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XX es Rencontres des Équipes de Brûlage Dirigé Tarascon-sur-Ariège 10 au 12 juin 2009

XXes Rencontres des Équipes de Brûlage Dirigé · Allocutions d’ouverture des XXes Rencontres MONSIEUR ALAINLAIN SSUTRAUTRA, , MMAIRE DEDE TTARASCONARASCON Monsieur le Directeur

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  • XXes Rencontres des Équipesde Brûlage Dirigé

    Tarascon-sur-Ariège10 au 12 juin 2009

  • SSOMMAIREOMMAIRE

    AACCUEILCCUEIL DESDES PARTICIPANTSPARTICIPANTS ETET OUVERTUREOUVERTURE DEDE CESCES JOURNÉESJOURNÉES

    Monsieur Alain Sutra, Maire de Tarascon ............................................................................................................5Monsieur le Colonel Christophe Durand, Directeur départemental des Services d’incendie et de secours en

    Ariège..............................................................................................................................................................6Monsieur Alain Duran, Conseiller général et Président de la communauté de communes

    du Pays de Tarascon ......................................................................................................................................6Monsieur Étienne Cabane, représentant la Préfecture de la zone de défense sud (DPFM)....................................7Bernard Lambert (animateur du réseau des praticiens du brûlage dirigé) ............................................................8

    LLAA PROBLÉMATIQUEPROBLÉMATIQUE DESDES BRÛLAGESBRÛLAGES PASTORAUXPASTORAUX DANSDANS LESLES PPYRÉNÉESYRÉNÉES

    Le Syndrome Ariégeois, par le Cl C. Durand (DDSIS) et le Cdt A. Respaud (SDIS 09) ......................................9Feu de forêt sur la commune d’Arignac, par le Lt P. Antonuitti (SDIS09), D. Icre (ONF 09),

    et H. Dolis (ONF 09).....................................................................................................................................13Temps et espaces du feu dans les Pyrénées du Néolithique au XXIe siècle,

    par J.-P. Métailié (GEODE – CNRS Toulouse) ..............................................................................................16Le déni de compétence/discrédit et les enjeux de pouvoir, par N. Ribet ............................................................20La place de l’élevage en Ariège et la politique pastorale vis-à-vis du feu,

    par F. Régnault (Fédération Pastorale de l’Ariège) ........................................................................................27Le feu pastoral en Ariège. Évolution de la pratique et impact sur les landes à genêt à balai et fougère aigle,

    par J. Faerber (Université de Perpignan, Médi-Terra) ....................................................................................31L’emploi du feu pastoral dans les Hautes-Pyrénées, un système original à l’épreuve,

    par A. Cipière (GIP-CRPGE 65) et le Cdt F. Picot (SDIS 65) ........................................................................36L’organisation départementale des feux pastoraux en Pyrénées-Atlantiques,

    par P. Gascouat (Lycée Professionnel Agricole d’Oloron Sainte-Marie)..........................................................41Conséquences de 20 ans d’encadrement des brûlages dirigés dans les Pyrénées-Orientales,

    par B. Lambert (OIER-SUAMME 66) ............................................................................................................43Table ronde des autorités et des élus sur la problématique des feux pastoraux en Ariège ..................................47

    LLAA VIEVIE DUDU RÉSEAURÉSEAU

    La campagne 2008-2009. Synthèse des réponses des équipes aux questionnaires ............................................52Expériences et éléments remarquables de la campagne de brûlage 2008-2009 vécus par les praticiens

    des cellules, par B. Lambert (OIER-SUAMME 66) ........................................................................................58Le point sur les formations au brûlage dirigé, par le Cdt N. Coste (SDIS 30) représentant

    le Lt-Cl J.-M. Bedogni (Directeur de l’ECASC)..............................................................................................67Les groupes de travail et l’apport du Réseau agroPastoral Pyrénéen aux cellules

    de brûlages dirigés de la chaîne ....................................................................................................................71

    Exposition de matériel ........................................................................................................................................74Organisateurs et participants aux XXes Rencontres ..............................................................................................75Contenu des DVD ..............................................................................................................................................80

  • Allocutions d’ouverture des XXes Rencontres

    MMONSIEURONSIEUR AALAINLAIN SSUTRAUTRA, , MMAIREAIRE DEDE TTARASCONARASCONMonsieur le Directeur départemental des services d’incendie et de secours

    en Ariège, Monsieur le Conseiller général, Mesdames et Messieurs les partici-pants à ces rencontres nationales, Mesdames et Messieurs,

    C’est pour moi, pour le maire de Tarascon, un grand honneur et unimmense plaisir que de vous accueillir dans cette salle du centre culturel àl’occasion de ces XXes rencontres nationales du réseau des équipes de brûlagesdirigés.

    La ville qui vous accueille peut être considérée comme la capitale mondialede la préhistoire puisqu’elle recèle dans son environnement immédiat lenombre le plus important au monde de grottes ornées, ouvertes au public etqui constituent des témoignages exceptionnels de la vie préhistorique dansnotre région pendant la période magdalénienne.

    Mais Tarascon est aussi le berceau de la race ovine la tarasconnaise, cettebrebis à cornes qui a fait le bonheur des ouvriers éleveurs tout au long du siècle dernier puisque son élevageconstituait des revenus complémentaires non négligeables. La tarasconnaise que nous avons relancée en parte-nariat avec le syndicat ovin et que nous mettons en valeur chaque année à l’occasion de la foire du 8 mai, véri-table événement commercial et festif où la ruralité de montagne retrouve et sa place et sa dignité.

    Enfin, Tarascon, terre du fer et de l’aluminium, qui pendant un siècle a enrichi notre ville et nos vallées.Malheureusement depuis quelques années, le désengagement du groupe Péchiney Alcan a transformé nos usinesen des champs de désespoir et provoqué un véritable traumatisme humain et économique pour les cantons deTarascon et de Vicdessou.

    Mais Tarascon a toujours su montrer dans son histoire, sa capacité à rebondir, à surmonter tous les défis aux-quels elle a été confrontée.

    Remarquablement situé aux portes de la haute Ariège, au carrefour de plusieurs vallées, au cœur de ces mon-tagnes qui nous donnent ce charme et cette tranquillité que beaucoup nous envient. Elle est devenue une villetranquille, ouverte, agréable et surtout dynamique.

    En s’appuyant sur ces nombreux atouts, nous écrivons une nouvelle page de Tarascon, moins industrielle maisplus résidentielle, plus touristique et plus commerciale. C’est du moins le sens que nous donnons à la politiquemunicipale que j’ai l’honneur et le plaisir de conduire depuis 9 ans.

    Aussi, J’espère que malgré un programme chargé, vous trou-verez quelques instants pour apprécier le charme de notre cité,la qualité de l’accueil que ne manqueront pas de vous réservernos concitoyens et que surtout, mais je crois que vous avez déjàcommencé, vous aurez la possibilité de goûter quelques platsdont les restaurateurs et traiteurs de notre ville ont le secret.

    En conclusion, je tiens tout particulièrement à remercier lecolonel Christophe Durand d’avoir proposé la candidature deTarascon pour organiser cette importante réunion. Je tiens biensûr à féliciter le lieutenant Patrick Antonuitti et toute son équipepour la remarquable organisation de ces rencontres, malgré par-fois quelques retards. Je lui renouvelle à cette occasion tout monsoutien et celui de mon conseil municipal.

    Je vous souhaite, Mesdames et Messieurs, de conduire pen-dant ces deux jours des réflexions fructueuses, de partager desexpériences qui seront utiles dans la mise en place de véritablesstratégies qui associent à la fois le nécessaire entretien des pâtu-rages mais aussi la prévention des incendies en forêt.

    Bienvenue à Tarascon-sur-Ariège, bon séjour dans notre villeet surtout bon travail.

    Merci.

    Allocutions d’ouverture

    5

  • MMONSIEURONSIEUR LELE COLONELCOLONEL CCHRISTOPHEHRISTOPHE DDURANDURAND, , DDIRECTEURIRECTEUR DÉPARTEMENTALDÉPARTEMENTAL DESDES SSERVICESERVICES DD’’ INCENDIEINCENDIEETET DEDE SECOURSSECOURS ENEN AARIÈGERIÈGE

    Monsieur le Maire, Monsieur le Conseiller général, mesdames et messieurs,chers amis,

    Monsieur le Maire, vous m’avez remercié d’avoir choisi Tarascon, je vais« rendre à César ce qui appartient à César » ; en fait c’est Patrick Antonuitti quim’a proposé d’organiser ces XXes journées, et connaissant ces capacités à rele-ver le défi, j’ai tout de suite été enthousiaste.

    Enthousiaste aussi parce que le brûlage dirigé revêt une importance considérabledans ce département de montagne et que de plus il y a sa place dans la lutte contrele feu de forêt. C’est pour ces deux raisons majeures que nous avons accepté.

    Si pour ma part je suis un novice en la matière, car j’ai découvert le brûlagedirigé dans l’Hérault et que je continue à apprendre sur ce département, je sou-haite encore continuer à apprendre avec vous durant ces quelques jours.

    Merci.

    MMONSIEURONSIEUR AALAINLAIN DDURANURAN, , CCONSEILLERONSEILLER GÉNÉRALGÉNÉRAL, P, PRÉSIDENTRÉSIDENT DEDE LALA COMMUNAUTÉCOMMUNAUTÉ DEDE COMMUNESCOMMUNES DUDU PAYSPAYS DEDE TTARASCONARASCONMonsieur le Directeur, Monsieur le Maire, Monsieur le Chef de centre du pays

    de Tarascon, Mesdames, Messieurs,dans vos grades et titres respectifs, Mesdames, Messieurs, vous permettez

    tout d’abord d’excuser le président du Conseil général, Augustin Bonrepaux, quine peut pas être là ce soir et a demandé à son vice président de le représenter ;en tout cas il vous transmet, à vous toutes et vous tous, son salut amical et vousrenouvelle le soutien qu’apporte le département à vos rencontres.

    Vous étiez tout à l’heure au centre de secours de Tarascon et à l’exemple dece dernier tous nos centres de secours ont été rénovés, ce qui prouve, si besoinétait, l’intérêt que porte le département à votre cause.

    Alors ce soir, je vous souhaite la bienvenue, bienvenue en Ariège, bienvenuedans le pays de Tarascon, on m’a signalé que vous venez des départements dela Corse, des Hautes-Pyrénées, en passant par la Lozère… mais vous ne trou-

    verez pas la mer au pied de nos montagnes comme j’ai pu la rencontrer en faisant du vélo en Corse. Plus sérieu-sement, un point qui nous rassemble je crois ce soir au-delà des montagnes, c’est cette même problématique del’entretien de l’espace. Monsieur le Maire a rappelé en effet combien nos territoires, et le département en premier,sont engagés dans des politiques d’aménagement comme dans des politiques touristiques.

