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JEUNESSE DU SYSTÈME SOLAIRE L ’étude des proportions des isotopes (lire encadré 1) dans la nature prend son essor à partir des années 1950, dans la foulée des progrès de la physique atomiste du début du XX e siècle et du développement des spectromètres de masse, qui permettent des identifications fines des masses des atomes présents et de leurs isotopes. C’est sous l’impulsion de scientifiques comme Harold Urey, Prix Nobel de chimie 1934 pour la découverte du deutérium en 1932, que la géochimie isotopique devient une science à part entière. Jusqu’à la fin des années 1960, cette science nouvelle étudie tous azimuts les matériaux disponibles au laboratoire, y compris les météorites. Mais c’est à partir de 1969, avec le retour des échantillons Apollo (382 kg de roches lunaires rapportés en 6 missions) et dans une moindre JÉRÔME ALÉON Centre de spectrométrie nucléaire et spectrométrie de masse, université Paris-Sud (Orsay) JEUNESSE DU SYSTÈME SOLAIRE L’horloge isotopique des météorites 14 - l’ASTRONOMIE – Mai 2012 ZOOM

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  • ZOOM JEUNESSEDU SYSTÈME SOLAIRE

    L ’étude des proportions des isotopes (lireencadré 1) dans la nature prend son essor àpartir des années 1950, dans la foulée desprogrès de la physique atomiste du début duXXe siècle et du développement des spectromètresde masse, qui permettent des identifications finesdes masses des atomes présents et de leursisotopes. C’est sous l’impulsion de scientifiquescomme Harold Urey, Prix Nobel de chimie 1934pour la découverte du deutérium en 1932, que lagéochimie isotopique devient une science à partentière. Jusqu’à la fin des années 1960, cettescience nouvelle étudie tous azimuts les matériauxdisponibles au laboratoire, y compris les météorites.Mais c’est à partir de 1969, avec le retour deséchantillons Apollo (382 kg de roches lunairesrapportés en 6 missions) et dans une moindre

    JÉRÔME ALÉON Centre de spectrométrie nucléaire et spectrométrie de masse,université Paris-Sud (Orsay)

    JEUNESSEDU SYSTÈME SOLAIREL’horlogeisotopiquedes météorites

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  • Les éléments chimiques qui composent lamatière existent dans la nature avecdifférentes variantes nucléaires. Chaqueatome comporte un certain nombred’électrons chargés négativement et peumassifs qui lui confèrent ses propriétéschimiques et le définissent en tantqu’élément. Ces électrons gravitent autourd’un noyau constitué de protons et deneutrons, plus massifs. Les protons sontchargés positivement et leur nombre estégal au nombre d’électrons pour assurer laneutralité électrique de l’atome. Les

    neutrons ne sont pas chargés et leur masseavoisine celle du proton. Les isotopessont les différentes variantes d’unélément dont le nombre de neutronsn’est pas le même. La principaledifférence entre différents isotopes d’unmême élément est donc leur masse,couramment exprimée en nombre demasse atomique, qui est le nombre denucléons (protons + neutrons). Selon leurnombre de neutrons, certains sont stablesdans le temps, d’autres se désintègrentspontanément, ils sont radioactifs.

    1. Des sondes nucléaires de la matière

    Exemple des isotopes de l’hydrogène. Trois isotopes de l’hydrogène sontreprésentés avec leurs électrons (e) et leur noyau constitué de protons (p) et deneutrons (n). Les isotopes notés 1H et 2H (également noté D) sont stables, l’isotope 3Hcomporte trop de neutrons par rapport aux protons pour être stable, il se désintègrespontanément. Tous n’ont qu’un électron et un proton, ce sont bien des atomesd’hydrogène. Lors de la désintégration de 3H, le neutron excédentaire conduit à laformation d’un proton et d’un électron. Le nouvel atome possède deux protons et deuxélectrons, ses propriétés chimiques sont donc différentes, c’est un atome d’hélium noté3He. Le temps nécessaire pour que la moitié des atomes de 3H soit convertie en 3Heest appelé la demi-vie, elle vaut 12,32 ans.

    mesure la chute spectaculaire de la météorited’Allende (météorite primitive de 2 tonnestombée au Mexique le 8 février 1969, fig. 1),que certains géochimistes se spécialisent dansl’étude isotopique des matériauxextraterrestres et en particulier des météorites.Très vite, il apparaît que ces matériaux sonttrès anciens et sont des reliques des premièresphases de formation du Système solaire. Bonnombre d’éléments y montrent descompositions isotopiques « exotiques »,souvent qualifiées d’anomalies parcomparaison avec ce que l’on mesure dans lesroches terrestres. Ces anomalies signent desprocessus physico-chimiques inconnus surTerre et l’on sait maintenant qu’elles sont duesà des processus astrophysiques à l’œuvre lorsde la naissance du Soleil et de ses planètes. Lacosmochimie isotopique est née.Cet article décrit l’histoire de la formationplanétaire telle qu’elle est enregistrée parl’horloge des isotopes radioactifs. Un articleultérieur présentera les réservoirs de matièremis en jeu et les processus astrophysiquesenregistrés par les isotopes stables.

