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L’EVOLUTION DU CREOLE REUNIONNAIS 1- Situation sociolinguistique de la Réunion A la Réunion, les élèves sont en effet confrontés à une gestion des deux langues qui cohabitent sur l’île : le français et le créole. Traditionnellement, la société réunionnaise était relativement rurale. Elle a subi, sur une courte durée, des changements brutaux avec une succession d’administrations totalitaires, allant de l’esclavagisme puis de l’engagisme à la départementalisation en 1946.

Web view · 2015-04-27Zot i pran a mwin pou in fatra. Ou lé sir mwin moun mi anvaz pa pèrsone, Mi vann mon bazar sousou zariko zone. Soman domoun i inm pa poukwé, Ou i rant pa

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L’EVOLUTION DU CREOLE REUNIONNAIS

1- Situation sociolinguistique de la Réunion

● A la Réunion, les élèves sont en effet confrontés à une gestion des deux langues qui cohabitent sur l’île : le français et le créole.

Traditionnellement, la société réunionnaise était relativement rurale. Elle a subi, sur une courte durée, des changements brutaux avec une succession d’administrations totalitaires, allant de l’esclavagisme puis de l’engagisme à la départementalisation en 1946.

En octobre 2000, soit plus de 50 ans après la départementalisation de l’île, le créole réunionnais, considéré jusque-là comme un vague “patois”, se voit attribuer le statut de Langue Régionale de France, au même titre que le créole des trois autres DOM de l’époque : Guadeloupe, Martinique et Guyane (Mayotte ayant acquis son statut de département français bien plus tard en 2009).

Une prise de conscience réelle de la politique linguistique française en faveur des langues créoles, arrivée “il vaut mieux tard que jamais”. Dans le livret “Qu’apprend-on à l’école maternelle?” (2002) : “A la Réunion, le langage est composé principalement de créole et de français. Prendre en compte toutes les composantes du système de communication réunionnais permettrait d’améliorer les résultats scolaires”. De plus en plus de classes bilingues, de diplômes voient ainsi le jour.

En 1946, proscrit à l’école, le créole est, pour la majorité de la population, la langue première. Son utilisation se fait dans la sphère familiale, en dehors de la classe (en récréation, cantine), dans les relations de proximité, dans le quartier. L’utilisation du français est dominante, tant à l’écrit qu’à l’oral, au niveau des médias, de la télévision, de la presse et de l’enseignement. De tout temps, l’école de la République s’est déroulée exclusivement et obligatoirement dans la langue nationale, en France comme en Outre-Mer : concept redoutable que les parents autant que les élèves, dans leur désarroi, ont fini par adopter à la Réunion. D’autres parents, percevant la langue française comme une langue de prestige social, vont même jusqu’à interdire à leurs enfants de parler créole à la maison. Pour ceux-là, le créole est assimilé à un système dénigré sur le plan social.

● Mais aujourd’hui, pour diverses raisons énumérées ci-dessous, la situation linguistique tend à évoluer et aux deux langues déjà existantes, français et créole, vient se rajouter “les mélanges” des deux.

- De plus en plus de réunionnais font des études supérieures,- La politique de mobilité ainsi que la concurrence des diverses compagnies aériennes favorisent les déplacements entre la Métropole et la Réunion mais aussi entre l’île et les pays étrangers,- Les mouvements de population à l’intérieur de l’île qui s’effectuent entre le centre et la côte,- L’accès à la télévision, au cinéma et à internet.

Le contact entre les 2 langues se développe sans cesse. Dans leur quotidien, la population est amenée à utiliser de plus en plus de stratégies de communication. Certains vont utiliser dans leur langage plus de français, d’autres plus de créole sans compter ceux qui vont y insérer de l’anglais. (Exemple du “Letchi amer” sur la graphie créole).

Si autrefois les pratiques langagières se faisaient dans un partage bien déterminé de situations de communication, de nos jours ce n’est plus le cas. Le créole s’affiche, en couleurs, à l’oral ainsi qu’à l’écrit, dans de plus en plus d’émissions de télévision, à la radio, sur des panneaux publicitaires.