    Demain, vous irez un peu plus haut sur mes terres, là où je suis le maire d’une petite commune de 200 habi-tants sur la route des Corniches et qui ressemble à certains coins de la Corse. Vous n’y verrez, ni Calvi, ni l’îlerousse, mais de vastes espaces, qui comme chez vous, de par l’exode agricole, sont aujourd’hui envahis par lafougère et le genêt. Or, quand on veut promouvoir le tourisme, on se doit de conserver une certaine attractivité etde garantir aussi une vie sur ces espaces, car je crois que si on laisse la montagne se vider, demain les touristesiront chercher ailleurs le confort et la qualité.

    Je crois en votre expérience, et ce d’autant que le lieutenant Antonuitti m’a parlé de XXes Rencontres… Je vousfélicite d’avoir eu cette idée il y a des années, d’avoir monté ces réseaux d’échange, car l’on ne peut rien inven-ter avec les sciences et les techniques, sans échanger sur les pratiques de chacun et ce dans tous les domaines,dans le nôtre comme dans le vôtre.

    Lorsque l’on fait de la politique, ou lorsqu’on monte des projets au niveau d’un territoire, d’un département,de l’échange naît justement de nouveaux projets et une nouvelle richesse mutuelle.

    Je voudrais à mon tour remercier le lieutenant qui, au-delà de l’organisation et de la candidature de l’Ariègeet de Tarascon aux XXes rencontres, a su nous sensibiliser.

    Et comme je suis aussi le président de l’intercommunalité, je tiens à préciser que c’est grâce à lui et à cause delui, que nous nous sommes engagés durant notre mandature à une réflexion en matière de défense des forêtscontre l’incendie, qui nous a permis d’aboutir à un plan intercommunal. Maintenant que nous avons la feuille deroute, le plus dur reste à faire… Le plus dur reste à faire parce que comme dans tout ce qu’on pourra proposer etque nous évoquerons de nouveau ensemble demain, (je serais à la table ronde), tout ça a un coût et l’argent restele nerf de la guerre. Mais je crois qu’il ne faut pas s’arrêter au problème de coût parce que les interventions delutte peuvent s’avérer beaucoup plus chères et ce pas seulement en euros sonnants et trébuchants.

    Je suis assuré que ces rencontres se dérouleront très bien parce que je connais les talents de Patrick Antonuitti

    Allocutions d’ouverture

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  • et de toute l’équipe dont il a su s’entourer. Il y a très longtempsqu’il m’en parle et à chaque fois je sens combien il les vit. Il lesa déjà vécues dix fois, et comme il les a vécues dix fois, ellesseront très bien organisées…

    Je vous félicite, mon lieutenant, pour ce que vous faites etc’est un honneur pour l’Ariège ce soir et un honneur pour lecanton de Tarascon d’accueillir l’ensemble des participants àces XXes Rencontres.

    Mais comme je dois vendre mon département, je souhaiteque vous prolongiez votre séjour : nous aurons beaucoupd’animation ce weekend au pays de Tarascon : l’inaugurationdu Parc de la Préhistoire, une exposition temporaire de qualitéet des joutes des amis sétois sur le plan d’eau Percus à 3 km etpour finir, dimanche, Patrick vous donnera une bonne adressede restaurant. Le week-end ainsi assuré vous rentrerezdimanche soir chez vous… Non, plus sérieusement, revenezquand vous voulez, vous serez les bienvenus en Ariège, en toutcas, et encore plus dans ce canton de Tarascon dont j’ai la res-ponsabilité.

    Je vous souhaite à toutes et à tous de bons travaux, excel-lentes XXes rencontres, et qu’elles soient un vrai succès. Je vousremercie.

    MMONSIEURONSIEUR ÉÉTIENNETIENNE CCABANEABANE, , REPRÉSENTANTREPRÉSENTANT LALA PPRÉFECTURERÉFECTURE DEDE LALA ZZONEONE DEDE DDÉFENSEÉFENSE SSUDUD (DPFM)(DPFM)Je représente ici le Préfet de la zone de défense Sud.Monsieur le Conseiller général a souligné l’intérêt de rassembler des gens qui

    partagent une expérience dans un même métier. C’est exactement la philoso-phie de ces réseaux que nous souhaitons voir fonctionner de façon la plusvivante possible. Et s’il s’agit de la vingtième année, c’est bien parce que leréseau que nous constituons aujourd’hui a toujours représenté un intérêt pourles praticiens. Je vous rappelle que c’est au sein de ce réseau que s’est consti-tuée la doctrine française pour l’utilisation du feu. C’est le travail de ce réseauqui a permis l’inscription du brûlage dirigé dans la loi d’orientation sur la forêtde 2001 et celle du feu tactique (technique où se concentre le savoir-faire) dansla loi de modernisation de la sécurité civile de 2004, et de mieux asseoir un cer-tain nombre de politiques en matière de DFCI.

    S’il est vrai que c’est surtout dans la zone méditerranéenne que se concen-trent les incendies et l’emploi du feu pour aménager le territoire et défendre la forêt contre les incendies, le réseaus’enrichit en allant voir ce qui se passe au-delà de ses frontières et en rassemblant des gens d’horizons profes-sionnels divers mais aussi d’horizons géographiques différents. Aussi, je suis content d’accueillir quelques étran-gers d’Espagne, même s’ils sont très proches, et des « étrangers » de Savoie, qui pour la première fois nous rejoi-gnent.

    Jusqu’à présent, le réseau s’est réuni essentiellement dans les départements méditerranéens mais je note quepar trois fois en vingt ans, il est sorti de cette zone : une fois dans les Hautes-Pyrénées, une fois en Catalogne espa-gnole et cette année dans l’Ariège.

    De plus, personnellement, j’y trouve un avantage, car c’est suffisamment loin pour que je ne puisse pas rentrerà Marseille demain, ni après-demain, et donc pour vous accompagner jusqu’au bout…

    Pour finir, je tiens à remercier nos hôtes, car même si l’État participe au financement de ces rencontres (créditsdu Conservatoire de la Forêt méditerranéenne), de son côté le SDIS de l’Ariège y a contribué de façon importante,ainsi que la commune. Ces cofinancements sont une traduction du travail en commun.

    Je vous remercie.

    Allocutions d’ouverture

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  • BBERNARDERNARD LLAMBERTAMBERT, , AANIMATEURNIMATEUR DUDU RÉSEAURÉSEAU DESDES PRATICIENSPRATICIENS DUDU BBRÛLAGERÛLAGE DIRIGÉDIRIGÉAvant de commencer nos travaux, je tiens à rappeler la philosophie de ces rencontres :Quand nous avons bâti le programme avec Patrick, nous avons voulu réintroduire le brûlage pas-

    toral comme une des « branches » du brûlage dirigé et élargir le débat des spécialistes que nous sommes,et ce d’autant que les pasteurs pratiquent le feu depuis plus de 40 000 ans (l’homme a découvert le feu il y a plusde 800 000 ans). Nous avons donc tout intérêt à intégrer ces savoirs « non savants », ces pratiques « ancestrales »,et non pas à jeter dessus un discrédit ou un déni, car bien que nous soyons actuellement vingt-cinq équipes enFrance totalisant environ 5 000 ha de brûlages par an, nous « pesons » 10 fois moins que les éleveurs de l’ensemblede la chaîne qui brûlent plus de 50 000 ha, et 20 à 30 fois moins que l’ensemble des pasteurs pyrénéens, langue-dociens et du Massif Central.

    Face au défi de la gestion de ces espaces, nous avons tout intérêt à rapprocher nos deux cultures et à valori-ser l’atout que représentent ces savoirs « archaïques » et la présence des populations locales. Voila l’esprit danslequel le lieutenant Antonuitti et moi-même avons bâti le programme de ces rencontres.

    Merci

    Allocutions d’ouverture

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    DVD\9...doc

  • Le syndrome AriégeoisColonel Christophe Durand (DDSIS 09), Commandant Alain Respaud (SDIS 09)

    L’Ariège, département de moyenne importance (avec 4 890 km², sa surface est un peu plus étendue que leVaucluse, mais moindre que les Bouches-du-Rhône), connaît des feux de taille importante.

    LLEE SDIS 09SDIS 09

    Nous sommes un service départemental d’incendie de taille modeste de par nos effectifs et le volume du parcmatériel, mais où le ratio d’intervention est proportionnellement supérieur à celui de départements de 5e catégo-rie, loin d’y être négligeable. Ainsi, le SDIS 09, qui reste un SDIS de 5e catégorie (la plus petite) comprend :

    • une direction basée à Foix ;• un groupement de service santé et de secours médical ;• deux groupements fonctionnels : un groupe-

    ment des services opérationnels et un groupe-ment administratif et financier ;

    • 21 centres d’incendies et de secours répartis en2 groupements territoriaux : le groupement sudet le groupement nord. Notons qu’à ce dernierle Donezan, bien que situé au sud, fut rattachépour des raisons d’accès ;

    • 47 sapeurs pompiers professionnels, 794sapeurs pompiers volontaires, 37 personnelsadministratifs et techniques (sachant que dansces derniers beaucoup sont des sapeurs pom-piers volontaires) ;

    • un budget d’investissement de plus de 4 mil-lions d’euros pour un fonctionnement de9,4 millions d’euros ;

    • 10 319 heures annuelles de formation pour719 stagiaires par an, et un budget de forma-tion de 203 000 euros ;

    • 9 380 interventions représentant 93 938 heuresde travail ;

    • 296 incendies de végétation (dont 52 de plus de 1 ha), totalisant 8 250 heures d’intervention des personnels,soit 10 % de l’activité opérationnelle (67 % de cette activité reste le secours aux personnes, et 9 % les acci-dents de la circulation). Toutefois, il est bon de souligner que la part d’activité « incendies » se situe dans lamoyenne nationale ;

    • des moyens de lutte contre les incendies de forêt capables de mobiliser sur l’ensemble du département : 4GIFF et un détachement d’intervention héliporté qui fait notre spécificité. Ce dernier est consti-tué de 35 personnes, dont 2 DIH3, 8 DIH2, et 25 DIH1, une cellule DIH composée de 6 paniershélitreuillables, 1 600 mètres d’établissement + bâche à eau. Ce détachement d’interventionhéliporté démontre régulièrement son utilité (cf. plus loin et DVD : retour d’expérience).

    Problématique des brûlages pastoraux dans les Pyrénées

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    DVD\1...\06a...ppt

    DVD\1...\06b...ppt

  • CCARTOGRAPHIEARTOGRAPHIE DESDES STATISTIQUESSTATISTIQUES DD’’ INCENDIESINCENDIES ETET DESDES ÉCOBUAGESÉCOBUAGES

    Sur la carte suivante, où le rouge indique les secteurs touchés par les incendies, la haute vallée en piedmontdes Pyrénées ressort clairement, le nord restant relativement épargné.

