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ERIC MAURIN - LA NOUVELLE QUESTION SCOLAIRE, Les bénéfices de la démocratisation, Seuil, 2007 INTRODUCTION L’étude des effets de la démocratisation scolaire - définie par Eric Maurin comme l’ « ensemble des réformes qui ont peu à peu ouvert les différents cycles d’enseignement à des milieux sociaux qui, jusqu’alors, n’y avaient pas ou rarement accès, en marginalisant la sélection précoce des enfants et en favorisant l’expansion des scolarités » - se justifie pour le sociologue par la nécessité de stopper court aux contre-utopies proclamant l’impossible émancipation à travers l’école, du fait du nivellement par le bas qu’entraine l’ouverture des scolarités. Ainsi, E. Morin a recours à l’économie empirique pour tenter de cerner quels ont été les bénéfices des étudiants passés après les reformes. Faire justice aux politiques éducatives débutées dès les années 60 permettra également d’orienter les décisions futures quant à une démocratisation scolaire d’emblée positive. PREMIERE PARTIE - L’AGE DU COLLEGE UNIQUE La question de l’arbitrage entre classe homogènes (incitant à créer des classes à faible niveau et des effets d’émulation négative) ou classe hétérogène (passant pour « ingérables ») représente au sein du débat public la question démocratique par excellence, et a tendance a ressurgir régulièrement. Les différentes performances des élèves (capacités en fin de primaire ou en fin de collège) selon le pays et les choix de celui-ci en matière de politique scolaire indique qu’il existe un lien positif net entre sélection tardive des étudiants et inégalités entre les destins de ces étudiants. Or ce lien peut s’expliquer par une causalité inverse qui voudrait que la réforme du système scolaire soit facilitée dans les pays les moins inégalitaires. Il est donc important d’historiciser l’avènement de l’« école unique » dans chaque pays pour comprendre leurs effets et les comparer à échelle internationale. -> Le cas des pays scandinaves présente les mêmes problématiques qu’en France : un sentiment de baisse de niveau général est exprimé, car l’apparition de classes hétérogènes provoque une perte des repères habituels pour les professeurs et les groupes sociaux favorisés. Mais l’expérimentation préalable du nouveau système dans des régions précises a permis de trancher les débats, car « le destin d’une réforme est lié à la possibilité den fournir une évaluation rigoureuse ». En comparant la même cohorte ayant subi ou non la réforme (qui reste à peu près la même pour la Suède, la Norvège ou la Finlande i.e. passage de 6 à 9 ans de scolarité obligatoire, avec deux parcours se distinguant au cours des trois dernières années mais restant dans le même établissement), on observe un effet globalement positif pour les classes modestes et négatifs pour les classes aisées : diminution des écarts de salaires à la sortie de l’école, surtout grâce à la diffusion de l’enseignement technique bien que l’ouverture de l’enseignement général s’avère plus bénéfique aux scolarisés. Le bilan ramené à la population totale reste donc positif, grâce au resserrement des écarts de revenus. La réforme est alors mise en place dans les pays scandinaves durant les années 60 et 70. -> Contrairement aux pays scandinaves où les Etats détiennent un fort pouvoir structurant, la mise en place du collège unique et la fin des grammar school en Angleterre se fait de façon décentralisée, due à une forte autonomie des autorités locales (Local Education Authority). De plus, l’Angleterre est un modèle de société

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ERIC MAURIN - LA NOUVELLE QUESTION SCOLAIRE, Les bénéfices de la démocratisation, Seuil, 2007

INTRODUCTIONL’étude des effets de la démocratisation scolaire - définie par Eric Maurin comme l’ « ensemble des réformes qui ont peu à peu ouvert les différents cycles d’enseignement à des milieux sociaux qui, jusqu’alors, n’y avaient pas ou rarement accès, en marginalisant la sélection précoce des enfants et en favorisant l’expansion des scolarités » - se justifie pour le sociologue par la nécessité de stopper court aux contre-utopies proclamant l’impossible émancipation à travers l’école, du fait du nivellement par le bas qu’entraine l’ouverture des scolarités. Ainsi, E. Morin a recours à l’économie empirique pour tenter de cerner quels ont été les bénéfices des étudiants passés après les reformes. Faire justice aux politiques éducatives débutées dès les années 60 permettra également d’orienter les décisions futures quant à une démocratisation scolaire d’emblée positive.

