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CONSERVATOIRE NATIONAL DES ARTS ET METIERS
Centre de Recherche sur la Formation EA 1410
Année 2006
THESE
Pour obtenir le grade de
DOCTEUR DU CONSERVATOIRE NATIONAL DES ARTS ET METIE RS
Discipline : Sciences de l’éducation
Présentée et soutenue publiquement par
André Zeitler
Le 22 novembre 2006
Apprentissage et interprétation des situations
Le cas d’apprentis enseignants de voile
Directeur de thèse : Jean-Marie Barbier, Professeur au CNAM
Jury
Brigitte Albero , Professeur, Université de Rennes 2, Sciences de l’Education, rapporteur
Philippe Astier, Maître de conférence, HDR, Université de Lille 1, Sciences de l’Education, rapporteur
Etienne Bourgeois, Professeur, Université de Louvain La Neuve, Sciences de l’Education
Pierre Pastré, Professeur du CNAM, titulaire de la Chaire de Communication Didactique, Président
Jacques Theureau, Chargé de recherche CNRS, IRCAM, ergonomie
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Remerciements
Mes remerciements vont tout d’abord à mon directeur de thèse : Jean-Marie Barbier. Je lui suis
profondément reconnaissant pour son accompagnement pétri à la fois de patience, de qualité d’écoute,
et d’une bienveillance qui n’ont jamais rien cédé à l’exigence scientifique. Mais au-delà de ses
qualités professionnelles, je lui suis profondément reconnaissant de m’avoir laissé la liberté de
m’aventurer sur des voies peu assurées au départ et de m’encourager à le faire.
Mes remerciements vont aussi à Jacques Theureau, avec qui les échanges sur mon travail ont toujours
été d’une grande richesse.
La richesse et la diversité du bouillonnement intellectuel qui naît dans les séminaires doctoraux a été
pour moi une cure de jouvence régulière. Que les participants en soient collectivement remerciés pour
la joie qu’ils m’ont apportée. Je réserve une place particulière à Paul Olry, pour son aide régulière,
surtout dans le domaine de la conceptualisation de l’activité, mais aussi dans le domaine plus
prosaïque de l’hébergement…
Sans pouvoir citer tous les apports des enseignants du séminaire, je voudrais remercier Olga Galatanu
pour la découverte des théories de la linguistique et Françoise Cros pour la qualité des échanges qui
m’ont fait progresser.
Ma reconnaissance va à Benoit et à Alain les deux participants à l’étude, qui m’ont toujours accordé
leur temps sans compter, de façon très active et engagée.
Le travail de relecture est à la fois ingrat et important. Je voudrais témoigner ma gratitude à Annie
Joly, Sylvie Orveau, Natacha Sélosse et Marie Cécile.
Ma dette est importante envers Isabelle Etienne et Florence Pelletier, bibliothécaires à l’ENV, qui
m’ont permis de me nourrir intellectuellement en me procurant les ouvrages dont j’ai eu besoin. Je les
remercie de tout cœur. Je salue amicalement les collègues de l’ENV, qui ont bien voulu échanger avec
moi, lors de discussions sur le sujet.
Je tiens aussi à remercier Michel Bruston pour les relectures et corrections méticuleuses de deux
articles, qui m’ont beaucoup appris sur la rédaction pour d’autres articles.
Merci également à Serge Leblanc pour ses apports sur la méthodologie du cours d’action.
Cette thèse est aussi le résultat d’un soutien institutionnel. Je remercie en tout premier lieu Hervé Savy
pour avoir cru en ce travail et la D.E.F. du MJS. pour le soutien dont elle a fait preuve. Je remercie
aussi les différentes directions de l’ENV, qui ont favorisé ce projet.
Je remercie ma compagne Marie Cécile pour son aide, son soutien, ses encouragements et Maël pour
sa patience et sa compréhension. Il serait injuste de ne pas associer Alex pour ses drôleries qui m’ont
aidé dans les moments difficiles.
Enfin je salue mes amis, qui pour la plupart ne liront probablement jamais cette thèse, mais qui m’ont
soutenus car ils ont su comprendre à quel point ce travail me tenait à cœur.
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Sommaire
Introduction_______________________________________________________________ 10
PREMIER CHAPITRE L’APPRENTISSAGE EN SITUATION D’ACTIVITE PROFESSIONNELLE : CONSTRUCTION DE LA RECHERCHE _________________ 14
Première partie : Cadre social de la recherche___________________________________ 15
1. L’engagement du chercheur : une recherche finalisée par l’aide à la conception de la formation _________________________________________________________________ 15
2. Le contexte de la recherche_______________________________________________ 18
3. Une recherche finalisée par une aide à une formation de terrain difficile __________ 20
Deuxième partie : cadre épistémologique _______________________________________ 22
1. Les orientations épistémologiques de la recherche ____________________________ 22
2. Quel point de vue sur l'activité du sujet? ____________________________________ 27
Troisième partie : Cadre théorique ____________________________________________ 32
Section 1: Approche générale de la notion d’interprétation_________________________ 33
1. Approche historique de la notion d’interprétation _____________________________ 33
2. Les deux orientations de l’interprétation ____________________________________ 35
3. L'apport de la théorie ostentivo-inférentielle de la communication au problème de l'interprétation_____________________________________________________________ 40
4. Le point de vue intentionnel sur les artefacts _________________________________ 44
5. Choix théoriques sur la notion d’interprétation en général et définitions opérationnelles 45
Section 2: L’interprétation des situations _______________________________________ 46
1. L’interprétation dans une perspective constructiviste __________________________ 46
2. La notion de « situation » ________________________________________________ 49
3. L’interprétation dans le paradigme de la cognition située_______________________ 55
4. Une alternative à la conception aristotélicienne de l’individuation________________ 59
5. Les notions proches de celle de type ________________________________________ 74
6. L’intrication du social et de l’individuel dans l’interprétation : la notion de cadres de l’expérience chez Goffman ___________________________________________________ 81
7. Choix théoriques sur la notion d’interprétation des situations et définitions opérationnelles ____________________________________________________________ 82
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Section 3: L’apprentissage interprétatif comme construction et reconstruction de types par l’expérience_______________________________________________________________ 86
1. Premières définitions et questions essentielles ________________________________ 86
2. L’apport de la théorie du cours d’action et du signe hexadique, pour l’apprentissage interprétatif des situations____________________________________________________ 88
3. L’apprentissage interprétatif dans le cadre sémiologique du cours d’action ________ 93
4. Choix théoriques sur la notion apprentissage interprétatif et définitions opérationnelles 97
5. Les hypothèses générales sur l’apprentissage interprétatif ______________________ 99
Quatrième partie : méthodologie générale de construction des données et de l’étude exploratoire______________________________________________________________ 100
1. L’observatoire du cours d’action _________________________________________ 100
2. Le recueil des matériaux empiriques ______________________________________ 102
3. Traitement des matériaux empiriques______________________________________ 108
DEUXIEME CHAPITRE INTERPRETATIONS ET APPRENTISSAGES INTERPRETATIFS : CONDUITE DE LA RECHERCHE _______________________ 116
Première partie : étude exploratoire __________________________________________ 117
1. Résultats et discussion de l’étude exploratoire_______________________________ 117
2. Evolution des hypothèses de la recherche___________________________________ 131
Deuxième partie : méthodologie spécifique pour la construction des résultats_________ 132
1. Une évolution de la méthodologie initiale pour la construction des résultats _______ 132
2. Stratégie de construction des résultats sur l’apprentissage interprétatif ___________ 139
3. Construction du codage des états des interprétations et délimitation du corpus _____ 145
Troisième partie : Résultats _________________________________________________ 164
Enquête 1________________________________________________________________ 165
1. Résultats relatifs à la première enquête ____________________________________ 165
2. L’analyse de l’expérience d’interprétation dans l’enquête 1 ____________________ 177
3. La dynamique interprétative de l’enquête 1 _________________________________ 188
Enquête 2________________________________________________________________ 192
1. Résultats relatifs à la deuxième enquête ____________________________________ 192
2. Analyse de l’expérience d’interprétation dans l’enquête 2______________________ 197
3. La dynamique de l’apprentissage interprétatif dans l’enquête 2 _________________ 205
Enquête 3________________________________________________________________ 208
7
1. Résultats relatifs à la troisième enquête ____________________________________ 208
2. Analyse de l’expérience d’interprétation dans l’enquête 3______________________ 215
3. La dynamique de l’apprentissage interprétatif dans l’enquête 3 _________________ 230
Enquête 4________________________________________________________________ 234
1. Résultats relatifs à la quatrième enquête ___________________________________ 234
2. Analyse de l’expérience d’interprétation dans l’enquête 4______________________ 240
3. La dynamique de l’apprentissage interprétatif dans l’enquête 4 _________________ 246
Enquête n°5 ______________________________________________________________ 250
1. Résultats relatifs à la cinquième enquête ___________________________________ 250
2. Analyse de l’expérience d’interprétation dans l’enquête 5______________________ 258
3. La dynamique de l’apprentissage interprétatif dans l’enquête 5 _________________ 268
Enquête n°6 ______________________________________________________________ 272
1. Résultats relatifs à la sixième enquête _____________________________________ 272
2. Analyse de l’expérience d’interprétation dans l’enquête 6______________________ 279
3. La dynamique de l’apprentissage interprétatif dans l’enquête 6 _________________ 284
4. Dynamique de l’apprentissage interprétatif dans l’enquête 6 (eu 8 à 16)__________ 287
Résumé des résultats _______________________________________________________ 290
1. Présentation des tableaux récapitulatifs des résultats sur les procès interprétatifs et d’apprentissages interprétatifs _______________________________________________ 290
2. Tableaux récapitulatifs des procès de construction d’interprétation et d’apprentissage interprétatif ______________________________________________________________ 290
TROISIEME CHAPITRE MODELISATION DES APPRENTISSAGES INTERPRETATIFS : SYNTHESE, DISCUSSION DES RESULTATS ET PERSPECTIVES _________________________________________________________ 300
Première partie : synthèse modélisatrice et discussion des résultats _________________ 301
Section 1: Caractéristiques essentielles des procès interprétatifs, d’apprentissage interprétatif et leurs relations________________________________________________ 302
1. Quelques caractéristiques essentielles des procès interprétatifs _________________ 302
2. Modélisation générale des procès d’apprentissage interprétatif _________________ 308
3. Activité d’enquête et apprentissage interprétatif _____________________________ 309
4. Relation entre les procès d’interprétation et d’apprentissage interprétatif _________ 311
Section 2: Descriptions des procès d’apprentissage interprétatif de construction de nouveaux types ___________________________________________________________ 316
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1. Modélisation de la relation entre procès d’interprétation et d’apprentissage interprétatif de construction de types ____________________________________________________ 316
2. Emergence d’un nouveau type dans une ouverture potentielle d’enquête __________ 317
3. Poursuite de l’émergence du type par repérage d’un faisceau d’indices divergents __ 318
4. Création de types par transformation de l’interprétation occurrente en type _______ 326
5. Conclusion sur les procès de construction de nouveaux types ___________________ 335
Section 3: Descriptions des procès d’apprentissage interprétatif de reconstruction de types usuels __________________________________________________________________ 337
1. Dynamique du développement des types usuels : généralisation et différenciation de types____________________________________________________________________ 337
2. Modélisation de la relation entre procès d’interprétation et d’apprentissage interprétatif de reconstruction de types___________________________________________________ 339
3. Procès d’apprentissage interprétatif : contextualisation et nouvelles mises en relation entre types par les procès interprétatifs de conflits entre types ______________________ 340
4. Procès d’apprentissage interprétatif : intégration d’une interprétation occurrente au type et approfondissement de l’interprétation d’une catégorie de situation ____________ 347
5. Procès d’apprentissage interprétatif : différenciation / généralisation d’un type par énonciation du faisceau de types______________________________________________ 353
6. Conclusion sur les apprentissages interprétatifs _____________________________ 360
Deuxième partie : dimension sociale des apprentissages interprétatifs_______________ 364
1. Résultats et analyses de ceux-ci __________________________________________ 364
2. Conclusion sur la dimension sociale de l’apprentissage interprétatif _____________ 376
Troisième partie : perspectives praxéologiques__________________________________ 380
1. Aide à la conception de la formation utilisant la pratique comme moyen de formation : une entrée « apprentissage interprétatif » ______________________________________ 380
2. Quel principe de conception de la formation ?_______________________________ 380
3. Recueil d’indices sur les apprentissages interprétatifs : Stratégie générale ________ 382
4. Favoriser l’actualisation des procès d’apprentissage interprétatif _______________ 386
5. Favoriser l’efficience de l’apprentissage interprétatif : principes généraux ________ 389
6. Conclusion de la partie praxéologique _____________________________________ 393
Conclusion générale_______________________________________________________ 394
Références_______________________________________________________________ 400
9
Introduction
10
Introduction
1. Activité, interprétation et apprentissage : une terra incognita aux enjeux essentiels pour la formation
Une des avancées majeure des sciences de l’éducation au cours de ces dernières décennies a
été de montrer le rôle majeur de l’activité pour l’apprentissage. Qu’il se situe dans un
environnement scolaire ou professionnel, l’apprentissage ne peut avoir lieu que si la personne
est active. Cette conception leitmotiv de la pédagogie a organisé son corollaire :
l’apprentissage en situation d’activité construit l’expérience, qu’elle soit scolaire ou
professionnelle. Pour le contexte scolaire cela a donné forme à diverses méthodes (comme la
pédagogie du projet, le travail de groupe, de résolution de problèmes…). Cela a orienté toutes
les réflexions sur des notions attenantes à celle d’activité, comme celle du sens par exemple.
Pour le contexte de la formation professionnelle, cette conception a trouvé un écho avec les
dispositifs utilisant la pratique professionnelle à des fins de construction de l’expérience.
Ainsi, pour favoriser cette dernière, de plus en plus de dispositifs de formation utilisent des
situations pratiques à des fins d’apprentissage (simulation, travaux pratiques en école
d’application, stage en situation, analyse de pratiques, alternance…) (Pineau, 2005).
Paradoxalement ces dispositifs de formation reposent sur des procès d’apprentissage qui
restent peu connus, notamment si l’on s’intéresse plus particulièrement à leurs dynamiques
intrinsèques et non plus seulement aux états statiques et à l’évolution des produits de
l’apprentissage.
Par exemple, pour Barbier (2006 b, p. 11), « l’expérience et sa constitution restent largement
une terra incognita. Sa connaissance […] suppose probablement de mieux comprendre le
fonctionnement des activités interprétatives des sujets en situation… ». A l’instar de cette
conception, nous pensons qu’une part au moins de la constitution de l’expérience résulte d’un
apprentissage qui se réalise au cours de l’activité d’interprétation des situations. Cette
conviction est inspirée par un des postulats du paradigme constructiviste, selon lequel l’action
est indissociable du sens que l’acteur donne à la situation ; sens qu’il faut bien apprendre à
construire.
2. Activité interprétative et apprentissage interpr étatif C’est précisément cette part interprétative du processus de construction de l’expérience que
nous appelons « apprentissage interprétatif ». En d’autres termes, nous appelons
Introduction
11
« apprentissage interprétatif » le processus de construction de l’expérience qui se réalise à
l’occasion de l’activité d’interprétation des situations repérées par l’acteur dans l‘action. Nous
rejoignons ici, les courants de pensée qui postulent qu’une des dimensions essentielles de
l’apprentissage par l’activité est d’ordre sémiologique. Pour Pastré (1999) par exemple, « ce
qu’apprennent de jeunes ingénieurs en formation sur un simulateur de centrale nucléaire,
c’est à construire un réseau de significations, qui permet un diagnostic de fonctionnement. Il
y a bien conceptualisation, alors même qu’ils possèdent déjà des connaissances scientifiques
et techniques relatives au système. Ils s’appuient sur ces connaissances, pour les réélaborer
dans un but pragmatique de diagnostic… » (Pastré, ibid. p.25). Dans cette perspective,
l’activité sémiologique est constitutive de la compétence professionnelle et se développe par
l’activité (professionnelle ici). Ce développement n’est pas réductible à l’application de
connaissances théoriques, même si ces connaissances sont probablement utiles à cette activité
et aux apprentissages interprétatifs qui en résultent.
Nous choisirons de parler d’interprétation de la situation1 pour nommer l’activité
sémiologique que l’acteur produit afin de construire un sens aux situations qu’il repère.
La notion d’« interprétation », quand elle porte sur les situations, revêt une caractéristique
étrange. Cette notion est présente dans de très nombreuses publications qui traitent de
l’activité et de l’apprentissage qui lui est associé. Mais dans le même temps, elle possède peu
de statut théorique quand l’interprétation prend pour objet les situations de l’activité
professionnelle (à de rares et notables exceptions dont nous ferons état dans la partie
théorique). Ceci nous a poussé à entreprendre ce pari risqué, qui consistait à produire une
recherche à partir d’un matériel conceptuel qui nécessitait une construction parallèle à celle
des résultats. Ceci nous a amené à travailler de façon itérative : la construction des résultats,
invitant à une modification de la théorie sur l’interprétation, tandis que cette dernière,
repositionnait la compréhension de certains résultats, etc... Evidemment cela a pris beaucoup
de temps, d’énergie et a nécessité une certaine résistance au découragement… Nous
préciserons plus loin la théorisation opérationnelle que nous avons progressivement construite
à partir du contexte théorique disponible, en l’absence d’une théorie clairement identifiable de
l’interprétation des situations compatible avec nos options épistémologiques. Nous
préciserons à cette occasion, les raisons qui nous ont fait choisir cette notion plutôt que
d’autres qui semblaient à première vue proches et mieux définies théoriquement.
1 Cette notion sera discutée de façon approfondie dans la partie théorique
Introduction
12
Evidemment, cette démarche renvoie à une posture épistémologique sur laquelle il conviendra
de nous positionner.
3. Présentation globale de la recherche 3.1 Problématique et questions de recherche
La question de recherche que nous nous sommes posés vise à fournir une intelligibilité
(Barbier et Galatanu, 2000a, Barbier, 2000b, 2000d) des procès d’apprentissage interprétatif
qui permettent à l’acteur d’avoir de nouvelles potentialités interprétatives des situations
rencontrées. Cette problématique de recherche fait écho aux questions suivantes : Quels sont
les procès d’apprentissages mobilisés ? Comment et à quelles conditions les apprentis
apprennent-ils ? Quelles sont les configurations notamment sociales et matérielles
d’apprentissages?
3.2 Le terrain de recherche
Pour ce faire, nous étudierons l’expérience construite à ce sujet et la manière dont elle se
construit, chez deux apprentis éducateurs de sport en voile lors d’une formation en alternance
se déroulant sur un an. Cette formation possède la particularité d’organiser des mises en
activité d’encadrement réel (c'est-à-dire avec des élèves) en entreprise2 bien sûr, mais aussi en
organisme de formation. L’activité sera examinée dans ces deux contextes.
3.3 Les affiliations théoriques et méthodologiques
La construction théorique de l’objet d’étude s’est inspirée de différents cadres.
Les théories de sciences de l’éducation, notamment les travaux de J.M. Barbier, nous ont
largement influencé (ref.), vers l’étude de l’objet apprentissage interprétatif au cours même de
l’activité. Nous nous sommes basés sur les conceptions d’une certaine ergonomie et
anthropologie cognitive située, de la sémantique des situations, du pragmatisme, de la
phénoménologie et de l’herméneutique. Pour ce qui est des orientations méthodologiques,
nous avons été influencé par les conceptions prônant « l’entrée activité » comme objet
d’étude (Barbier et Durand, 2003). Nous nous sommes aussi largement inspirés des
méthodologies issues de l’observatoire du cours d’action de façon plus ou moins libre
(Theureau, 1992). Globalement, notre méthodologie a constitué assister aux séances
enseignement des apprentis et à les filmer. Nous avons ensuite réalisé des entretiens
2 Les entreprises sont des établissements d’APS. La mission des apprentis consiste à enseigner la voile à des enfants venus la pratiquer dans ces établissements.
Introduction
13
d’autoconfrontation sur la base du film. Une modélisation de l’action d’enseignement a été
réalisée et les entretiens ont été retranscrits. Sur la base de ces données la démarche a été de
construire des résultats relatifs à l’activité interprétative et aux apprentissages associés.
3.4 Présentation des documents
Cette recherche est présentée dans un premier document comportant trois chapitres.
• Premier chapitre. L’apprentissage en situation d’activité professionnelle :
construction de la recherche.
• Deuxième chapitre. Interprétations et apprentissages interprétatifs : conduite de la
recherche
• Le troisième chapitre. Modélisation des apprentissages interprétatifs : synthèse et
discussion des résultats.
Parallèlement le lecteur trouvera un document annexe qui présente les données traitées. Ceci
permettra une lecture conjointe des résultats et des données afférentes.
Premier chapitre
14
PREMIER CHAPITRE L’APPRENTISSAGE EN SITUATION D’ACTIVITE PROFESSIONNELLE : CONSTRUCTION DE LA
RECHERCHE
Ce premier chapitre se décompose en quatre parties :
• La première fera état du cadre social de la recherche.
• Dans la deuxième, nous détaillerons le cadre épistémologique.
• Dans la troisième, nous exposerons la construction du cadre théorique.
• Dans la quatrième, nous décrirons la méthode que nous avons employée pour
construire nos données.
Premier chapitre
15
Première partie : Cadre social de la recherche Première partie du premier chapitre.
Nous allons maintenant présenter les grandes orientations du projet qui nous ont permis de
réaliser cette recherche. Nous développerons (1) ce qui constitue notre engagement dans ce
travail, (2) le contexte de la recherche, (3) les orientations de celle-ci comme aide à la
conception des formations utilisant la pratique comme moyen de formation, (4) les
orientations épistémologiques de la recherche.
1. L’engagement du chercheur : une recherche finali sée par l’aide à la conception de la formation
La recherche est une activité située comme toute activité. Il nous a semblé intéressant de
situer cette recherche dans son contexte. Ceci a été fait afin de mettre en lumière les enjeux
épistémiques, mais aussi praxéologiques. Ceci nous a conduit à décrire l’engagement qui nous
a conduit à effectuer cette recherche et qui a influencé la manière de l’aborder.
Cette recherche s’inscrit dans un engagement de l’auteur dans la formation d’apprentis
éducateurs depuis plus de vingt ans déjà au sein du MJSVA (Ministère chargé de la Jeunesse,
des Sports et de la Vie Associative). En tant que tuteur, formateur et organisateur de
dispositifs de formation en alternance, nous avons pu remarquer les effets étonnants des
apprentissages dans l’action professionnelle3 par la formation de terrain4 (Bouvier et Obin,
1998). Cette surprise5, toujours renouvelée, a trouvé des prolongements dans une activité de
recherche sur l’apprentissage résultant de l’activité professionnelle des apprentis éducateurs
(Zeitler, 2000, 2001a, 2003a). La surprise n’en a été qu’augmentée, les résultats des
recherches étant quelque fois si contre intuitifs.
C’est à ce double titre de formateur et de chercheur que l’auteur a été chargé de plusieurs
missions visant l’aide à l’évolution des formations et à la formation des formateurs6, ainsi que
3 Le contexte désigne aussi bien l’organisme de formation que l’entreprise. L’activité professionnelle désigne ici l’enseignement pratique sur un public réel. 4 Qu’elle se situe en organisme de formation ou en entreprise, la formation de terrain désigne une aide à l’apprentissage notamment pendant le temps de l’activité professionnelle, (mais aussi avant et après). 5 Nous verrons d’ailleurs l’importance de ce sentiment dans l’apprentissage interprétatif au cours de cette recherche. 6 C’est dans ce contexte que le chercheur membre du Groupe Méthodologique National, (groupe d’expert en formation dont la mission est d’aider la Délégation à l’Emploi et à la Formation du MJSVA dans la conception et la mise en place d’une réforme des formations et des qualifications), a été chargé (1) en 2002 d’organiser la formation des coordinateurs de formation aux Brevets Professionnels pour la moitié nord de la France (2) de coordonner l’écriture d’un livret référentiel sur les formations au BP dans le domaine du Nautisme (Zeitler, coord 2003), (3) de réaliser une étude sur la construction des compétences dans les formations du BP JEPS (Zeitler,
Premier chapitre
16
d’un travail de recherche s’efforçant de mieux comprendre l’activité d’apprentissage des
éducateurs sportifs au cours de leurs pratiques d’encadrement.
Cette recherche est donc le résultat de ce double engagement :
- épistémique, dans la compréhension des processus d’apprentissage dans un contexte
d’activité professionnelle,
- praxéologique dans l’aide à la conception des formations, notamment à travers la
conception d’analyses de pratiques (Zeitler et Leblanc, 2005c).
1.1 Un double engagement qui nécessite une clarific ation Ce double engagement épistémique et praxéologique nécessite un positionnement net (sur
lequel nous aurons l’occasion de revenir plus longuement), afin que le travail de recherche
reste bien sur le versant d’une intelligibilité et ne glisse pas vers une position prescriptive.
Cependant, cette intelligibilité vise in fine la production de connaissances permettant une aide
à l’amélioration des formations. Cette position est liée à la conviction selon laquelle, et sous
certaines conditions, mieux appréhender la démarche d’apprentissage des apprentis
enseignants, dans un contexte donné de formation, permettra la construction de connaissances
utiles à la conception de la formation.
Pour clarifier en première approche cette position disons, que cette recherche vise une
démarche d’intelligibilité (Barbier, 2000a, 2000b, 2000d, 2001) de l’activité « se former7 »
(Kaddouri, 2002) dont la finalité est l’aide à la conception de la formation par l’expérience.
Elle se situe dans les orientations d’une certaine ergonomie de langue française, qui depuis
Ombredane et Faverge (1955), considère que l’aménagement et la conception des situations
de travail exigent une analyse de l’activité des opérateurs dans les situations réelles de travail.
Ce travail de recherche s’inscrit dans la perspective d’une ergonomie de la formation en
construction (Durand, Saury et Veyrunes, à paraître), qui privilégie « l’entrée activité »
(Barbier, Durand, 2003b) sur l’objet « se former » pour fournir des connaissances utiles à
l’aide à la conception de la formation.
Perez, Fleurance, Olry, 2005), (4) et un document d’aide à la formation des tuteurs et plus largement sur les conceptions de la formation en alternance pour les BPJEPS (Zeitler, Perez, Olry, 2005). 7 Nous différencions ici, les activités résultant des processus internes et autonomes de la personne et qui fondent son apprentissage, de ceux externes et commandées à la personne en situation d’apprentissage qui visent l’organisation du dispositif et du contexte de formation. Nous appelons les premières “ se former ” et les secondes “ former ”.
Premier chapitre
17
1.2 Influence de la psychologie ergonomique pour l ’étude d’un système de formation
La question du rapport entre intelligibilité et aide à la conception de la formation se pose
avec acuité pour les procédures de formation par la pratique professionnelle.
Comment ne pas mélanger démarches d’intelligibilité et aides à la conception tout en rendant
les premières utiles aux secondes sans en détruire l’orientation épistémique?
La psychologie ergonomique s’est confrontée à des difficultés similaires, de relations entre les
démarches d'intelligibilité et d'amélioration du travail (Astier et Olry, 2005, 2006). De ce
point de vue, nous pensons que cette tradition de recherche peut apporter des réponses à cette
épineuse question dans le domaine de la formation.
En effet, l’ergonomie a apporté de longue date des contributions à la définition et à la
réalisation d’actions de formation parallèlement à l’amélioration des conditions de travail et
de la productivité (Teiger et Lacomblez, 2006). Il faut cependant noter que l'ergonomie
s’intéresse à la formation essentiellement à partir d’une analyse du travail. La stratégie
générale consiste à mieux comprendre la situation de travail, voire les compétences en œuvre,
pour concevoir la formation professionnelle (Boucheix, 2003).
1.3 L’étude de l’activité « se former » dérivée des démarches ergonomiques
Il paraît donc paradoxal de recourir à la psychologie ergonomique pour étudier la formation.
Cependant ce paradoxe n’est qu’apparent. Avec la prise en compte des aspects cognitifs de
l’activité au travail, est apparu un espace intermédiaire où les cadres et méthodes d’analyses
de l’ergonomie ont permis, en appréhendant l’activité au travail, de comprendre certains
éléments de développement des compétences. La stratégie générale sera de prendre comme
point de vue de l’analyse ergonomique l’activité « se former » de l’acteur. Ici le point d’appui
que représente la tradition de l’ergonomie de langue française ouverte par Ombredane et
Faverge (ibid.) nous semble essentiel. L’environnement de travail est dans notre contexte un
environnement de formation, si l’on considère que c’est à l’occasion de ce travail que le
système est censé favoriser l’apprentissage de l’apprenti. Prenons une métaphore pour
expliquer notre point de vue. Quand une personne est devant une machine et réalise un travail,
l’analyse en psychologie ergonomique, nous permet de comprendre l’activité de l’acteur, ses
difficultés et ses moments de facilité. Ces nouvelles connaissances fournissent une aide à
l’amélioration ou à la conception de la machine pour faciliter le travail de l’acteur et le rendre
plus efficace. Si l’on considère maintenant que l’acteur est dans un environnement visant son
apprentissage par l’activité professionnelle, comprendre l’activité d’apprentissage de l’acteur,
Premier chapitre
18
doit pouvoir en toute logique fournir une aide à l’amélioration (ou à la conception) de la
machine formative pour faciliter l’apprentissage de l’acteur. Laissons ici cette métaphore pour
considérer que le contexte formatif intègre en plus des aspects matériels, des aspects sociaux
et culturels. Notre stratégie générale est de construire des connaissances susceptibles d’aider à
la conception des dispositifs de formation par l’activité professionnelle à partir des cadres
d’une ergonomie cognitive privilégiant l’analyse de l’activité en situation réelle.
2. Le contexte de la recherche Ces préoccupations ont rencontré une évolution de la compréhension des processus
d’apprentissage par la pratique et de la demande sociale en matière de formation. En effet, la
plupart des formations professionnelles aux métiers de l’éducation sportive et culturelle
utilisent de plus en plus la mise en situation professionnelle pratique des apprentis enseignants
comme un moyen de formation. C’est le cas par exemple, dans les formations des futurs
enseignants au sein des IUFM (Institut Universitaire de Formation des Maîtres), ou des
formations du MJSVA (Ministère de la Jeunesse, des Sports et de la Vie Associative). Les
qualifications de ce dernier ministère subissent d’ailleurs une importante réforme qui
généralise ce genre de formation. L’avènement des BPJEPS (Brevet Professionnel de la
Jeunesse, de l’Education Populaire et des Sports) a par exemple, instauré l’obligation d’une
mise en place de formation en alternance.
Il serait par contre, tout à fait injuste d’assimiler l’alternance à la seule mise en pratique sur le
terrain de l’entreprise : ce serait comme affirmer qu’il n’y a pas de pratique dans les
organismes de formation et que l’entreprise est exempte d’apprentissage théorique. Pourtant,
le sens commun promeut une représentation de l’alternance basée sur une conception de
l'apprentissage applicationniste (ce qui est appris dans un contexte est censé être appliqué à un
autre contexte d'action, notamment les théories apprises en institut de formation dans le
monde du travail). Cette conception applicationniste renvoie au paradigme de la « science
appliquée » que Schön dénonçait dès 1983, dans sa critique de la « rationalité technique ».
L'alternance comme un processus visant l’application de la théorie dans la pratique est de ce
point de vue un avatar de la rationalité technique. Cette conception de l’alternance ne nous
semble 1) ni être adéquate théoriquement, 2) ni respecter les évolutions des conceptions et des
pratiques de formation, 3) ni fournir de cadre efficient à l'aide au développement de la
formation.
1. Cette conception applicationniste de la formation consiste à penser que l'apprentissage
résulte de l'application de théories dans les lieux de travail et de vie. Elle est basée sur
Premier chapitre
19
une position épistémologique, qui consiste à imaginer que l'action professionnelle se
déduit de conceptions théoriques applicables. Or, les travaux issus du paradigme de la
cognition située (Suchman, 1987) nous ont montré qu’il n’en était rien, tandis que les
réflexions de Schön (1996) nous incitent plutôt à penser qu’ils sont le résultat d'une
réflexion en cours d'action toujours située.
2. Identifier l’alternance à une relation théorie - pratique, suppose qu'en situation de
travail, il n'existerait pas de théorisation possible. Or, la prise de conscience et la
construction d’éléments de généralité sont justement des effets des formations sur le
lieu de travail ou sur le travail tout court. D'autre part, la formation en institut n'est pas
sans manipulation de pratique. En effet, la réduire à un simple apport de théorie
néglige l’évolution des moyens de formation actuels. Dans une étude commanditée par
le MJS sur les pratiques de formation dans les BPJEPS, nous avons pu mettre en
évidence qu’une part importante de la formation dans les organismes était constituée
de pratiques réelles. Les apprentis encadraient réellement des pratiquants au sein
même de l’organisme de formation (Zeitler, Perez, Fleurance, Olry, 2005a). Cette
mise en pratique est utilisée par les organismes de formation comme moyen de
formation aux savoir-faire, mais aussi comme aide à l’appropriation des conceptions
théoriques. Ces travaux pratiques constituent en fait davantage une ouverture à
l’expérimentation et à l’apprentissage en situation professionnelle qu’une application.
Les apprentis éducateurs valorisent ces enseignements, au point qu’ils considèrent que
c’est dans l’institut de formation et à travers ces enseignements qu’ils trouvent les
éléments essentiels à la constitution de leurs compétences professionnelles.
3. Ainsi plutôt que de considérer l’apprentissage dans ce modèle dispositionnel et
applicationniste, il nous paraît plus prometteur d’identifier comment se constitue la
compétence par l’expérience, qu’elle se situe au sein de l’organisme de formation ou
dans celui de l’entreprise.
Notre recherche se situe dans le contexte d’une formation en alternance mobilisant la
pratique professionnelle tant dans le cadre de l’organisme de formation, qu’en entreprise.
C’est dans ces deux contextes que nous étudierons l’activité interprétative et l’apprentissage
qui en résulte.
Premier chapitre
20
3. Une recherche finalisée par une aide à une form ation de terrain difficile
Dans le contexte des formations d’éducateurs, les tuteurs sont en grande difficulté pour
transmettre leur expérience : La fonction de formateur de terrain ne va pas de soi.
En effet, dans le contexte de la formation des éducateurs sportifs, l’activité des tuteurs
consiste essentiellement en un accompagnement visant l’intégration dans l’entreprise et la
transmission d’une identité professionnelle (Zeitler, Perez, Fleurance, Olry, ibid.). Par contre,
sur l’acquisition des compétences constituant le cœur du métier des futurs enseignants (c’est
à dire l’encadrement) l’aide apportée par les tuteurs à est quasi inexistante8. La formation de
terrain lorsqu’elle porte sur l’accompagnement en cours d’action des apprentis est si difficile
que les tuteurs évitent cette situation. Ils préfèrent attendre que les apprentis « viennent les
voir lorsqu’ils ont des difficultés ». Les raisons de cette désaffection sont multiples, mais
parmi celles-ci, il en est une très importante. La fonction tutorale, d’une façon générale, est
aux prises avec de nombreux dilemmes (Chalies et Durand, 2000) dont certains nous semblent
plus spécifiques à la fonction tutorale dans les établissements d’APS ou culturels à économie
privée. Les tuteurs confient leur propre public dont la satisfaction constitue un indice essentiel
de la qualité de la prestation de service qui est vendue. De ce fait, leurs préoccupations visent
à la fois à maintenir une qualité de service suffisante pour assurer la satisfaction de leurs
clientèles et en même temps à favoriser l’apprentissage de leur apprenti. Ces deux
préoccupations sont contradictoires : assurer la satisfaction les conduit à prescrire précisément
les actions de leurs apprentis, tandis que la favorisation de l’apprentissage réclame que ceux-
ci aient une relative autonomie, fassent des erreurs, soient confrontés à des situations dont ils
n’ont pas l’habitude (par exemple l’encadrement de nouveaux publics). Ce dilemme structure
à tel point l’activité des tuteurs que nous avons pu parler de celle-ci comme d’un « travail
d’équilibriste » (Zeitler et Bouton, 2005).
Précisons ce dilemme. Dans les stages de formation de tuteurs que nous avons pu encadrer,
ces derniers font très souvent état d’un trouble que l’on pourrait formuler ainsi : Comment
former quelqu’un de différent de soi qui réagira en fonction de son vécu tout en sachant que
les solutions que l’on peut lui apporter ne sont pas forcément celles qui lui conviendront ?
Comment lui transmettre une expérience alors qu’il ne peut que se la constituer ?
8 Moins de 6% de données lexicales correspondent à ce registre de l’activité explicitée, alors que le thème de l’entretien portait explicitement sur leurs activités d’accompagnement à l’acquisition des compétences des apprentis ! D’autre part les analyses factorielles montrent la marginalisation de ces activités d’accompagnement dans l’action.
Premier chapitre
21
De là, les tuteurs se disent aux prises avec un autre dilemme en forme de double écueil. Soit
ils conforment leurs apprentis au modèle qu’ils représentent, soit ils les laissent agir en totale
autonomie, mais ce au prix d’un abandon quasi-total. Ce dilemme pose la question cruciale de
la prise en compte de l’altérité dans la formation à une activité d’intervention sur autrui,
comme l’enseignement. Elle fait interagir des humains sur d’autres êtres humains. Comme
s’interroge Pastré à ce sujet (2006, p. 43) « la variété des conduites est telle qu’on peut se
demander s’il reste encore de l’invariance ». Dans le cas particulier de l’activité tutorale cette
variété est double. L’apprenti enseignant intervient sur des élèves, alors que le tuteur
intervient sur cette activité d’intervention. De là, il est possible de comprendre le trouble des
formateurs de terrain confrontés à cette complexité et à cette double variété de l’activité.
Dans les groupes de travail de type ergologique (Swartz, 1997) que nous avons coordonnés,
les tuteurs sont arrivés à la conclusion que ce dilemme provenait essentiellement d’une
difficulté à comprendre la singularité de l’activité des apprentis au cours de leurs actions
d’encadrement. Ces conclusions ont des points de convergence avec les réflexions de
nombreux chercheurs qui soulignent l’importance de prendre en compte la subjectivité
engagée dans l’action pour aider les apprentis (Ria, 2001). Conformément à ces positions, une
des solutions consisterait à aider l’apprenti à partir du point de vue engagé dans l’action.
Nous avons la conviction que cette position peut être une alternative pour sortir du dilemme
de la conformation ou de l’abandon. En effet, comprendre l’action d’autrui à partir d’une
position de surplomb, conduit à appliquer des connaissances expertes préétablies, sur la base
d’une évaluation in fine normative. Cette position incite à ne pas tenir compte des
significations que les apprentis pourraient communiquer sur l’état de l’activité vécue du
« dedans ». Au contraire, nous pensons que prendre au sérieux le récit de leurs expériences
(Gal-petifaux, 2000), les préoccupations des apprentis enseignants (Ria, ibid), la construction
de leurs apprentissages vécus du dedans (Sève, 2000) facilitent le passage d’une position
d’évaluation normative à celle d’aide (Theureau et Jeffroy, 1994) du formateur envers
l’apprentissage de l’apprenti.
Cependant comprendre la subjectivité engagée par les apprentis, nécessite de recueillir les
éléments qui lui sont relatifs et de les analyser. Il est donc nécessaire de définir un cadre
théorique et méthodologique à la compréhension de l’action qui intègre la prise en compte de
cette subjectivité et plus encore l’apprentissage qui y est associé.
Dans cette perspective, notre ambition est de contribuer à enrichir certains cadres théoriques
et méthodologiques pour une meilleure compréhension de l’activité d’interprétation des
situations et des apprentissages associés.
Premier chapitre
22
Deuxième partie : cadre épistémologique Deuxième partie du premier chapitre
1. Les orientations épistémologiques de la recherch e
1.1 Relation entre intelligibilité et aide à la con ception de la formation
La séparation stricte et étanche entre les démarches de recherche et d'action, utile du point de
vue de l'intelligibilité, ne facilite pourtant pas l'utilisation de la recherche dans l'intervention.
Comment élaborer une activité de recherche qui facilite l’aide à la conception de l'action de
formation tout en respectant les exigences d’intelligibilité nécessaires à la phase de
conception ? La différence de nature entre les activités d'intelligibilité et d'action ne rend-elle
pas illusoire toute tentative de finalisation de la recherche?
La relation entre recherche et aide à la conception de la formation est une problématique
complexe. En effet, cette relation nous fait courir le risque de confondre dans tous les
domaines les démarches d’intelligibilité et d’action. Une première réponse à ces questions
tient à la catégorie de sémantique mobilisée et à l’intention de cette mobilisation. Si les cadres
de pensée sont issus de la sémantique de l’action (Barbier, 2000b) et tiennent lieu de cadres
théoriques, l’intelligibilité des procès de l’activité n’est plus possible car elle sera très
probablement pré orientée par cette culture pratique. Il sera alors impossible de transformer le
regard sur ces pratiques à partir des actes de pensée sur l’activité des acteurs, puisque cette
même pratique est à la fois le moyen d’observation (cadres de pensées de l’activité) et l’objet
de celle-ci (l’activité elle-même). Le principe tautologique de cette démarche détruit à
l'avance en grande partie sa fécondité. Dans ce cas, il nous semble qu’elle a en définitive peu
de chance de déboucher sur des résultats contre intuitifs et ne peut être qu’une démarche
d’évaluation d’un dispositif ou d’une action à partir de cadres normatifs. Comme le remarque
Barbier "les démarches de recherche accompagnant explicitement les actions et visant leur
transformation... s'effectuent dans les catégories intellectuelles même de l'action, dont elle
constitue un développement... Elles contribuent davantage à "enrichir" les significations que
les acteurs accordent spontanément à leurs actes qu'à produire des significations autres"
(Barbier, 2000 b. p.90 ).
Le choix d’une démarche d’intelligibilité impose au contraire, la détermination d’une
sémantique propre et indépendante de la sémantique de l’action : une sémantique de
l’intelligibilité (Barbier, ibid.).
Premier chapitre
23
La sémantique de l’action se caractérise par (1) des concepts polysémiques, (2) marqués
axiologiquement, (3) établissant des liens avec l'espace de l'action concernée et d'autres
espaces d'action ou d'expérience, (4) entretenant entre eux des liens d'intersignification
évoluant constamment de façon contingentes à l'action.
La sémantique de l’intelligibilité se caractérise quant à elle, par (1) des concepts univoques
dans la sphère de leurs emplois, (2) qui désignent un existant, à l'exclusion d'un souhaitable
ou d'un désirable, (3) permettant l'établissement de liens d'influence réciproque ou
d'interdépendance entre plusieurs existants, (4) ne supposant pas forcément que l'acteur ait
conscience de son activité, (5) n'impliquant pas forcément dans tous les cas le repérage
d'invariants, (à la différence des approches disciplinaires classiques des sciences sociales)
(Barbier, ibid.).
Nous avons pu trouver par exemple, lors de revue de lecture sur les travaux concernant les
formations en alternance des travers caricaturaux mais si courants. Ils consistent à prendre des
cadres d'évaluation des dispositifs de l'alternance ( intégrative, juxtapositive, coopérative...) et
à les appliquer en tant que cadre d'analyse des dispositifs...sans se demander si les personnes
en formation vivaient l'alternance comme un processus de formation susceptibles de
développer une intégration de connaissances issues de différents univers. Ainsi, certains
apprentis éducateurs vivent une activité d’intégration des savoirs issus des différents espaces
de formation (notamment l’entreprise et l’organisme de formation), dans un dispositif
objectivement de l’ordre de la juxtaposition la plus dure (Zeitler, 2001). En prenant comme
fait acquis des concepts de l'action renvoyant à l'évaluation de celle-ci, la recherche par cette
confusion entre les deux univers sémantiques de l'action et de l'intelligibilité prend en
définitive peu de chance de faire évoluer les conceptions de la formation. Ce danger est
d’autant plus important si l’on tente de réaliser une intelligibilité de l’activité d’acteurs
débutants.
1.2 Quels gardes fous pour l’intelligibilité d’une activité débutante ?
Ces réflexions épistémologiques sont d’autant plus nécessaires lorsque les activités étudiées
sont produites par des acteurs débutants9 afin de ne pas altérer le travail d’intelligibilité en
évaluation de l’action des apprentis enseignants. Afin de tenter d’éviter ce travers, nous nous
sommes donné trois parades. La première tient à une conception selon laquelle toute activité,
9 Le chercheur est aussi formateur à d’autres moments, mais pas avec les acteurs participants à la recherche cependant.
Premier chapitre
24
même si elle apparaît d’un point de vue évaluatif comme non pertinente par un observateur
extérieur expérimenté, est pourtant cohérente du point de vue intérieur de la subjectivité
engagée par l’acteur. La deuxième tient à la recherche des régularités dans les activités portant
sur notre objet : l’apprentissage interprétatif en contexte. La troisième tient à la conception
d’une intelligibilité centrée sur l’activité située.
1.2.1 Rigueur et pertinence dans l’activité des ens eignants débutants Schön (1996) dans sa recherche d’une épistémologie de la pratique fixe un paradoxe,
fondateur de sa démarche, entre la recherche de pertinence et l’exigence de rigueur. La
seconde étant suspendue au principe de cohérence et de rationalité technique, tandis que la
première est le résultat d’une activité de réflexion-en-action, faite d’une adaptation créatrice et
rusée aux conditions singulières, imprévues, paradoxales, complexes et mouvantes des
situations professionnelles. Cette intuition de première importance fixe bien les limites du
mythe de la toute puissance de la rationalité technique dans le développement et l’exercice de
l’expertise. Elle pointe notamment les limites des conceptions applicationnistes des
connaissances selon lesquelles l’activité résulterait d’une application de connaissances
qu’elles soient déclaratives ou même procédurales. En cela la pensée de D. Shön et plus
globalement du courant qu’il représente est essentielle, car il contribue à ouvrir la porte aux
démarches d’intelligibilité de la pratique professionnelle comme un objet étrange. Cet objet
est à la fois proche et intime pour qui le pratique, mais possède toujours une part
d’indétermination qui le rend non totalement prévisible et transparent et en fonde par là-même
l’intérêt.
Pourtant la quasi identité établie entre le principe de cohérence et de rationalité d’une part et
celui de pertinence et de réflexion en action d’autre part, mérite d’être remise en cause dès
lors que l’on s’intéresse à l’activité des débutants, comme celle de l’enseignement par
exemple.
En effet, lorsque l’on abandonne un point de vue normatif externe sur l’activité
d’enseignement des pédagogues débutants, pour adopter celui de l’empathie vis à vis de la
subjectivité engagée dans l’action, l’activité apparaît profondément cohérente. Dans le même
temps, l’activité déployée pourrait être jugée, à bon droit et à bien des égards, comme non
pertinente par un observateur expert.
La cohérence apparaît au contraire, interne à un système de fonctionnement propre à l’acteur
dans une situation qu’il construit à partir du contexte (Astier, 2003), comme celle-ci co-
construit l’activité. Cependant cette cohérence n’est pas rationnelle, dans le sens où elle ne
Premier chapitre
25
résulte pas d’un calcul visant l’adoption de solutions optimales dictées par des savoirs établis,
sous forme symboliques et essentiellement (pour ne pas dire exclusivement) d’ordre
didactiques (en ce qui concerne l’enseignement).
C’est bien cette cohérence interne, qui rend l’activité des débutants intelligible, mais à une
condition : celle d’abandonner un point de vue « surplombant » de l’activité d’autrui. Ce point
de vue est subordonné à la croyance que l’activité déployée par les débutants ne peut-être que
transparente aux yeux de ceux qui ont davantage d’expérience.
Comprendre la cohérence interne de l’activité des débutants est une option épistémologique
lourde. Elle est aussi en relation avec une conception de l’activité selon laquelle celle-ci est
organisée par des équilibres fonctionnels, qui sont propres à l’acteur. Le corollaire au niveau
de l’apprentissage, est que l’évolution de l’activité est produite par l’établissement de
nouveaux équilibres et nécessite pour cela l’abandons des anciens (Astolfi, 1992).
L’implication de cette conception pour la recherche étant qu’il est probablement utile de
construire une intelligibilité de cette évolution des équilibrations, ce qui nécessite la
compréhension de la dynamique d’apprentissage situé.
1.2.2 Une recherche des régularités dans l’apprenti ssage interprétatif en contexte
Comme toute recherche scientifique, celle de l’apprentissage interprétatif en contexte, vise
l’établissement de régularité (Chauviré et Ogien, 2002). Quelles conceptions de la régularité
pouvons nous avoir ? Trois conceptions de la régularité sont distinguées par Chauviré et
Ogien (ibid.). (1) Les co-occurrences récurrentes sont interprétées en termes de causalité.
Toutefois cette position pose le problème de la validité de l’induction (position empirique).
(2) A l’opposé, les conceptions Kantiennes exigent la constitution a priori de principes
synthétiques d’entendement, parmi lesquels le principe de causalité. Celles-ci prônent que
tout changement est l’expression d’une cause et que ce dernier est l’élément essentiel qui
donne sens aux régularités.
Une troisième voie a été ouverte lentement et instaure l’établissement de la régularité comme
la mise en relation d’un phénomène observé et la façon de l’observer. Pour ces auteurs, cette
nouvelle option dépasse la controverse introduite par la distinction entre comprendre
(verstehen) et expliquer (erklären) par Weber (Delmotte, 2003). Cette conception se range
plutôt du coté de la compréhension, sans pour autant exclure une part d’explication lorsqu’elle
prend pour objet des activités dont les contours sont significatifs pour les acteurs. Les deux
processus sont alors intimement liés. Ici nous préférons utiliser le terme d’intelligibilité
(Barbier et Galatanu, 2000a, Barbier, 2000b, 2000d) pour rendre compte de cette posture
Premier chapitre
26
épistémologique qui tente de dépasser l’opposition entre les démarches explicatives et
compréhensives y compris dans le cadre de l’analyse de la singularité de l’activité.
De ce point de vue, il est possible de considérer la régularité soit comme le résultat d’un ordre
sous-jacent et préexistant, soit comme le résultat de l’activité ordonnatrice mise en œuvre par
des acteurs dans un cours d’action (Chauviré et Ogien, 2002, p.12). La démarche de
recherche entreprise dans ce travail s’inscrit précisément dans cette deuxième perspective.
Elle vise à mieux comprendre comment l’activité pratique produit des régularités de
l’interprétation et de l’apprentissage interprétatif.
1.2.3 Une conception d’une intelligibilité centrée sur l’activité située Barbier et Durand (2003) en plaidant pour l’intérêt de l’entrée activité, définissent trois
priorités pour les chercheurs adoptant cette perspective. Nous reprenons à notre compte ces
trois priorités. En premier lieu il s’agirait d’articuler la construction d’objet de recherche en
référence à des activités et à des théories de l’activité. Ce qui implique : (a) la mise en objet
d’une catégorie naturelle, ce que nos tenterons de faire avec la notion d’interprétation de la
situation par l’acteur ; (b) de se centrer davantage sur les procès de l’activité que sur des
construits sociaux ; ce que nous tenterons de faire avec la prise en compte de la dimension
sociale de la situation d’apprentissage ; (c) de tenter de produire des connaissances théoriques
sur l’activité en général, tout en reconnaissant le caractère situé de celle-ci ; ce que nous
tenterons de construire dans la modélisation générale de la relation entre les procès
d’interprétation et d’apprentissage interprétatif. Dans un deuxième temps, il s’agirait de
contribuer à la construction au sein d’une communauté de recherche, d’outils de pensée et de
méthodes cohérentes avec cette entrée. Ce qui implique la prise en compte (a) du contexte de
l’activité afin de dépasser la double cécité infirmée par Lave (1998), d’une psychologie qui
ignore le contexte notamment social et d’une certaine sociologie qui ne prend pas en compte
l’autonomie de l’activité individuelle. Nous essayerons de montrer à la fois comment le
contexte social joue un rôle dans l’activité interprétative des acteurs, y compris au niveau de
l’apprentissage de cette dimension de l’activité ; (b) prendre en compte les transformations
opérées sur l’individu à travers l’apprentissage interprétatif ; (c) de la coordination des
activités entre acteurs, qui sera faite mais uniquement du point de vue de leurs interactions
sociales ; (d) de la question de la dynamique de la transformation de l’activité, qui sera traitée
à partir de l’études des dynamiques de transformation de l’interprétation des situations et des
apprentissages associés. (3) La troisième préoccupation consiste à penser en terme d’activités
le processus de recherche. Elle se retrouve dans nos préoccupations de développer le cadre
Premier chapitre
27
théorique de la notion d’interprétation des situations et de produire dans le même temps des
données et résultats sur cette activité par un mouvement itératif. Ceci nous amènera à la
présentation de la méthodologie retenue initialement et au développement d’évolutions que
nous avons conduit pour prendre en compte cette itération. Dans cette perspective, la
présentation de ce travail de recherche visera à montrer, outre les résultats, le processus même
de la recherche « en train de se faire », comme action située.
2. Quel point de vue sur l'activité du sujet? Prendre pour objet l'activité implique d'étudier les actions humaines dans leurs singularités
(Barbier et Galatanu, 2000a). Ceci suppose la nécessité de prendre des outils qui permettent
de saisir le caractère situé et contingent des actions.
Ici, deux approches peuvent être adoptées: 1) celle d'un point de vue extérieur à l'activité, 2)
ou au contraire celle du point de vue du sujet humain impliqué dans l'activité.
Dans le premier cas, c’est le chercheur qui objective l'activité à partir des actes produits par le
sujet, ou qui infère l'activité à partir des opérations repérées. Dans le second cas, le chercheur
“ objective l'activité à partir de l'ensemble des phénomènes qui, aux yeux du sujet, constituent
une unité significative de ses activités ” (Barbier, et Galatanu, ibid.). Cette position est prônée
à travers le concept de “ primat de la description intrinsèque ” (Theureau, Jeffroy , et al.
1994). Celui-ci trouve une opérationalisation dans le concept de “ cours d'action ” défini
comme “ ce qui dans l'activité d'un (des) opérateur(s) est significatif pour lui (eux), c'est-à-
dire racontable et commentable par lui à tout instant ” (Theureau, Jeffroy, et al. ibid.).
Ceci ne signifie pas pour autant que ces deux approches ne puissent pas être menées
conjointement. En effet, dans les travaux de recherche privilégiant le point de vue du sujet
impliqué, il existe la plupart du temps un relevé de données qui permet d'objectiver les actes.
Ces relevés peuvent s'effectuer pendant (démarche collaborative, par exemple :Lave J.,
Murtaugh M., De La Rocha O., 1984) ou avant le recueil des éléments significatifs pour
l'acteur. Ils constituent alors la base essentielle permettant la verbalisation des unités
significatives par l'acteur comme dans l'entretien d'auto-confrontation (Theureau J., Jeffroy J.
et al., 1994) ou dans l'entretien d'auto-confrontation croisé (Clot, 2000).
Cependant, afin de conserver l'unité de l'objet de recherche, il est nécessaire d'opérer un choix
dans le primat de la description qui est à effectuer. Soit choisir comme point d'entrée de la
description de l'activité du sujet, le point de vue externe, soit au contraire choisir le point de
vue du sujet, à partir des unités élémentaires d’activité que celui-ci se donne au cours de
l'action, afin de les mettre en relation avec les actes objectivement effectués.
Premier chapitre
28
Si les données ne sont pas recueillies en externalité, cela implique qu'il faudra alors partir des
actes réellement produits pour construire les processus d’apprentissage. Ceux-ci ne pourront
alors qu’être inférés à partir de la modification au cours du temps de l’action observable.
Mais cette démarche ne permettrait pas de connaître les procès internes de transformations
« en train de se faire » de l’activité.
C’est pour cette raison que nous privilégierons dans notre recherche, une entrée centrée sur le
point de vue du sujet et une prise en compte de la subjectivité. Avec une telle entrée, nous
avons l'espoir de pouvoir déterminer ce qui fait sens au cours de l'action pour le sujet. Ceci
afin de mieux comprendre comment sont perçus les situations dans le contexte de formation et
donc de saisir plus directement l'interaction produite entre l'apprentissage et cet
environnement.
