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Histoire : Le Prince et les arts, XVe – XVIIIe s.

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Epreuve de type 2

Commentaire de documents

« LE PRINCE, LES ARTISTES ET L'ACADEMIE EN FRANCE ET EN ITALIE XVE-XVIIIE SIECLES »

1/ Analyse critique (10 points )

Faites l’analyse critique des documents, en soulignant leur intérêt et leurs limites pour la compréhension du thème et pour un enseignement dans un niveau choisi.

2/ Mise en œuvre des documents dans un contexte d’enseignement (10 points)

Rédigez un écrit de synthèse, résultant de l’ »analyse critique » des documents et visant à la transmission d’un savoir raisonné, en mettant en évidence les connaissances et les notions que vous jugerez utiles à un enseignement d’histoire du niveau choisi.

Document 1A

Requête de Martin de Charmois, devant Mazarin, la reine, le duc d'Orléans et le prince de Condé, février 1648.

« Au Roy et a nos seigneurs de son conseil

Sire, l'Académie des Peintres et Sculpteurs lassée des persécutions qu'elle souffre depuis longues années par l'enuie de certains Maistres Jurés, qui ne prennent le nom de peintre et de sculpteurs que pour opprimer ceux qui ont consumé leur jeunesse dans le travail et l'estude des belle choses afin de mériter ce titre, est enfin contrainte de se prosterner aux pieds de Votre Majesté, pour la supplier très humblement, et luy Remonstrer que la patience avex laquelle ils ont enduré ces Viollences a tellement enflé le courage de leurs parties qu'ils prétendent non seulement assujetir les plus sçavans en cet art à travailler pour leurs broyeurs de couleurs et pour ceux qui polissent leurs statues, parce qu'ils ont achepté la qualité de Maistres, mais encore restraindre le pouvoir de Vostre Majesté, en réduisant à un certain nombre de ceux qu'elle a honnorez du nom de ses peintres et sculpteurs, par un effet de

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l'ignorance, qui en pouvant souffrir l'esclat de la vertu, la veut envelopper de ses ténèbres, pour empescher qu'on ne discerne ses deffauts d'avec la beauté de la science. Il y a longtemps que ces Maistres jurez exercent leur tyrannie contre les plus excellents hommes de cette profession (…). Mais comme (…) leurs ennemis font presentement de nouveaux efforts pour les reduire au nombre des mestier les plus abjects, ils ont recours à la puissance souveraine pour estre remis en lustre, ainsy qu'ils estoient du temps d'Alexandre dans l'académie d'Athènes, ou chacun sçait qu'ils occupoient le premier rang entre les autres arts libéraux : et comme Votre Majesté a commencé dès son enfence à produire des actions les plus merveilleuses que ce grand Prince n'a fait dans la vigueur de sa jeunesse, ils ont droit d'espérer d'estre deliurez de cette oppression, puisque c'est une œuvre digne de Votre Majesté, et feront gloire de leur persecussions passées estans redevables de leur liberté à un la main d'un prince, dont la naissance et les perfections en un aage sy tendre causent de l'admiration à tout l'univers. Alexandre ne permettait qu'au grand Apelle de faire son pourtraict. Nous n'avons qu'un seul Alexandre, mais Paris est remply de plusieurs Apelle et de grand nombre de Phidias et de Praxitelles (…) ; Vostre Majesté ne permettra pas à ses ignorens de la paindre : elle deffendra aux esclaves d'exercer des arts sy relevés, ainsi qu'il se pratiquoit autrefois ; elle en conservera la noblesse, et laissera dans la captivité ceux qui s'y sont volontairement soumis en composant un corps de mestier et se sont mis en paralelle avec les artisans les plus mécaniques. (…).

L'Académie entend que les peintres et sculpteurs puissent quitter à présent la foule tumultueuse, pour remonter sur le Parnasse et renoncent de très bon cœur aux prérogatives d'une troupe abjecte, pour s'attacher aux Interest de qui aimeroient mieux souffrir d'une pauvreté volontaire, et conserver leur honneur, que de chercher des commoditez, en se soumettant à des loix honteuses qui terniroient leur Réputation.

