation du sujet] Vivre le moment présent, est-ce alors une règle de vie satisfaisante ?

[Analyse problématique]

Une approche eudémoniste soulignera qu’il est nécessaire de vivre attentivement le moment présent si l’on veut saisir le contentement d’exister. Si le moment de contentement passé n’existe plus, il n’était pas encore un véritable contentement d’exister et donc vouloir le retrouver est soit de la nostalgie soit une tentative de répétition vaine. Quant à remettre le bonheur à demain sous certaines conditions, c’est encore le rendre dépendant de circonstances. Le véritable contentement d’exister ne peut se trouver qu’ici et maintenant.

Cependant une approche morale soulignera la nécessité de considérer au moins virtuellement la conséquence de nos actes pour en soupeser la valeur morale. L’horizon moteur de l’action morale est donc d’abord le futur. 

La morale s’en prend au fameux leitmotiv selon lequel il faut profiter de la vie. La valorisation du moment présent n’est-elle pas alors le masque de l’égocentrisme, de l’irresponsabilité voire du cynisme ?

Ce débat sur la valeur du moment présent peut rebondir dans l’autre sens.

[Annonce du plan]

I – Une approche eudémoniste nous invite à vivre l’instant présent pour trouver l’ataraxie.

A – Le carpe diem et ses limites. De Ronsard à Horace.

B – Marc-Aurèle et l’attention au présent : non pas profiter de la vie et craindre la mort

C – Eckhart Tolle : vivre le moment présent.

D – Critique morale : la dette à payer et la promesse à tenir.

II – La morale exige la prééminence du futur pour répondre aux défaillances et promesses d’accomplissement du passé.

A – Le passé du point de vue moral n’a que des potentialités inemployées et donc des dettes et des promesses qu’il faut assurer au présent et au futur.

B – La morale rend le temps passé réversible (pardon comme réhabilitation, acte gracieux ou rémission).

C – Le présent selon la morale doit se tourner vers le futur : que ce soit par un « tu dois » ou une estimation des conséquences.

D – Mais l’intuition morale au-delà des logiques morales limitées est créatrice donc être ouvert en moral revient à être ouvert à ce qui ouvre le futur dans son imprévisibilité évolutive créatrice. Le présent gros de la durée passée se renouvelle dans l’acte créateur du Devenir et donc du futur.

III – La présence consciente dans l’écoulement de l’instant de l’immuable atemporel favorise l’ouverture créatrice.

A – Retrouver l’éternité pour se libérer du fardeau de la morale et vraiment ne pas se brûler les ailes dans l’acte créateur.

B – Expériences de l’atemporel et de l’immuable avec Douglas Harding.

C – Une lecture de Louis Lavelle… Comment la durée créatrice se tient dans l’éternel… Et

I – APPROCHE EUDÉMONISTE : VIVRE L’INSTANT PRÉSENT.

A – Le carpe diem et ses limites. De Ronsard à Horace.

Horace - Ode à Leuconé - 1.11 - Carpe diem

« Ne cherche pas à savoir, Leuconoé, quelle fin les dieux ont assignée à l’un ou à l’autre. Cette connaissance nous est interdite. N’interroge plus ces nombres magiques venus de Babylone.

Comme il est préférable d’accepter ce qui doit arriver, que Jupiter nous accorde encore bien d’autres hivers, ou que notre dernier soit celui-ci qui voit maintenant la mer Tyrrhénienne déferler sur les brisants du rivage.

Tu ferais bien mieux de remplir nos coupes de vin léger et de réduire tes lointaines espérances à la mesure de notre courte durée.

Pendant que nous parlons, le temps jaloux a fui. Cueille donc le jour présent, sans trop te fier au lendemain. »

En latin ça donne :

« Tu ne quaesieris scire nefas quem mihi, quem tibi finem di dederint, Leuconoe, nec Babylonios temptaris numeros.

Ut melius quicquid erit pati, seu pluris hiemes seu tribuit Iuppiter ultimam, quae nunc oppositis debilitat pumicibus mare Tyrrhenum.

Sapias, uina liques et spatio breui spem longam reseces.