Après 2002, le créole, en tant que Langue Régionale de France, semble avoir bénéficié d’un caractère audacieux et continue à s’épanouir dans bien des domaines.

2- Différentes concepts permettant de décrire la situation sociolinguistique d’un pays.

- La diglossie : Selon C. Ferguson, 1959, “dans une situation diglossique les codes ont une répartition fonctionnelle (chaque langue a une fonction bien précise)”. En effet, pendant la colonisation et même après la départementalisation de la Réunion, le français et le créole bénéficient d’un “prestige inégal”. La langue nationale profite davantage d’un héritage littéraire de “valeur” et d’“importance” plus grande par rapport à la langue vernaculaire. Le créole ne possède, quant à lui, aucune graphie standardisée et est perçue comme une langue pauvre, sans intérêt. Ce déséquilibre entraîne une “francisation” à outrance sans pour autant prendre en considération la langue maternelle. Ainsi la situation sociolinguistique de la Réunion est jalonnée de conflits de langues et de cultures.En 1981, ce modèle de diglossie va être remis en question par LF. Prudent.

- Le continuum linguistique

Ce concept est proposé en 1978 par M. Carayol et R. Chaudenson et pourrait, selon eux, être schématisé par un axe sur lequel se positionneraient les différentes variétés de créole et de français. Le continuum traduirait une hiérarchisation sociale et linguistique partant du créole basilectal vers le créole acrolectal puis du français régional pour arriver au français standard.

- Le macro-système

En 1984, le langage créole est perçu et étudié par Prudent et Méride comme un “macro-système” de communication. Ce que certains vont nommer “le Réunionnais”. Il est composé de français, de créole en plus de toute une gamme de variations née de l’hybridation de ces 2 langues où basilectale et acrolectale s’entremêlent.

- Le bilinguisme

L’enseignement bilingue proprement dit soulève des questions pertinentes sur son application. WE Lambert insiste sur le fait “[...] de valoriser les deux langues de la communauté surtout si une d’entre elles est dévalorisée dans le contexte sociolinguistique. La présence du créole réunionnais dans le système éducatif réunionnais pourrait se faire de différentes façons [...]”.

Le créole est la langue véhiculaire au sein de l’environnement et des relations de proximité dans le quartier. Le français, langue seconde, est présente mais l’usage n’est pas aisément compris. P. Pioux dit que “la rupture de langue à langue” est moins brutale du fait de la mise en place de l’enseignement bilingue. L’intervention expérimentale conforte cette idée d’une scolarité avec le “mélange des deux langues”.

3- Différents dispositifs proposés par l’Académie et leurs effets.

Avant la fin des années 1990, différents travaux se sont intéressés aux réalités socioculturelles et sociolinguistiques de la Réunion mais aucun n’a été pris en compte par les responsables au plus haut niveau. Il a fallu attendre longtemps avant que de véritables débats s’engagent publiquement sur le sujet. En 1999, l’arrivée du nouveau

Recteur P. Geneste va faire bouger les choses avec un séminaire sur la maîtrise du langage où le créole tiendra une place centrale. De même des recherches vont prendre en considération le créole à l’école dès la maternelle. Cette ouverture ainsi que le nouvel statut officiel de la langue créole vont changer les mentalités et amener des retombées positives :

d’une part niveau de la formation :

- des stages sur des thématiques sont mis en place concernant l’”Enseignement du français en milieu créolophone” et la “littérature de l’Océan Indien”; - la création de la Licence LCR, - la création du CAPES LCR; - la formation à la préparation à l’option facultative de Langue Régionale, de même la possibilité de préparation au concours de recrutement de Professeurs des Ecoles avec une spécialité LCR pour la première année et une option LCR pour la deuxième année ; - l’ouverture d’une unité d’enseignement préprofessionnel intitulé “Langue et Cultures Créoles dans la formation des enseignants”

et d’autre part sur le terrain :

- la sensibilisation LCR ou son enseignement sous forme d’option ou enseignement bilingue ; - l’ouverture de classe bilingue