L'Académie craindrait d'estendre un peu trop sa requestre, et d'abuser du loisir de Vostre Majesté, sy elle ne l'avait veuë souvent donner trefue (refus) aux affaires les plus Importantes, pour se dellasser parmy les vertueux, et leur permettre de representer sur la Toile les beautés extérieures dont le Ciel l'a pourveue ; c'est ce qui luy fait croire que votre Majesté ne refusera pas de jeter les yeux sur ses justes plaintes (…). L' Académie se peut donner cette gloire d'estre composée de plusieurs peintres et sculpteurs qui ne cèdent en rien aux anciens, dont les outils et le pinceau furent si savans, qu'on jugeroit des inclinations et de la bonne ou de la mauvais destinée de ceux qui estoient representés dans leurs tableaux ou leurs statües et osera dire que bien que Votre Majesté se fasse connoistre par des actions assez remarquables, ses pourtraicts qui sont portés par toutes les parties du monde, n'ont pas laissé de contribuer Infiniment pour adjouter l'adoration des estrangers à l'admiration que la Renommée avait fait naistre dans leurs esprits. (...).

Le dessein de l'Académie est de faire voir à Vostre Majesté leur entreprise insolente de prétendre luy donner des loix et restreindre son pouvoir, de vouloir penestrer dans les cabinets des princes ou les sculpteurs et les peintres sont admis lorsque ces autres ne sont employez qu'à peindre la porte de basse cour et à polir quelques pièces de marbre (…). (Remettons-nous) en mémoire l'estime que nos six derniers Rois ont fait des peintres et sculpteurs, les charges, les bénéfices et les pensions qu'ils leurs ont donnés, l'amour et la tendresse qu'ils ont eu pour eux jusques à les visiter dans leur maladie (…). Il ne faut point lire les livres pour savoir que cet honneur est à arrivé à Léonard de Vincy d'expirer sur la poitrine

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de François I ; qu'il honora les peintres d'une fleur de lis d'or dans leurs armes au milieu de trois escussons (…). Nos adversaires respondront dans doute qu'ils ne s'en souviennent plus et que la peinture et la sculpture depuis ce temps-là sont devenües roturieres. Ils auront certes beaucoup de raison d'en parler ainsy puisqu'ils la veullent mettre dans la catégorie des mestiers qui dérogent à la noblesse. (…).

Plaise de vos graces, Sire, faire très expresses inhibitions et deffenses ausdits Maistres soy disans peintres et sculpteurs de prendre à l'advenir cette qualité tant qu'ils tiendront boutique ou seront du dit corps ; ny de troubler ou inquiéter lesdits peintres et sculpteurs de l'Académie soit par visites, saisies confiscations (…) et chacun en son particulier continüera ses soins et ses veilles, pour se rendre d'autant plus capable d'estre emplyé pour l'embellissement de ses édifices et ses vœux, ses prières pour la prospérité et santé de vostre majesté. ».

Document 1 B

Expressions des passions de l'âme. Représentées en plusieurs textes gravés d'après les desseins de feu Monsieur Le Brun, Premier peintre du roi. A Paris par Jean Audran, graveur du roi en son académie. A l'hôtel royal des Gobelins. Avec privilège du roi, 1727

« Expressions des passions de l'âme

Dessein de cet ouvrage.

Le roi Louis XIV, de glorieuse mémoire, ayant établi l'Académie Royale de Peinture et de Sculpture à dessein de perfectionner les Arts : la France lui fournit des hommes illustres, qui , pour concourir aux grandes vues de Sa Majesté, aidés des conseils de Monsieur Colbert leur protecteur, reglèrent des assemblées et des conférences, dans lesquelles on établit des principes pour former les élèves de cette Académie.

Nous ne rapporterons point ici les avantages qu'a produit cet établissement : les ouvrages des excellents maîtres qui en sont sortis, qui ont enrichi la France et l'Europe entière, et causé l'admiration, et même la jalousie de nos voisins, justifient assez ce que peut la noble émulation d'un peuple ingénieux, lorsqu'elle est soutenue de l'attention et des faveurs du Prince.

Entre les discours que fit Monsieur le Brun premier peintre du roi, et directeur de l'Académie, nous avons choisi celui où il traite de l'expression des passions de l'âme, où suivant les principes des anciens philosophes, la passion est un mouvement de l'âme qui réside en la partie sensitive, qui lui fait poursuivre ce qu'elle pense lui être bon, ou fuir ce qui lui paraît mauvais ; il dit que ce qui cause à l'âme quelque passion, fait faire au corps certains mouvements, et produit des altérations dont il rapporte les principales.