PREMIERE PARTIE - L’AGE DU COLLEGE UNIQUELa question de l’arbitrage entre classe homogènes (incitant à créer des classes à faible niveau et des effets d’émulation négative) ou classe hétérogène (passant pour « ingérables ») représente au sein du débat public la question démocratique par excellence, et a tendance a ressurgir régulièrement. Les différentes performances des élèves (capacités en fin de primaire ou en fin de collège) selon le pays et les choix de celui-ci en matière de politique scolaire indique qu’il existe un lien positif net entre sélection tardive des étudiants et inégalités entre les destins de ces étudiants. Or ce lien peut s’expliquer par une causalité inverse qui voudrait que la réforme du système scolaire soit facilitée dans les pays les moins inégalitaires. Il est donc important d’historiciser l’avènement de l’« école unique » dans chaque pays pour comprendre leurs effets et les comparer à échelle internationale.

-> Le cas des pays scandinaves présente les mêmes problématiques qu’en France : un sentiment de baisse de niveau général est exprimé, car l’apparition de classes hétérogènes provoque une perte des repères habituels pour les professeurs et les groupes sociaux favorisés. Mais l’expérimentation préalable du nouveau système dans des régions précises a permis de trancher les débats, car « le destin d’une réforme est lié à la possibilité den fournir une évaluation rigoureuse ». En comparant la même cohorte ayant subi ou non la réforme (qui reste à peu près la même pour la Suède, la Norvège ou la Finlande i.e. passage de 6 à 9 ans de scolarité obligatoire, avec deux parcours se distinguant au cours des trois dernières années mais restant dans le même établissement), on observe un effet globalement positif pour les classes modestes et négatifs pour les classes aisées : diminution des écarts de salaires à la sortie de l’école, surtout grâce à la diffusion de l’enseignement technique bien que l’ouverture de l’enseignement général s’avère plus bénéfique aux scolarisés. Le bilan ramené à la population totale reste donc positif, grâce au resserrement des écarts de revenus. La réforme est alors mise en place dans les pays scandinaves durant les années 60 et 70.

-> Contrairement aux pays scandinaves où les Etats détiennent un fort pouvoir structurant, la mise en place du collège unique et la fin des grammar school en Angleterre se fait de façon décentralisée, due à une forte autonomie des autorités locales (Local Education Authority). De plus, l’Angleterre est un modèle de société très peu homogène. L’analyse des effets vertueux de la réforme (i.e. grammar school et concours d’entrée à 11 ans abolies par le comprehensive system) en est d’autant plus compliquée. L’observation des régions encore dans le système grammar school fin 60 montre que les inégalités les plus fortes quant aux chances de rentrer en grammar school, les plus élitistes, sont subies par la moitié ayant les meilleurs résultats au test à 11 ans. Or , c’est dans cette même moitié supérieure que l’on observe les plus fortes inégalités de résultats scolaires à 16 ans par rapport à ceux à 11 ans ( i.e. après les études secondaires), mais aussi les plus fortes inégalités par rapport au salaire. Sachant que de telles inégalités ne sont pas visibles à 11 ans, c’est bien la sélection due au grammar school qui génère de telles inégalités. Si un sentiment de nostalgie persiste pourtant par rapport à ce système, voire un sentiment de baisse de l’égalité des chances, c’est en grande partie due au fort désintérêt connue par ceux qui intégraient les grammar school, et bénéficiait d’une émulation positive, alors que les autres n’ont qu’un faible gain d’intérêt, puisque le niveau moyen n’est que peu nivelé vers le haut. De plus, l’argument souvent invoqué par le parti conservateur des inégalités persistantes entre les résultats d’enfant de famille riches et pauvres se trouve infirmé car il est observé que ces inégalités étaient déjà présentes dans le primaire et diminuent au cours du secondaire, dans le comprehensive system.