Toutefois divers constats laissent penser qu’il reste encore beaucoup à faire pour résoudre les difficultés liées à la mise en œuvre et aux problèmes d’ordre technique : - le manque d’implication des enseignants : le nombre des enseignants habilités restent insuffisants, - les classes bilingues sont encore rarissimes,- la concurrence avec les Langues Vivantes Etrangères : anglais, espagnol, chinois,- le manque d’informations sur les enjeux : absence de campagne sur la classe bilingue,- aucune volonté de la part des institutions pour promouvoir cette démarche, de réunir les conditions, - un manque de soutien de la part des chefs d’établissement,- une absence de mesures claires sur le plan pratique,- un flou permanent concernant le véritable but de l’enseignement créole, et- un manque de directives ministérielles (la norme du créole n’est pas fixée et aucun choix sur la graphie).

4. Conclusion

Généralement, l’école n’est pas forcément bien vécue, tant pour les familles que pour les élèves. Les familles (écoliers avant) ont subi des traumatismes liés à l’apprentissage de la langue française en laissant pour compte le créole, leur langue maternelle. Les mauvais souvenirs perdurent et à l’enseignement d’aujourd’hui, proposé à leurs enfants, il y a réticence dans les apprentissages, notamment celle de la langue créole. Il est difficile de rompre ces anciennes idéologies au profit d’un enseignement, d’une école plus à l’écoute et plus adaptée. L’harmonie, qui devrait exister entre ces deux langues, est loin d’être un fait avéré et stable.

Ci-joint un petit exercice de comparaison entre français et créole sur une chanson de G. Brassens reprise en créole par Danyèl Waro, notre chanteur local. Veillez toutefois à ne pas tout traduire mot à mot, gardez à l’esprit que chaque langue a ses propres expressions et la langue créole est une langue très imagée.

LA MAUVAISE REPUTATION

par G. Brassens par Danyèl Waro

Au village, sans prétention, J'ai mauvaise réputation ; Que je me démène ou je reste coi, Je pass’ pour un je-ne-sais-quoi. Je ne fais pourtant de tort à personne, En suivant mon ch’min de petit bonhomme ; Mais les brav’s gens n'aiment pas que L'on suive une autre route qu'eux… Non, les brav’s gens n'aiment pas que L'on suive une autre route qu'eux… Tout le monde médit de moi, Sauf les muets, ça va de soi.

Le jour du quatorze-Juillet, Je reste dans mon lit douillet ; La musique qui marche au pas, Cela ne me regarde pas. Je ne fais pourtant de tort à personne, En n'écoutant pas le clairon qui sonne

Mais les braves gens n'aiment pas que L'on suive une autre route qu'eux… Non les braves gens n'aiment pas que L'on suive une autre route qu'eux… Tout le monde me montre du doigt, Sauf les manchots, ça va de soi.

Dann mon kartyé pa pou fé lo fyon,Néna i koz si mwin an kouyon.Mon pat a tèr mon savat dé dwa,Zot i pran a mwin pou in fatra.Ou lé sir mwin moun mi anvaz pa pèrsone,Mi vann mon bazar sousou zariko zone.

Soman domoun i inm pa poukwé,Ou i rant pa dann zot trin oté,Non va domoun i inm pa poukwé,Ou i rant pa dann zot trin oté.Tout domoun i bat la lang la,Park bann parlpa, zot i gingn pa.

Lo zour la fèt Katorz Zilyé,Mi tatone dési mon zoryé.Zot mizik an larmé la lwa,Amwin mwin-la pala èk sa.Ou lé sir mwin moun mi anvaz pa pèrsone,Kinm mi akout pa zot kléron kan i sone.

Soman domoun i inm pa poukwé,Ou i rant pa dann zot trin oté,Non va domoun i inm pa poukwé,Ou i rant pa dann zot trin oté.Domoun i amont a mwin lo dwa,Park la monyon, li na pwin lo bra.

Pour du son en plus :

https://youtu.be/26Nuj6dhte8 version originale française

https://youtu.be/b88Q7tp0zvo version créole