Ensuite, il prétend que l'âme reçoit l'impression des passions dans le cerveau, et qu'elle en ressent les effets au cœur, et que comme le cerveau est la partie du corps où l'âme exerce le plus immédiatement ses fonctions, le visage est aussi celle où elle fait voir plus particulièrement ce qu'elle ressent ; c'est pour cette raison qu'il est appelé miroir de l'âme.

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Il distingue, comme les anciens, deux sortes de passions, les simples et les composées, dont les premières résident dans l'appétit concupiscible, les autres dans l'appétit irascible ; c'est l'ordre qu'il suit : il remarque en général que le sourcil exprime plus que tout autre partie l'impression des passions ; ensuite les yeux, la bouche, le nez, les joues, c'est ce qui est exprimé par diverses esquisses de têtes de cet illustre auteur, qu'on a copié fidèlement avec le précis du discours, qui convient à chacune de ces têtes. (...) »

Document 2

Philippe de Champaigne, Portrait du cardinal Richelieu, 1640, commande du cardinal, Paris, Musée du Louvre

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Document 3A

Les peintres français identifiés au XVIIe s.

Total % Académiciens

(y compris peintres reçus que quelques mois à l'Académie)

178 8

Non-académiciens (membres des corporations, peintres des faubourgs et brevetaires)

1820 86

Exerçant à l'étranger (dont en Italie : 73)

80 4

Appartenant à un ordre religieux

27 2

Ensemble 2105 100

Document 3B

Admissions annuelles à la corporation (1585-1687) et à l’Académie (1648-1715)

Source : N. HEINICH, Du peintre à l’artiste, artisans et académiciens à l’âge classique, Paris, Editions de Minuit, p.243.

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Document 4

« A la fin du XVIIème siècle s’ouvre l’ère de l’opera seria, l’opéra sérieux : proscrivant le mélange des genres tragiques et comiques qui caractérisait les premiers opéras, cette réforme promue par l’Arcadie, l’Accademia dell’Arcadia (1690), fige la structure du genre fondée sur une alternance codifiée entre les airs et les récitatifs (…). Les airs sont répartis inégalement entre les six ou sept personnages en fonction de l’importance de leur rôle respectif. Enfin, les sujets historiques sont privilégiés par rapport aux arguments mythologiques. (…). Jusqu’aux premières années du Settecento, la veine burlesque avait néanmoins subsisté avec les intermèdes qui étaient donnés entre les actes des opéras sérieux. Ils évoquent sur une musique concertante des scènes légères du quotidien, souvent inspirées de la commedia dell’arte et de la commedia erudita. Progressivement ces pièces comiques deviennent un spectacle autonome par rapport à l’opera seria. Ainsi émerge un second genre : l’opera buffa, l’opéra bouffe, appelé aussi dramma giocoso, ou commedia per musica. Il naît à Naples en 1706 ou 1707 avec La Cilla de Francesco Tullio représenté dans la demeure d’un noble napolitain (…). En 1709, un opéra bouffe est programmé pour la première fois sur la scène d’un théâtre public : Patrò Calienna de la Costa composé par Antonio Orefice pour le Teatro dei Fiorentini, la plus ancienne salle de Naples qui tentait de rivaliser avec le théâtre vice-royal, le Teatro di San Bartolomeo.

Au début du XVIIIème siècle, l’histoire générale de l’opera se joue en grande partie à Naples. La structuration des genres musicaux entre opera seria et opera buffa y est concomitante de la hiérarchisation symbolique et sociale des lieux de spectacle, en même temps qu’elle accompagne la définition de l’idée même de théâtre public. (…).

Ainsi, la différenciation des genres musicaux, et la séparation radicale entre les veines comique et tragique prônée par l’Arcadie, dont Métastase fut le héraut, coïncident à Naples avec une distribution des répertoires selon les scènes : au théâtre royal, le Teatro di San Bartolomeo, l’opera seria, le drame des Dieux et des rois, la douleur des passions ; aux Fiorentini, l’opera buffa, la légèreté des sentiments et la mise en scène du quotidien napolitain le plus trivial. C’est bien dans le premier tiers du XVIIIème siècle que la vie du théâtre musical à Naples se structure et s’institutionnalise au croisement de l’histoire des genres lyriques et de l’histoire urbaine et politique. »

Mélanie Traversier, Gouverner l’opéra, une histoire politique de la musique à Naples, 1767-1815, Ecole française de Rome, 2009, pp.25-30.


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