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ANNEXE VI MARPOL

L’arsenal juridique est clair et s’appliquera au 1er janvier

La réglementation relativeà l’alimentation desnavires en combusti-

bles/carburants à faible teneuren soufre va s’appliquer enManche, mer du Nord etBaltique à partir du 1er janvier2015, comme prévu parl’annexe VI de la ConventionMarpol de l’Organisation mari-time internationale (OMI)décliné dans la directive euro-péenne 2012/33/UE. Sauf

retournement de dernièreminute qui serait le résultat dela pression toujours intensedes organisations représenta-tives des armateurs, notam-ment françaises etbritanniques, pour obtenir unreport de la Commission euro-péenne (voir ci-contre « Lesarmateurs français et britan-niques veulent obtenir dutemps »). Cette réglementationimpose une teneur en soufre

de 0,1 % pour les combustiblesutilisés par les navires navi-guant dans la zone de contrôledes émissions de soufre(ZCES) de la Manche/mer duNord/Baltique (voir encadré« Les règles d’émissions à res-pecter le 1er janvier 2015 et au-delà »). Dans le préambule dela directive 2012/33, laCommission européennerappel le que « la politique del’Union dans le domaine de

l’environnement (…) visenotamment à atteindre desniveaux de qualité de l’airexempts d’incidences néga-tives et de risques notables entermes de santé humaine etd’environnement ». Le texte dupréambule continue : « Lesémissions des navires dues àla combustion de combustiblesmarins présentant une teneurélevée en soufre contribuent àla pollution de l'air sous la

Fin juin, à six mois de l’obligation pour les navires d’utiliser un combustible d’une teneur en soufre à moins de0,1 % dans la zone de contrôle des émissions Manche/mer du Nord/Baltique, le Bureau du short sea shipping(BP2S) a organisé une rencontre pour éclairer les professionnels sur la dimension juridique de cette nouvelleréglementation. Le constat apparaît clair : les textes sont prêts à être applicables à la date prévue, soit le 1er janvier2015. Il demeure des points à éclaircir concernant l’application pratique des textes. Pour cela, il sera peut-êtrenécessaire de recourir à des actions judiciaires contentieuses.

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Le 18 juin 2014, Armateurs de France aorganisé une conférence de presse sur« l’application de la directive soufre au1er janvier 2015 » et ses conséquencespour le transport maritime à courte dis-tance (TMCD). Armateurs de France sou-ligne que la directive 2012/33 a reprisofficiellement « le calendrier irréalisableposé par l’OMI » en fixant au 1er janvier2015 le passage à 0,1 % de soufre dansles ZCES. « Une transposition mécanique,sans interprétation, sans aucune prise enconsidération des réalités entrepreneu-riales et techniques », estime l’organisationpatronale pour laquelle « le compte àrebours a donc bien commencé pour lesarmateurs français et européens ».Armateurs de France rappelle que si l’in-dustrie a toujours affirmé son attachementau principe d’une réduction des émissionsde soufre, elle a aussi besoin d’un « calen-drier réaliste » pour les entreprises concer-nées. « L’échéance très serrée du 1er janvier2015 » impose aux armateurs françaisopérant des routes à courte distance dansla ZCES Manche, mer du Nord, Baltique,et soumis à la concurrence d’autres modesde transport, « une adaptation lourde etcoûteuse de leur flotte, pourtant une desplus jeunes d’Europe ». Avec elle, « c’esttout l’écosystème économique enManche/mer du Nord qui sera impacté ».La première victime de cette réaction enchaîne serait l’activité ferry, porteuse denombreux emplois marins, continue l’or-ganisation . Pour cette dernière, « le calen-drier apparaît d’autant plus dommageableéconomiquement et techniquement que,fait inédit, la nouvelle réglementation s’ap-plique aux navires existants et pas uni-quement aux navires neufs ». Abandonnerle fioul lourd pour du marine gasoil revientà renchérir le poste combustibles de 40à 50 % alors que celui-ci constitue lui-

même une part importante des coûts opé-rationnels. Les compagnies maritimesactives dans le TMCD, toujours en concur-rence avec le mode terrestre verront leurcompétitivité fortement atteinte.