    Les déclarations d’écobuages (en bleu sur les cartes) se localisent essentiellement selon un axe est-ouest avecune spécificité nette sur le sud du département.

    Statistiques de la campagne 2008 (ci-contre)A contrario du Sud-Est, le département de l’Ariège offre la particularité de connaître essentiellement des incen-

    dies de forêts en hiver, période relativement sèche et froide, pendant laquelle la chaîne des Pyrénées peut facile-ment s’embraser durant plusieurs semaines. Puis, au printemps, tout redevient « vert et beau » jusqu’à la fin del’été, où selon les conditions météo, les risques peuvent alors s’accroître.

    Problématique des brûlages pastoraux dans les Pyrénées

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  • LLESES FEUXFEUX DEDE VÉGÉTATIONVÉGÉTATION DEDE MARSMARS 20092009Pour illustrer le syndrome Ariégeois, il nous a paru intéressant de vous présenter le retour

    d’expérience des feux de végétation de mars 2009.Depuis une dizaine de jours, notre département est confronté à un temps sec, ensoleillé, des

    gelées matinales asséchant la végétation avec du vent de nord-nord-ouest.Des départs de feux se déclarent un peu partout sur le département, mais sans importance majeure.

    Problématique des brûlages pastoraux dans les Pyrénées

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    DVD\1...\06b...ppt

  • Le vendredi 20 mars, il fait beau, le vent est toujours nord-nord-ouest avec des rafales à 40 km/h.Depuis le matin, un brûlage dirigé a lieu sur la commune d’Axiat, au lieu-dit « Les Roucateilles ».À 13 h 39, un incendie important se déclare sur la commune d’Axiat, versant opposé du brûlage dirigé.À partir de cet après-midi-là, de nombreux départs de feux se succèdent sur le sud et l’est du département jus-

    qu’au lundi suivant. Entre le 20 et le 24 mars, nous avons enregistré plus de 70 départs de feu, totalisant unesuperficie incendiée de l’ordre de 1 300 ha et justifiant l’engagement quotidien de plus de 200 hommes.

    Une chronologie rapide de ces quatre jours donne la mesure de la situation :• le 20 mars nous avons enregistré 15 départs de feu, dont trois conséquents : Lordat (300 ha), Le Bosc

    (40 ha), Verdun (150 ha) et durant souvent plusieurs jours ;• le 21 mars, 11 départs de feu, dont Axiat, (300 ha) et Arnave (10 ha), le tout avec un engagement de moyens

    dicté par le patrimoine à protéger, les problèmes d’accès, et la capacité du feu, après une propagation libre,à s’éteindre tout seul ;

    • le 22 mars, 20 départs de feu dont les plus importants furent ceux d’Ussat (50 ha) et de Tignac (150 ha) ;• le 23 mars, 23 départs de feu, avec la poursuite de celui d’Ussat, Saurat (170 ha), Mérens (40 ha) et Seix

    (5 ha) ;• le 24 mars nous a permis de souffler avec seulement 3 départs de feu de faible importance.

    Face à cette montée en puissance et à la petite capacité de notre département, vous pouvez imaginer les diffi-cultés de gestion de la crise : où et combien de moyens faut-il engager ? quel feu privilégier ? que devons nous lais-ser brûler ?

    Au total sur les quatre jours nous avons dû mobiliser pour ces 70 feux et 1 300 ha incendiés :• en personnels : 744 pompiers ;• en sorties d’engins : 144 CCF, 34 VLHR, 10 FPTHR, 16 VL, et le PCM ;• en moyens aériens : 1 hélicoptère (ce qui permis d’ailleurs d’engager le DIH), 2 trackers et 2 canadairs.

    EENN CONCLUSIONCONCLUSION, , NOSNOS POINTSPOINTS FORTSFORTS ETET NOSNOS POINTSPOINTS FAIBLESFAIBLES

    Je soulignerai tout d’abord notre capacité d’anticipation. Ainsi le 20 mars, dès le départ du feu sur la communed’Axiat, nous avons activé le CODIS et demandé l’engagement du Dragon 66 pour reconnaissance et interven-tion DIH sur les quatre jours, puis demande d’engagement d’avions bombardiers d’eau (qui nous furent refusésdans un premier temps au motif que « l’Ariège ça ne brûle pas ! »).

    Par la suite, nous avons pu nous appuyer sur :• une montée en puissance rapide des moyens ;• la disponibilité d’un hélicoptère pour les reconnaissances ;• la disponibilité des sapeurs pompiers volontaires ;• la présence des points d’eau, citernes, hydrants sur les différents chantiers ;• la qualité du travail interservices, ONF, gendarmerie, municipalité ;• la qualité des transmissions ;• une logistique satisfaisante ;• l’engagement systématique d’un soutien sanitaire, le tout sans avoir à déplorer de blessés graves.

    Parmi les éléments défavorables et/ou à améliorer, nous avons :• la prise en compte les changements d’orientation des vents et leurs fortes rafales ;• une accessibilité insuffisante de certains chantiers ;• des difficultés de disposer des moyens aériens en temps voulu (canadairs ou trackers, l’hélico Dragon 66 pour

    des missions de DIH) ;• un manque de protections respiratoires dans les CCFM et de masques de protection individuelle et de pon-

    chos ;• de trop nombreux tuyaux, pièces de jonction, lances, clés, furent détruits durant un feu ;• et pour finir, nous nous interrogeons sur l’existence d’un lien entre la réalisation par la cellule d’un « brûlage

    dirigé » et de nombreux départs de feu (phénomène d’incitation), tout comme sur l’origine « de ces feux sau-vages » encore appelés « feux volontaires », par opposition aux brûlages des pasteurs, qui, au demeurant, res-tent relativement bien organisés.

    Problématique des brûlages pastoraux dans les Pyrénées

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  • Feu de Forêt sur la commune d’ArignacLieutenant Patrick Antonuitti (CIS du Pays de Tarascon)

    Historique : Le dimanche 3 février 2008 à 17 h 13, le CIS du Pays deTarascon est alerté pour un feu de broussailles sur la commune d’Arignac enplein massif dans une végétation de landes, fougères et surtout de genêts àbalais, inaccessible dans l’immédiat aux moyens terrestres.

    Contexte : Le chef de centre, connaissant le secteur suite à d’importantsincendies s’étant déjà produits, demande au Codis l’engagement immédiat d’unGIFF. Dans l’axe de propagation du feu derrière la ligne de crête se trouve unmassif de plusieurs centaines d’hectares de pins et sur sa gauche plusieurs pointssensibles qui sont trois relais dont un appartenant au SDIS.

    Le temps est calme, dégagé, légère brise de pente orientée sud-sud-ouest,température 12°.

    Délai de transit pour se rendre de Tarascon au sinistre, environ 40 min. de route.

    Montée en puissance : À notre arrivée sur les lieux, le feu est toujours contenu sous une barre rocheuse etdans un sous-bois mais commence à prendre de l’ampleur dans un talweg. Deux fronts se développent. Le ventse renforce. Une demande de renfort d’un deuxième GIFF est faite.

    À 18 h 30, l’idée de manœuvre retenue est de faire une ligne d’appui pour protéger une partie de la plantationsur un plateau dégagé car une bande de débroussaillement de 60 m de large sur 200 m de long a été effectuéepar l’ONF.

    Le temps de préparer la ligne d’appui et de donner les instructions aux différents chefs d’agrès, la fuméecommence déjà à nous envahir, le CCIHR tombe en panne, le vent se renforce encore avec des pointes à plus de80 km/h et la tête de feu est sur nous en moins de 2 minutes Dans une atmosphère irrespirable, l’ensemble despersonnels se bat pour éviter que le feu passe, que le CCIHR brûle et bien sûr pour se protéger soi-même. Pendantce combat, un SP est brûlé aux mains ainsi qu’au visage. Une demande de renfort d’un troisième GIFF ainsi qu’unVSAB sont demandés.

    Le capitaine Bruno Gillet, chef de colonne d’astreinte, active le PC au CIS Tarascon et demande en renfort lachaîne de commandement et deux GIFF supplémentaires.

    Au plus fort du sinistre ce sont 5 GIFF qui ont participé.Après un combat inégal, l’ensemble des GIFF ont limité la propagation du feu, mais ce qui nous a sauvés, c’est

    l’arrivée de la pluie et même de la neige puisqu’en moins d’une demi-heure il en est tombé 5 cm.

    Problématique des brûlages pastoraux dans les Pyrénées

    DVD\1...\07*.*

    13

  • Conclusion : L’analyse de ce feu fait apparaître trois phases distinctes liées aux conditions météorologiquestrès changeantes avec un démarrage par temps calme puis une brusque et violente accélération au moment de lapremière attaque et, enfin, une extinction rapide liée aux fortes précipitations du milieu de nuit.

    Toutefois, cette intervention met en lumière des points fondamentaux qui doivent conduire à repenser l’appro-che des feux de forêts dans nos territoires. En effet, des modifications importantes apparaissent actuellement :

    • épisodes de sécheresse plus fréquents ;• régime des vents très variable et peu prévisible localement ;• déprise agricole forte induisant une masse combustible accrue.

    Ces évolutions nous incitent à affiner les caractéristiques des matériels à engager, à repenser les formations denos personnels et à redéfinir de nouvelles stratégies d’intervention. Ainsi, deux outils peuvent être intégrés utile-ment : le brûlage dirigé en préventif et le feu tactique en curatif.

    IINTERVENTIONNTERVENTION COMPLÉMENTAIRECOMPLÉMENTAIRE DEDE DDIDIERIDIER IICRECRE,,RRESPONSABLEESPONSABLE DD’U’UNITÉNITÉ TTERRITORIALEERRITORIALE ÀÀ TTARASCONARASCON POURPOUR LL’ONF’ONF

    Après les éléments tactiques de l’incendie d’Arignac présenté par Patrick, jevoudrais revenir sur le contexte local.

    Vous êtes en Ariège, département fortement marqué par l’histoire et leshommes, et où la forêt vit avec le pastoralisme et le pastoralisme avec la forêt,ces deux milieux étant condamnés à vivre ensemble. Cohabitation pas toujoursaisée et génératrice de situations qui évoluent de plus avec la société.

    En cela, l’incendie d’Arignac est une bonne illustration du contexte ariégeoiset de son évolution, car nous y rencontrons :

    • l’état d’embroussaillement des versants ;• l’extensification de l’entretien de l’espace ;• et la cohabitation ruraux–résidents.

    Au départ, nous avions à faire à un feu pastoral banal sur un massif en ver-sant sud à vocation pastorale (même si nous devons parler de pastoralisme trèsextensif), opposé à un versant nord forestier. Ce versant sud sensible à l’incendie a été dans un passé récent équipéd’une piste. Équipement DFCI, jugé suffisant par tous, comme base d’attente et d’attaque du feu montant.