En définitive, se placer prioritairement du point de vue de la personne apprenante plutôt que
de celui de la formation est pour nous une nécessité. Ceci sera fait afin d’éviter de prendre en
compte l'idéologie de la formation comme point de référence de l'analyse, car on court le
risque de produire une démarche de type tautologique incapable de transformer en définitive
les pratiques de formation, comme déjà expliqué plus haut. Ce choix nous parait crucial dans
la perspective d'une psychologie ergonomique de la formation. Comme le remarque A.
Wisner (1995, p. 151) à propos de l’antropotechnologie (ergonomie du transfert de
technologie), “ la technologie et les conditions sociales ne déterminent pas dans le détail les
activités des individus ou des groupes et le résultat de leur travail. Une analyse fine de leurs
comportements, de leurs activités situées permet seule de partir du réel pour en arriver aux
causes lointaines et multiples des difficultés. Ainsi, l'approche "bottom up" de l'analyse
ergonomique du travail constitue une sorte de garantie vis-à-vis d'une interprétation
dogmatique des dysfonctionnements des systèmes techniques exportés et permet de créer des
espaces situés à des niveaux divers pour résoudre les difficultés constatées ” . Ces remarques
concernant le transfert de technologie, nous semble pouvoir s’appliquer dans l’analyse de
l’activité « se former ».
Un autre argument plaide en faveur d'une approche du point de vue du sujet. Il tient au fait
qu'elle est compatible avec “ une approche d'ensemble, qui est d'ailleurs probablement la
seule voie utilisable par des praticiens. Ce choix s'oppose aux découpages disciplinaires dans
l'analyse de l'action qui proposent autant de lecture dont la recomposition s'avère ensuite fort
difficile et qui suppose de fait de la part du praticien l'adoption d'un positionnement qui n'est
pas le sien (chercheur disciplinaire) ” (Barbier, 2000a, p.47). Dans la perspective d'une
psychologie ergonomique de la formation utilisable par les acteurs qui est la notre, “ il est
Premier chapitre
29
nécessaire de développer des méthodologies qui rendent compte notamment de l'unité du
"faire et du dire" ”, (Barbier, ibid.) comme le font les courants de recherche de
l'ethnométhodologie ou du "cours d'action" (J. Theureau, J. Jeffroy, 1994).
Cette approche d'ensemble réunissant les actes et les significations que les acteurs leurs
donnent, incite aussi à une approche holiste.
2.1 Pour une approche holiste L'activité d'apprentissage nécessite un engagement important de la personne dans des
dimensions affectives, sociales et culturelles (Vigotsky, 1997 [1934]), car tout apprentissage
implique une transformation de la personne. Il est donc nécessaire de prendre en compte ces
dimensions dès le départ du travail d'intelligibilité. Cette nécessité en crée une autre pour
nous, celle d'inscrire notre travail de recherche dans une approche holiste, qui ne réduit pas
l’activité de la personne à la somme de ses actions et les buts des actions aux motifs des
activités. Ceci se caractérise pour nous, par la définition complexe de l'objet de recherche, à
partir de dimensions de transformation des habitudes, des aspects émotionnels et d’intention
d’intervention sur le réel.
D'autre part, le caractère social de l'apprentissage implique aussi la nécessité de prendre en
compte les aspects intersubjectifs. Ici la situation ne peut se réduire à l'interaction tâche-sujet
mais doit prendre en compte, outre le contexte matériel, les aspects sociaux et culturels
(Zeitler, 2000). Ainsi conformément à cette position, les processus d’interprétation et
d’apprentissage interprétatif ne seront pas étudiés indépendamment des autres composantes
de l’action, y compris les actions dans un contexte, matériel, temporel et social. Le choix de
l’objet d’étude est simplement un choix de priorité ou si l’on veut un angle de vue sur
l’activité.
2.2 Une approche de la singularité de l’action par la notion de configuration
L’activité “ se former ” est singulière, contingente et dynamique. Notre recherche s'inscrit
donc dans le cadre de l'intelligibilité de la singularité de l'action.
Dans cette épistémologie, compte tenu du caractère contingent de l’instabilité de l’action et de
sa singularité, la démarche d’intelligibilité ne peut pas respecter les approches scientifiques
classiques des sciences sociales de repérage d’invariants, ou de reproductibilité des données et
d’autonomisation relative de l’objet de recherche. Barbier (2000b) propose d’utiliser la notion
de “ configuration ” définie comme “ organisation singulière de formes régulières ”. Ainsi
définirons nous l’approche de la singularité comme une démarche scientifique par le repérage
Premier chapitre
30
des configurations. Nous tenterons dans notre travail de déterminer les configurations des
relations entre activité et apprentissage interprétatifs d’une part et d’autre part des
environnements de formation avec l’activité « se former » des acteurs. La notion de
configuration possède le grand avantage de permettre une approche à la fois compréhensive,
mais aussi explicative de la singularité. Ceci nous semble constituer un atout considérable,
lorsqu’il s’agira de fournir une aide à la conception de la formation.
Premier chapitre
31
Premier chapitre
32
Troisième partie : Cadre théorique Troisième partie du premier chapitre
Cette deuxième partie se décompose en trois sections.
• La première section présentera une étude de la notion d’interprétation dans sa
signification générale.
• La deuxième section exposera la notion d’interprétation quand celle-ci porte sur
l’objet que nous appellerons « situation ».
• La troisième et dernière section portera sur l’étude des connaissances actuelles de ce
que nous appellerons l’apprentissage interprétatif.
Pour chacune de ces trois sections une conclusion éclairera nos choix théoriques et leurs
opérationnalisations pour la recherche, notamment dans la construction ad hoc des définitions
essentielles.
Premier chapitre
33
Première section du cadre théorique
Approche générale de la notion d’interprétation
Avant d’aborder la notion d’interprétation quand elle a pour objet les situations, nous allons
préciser la signification qu’elle prend dans la littérature classique et herméneutique.
1. Approche historique de la notion d’interprétatio n
1.1 Aux racines de la notion, des enjeux théoriques , méthodologiques et sociaux
Dans son sens liminaire, la notion d’interprétation provient de l’herméneutique d’Aristote
dans son Peri herèneias (cité par Ricœur, 1965). Selon ce traité : « est interprétation tout son
émis par la voix et doté de signification ». A l’origine, la notion d’interprétation a été conçue
uniquement comme un acte de production de communication. Suivant la tradition
aristotélicienne, Ricœur par exemple définit l’interprétation ainsi : « dire quelque chose de
quelque chose, c’est au sens complet et fort du mot, interpréter ». De nombreux auteurs
suivent d’ailleurs cette tradition. Nous allons, pour notre part, nous en éloigner et nous
verrons pourquoi un peu plus tard. Toutefois, une rapide approche historique nous permet de
comprendre pourquoi la notion d’interprétation n’est pas « en odeur de sainteté » dans nos
sociétés. Le sens commun rejette de façon virulente l’activité interprétative comme non fiable
et lui préfère d’autres notions comme celle de « diagnostic», « d’analyse » ou
« d’évaluation », notamment dans le monde de la formation et de l’enseignement... Ces
notions ont toutes un avantage social sur « l’interprétation », celui de valoriser le côté objectif
de l’activité et de masquer la subjectivité engagée par l’acteur. Ici, l’approche historique peut
nous aider, en partie, à comprendre pourquoi.
Prenons l’exemple de l’enjeu de l’interprétation dans la sphère religieuse. Les divergences
sur le statut de l’interprétation ont investi et attisé les conflits entre religions proches.
L’exégèse des textes religieux a donc été confrontée au problème de l’interprétation des
textes, lourd de conséquences pour le contrôle des consciences et des corps. La maîtrise de
l’interprétation a été (et continue probablement à l’être) un objet de pouvoir. De ce point de
vue, Fédida, (1985) va jusqu’à soutenir que le jugement négatif du sens commun sur la notion
d’interprétation est la conséquence de l’approche de l’exégèse des textes par l’église
catholique romaine. En mettant en garde contre toutes interprétations des écritures bibliques
en dehors de celles produites par la hiérarchie religieuse, la notion même d’interprétation a
Premier chapitre
34
subi un préjugé négatif, qui s’est étendu à l’ensemble du subjectivisme psychologique. Il est
d’ailleurs possible de se demander si ce préjugé n’est pas en définitive le simple avatar d’un
principe de domination social10. Ainsi la notion même d’interprétation possède, un arrière
fond subversif, notamment dans notre société. S’agissant des situations de formation à la
pratique de l’enseignement, il est possible de se demander si finalement l’interprétation des
situations d’enseignement par les formateurs, donnée le plus souvent pour plus légitime que
celle des formés, ne revient pas à une conception ontologique de la compétence, tandis qu’elle
subordonne le principe d’interprétation (comme acte de communication) à celui de
conformation. En effet, à partir du moment que l’on considère la sémiose11 comme illimitée
(Eco, 2001a, 2001b ; Peirce, 1984) il est devient délicat de décider, en extériorité, que telle
ou telle interprétation est moins pertinente que telle autre. Pourtant, toutes les interprétations
ne se valent pas pour l’efficacité de l’action.
Si l’on rapporte cette question à la formation professionnelle, le problème pour le formateur
devient alors relatif au choix d’intervention pour faciliter l’émergence d’interprétations
pertinentes des situations d’enseignement sans pour autant les imposer. En d’autre terme,
cette problématique sociale plonge l’activité de formation dans un dilemme épistémologique
et praxéologique. Il s’agit pour le formateur de faciliter l’émergence d’une activité
d’interprétation plus élaborée chez l’apprenti, mais sans lui imposer l’orthodoxie scolastique,
quelquefois inquisitoire, que représente le modèle du moment du bon enseignement.
1.2 Réflexions sur les conceptions aristotélicienne s de l’interprétation
A ce stade de notre réflexion, il est possible de se demander si la production d’une
signification au moyen d’une communication dans la mesure où elle est signifiée, révèle
seulement une deuxième strate de l’interprétation plus personnelle et privée.
L’attribution de sens à une situation par l’acteur est-elle une activité distincte de celle qui
consiste à l’énoncer ? La communication de la signification serait-elle une des deux parties de
l’interprétation, celle de production de signification pour autrui centrifuge et publique ? Peut-
on considérer comme appartenant à la notion, l’activité qui consiste à établir un sens privé de
la situation pour l’action ?
10 Ceci pose par ailleurs le problème de la valeur épistémologique de l’interprétation du réel dans les sciences, tant que l’épistémologie s’est située (de Platon à Kant) dans un idéalisme de la vérité. 11 Activité de production d’interprétation
Premier chapitre
35
Plus radicalement est-il possible de distinguer l’activité d’interprétation, (qui consisterait à
attribuer un sens privé à une situation par exemple), de la communication de l’interprétation
(qui consisterait à rendre public quelque chose de l’interprétation par son énonciation) ?
A ces questions nous voudrions apporter plusieurs réponses. Les premières sont d’ordre
théoriques notamment sur la base de la phénoménologie Husserlienne ; les secondes sont
pragmatiques en fonction des buts que nous poursuivons ici pour notre activité de recherche.
2. Les deux orientations de l’interprétation La notion d’interprétation est polysémique. On parle d’interprétation pour évoquer le travail
du traducteur, bien sûr, mais aussi celui du musicien, du chanteur, de l’acteur, du chanteur, du
chorégraphe… Bref d’un travail de création artistique. La notion recouvre en quelque sorte,
cette part de créativité à l’intérieur de normes culturelles et sociales qui leurs donnent sens.
Dans le même temps, cette créativité enrichit ces normes, voire les déplace, par le caractère
parfois subversif de l’interprétation (Fétida, idid.). Celle-ci est à la fois personnelle et
subjective, mais elle rencontre et construit des significations dans les cadres des conventions
sociales et culturelles, qu’elle contribue à faire évoluer. Pour prendre la métaphore de l’artiste,
il faut bien que ce dernier attribue lui-même un sens personnel à l’œuvre. L’interprétation est
alors une communication du sens personnel et subjectif spécifique qu’il a construit. Il
appartient à chaque spectateur d’en construire le sens pour lui (donc une nouvelle
interprétation), fondant ainsi les conditions d’une communication intersubjective.
En suivant cet exemple, la notion d’interprétation possède donc deux orientations. L’une
centripète et privée ; l’autre centrifuge et publique. L’exemple de l’artiste interprétant une
œuvre montre d’emblée le caractère dialectique de la notion, autour duquel se sont organisées
la plupart des problématiques de la notion d’interprétation : interprétation et surinterprétation ;
subjectivité et objectivité ; sens et signification…
Cette conception de l’interprétation est aussi celle défendue par Wilson (1970). Pour ce
dernier cette notion connaît deux versions. La première subjective identifie la compréhension
du monde à son interprétation et permet par là-même jusqu’à la construction des identités des
individus. Cette première version est alors conçue comme une activité solidaire de l’action
tout en passant relativement inaperçue. A contrario une deuxième version de l’interprétation,
objective et explicite rend public quelque chose de la première version en vue de produire une
signification. De ce point de vue, on peut estimer avec Bouveresse (1991) que la version
subjective et privée de l’interprétation organise l’essentiel des productions de significations.
Premier chapitre
36
Ici, la distinction opérée entre sens et signification est une base de réflexion qui nous semble
indispensable.
La notion de sens sera définie dans la suite de notre propos comme la « construction mentale
spécifique s’effectuant chez un sujet à l’occasion d’une expérience, par rapprochement entre
cette expérience et des expériences antérieures » (Barbier, 2000c, 2003a). Notons
immédiatement la différenciation de cette notion avec celle de signification que nous
reprenons à notre compte comme « intention spécifique accompagnant chez un sujet un
procès de mobilisation de signes, en vue de produire des effets de sens chez le destinataire
de la communication ». Soulignons aussi que cette définition sous-entend les effets
illocutoires mais aussi perlocutoires (Austin, 1991) que l’acteur obtient dans une situation
d’interaction discursive.
L’interprétation apparaît alors essentiellement comme une attribution de sens à quelque
chose. Nous distinguerons cette activité de celle consistant à l’énonciation de
l’interprétation comme production d’une signification.
L’approche de la phénoménologie husserlienne nous pousse encore dans cette définition
radicale de l’interprétation en tant qu’attribution de sens.
2.1 L’apport de la phénoménologie husserlienne Même s’il ne parle pas d’interprétation, Husserl distingue dans son ouvrage « expérience et
jugement » (Husserl, 1970), l’expérience antéprédicative de pure réceptivité, du jugement
prédicatif. Le premier mouvement se constitue par un repérage d’un objet (matériel ou de
pensée) par relation de familiarité avec l’objet. Cette relation de familiarité associe un
sentiment d’évidence au repérage de l’objet, en tant qu’objet, sans pour autant qu’il y ait
conscience de cette évidence (état de conscience pré attentionnel).
En suivant l’inspiration des conceptions husserliennes, nous définissons la détermination de
l’objet comme la survenue d’un jugement antéprédicatif (et pré attentionnel) associé à la
survenue d’un sentiment d’évidence qui peut faire l’objet ensuite d’une caractérisation
prédicative (dans une énonciation, ou dans un discours privé).
Le jugement prédicatif correspond quant à lui, à une caractérisation d’un objet sous la forme :
« ce qu’est », « ce que semble », ou « ce que sera », (ainsi que leurs négations), l’objet pour
Premier chapitre
37
l’acteur. Il est de forme symbolique contrairement au jugement antéprédicatif et peut être
uniquement mental. Ceci signifie qu’il peut ne pas être énoncé, mais que son énonciation
signifie quelque chose du jugement prédicatif.
Nous retirons de ces conceptions que l’anté-prédication n’est pas forcément suspendue à un
jugement prédicatif, tandis que l’existence d’un jugement prédicatif implique une expérience
antéprédicative. La réduction de l’interprétation au jugement prédicatif reviendrait à une
catégorisation de ce processus dans la seule logique formelle, laissant ainsi en suspend la
question de l’attribution de sens aux situations, sans formulation de significations. La théorie
d’Husserl du jugement antéprédicatif constitue le premier élément de la théorie génétique du
jugement, sur la base d’une reconnaissance de la singularité de l’objet dans un type général
qui le subsume.
Ceci est la raison centrale qui nous fait choisir la détermination antéprédicative dans
l’expérience de l’acteur comme une caractéristique essentielle de l’interprétation.
Enfin, l’expérience antéprédicative (toujours selon Husserl) peut renvoyer à un jugement
immédiat et atteindre l’évidence, mais elle peut être également médiate. Elle s’appuie alors,
sur d’autres évidences (plus élémentaires) pour faire survenir une évidence de deuxième
niveau. Cette conception donne une opportunité d’analyse à l’interprétation en train de se
réaliser et laisse entrevoir les processus d’apprentissage. Mais, en tout premier lieu, cela
signifie que l’interprétation est une activité qui donne lieu à un produit (la détermination de
l’objet). Ceci nous conduit à distinguer l’interprétation en tant qu’activité et en tant que
résultat (ou comme nous le préciserons plus tard en tant que procès et produit), ce qui nous
amènera à prendre en compte sa dualité.
2.2 Un choix pragmatique guidé par l’objet d’étude En anticipant sur la suite de notre recherche, dans les procédures d’auto confrontation que
nous utilisons, il ne nous est pas toujours possible de faire la part des choses entre
l’interprétation première de la situation et ce qui revient à une interprétation secondaire liée à
l’engagement de l’acteur dans la situation de communication. Toutefois, il ne faudrait pas
pour autant considérer que seule la situation de communication de signification est pertinente
dans ce cas. Car la situation de communication dans l’auto confrontation s’appuie sur les
interprétations passées généralement de formes antéprédicatives (mais pas toujours). Elles ont
été effectuées dans le cours de l’action et elles les convoquent et les rend littérales. Elles
Premier chapitre
38
deviennent alors, des jugements prédicatifs plus ou moins déterminés. Ce sont bien les deux
aspects de l’interprétation qui sont donc présents dans la situation d’auto confrontation.
Ces réflexions nous conduisent, en toute logique, à prendre pour objet l’apprentissage
interprétatif dans l’expérience d’enseignement. Si l’on entend par « expérience » l’ensemble
des transformations suscitées pour l’acteur par l’activité effectuée pendant et après
l’action, mais relativement aux premières. Ceci inclut la mise en relation d’une action
passée avec la description significative de cette action à un observateur - interlocuteur.
De ce point de vue, nous nous intéresserons autant au versant antéprédicatif que prédicatif de
l’interprétation.
Le problème qui nous est posé, est alors de définir les limites de cette activité, afin que toutes
perceptions ne soient pas des interprétations, ce qui rendrait non opérationnelle notre
définition. Cette problématique pose la question de la limite de la sémiose, que nous allons
étudier maintenant.
2.3 L’approche herméneutique de l’interprétation
2.3.1 Une délimitation par la recherche du sens cac hé
Même si les interprétations des textes et des situations sont très différentes au niveau de
l’objet et probablement des procès mobilisés, la référence à l’herméneutique nous paraît être
intéressante. Elle nous permettra de préciser la validité de l’interprétation pour l’acteur, même
si celle-ci n’a pas de caractère véridictionnel12 objectif.
Pour Charles Taylor (1999), « l’interprétation au sens de l’herméneutique, est la tentative de
rendre clair l’objet étudié, de lui donner un sens. Cet objet doit donc être un texte, analogue à
un texte, qui est, d’un certain point de vue, confus, incomplet, obscur, apparemment
contradictoire - bref, d’une manière ou d’une autre, pas clair. L’interprétation vise à mettre
au jour une cohérence ou un sens cachés ».
Il peut paraître à première vue surprenant, voire contradictoire de se référer à une démarche
herméneutique pour aborder la question de la pratique d’enseignement. Surprenant, car la
pratique n’est pas un texte et l’acteur dans la pratique n’a que peu de temps pour interpréter
les situations. Contradictoire, car un sens est bien souvent attribué à la situation en dehors de
toute réflexion. C’est, en effet, bien le rôle des cadres de l’expérience (Goffman, 1991), que
12 Qui a valeur de vérité
Premier chapitre
39
de fournir une interprétation de la situation en cours. Pour cet auteur, « identifier un
événement parmi d’autres, c’est faire appel, en règle générale et quelle que soit l’activité du
moment, à un ou plusieurs cadres ou schèmes interprétatifs que l’on dira primaires parce que
mis en pratique13, ils ne sont pas rapportés à une interprétation préalable ou « originaire ».
Est primaire un cadre qui nous permet, dans une situation donnée, d’accorder du sens à tel
ou tel de ses aspects, lequel autrement serait dépourvu de signification » (Goffman, ibid., p.
30).
De même, une part de l’activité (par exemple d’enseignement) consiste justement pour
l’acteur à construire un sens aux situations auxquelles il est confronté afin d’intervenir
efficacement et ce à l’intérieur des cadres d’expérience, qui donnent le sens social global de la
situation.
Afin de limiter l’interprétation, nous en donnerons une définition opérationnelle qui prend en
compte la construction d’un sens pertinent qui permet de clarifier une situation obscure aux
yeux de l’acteur.
Quels sont les éléments de ce procès de construction d’un sens ? Quelle est la valeur d’une
interprétation ? Ici, les conceptions de l’herméneutique peuvent aussi nous être utiles.
2.3.2 La question de la surinterprétation
Eco (2001a) pose le problème du jugement de l’interprétation des textes. Peut-on considérer,
qu’une interprétation soit bonne ou mauvaise, juste ou fausse ? En d’autres termes, existe-t-il
une limite à l’interprétation ?
Pour Eco, l’intention du texte est de nature à encadrer la sémiose. Car « entre la mystérieuse
histoire de la production d’un texte et la dérive incontrôlable de ses futures lectures, le texte
en tant que texte représente encore une présence sûre, le point auquel nous pouvons nous
cramponner » (Eco, ibid., p.80). La sémiose reste illimitée, conformément à la tradition de la
sémiologie Piercéenne. Mais celle-ci est encadrée par les relations d’analogie, de continuité
et de similitude des différents indices du texte, propres à lui attribuer un sens cohérent et
économique. Si l’on transpose cette conception à l’interprétation des situations, celle-ci est
encadrée par les différents indices que nous pouvons repérer dans l’environnement. Ainsi, il
n’y a pas réellement de problème de surinterprétation par le développement de la sémiose
(qu’elle soit celle du texte ou d’une situation) puisqu’elle est illimitée. En revanche, il existe
13 Souligné par nous
Premier chapitre
40
des interprétations légitimes et d’autres qui ne le sont pas, par rapport au texte lui-
même, comme par rapport aux indices que délivre l’environnement.
Dans une approche pragmatique, Rorty (2001) nous porte, au contraire, à éviter l’idée d’une
découverte de la nature réelle du texte, en nous invitant à considérer l’utilité des
interprétations que nous portons sur lui en fonction des fins qui sont les nôtres. Cette
conception redéfinit radicalement la notion d’interprétation légitime par le biais de l’utilité
pour l’acteur. En définitive, si l’interprétation renvoie à un sens cohérent, ou économique,
elle est légitime. Mais si elle est également utile, elle devient pertinente. Cependant cette
pertinence ne peut s’établir que du point de vue des fins poursuivies par l’acteur et non pas en
extériorité.
L’approche herméneutique possède l’immense avantage de nous proposer une alternative à la
conception véridictionnelle de l’interprétation (du point de vue de l’objectivité). Avec les
conceptions de la validité, de la plausibilité et de l’utilité de l’interprétation, nous avons la
possibilité de trouver une conception de l’interprétation en phase avec les conceptions de
l’autonomie de l’activité humaine. C’est essentiellement cet aspect de la notion
d’interprétation qui fait que nous avons porté notre choix sur elle plutôt que sur d’autres
notions mieux établies théoriquement.
Les approches linguistique et de communication peuvent aussi nous aider à définir une
théorisation de l’interprétation.
3. L'apport de la théorie ostentivo-inférentielle d e la communication au problème de l'interprétation
La communication est un cas particulier d'action. En effet, du point de vue de la pragmatique
linguistique, toute activité de communication se déroule dans un contexte et dans une histoire
à l’intérieur desquels, les actes de communication prennent sens. Certains auteurs de ce
courant ont fait du principe d’interprétation un élément théorique essentiel des théories
pragmatiques, ce qui apporte des éclairages intéressants sur cette notion.
3.1 La notion d’inférence et de décodage Du point de vue de la pragmatique linguistique, qui se définit comme « une science de
l’usage du langage », ce dernier se réalise dans la communication à partir d’un principe
d'interprétation. Ce principe procède de deux procès - le décodage et l’inférence- qui
permettent d’utiliser une somme énorme de connaissances sur le monde et notamment sur la
Premier chapitre
41
personne qui parle et sur ce qu'elle veut dire (Sperber et Wilson, 1989 ; Reboul et Moeschler,
1998).
Pour Sperber et Wilson (1989), le processus de décodage a pour point de départ un signal et
pour aboutissement la reconstitution du message associé au signal par le code sous-jacent. Il
repose sur l’utilisation de signes conventionnels, ou déjà connus.
Le processus inférentiel désigne, quant à lui, l'ensemble du raisonnement qui, à partir d'une
locution comprise d’un point de vue littéral, mais aussi compte tenu d'autres connaissances,
conduit à une conclusion constituant une interprétation de cette même locution. En d'autres
termes, le processus inférentiel a pour point de départ un ensemble de prémisses et pour
aboutissement un ensemble de conclusions qui sont logiquement déduites, ou au moins
justifiées par des prémisses.
Il est impossible de ce point de vue, de « désambiguiser » la phrase par la reconnaissance du
seul code et il est nécessaire d’établir une relation au contexte pragmatique de la
communication.
L'interprétation des énoncés est donc un processus essentiellement inférentiel, qui s’appuie
sur un contexte pragmatique, constitué des prémisses utilisées ou connues au moment de
l'élocution. Les prémisses désignent les informations sur l'environnement physique immédiat,
les énoncés passés, les hypothèses, les croyances, les souvenirs, les préjugés et les
suppositions sur l'état mental du locuteur, utilisées par l’auditeur.
La conception du contexte, exprimée par Sperber et Wilson, semble donc largement liée à
l'activité des acteurs et revêt donc une dimension essentiellement subjective. Ceci permet de
comprendre que l'expérience, en élargissant le répertoire de prémisses, permet du même coup,
d’étendre les possibilités d’interprétation de l’acteur/ auditeur.
D'après ces auteurs, l’interprétation est donc constituée de processus à la fois codique et
inférentiel. Un des arguments essentiels en faveur d’une conception intégrant les processus
inférentiels de l’interprétation est qu'elle permet de répondre à la question de la
communication en dehors de codes conventionnels.
Premier chapitre
42
Mais comment l’auditeur trouve t-il, pour chaque énoncé, un contexte qui lui permette de le
comprendre ? En se référant à Grice (1992), ces deux auteurs montrent que les auditeurs
s'intéressent au sens de la phrase énoncée pour en inférer « ce que le locuteur veut dire » par
le principe de pertinence. Cependant le « vouloir dire » ne se limite pas à la locution. En
effet, un énoncé est l'ensemble des signaux codés. Toutes les modifications de
l'environnement physique produites volontairement par le communicateur, pour être perçues
par le destinataire, est servir de guide aux intentions de l’interlocuteur (Grice et Strawson,
1956). C’est ce qui caractérise le caractère ostentatoire de toute communication de la part du
locuteur. Donc, l’inférence du sens ne se limite pas au décodage des signes linguistiques
conventionnels, mais mobilise aussi une partie du contexte.
La question qui se pose est : comment l’acteur (auditeur) repère t-il les éléments de contextes
intéressants et leurs donne t-il sens ?
3.2 La pertinence comme relation entre le connu et le nouveau Pour Sperber et Wilson, la pertinence est la propriété unique qui détermine quelle information
particulière retiendra l’attention d’un individu à un moment donné. L’efficacité à long terme
du système cognitif est fonction de l’accroissement de ses ressources, notamment en ce qui
concerne le développement de l’environnement cognitif de l’individu. Cet accroissement des
ressources provient de la mise en rapport d’anciennes et de nouvelles informations dans une
utilisation conjointe de deux catégories d’informations (codiques et inférentielles) en tant que
prémisses dans un processus d’inférence inédit afin d’engendrer de nouvelles informations.
Interprétation
Décodage Inférence Expérience
Contexte potentiel : prémisses Code
Schéma du processus d’interprétation n°1 : code et inférence (d’après Sperber et Wilson, 1989)
Premier chapitre
43
« Quand le traitement d’informations nouvelles donne lieu à un tel effet de démultiplication
[…], ces informations sont pertinentes » (ibid. p. 79) : Donc quand il y a création de sens.
3.3 Intérêt et limite du modèle inférentiel pour l’ étude de l’interprétation dans le cours d’action
3.3.1 Les intérêts de l’approche de l’interprétatio n dans la communication pragmatique
Pour l’étude de l’interprétation cette approche permet de comprendre que : 1/ l’interprétation
ne se limite pas au décodage de la situation, 2/ elle est essentiellement de nature inférentielle,
3/ elle permet de comprendre les possibilités d’interprétation de situations inédites, 4/ la
notion de pertinence introduit une conception de l’apprentissage qui n’est pas séparée de
l’activité habituelle. Enfin, cette approche permet de distinguer l’interprétation qui relève des
éléments stabilisés dans l’habitude par l’expérience (par la mobilisation du code dans le cas
de la communication), de ceux qui relèvent de l’interprétation d’une situation inédite à travers
les processus d’inférence.
Nous retiendrons en priorité ces éléments comme caractéristiques essentielles de
l’interprétation pour les situations14.
3.3.2 Limite de l’utilisation des théories de la co mmunication pragmatiques pour l’interprétation des situations
La limite essentielle de cette théorie de l’interprétation, nous semble provenir du fait que
toutes les théories de la communication, dans le cadre de la pragmatique, décrivent depuis les
travaux de Grice, le processus d’interprétation à travers l’attribution d’intention de
communication du locuteur par l’auditeur. Selon cette conception, les auditeurs, pour
comprendre le sens de la communication et donc avoir une interprétation correcte de celle-ci,
s’intéressent à la signification de la locution dans son contexte pragmatique pour en inférer ce
que veut dire le locuteur (Reboul et Moeschler, 1998). A l’inverse, le locuteur pour faciliter
l’interprétation par l’auditeur utilise des stratégies ostentatoires. Cette stratégie de l’interprète
est à l’évidence peu pertinente dans le cadre de l’étude des interprétations des situations (y
compris d’enseignement), car en dehors des moments de communication entre l’acteur et les
personnes présentes qui constituent la situation (notamment les élèves), nous rejetons
l’hypothèse que la situation « veuille dire » quelque chose de particulier. C’est au contraire à
l’acteur de donner un sens à la situation ce qui lui permettra d’agir avec plus ou moins
Premier chapitre
44
d’efficience. De ce point de vue, les situations d’enseignement se situent davantage dans le
registre des significations naturelles que dans celles non naturelles (Grice, 1992), organisées
par les significations conventionnelles. Il reste donc, à déterminer ce qui permet à l’acteur
d’interpréter ce que la situation signifie pour lui et ce qui tient lieu de « vouloir dire ».
4. Le point de vue intentionnel sur les artefacts Pour résoudre ce problème, les conceptions classiques postulent que pour comprendre le
fonctionnement des artefacts, les usagers les pourvoient d’une intentionnalité dite dérivée, due
essentiellement au comportement verbal que nous prendrions à leur encontre. Certains auteurs
vont plus loin. Ainsi pour Dennett (1987), « les systèmes intentionnels ne sont pas uniquement
des personnes. Nous attribuons des croyances et des désirs aux chiens et aux poissons et de
cette façon nous expliquons leur comportement. De même on peut employer la procédure
pour prédire le comportement des machines » (Dennett, ibid., p.271). Les acteurs font ce que
Dennett appelle des « emprunts d’intelligence » c’est à dire que l’on prédit un comportement
en attribuant au système la possession d’une certaine information et en le supposant dirigé par
certains buts (Dennett, 1990). Pour caractériser la notion d’intention dans sa finalité de
prédiction, Denett effectue un glissement en ne parlant plus d’intention mais de « point de vue
intentionnel » et de « système intentionnel ». Le point de vue intentionnel correspond à
l'attitude que l’on prend quand on attribue à un système, ses désirs, ses croyances ou ses
propres intentions, pour comprendre et anticiper ses réactions. Ceci permet une interprétation
du fonctionnement de ce système, mais dans une perspective explicative. Mais Dennett va
plus loin : L’attribution d’intention n’est pas seulement un moyen pratique d’interpréter un
système, il est aussi et surtout le résultat d’un processus heuristique débouchant sur une
théorie limitée du système.
Cette extension radicale du domaine intentionnel à tout artefacts est essentielle. Elle permet
d’étendre cette conception à l’ensemble des artefacts utilisés par l’acteur dans l’action. Or le
monde, les situations vécues par les acteurs, sont les premiers des artefacts (Norman, 1993).
Ceci permet d’envisager une solution à l’impasse théorique concernant le problème de
l’inférence dans l’interprétation des situations de la vie quotidienne.
14 La situation de communication étant une catégorie spécifique
Premier chapitre
45
5. Choix théoriques sur la notion d’interprétation en général et définitions opérationnelles
5.1 Nos choix théoriques Nous retenons des approches herméneutiques que l’interprétation n’a pas de caractère
véridictionnel objectif et qu’elle renvoie à une sémiose infinie pour l’acteur. Cependant, nous
avons vu que celle-ci était cadrée par la cohérence, l’économie et l’utilité pragmatique pour
l’acteur de la mise en sens des indices de l’objet. Les approches de la communication dans la
linguistique pragmatique, nous font concevoir l’interprétation comme un procès
essentiellement inférentiel, qui utilise l’ensemble du contexte comme prémisses.
L’interprétation désigne à la fois une activité sémiologique et le résultat de celle-ci. Nous
appellerons le résultat de l’activité, « l’interprétation occurrente », pour la différencier de
l’activité interprétative, pour laquelle nous réservons le terme « d’interprétation ».
Cette activité ne se confond pas avec la communication du résultat de l’activité interprétative
dans une signification. Nous concevons l’interprétation comme une attribution de sens dans le
cas d’une détermination immédiate de l’objet. Mais en nous rappelant que cette détermination
peut-être médiate (Husserl, 1970), nous choisissons de qualifier cette activité comme
construction de sens.
5.2 Définitions de l’interprétation comme activité et résultat A ce stade de l’analyse théorique de la notion d’interprétation, nous choisissons de la définir
comme :
(En tant qu’activité) une activité d’attribution ou de construction de sens de nature
essentiellement inférentielle.
(En tant que résultat) : le produit d’une activité interprétative comme détermination
antéprédicative, ou caractérisation prédicative d’un objet.
Les notions de sens et de significations sont référées aux définitions de J.M. Barbier. La
notion de détermination a été définie comme la survenue d’un jugement antéprédicatif
associé à la survenue d’un sentiment d’évidence. Quand l’interprétation occurrente est un
jugement d’ordre prédicatif, nous préférerons parler de caractérisation.
L’interprétation et son apprentissage associé seront étudiés dans le cadre de l’expérience.
Celle-ci a été définie comme l’ensemble des transformations suscitées pour l’acteur par
l’activité effectuée pendant et après l’action, mais relativement aux premières.
Premier chapitre
46
Deuxième section du cadre théorique
L’interprétation des situations
Nous allons maintenant nous intéresser à l’interprétation quand celle-ci prend pour objet la
situation.
1. L’interprétation dans une perspective constructi viste L’interprétation des situations sera abordée dans une perspective constructiviste. On doit dès
lors considérer que la cognition résulte de l’activité interactive entre un acteur et son milieu
(Houdé, 1995). Dans cette perspective, la nature du procès d’interaction faite d’attribution de
sens à l’environnement d’action prend une importance toute particulière.
Dans ce paradigme constructiviste, l’attribution du sens a été désignée de longue date par la
fonction sémiotique (Piaget, 1979). Certes, les conceptions actuelles de la cognition,
notamment sous l’influence des théories de la cognition située (Suchman, 1987), renouvellent
considérablement la question. Elles font évoluer la conception de la fonction sémiotique: 1/Le
rôle de l’interprétation de la situation comme fonction sémiologique de l’activité ; 2/ son
aspect situé est irrémédiablement lié à l’activité faite d’interaction avec l’environnement ; 3/
la notion de situation comme activité de détermination de l’environnement ; 4/ le caractère
non symbolique et discursif que peut avoir cette activité ; 5/ l’aspect de construction de
l’interprétation ; 6/ le caractère ancré dans un contexte social.
Nous allons maintenant étudier ces différents points.
1.1 L’interprétation de la situation comme fonction sémiologique de l’activité
Les critiques adressées au modèle de l’ordinateur pour comprendre le fonctionnement humain
depuis une quinzaine d’année (Dreyfus 1984, Winograd et Flores, 1989), ont remis en valeur
le thème de l’interprétation. Ceci a amené à substituer la définition classique comme
appariement entre concepts et objets, à celle de l’émergence du sens du flux de conscience
et de l’expérience corporelle du sujet. Ce courant a permis la réappropriation de la notion
d’interprétation dans la perspective des études de la cognition quotidienne et non plus selon
des perspectives purement linguistiques. Cette notion est particulièrement utilisée par les
travaux se réclamant de la cognition située, du constructivisme, ou plus largement par une
anthropologie cognitive située.
Premier chapitre
47
Le problème essentiel de l’interprétation devient alors l’attribution de sens à la situation au
regard de l’action en cours et non plus celui de l’application de connaissances.
La première question à laquelle nous allons tenter de répondre est de savoir comment l’acteur
repère (énacte dans le vocabulaire de Varela, 1989) les indices pertinents ou simplement
saillants quand l’objet de la situation porte sur la situation.
Bruner (1991, 1996) dans une certaine approche cognitiviste de l’activité, a insisté sur le rôle
central joué par la signification dans le rapport de l’acteur à son environnement. La
construction de la signification telle que l’appréhende Bruner est proche de la définition que
nous avons donnée de l’activité interprétative. En effet, comme le note Bruner (1996, p.21),
« le cercle herméneutique […] gît au cœur même de la construction de la signification ».
Prenant comme exemple l’interprétation d’un texte, cet auteur constate que « la signification
d’une des parties du texte dépend de l’hypothèse que l’on fait quant au sens de l’ensemble,
signification qui, en retour est fondée sur ce que l’on estime être le sens des parties qui le
composent. Mais […] beaucoup d’entreprises culturelles humaines reposent sur ce
principe ». Nous pensons en effet, que ces réflexions peuvent être transposées à
l’interprétation des situations.
Les approches constructivistes peuvent nous permettre de préciser cette conception de
l’interprétation des situations.
1.2 L’interprétation dans une perspective construct iviste de la cognition
Selon Varela (1989), la perception et l’interprétation sont indissociablement liées pour
fonder le sens commun de la vie quotidienne. Berthoz (2003) va plus loin en démontrant
que la perception est déjà une interprétation des messages sensoriels. Contrainte par l’action,
elle est déjà une simulation interne de l’action, un jugement, une décision et une anticipation
des conséquences de l’action (Berthoz, 1997). La perception est conçue comme une action
simulée qui est solidaire d’une interprétation de la situation (Berthoz, 2003). Cette conception
est opposée aux conceptions du cognitivisme classique.
En effet, un des reproches essentiels que Varela (1989) formule à l’égard des conceptions
cognitivistes non constructivistes, tient à la faiblesse des théories cognitives pour rendre
compte du sens commun. L’intelligence n’est plus la faculté de résoudre un problème, mais
celle de pénétrer un monde partagé. Son argumentation est la suivante :
- La perception et l’interprétation ne proviennent pas de la perception du monde extérieur
comportant des règles fixes.
Premier chapitre
48
- Le monde extérieur ne précède pas l’image qu’il projette sur le système cognitif sa tâche est
de la saisir (conception représentationnelle).
-Le système cognitif ne crée pas son propre monde sur les lois internes de l’organisme
(conception solipsiste) c’est au contraire une cognition conçue comme l’histoire du couplage
structurel qui énacte (fait émerger) un monde. L’interprétation (comme la perception) est
modelée par un aller retour entre des contraintes extérieures et une activité générée
intérieurement, c’est à dire de l’histoire de ce qui est vécu (conception énactive).
L’interprétation est, dans cette perspective, indissociable de celle de couplage structurel
(Maturana et Varela, 1977 ; Varela, 1989). Cette notion a été développée pour appréhender
les relations environnement/organisme et l’interprétation de l’environnement, afin de lui
donner sens, devient alors une fonction essentielle de l’activité dans la relation
individu/environnement.
Mais les conceptions de l’énaction vont plus loin : Elles rejettent une conception des relations
environnement/organisme en termes classiques d’entrée et de sortie des systèmes
hétéronomes. Au contraire pour Varela, un système vivant est un système dynamique qui se
transforme à partir de sa propre organisation pour compenser les perturbations provoquées par
ses interactions avec l’environnement (il est autopoiétique). Les perturbations proviennent de
deux sources différentes (Varela, 1989) : l’environnement comme source d’événements
indépendants du système et le système lui-même.
Le couplage structurel représente le processus d’interactions continues entre l’organisme qui
va chercher à conserver sa propre identité tout en acceptant un certain nombre de
perturbations, et l’environnement.
L’énaction quant à elle, représente l’idée selon laquelle, l’action est guidée par la perception
dans un monde dépendant du sujet percevant, elle-même guidée par l’action (Varela,
1996). L’interprétation du monde peut donc se concevoir comme le résultat de l’énaction.
L’interprétation de ce point de vue, est la résultante de l’histoire du couplage structurel qui a
fait émerger un monde perceptif viable, elle est donc le résultat d’une énaction entre
l’organisme et son milieu.
Cette notion se distingue de celles utilisées par la psychologie cognitive comme celles de
diagnostic, de prise de décision, de résolution de problème. Ces dernières sont liées à une
conception de traitement d’informations objectives, sur la base d’opérations séquentielles et à
visée véridictionnelle. Au contraire, la notion d’interprétation ouvre sur la possibilité d’une
construction conjointe du monde par la transformation de l’environnement objectif, en une
version subjective et opérationnelle pour l’action. Ceci est produit par l’histoire du couplage
Premier chapitre
49
structurel de l’acteur et de son environnement. La notion d’interprétation, comme nous
l’avons vu, n’entraîne pas une conception véridictionnelle de la donation de sens à
l’environnement. Toutefois la validité de l’interprétation pour l’acteur est au contraire
déterminée par une visée pragmatique.
La perception devenant le résultat de ce couplage, l’activité visant à donner sens à la situation
ne peut être conçue que comme un décodage d’informations externes objectives.
Cependant, afin de ne pas identifier toutes perceptions à l’interprétation, nous choisissons de
réserver cette notion à l’activité de l’acteur qui consiste à déterminer ou à caractériser une
situation qui lui semble obscure, surprenante ou ambiguë.
Ceci nous amène à nous interroger sur la notion de situation.
2. La notion de « situation » Pour définir la notion de situation nous ferons appel notamment aux théories de la sémantique
des situations.
2.1 L’apport de la sémantique des situations
2.1.1 L’activité entre objectivité et subjectivité La sémantique ouverte, notamment par Barwise et Perry (1983), est entendue ici comme
l’étude des relations, dans la pure tradition analytique, entre les expressions du langage et ce
qui se trouve dans le monde. La sémantique des situations s’apparente à une logique située
(De Fornel et Quéré, 1999) ; c’est à dire qu’elle est plutôt de l’ordre d’une organisation des
objets réels dans l’action et pour l’action, que purement formelle. Cette tradition remonte à
Dewey (1993), qui montrait comment « l’enquête » intervient comme processus continu
d’établissement et de résolution de situations particulières.
Le rôle de l’interprétation est alors de définir la situation à partir des éléments objectifs de
l’environnement. En effet, les acteurs conçoivent les situations en fonction de ce qu’ils
pensent quelles sont et du sens subjectif qu’elles prennent pour eux en fonction de leurs
expériences. « les choses existent en tant qu’objets pour nous seulement dans la mesure où
elles ont été antérieurement déterminées comme le résultat des enquêtes. Quand elles sont
utilisées pour mener de nouvelles enquêtes dans de nouvelles situations problématiques, elles
sont connues comme objets en vertu des enquêtes antérieures qui garantissent leurs
Premier chapitre
50
assertibilité15 » (Dewey, ibid. p. 119). Ici, le sens n’est pas donné au départ, mais est construit
par des interprétations. Pour Barwise et Perry, l’acteur n’analyse pas des informations
extérieures stables et objectives de l’environnement dans lequel il se trouve, mais constitue
véritablement la situation. Ceci est effectué par un découpage dans l’environnement d’une
zone de pertinence sur laquelle va se produire une focalisation de l’attention (la situation),
alors que dans le même temps des éléments de connaissances seront utilisés pour continuer à
configurer la situation.
Ainsi d’après ces sources théoriques, la réalité est découpée à partir du sens qu’elle prend
pour les acteurs en fonction du thème de l’action. En même temps, une sélection de savoirs
pertinents permet de faire évoluer la configuration de la situation par la médiation d’une
focalisation. Selon cette conception, l’interprétation de la situation est donc solidaire de
l’engagement de la personne à travers la notion de thème.
2.1.2 La notion de situation
Cette conception de l’interprétation est organisée par une théorie de la situation. Barwise
(1989), les « activités réalisées par des agents intelligents, qui, incarnés et limités, sont situés
dans un environnement riche qu'ils peuvent exploiter de multiples façons. En tant que telles,
ces activités sont toujours effectuées à partir d'une perspective ; elles concernent des
portions, généralement restreintes, de l'environnement, portions auxquelles l'agent est, d'une
manière ou d'une autre, plus ou moins directement connecté ; et elles ont un impact sur cet
environnement : elles le transforment (Barwise, 1989, p. 13-14, cité par De De Fornel et
Quéré, 1999). Les situations sont précisément ces portions de l’environnement « dans
lesquelles les agents se trouvent » et qu’ils spécifient à l’aide de « schèmes d’individuation »
sans pouvoir en faire l’objet d’un savoir objectif, ni les articuler complètement dans le
contenu propositionnel de leurs énoncés. » ( De Fornel et Quéré, 1999).
Ainsi pour Barwise et Perry (1983), le monde est plein de significations, car il possède des
informations pour des acteurs qui explorent leur environnement pour conduire leurs
actions. Le sens est situé dans les interactions des acteurs avec la partie de leur environnement
avec laquelle ils sont en relation (la situation).
C’est précisément cette définition de la situation que nous retiendrons.
15 Ceci renvoie à la notion « assertion garantie » : ce qui dans la situation est tenu pour vrai.
Premier chapitre
51
2.1.3 Critique de la notion classique de situation
Barwise, (1989) pense que les situations ne sont pas des ensembles de faits, car elles
contiennent des éléments du monde réel (comme les objets, ou les artefacts…) mais plutôt des
« portions du monde » (Barwise, ibid.), ou « micros mondes » (De Fornel et Quéré, 1999)
qui entrent dans le champ d’attention de l’acteur (Nous préférons dire : qui émergent pour
l’acteur en fonction de son engagement dans l’action). De ce point de vue, les situations
viennent avant les faits et sont constituées des événements, que nous comprenons comme
le sens pris par des indices significatifs de quelque chose pour l’acteur. Les faits servent à
catégoriser les situations, mais ne sont pas dans la réalité. Ils sont constitués à partir de
l’enquête sur l’environnement. Les propositions permettent de catégoriser les faits (ou plutôt
les faisceaux de faits) elles arrivent donc bien après l’individuation des situations.
Ce qui est caractérisé spontanément par les acteurs comme des faits sont des interprétations
occurrentes de forme prédicatives.
Cette conception théorique renforce encore l’hypothèse de l’existence d’une interprétation de
type pré réflexif, antéprédicatif et non symbolique.
Cette distinction entre environnement (ou contexte) et situation, que nous reprenons à notre
compte, est convergente avec une longue tradition. Celle-ci postule l’existence d’un
environnement subjectif pour chaque acteur, ou de celle de panorama mental (Merleau Ponty
1945) qui est le fondement même de l’expérience comme la notion d’« umwelt » (von
Uexküll, 1957). Plus près de nous, cette distinction ressemble beaucoup à celle de Lave
( Lave, Murtaugh, De La Rocha, 1984 ; Lave, 1988) concernant les activités de Setting,
lorsqu’elle explique la dialectique de l’activité et du contexte en distinguant deux aspects dans
ce dernier. Toute activité (comprise pour Lave au sens de Léontiev, 1976), se déroule dans un
contexte normé et objectif, « l’arena » et une version personnelle et subjective de ce contexte
le « setting » qui permet à l’agent de déployer son activité. Cependant, ce contexte subjectif
d’action (setting) possède une double caractéristique. Il est toujours en cours de constitution et
possède une partie constituée et stabilisée qui permet à une activité routinière de se
développer. Le setting apparaît donc davantage comme une activité de redéfinition
permanente du contexte que comme un environnement intime stable, sorte d’avatar de la
représentation du contexte. Cette conception rencontre celle de Dewey (1993) et sa théorie de
Premier chapitre
52
l’enquête qui fait de l’horizon de l’action un processus dynamique qui avance au fur et à
mesure qu’évolue l’activité.
La situation n’est donc pas donnée par l’environnement en dehors de l’activité de l’acteur,
mais est le résultat de l’activité de celui-ci dans son environnement. La situation n’existe donc
pas en elle-même, il faudrait davantage parler d’une activité de définition de situation , plutôt
que de situation elle-même.
De ce point de vue, « l’interprétation des situations » peut être comprise provisoirement
comme la portion de l’activité qui permet la détermination de la situation dans
l’environnement de l’acteur.
La question qui se pose alors est de savoir comment sont reconnues et constituées les
situations : C’est ce que Barwise et Perry (1983.) appellent l’individuation.
2.1.4 L’individuation des situations
Classiquement, il est possible de se référer directement aux situations et donc de les
individuer . Les situations « supportent ou déterminent » des faits en fonction d’un schème
d’individuation qui permet de décomposer une situation en objets et en propriétés de relations.
Les faits sont considérés de façons intrinsèques à la situation dans cette conception.
Pour Barwise et Perry (ibid.), au contraire, les situations sont spécifiées à l’aide de schèmes
d’individuation. L’individuation permet de décomposer une situation en objets, propriétés et
relation, à partir de la perspective adoptée par l’acteur sur la situation.
En d’autre terme, l’individuation d’une situation est la reconnaissance par un acteur
engagé d’une situation comme étant à la fois singulière et en même temps appartenant à
une catégorie de situation du même type.
Pour ce qui est de la caractérisation prédicative de la situation, Récanati (1997) précise le
problème de l’individuation des propositions (relatives aux situations) en remarquant qu’elle
représente un état de choses. Toutefois son contenu excède l’état de choses représenté. La
proposition fait référence immanquablement à un contenu non articulé, indexical et
pragmatique. Elle réunie les éléments de d’arrière fond et les suppositions sur la situation.
Ceci nécessite la réunification des faits dans des faisceaux de signification dont les éléments
pragmatiques sont le ciment. Dans cette perspective, le rôle des propositions est de
traduire de façon langagière l’interprétation de la situation.
Premier chapitre
53
Les conceptions de Barwise et de Récanati apportent donc une nouvelle conception de la
situation et de l’activité d’individuation qui la sous-tend, tant sur le plan de la détermination
antéprédicative que de la caractérisation prédicative.
2.1.5 Définition du repérage et de la syntonisation Barwise et Perry décrivent un acteur qui recherche activement des contraintes de
l’environnement avec lesquelles il est syntonisé (attuned) et qui apprend dans cette activité de
repérage (B & Perry, 1983, p.120).
Dans la suite de notre recherche, nous avons choisi d’utiliser le verbe « repérer » pour
traduire l’idée que c’est l’acteur qui donne sens aux éléments de l’environnement pour
constituer les évènements et les faits de la situation. Si nous voulions traduire l’idée
d’accordage, nous choisirons de parler se « syntonisation », pour rendre l’idée de ce couplage
particulier entre certains éléments de l’environnement et l’activité de l’acteur, pour constituer
la situation. Le tout en gardant à l’esprit que cette syntonisation et le repérage qui s’en suit est
le fruit d’un apprentissage constant.
2.1.6 Une alternative à l’interprétation en termes véridictionnels Comme nous l’avons vu avec les conceptions herméneutiques de l’interprétation, celle-ci n’a
pas de valeur véridictionnelle. Encore faut-il trouver une alternative théorique aux
conceptions véridictionnelles de la représentation dans l’action. Barwise et Perry proposent
d’aborder le sens des énoncés ou des situations, en terme d’informations fondées sur des
relations entre des situations, plutôt qu’en terme véridictionnels. Ceci apporte une première
réponse à la question de la sélection des éléments saillants pour l’interprétation de la situation.
Mais plus encore pour ces auteurs, le sens procède d’une mise en relation entre situations
organisées par les contraintes qui relient régulièrement des types de situations (plus
abstraites que les situations réelles). L’interprétation des situations procède donc de
l’émergence de relations récurrentes entre elles. Elle est organisée par les contraintes qui
relient régulièrement des types de situations en fonction d’une syntonisation et d’un
apprentissage de l’acteur au repérage de ces contraintes régulières (attunement).
Nous proposons une schématisation de cette conception théorique ci-après.
Premier chapitre
54
Le sens comme relation entre des situations et types de situation
2.1.7 L’interprétation dans une perspective d’une « logique située »
Dans la perspective adoptée par Barwise et Perry (ibd.), le langage et la logique sont situés.
Ceci rejoint la perspective pragmatique, c’est à dire que les informations et l’activité
d’inférence dépendent des circonstances et de l’usage. Cette conception s’oppose à une
activité formelle ou la logique et le langage ne tiennent pas compte des circonstances et du
contexte. Pour Barwise (1989, p.149-150), les circonstances interviennent dans le processus
pragmatique d’inférence.
Les situations quant à elles, sont considérées comme des objets de plein droit, c’est à dire,
comme des « totalités complètes » dotées d’une structure que nous pouvons percevoir. Nous
pouvons les provoquer et adopter des attitudes envers elles, à partir d’un ajustement aux
contraintes (attunement to constraints, notion empruntée à Gibson). Elles ne requièrent pas de
jugement prédicatif pour être prises en compte : Une détermination antéprédicative suffit.
Cependant cette conception fait l’impasse sur la détermination médiate de la situation.
Les travaux issus du paradigme de la cognition située peuvent nous aider à préciser comment
l’interprétation donne sens aux situations.
Le contenu de l’information est déterminé par des circonstances et un usage (Barwise, 1989, p.143) : le langage et la logique sont
situés
Situation S
Situation S’
Relation systématique M entre type S et type S’ en terme de contraintes
Type de situation intégrant S Plus abstraite que S
Type de situation intégrant S’
Information de S sur S’ La situation S signifie S’ (exemple la fumée et le feu)
Si Intégrée par Intégrée par Si
Attunement de l’acteur aux contraintes de la situation : lois naturelles, conventions, conditions…
Premier chapitre
55
3. L’interprétation dans le paradigme de la cogniti on située Pour ce courant, si l’on se situe du point de vue de l’acteur, l’activité ne se déroule pas dans
l’ensemble de l’environnement objectif. L’activité est dite située c’est à dire que pour
Suchman (1987), l’activité possède trois caractéristiques fondamentales : (1) la co-
détermination de la situation et de l’activité ; (2) le rôle central de la création de significations
par l’acteur, dans, par et pour son action ; (3) le caractère matériellement, socialement et
culturellement contextuel de l’action. Il s’agit donc de redonner à la situation la place qu’elle
mérite (Goffman, 1988). Ceci implique la nécessité de se doter d’une conception de la
situation et de son interaction avec l’activité de l’acteur, c’est à dire de son couplage
structurel.
3.1 La rupture avec le paradigme cognitiviste L’avènement du paradigme de la cognition située critique la conception classique issue des
sciences cognitives de « traitement de l’information ». Selon ce modèle, l’agent traiterait des
informations conçues comme des entités naturelles, objectives et disponibles dans le monde.
La connaissance est considérée comme une représentation stable de ce monde. L’action est
d’autant plus adéquate que la représentation du monde est fidèle à la réalité objective de ce
monde, c’est à dire en définitive à la réalité scientifique. Cette conception s’appuie sur un
modèle séquentiel de traitement de l’information issu notamment, des travaux de Newell et
Simon (1972), développé dans leur Général Problem Solver. Dans ce courant, la notion
d’interprétation des situations apparaît peu (à quelques et notables exceptions comme les
travaux de Sperber et Wilson, 1989). La cognition, en tant que système de traitement de
l’information, conçoit celle-ci comme une entité naturelle et objective, tandis que les
connaissances sont vues comme internes à l’acteur. Les situations sont donc conçues comme
extérieures à l’acteur et le pourvoient en informations qu’il s’agit de décoder, d’analyser ou de
diagnostiquer.