Aménager une période de transition« Si un aménagement du calendrier n’estpas obtenu, l’équation économique serasimple : diminution du trafic, fermeturede lignes, destruction de plusieurs cen-taines d’emplois, report des trafics versla route. » Aussi, Armateurs de France etla UK Chamber of Shippings portent auprèsde leur gouvernement respectif unedemande de report de l’entrée en vigueurde la directive dite soufre, déclinaison del’annexe VI de la convention Marpol prévuele 1er janvier 2015, baptisée « route to com-pliance ». Celle-ci, face au constat que lecalendrier du 1er janvier 2015 n’est pasviable économiquement, veut obtenir dela Commission européenne l’aménage-

ment d’une période de transition. Et ceafin de permettre aux compagnies mari-times d’être matures, tant dans leurs outilstechniques alternatifs que dans leurmodèle économique, pour le passage à0,1 % de soufre dans la ZCES européenne.« Il ne s’agit pas d’un chèque en blanc auxarmateurs : pour bénéficier de cettepériode de transition limitée, ils devrontêtre confrontés à un risque de report modalinverse et présenter un plan de transitionsolide. Dans le dossier du soufre, ce queles armateurs français et britanniquesréclament, c’est du temps pour mettre aupoint techniquement leur transition éco-logique, pour préserver et développer unmodèle économique viable, garant desemplois marins », conclut Armateurs deFrance. Il revient aux gouvernements desdeux pays de porter la revendication deleurs armateurs auprès de la Commissioneuropéenne et de convaincre les autresÉtats membres de l’UE de la justesse dela démarche.

Les armateurs français et britanniques veulent obtenir du temps

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forme d'émissions de dioxydede soufre et de particules quinuisent à la santé humaine et àl'environnement et contribuentaux dépôts acides. En l’ab-sence des mesures énoncéesdans la présente directive, lesémissions dégagées par letransport maritime auraientbientôt dépassé les émissionsgénérées par l'ensemble dessources terrestres ».

Préserver la santé etl’environnementAinsi, la décision de laCommission européenne d’ali-gner la directive sur l’annexe VIde la convention Marpol relèvede considération portant princi-palement sur la santé descitoyens de l’UE puis la préser-vation de l’environnement. PourFrançoise Odier, membre del’Association française du droitmaritime, ce point ne doit pasêtre sous-estimé : « La régle-mentation relative à l’alimenta-

tion des navires en combustiblesà faible teneur en soufre doit êtreenvisagée dans son contexte,c’est-à-dire l’existence d’un mou-vement pour la défense de l’en-vironnement qui, dans le cadreeuropéen en particulier, a pourvocation d’englober tous les sec-teurs des transports aussi bienterrestres que maritime. Cettepréoccupation contribue et jus-tifie la rigueur des États. Ceux-ci, pour des raisons politiques,hésiteront à assouplir, dans lamesure où ils le pourraient, lecontenu d’un dispositif lié à desimpératifs de santé descitoyens ». À plus ou moins long terme,toutes les sources d’émissionspolluantes ayant des consé-quences sur la santé humaine,aussi bien le soufre que l’azote,le CO2 ou les particules fines,devraient faire l’objet demesures de réduction au niveaueuropéen si ce n’est mondial.La décision de la Commission

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européenne d’aligner la directivesur l’annexe VI de la conventionMarpol répond aussi à la néces-sité de « garantir la cohérenceavec le droit international touten veillant à assurer la bonnemise en œuvre dans l'Union desnouvelles normes établies auniveau international pour le sou-fre », souligne le préambule dela directive. Étant donné égale-ment qu’en vertu de leurs enga-gements internationaux, laplupart des États membres del’UE, y compris la France, sonttenus de se conformer aux règlesde l’OMI. « Pour sa mise enœuvre, la convention Marpol estimbriquée avec les dispositionseuropéennes dans le cadre dela complémentarité qui existedans ce domaine entre droitinternational et droit commu-nautaire, précise François Odier.Et c’est dans le cadre de cettecomplémentarité que s’inscrit ladirective 2012/33 ».