Dum loquimur, fugerit inuida aetas : carpe diem, quam minimum credula postero. »

Carpe diem, cueille le jour, revisité par Ronsard

Sonnets pour Hélène de Surgères (1578), II, 24

Quand vous serez bien vieille, au soir à la chandelle,

Assise auprès du feu, dévidant et filanta,

Direz chantant mes vers, en vous émerveillant :

« Ronsard me célébrait du temps que j’étais belle. »

Lors vous n’aurez servante oyant telle nouvelle,

Déjà sous le labeur à demi sommeillant,

Qui au bruit de Ronsard ne s’aille réveillant,

Bénissant votre nom de louange immortelle.

Je serai sous la terre, et fantôme sans os

Par les ombres myrteux je prendrai mon repos ;

Vous serez au foyer une vieille accroupie,

Regrettant mon amour et votre fier dédain.

Vivez, si m’en croyez, n’attendez à demain :

Cueillez dès aujourd’hui les roses de la vie.

B – Marc-Aurèle et l’attention au présent : non pas profiter de la vie et craindre la mort

« Marc-Aurèle, Pensées pour moi-même, Livre II, chapitre XIV :

Quand même tu aurais à vivre trois mille ans, et trois fois dix mille ans, dis-toi bien que l’on ne peut jamais perdre une autre existence que celle qu’on vit ici-bas, et qu’on ne peut pas davantage en vivre une autre que celle qu’on perd. A cet égard, la plus longue vie en est tout à fait au même point que la plus courte. Pour tout le monde, le présent, le moment actuel est égal, bien que le passé qu’on laisse en arrière puisse être très inégal. Ainsi, ce qu’on perd n’est évidemment qu’un instant imperceptible. On ne peut perdre d’aucune façon ni le passé ni l’avenir ; car une chose que nous ne possédons pas, comment pourrait-on nous la ravir ? Voici donc deux considérations qu’il ne faut jamais perdre de vue : la première, que tout en ce monde roule éternellement dans le même cercle, et qu’il n’y a pas la moindre différence à voir toujours des choses pareilles, ou cent ans de suite, ou deux cents ans, et même pendant la durée infinie ; la seconde, que celui qui a le plus vécu et celui qui aura dû mourir le plus prématurément font exactement la même perte ; car ce n’est jamais que du présent qu’on peut être dépouillé, puisqu’il n’y a que le présent seul qu’on possède, et qu’on ne peut pas perdre ce qu’on n’a point. »

C – Eckhart Tolle : vivre le moment présent.

Dans Le pouvoir du moment présent, Eckhart Tolle écrit :

« Chapitre III : Plongez dans le moment présent

La clef pour entre dans la dimension spirituelle...

Dans les situations où la vie est mise en jeu, ce basculement de la conscience du temporel à la présence se produit naturellement. La personnalité qui a un passé et un futur, s’efface temporairement pour être remplacée par une intense et consciente présence, à la fois très calme et très alerte. Les gestes posés pour répondre à ces situations naissent de cet état de conscience.

La raison pour laquelle certaines personnes aiment prendre part à des activités dangereuses, comme l’alpinisme, la course automobile et autres, c’est que cela les oblige à être dans l’instant présent, même si elles ne sont pas conscientes de ce fait. Ces activités les amènent dans cet état intensément vivant qui est libéré du temps, des problèmes, de la pensée et du fardeau de la personnalité. Oublier ne serait-ce qu’une seconde le moment présent peut se traduire par la mort. Malheureusement, ces gens viennent à dépendre d’une activité particulière pour retrouver cet état.

[...]

[Mais il n’est pas nécessaire de mettre sa vie en jeu pour connaître cet état de conscience]

Les maîtres spirituels de toutes les traditions font de l’instant présent la clé d’accès à la dimension spirituelle, et ce, depuis toujours.

[...]

L’essence même de la philosophie zen consiste à avancer sur la lame de rasoir qu’est le présent, à être si totalement et complétement présent qu’aucune souffrance, rien qui ne soit pas vous en essence, ne puisse survivre en vous. Le temps étant ainsi absent, tous vos problèmes se dissolvent. La souffrance a besoin du temps : elle ne peut survivre dans le présent. Retour ligne automatique

Le grand maître zen Rinzai avait souvent l’habitude de lever le doigt et de poser lentement la question suivante à ses élèves pour les obliger à se détourner de l’attention qu’ils accordaient au temps : "En ce moment que manque-t-il ?"