En refusant l’identité du savoir et des connaissances théoriques, en critiquant le caractère
séquentiel de la cognition, les chercheurs ont été amenés à faire appel au rôle du contexte dans
cette même cognition et à remettre en cause les modèles de la représentation symbolique de
l’information.
Cette nouvelle approche s’est traduite par un nombre considérable de recherche qui ont
tentées de comprendre comment la cognition et l’action fonctionnaient dans les
environnements réels des acteurs, que se soit au travail ou dans la vie quotidienne.
Premier chapitre
56
3.2 Une activité située Lave (1984) dans son étude comparant les activités arithmétiques à des tests standardisés
effectués lors de courses en supermarché, a démontré que la nature des processus en jeu
n’étaient pas du tout les mêmes. En effet, il n’existe pas de corrélation entre les capacités à
effectuer des tests arithmétiques en laboratoire et les opérations mentales effectuées lorsque
l’on fait ses courses au supermarché. Ceci montre que les études classiques issues du courant
du cognitivisme orthodoxe ne prennent pas en compte, comme pratique sui généris, les
activités cognitives réellement effectives dans un contexte donné (notamment dans ceux
ordinaires de la vie quotidienne ou du travail). Par exemple, l’activité d’arithmétique en
supermarché ne se présente pas comme une résolution de problème basée sur des processus
séquentiels et linéaires mais comme une activité holistique située dialectiquement dans
l’environnement, qui utilise des procédures de réductions d’écarts : génération simultanée de
formes de solutions et de problèmes, auxquels il faut ajouter les procédés par lesquels elles
sont amenées en coïncidence (ibid. p. 93, traduit par nos soins). En effet, « la résolution de
problème est malheureusement un terme trop souvent employé comme synonyme de
« cognition » pour décrire, et non pour contextualiser, des activités telles que les pratiques
arithmétiques. L'affectation de théories [celles du cognitivisme orthodoxe] fondamentalement
injustifiées pour la résolution de problème révèle un échec à comprendre ces activités comme
pratiques sui généris. Ce cadre théorique conventionnel voit un problème comme « donné »,
comme une " variable indépendante" générique dans la situation. La résolution du problème
est, en conséquence, caractérisée comme une activité mentale désincarnée. Mais la réduction
de la cognition à la résolution de problème « per se » ne peut simplement pas saisir la
nature générative de la pratique arithmétique [par exemple] comme activité cognitive. Dans
des termes dialectiques, les gens et les environnements créent ensemble et simultanément des
formes de solutions et de problèmes. Très souvent, la solution survient dans l’environnement
avec l’émergence du problème et peut transformer le problème pour la personne. Finalement,
les relations concernant l’activité de création de l’environnement (activity-setting) sont, par
nature, intégrales, génératives et enfin dialectiques. Cette idée appliquée au shopping
d'épicerie et aux théories des moments génératifs d’expérience pourrait être appliquée
utilement à d’autres systèmes d'activité de façon plus inclusive encore. » (ibid. p. 93, traduit
par nos soins).
L’activité de définition de la situation et donc d’interprétation de celle-ci, se révèle être
d’après Lave, comme une activité holistique dans laquelle la production des réponses se
conjugue avec celle du problème de façon dialectique avec l’environnement. L’interprétation
Premier chapitre
57
de la situation se situe à l’interface de ce processus complexe et holistique. L’activité
interprétative apparaît alors irrémédiablement liée à l’engagement de l’acteur dans son activité
et dans son environnement.
De ce point de vue, il est impossible de définir a priori et en extériorité, les bonnes et les
mauvaises interprétations de la situation, car il n’existe alors, dans une action en cours, que
des interprétations plus ou moins viables et pertinentes au regard des attentes et des intentions
de l’acteur.
La construction du sens d’une situation dépend de la perspective adoptée par l’acteur sur
l’environnement. En conséquence, la compréhension d’un fait n’est juste ou fausse que selon
le point de vue adopté, ce que nous appellerons : « conception perspectiviste de
l’interprétation ». De ce point de vue, la notion d’interprétation des situations permet de
remettre la signification au centre de la relation individu/environnement, ainsi que le caractère
irrémédiablement indéterminé des situations. Ici, l’engagement de l’acteur joue un rôle
central dans l’action car il détermine la perspective de l’acteur sur l’environnement. Toutefois
la poursuite de l’action et l’évolution de la situation oriente en retour l’engagement de
l’acteur, fondant par-là même la dynamique de l’interprétation. Celle-ci se présente donc
comme un processus solidaire de l’activité dans sa conception holistique.
3.3 Une activité distribuée Si l’accent a été mis, avec les travaux de Lave, sur la place de l’activité de l’acteur dans la
l’interprétation de la situation, le contexte objectif n’est pourtant pas inerte face à la cognition
de l’acteur. Norman (1993) a mis en lumière son rôle d’artefact cognitif : « […] les objets du
monde jouent un rôle de signe et il n’est pas nécessaire d’amplifier cette aptitude naturelle
pour qu’ils puissent servir de représentations, de symboles. Tout ce qu’il faut c’est un
mécanisme associatif pour établir une correspondance entre objets, localisation dans
l’environnement et pensées internes […] Nous retrouvons les pensées en retrouvant dans
l’environnement les objets qui les représentent » (ibid. p. 17). La cognition est donc
« opportuniste ». Elle se situe dans l’interaction de l’acteur et de son environnement. En effet,
elle utilise les éléments de la situation dans laquelle elle est ancrée (embodied) et contient
donc moins de planification et de raisonnement que ne le laisse penser les modèles cognitifs
orthodoxes.
Dans cette perspective, l’interprétation des situations est solidaire de l’utilisation du
monde comme artefact cognitif. Cette conception est différente de celle qui présente la
pensée indépendamment du monde environnant, le considérant uniquement comme objet
Premier chapitre
58
d’étude mais ne l’utilisant pas en tant que ressource cognitive. Ceci affaiblit considérablement
une conception symbolique de l’interprétation. Donner sens à l’environnement pour en
délimiter une situation ne se fait pas obligatoirement dans une délibération et par une
réflexion fut-elle en cours d’action. L’interprétation peut se situer à un niveau pré réflexif,
notamment par l’utilisation des affordances (Gibson, 1979), que présente l’environnement. En
définitive, loin d’être un simple objet de compréhension de la part de l’acteur,
l’environnement est un support cognitif. Il constitue une aide à l’interprétation à travers sa
fonction d’artefact cognitif. Cependant, cet environnement peut être aménagé par l’acteur afin
de mieux remplir cette fonction.
Les études de Kirsh (1999) ont montré que les acteurs préparent leurs contextes afin de
faciliter le rôle d’artefact de celui-ci. La routinisation de l’action dépend d’ailleurs de
l’organisation de l’espace dans des configurations connues. Il est probable, de ce point de vue,
que ces aménagements soient une manière de faciliter l’interprétation des situations en
convoquant, comme par avance, des configurations connues.
3.4 La cognition comme système acteur – environneme nt Hutchins (1994) va encore plus loin dans les conséquences de cette conception, en
considérant que l’unité d’analyse ne peut plus être la cognition de la personne dans son
contexte (notion de cognition distribuée). La cognition n’est pas uniquement dans la tête des
personnes, mais dans l’unité personne - contexte. Par exemple, pour le pilotage d’avion,
l’unité pertinente est le cockpit (incluant bien sûr le pilote en action). Hutchins considère que
la distribution cognitive doit être analysée à travers un triple axe: 1/ social (c’est à dire
l’aspect collectif de la cognition) ; 2/ représentationnel (distribution entre des structures
internes et externes) ; 3/ temporel (répartition dans le temps du cours d'action).
L’interprétation de la situation ne peut donc pas être une suite d’opérations réalisées en dehors
d’une action en contexte, évoluant de façon solidaire avec le temps de l’action et en dialogue
constant avec l’environnement, l’acteur et les autres protagonistes qui partagent cette
situation.
Ainsi du point de vue des courants de l’action située, l’action donne un point de vue sur le
monde. Dès lors, l’environnement fournit des ressources cognitives à travers les objets et
artefacts qu’il comporte ou par les pratiques instituées par le collectif. Selon la formule
d’Astier (2003) l’activité possède une fonction situante.
Premier chapitre
59
4. Une alternative à la conception aristotélicienne de l’individuation
Il existe une difficulté théorique aux conceptions de l’individuation telles qu’elles sont
développées dans la sémantique des situations et dans les travaux de la cognition située. Sur
quelles bases, l’acteur repère t-il les évènements types qui vont lui permettre de catégoriser la
situation ? Si c’est la perspective adoptée par l’acteur sur la situation qui permet de repérer les
évènements qui caractérisent la situation, nous sommes confrontés ici à une régression infinie
qui ne permet pas d’apporter de réponses à cette question. Ce problème nous semble exister
pour plusieurs raisons.
La première se rapporte à une conception classique séparant strictement le sujet et l’objet.
La deuxième est que, malgré la définition de la situation explicitement organisée par
l’activité de l’acteur dans son environnement, ces conceptions peinent à prendre en compte le
coté émergent de l’interprétation. Les situations sont individuées ou pas, mais elles ne
peuvent pas être conçues comme plus ou moins individuées. De fait, tout se passe dans ces
conceptions comme si les situations existaient en elles-mêmes. D’autre part, les théories de la
sémantique des situations, nous conduisent à une conception relativement contemplative de
l’interprétation. L’activité globale de l’acteur n’a qu’un rôle d’accompagnement dans
l’inférence des situations.
En reprenant à notre compte les conceptions de Goffman( 1991) selon lesquelles les situations
sont indéterminées tant que les acteurs ne rencontrent pas de difficultés majeures, nous
arrivons à la conclusion selon laquelle, les difficultés nécessitent probablement pour être
dépassées une détermination accrue de la situation.
Nous faisons l’hypothèse que la situation se découvre progressivement en fonction de
l’avancement de l’action. Cette conception s’oppose à des opérations de représentation
désengagées ou à l’interprétation comme condition initiale de l’action.
En conséquence, nous pensons qu’une théorie de l’interprétation des situations doit pouvoir
établir une théorisation des différents niveaux de détermination de la situation.
Pour répondre à cette problématique, nous nous appuierons sur la théorie sémiologique de
Peirce (1935, 1984). Où est le deuxième temps ? Nous expliquerons en quoi cette approche
peut nous permettre d’appréhender l’interprétation en tant processus de construction.
Premier chapitre
60
4.1 Le rejet d’une distinction objet / sujet et ses conséquences sur la conception de l’interprétation des situations
Peirce ne suit pas la tradition allemande d’opposition entre le sujet et l’objet. L’objet est pour
lui « tout ce qui vient à la pensée ou à l’esprit dans le sens ordinaire » (1984, p. 39). Il n’y a
de distinction dans le sujet du signe, que de la partie sujet et de la partie objet. Cette
conception holiste de l’objet et du sujet dans le signe est de nature à clarifier, selon nous, la
notion même de situation. Les situations ne sont pas en dehors du sujet mais elles sont le
résultat de la constitution de signes. En suivant Peirce , il ne serait y avoir de situations en
dehors de l’émergence des signes. Cette position dépasse une conception subjectiviste ou
objectiviste de la situation et de son interprétation, et se situe résolument dans une conception
énactive (avant l’heure) de celle-ci.
Qu’est-ce que le signe chez Peirce et comment peut-on relier cette notion au processus
d’interprétation des situations ? Pour répondre à ces questions, il est nécessaire de comprendre
comment Peirce conçoit l’expérience humaine.
4.2 Les conceptions pierciennes des catégories de l ’expérience et ses conséquences sur la notion d’interprétation des situations
Peirce (1978), décompose l’expérience humaine ordinaire en catégories des phénomènes
(sens instantanés indissociables du monde tel qu’il est perçu)16 en trois niveaux nommés :
Priméité, Secondéité, Tercéité.
4.2.1 La priméité
Dans un premier niveau phénoménologique, tout acteur entrant en interaction avec son
environnement, co-construit avec celui-ci un mode de relation premier fait de sensations
brutes, non analysées.
La priméité est le monde d’être, de ce qui est tel, qu’il est positivement et sans référence à
quoi que ce soit d’autre. Les idées typiques de la priméité sont des qualités du sentiment, de
pures apparences (Peirce , 1984, p.22). Il s’agit d’une impression totale inanalysée produite
par toute multiplicité, non pas pensée comme fait réel, mais simplement comme une qualité
comme la simple possibilité d’apparence… (p. 23). Dans cette catégorie, les signes reposent
sur des icônes dans l’univers des possibilités, des sentiments, et des impressions non
analysées. Toute personne confrontée à un environnement entre en interaction avec lui par les
possibilités et les potentialités qu’il offre, dans une relation de « flottante » d’émotions et
d’impressions imprécises.
Premier chapitre
61
Par exemple, une personne écoutant une musique va éprouver des sentiments de tristesse ou
d’allégresse en l’écoutant.
Ceci constitue pour nous, un premier niveau d’interprétation de l’environnement dans la
mesure où ressentir une émotion, ou percevoir des possibilités, c’est déjà donner un sens à
l’environnement. Cependant, il s’agit d’une interprétation première, faite de sensations
« brutes ». Bien évidemment, l’expérience humaine peut aller au-delà de ce premier rapport à
l’environnement et passer au niveau de la secondéité.
4.2.2 La secondéité
Dans un deuxième niveau phénoménologique, la résistance des faits à notre volonté fait naître
l’expérience. Cette catégorie est de l’ordre de l’actualisation de la pensée.
« La secondéité est le mode d’être, de ce qui est tel, qu’il est par rapport à un second, mais
sans considération d’un troisième quel qu’il soit (p.22) ». « Le type d’une idée de Secondéité
est l’expérience de l’effort dissocié de l’idée d’un but à atteindre, c’est à dire une expérience
comme conscience de l’action, d’un nouveau sentiment, dans la destruction du sentiment
ancien » (ibid. p. 24). « La secondéité naît de la résistance des faits à notre volonté » (p. 81).
Dans cette catégorie, les signes reposent sur des indices montrant des occurrences (choses
ou événements se présentant, c’est à dire étant reconnus) (ibid. p.41), c’est à dire étant en
définitive interprétables au niveau de la secondéité. La secondéité est en quelque sorte la mise
en relation d’un objet premier dans un deuxième objet, donnant ainsi une « actualité » à
l’objet premier (comme la main du shérif sur mon épaule, après la sentence du tribunal).
« L’expérience » naît de cette mise en relation, « par la modification imposée de force à nos
façons de penser, [par] l’influence du monde des faits » (ibid. p.93).
Pour Peirce , l’expérience ne se résume pas à la seule perception sensorielle directe. Elle est
pour lui la façon dont l’acteur ressent les changements de perception.
"C'est le champ spécial de l'expérience qui nous informe sur les événements, sur les
changements de perception. Or, ce qui caractérise en particulier de soudains changements de
perceptions est un choc" (1978, p.94). Peirce insiste sur la « la force brutale » des
évènements qui nous force à l’expérience et à l’actualisation de la pensée. "C'est la pression,
la contrainte absolue qui nous fait penser autrement ce que nous n'avons pensé jusqu'alors,
qui constitue l'expérience. Or, la pression et la contrainte ne peuvent pas exister sans
16 Cette étude est baptisée par Pierce « phanéroscopie », c’est à dire étude des phénomènes.
Premier chapitre
62
résistance et la résistance est un effort s'opposant au changement. Par conséquent, il doit y
avoir un élément d'effort dans l'expérience; et c'est cela qui lui donne son caractère
particulier" (1978, p.94).
Par exemple, la personne qui écoute la musique va, construite un type d’écoute déterminée
grâce aux sentiments vécus par son audition, et à l’actualisation par une focalisation sur
certains accents de celle-ci. Ceci revient à une interprétation de la musique, une sorte de
compréhension émotionnelle qui n’a rien de conceptuelle. Mais, du point de vue de l’acteur
mélomane, elle en construit le sens par la part active qu’il prend à l’élaboration de la situation
musicale.
La secondéité constitue pour nous, un deuxième niveau d’interprétation, qui prend la priméité
comme substrat. Au niveau de la secondéité, la situation prend une actualité due à la
résistance de l’environnement, qui lui donne un statut d’expérience. Il s’agit d’une
détermination de la situation.
Cependant, l’interprétation ne s’arrête pas au niveau de la secondéité : Elle en atteint un
troisième, celui de la tercéïté.
4.2.3 La tercéïté
Ce troisième niveau phénoménologique est celui de l’aboutissement du signe17. Cette
catégorie est de l’ordre de la généralisation et de la création des lois, mais aussi des habitudes.
« La tercéïté est le mode d’être, de ce qui est tel, qu’il est en mettant en relation réciproque
un second et un troisième » (p. 22). La tercéïté est l’univers de la prédiction à caractère
général déterminé. Elle est la relation triadique existant entre un signe, son objet et la pensée
interprétante, elle-même signe. Un signe sert donc d’intermédiaire entre le signe interprétant
et son objet. Notons avec Peirce que la tercéïté ne se résume pas à une pensée, mais peut-être
à une action, une expérience ou un sentiment prenant progressivement la forme d’une
habitude. "Alors que la priméité est possibilité, la tiercéité est loi. Elle est la catégorie de la
relation pensée, non dans l'abstrait cependant, mais par rapport à l'action future" (1978,
p.209). De ce point de vue, la tercéïté peut être assimilée à la création des conditions de
régularité de l’action.
17 Rappelons que le signe selon Pierce est constitué de trois éléments : un objet, un représentamen (signe perçu), un interprétant (une pensée interprétante, faite de signes).
Premier chapitre
63
En reprenant l’exemple de notre mélomane, la détermination de l’écoute va donner lieu suite à
cette écoute, à l’expérience. : L’acteur va en retirer le souvenir d’une situation et celui de
l’activité d’écoute. Il pourra se resservir de ce souvenir dans d’autres occasions et cela lui
donnera, le cas échéant, une capacité à écouter plus finement, ou avec davantage d’émotion,
d’autres musiques. Dans cette tercéïté, notre acteur mélomane aura constitué une habitude
d’écoute qui intègre à la fois les émotions ressenties dans la priméité, mais aussi l’écoute
déterminée énactée en cours d’action (dans le cadre de la secondéité). Il peut aussi, confirmer
ou infirmer des connaissances, sur les courants musicaux ou sur les qualités d’interprétation
des artistes. Mais, même en l’absence de lois explicites (c’est à dire traduisibles de façon
langagières), il y aura apprentissage dans le cours d’action et probablement à l’intérieur de
chaque signe, même si cet apprentissage est très modeste.
Le sens donné à la situation prend alors une nouvelle dimension : Dans la tercéïté
l’interprétation de la situation se confond avec un processus d’apprentissage interprétatif 18 de
l’expérience, ce qui se traduit par la formation de nouvelles habitudes interprétatives.
4.2.4 Une conception de l’interprétation comme émer gence progressive du sens de la situation
Avec l’aide de Peirce , l’interprétation des situations peut se comprendre à plusieurs niveaux
distincts, qui loin d’être séparés les uns des autres sont en fait intégrés, puisque le 3 suppose
le 2, qui suppose le 1. Ceci nous permet de définir une conception de l’interprétation comme
une construction progressive du sens au cours de l’expérience humaine et à l’intérieur de
chaque signe, qui s’accompagne d’une transformation des habitudes interprétatives. Ceci
permet de sortir les processus d’attribution de sens, d’une conception ontologique de la
situation.
Dans cette conception, les situations sont définies, non pas, comme existantes a priori mais
comme émergentes par le couplage structurel de l’activité et de l’environnement.
Les questions qui se posent sont de savoir d’une part, comment les trois niveaux
phénoménologiques sont intégrés dans le signe et d’autre part, où se situe la relation
d’interprétation dans le signe ?
18 Nous reviendrons sur cette conception dans la partie concernant la sémantique du prototype. Disons seulement pour le moment qu’il s’agit d’une catégorisation pragmatique de l’expérience.
Premier chapitre
64
4.3 Signes, pensée signe et interprétation Pour Peirce (1978) l’homme agit et pense par signe : « toute notre connaissance et notre
pensée se font par signes » (P. 30), tandis que « la fonction essentielle d’un signe est de
rendre efficiente des relations inefficientes » (p.30).
Cet auteur, dans ses premiers écrits (dans un fragment non identifié de 1897) donnait une
définition du signe qui était la suivante : « Un signe, ou représentamen, est quelque chose qui
tient lieu pour quelqu’un de quelque chose sous quelque rapport ou à quel titre. Il s’adresse à
quelqu’un, c’est à dire créé dans l’esprit de cette personne un signe équivalent ou peut-être
un signe plus développé. Ce signe qu’il crée, je l’appelle l’interprétant du premier signe: Il
tient lieu de quelque chose : de son objet ». Si cette première définition est éclairante, dans le
cadre d’une théorie de la communication, il ne faut pas perdre de vue que Peirce , a ensuite
considérablement développé la notion de signe et que sa théorie englobe toutes les sortes de
signes possibles.
En 1908, (Peirce , 1984) il écrivait à Mme Welby, un signe est « quelque chose qui est
déterminé par quelque chose d’autre, appelé son objet et qui par conséquent, détermine un
effet sur une personne, lequel effet j’appelle son interprétant, que ce dernier est par-là même
médiatement déterminé par le premier » (p.51). En d’autres termes, le signe est quelque chose
(ce qui fait signe : le représentamen) déterminé par son objet, qui en retour détermine une
transformation de la personne (l’interprétant : émotion, pensée ou action nouvelle, constituant
lui-même un signe).
Pour Peirce , il est possible de distinguer différentes qualités de signe (ceux renvoyant aux
trois univers phénoménologiques19), qui s’emboîtent en définitive les uns dans les autres. Un
signe peut être présent un niveau premier, comme la perception d’une figure géométrique, de
la secondéité dans le choc du représentamen (lui même signe) et de la tercéïté, quand
l’interprétant est constitué d’un signe qui englobe le premier et le second en les érigeant au
rang de type. En définitive, c’est à une conception fractale (avant l’heure) que nous convie
Peirce dans le développement des signes vers les types. Ils se présentent dans la conception
Piercienne comme des « poupées russes » incluant d’autres types, les signes d’autres signes,
qui se démultiplient à l’infini. La seule différence entre les signes est leur caractère
d’appartenance à des catégories phénoménologiques (« phranéoscopiques ») différentes. Dans
19 Ainsi Pierce a appelé les signes de façons différentes en fonction de leur niveau phénoménologique, mais aussi en fonction des différents écrits qu’il a produit… Il peut être : (1) un signe « possible », il est alors un « Ton » ou une « Marque », un « qualisigne » dans l’ordre de la priméïté, (2) un signe réel, une contremarque, ou Token, un sinsigne, dans celui de la secondéïté, (3) un signe nécessitant, un type, ou un légisigne dans la tercéïté.
Premier chapitre
65
cette perspective, il n’est pas exagéré de conclure que, dans la construction de chaque signe
par l’acteur, c’est toute l’histoire de ce même acteur qui est contenue implicitement. Aussi,
compte tenu des conceptions Peirce nnes, il nous semble utile pour notre objet d’étude de
séparer théoriquement et méthodologiquement ce qui revient à l’interprétation de la situation
et ce qui revient à la création de ces nouvelles habitudes.
4.4 La notion de type, une notion centrale dans l’i nterprétation des situations dans la théorie du signe hexadique
L’interprétant chez Peirce , est présenté dans l’univers de la tercéité comme un processus de
production de « types ». Celui-ci est ensuite utilisé dans l’univers de la secondéité dans la
constitution du signe. Comme le remarque Quéré (2000), l’interprétation modelant l’action ou
le comportement subséquent « se passe de conscience […] mais pas d’interprétant […] or les
principaux interprétants qui interviennent dans la sphère de l’action sont les habitudes (par
opposition aux concepts qui interviennent dans le domaine du discours) » (ibid. p.169).
Suivant ce point de vue, l’action (ainsi que sa composante interprétative) est donc
essentiellement guidée par les habitudes. En conclusion l’interprétant est un processus dans
l’univers de la tercéité et un outil de détermination dans la secondéité.
Ce produit est un type, c'est-à-dire une habitude (d’interprétation, d’action, d’émotion). La
conception de Peirce nous invite à établir une relation solidaire entre l’apprentissage et
l’action. La notion de type, renvoie à l’idée générale que l’interprétation de la situation se fait
à partir de la mise en relation entre des indices de la situation et une régularité d’interprétation
propre à l’acteur, et ce en fonction de la perspective qu’il adopte par rapport à la situation.
Aussi allons nous nous intéresser à cette notion que nous étudierons du point de vue
spécifique de l’activité interprétative.
4.4.1 La notion de types chez Husserl
La notion de type, dans la visée sémiologique qui nous intéresse, a particulièrement été
développée par Schütz (voir Cefaï, 1998) sur les bases de la pensée d’Husserl (1970). Pour
Husserl, la notion de type se fonde sur l’idée que « toute expérience a son horizon propre »
(ibid., p. 36), c'est à dire une possibilité de détermination médiate (potentiellement infinie :
horizon externe de l’objet) de l’objet à partir d’une détermination immédiate partielle (horizon
interne déterminé). Cette détermination partielle immédiate est effectuée par la
préconnaissance typique de cet objet d’expérience singulier, sur la base d’un type (d’objet).
Celui-ci est un « facteur de familiarité » (ibid. p. 41), qui permet la préconnaissance d’un
objet (y compris dans les anticipations). Il provient de l’expérience antérieure qui permet
Premier chapitre
66
d’embrasser « les propriétés qui ont déjà accédées à la connaissance en acte ». En retour, le
développement de la détermination de l’objet singulier organise une nouvelle « typification »
des objets semblables au nouveau type développé.
De cette conception Husserlienne, nous retiendrons quatre idées fondamentales. (1) Toute
expérience antéprédicative repose fondamentalement sur la préconnaissance donnée par un
type. (2) Ce type est un facteur de familiarité. Il permet de reconnaître une situation comme
familière, c'est à dire d’en fournir une détermination immédiate, mais aussi de la reconnaître
comme appartenant à une famille de situations. (3) Dans le même temps, cette
préconnaissance permet une extension de connaissance de l’objet singulier qui, en retour,
affectera le type. (4) Cette pré connaissance peut se compléter, se transformer, voir être
invalidée, par une détermination médiate.
C’est donc à une conception dynamique de l’activité interprétative que nous convie Husserl :
Elle permet la détermination évolutive de l’objet qui, dans le même temps rendra possible le
développement, même ultérieur, de possibilités d’interprétations. Il est à remarquer cependant
qu’Husserl définit le concept de typification par rapport à l’activité de détermination de
l’objet singulier. Dans des approches plus récentes, cette notion prend plutôt le sens de
développement des types20.
4.4.2 La notion de types chez Schütz
Ces conceptions ont été reprises par Schütz, qui a développé la notion pour le projet d’une
sociologie phénoménologique (Tellier, 2003). Schütz, notamment lors de son exil aux Etats
Unis à partir de 1938, remarque dans sa position d’étranger, que les individus sont guidés par
des « allant de soi » acquis de façon implicite par l’activité pratique. Par exemple « que le
métro fonctionne demain, comme d’habitude, est pour [l’individu] une certitude qui est
presque du même ordre de vraisemblance que le lever du soleil ce même lendemain. »
(Schütz, 2003-[1932], p.221). Ces allants de soi constituent des « schèmes d’expérience ».
Dans ce cadre, « l’interprétation […] n’est rien d’autre que le fait de renvoyer l’inconnu au
connu, ce qui est appréhendé dans le rayon de l’attention aux schèmes d’expérience ». (cité
par Zaccaï-Reyners, 2005, Schütz, 1974, p.112). Les types sont, pour Schütz, ces schèmes
d’expérience qui permettent l’interprétation des situations sur la base de ces allants de soi.
Ces types ne sont pas des concepts ou des règles d’interprétation. C’est l’analyse formelle et
le transfert de ceux-ci du plan du sens à celui de la signification qui accrédite cette illusion.
Pour rendre compte, au contraire, du caractère non figé et dynamique de la mobilisation du
20 Notamment dans les travaux relatif au cadre sémiologique du cours d’action
Premier chapitre
67
type, Schütz préfèrera parler de « typification » renouant ainsi sur le tard avec les conceptions
Husserliennes21.
Il n’en reste pas moins que les hésitations lexicales de Schütz témoignent d’un problème de
fond. L’interprétation, comme la typification désignent à la fois un double procès et un double
produit (d’interprétation et d’apprentissage interprétatif). Nous interprétons les évolutions de
désignation comme des tentatives visant à rendre compte à la fois de l’hétérogénéité des
éléments relatifs aux procès et aux produits, mais aussi d’en montrer leur interrelation. Pour
notre part, notre projet de recherche tentera de démêler ce double procès et produit, ainsi que
d’en fournir un contenu.
4.5 La notion de type et la sémantique du prototype Les travaux issus de la sémantique du prototype ont réveillés l’intérêt pour les conceptions de
Schütz sur la typification. Nous présenterons rapidement ces travaux bien connus, en nous
focalisant essentiellement sur les éléments retenus pour la construction de notre cadre
théorique de l’interprétation de situations.
Les courants de recherche anthropologiques et linguistiques suscités notamment par les
travaux de Rosch (1976) concernant la formation des « catégories sémantiques naturelles »,
même s’ils ne se réfèrent pas à la notion de type, fournissent un contenu théorique très riche
pour cette notion. Toutefois, il est nécessaire de faire un rapprochement entre les notions de
prototype et de type (qui malgré la ressemblance lexicale n’ont pas la même histoire
épistémologique). Pour ce dernier courant, les catégories (ensembles d’objets considérés
comme équivalents et généralement désignés par un nom), sont constitués à partir de relation
de similitude ou de ressemblance. Les catégories ne sont pas créées par sur des critères
d’appartenance nécessaires et suffisants comme dans les conceptions aristotéliciennes : Elles
sont, au contraire, créées par référence à des exemplaires jugés les plus représentatifs de ce
qu’elles sont et que l’on appelle « prototypes ». L’appartenance d’exemplaires à une
catégorie est jugée par les gens, en fonction du degré de ressemblance qu’ils ont avec les
prototypes, c’est à dire de leur typicalité (ou typicité) (voir Dubois, 1991, pour une
présentation de cette conception).
Ces conceptions des procès de catégorisation ont été exploitées également pour comprendre
l’activité, dans une perspective sémiotique (et non plus seulement sémantique). Ceci a permis
d’étendre les notions de prototypes et de typicalité à des situations dans lesquelles des
21 En abandonnant au moins partiellement la position transcendantale de Husserl toute fois.
Premier chapitre
68
opérateurs étaient engagés (comme la conduite automobile, par exemple) (Dubois, 1991;
Dubois, Mazet et Fleury, 1988 ; Mazet, 1991).
Cependant, la question qui se pose alors, est la place de l’activité par rapport à ce cours
d’événements type. En effet, comme le montrent les travaux de Mazet (1991), la
fonctionnalité a souvent été écartée (et à tort) dans la compréhension des processus de
catégorisation. Pour cet auteur reprenant les positions de Dubois « ce n’est plus la perception
comme processus « reflétant » des structures du monde réel » mais « les activités finalisées
des sujets (ou opérateurs), qui doivent être pris en compte comme principes organisateur des
catégories » (Mazet , ibd. p. 100).
De ce point de vue, ces travaux ont montré que les acteurs (les conducteurs experts par
exemple), peuvent établir une catégorisation des situations par classes. Celle-ci s’effectue par
rapprochement à une forme moyenne et non pas par classement à partir de critères
nécessaires et suffisants. Ainsi, plus la forme de la route et son environnement est proche
d’une forme moyenne typique, plus l’exemple sera considéré comme appartenant à la
catégorie dont cette forme moyenne représente le prototype fondateur. Ces auteurs insistent
sur le caractère fonctionnel de ce type de catégorisation. Les conducteurs repèrent la forme
de la situation (la forme de la route, la présence d’arbre qui réduit la visibilité, le
marquage…), non pas point par point, mais dans une forme globale en fonction d’une
intention (possibilité de doubler sans risque, par exemple).
L’interprétation, comme production d’un sens sur quelque chose, possède un caractère
fonctionnel pour l’action en cours si l’objet d’interprétation est aussi celui de l’action. De
façon symétrique, les conceptions de la cognition distribuées, que nous avons étudiées plus
haut, montrent bien comment l’environnement est à certains égards un artefact pour l’action
en cours. De ce point de vue, l’interprétation est aussi fournie par l’action en cours. L’activité
possède une fonction situante (Astier, 2003).
4.6 La théorie de l’enquête et construction des hab itudes chez Dewey
Nous avons vu que la notion d’habitude pouvait être très liée à celle de type. En effet, les
types comme les habitudes22 d’interprétation de l’acteur rapprochent cette notion de celle
d’habitude utilisée par Peirce comme élément de la tiercéité. Nous allons maintenant nous
intéresser à cette notion chez Dewey.
22 Au sens de Dewey
Premier chapitre
69
4.6.1 L’habitude chez Dewey
La notion d’habitude chez Dewey (1993) - bien que légèrement différente23 de celle de Peirce
- a une portée considérable qui nous permet de comprendre l’activité interprétative et son
apprentissage. Elle est considérée, par celui-ci, non pas comme la conséquence de la
répétition, mais essentiellement comme le point de départ d’une reproduction qui se
transforme. Elle est davantage une prise d’habitude, parfois assez brutale, qu’une habitude
au sens commun du terme. C’est cette habitude d’interprétation que nous cherchons à
comprendre à travers la notion de type.
L’intérêt de l’apport de Dewey est de produire une conception de l’action humaine non
mentaliste, tout en refusant, dans le même temps, une conception béhavioriste de l’habitude.
Elle est considérée plutôt comme un schème dynamique (Garreta, 2002). La conception de
l’habitude chez Dewey est très différente de celle véhiculée par le sens commun. Pour lui,
« l’habitude [est] une manière d’agir et non une action particulière. Quand elle est formulée,
elle devient, dans la mesure où elle est acceptée, […], une loi ou principe d’action. On ne
peut guère nier qu’il y ait [aussi] des habitudes d’inférence et qu’elles puissent être formulées
comme des règles ou principes » ( Dewey, 1993, p. 70). L’habitude est donc une organisation
dynamique de l’activité qui n’est pas obligatoirement le produit de la répétition notamment
dans sa phase de formation (pour une présentation détaillée de cette conception voir Garreta,
1999, 2002). C’est au contraire le plus souvent, la répétition qui est considérée comme le
produit de l’habitude formée à un moment de et par l’activité et n’est donc pas une condition
causale préalable. En effet, Dewey réserve les habitudes formées par la seule répétition - les
habitudes/routines – dont il ne nie pas qu’elles existent, aux activités se déroulant dans des
milieux très stables. Cependant, ces environnements lui semblent marginaux, par rapport à
ceux plus récurrents de la vie quotidienne d’une nature plus indéterminée. Ces processus de
formation de l’habitude par la répétition ne permettent pas de fonder une conception générale
à partir de ces cas particuliers.
En outre, « les habitudes incorporent en elles un environnement » (Dewey, 1922, p. 38). Le
corollaire étant que l’habitude permet de rendre sensible l’organisme à certaines
configurations de l’environnement, car celles-ci incarnent l’habitude. On retrouve ici de façon
23 Chez Pierce l’habitude renvoie à une conception de la disposition (Potentialité permanente, qui s’actualise de temps en temps à des occasions précises et qui peut même ne jamais s’actualiser. Elles sont réelles au sens ou selon Pierce les universaux (lois, habitudes, signification) sont réels car ils opèrent dans la nature). Chez Dewey en revanche la survenue de l’habitude est davantage une organisation dynamique de l’activité elle-même et non une entité interne hypothétique et stable.
Premier chapitre
70
stupéfiante pour l’époque, des orientations qui seront décrites beaucoup plus tard dans les
conceptions de la cognition située et distribuée ou de la sémantique des situations.
Mais ces conceptions trouvent un prolongement encore plus important avec la notion
d’enquête.
4.6.2 Habitude et enquête
L’habitude est le produit d’une enquête comme « transformation contrôlée ou dirigée d’une
situation indéterminée en une situation qui est si déterminée en ses distinctions et relations
constitutives qu’elle convertit les éléments de la situation originelle en un tout unifié »
(Dewey, 1993, p.169). Celle-ci procède de la « mise en œuvre de schèmes d’opérations visant
à résoudre des problèmes qui rompent (ou qui pourraient rompre) la continuité de
l’expérience de l’organisme dans son environnement » (Garretta, 1999, p.37). Il est à noter
que l’enquête chez Dewey n’est pas un concept intellectualiste ou contemplatif. Il intègre tous
les types d’actions que la personne est amenée à réaliser pour résoudre le problème. De plus,
l’enquête est en relation avec le concept de situation, car elle est le processus qui permet de
transformer une situation indéterminée en situation déterminée et stabilisée. La détermination
de la situation est donc ici entendue dans une conception dynamique qui intègre la
détermination de l’action. De là, on peut dégager chez Dewey une théorie de la construction
de l’interprétation des situations, concomitante d’une détermination de l’action, dans
l’enquête.
En nous inspirant de Dewey, nous définirons l’enquête comme une activité de détermination
à la fois de la situation et de l’action. Elle vise à résoudre des difficultés significatives pour
l’acteur en fonction de son engagement dans l’action.
4.6.3 La construction de l’interprétation des situa tions à travers Dewey :
l’objet de l’enquête
Pour l’auteur, les interprétations de la situation se construisent dans le cours même de
l’enquête. Elles émergent d’éléments de la situation qui apparaissent de façon contradictoire
entre eux. Le point de départ de l’enquête est donc la survenue de ces éléments conflictuels et
qui font douter de la nature de la situation. Le premier pas, nous dit Dewey est de constater
qu’une situation demande une enquête, car elle est instable et indéterminée. De ce fait, elle
devient problématique pour l’acteur. Cette enquête débouche sur la détermination d’un objet.
L’objet est le produit final de l’enquête, c’est celui de l’investigation. Celle-ci permet de
Premier chapitre
71
stabiliser la situation, comme le médecin nomme la maladie à la fin du diagnostic. L’objet
n’est donc pas donné au début, il est construit dans l’enquête et la clôture. Il émerge dans la
situation comme le résultat d’une activité, notamment mais pas seulement, interprétative.
Pour notre part, nous nous intéresserons à cet aspect de la construction de l’objet. Un autre
aspect à remarquer est le produit de cette enquête comme tout unifié. Il permet une
organisation différente des éléments de l’enquête jusque là dissonants dans un tout cohérent,
intégrant à la fois des éléments de solutions et de problème. Toutefois, l’élaboration du
problème, la détermination de la situation et la transformation de celle-ci apparaissent très
souvent solidaires.
Nous pouvons percevoir, dans le processus d’enquête, la part d’interprétation relative à ce
processus qui se construit au moins en deux phases : 1/ l’ouverture du processus d’enquête
par la détermination d’une situation problématique ; 2/ la détermination de l’objet (au sens de
Dewey) qui stabilise la situation, en la déterminant dans un tout unifié intégrant des éléments
de solution et de problème24 et qui clôture ainsi l’enquête.
4.6.4 La construction de l’objet chez Dewey
Pour avancer plus avant sur la constitution de l’habitude chez Dewey, il nous faut comprendre
comment l’objet s’élabore. Tout d’abord, les objets sont constitués pour déterminer le
problème (afin de répondre à l’indétermination de la situation) et pour lui trouver
parallèlement des solutions. L’objet est donc solidaire de la détermination du problème et de
l’activité de résolution. De ce point de vue, la construction de l’objet est une réponse non pas
à un problème, mais à une situation indéterminée et à une tentative pour stabiliser la situation.
En effet, pour Dewey « l’énonciation d’une situation problématique en terme de problème
n’a de signification que si le problème institué se réfère dans les termes mêmes de son
énonciation à une solution possible. [Car] C’est justement parce qu’un problème bien énoncé
est presque résolu que la détermination d’un problème authentique est une enquête
progressive25 » (Dewey, 1993, p. 173). La question est de savoir comment se fait cette
progression de l’enquête solidaire de la détermination progressive du problème. Dewey (ibid.)
décrit l’évolution de l’enquête comme ceci : 1/ Dans ses premiers pas, l’enquête assemble les
éléments déterminés de la situation, c’est à dire directement observables, ou dont on est
24 C’est un point de vue partagé actuellement par les tenants de la cognition située (Lave, ; Scribner, ; ) 25 Souligné par nous
Premier chapitre
72
sûrs26. 2/ Le deuxième temps est l’élaboration d’une solution satisfaisante possible, qui se
présente comme un idéal. Ces idées sont des conséquences anticipées des actions projetées
qui visent à interpréter les éléments déterminés à partir d’un ordonnancement effectué de
façon conceptuelle. 3/ Ces idées ainsi que la « détermination progressive du problème et de sa
solution » s’affirment en passant du statut de « vague » (sauf dans les affaires courantes),
parce qu’elles apparaissent sous forme de suggestions, à celui d’anticipation qui marque une
possibilité opérationnelle et fonctionnelle. Il s’agit d’une interprétation sous forme floue du
problème en cours de détermination. 4/ cette suggestion est examinée par un raisonnement
visant à établir la capacité fonctionnelle de la suggestion. 5/ elle est validée [ou invalidée], à
travers sa fonctionnalité, c’est à dire « quand elle est mise en opération de façon à établir, au
moyen des observations, des faits non observés auparavant et se trouve donc utilisée pour les
organiser avec d’autres faits en un tout cohérent » (Dewey, 1993, p. 175). Dans cette
conception pragmatiste, la suggestion donne donc lieu à la structuration de la situation comme
problème déterminé, c’est à dire comme un objet validé du point de vue de sa fonctionnalité.
En outre, les objets ne sont pas constitués exemple ex nihilo. Ils sont élaborés à partir des
objets stabilisés au cours des enquêtes passées. En d’autres termes, ils ont été validés par la
stabilisation de situations passées et peuvent être instrumentalisés pour construire de
nouveaux objets dans de nouvelles situations. Les conceptions de Dewey s’inscrivent dans
une optique radicalement différente des celles des béhavioristes de son époque, en postulant
« qu’un seul épisode stimulus/réponse est apte à provoquer une modification dans les
structures du système organisme/environnement, modification qui va contraindre le
comportement ultérieur. Cette modification est une habitude» (Garreta, ibid. p.46). Celle-ci
incorpore les conditions qui ont fondé sa constitution, ce qui permet la catégorisation des
types d’objets.
Il est à noter que, pour Dewey, le début du processus d’enquête est marqué par la panique
inhérente à la confrontation et à l’indétermination de la situation (Dewey, 1993, p. 170). Sans
aller jusqu’à ce terme extrême, nous retiendrons que le lancement de l’enquête s’accompagne
très probablement d’émotions significatives liées à l’inconfort de la relation avec
l’indétermination de la situation.
4.6.5 L’intérêt des conceptions Deweyniennes
L’intérêt de la conception Deweynienne de la construction de nouvelles interprétations des
situations tient dans notre perspective de recherche, au fait qu’elle offre une théorie non
26 Que l’on pourrait aussi qualifier de manifestes au sens de Sperber et Wilson ( ?)
Premier chapitre
73
exclusivement mentaliste de cette activité, permettant ainsi de faire la relation avec les
théories de la cognition situées les plus actuelles. D’autre part, la position de Dewey, ne
présuppose pas un rationalisme ontologique des objets des enquêtes27.
Elle offre aussi, une conception en terme d’activité et pas seulement, de produit de
l’interprétation. Ceci permet d’approcher le problème du point de vue de sa construction au
lieu de la limiter à celui de sa réalisation.
L’interprétation des situations consiste à transformer une situation indéterminée en une
situation déterminée par la détermination de l’objet grâce au travail d’enquête. Cette
conception de l’interprétation des situations permet d’entrevoir la nature du processus de
construction.
Nous retiendrons de cette conception plusieurs points relatifs au processus de
construction des objets: 1/ le procès de construction des objets provient de l’ouverture d’une
enquête due à l’observation d’éléments dissonants avec l’expérience en cours qui rendent la
situation indéterminée. 2/ cette ouverture d’enquête est probablement solidaire d’émotions
significatives pour l’acteur, par exemple la « panique ». 3/ l’enquête produit un objet qui
détermine à la fois la situation tout en validant des solutions. 4/ la constitution d’un nouvel
objet, ni même celle d’une nouvelle habitude, ne nécessite pas nécessairement la répétition de
la situation.
Ce processus est construit à partir : 1/ d’une transformation de solutions possibles vagues,
en solutions opérationnelles et fonctionnelles qui anticipent les conséquences de l’action. 2/
d’une mise en relation d’anciens objets afin d’en créer de nouveaux, notamment afin
d’interpréter la situation problématique. 3/ de la détermination progressive de la situation par
un début de structuration des éléments dissonants procédant d’une convocation de faits non
observés jusqu’à lors. 4/ d’un ajustement de l’action à la situation et de la situation à l’action.
Cependant, la relation entre la détermination d’objet et d’habitude reste à préciser. A la
lecture de Dewey, l’habitude nous apparaît comme la stabilisation et la mise en mémoire, de
l’objet déterminé par une enquête au moins. Cette stabilisation est solidaire d’une
modification dans la structure du système organisme/environnement, ou pour le dire à la
manière de Varela (1989) du couplage structurel. Elle ne s’identifie pas obligatoirement à une
symbolisation. Elle serait davantage liée à la formulation de l’habitude qui apparaît alors,
27 C’est une des raisons qui nous ont fait classer les réflexions de Dewey dans une anthropologie cognitive
Premier chapitre
74
mais alors seulement, sous forme de règle ou de loi. D’autre part, il est très probable que cette
stabilisation ait plus de chance de se produire si l’expérience d’enquête responsable de la
détermination de l’objet est significative pour l’acteur. Nous faisons donc l’hypothèse que la
stabilisation de l’objet, comme expérience significative, est solidaire de la création
d’habitudes interprétatives.
4.6.6 Les limites des conceptions Deweynienne
Les conceptions de Dewey, sur le développement de l’enquête et des habitudes, font porter un
poids considérable aux objets, à la fois moyens et aboutissements, mais aussi comme toile de
fond de l’enquête. L’enquête est dirigée par l’intention d’éprouver la valeur et la validité des
faits de façon opérationnelle. Mais cette fonctionnalité là est impuissante à rendre compte du
rapport premier au monde (la priméité dans la conception de Peirce ). C’est ainsi qu’une
situation peut présenter des difficultés pour un acteur donné, sans que les indices de la
situation problématique soient interprétables, en fonction de l’objet de l’enquête. Dans la
conception de Dewey et dit à la manière de Peirce , l’enquête se situe d’emblée, dans la
secondéité.
5. Les notions proches de celle de type
5.1 Le choix de la notion de type Pointons immédiatement l’aspect qui nous fait choisir les notions de type et de typification
plus qu’aucune autre. Ces notions nous semblent compatibles avec l’épistémologie ouverte
par la cognition située. La notion de type peut se rapporter au processus d’interprétation dans
une perspective située et dynamique. Le type est appelé par la situation, comme la situation
est exemplarisée (Astier, 2003) par le type dans l’interprétation de la situation. D’autre part,
chaque interprétation nouvelle donne lieu théoriquement à une évolution du type mobilisé
(c’est ce que nous verrons par la suite).
Il existe bien sûr d’autres notions qui ont fournies des cadres théoriques à la fonction
sémiotique. Citons par exemple différents concepts sans prétendre à l’exhaustivité : bases
d’orientations (Galpérine, 1966 ) ; frames (Minsky, 1975), scripts (Schank et Abelson,
1977), schémas (Rumelhart, 1978), images opératives (Ochanine, 1981), diagnostic dans la
prise de décision (Rassmussen, 1986), les concepts pragmatiques28 (Pastré et Samurçay,
1995 ; Pastré, 1999). L’ensemble de ces concepts, bien que différents à plus d’un titre avec la
située, malgré l’anachronisme. 28 Nous réserverons une étude particulière à cette notion qui sera étudiée dans la discussion des résultats
Premier chapitre
75
notion de type, ont cependant des traits communs avec cette notion. Cette étude théorique
devrait permettre d’appréhender des éléments essentiels transposables à l’étude des types et à
leurs constructions.
5.2 La construction de l’interprétation des situati ons comme transformation de représentations et de connaissanc es
La fonction sémiotique a été appréhendée du point de vue de la psychologie cognitive
essentiellement sous l’angle de la transformation des connaissances et des représentations.
Différents concepts rendent tous compte d’un certain point de vue, des dispositions visant à
assurer la planification et le guidage de l’action et ils s’appuient tous, de façon plus ou moins
explicite, sur une fonction sémiotique. Etudions rapidement ces quelques modèles,
notamment sur le point précis de la construction de leur fonction sémiotique.
5.2.1 Les bases d’orientations
Les bases d’orientations (Galpérine, 1966 ) sont « des systèmes ramifiés de représentations
de l’action et de son produit, des propriétés du matériel de départ et de ses transformations
successives, plus toutes les indications dont se sert pratiquement le sujet pour exécuter
l’action ». Ce concept est en définitive assez proche de celui de schéma, ou de plan d’action.
Cette base d’orientation peut être de trois sortes – incomplète, empirique ou rationnelle-
suivant qu’elle reflète la totalité des repères nécessaires à l’action et du caractère plus ou
moins généralisable des repères aux différentes situations d’une même classe. Cette théorie
développe une conception de l’apprentissage. Une action nouvelle se développe par : 1/ la
formation d’un début de base d’orientation, 2/ le dégagement de sa forme matérielle, 3/
l’organisation de sa forme verbale extérieure, 3/ la formation de l’action sur le plan du
langage pour soi, 5/ la formation de l’action mentale. Cette conception héritée d’une tradition
sociocognitive, pousse à l’extrême la nécessité de la médiation sociale par le langage pour
l’apprentissage au point de considérer comme cas général le cas particulier d’un apprentissage
organisé socialement. Cette théorie laisse peu de place aux apprentissages non organisés
socialement. En outre, l’aspect sémiologique de l’activité est très peu explicite voire
inexistant. Seules les caractéristiques de l’action sont prises en compte. Elle a cependant le
mérite de mettre en lumière le rôle de la médiation possible du langage dans la constitution
des bases orientations et dans leurs constructions progressives.
5.2.2 Les cadres ( frames )
D’autres conceptions ont pris le parti de tenter de rendre compte de la description de la
situation par l’acteur. Le concept de cadre ( Frame ) par exemple comme « système de
Premier chapitre
76
notation destiné à représenter des agrégats permanents et structurés de connaissances liées à
un contexte » (Mathieu, 1991) a été construit par Minsky (1975). Il rend compte des
problèmes de reconnaissances visuelles de scènes, dans une signification différente de celle
utilisée par Goffman (1991). Le problème était de comprendre comment des individus
peuvent comprendre des scènes ou des récits comportant une grande part d’implicite. Le
cadre permet d’inférer des informations, qui bien que non présentes, sont hautement
probables. Il rempli en quelque sorte les parties manquantes d’une scène par des éléments qui
lui sont habituels. Ceci permet de comprendre la situation, ou un récit allusif, ou encore
d’anticiper sur une séquence d’événements probables. Les cadres peuvent se combiner entre
eux pour former et anticiper sur la situation en cours. Ils sont organisés comme les réseaux
sémantiques par des relations d ‘associations entre les différentes composantes du cadre. Le
développement du cadre est suspendu à la fréquence des éléments associés.
Ceci suppose donc de façon plus ou moins implicite que le principe essentiel de construction
des cadres sont la répétition de la situation et la réussite des inférences qui y sont conduites.
De notre point de vue, la difficulté essentielle de cette version du concept de cadre est qu’il
reste impuissant à explorer les relations entre l’action et la fonction sémiotique. La description
de l’action ou de la situation est toujours conçue de façon dissociée, et, pour ainsi dire pour
elle-même. Elle est élaborée sur une base d’inspiration purement représentationnelle et peine
donc à rendre compte du couplage structurel entre l’activité de l’acteur et son environnement.
D’autre part, le principe fondamental de construction du cadre reste bien la répétition
d’expérience de situations.
5.2.3 La notion de schéma
La notion de cadre est proche de celle de schéma : « structure cognitive qui spécifie des
propriétés générales d’un objet ou d’un événement et abandonne tout aspect spécifique ou
contingent » (Sébillote, 1993). Cette notion a été construite dans le cadre de la compréhension
de textes, puis des actions décrites sous la forme de plans (Brewer et Tryens, 1981 ; Brewer et
Dupree, 1983). Les situations sont interprétées grâce à une représentation schématique à partir
d’une instanciation du schéma. Ceci se produit « chaque fois qu’une configuration
particulière de valeurs est liée à une configuration particulière de variables à un moment
particulier » (Rumelhard, 1978). Les schémas contiennent la trace des expériences passées,
notamment la confrontation aux situations passées mais aussi de connaissances plus
générales. Il s’agit en quelque sorte d’une abstraction des expériences des situations
auxquelles a été confronté l’individu.
Premier chapitre
77
Ces schémas sont des blocs de connaissances qui ont été construits par l’activité de la
personne « Building Blocks of cognition » (Rumelhart, 1978). En effet, lorsqu’un schéma ne
permet pas d’interpréter la situation un nouveau schéma doit être créé. La situation est alors
interprétée de façon éclatée à partir de sous schémas, capables de rendre compte de la
situation, partie par partie. Le schéma se constitue par abstraction à partir des traits
caractéristiques des situations rencontrées pour constituer des situations schématiques. La
nature de la construction est donc ici essentiellement inductive.
A première vue, le concept de schéma est un quasi synonyme de celui de prototype. Mais
l’apparence est ici trompeuse, car le schéma est basé sur une conception de la catégorisation,
de type plutôt Aristotélicienne, effectuée par instanciation de traits caractéristiques. La
catégorisation par le prototype repose quant à elle, sur la ressemblance globale d’un air de
famille avec une forme moyenne de l’objet présent, qui se passe de traits caractéristiques.
Cette structure lie donc l’interprétation de la situation et celle de l’action. Dans le cas des
schémas, leurs utilisations ne sont pas forcément liées à une fin particulière (Richard, 1990).
L’action est vue comme une conséquence de l’utilisation du schéma. Nous sommes ici dans le
cadre de la description de représentations des situations schématiques de l’ordre de la
représentation et de la disposition, mais surtout stabilisées et effectuées éventuellement en
dehors d’une prise en compte de l’engagement de l’acteur dans l’action.
Au niveau de l’apprentissage, la construction d’un nouveau schéma (d’action)29 se réalise
selon Sébillotte (1993), à partir de plusieurs schémas connus. Quand des opérateurs sont
confrontés à une nouvelle situation dans laquelle ils ne reconnaissent pas une partie de la
tâche, ils la décomposent en sous tâches (organisées par des sous buts) pour lesquelles ils ont
en mémoire des schémas d’action. Ils recomposent alors, un nouveau schéma d’action à partir
de ces éléments. D’autre part, ces schémas peuvent être inadéquats du fait que les opérateurs
tentent de calquer coûte que coûte l’exécution de la tâche à une procédure connue30. La
difficulté de la notion de schéma est, en définitive, qu’elle n’intègre pas facilement deux
versants de l’activité notamment le versant sémiologique et celui de l’action proprement dite
dans un tout holiste. Elle pointe cependant la possibilité de transformation des schémas par la
réorganisation de nouvelles relations entre eux.