Nul n’est censé ignorer la loi« La Convention Marpol dont lesannexes, en particulier l’annexeVI qui est en cause pour lespollutions atmosphériques, onttoutes été ratifiées par la Franceet lui sont applicables directe-ment sauf pour ce qui concerneles sanctions qui restent dudomaine des législations natio-nales », continue FrançoiseOdier. La Commission euro-péenne ayant décliné l’annexeVI de la convention Marpol parune directive, il revient à chaqueÉtat membre de l’UE de trans-poser ce texte dans sa proprelégislation nationale pour le ren-dre applicable. Les États mem-bres devaient mettre en vigueurles dispositions législatives,réglementaires et administra-tives nécessaires pour se confor-mer à la directive 2012/33 auplus tard le 18 juin 2014. En cequi concerne la France, la direc-tive 2012/33 a été transposée

par un arrêté du 14 mai 2014modifiant l’arrêté du 23 novem-bre 1987 relatif à la sécurité desnavires, (division 213, chapitre213-6) publié au Journal officielle 5 juin 2014. « Comme le codede l’environnement intègretoutes les pénalités encouruesau titre des infractions à laconvention Marpol, l’arsenaljuridique en France est bien aucomplet et les textes pourrontêtre appliqués dès le 1er janvier2015 selon le calendrier fixé parla directive. Comme nul n’estcensé ignorer la loi, les arma-teurs pourraient être dans unesituation juridiquement difficiles’ils ne respectent pas la régle-mentation en France mais aussidans les autres pays euro-péens », explique FrançoiseOdier. Ceci étant dit, les condi-tions pratiques de mise enœuvre de ces textes présententplusieurs difficultés, continuece membre de l’Association fran-çaise du droit maritime. D’unepart, une directive nécessite unetransposition nationale danschaque État membre, certainstextes diffèrent légèrement d’unpays à l’autre. D’autre part, ladirective 2012/33 laisse àchaque État membre le soin dedéfinir ses propres dispositionsnationales pour les sanctions

en cas d’infraction. Dans cesconditions, pour les sanctions,« les dispositions relèvent dudroit interne de chaque Étatmembre, peuvent donc varier etêtre source de discriminationentre pavillon », indiqueFrançoise Odier. Il en va demême pour les contrôles de véri-fication du taux d’émission desoufre des navires : « Il y auraune grande difficulté à mettreen place un système de consta-tation des dommages et unrégime de preuve harmonieuxau sein des États membres. Ilserait utile de confier un rôle derégulation en ce domaine àl’Agence européenne pour lasécurité maritime » (EMSA),estime Françoise Odier (voirencadré « L’EMSA pourrait sesaisir de la problématique descontrôles »).

Des installationsdédiéesUne autre difficulté concerne lesmesures « insuffisantes » pré-vues notamment pour les ins-tallations d’approvisionnementen combustible respectant lanorme de 0,1 % de soufre et deréception des déchets des épu-rateurs de fumée. Les portssitués dans la zone ZCESManche/mer du Nord/Baltique

vont devoir accepter les déchetsdes épurateurs de fumée dès le1er janvier 2015. Cela supposedes installations dédiées etimplique des initiatives por-tuaires qui peuvent être sourcede discrimination ou de concur-rence exacerbée (voir encadré« Les ports sont concernés dèsmaintenant »). Une dernière difficulté porte surla répartition des surcoûts enga-gés pour respecter la nouvelleréglementation. Si cette répar-tition apparaît plutôt facile pourles navires affrétés et au tram-ping, il en va différemment pourles navires de ligne. Au final d’unpoint de vue juridique, il fautretenir que la mise en œuvre dela réglementation relative à l’ali-mentation des navires en com-bustibles à faible teneur ensoufre ne présente pas d’obs-tacle majeur. Les textes sontapplicables et vont s’appliquerà partir de la date prévue, soitle 1er janvier 2015. Le droit ne vapas retarder la mise en œuvrede la directive dite « soufre ». Cesont seulement les conditionsde mise en œuvre des textesd’un point de vue pratique quivont devoir être éclaircies pardes actions contentieuses sinécessaires. n