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    Les isotopes du plomb et l’âge du Système solaireL’information la plus directe et la plus fondamentale que l’on puisseextraire des météorites à l’aide de leur composition isotopiqueest très probablement leur âge de cristallisation extrêmementancien. Il existe de nombreux systèmes isotopiquespermettant de mesurer précisément l’écoulement dutemps grâce à la désintégration d’un isotope pèreradioactif en un isotope fils stable (fig. 2), le systèmeuranium-plomb étant certainement le plus utilisé engéosciences pour dater la formation des roches.C’est un double chronomètre qui utilise ladécroissance de 238U en 206Pb (demi-vie de4,47 milliards d’années) conjointement à ladécroissance de 235U en 207Pb (demi-vie de704 millions d’années), tous deux par unechaîne d’émissions successives de noyauxd’hélium-4 (4He).C’est en 1956 que Clair Patterson publiepour la première fois l’âge du Systèmesolaire mesuré à l’aide des isotopes duplomb dans la météorite de fer de CanyonDiablo (fig. 3), ramassée au fond du MeteorCrater en Arizona. Il obtient un âge de4,55 milliards d’années avec une incertitude de70 millions d’années. 56 ans après la publication de cerésultat majeur, les progrès de la mesure des isotopes duplomb ont permis d’établir que les inclusions réfractaires desmétéorites non différenciées sont les premières roches forméesdans le Système solaire, il y a 4,567-4,568 milliards d’années(encadré 2). Étant les objets les plus anciens du Système solaire,leur instant de formation est pris comme temps zéro.L’incertitude sur cet âge est maintenant inférieure au milliond’années. À l’exception des météorites martiennes et lunaires

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    1. Météorite d’Allende. La photographie montre l’une des milleet une pierres trouvées aux abords du village d’Allende auMexique en 1969 et résultant de la fragmentation du bolidedans l’atmosphère. La pierre montrée ici fait approximativement9 cm de large. © Museum national d’histoire naturelle, Paris.

    2. Principe de la datation à l’aide de ladécroissance radioactive. La période écouléedepuis la formation de l’objet peut être déterminéegrâce à la quantité d’isotope fils (radiogénique)produit par désintégration du père tout enconnaissant la période de désintégration (i. e. lademi-vie). Pour cela, il est nécessaire de connaîtrela quantité initiale de fils que l’on détermine àl’aide du rapport entre l’isotope fils et un autreisotope stable non radiogénique de l’élément fils.Pour un système à demi-vie comparable ou pluslongue que l’âge du Système solaire (ex. 238U), le père est toujours présent et peut être mesuré.Pour un système à demi-vie courte (ex. 26Al), lepère n’existe plus et il est nécessaire de connaîtreen plus les proportions père-fils initiales. La courbedu bas montre l’évolution de la quantité de 26Aldans le Système solaire, depuis le temps 0(formation des inclusions réfractaires) jusqu’aumoment où la quantité de 26Al devient trop faiblepour être mesurée. Alors que la formation desinclusions réfractaires est un processus court, leschondres se forment sur un laps de temps pluslong. La formation des chondres culmine 1 à2 millions d’années après le temps 0, mais certainschondres dépourvus de 26Al se forment plus tard(par exemple les chondre de la comète Wild-2).

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    qui possèdent des âges de cristallisation plus jeunes,témoignant ainsi de l’activité géologique de Mars

    et de la formation de la Lune, toutes les autresmétéorites ont des âges U-Pb en accord avec uneformation dans les dix premiers millions d’années

    du Système solaire. Les observationsastronomiques des étoiles jeunes indiquent que

    le Soleil était à cette époque une proto-étoile,c’est-à-dire une étoile jeune n’ayant pas

    encore atteint la séquence principaledu diagramme couleur-luminosité deHertzsprung-Russell, son état actuel.

    Le Soleil jeune étaitprobablement entouré d’undisque de poussières et de gazs’accrétant sur l’étoile commeon l’observe autour des

    étoiles T Tauri (étoiles jeunesde type solaire) grâce en

    3. Météorite de fer de CanyonDiablo. Bloc d’environ 60 cm delarge, soit 300 kg. © Muséum

    national d’histoire naturelle, Paris.