    Mais force est de constater que ce soir-là, même avec cet ouvrage, les hommes étaient en situation de risquesdu fait :

    • d’un espace fortement embroussaillé offrant une accumulation de matières végétales considérables.Accumulation résultant d’une gestion pastorale de plus en plus extensive, le tout en terrain non mécanisable(et donc difficile à entretenir). Ces versants qui dans un passé encore récent, connaissaient l’emploi régulierdes petits feux pastoraux, et la pratique de la fauche, ont vu progressivement la périodicité de l’emploi du

    Problématique des brûlages pastoraux dans les Pyrénées

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    Emprise de l’incendie d’ArignacLa ligne de crête après le passage du feu

  • feu s’espacer et les interventions manuelles dis-paraître. Avec l’accumulation de combustiblequi en résulte, tout feu y prend alors uneampleur sans cesse inégalée ;

    • de l’évolution des phénomènes météorolo-giques auxquels nous sommes confrontés : cesoir-là, très brutalement le vent s’est levé et ceavec des pointes à 80 km/h ;

    • de forts enjeux humains, qui découlent dudéveloppement résidentiel de ces zones avecles anciennes granges « qui se retapent » etdeviennent des maisons secondaires. Il endécoule une nécessaire vigilance toute particu-lière sur ces incendies en termes d’enjeux devie humaine.

    C’est donc cet ensemble de facteurs, que je tenaisà porter à votre connaissance comme préalable àvos réflexions durant vos journées en Ariège.

    IINTERVENTIONNTERVENTION COMPLÉMENTAIRECOMPLÉMENTAIRE DEDE HHERVÉERVÉ DDOLISOLIS ,,RRESPONSABLEESPONSABLE DEDE LL’UT «’UT « HHAUTEAUTE AARIÈGERIÈGE — D— DONEZANONEZAN »»

    Sur Axat nous avons vécu également une expérience caractéristique de cecontexte ariégeois. Les forêts sont un patchwork de milieux pastoraux, demilieux forestiers où se côtoient de plus en plus de nouveaux usagers, côtoyantdes activités touristiques tout au long de l’année. Nous faisons ainsi face à denouveaux enjeux qu’ignorait le siècle précédent ; des dessertes forestières, desouvrages RTM (restauration des terrains en montagne), des peuplements artifi-ciels (plantations), et une présence humaine diffuse, quasi permanente, qui rendla situation particulièrement dangereuse.

    Je le dis avec l’émotion d’un simple sylviculteur de terrain, du forestier franc-comtois qui vit le feu en Ariège depuis 25 ans, la batte à feu à la main aux côtésde Patrick.

    Mon expérience ariégeoise m’a appris qu’à défaut de prévenir ou de conte-nir le feu il nous faudra le subir. Un forestier et gestionnaire de milieu naturel

    dans toute sa diversité, ne doit pas faire abstraction du feu.Aujourd’hui les forestiers (je vous rappelle que les forestiers en Ariège ne sont qu’une soixantaine sur le terrain,

    pour un territoire de 110 000 ha), les pompiers, les éleveurs (qui représentent 3 % des actifs) et les quelques usa-gers avec qui nous partageons cette vaste montagne, doivent faire alliance pour utiliser intelligemment cet outilqu’est le feu.

    Et si nous ne prenons pas conscience que le brûlage dirigé peut devenir notre outil commun de gestion desmilieux, nous serons confrontés à des situations conflictuelles, alors que nous avons les moyens de nous entendreet bâtir du solide dans un esprit constructif ; en ce qui nous concerne, nous y mettrons toutes nos forces.

    Problématique des brûlages pastoraux dans les Pyrénées

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  • Temps et espaces du feu dans les Pyrénéesdu Néolithique au XXIe siècleJean-Paul Métailié, Directeur de GEODE, CNRS Toulouse

    L’utilisation actuelle du feu dans la gestion de l’espace pastoral doit être considérée comme un simple momentdans une histoire millénaire, et non comme un modèle général, dans le temps comme dans l’espace. Cette pra-tique, qualifiée généralement d’« immémoriale », doit être replacée dans la longue durée des relations entre lessociétés montagnardes et leur environnement. Il n’y a jamais eu un seul feu, mais un ensemble de pratiques asso-ciées à des objectifs agricoles ou pastoraux variés, appliquées dans des milieux variés. Replacé dans la longuedurée, le feu actuel apparaît comme une simplification des pratiques historiques, même s’il garde la même logiquede savoir.

    Les recherches en histoire de l’environnement permettent aujourd’hui de mettre en évidence le rôle multiformeet généralisé du feu dans la construction des paysages montagnards pyrénéens. On trouve les premières traces dedéfrichements par le feu en altitude dans les Pyrénées catalanes (Cerdagne) dès le Néolithique, vers 4 000 av. JC.Elles s’intensifient considérablement vers la fin du Néolithique et le début de l’Âge du Bronze (entre 2 500 et1 500 av. JC), période qui représente la première grande phase de création des pâturages dans toutes les Pyrénées.Dès cette époque, plusieurs pratiques du feu coexistent : le feu de déboisement pastoral, par incendie des lisièresou des massifs forestiers, notamment à partir des landes et pelouses naturelles de l’étage subalpin ; le feu courantd’entretien des pâturages (qui peut facilement se transformer en feu de déboisement) ; l’essartage, feu de défri-chement agricole évoluant vers une rotation longue de culture sur brûlis de taillis tous les 15 à 30 ans.

    Problématique des brûlages pastoraux dans les Pyrénées

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    Les principales phases du feu agropastoral dans les Pyrénées : ancienneté et concomitance dans toute la chaîneCourbes des influx de particules charbonneuses dans les tourbières de Cuguron (Haute-Garonne, Comminges, 500 m),

    Gabarn (Pyrénées-Atlantiques, 300 m), Saugué (Hautes-Pyrénées, haute vallée du Gave de Pau, 1 600 m)et Pla de l’Orri (Pyrénées-Orientales, Cerdagne, 2 100 m).

    Les principales phases de colonisation agricole des Pyrénées sont soulignées par les pics de la courbe dans les différents sites :Néolithique (entre 3 000 et 4 000 av. JC), Âge du Bronze (entre 1 000 et 1 800 av. JC) et Moyen Âge (entre 600 et 1 500 av. JC)

  • Il faut noter que l’entretien par le feu des espaces sylvopastoraux, notamment les chênaies et hêtraies de ver-sant sud, a dû commencer à cette époque (Vannière et al., 2001). Les travaux paléoécologiques permettentaujourd’hui d’identifier, aussi bien sur le piémont que dans les vallées, des cycles de défriche-brûlis, marqués dansles analyses de pollens et de charbons par la diminution des taxons arborés, l’augmentation des plantes cultivéeset pastorales, et la présence de grandes quantités de particules charbonneuses.

    L’impact du feu s’intensifie à partir du haut Moyen Âge et jusqu’au XIVe siècle, période de généralisation desdéfrichements agricoles et pastoraux, pendant laquelle se mettent en place les terroirs pyrénéens ; au XIVe siècle,les recensements de population montrent que pratiquement tous les villages pyrénéens actuels existent (un petitnombre disparaît au XVe siècle, au temps des pestes, tandis que quelques autres naissent aux XVIIIe-XIXe siècles) ; lespopulations sont déjà importantes, équivalentes à celles du milieu du XXe siècle et les historiens médiévistes par-lent alors d’un « monde plein ». Après la crise démographique de la fin du Moyen Âge, la dernière phase deconstruction des terroirs correspond aux XVIe-XVIIIe siècles : beaucoup de forêts surexploitées (notamment pour lecharbonnage destiné à alimenter les forges) disparaissent durant cette période. Les pâturages, systématiquementgérés par le feu, atteignent leur plus grande extension, les landes sont mises en culture par écobuage1, et les forêts,à l’exception des forêts de réserve et des futaies domaniales protégées, deviennent des taillis ou des prés-bois oùpassent des feux courants. Mais la stabilisation des terroirs aux limites du possible fait disparaître progressivementle feu agricole ; la dernière période de défrichement paraît avoir été celle des années suivant la Révolution, etquelques rares défrichements sont encore notés au début du XIXe siècle2. Après cette longue continuité de construc-tion des terroirs et de pratique généralisée du feu succède jusque vers 1914 une courte phase qui reste aujour-d’hui dans la mémoire locale comme l’apogée du « paysage traditionnel » ; le feu est alors essentiellement un outilde gestion des espaces pastoraux, et sa maîtrise est facilitée par l’abondance de main-d’œuvre et l’intensité del’exploitation agropastorale, qui laisse peu de biomassecombustible dans un paysage où toutes les ressourcesvégétales sont utilisées et parfois surpâturées.

    Cette longue, multimillénaire phase de constructiondes terroirs n’a pas été linéaire ; elle a connu despériodes d’expansion et de recul, de reboisement, sur-tout dans les premiers temps, jusqu’au début du MoyenÂge. La phase finale, durant tout le Moyen Âge, a laisséune toponymie abondante qui a perduré jusqu’àaujourd’hui. Parmi les plus communs, on trouve évi-demment les essarts, issarts, izards, eycharts, eychar-tous, ainsi que la très abondante toponymie liée àartigue : artigaous, artigalas, artiguette, arties, artix (lasignification exacte d’artigue reste encore obscure en

    Problématique des brûlages pastoraux dans les Pyrénées

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    Photographie d’un essartage en Finlandevers 1920-30

    Tableau représentant un essartage en Finlandeau XIXe siècle

    1 Le terme d'écobuage, souvent employé pour désigner le brûlis à feu courant, désigne en fait une technique bien particulière, pratiquée du XIIIe au XVIIIe siècleenviron et qui consistait à détacher à la houe la couche superficielle de terre gazonnée, à la faire sécher puis à la brûler en mottes et à épandre la cendredans les champs. Pratiqué sur des terrains acides, il assurait un nettoyage radical du sol, sa fertilisation et la neutralisation temporaire de l'acidité.

    2 Diverses archives forestières et documents photographiques attestent d’ultimes défrichements au tout début du XXe siècle, par exemple dans leCouserans (Ariège) : vallées de Bethmale, d’Aulus ; mais ce ne sont plus que des pratiques résiduelles et marginales.