Clotilde Martin

Adoptée par l’Organisation maritime internationale(OMI) le 10 octobre 2008 et entrée en vigueur le1er juillet 2010, une révision de l’annexe VI de laconvention sur la prévention de la pollution parles navires (dite Marpol) impose une teneur ensoufre de 0,1% pour les combustibles utilisés parles navires naviguant dans la zone de contrôle desémissions de soufre (ZCES) de la Manche, mer duNord, Baltique à partir du 1er janvier 2015. Cettemesure a pour objectif de réduire les émissionsd’oxyde de soufre (SOx) dangereuses pour la santéhumaine. Les contraintes internationales enmatière d’émissions atmosphériques des naviresont été reprises, et pour certaines renforcées, par

la directive européenne 2012/33/UE du 21/11/2012(dite soufre) modifiant le texte précédent1999/32/CE. Ainsi, une norme de teneur en soufrede 0,5 % sera applicable dès le 1er janvier 2020pour toutes les zones maritimes de l’Union euro-péenne (UE) qui ne sont pas classées en tant queZCES. La directive prévoit aussi que les navires àquai au moins deux heures dans les ports de l'UEdoivent utiliser un combustible marin dont lateneur en soufre ne dépasse pas 0,1 %. D’autresobligations en matière d’émissions d’oxydesd’azote (NOX) vont s’ajouter à partir du 1er janvier2016. Des mesures sur les gaz à effet de serrepourraient entrer en vigueur en 2020 ou 2025.

L’EMSA pourrait se saisir de laproblématique des contrôles

L’Agence européenne pour la sécurité maritime (EMSA) a été crééeen 2003 et est installée à Lisbonne. L’EMSA est le « résultat d’uneimpulsion politique européenne majeure suite aux naufrages desnavires Erikaen 1999 et Prestigeen 2002 ayant provoqué d'énormesdégâts environnementaux et économiques pour les côtes del'Espagne et de la France suite aux déversements d’hydrocarburesen mer », précise le site internet de l’agence. L’EMSA fournit uneassistance technique et un soutien à la Commission européenneet aux États membres dans l'élaboration et la mise en œuvre dela législation européenne sur la sécurité maritime, la pollutionpar les navires et la sûreté maritime. « Dans ce cadre, l’EMSA atoute légitimité pour se saisir d’elle-même de la problématiquedes contrôles des émissions de soufre que doit mettre en placechaque État membre », souligne Françoise Odier. Et aucun Étatmembre ne pourra s’opposer à l’EMSA car elle est le bras arméde la Commission européenne dans le domaine de la pollutionpar les navires. Pour Françoise Odier, cette agence pourrait jouerun rôle d’harmonisation pour la réalisation de contrôle uniformed’un État membre à l’autre en proposant des méthodes identiquespartout au sein de l’UE, en désignant des experts indépendants,etc. « Cela permettrait de réduire les risques de discriminationd’une compagnie à l’autre, d’un État membre à l’autre. »

Les règles d’émissions à respecter le 1er janvier 2015 et au-delà

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« Pour les armateurs etles opérateurs denavires, le souci majeur

de la réglementation relative àl’alimentation des navires encombustibles à faible teneur ensoufre réside dans les sanc-tions applicables en cas d’infra-ction, explique Henri Najjar,avocat associé au cabinetDelviso-Avocats. Il y a unsilence des textes alors quel’annexe VI de la conventionMarpol et la directive euro-péenne 2012/33 renvoient auxÉtat membre la mission de défi-nir les sanctions adéquates ». Acet égard, l’article 11 de ladirective 2012/33 précise à cesujet : « Les États membresdéterminent les sanctionsapplicables en cas de violationdes dispositions nationalesadoptées en application de laprésente directive. Les sanc-tions déterminées doivent êtreefficaces, proportionnées etdissuasives et elles peuventcomprendre des amendes cal-culées de manière à, au mini-mum, priver les responsables des avantages économiquestirés de leur infraction, tout enaugmentant progressivementpour les infractions répétées ».Chaque État membre de l’UEdoit donc élaborer des santionsadaptées aux infractions à laréglementation soufre. « Lelégislateur français n’ayant pas