-> Le cas de l’Irlande du Nord refusant de mettre en place les mêmes réformes qu’au RU puis décidant d’assouplir l’examen à 11 ans (Eleven Plus), permet de comparer les inégalités dans deux pays où les systèmes de sélection sont plus ou moins forts. Le collège unique n’y est aujourd’hui pas installé (tout comme en Allemagne, en Autriche et en Suisse). Durant l’année 1989, avec le retour des travaillistes, le concours est réformé de sorte à ce que les chances d’accès aux grammar schools soit augmentées d’environ 15%. On remarque alors une forte élasticité du taux de réussite aux A-level (équivalent du Bac français) au taux d’ouverture des filières sélectives, due à une augmentation réelle des connaissances puisque les bons résultats au test passé par tous à 16 ans (GCSE) augmentent également de 12%. De plus, les filles bénéficient plus à long terme

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de ces réformes que les garçons (visible par comparaison anglais/irlandais de l’évolution des résultats filles/garçons), ce qui est également à mettre en lien avec l’instauration de seuils d’admission communs filles-garçons aux grammar schools un an avant la réforme. Même si les enfants issus de familles modestes bénéficient également de cette réforme, les inégalités de destinés sociales ont du mal à se résorber, à cause entre autre d’un accès très inégal aux voies générales au collège.

-> L’installation du collège unique en France est plus complexe que pour les 3 autres cas étudiés du fait d’un « terrain idéologique particulier, autoritaire et hiérarchique » et 30 ans seront nécessaires pour cela. Encore aujourd’hui, la persistance de jeunes en échec scolaire (émeutes de 2005) signale pour certains la nécessité de revenir à une insertion précoce par apprentissage. Pour évaluer les effets de cette réforme, le seul matériau disponible semble être une comparaison avec les destins sociaux des classes d’élites, restées intactes avec la démocratisation, les « numerus clausus » (grandes écoles). C’est d’abord l’unification du premier cycle secondaire qui est l’enjeu des politiques mises en place entre 1959 et 1975, et donc la disparition progressive de l’orientation de certains élèves vers l’apprentissage dès la troisième (en théorie abolie par la loi Haby de 75). Une première vague de réforme fait baisser le pourcentage d’une classe d’âge sortant sans diplôme de 43% à 29% entre les cohortes nées en 1946 et celles nées en 1965, au profit des voies professionnelles bien plus que celles générales. En résulte dans les années 80 un resserrement des inégalités de salaires entre ceux issus des grandes écoles et les autres : une année d’étude supplémentaire certifiée augmente d’entre 10 et 16% le salaire, indépendamment du recalibrage du smic qui s’opère dans les années 70. Pourtant, une sélection est réintroduite à travers le redoublement auquel on a recours abusivement (l’âge de fin d’études recule 1,5x plus vite que le nombre d’années nécessaires pour atteindre un niveau donné). L’inadaptation des programmes de collège et le profil des enseignants recrutés (pas réellement formés pour faire face au nouveau défi pédagogique) véhicule alors des frustrations importantes dues aux difficultés à s’adapter au nouveau public. De fait, les enseignants sont les premiers à critiquer l’idéal d’une démocratisation scolaire. En cela, la France est une exception, et met à mal l’avenir des prochaines réformes allant dans ce sens (comme le montre la question de l’ouverture des grandes écoles).

SECONDE PARTIE - LA DEMOCRATISATION AUX PORTES DE L’EMPLOIIci, Eric Maurin s’efforce, au travers du cas de la France, de démanteler les aspects négatifs décriés de la