29 Partie du schéma spécifique à l’action, la notion de schéma devient alors proche des bases d’orientation de Galpérine 30 Mais il est possible de proposer une autre interprétation de ces résultats. Les opérateurs peuvent aussi considérer que la situation est la même que celle pour laquelle ils ont effectivement des solutions en terme de procédure. Dans cette perspective, c’est justement l’interprétation de la situation qui guide la mise en œuvre de la procédure, en même temps que la connaissance de cette procédure influence l’interprétation de la situation. Ceci
Premier chapitre
78
5.2.4 La notion de script
La notion de script développée par (Schank et Abelson, 1977), apparaît intéressante car elle
tente de réunir les deux versants de l’activité cités plus haut. Le script est une catégorie
particulière de schéma. Lié aux actions accomplies régulièrement dans une situation donnée,
notamment les situations de la vie quotidienne, il encode en plus des informations propres au
schéma, le déroulement séquentiel d’une catégorie particulière de situations fréquentes et
familières. Son organisation est séquentielle et hiérarchique. Les scripts sont donc les
représentations d’événements schématiques se déroulant dans un contexte donné. Cette
structure permet l’interprétation de la situation en cours, sur la base de l’occurrence des
événements et l’activation de plans pour les contextes et les actions connues.
La construction des scripts, pour les situations plus inhabituelles, est produite à partir des
connaissances générales. Il s’agit donc d’un modèle essentiellement descendant des
connaissances générales vers la spécificité des situations. Ces conceptions ne permettent pas
d’envisager un procès ascendant d’apprentissage interprétatif à partir d’un cas unique, ou
d’une expérience singulière, alors que la notion de type le permet.
D’autre part, la construction de la schématisation serait construite par abstraction à partir
d’induction des régularités de la situation repérée par les occurrences d’éléments
caractéristiques. Nous sommes ici dans une conception aristotélicienne de l’interprétation, qui
ne peut pas prendre en compte la reconnaissance globale de la situation par rapprochement à
un type (ou prototype suivant le cadre théorique choisi). La construction des scripts se fait de
façon plutôt déductive, par la recomposition fonctionnelle (comme dans le cas des schémas)
de certains de ses éléments.
D’autres modèles ont tenté, tout en restant dans le paradigme cognitiviste, une organisation
explicite de la fonction sémiologique et de l’action à travers les concepts de diagnostic et de
planification, comme le celui de la prise de décision de Rassmussen (1986).
5.2.5 Le modèle de la prise de décision et de diagn ostic
Les modèles théoriques étudiés jusqu’à maintenant, peinent à prendre en compte les objectifs
de l’acteur. Tout se passe comme si la situation s’imposait aux acteurs, comme s’ils ne
faisaient que réagir à celle-ci ou comme si leurs objectifs pouvaient être négligés dans la
l’interprétation de la situation. Ceci renvoie à une conception véridictionnelle et ontologique
de la situation qui n’est pas notre option épistémologique.
part d’un point de vue holiste de l’activité, selon lequel interprétation et action sont les versants d’une même activité.
Premier chapitre
79
Pour Hoc et Amalberti (1994), le modèle de Rassmussen (1986) a permis de prendre en
compte de façon explicite « les objectifs de prise de décisions dans le diagnostic ». En effet, il
présente l’activité de décision comme le résultat d’une double activité. Celle de diagnostic et
de pronostic d’une part et celle relative à la planification et à l’exécution de l’action d’autre
part. En référence à Rassmussen, Hoc et Amalberti donnent la définition suivante de l’activité
de diagnostic: « En référence aux situations professionnelles dans lesquelles il est utilisé,
nous considérons le diagnostic comme une activité de compréhension d’une situation,
pertinente à une décision d’action ». A partir de l’analyse de protocoles verbaux de
techniciens dépannant des appareils électroniques, Rassmussen a identifié des étapes de prise
de décisions (comme activité de construction et de résolution de problèmes). Activation,
observation, identification, interprétation, évaluation, sélection d’une procédure, exécution.
Les étapes de la décision ont été reprises et légèrement modifiées par Hoc et Amalberti (1994)
: Détection, recherche explicite d’informations, identification, interprétation, évaluation,
définition d’un but (intention), planification de l’action, exécution de la procédure.
Ce fonctionnement en double échelle (diagnostic et planification), fait intervenir des types de
connaissances et des boucles de régulation cognitives différentes en fonction du degré de
routinisation de l’action à mener. Dans le cas où l’activité est routinière et que les situations
sont très connues, comme de nombreuses actions de vie quotidienne ou professionnelle,
l’action est régulée par des automatismes. La conduite automobile en est un exemple
classique. La plupart du temps, il n’y a pas intervention du rôle de la conscience. L’activité du
sujet se développe à partir d’informations perceptives: les signaux. En effet « si la
représentation symbolique joue un rôle dans le déclenchement des automatismes (par le
déclenchement d’une règle), elle est absente de la régulation de l’exécution de l’automatisme
lui-même. Les actions d’un automatisme peuvent être aussi bien sensori-motrices que
cognitives. » (Hoc, 1996).
Ce niveau de régulation est particulièrement privilégié dans les situations de contrôle rapide
où la pression temporelle est forte. Dans ces situations, l’opérateur (par exemple un pilote de
chasse) tente de maintenir le déroulement de l’action dans des conditions où il peut appliquer
des procédures connues. Ici, le pilote procède à des anticipations tactiques (Hoc31, 1996).
Dans cette situation, la replanification (reconsidération du plan prévu à l’avance ou au cours
de l’action) reste limitée et difficile pendant l’action.
31 Ici Hoc cite un travail d’Amalberti et Deblon (1992)
Premier chapitre
80
Ce type de régulation se construit sur la base de la répétition fréquente de la même activité et
sur la reconnaissance de configurations typiques de l’environnement. Elle résulteraient d’un
processus de procéduralisation de connaissances déclaratives et de règles plus opératives.
Quand la situation est plus inhabituelle, l’activité n’est plus opérée sur la base de « signaux »
mais de « signes ». C’est à dire que l’information n’est pas prélevée directement au cours de
l’interaction avec l’environnement mais est inférée à partir de celui-ci. Rassmussen souligne
que la distinction entre les signaux, les signes (et les symboles dont nous parlerons après) ne
provient pas de la forme des informations, mais de l’intention d’utilisation qui en est faite.
Ces signes sont repérés par la prise en compte implicite du contexte situationnel. Ceci
confère aux règles qui les subsument une adaptabilité plus grande que les automatismes. « Les
procédures sont en quelque sorte reconstruites au moment de leur actualisation » (Hoc,
1996). Ces règles sont très opérationnelles dans le sens où elles déclenchent assez directement
des actions concrètes. En général, l’opérateur peut expliquer les règles qu’il utilise au cours
d’une action. Lorsqu’il est face à une situation nouvelle (pour laquelle il ne possède ni règles,
ni automatismes), il fait alors appel à des connaissances d’ordre conceptuel. La régulation de
l’activité est alors assurée par des symboles (connaissances conceptuelles) qui ne sont pas
directement opérationnels.
Le modèle d’apprentissage correspondant à cette théorie est essentiellement celui d’une
procéduralisation progressive des diagnostics. Ils sont issus de niveaux de régulation élevés
vers des niveaux de plus en plus automatiques, à l’exception notable de la construction de
règles à partir de cas typiques, mais qui reste marginal dans cette théorie globale. La notion de
diagnostic dans les prises de décision (Rassmussen, 1986), présente le même modèle
descendant, que la construction de scripts. Les nouveaux diagnostics sont créés sur la base de
mobilisation de concepts à partir de situations très inhabituelles. Ils deviennent alors des
règles, et/ou des cas exemplaires, puis des automatismes cognitifs de reconnaissance de
situations.
La limite de ce modèle est la difficulté à prendre en compte l’apprentissage provenant de
niveau bas de régulation, c'est-à-dire, en reprenant les termes de la prise de décision,
constitué à partir de l’expérience directe et non pas uniquement à partir de procès de
procéduralisation de symbole. Ce modèle n’échappe pas non plus à une certaine naturalisation
d’une rationalité décisionnelle, provenant probablement d’une conception séquentielle du
traitement de l’information, qui limite en définitive les possibilités de prendre en compte le
caractère situé de l’action. Il peine à rendre compte du caractère opportuniste de la cognition
Premier chapitre
81
s’appuyant sur un contexte qui incarne pour partie la cognition et l’action dans une conception
distribuée de celles-ci (Olszewska, 2002).
Pour relever ce défi théorique, nous nous tournerons vers les conceptions anciennes mais
redécouvertes récemment (Chauviré et Ogien, 2002) du concept d’habitude chez Peirce et
Dewey et sur les conceptions beaucoup plus récentes de l’apprentissage dans la théorie de
cours d’action (Theureau, 2000; Sève, Saury, Theureau et Durand 2002). Mais auparavant
pointons le rapport de la fonction sémiotique avec le cadre social de la situation.
6. L’intrication du social et de l’individuel dans l’interprétation : la notion de cadres de l’expérience chez Goffman
L’interprétation est aussi située dans un cadre social. Sans entrer dans le détail d’une
problématique qui nous emmènerait trop loin, relevons seulement avec Goffman (comme
l’avait fait aussi Schütz, mais dans une orientation différente), que l’interprétation est toujours
effectuée sur fond de cadres interprétatifs donnés socialement.
La notion de cadre a été utilisée par Goffman (1991) pour comprendre la relation de
l’individuel et du social dans l’interprétation des situations. Celui-ci établit un plaidoyer
contre la philosophie selon laquelle la réalité n’est qu’apparence. En s’appuyant sur les
conceptions de W. James, Goffman reprend une des thèses de ce dernier selon laquelle,
lorsqu’il est question de la réalité, ce qui importe c’est la conviction qu’elle entraîne sur sa
qualité particulière. La réalité devient donc le produit de notre expérience et non la structure
ontologique des objets. Ainsi « toute définition de situation est construite selon des principes
d’organisation qui structurent des évènements […] et notre engagement subjectif » (ibid.
p.19). Pour identifier les évènements on utilise un ou plusieurs cadres ou schèmes
interprétatifs. Les cadres peuvent être primaires selon qu’ils sont mis en pratique, ou
secondaires s’ils sont rapportés à une interprétation préalable. « Est primaire un cadre qui
nous permet, dans une situation donnée, d’accorder du sens à tel ou tel aspect, lequel
autrement serait dépourvu de signification » (idid. P.30). On reconnaîtra ici l’influence de
Schütz revendiqué par Goffman : lLes cadres primaires sont des parents proches de la notion
de type, mais il faut garder à l’esprit que « les cadres ne sont pas seulement des schèmes
mentaux, mais correspondent à la fonction dont l’activité est organisée » (ibid. p.242).
Goffman en introduisant la notion de cadre secondaire en tant que transcription d’un cadre
primaire dans un autre cadre (modalisation), permet l’irruption du social dans l’interprétation
des situations. Ainsi toute interprétation de la situation se situe dans un arrière fond social qui
en fait une construction de sens secondaire.
Premier chapitre
82
7. Choix théoriques sur la notion d’interprétation des situations et définitions opérationnelles
Dans cette partie, nous allons faire part de nos choix théoriques afin d’établir une définition la
plus opérationnelle possible pour notre recherche. Nous citerons les sources que nous avons
déjà étudiées, afin de pointer les influences qui nous conduisent à cette théorisation.
7.1 Nos choix théoriques Interpréter une situation est une activité sémiotique (Piaget, 1979 ; Brunner 1991, 1996). Cette
activité est comprise dans la perspective d’un couplage structurel (Varela, 1989) entre la
situation et l’action d’un acteur. Nous entendons couplage au sens d’une relation de co-
détermination de la situation et de l’action. Cette dernière est comprise comme une
organisation singulière d’activités présentant une unité de sens et/ou dotée d’une unité de
signification pour/par un sujet individuel (Barbier, 2000c). Cette idée de couplage est utilisée
pour rendre compte que toute action est située et qu’elle possède une fonction situante (Astier,
2003). Il n’est donc pas possible de déterminer la situation sans une détermination de l’action
comme, il n’est pas possible de déterminer l’action sans une interprétation de la situation. En
d’autres termes, l’action en cours et notamment l’engagement de l’acteur, produit une
perspective sur la situation. En outre, ce couplage est dans une détermination constante au
cours de l’action. Cette activité sera appréhendée du point de vue des procès d’interprétation.
Les procès (Barbier, 2000a) désignent « les processus ayant fait l’objet du repérage d’un
certain nombre d’invariants ou de régularités » (de la part du chercheur)32.
Interpréter une situation (notamment, Barwise et Perry, 1983) c’est en reconnaître la
spécificité, c’est à dire la catégoriser comme appartenant à une espèce. Mais c’est aussi, dans
le même mouvement, en saisir la singularité, c'est-à-dire l’individuer (Barwise et Perry).
L’individuation de la situation survient, pour un acteur syntonisé avec la situation, par
rapprochement de la situation avec une forme moyenne (Roch, 1973 ; Dubois et al. 1991).
Interpréter une situation, c’est donc en déterminer (Husserl, 1970) la forme signifiante
occurrente - toujours relativement à l’objet de l’action en cours - comme faisant partie d’une
catégorie de situation plus vaste. Cependant, nous restreindrons la notion d’interprétation à
l’activité de détermination d’une situation afin de ne pas l’identifier à toute perception.
L’interprétation peut être immédiate, mais elle peut être aussi médiate (Husserl, ibd.) : Elle est
alors constituée d’un processus (Barbier, 2000a).
Premier chapitre
83
La situation est déterminée pour l’acteur, non pas d’un point de vue véridictionnel (Eco,
2001) mais au contraire pragmatique en fonction des fins qui sont les siennes (Rorty, 2001).
En effet, certaines situations (notamment pour des apprentis enseignants) apparaissent
dépourvues d’un sens clair pour l’acteur. Toutefois, le sens de la situation évolue et se
construit au cours de l’activité dans un processus d’enquête (Dewey, 1993). De ce point de
vue, l’activité interprétative permet de faire passer une situation indéterminée à une situation
suffisamment déterminée, pour permettre la résolution de difficultés. Cette activité de
détermination de la situation est fonction d’une détermination parallèle de l’objet de l’action
(Dewey, ibid.). C’est cette partie de l’activité globale - qui permet à un acteur de donner ou
de faire évoluer la détermination de la situation - que nous appelons interprétation de la
situation. Cette détermination n’est pas ici conçue comme le résultat d’une spécification d’un
schéma général appliqué à une situation particulière. Mais elle est considérée, au contraire,
comme le résultat d’un jugement de similarité au sens de familiarité (Husserl, 1970) qui fait
reconnaître les similitudes (et les différences) de l’air de famille que présente la situation
actuelle avec le type (Schütz, 2003) grâce auquel elle est individuée. Nous choisissons
d’appeler « mise en relation », ce jugement de similitude mais aussi probablement de
différence.
Toutefois, si les actions des acteurs sont situées et si en retour, les situations sont déterminées
par l’activité des acteurs (Astier,2003), alors il convient de prendre en compte ce couplage
fonctionnel situation/action dans la définition de l’interprétation des situations. Nous
signifierons par la locution « pour l’action en cours et pour un acteur donné » l’expérience de
ce couplage. Ainsi, interpréter une situation dans l’action, c’est en quelque sorte rendre une
situation familière à partir de l’air de famille qu’elle entretient avec d’autres situations de
même type, dans un engagement de même type que l’action en cours.
Le type traduit l’idée que les situations sont individuées par des habitudes (Dewey, ibid.)
interprétatives, qui permettent de renvoyer l’inconnu au connu par des schèmes
d’interprétation (Schütz, ibid.). L’inconnu est relatif à des indices de ce que peut être la
situation. C’est la détermination qui fait survenir la situation, dans un sentiment d’évidence à
partir d’éléments de l’environnement avec lesquels l’acteur est syntonisé. Mais, ces mêmes
éléments peuvent donner lieu à des interprétations diverses pour un même acteur et au même
32 Les processus sont les « passages d’un état à un autre état formant une unité dotée de sens/signification pour/par un observateur » (Barbier, ibid.) ; tandis que les états sont conçus comme une « attribution à un objet physique ou social de traits spécifiques résultants d’une opération ponctuelle d’identification » (Barbier, ibid.)
Premier chapitre
84
moment suivant la perspective engagée et le type mobilisé. Ainsi, les éléments significatifs
pour l’acteur ne sont que des indices d’une situation qui reste à déterminer.
Pour prendre en compte cette conception que nous appelons perspectiviste, nous caractérisons
la notion de type comme un couplage entre l’action et la situation résultant de l’activité de
repérage des éléments significatifs pour l’acteur en fonction de son engagement habituel (dans
la locution situation interprétée de notre définition). Cette définition du type nous semble
proche de celle d’habitude chez Dewey, mais avec une nuance importante qui relève de la
prise en compte de la perspective propre à l’acteur en fonction de son engagement. Nous
ferons donc nôtres les conceptions de Dewey sur la création des habitudes, mais en les
aménageant toutefois dans une version perspectiviste et en intégrant la possibilité d’un rapport
premier au monde à la manière de Peirce (1984). Les types proviennent d’une ou de
plusieurs expériences d’interprétation de situations passées ou même d’une situation actuelle.
Quand il est traduit de façon discursive, le type prend la forme d’une règle interprétative,
mais il n’est pas, par essence, discursif ou même symbolique. Il peut être une forme moyenne
interprétante, à la manière d’un prototype (Rosch, 1976).
7.2 Définitions des notions de type, d’activité int erprétative et d’interprétation occurrente
7.2.1 Interprétation de la situation en tant qu’act ivité
Nous définissons « l’activité d’interprétation de la situation » comme l’ensemble des procès
d’attribution ou de construction de sens à des indices de l’environnement pour déterminer
la situation.
Celle-ci procède d’une mise en relation d’un faisceau d’indices (la forme significative prise
par les indices de la situation occurrente) avec un type, par un jugement de similarité, qui fait
passer une situation indéterminée en situation (suffisamment) déterminée, pour l’action en
cours et par un acteur donné.
7.2.2 Interprétation de la situation en tant que pr oduit Cette activité interprétative débouche sur un produit que nous appelons l’interprétation
occurrente.
Premier chapitre
85
Nous choisissons d’appeler « interprétation occurrente », la détermination antéprédicative,
ou la caractérisation prédicative d’un faisceau d’indices, par la médiation d’un type et en
fonction de l’engagement de l’acteur dans la situation.
7.2.3 Type
Nous choisissons d’appeler « type », les habitudes d’interprétation de l’acteur, d’un faisceau
d’indices, en fonction d’un engagement habituel dans la situation interprétée.
Les types procèdent de mobilisations de formes interprétantes, c’est à dire de structurations
habituelles moyennes d’indices de situations dont l’acteur reconnaît l’occurrence particulière
dans la situation (l’interprétation en tant que produit), grâce à la médiation de ces formes
interprétantes.
La locution occurrence particulière signifie que la situation repérée n’est jamais totalement
identique au type, mais qu’elle lui ressemble suffisamment pour être identifiée.
Premier chapitre
86
Troisième section du cadre théorique
L’apprentissage interprétatif comme construction et reconstruction de types par l’expérience
1. Premières définitions et questions essentielles
1.1 Rappel des questions de recherche La préoccupation globale de cette recherche est celle de l’apprentissage interprétatif.
Rappelons pour mémoire les questions auxquelles cette recherche tente de répondre et que
nous avons déjà présentées en introduction.
Quelle est l’activité interprétative et d’apprentissage interprétatif des apprentis au cours d’une
action d’encadrement ? Quels sont les procès d’apprentissage mobilisés ? Comment et à
quelles conditions les apprentis apprennent-ils ? Quelles sont les configurations qui rendent
difficiles ou au contraire qui facilitent les apprentissages interprétatifs ?
1.2 Une première approche de l’apprentissage interp rétatif En reprenant les conceptions de Sperber et Wilson (1989), il est possible de remarquer que
l’apprentissage n’est pas séparé de l’activité habituelle, mais est liée au processus d’inférence,
en permettant la création de nouvelles possibilités d’interprétation.
Dans l’interprétation, les informations qui donnent lieu à un développement des ressources
cognitives sont dites pertinentes. C’est à dire lorsqu’il y a apprentissage interprétatif en tant
que développement de nouvelles potentialités interprétatives.
L’inférence inédite crée de nouvelles possibilités d’interprétation qui pourront être utilisées
ultérieurement de façon codique sur la base d’une nouvelle identification d’indices désormais
saillants, parce que connus et donc reconnaissables. L’inférence, quand elle porte sur les
indices nouveaux est donc un processus d’apprentissage permettant le développement du
processus interprétatif.
Premier chapitre
87
Nous proposons ci-dessous un schéma de cette conception.
Relation potentielle mais non activée
Relation primaire
Relation secondaire
En nous inspirant33 de cette approche nous choisissons d’appeler apprentissage interprétatif
la construction de nouvelles potentialités interprétatives, créées dans l’activité
interprétative.
33 Sans pour autant nous inscrire dans la même épistémologie
Interprétation inédite
Décodage Inférence inédite : utilisation d’informations nouvelles
Expérience : détermination d’informations pertinentes
Contexte potentiel : prémisses anciennes (faits manifestes)
Code connu
Schéma du processus d’interprétation n°2 : apprentissage à partir d’une inférence inédite (d’après Sperber et Wilson, 1989)
Mise en relation Augmentation des ressources cognitives : environnement cognitif doté de nouveaux faits manifestes et de nouveaux éléments de code
Création d’un nouvel élément de code Contexte potentiel nouveau :
ensemble des faits nouvellement manifestes
Premier chapitre
88
2. L’apport de la théorie du cours d’action et du s igne hexadique, pour l’apprentissage interprétatif des situations
o L’approche sémiologique du cours d’action Dans la théorie du cours d’action (Theureau, 1992, 2000) la construction des types comme
apprentissage constant et solidaire de l’action même, tient une place tout à fait centrale dans
ce cadre théorique. La notion de type est donc un concept essentiel car il se présente dès lors
comme une interface entre l’apprentissage et l’action en train de se faire.
Inspiré de la sémiologie de Peirce (Peirce , 1978, 1984), il est suspendu à la théorie selon
laquelle l’homme agit et pense par signes. Avant d’aborder l’apport de ce cadre à
l’apprentissage interprétatif, il nous faut en présenter rapidement les contours essentiels.
Lorsqu’un acteur raconte, commente ou mime ce qui, dans l’activité est significatif pour lui,
et à tout instant, il découpe spontanément son activité en unités discrètes parce qu’elles sont
justement significatives pour lui. Ces unités discrètes peuvent être appelées Unités
Elémentaires d’Activité (Theureau, 2000). Le constat de ce fait a participé à la construction
théorique de la notion de cours d’action définie comme “ ce qui dans l'activité est pré réflexif,
c'est-à-dire racontable et commentable à tout instant par l’acteur à un
observateur/interlocuteur dans des conditions favorables d’observation et d’interlocution »
(Theureau, ibid.). Le cours d’action est par définition une reconstruction du chercheur de
l’activité de l’acteur sur la base d’une mise en relation des unités élémentaires d’activité
(UEA).
Ces UEA peuvent être modélisées de façon plus détaillée et sous la forme d’une interaction
entre six éléments. Cette interaction est appelé « signe hexadique » et constitue la structure
sous-jacente de l’UEA. Cette notion est une évolution du signe classique triadique de Peirce ,
développé en 6 éléments. La construction de ces signes hexadiques, leurs enchaînements, et
leur concaténation, permet de construire une intelligibilité du sens dans l’activité, donc de
l’interprétation des situations. Ces signes sont constitués par la liaison holistique de six
composantes : un engagement, une actualité potentielle, un référentiel, une unité élémentaire,
un représentamen et un interprétant.
La dimension d’apprentissage se situe à l’intérieur même des signes dans la composante
interprétant.
Ce signe hexadique se présente de la manière suivante :
Premier chapitre
89
2.1 Le signe hexadique La notion de signe hexadique est encore conçue par Theureau comme une notion « work in
progress », à bien des égards. Aussi, donnons nous la version de la théorie de ce signe, la plus
récente au moment de l’élaboration de ce travail (Theureau, 2002).
2.1.1 Engagement dans la situation (E) « Principe d’équilibration globale des interactions de l’acteur avec sa situation à un instant
donné = clôture globale des possibles pour l’acteur à cet instant découlant de son cours
d’action passé ». L'engagement est constitué par l’ensemble des préoccupations ou des
intérêts immanents de l'acteur découlant de son interaction avec la situation. Il est la
délimitation des possibles en fonction de l’équilibration entre l’interaction de l’expérience de
l’acteur et la situation présente. À tout instant, il y a une évolution de l’engagement de
l’acteur dans la situation en fonction de la dynamique évolutive de celle-ci, c’est à dire de ce
qui fait signe pour lui dans son cours d’expérience. Elle représente la priméité de la priméité.
Par exemple dans l’entrée dans une activité d’enseignement, nos apprentis enseignants ont
quelquefois pour engagement de montrer leur savoir-faire aux autres apprentis et au tuteur
pour se présenter comme compétent.
2.1.2 Actualité potentielle, ou Structure d’antic ipation (A) « Les attentes variées de l’acteur relatives à sa situation dynamique à un instant donné = ce
qui, compte tenu de E, est attendu (de façon plus ou moins déterminée, passive ou active) par
l’acteur dans sa situation dynamique à un instant donné, à la suite de son cours d’action
passé ».
L'Actualité potentielle (A) correspond aux attentes structurées de l'acteur relatives à sa
situation dynamique à un instant donné. Elles sont sélectionnées par l’engagement dans
l’ensemble des attentes qui ont été construites dans son cours d’action passé. Cette deuxième
composante représente priméité de la secondéité et correspond à une délimitation des attentes
potentielles de l’acteur vis à vis de la situation. Dans l’exemple donné ci-dessus, l’actualité
potentielle de l’enseignant est, de l’ordre d’attentes (ou plutôt d’espérances) que les élèves
réalisent effectivement ce qu’il a prévu et qu’il pourra ainsi démontrer son savoir-faire en tant
qu’enseignant compétent.
2.1.3 Référentiel (S) « [Ensemble] des types, des relations entre types et des principes d’interprétation
appartenant à la culture de l’acteur qu’il peut mobiliser compte tenu de E et A à un instant
donné ».
Premier chapitre
90
Le référentiel ne désigne pas une structure supposée implantée dans le cerveau de l’acteur
mais traduit au contraire, l’hypothèse de l’énaction du monde propre de l’acteur, toujours
dynamique, et qui se concrétise par la constitution d’invariants relatifs (c’est à dire toujours
en évolution relative en fonction des interactions avec des situations elles-mêmes énactées).
La conséquence théorique est que le référentiel est aussi spécifié par le Représentamen (ce qui
fait survenir une actualisation de A et de E). Le référentiel est constitué par l’ensemble des
types potentiellement mobilisables par l’acteur34.
2.1.4 Représentamen (R) « Ce qui, à un instant donné, fait effectivement signe pour l’acteur le Représentamen peut être
(« externe », perceptif, ou « interne », proprioceptif et mnémonique. Par un choc en retour R
spécifie A en a/A, c’est-à-dire en a sur fond de A et E en e/E.
La notion de Représentamen se rapproche de celle d’affordance Gibsonienne à « condition de
considérer que ces affordances sont situées » (Theureau, 2000, p.198). Il n’y a pas dans
l’hypothèse du signe hexadique de saisie directe d’informations, mais plutôt « des extractions
et abstractions d’invariants du flux de stimuli », en fonction des autres composantes du signe.
Cette idée rejoint celle de syntonisation (« attunement ») de Barwise et Perry, pour lesquels il
y a repérage d’éléments de régularité, si l’acteur est accordé à ces éléments de la situation et si
son expérience lui permet de les reconnaître. Cette syntonisation est fonction, dans la théorie
du signe hexadique, de la structure E, A et S, qui s’actualise en ER/ AR/SR. Cette
actualisation procède d’une sélection d’une portion de EAS (potentiel) en eas (actualisé). Par
exemple, notre apprenti enseignant perçoit l’inactivité des élèves (R), (il en déduit l’échec de
son exercice), dans la mesure où les difficultés des élèves ne lui permettent pas de respecter
avec succès le plan de la leçon prévue. Cette interprétation est fonction de la mobilisation
d’un type de référentiel (S) par R. Il est de l’ordre de « lorsqu’on ne peut pas réaliser la séance
prévue on est en difficulté ». Les attentes évoluent alors vers une focalisation de la réussite
coûte que coûte de l’exercice.
Le Représentamen peut-être un jugement perceptif (je perçois ceci), mnémonique (je me
rappelle tel évènement), ou proprioceptif (je fais quelque chose). Mais en définitive c’est bien
l’acteur qui fait émerger les représentamens. De ce point de vue, leurs émergences peuvent
34 Il est a noter que les types sont définis par J. Theureau (2000, p.183), comme des « schèmes typiques d’attention, de perception, d’action, de communication, d’interprétation et d’émotion », qui ne sont pas considérés de façon séparée de l’activité, mais dans une conception holistique de celle-ci, constituant un tout dynamique. Pour ce qui nous concerne nous conserverons la définition que nous avons donnée relative à l’activité spécifiquement interprétative dans l’activité globale.
Premier chapitre
91
faire partie du processus d’interprétation de la situation. Ce processus étant lui-même préparé
par l’émergence de la structure d’attente.
2.1.5 Unité de cours d’expérience (U) « Fraction d’activité préréflexive. Elle opère une transformation de E et A et une
spécification de s/S en tt/s/S, c’est-à-dire en une relation entre types tt sur fond de s sur fond
de S. ».
L’unité élémentaire est la fraction de l’activité réflexive qui peut être montrée, racontée et
commentée. Elle est, à la fois, le résultat des cinq autres composantes et son expression
synthétique. Elle absorbe le Représentamen qui lui a donné naissance. Par exemple, l’apprenti
enseignant, après avoir constaté l’inactivité des élèves, interprète la situation comme l’échec
de son exercice.
Comme les autres composantes du signe hexadique, elle peut être catégorisée à son tour selon
le même schéma de construction que l’ensemble du signe, (c’est à dire par l’interprétant
constitué des niveaux phénoménologique).
« Par exemple, une unité de cours d’action U peut être une ouverture (reprise, introduction
ou transformation d’un ouvert de l’acteur [à transformer] dans la situation), une multiplicité
de sentiments (émotions significatives pour l’acteur), un tourbillon interprétatif, une
détermination (d’un élément objet d’attention), une inférence, une action (qui peut être une
action usuelle, une action sur soi-même, une action de recherche d’information ou une
action de communication) ou un argument (ou construction symbolique de nouveaux types
ou relations entre types). De même que chaque composante du signe hexadique suppose et
intègre dans sa construction les composantes qui la précèdent dans la liste, chaque
catégorie de chacune de ces composantes suppose et inclut implicitement dans sa
construction les catégories qui la précèdent dans la liste. Cependant, la définition des
diverses sous-catégories des composantes du signe hexadique qui composent le tableau actuel
de ces sous-catégories et les hypothèses empiriques générales qu’elles traduisent n’est pas
stabilisée. A fortiori, leur validation empirique et l’épreuve de leur fécondité heuristique sont
inégalement développées » (Theureau, 2002, p.12)
Dans les six catégories développées, ouverture, tourbillon interprétatif, détermination ,
inférence, action, argument, cinq renvoient à un processus d’interprétation. Seule l’action
elle-même ne fait pas réellement partie du processus d’interprétation (et encore en excluant la
recherche d’information).
Premier chapitre
92
Il sera dans notre objet de recherche que de voir comment ces différentes opérations
d’interprétation s’organisent entre elles.
2.1.6 Interprétant (I) « Construction, extension du domaine et/ou de la généralité de types et relations entre types à
travers la production de U et achèvement de la transformation de E, A, S, en E’, A’, S’. »
La construction des compétences dans le cours d’expérience - notamment par le
développement du potentiel d’interprétation de l’acteur sur la situation en cours - est chez un
acteur donné, appréhendée à travers l’étude de la construction des interprétants définis
comme construction d’éléments de généralité nouveaux, émergeants au cours de
l’action, qui trouvent place dans le référentiel et participent à la création d’habitudes
nouvelles.
La notion d’interprétant « traduit l’idée, d’une part, que l’action s’accompagne toujours de
quelques apprentissages ou découvertes (situées), d’autre part, que l’apprentissage est
toujours incorporé (loin de se réduire à la construction symbolique), situé dynamiquement (la
décontextualisation traduite par la notion de type n’est jamais absolue) et en relation avec
une culture préexistante (n’est jamais une simple transmission) » (Theureau, 2000, p.200).
Dans l’exemple précédent, l’apprenti enseignant établit des relations entre les différents
éléments de la situation, pour construire une interprétation des raisons de l’échec de l’exercice
non plus dans la situation ici et maintenant, mais dans le genre de situation proche de celle
interprétée. Ceci fait émerger du même coup un type, ce qui constitue un apprentissage
interprétatif .
Pour notre part, tout en reprenant les réflexions de fond sur « l’interprétant », nous
préférerons appeler cette dimension du signe : « apprentissage ». La notion d’interprétant
(dont le type) restera, de façon plus conventionnelle dans la théorie de Peirce , l’élément du
signe qui permet l’interprétation du représentamen. La transformation du type constituant
l’apprentissage interprétatif.
2.2 Interprétation et signe hexadique L’interprétation, dans la théorie du signe hexadique de Theureau, apparaît comme le lien
essentiel entre les différents éléments du signe. Si on retient comme définition première que
l’interprétation est un procès d’attribution de sens à l’environnement pour déterminer la
situation, dès l’ouverture des possibles avec l’engagement de l’acteur dans la situation, il y a
Premier chapitre
93
une ébauche d’interprétation. Celle-ci survient avec l’émergence des actualités potentielles et
l’aide du référentiel (que nous appelons interprétation de priméité). Ceci permet au
représentamen d’advenir, enclenchant par le choc qu’il produit, la détermination de la
situation, (une interprétation de secondéité). Il s’ensuit par le même choc en retour, une
spécification de l’engagement, de l’actualité et du référentiel, organisant du même coup
l’objet du signe et la survenue de l’UE. Il est d’ailleurs notable que l’interprétation de la
situation est indéfectiblement liée à l’objet du signe, puisque celle-ci est à la fois organisée
par lui, mais organisante de celui-ci.
Enfin, l’interprétation entre dans sa phase d’apprentissage interprétatif avec la transformation
des types mobilisés dans l’interprétation (apprentissage interprétatif dans la tiercéité). Dans la
tiercéité du signe, l’action passe en quelque sorte au plan de l’expérience.
Ainsi, comprendre les apprentissages interprétatifs nécessite de construire la structure
interprétative dans les signes hexadiques. La description des types mobilisés et de leurs
transformations ne peut se faire que lorsque le reste du signe a été construit.
Nous allons maintenant nous intéresser à cette composante « apprentissage » dans le signe
hexadique.
3. L’apprentissage interprétatif dans le cadre sémi ologique du cours d’action
3.1 Solidarité de l’action et de l’apprentissage L’apprentissage en cours d’action, au sein même du signe hexadique, représente la
composante de construction des nouveaux types et les nouvelles relations entre types
provenant du choc du représentamen avec la structure d’attente. L’apprentissage implique
l’évolution de cette structure après ce choc.
L’apprentissage est conçu sous un angle permanent et dynamique. Tout signe formé à tout
instant produit une nouvelle expérience parce qu’elle conduit au moins à une confirmation de
la validité des types (Sève, 2000 ; Sève et Al. 2002).
Toutefois, l’acteur peut aussi mettre en défaut la validité des types usuels (types préexistants
au moment t de l’action), ce qui conduit à un affaiblissement de la confiance dans la fiabilité
du type et peut conduire progressivement à un abandon de celui-ci. Cependant, si l’acteur n’a
pas de type disponible pour faire face à la situation, il est obligé d’en construire un. Alors un
certain nombre de question se posent. Quel est le procès d’émergence de ce nouveau type ?
Premier chapitre
94
Comment le nouveau type une fois construit est-il utilisé ? Développe-t-il une capacité
d’interprétation et d’action de plus en plus générale ? Si oui, quel est le procès de construction
de la généralité du type ?
3.2 Le cadre théorique de l’apprentissage dans le c adre sémiologique
Dans l’état actuel, les procès d’apprentissage sont catégorisés suivant 4 grands procès (Sève et
al. 2002) :
- Vérification d’un type construit avant l’action (conduisant à la validation ou à
l’invalidation).
- Construction d’un type sur la base d’une seule observation.
- Construction d’un nouveau type sur la base de plusieurs cas.
- Construction d’un nouveau type sur la base d’une relation entre types.
Cette construction théorique provient d’une synthèse d’un travail antérieur (Theureau, 2001 ;
Sève, 2000).35 que nous présentons maintenant. Des sous-catégories de l’apprentissage ont été
définies de la façon suivante :
1/ une ouverture à l’apprentissage & découverte ; 2/ reprise - renforcement – affaiblissement
de types déjà construits; 3/ émergence de nouveaux types ; 4/ érection d’un cas en type ; 5/
abduction ; 6/ déduction ; 7/induction
La modélisation des ces procès d’apprentissage est encore considérée par les auteurs comme
provisoire et hypothétique. Dans cette liste, dont on reconnaîtra l’influence de la théorie des
niveaux phénoménologiques de Peirce (1984), chaque sous-catégorie suppose et intègre dans
sa construction les sous-catégories précédentes de la liste. L’induction par exemple, est donc
le produit terminal de la construction du type, qui intègre tous les autres.
3.2.1 Ouverture à l’apprentissage et découverte
La première sous catégorie de l’interprétant (ouverture à l’apprentissage & découverte)
présente l’ouverture à de nouvelles créations de types. Sur ce point, les recherches n’ont que
peu apporté d’éclairage sur les processus et procès de cette ouverture.
3.2.2 Renforcement – affaiblissement de types
La deuxième sous catégorie (reprise - renforcement – affaiblissement de types déjà construits)
représente la mobilisation de types déjà construits, ce qui conduit soit à une augmentation de
la familiarité de types et des relations entre types usuels, soit à une diminution de cette
Premier chapitre
95
confiance dans la fiabilité des types ou de leurs relations usuelles, allant éventuellement
jusqu’à l’invalidation totale du type. Cette invalidation totale résiste à une infirmation
ponctuelle. Dans le cas de l’étude des pongistes en compétition effectuée par Sève (ibid.), il
fallait jusqu’à 3 ou 4 infirmations successives pour qu’il y ait invalidation du type.
3.2.3 Émergence de nouveaux types
La troisième sous catégorie (émergence de nouveaux types) représente la relation provisoire
de types usuels. Il s’agit de l’agencement d’une nouvelle configuration organisée à partir de
types usuels, construite de façon contextuelle pour les besoins de la situation et qui disparaît
avec l’achèvement de l’action.
3.2.4 Érection d’un cas en type
La quatrième sous catégorie (érection d’un cas en type) représente la construction d’un
nouveau type sur la base d’un seul cas. Il provient d’une expérience suffisamment
significative et nouvelle, pour être susceptible de fonder un type réutilisable. Il est possible de
se demander s’il n’a pas tous les attributs d’une nouvelle forme significative des éléments
d’une situation reconnue comme habituelle.
3.2.5 Abduction
La cinquième sous catégorie (abduction) représente la construction d’un faisceau
hypothétique de relations entre types pour rendre compte d’un cas bizarre qui échappe à
l’interprétation à l’instant t. Par exemple, chez les pongistes, certains évènements entrent en
contradiction avec les observations antérieures, ce qui donne lieu à des hypothèses
interprétatives mettant en relation différents types.
Constat de co-occurrence
Fait a __________________Fait b
Apparition conjointe
• La présence d’un élément (a ou b) entraîne la présence probable de l’autre.
• Une relation causale est inférée par la co-occurrence de A suivi de B : le premier
élément perçu (A) devient la cause de l’événement suivant dans le temps (B)
35 il est à noter qu’il existe une catégorie particulière d’interprétant appelé « méta-interprétant », qui se définit en tant qu’habitude de recherche particulière d’information ou d’interprétations.
Etablissement d’une relation causale plausible liant les faits entre eux expliquant la co-occurrence : a entraîne b, parce que… (Argumentation)
Quand a apparaît, b le suit, => interprétation a entraîne b sans recherche de relation causale
Premier chapitre
96
3.2.6 Déduction
La sixième sous catégorie (déduction) représente la déduction d’un nouveau type grâce à une
règle formelle, sur la base d’anciens types. Cette déduction est produite en relation avec
l’observation de la situation. Cependant, dans son observation des pongistes de haut niveau
Sève (2000), constate que cette déduction ne se fait jamais sur la base de règles formelles,
mais seulement à partir des éléments concrets de la situation. Nous sommes donc, dans ce cas,
en présence de déductions pragmatiques.
L’établissement de relations causales entre les faits perçus, est effectué par la médiation d’une
connaissance (règle ou connaissance descriptive). Cependant, elle fait généralement suite à
des procès abductifs négatifs et elle vise à donner une signification opérative (c’est à dire qui
permet l’action et la poursuite de celle-ci) pour servir les intentions de l’action en cours.
Fait A___________fait B____________fait C (abduction)
3.2.7 Induction
La septième sous catégorie (induction) représente la force de conviction d’un type ou d’un
faisceaux de types qui est augmentée ou diminuée grâce à une procédure de vérification ou
d’expérimentation. Par exemple dans le cas des pongistes en compétition, l’induction consiste
dans une vérification de la validité des types usuels construits antérieurement pour faire face
aux particularités des adversaires dans le match en cours. Cette induction peut recouvrir deux
formes : 1/ test de solutions afin d’observer l’efficacité de celles-ci sur la situation (sans
inférence déductive), 2/ observation d’une réaction à une action produite (par la mobilisation
d’inférence abductive et déductive) et test d’une solution trouvée par hasard. La généralisation
du type est produite après quelques observations similaires.
L’induction débouche sur la construction d’un nouvel élément de régularité ayant une certaine
valeur générale, sorte de règle plus ou moins exemplaire et située qui possède deux formes.
• Généralisation à partir de deux cas jugés similaires
• Vérification d’un type construit antérieurement.
Médiation d’une règle formelle
Donc
Relation causale entre les faits
Transformation du sens de la co-occurrence des faits
Premier chapitre
97
o Généralisation à partir de deux cas jugés similaires
o Vérification d’un type construit antérieurement
4. Choix théoriques sur la notion apprentissage interprétatif et définitions opérationnelles
4.1 Nos choix théoriques Nos choix théoriques seront fait à partir de préoccupations à la fois théoriques, mais aussi
dans une visée méthodologique. Théorique, parce que nous retenons qu’interprétation et
apprentissage interprétatif sont des activités intimement liées, mais dont les procès sont
probablement distincts. Méthodologique, car il s’agit de se doter de caractéristiques
permettant de repérer dans les données, les types en construction ou des éléments de ceux-ci,
de façon à formaliser leurs procès de construction.
De plus, la définition du type retenue n’est pas une conception exclusivement mentaliste : elle
est également située et en relation avec les actions concrètes de l’acteur qui réfléchit et
interprète la situation « avec les yeux et les mains » (Latour, 1986 cité par Olszewska, 2004).
Cas a Cas a’
Généralisation à la règle A
Recherche des régularités dans la situation pour résoudre
un problème.
Ancien type (usuel)
Test du type par une action
Mise en œuvre d’une Action pour tester le type [comme une hypothèse de fonctionnement de la situation]
Création de nouveau type
Validation ou invalidation du type usuel et émergence d’un nouveau type : eg, faire ou ne pas faire telle action Explication par une relation causale entre plusieurs actions
Premier chapitre
98
Plutôt que de se donner des caractéristiques du type directement formulées sous forme de
règles ou de lois, il nous apparaît beaucoup plus prometteur, de le considérer simplement
comme le produit de l’enquête et des signes. La caractérisation de cet apprentissage est le
passage, du singulier ici et maintenant, au général. En conséquence, le perceptuel et le
conceptuel, le présentiel et l’idéel, seront considérés comme un objet d’étude plutôt que
comme un a priori. Loin de considérer la transformation des types d’un point de vue
uniquement intellectualiste36 notre approche visera l’étude de cette construction dans le
contexte global de l’action et notamment en relation avec les procès interprétatifs. De
plus, en nous souvenant des conceptions de l’anthropologie cognitive selon lesquelles
l’interprétation est aussi située dans un cadre social (par exemple Goffman, 1991; Lave,
1988), nous considérerons que l’apprentissage interprétatif est très probablement lui aussi
situé sur l’arrière fond de la composante sociale de la situation. Ceci nous conduira à étudier
les configurations sociales qui participent de l’apprentissage interprétatif.
4.2 Définition de la notion d’apprentissages interp rétatifs En nous inspirant des conceptions de la pragmatique linguistique de Sperber et Wilson (1989)
nous considérons l’apprentissage interprétatif comme la construction de nouvelles
potentialités interprétatives. En nous inspirant des travaux issus du cadre sémiologique du
cours d’action (Theureau, 2000, 2001, 2002, 2006 ; Sève, 2000 ; sève et al. 2002), nous
considérons que ces nouvelles potentialités interprétatives procèdent de la construction de
nouveaux types ou la reconstruction de types usuels (déjà constitués au moment t de leurs
transformations). Nous faisons l’hypothèse que l’activité interprétative peut produire, par un
choc en retour, un effet sur les types qui constitue l’apprentissage interprétatif. Quand l’acteur
ne dispose pas de type pour interpréter la situation, l’activité interprétative peut déboucher sur
une construction d’un nouveau type. Quand l’acteur mobilise un type usuel, il peut y avoir
alors reconstruction de type : c'est-à-dire transformation d’un type usuel.
Par « apprentissage interprétatif », nous désignons les procès de construction et de
reconstruction des types, permettant le développement de nouvelles potentialités
interprétatives créées par l’expérience interprétative.
36 Nous voulons signifier par intellectualiste une conception du type comme règle, loi sous une forme conceptuelle
Premier chapitre
99
4.3 Implication de ces choix sur la recherche L’apprentissage interprétatif sera donc étudié du point de vue de la construction et de la
reconstruction de types. En d’autres termes, nous chercherons à construire une intelligibilité
des procès de familiarisation qui transforme pour l’acteur une situation non familière en une
situation familière.
Les questions essentielles de la recherche se précisent alors de la façon suivante : (1) Quels
sont les processus et les procès de construction des nouveaux types ? (2) Quels sont les
processus et les procès de reconstruction des types usuels ? Quelles sont les configurations
d’arrières plans notamment sociales qui participent à ces procès ?
5. Les hypothèses générales sur l’apprentissage interprétatif
En nous basant sur l’analyse théorique de l’apprentissage interprétatif, nous formulons les
hypothèses suivantes :
1. L’action possède une partie interprétative. Cette activité interprétative ainsi que son
apprentissage, s’ouvre notamment dans des moments particuliers : l’enquête
(Dewey, 1993).
2. La construction de type se fait à l’occasion du processus de transformation de
l’interprétation.
3. Elle aboutit à la détermination de la situation, repérable à travers les hypothèses
d’action validées fonctionnellement (expérience antéprédicative), ou à une nouvelle
caractérisation de la situation repérable à travers une nouvelle dénomination de la
situation (caractérisation prédicative).
4. Ces apprentissages interprétatifs sont pluriels, sous forme de construction /
reconstruction de types (l’ensemble résultats de l’apprentissage interprétatif dans le
cadre sémiologique du cours d’action est pris comme hypothèse).
Premier chapitre
100
Quatrième partie : méthodologie générale de construction des données et de l’étude
exploratoire Quatrième partie du premier chapitre.
1. L’observatoire du cours d’action Cette partie présente les options méthodologiques choisies pour le recueil et le traitement des
matériaux empiriques, afin de construire les données.
La méthodologie choisie s’appuie essentiellement sur l’observatoire du cours d’action
développé par Theureau (1992, 2000). Elle vise la description et la modélisation du cours
d’action « ce qui est significatif pour l’acteur dans son action « c’est à dire ce qui est
montrable, racontable et commentable par lui à tout instant de son déroulement à un
observateur-interlocuteur » (Theureau et Jeffroy, 1994, p.19). Pour nous, ce cours d’action
représente l’expérience vécue par l’acteur : les traces laissées par l’activité chez l’acteur.
La méthodologie vise à faire apparaître, afin de décrire et modéliser l’expérience
interprétative de l’acteur, c'est-à-dire son expérience de l’interprétation des situations vécues.
En effet, dans la méthodologie que nous utilisons, l’acteur a été filmé, puis nous lui avons
présenté ce film, dans une procédure d’autoconfrontation, qui visait à recueillir, le point de
vue de l’acteur, le sens de l’activité. Ce n’est donc pas uniquement l’activité en cours d’action
qui est relevée. Mais dans le même temps, les commentaires, monstrations et récits sont
référés à l’action. Il s’agit donc de l’expérience en tant que vécu significatif, qui est recueilli
dans le total des deux procédures. De ce point de vue, « l’entretien d’autoconfrontation ainsi
conçu est un moyen détourné de documenter l’expérience ou conscience pré réflexive […] de
l’acteur à chaque moment de son activité » (Theureau, 2002b). Il s’agit d’une nouvelle
activité qui est une communication de l’expérience référée à la présentation aux traces du
vécu.
Cette théorisation de l’action, sous la forme du cours d’action, a été choisie pour son
caractère compatible avec nos options épistémologiques, notamment avec les orientations de
l’action située. En effet cette conception postule la cognition/action humaine comme système
autopoïtique, (Varela, 1989) comme autonome, incarnée, située dynamiquement, individuelle,
collective et cultivée (Theureau, 2000). Il s’agit, pour construire une modélisation du cours
d’action de rendre compte du flux d’activité continu de l’action. Pour ce faire, cette activité
Premier chapitre
101
est représentée par l’enchaînement, la concaténation et l’enchâssement d’unités élémentaires
d’activité (uea). La catégorisation de ces unités a considérablement variée au cours des
différentes versions de la théorisation du cours d’action. Celle que nous avons retenue pour la
première étude exploratoire de notre recherche est : action, communication,
attention/focalisation, émotion, interprétation.
Ces Ue peuvent être déployées dans une structure en six éléments, qui en rend compte de
l’aspect significatif appelé signe hexadique. « La notion de signe hexadique, […] permet de
décrire le cours d’expérience, c'est-à-dire la dynamique de la conscience préréflexive, comme
activité-signe […] à la fois vécue et non limitée à la communication […] » (Theureau, 2006).
En conséquence, une unité d’activité est déterminée selon le principe du primat de
l’intrinsèque (Theureau, 1992). C'est-à-dire que les descriptions se font prioritairement du
point de vue de la subjectivité engagée par les acteurs au cours de leur activité. Ainsi toute
unité d’activité est aussi une unité signification pour l’acteur.
Il est ainsi possible de définir les cinq sortes d’eu dont nous avons parlées plus haut en
suivant ce principe. Les actions sont référées à l’intention de l’acteur de transformation de la
situation, les communications à celles de production de significations, les
attentions/focalisations ce sur quoi elle porte du point de vue de l’acteur, émotions sont celles
significative pour l’acteur. Quant aux interprétations, elles sont les constructions de sens à la
situation déterminée par l’interprétation, ou en cours de détermination, dans un contexte
ordinaire d’action (et non pas dans une activité simulée en laboratoire).
Cependant le recueil des matériaux empiriques n’exclut pas le recours à l’observation. Au
contraire c’est bien à partir des traces de l’activité réellement effectuée (comme
l’enregistrement vidéo de l’activité que nous avons utilisé par exemple) que la communication
de l’expérience se fait. Pour ce faire, le flux d’activité peut être appréhendé à travers les
« monstrations », récits ou commentaires des traces de l’activité réalisée, à un interlocuteur
sur la base de relation de confiance mutuelle (Theureau, 2000). Ainsi la construction du cours
d’action, et notamment dans et pour celui-ci, des unités élémentaires d’activité (ue)
interprétatives, nécessite un observatoire compatible. C’est cet ensemble de techniques, de
recueil et de méthodologie de traitement que nous allons décrire maintenant. Nous en
profiterons pour présenter aussi le terrain d’étude, c'est-à-dire le contexte de la formation des
apprentis éducateurs, une description des problèmes posés par l’encadrement de la voile
légère, et les apprentis participant à la recherche.
Premier chapitre
102
2. Le recueil des matériaux empiriques
2.1 Le contexte de la formation Le terrain d’étude de cette recherche était une formation d’apprentis éducateurs sportifs en
voile. La formation se déroulait sur une durée d’un an. Elle était organisée en alternance, une
partie de la semaine se déroulant en organisme de formation, l’autre en entreprise. Les
entreprises étaient des clubs de voile dans lesquels les apprentis étaient chargés d’enseigner la
voile à des pratiquants. Une des particularités de cette formation est qu’elle instituait des
travaux pratiques (TP) d’enseignement au sein de l’organisme de formation. Ces TP visaient
l’apprentissage de la maîtrise d’éléments essentiels de l’encadrement : la gestion de la
sécurité, et du groupe, mais aussi les actions visant la construction des compétences à la
navigation chez les pratiquants. Pour ce faire, les apprentis enseignants devaient encadrer des
publics divers qui étaient invités par l’organisme de formation: enfants débutants en voile,
pratiquants en perfectionnement, ou les pairs en formation professionnelle (auto-
encadrement)… Dans les séances étudiées aucunes évaluations (certificatives) n’étaient
prévues. En organisme de formation, aucune évaluation n’était réalisée en activité réelle
d’enseignement pendant la durée de la formation. Les évaluations en organisme de formation,
concernaient une épreuve d’analyse de l’activité vidéoscopée d’un pratiquant. Les séances en
organisme de formation étaient donc uniquement formatives et visaient une aide au
développement des compétences des apprentis à l’enseignement. En entreprise, l’évaluation
se faisait en fin d’année par Jury composé du tuteur et de formateurs de l’organisme de
formation.
2.2 Le contexte d’encadrement en voile légère Cette formation se déroulait en voile légère. Ceci signifie que les bateaux utilisés sont de
petite taille, prévus seulement pour 1 ou 2 pratiquants. Le nombre d’embarcation à gérer est
donc généralement compris entre 4 et 10 bateaux. Le moniteur est quant à lui dans un bateau à
moteur, qui lui permet de gérer la sécurité. Il ne pratique pas la voile pendant la séance. Les
particularités de l’activité d’encadrement de la voile légère sont les suivantes.
1. C’est une activité qui se déroule dans un milieu incertain et instable. La force et la
direction du vent varient au cours de la séance, et même s’il est possible d’anticiper
globalement la force du vent, les prévisions ne sont pas assez précises pour permettre
une maîtrise totale de l’évolution. Nous verrons que cette composante est essentielle,
car cette instabilité et cette incertitude font porter aux procès d’interprétation un poids
considérable. Ils doivent permettre à l’acteur une surveillance constante de l’évolution
Premier chapitre
103
de l’état de la situation. L’encadrement de la voile est donc une activité se déroulant
dans un environnement doublement dynamique. Nous entendons par environnement
dynamique, un environnement qui évolue en dehors de toute action de l’opérateur. Il
est dynamique par la continuité de l’activité des élèves, et par l’évolution constante et
relativement imprévisible de la météo.
2. La pratique de la voile est potentiellement dangereuse surtout pour les débutants. Le
souci de la gestion de la sécurité est donc constant pour les éducateurs. Pour gérer
efficacement cette sécurité, ils doivent pouvoir intervenir rapidement, ce qui leur
impose de tenter de garder leur flotte groupée.
3. Les élèves ne sont pas toujours maîtres de leurs déplacements. Les pratiquants
débutants ne peuvent pas aller où ils veulent, puisqu’ils ne savent justement pas faire
fonctionner leurs bateaux efficacement. Ceci implique que l’éclatement de la flotte
peut se produire très rapidement, si les conditions de vent changent même de façon
minime.
4. L’éducateur peut difficilement intervenir sur tous les bateaux à la fois. Si la flotte se
disperse, et que les pratiquants sont incapables de se regrouper, les procédures pour les
regrouper sont longues et difficile. Il peut les prendre en remorque ce qui est une
procédures très longue. Il peut aussi les guider mais à condition que les conditions le
permettent, que les élèves ne soient pas trop dispersés, et qu’ils ne soient pas trop en
difficulté.
5. L’apprentissage de la voile nécessite une interprétation de la situation sur des éléments
non perceptibles directement. Faire de la voile signifie utiliser une force que l’on ne
voit pas (le vent, ou le courant) pour s’en servir à des fins de déplacement par la
médiation d’un engin qui utilise cette force. Cette force est inférée à travers des
indices qui peuvent indiquer sa force, sa direction et éventuellement des changements
dans ces deux composantes. En outre l’activité interprétative porte aussi sur l’activité
des élèves, comme tout autre activité d’enseignement. L’interprétation de cette
activité utilise elle aussi des indices indirects.