C’est une question puissante, qui exige une réponse ne provenant pas du mental. Elle est conçue pour ramener votre attention profondément dans le présent.

[...]

Comment se défaire du temps psychologique...

Apprenez à utiliser le temps dans les aspects pratiques de votre vie - on pourrait appeler cela « le temps-horloge », mais revenez immédiatement à la conscience du moment présent quand les choses ont été réglées. De cette façon, il n’y aura aucune accumulation de « temps-psychologique », qui est l’identification au passé et la perpétuelle projection compulsive dans l’avenir.

Le « temps-horloge » [ce peut être :] la prise de rendez-vous, la planification d’un voyage, [...] tirer les leçons du passé afin de ne pas répéter sans arrêt les mêmes erreurs. Se donner des objectifs, et les poursuivre. [Etc.]

Mais même là, dans le cadre des choses pratiques, où nous sommes obligés de nous référer au passé et au futur, le moment présent reste le facteur essentiel. Toute leçon tirée du passé devient pertinente et est appliquée dans le "maintenant". Toute planification ou tout effort pour atteindre un objectif particulier s’effectue dans le « maintenant ». Même si la personne illuminée maintient toujours son attention dans le présent, celle-ci est tout de même consciente du temps à la périphérie. Autrement dit, elle continue à se servir du « temps horloge »" mais est libérée du « temps psychologique ».

Quand vous vous exercez à cela, soyez attentif à ne pas transformer involontairement le « temps-horloge » en « temps psychologique ».

Par exemple, si vous avez commis une erreur dans le passé et en tirez une leçon maintenant, c’est que vous utilisez le « temps horloge ». Par contre, si vous revenez mentalement dessus sans arrêt, si vous vous critiquez et éprouvez des remords ou de la culpabilité, c’est que vous êtes tombé dans le piège du « moi » et du « mon ». Retour ligne automatique

Vous assimilez cette erreur au sens que vous avez de votre identité et elle appartient alors au « temps psychologique ». Ce dernier est toujours lié à un sens de l’identité faussé. L’incapacité à pardonner se traduit automatiquement par un lourd fardeau de « temps psychologique ».

Si vous vous donnez un objectif et travailler pour l’atteindre, vous vous servez du « temps-horloge ». Vous êtes conscient de la direction que vous voulez prendre, mais vous honorez le pas que vous faites dans le moment et lui accordez votre attention la plus totale.

Si vous devenez trop axé sur l’objectif parce que, par lui, vous recherchez peut-être le bonheur, la satisfaction et une certaine complétude, vous n’honorez plus le présent.

Celui-ci se réduit à un tremplin pour l’avenir sans aucune valeur intrinsèque.

Le « temps-horloge » se transforme alors en « temps psychologique ». Votre périple n’est plus une aventure, mais seulement un besoin obsessionnel d’arriver quelque part, d’atteindre quelque chose, de réussir. Vous ne voyez ni ne sentez plus les fleurs sur le bord du chemin et vous n’êtes plus conscient de la beauté et du miracle de la vie qui sont révélés partout autour de vous quand vous êtes dans l’instant présent.

§ [Le temps est-il une illusion totale ?]

[...] Quand je dis cela, mon intention n’est pas d’énoncer un principe philosophique. Je vous remémore un simple fait, un fait si évident que vous avez peut-être de la difficulté à le saisir ou que vous le considérez peut-être comme vide de sens. Mais une fois que vous avez pleinement compris la portée de cette affirmation, celle-ci peut traverser, comme la lame d’un sabre, toutes les couches de complexité et de problématiques créées par le mental. Laissez-moi vous répéter ceci : le moment présent est tout ce que vous aurez jamais. Il n’y a jamais un instant dans votre vie qui n’est pas « ce moment ». N’est-ce pas un fait ? »

D – Critique morale : la dette à payer et la promesse à tenir.

II – LA PRÉÉMINENCE MORALE DU FUTUR COMME PROLONGATION DE LA DURÉE PASSÉ AVEC BERGSON.

A – Le passé du point de vue moral n’a que des potentialités inemployées et donc des dettes et des promesses qu’il faut assurer au présent et au futur.

B – La morale rend le temps passé réversible (pardon comme réhabilitation, acte gracieux ou rémission).