démocratisation scolaire : chômage, dévalorisation des diplômes. Pour cela, il effectue un travail d’analyse générationnel afin d’isoler les inflexions de la politique éducative de la fin des années 1980 et ses conséquences sur le marché du travail (à partir des enquêtes Emploi de l’Insee conduites entre 1982 et 2006).Face au chômage de masse, le développement de l’éducation a d’abord été perçu comme une planche de salut, à gauche comme à droite : achèvement du collège unique (quasi suppression de l’orientation précoce en fin de 5ème (95% des élèves atteignent la 3ème) ; diminution de la fréquence des redoublements) ; création du baccalauréat professionnel en 1987. On passe de 300 000 à 500 00 bacheliers entre 1987 et 1995 ; accroissement des capacités d’accueil dans les premiers cycles universitaires. Ces réformes ont profondément modifié le destin scolaire des générations nées entre 1960 et 1980. Par ailleurs, la mise en œuvre de la réforme scolaire au milieu des années 1980 a coïncidé avec l’arrêt de la politique de revalorisation du salaire minimum de 1968. Finalement, la qualité de l’insertion professionnelle à la sortie de l’école tend à s’améliorer de façon tendancielle depuis les générations du milieu des années 1960, et cette amélioration s’est infléchie au moment même où l’effort éducatif était suspendu. La démocratisation de l’enseignement n’a pas simplement amélioré l’accès à l’emploi, elle a essentiellement augmenté l’accès aux emplois les plus qualifiés (postes d’encadrement), et est la promesse d’une rémunération une fois et demie plus importante à chaque âge de la vie. En dépit de ce bilan objectivement positif, règne aujourd’hui en France une défiance très forte vis-à-vis de la démocratisation de l’enseignement.

Reconnaitre que la politique volontariste d’ouverture du lycée et des premiers cycles universitaires a eu des effets sociaux positifs ne veut pas dire que l’on adhère à une vision béatement optimiste de l’évolution de la jeunesse au fil du temps. La situation des jeunes à la sortie de l’école s’est terriblement détériorée entre les générations nées à la fin des années 1950 et celle du début des années 1960 (avant démocratisation du lycée et de l’université, chocs pétroliers, et forte hausse du coût minimum d’une embauche)

Comment faut-il interpréter l’importance décisive des diplômes pour l’insertion sur le marché du travail ? Est-elle liée à l’effet réel des formations sur l’employabilité des jeunes salariés ou à un simple effet de signal ?A partir de l’expérience de Mai 1968 (qui a permis à 80% des élèves d’une génération d’obtenir le baccalauréat), on peut voir que tout évènement ou toute politique augmentant le niveau de formation d’un groupe bien identifiable et à peu près représentatif de l’ensemble de la population salariée (une génération par exemple) est potentiellement riche d’enseignements sur la nature de l’effet (positif) de l’éducation sur les destins professionnels. La démocratisation des lycées a eu un effet réel sur l’employabilité des jeunes ; au fur et à mesure que le niveau de formation du commun des mortels s’est rapproché de celui des élèves des grandes écoles, le surcroît de salaire reçu par ces derniers a nettement diminué. Ces évolutions à long terme semblent difficilement compatibles avec une interprétation de l’éducation comme simple signal pour les employeurs. Et même si

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effets de signal il y a, ceux-ci ont une durée de vie assez courte, la vie professionnelle agissant comme un puissant et rapide révélateur des qualités réelles de chacun aux yeux des employeurs.

Les bénéfices de l’éducation s’étendent au-delà de la sphère du travail : santé des enfants mis au monde par des femmes ayant bénéficié d’une formation à l’université ; une société mieux formée est une société globalement moins criminelle.On ne peut donc réduire l’éducation à une simple source de bénéfices privés sans véritable contrepartie dans le monde des compétences réelles. La démocratisation de l’enseignement modifie bel et bien la capacité réelle des interactions qu’ils entretiennent entre eux ou, plus tard, avec leurs enfants.

TROISIEME PARTIE - LES NOUVEAUX DEFIS DE LA DEMOCRATISATION SCOLAIREFaut-il relancer l’effort de démocratisation scolaire, et si oui, par quels moyens ? En effet, aujourd’hui, l’école va être

confrontée à des difficultés inédites, notamment de financement.L’idée que davantage de diplômés nuit aux diplômés est battue en brèche par l’observation et les statistiques. En