  • dépit de la fréquence du terme). Les mots comme usclat,usclade sont par contre tout à fait compréhensibles etencore utilisés, procédant de usclar, brûler en occitan. Uneconstante : on ne peut pas savoir exactement quelle est lapratique derrière le terme : il peut visiblement s’agir aussibien d’un feu agricole, de défrichement, que d’un feu pas-toral ; de plus, sur la durée de plus d’un millénaire d’utilisa-tion des termes, les pratiques ont pu changer sous le mêmeterme. Le mot écobuage est pour sa part un terme françaisd’introduction récente, définissant strictement une opéra-tion de mise en culture des landes par pelage du sol etcombustion sous forme de petits fourneaux de mottes ; lesanalogues occitans se retrouvent dans la toponymie : for-nels, fornelar, ainsi que formigueres, hourmigué, houmi-gaous (par analogie entre les fourmilières et les fourneauxconstruits pour brûler le sol) ; plus énigmatique mais bienidentifié : mourtis. Introduit par les forestiers au début du

    XIXe siècle pour qualifier le feu pastoral, il s’était déjà imposé dans le langage administratif et francophone au débutdu XXe siècle, et définitivement. Il faut noter que l’essartage a été pratiqué jusque dans les années 1950 dans lesArdennes, en Allemagne et abondamment dans les pays scandinaves ; l’écobuage a duré jusque dans les années1960 en Galice.

    Tout cela s’achève à partir de la décennie 1950 : l’accélération de l’exode rural, l’abandon des terres et la dimi-nution rapide des troupeaux provoquent des dynamiques rapides d’enfrichement qui uniformisent l’espace,accroissent la biomasse combustible et font disparaître les coupe-feu naturels. La pratique du feu change alorscomplètement : on passe de brûlages fréquents, sur de petites surfaces et répartis sur l’ensemble de la montagne,à des feux plus espacés dans le temps, très vastes et concentrés sur les secteurs les plus faciles à brûler (les sou-lanes), ce que montrent bien les photographies aériennes et les statistiques (Métailié, 1981 ; Faerber, 2000). EnAriège, par exemple, la superficie moyenne par feu est passée, entre les années 1940 et les années 1980, de 5-8 ha à 50 ha, tandis que leur nombre diminuait de moitié. La diminution du nombre des éleveurs s’est traduiteaussi par une disparition des pratiques collectives comme des savoirs sur l’espace pastoral, aggravée par les chan-gements profonds dans le milieu des bergers, de moins en moins issus de la population locale. À une pratiquerégulière, « quand il faut », rendue possible par une présence constante sur les pâturages, a succédé le feu mis« quand on peut », en fonction de la disponibilité des éleveurs et de leurs amis.

    Cette évolution de la pratique a été parallèle à un changement culturel majeur (cf. tableau) ; jusqu’auXVIIIe siècle, on peut considérer que le feu bénéficiait d’un consensus social général : les savoirs et les normes étaientpartagés par tous les montagnards, seigneurs comme paysans avaient la même culture.

    À partir du XIXe siècle, on voit émerger de nouvelles normes et de nouveaux savoirs, portés par les ingénieursdes administrations d’État (Eaux et Forêts, Ponts et Chaussées) et par les premiers agronomes ou phytogéo-graphes, qui sont contradictoires avec ceux des paysans pyrénéens et s’opposent en particulier aux pratiques tra-ditionnelles comme le feu. On évolue rapidement vers une interdiction de fait des pratiques de brûlage (même sielles ont toujours été légales et simplement réglementées), qui plonge les éleveurs dans des habitudes de clandes-tinité et de mises à feu incontrôlées. Cette tendance à l’interdiction et au conflit s’accentue durant le XXe siècle,dans un contexte de désagrégation de la société montagnarde, de croissance du poids des administrations et demultiplication des groupes sociaux ou institutionnels interve-nant en montagne ; la pratique du feu est de plus en plus sou-mise à des normes nationales ou européennes, malgré la réha-bilitation en cours depuis les années 1980.

    QQUELLESUELLES PROSPECTIVESPROSPECTIVES POURPOUR LL’’EMPLOIEMPLOI DUDU FEUFEU ??Cette évolution est de plus en plus liée à des contraintes

    extérieures :• Quelle politique agricole ? Soutien aux éleveurs ou choix

    de la « Naturalité »• Quelle sera l’évolution de l’élevage en montagne ?• Quelle évolution des milieux en contexte d’accroissement

    rapide de la biomasse et de changement climatique : dyna-mique des milieux d’altitude et reboisement, problèmed’une accentuation probable des sécheresses (tendance à

    Problématique des brûlages pastoraux dans les Pyrénées

    Descriptions d’essartages dans les Pyrénées par De Froidour(archives de la Réformation des Forêts, vers 1670)

    Photographie de défrichements pastoraux vers 1910dans la vallée de Bordes (Ariège)

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  • la méditerranéisationdu climat pyrénéen)?

    • Quels seront les choixde gestion d’une pra-tique traditionnelledont la légitimité n’aété confortée quedepuis peu? Il est clairque l’on se dirige versune technicisation etun encadrement accrude la pratique, en dépitdes efforts des agentsde développementpour la gérer au niveaulocal, sur la base dessavoirs traditionnelsadaptés. À moyenterme, on ne peut pasexclure non plus unretour à une politiquede prohibition.

    Références

    Photographie d’un essartage en Finlande vers 1920-1930 : http://www.answers.com/topic/slash-and-burn

    Galop D., Vannière B., Fontugne M., 2002. Human activities and fire history since 4 500 BC on the northern slope of thePyrenees : a record from Cuguron (Central Pyrenees, France). In Thiebault S., editor, Charcoal analysis : methodologicalapproaches, palaeological results and wood uses. Proceedings of the Second International Meeting of Anthracology, Paris,September 2000. BAR International Series 1063:43–51.

    Faerber J., 2000. De l’incendie destructeur à une gestion raisonnée de l’environnement, le rôle du feu dans les dynamiquespaysagères des Pyrénées centrales françaises. Sud-Ouest Européen n°7:69-79.

    Métailié J.-P., 1981. Le feu pastoral dans les Pyrénées centrales, éd. CNRS, 293 p.

    Rius D., Vannière B., Galop D., 2009. Fire frequency and landscape management in the northwestern Pyrenean piedmont,France, since the early Neolithic (8000 cal. BP). The Holocene 19-6:1–13.

    Vannière B., Galop D., Rendu C., Davasse B., 2001. Feu et pratiques agropastorales dans les Pyrénées-Orientales : le cas dela montagne d’Enveitg (Cerdagne, Pyrénées-Orientales, France). R.G.P.S.O. 11:29–42.

    Problématique des brûlages pastoraux dans les Pyrénées

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    Effets d’un incendie hivernal dans une pinède à crochets à Rhododendron (1989, plateau de Beille,Ariège) ; le paysage est tout à fait analogue à celui qui devait prévaloir durant les temps de la

    conquête pastorale de la haute montagne

    Périodisation des pratiques du feu et de l’arrière-plan socioculturel

  • Le déni de compétences/discrédit etles enjeux de pouvoir, de la valeurdifférentielle des techniques tradi-tionnelles et des techniques institu-tionnelles : comment lever quelques

    évidences trompeuses ?Nadine Ribet, ethnologue, ENFA Toulouse

    Je vais parler de la technique des brûlages pastoraux en insistant sur ce qui la rapproche et la distingue de latechnique du brûlage dirigé (BD), et donc ce qui distingue les éleveurs qui font des brûlages pastoraux des prati-ciens du Réseau.

    DDESES OBSTACLESOBSTACLES POURPOUR CARACTÉRISERCARACTÉRISER LALA TECHNIQUETECHNIQUE DEDE BRÛLAGEBRÛLAGE PASTORALPASTORALPratique discréditée et dénoncée comme archaïque, préjudiciable à l’environnement, à la forêt, etc. : discours

    forgé par la science agronomique et l’administration forestière au cours du XIXe siècle (cf. Kuhnoltz-Lordat, 1938,La terre incendiée).

    Si la pratique du brûlage pastoral (à feu courant) ne passe pas inaperçue, sa technicité ne saute pas aux yeux.Le brûlage à feu courant est pourtant une technique très complexe, très délicate, très longue à acquérir et à

    maîtriser, mais sa technicité est invisible aux yeux des néophytes.Que cette technicité soit invisible ne signifie pas l’absence de technicité, mais on est en présence d’une techni-

    cité que l’on ne sait pas voir et que l’on n’a pas cherché à connaître. Le jugement de l’expertise technique n’estpossible que par des experts, c’est-à-dire ceux qui ont le regard (in)formé.

    C’est surtout la technicité des praticiens traditionnels qui est invisible car pour les praticiens institutionnelsBD/FT (feu tactique) les choses sont justement différentes.

    Le statut et la reconnaissance de la possession d’une technicité sont moins liés à l’expertise de son porteur(c’est-à-dire à une capacité, une habileté, etc.) qu’à sa position sociale : « Ceux qui vont parler sans le statut quidonne poids aux paroles, savent que ce qu’ils vont dire sera sans effet. (…) Ce racisme est rarement dénoncé enparticulier parce qu’il possède cette propriété de priver ceux qui en sont victimes de la possibilité de le dénoncer. »1.

    Donc, concernant la reconnaissance sociale de la technique du brûlage à feu courant, les choses sont différentesentre praticiens traditionnels et praticiens institutionnels.

    Les raisons pour lesquelles la technicité des praticiens traditionnels est « invisible » recoupent les procédés parlesquels la réhabilitation institutionnelle du brûlage à feu courant a été possible dans le cadre du Réseau deséquipes BD.

    La technicité des praticiens traditionnels étant invisible, on assiste à leur égard à un véritable déni de compé-tences et discrédit de leurs pratiques.

    PPOURQUOIOURQUOI LALA TECHNICITÉTECHNICITÉ DUDU BRÛLAGEBRÛLAGE PASTORALPASTORAL ESTEST INVISIBLEINVISIBLE ??Répondre à cette question revient à parler des moyens par lesquels le BD a surmonté la vision péjorative du

    feu et comment le BD s’est développé au cœur des instances qui avait imposé la prohibition du brûlage à feu cou-rant : l’administration forestière, le milieu méditerranéen et l’appareil législatif.

    Paradoxe : la profession forestière et la zone méditerranéenne sont des foyers historiques de culture du brûlage(prévention ou contre-feu). Les pompiers étant d’apparition plus récente.

    Je vais en exposer les principales raisons et montrer pour chacune d’elles comment le développement duRéseau BD a été possible.

    Problématique des brûlages pastoraux dans les Pyrénées

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    1 Darré J.-P., 1999, La production de connaissance pour l’action, Paris, MSH:39, 42. (en référence à Pierre Bourdieu).

  • 1°/ Perte de culture rurale : la première raison de l’invisibilité technique des brûlages traditionnels n’est pasinhérente à la technique elle-même mais au regard qu’on lui porte. Cette première raison tient à ce que l’œil cita-din, le plus important numériquement mais aussi le plus éloigné, ne sait pas distinguer un feu contrôlé (c’est-à-direun brûlage) d’un incendie.

    L’expérience ordinaire que l’on a du feu maîtrisé s’ancre dans une situation où l’air et le combustible sont limités(cheminée, barbecue, poêle, fourneaux, etc.) et où le feu est couvant ou couvert. Or dans la nature, l’air et lecombustible sont a priori sans limites et le feu est courant (ou ouvert).