    Les météorites peuvent être globalement séparées en deux grandsgroupes. On distingue d’une part les météorites issues de corpsparents non différenciés, c’est-à-dire formés directement paragrégation de la poussière présente dans le disque protoplanétaire duSoleil jeune. Elles sont appelées chondrites car elles contiennent deschondres, des billes de roches fondues dans le vide par desévénements de haute température (> 1800 K) très brefs.Elles contiennent également des inclusionsréfractaires formées dans les régions interneschaudes du disque à une température del’ordre de 1 500 à 1 700 K par condensation d’un gaz de composition chimique identique à celui de la photosphère du Soleil. Ces composantsmillimétriques à centimétriques sont cimentésdans une matrice non fondue de poussièremicrométrique à nanométrique. Le métal deschondrites est présent dans la matrice et dansles chondres principalement, mais aussi dans certainesinclusions réfractaires. Les chondrites sont elles-mêmes divisées en plusieurs familles et sous-familles.

    Le second grand groupe de météorites contient lesmétéorites issues de la fragmentation de corpsdifférenciés, c’est-à-dire ayant subi une ségrégationdes roches et du métal en couches concentriques, unestructure analogue à celle de la Terre avec un noyaumétallique, un manteau et une croûte rocheux, silicatés.

    Au total, on compte actuellement plus de 50000 météorites groupéespar affinités minéralogiques, chimiques et isotopiques en près de 70 familles différentes. La plupart des météorites sont des fragmentsd’astéroïdes et sont des reliques des planétésimaux formés dans lespremiers millions d’années du Système solaire, mais certainesmétéorites différenciées proviennent de la Lune et de Mars.

    2. Les météorites et leurs composants

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    particulier aux télescopes spatiaux commeHubble (fig. 4). L’essentiel des matériauxplanétaires se sont formés et accrétés ausein de ce disque protoplanétaire qui sedissipe au bout d’une dizaine de millionsd’années. La méthode U-Pb est une mesurequi, du fait de demi-vies comparables à l’âgedu Système solaire, est particulièrementadaptée à une datation absolue de saformation. Cependant, ces longues demi-vies ne sont pas adaptées à la résolution finedes premières étapes d’évolution duSystème solaire, et d’autres méthodeschronologiques spécifiques aux météoritesont été développées pour comprendre cesétapes en faisant appel à des radioactivités à courte période comme celles del’aluminium-26 (26Al) ou de l’hafnium-182(182Hf) décrites ci-dessous.

    26Al, du milieu interstellaire aux océans magmatiquesLes étoiles jeunes se forment pareffondrement gravitationnel d’un cœurdense, une région très froide au sein d’unnuage moléculaire du milieu interstellaire.Le Soleil n’a probablement pas faitexception à la règle et, rapidement, lesscientifiques ont cherché dans lesmétéorites des traces de l’environnementgalactique dans lequel le Soleil est né et destraces du mécanisme ayant déclenchél’effondrement du cœur dense parent du

    Système solaire. Le Soleil est-il né encompagnie d’étoiles très massives de type Oou B ? Dans quelle mesure l’explosion ensupernova(e) de telles étoiles ayant unedurée de vie très courte a-t-elle pu avoir unrôle dans la formation du Système solaire ?Cette recherche a mené en 1977 une équipesino-américaine à la mise en évidenced’aluminium-26 (26Al) dans le Système solairejeune.26Al est un radioélément à vie courte (demi-vie de 737000 ans), produit efficacement lorsde la nucléosynthèse stellaire et en plusfaible quantité par irradiation par les rayonscosmiques. Il décroît en 26Mg avec émissiond’un positon. La mesure de deux isotopesstables du magnésium (26Mg et 24Mg) dansune inclusion réfractaire d’Allende, parTyphoon Lee et ses collaborateurs duCalifornia Institute of Technology, a révéléune corrélation directe entre le rapport 26Mg/24Mg et le rapport Al/Mg, uneobservation qui traduit la présence de 26Aldans l’inclusion au moment de sa formationdans une proportion de ~5.10–5 par rapportau 27Al stable. L’enrichissement en 26Mg parrapport à sa valeur solaire normale s’expliquealors par la décroissance de 26Al présent àl’origine. De nombreuses études d’inclusionsréfractaires ont par la suite montré laprésence systématique de 26Al au momentde leur formation et le rapport 26Al/27Al initialdu Système solaire est actuellement estimé à