prévu de sanction spécifiquelors de la transposition de ladirective 2012/33 par l’arrêtédu 14 mai 2014 modifiant l'ar-rêté du 23 novembre 1987 rela-tif à la sécurité des navires,certains armateurs ou opéra-teurs de navires peuvent secroire à l’abri. Tel n’est absolu-ment pas le cas car les sanc-tions pour infraction à laconvention Marpol et à sesannexes se trouvent alors dansles dispositions générales ducode de l’Environnement »,poursuit Henri Najjar. Deux arti-cles de ce code sont particuliè-rement importants. Le premierest le L218-15 : « Est puni d'unan d'emprisonnement et de200 000 € d'amende le fait,pour tout capitaine d'un navire,de se rendre coupable d'infra-ctions aux dispositions (…) desrègles 12, 13, 14, 16 et 18 del'annexe VI de la conventionMarpol ». Le deuxième est leL218-18 : « Les peines prévuesà la présente sous-section sontapplicables soit au proprié-taire, soit à l'exploitant ou à leurreprésentant légal ou dirigeantde fait s'il s'agit d'une personnemorale, soit à toute autre per-sonne que le capitaine exer-çant, en droit ou en fait, unpouvoir de contrôle ou de direc-tion dans la gestion ou lamarche du navire, lorsque cepropriétaire, cet exploitant ou

cette personne a été à l'origined'un rejet effectué en infractionaux articles L. 218-11 à L. 218-17et L. 218-19 ou n'a pas pris lesmesures nécessaires pour l'évi-ter ». Ainsi une responsabilitépénale est clairement prévueavec des peines d’emprisonne-ment en plus d’amendes subs-tantielles. Ces peinesd’emprisonnement pourraientconcerner le capitaine dunavire alors que celui-ci ne pos-sède aucun pouvoir de déci-sion en matière d’installationd’épurateur de fumée à bord oud’évolution du navire pourl’adapter à l’utilisation de gaznaturel liquéfié en tant quecombustible. Le code de l’envi-ronnement, conformément auxdispositions de la conventioninternationale sur le droit de la

mer (dite Montego Bay), rendaussi possible l’immobilisationdu navire en cas d’infraction àla convention Marpol et à sesannexes. Autrement dit, lenavire peut se retrouver immo-bilisé pour une durée indéter-minée et ne plus effectuer lesrotations prévues. L’armateurse retrouve ainsi avec une flottediminuée et toutes les consé-quences économiques quecela peut impliquer, y comprisau niveau des affréteurs. PourHenri Najjar, les dispositionsprévues dans le code de l’envi-ronnement devraient conduire« les armateurs et opérateursde navires à inciter le législa-teur français à mettre en placedes sanctions spécifiques auxinfractions des règles de l’an-nexe VI de Marpol et de la direc-

Les Français ne sont à l’abri ni descontrôles ni des sanctionsLes armateurs et opérateurs de navires doivent prendreconscience qu’ils devront respecter la nouvelle réglementationdès le 1er janvier 2015. À défaut, ils s’exposent à des sanctionsdéjà définies et très précises. Ils n’échapperont pas non plusaux contrôles à bord des navires. Ils seront aussi exposés àde possibles actions judiciaires à leur encontre pour infractionaux règles de la concurrence au niveau européen.

Dès le 1er janvier 2015, les ports situés dans la ZCES de laManche, mer du Nord, Baltique, devront faire en sorte depouvoir réceptionner les déchets issus des épurateurs de fumée(scrubbers) installés à bord des navires pour réduire les émis-sions d’oxyde de soufre (SOx) dans les gaz d’échappement.Pour respecter la règle d’une teneur en soufre de 0,1 % enmatière d’émissions pour les combustibles par les navires cir-culant dans cette ZCES, les armateurs peuvent en effet soit uti-liser du marine gasoil soit installer des épurateurs de fumée.Les places portuaires sont ainsi concernées par la nouvelleréglementation. Jean-Marie Millour du Bureau de promotiondu short sea shipping (BP2S) rappelle que trois solutions pourla réception des déchets des épurateurs de fumées peuventêtre mises en place par les ports. Ils peuvent soit gérer eux-mêmes la réception, soit sous-traiter soit laisser venir des opé-rateurs extérieurs. « Proposer aux armateurs une solution deréception des déchets des épurateurs de fumée relève d’unchoix stratégique pour la place portuaire, estime FrançoiseOdier de l’Association française du droit maritime. Il y aura lesports qui proposent une solution aux armateurs et ceux quin’en proposeront pas. Le risque pour ces derniers est de voirleur échapper des navires d’armateurs faisant le choix de faireescale là où la solution existe. La règle de concurrence entreles ports va fonctionner tout simplement. » Les responsablesdes places portuaires devraient se souvenir de ce qui s’estpassé lors de l’entrée en vigueur de l’annexe I de la conventionMarpol pour la réception des déchets pétroliers. Les ports dunord de l’Europe et des opérateurs ont su être prêts au bonmoment. Ils ont capté le marché au détriment notamment desopérateurs français. Par ailleurs, les places portuaires ne doiventpas oublier que les solutions d’avitaillement pour des carburantsde substitution, notamment le GNL, doivent être mises en placepour 2025. Il s’agit pour eux de se mettre en conformité avecla directive « pour le déploiement d’une infrastructure pour