6. Cette activité d’enseignement vise la création de ressources notamment cognitives
nouvelles pour le pratiquant. Car les enseignants de voile sont amenés, pour une
bonne part de leur activité d’enseignement à créer des situations permettant la
compréhension de l’utilisation du vent. Ceci implique que leurs interprétations portent
aussi pour une bonne part sur l’activité cognitive des élèves dans des situations ayant
toujours une grande part de singularité (Leblanc et Saury, 1997). En effet, il suffit que
Premier chapitre
104
les engins soient différents, que les pratiquants changent, que les conditions de mer et
de vent ne soient pas identiques, pour que la situation soit pour une bonne part
singulière. On pourra convenir aisément que ce soit souvent le cas.
En résumé l’activité d’enseignement en voile légère est une activité d’enseignement se
déroulant dans un milieu instable, incertain, dynamique, complexes et dont la singularité est
donc souvent importante. Cette singularité réclame une activité interprétative importante de
la part des enseignants. Ils ne peuvent percevoir directement l’essentiel de la situation qui ne
peut être inférée que d’après des indices. Cette activité interprétative est essentielle, car de sa
qualité dépend la sécurité des pratiquants, l’anticipation de l’évolution de la situation dans un
environnement naturel potentiellement dangereux et non maîtrisable.
2.3 Le contexte de la recherche et les apprentis e nseignants participants
2.3.1 Le contexte de la recherche Les participants à la recherche étaient deux éducateurs sportifs en formation. Ils étaient tous
les deux intéressés par cette recherche qui visait l’amélioration de la formation, et en aucun
cas une évaluation de leurs actions. Ils ne connaissaient pas le chercheur qui était formateur
dans l’organisme de formation. Un contrat de participation a été établi entre les participants,
le chercheur, et l’organisme de formation. Le chercheur ne devait pas avoir de charge de
formation envers ces apprentis. Il ne devait en aucun cas participer à une évaluation. Il ne
jugerait en aucun cas l’activité des apprentis. Il garantissait l’anonymat des participants.
En échange les participants devaient accepter de se laisser filmer, mais ils pouvaient obtenir la
destruction des bandes s’ils le souhaitaient. Ils devaient participer aux entretiens
d’autoconfrontation le plus rapidement possible après la séance d’encadrement (moins de 48
heures au maximum). Ils devaient commenter le plus honnêtement leur action, telle qu’elle
s’était déroulée sans chercher à se présenter sous un jour spécialement favorable, aux yeux du
chercheur.
Le résultat de cette contractualisation a été tout à fait satisfaisant. Les participants ont
d’ailleurs manifesté régulièrement tout l’intérêt qu’ils portaient aux pratiques
d’autoconfrontation, comme intéressantes en soi. Ils n’ont d’ailleurs jamais demandé son avis
au chercheur sur leurs prestations. Le simple fait de pouvoir se voir agir et d’être amené à
commenter rétrospectivement leurs actions étant vécu par les apprentis comme extrêmement
satisfaisant en soi, même en dehors de tout apport, et encore moins de jugement.
Premier chapitre
105
2.3.2 Les participants Les deux apprentis étaient deux hommes.
Participant Alain Benoît
Age 27 ans 22 ans Temps cumulé d’enseignement en mois
20 mois 8 mois
Publics sur lesquels l’apprenti a enseigné
Voile loisir Ecole de voile été
Classe de mer
Perfectionnement et débutants
Publics adultes et enfants Niveau de pratique voile Régatier régional moyen Régatier régional moyen Niveau scolaire Licence Baccalauréat Alain était donc un peu plus âgé que Benoît, un peu plus expérimenté, et d’un niveau scolaire
plus élevé.
2.3.3 Raisons du choix de deux participants Cette recherche s’inscrit dans une approche de la singularité de l’action (CRF-CNAM, 2000 ;
Vermersch, 2000). Elle ne vise pas de généralisation d’ordre statistique à partir de régularités
entre un grand nombre d’acteurs. Notre recherche consiste au contraire à tenter de
comprendre comment un acteur, dans une unité de temps et de contexte, mobilise de multiples
processus d’apprentissages interprétatifs au cours même de l’expérience en train de se faire.
La « population » étudiée est donc celle des procès d’apprentissages interprétatifs et non pas
celle des acteurs. Ce qui est étudié est en définitive de l’ordre d’un polymorphisme du
raisonnement humain (Georges, 1997) dans l’apprentissage. Au contraire, la multiplication
des acteurs nous aurait conduit à un traitement beaucoup plus superficiel de l’action, qui ne
nous aurait pas permis d’atteindre les procès d’apprentissages interprétatifs. Ou encore, une
démarche avec plus d’acteurs aurait été nécessairement accompagnée d’une réduction des
situations étudiées par acteur. Cela aurait introduit une impossibilité de savoir si la diversité
des processus était liée à la spécificité des acteurs ou de la situation. Or notre projet vise in
fine la recherche des configurations de situations sur l’apprentissage interprétatif. Nous
pensons que le fait de choisir deux acteurs nous permet étudier d’avantage les spécificités que
les régularités des procès dans leurs variabilités chez un même acteur. Enfin le choix très
réduit d’acteur nous a permis d’observer l’évolution de l’activité d’au moins un des deux
acteurs sur une année de formation. Bien que nos options de recherche sur l’apprentissage, ne
consistent pas à inférer celui-ci à travers la transformation des actions, mais au contraire de le
rendre intelligible à travers les processus de transformations des types, il nous a semblé
intéressant de voir si ces processus évoluaient au cours de la formation. Ainsi nous avons pu
modéliser 371 unités d’activité dans 7 moments d’encadrement. C’est sur ces 371 unités
Premier chapitre
106
d’activités en contexte que porte la recherche. Voyons comment nous les avons formalisées, à
partir quels matériaux et de quel recueil ?
2.4 Les travaux pratiques d’enseignements enregistr és L’activité d’encadrement des deux apprentis a été étudiée dans 7 moments particuliers. Le
premier est une séance analysée intégralement, qui a fourni les données de l’enquête
exploratoire et a permis une évolution des hypothèses présentées à l’issue de la partie
théorique. A partir des premiers résultats de cette étude exploratoire, nous avons fait évoluer
la sélection des moments d’activité37. Les 6 autres sont des moments choisis pour la densité
de l’activité interprétative, que nous avons appelé enquêtes en références aux conceptions de
Dewey.
Etude Acteur Place de la séance dans la formation et lieu
Caractéristiques
Exploratoire Benoît Première séance d’encadrement pratique en organisme de formation : début octobre
Optimists peu de vent Présence des pairs de la formation et d’un formateur
Enquête 1 Enquête 2 Enquête 3
Benoît Présence du tuteur et d’Alain
Enquête 4 Alain
3ème séance en entreprise La semaine après celle de l’étude exploratoire
Présence du tuteur et de Benoît
Enquête 5 Alain Mi-formation, séance en organisme de formation
Séance en auto-encadrement Présence des pairs de la formation et d’un formateur
Enquête 6 Benoît Fin de formation, avant dernière séance en entreprise Mi mai
Séance effectuée seul. Pas de présence du tuteur
2.5 Le recueil de données Deux catégories de données ont été recueillies. La première est constituée de données audio-
vidéos concernant l’activité d’encadrement réelle des deux apprentis pendant l’action. La
seconde est constituée de données d’autofrontation post-actives.
2.5.1 Recueil de donnés pendant l’action Nous avons observé et filmé l’action des apprentis dans des leçons se déroulant en mer (sauf
pour l’enquête 1, qui était un début de cours à terre). Les difficultés de placement des bateaux,
la difficultés de maîtrise de l’image en mer, les préoccupations visant à ne pas trop déranger
les apprentis par une présence trop proche, nous ont amené à filmer à distance et en plan large
la scène d’enseignement. Pour ce faire, les apprentis étaient équipés (le plus souvent) de
37 Ces résultats et les raisons de ce choix seront présentés à l’issue de la première partie des résultats de l‘étude exploratoire.
Premier chapitre
107
micros émetteurs radio hf cravates. Ceci a permis le recueil du son à distance. A travers ce
micro, il a été possible d’entendre les réactions des élèves qui naviguaient sur leurs bateaux à
voile, avec qui s’entretenaient parfois les apprentis. Les apprentis étaient dans un bateau à
moteur, avec ou sans tuteur. Le chercheur était quant à lui sur un autre bateau à moteur et
filmait les séances. La caméra était connectée à un récepteur radio hf, qui permettait de
recueillir le son. Un dispositif du contrôle du son est venu s’ajouter, afin de maîtriser la
qualité de celui-ci, qui n’a pas été très satisfaisant dans les premiers recueils.
2.5.2 Recueil de données d’autoconfrontation après l’action d’enseignement Les données d’autoconfrontation ont été recueillies par des entretiens portant sur le
commentaire, la monstration, et le récit de l’activité qui avait été réalisée et qui était présentés
à l’écran. Pour ce faire, nous avons projeté sur un téléviseur l’image et le son de la séance.
Une deuxième caméra filmait à la fois l’acteur et le téléviseur, pour recueillir l’indexation du
discours sur la situation qui était commentée, ou montrée sur le téléviseur, ou dont l’acteur
faisait le récit. Dans ce dernier cas, nous figions l’image afin que l’acteur ait le temps de
s’exprimer en évitant de créer une pression temporelle. Ceci permettait aussi à l’acteur
d’entrer dans une évocation de l’action, associant ainsi l’autoconfrontation de premier niveau
avec des techniques d’explicitation (Cahour, 2003, Theureau 2002b, Vermersch, 1994). Les
entretiens ont été effectués dans des conditions matérielles et relationnelles permettant ce
travail d’autoconfrontation dans des conditions visant un recueil satisfaisant de l’expérience.
C'est-à-dire que le chercheur a tenté de se positionner dans une attitude d’écoute bienveillante
et empathique, qui cherchait à troubler le moins possible la reconstruction de l’activité du
point de vue de l’acteur. Il évitait aussi les questions amenant à une justification de l’action,
ou des resémiotisations visant le jugement, des interprétations a posteriori, des
généralisations non référencées explicitement à la situation en cours.
Le questionnement du chercheur visait la documentation des signes hexadiques, pour
constituer par la suite le cours d’action de l’activité des acteurs. Pour cela les questions
portaient sur les préoccupations en cours (« et là tes préoccupations à ce moment c’est
quoi ? »), les actualités potentielles (et tu t’attends à quoi là ?), les représentamens (exemple :
qu’est-ce que tu regardes là ?), et les différentes ue. La signification de celles-ci a été
sollicitée par différentes questions. Nous avons demandé, pour les actions (« tu fais quoi là »),
communication (« qu’est ce que tu lui dis là »), émotions, (« qu’est –ce que tu ressens à ce
moment là… »), action (« qu’est que tu fais là… »), l’interprétation (« qu’est-ce qui se passe
Premier chapitre
108
là dans la situation… »), apprentissage (« et là c’est quelque chose de nouveau pour toi… ça
tu te l’ais dit dans l’action ou tu te le dit maintenant ? » ).
Nous n’avons pas posé de questions explicitement orientées vers la recherche du référentiel
par crainte de renvoyer à des savoirs d’autojustifications généralisant, relatif aux savoirs
professés38 (Delbos et Jorion, 1984).
3. Traitement des matériaux empiriques Ces matériaux ont subit un traitement en 4 phases. (1) Les entretiens d’autoconfrontation ont
été transcrits. (2) Un premier volet de description extrinsèque de l’action a été produit. (3) Un
récit réduit de l’activité par découpage de celle-ci en unités élémentaires significatives pour
l’acteur a été produit. (4) Enfin une analyse locale en signes hexadiques de chacune des ue du
récit réduit à été construite. Ces quatre phases ont été celles de la première étude. Pour la suite
de la recherche, cette méthodologie a subi des aménagements que nous présenterons à la suite
des résultats de l’étude exploratoire. Les résultats et l’expérience de cette étude, nous ont
amenés à une évolution ultérieure substantielle de la méthodologie.
3.1 Description extrinsèque de l’activité Cette description a consisté en une restitution la plus fine possible de l’activité telle qu’un
observateur pouvait l’observer. Elle a pris la forme d’un tableau dont nous présentons un
extrait ci-dessous. Elle a rassemblé dans la première colonne du tableau le chronométrage
temporel du déroulement de l’activité. Dans la deuxième colonne nous avons transcrit les
comportements. Dans la troisième nous avons retranscrit de façon verbatim les
communications entre l’apprenti enseignant et les pratiquants. Dans la quatrième nous avons
noté les comportements observables des pratiquants ainsi que le mouvement repérable des
bateaux. Dans la dernière colonne nous avons noté l’évolution de l’état de la mer et du vent
repérable sur la vidéo, ainsi que lors du déroulement de la séance. Cette évolution est repérée
en fonction de l’évolution du temps grâce à l’indicateur de temps inscrit sur la bande vidéo.
38 Il nous semble aujourd’hui d’atteindre ce référentiel mais par des démarches indirectes.
Premier chapitre
109
Extrait de la description extrinsèque effectuée pour la l’étude exploratoire. TPS Comportements de
l'enseignant Communications Enseignant - pratiquants comportements des
pratiquants et mouvements des voiliers
Conditions de navigations
00 0’30’’ 1’
sonne dans sa trompette va voir d'autres élèves à l'arrière du parcours debout dans le bateau
arrêtez vous, arrêtez vous on s’arrête, la voile, pourquoi tu tires dessus, il faut laisser aller c'est reparti, allez les garçons vous revenez Tu vas essayer autre chose, tu regardes ta voile. Qu'est-ce que ça fait quant tu tires dessus, regarde ta voile (inaudible) regarde où est le bateau des autres est-ce que ton bateau il est bien sur l'eau, est-ce qu'il est pas un peu enfoncé par hasard. Enfoncé ça veut dire qu'il coule un petit peu. Non? est-ce que vous êtes bien placé sur le bateau. Regarde l'avant de ton bateau il décolle de l'eau. Voilà, super.
Les optimists sont sur le parcours vent de travers L’élève avance dans le bateau
Parcours vent de travers Petit temps : vent très faible : 2ou 3 nds Mer plate Navigation en optimists
3.2 Construction du récit réduit La construction du récit réduit a été réalisée à partir d’une détermination des Unités
Elémentaires d’Activité (uea). Ce récit réduit, modélisé lui aussi sous forme de tableau,
provient d’une analyse pas à pas des données de la description extrinsèque et des matériaux
de l’entretien d’autoconfrontation. Il s’agit de construire une intelligibilité de l’activité, en
prenant en compte la description intrinsèque de celle-ci par l’acteur. Les questions auxquelles
répond le récit réduit sont les suivantes : Quelle est la situation pour l’acteur (du point de vue
de son interprétation) ; que fait-il dans cette situation (du point de vue de son intention
d’action) ; quelles sont ses communications (du point de vue de ce qu’il cherche à signifier) ;
quelles sont ses émotions (du point de vue des sentiments signifiés dans l’autoconfrontation) ;
sur quoi se focalise-t-il (du point de vue de son engagement). Ces ue ont été codifiées de la
façon suivante : com : communication ; ac : action ; em : émotion ; at : attention/focalisation ;
int : interprétation. Mais au-delà du simple répertoire des ue, la succession de celles-ci vise à
rendre compte de la dynamique évolutive du cours d’action, comme modélisation de l’action.
Premier chapitre
110
Extrait de la modélisation du récit réduit de cours d’action effectuée pour la l’étude
exploratoire
N° Tps Type
d’UE Unités élémentaires Commentaires
1. 00 com Commande l’arrêt des opti 2. com Questionne un élève sur son fonctionnement 3. 30’’ ac Signale le redémarrage et encourage les élèves 4. 30’’ em Se sent un peu perdu par rapport à ce qu’il est en
train de faire
5. 30’’ at Réfléchit au choix d’une explication ( sur l’assiette du bateau)
il continue à intervenir sur la reprise et de vitesse et l’arrêt du bateau à l’écoute
6. 045 ‘’ ac Bm ar 7. 1’ com Questionne un élève sur l’effet de la commande
(écoute)
8. 1’30 ac Bm av 9. 1’ 40 com Questionne un élève sur l’assiette de son bateau 10. Int Evalue la non réussite de sa procédure Sans pour autant pouvoir clairement en
identifier une cause précise. Il parle à cet égard de mauvaise situation.
11. com Questionne les élèves sur leur placement dans le bateau
12. Int Infère l’effort de compréhension des élèves et leurs difficultés à comprendre
13. em Est perturbé 14. em Se sent en difficulté à cause du manque de vent ;
l’exercice ne peut fonctionner avec un tel manque de vent
15. int Infère la possibilité pour les élèves de se rendre compte de l’efficacité de leurs actions
16. 2’ ac Bm m
La première colonne désigne le numéro de l’ue ; la deuxième le temps écoulé depuis le début
du recueil du cours d’action ; la troisième le type d’ue ; la quatrième le contenu de l’ue ; la
cinquième est l’ensemble des éléments repérés comme significatifs pour le chercheur vis-à-vis
du cours d’action afin de faciliter le traitement ultérieur de ces données.
Une codification supplémentaire est introduite dans la caractérisation des ue.
Bm : bateau à moteur ; bm ar : déplace son bateau à moteur vers l’arrière de la flotte par
rapport au sens de déplacement de celle-ci ; bm av : déplace son bateau à moteur vers l’avant
du groupe ;bm stop : arrête son bateau à moteur ; bm m : met un ancrage à son bateau à
moteur.
3.3 La construction locale du cours d’action
3.3.1 Le signe hexadique comme modélisation du coup lage acteur/situation Les unités élémentaires d’activité sont solidaires de l’organisation dans une totalité
dynamique de plusieurs éléments composant un signe pour l’acteur, au sens de ce qui rend
Premier chapitre
111
l’unité élémentaire significative. Sans revenir sur cette exposition du signe hexadique de
Theureau que nous avons déjà effectué dans la partie théorique, rappelons seulement pour
mémoire que celui-ci est constitué de 6 éléments (dans la version du signe hexadique de
Theureau, 2000). Il s’agit de l’engagement (e), des actualités potentielles(a), du référentiel(s),
ces trois premiers éléments du signe formant ce qui est appelé usuellement la structure
d’attente. A cette structure vient s’ajouter la relation avec le représentamen (r), l’unité
élémentaire d’activité (u) (notamment action, interprétation, émotion), et la composante
d’apprentissage (notamment interprétatif pour ce qui nous intéresse), appelé interprétant (i)
par Theureau. Cette modélisation est appelée construction locale du cours d’action, dans la
mesure où il est un approfondissement de la structure sous-jacente de chaque ue constituant le
récit réduit. Ce signe hexadique est un effort pour rendre compte du couplage de l’acteur avec
la situation. Ainsi la structure d’attente (a-e-s) est issue de la biographie de l’acteur, et permet
le repérage des éléments qui font signes pour l’acteur et qui constituent alors le
représentamen (r) dans la situation issue de la focalisation à partir de la structure d’attente.
Ceci a pour effet de transformer la structure d’attente, tandis que survient l’unité élémentaire
(u)… Cette survenue est solidaire d’un apprentissage notamment interprétatif, par exemple la
construction d’un nouveau type ou la reconstruction d’un ancien type.
Pour les besoins de notre recherche, nous avons choisi de ne pas formaliser l’ensemble de la
structure d’attente (E, A, S), mais seulement les éléments (e, a, s) de celle-ci mobilisés au
moment décrit de l’action en cours. Nous avons choisi notamment ceux qui entraient en
relation avec l’activité interprétative de l’acteur. En d’autres termes nous avons formalisé les
éléments de la structure d’attente qui étaient actualisés par l’unité élémentaire d’activité (u).
Voyons comment nous avons choisi de présenter ces signes hexadiques dans l’étude
exploratoire.
3.3.2 Présentation de la modélisation des signes h exadiques Nous avons construit des tableaux qui présentent chaque signe hexadique construit à partir
des matériaux empiriques. Pour ne pas alourdir la présentation de la recherche
l’ensemble des signes hexadiques de l’étude exploratoire ainsi que des autres études ont
été produites dans les annexes. Montrons un exemple de cette modélisation effectuée pour
l’étude exploratoire.
Premier chapitre
112
La première ligne présente le numéro du signe associé à l’ue (le même que celui du récit
réduit). Les autres lignes présentent les différents éléments du signe hexadique. Chaque
catégorie est renseignée à partir de la description extrinsèque de l’action et des données
d’autoconfrontation.
Signe hexadique 1 Engagement Réaliser l’exercice prévu
Actualité potentielle (A) S’attend à ce que sur un parcours travers, les élèves fassent gonfler dégonfler la voile pour faire avancer et ralentir les bateaux.
Référentiel (S) Les bateaux ont besoin d’un minimum de vent pour avancer
Représentamen Les opti avancent
Unité élémentaire (U) Commande l’arrêt des opti
Apprentissage interprétatif Dans des conditions semblables l’exercice ne peut pas marcher. Ce type d’exercice ne peut marcher que s’il y a davantage de vent qu’en ce moment.
Le tableau suivant présente le signe suivant dans l’ordre de sa survenue dans le cours
d’action, modélisé dans le récit réduit.
Signe hexadique 2 Engagement (E) Réaliser l’exercice prévu.
Actualité potentielle (A) S’attend à ce que sur un parcours travers, les élèves fassent gonfler dégonfler la voile pour faire avancer et ralentir les bateaux.
Référentiel (S) Les bateaux ont besoin d’un minimum de vent pour avancer
Représentamen L’élève ne choque pas au signal d’arrêt.
Unité élémentaire (U) Commande les actions d’un élève sur son fonctionnement relativement à l’action border-déborder.
Apprentissage interprétatif (I) Nouvelle interprétation : Ils ne pouvaient pas se rendre compte du lâcher et reprise d’écoute parce qu’ils ne pouvaient pas prendre de la vitesse
Lorsque nous n’avons pas pu préciser le contenu d’un élément d’un des signes, nous avons
mis un point d’interrogation, ou nous avons laissé la case vide.
Signe hexadique 3 Engagement (E) Réaliser l’exercice prévu.
Actualité potentielle (A) S’attend à ce que sur un parcours travers, les élèves fassent gonfler dégonfler la voile pour faire avancer et ralentir les bateaux.
Référentiel (S) Les bateaux ont besoin d’un minimum de vent pour avancer
Représentamen Le temps écoulé est insuffisant
Unité élémentaire (U) Signale le redémarrage et encourage les élèves.
Apprentissage interprétatif (I) ?
Premier chapitre
113
Lorsque les données sont des verbatim, elles sont transcrites en italique.
Signe hexadique 11 et 12 Engagement Trouver une démarche pour faire réagir les élèves (les faire s’avancer dans le bateau)
Actualité potentielle Espère trouver un terme que les élèves puisse comprendre et les fassent avancer
Référentiel Quand les élèves ne réalisent pas ce qui est attendu, c’est très souvent à cause de consignes qui ne sont pas claires
Représentamen Les élèves ne réagissent pas immédiatement
Unité élémentaire Questionne les élèves sur leur placement dans le bateau et infère l’effort de compréhension des élèves et leurs difficultés à comprendre
Apprentissage interprétatif Confirmation du type si les élèves n’ont pas le comportement attendu, c’est à cause des consignes qui sont mal exprimées.
3.3.3 Fragilité et importance des données empirique s Nous avons tenté de rester au plus près de la formulation des apprentis, ce qui produit très
souvent des formulations maladroites ou ambiguës, voire familières. Cependant nous nous
sommes aperçu qu’une reformulation, même minime, effectuée à des fins de lisibilité,
changeait non seulement la forme, mais transformait très souvent en profondeur les
caractéristiques des raisonnements, inférences ou réflexions qui sous-tendent la production de
la locution. Par exemple transformer : « Ils ne pouvaient pas se rendre compte du lâcher et reprise
d’écoute parce qu’ils ne pouvaient pas prendre de la vitesse », en « ils ne pouvait pas se rendre compte de l’effet
de l’écoute sur la vitesse », rendrait certes plus simple et claire la locution, mais elle transformerait
à la fois fondamentalement le contenu et changerait le statut dans l’apprentissage interprétatif.
Elle transformerait le contenu, la faisant passer d’une explication causale établie par l’acteur à
un constat. D’autre part, l’expression d’un cas singulier cèderait la place à une généralisation
plus importante. Une opération de conceptualisation serait donc opérée à la place de
l’apprenti. Les données seraient considérablement faussées, et nous amènerait à considérer
une abstraction, là où il n’y avait qu’une maladresse de transcription.
Or notre objet vise moins le contenu des interprétations, que les procès d’apprentissage
interprétatifs que nous pouvons inférer à partir des traces que l’activité interprétative
laisse dans le langage. Il nous faut donc respecter les locutions de la manière la plus
rigoureuse possible. Les transcriptions dans les signes hexadiques sont donc essentiellement
un simple nettoyage des redondances et des silences. Cependant, nous avons cherché à garder
la trace la plus fidèle des hésitations, par exemple. En effet comme nous le verrons les
hésitations peuvent être le signe d’un processus d’apprentissage.
Premier chapitre
114
Ainsi nous avons constamment été confronté à un dilemme tendu par la préoccupation de
respecter scrupuleusement le fond et la forme de la locution, mais de la rendre en même temps
claire, sans pour autant « rajouter une cognition » qui n’aurait pas été celle de l’apprenti.
Si nous osons cette comparaison39, le traitement de ces données nous a souvent fait penser à
l’archéologie sous-marine. Lorsque ces archéologues remontent du fond des mers les vestiges
des épaves, ceux-ci disparaissent dès qu’ils sont à l’air libre, tant ils sont fragiles. Ils
nécessitent un traitement qui permet leur conservation sans les déformer, pour pouvoir être
connus et étudiés dans ce qu’ils ont à nous apprendre sur l’activité des marins du passé. Nous
avons vu souvent nos matériaux disparaître, quand nous avons tenté de les condenser pour les
remonter dans les diverses modélisations. D’où l’importance de cette phase du traitement.
Ainsi lorsque le verbatim est transformé pour le rendre compréhensible, et que nous avons un
doute que ce traitement ne soit tout à fait respectueux, les expressions originales sont
inscrites entre guillemet et en italique.
3.3.4 Détermination de l’apprentissage interprétati f dans le signe hexadique Nous avons choisi comme marqueur de l’apprentissage interprétatif, les traces de la
construction ou de reconstruction de types. Ceci a été fait notamment à travers une évolution
de l’interprétation des situations, qui ont été considérées comme un indice d’une évolution
possible des types. En effet par hypothèse, cette évolution de l’interprétation peut
correspondre à une évolution des types mobilisés dans les interprétations des situations. Cette
hypothèse est suspendue à la conception selon laquelle l’apprentissage interprétatif en tant
que transformation des outils de l’interprétation au cours même de l’expérience
d’interprétation de la situation, transforme le sens attribué à la situation.
39 Mais après tout notre travail de recherche s’est déroulé pour une bonne part en mer…
Premier chapitre
115
Deuxième chapitre
116
DEUXIEME CHAPITRE INTERPRETATIONS ET APPRENTISSAGES
INTERPRETATIFS : CONDUITE DE LA RECHERCHE
Ce deuxième chapitre se décompose en trois parties :
• La première fera état d’une première étude exploratoire.
• Dans la deuxième, nous exposerons l’évolution méthodologique que nous avons
opérée à la suite de l’étude exploratoire afin de construire les résultats.
• Dans la troisième, nous décrirons les résultats de notre recherche.
Deuxième chapitre
117
Première partie : étude exploratoire Première partie du deuxième chapitre.
1. Résultats et discussion de l’étude exploratoire Dans un premier temps une première étude exploratoire a été effectuée. Pour celle-ci, une
modélisation du cours d’action d’une leçon produite par Benoît a été effectuée suivant la
méthodologie présentée dans la partie méthodologique. Les résultats de cette étude
exploratoire seront présentés essentiellement par l’analyse locale de deux moments essentiels
de l’expérience de Benoît vécue au cours de cette séance. L’ensemble des données est
présenté intégralement dans les annexes. Une interprétation des résultats et une discussion de
ceux-ci suivra cette présentation. Cette étude exploratoire a servi à construire les hypothèses
et les méthodes spécifiques pour la suite de la recherche. A des fins de lisibilité, il ne sera
présenté ici que quelques études de cas, que nous avons jugés significatifs.
Nous présenterons le contexte de l’activité donnant lieu à expérience, puis les moments
essentiels de la séance, ainsi que les signes hexadiques que nous avons pu modéliser dans ces
moments. Enfin une analyse de chaque cas sera présentée.
1.1 Caractérisation du contexte d’expérience d’ense ignement / formation de la séance de Benoît
Pour les besoins de sa formation un apprenti enseignant, que nous appellerons Benoît, devait
encadrer un groupe d’enfants débutants en voile dans une séquence se déroulant en centre de
formation, au sein duquel avait été organisé un stage d’enseignement pratique. C’était la
première séance de cet apprenti enseignant dans ce contexte de la formation. Les formateurs
avaient confié à Benoît 12 élèves, tous débutants et âgés de 9 à 10 ans, et des petits bateaux à
voile (Optimists). Les élèves étaient répartis dans six (Optimists), et étaient donc par deux
dans les embarcations. C’était la première fois aussi qu’il encadrait avec ce type de bateau à
voile.
Benoît quant à lui, était dans un bateau de sécurité à moteur pour enseigner. Il était observé
par le formateur et ses pairs (les autres apprentis enseignants) qui étaient dans un autre bateau
à moteur, et devait produire la meilleure séance possible. Celle-ci avait été préparée par
Benoît qui s’était donné pour objectif de faire apprendre à ses élèves comment faire démarrer
et arrêter un bateau à voile à l’aide de la voile.
Un autre apprenti enseignant était dans le bateau à moteur de Benoît. Celui-ci étant déjà
intervenu, était simplement spectateur de la séance de Benoît. La séance d’enseignement était
Deuxième chapitre
118
suivie d’une séquence de bilan en salle avec les autres apprentis, au cours de laquelle sa
prestation était analysée. C’est la première situation de ce type dans la formation et aucun
autre bilan n’a été encore organisé.
1.2 L’émergence de type dans l’activité prend initi alement la forme d’un cas singulier
1.2.1 Description du premier cas Au cours de la séance d’enseignement organisé par Benoît, celui-ci a demandé à ses élèves de
démarrer, et de s’arrêter à un signal sonore que l’apprenti produisait à l’aide d’une trompe. Or
le vent est presque totalement tombé, et les Optimists étaient presque arrêtés. L’apprenti
enseignant est alors entré dans une période de doute et de perplexité. En effet, bien que
donnant un signal de départ, les Optimists ne bougeaient pas (ce qui constitue le
Représentamen R1). Il a alors redonné un autre signal, mais les élèves ne réagissaient plus. Il
a alors réalisé que dans des conditions semblables l’exercice ne peut pas marcher et que « ce
type d’ exercice ne peut marcher que s’il y a davantage de vent qu’en ce moment » (signe 1).
Signe hexadique 1 Engagement (E1) Réaliser l’exercice prévu, en évitant d’avoir à changer pour se montrer compétent aux yeux du tuteur.
Actualité potentielle(A1) S’attend à ce que sur un parcours travers, les élèves fassent gonfler dégonfler la voile pour faire avancer et ralentir les bateaux.
Référentiel (S1) Les bateaux ont besoin d’un vent minimum pour avancer dans ce type de situation
Représentamen (R1) Les Optimists n’avancent plus
Unité élémentaire (U1)
Commande l’arrêt des opti
Apprentissage interprétatif (I1) Nouvelle interprétation : Dans des conditions semblables l’exercice ne peut pas marcher. Ce type d’exercice ne peut marcher, qu’avec davantage de vent qu’en ce moment.
1.2.2 Analyse du cas 1 L’émergence de cette nouvelle interprétation de la situation apparaît solidaire de la
construction d’un nouveau type. En effet, ce type, même s’il parait bien banal exprimé sous
sa forme langagière, n’en est pas pour autant évident à repérer dans la situation. C’est le
gradient de vent requis par la situation qui est pris en compte dans ce nouveau type. Benoît
n’avait jamais enseigné avec des optimists, ni avec des enfants si jeunes. C’était la première
fois qu’il mettait en place cet exercice. Le niveau nécessaire de vent pour que la situation
évolue favorablement n’était donc pas évident pour lui. Dans cette situation le vent ne se
présente pas comme un trait présent ou absent, mais il est au contraire de l’ordre du gradient.
Deuxième chapitre
119
Toujours présent ici, il est cependant suffisamment faible pour qu’une incertitude plane sur
l’évolution de la situation. D’autre part, la force du vent n’est jamais repérée directement
(sauf à utiliser un anémomètre). Elle est repérée à travers des indices indirects (la hauteur du
clapot, le claquement des voiles, la sensation sur la peau, le bruit qu’il fait…). Il comporte
aussi une dimension perceptuelle à la fois visuelle, kinesthésique, et auditive. Ce repérage
indirecte de la force du vent, sa mise en relation avec les conditions spécifiques de la situation
et son issue souhaitée sont les paramètres de ce type, qui ne peut se réduire à sa traduction
langagière : Dans des conditions semblables l’exercice ne peut pas marcher. Ce type
d’exercice ne peut marcher, qu’avec davantage de vent qu’en ce moment. Le type intègre les
relations complexes entre les éléments de la situation, en prenant la situation vécue comme
prototype. Ainsi le degré de force du vent repéré sur le moment, devient prototypique d’un
niveau de vent insuffisant pour le genre d’exercice impliqué dans le type.
Dans l’émergence d’un nouveau type, celui-ci apparaît à peine détaché de la situation. Le
moment présent est pris comme prototype, tandis que ce sont la mise en relation des indices
de la situation dans ce qu’ils ont de remarquable dans d’autres situations similaires qui
deviennent le type.
Une autre caractéristique de ce nouveau type est qu’il est tellement enchâssé dans l’action,
qu’il n’a probablement de sens que dans, et pour, des actions très similaires.
La construction de ce type apparaît donc incomplète, car il possède peu de caractéristiques de
généralisation et ne peut probablement être exploité que dans des situations et action très
semblables de celles dans lesquelles il commence à apparaître. D’ailleurs, l’émergence de ce
nouveau type, ne se présente pas aux yeux de l’apprenti, comme un savoir formalisé et
facilement communicable, mais plutôt comme une expérience singulière et idiosyncrasique.
Ce cas illustre le caractère implicite des apprentissages en cours d’action, dans l’émergence
des types, mais plus encore présente l’émergence des types comme l’apparition de situations
prototypiques singulières.
Nous faisons l’hypothèse que l’émergence de type prendrait ses racines dans la
détermination de nouvelles interprétations de la situation. Les nouveaux types sont très
proches de nouvelles interprétations, l’acteur pouvant interpréter sur la base du nouveau type
des situations quasi similaires. En conséquence, les procès interprétatifs et d’apprentissages
interprétatifs seraient solidaires sous certaines conditions qui restent à déterminer.
Deuxième chapitre
120
Mais comme nous le verrons plus loin ce nouveau type en émergence n’a pas vraiment été
exploité, même dans sa situation d’émergence. En effet Benoît a poursuivi l’exercice durant le
temps prévu pour celui-ci, alors même qu’il a bien détecté l’impossibilité de sa réalisation.
Nous verrons plus loin les raisons de cette non-exploitation et ses conséquences.
Reprenons le récit de l’action de notre apprenti enseignant par l’étude des signes suivants,
afin de voir comment il va utiliser ce nouveau type. Notre apprenti constate ensuite
l’inactivité des élèves ( représentamen R2, du signe 2).
1.3 L’émergence des types, comme mise en relation d e constats accompagnant l’action par des relations de graduali té
1.3.1 Description du cas 2 Une nouvelle interprétation de la situation apparaît ici: Ils ne pouvaient pas se rendre compte
du lâcher et reprise d’écoute, parce qu’ils ne pouvaient pas prendre de la vitesse. Benoît
constate une non adéquation entre le fonctionnement visible des bateaux (R2) et les attentes
initiales (A1 et A2). L’interprétation I2 ne fait qu’accompagner ce constat sans que ce
nouveau sens potentiel de la situation ne soit réellement pris en compte. Cette nouvelle
interprétation devrait en toute logique conduire à l’arrêt de la situation.
Signe hexadique 2
Engagement (E2) Réaliser l’exercice prévu, en évitant d’avoir à changer pour se montrer compétent aux yeux du tuteur.
Actualité potentielle (A2) S’attend à ce que sur un parcours travers, les élèves fassent gonfler dégonfler la voile pour faire avancer et ralentir les bateaux.
Référentiel (S2) Les bateaux ont besoin d’un vent minimum pour avancer dans ce type de situation
Représentamen (R2) L’élève ne choque pas au signal d’arrêt.
Unité élémentaire (U2) Commande les actions d’un élève sur son fonctionnement relativement à l’action border-déborder.
Apprentissage interprétatif (I2) Etablissement d’une relation causale Ils ne pouvaient pas se rendre compte du lâcher et reprise d’écoute parce qu’ils ne pouvaient pas prendre de la vitesse
On peut penser que le cours d’action va être alors être infléchi et que l’actualité potentielle et
les attentes associées vont alors changer, entraînant ainsi une rupture dans la stratégie
d’intervention. Mais il n’en est rien, car le signe suivant ne montre pas d’évolution de la
structure d’attente (notamment au niveau des engagements) et d’autre part le type d’exercice
sera organisé, conformément à la séance prévue, jusqu’à la fin de la séance soit 44’. Il n’y
aura par exemple jamais d’abandon pur et simple de l’exercice, ce qui est pourtant une
Deuxième chapitre
121
solution logique, compte tenu de l’apparition de cet interprétant. Par contre tout au long de la
séance, Benoît fera des constats qui accompagneront l’action sans pour autant pouvoir
influer sur le cours de celle-ci. Par exemple, à l’ue 36 il constate que « ils [ les élèves] ne se
rendent pas compte de l’exercice que je leur fais », et que « ce n’était pas flagrant quoi de
s’arrêter comme ça » (uea 36) ; tandis qu’au uea 39 il constate qu’« il n’y avait pas
beaucoup de vent » et que « les élèves n’avaient pratiquement aucun repère». .
1.3.2 Analyse du cas 2 Dans cette première situation, il paraissait facile de deviner que dans ce vent trop faible, les
bateaux ne pourraient pas avancer. Mais en même temps, Benoît n’avait pas réellement saisi
la relation en terme de degré nécessaire entre la force du vent et la nature de l’exercice
proposé, tant qu’il n’avait pas mis en oeuvre cet exercice.
L’émergence des types ne s’établit pas d’emblée sous forme d’abstractions ou de règles. Ils
émergent à l’occasion de simples constats (perceptions sans inférence de la part de l’acteur),
ou d’interprétations usuelles, qui accompagnent l’action sans lui donner une signification pour
l’action nouvelle, comme si une organisation globale était encore hors de portée. Lors de cette
première fois où Benoît met en place cet exercice, la juxtaposition de ces constats, constitue
bien un apprentissage interprétatif, car ces constats ainsi que leurs mises en relation sont
nouvelles pour Benoît. Ces constats et interprétations, sont en relation implicite et ouvrent
une possibilité d’établir l’interprétation selon laquelle, il faudrait un minimum de vent pour
que les élèves aient des repères. Cette interprétation plus générale et relativement davantage
décontextualisée, apparaît comme un nouveau type en émergence, non encore formulable.
Nous faisons l’hypothèse que ces constats qui accompagnent l’action, sans pour autant
que ceux-ci ne conduisent à une évolution de l’action, sont à la base d’une forme
d’émergence de types. La mise en relation des constats, sont une forme d’apprentissage
interprétatifs. L’émergence d’un nouveau type se fait dans une nouvelle perception /
interprétation de la situation.
Cependant l’acteur peut aussi établir des relations de causes à effets entre les indices repérés
faisant la situation. Cette deuxième forme d’interprétation marque un progrès dans
l’inférence. Elle détermine éventuellement un apprentissage interprétatif par l’établissement
d’un nouveau type intégrant cette évolution interprétative.
Deuxième chapitre
122
1.4 L’émergence d’un type suppose la construction d ’une nouvelle perception de la situation
1.4.1 Description du cas 3 Mais la construction des types n’est pas toujours aussi indirecte et lente. Poursuivons le récit
de cette action. Benoît constate l’échec de son action, devant l’immobilité des bateaux et des
élèves, mais comme il juge que le temps écoulé n’est pas assez long pour qu’il change
d’exercice, il décide de continuer. Il signale un redémarrage (impossible d’ailleurs à cause du
manque de vent) et encourage les élèves (uea 3). Son engagement change alors, il tente de
trouver quelque chose à faire apprendre, mais sans abandonner l'exercice commencé, et sans
solution alternative à ce moment. Il remarque en même temps que les bateaux ne ralentissent
pas, et n’accélèrent pas aux signaux et se sent un peu perdu par rapport à ce qu’il est en train
de faire (uea 4). Il espère alors trouver quelque chose à dire ou à faire (uea 5). Alors qu’il
pense que l’exercice n’est pas fameux, il remarque un bateau qui lui semble particulièrement
cabré40. Or il sait qu’un bateau cabré avance moins vite (s5). Il saisit de cette occasion pour se
déterminer à intervenir sur ce point. Il se met à réfléchir au choix d’une explication sur
l’assiette du bateau (u5).
Uea hexadique 5 Engagement (E) Trouver quelque chose à faire apprendre, mais sans abandonner l’exercice commencé, et sans solution alternative à ce moment.
Actualité potentielle Espère trouver quelque chose à dire ou à faire
Référentiel (S) Un bateau cabré avance moins vite.
Représentamen L’exercice n’est pas fameux. Perçoit un bateau très enfoncé à l’arrière.
Unité élémentaire (U) Réfléchit au choix d’une explication (sur l’assiette du bateau)
Apprentissage interprétatif (I) Repérage de nouveaux indices de la situation lui permettant de mettre en œuvre le type (s5) Découverte de la partie perceptive du type, à partir d’un exemple évident.
1.4.2 Analyse du cas 3 C’est la première fois, que Benoît était amené à percevoir la position des bateaux sur l’eau.
L’émergence de cette nouvelle perception concernant le cabrage du bateau a permis la
construction d’une nouvelle situation et a ouvert de nouvelles possibilités d’interprétation de
la situation, donc la création d’un nouveau type réellement actif. En effet, au début de l’action
Benoît connaissait la règle suivant laquelle un bateau cabré avance moins vite. Mais il n’avait
jamais eu à l’observer, notamment de l’extérieur de son bateau. La connaissance de cette règle
Deuxième chapitre
123
n’était donc pas un type, puisqu’elle ne constituait pas une habitude d’interprétation. Elle était
d’avantage de l’ordre de la connaissance déclarative.
Si l’on suit ce raisonnement, interpréter une situation ne peut pas se résumer à appliquer une
règle, ou une connaissance. Il faut en plus avoir la possibilité de saisir des éléments du
contexte comme significatifs d’une situation particulière. En d’autre terme, il est nécessaire de
pouvoir saisir des indices de l’état de la situation, ce qui constitue aussi le type. D’ailleurs
cette reconnaissance perceptive peut se développer, s’améliorer. A partir d’un exemple
évident pour Benoît (l’arrière du bateau initialement repéré est beaucoup trop enfoncé dans
l’eau), sa perception s’est affinée, puisqu’il a pu repérer des défauts de position des bateaux
de plus en plus fins.
Extrait de l’autoconfrontation :
En fait, à partir d'une personne ... à partir d'une personne où j'ai vu le défaut [le bateau cabré], et ben après,
ça m'a donné enfin guidé en fait quoi dans mon dans dans mon évaluation de la conduite de leur bateau quoi.
J'ai vu un moment un truc qui sautait aux yeux, je dis: "Bon ben maintenant, on va se ... on va être guidé ...
Puisque mon exercice, il n'est pas fameux fameux, qu'est-ce qui peut ... Qu'est-ce qui les gêne dans la ... dans
leurs vitesses, vu qu'il n'y a pas beaucoup de vent quoi ? Dans la conduite de leurs bateaux ... J'ai vu çà, ça m'a
sauté aux yeux et puis après, bon j'ai regardé partout, les autres ... si ce n'est pas à peu près la même chose.
Parce que s'il y en avait un qui le faisait ... c'est possible que les autres le fassent. Donc après ... vu que ... J'ai
vu un défaut flagrant, en fait, ça me met sur la piste si on fait plus attention à çà. Parce que si ça avait été
moins flagrant pour les autres ... je n'aurai peut-être pas par exemple donné autant d'importance pour celui-là.
Bien que celui-là, il se il se … ça ne trompe pas. En fait, des fois, il y a ... Des fois, on peut, si s'il n'y a pas de
gros problème, et ben on peut passer ... on peut passer à côté quoi, passer à côté.
Benoît a découvert la reconnaissance du type, par la mise en relation entre la vitesse des
bateaux et leurs positions sur l’eau : les Optimists n’avancent pas, quand ils sont trop cabrés.
L’émergence de ce type s’est accompagnée, d’un nouveau pouvoir perceptif.
Nous faisons l’hypothèse que les processus de construction d’un type, sont solidaires
d’une construction idoine de l’activité de repérage d’indices significatifs de situations
typiques. Le type est constitué d’une partie symbolique et d’une activité de repérage
d’indices.
40 Bateau dont l’arrière est trop enfoncé dans l’eau, ce qui a tendance à le freiner.
Deuxième chapitre
124
1.5 La construction du type est dépendante l’engage ment de l’acteur dans l’activité en cours
1.5.1 L’aspect social de l’activité organise pour u ne part l’interprétation et son apprentissage
Dans la première situation, l’engagement oriente l’activité de Benoît vers le respect de la
séance prévue, comme preuve de rigueur aux yeux de l’apprenti, d’autant plus qu’elle avait
été annoncée publiquement aux pairs et aux formateurs. Benoît dans l'entretien d'auto
confrontation se livre abondamment sur les motifs de son engagement dans l'activité globale :
B : « Mais, après, si on va me demander le but de ma séance ... enfin, mon objectif ben c’est vraiment avancer
et tout, mais là, comme il n'y a pas beaucoup de vent, les conditions ont changé, et ben ... vu que je ne peux pas
trop m'adapter étant donné que j'ai lancé un truc et que je ne peux pas le changer comme çà… »
L'engagement de Benoît est structuré autour d’une préoccupation essentielle qui est de
continuer ce qui a été entrepris. Cette préoccupation se double de la mise en perspective de
l'action présente avec la situation de debriefing qui doit suivre la séance elle même. Benoît
poursuit un peu plus loin en parlant de la nécessité de s'adapter :
B : « on désir abandonner notre objectif, si on voit que ça ne marche pas. Moi, je ne l'ai pas fait parce que ... je
mettais ... j'avais dit devant tout le monde que je que je ferais ça...(silence)
CHERCHEUR: Qu'est-ce tu aurais fait là ?
B: Là, j'aurais pu réadapter pour faire un truc pour l'équilibre. Je ne l'ai pas fait, parce que je m'étais engagé
à faire tel truc, tel truc ... devant tout le monde, donc il fallait que je le fasse quoi. Mais sinon, voyant que ça
ne marche pas, j'aurai sauté en fait sur ... sur ... sur des fautes comme çà, pour rebondir quoi.
La nécessité de s'adapter est mise en balance avec l'engagement public de réaliser quelque
chose prévu à l'avance. L’engagement public, compris comme le respect strict de ce qui a été
annoncé, l'emporte sur la nécessité de s'adapter.
CHERCHEUR: C'est-à-dire que dans une autre situation, que ta situation de formation, si tu avais été en
situation de travail, par exemple tout seul ...
B: Ouais, ouais. Alors là, j'aurais carrément ... ben j'aurais changé, je je les aurais faits peut-être arrêté tout de
suite, mais j'aurais enchaîné directe sur le défaut que je vois. Je n'aurais pas je n'aurais pas fait, en fait j'aurais
fait un autre exercice que celui que j'avais mis sur du papier, et que j'avais dit que je le ferais quoi, donc ... Et
puis aussi, le problème, c'est que pour la formation, là on me demande de de faire une logique.
L’engagement est structuré aussi à partir de la préparation de séance qui cristallise la nécessité
de suivre ce qui a été prévu. Cette nécessité est mise en relation avec les attentes perçues de la
Deuxième chapitre
125
formation demandant de suivre une logique, qui visiblement doit être transparente au regard
des autres, car elle se situe dans un contexte de debriefing public.
B : et après il fallait qu'on demande qu'on demande après, ma logique de comment ... ma ma logique de séance.
Donc si je dis un moment: "Ah ben, j'ai complètement abandonné çà, pour aller sur un autre truc.", ils vont
me dire: "Ah mais il n'y a pas de logique quoi.".
Ce que Benoît appelle la logique de séance correspond à une exigence pour lui de suivre
précisément ce qui a été prévu (ne pas abandonner), et surtout ne pas changer l'orientation
globale.
[…parlant de la situation de formation] Il y a beaucoup moins de liberté, étant donné que ... enfin, moi je me
sens je sens que j'ai beaucoup moins de liberté, étant donné qu'on est jugé sur un contenu et puis sur ... sur
une logique quoi
Cette nécessité ressentie de suivre précisément ce qui a été prévu, est mise en relation avec la
conception qu'il a de la situation de formation. Celle ci est vécue comme un espace de
restriction de liberté, de jugement constant saturé d'une obligation de présentation de contenus
et d’une logique pré-établie qui limite l'adaptation en cours d'action.
Nous faisons l’hypothèse que l’aspect social de la situation, organise l’engagement de
l’acteur et aussi l’activité interprétative et son apprentissage.
1.5.2 L’engagement organise l’activité interprétat ive Dans le troisième cas au contraire, l’engagement a évolué vers des préoccupations visant à
« faire apprendre quelque chose aux élèves », sans toutefois oser entrer en rupture avec la
séance prévue, afin de présenter une face honorable aux observateurs, notamment devant
l’échec de l’exercice. C’est dans cette perspective, que le type concernant le cabrage du
bateau a pu émerger, s’affiner, et se renforcer, car que le sens de l’activité a permis à ce
moment son utilisation dans l’action.
Mais l’affinement de cette perception n’a rien eu de mécanique. En effet, c’est parce que
l’apprenti s’était engagé vers des préoccupations visant à « faire apprendre quelque chose »
aux élèves qu’il a perçu ce bateau cabré à ce moment (il l’était depuis le début de la séance).
Nous faisons l’hypothèse que l’engagement de l’acteur organise l’activité interprétative,
mais aussi l’apprentissage interprétatif, comme celui-ci est organisé en retour par ces
deux activités.
Deuxième chapitre
126
1.5.3 L’apprentissage interprétatif est solidaire d e la détermination de l’action Dans le premier cas au contraire, Benoît n’a pas réellement mobilisé le nouveau type en
émergence, empêchant ainsi son émergence complète. En effet, l’apprenti était confronté à un
dilemme entre la nécessité de s’adapter et son engagement public, structuré par une norme
culturelle faite de rationalité technique (Schön, 1983, 1996), dans laquelle le bon
enseignement est le résultat de l’application de la séance prévue. L’utilisation effective du
nouveau type l’aurait amené à interrompre son exercice et l’aurait placé en position de rupture
vis à vis de son plan préétabli, et donc de sa norme de rationalité technique. Il lui a donc été
impossible d’accepter les conclusions logiques des constats qui accompagnaient son action
qui étaient de l’ordre de : les élèves ne peuvent pas réussir l’exercice, car la réaction des
bateaux et les repères associés ne sont pas assez nets.
S’appuyant sur Vygotski (1925, p.41) qui écrivait « l’homme est plein à chaque minute de
possibilités non réalisées », Y. Clot (2000, p.56) rappelle que « le réel de l’activité ne
concerne pas seulement ce qui est fait ou réalisé[…], ce que l’on s’interdit de faire […], les
activités suspendues, empêchées, ou inhibées, ou au contraire déplacées, font partie du réel».
Ici, l’activité empêchée est l’arrêt de la situation pour la remplacer par une autre, disponible
pourtant. Si Benoît avait été en situation de travail, il explique qu’à ce moment il aurait
abandonné l’exercice pour faire autre chose, comme des exercices d’équilibre par exemple.
Certes il est difficile de dire, s’il aurait véritablement changé d’exercice, mais il est clair que
l’activité potentielle existait et qu’elle n’a pas pu s’exprimer, empêchant du même coup la
poursuite de l’émergence d’un nouveau type. En d’autres termes, la situation était porteuse
d’apprentissages potentiels qui ne se sont pas actualisés. A ce moment, il ne s’est pas
autorisé à apprendre, car l’engagement de l’activité n’orientait pas celle-ci vers sa
propre formation, mais vers l’ostentation de soi, dont l’enjeu était la préservation de la
face présentée aux autres.
L’engagement de l’activité n’apparaît pas seulement immanent à l’action, mais s’impose
aussi du dehors de cette action, notamment par l’orientation que certaines normes
culturelles propres aux acteurs, et que la dimension sociale de la situation, donnent à
l’activité définissant du même coup l’engagement de l’action.
L’acceptation de l’apprentissage a des conséquences sur l’activité et pas seulement sur
l’action, car il faut pouvoir assumer les éventuels conflits de valeurs que cet apprentissage
peut entraîner sur l’engagement de l’activité. L’apprentissage ne se présente pas de ce point
de vue, comme une conséquence externe à l’activité même, mais est constitutif de celle-ci, à
Deuxième chapitre
127
condition que cet apprentissage soit accepté et son utilisation possible dans le cours de
l’action.
Ainsi l’apprentissage interprétatif est contingent à l’activité interprétative . Une activité
interprétative apporte une potentialité d’apprentissage, mais pas obligatoirement un
apprentissage. Il nous appartiendra de déterminer les conditions de survenue de
l’apprentissage interprétatif sur la base de l’activité interprétative.
Nous faisons d’autre part, l’hypothèse que la détermination de l’action (incluant le choix
de ne pas faire quelque chose), est solidaire de l’activité interprétative et de son
apprentissage41.
1.6 L’émergence de types peut être constituée de sa voirs faux
1.6.1 Description du cas 4 Les conceptions populaires proclament que « c’est en forgeant que l’on devient forgeron »,
comme si de la pratique, ne pouvait émerger que des savoirs pertinents pour l’action. Or rien
n’est moins sûr pour le métier d’enseignant. En effet, Benoît a construit et a validé plusieurs
types se basant et renforçant des savoirs faux.
Au cours de sa séance, Benoît constate que les élèves ont du mal à rester sur le parcours vent
de travers qu’il a placé et qu’ils dérivent sous le vent de celui-ci. Il fait ce premier constat
autour de la 3ème minute (uea 20).
Uea hexadique 20 20b. et 21 Engagement Essaye de voir si le parcours est réalisable ou si les consignes ont mal été données
Actualité potentielle Souhaite que les élèves fassent le parcours vent de travers en ligne droite
Référentiel Des élèves qui sont trop centrés sur leurs engins ne peuvent pas faire cette trajectoire
Représentamen Le vent est faible et faiblit encore, les élèves font « une ellipse ».
Unité élémentaire Doute des chances de réussite de son exercice.
Apprentissage interprétatif ?
Cette uea débouche sur un doute de la réussite de la séance, notamment à cause de la
difficulté des élèves à se maintenir sur le parcours. Pendant près de 20 minutes, les raisons de
41 Cette hypothèse amène aussi à une évolution de la méthodologie. Celle de prendre en compte la détermination de l’action en plus de l’action réellement réalisée, pour appréhender la dimension de planification en cours d’action (y compris les renoncements).
Deuxième chapitre
128
cette dérive resteront relativement obscures pour Benoît. Il attribuera celle-ci à la dérive des
bateaux par l’effet du vent, ou au courant (uea 58,).
Uea hexadique58 Engagement Faire le bilan du premier exercice : En fonction de ce que pensent les élèves, dire ce que je pense de ce qu’ils ont fait, pour que les élèves puissent se situer par rapport à l’exercice
Actualité potentielle S’attend à ce que les élèves disent ce qu’ils ont compris
Référentiel Le vent de travers fait dériver les bateaux
Représentamen Les élève ont dérivé et n’ont pas pu rejoindre la bouée
Unité élémentaire Interprète les raisons de l’échec: « Ils ne se rendent compte de rien pour le moment » dû à un problème de trajectoire : Le vent les fait dériver, ou alors il y a du courant.