C – Le présent selon la morale doit se tourner vers le futur : que ce soit par un « tu dois » ou une estimation des conséquences.

D – Mais l’intuition morale au-delà des logiques morales limitées est créatrice donc être ouvert en moral revient à être ouvert à ce qui ouvre le futur dans son imprévisibilité évolutive créatrice. Le présent gros de la durée passée se renouvelle dans l’acte créateur du Devenir et donc du futur.

Henri Bergson, dans L’Énergie spirituelle, (1919) écrit :

« Mais, qu’est-ce que la conscience ? Vous pensez bien que je ne vais pas définir une chose aussi concrète, aussi constamment présente à l’expérience de chacun de nous. Mais sans donner de la conscience une définition qui serait moins claire qu’elle, je puis la caractériser par son trait le plus apparent : conscience signifie d’abord mémoire. La mémoire peut manquer d’ampleur ; elle peut n’embrasser qu’une faible partie du passé ; elle peut ne retenir que ce qui vient d’arriver ; mais la mémoire est là, ou bien alors la conscience n’y est pas. Une conscience qui ne conserverait rien de son passé, qui s’oublierait sans cesse elle-même, périrait et renaîtrait à chaque instant : comment définir autrement l’inconscience ? Toute conscience est donc mémoire − conservation et accumulation du passé dans le présent.

Mais toute conscience est anticipation de l’avenir. Considérez la direction de votre esprit à n’importe quel moment : vous trouverez qu’il s’occupe de ce qui est, mais en vue surtout de ce qui va être. L’attention est une attente, et il n’y a pas de conscience sans une certaine attention à la vie. L’avenir est là ; il nous appelle, ou plutôt il nous tire à lui : cette traction ininterrompue, qui nous fait avancer sur la route du temps, est cause aussi que nous agissons continuellement. Toute action est un empiétement sur l’avenir.

Retenir ce qui n’est déjà plus, anticiper sur ce qui n’est pas encore, voilà donc la première fonction de la conscience. Il n’y aurait pas pour elle de présent, si le présent se réduisait à l’instant mathématique. Cet instant n’est que la limite, purement théorique, qui sépare le passé de l’avenir ; il peut à la rigueur être conçu, il n’est jamais perçu ; quand nous croyons le surprendre, il est déjà loin de nous. Ce que nous percevons en fait, c’est une certaine épaisseur de durée qui se compose de deux parties : notre passé immédiat et notre avenir imminent. Sur ce passé nous sommes appuyés, sur cet avenir nous sommes penchés ; s’appuyer et se pencher ainsi est le propre d’un être conscient. Disons donc, si vous voulez, que la conscience est un trait d’union entre ce qui a été et ce qui sera, un pont jeté entre le passé et l’avenir. »

III – LA PRÉSENCE DANS L’ÉCOULEMENT DE L’INSTANT DE L’IMMUABLE ATEMPOREL FAVORISE L’OUVERTURE CRÉATRICE.

A – Retrouver l’éternité pour se libérer du fardeau de la morale et vraiment ne pas se brûler les ailes dans l’acte créateur.

B – Expériences de l’atemporel et de l’immuable avec Douglas Harding.

C – Une lecture de Louis Lavelle… Comment la durée créatrice se tient dans l’éternel…

Louis Lavelle écrit à propos de l’instant entre le temps et l’éternité :

« Du plaisir on peut dire qu’il appartient à l’instant. Du bonheur on peut dire qu’il appartient au temps ou à la durée. La joie [...] est la rencontre fugitive dans l’instant de l’éternité. », Lavelle, Traité des valeurs, II p.231

Dans sa préface de son livre La présence totale, Louis Lavelle écrit :

« On s’étonnera peut-être aussi qu’un acte éternel et omniprésent, auquel nous ne participons nous-mêmes que dans l’instant, puisse laisser la moindre place à notre existence temporelle hors de laquelle notre indépendance semble détruite. Mais l\’instant est précisément la croisée du temps et de l’éternité ; c’est en lui que nous agissons, c’est en lui que le réel prend pour nous sa forme sensible, c’est en lui aussi que la matière ne cesse de nous apparaître et de nous fuir. Mais toute action accomplie librement par nous dans l’instant est impérissable ; elle avait besoin de l’instrument et de l’obstacle du corps pour s’exercer et cesser à notre égard d’être une simple puissance ; mais elle se libère aussitôt du corps qui meurt dès qu’il a servi ; en se spiritualisant, elle s’engrange dans l’éternité. Ainsi, le temps nous est nécessaire pour nous permettre de constituer notre essence intemporelle. »

CONCLUSION

QUEL EST LA NATURE PROFONDE DU MAINTENANT DE MON MOI ? ENTRE ECKHART TOLLE, STEPHEN JOURDAIN ET DOUGLAS HARDING.