    5,23.10–5. Plusieurs modèles astrophysiquesont été proposés pour expliquer cetteprésence de 26Al dans le Système solairejeune, incluant la production dans différentstypes d’étoiles ayant pu ensemencer (oudéclencher?) sa naissance (supernova, étoilegéante de la branche asymptotique dudiagramme de Hertzspung-Russell, étoilefugueuse supermassive de Wolf-Rayet…).Une production par des rayons cosmiques(galactiques et produits par le Soleil jeunealors 100000fois plus actif) a aussi étéproposée, mais cette hypothèse ne permetpas de produire 26Al en assez grandequantité. Un scénario récent de formationséquentielle d’étoiles propose que le Soleilsoit une étoile de troisième génération,formée dans la coquille d’éjecta d’unesupernova elle-même issue d’une secondegénération d’étoiles toutes formées suite àl’effondrement de la même région du nuagemoléculaire parent…La présence de 26Al en abondance dans leSystème solaire jeune a plusieursimplications extrêmement importantes : s’ilest distribué de façon homogène dans leSystème solaire (ce qui est maintenantadmis par la plupart des cosmochimistes), sa courte demi-vie en fait un chronomètrepertinent pour dater les évènements ayanteu lieu dans les 3 ou 4 premiers millionsd’années après la formation des inclusionsréfractaires. Ainsi, la mesure des isotopes du

    4. Disque protoplanétaire autourd’une étoile jeune de type solaire.Vue d’artiste. © Nasa.

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  • 5. Noyau de la comète Wild-2 (5 km) vue par lasonde Stardust. Le 2 janvier 2004, Stardust croisela comète et collecte quelques milliers demicrograins à 240 km du noyau. La compositionisotopique de ce matériau a été mesurée pardifférents laboratoires dès le retour de la sonde enjanvier 2006. © NASA

    6. Schéma de principe de la ségrégation du noyau au cours de la différenciation planétaire et de sa datation par laméthode Hf-W. Au cours de l’étape 1, la roche non différenciée contient la totalité de l’hafnium et du tungstène du système.Lorsque la température atteint le point de fusion du fer, le noyau se forme rapidement par percolation par densité (étape 2, pointd’intersection sur la courbe). Par la suite (étape 3), Hf part dans le manteau et W dans le noyau, le 182W produit par décrois-sance de 182Hf (182W) n’est plus produit que dans le manteau, le rapport isotopique de W cesse de croître dans le noyau.

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    Mg montre que les chondres, les constituants principaux des chondrites, se sontformés 1 à 2 millions d’années après les inclusions réfractaires (voir la courbefig. 2). Les fragments de chondres dépourvus de 26Al découverts parmi leséchantillons de la comète Wild-2 (fig. 5) ramenés par la mission Stardust en 2006(en faisant ainsi un membre de la grande famille des chondrites) ont été formésdans les régions internes du disque protoplanétaire après la décroissance de 26Al(plus de 3 millions d’années), ce qui indique que les comètes de la famille deJupiter sont parmi les objets les plus jeunes accrétés dans le Système solaire. Par ailleurs, la datation des achondrites basaltiques à l’aide des isotopes du Mgrévèle que ces roches ont cristallisé dans des océans magmatiques issus de lafusion pratiquement totale du manteau silicaté de micro-planètes différenciéespas plus tard que 3 à 4 millions d’années après la naissance du Soleil.

    Hafnium, le père qui aime les roches, Tungstène, le fils qui aime le métal et les premiers noyaux planétairesLa chaleur dégagée par la décroissance de 26Al dans les roches est le moteurprincipal de la fusion des roches dans les micro-planètes de plus d’une dizaine dekm de diamètre, les planétésimaux. Les premiers planetésimaux formés, riches en26Al, ont vu leur température interne croître très vite jusqu’au point de fusion dufer, qui a alors pu percoler par densité et s’accumuler au cœur des planétésimaux,leur donnant ainsi une structure en couches, analogue à celle de la Terre avec unnoyau métallique et un manteau rocheux silicaté (fig. 6). Ce scénario a trouvé uneconfirmation éclatante avec le développement de la radiochronométrie hafnium-tungstène. 182Hf se transforme en 182W, stable, avec une demi-vie de 8,9 millionsd’années. L’affinité de l’hafnium pour les roches silicatées (on dit que c’est unélément lithophile) et l’affinité du tungstène pour le métal (on dit que c’est unélément sidérophile) font du système Hf-W un traceur idéal pour dater le momentauquel le noyau métallique s’est séparé du manteau silicaté lors de ladifférenciation planétaire (fig. 6).