France, le taux de chômage des diplômés du supérieur reste 3 à 4 fois plus faible que celui des non-diplômés. Ce paradoxe s’explique non pas par l’évolution des coûts d’embauche, mais par la transformation des besoins de compétences des entreprises. Pour évoluer et s’adapter, les entreprises ont besoin d’une main d’œuvre qualifiée, au détriment des non-diplômés. On assiste, pour une frange de la population, à une montée des inégalités de statut (précarisation, incertitude, chômage..) : lorsque les technologies et les organisations évoluent en faveur d’une catégorie particulière de salariés, ce sont tout autant leur statut dans l’emploi que leur salaire qui se voient renforcés par rapport à ceux des autres ; inversement, quand une catégorie de salariés voit se raréfier ses débouchés professionnels, c’est à des postes moins protégés, plus faciles à détruire qu’il faut se résigner. Même si les sociétés valorisent pour les unes les privilèges statutaires, pour d’autres les privilèges salariaux, les tensions du marché du travail n’en aboutissent pas moins partout au même avantage croissant pour les mieux formés. On assiste finalement à une polarisation des emplois : d’un côté les emplois occupés par les diplômés (de mieux en mieux rémunérés) et de l’autre les emplois occupé par les personnes sans qualification et celles qui disposent d’une qualification intermédiaire (de plus en plus en difficulté avec l’avancée des nouvelles technologies qui remplacent des emplois administratifs, … : les capacités des entreprises et des employés les plus qualifiés sont ainsi dopées, au détriment des autres salariés).

. Comment réduire la fréquence des échecs scolaires et des abandons précoces ?Il faut agir le plus massivement et le plus précocement possible pour l’éducation et le développement des tout jeunes enfants (des études telles le Perry School Project ou l’Abecederian Project, aux EU, l’ont montré). Eric Maurin s’interroge sur les bénéfices de l’école maternelle française, système assez unique au monde. D’après son analyse, l’accueil anticipé des tout-petits à l’école maternelle, n’a pas d’effet particulièrement bénéfique pour eux. D’autre part, la durée de fréquentation de l’école maternelle aurait un effet positif sur le niveau de langage des enfants, mais cet effet positif disparaît lorsque l’on étudie les enfants des zones d’éducation prioritaire. Les effets positifs seraient ainsi concentrés chez les élèves les mieux préparés à l’école par leur famille. Ces dispositifs en faveur des tout-petits font face à un problème de moyens certes, difficilement mis en avant dans le dispositif français où les efforts sont déjà considérables et où les difficultés sont plus importantes dans l’enseignement supérieur, mais doivent aussi réfléchir sur les programmes et les enseignements délivrés, autrement dit toucher à la qualité de l’enseignement. Les pays recherchent pour cela à augmenter le libre choix des parents quant au choix de l’établissement (suppression de la « carte scolaire » en France, libéralisation du système scolaire en 1981 au Chili, possibilité de créer de nouvelles écoles, les charter schools, aux EU). Mais les données géographiques étant relativement indépendantes de la composition sociale des classes, l’impact des choix des parents sur le bon déroulement de la scolarité obligatoire et de la concurrence entre écoles reste mineur. Finalement, de façon générale, le lien entre sélectivité de l’enseignement secondaire et ségrégation scolaire apparaît plus net qu’entre libre choix des parents et ségrégation. En effet, manquant d’informations, les parents ne sont pas spontanément en mesure de susciter les bonnes « incitations ». Il ne faut pas pour autant renoncer à mieux former les enseignants et à encourager les établissements à mieux mobiliser leurs forces.

. Comment financer le développement d’un enseignement supérieur de qualité, qui coûte cher ?En dépit de l’impossibilité d’un enseignement supérieur qui ne serait plus gratuit, la solution proposée est celle du financement par les ex-étudiants ayant bénéficié de la formation gratuite et obtenant par la suite un emploi stable ; ou alors par l’intermédiaire des impôts, les contribuables ayant bénéficié très directement du système libéreraient des ressources pour les zones du système universitaire actuellement laissé à l’abandon. En Australie, depuis 1988, le paiement des études est reporté jusqu’au moment où les bénéficiaires sont sur le marché du travail et leurs revenus suffisamment importants (« Dawkins Revolution »). Petit à petit, les universités ont usé de leur liberté dans la fixation des droits d’inscription, engageant les étudiants à emprunter, favorisant ainsi les plus aisés. Le même système de financement s’est établi en 2004 en Grande-Bretagne. Ce système de remboursement différé pourrait s’avérer être une juste solution.