LES PIECES DU DOSSIER.

ECKHART TOLLE

Dans Le pouvoir du moment présent, Eckhart Tolle écrit :

« Chapitre III : Plongez dans le moment présent

La clef pour entre dans la dimension spirituelle...

Dans les situations où la vie est mise en jeu, ce basculement de la conscience du temporel à la présence se produit naturellement. La personnalité qui a un passé et un futur, s'efface temporairement pour être remplacée par une intense et consciente présence, à la fois très calme et très alerte. Les gestes posés pour répondre à ces situations naissent de cet état de conscience.

La raison pour laquelle certaines personnes aiment prendre part à des activités dangereuses, comme l'alpinisme, la course automobile et autres, c'est que cela les oblige à être dans l'instant présent, même si elles ne sont pas conscientes de ce fait. Ces activités les amènent dans cet état intensément vivant qui est libéré du temps, des problèmes, de la pensée et du fardeau de la personnalité. Oublier ne serait-ce qu'une seconde le moment présent peut se traduire par la mort. Malheureusement, ces gens viennent à dépendre d'une activité particulière pour retrouver cet état.

[...]

[Mais il n'est pas nécessaire de mettre sa vie en jeu pour connaître cet état de conscience]

Les maîtres spirituels de toutes les traditions font de l'instant présent la clé d'accès à la dimension spirituelle, et ce, depuis toujours.

[...]

L'essence même de la philosophie zen consiste à avancer sur la lame de rasoir qu'est le présent, à être si totalement et complètement présent qu'aucune souffrance, rien qui ne soit pas vous en essence, ne puisse survivre en vous. Le temps étant ainsi absent, tous vos problèmes se dissolvent. La souffrance a besoin du temps : elle ne peut survivre dans le présent.

Le grand maître zen Rinzai avait souvent l'habitude de lever le doigt et de poser lentement la question suivante à ses élèves pour les obliger à se détourner de l'attention qu'ils accordaient au temps : "En ce moment que manque-t-il ?"

C'est une question puissante, qui exige une réponse ne provenant pas du mental. Elle est conçue pour ramener votre attention profondément dans le présent.

[...]

Comment se défaire du temps psychologique...

Apprenez à utiliser le temps dans les aspects pratiques de votre vie - on pourrait appeler cela « le temps-horloge », mais revenez immédiatement à la conscience du moment présent quand les choses ont été réglées. De cette façon, il n'y aura aucune accumulation de « temps-psychologique », qui est l'identification au passé et la perpétuelle projection compulsive dans l'avenir.

Le « temps-horloge » [ce peut être :] la prise de rendez-vous, la planification d'un voyage, [...] tirer les leçons du passé afin de ne pas répéter sans arrêt les mêmes erreurs. Se donner des objectifs, et les poursuivre. [Etc.]

Mais même là, dans le cadre des choses pratiques, où nous sommes obligés de nous référer au passé et au futur, le moment présent reste le facteur essentiel. Toute leçon tirée du passé devient pertinente et est appliquée dans le « maintenant ». Toute planification ou tout effort pour atteindre un objectif particulier s'effectue dans le « maintenant ». Même si la personne illuminée maintient toujours son attention dans le présent, celle-ci est tout de même consciente du temps à la périphérie. Autrement dit, elle continue à se servir du « temps horloge » mais est libérée du « temps psychologique ».

Quand vous vous exercez à cela, soyez attentif à ne pas transformer involontairement le « temps-horloge » en « temps psychologique ».

Par exemple, si vous avez commis une erreur dans le passé et en tirez une leçon maintenant, c'est que vous utilisez le « temps horloge ». Par contre, si vous revenez mentalement dessus sans arrêt, si vous vous critiquez et éprouvez des remords ou de la culpabilité, c'est que vous êtes tombé dans le piège du « moi » et du « mon ».