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    7. Chronologie de formation duSystème solaire telle qu’elle estdéduite des mesuresisotopiques dans les météoriteset les matériaux planétaires. Les processus de formationplanétaire sont extrêmementrapides, la vitesse de formationd’une planète est typiquement dumême ordre de grandeur que laformation d’une chaîne demontagnes sur Terre (ex. l’âgedes Alpes est d’environ35 millions d’années). Ainsi, laradioactivité de l’iode-129 (129I)qui décroît en xénon-129 (129Xe)permet d’évaluer l’âge del’atmosphère terrestre i. e. la finde la formation de la Terre, unâge récemment réévalué àenviron 50 millions d’années. Lesestimations par la méthode Hf-Wde l’âge de l’impact géant ayantdonné naissance à la Lune varientde 30 à 80 millions d’annéesaprès le temps 0.

    Bien que la présence de 182Hf dans leSystème solaire précoce soit connue depuisle début des années 1990, c’est en 2005 queThorsten Kleine et ses collaborateurs deMayence et Cologne en Allemagne datentpour la première fois simultanément desmétéorites de fer et des inclusionsréfractaires en mesurant les isotopes du W.Ils montrent alors que les météorites de fersont les objets planétaires les plus anciensdu Système solaire. Elles sont issues deplanétésimaux ayant acquis un noyau dansles deux premiers millions d’années suivantla formation des inclusions réfractaires,impliquant l’accrétion de corps de rayoncompris entre 10 et 100 km au cours dupremier million d’années, un processus bienexpliqué par une accrétion « boule deneige » conduisant à la formationd’embryons planétaires de la taille de Marsou de la Lune au bout de quelques millionsd’années. La détermination précise récentedu rapport élémentaire Hf/W des météoritesmartiennes suggère ainsi que Mars est unde ces embryons planétaires, qui auraitacquis l’essentiel de sa masse en moins de5 millions d’années, en accord avec lessimulations dynamiques qui suggèrent quela migration de Jupiter a pu empêcher Marsde finir sa croissance. Les datations Hf-W ontrévolutionné la chronologie du Systèmesolaire puisqu’elles ont montré que les corpsles plus évolués sont finalement les plusprécoces alors que les corps les plus primitifssont les plus tardifs (fig. 7) !

    La cosmochimie isotopique,une science d’avenirDe nombreux chronomètres isotopiques quin’ont pas été abordés ici ont permisd’apporter d’autres précisions au scénarioexpliqué dans ses grandes lignes (commepar exemple 53Mn ou 129I). L’étude isotopiquedes reliques de la naissance de notreSystème solaire est une science qui a déjàcontribué à de nombreuses découvertes, eton pourrait se demander si une telleapproche sera encore utile une foisl’exploration de tout le tableau périodiquedes éléments terminée. Néanmoins, l’étudeisotopique de la matière extraterrestre aprobablement encore de beaux jours devantelle. Le raffinement constant des méthodesde mesure, qui amène à une précision sanscesse croissante, a parfois des conséquencesinattendues pouvant conduire à renverserune théorie, comme l’a par exemple montrél’amélioration des mesures isotopiques dutungstène. La résolution spatiale croissantedes analyses est aussi un facteur de progrèset de découvertes.De plus, si chaque météorite est un objetunique qui apporte son lot d’informationssur le Système solaire jeune, l’utilisation deméthodes isotopiques bien rodées permetune révolution scientifique à pratiquementchaque retour d’échantillons spatiaux,comme l’ont montré les résultats desmissions Stardust (comète Wild-2), Genesis(vent solaire) ou dernièrement Hayabusa(astéroïde Itokawa). Il reste à souhaiter que

    les missions de retours d’échantillonsredeviennent une priorité dans les années àvenir tant leur valeur scientifique estimportante. Enfin, les signatures isotopiquesobservées restent très souvent incomprisesou mal comprises du fait de laméconnaissance des processusastrophysiques en jeu, et la compréhensiondes objets naturels ne pourra se fairequ’avec un couplage étroit avecl’expérimentation en laboratoire et lamodélisation astrophysique. J. Aléon ■

    PUBLICATIONS MAJEURES

    1956C. C. Patterson, Geochimicaet Cosmochimica Acta,mesure l’âge Pb-Pb de lamétéorite de fer de CanyonDiablo.

    1977T. Lee et al.,Astrophysical Journal,mettent en évidence laprésence de 26Al dans lesinclusions réfractairesd’Allende.

    2005T. Kleine et al., Geochimicaet Cosmochimica Acta,mesurent l’âge Hf-W dudébut de la différenciationplanétaire.