Apprentissage interprétatif Renforcement du type le vent fait dériver les bateaux au vent de travers.
1.6.2 Analyse du cas 4 Cependant, les bateaux se déroutaient trop de leurs routes pour que l’hypothèse du vent et ou
du courant qui faisait dériver les bateaux puisse être juste. Ceci a renforcé des conceptions
totalement fausses sur le fonctionnement des bateaux et a empêché notre apprenti d’envisager
d’autres hypothèses explicatives davantage centrées sur l’activité des élèves, par exemple. En
effet la dérive des bateaux au vent de travers est négligeable et il n’y avait pas de courant sur
le parcours. Cela montre à quel point l’apprentissage dans et par l’action est indéterminé,
contingent et en définitive faillible.
Les apprentissages interprétatifs peuvent être basés sur des savoirs faux et les renforcer.
1.7 La collaboration et la verbalisation associée a vec un pair, introduit une médiation facilitant la construction de type
1.7.1 Présentation du cas 5 A la 21ème minute de l’action étudiée, une discussion apparaît avec l’autre apprenti (Charles),
passager dans le bateau à moteur de Benoît.
Charles: les optimistes avec un ris dans le petit temps ça ne remonte pas très bien.
Benoît : en fait le parcours, il n'est pas très bien mouillé quoi.
Charles: Oui il faudrait que la bouée orange soit plus par là [plus au vent]
Benoît : je pense qu'ils peuvent remonter vers la bouée orange ...
Charles: fais-les en aller vers la perche autrement, et tu remontes sur le parcours.
Deuxième chapitre
129
Benoît: c'est sur ce bord alors vraiment
Charles: oui oui il faut qu'ils remontent
Benoît : qu'ils remontent , qu'ils remontent
Cette interaction facilite de façon assez spectaculaire la construction d’une nouvelle
interprétation de la situation : la mauvaise orientation du parcours par rapport au vent, crée
des difficultés importantes chez les élèves, et non pas la dérive due au vent ou au courant (uea
67).
Signe hexadique67 Engagement
Actualité potentielle
Référentiel Faire du près est difficile pour des débutants
Représentamen Les bateaux sont beaucoup trop au près et ont du mal à atteindre la bouée, car le parcours est au dessus du travers
Unité élémentaire Evalue le mauvais positionnement du parcours (parle à l’autre stagiaire)
Apprentissage interprétatif Découverte du type : un parcours au dessus du vent de travers ne facilite pas la réalisation du parcours pour ces élèves
1.7.2 Analyse du cas 5 La médiation du langage imposée par la courte interaction entre pairs en cours d’action, de
quelques secondes à peine, facilite une nouvelle interprétation de la situation couplée avec des
propositions d’action (changement de parcours). Cette médiation, parce qu’elle introduit une
distance entre le sujet et son action, devient un moyen de produire d’autres interprétations, et
d’autres significations de la situation.
Nous faisons l’hypothèse que les interactions entre acteurs dans le cours même de
l’action, transforment radicalement les processus et probablement les procès
d’apprentissage interprétatif.
Les interactions entre les apprentis éducateurs sont très peu nombreuses, dans ce cours
d’action. Il y a très peu de coopération comme cela semblerait souhaitable au regard de cet
exemple.
Nous faisons l’hypothèse que les apprentis sont dans une activité dont l’engagement est
déterminé par la dimension sociale de la situation. Ces conditions sociales de l’action,
influenceraient les processus de collaboration et d’échange dans l’action d’encadrement.
Deuxième chapitre
130
1.8 Les apprentissages interprétatifs ne sont pas r econnus par l’acteur comme des apprentissages
Benoît n’identifie pas les apprentissages qu’il réalise dans l’expérience de son activité
d’encadrement. Pour autant est-ce une raison suffisante pour penser qu’il n’y a pas
d’apprentissage ? Nous pensons que non, car il est possible de remarquer la construction de
nouveaux types par cette expérience. A l’instar de ce que remarque J. Lave (1984) dans les
pratiques quotidiennes d’arithmétique et du jugement des personnes sur cette activité, nous
prendrons le parti de considérer la non reconnaissance de l’apprentissage comme une donnée
à étudier plutôt que comme un résultat.
L’apparition de nouveaux types ne se présente pas comme un savoir formalisé et facilement
communicable, mais plutôt comme une expérience singulière et idiosyncrasique. D’autre part,
les nouveaux types construits sont souvent tellement enchâssé dans l’action, qu’ils n’ont de
signification que dans et pour ces actions, qu’ils ne sont pas considérés par l’acteur comme
des interprétants ayant valeur général.
Nous faisons l’hypothèse que la forme expérientielle, singulière et idiosyncrasique de
l’apprentissage interprétatif produit la non reconnaissance par l’apprenti de ses
apprentissages, car ils ne se présentent pas à ses yeux comme des savoirs, notamment parce
qu’ils peuvent difficilement s’énoncer.
Deuxième chapitre
131
2. Evolution des hypothèses de la recherche A la suite de cette étude exploratoire, nous présentons une série d’hypothèses complétant les
hypothèses issues de l’analyse théorique et visant à répondre à la question de la constitution
de l’apprentissage interprétatif par l’expérience.
1. L’émergence de type prend ses racines dans la détermination de nouvelles
interprétations de la situation. L’apprentissage interprétatif est contingent à l’activité
interprétative.
2. Le repérage de nouveaux indices de la situation est à la base d’une émergence
contingente de nouveaux types. Cette émergence procède d’une mise en relation des
indices dans une nouvelle perception / interprétation de la situation.
3. Le contexte social a une influence sur les procès interprétatifs et sur leurs
apprentissages.
4. L’engagement de l’acteur organise l’apprentissage interprétatif.
5. La détermination de l’action (incluant le choix de ne pas faire quelque chose), est
solidaire de l’activité interprétative et de son apprentissage
6. Les apprentissages interprétatifs peuvent être basés sur des savoirs faux et les
renforcer
7. Les interactions entre acteurs dans le cours même de l’action, transforment
radicalement les procès d’apprentissage interprétatif. Mais ces interactions sont aussi
soumise à la dimension sociale de la situation.
8. L’apprentissage interprétatif n’est pas reconnu comme tel par les apprentis car il ne se
présente pas sous la forme d’un savoir, mais d’une expérience difficilement énonçable
sous forme de règle.
9. Certaines différences interindividuelles existent dans la mobilisation des procès
interprétatifs et d’apprentissages interprétatifs.
Deuxième chapitre
132
Deuxième partie : méthodologie spécifique pour la construction des résultats
Deuxième partie du deuxième chapitre.
1. Une évolution de la méthodologie initiale pour l a construction des résultats
La démarche utilisée dans l’étude exploratoire, a montré certaines limites et fait apparaître
certaines difficultés. Tout d’abord nous avons vu l’importance de l’engagement à la fois pour
l’activité interprétative et pour l’apprentissage. La démarche initiale ne permet pas une
objectivation des engagements des acteurs satisfaisante. Nous avons donc choisi de recourir à
une modélisation de l’engagement de l’acteur relative à l’activité interprétative.
L’étude contient une exploration de l’action dont des pans entiers qui n’ont pas un intérêt
considérable pour l’analyse de l’apprentissage interprétatif. Nous avons donc choisi de
restreindre l’analyse à des moments particuliers que nous appelons enquête.
La démarche initiale de modélisation des données ne permet pas de discriminer ce qui relève
de l’activité interprétative et de ce qui revient à l’apprentissage. Nous avons choisi une
nouvelle forme de modélisation qui permettra de distinguer ces deux activités :
L’articulation des éléments hétérogènes tels que : les données extrinsèques, les éléments
d’engagement provenant de l’analyse globale, et les données de l’analyse locale pose
également quelques difficultés. Nous avons choisi de faire appel à la notion d’intrigue comme
moyen pour tenter d’articuler les éléments provenant des observations extérieures, de la
construction du sens, des contraintes, et des effets de l’activité.
D’autre part, l’interprétation de la situation ne se présente pas toujours sous les traits d’une
donation de sens clair aux différents éléments d’une situation. Comme nous l’avons déjà
expliqué, l’interprétation n’est pas fondamentalement d’ordre discursif. Elle n’est pas toujours
une attribution de signification, même si elle est toujours une donation de sens. La question
méthodologique qui se pose est de savoir comment délimiter l’interprétation ?
Dans cette optique nous avons pris le parti, d’étudier les opérations menées par l’acteur qui lui
permettent donner un sens aux différents éléments du contexte. Quand l’acteur n’arrive pas à
leurs donner directement un sens, les indices sont ceux d’une situation indéterminée. L’acteur
cherche alors à déterminer la situation pour, par et dans l’action. Pour rendre compte des
Deuxième chapitre
133
processus d’élaboration de sens, nous avons choisi de construire une modélisation de la
dynamique interprétative et d’apprentissage dans les enquêtes.
Toutes ces raisons nous conduisent donc à employer une méthodologie différente pour la
création des résultats de celle concernant la création des hypothèses.
1.1 La délimitation du corpus aux moments d’enquête s : un choix méthodologique dicté par les premiers résultats
Dans l’activité d’un acteur reconstruite par le chercheur dans le cours d’action, coexistent des
séquences routinières et des séquences d’enquêtes. Dans les premières, l’acteur exécute des
procédures connues sans rencontrer de problèmes significatifs pour lui. Dans les moments
d’enquête, l’acteur cherche au contraire à résoudre une difficulté qu’il arrive plus ou moins à
déterminer. L’activité interprétative est présente dans ces deux types de séquences. Mais nous
avons choisi de ne plus traiter l’ensemble des séquences, mais seulement de celles
constituant les moments d’enquête.
Le choix d’une délimitation du corpus aux seuls moments d’enquête résulte d’un choix
théorique et pragmatique découlant de l’analyse des premiers résultats. Il apparut que dans les
moments d’enquête, il y avait beaucoup plus d’unités élémentaires d’activité (UE)
interprétatives et de transformation de l’interprétation, que dans les moments d’exécutions
routinières. Ces premiers résultats ont donc confirmé la fécondité de la notion d’enquête dans
ce travail de recherche, ce qui nous a conforté à utiliser cette notion.
L’ouverture d’une enquête est repérable par la recherche, de détermination de sens par
l’acteur, dans le cadre d’une situation en cours relativement indéterminée et dont le pronostic
est négatif (l’acteur pense que l’évolution de la situation sera contraire à ses espérances). La
clôture se caractérise par une détermination suffisante pour l’acteur, ou par un abandon de la
recherche de détermination de la situation.
Pour comprendre les processus d’interprétation, et d’apprentissage interprétatifs en jeu, à
partir des dynamiques propres aux différentes enquêtes (c’est à dire de l’évolution des
interprétations et des apprentissages au cours du temps en fonction de l’avancement de
l’enquête), l’ensemble des UE (unités élémentaires d’activité) de l’enquête a été traité sous
forme de signes hexadiques.
Deuxième chapitre
134
1.2 Le récit réduit
1.2.1 Construction - Dans un premier temps nous nous sommes attachés à découper l’activité en unités
élémentaires discrètes sur la base du découpage opéré spontanément par l’acteur
au cours de l’auto confrontation, et aussi d’après l’observation directe de l’action.
La catégorisation de ces unités discrètes a été la suivante :
- Ouverture (ouv) correspond à une augmentation de l’attention vers des indices
d’une situation et marque le début d’une enquête.
- Sentiment (sent) comme la littérarisation d’une émotion.
- Interprétation (int) plus la thématique de l’interprétation.
- Détermination (det) est le choix dune action en particulier, y compris celui de ne
pas faire quelque chose.
- Action (ac), ce que fait l’acteur de façon perceptible par un observateur extérieur
d’un point de vue moteur ou discursif.
Ce découpage du flux continu d’activité en unités discrètes est complété par le contenu de
l’unité élémentaire. Afin de situer l’activité dans l’environnement, chaque unité est référée
aux éléments de contexte remarquable par un observateur extérieur. Quand l’action de l’acteur
est discursive, le verbatim de ce qui est dit est transcrit. Chaque unité élémentaire est
numérotée et accompagnée de son repère temporel dans le déroulement chronologique de la
situation..
Deuxième chapitre
135
1.2.2 Exemple de récit réduit N° Tps Type
d’UE Unités élémentaires Eléments de contexte
17. 23.21 Action com
Demande à des élèves qui sont dans une direction à l’opposé de la bouée RDV, s’ils voient où il faut aller ?
Le vent est considérablement tombé et les bateaux ne peuvent qu’avancer faiblement. Les élèves lui disent : « on avance pas là ! »
18. Action com
Répond aux élèves : « c’est normal, mais il faut savoir pourquoi c’est normal. C’est ça le problème ».
Une des élève dit : « on est pas face au vent ». L’autre élève dit : « je crois que c’est à peu près normal42… »
ce que Benoît n’entend pas
19. 24.10 In Commence à voir les limites de la séance prévue, à cause du manque de vent. Notamment quand les élèves disent : « on avance pas là ! »
Le bateau est vent de travers et les voiles sont à peu près correctement réglées à l’exception du foc qui est trop bordé43
20. Sent Se sent un peu perdu. Benoît est gagné par un sentiment de panique
21. 24.24 In Infère de la phrase de l’élève : on est pas face au vent, que l’élève ne sais plus trop quoi faire, et demande de l’aide
22. In Tente de trouver ce qui ne va pas en Procédant par élimination des causes possibles: voile, équilibre, « à peu près pas mal » : il ne reste plus que la barre.
23. 24.25 Det Hésite sur les explications à donner : vous n’êtes pas face au vent ? et tu regardes le… essaye de regarder le…
Benoît ne sait plus quoi dire, il essaie désespérément de trouver quelque chose à dire
Benoît : vous n’êtes pas face au vent ? et tu regardes le… essaye de regarder le…
Elève : « je sais pas si tu comprends pas mais… »
24. 24.33 Action , com
Donne une solution technique pour faire avancer le bateau.
« Essaye avec la barre de trouver la vitesse, il faut que tu bouges la barre pour avoir de la vitesse ».
Elève en même temps que Benoît : « c’est comment que tu trouves de la vitesse ? »
Alain intervient sur les élèves en leur donnant des conseils sur le réglage des voiles
Le bateau redémarre doucement. Les élèves demandent s’ils peuvent ramer, Alain admet que c’est tout ce qui reste à faire.
Benoît se tait
42 par rapport au peu de vent l’élève pense qu’il est normal de ne pas avancer
Deuxième chapitre
136
1.3 La construction de l’objet de l’enquête L’objet de l’enquête est conçu comme une émergence immanente de l’activité. Elle évolue au
cours de l’enquête dont l’horizon évolue en fonction de sa progression. Nous avons choisi de
construire cette donnée à partir d’une analyse globale du cours d’action de ce moment
d’enquête.
1.3.1 Méthode de construction L’analyse globale du cours d’action est en relation avec l’hypothèse selon laquelle les unités
élémentaires d’action (uea) sont subsumées dans des catégories plus larges, par des relations
spécifiques.
En nous inspirant de façon relativement libre de la notion de relation séquentielle (Theureau,
2000), nous avons tenté d’établir une synthèse des préoccupations de l’acteur dans l’enquête,
sans chercher à établir les relations séquentielles entre les uea. La préoccupation est définie
comme les caractéristiques de l’engagement en cours qui sont les plus pertinentes par rapport
à chaque uea.
Nous avons considéré que lorsque la structure d’attente (engagement – actualité potentielle -
référentiel mobilisé) se référait au même objet de préoccupation, il était possible de
déterminer une unité plus large, que nous avons appelée synthèse des préoccupations, à partir
de plusieurs uea ayant des objets proches. La réunification des synthèses permet au chercheur
de construire l’objet de l’enquête. Ceci a été fait en considérant que, conformément à la
position théorique de Dewey (), l’objet de l’enquête était davantage une construction de
l’activité au cours de celle ci, qu’un donné à priori pilotant l’enquête. L’analyse du chercheur
construit rétrospectivement l’objet de l’enquête - ce que l’acteur cherche réellement à
atteindre et/ou à éviter par son activité d’enquête - en s’appuyant à la fois sur les données
intrinsèques et extrinsèques.
Afin de mettre en évidence cette modélisation, nous avons noté chaque synthèse en couleur.
Les uea subsumées sous chaque synthèse sont écrites de la même couleur que celle-ci. Ceci
permet de repérer aussi la dynamique d’évolution de l’objet au cours de l’enquête.
Dans l’exemple ci-dessous, extrait de l’analyse de l’objet de l’enquête N°2, il est possible de
voir que les préoccupations visant à « Réaliser efficacement la séance prévue sans temps
mort », arrivent en premier, suivies de celles consistant à « Trouver quelque chose à dire, pour
« remplir l’espace de parole » sur la technique de navigation », et ensuite « Montrer au tuteur
sa compétence ».
43 ce qui signifie qu’il est trop tendu, pour la force du vent et la direction que le bateau a par rapport au vent.
Deuxième chapitre
137
L’objet de l’enquête vise ici à « trouver quelque chose à dire pour faire bonne figure vis à vis
tuteur en se montrant efficace et en remplissant l’espace.
Deuxième chapitre
138
1.3.2 Modélisation par le chercheur de la construct ion de l’objet de l’enquête N° Tps Type
d’UE Unités élémentaires Détermination de l’objet d’enquête
Préoccupations Synthèse des préoccupations Objet de l’enquête
17. 23.21 Action com
Demande à des élèves qui sont dans une direction a l’opposée de la bouée RDV, s’ils voient où il faut aller ?
Réaliser les objectifs de séance et ce qui est prévu dans celle-ci.
Faire se regrouper la flotte le plus rapidement possible pour éviter de faire attendre les premiers.
Ne pas laisser les élèves sans rien faire
18. Action com
répond aux élèves : « c’est normal mais il faut savoir pourquoi c’est normal. C’est ça le problème ».
Trouver quelque chose à dire
19. 24.10 In Commence à voir les limites de la séance prévue, à cause du manque de vent. Notamment quand les élèves disent : « on avance pas là ! »
Montrer au tuteur sa compétence en intervenant efficacement
Trouver quelque chose à dire
20. sent Sentiment proche de la panique Montrer au tuteur qu’il est compétent en intervenant rapidement et efficacement
Réaliser efficace- ment la séance prévue sans temps morts
21. In Infère de la phrase de l’élève : on est pas face au vent, que l’élève ne sais plus trop quoi faire.
Trouver quelque chose à dire, pour « remplir l’espace de parole » ? ne pas oublier de signaler quelque chose d’important
Trouver quelque chose à dire, pour « remplir l’espace de parole » sur la technique de navigation
Montrer au tuteur sa compétence
Trouver quelque chose à dire pour faire bonne figure vis à vis tuteur en
se montrant efficace (pas de temps morts) et en remplissant
l’espace de parole
Deuxième chapitre
139
2. Stratégie de construction des résultats sur l’apprentissage interprétatif
Pour opérationnaliser nos intentions de construction d’une intelligibilité de l’activité
d’apprentissage interprétatif, nous nous sommes servis des conceptions épistémologiques de
Barbier (2000). Ceci a permis d’établir une stratégie de traitement des données, en distinguant
les notions d’états, de processus et de procès, en suivant les définitions suivantes (Barbier,
ibid. ) :
- état : « attribution à un objet physique ou social de traits spécifiques résultant
d’une opération ponctuelle d’identification » ;
- processus : « passage d’un état à un autre état à un autre formant une unité jugée
significative pour un observateur » ;
- Procès : « processus ayant fait l’objet d’un repérage d’un certain nombre
d’invariants ou de régularités »
Ainsi le repérage des états des interprétations sera la première opération de traitement des
données (par exemple : repérage d’indices discrets d’une situation inattendue, ou une
caractérisation de la situation). Celle ci permettra ensuite une approche en terme de
processus de transformation des interprétations et de l’apprentissage interprétatif (par exemple
la transformation de l’état de repérage à celui de caractérisation). Enfin, le repérage des
invariants et des régularités permettra l’identification des procès d’interprétation et
d’apprentissage interprétatif dont le résultat est une transformation des types. Ceci sera suivi
d’une mise en évidence de leurs rapports avec les interprétations (par exemple le repérage de
la configuration situationnelle dans laquelle émerge un nouvel indice).
Voyons maintenant comment nous avons construit et présentés ces résultats.
2.1 Construction des processus et procès interpréta tifs et d’apprentissage
La formalisation de l’expérience interprétative a été réalisée à travers la construction de trois
volets de résultats. 1/ le récit réduit (déjà présenté) ; 2/ une détermination de l’objet de
l’enquête (déjà présenté) ; 3/ une analyse locale de la composition des différentes unités
d’activité composant l’enquête, appelée « expérience d’interprétation des situations… ».
Toutes ces données sont présentées dans un tableau composé de trois parties. 3.1/ une
description simplifiée du récit réduit ; 3.2/ l’expérience interprétative de l’enquête entière ue
après ue, tout en montrant les interrelations que les ue entretiennent entre elles. 3.3 / une
caractérisation produite par le chercheur des processus interprétatifs et des processus
Deuxième chapitre
140
d’apprentissage interprétatifs responsables de la construction des interprétations des situations
et de la transformation des types.
2.2 La modélisation de l’expérience d’interprétati on des situations Au cours la description de l’expérience d’interprétation, il est apparu que le processus
d’interprétation était continu et accompagnait bien souvent d’autres unités d’activité
(sentiments, action, interprétation, détermination de l’action…). Ceci nous a conduit à
présenter des interprétations associées aux autres unités d’activité, dans une colonne
spécifique « interprétation de la situation ». Cependant, à certains moments l’activité
d’enquête s’actualise dans une activité interprétative proprement dite. Ces unités d’activité
sont alors à part entière, des unités d’interprétation. Pour éviter la redondance la colonne Ue
est alors vide, puisque nous sommes en présence d’un moment de l’activité à dominante
interprétative : l’interprétation est alors contenue dans la colonne interprétation de la situation.
Cette formalisation, est en lien avec une conception théorique selon laquelle l’activité
interprétative est une composante centrale du cours d’action, qui accompagne l’activité tout
au long du déroulement de celle-ci, et devient l’essentiel de celle-ci à certains moment. En
accord avec cette conception, l’activité interprétative ne sera pas séparée des autres
composantes de l’action afin d’en saisir la dynamique solidaire du déroulement du cours
d’action.
Les processus de transformation des interprétations sont inférés à partir de l’évolution des
interprétations et de leurs états entre deux interprétations consécutives, c’est à dire en lien
direct temporellement mais en ayant le même objet. Les processus d’apprentissage seront
analysés essentiellement du point de vue de la transformation des types et dans l’interaction
qu’ils entretiennent avec l’interprétation occurrente et les autres éléments de l’enquête en
cours; et non pas l’évolution du type seul per se. Cette formalisation est en accord avec une
conception théorique suivant laquelle le type évolue en relation avec l’interprétation produite,
qui modifie le type, comme le type permet d’interpréter les éléments du contexte comme une
situation signifiante pour l’acteur.
A partir d’une analyse de ces données, seront établis : (1) des exemples de dynamiques
d’apprentissage interprétatifs (enquête par enquête), (2) une caractérisation des procès
interprétatifs et procès d’apprentissage interprétatifs dans une synthèse finale de cette partie.
Deuxième chapitre
141
D’autres part, ces processus et procès ne peuvent pas être décrits en dehors du contexte (au
sens de l’arène, Lave, ) dans lesquels ils se développent, dans une conception située de
l’activité. Parallèlement tous les contextes de développement de l’interprétation des situations
ne peuvent être rapportés. La notion de configuration (Barbier, ) comme organisation
singulière de formes régulières permettra de caractériser les catégories de contextes,
notamment sociaux, dans lesquels émergent certains procès d’apprentissages interprétatifs,
qui feront l’objet d’une partie des résultats. Dans ces configurations, les procès de
construction de l’interprétation se sont révélés en partie différents en fonction des acteurs
considérés.
Deuxième chapitre
142
2.2.1 Exemple : extrait de l’expérience interprétat ive dans l’enquête 2 Récit réduit du cours
d’action Expérience d’interprétation des situations d’enseignement pour les acteurs Analyse produite par le chercheur
N° Type d’UE UE Préoccupations particulières
Actualités potentielles
Représentamens : Les indices de la
situation
Interprétations occurrentes de la
situation
Types et relation entre types
Processus d’interprétations
Processus d’apprentissage
21 Interprétation
Trouver quelque chose à dire, pour « remplir l’espace de parole » Ne pas oublier de signaler quelque chose d’important
Espère que la réaction de l’élève lui fasse comprendre, ce qu’elle dit, ce qu’elle pense, et que cela l’aide à vérifier s’il (Benoît) n’oublie pas quelque chose
L’élève dit « on est pas face au vent là ! »
Les élèves demandent de l’aide pour faire avancer leur bateau, car (argument) « si elle savait qu’elle n’était pas face au vent, elle continuerait à avancer, et que comme elle n’était pas face au vent, elle ne savait plus quoi dire [et quoi faire] ».
Quand les élèves sont dans la mauvaise direction c’est aussi parce qu’il ne savent plus quoi faire (7)
Détermination explicite de la situation par abduction Détermination qui procède d’une argumentation qui permet de mettre en relation la mauvaise direction du bateau par rapport au parcours et la phrase de l’élève44. Cet argument se présente comme une théorie pragmatique qui prend racine dans le cas présent. Il possède peu de caractère de généralité, mais est apte à fournir une explication du fonctionnement de la situation.
Création d’un nouveau type de forme prototypique sur la base de la situation déterminée dans l’interprétation occurrente. Ce nouveau type est aussi une évolution du type (1). Le même faisceau d’indices peut signifier plusieurs choses différentes.
44 Cette interprétation est une évolution de l’interprétation première n°17, qui perturbe Benoît car, il elle fait passer l’interprétation de la situation d’un simple problème de repérage de la direction à suivre, à une demande d’aide technique. Ceci à pour effet d’augmenter encore pour lui le devoir d’avoir des conseils techniques à donner aux élèves.
Deuxième chapitre
143
2.3 Intrigue comme modélisation de l’hétérogénéité des données La difficulté qui s’est présentée quand nous avons établi l’ensemble des procédures de
construction des données, était de rendre compte de l’interaction des ue interprétatives avec
les autres données (récit réduit, relation avec l’évolution du contexte, activité d’enquête et
construction de son objet, processus d’interprétation et d’apprentissage interprétatif).
Après avoir tenté d’analyser seulement les signes interprétatifs, il est apparu qu’il n’y avait
pas d’interprétation isolée qui ne soit en relation avec une portion de cours d’action. Les
occurrences des UE interprétatives ne nous sont apparues compréhensibles que dans la
dynamique l’activité d’enquête, mise en relation avec l’ensemble des données
construites. Nous avons choisi d’utiliser la notion d’intrigue pour rendre compte de cette
dynamique dans laquelle se construisent les apprentissages interprétatifs. Pour Ricoeur
(1985), une intrigue est un mélange d’actions intentionnelles, de relations de causalité et de
hasards. Pour cet auteur le temps et l’histoire sont constitués de deux composantes :
épisodiques et d’intelligibilité . La première renvoie à la succession des événements ; tandis
que la deuxième renvoie à une mise en récit où chaque épisode prend une signification
particulière dans le récit à partir de la fin de celui-ci. L’intrigue n’est pas donnée a priori, elle
est le résultat d’une mise en configuration signifiante des épisodes, par quoi nous pouvons
comprendre l’histoire.
Si la notion d’enquête nous est apparue pertinente pour délimiter la portion du cours d’action
dans laquelle se construisent ces interprétations ; celle d’intrigue s’est révélé plus adaptée
pour en comprendre les processus de construction du sens, car elle permettait d’approcher la
dynamique historique et située de l’enquête. L’intrigue est de ce fait une construction
effectuée par le chercheur sur la base des données provenant du récit réduit, de
l’analyse globale et locale de la portion du cours d’action, délimité par le temps de
l’enquête. Elle vise à réunir dans un tout signifiant des éléments hétérogènes, notamment les
données extrinsèques et intrinsèques.
Ceci a eu des répercussions importantes dans la construction de la modélisation des enquêtes
et des interprétations à l’intérieur de celles-ci : les interprétations des situations ne pouvaient
plus être déconnectées du restant du cours d’action dans lequel elles trouvent une signification
intelligible. De ce point de vue, la construction de l’interprétation prend un caractère holiste,
dans la mesure où les autres types d’uea ont été mobilisés par le chercheur pour fournir une
intelligibilité de cette construction (les émotions, les actions, les déterminations, participent
directement à l’activité interprétative). Cette activité n’apparaît pas alors comme une activité
Deuxième chapitre
144
uniquement intellectuelle ou contemplative. De ce fait, il est devenu possible à la fois de
coder des uea qui sont spécifiquement interprétatives, mais de repérer aussi des
interprétations en relation avec des uea qui ne sont pas spécifiquement interprétatives,
dans les modélisations de l’expérience interprétative.
Cette intrigue a été construite à partir de plusieurs éléments : 1/ un récit réduit de l’activité
dans l’enquête et sa mise en relation avec les données extrinsèques; 2/ l’analyse globale de la
portion du cours d’action, qui permet une modélisation de l’objet de l’enquête ; 3/ la
modélisation de l’expérience interprétative et d’apprentissage dans l’enquête.
2.4 Dynamique de l’apprentissage interprétatif dans les enquêtes La fin du processus de construction des données, se termine par la production d’une
modélisation des processus interprétatifs et d’apprentissages interprétatifs. Pour ce faire, nous
avons sélectionnés les uea essentielles le processus d’apprentissage. Nous avons retenus trois
éléments de la modélisation de l’expérience interprétative: les indices de l’interprétation,
l’interprétation occurrente, et le type mobilisé. Nous avons rapportés les processus
interprétatifs et d’apprentissages dans l’enchaînement des uea de la dynamique.
Chaque analyse de chacune des enquêtes se termine par la présentation de cette dynamique.
2.5 Détermination des états des interprétations La détermination des différents états d’interprétation repérés dans l’étude des UE
interprétatives est la première étape de ce triple traitement (états, processus, procès).Elle vise
à comprendre les opérations menées par l’acteur dans l’expérience d’interprétation des
situations vécues. Cette détermination est une opération particulière dans le processus de
recherche. L’établissement des états des interprétations est à la fois un résultat, mais aussi une
opération méthodologique. La caractérisation des états en tant que premiers résultats a permis
de construire ensuite le codage des interprétations utilisé dans l’analyse de l’expérience dans
chacune des enquêtes. C’est pour cette raison que nous présenterons les résultats concernant
les états des interprétations dans la partie méthodologique et non pas dans la partie résultat : la
compréhension des états nous apparaissant nécessaire pour comprendre le codage utilisé dans
les analyses locales des uea.
Par ailleurs, il nous est apparu que les états émergeaient dans certaines conditions. Nous
présenterons donc parallèlement à la détermination des états, leurs conditions d’occurrence.
Deuxième chapitre
145
3. Construction du codage des états des interprétat ions et délimitation du corpus
Comme expliqué dans la partie sur l’évolution méthodologique, il nous fallait pour déterminer
les processus et procès interprétatifs et leurs apprentissages définir les différents états des
interprétations. Ceci a été le premier pas de la construction de données. A partir de cette
première description, il nous a été possible de coder les interprétations en fonction de leurs
états, mais aussi de suivre l’évolution des interprétations afin d’en saisir ensuite les procès de
transformation et d’apprentissage interprétatif associé. Les états des interprétations ont été
décrits à partir de la formalisation des UE interprétatives dans les différentes enquêtes
analysées en signes hexadiques et en cours d’action.
Il s’agit donc d’une présentation à la fois de résultats, et d’évolution de la méthodologie,
montrant ainsi le travail itératif de recherche qui a été effectué.
Les différents états sont présentés ici, des plus sommaires au plus élaborés.
3.1 Premier état : Repérage par l’acteur d’indices d’une situation encore indéterminée
L’interprétation de la situation ne se présente pas obligatoirement sous les traits d’une
situation déterminée. L’acteur n’est pas toujours en mesure de dire ce que la situation est pour
lui, quel sens elle prend pour lui relativement à l’objet de l’action en cours. Quelques fois
l’acteur remarque simplement un certain nombre d’éléments de l’environnement comme étant
significatifs de l’état d’une situation qui reste à déterminer. En d’autres termes, ces éléments
sont autant d’indices d’une situation relativement indéterminée.
La question qui se pose alors est de savoir quelles sont les conditions d’occurrence du
repérage des ces indices. Nous verrons que celui-ci advient par une relation de convergence
ou de divergence avec les actualités potentielles. Cependant les données, ont conduit à
distinguer dans celles-ci deux sortes d’actualité : les espérances et les attentes. Nous verrons
comment le simple repérage d’indices a - en fonction de la catégorie d’actualité et de la
relation de convergence ou au contraire de divergence - des effets différents sur les processus
interprétatifs et d’apprentissage interprétatif.
3.1.1 Un exemple de cet état L’état le plus sommaire des interprétations que nous avons pu analyser est un simple
repérage d’un ou de plusieurs indices d’une situation relativement indéterminée. Nous
pouvons trouver un exemple de cet état dans l’ue 27 de la quatrième enquête. Alain a
demandé à des élèves de ramer pour rejoindre le groupe. Il constate que les élèves ne rament
Deuxième chapitre
146
pas beaucoup. Implicitement Alain juge que leur vitesse est insuffisante par rapport à ce qu’il
espérait. Mais il n’y a pas pour autant de détermination explicite de la situation.
L’interprétation reste simplement à l’état de la perception d’un indice d’une situation ici
insatisfaisante. Quelquefois l’acteur repère plusieurs indices sans détermination de la situation
(nous verrons des exemples plus loin).
3.1.2 Les caractéristiques de cet état L’interprétation est ici à l’état d’un simple repérage d’indice(s). L’acteur repère un ou
plusieurs indices sans pour autant déterminer la situation associée. Cette relation est établie
par une relation de conformité ou de non-conformité à ses actualités potentielles (les
anticipations que produit l’acteur relatives à l’évolution de la situation). Dans l’exemple
donné ici, Alain espérait que les élèves allaient ramer assez fort pour se regrouper rapidement.
Cependant les élèves en ne ramant pas beaucoup, ne vont pas très vite. Nous pouvons penser
que l’acteur produit une inférence selon laquelle il doute que la situation évolue
favorablement, car le regroupement risque de prendre plus de temps que prévu. Mais cette
inférence n’est pas explicite. Elle est en fait tout entière contenue dans la perception de
l’indice d’évolution défavorable de la situation sans pour autant qu’il y ait de
détermination explicite de la situation.
Dans l’exemple donné ici, le sens de l’indice parait relativement évident pour l’acteur. Au
point qu’il n’a probablement pas besoin de déterminer explicitement la situation. Mais cela
n’est pas toujours le cas. Dans un exemple que nous donnons plus loin (eu 64 de la troisième
enquête), l’acteur ne fait que repérer des indices parce que la détermination de la situation est
pour lui hors de portée.
Nous voyons donc apparaître au moins deux cas de ce premier état. L’acteur se contente de
l’indice comme interprétation d’une situation qu’il ne cherche pas à déterminer davantage, ou
il est le signe d’une situation que l’acteur n’arrive pas à déterminer. Ces deux cas sont au
moins deux raisons de la limitation de l’interprétation à un simple repérage d’indices.
Remarquons seulement pour le moment, l’existence de cet état et voyons les raisons de la
survenue de ce repérage d’indices : quelles sont les conditions d’occurrence de cet état ?
Deuxième chapitre
147
3.1.3 Les conditions d’occurrence Comme nous l’avons déjà remarqué, le repérage d’indices s’effectue par relation de
convergence ou de divergence par rapport aux actualités potentielles. Mais cette relation
s’établit elle-même sur fond des engagements du moment.
Dans notre exemple, c’est parce que l’engagement d’Alain est de regrouper rapidement ses
élèves, qu’il espère et qu’il s’attend à ce que les élèves avancent relativement vite en ramant,
et qu’il constate que les élèves ne rament pas beaucoup.
Ce repérage est produit par le constat de l’occurrence d’un élément de l’environnement par
rapport aux actualités potentielles. Cet élément devient alors un indice significatif de l’état de
la situation, même si l’acteur ne la détermine pas.
Ce repérage est produit par rapport à deux sortes d’actualités potentielles, les souhaits (ou
espérances) et les attentes. Par exemple, dans le cas des trois enquêtes de Benoît lors de sa
première séance en entreprise, les actualités potentielles sont bien souvent davantage de
l’ordre des souhaits ( 29 codages) que des attentes (14 codages ).
Nous définissons les souhaits (ou espérances) comme la survenue espérée d’un certain état de
la situation ( « ce que j’aimerais qu’il se passe » ). Les attentes sont par contre une
anticipation de la survenue d’un certain état de la situation ( « ce que je pense qu’il va se
passer » ).
Le souhait ou non de voir survenir certaines occurrences dans la situation dépend des
espérances que l’acteur met dans l’évolution de la situation. Ceci s’avère indépendant de ses
attentes. Ainsi un acteur peut ne pas souhaiter une situation et s’attendre pourtant à ce qu’elle
advienne; tandis qu’il peut souhaiter et s’attendre à ce qu’elle advienne et inversement. Ce qui
nous donne 4 cas possibles.
Espérance de l’évolution de la situation
Situation Souhaitée Non souhaitée
Attendue Situation souhaitée et attendue
Situation non souhaitée et attendue
Connaissance habituelle de ce type de situation Inattendue Situation souhaitée et
inattendue Situation non souhaitée
et inattendue
Dans nos données nous avons trouvé les 4 cas prouvant ainsi l’indépendance des attentes et
des espérances. Un exemple de chacun des quatre cas sera présenté et analysé plus loin.
Deuxième chapitre
148
3.1.3.1 Structure des espérances/attentes et expérience de l’acteur Par ailleurs, cette distinction permet de repérer l’inexpérience éventuelle de l’acteur vis à vis
de la situation occurrente. L’acteur a toujours des souhaits vis à vis de l’évolution de la
situation, mais pas toujours des attentes très claires. Par exemple, à de nombreux moments,
Benoît dans sa première séance souhaite l’évolution de la situation, plutôt qu’il ne s’attend
réellement à celle-ci. Il est très souvent en difficulté pour prédire son évolution probable. Par
exemple cette difficulté, maintes fois rencontrée, est caractéristique dans le UE 46, (troisième
enquête) ; Benoît n’arrive pas à pronostiquer si les élèves vont pouvoir rejoindre le parcours
dans le temps restant, mais il espère pourtant qu’ils vont bien réussir à le faire. Ceci nous a
amené à coder les actualités potentielles la plupart du temps, non pas en terme d’attentes
(s’attend à ce que…), mais en terme d’espérance (espère que…), ce qui nous semblait plus
juste relativement à l’activité anticipatoire déployée par Benoît dans cette séance.
Les attentes apparaissent donc liées à la connaissance habituelle du type de situation, dont
la situation occurrente est un exemplaire. Les espérances sont en définitive la traduction
anticipatoire de l’engagement.
Dans l’exemple donné ci dessus, c’est parce que l’engagement de Benoît vise à réussir la mise
en place de ce qu’il avait prévu, pour paraître brillant aux yeux du tuteur, qu’il essaie de faire
remonter les élèves rapidement sur son parcours. Se faisant, il espère que les élèves vont
remonter à temps pour qu’il puisse lancer son exercice dans les temps. Mais il ne sait pas
vraiment à quoi s’attendre par rapport au temps que mettront les élèves à rejoindre le
parcours.
Ces difficultés à prédire l’évolution probable de la situation et donc à avoir des attentes claires
de l’évolution probable de la situation, créent une tension émotionnelle d’angoisse. Celle-ci
est due à l’incertitude de l’évolution de la situation. Cette tension émotionnelle peut aller
jusqu’à un sentiment proche de la panique. Il s’ensuit la création d’une dynamique
émotionnelle provoquée par les difficultés d’anticipations qui influent en retour sur le
processus d’interprétation de la situation.
Par exemple dans l’eu 60, de la troisième enquête, alors que Benoît tente de regrouper sa
flotte, il constate la dispersion de celle-ci et sa position loin sous le vent (ce qui implique une
difficulté supplémentaire pour les élèves à rejoindre le point de rendez-vous, puisqu’ils
doivent louvoyer contre le vent). Il espère que les retardataires vont pouvoir rejoindre
rapidement le point de rendez-vous, mais sans en être sûr. Cette incertitude provoque un
Deuxième chapitre
149
sentiment d’énervement et de début de panique, augmenté par la chute du vent qui
accentue encore l’incertitude sur l’évolution de la situation. Cette panique devant l’incertitude
de la situation l’amène à ne plus pouvoir réfléchir à la situation (exemple, ue 70 de l’enquête
3).
Nous assistons là à une dynamique interprétativo-émotionnelle, qui lie dans une boucle de
renforcement accru , les difficultés à avoir des attentes sur la situation, celles à interpréter la
situation, et les émotions de panique.
Nous aurons l’occasion de revenir sur les effets de cette dynamique interprétativo-
émotionnelle. Pour le moment contentons-nous de pointer cet effet de boucles émotionnelles
et déficit d’attentes.
3.1.3.2 Les repérages d’indices sont réalisés par relation de convergences / divergences par rapport aux espérances : les effets sur les processus interprétatifs
Dans le cas des repérages d’indices relativement aux espérances, les interprétations associées
à cet état (quand elles existent) sont des jugements de conformité ou de non-conformité aux
espérances. Elles sont alors uniquement des jugements de valeur faisant état du
fonctionnement adéquat de la situation (l’acteur juge que ça marche, ou ça ne marche pas).
Par exemple, dans l’ue 1 de enquête 4, Alain repère un faisceau d’indices divergent de ses
espérances. Il espère mettre en place quelque chose qui permette l’engagement des élèves.
Mais il constate que le vent tombe, que les élèves se mettent à ramer. L’interprétation
occurrente est alors « c’est mal parti pour faire quelque chose de bien ».
Les interprétations solidaires d’un simple repérage d’indices ne sont pas réellement des
déterminations de la situation, mais révèlent simplement la prise en compte du faisceau
d’indices. Dans le cas du repérage de convergences / divergences par rapport aux espérances
l’interprétation occurrente prend alors une forme très laconique présentant essentiellement un
jugement de concordance ou de divergence relative aux espérances.
Remarquons que dans l’exemple donné ci-dessus, ce repérage d’indices divergents des
espérances, débouche sur un pronostic négatif de l’évolution de la situation. Ce pronostic fait
émerger une ouverture d’enquête visant à éviter la survenue de cette situation non souhaitée,
mais à laquelle il s’attend maintenant. Les convergences / divergences par rapport aux
Deuxième chapitre
150
espérances ont donc un effet, ou plus précisément sont solidaires, du processus d’enquête,
c’est à dire des processus interprétatifs.
L’enquête se présente donc comme une activité visant à éviter la survenue d’une situation non
souhaitée.
3.1.3.3 Les repérages d’indices sont réalisés aussi par relation de convergences / divergences par rapport aux attentes : les effets sur l’apprentissage interprétatif
Dans le repérage de divergence aux attentes, l’interprétation prend la forme d’une surprise. Le
repérage de convergences et surtout de divergences par rapport aux attentes, ont un effet sur
les processus d’apprentissage interprétatif.
Les attentes sont une anticipation de ce qui va advenir de la situation. Elles sont basées sur les
habitudes d’interprétation. Quand certains indices sont divergents des attentes, il y a
l’apparition d’un doute sur les types mobilisés alors. Par exemple, dans l’ue 7 de la 5ème
enquête, Alain fait redescendre les élèves vers les coureurs au vent arrière vers un point de
rendez vous. Il perçoit la contre gîte très importante d’un bateau. Or il mobilise en même
temps un type de l’ordre de : Une contre gîte trop importante est néfaste pour la vitesse du
bateau. Il s’attend à ce que le bateau n’avance pas très vite. Mais il constate dans le même
temps que le bateau avance vite, bien que le liston au vent du bateau soit dans l’eau. Alain est
surpris par cet événement qu’il trouve pourtant conforme à ce qui est souhaitable bien
sûr, mais auquel il ne s’attendait pas. Cette surprise, l’amène à avoir des doutes sur la
validité de ce type ( Adèle a une super contre gîte, mais je me demande si elle n’est peut-être
trop importante, cependant son bateau avance bien). Nous voyons apparaître un
questionnement qui montre la limite des types mobilisés dans l’interprétation de l’action du
coureur.
Le repérage d’un indice divergent des attentes (avec cette gîte le bateau ne devrait pas
avancer aussi vite), amène une potentialité d’apprentissage, car il peut permettre la remise en
cause, voire l’évolution du type.
Ce cas illustre le repérage d’une situation souhaitée mais inattendue.
A l’inverse, lorsque l’acteur repère des indices convergents vers les attentes, ce repérage est
solidaire d’une confirmation du type.
Deuxième chapitre
151
3.1.4 Relation entre le « repérage d’indices » et la structure souhaits / attentes
3.1.4.1 Repérage d’indices divergents des espérances, mais convergents vers les attentes
L’ue 3 de la première enquête est un exemple de cet état d’interprétation. Alain et Benoît
interviennent sur les élèves. Mais Benoît s’attend à ce que les consignes d’Alain ne soient pas
comprises et ne retiennent pas l’attention des élèves, car trop compliquées et langagières de
son point de vue, pour les élèves. Le rire des élèves est pris alors comme un indice du
désengagement des élèves. Il est alors un indice de la situation attendue (l’incompréhension
et le désinvestissement rapide des explications langagières et donc insuffisamment imagées de
la notion à faire acquérir). Le rire est perçu sur le fond d’autres indices de cette situation
attendue : les explications de l’autre apprenti en général et le terme de « Marins » utilisé par
Alain juste avant (Benoît considère que les élèves ne sont pas des marins, et que le
vocabulaire n’est pas adapté à leur niveau). Le rire des élèves qui survient à ce moment vient
confirmer ce que pense Benoît de façon générale des explications discursives avec les élèves
(cf type de l’ue 4 : « Les élèves ne peuvent pas se mettre en situation avec des mots, il faut
qu’ils puissent le voir et vivre la chose ».
Le rire des élèves apparaît alors comme un indice d’une situation attendue comme
ennuyeuse et peu compréhensible par les élèves (Les élèves sont de plus en plus embrouillés
et comprennent de moins en moins parce que l’explication n’est pas assez imagée,
interprétation de l’ue 4), sur le fond des autres indices de la situation précédemment
repérés et des interprétations occurrentes. Parallèlement Benoît ne souhaite pas la
survenue de cette situation. Il établit un pronostic négatif de l’évolution de la situation, par la
mobilisation du type de l’ordre de : si les notions ne sont pas claires à terre, les élèves ne
pourront pas faire appel à ces notions sur l’eau.
Cette divergence par rapport aux espérances qui se traduit dans le pronostic négatif de
l’évolution de la séance va amener Benoît à intervenir pour éviter la survenue de la situation
non espérée, mais à laquelle il s’attend maintenant. Ceci marque l’ouverture de l’enquête
visant à faire évoluer la séance. Il entreprend alors d’intervenir sur les élèves, mais pour
influencer le comportement d’Alain. En se substituant au vent, il tente de leur faire
comprendre concrètement la notion d’au-vent par sa position par rapport à eux. Benoît
intervient en se plaçant physiquement et de façon ostentatoire sur le coté au-vent du groupe
d’élèves et leur demande sur qui il souffle en premier, quand il souffle sur eux. En
reproduisant une situation concrète, Benoît entre en accord avec un type que l’on pourrait
formuler de façon discursive ainsi : une notion est plus facilement comprise par les élèves,
Deuxième chapitre
152
quand elle est imagée et quand ils sont dans une activité la plus concrète possible, sans rendre
l’activité trop longue ou intellectuelle45.
Le repérage de divergence par rapport aux espérances, mais de convergences par rapport aux
attentes, amène une ouverture de l’enquête. Celle-ci est faite d’une détermination de l’action
et de la situation. Dans cette configuration l’acteur possède des moyens opératoires et
interprétatifs lui permettant respectivement de viser la réduction de divergence par rapport
aux espérances et de déterminer la situation.
3.1.4.2 Repérage d’indices convergents aux espérances et aux attentes Reprenons la suite de l’exemple précédent. Alain reprend alors la stratégie de Benoît et
reproduit le même exemple. Benoît constate alors que « les élèves rient, mais plus à propos
d’autre chose », et que « les élèves tournent leur regard vers l’enseignant ». Il en conclut
qu’il n’est pas nécessaire de continuer son action. Implicitement cela signifie que Benoît
considère qu’elle a réussi, sans qu’il caractérise explicitement en quoi l’action a réussi à faire
évoluer la situation vers une situation espérée. Benoît décide alors de se désengager de la
séance pour laisser Alain intervenir. La convergence vers les espérances amène ici à une
clôture de l’enquête.
Ainsi le repérage de divergences par rapport aux souhaits amène une ouverture, et parfois une
relance de l’enquête, tandis que le contraire amène une fermeture de l’enquête. Associé à un
repérage de convergence aux attentes, cette enquête se déroule avec une forte détermination
de l’action et de la situation. L’incertitude pour l’acteur est alors faible, et la résonance
émotionnelle faible.
Une autre donnée apparaît cependant à l’étude de cet exemple. Le même indice (le rire des
élèves) prend en moins d’une minute un sens diamétralement opposé. Comment cela est-il
possible ?
45 cette formulation est bien sur celle du chercheur. Elle est une synthèse résumant la conception de Benoît repérée à travers les multiples formulations du type essentiel mobilisé dans cette enquête.
Deuxième chapitre
153
3.1.4.3 Repérage d’un faisceau d’indices Au début de l’enquête, le rire des élèves est pris comme le signe d’un désengagement des
élèves, alors qu’à la fin de celle-ci il est considéré au contraire comme celui d’un engagement
positif. Comment ce retournement de sens d’un même indice est-il possible ?
Au début de l’enquête comme à la fin de celle-ci, le rire des élèves et l’interprétation associée
à ce repérage est produite par la mise en relation de co-occurrence avec un faisceau d’indices,
et non pas d’un seul indice comme c’est parfois le cas. Comment la structuration de ce
faisceau est-elle construite ?
Les indices pris en compte au début de l’enquête sont essentiellement les explications
d’Alain, le terme de marin, le regard des élèves dirigé entre eux. A la fin de l’enquête ce sont
les actions d’Alain, les réponses des élèves, leur participation, le regard des élèves orienté
vers l’enseignant, et le fait qu’ils ne se parlent plus entre eux. Dans chacun de ces deux cas,
l’indice essentiel est le rire des élèves. Mais le fait qu’il soit mis en relation avec un faisceau
d’indices tout à fait différent, fait advenir un autre sens à la situation.
Il faudrait pourtant se garder d’une conception objectiviste de cette mise en faisceau des
indices, comme si le repérage des indices pouvait se faire en dehors de la perspective
particulière d’un acteur engagé. C’est bien parce que Benoît s’attend à ce que les élèves ne
s’engagent pas au début de l’enquête qu’il remarque des indices allant dans ce sens de
l’interprétation. Comme le montre l’ue1 de l’enquête 1, Benoît doute dès le départ de la
pertinence de l’action engagée par la mobilisation du type (« Il serait plus facile et pertinent
de vivre directement la notion plutôt que de l’expliquer par des mots »). Cette mobilisation est
solidaire d’une interprétation occurrente de l’ordre de : la situation a beaucoup de chance
d’échouer. Ce qui amène Benoît à mobiliser un processus de surveillance orienté de
l’évolution de la situation (« va falloir faire gaffe » ). Au contraire après l’intervention de
Benoît, celui-ci s’attend à ce que les élèves s’engagent dans l’écoute et la compréhension de
ce que dit l’enseignant. Les autres indices de la situation occurrente (ils ne se parlent plus
entre eux, ils regardent l’enseignant), donne un autre sens à l’indice isolé (le rire des élèves).
C’est donc ce faisceau d’indices qui fait signe, qui est un représentamen, et non pas
l’élément isolé, même s’il est sans doute à ce moment le plus saillant. Ainsi le même
indice peut entrer dans des formes signifiantes différentes et se trouver configuré de manière
totalement différente.
Deuxième chapitre
154
En d’autres termes, le représentamen apparaît comme le résultat d’une mise en configuration
d’éléments repérés comme autant d’indices de l’état d’une situation. C’est une structuration
de différents indices. Cette structuration donne lieu à interprétation en fonction des
espérances, des attentes, des types mobilisés ; bref de l’objet de l’action en cours. Cette
interprétation, dont l’état est très variable, est la forme significative donnée à la situation par
l’acteur, sur la base du repérage d’un faisceau d’indices significatifs.
3.1.4.4 Le repérage d’indices divergents des espérances et des attentes L’ue 64 de la troisième enquête est un exemple de cet état d’interprétation. Benoît tente de
regrouper les élèves afin de pouvoir lancer un exercice. L’enquête vise à faire remonter contre
le vent les élèves sur le parcours. Certains élèves sont remontés sur le parcours, d’autres ont
du mal à remonter. Alors que Benoît est reparti aider ceux qui sont le plus en retard, contre
toute attente les premiers redescendent sous le vent en direction des retardataires, réduisant
ainsi à néant les quelques résultats de regroupement réalisés par Benoît. Il constate d’autre
part, que les élèves sont encore très dispersés et loin sous le vent du point de rassemblement.
Devant les constats de divergence entre ses espérances et les éléments repérés de la situation,
Benoît établit donc l’interprétation de la situation suivante : « ça commence à mal partir !».
Ce constat n’est, là aussi, pas réellement une détermination de la situation mais simplement la
perception directe d’indices divergents avec ses espérances.
Dans le même temps la divergence par rapport aux attentes (il s’attendait à ce que les élèves
restent sur le parcours), l’amène à se poser la question de savoir pourquoi les élèves ont eu ce
comportement, sans pouvoir trouver de réponse pour le moment.
Extrait de l’autoconfrontation :
Parce que je sais très bien qui... soit ils ont été rejoindre la fille ou soit ils ont fait n'importe quoi quoi.
Mais euh... tu vois en fait... bon je sais même pas... je sais pas ce qui s'est passé dans leurs têtes euh... à
ce moment là quoi. Peux pas... je peux pas répondre quoi.
L’impossibilité déclarée à comprendre l’activité cognitive des élèves est la conclusion du
procès d’interprétation. Elle ouvre une possibilité d’apprentissage interprétatif. Si Benoît
continue à chercher, et est aidé, il peut trouver une nouvelle interprétation de la situation en
comprenant les raisons du fonctionnement des élèves. Son interrogation est une question
implicite qui donne la possibilité d’une activité interprétative. C’est d’ailleurs ce qui se
passera plus tard, Benoît donnera un sens global à l’ensemble des indices de la situation, ce
qui entraînera la création d’un nouveau type. Cette donnée sera étudiée de façon approfondie
dans la présentation des dynamiques interprétatives et d’apprentissage.
Deuxième chapitre
155
Pour le moment contentons-nous d’observer que le constat d’une divergence par rapport aux
attentes amène une ouverture à l’apprentissage, celui-ci étant alors au départ potentiel. Cette
potentialité est en lien avec le repérage d’une divergence par rapport aux souhaits sur la
situation.
2ème état : Détermination explicite d’une situation
Un deuxième état a pu être catégorisé : la détermination explicite d’une situation.
Par exemple dans ue 48 de la troisième enquête, Benoît déduit du placement des bateaux sous
le vent, de la vitesse de déplacement de ceux-ci, le temps qui passe et du peu de temps qui
reste, que les élèves n’ont pas toutes les compétences pour rejoindre le parcours.
3.1.5 Les caractéristiques de cet état L’acteur dit autre chose de la situation, que le simple constat du repérage d’un ou plusieurs
indices. Il s’agit d’une donation de sens global aux indices d’une situation. L’interprétation
dépasse le seul repérage d’indice de convergence vis-à-vis des souhaits, bien qu’elle les
intègre. De ce fait la caractérisation de la situation peut être perçue comme convergente ou
divergente par rapport aux espérances et être basée sur un indice, ou à partir d’un faisceau.