Vous assimilez cette erreur au sens que vous avez de votre identité et elle appartient alors « au temps psychologique » Ce dernier est toujours lié à un sens de l'identité faussé. L'incapacité à pardonner se traduit automatiquement par un lourd fardeau de « temps psychologique ».

Si vous vous donnez un objectif et travailler pour l'atteindre, vous vous servez du « temps-horloge ». Vous êtes conscient de la direction que vous voulez prendre, mais vous honorez le pas que vous faites dans le moment et lui accordez votre attention la plus totale.

Si vous devenez trop axé sur l'objectif parce que, par lui, vous recherchez peut-être le bonheur, la satisfaction et une certaine complétude, vous n'honorez plus le présent.

Celui-ci se réduit à un tremplin pour l'avenir sans aucune valeur intrinsèque.

Le « temps-horloge » se transforme alors en « temps psychologique ». Votre périple n'est plus une aventure, mais seulement un besoin obsessionnel d'arriver quelque part, d'atteindre quelque chose, de réussir. Vous ne voyez ni ne sentez plus les fleurs sur le bord du chemin et vous n'êtes plus conscient de la beauté et du miracle de la vie qui sont révélés partout autour de vous quand vous êtes dans l'instant présent.

§[Le temps est-il une illusion totale ?]

[...] Quand je dis cela, mon intention n'est pas d'énoncer un principe philosophique. Je vous remémore un simple fait, un fait si évident que vous avez peut-être de la difficulté à le saisir ou que vous le considérez peut-être comme vide de sens. Mais une fois que vous avez pleinement compris la portée de cette affirmation, celle-ci peut traverser, comme la lame d'un sabre, toutes les couches de complexité et de problématiques créées par le mental. Laissez-moi vous répéter ceci : le moment présent est tout ce que vous aurez jamais. Il n'y a jamais un instant dans votre vie qui n'est pas « ce moment ». N'est-ce pas un fait ? »

STEPHEN JOURDAIN

Stephen Jourdain durant une conversation entre lui, Gilles Farcet et Denise Desjardins dans une réédition de L'irrévérence de l'éveil écrit :

« Steve : Il est toutes sortes d'angles d'attaque... Par exemple, la traque magique de l'image mentale « moi ». Quand nous nous reportons à notre moi le plus intime, au moi de notre esprit, nous sommes dans la conviction absolue d'avoir affaire à l'original. Eh bien, cette évidence ment ! C'est immanquablement avec le duplicata que nous commerçons ; avec l'image « moi ». Il fut un temps dans nos vies où cette image était, dans une sorte de subconscience centrale, correctement abordée : comme un symbole ouvrant l'accès à la signification « moi » ; et comme ici le sens et la chose se recouvrent, l'accès à « moi », à ce que nous sommes, était ouvert, et nous étions. Hélas, au tournant de l'enfance, l'image mentale symbolique « moi », à la suite de quelque erreur obscure et tragique, s'est trouvée désymbolisée : il n'est plus resté que la tache mentale. Et dès lors nous nous sommes réduits à la tâche, nos âmes s'y sont purement ci simplement abîmées.

Parler de tragédie est un euphémisme. En effet, au final, de quoi s'agit-il ? Destruction du sens, destruction du signe. Destruction de l'Esprit, matérialisation de l'Esprit : on ne peut imaginer pire désastre, ni pire trahison.

Quasiment de la naissance au trépas, un petit objet mental décoloré, blafard, capte notre identité première !

Ceci est l'une des expressions de la Chute dont parlent les chrétiens, à cette différence qu'à mes yeux, l'événement n'a pas de valeur historique, mais uniquement instantanée: actuelle. C'est dans la pointe d'actualité pure de chacun des instants de nos vies, m-a-i-n-t-e-n-a-n-t, que la partie se gagne ou se perd.

Denise : La précision que vous venez d'apporter me semble capitale...

Steve : Il en est une autre, d'égale importance : le maintenant spirituel n'est pas le maintenant terrestre. Cela, personne n'en parle ! Oh, du « now » tous font grand cas ... Parfois, je me demande si cette référence si méritante ne s'apparente pas à quelque chose comme une mode ou un « must ».