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CONCLUSIONDe la méritocratie à la réalisation de chaque individu, ces cinquante dernières années ont permis aux enseignements

primaires et secondaires de devenir accessibles au plus grand nombre, et les puissances de l’hérédité sociale sont aujourd’hui mieux contenues qu’elles ne l’étaient pour les générations de nos grands-parents, voire de nos parents. Restons toutefois lucides : le processus de démocratisation scolaire n’est ni achevé ni assuré de pouvoir se prolonger partout (absence de qualification à la sortie de l’école, chômage des jeunes diplômés, précarité, inégalités d’accès à l’enseignement supérieur selon l’origine sociale…). De nouveaux caps devront être franchis. L’ouverture de l’enseignement supérieur exige que soient repensés la vocation et le fonctionnement de chacun des étages du système scolaire ; aux missions de justice dont l’école est investie s’ajoute un impératif d’efficacité économique. Face à un environnement qui valorise toujours plus le capital humain, à des entreprises qui recherchent des qualifications toujours plus élevées, à des mutations technologiques et organisationnelles qui fragilisent le travail routinier et peu qualifié, disposer d’une bonne formation est de plus en plus indispensable pour les individus, et disposer d’une main d’œuvre bien formée de plus en plus vital pour la société dans son ensemble. Mais face à ces défis, les résistances nationales n’incitent pas à l’optimisme : les questions éducatives sont perçues comme des enjeux personnels.

Finalement, l’école est autant le lieu de l’instruction que de l’éducation, et c’est ce que semblent être invités à redécouvrir les pays qui poussent le plus loin la logique de la sélection et de la concurrence (« L’école est désormais l’endroit où chacun est sans cesse évalué et invité à se comparer aux autres » p.265). La promotion d’un enseignement primaire et secondaire moins obsédé par les classements est sans doute, tout simplement, la condition première de réussite et d’accomplissement d’une nouvelle étape dans le développement de l’enseignement supérieur.

CRITIQUE INTERNE Le but fixé par Eric Maurin est donc d’analyser les effets réels des réformes sur la démocratisation scolaire et donc à

partir de données statistiques triées, sélectionnées (et ce choix nous est explicité, comme par exemple le choix d’étudier les cohortes nées assez tard ou non pour bénéficier des réformes plutôt que de générations d’étudiants sortant de l’école afin de comparer les destinés sociales de groupes définis) . En plus d’être un exemple d’analyse statistique rigoureuse et transparente, une telle démarche révèle les enjeux politiques inhérents à ce type de travaux. En effet, les travaux de Maurin sont motivés par la volonté de démontrer que la méfiance exprimée par le passé mais encore sous-jacente vis à vis de telles réformes scolaires sont infondées puisqu’il est souhaitable que l’école soit ouverte à un plus grand nombre. Une telle motivation tend d’ailleurs à occulter les représentations individuelles liées à de tels bouleversements (même si celles-ci sont très rapidement évoquées) pour préférer analyser les conséquences concrètes sur le salaire ou sur l’insertion sur le marché du travail. Mais l’entreprise de ce compte-rendu rappelle également l’enjeu politique derrière les mesures statistiques et plus généralement, derrière toute étude concrète des conséquences des décisions politiques afin d’être en mesure d’adapter les décisions qui suivent. En cela encore, les pays scandinaves semblent donner l’exemple en matière de prise de décisions politiques mesurées en amont (par l’expérimentation grâce à une mise en application différée) et en aval (par la constitution de bases de données statistiques détaillées). L’objectif initialement fixé semble donc être correctement rempli, et la nécessité actuelle d’une telle démarche est clairement démontré par l’auteur. Julie Peyrat