3.1.6 Les conditions d’occurrences Ces déterminations explicites résultent de la mise en relation directe des espérances sur
l’évolution de la situation, avec les indices. Dans l’exemple donné ci-dessus, c’est parce que
Benoît tente de mettre en place l’exercice prévu rapidement, qu’il repère les indices lui
montrant les difficultés de la mise en œuvre. Il y a une focalisation sur certains indices de la
situation au détriment d’autres. Par exemple Benoît n’envisage pas à ce moment que la
faiblesse du vent puisse être un handicap sérieux. Seuls les éléments relatifs à la vitesse des
bateaux, leur éloignement sous le vent et le temps sont pris en compte.
Tout se passe comme si l’interprétation dans cet état, influence le repérage des indices.
Comme si la solution à la détermination de la situation intervenait non pas comme la
conclusion du processus de collecte d’information, mais au contraire de façon solidaire : le
repérage des indices et l’interprétation étant construits de pair, dans une influence réciproque.
D’autre part, les déterminations explicites intègrent le repérage d’indices, y compris sous
forme de faisceau. Par exemple dans l’ue 19 de l’enquête 2 , Benoît interprète la situation
comme limitée à cause du manque de vent, le manque de vent est un indice de cette
Deuxième chapitre
156
limitation. Pour comprendre cette interprétation il est nécessaire de la mettre en perspective
par rapport à l’engagement du moment visant à avoir quelque chose à dire pour apparaître
compétent aux yeux du tuteur. Le manque de vent en ne permettant pas de réaliser ce qui était
prévu et ne permettant pas à Benoît d’intervenir sur des difficultés techniques des élèves fait
apparaître la situation comme limitée, relativement au préoccupations d’ostension de
compétence.
Dans le même temps, ce manque de vent ne fait signe que relativement à d’autres indices
(la position correcte des élèves et le réglage des voiles). En effet, Benoît intervient sur un
bateau (UE 17 et 18), qui est à peu près bien réglé. Benoît ne sait pas quoi dire, car il ne
trouve pas de problème technique qui lui permettrait d’intervenir, conformément à son
engagement. D’autre part, il s’attend à ce que les élèves aient un problème simple à régler, ce
qui ne s’avère pas le cas. Le manque de vent devient l’élément saillant de ce faisceau, qui ne
lui permettant pas d’intervenir, ne lui permet pas de se montrer compétent aux yeux du tuteur
en « remplissant l’espace de parole ».
Il n’y a pas dans ce cas recours à une habitude interprétative (ou à une théorie) pour
déterminer cette interprétation. Ainsi l’indice du manque de vent (sur fond de mise en relation
implicite d’autres indices) a permis une interprétation immédiate de la situation, c’est à dire
sans la médiation de connaissances supplémentaires, mais par simplement par la mise en lien
de l’engagement des actualités potentielles, et des indices de la situation. Cette détermination
explicite par la convocation des éléments de la situation, intègre une mise en relation implicite
de différents indices de la situation qui font ainsi signe relativement les uns par rapport
aux autres et ce tout, relativement à l’engagement et à l’actualité potentielle.
De ce point de vue, les déterminations explicites de situation intègrent donc l’état de repérage
des faisceaux d’indices.
3.2 3ème état : Détermination explicite d’une situation, as sociée à une détermination des « raisons » de la survenue de la situation
Cet état de l’interprétation peut être illustré à travers le cas de l’ue 22 de l’enquête 2. Benoît
intervient auprès d’élèves qui ne sont pas dans la direction demandée (s.17 ; s.18). Le vent est
déjà très faible à ce moment de la séance. Son engagement vise à trouver quelque chose à
dire, pour remplir l’espace de parole afin de montrer au tuteur qu’il est compétent. L’élève dit
Deuxième chapitre
157
« on est pas face au vent là ! ». Benoît en déduit que les élèves lui demandent de l’aide pour
faire avancer leur bateau.
3.2.1 Les caractéristiques de cet état Nous avons ici une détermination de la situation, mais celle-ci est complétée d’une hypothèse
sur les raisons de la survenue de celle-ci. En effet il ajoute « si elle savait qu’elle n’était pas
face au vent, elle continuerait à avancer, et que comme elle n’était pas face au vent, elle ne
savait plus quoi dire [et quoi faire pour faire avancer le bateau ]». Les indices sont mis en
relation à travers cette hypothèse explicative.
3.2.2 Les conditions d’occurrence Les hypothèses explicatives sont solidaires de l’engagement de l’acteur.
Benoît infère de la phrase « on est pas face au vent », que l’élève ne comprend pas ce qui se
passe et demande de l’aide. Cette demande d’aide est une conclusion assez compréhensible,
compte tenu de l’engagement de Benoît dans la situation (remplir l’espace de parole, donner
des conseils techniques). Cette hypothèse est formée sur fond des autres éléments de la
situation (le bateau qui n’avance pas, la direction de celui-ci, le vent faible…),.
Les hypothèses explicatives sur les raisons de la survenue de la situation ne sont jamais
déconnectées de l’engagement de l’acteur. Nous avons régulièrement retrouvé ce phénomène
dans le reste du corpus.
L’engagement dans la situation en orientant l’attention sur certains indices, détermine une
sélection de ceux-ci. Ces éléments deviennent alors autant d’indices permettant de déterminer
les raisons de la survenue de la situation. Par un choc en retour, cette détermination amène
une focalisation sur les indices permettant de corroborer l’hypothèse.
Par exemple, Benoît n’entend pas les remarques des élèves qui trouvent qu’il est normal
qu’ils n’avancent pas (probablement parce qu’ils pensent que le vent est trop faible pour cela)
et poursuit sur son interprétation de la situation, relative à une demande d’aide qui conforte le
rôle qu’il s’assigne.
Deuxième chapitre
158
L’horizon de l’enquête évolue constamment au fil de l’évolution de celle-ci, mais ne s’élargit
pas pour autant constamment. Au contraire, à certains moments de l’enquête, le nombre des
indices repérés par l’acteur diminue pour se focaliser sur une faible partie des éléments de
l’environnement, comme autant d’indices d’une situation relativement prédéterminée. De ce
point de vue, il existe aussi une ouverture / fermeture du champ de l’enquête au cours de
celle-ci.
3.3 4ème état : détermination de la situation par l’utilisa tion d’un Type énoncé
Cet état d’interprétation peut être illustré à partir de l’exemple donné à l’eu 60 de l’enquête 3.
Benoît tente de mettre en place son exercice dans le délai le plus court possible. Certains
élèves sont arrivés sur le parcours. Il tente de se libérer de ces élèves pour s’occuper des
autres. Pour cela, il redonne des consignes aux bateaux qui arrivent sur le parcours (UE 57), et
rejoint les élèves qui sont prêts pour démarrer (s ; 58), puis tente de démarrer son exercice
(s ;59). Mais quelque chose l’empêche de le faire. Il pense qu’il ne peut pas lancer son
exercice si tous les élèves ne sont pas là. Lors de l’autoconfrontation Benoît explique, qu’il
sait comment ça se passe dans ce genre de situation, il précise alors le type qu’il a utilisé, et
qu’il est capable de formuler explicitement : Quand certains élèves sont en retard, ils peuvent
paniquer en constatant que les autres font un exercice. Certains commenceront à crier et
ensuite ça deviendra le désordre.
Extrait autoconfrontation
C : tu pouvais pas recommencer avec les premiers en fait
B : ben non ! non ! je veux pas parce que je sais comment çà se passe quoi. Quand y en a qui
sont à la bourre, après y en a qui paniquent y disent : "putain les autres y font un autre truc".
Puis y en a y commencent à gueuler,
C : hum... hum...
B : et puis après çà devient le bordel quoi.
3.3.1 Les caractéristiques de cet état Un type formulé de façon discursive est mobilisé de façon co-occurrente à l’interprétation de
la situation.
Le type est formulé de façon générale et indépendamment du contexte d’utilisation.
Contrairement à l’état précédent, les raisons de la survenue de la situation sont formulées de
Deuxième chapitre
159
façon générique à cette classe de situation (les élèves sont trop dispersées pour pouvoir lancer
l’exercice).
Il fait état d’attentes explicites (sous forme de deux craintes ici, la première est celle de voir
les élèves avoir peur, et la deuxième est celle d’une contestation de l’enseignant). Ces
attentes formulées de façon générique, procèdent d’anticipations crées soit par
l’expérience, soit à partir de connaissances théoriques. Les types sont formulés pour une
classe de situation et non plus pour la seule situation occurrente (exemple : Benoît
s’attend à ce que ça soit le désordre s’il lance son exercice, dans ces conditions habituelles de
dispersion). Certes ces caractéristiques sont génériques à l’ensemble des types, mais dans cet
état, la formulation le fait passer du plan non symbolique au plan symbolique.
Dans cet état d’interprétation, le singulier et le général sont étroitement liés. Ils permettent
l’interprétation d’une situation singulière comme appartenant à une classe de situation plus
générale. L’interprétation est associée à une anticipation de l’évolution de la situation sur la
base de la convocation explicite d’un type.
3.3.2 Les conditions d’occurrence
3.3.2.1 Le type comme expérience d’une situation vécue Les indices sont repérés par une relation de divergence par rapport aux espérances (l’acteur
aurait souhaité que ces élèves sont regroupés). Mais le type influence les espérances. C’est
parce que l’acteur sait que la situation est plus facile à lancer et à contrôler quand les élèves
sont groupés qu’il a ces espérances.
Dans le même temps, l’actualisation d’un type permet l’interprétation. Tenté de lancer son
exercice, Benoît se retient de le faire car il se rappelle probablement une situation similaire
qui s’est dégradée. L’expérience qu’il en a gardée est contenue dans l’expression du type.
Celui-ci permet la mise en lien des indices, pour former l’interprétation occurrente (les élèves
sont trop écartés et n’avancent pas assez vite pour pouvoir lancer l’exercice). Le type permet
de repérer et d’interpréter les indices (les bateaux en retard sous le vent ; l’écartement de la
flotte), comme un exemple d’une situation typique.
3.3.2.2 Le type peut changer l’interprétation occurrente Cet état d’interprétation intègre des états d’interprétation moins développés (comme le simple
repérage d’indices, ou des déterminations explicites de situation), mais l’énonciation du type
en change quelque fois l’interprétation. Par exemple dans l’UE 56 de l’enquête 3, l’acteur
Deuxième chapitre
160
pense « qu’il sera difficile de mettre en place son exercice car les élèves n’avancent pas assez
vite pour faire des virements ». Cependant cette interprétation est une transformation radicale
des interprétations précédentes (les élèves ont des difficultés pour remonter au vent ; eu 48),
tout en utilisant les mêmes indices (notamment la faible vitesse des bateaux). La convocation
du type ( le virement est difficile quand le vent est faible ; ue56) introduit donc une nouvelle
interprétation des mêmes éléments de représentamens.
De ce point de vue les types usuels convoqués dans l’interprétation de la situation ont une
fonction d’interprétant des faisceaux d’indices. Ils peuvent en changer le sens, intégrer
d’autres interprétations, les transformer, et faire évoluer les états des interprétations. Mais par
définition, ils ne sont pas toujours présents de façon explicite. Ils sont déterminés par le
chercheur par inférence, ou par leur énonciation par l’acteur.
3.3.2.3 Les types peuvent provenir d’une utilisation de connaissances théoriques L’utilisation explicite de connaissances théoriques pour interpréter les situations est
extrêmement rare. Nous n’avons pu remarquer cette utilisation que deux fois (une fois par
Benoît et une fois par Alain). Mais elle existe néanmoins, et représente une des possibilités de
mobilisation de type.
Par exemple dans l’eu 21 de l’enquête 2. Benoît tente de trouver les causes de l’arrêt d’un
bateau. Pour cela, il procède par élimination à partir de trois grandes catégories de réglage à
effectuer (le réglage de la voile, le placement des élèves dans le bateau, et l’action de la
barre). Benoît passe en revue les trois causes possibles et comme les deux premières ne
paraissent pas en cause, il en déduit qu’il ne reste plus que la troisième solution (l’utilisation
de la barre).
Il s’agit donc d’un test d’hypothèses directement perceptibles à partir d’une conception de
la technique limitée à 3 éléments. Il est remarquable que la solution trouvée comme étant la
bonne (trouver de la vitesse avec la barre) est la dernière des solutions envisagée. Elle est en
définitive validée par le fait qu’elle est la dernière à être envisagée, et que les autres
hypothèses ont été invalidées. Tout se passe comme si l’ordre des hypothèses dans le
processus de test de celles ci déterminait l’interprétation de la situation. Cette place est
fonction de la facilité à valider ou à invalider directement l’hypothèse visuellement. Dans ce
cas c’est parce que l’hypothèse de la vitesse liée à la direction est la moins visible qu’elle est
paradoxalement considérée comme pertinente. Or l’interprétation de Benoît n’est pas
Deuxième chapitre
161
pertinente, dans la mesure où le bateau était vent de travers et dans cette allure46, l’action de la
barre n’a pratiquement aucun effet perceptible sur la vitesse du bateau dans ce vent faible.
Dans cette perspective, il est possible de penser que si le processus de test d’hypothèse avait
utilisé un ordre différent Benoît serait arrivé à une autre conclusion !
Extrait de l’autoconfrontation
C : et tu dis essais de trouver de là…
B : de la vitesse avec ta barre . Parce que hum… fallait procéder par élimination hein…
Donc euh... voile, après euh... équilibre et puis euh... après euh... barre quoi. Donc euh... je
me dis ben... puisque les deux elles sont un peu à peu près pas mal, y reste plus que la barre,
pour trouver la vitesse pour orienter bien son bateau par rapport au vent quoi...
Cette stratégie (tests d’hypothèses) n’est utilisable que parce que l’acteur ne dispose que d’un
petit nombre d’hypothèses pouvant expliquer l’état de la situation.
Ces tests mobilisent essentiellement des procès déductifs repérables par la convocation de la
conjonction de coordination « donc ». Ce test d’hypothèse utilise un procès de déduction
formelle, qui s’appuie sur la perception directe des éléments de la situation. Le processus
interprétatif s’arrête dès qu’une solution plausible est trouvée. Ici c’est la solution la moins
vérifiable directement qui est privilégiée, les autres pouvant être exclues à partir d’une
vérification directe.
D’autre part, là aussi l’aspect affectif parait important, car le phénomène de panique auquel
est en proie Benoît, peut aussi expliquer la restriction des éléments pris en compte par celui ci.
3.4 Relation entre enquête et interprétation : déli mitation du corpus Comme dans la première section, un traitement intégral d’une séance de Benoît a été réalisé
initialement, dans cette deuxième section47. Notre première préoccupation fut de repérer les
uea intégrant des unités d’activité d’interprétative. Il nous est apparu alors que la fréquence
d’occurrence d’unités interprétatives était très différente en fonction du type de séquences
considérées. Dans les portions de cours d’action de type « enquête » la fréquence d’unités
interprétative était beaucoup plus élevée que dans celle relevant d’une réalisation d’une
procédure habituelle. En effet, 57 uea ont constitué les trois enquêtes analysées de cette
deuxième étude sur les 84 de la séance totale (9 pour la 1ère enquête +8 la 2ème + 40 pour la
46 direction du bateau par rapport au vent 47 Ce traitement est communiqué dans les annexes.
Deuxième chapitre
162
3ème ). Dans ces trois enquêtes 23 uea interprétatives ont pu être construites (4 pour la 1ère
enquête +3 pour la 2ème + 16 pour la 3ème ).
Le rapport d’uea interprétatives relativement au nombre total d’uea de l’enquête est de :
Enquête 1 Enquête 2 Enquête 3 Total Nombres d’uea de l’enquête
9 8 40 57
Nombres d’uea interprétatives
4 3 16 23
Rapports 2.25 2.66 2.5 2.47
Le rapport entre le nombre d’uea totales et d’uea interprétatives est relativement homogène
dans l’ensemble des enquêtes et se situe approximativement à deux uea et demi pour une uea
interprétative. Il est remarquable que cette fréquence est tout à fait autre dès lors que le cours
d’action est fait de séquences exécutoires. En effet, celles-ci ne recèlent presque pas d’uea
interprétatives. Ainsi par exemple dans la séquence purement exécutoire, comprise entre les
signes 10 et 16, il ne fut pas possible de coder une seule uea interprétative.
D’autre part, ce moment ne fut pas considéré comme significatif pour Benoît qui demanda
lors de l’auto-confrontation d’accélérer ce passage. L’intérêt de l’acteur rétrospectivement
semble donc corrélé à l’implication dans une activité interprétative de la situation.
Conformément à ces résultats, nous avons décidé de délimiter le corpus aux moments
d’enquêtes.
Deuxième chapitre
163
Deuxième chapitre
164
Troisième partie : Résultats Troisième partie du deuxième chapitre.
Cette partie vise la présentation des résultats concernant les processus de construction de
l’interprétation et des apprentissages associés, dans l’expérience issue de l’activité
d’enseignement des apprentis.
Ce chapitre se décompose en sept sections. Les six premières présentent les résultats
concernant les apprentissages interprétatifs solidaires de l’activité interprétative réalisée dans
chacune des enquête. Quatre enquêtes ont été réalisées par Benoît, deux par Alain.
Pour mémoire, les apprentissages interprétatifs sont abordés à travers la description des
processus de transformation des types.
La septième et dernière section de ce deuxième chapitre présente un résumé des résultats
collectés.
Pour plus de lisibilité les résultats de chaque enquête ne contiennent que la description du
contexte, le résultat de l’analyse globale, l’intrigue de l’enquête, et la modélisation de la
dynamique d’apprentissage interprétatif. Les récits réduits, les analyses globales, et les
tableaux présentant l’expérience interprétative sont présentés dans le document annexe. Ceci
dans le but de faciliter une lecture en parallèle des résultats et des données dont ils sont issus.
Toutefois, à titre d’exemple, l’intégralité des résultats de l’enquête 1 est présentée.
Deuxième chapitre
165
Enquête 1
1. Résultats relatifs à la première enquête
1.1 Description du contexte de l’enquête n°1 Benoît a été observé lors de sa première séance en entreprise, une semaine après celle déjà
relatée48 qui se déroulait en organisme de formation. Il enseigne conjointement une séance de
voile avec des enfants de 11 et 12 ans, avec Alain, en présence d’une tutrice. Ils sont tous les
trois sur un bateau à moteur. Les conditions météos sont bonnes : soleil, mer plate, mais il y a
peu de vent et celui ci tombe progressivement au cours de la séance. Les deux apprentis
enseignants ont préparé leur séance, qu’ils ont présentée à la tutrice. Ils ont pour objectif de
faire comprendre aux élèves la notion « au vent, sous le vent ». Ils ont décidé d’intervenir
chacun leur tour ; Alain prenant en charge la première partie de la séance et Benoît la seconde
partie. La séance commence par une explication d’Alain à terre, sur la notion « au vent, sous
le vent ». Benoît observe la séance d’Alain et n’est pas vraiment d’accord avec la stratégie de
séance suivie, qui est de présenter la notion à terre. Il aurait préféré la faire vivre directement
sur l’eau. Il se méfie globalement des interventions orales, mais en même temps souhaiterait
que les choses soient claires avant d’aller sur l’eau… Benoît aborde donc cette séance avec un
œil critique et « en éveil » par rapport à ce que va dire Alain : « je me marrais et…j’ai dis bon
il va falloir faire gaffe… » (entretiens d’autoconfrontation).
Autoconfrontation ben... déjà en fait j'étais à moitié d'accord pour parler "au vent" "sous le vent" avant de... de... de partir sur l'eau. Euh... j'étais plutôt pour que euh... on le voie en situation... et que çà se remarque en situation, et pas en définition par des mots. C : hum... hum... B : ...Que çà se remarque, en fait, par rapport à un parcours et qu'ils voient d'eux même quoi. C : hum... hum... B : Sans parler de définition avant. Et qu'on parle de la définition après. Plutôt qu'ils le voient par eux-mêmes.
L’analyse globale de l’enquête permet la construction de l’objet de celle-ci.
48 Qui a fait l’objet de l’analyse donnant lieu à la formalisation des hypothèses
Deuxième chapitre
166
1.2 Analyse globale et objet de l’enquête n°1
1.2.1 Organisation séquentielle de l’enquête n°1 Ouv : ouverture ; sent : sentiment ; in : interprétation ; dét : détermination ; ac : action ;
N° Tps Type d’UE 49
Unités élémentaires Détermination de l’objet d’enquête
UE Préoccupations Synthèse des préoccupations Objet de l’enquête 1. 00 ouv Benoît écoute les
explications d’Alain Regarder le déroulement de la séance pour éviter les problèmes. Observer la réussite ou l’échec d’Alain
2. 0,48 sent Est amusé par le terme de marin employé par Alain
Avoir un vocabulaire adapté
3. In Compréhension des élèves
Juge que le vocabulaire utilisé embrouille les élèves, car il n’est pas de leur niveau
Faire en sorte que les notions utiles soient claires pour les élèves, (les notions d’au vent, sous le vent) pour éviter le désordre plus tard voir si la démarche d’Alain va réussir
4. In Compréhension des élèves
Pense que les élèves sont de plus en plus embrouillés « au niveau de leur compréhension »
Clarifier les notions dont ils vont avoir besoin sur l’eau Mettre les élèves en situation plutôt que de leur dire trop de choses
5. Dét Pense qu’il faut qu’il intervienne avant qu’ils ne soient plus encore embrouillés.
Permettre aux élèves de voir par eux même : les mettre en activité Eviter que la séance ne rate
6. 1.19 ac Intervient dans la séquence d’Alain : « Moi si je suis le vent, je souffle, comme ça d’accord, lui est plus près de vous que moi, d’accord »
Faire comprendre concrètement la notion aux élèves
7. 1.30 ac Com : Je souffle sur qui en
Influencer le cours de la séance Faire comprendre concrètement la notion pour
Retenir l’attention des élèves et leurs faire comprendre la notion en les mettant en activité, et en évitant un langage trop abstrait
Faire en sorte que les notions utiles soient claires par l’utilisation d’un vocabulaire adapté pour les élèves,
Surveiller et influencer le développement de la séance pour éviter les problèmes plus tard
Surveiller et influencer la séance de l’autre afin d’éviter les problèmes, mais aussi pour faciliter l’apprentissage par le choix d’un vocabulaire adapté et une mise en activité concrète des élèves.
49 49 Type d’UE : ouv (ouverture), sent (sentiment), in (interprétation, plus thématique de l’interprétation), det (détermination), ac (action).
Deuxième chapitre
167
premier ? qu’elle soit réutilisable sur l’eau
8. In déroulement de séance
il a très bien rebondi dessus,…Alain joue très bien le jeu
Influencer le cours de la séance et Faire en sorte de retenir l’attention des élèves
9. 1.48 In séance Ouv/ ferm
Détachement de la séance d’Alain, l’intervention a réussi, car les élèves tournent leur tête [vers celui qui parle] et rigolent un peu (mais) plus à propos d’autres choses
Clarifier les notions utiles pour la séance Se retirer de l’intervention directe dans la séance d’Alain
Deuxième chapitre
168
1.2.2 Conclusion de l’analyse globale Lors de cette première enquête menée par Benoît l’objet de l’enquête peut se définir par un
faisceau de trois préoccupations:
1. Surveiller et influencer le développement de la séance pour éviter les problèmes plus tard.
2. Faire en sorte que les notions utiles soient claires par l’utilisation d’un vocabulaire adapté pour les élèves.
3. Retenir l’attention des élèves et leur faire comprendre la notion en les mettant en activité, et en évitant un langage trop abstrait.
Globalement l’objet de l’enquête est donc de juger, surveiller et d’influencer la séance de
l’autre enseignant, afin d’éviter les problèmes, mais aussi pour faciliter l’apprentissage
des élèves par le choix d’un vocabulaire adapté et par une mise en activité concrète des
élèves.
Benoît surveille donc l’intervention d’Alain avec un œil critique. Il a pronostic négatif de
l’issue de l’intervention, car il pense que les interventions orales sont trop compliquées pour
aborder cette notion.
Deuxième chapitre
169
1.3 Récit réduit N° Tps Type d’UE50 Unités élémentaires Eléments de contexte
1 00 ouv Benoît écoute les explications d’Alain Alain commence à expliquer la notion d’au vent et de sous le vent
2 0,48 sent Est amusé par le terme de marin employé par Alain
Alain explique que la notion d’au vent sous le vent est un terme de « Marins »
3 In Juge que le vocabulaire utilisé embrouille les élèves, car il n’est pas de leur niveau : ouverture de l’enquête visant à faire évoluer la séance.
4 In Les élèves sont de plus en plus embrouillés et comprennent de moins en moins parce que l’explication n’est pas assez imagée
une élève rit
5 Dét Pense qu’il faut qu’il intervienne avant que ça soit n’importe quoi [plus tard] sur l’eau
Benoît se place ostensiblement à côté des élèves
6 1.19 ac Intervient dans la séquence d’Alain pour simuler le vent
Benoît s’adresse aux élèves : « Moi si je suis le vent, je souffle, comme ça d’accord, lui est plus près de vous que moi, d’accord, je souffle sur qui en premier ?»
Alain rebondit sur l’intervention de Benoît et se place derrière les élèves à l’opposé de Benoît
7 In Alain a très bien rebondi dessus, …il joue très bien le jeu
Alain reprend à son compte l’intervention de Benoît : Moi, je suis au vent ou sous le vent ?
Et Benoît il est où ?
8 1.48 det
In
Détachement de la séance d’Alain, l’intervention a réussi, car les élèves tournent leur tête [vers celui qui parle] et rigolent un peu (mais) plus à propos d’autre chose
Fermeture de l’enquête et détachement de la séance d’Alain
Alain continue ses explications, et donne les consignes pour la mise en place de la séance, pendant ce temps Benoît ne regarde plus vraiment la séance d’Alain.
50 Type d’UE : ouv (ouverture), sent (sentiment), in (interprétation, plus thématique de l’interprétation), det (détermination), ac (action).
Deuxième chapitre
170
1.4 L’expérience interprétative dans la première en quête Récit réduit du cours
d’action Expérience d’interprétation des situations d’enseignement pour les acteurs Analyse produite par le chercheur
N° Type
d’UE
UE51 Préoccupations particulières
Actualités potentielles
Représentamens :
Les indices de la situation
Interprétations occurrentes de la situation
Types et relation entre types mobilisés
explicitement ou implicitement
Processus d’interprétation
Processus d’apprentissage
1. Ouv de la séquence
Benoît écoute les explications d’Alain
Surveiller le développement de la séance pour éviter les problèmes. Observer la réussite ou l’échec de l’action d’Alain
La démarche d’explication à terre prévue Les explications d’Alain
« va falloir faire gaffe » :
La situation a beaucoup de risque de se dégrader
Int implicite
Doute du succès de l’évolution de la situation Ouverture potentielle d’enquête Questionnement sur la situation52
Mobilisation d’un type usuel initial 53
2.
Sent associé à une int
Est amusé par le terme de marin employé par Alain
Clarifier les notions d’au vent, sous le vent voir si la démarche d’Alain va réussir (expliquer la notion au vent / sous le vent à terre)
Espère que les notions vont être acquises clairement mais s’attend à ce que les élèves ne comprennent pas les explications
Le rire d’une élève Le terme de marin dans les explications d’Alain
« Les élèves ne sont pas des marins…c’est pas un vocabulaire adapté à leur niveau de compréhension»
Il serait plus facile et pertinent de vivre directement la notion plutôt que de l’expliquer par des mots Type énoncé
Focalisation sur les indices d’insuccès à partir d’un pronostic défavorable Situation caractérisée d’emblée par l’utilisation d’un Type énoncé
Augmentation de la fiabilité du type par la confirmation du doute du succès de la situation Repérage d’indices convergents par rapports au type usuel
51 Unité élémentaire d’activité 52 versus questionnement sur son propre savoir 53 Mobilisation d’un type usuel initial solidaire d’un pronostic d’échec de la situation. Ceci débouche dans une focalisation sur les indices d’insuccès visant à confirmer le pronostic. Il y a une ouverture progressive de l’enquête : si les indices confirment l’insuccès l’enquête visera à trouver les moyens de remédier la situation.
Deuxième chapitre
171
Récit réduit du cours d’action
Expérience d’interprétation des situations d’enseignement pour les acteurs Analyse produite par le chercheur
N° Type
d’UE
UE54 Préoccupations particulières
Actualités potentielles
Représentamens :
Les indices de la situation
Interprétations occurrentes de la
situation
Types et relation entre types
Processus d’interprétation
Processus d’apprentissage
3. Int
Vérification de la difficulté à comprendre une notion par les élèves quand elle est expliquée par des mots plutôt que par la pratique
S’attend à ce que les élèves aient des difficultés à comprendre la notion, surtout si elle est expliquée avec des mots plutôt qu’en situation
Les explications d’Alain Le terme de « Marin » Le rire des élèves
Le vocabulaire utilisé embrouille les élèves, car (argument) il n’est pas de leur niveau=>
Les élèves se désintéressent de la séance, car ils ne comprennent pas les explications d’Alain Situation caractérisée par l’utilisation d’un Type énoncé
Il serait plus facile et pertinent de vivre directement la notion plutôt que de l’expliquer par des mots
Type énoncé
Associé à une règle d’action55 et à un nouveau pronostic 56
Transformation du sentiment d’amusement dans une interprétation caractérisée par l’utilisation d’un Type énoncé mise en relation de l’interprétation occurrente avec les conséquences prévisibles de la situation Ouverture de l’enquête visant à faire évoluer la séance
Validation de la fiabilité du type par l’interprétation occurrente
54 Unité élémentaire d’activité 55 Il vaut mieux que les élèves voient par eux-mêmes, qu’ils comprennent les notions à partir d’une mise en pratique directe sur l’eau, plutôt que par des définitions par des mots, et qu’on définisse après [la notion]. 56 Si les notions ne sont pas claires au moins à terre, les élèves ne vont plus se souvenir donc plus savoir de quoi il parle [ils ne pourront pas utiliser la notion], voir ue 5
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Récit réduit du cours d’action
Expérience d’interprétation des situations d’enseignement pour les acteurs Analyse produite par le chercheur
N° Type
d’UE
UE54 Préoccupations particulières
Actualités potentielles
Représentamens :
Les indices de la situation
Interprétations occurrentes de la
situation
Types et relation entre types
Processus d’interprétation
Processus d’apprentissage
4. Int Clarifier les notions dont les élèves vont avoir besoin sur l’eau en les mettant en situation plutôt qu’en utilisant des explications langagières
S’attend à ce que les notions utiles deviennent claires pour les élèves
Les élèves se lancent des vannes et font des blagues entre eux Les élèves se regardent entre eux
Les élèves sont de plus en plus embrouillés et comprennent de moins en moins parce que l’explication n’est pas assez imagée Situation caractérisée par l’utilisation d’un Type énoncé
Les élèves ont des difficultés à comprendre et à s’intéresser au cours quand les choses sont expliquées avec des mots plutôt que par une activité concrète de leurs parts. Les élèves ne peuvent pas se mettre en situation avec des mots, il faut qu’ils puissent le voir et vivre la chose. Types énoncés
Confirmation de l’interprétation associée à un renforcement dans la conviction dans celle-ci Cette confirmation est solidaire d’une précision de l’engagement (vers une communication efficace, c’est à dire plus imagée).
Ouverture à la généralisation Confirmation et approfondissement du type par transformation de l’argumentation : C’est le manque d’image qui est responsable des difficultés de compréhension de la part des élèves
5. Dét Pense qu’il faut qu’il intervienne avant que ça soit n’importe quoi [plus tard] sur l’eau
Permettre aux élèves de voir par eux même : les mettre en activité Eviter que la séance ne rate
S’attend à ce que ça devienne « le souk dans leur tête » et « que ce soit n’importe quoi sur l’eau »
La phrase d’Alain « moi je suis plus haut par rapport à vous »
Si les notions ne sont pas claires au moins à terre, les élèves ne vont plus se souvenir donc plus savoir de quoi il parle [ils ne pourront pas utiliser la notion]
Actualisation de l’engagement Test de l’interprétation
Utilisation du type pour faire évoluer l’engagement des élèves Test des types associés à l’interprétation occurrente
Deuxième chapitre
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Récit réduit du cours d’action
Expérience d’interprétation des situations d’enseignement pour les acteurs Analyse produite par le chercheur
N° Type
d’UE
UE54 Préoccupations particulières
Actualités potentielles
Représentamens :
Les indices de la situation
Interprétations occurrentes de la
situation
Types et relation entre types
Processus d’interprétation
Processus d’apprentissage
6. ac Intervient dans la séquence d’Alain pour simuler le vent
Influencer le cours de la séance Faire comprendre concrètement la notion pour qu’elle soit réutilisable sur l’eau
S’attend à ce que les élèves comprennent mieux s’il joue le vent lui-même
Les positions des élèves et de Benoît
7. In Alain a très bien rebondi dessus, …il joue très bien le jeu
Influencer la séance et l’action d’Alain pour faire réussir la séance de façon conforme à ce qui est souhaité
S’attend à ce qu’Alain collabore avec lui
Alain se place de l’autre coté des élèves et utilise l’exemple de Benoît, les élèves répondent et participent
Le comportement d’Alain est conforme à une action concrète d’explication
La situation est conforme au déroulement de la séance souhaité visant à influencer le déroulement de séance pour favoriser l’attention des élèves
Idem 3 Changement de la focalisation de l’interprétation, portée maintenant sur l’influence réussie sur le deuxième intervenant mais sur le fond du premier engagement Rupture avec les interprétations précédentes, nouvelle interprétation la situation devient satisfaisante
Etablissement d’une relation momentanée entre types
Deuxième chapitre
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Récit réduit du cours d’action
Expérience d’interprétation des situations d’enseignement pour les acteurs Analyse produite par le chercheur
N° Type
d’UE
UE54 Préoccupations particulières
Actualités potentielles
Représentamens :
Les indices de la situation
Interprétations occurrentes de la
situation
Types et relation entre types
Processus d’interprétation
Processus d’apprentissage
8. Det
In :
Détachement de la séance d’Alain,
Valider l’influence sur le déroulement de la séance conforme aux attentes Se désengager de l’intervention de la séance d’Alain
S’attend à ce que les élèves soient attentifs et à ce qu’ils comprennent les explications et la notion
Le regard des élèves est tourné vers l’enseignant plutôt qu’entre eux
Les élèves rient
Les élèves tournent leurs têtes [vers celui qui parle] et rigolent un peu (mais) plus à propos d’autre chose « ce n’est pas la peine d’en rajouter »
« Il faut que la réflexion soit instantanée, après ils vont trop réfléchir » Type énoncé
L’interprétation occurrente permet la confirmation de la validité de l’action solidaire des types mobilisés dans l’enquête par le repérage d’indices conformes aux espérances. L’interprétation implicite est qu’il espère que les élèves se sont réinvestis et que leur attention est de nouveau focalisée sur la séance. Clôture de l’enquête
Confirmation de l’intérêt et la justesse des types, mais sans en être totalement sûr : Augmentation possible de la croyance dans la validité des types Ouverture à un autre apprentissage, mise en relation implicite entre types par l’ apparition d’un dilemme : faire comprendre mais éviter la saturation des élèves.
Deuxième chapitre
175
1.5 L’intrigue de l’enquête Benoît aborde la séance d’Alain avec un oeil critique. Il doute que la stratégie visant à
expliquer à terre les notions d’au vent / sous le vent, soit adaptée aux élèves. Il aurait souhaité
leur faire vivre directement la notion sur l’eau plutôt que de passer par des explications
langagières. Lorsque Alain commence à expliquer la différence entre les positions au vent et
sous le vent, Benoît surveille de près l’évolution de la situation. Son engagement global dans
celle-ci a pour but la surveillance et l’influence de la séance de l’autre apprenti, afin de
faciliter l’apprentissage par le choix d’un vocabulaire adapté et une mise en activité concrète
des élèves. Il devra intervenir plus tard, et il sait qu’il aura besoin de ces notions. Une de ses
autres préoccupations, est de se montrer compétent aux yeux de la tutrice qui observera les
séances. Or pour Benoît se montrer compétent, signifie avant tout mettre en place rapidement
et efficacement un exercice sans rencontrer de problèmes. La compréhension de la notion
représente donc pour Benoît un enjeu essentiel. Il espère que les notions vont être clairement
acquises par les élèves, mais s’attend à ce qu’ils ne comprennent pas les explications. Il pense
en effet que la stratégie choisie par Alain, de donner les explications à terre n’est pas adaptée.
(ue 1) Il s’attend à ce que les explications langagières à terre lassent les élèves et qu’ils ne
comprennent pas ce qu’essayeront de leur dire les deux apprentis. Il recherche activement
d’éventuels indices laissant penser que les élèves ne comprennent pas et se désintéressent des
explications d’Alain.
(ue2) Celles-ci lui paraissent non adaptées au vu du niveau de compréhension des élèves.
Lorsque qu’Alain explique que les termes d’au-vent et de sous le vent sont des termes de
« marins », Benoît remarque le rire d’une élève. Il est amusé par ce terme car il pense que
« Les élèves ne sont pas des marins…c’est pas un vocabulaire adapté à leur niveau de
compréhension ».
(ue3) Son interprétation de la situation continue et il juge que le vocabulaire utilisé
embrouille les élèves, car il n’est pas de leur niveau. Il pense aussi que les élèves se
désintéressent de la séance, car ils ne comprennent pas les explications d’Alain. Le type
utilisé pour interpréter toute cette portion de situation est alors : Il serait plus facile et
pertinent de vivre directement la notion plutôt que de l’expliquer par des mots. A ce moment
s’ouvre réellement l’enquête visant à faire évoluer la séance pour que les élèves comprennent
bien la notion.
(ue4) La situation continue à se dérouler et Benoît repères d’autres indices: Les élèves se
lancent des vannes et font des blagues entre eux. Ils se regardent entre eux. Ce repérage
Deuxième chapitre
176
d’indice confirme son interprétation. Il interprète ces indices comme le signe d’une
augmentation de la confusion chez les élèves à cause d’une explication qui n’est pas assez
imagée. Parallèlement le type mobilisé pour interpréter la situation évolue. Il est double et de
l’ordre de : (1) Les élèves ont des difficultés à comprendre et à s’intéresser au cours quand les
choses sont expliquées avec des mots plutôt que par une activité concrète de leurs parts ; (2)
Les élèves ne peuvent pas se mettre en situation avec des mots, il faut qu’ils puissent la voir et
vivre la chose.
(eu5) Benoît se détermine alors à agir afin d’éviter que la situation ne se détériore davantage.
Il redoute notamment d’avoir ensuite des problèmes sur l’eau, à cause de l’incompréhension
de la notion par les élèves, notion dont il va avoir besoin plus tard. Il se place alors
ostensiblement à coté des élèves et (eu6) intervient dans la séquence d’Alain. Simulant
l’action du vent qui soufflerait sur les élèves il leur demande : « Moi si je suis le vent, je
souffle, comme ça d’accord, lui est plus près de vous que moi, d’accord, je souffle sur qui en
premier ? ». Alain rebondit sur l’intervention de Benoît et se place derrière les élèves à
l’opposé de Benoît.
(eu7) Alain reprend à son compte l’intervention de Benoît. Il se place à l’opposé de Benoît
par rapport aux élèves et demande : « Moi, je suis au vent ou sous le vent ? Et Benoît il est où
? ». Les élèves répondent et participent. Benoît interprète la situation sous l’angle d’une
nouvelle perspective. Il ne prend plus en compte seulement les indices provenant du
comportement des élèves mais aussi et surtout ceux concernant celui d’Alain. L’interprétation
occurrente est alors de l’ordre de : le comportement d’Alain est conforme à une action
concrète d’explication souhaitée par Benoît.
(eu 8) Alain continue ses explications, et donne les consignes pour la mise en place de la
séance. Benoît remarque que le regard des élèves est tourné vers Alain plutôt qu’entre eux et
qu’ils rient. La situation est considérée alors comme satisfaisante car Benoît se détache alors
de la séance d’Alain montrant ainsi la clôture de cette enquête. Cette clôture d’enquête révèle
alors son véritable objet, qui est moins celui d’une intervention sur le comportement des
élèves, que sur celui de l’autre enseignant.
Deuxième chapitre
177
2. L’analyse de l’expérience d’interprétation dans l’enquête 1
2.1 Une ouverture progressive d’enquête est associé e à un pronostic négatif de l’évolution de la situation
2.1.1 Le repérage d’un indice non souhaité développ e un doute sur l’évolution positive de la situation : étude de l’ue1
Benoît écoute les explications d’Alain, relative à la notion d’au-vent / sous le vent, afin de
surveiller le développement de la séance, pour éviter les problèmes plus tard, ainsi que pour
observer la réussite ou l’échec de la démarche d’Alain.
La stratégie choisie d’une explication langagière et à terre de la notion d’au vent sous le vent,
représente un indice pour Benoît d’une évolution probablement négative de la situation.
Benoît produit une interprétation de la situation actuelle sous la forme d’un pronostic négatif
de l’évolution probable de la situation. L’interprétation occurrente associée bien qu’implicite
dans le discours de Benoît, est de l’ordre de : la situation a beaucoup de risques de se
dégrader. Cette interprétation se présente à l’état d’un repérage d’un indice non
souhaité. Il s’attend maintenant à repérer d’autres indices non souhaités mais attendus.
Cette interprétation initiale est produite par un processus d’interprétation qui mobilise un type
initial : « Il serait plus facile et pertinent de vivre directement la notion plutôt que de
l’expliquer par des mots » (type 1).
Ce doute sur l’évolution positive de la situation57 (ue1), conduit à l’ouverture progressive
de l’enquête: si les indices confirment l’insuccès prévisible, l’enquête visera à trouver les
moyens d’y remédier. Ce doute amène une focalisation sur les indices divergents par
rapport aux espérances, concrétisée dans la locution « va falloir faire gaffe ». Cette
focalisation vise donc la validation de l’interprétation occurrente. Benoît n’établit pas
encore un réel pronostic négatif. Il y a seulement un doute. L’acteur s’attend maintenant à
repérer d’autres indices divergents par rapport aux espérances (que les élèves comprennent la
notion et qu’ils puissent l’utiliser sur l’eau).
Ce doute apparaissant à partir d’un seul indice (la stratégie de présentation à terre choisie par
Alain) introduit donc une recherche attentive, une focalisation sur la survenue d’autres indices
divergents par rapport aux espérances, mais étant susceptibles de corroborer l’interprétation
occurrente.
Deuxième chapitre
178
Ce doute peut marquer (s’il est confirmé) le début d’une enquête visant à éviter la survenue
de la situation non souhaitée. Mais l’acteur peut aussi ne pas chercher à la faire évoluer
conformément à ses espérances, pour des raisons que nous étudierons plus tard.
Le repérage d’un seul indice divergent par rapport aux souhaits de l’évolution de la situation
conduit à la création d’un doute sur l’évolution positive celle ci. Ce doute conduit à un
processus interprétatif de l’ordre d’une recherche active, faite d’une focalisation sur
d’autres indices divergents des souhaits de la situation. C’est ce que nous appelons une
ouverture potentielle d’enquête. En effet, Celle-ci s’ouvrira réellement si l’acteur repère un
faisceau d’indices corroborant le doute de l’évolution positive de la situation.
C’est précisément ce qui se passe dans la poursuite de cette enquête, avec la survenue de
l’ue2.
2.1.2 Une recherche active d’un faisceau d’indices est produite à partir du repérage d’un premier indice : ue 2
Alain explique que les notions d’au-vent / sous le vent, sont des termes de « marins », et une
élève se met à rire (ue2). Benoît repère ces éléments de l’environnement, comme des
indices de l’évolution de la situation vers une issue non souhaitée. Le processus
d’interprétation est essentiellement constitué par une mise en relation d’indices, par une
relation de co-occurrence. L’acteur repère un faisceau d’indices divergents par rapport
aux espérances, ce qui confirme le doute.
Ce processus d’interprétation se produit ici par la focalisation de l’acteur sur les indices qui
corroborent le pronostic négatif. Cette focalisation a pour effet de faciliter le repérage d’autres
indices permettant de corroborer l’interprétation occurrente (le rire d’une élève, les
explications d’Alain, le terme de « marins »).
Cette focalisation se produit par le repérage d’un élément significatif pour l’acteur (le terme
de « marins »), mais uniquement sur le fond du faisceau d’indices déjà relevé (les
explications d’Alain, le rire de l’élève…), et relativement aux interprétations en cours (la
situation a beaucoup de chance d’échouer). Il y a une mise en relation par relation de co-
occurrence, d’indices divergents par rapport aux espérances d’évolution de la situation.
L’interprétation de la situation porte alors sur le faisceau d’indices, et plus particulièrement
sur un des indices le plus saillant (le terme de « marins »). La fin de l’enquête montrera que le
rire des élèves est ici le signe d’un désintérêt des élèves, pour les explications d’Alain.
57 c’est à dire une évolution conforme aux espérances
Deuxième chapitre
179
Associé au terme de « marins », Benoît juge alors implicitement que les élèves n’étant pas des
marins, les explications langagières d’Alain sur les notions d’au-vent / sous le vent, sont
effectivement trop difficiles ; d’où l’interprétation occurrente : « c’est pas un vocabulaire
adapté à leur niveau de compréhension ». L’état de cette interprétation est une caractérisation
explicite de la situation par l’utilisation d’un Type énoncé (Il serait plus facile et pertinent de
vivre directement la notion plutôt que de l’expliquer par des mots ; Type 1).
Le repérage du faisceau d’indice associé à une détermination explicite de la situation apparaît
ici, solidaire de l’existence d’un type usuel ; c’est à dire d’un type potentiellement disponible
avant la création de cette interprétation.
Ce processus d’interprétation en tant que construction de sens à partir d’un faisceau d’indices
est en relation avec un processus d’apprentissage. Ce processus augmente la fiabilité du type
par la confirmation du doute sur l’évolution positive de la situation (due au repérage d’indices
divergents par rapport aux espérances, mais convergents vers les attentes : le rire d’une élève
et le terme de marins employé par Alain.) De ce point de vue, les attentes (la situation a
beaucoup de chance d’échouer) apparaissent comme une traduction opératoire et contextuelle
du type (il serait plus facile et pertinent de vivre directement la notion plutôt que de
l’expliquer par des mots). Le repérage du faisceau d’indices en tant que confirmation des
attentes est aussi une confirmation du type.
Ainsi dès le repérage de ce faisceau d’indices, il existe un effet d’apprentissage, par la
validation du type usuel.
Il est à remarquer que cette validation est en relation avec le repérage d’un faisceau d’indices
attendus. Nous verrons par la suite, que le processus d’apprentissage produit dans le repérage
d’un faisceau inattendu est tout autre.
Il est d’autre part possible de repérer au passage, le rôle essentiel des émotions dans le
repérage des éléments de la situation. L’amusement de Benoît au repérage du terme de
« marins» peut être compris comme la marque de l’aspect significatif de cet élément de
l’environnement. Ce sentiment marque la transformation de la locution comme élément
de l’environnement ; en tant qu’indice de la situation.
Deuxième chapitre
180
En résumé : L’ouverture progressive d’enquête est associée à un début de pronostic négatif
de la situation et à une recherche d’indices convergents vers la situation attendue mais non
souhaitée. Des sentiments (ici l’amusement) sont associés aux repérages de certains indices de
la situation. Ce processus d’interprétation débouche sur une caractérisation explicite d’un des
indices par la mobilisation d’un type énoncé, sur le fond représenté par le faisceau d’indices.
Un effet d’apprentissage, (l’augmentation de la fiabilité du type) par la confirmation du doute
quant à l’évolution favorable de la situation peut être inféré.
Cependant, Benoît réalise une interprétation partielle de la situation (par rapport à celle qui va
suivre), en jugeant inapproprié le terme de « marins » employé par Alain. Cette interprétation
partielle, portant sur un des indices de la situation, va entrer dans une interprétation plus
globale, qui va subsumer les différents indices du faisceau.
2.2 L’évolution de la détermination de la situation La poursuite du processus d’enquête se poursuit par la confirmation du pronostic négatif
initial (ue3). Benoît remarque que : « les élèves se lancent des vannes et font des blagues
entre eux », tandis que les élèves se regardent entre eux. Il interprète ces éléments de la
situation comme des indices de leur incompréhension grandissante. Il interprète le faisceau
d’indices, ainsi que les interprétations parcellaires dans une interprétation de la situation plus
globale: « le vocabulaire utilisé embrouille les élèves, car il n’est pas de leur niveau », « Les
élèves se désintéressent de la séance, car ils ne comprennent pas les explications d’Alain »
(interprétations occurrentes 3).
L’état de cette interprétation est toujours une caractérisation explicite de la situation par
l’utilisation d’un Type énoncé : Il serait plus facile et pertinent de vivre directement la
notion plutôt que de l’expliquer par des mots (type de l’ue 1 à 3).
Il est possible ici d’inférer une validation de la fiabilité du type, par l’interprétation
occurrente. Celle-ci en donnant un sens global au faisceau d’indices montrant le désintérêt des
élèves par manque de compréhension des explications, est de fait une confirmation de la
fiabilité du type. Cependant, il aussi possible de remarquer dans cette confirmation, une
augmentation de la précision et un approfondissement (certes ténu) de l’interprétation
occurrente. Il y a une mise en relation des interprétations occurrentes précédentes, avec la
nouvelle. Alors que dans l’ue 2 l’interprétation faisait état uniquement du vocabulaire non
adapté au niveau de compréhension des élèves ; dans l’eu 3, cette interprétation évolue. Elle
Deuxième chapitre
181
fait tout d’abord état du fait que les élèves se désintéressent de la séance. Mais plus encore,
que ce désintérêt est dû au fait que les élèves ne comprennent pas les explications. Il y a donc
une détermination explicite des raisons (selon l’interprète) du désintérêt des élèves : la non
adaptation du vocabulaire. Il est essentiel de remarquer qu’ici le mode de raisonnement n’est
pas de l’ordre de la déduction, ni de l’induction. Benoît ne déduit pas à partir de
l’interprétation du niveau de vocabulaire non adapté des explications d’Alain, que les élèves
se désintéressent de la séance. C’est au contraire après qu’il interprète le rire des élèves
comme un désintérêt de leur part, qu’il reprend son interprétation précédente (le niveau des
explications), comme cause de l’interprétation occurrente (3). Tout se passe comme si la
solution au problème était « prédite » avant la détermination du problème. La raison de la
survenue de l’interprétation occurrente précipitant une détermination de la situation
compatible, avec cette « raison » déjà toute déterminée. Ce raisonnement pratique maintes
fois repéré dans nos données, est de type abductif. Cette abduction débouche au total sur
une interprétation plus globale et plus précise que celle de l’eu 2. Caractérisons les
composantes de ce raisonnement.
2.2.1 L’interpénétration des processus d’apprentiss age et d’interprétation Cette interprétation globale de la situation est produite par le repérage d’un faisceau d’indices
auxquels Benoît donne un sens particulier, sans qu’il passe par une phase d’hypothèse
(nous verrons qu’il n’en est pas toujours ainsi). Tout se passe comme si cette interprétation
était frappée du sceau de l’évidence pour Benoît. Cette évidence est soulignée par le
recours au Type énoncé déjà présent implicitement dès le début de l’enquête (type de l’ue3).
De ce point de vue, l’interprétation occurrente n’est que la face contextuelle et singulière
d’un type plus général. Celui-ci permet une construction de sens à caractère d’évidence à
un faisceau. Il s’agit donc d’une détermination de la situation. Ce faisceau d’indices est lui-
même conforme aux attentes. En définitive, le repérage du faisceau et la détermination des
attentes sont tous les deux provoqués par la présence du type. Tout se passe comme si
c’était la présence du type, dès le départ de l’enquête qui orientait la recherche des indices. En
retour, l’interprétation occurrente peut aussi être analysée comme une confirmation du type.
Ainsi, l’interprétation de la situation apparaît rétrospectivement comme jouée d’avance.
Le type entraîne le repérage du faisceau d’indices par la médiatisation des attentes, ce
repérage apporte ensuite une confirmation de la validité du type, par la survenue d‘une
interprétation occurrente le validant.
Deuxième chapitre
182
Ainsi dans ce cas d’un repérage d’indices conformes aux attentes, les processus
d’interprétation et d’apprentissage interprétatif apparaissent ici indissociablement solidaires
en se renforçant réciproquement.
2.2.2 Le processus d’interprétation possède une dim ension opératoire et fonctionnelle.
2.2.2.1 La dimension opératoire Parallèlement, le type et l’interprétation occurrente sont associés à une règle d’action : « Il
vaut mieux que les élèves voient par eux-mêmes, qu’ils comprennent les notions à partir
d’une mise en pratique directe sur l’eau, plutôt que par des définitions par des mots, et qu’on
définisse après [la notion] ». L’interprétation apparaît aussi organisée par les actions
habituelles associées au type. Tout se passe comme si Benoît possédant des habitudes
d’actions dans ce genre de situation, interprétait la situation de façon à pouvoir utiliser ses
solutions prédéfinies.
L’interprétation possède une dimension opératoire : elle est réalisée aussi en fonction des
moyens d’intervention dont dispose l’acteur.
2.2.2.2 La dimension fonctionnelle D’autre part, le type et l’interprétation sont associés à un pronostic d’ordre général : « Si les
notions ne sont pas claires au moins à terre, les élèves ne vont plus se souvenir donc plus
savoir de quoi il parle » [il veut dire que, la notion ne sera pas facilement réutilisable sur
l’eau dans l’action pour les élèves]. Il y a donc une mise en relation de l’interprétation
occurrente avec les conséquences prévisibles de la situation, compte tenu de ses habitudes
dans ce genre de situation.
Le recours aux conséquences prévisibles de la situation est un prolongement de
l’interprétation vers le pronostic. Ce recours est sous tendu par une dimension
supplémentaire : l’enjeu de l’évolution de la situation, c’est à dire de l’importance du
pronostic pour l’acteur, compte tenu de ses engagements.
En effet, Benoît devra prendre en charge une partie de la séance. Il souhaite pouvoir utiliser
cette notion essentielle pour le bon déroulement de son exercice. Il souhaite d’autre part
pouvoir se montrer sous son meilleur jour au tuteur qui va l’observer. Or pour lui, se montrer
compétent signifie mettre en place un exercice de façon à ce que les élèves le réalisent sans
qu’il y ait de problèmes. Il tient donc à ce que les élèves maîtrisent cette notion, car elle revêt
pour lui une importance capitale s’il veut prouver sa compétence. A travers l’enjeu du
Deuxième chapitre
183
pronostic, nous voyons se profiler l’engagement de l’acteur, et donc la fonction de cette
interprétation : elle vise bien évidemment à réaliser les engagements de l’acteur.
L’interprétation n’apparaît donc pas comme une activité de la part d’un acteur non engagé,
comme une sorte de diagnostic plus ou moins objectif de l’environnement. Elle possède au
contraire une dimension fonctionnelle, quant à la réalisation de l’engagement de l’acteur. Plus
précisément le processus d’interprétation est fonction de l’enjeu de détermination de la
situation pour l’acteur .
Ainsi l’interprétation du faisceau d’indices est-elle réalisée au travers de cette double
dimension opératoire et fonctionnelle.
2.3 Les apprentissages interprétatifs sont associé s à l’évolution de la détermination explicite de la situation
Dans l’ue suivante, l’interprétation de la situation se modifiant légèrement, produit par un
effet en retour une évolution du type et marque donc un apprentissage interprétatif.
2.3.1 Un glissement d’interprétation de la situatio n peut être associé à la transformation du type
Dans l’ue 4, la confirmation de l’interprétation se poursuit mais subit une transformation.
L’interprétation occurrente subit un glissement de signification. Le même faisceau d’indices
est interprété de façon différente. Les difficultés qu’offre la situation ne sont plus
interprétées comme liées à un vocabulaire inadapté (comme à l’ue3 : « le vocabulaire utilisé
embrouille les élèves, car il n’est pas de leur niveau ; les élèves se désintéressent de la
séance, car ils ne comprennent pas les explications d’Alain ») ; mais plutôt liées au caractère
non imagé des explications (l‘interprétation occurrente de l’ue 4 est de l’ordre de : « les élèves
sont de plus en plus embrouillés et comprennent de moins en moins parce que l’explication
n’est pas assez imagée »). L’interprétation est en relation avec le premier type présent depuis
le début de l’enquête (type 1) (Il serait plus facile et pertinent de vivre directement la notion
plutôt que de l’expliquer par des mots), mais maintenant aussi avec un nouveau (type 4) : Les
élèves ont des difficultés à comprendre et à s’intéresser au cours quand les choses sont
expliquées avec des mots plutôt que par une activité concrète de leurs parts ; Les élèves ne
peuvent pas se mettre en situation avec des mots, il faut qu’ils puissent le voir et vivre la
chose.