    # Le RBD : a largement insisté pour que la distinction soit faite entre BD et incendie. Pour cela, il a bénéficié d’une révolution quis’est opérée à l’échelle internationale dans l’histoire des idées : un changement de paradigme écologique à l’issue duquel le feun’est plus hors de la nature et son ennemi, mais devient un facteur naturel, régulateur de biodiversité : la forêt renaît de sescendres (cf. J.-P. Métailié).

    2°/ La deuxième raison de cette invisibilité technique se trouve dans l’absence de nom.En cherchant à caractériser une technique mal connue et peu étudiée, celle du brûlage pastoral, on en ren-

    contre d’abord une autre, l’écobuage, technique disparue en France depuis un demi-siècle, mais qui a laissé sonnom à une technique qui n’en avait pas. Si les éleveurs parlent aujourd’hui d’écobuage pour désigner leur pra-tique de brûlage des espaces pastoraux (parcours ou estives), il s’agit d’un emprunt récent à la phraséologie juri-

    Problématique des brûlages pastoraux dans les Pyrénées

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    Quelque part dans les Pyrénées La cellule BD de l’Aude

    dique et administrative, emprunt possible en l’absence d’une désignation spécifique (dans la langue générale ouvernaculaire). Faute de dénomination propre, le brûlage pastoral se voit tantôt désigné par le terme écobuage,tantôt par le générique feu, terme fort ambigu privé de connotation technique. Autrement dit, le brûlage pastoralest confondu soit avec une technique que les progrès de la chimie et du machinisme agricole ont rendue obsolèteet avec laquelle il ne partage rien hormis l’emploi du feu lorsque l’écobuage comprend une étape d’incinération,ce qui n’est pas toujours le cas ; soit il est présenté par un terme qui occulte la dimension humaine et donc tech-nique de l’action.

    Si on se penche dans le détail sur la technique d’écobuage, on découvre que le feu n’est pas au cœur de l’éco-buage. (Sur l’écobuage : Roland Portères, 1972, « De l’écobuage comme un système mixte de culture et de pro-duction », JATBA XIX(6-7):151-207 ; François Sigaut, 1975, L’agriculture et le feu, Paris Mouton ; Olivier de Serre,1600, Le théâtre d’agriculture ; Duhamel du Monceau, 1762, Éléments d’agriculture).

    Si le brûlage pastoral n’a pas de nom, il existe en revanche de nombreux termes vernaculaires pour désignerl’écobuage, ou du moins les défrichements (+ ou – temporaires) : issart, fournelage, marradek, fouéiré qui dansle Cantal désignait l’action de lever les gazons (Sigaut, 1975 :177), rompude, rôtisse ; contrairement aux appa-rences, ce dernier mot ne dérive pas du verbe rôtir mais du vieux terme routéis, routis, rotis, dérivé de route, voieouverte, frayée, briser, ouvrir un passage (du latin rupta) (Sigaut, 1975:177). En désignant le résultat obtenu ouune séquence de l’opération, le sens de la plupart de ces termes s’est étendu de la partie au tout, ou parfois inver-sement (Sigaut, 1975:17). En comparant les deux techniques, la distance qui les sépare apparaît plus clairement(cf. Ribet N., Les parcours du feu, thèse d’anthropologie, EHESS, à paraître aux Éditions Quae/MSH).

    Outre l’absence de nom, le brûlage pastoral est dépourvu d’une langue spécialisée, d’un lexique technique.Une telle pauvreté terminologique est en partie liée à la « pauvreté » de sa culture matérielle (outillage rudimen-taire) dans la mesure où dans le domaine des techniques, les termes spécialisés sont d’abord des noms d’outils oud’objets.

  • # le RBD : En rupture avec le flou lexical qui caractérisait la pratique traditionnelle, mais en filiation avec les termes anglo-saxonsvis-à-vis desquels il s’est néanmoins réservé un droit d’inventaire, le brûlage dirigé s’est imposé unanimement. L’histoire de saconstruction révèle que cette dénomination n’a pas été acquise d’emblée et qu’elle a dû s’établir à travers des tâtonnements etdes appellations concurrentes (feu prescrit, feu contrôlé, etc.). Mais son choix s’avère décisif quant à son succès. Face à l’effica-cité et à la modernité du terme brûlage dirigé, l’écobuage fait définitivement figure de « fossile ».La fortune du terme brûlage dirigé tient à une série d’effets sémantiques :1. la distance qu’il prend avec l’écobuage, 2. sa filiation avec des traditions scientifiques qui font autorité, 3. le redoublement tech-nique porté par le substantif brûlage et le qualificatif dirigé, 4. sa polyvalence, 5. l’éclipse du mot feu remplacé par celui de brû-lage qui dégage la pratique, du moins dans les termes, d’une proximité ambiguë avec l’incendie aussi appelé feu de forêt.Outre l’adoption d’un nom, la pratique institutionnelle s’est dotée d’un abondant lexique technique emprunté à la fois à l’universdu feu de forêt, aux praticiens outre-manche et à l’écologie du feu. Tout en conférant une valeur et une visibilité techniques à l’acti-vité, cette langue technique contribue à définir l’appartenance à un cercle d’initiés. Comme tout vocabulaire spécialisé, il fonc-tionne sur l’inclusion et l’exclusion entre d’une part ceux qui le partagent et d’autre part ceux qui l’ignorent.

    3°/ Les outils du brûlage traditionnel sont rares et rudimentaires : ordinaires (pelle, râteau) ouéphémères (torche ou batte végétales : branche de buis, genêt), ces rares outils sont très adaptés, mais ils ne pré-sentent pas de technicité apparente, ce qui contraste non seulement avec l’idée que l’on se fait des techniques maisaussi avec la réalité de la plupart des techniques agricoles abondamment pourvues en machines-outils.

    Pour rares et rudimentaires qu’ils soient, les outils du brûlage à feu courant assurent une efficacité techniquequi se distribue en deux fonctions : celle d’allumer et celle de contenir ou de taper le feu. Pour autant, le partagedes outils ne se fait pas entre l’allumage d’un côté et la conduite du feu de l’autre, car non seulement l’allumageparticipe pleinement du contrôle du feu, mais c’est lui qui le permet. Pour cette raison, les outils d’allumage ontconcentré l’attention et le génie inventif des praticiens. Si les outils d’allumage à proprement parler se résumentsouvent à un briquet (plus rarement des allumettes), on observe le plus souvent la confection de torches végétales,plus ou moins éphémères, à base de bourre (herbe sèche), de genêts ou de fougères. À défaut d’instruments spé-cifiques, et pour améliorer l’efficacité des torches végétales improvisées, tous les praticiens traditionnels ont bricolédes boutefeux (torches) : une rafle de maïs imbibée de gazole et fichée sur un bâton ou un paquet de ficelleenflammée au bout d’une fourche, etc.

    Or, ces outils bricolés ne semblent pas faire très sérieux à côté des outils spécialisés.

    # le RBD : le développement du BD (et du FT) s’est accompagné d’outils spécialisés dans le maniement du feu, l’équipement dupraticien, les transmissions, le travail de sape, les engins (et leur logo), et enfin dans la mesure (anémomètre, Mistraline, etc.).Comme les outils traditionnels, le matériel spécialisé de brûlage remplit deux fonctions : l’allumage et la sécurisation. Mais l’outille plus déterminant reste la drip-torch qui est devenue l’emblème du Réseau BD. L’introduction de la drip-torch va optimiser etstandardiser la culture matérielle de l’allumage. D’un point de vue technique, elle permet d’ajuster la précision et surtout lerythme de l’allumage.En quoi la drip-torch optimise-t-elle l’allumage ? Pour répondre à cette question, il n’est pas inutile de rappeler les fonctions d’unetorche dans la technique du feu courant :1. mettre le feu (de façon non dynamique), 2. le transporter (garder le feu en toute sécurité), 3. faire un allumage linéaire2, en res-tant debout, ce qui permet de se déplacer en marchant plus ou moins vite (contrairement à la position accroupie du briquet ou del’allumette).En améliorant tout cela, la drip-torch permet une précision et une rapidité d’exécution à nulle autre pareille. De fait, la drip-torchperfectionne les deux fonctionnalités visées par les procédés bricolés (boutefeux) : redresser le corps et pratiquer un allumagecontinu (en suivant). L’efficacité opératoire est consécutive à ces deux améliorations (qui ne sont pas sans retentissements tech-nique et symbolique).Dans cette culture du feu courant, l’allumage est déterminant au point que maîtriser un feu c’est d’abord savoir l’allumer ; de sorteque perfectionner l’allumage revient à perfectionner la technique dans son ensemble.

    Transfert techniqueSi l’allumage est déterminant dans la maîtrise du feu au cours d’un brûlage à feu courant, si la drip-torch amé-

    liore l’allumage, alors la diffusion de la drip-torch auprès des praticiens traditionnels représente une garantie desécurité, de maîtrise et de contrôle du feu.

    Or, on observe que les praticiens institutionnels (de France et d’ailleurs, à l’exception des Hautes-Pyrénées)s’opposent spontanément et souvent durablement à la diffusion de la drip-torch pour des motifs de sécurité et deprécaution.

    Cette opposition est techniquement absurde et socialement infondée car les individus imprudents ou mal-veillants – l’histoire nous le prouve – n’ont pas attendu la drip-torch pour provoquer des incendies. En criminolo-gie, l’ingéniosité des engins incendiaires démontre leur supériorité sur la drip-torch (engin à retardement, etc.).

    Puisque l’allumage est fondamental dans la maîtrise du brûlage pastoral (feu courant), pourquoi ne pas diffu-ser l’outil le plus performant ? Car l’outil qui garantit la sécurité et l’efficacité d’un feu courant, ce n’est pas le seau-pompe ou la batte à feu, c’est la drip-torch.

    Problématique des brûlages pastoraux dans les Pyrénées

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    2 Nous insistons sur ce procédé d’allumage linéaire parce qu’il distingue radicalement la drip-torch du briquet, car l’allumage par points ou par tâchesest tout à fait possible au briquet, même s’il est plus laborieux.

  • La question de l’emprunt technique« Un emprunt technique est facilité lorsqu’il ne nécessite pas une nouvelle attitude corporelle tandis qu’une

    modification dans l’outillage ou le mode d’emploi de celui-ci se heurte à des habitudes difficiles à modifier. »3L’adoption de la drip-torch par les brûleurs traditionnels (Hautes-Pyrénées) a été immédiate et continue de l’être

    partout où l’outil leur est présenté. Son emprunt n’a rencontré aucune difficulté dans la mesure où il n’impliquaitni un changement de culture technique (la culture sèche du feu, fondée sur la logique du feu contre le feu, placedéterminante de l’allumage) ni le dépassement des habitudes. En effet, l’attitude corporelle requise par la drip-torch ne présente aucune nouveauté mais bien plutôt une forme de perfectionnement postural déjà recherché dansles divers bricolages des instruments d’allumage (boutefeux). L’emprunt technique est ici facilité par l’optimisationde l’allumage que permet la drip-torch et par le fait que son maniement ne nécessite aucune attitude corporellenouvelle. Pour être plus spécialisée et donc plus efficace, la drip-torch n’est pas toujours ou pas nécessairementl’outil le plus adapté. En fonction du milieu physique et du groupe social, une fourche ou un râteau rempliront lesmêmes fonctions en présentant d’autres avantages : plus économiques (moins chers à l’achat, sans coût de car-burant), plus écologiques (sans traces de pétrole), plus polyvalents (confection d’un layon avec le râteau), et le caséchéant plus endurants (pas de panne sèche).