carburants de substitution » approuvée par le Parlement euro-péen le 15 avril. Sachant que le GNL permet non seulement derespecter la règle d’une teneur en soufre de 0,1 % en matièred’émissions pour les combustibles car il ne produit quasimentpas de Sox. Il permet de réduire de 80 % la production d'oxydesd'azote, de 20 % celle de CO2. Il n’émet aucune particule. Ilpermet ainsi non seulement de respecter la règle applicableà partir du 1er janvier 2015 mais aussi celle sur les Nox à partirde 2016 et celle sur les particules à venir sans doute dans lesannées 2020. « Les ports ne doivent pas considérer l’échéancede 2025 pour la fourniture de carburant comme lointaine, sou-ligne Jean-Marie Millour. S’ils veulent obtenir des aides euro-péennes pour financer la réalisation des études et/ou desinfrastructures, les dossiers sont à préparer et les opportunitéssont à saisir dès maintenant. Ils ne doivent en effet pas oublierla règle européenne selon laquelle les demandes d’aides nesont pas recevables et les financements ne sontoctroyés/octroyables que jusqu’à la date d’application d’unedirective. » Les ports peuvent aussi associer à leurs projetsd’infrastructures pour des carburants de substitution un oudes armateurs, clients réguliers de la place. Une démarchequi peut aider les deux partenaires à anticiper la mise enplace en 2016 des règles d’émissions concernant les Nox etles particules mais aussi l’extension des règles d’émissionhors de la ZCES Manche/mer du Nord/Baltique. Pour le port,une telle association constitue également un enjeu stratégiquepour conserver ses clients armateurs et ses trafics maritimes.Enfin, 2025, c’est maintenant, étant donné que la mise enplace de solutions d’avitaillement au GNL à l’intérieur desplaces portuaires suppose de respecter un certain nombrede procédures et d’adaptations qui peuvent sembler com-plexes, mais au fond tout à fait réalisables en toute sécurité(voir JMM n° 4936-4937 du 11/07/2014). Il faut toutefois bienles définir, les anticiper, les planifier et en prévoir les coûts.

Les ports sont concernés dès maintenant

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tive 2012/33 ». L’intérêt desanctions spécifiques estd’établir « un régime moinssévère, plus adapté à la natureet la gravité de l’infraction etplus conforme à l’esprit et autexte de la Directive ».

Une règle contrai-gnante pour tousUne action de lobbying desarmateurs pour obtenir des sanc-tions spécifiques au lieu decelles prévues dans le code del’environnement aurait peut-êtreplus de chance d’aboutir quecelle portant sur un report de ladate d’entrée en vigueur desnouvelles règles d’émission. Sila France et la Grande-Bretagne(voir encadré « Les armateursfrançais et britanniques veulentobtenir du temps » page 9)mènent ensemble cette reven-dication, d’autres États membresde l’UE, notamment scandinaves

ou baltes, ne soutiennent pascette démarche et ne souhaitentpas un report de la date du1er janvier 2015 pour la mise enœuvre des règles d’émissionsde la directive soufre. Ces der-niers pays ont d’ailleurs annoncéleur volonté de contrôler l’appli-cation des nouvelles règles dansleurs ports et en mer quel quesoit le pavillon du navire, commeils en ont la possibilité. Certainsd’entre eux ont aussi prévenuqu’ils n’hésiteraient pas à saisirle navire au cas où la loi ne seraitpas respectée. Autrement dit, sile gouvernement français a faitsavoir aux armateurs et opéra-teurs de navires battant pavillonfrançais qu’il ne serait pas tropsévère avec eux en cas d’infra-ction à partir du 1er janvier 2015,ceux-ci ne sont pas du tout àl’abri des contrôles, des sanc-tions ou des actions judiciairesde la part des autres États mem-