Eric Maurin dans cet ouvrage veut étudier la question de manière globale tout en ayant l’objectif d’être précis, sur différents points. Ce faisant, le lecteur se trouve face à un livre aux difficultés diverses. Dans une première partie, où il traite la question centrale du collège unique, les données statistiques s’accumulent et ne permettent pas, dans un raisonnement rédigé, de prendre tout leur sens : la lecture devient difficile, malgré que les différents exemples traités soient juxtaposés de manière judicieuse. Lorsque l’auteur s’attaque à sa deuxième partie, on le sent presque révolté parfois, et une certaine hargne à l’égard du système se ressent parfois dans son écriture, malgré la volonté d’un regard (peut-être trop) optimiste sur la question. La morale a-t-elle sa place dans une œuvre qui tend à faire un bilan ? Enfin, la dernière partie ne présente pas la même unité que les précédentes, et ressemble à une partie « fourre-tout », où les différents chapitres se juxtaposent comme si toutes ces idées n’avaient pu être traitées auparavant. Mais le regard de l’auteur, qui est optimiste, mais de manière objective, n’est pas sans vouloir apporter des solutions concrètes. Marion Desclaux

CRITIQUE EXTERNE S’affrontant aux thèses de nombre de ces collègues sur les sujets du déclassement ou sur l’inflation scolaire, Eric Maurin

privilégie les démonstrations statistiques quand au nivellement par le haut des destins scolaires des nouveaux étudiants aux

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études qualitatives se concentrant sur les ressentis quand au contenu des formations et aux ouvertures que celles-ci offrent à ceux qui en bénéficient. Si selon Kelly Bedard, l’effet de signal joué par les diplômes peut se démontrer en observant la hausse de non-diplômés lorsque les diplômes du supérieur se distribuent en plus grand nombre (car n’être que diplômé du secondaire ne rime plus à rien), les statistiques quant aux diplômés en 2009 pourraient contribuer à soutenir avec Maurin que l’effet de signal est à relativiser : une hausse relative des diplômés de Bac+2 entre 1999 et 2008 (de 4%) s’accompagne bien d’une baisse des non-diplômés (de 2%), pouvant prouver une hausse réelle du niveau scolaire, avec une évolution des diplômés du bac (comme diplôme obtenu le plus élevé) montrant la plus forte hausse (plus de 4%). Nuancer fortement cette théorie du signal permet à Eric Maurin d’éviter les bilans affolés et affolant: les diplômes ne traduisent pas qu’un classement de sortie d’école. De plus, bien que la situation ne soit pas toute rose pour les diplômés du secondaire, ces diplômes font toujours rempart au chômage (et l’effet de signal n’y est pas exclu) bien qu’ils n’assurent pas une protection totale, comme le reconnaît Camille Peugny dans Le déclassement. Pourtant, celui-ci affirme bien une forte baisse de mobilité sociale pour les générations suivant celles qui ont bénéficié les premières de la réforme, bien qu’étant de plus en plus diplômées. Julie Peyrat

Sous un discours très optimiste, quelques idées sont évoquées mais ne sont pas approfondies. Et pourtant, elles sont aujourd’hui et depuis longtemps au cœur des débats publics et privés. Eric Maurin, dans son chapitre IX, s’interroge pendant quelques lignes sur la qualité de l’enseignement délivré. Ici se pose la question qui fait toujours débat : la réforme des programmes. Tous les niveaux y passent, petit à petit. L’été dernier (2011), Luc Chatel annonce en grande pompe le retour de l’enseignement de la morale à l’école élémentaire. Ruwen Ogien, philosophe, s’interroge sur cette mesure dans un article intitulé « Quelle morale, et pour qui ? ». Pour lui, cette mesure défavorise encore les mêmes, et est un « nouvel épisode de la guerre intellectuelle menée contre les pauvres ». Etant donné la diversité des personnes fréquentant les petites classes, quelles solutions véritables peuvent être amenées pour combler les intérêts et objectifs d’individus d’origines si différentes ? L’école doit-elle tout contrôler, dès le plus jeune âge, de l’éducation des enfants, parce qu’elle la juge insuffisante – ou inadaptée - de la part de la famille ? Il s’agit peut-être finalement de redéfinir le rôle de l’école, à chaque âge de la croissance des enfants, avant de poursuivre les modifications du système. Bien entendu, l’école a un rôle social, mais elle ne peut agir sur toutes les données. Marion Desclaux