J'essaye de tempérer mon agacement par cette remarque : après tout, la superficialité ne serait-elle pas une modulation de l'exquise légèreté ? D'ailleurs, qui a décrété que le centre n'était pas à chercher du côté de la surface ? Vive Yves Saint Laurent ! Le « now », c'est adorable. Tu te souviens, Gilles, qu'à La Jolla, Californie, nous avons passé une mémorable soirée en compagnie d'Eckhart Tolle, un type très bien, un grand apôtre du now.

Gilles: Auteur du « Power of Now », best-seller traduit en français sous le titre Le Pouvoir du Moment présent...

Steve : Voilà ! Un type très bien, donc, d'une laideur toute socratique, et qui avec une ingénuité émouvante a disjoncté face au décolleté de Marie-Claude devant lequel il est resté planté deux heures durant...

C'était très mignon.

Bref, voilà un homme pur, d'une grande finesse et d'une totale intégrité, et qui cependant n'a pas compris que le mot présent n'a pas la même signification sur terre que dans le sein de notre esprit ! L'expérience terrestre saine et sainte - l'Eden mythique - est certes issue d'un acte premier strictement s-p-i-r-i-t-u-e-l, est certes l'enfant de l'esprit pur, mais tirer argument de cette filiation pour confondre ces deux dimensions (ce qui signifierait implicitement qu'on a déjà nié la verticalité de Dieu-esprit, son absolue primauté) serait la marque d'une légèreté si inconcevable qu'elle ne pourrait être inspirée que par... éh oui, Satan.

Il est un maintenant spirituel, et il est un maintenant terrestre. La portée philosophique de cette discrimination, on s'en fiche. En revanche, prétendre

pratiquer l'un ou l'autre de ces deux présents en se bouchant les yeux à leur spécificité absolue, c'est déjà s'être condamné à l'échec - comme l'on dit aujourd'hui, à aller droit dans le mur.

Denise : Qu'est-ce que vous appelez le maintenant spirituel ?

Steve : je vous en demande pardon à l'avance, Denise, je vais vous faire le coup du mythique propos liminaire ...

Oui ou non existe-t-il une part immatérielle de nous-mêmes ? Immatérielle, irréductible à tout phénomène spatial, à jamais étrangère à toute manifestation sensorielle ?

Oui ou non existe-t-il une chose telle que l'esprit ?

Oublions les colossales finesses, MES colossales finesses sur la nature romanesque, irréelle, de la vie temporelle de l'esprit (dite psychologique ou intellectuelle) : oui ou non cette part de nous-mêmes que chacun nomme « mon esprit » existe-t-elle ? Je foule aux pieds sans le moindre remords mes vues les plus précieuses, et à la question, réponds OUI.

Et dès lors, Denise, je puis vous répondre.

À n'en pas douter, chaque esprit éprouve le sentiment de se vivre dans un présent. Ce sentiment est l'expression d'une connaissance intuitive (immédiate, non réfléchie), antérieure à tous nos prétendus savoirs sur ce mystère pur qu'est le Temps. Hélas, s'agissant de ce présent propre à l'esprit, notre intuition se montre quelque peu flageolante, et le présent qu'elle révèle manque singulièrement et de densité et de concision ; on le dirait volontiers mou, avachi ou lâche ... Ce crayon là aurait grand besoin d'être taillé. Vœu pieux ? Oh, que non ! À tout moment, le sentiment coutumier de notre présent intérieur peut s'aiguiser au-delà de ce qui est concevable ! Perforer sans prévenir comme une pellicule de peau morte ce que nous estimions être le moyeu vivant de notre être ! Toute la spiritualité de l'esprit - et aussi bien, toute l'humanité de l'homme - se trouve condensée en cette pointe ultime d'un présent spirituel absolutisé. NOUS N'AVONS PAS D'AUTRE DEMEURE.

Mais l'adorable, le chérubinique Eckhart Tolle est-il au courant ? »

TENTATIVES D'ECLAIRCISSEMENT.

Si on comprend bien le propos d'Eckhart Tolle, il s'agit d'éliminer radicalement le temps psychologique.