bres de l’UE une fois leursnavires en dehors des eaux ter-ritoriales hexagonales. En effet,l’annexe VI de la conventionMarpol déclinée par la directive2012/33 s’applique au niveaueuropéen, et non pas seulementfrançais, avec un caractèrecontraignant identique pour tousles États membres, ses ressor-tissants et ses entreprises. À cetitre, la France a l’obligation nonseulement de transposer lesdirectives mais aussi de fairerespecter le droit de l’UE. Et sila Commission européenneestime qu’un État membre amanqué cette obligation, elleémet un avis motivé à ce sujet,après avoir mis cet État enmesure de présenter ses obser-vations. Si l'État en cause ne seconforme pas à cet avis dans ledélai déterminé par laCommission, celle-ci peut saisirla Cour de Justice de l'Union

européenne, ouvrant la voie àune possible condamnation.

Démontrer l’infractionpar la preuveUn autre point important de laréglementation dite soufre pourles armateurs porte sur lesmodes de preuves utilisés pourdémontrer l’infraction. La direc-tive 2012/33 prévoit 2 types depreuve. La première consiste en« l’inspection des livres de borddes navires et des notes de livrai-son de soutes». La deuxième est« l'échantillonnage et l'analyse du combustible marin destiné àêtre utilisé à bord lors de sa livrai-son aux navires ou l’échantillon-nage et l’analyse de la teneur ensoufre du combustible marin des-tiné à être utilisé à bord etcontenu dans les citernes,lorsque cela est réalisable sur lesplans technique et économique,et dans les échantillons de soute

scellés à bord des navires». PourHenri Najjar, « si la preuve del’infraction apparaît pour l’instantdifficile à apporter, elle est pos-sible». D’autant plus que l’article427 du code de procédure pénaleconsacre la liberté de la preuveen matière pénale : « Hors lescas où la loi en dispose autre-ment, les infractions peuvent êtreétablies par tout mode de preuveet le juge décide d'après sonintime conviction (...) ». Ainsi, enpratique, en matière de pollutionmaritime, d’autres types depreuves ont déjà été admis etreconnues valables par les jugescomme les interrogatoires dupersonnel de bord, les témoi-gnages, les constats d’huissier,la surveillance par satellites, lesscanners et les radars, les filmsvidéo et les enregistrementsradio, des appareils de position-nement, etc. Les autorités com-pétentes pouvent par ailleursprocéder au déroutement dunavire en vue de réunir les élé-

ments de preuve nécessaires.Les pays scandinaves envisa-gent des méthodes alternativescomme le survol du navire parhélicoptère ou drone, l’instal-lation de snifer sur les ponts.« Il est fort à croire que les gou-vernements des États membreset leurs opérateurs, soucieuxd’une application stricte de laréglementation, vont déployertous les efforts nécessaires auxfins de développer les moyensadéquats pour démontrer l’in-fraction, continue Henri Najjar.Notamment parce que le non-respect de la directive soufrepeut constituer une atteinte auxrègles régissant la libre concur-rence au niveau européen » (voirencadré « Des actions possiblespour concurrence déloyale »).La mobilisation de certains Étatsmembres pour s’assurer du res-pect de la réglementationconcernant le taux de soufre àpartir du 1er janvier 2015 peutaussi faire craindre l’instaura-

tion de types de contrôles trèsvariables d’un pays de l’UE àl’autre. « Il est important de pri-vilégier la démonstration de l’in-fraction d’une manière neutreet d’éviter les abus possibles oules discriminations lors descontrôles dans certains pays »,souligne Henri Najjar. Toutes lesincertitudes sur les conditions

de mise en œuvre des textesdevraient trouver des réponsessi nécessaire après des actionscontentieuses. Henri Najjardemeure optimiste : « Dans unan ou deux, le marché devraits’adapter à la nouvelle régle-mentation en matière d’émis-sions ». n