    4°/ Dans la culture matérielle du RBD, il y a des objets qu’on ne retrouve pas du tout chez les praticiens tradi-tionnels mais qui pourtant jouent un rôle primordial dans l’affirmation de la technicité : les instruments demesure.

    De ce que j’ai pu observer, les praticiens BD ne décident pas de faire un BD ni du mode opératoire au vu demesures qui seraient relevées sur la parcelle avant d’entreprendre le brûlage. Tout au plus, les valeurs relevéesavant le BD (surtout la vitesse du vent) viennent confirmer les impressions, les sensations, les perceptions empiri-quement recueillies par les praticiens et sur la base desquelles le brûlage est entrepris. Par contre, nombre demesures sont prises et consignées après le brûlage.

    Les instruments de mesure ne servent guère dans la maîtrise du feu, mais ils sont déterminants dans la visibi-lité et la crédibilité de la technique. Avec la métrise (mesure) et l’exactitude du calcul, le Réseau BD affiche uneprécision et une perfection dans l’action.

    Pourtant, si l’instrument donne de la valeur à l’acte technique, il ne garantit ni la compétence ni l’efficacité tech-nique. Mesurer la vitesse du vent avec un anémomètre n’implique pas la capacité à maîtriser le feu aux prises avecles aléas du vent. Ce qui fait dire à Bruno Latour que « les réseaux métrologiques maintiennent la supériorité dif-ficilement acquise de ceux qui comptent, dans tous les sens du terme. »4

    À quoi servent les instruments de mesure ? Ils servent moins la mise en œuvre que la mise en forme du brû-lage à travers des écrits : composés de textes, de cartes, de photos, graphiques, tableaux, diagrammes, etc., cesprocédés sont désignés comme des techniques d’inscription qui permettent la circulation de la référence. CommeBruno Latour rappelle que « le mot “référence”, emprunté à l’anglais, vient du latin referre qui veut dire “rappor-ter” »5, nous allons voir comment les praticiens institutionnels du BD ont massivement rapporté des écrits, desauteurs et des idées.

    Les techniques d’inscriptionCes procédés de rassemblement en réseau, de nomination et d’outillage n’auraient été d’aucune efficacité sans

    des procédés plus élémentaires et plus radicaux, mais aussi plus invisibles car très familiers à nos vies contempo-raines que sont les techniques d’inscription (Latour, 2006). Par le biais des techniques d’inscription (techniqueslittéraires, économie scripturaire), les valeurs des mesures confèrent de la valeur à l’action de ceux qui les publient.

    L’inscription est un « terme général qui se rapporte à tous les types de transformations par lesquelles une entitése matérialise en signe, en archive, en document, en morceau de papier, en trace. »6. Qu’on les nomme techniquesd’inscription ou technologies littéraires7, ces procédés confèrent d’énormes avantages à ceux, groupes ou indivi-dus, qui les mobilisent. Or il se trouve que les sciences et les techniques font un grand usage des procédés d’écri-ture et d’imagerie. À tel point que le prestige attribué à leur esprit, le chercheur et l’ingénieur le doivent davantageà leur position et à leurs instruments.

    En faisant « attention à ce qui est écrit » (Latour, 2006), en portant un regard ethnographique sur ces objetsméprisés que sont les dossiers, les PowerPoint, les mails, les papiers et les images qui circulent au sein et à partir

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    3 A. G. Haudricourt, cité par Bernard Kœchlin, « À propos de trois systèmes de notation des positions et mouvements des membres du corps humainssusceptibles d’intéresser l’ethnologue »:157-184.

    4 Latour B., Akrich Madeleine, Callon Michel, 2006 (1985), « Les “vues” de l’esprit… Une introduction à l’anthropologie des sciences et des techniques »,in Réimpression de Sociologie de la traduction. Textes fondateurs, Presses de l’École des Mines de Paris:35.

    5 Latour B., 2001, L’espoir de Pandore, § « Sol amazonien et circulation de la référence »:41.6 Latour B., 2001 : 328.7 Il est difficile d’identifier l’origine de l’expression « technologies littéraires » que l’on retrouve sous la plume de Charvolin F., 2003, L’invention de

    l’environnement en France:119, mais aussi de Pontille D., 2004, La signature scientifique:63. Ce dernier fait toutefois référence à Shapin & Schaffer,1993, sans qu’il nous soit possible d’attribuer l’expression à ces auteurs avec certitude.

  • du Réseau BD, on peut rendre compte des techniques d’inscription et des moyens par lesquels elles s’assurent uneefficacité sociale. Concernant les effets, le plus immédiat et le plus évident réside dans un gain d’autorité quiconfère un pouvoir capital, autrement dit une emprise sur le monde, et d’abord sur l’esprit des autres, ceux quisont critiques ou sceptiques. Pourquoi les inscriptions sont-elles aussi importantes pour les chercheurs, les ingé-nieurs, etc. ? « Les inscriptions offrent un avantage unique lors des discussions : « Vous doutez de ce que je dis ?…Vous allez voir, je vais vous montrer ! » et sans remuer de plus de quelques centimètres, l’orateur déploie devantles yeux de ses critiques autant de figures, diagrammes, planches, silhouettes qu’il en faudra pour convaincre. »

    Les figures, les diagrammes, les tableaux, les photos, les cartes, autant de systèmes d’enregistrement et decumul, qui permettent de rendre présent ce qui est lointain et constituent une formidable preuve. L’avantage deprésenter un ensemble cohérent, ramassé, quand le terrain et la réalité des faits sont confus, étendus, pleins dedétails, inintelligibles de prime abord, l’avantage est un pouvoir de convaincre.

    L’efficacité sociale de l’écrit se situe moins dans la production des connaissances que dans leur mobilisation,leur standardisation, leur circulation et leur publicisation, autant d’opérations qui permettent l’instauration d’unpouvoir. « Les chercheurs commencent à voir quelque chose et à parler avec autorité quand ils arrêtent de regar-der la nature et qu’ils collent leur œil obstinément à des inscriptions plus simples. Eh oui, plus simples… Des objetslointains en trois dimensions, rien ne peut être dit. On ne peut parler sérieusement, c’est-à-dire être cru pard’autres, que si l’on commence à se pencher sur des objets aplatis, écrits dans le même langage et qui se peuventcombiner l’un l’autre. » (Latour, 2006)

    Ce que font les techniques d’inscription (ce que sont les pratiques de la science) :• mobiliser : rassembler des états du monde en un lieu ;• fixer immuablement les formes : aux termes de quelques procédés (chloroforme, gélatine, résine époxy, etc.),

    la nature de l’espace-temps se trouve modifiée ;• aplatir : il n’y a rien que l’homme soit capable de vraiment dominer : tout est tout de suite trop grand ou trop

    petit pour lui, trop mélangé ou composé de couches successives qui dissimulent au regard une vue d’ensem-ble => une feuille de papier, une diapo (ppt) se domine du regard ;

    • varier l’échelle : technique qui permet de dominer l’infiniment petit et l’infiniment grand. « L’esprit necommence à voir quelque chose qu’à partir du moment où le phénomène occupe un ou deux mètres carréset se compose d’une centaine de signes (c’est aux psychologues de la cognition de nous donner la limite pré-cise) (…) À ce titre la “vie courante” peut se distinguer assez facilement des laboratoires. On n’y est pas plusbête, mais les objets n’y sont ni aplatis ni homogénéisés. » ;

    • recombiner et superposer les traces : l’avantage énorme des inscriptions assemblées, fixées, aplaties, etramenées à la même échelle, c’est de pouvoir être battues comme un jeu de cartes, recombinées à loisir etsurtout superposées l’une à l’autre ;

    • incorporer l’inscription dans un texte ;• fusionner avec les mathématiques.

    Parce qu’elles affectent une primauté sur l’oralité qui caractérise les savoirs traditionnels, nous allons examinerquelques-unes des techniques d’inscription qui ont fait la fortune du brûlage dirigé et lui procurent aujourd’hui denombreux avantages sur les pratiques traditionnelles de brûlage à feu courant. Les fondateurs du Réseau BD nes’y trompent d’ailleurs pas lorsqu’ils proposent de distinguer le brûlage dirigé du brûlage pastoral en définissant cedernier comme une « opération non documentée d’incinération de végétaux sur pied réalisée par l’éleveur lui-même sans faire appel à la cellule technique de brûlage dirigé. »8 Sans document point d’argument, encore moinsde preuve !

    Examinons les matérialisations auxquelles les techniques d’inscription du RBD ont donné lieu, car si le brûlagepastoral est une opération non documentée, la pratique institutionnelle a élaboré quant à elle bon nombre de docu-ments. Les documents produits par le RBD, par le biais des techniques d’inscription sont les «agents silencieux »9 del’institutionnalisation du brûlage dirigé ; il lui confère un pouvoir d’accumulation et de normalisation : charte, fichesINRA, base de données BDsystème, comptes rendus des Rencontres, articles, Cd-rom, DVD, PowerPoint, etc.

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    8 Rigolot É., Lambert B., 1998, Landes oro-méditerranéennes : brûlage dirigé et pâturage dans les landes à genêt purgatif:56. Souligné par moi.9 Selon l’expression de Michel de Certeau, 1987, Histoire et psychanalyse entre science et fiction:37, à propos de l’effort de Michel Foucault pour nom-

    mer les « mécanismes » de surveillance et de pouvoir dont Surveiller et punir fait l’analyse.

  • CCARACTÉRISTIQUESARACTÉRISTIQUES DESDES COMPÉTENCESCOMPÉTENCES TECHNIQUESTECHNIQUES REQUISESREQUISES PARPAR LALA MAÎTRISEMAÎTRISE DD’’UNUNBRÛLAGEBRÛLAGE ÀÀ FEUFEU COURANTCOURANT ((BRÛLAGEBRÛLAGE DIRIGÉDIRIGÉ OUOU CONTRECONTRE--FEUFEU))Processus techniquesJe ne vais pas détailler ni même m’attarder sur la description des processus techniques que vous connaissez

    bien. Ils sont essentiellement gouvernés par trois aspects :1. l’un temporel concerne la saison, la fréquence et le moment propice au brûlage, 2. l’autre spatial revêt des

    caractéristiques juridiques (statut et usage), agronomiques, orographiques, pédologiques et écologiques, 3. le der-nier aspect intègre les deux précédents à travers la préparation et la conduite du brûlage puisque le procédé et lerythme d’allumage déterminent le contrôle du feu et son régime pour l’effet attendu.