Le temps psychologique crée un passé et un futur au mépris d'un maintenant non mental perceptif. Si on se maintenait dans le maintenant, en refusant au mental de dire qu'avant c'était mieux ou qu'hier est difficile à supporter ou que demain j'espère ou que ça risque de durer encore trop longtemps, on connaîtrait une acceptation de ce qui est maintenant, on pourrait apprécier ce que la vie nous donne maintenant.

La distinction classique entre voir et penser semble animer Eckhart Tolle. Mais la critique de Stephen Jourdain est sans appel : le temps terrestre a un maintenant qui est confondu par Eckhart Tolle avec le maintenant spirituel.

Cette confusion se voit dans les propos d'Eckhart Tolle lorsqu'il prend l'exemple de l'alpiniste, du coureur automobile ou de toute autre activité qui exige une concentration sur le présent et interdit toute divagation mentale sur une ligne de temps psychologique. Car faire de ce modèle le modèle de son maintenant spirituel induit forcément la confusion énoncée par Stephen Jourdain.

Un individu concentré sur le maintenant terrestre n'a guère déchiré ce qui le sépare de l'acte pur du maintenant spirituel qui précisément liquide toute prétention à une quelconque vérité du concept qu'il s'agisse du concept d'acte ou de maintenant.

Celui qui est concentré sur le maintenant terrestre évite certes les divagations mentales mais si l'opercule mental s'est aminci en un « voir-penser », prendre ce modèle pour le maintenant spirituel demeure un « penser-voir ».

Stephen Jourdain dans La bienheureuse solitude de l'âme écrit à ce sujet :

« Mais je ne peux pas « voir-penser » ou « penser-voir ». Cela, ça n'existe pas - c'est une monstruosité.

Question : Nous n'avons jamais une vision directe de l'arbre ni d'aucune chose, nous ne savons que voir-penser !

Par contre penser-voir me laisse perplexe. Ça représente quoi ?

Steve : C'est plus subtil à déceler en soi, mais tout aussi grave que voir-penser. Dans ce dernier cas, on surimpose un voile de pensée sur la sensation pure. Dans l'autre, on surimpose un voile de sensation sur la pensé pure. »

Eckhart Tolle nous invite à renoncer au temps psychologique ou plutôt à se tenir dans le maintenant qui le laisse tomber comme une illusion dès que sont constatés la souffrance sous la forme des remords, de la nostalgie, de la crainte, du manque, etc. ou les plaisirs illusoires associés à des faux espoirs, à l'excitation, etc. A partir de là, nous le voyons distinguer ce temps psychologique illusoire du temps des horloges. Ce temps-là serait un temps sain.

Mais si on suit Stephen Jourdain, ce temps des horloges reste un temps mental, un voir-penser dont il faut percevoir l'irréalité pour véritablement s'approcher du voir d'un acte pur de conscience. Le Temps reste un concept même si il est implicite à toute activité conceptuelle. (Kant en fait une intuition a priori de la pensée consciente). Le maintenant spirituel qui veille d'une veille sans fin n'a rien de réflexif selon Jourdain. Un acte de conscience qui le soutient pour ne pas l'enfouir au cœur du jaillissement mental n'aurait donc rien de réflexif : il n'autorise aucun résidu de temps qu'il soit celui psychologique ou celui de soi-disant horloges.

Si c'est une pensée qui me ramène à un maintenant en écartant les pensées anxiogènes ou plus amplement égo-centriques s'enveloppant de passé et de futur, en quoi suis-je libre du mental ? J'ai clarifié le mental, je me suis développé personnellement en tant que troisième personne mais je ne suis pas encore clairement en première personne. Reste une pensée de clarification qui recouvre le pur Voir. Ce que je suis en tant que personne demeure encore une petite présence sur le tableautin mental qui n'aperçoit pas ce qui la symbolise : la première personne source du Voir. Le secret du double fond fondamental de mon esprit n'a pas été découvert. La fouille reste incomplète. Il y a des jeux de significations qui augmentent considérablement l'impression de vitalité mais il n'y a pas un acte de conscience qui en révèle l'acte pur.

LA VISION EN PREMIERE PERSONNE SELON DOUGLAS HARDING ECHAPPE-T-ELLE A LA CRITIQUE DE STEPHEN JOURDAIN ?

M'ouvrant à partir de la vision en première personne proposée par Douglas Harding, il y a une lumière intérieure, celle de la transparence du champ d'apparition (la vacuité ?