Clotilde Martin

Le non-respect de la réglementation soufreet/ou l’abstention d’un État membre à sanc-tionner les infractions à la réglementationpeut ouvrir la voie à des actions judiciairesd’une part, pour concurrence déloyale, et d’au-tre part, pour infraction aux règles de la concur-rence au niveau européen, de la part d’un Étatmembre ou de la Commission européenne.Lorsque celle-ci initie la procédure, sur saisined’un particulier intéressé ou d’un État membre,elle doit d’abord adresser un avis motivé àl’État membre qui n’aurait pas respecté ledroit de l’UE. Si après un certain délai, l’Étatmembre n’a pas mis fin au manquement, laCommission peut exercer devant la Cour deJustice européenne un recours à l’encontrede l’État membre, ouvrant la voie à unecondamnation financière de celui-ci. Dans lepremier cas, il est important de noter que l’ac-tion en concurrence déloyale peut être enga-gée par tout opérateur s’estimant lésé, devantles tribunaux judiciaires compétents, c’est-à-dire le tribunal du lieu de domicile du contre-venant mais aussi le tribunal du lieu deréalisation du fait générateur du dommage

ou du lieu de survenance du dommage. Lepropriétaire ou opérateur de navires françaisqui ne respecterait pas la réglementation sou-fre est donc exposé à être attrait devant lestribunaux étrangers en concurrence déloyale,soit en référé, pour obtenir la cessation desagissements déloyaux, soit au fond, pourobtenir sa condamnation à des dommages-intérêts. «L’acte déloyal correspond à toutcomportement qui s’écarte de la conduite nor-male du professionnel et qui rompt l’égalitédes chances qui doit exister entre les concur-rents dans un système d’économie libre, etest constitué en l’occurrence dès lors que lenon-respect, volontaire ou involontaire, de laréglementation soufre est établi », expliqueAnne Bernard-Dussaulx, avocat associée duCabinet DelViso-Avocats. Au-delà des actionsexposées ci-dessus, un État membre peutaussi intervenir par le biais de l’Autorité de laconcurrence dont les compétences sont aussibien nationales que communautaires. Cetorganisme « a compétence pour sanctionnerles pratiques anticoncurrentielles des opéra-teurs lorsqu’elles ont lieu à l’étranger mais

ayant des effets sur le territoire français etlorsqu’elles affectent le commerce entre Étatsmembres, même si elles ne sont pas commisessur le territoire français et n’ont pas d’effetsur celui-ci». L’Autorité de la concurrence peuts’auto-saisir ou être saisie par un opérateur-des mesures conservatoires dans l’attented’une décision définitive et peut prononcer : - des sanctions pécuniaires : jusqu'à 10% duchiffre d'affaires mondial de l'entreprise. Elleest proportionnée dans chaque affaire à lagravité de la pratique, au dommage porté àl'économie du secteur, à la situation de l'en-treprise et à l'éventuelle réitération de faits. - une injonction : l’Autorité peut enjoindre àl'auteur des pratiques anticoncurrentielles decesser la pratique anticoncurrentielle incri-minée ou, de façon positive, de modifier sescomportements afin de se conformer au droitde la concurrence. L’entreprise visée parl’Autorité de concurrence peut recourir à une« procédure d’engagement » qui lui permetde présenter des engagements de nature àmettre fin à ces préoccupations, avant toutenotification de griefs.

En cas d’indisponibilité decarburant conforme dans un portUn armateur ne va pouvoir se réfugier derrière l’argument selon lequelson navire est en infraction car il n’a pas pu trouver de combustibleconforme dans le port où le soutage était prévu. En effet, la directive2012/33 précise que l’armateur doit fournir « la preuve que le navire acherché à acheter du combustible marin conforme à la présente directivecompte tenu du plan de voyage et que, si ce combustible n'était pasdisponible à l'endroit prévu, il a essayé de trouver d'autres sources decombustible marin et que, malgré tous les efforts qu'il a faits pour seprocurer du combustible marin conforme à la présente directive, il n'yen avait pas à acheter». Toutefois, « le navire n'est pas tenu de s'écarterde la route prévue ni de retarder indûment son voyage afin de satisfaireà ces dispositions ».

Des actions possibles pour concurrence déloyale

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