    Le détail de ces modalités techniques permet de faire le partage entre incendie et brûlage, et donne à mesurerles connaissances et les habiletés requises pour rester maître du feu.

    Compétences techniques : dimension cognitive de l’action techniqueFormuler le projet de caractériser les techniques de brûlage, revenait à cerner des compétences qui reposent

    moins sur l’habileté à manier des outils que sur la capacité à conjecturer.Les techniques du brûlage à feu courant placent l’être humain dans un rapport de force qui a priori ne lui est

    pas favorable. Les praticiens évoluent dans un contexte mouvant, instable et incertain sous l’influence des aléasmétéorologiques et du comportement du feu. Le rapport établi avec ces éléments relève moins de l’adversité quede la familiarité fondée sur la répétition et l’expérience.

    Aussi, la « pauvreté » de la culture matérielle se trouve largement compensée par la prépondérance d’uneculture des sens fondée sur la vision et la capacité à conjecturer ou l’intelligence du moment opportun (le kairos).

    Une culture des sens : Savoir voir : lecture du feu et des lieuxL’analyse minutieuse du déroulement des opérations de BD ou de contre-feu met en exergue l’importance de

    l’allumage. Or la capacité à contrôler un brûlage n’est pas dans le coup de poignet qui manipule la torche maisdans le coup d’œil. Alors que l’essentiel est invisible aux yeux du néophyte, voir et avoir vu sont les compétencesindispensables au praticien pour prévoir, c’est-à-dire délibérer et agir de manière opportune et appropriée.

    Parce que le comportement du feu tend aux praticiens un miroir des effets de leur action, il faut l’observer pouren déduire les choix à faire. Par l’observation, l’attention et la vigilance, le comportement du feu fournit des signespour l’action.

    L’étude des compétences révèle que la vision est au cœur du savoir technique. Or, la vision ne relève pas d’unsimple exercice du sens visuel, qu’il faut par ailleurs très affûté, mais d’une capacité intellectuelle toute particulière.Voir ne signifie pas seulement observer en vision instantanée, mais tenir une vision diachronique qui établit descomparaisons entre des situations vécues antérieurement et celle de l’action. La vision diachronique procèded’une activité mémorielle et cognitive, car il faut avoir vu pour savoir voir.

    Le moment opportun : le kairosSavoir voir et anticiper les moments critiques dans le déroulement du brûlage, c’est aussi savoir saisir le

    moment opportun pour agir. Le praticien expérimenté a une intuition, c’est-à-dire une vue nourrie par l’expé-rience. Appliqué aux réalités mouvantes, « on entend reconnaître des lieux, des moyens, des moments opportuns ;et cette connaissance devient la clef d’une action efficace. » « Les Grecs ont un nom pour désigner cette coïncidencede l’action humaine et du temps, qui fait que le temps est propice et l’action bonne : c’est le χαιροσ [kairos], l’occa-sion favorable, le temps opportun. »10

    Seule une très grande attention aux événements et aux changements, associée à une capacité d’agir vite (deréagir), permet de saisir l’occasion. C’est moins une manière de faire advenir des circonstances favorables qued’être capable de les anticiper, de les voir et de s’en emparer. Cet art de l’opportunité se déploie à travers deuxtypes de temporalité : le temps court de la réaction et le temps long de l’expérience. En effet, réagir dans l’instant,être prompt à agir efficacement suppose des délibérations antérieures (ré)actualisées immédiatement. Des inscrip-tions mnésiques renseignent les perceptions d’une situation nouvelle et l’action à entreprendre. « Kairos est en faitlié à un certain type d’intelligence portant sur le contingent (…) »11 dont l’instrument le plus sûr en dernière ins-tance est le corps. La technique du contre-feu est une technique de pilotage qu’il faut apprendre par corps.

    La capacité à conjecturer est une compétence qui n’est pas spectaculaire ; d’où l’invisibilité de la technicité etla difficulté à l’acquérir.

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    10 Aubenque P., 2002 [1963], La prudence chez Aristote, PUF, Quadrige:97.11 Trédé M., 1992, Kairos : L’à-propos et l’occasion, Éditions Klincksieck:18.

  • PPOURQUOIOURQUOI SS’’ INTÉRESSERINTÉRESSER AUXAUX TECHNIQUESTECHNIQUES TRADITIONNELLESTRADITIONNELLES ? Q? QUELSUELS ENJEUXENJEUX ÀÀ LESLESDIFFUSERDIFFUSER, , ÀÀ FACILITERFACILITER LEURLEUR ADAPTATIONADAPTATION// INTÉGRATIONINTÉGRATION ??Maintenant que le RBD est reconnu dans son utilité et son efficacité (avec reconnaissance du feu comme opé-

    rateur écologique, sa pertinence par rapport au gyrobroyage : économique, réduction combustible, etc.), une deses missions pourrait consister à faciliter l’amélioration, l’adaptation et la diffusion/transmission de la pratique tra-ditionnelle. Leur sort est lié dans la mesure où :

    • les praticiens traditionnels sont les plus nombreux et les plus permanents sur le territoire ;• les praticiens traditionnels jouent un rôle de prévention : leurs actions quotidiennes (pâturage, brûlage, net-

    toyage, etc.) réduisent le combustible de manière significative ;• les praticiens traditionnels possèdent, à titre privé ou collectif, beaucoup de surfaces de lande et même de

    forêt (parfois ils ont seulement un droit d’usage, mais cela leur procure un sentiment de propriété et donc delégitimité sur ces territoires) ;

    • en conséquence, même si elle est légale, l’intervention des praticiens spécialisés peut être perçue comme illé-gitime et être contestée ;

    • les usages traditionnels du feu peuvent toujours basculer dans la clandestinité ;• aussi efficaces qu’elles soient, les équipes de spécialistes (BD) ne pourront sans doute jamais assurer tous les

    besoins en brûlage ;• est-il légitime qu’elles le fassent ?

    Différence de crédit entre savoirs traditionnels et savoirs technico-scientifiques : « Si l’on admet l’hypothèse queles savoirs et les compétences que les agents de développement ont pour mission d’introduire sont préférables(parce que plus efficaces, plus rentables, plus productifs, etc.) que les savoir-faire et compétences en place, ilsemble de bon sens de s’intéresser néanmoins à ces derniers pour comprendre comment le processus de transfertpeut s’opérer au mieux. On voit mal comment l’introduction de nouvelles techniques agropastorales pourrait fairel’économie d’une prise en considération des techniques agropastorales “déjà-là”, autrement dit des savoirs agro-nomiques, botaniques, écologiques et pédologiques paysans sur lesquels reposent ces techniques, et descontraintes auxquelles elles font face. »12 Et Olivier de Sardan de préciser que l’hypothèse initiale n’est pas toujourset même pas souvent vérifiée. En revanche elle est toujours et implicitement admise.

    D’un certain point de vue, faire l’économie de la connaissance des savoirs traditionnels constitue la premièrejustification (et mystification) de l’entreprise de développement, parce que « les savoirs techniques populaires res-tent peu connus de l’ensemble des opérateurs de développement, et en particulier des agents de développementde terrain qui se partagent, à leur égard, entre l’ignorance et le mépris »13.

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    12 Olivier de Sardan J.-P., 1995, Anthropologie et développement:143-144.13 Olivier de Sardan J.-P., ibid.:144.

  • La place de l’élevage en Ariègeet la politique pastorale vis-à-vis du feu

    François Régnault, technicien à la Fédération Pastorale de l’Ariège

    La Fédération Pastorale de l’Ariège est une association regroupant éleveurs et élus autour de la question dudéveloppement du pastoralisme ariégeois.

    I QI QUELQUESUELQUES ÉLÉMENTSÉLÉMENTS CLÉSCLÉS DUDU CONTEXTECONTEXTE DÉPARTEMENTALDÉPARTEMENTALRappelons quelques caractéristiques du département, qui peuvent éclairer cet exposé.

    1. L’Ariège : un département montagnardLe département de l’Ariège s’étend de la bordure sud de la plaine toulousaine aux sommets des Pyrénées. Au

    sud il est frontalier avec l’Espagne et la Principauté d’Andorre ; à l’ouest, avec le département de la Haute-Garonne ; à l’est, avec les départements de l’Aude et des Pyrénées-Orientales.

    La montagne, qui couvre une très large moitié sud du département, a une influence prépondérante sur sescaractéristiques socio-économiques. Le département présente une dénivelée importante entre la basse plaine del’Ariège au nord du département (214 m) et la Haute Chaîne (3 143 m à la Pique d’Estats).

    2. L’Ariège : un département peu peuplé et marqué par un fort exode ruralLe XVIIIe siècle marque pour l’Ariège, comme pour tous les départements ruraux français, le début d’une crois-

    sance démographique rapide. Amélioration de l’hygiène, de l’alimentation et retour à la paix se conjuguent pourfavoriser le développement des campagnes dans une France très rurale. L’agriculture et les mines donnent du tra-vail à une population qui atteint son pic au milieu du XIXe siècle. Hélas les ressources alimentaires de la montagnesont faibles, la famine revient avec la maladie de la pomme de terre (1845-1851) et l’épidémie de choléra la suitde près (1854). Durant la même période, le contexte socio-économique évolue, entraînant la fermeture des forgesà la catalane, supplantées par l’industrie sidérurgique, en 1884. L’attraction urbaine augmente et de nombreuxAriégeois quittent les Pyrénées pour Toulouse ou Paris. D’autres se laissent séduire par l’aventure coloniale ourejoignent les États-Unis. L’émigration est en marche, elle durera jusqu’aux années 1970. En un siècle le départe-ment perd la moitié de sa population : 270 000 habitants en 1850 et à peine plus de 135 000 habitants en 1982.

    En montagne, le phénomène est exacerbé. Ainsi entre 1846 et 1999, la population du canton de Vicdessospasse de 9 500 à 1 500 habitants. L’effet est encore plus visible sur l’activité agricole, puisque dans ce même can-ton, entre 1872 et 2000, on passe de 1 850 à 30 exploi-tations agricoles. Si l’on considère qu’il y a un siècle etdemi, une exploitation comptait 3 à 4 actifs, etqu’aujourd’hui elle n’en compte plus qu’un ou deux, oncomprend le manque cruel de main-d’œuvre dans cesecteur d’activité. Du côté des troupeaux, on passe dansla même période de presque 2 000 à 50 bovins, et de18 000 à moins de 3 000 ovins.

    Dans ce contexte où l’espace agricole a été conquis parl’homme