Le processus d’interprétation fait subir une transformation de l’argumentation de la
caractérisation de la situation (les élèves se désintéressent de la situation). Ce n’est plus tant le
Deuxième chapitre
184
niveau des explications qui est mis en cause (interprétation occurrente 3), mais c’est leur
forme trop abstraite (interprétation occurrente 4) qui est présentée maintenant comme
l’explication des raisons de l’état de la situation.
Au -delà de l’évolution de l’interprétation, cette transformation a des répercussions sur
le processus d’apprentissage. En effet, ce glissement de signification de l’interprétation
occurrente, est associé à une transformation du type 1 vers le type 4. Le type 4 est associé à
une nouvelle argumentation de l’interprétation occurrente: C’est le manque d’images et
d’activité concrète de la part des élèves qui est responsable des difficultés de
compréhension de la part des élèves, et non plus le niveau des explications.
La dernière formulation de ce nouveau type apparaît comme une forme synthétique des
interprétations et explicitation du type précédent. Quand Benoît explicite le type selon lequel,
« les élèves ne peuvent pas se mettre en situation avec des mots, il faut qu’ils puissent le voir
et vivre la chose », il synthétise dans cette formulation deux nouveaux aspects du type. Le
manque d’images et d’activités concrètes de la part des élèves, deviennent deux éléments
essentiels à la fois de leurs engagements et de leurs apprentissages.
Le nouveau type se situe dans le prolongement du premier. Il n’y a pas de rupture dans les
habitudes interprétatives. Cependant la raison de la survenue des situations associées à ce
nouveau type change, car le système explicatif contenu dans le type subit une évolution. Nous
appellerons cette modalité d’apprentissage, un approfondissement du type.
Progressivement est apparu un nouveau type, à partir d’une transformation de l’argumentation
concernant l’interprétation de la situation et du type associé.
L’interprétation apparaît alors de fait comme l’exemple fondateur du nouveau type
explicité. Dans le même temps, la formulation du nouveau type est référée à l’interprétation
occurrente. Il est remarquable que ces deux procès de transformation de l’interprétation et
d’approfondissement du type apparaissent conjointement et soient probablement solidaires,
comme les deux faces d’un même processus.
La transformation de l’interprétation intègre des interprétations passées (comme celle de l’eu
2, par exemple). De façon rétrospective ces anciennes interprétations sont des indices de cette
nouvelle interprétation plus globale.
Deuxième chapitre
185
De façon encore plus globale, cette situation déterminée de façon plus générale devient un
type. Ici l’évolution du type a été produite par la détermination des traits profonds de la
situation (le manque d’images et d’activité concrètes de la part des élèves) et non plus
seulement des traits de surface (les élèves n’écoutent pas et rient). Le procès de
développement du type apparaît ici d’ordre inductif. C’est à partir d’un seul exemple, que le
type est développé. Cependant cette induction au niveau de l’apprentissage interprétatif, se
fait sur le fond de l’abduction de l’interprétation.
Mais le processus d’interprétation continue. Par un choc en retour, la perception du faisceau
d’indices évolue. Il y a une nouvelle attribution de sens au même faisceau, par la convocation
de nouveaux indices pouvant corroborer la confirmation de la nouvelle interprétation (les
élèves se regardent entre eux ; ue 8). Le faisceau d’indices apparaît comme organisé par
l’interprétation dans une nouvelle configuration pouvant supporter la nouvelle interprétation
occurrente exemplaire du nouveau type. Ici le procès devient déductif.
Ainsi existe-t-il un va et vient continu entre les processus d’apprentissage et les processus
d’interprétation occurrents : les interprétations occurrentes étant appelées par les types de
façon déductive, mais ces derniers étant transformés par l’évolution celles ci de façon
inductive.
2.4 Le processus d’enquête intègre des actions qui prennent de fait le statut de test de validité des interprétati ons
Le processus d’enquête ne reste pas uniquement contemplatif. Il procède aussi d’une action de
transformation de l’environnement. Les actions prennent rétrospectivement et de fait, un
statut de test des interprétations occurrentes et des types.
Considérons maintenant les eu 5, 6, 7 et 8 ; Benoît pense qu’il doit intervenir avant que les
élèves ne soient encore plus embrouillés et pour éviter d’avoir trop de déconvenues sur l’eau
par la suite. Ce pronostic de la situation l’amène à une détermination de la situation. Celle-ci
est de fait (c’est à dire sans avoir l’intention de tester l’interprétation occurrente) un test de
l’interprétation occurrente (Si les notions ne sont pas claires au moins à terre, les élèves ne
pourront pas utiliser la notion sur l’eau ) et des types associés.
Benoît se place alors ostensiblement à côté des élèves et s’adresse aux élèves en mimant
l’action du vent. Alain rebondit sur l’intervention de Benoît et se place derrière les élèves à
l’opposé de Benoît en reprenant la même action. Ces actions débouchent ici sur une réussite
Deuxième chapitre
186
du point de vue de Benoît, car elles font évoluer l’action d’Alain dans vers la stratégie
souhaitée par Benoît (ue 7 : Alain suit la même stratégie d’explication concrète de la notion).
A ce moment, l’interprétation se présente comme un simple repérage d’indices espérés
(conformes aux espérances) et attendus (conformes aux attentes). Benoît constate la réussite
de son action, et celle ci est alors déterminée vers un désintérêt de la séance d’Alain.
Comme cela a déjà été expliqué lors de l’étude des états, le processus d’interprétation se
présente à travers le repérage d’un nouveau faisceau d’indices (intégrant cependant certains
indices qui restent les mêmes qu’auparavant). Le rire des élèves est de nouveau repéré, mais il
est interprété avec le nouvel indice des regards tournés vers l’enseignant, comme le signe
d’une attention à nouveau focalisée sur les explications de celui ci.
Ainsi le même élément de contexte peut être l’indice d’une autre situation, dans un autre
faisceau d’indices, et former ainsi un autre représentamen.
Là aussi cette confirmation est produite par le repérage d’éléments significatifs pour l’acteur.
Mais ce repérage est produit à partir du fond constitué par les indices déjà relevés (l’action de
Benoît, le comportement des élèves à ce moment, le comportement d’Alain qui applique la
stratégie souhaitée par Benoît). Le tout est mis en relation pour produire l’interprétation
occurrente.
Il n’y donc pas d’indépendance de l’interprétation occurrente par rapport aux interprétations
passées. Les seuls indices occurrents ne forment pas le représentamen en cours. Les indices
prennent au contraire sens par rapport à une toile de fond constituée de l’histoire de l’enquête.
L’action de l’acteur et les résultats de celle-ci deviennent de fait un test des interprétations :
puisque l’action a réussi et que les élèves se sont réinvestis dans l’écoute et la compréhension,
c’est que les interprétations de la situation et les types associés étaient valides.
Cette forme pragmatique de vérification des interprétations et des types, explique sans doute
pour une part la présence d’actions accolées aux types (exemple ue 3). Tout se passe comme
si l’acteur construisait des interprétations en relation avec ces types, mais aussi avec ses
actions habituelles.
Autrement dit tout se passe comme si l’acteur construisait des interprétations compatibles
avec les moyens d’action dont il dispose au sein de son enquête.
Deuxième chapitre
187
2.5 Une clôture d’enquête paradoxale
2.5.1 Un processus interprétative fait d’un dilemme Pourtant l’acteur, à l’issue de l’enquête, doute de la justesse des types mobilisés alors même
qu’ils ont montré leur efficacité.
Extrait de l’autoconfrontation : donc par rapport à çà j'ai essayé de... de faire un truc euh... Pour
qu'ils rigolent quoi. Parce s’ils avaient envie de se détendre plutôt que d'écouter des définitions. Et là
en fait bon... là çà retient apparemment leur euh... Enfin je sais pas si çà tient leur... leur attention
mais... bon euh... apparemment euh... ils regardent tous quoi... ils se parlent pas et... bon... je sais pas,
pouh.
Un autre motif d’arrêt de l’enquête apparaît alors, il s’agit de la saturation des élèves, que l’on
peut inférer à travers l’interprétation « ce n’est pas la peine d’en rajouter ».
Extrait de l’autoconfrontation : ouais !. Parce que là j'estime que euh... bon euh... enfin si... c'est pas
qu'ils ont compris tout de suite mais euh... ben il a pas besoin d'en rajouter plus quoi.... après si on en
dit plus... après ils vont trop réfléchir. [il faut] Que ce soit instantané ; et puis que là... après, ils
partent sur autre chose quoi.
Benoît répugne à faire trop réfléchir les élèves (type de l’ue 8). On peut comprendre cette
préoccupation comme un souci de ne pas lasser les élèves. Ce type est probablement issu de la
méfiance de Benoît, déjà repérée, envers les explications langagières, notamment quand elles
sont trop longues. Tout se passe comme si l’interprétation de la situation oscillait entre deux
pôles. D’une part, l’engagement positif des élèves dans la situation et d’autre part, le risque de
le perdre si celle-ci se prolongeait par la saturation des élèves.
Le processus d’apprentissage est ici à l’état de juxtaposition de types et d’interprétations
contradictoires sans relation explicites entre elles.
Tout se passe comme si en définitive, Benoît clarifiait pour lui-même les raisons qui
l’amènent à arrêter l’intervention. L’acteur met à jour un conflit d’interprétation : un
dilemme interprétatif. Celui-ci l’amène finalement à avoir une position nuancée et
contradictoire de jugement sur la situation.
Voyons maintenant l’importance que revêtent ces dilemmes interprétatifs dans l’évolution des
types.
2.5.2 Une ouverture à l’apprentissage, par la mise en relation implicite de types, sur la base d’un dilemme interprétatif
Le dilemme naissant des deux interprétations différentes de la situation est ici en relation avec
le recours à deux types différents, ne serait-ce qu’implicitement. Le premier porte sur l’intérêt
Deuxième chapitre
188
d’avoir une démarche de mise en activité concrète des élèves : Les élèves ne peuvent pas se
mettre en situation avec des mots, il faut qu’ils puissent le voir et vivre la chose. Le deuxième
est relatif à la nécessité que cette action ne soit pas trop longue, pour ne pas risquer de voir les
élèves se désinvestir : « Il faut que la réflexion soit instantanée, après ils vont trop réfléchir».
De cette clôture paradoxale d’enquête et de ce dilemme interprétatif, il est possible
raisonnablement d’inférer, une mise en relation implicite de types différents, et
partiellement contradictoires. Cette mise en relation est pragmatique, c’est à dire qu’elle
vise à une évolution favorable de la situation. Celle-ci étant acquise à ce moment, il est assez
logique que cette mise en relation pragmatique en reste là. Nous verrons qu’à d’autres
moments, cette mise en relation pragmatique continue de façon solidaire à faire évoluer les
types.
D’autre part, Benoît effectue une évaluation globale de son action, dans un retour réflexif sur
celle ci. Il est remarquable que ce procès apparaisse justement à la clôture de l’enquête,
comme si ce moment était propice au retour réflexif sur la pratique. Cette posture réflexive
faisant émerger un doute sur l’interprétation de la situation est une potentialité
d’apprentissages nouveaux. En effet, celle-ci porte en germe un nouvel apprentissage
concernant la nécessité de maintenir l’engagement des élèves en provoquant une activité de
leur part, mais où la durée de l’action pour ce faire reste à déterminer…
Le doute concernant la caractérisation finale de la situation, issu à nos yeux, du caractère
contradictoire des interprétations et des types mobilisés, se traduit par une difficulté à valider
l’action. Ce doute, issu d’une mise en relation implicite de types contradictoires,
représente une potentialité de transformation des types mobilisés dans cette enquête.
D’autre part, ceci indique aussi que le nouveau type, construit sur la base de la détermination
des raisons de la survenue de la situation est encore hypothétique ; car l’acteur est encore peu
sûr de sa validité.
3. La dynamique interprétative de l’enquête 1 Après l’étude des différentes interprétations de cette enquête, il possible de décrire la
dynamique de l’évolution des interprétations.
3.1 Description de la dynamique interprétative de l ’enquête 1 L’eu 1 présente une interprétation à l’état d’un repérage d’un indice non souhaité. Comme
l’acteur possède un type usuel et qu’il s’attend à ce que la situation se dégrade, il se focalise
Deuxième chapitre
189
sur les indices visant à corroborer le pronostic négatif de la situation. Il s’ensuit la
détermination d’un faisceau d’indices non souhaité, mais attendus associés à la
détermination explicite de l’état de la situation (eu2). Le même faisceau sous l’action d’un
processus d’interprétation abductif, subit une modification d’interprétation.
L’interprétation évolue donc mais sans transformation radicale du type qui n’est ici que
confirmé.
Cependant quand à l’eu 4, le processus interprétatif est fait d’une évolution de
l’interprétation de la situation, par transformatio n des raisons de l’occurrence ; nous
assistons alors à l’apparition d’un nouveau type (4), une évolution du type usuel initial
(1), qui est produit par une induction. Ce nouveau type se présente comme la traduction
plus généralisée de l’interprétation occurrente, qui en devient de fait l’exemple fondateur : le
prototype. Après la validation de l’interprétation et du type associé de l’ue 4, par le résultat de
l’action (eu 5 à7), l’enquête se termine par l’apparition implicite d’un dilemme. Celui-ci est
fait de la juxtaposition implicite de deux types relativement contradictoires entre eux. Un
doute s’installe alors dans la conclusion de l’enquête (du point de vue de l’acteur), montrant
ainsi qu’il perçoit l’existence d’une difficulté non encore réellement déterminée, sur la base
d’un dilemme interprétatif .
En résumé cette dynamique montre la construction d’un faisceau d’indices sur la base d’un
indice initial, d’un processus interprétatif qui amène par des micro-changements à une
évolution progressive de l’interprétation de la situation (abduction) et débouche finalement
sur l’émergence d’un nouveau type par induction. Ce nouveau type n’entre pas en rupture
avec le premier, mais est simplement une évolution de celui-ci, par un processus de
transformation du système explicatif des raisons de survenue des situations subsumées sous le
type.
Ceci se fait sur la base des mêmes indices qui sont « resémiotisés », c'est-à-dire dont une
nouvelle mise en faisceau produit un nouveau sens. Ce nouveau type est lui-même remis en
cause, ou du moins fait émerger un dilemme du fait de sa mise en relation implicite avec un
type usuel plus ancien. Ce dilemme ouvre ainsi une potentialité d’apprentissage nouveau,
dans la mesure où il se trouvera objectivé, et débouchera sur une transformation des types.
Nous donnons ci-dessous une représentation modélisée de cette dynamique.
Deuxième chapitre
190
Modélisation de la dynamique d’apprentissage interprétatif de l’enquête 1
Indices Interprétations occurrentes Types associés
Les explications d’Alain
Interprétation occurente1 La situation a beaucoup de chance d’échouer : pronostic négatif et doute sur l’évolution positive de la situation
Focalisation sur les indices de conformes à l’interprétation occurrente Repérage d’un indice non souhaité
Confirmation du type 1 : Repérage d’un faisceau d’indices non souhaités, mais attendus et caractérisation explicite de la situation.
Type 1 Il serait plus facile et pertinent de vivre directement la notion plutôt que de l’expliquer par des mots
La stratégie de présentation langagière choisie par Alain
Rire des élèves, terme de « marins »
Interprétation occurrente 2. Les élèves ne sont pas des marins… c’est pas un vocabulaire adapté à leur niveau de compréhension
Confirmation du type : confirmation et complexification du faisceau d’indices non souhaités, mais attendus et détermination explicite des raisons de la survenue de la situation.
Type 2 Il serait plus facile et pertinent de vivre directement la notion plutôt que de l’expliquer par des mots
Repérage d’un faisceau d’indices par relation de co-occurence
Interprétation occurrente 3. Le vocabulaire utilisé embrouille les élèves, car il n’est pas de leur niveau », « Les élèves se désintéressent de la séance, car ils ne comprennent pas les explications d’Alain
Transformation du type 3 par la caractérisation des raison de la survenue de ce genre de situations (déterminées par l’interprétation occurrente) Évolution de l’interprétation occurrente par la transformation des raisons de la survenue de la situation.
Type 3 Il serait plus facile et pertinent de vivre directement la notion plutôt que de l’expliquer par des mots
Evolution des interprétations du même faisceau par abduction
Ue1
Ue2
Ue3
Interprétation occurrente 4 Les élèves sont de plus en plus embrouillés parce que l’explication n’est pas assez imagée.
Survenue d’un type contradictoire.
Type 4 Les élèves ont des difficultés à comprendre et à s’intéresser au cours quand les choses sont expliquées avec des mots plutôt que par une activité concrète de leur part ; Les élèves ne peuvent pas se mettre en situation avec des mots, il faut qu’ils puissent le voir et vivre la chose.
Ue4
Validation de l’interprétation par l’action (ue 5à7)
Rire des élèves, leur regard vers l’enseignant
Interprétation occurrente 8 Les élèves tournent leur tête vers l’enseignant, ils rient mais plus à propos d’autre chose, ce n’est plus la peine d’en rajouter.
Type 8 Il faut que la réflexion soit instantanée, après ils vont trop réfléchir.
Mise en relation implicite de deux types contradictoires : faire participer les élèves ; ne pas faire durer trop longtemps cette activité : ouverture à un nouvel apprentissage par la survenue du dilemme interprétatif .
Ue8
Les élèves se font des blagues entre eux. Les regards tournés entre eux.
Deuxième chapitre
191
Deuxième chapitre
192
Enquête 2
1. Résultats relatifs à la deuxième enquête Rappel : à partir de cette deuxième enquête, les récits réduits, les analyses globales, et les
tableaux présentant l’expérience interprétative sont présentés dans le document annexe.
1.1 Description du contexte de l’enquête n°2 Benoît n’a pas la responsabilité de la conduite de la séance. C’est au contraire son coéquipier
qui en a la charge, mais il a été convenu que les deux apprentis moniteurs pouvaient intervenir
dans la séance. Les bateaux utilisés par les élèves sont des petits catamarans de sport, dont
l’équipage est composé d’un barreur et d’un équipier. Après avoir mis à l’eau les bateaux,
Benoît et Alain interviennent conjointement. Les apprentis enseignants ont donné un rendez-
vous aux élèves à une bouée, mouillée au vent58, au bon plein59. Un parcours au vent de
travers a été installé. Les élèves commencent à rejoindre le parcours. Le vent tombe et les
bateaux n’avancent presque plus. Ils aident les élèves les plus en retard en les remorquant vers
le groupe qui est presque arrivé à la bouée de rendez-vous. Le vent tombe encore plus, ce qui
rend la navigation très délicate et demande une grande finesse de réglage et de conduite,
surtout avec ce type de bateau. Les apprentis arrivent près du catamaran de deux filles. Leur
bateau est arrêté et il est dans une direction opposée à celle de la bouée de rendez-vous. Les
élèves sont relativement inactives.
Alain est sensé intervenir prioritairement, car c’est lui qui mène la séance, mais c’est Benoît
qui intervient le premier. Son action vise simplement de remettre les élèves sur la bonne
direction. Mais les choses ne vont pas se passer de cette façon, et la situation va s’avérer
beaucoup plus difficile que prévue, ce qui va amener Benoît à développer une enquête à
laquelle il ne s’attendait pas.
1.2 Conclusions de l’analyse globale Lors de cette deuxième enquête l’objet de l’enquête peut se définir dans une activité dont
l’objet est :
Trouver quelque chose à dire pour faire bonne figure vis à vis tuteur en se montrant
efficace et en remplissant l’espace de parole.
58 C’est à dire qu’il faut remonter contre le vent pour aller au point de rdv 59 Les bateaux peuvent aller directement au point de rdv, en serrant un peu le vent
Deuxième chapitre
193
Cet objet est composé de trois préoccupations essentielles:
1. Trouver quelque chose à dire, pour « remplir l’espace de parole » sur la technique de navigation
2. Montrer au tuteur sa compétence
3. Réaliser efficacement la séance prévue sans temps morts
Il s’agit ici de présenter la face la plus valorisante possible, le tout dans une situation perçue
d’évaluation constante de la part du tuteur sur son activité d’enseignement. Cette situation est
vécue comme une menace permanente ou tout faux-pas sera sanctionné, notamment au niveau
du langage utilisé « tout ce qui est dit sera retenu contre toi » (ue 19). Cette interprétation de
la situation comme évaluation constante de son action produit un sentiment proche de la
panique, et ouvre par-là même l’activité d’enquête où il s’agira de trouver quelque chose à
dire pour se montrer compétent aux yeux du tuteur. L’angoisse est générée par la difficulté
ressentie à trouver quelque chose à dire susceptible de faire progresser les élèves sur le plan
technique (voir eu interprétative du UE 21, centrée exclusivement sur les composantes
internes au fonctionnement de l’engin). L’enquête se termine par la formulation d’une
consigne sous forme de conseil demandant à l’élève d’utiliser la barre pour trouver de la
vitesse.
Deuxième chapitre
194
1.3 L’intrigue de l’enquête 2 (ue17) Benoît repère deux filles qui ne sont pas dans la bonne direction. Il croit au départ que
les élèves ne savaient pas où elles devaient aller. Il mobilise à ce moment le type suivant :
(type1). «quand les élèves sont dans la mauvaise direction c’est qu’ils ont perdu la direction
où ils doivent aller »
Son engagement dans la situation vise à trouver quelque chose à dire pour faire bonne figure
vis à vis du tuteur. Cet engagement se décline dans la préoccupation de montrer
ostensiblement sa compétence. Dans ce but, Benoît passe par une phase d’occupation de
« l’espace de parole ». Il intervient donc rapidement sur les deux élèves, alors que c’est
officiellement Alain qui est en charge de la séance. Il s’agit de montrer au tuteur, qu’il peut
collaborer à mettre en place efficacement la séance prévue, sans temps mort. Il s’attend à
pouvoir régler rapidement et simplement le problème de la direction des élèves. Il demande
donc aux élèves s’ils voient où il faut aller. Benoît ne désire pas leur indiquer directement la
direction de la bouée car il mobilise un type selon lequel (type 2) « On ne doit pas donner
directement les solutions aux élèves mais leur faire découvrir ». Cette ue peut représenter une
ouverture potentielle d’apprentissage, dans la mesure où la suite des interprétations entrera en
contradiction avec le type 1 ou 2. Ce qui sera d’ailleurs le cas plus tard.
(Ue 18) En effet, les élèves trouvent visiblement normal de ne pas avancer, car elles
considèrent qu’il n’y a pas assez de vent. Benoît interprète cette remarque des élèves. Il
considère donc que les élèves n’ont pas perdu la direction de la bouée qu’elles doivent
rejoindre, mais quelles sont au contraire en difficulté pour avancer. Il sera donc moins facile
d’intervenir que prévu. La détermination de la situation par l’interprétation occurrente
contredit le type 1.
L’enquête évolue alors maintenant dans le but de trouver quelque chose à dire afin de sauver
la face. Afin de paraître compétent aux yeux du tuteur, Benoît tente d’interpréter les
difficultés des élèves en trouvant des erreurs dans leur technique. Son engagement évolue
alors. Il tente de gagner du temps, pour trouver quelque chose à dire qui puisse aider les
élèves sur le plan technique. Il leur répond alors : « c’est normal, mais il faut savoir pourquoi
c’est normal. C’est ça le problème ». Il mobilise alors le type selon lequel : (type 3) « Quand
tu ne sais plus trop quoi dire, tu poses une question, pour que le stagiaire réfléchisse et un
peu à ta place ; et puis en attendant çà va te mettre la puce à l'oreille». Il utilise en quelque
sorte la réflexion des élèves pour l’aider dans son intervention. Il espère que les élèves vont
lui fournir des questions auxquelles il pourra répondre, voire des réponses à ses propres
Deuxième chapitre
195
interrogations. Il mobilise pour cela le type selon lequel (type 4 ) « L’élève peut suggérer des
choses intéressantes à dire ». Il y aura une ouverture à l’apprentissage, si la suite des
interprétations entre en contradiction avec les types 3 et 4.
(ue 19) Mais les élèves se contentent de remarquer qu’elles n’avancent pas. Dans le même
temps, Benoît remarque qu’il n’y a pas d’erreur flagrante dans la technique des élèves. Il lui
vient à l’esprit qu’il ne sera pas facile d’intervenir. La situation lui semble limitée par manque
de vent notamment pour pouvoir intervenir auprès des élèves sur des consignes techniques.
Cette interprétation de la situation est produite par la mobilisation de deux types qui sont de
l’ordre de : La compétence se prouve à travers la prise de parole, mais sans dire d’erreur car:
(type5) « tout ce qui est dit sera retenu contre toi » ; (type 6) « Quand on ne peut plus
effectuer la séance prévue, on est en difficulté pour intervenir et pour prouver sa compétence
au tuteur ».
(Ue 20) Ne sachant pas quoi dire pour aider les élèves à avancer, Benoît entre dans un
moment proche de la panique. Cette ue représente un apprentissage par l’affaiblissement de la
croyance dans la fiabilité du type 3. Au contraire les types 5 et 6 subissent un renforcement de
la croyance en leur fiabilité.
(ue21) Quand une élève constate le bateau n’est pas face au vent, la panique de Benoît se
trouve encore renforcée. Il interprète cette remarque comme le signe d’une demande d’aide
pour avancer à la voile, demande à laquelle il ne peut répondre. Il considère en effet, que « si
elle savait qu’elle n’était pas face au vent, elle continuerait à avancer, et que comme elle
n’était pas face au vent, elle ne savait plus quoi dire [et quoi faire] ». Cette nouvelle
détermination de la situation possède un caractère d’évidence pour Benoît. Elle tranche avec
les interprétations de la situation qui ont été établies jusqu’alors. Elle est solidaire d’un
nouveau type : (type 7) « Quand les élèves sont dans la mauvaise direction c’est aussi parce
qu’ils ne savent plus quoi faire ». La création de ce nouveau type représente un apprentissage
interprétatif. Il s’agit de la création d’un nouveau type prototypique. Il est une évolution du
type 1, sans l’invalider.
(ue 22) En fonction de cette nouvelle interprétation, il poursuit son enquête afin de trouver
une solution satisfaisante permettant aux élèves de faire avancer leur bateau. Il passe en revue
les paramètres essentiels de réglage d’un bateau : La position des voiles et des navigants qu’il
juge « à peu près correctes ». Il considère qu’il ne reste plus que l’action de la barre
susceptible d’améliorer la situation (sans réellement savoir pourquoi). Cette interprétation est
produite par la mise en relation de deux types : (type 8) « Il y a seulement trois catégories
d’éléments à prendre en compte dans l’analyse technique : réglage voile, placement de
Deuxième chapitre
196
l ‘équipage, et direction avec la barre » et (type 9) « Au vent de travers, quand le vent est
faible il faut relâcher les voiles et avancer dans le bateau ». Dans ce moment de crise
interprétative, l’acteur se replie sur ses connaissances générales du fonctionnement de l’engin.
(ue 23) Benoît hésite sur les solutions qu’il pourrait apporter et tente de trouver quelque chose
à dire. Il y a ici une mise en relation de ces connaissances faisant office de types.
(ue 24) Il finit par utiliser la seule solution qui lui paraît non encore totalement utilisée par les
élèves : l’action de la barre pour faire avancer le bateau60. Cette intervention est produite en
relation avec l’interprétation occurrente selon laquelle : La position des voiles et des
navigants sont « à peu près correctes : il ne reste plus que la barre ».
Cette solution proposée aux élèves est déjugée par l’autre apprenti, Alain qui redonne une
autre consigne : Rejoindre la bouée en ramant. L’enquête se clôt sur cette intervention
déjugée.
60 Cette solution n’est absolument pas pertinente dans les conditions de navigation. Le bateau étant vent de travers pour aller à la bouée, l’action de la barre pour faciliter la propulsion du bateau est totalement négligeable.
Deuxième chapitre
197
2. Analyse de l’expérience d’interprétation dans l’enquête 2
2.1 Une ouverture d’enquête naissant d’une divergen ce entre l’interprétation de la situation et les espérances
ue 17 : Quand Benoît demande aux deux élèves, si elles voient où il faut aller, il s’attend à ce
que les élèves lui répondent que non. Cette attente est en relation avec l’interprétation
occurrente de la situation, selon laquelle les élèves ont perdu la direction de la bouée. Il leur
demande où elles doivent aller, moins pour vérifier son interprétation que pour les inciter à
réfléchir sur la direction qu’elles doivent prendre.
Mais quand les élèves ne répondent pas à sa question, et lui disent « on avance pas là ! », il
transforme son interprétation occurrente de la situation en inférant que les élèves savent où
elles doivent aller, mais qu’elles sont en difficulté pour avancer (eu 18). L’addition d’un
nouvel élément (les paroles des élèves) apporte ici une transformation de l’ensemble de la
situation. Cet élément de l’environnement (ce que disent les élèves) devient un nouvel indice
de la situation et fait évoluer son interprétation. Dans le même temps, les anciens indices sont
reconfigurés dans cette nouvelle interprétation. La direction du bateau et l’inactivité des
élèves deviennent le signe d’une difficulté à avancer.
Cette deuxième enquête, s’ouvre au départ par une divergence entre l’interprétation de la
situation (Les élèves n’ont pas perdu la direction, elles sont en difficulté pour avancer, il sera
moins facile d’intervenir que prévu) et les espérances (espérance de pouvoir intervenir
facilement afin de se montrer compétent aux yeux du tuteur). L’enquête s’ouvre pour réduire
cette divergence. L’ouverture de cette enquête apparaît donc complexe, car le repérage de la
divergence entre les espérances et l’interprétation occurrente se situe à deux niveaux. Le
premier est d’ordre fonctionnel (trouver une solution aux difficultés techniques des élèves), le
second est d’ordre social (apparaître comme compétent aux yeux du tuteur).
2.2 Une ouverture progressive d’apprentissage
2.2.1 D’une ouverture potentielle d’apprentissage Cette ue est constituée d’un type selon lequel : (type 1) « quand les élèves sont dans la
mauvaise direction c’est qu’ils ont perdu la direction où ils doivent aller ». La mobilisation
de cette ue représente une potentialité d’apprentissage. Si ce type est mis en défaut par
l’évolution de la situation, il peut alors subir éventuellement des transformations, ce qui sera
finalement le cas. Ainsi toute mobilisation de type constitue une ouverture potentielle
Deuxième chapitre
198
d’apprentissage. Il faut cependant une évolution particulière du processus d’interprétation et
d’apprentissage interprétatif pour que celui-ci s’actualise.
2.2.2 A l’ouverture actualisée de l’apprentissage A l’ue 18, les remarques des élèves font surgir l’interprétation selon laquelle : « Les élèves
n’ont pas perdu la direction ». Elles sont en difficulté pour avancer. La détermination de la
situation par l’interprétation occurrente contredit le type établi à l’ue précédente. Ainsi le
repérage d’un seul indice dans l’ensemble de la situation amène à une transformation radicale
de l’interprétation. Cette transformation est marquée par deux sentiments. Le premier est une
relative déception : « Il sera moins facile d’intervenir que prévu ». Celui-ci est solidaire
d’une interprétation occurrente et de l’apparition d’indices divergents par rapport aux
espérances. Le deuxième est une surprise associée à la survenue de cette situation inattendue.
Or la situation attendue était anticipée par la mobilisation du type initial (type 1). La surprise
marque ainsi un certain échec du type initial.
Les deux conséquences sur l’apprentissage interprétatif sont les suivantes :
La première est un repérage de la configuration situationnelle dans laquelle émerge l’indice
divergent par rapport aux attentes, le peu de vent, les remarques des élèves, leur apathie sur le
bateau… ;
La seconde est un affaiblissement dans la croyance en la fiabilité du type 1.
2.3 L’apprentissage interprétatif comme échange d’i nfluence entre types sur l’interprétation
Les deux types suivants sont associés à l’ue 18 : (type 3) « Quand tu ne sais plus trop quoi
dire, tu poses une question, pour que le stagiaire réfléchisse et un peu à ta place ; et puis en
attendant çà va te mettre la puce à l'oreille » et (type 4) « L’élève peut suggérer des choses
intéressantes à dire ». Cet apprentissage interprétatif potentiel s’actualise dans l’ue 19,
par le repérage d’une situation qui n’évolue pas conformément à la mobilisation des
types. Ce sont d’autres types qui sont alors convoqués : La compétence se prouve à travers la
prise de parole, mais sans dire d’erreurs car, (type 5) « tout ce qui est dit sera retenu contre
toi ».et (type 6) « Quand on ne peut plus effectuer la séance prévue, on est en difficulté pour
intervenir et pour prouver sa compétence au tuteur ».
Ces deux registres de types ne sont pas diamétralement opposés. Ils peuvent même être
relativement complémentaires. Pourtant par rapport à l’évolution des interprétations de la
situation, tout se passe comme si les premiers types subissaient une perte de confiance, au
profit des seconds (ceux de l’ue 19). De ce point de vue, l’apprentissage interprétatif procède
Deuxième chapitre
199
ici par échange d’influence entre types. Certains perdent de l’influence au profit d’autres plus
adéquats dans une certaine configuration situationnelle.
2.4 L’interprétation de la situation peut être une attribution de sens à un faisceau d’indices
Dans l’ue 19, le processus d’interprétation de cette situation fait apparaître une mise en
relation de plusieurs indices qui forment un faisceau. Le peu de vent, la technique à peu près
correcte des élèves, leur constat qu’elles n’avancent pas, sont les indices d’une situation où il
sera difficile de se montrer compétent, ce qui explique la panique associée.
L’interprétation occurrente de cette situation considérée comme « limitée », est une
caractérisation de ce faisceau d’indices (ue.19).
L’acteur recherche un appui sur ses élèves dans sa propre activité interprétative. Benoît utilise
la cognition et les remarques de ses élèves pour lui mettre « la puce à l’oreille ». Cette
expression peut être comprise comme une aide à percevoir des éléments importants de la
situation et à leur donner un sens. Tout se passe comme si Benoît était tenté de faire entrer les
élèves dans une activité de collaboration pour l’aider à déterminer la situation.
L’état de cette interprétation :
Cette caractérisation est associée à des types explicites relatifs à la situation dans sa
dimension de formation et d’enseignement (type 6) « Quand on ne peut plus effectuer la
séance prévue on est en difficulté pour intervenir et pour prouver sa compétence au tuteur »,
La compétence se prouve à travers la prise de parole, mais sans dire d’erreurs car: (type 5)
« tout ce qui est dit sera retenu contre toi »).
2.5 L’interprétation de la situation intègre une di mension sociale Benoît est perturbé par la réponse des élèves.
La situation lui apparaît alors limitée à cause du manque de vent (ue, 19), car il pense qu’il ne
sera pas facile de proposer une solution technique viable dans ces conditions de vent très
faible. De même il ne sera pas facile de maintenir la réalisation du plan prévu.
Cette nouvelle interprétation de la situation actualise une préoccupation d’ostension de
compétence vis à vis du tuteur. Il ne sera pas facile de se montrer compétent, car il sera moins
facile que prévu d’intervenir efficacement. L’objet de l’enquête évolue et intègre le jugement
du tuteur dans l’interprétation de la situation en y ajoutant ainsi une dimension sociale
d’ostentation de compétence. Il s’agit maintenant de trouver quelque chose à dire de pertinent
Deuxième chapitre
200
sur la technique, afin de se montrer compétent aux yeux du tuteur. Cet engagement est associé
à un début de sentiment de panique, car Benoît pressent qu’il risque de se montrer
incompétent en ne pouvant pas intervenir efficacement.
Avec la survenue de ses préoccupations d’ostentation de compétence vis à vis du tuteur, son
activité apparaît orientée, non pas vers les élèves, mais vers le tuteur au travers de son
interaction avec les élèves.
2.6 L’objet de l’enquête évolue en fonction des int erprétations de la situation
Dans cette ouverture d’enquête, l’objet qui était au début « réaliser efficacement ce qui était
prévu dans la séance et sans temps mort», se transforme rapidement par l’interprétation de la
situation. Il vise maintenant à trouver quelque chose à dire pour faire bonne figure vis à vis
tuteur en se montrant efficace et en remplissant l’espace de parole.
L’enquête se présente donc comme un processus de redéfinition permanente de l’objet de la
situation, en fonction de l’évolution des interprétations occurrentes, des préoccupations et des
résultats des actions. L’objet, les interprétations et les préoccupations s’influençant
mutuellement (en fonction des indices repérés, et des types mobilisés) pour former la
dynamique de cette enquête.
2.7 L’activité interprétative peut poursuivre plusi eurs objets dans une même enquête
Signe 19 et 20 : Benoît considère alors que la séance est limitée à cause du manque de vent
(ue.19), et dans son désir de montrer sa compétence au tuteur il commence à paniquer
(ue .20). Il perçoit la situation comme une évaluation de son activité d’enseignement par son
tuteur. C’est une situation menaçante où tout faux-pas sera sanctionné, notamment au niveau
du langage utilisé (type 5) « tout ce qui est dit sera retenu contre toi ». L’objet de l’enquête
évolue et se complexifie, il s’agit essentiellement de trouver quelque chose à dire pour se
montrer compétent aux yeux du tuteur. Dans le même temps, Benoît recherche des erreurs
techniques chez les élèves qui pourraient lui permettre d’avoir quelque chose à dire.
Nous assistons ici à un dédoublement de l’activité interprétative: la première a pour objet
l’activité des élèves et la deuxième la dimension sociale de la situation. Cette dernière est liée
au sens que donne Benoît à son activité vis à vis de son tuteur. Il s’ensuit que le processus
d’apprentissage est alors double. Il porte autant sur les types ayant pour objet la situation de
formation de Benoît, que ceux permettant l’interprétation de la situation de navigation des
Deuxième chapitre
201
élèves (eu18 et19). A cette multiplication des objets d’interprétation est associée un sentiment
de panique qui se renforce (ue20). Une même enquête peut donc être constituée
d’interprétations multiples.
2.8 L’apprentissage peut conduire à un sentiment de panique C’est la relation entre une déception quant à l’évolution non souhaitée de la situation, et la
surprise devant cette évolution inattendue ainsi que la remise en cause de la fiabilité de types
usuels et la crise de détermination de la situation, qui créent cette panique. Celle-ci survient
sur fond de la dimension sociale de la situation, perçue comme ne permettant pas l’erreur.
L’apprentissage apparaît donc tellement anxiogène dans certaines configurations de situation,
qu’il confine parfois à la panique.
2.9 Un moment de crise d’interprétation Le processus d’interprétation se poursuit ici par la recherche des raisons de la survenue de la
situation. De l’ue 20, à l’ue 24, Benoît est en proie à une crise d’interprétation . L’acteur
recherche les raisons des difficultés que le bateau a pour avancer sans pouvoir les trouver.
Dit de façon plus générale, l’acteur tente de déterminer les raisons de la survenue de la
situation sans y parvenir.
Plusieurs constats relatifs à cette crise interprétative peuvent être faits :
2.9.1 Dans une crise d’interprétation, la négligenc e de certains éléments de la situation est fonction de l’engagement en cours
L’acteur néglige des éléments évidents de la situation pour rechercher une interprétation de la
situation cohérente avec son engagement de moment. Il s’agit de trouver quelque chose à dire
où à faire et de remplir l’espace de parole, afin de donner une solution technique aux élèves.
Cet engagement particulier est à mettre en relation avec celui plus général visant à prouver sa
compétence au tuteur.
Ainsi les constats du fait que les élèves trouvent normal de ne pas avancer et du peu de vent
ne permettant pas facilement aux bateaux d’avancer; sont occultés au profit de la recherche
d’ éléments qui pourraient permettre de trouver une interprétation cohérente avec son
engagement. En d’autres termes, interpréter les remarques de l’élève sur le manque de vent
ou sur sa direction, comme une demande d’aide (eu.21) permet à Benoît de protéger son
engagement à occuper l’espace de parole pour se montrer compétent.
Deuxième chapitre
202
2.9.2 La recherche d’indices est orientée par une prédétermination de la situation
A contrario, Benoît recherche explicitement des indices permettant de corroborer une
situation qu’il a globalement prédéterminée (ue.21) (autour de l’existence d’un problème
technique), en inférant une demande d’aide de la part des élèves61. A partir de l’eu 22
jusqu’à 24, les éléments repérés dans l’environnement sont pris comme des indices d’une
situation de déficit technique. La mauvaise utilisation de la barre apparaît alors comme le seul
élément possible de ce déficit. Tout se passe comme s’il existait une prédétermination de
l’interprétation par une hypothèse a priori de caractérisation de la situation. L’activité
interprétative apparaît être organisée par un procès abductif.
2.9.3 Dans une crise d’interprétation, la validité pour l’acteur, d’une interprétation, est fonction des moyens opératoires dont il dispose
Benoît arrête son investigation dès lors qu’il trouve un élément lui permettant d’intervenir
conformément à son engagement (remplir l’espace de parole, et se montrer compétent en
donnant un conseil technique). L’interprétation selon laquelle, il n’y a que la barre qui
permettrait de trouver de la vitesse (eu. 22), lui permet une intervention facile (eu.24). Il dit
alors aux élèves « essaye de trouver de la vitesse avec ta barre ». Cela lui permet d’agir sur la
situation, puisqu’il dispose alors d’une consigne conforme à son engagement (eu.24).
La validité d’une interprétation apparaît donc fonction non seulement de plausibilité, mais
aussi de la possibilité pour l’acteur de déboucher sur une action performative. La validité
pour l’acteur de l’interprétation, est fonction des moyens opératoires dont il dispose
pour mener à bien son engagement.
De ce point de vue, les moyens opérationnels n’apparaissent pas comme les conclusions
logiques et appliquées de l’interprétation de la situation mais sont ici des constituants
solidaires de l’interprétation et de la typification.
En effet, ils sont une confirmation/ explicitation du type 8 selon lequel « il n’y a que trois
éléments à prendre en compte dans la technique (les actions sur la barre, le placement de
l’équipage, et l’action de l’écoute) ».
61 Ce qui, d’un point de vue extérieur ne parait pas du tout être le cas.
Deuxième chapitre
203
2.9.4 La recherche d’une interprétation valide peut passer par le recours à des éléments théoriques : un processus d’apprentissage ?
Ne disposant pas de type provenant d’une expérience passée, Benoît a recours à des
connaissances théoriques, pour tenter d’interpréter la situation. Ceci est extrêmement rare, et
n’a pu être constaté seulement que deux fois dans l’ensemble des données !
Ce recours à des connaissances théoriques est arrivé, chaque fois, dans un moment de crise
d’interprétation62.
Tout se passe comme si ce recours ne se faisait que lorsque l’acteur ne possède pas de types
usuels disponibles, et qu’il subit une crise de détermination, à la fois de la situation et de
l’action. Les connaissances théoriques étant mobilisées alors en lieu et place de types usuels.
Ceci marque aussi un apprentissage interprétatif. Si les connaissances théoriques permettent
d’interpréter la situation de façon valide, ceci peut déboucher sur la création d’un type,
comme ce fut le cas pour l’autre exemple. L’interprétation par le recours aux connaissances
théoriques utilise des inférences déductives, mais elles ne sont pas pour autant toujours
valides pour l’action et la détermination de la situation.
Ainsi l’utilisation de connaissances théoriques représente une potentialité d’apprentissage par
la création de nouveaux types.
2.9.5 Cette recherche d’interprétation valide est s olidaire d’une mise en relation pragmatique de plusieurs type
La recherche d’interprétations valides (ue22) par le recours à des connaissances théoriques est
solidaire d’une mise en relation pragmatique de plusieurs types. Dans ce moment de crise
interprétative, Benoît met en relation plusieurs types concernant la technique voile (les
catégories d’éléments à prendre en compte en général, et les actions à réaliser dans cette force
de vent). Cette mise en relation n’est pas explicite pour l’acteur, dans la mesure où il ne fait
pas état de cette mise en relation. Il existe cependant une juxtaposition des types, qui
débouche sur l’interprétation selon laquelle, une mauvaise utilisation de la barre est
responsable de la non vitesse du bateau. Cette mise en relation par juxtaposition est
pragmatique et contextuelle. Pragmatique, car elle est réalisée pour la détermination de la
situation en cours ; et contextuelle, car elle mobilise les éléments particuliers de la situation
pour le choix et la particularisation des types. Par exemple, au vent de travers, c’est parce que
le vent est faible que l’acteur pense qu’il faut relâcher un peu les voiles. Cette mise en relation
62 L’autre fois correspond à la phase exploratoire de cette recherche, dans laquelle Benoît fait référence à la relation entre l’assiette du bateau cabré et la vitesse de celui-ci.
Deuxième chapitre
204
ne se présente donc pas comme une réflexion d’ordre général, pour le développement d’un
type, mais bien pour la détermination d’une situation particulière, qui intègre pour cela une
mise en relation entre types.
2.10 Construction d’un nouveau type prototypique
2.10.1 Une induction de l’interprétation occurrente en type L’eu 21 fait apparaître une nouvelle détermination de la situation, qui est réalisée par
abduction. Cette nouvelle interprétation suppose la création d’un nouveau type. Celui-ci n’est
pas de forme prédicative ni même symbolique. Il est très proche de l’interprétation occurrente.
La construction de ue 21 fait apparaître ce type selon lequel, (type 7) « quand les élèves sont
dans la mauvaise direction, ce peut être aussi parce qu’ils ne savent pas quoi faire ». Ce type
est très proche de l’interprétation occurrente devenant de fait, l’exemple prototypique du type.
Le type est donc constitué de ce seul exemple. La construction de ce type sur cette base
prototypique s’est faite à partir d’une nouvelle interprétation de la situation. Il y a eu une
nouvelle mise en relation du faisceau d’indices, sur la base du repérage d’un nouvel indice (ce
que disent les élèves) et par la médiation de connaissances théoriques. Les élèves sont dans la
même position, le réglage des voiles est le même que lors des interprétations précédentes. Il y
a une nouvelle attribution de sens au faisceau d’indices, sur la base d’un ajout d’un nouvel
indice. Alors qu’une partie de l’environnement reste identique, la situation change totalement.
De façon métaphorique la situation change de forme par l’ajout d’un nouvel indice. Ce
nouveau type n’est pas hypothétique pour l’acteur, mais bien tenu pour vrai. Ce processus de
construction, qui fait passer l’interprétation occurrente tenue pour vraie en type, est basé sur
une opération inductive.
Nous appellerons création de type prototypique ce processus de construction de types
2.10.2 Une ouverture à l’alternative interprétative d’une classe de situation La création de ce nouveau type constitue une évolution du type 1, sans qu’il y ait
d’invalidation de celui-ci. Il représente une nouvelle alternative à l’interprétation des
situations (dans lesquelles les élèves ne sont pas dans la bonne direction) subsumée toute
entière dans le type 1, avant la survenue du nouveau type. La création de ce nouveau type
constitue une possibilité d’interpréter de façon différente un même faisceau d’indices.
Nous appellerons différenciation ce processus d’évolution des types.
Deuxième chapitre
205
3. La dynamique de l’apprentissage interprétatif da ns l’enquête 2
Décrivons maintenant la dynamique de l’évolution des types. Le point de vue adopté sera
celui de l’évolution du type 1 : « Quand les élèves sont dans la mauvaise direction c’est qu’ils
ont perdu la direction où ils doivent aller ».
3.1 Description de la dynamique dans l’enquête 2 L’engagement de l’acteur au début de cette enquête vise à se montrer compétent aux yeux du
tuteur, en remplissant l’espace de parole. Il tente d’intervenir sur les pratiquants en leur
donnant des conseils techniques.
L’acteur mobilise le type1 initial (rappelé ci-dessus) par le repérage d’un faisceau d’indices
(le bateau dans la mauvaise direction, l’apathie des élèves…) lui laissant penser que les élèves
ne savent pas où ils doivent aller, ou qu’ils ont perdu de vue la direction demandée. La
mobilisation de ce type représente un apprentissage potentiel s’il est déjugé par l’évolution de
la situation.
Cependant la survenue d’un nouvel indice (les élèves disent : « on n’avance pas là »… « je
crois que c’est à peu près normal ») va complètement remettre en cause l’interprétation
occurrente de ce faisceau. La détermination de la situation change alors totalement. L’acteur
infère que les élèves n’ont pas perdu la direction. Elles sont en difficulté pour avancer, et il
sera moins facile d’intervenir que prévu. L’enjeu de la situation est important pour l’acteur
dont l’engagement est orienté vers la possibilité d’intervenir sur des problèmes techniques
dans un but d’ostentation de sa compétence vers le tuteur. Cependant le premier type n’est pas
invalidé. Le type subit un affaiblissement dans la croyance dans sa fiabilité par cette
interprétation occurrente divergente par rapport aux attentes. Cette interprétation occurrente
est associée à un sentiment de surprise. Le premier type amène une focalisation par une
interprétation du nouvel indice (ue 21): l’élève dit « on est pas face au vent là ! ». Ce nouvel
indice vient s’ajouter au faisceau déjà constitué qui est transformé par l’interprétation
occurrente: L’acteur infère ensuite que les élèves demandent de l’aide pour faire avancer leur
bateau, car (argument) « si elle savait qu’elle n’était pas face au vent, elle continuerait à
avancer, et que comme elle n’était pas face au vent, elle ne savait plus quoi dire [et quoi
faire] ». Cette nouvelle interprétation de la situation actualise l’apparition d’un type alternatif
au type initial : (type 7) « Quand les élèves sont dans la mauvaise direction, c’est aussi parce
qu’ils ne savent plus quoi faire ». de forme prototypique. Il est établi sur la base de la
Deuxième chapitre
206
situation déterminée dans la nouvelle interprétation occurrente devenant le seul exemple
prototype du nouveau type.
Cependant ce nouveau type est aussi une évolution du type 1. Ce type concurrent est créé
pour l’interprétation d’un même faisceau d’indices. La survenue de ce nouveau type alternatif
constitue une différenciation du type initial. Cette différenciation institue de fait une
concurrence d’interprétation dans l’interprétation future de situations similaires, et donc
potentiellement de conflits d’interprétation.
Deuxième chapitre
207
3.2 Modélisation de la dynamique de l’apprentissage interprétatif dans l’enquête 2
Création d’un type prototypique
ue17/ Les élèves ne savent pas où ils doivent aller, ou ’ils ont perdu de vu la direction demandée
Interprétations occurrentes
Types associés
Type 1 : Quand les élèves sont dans la mauvaise direction c’est qu’ils ont perdus la direction où ils doivent aller (type1)
Les élèves disent : « on n’avance pas là »… « je crois que c’est à peu près normal »
Type 3 : « Quand tu ne sais plus trop quoi dire, tu poses une question, pour que le stagiaire réfléchisse et un peu à ta place ; et puis en attendant çà va te mettre la puce à l'oreille » Type 4 L’élève peut suggérer des choses intéressantes à dire
18/Les élèves n’ont pas perdu la direction. Elles sont en difficulté pour avancer. Il sera moins facile d’intervenir que prévu.
Représentamens
Type 7 : Quand les élèves sont dans la mauvaise direction, c’est aussi parce qu’il ne savent plus quoi faire
21/ Les élèves demandent de l’aide pour faire avancer leur bateau, car (argument) « si elle savait qu’elle n’était pas face au vent, elle continuerait à avancer, et que comme elle n’était pas face au vent, elle ne savait plus quoi dire [et quoi faire] ».
Repérage d’un indice divergent des espérances
Repérage des indices divergents des attentes
Convocation de l’indice par la mobilisation du type : divergence des attentes et des espérance
L’élève dit « on est pas face au vent là ! »
Ouverture potentielle d’apprentissage si la suite des interprétations entrent en contradiction avec le type (1 )
Le bateau dans la mauvaise direction
Création d’un nouveau type de forme prototypique. Ce nouveau type est aussi une évolution du type (1). Différenciation de types. Ce nouveau type est concurrent du type initial pour l’interprétation du même faisceau d’indice.
Ouverture à l’apprentissage : repérage de la situation qui contredit le type (1) et affaiblissement dans la croyance en la fiabilité du type 1
Repérage des indices divergents des espérances
Deuxième chapitre
208
Enquête 3
1. Résultats relatifs à la troisième enquête
1.1 Description du contexte de l’enquête n°3 Après cette deuxième enquête, Benoît regarde Alain mettre en place un jeu de ballon (il s’agit
d’une passe à dix) : Benoît est très dubitatif sur sa pertinence et pronostique que son
organisation sera difficile, car il s’attend à ce que le jeu d’Alain ne fonctionne pas.
Globalement Benoît pense que le jeu n’a d’intérêt que si les élèves se servent du bateau pour
avancer et manœuvrer. La passe à dix lancée, il s’aperçoit qu’un autre moniteur a pris la
même bouée qu’Alain, il y pronostique donc la présence de beaucoup de bateaux. Mais loin
de faire part de ses réflexions à son coéquipier, il reste silencieux et espère au contraire que
ce soit « le bordel », « qu’il y ait des cartons63 », et que la mise en place ratée soit « éclatante
de vérité ».
Extraits de l’auto confrontation (C : chercheur) B : Cà m'emballe pas quoi.
C : Ouais ! Çà ne t’emballes pas ?
B : D'entrée de jeu, ben ouais le jeu qui veut faire, enfin çà... Je vois aucun intérêt quoi.
C : Tu ne vois aucun intérêt ?
B : Non.
C : Mais tu lui dit pas... Que tu vois aucun intérêt ?
B : Non mais euh... J'attends de voir comment çà va se passer. (Rires)
C : Ah ouais !
B : Je le laisse faire son truc quoi. (Rires). C'est un peu sadique mais bon euh...
C : (Rires). Et tu penses que çà ne va pas marcher ?
B : (Rires). Ben... Je sais pas. (Rires). Dans ma tête euh... Pour moi en tous cas euh... Pas trop quoi euh... Je vais voir... On va voir avec les gamins quoi. Là je sais pas si tu vois ma tête mais je suis assez sceptique quoi.
Plus loin
B : Non mais je me vois... ouais ! Je me vois me marrer quoi.
C : Et pourquoi ?
B : Parce que euh... Y dit... Il leur dit de ramer pour rejoindre les autres. Puis je vois les autres... Je vois d'autres bateaux arriver euh... Alors je dis c'est... C'est n'importe quoi ! Quoi… Déjà à ce moment là.
C : Ouais ! Donc en fait à ce moment là tu vois les autres bateaux aller aussi vers la bouée...
B : Ouais !
C : Mais tu dis rien ?
B : Ben je me marre intérieurement, enfin là extérieurement aussi quoi. Je dis rien, je dis rien.
63 C’est à dire des chocs entre bateaux
Deuxième chapitre
209
C : Mais pourquoi... Pourquoi tu dis rien ?
B : Parce que !
C : Je ne comprends pas ! (Rires).
B : Parce que je suis... Parce que je veux qui... Je veux qu'il fasse le truc ! Et... Et je euh... Parce que si jamais çà marche euh... Ben euh... Après bon je peux en tirer des conclusions euh... Je peux en tirer des conclusions actives et puis euh... Après directement lui dire de modifier son truc quoi. C'est lui qui a préparé l'exercice et euh... En fait dès que çà va être le... Le bordel ; dès que ce sera vraiment éclatant euh... De... De vérité enfin dès que çà se verra vraiment vraiment. Parce que pour l'instant c'est que des... Des suppositions quoi, de ma part. Intérieurement. Et ben euh.... Après je vais modifier euh... Les... Les règles un peu.
Ainsi contrairement aux intentions signifiées de collaboration, il existe en fait une
situation réelle de compétition entre Benoît et Alain (de la part de Benoît surtout). De cette
situation de compétition entre les deux protagonistes, et de l’engagement de Benoît à faire
bonne figure aux yeux du tuteur, il est raisonnablement possible d’inférer que l’enjeu de cette
compétition est de briller plus que l’autre devant le tuteur, quitte à ne pas beaucoup aider
son coéquipier.
La fin de la séance approche et Benoît n’est pas encore intervenu en responsabilité. La tutrice
demande alors à Benoît de prendre en charge la séance. Benoît aborde donc sa partie de
séance dans un contexte de compétition larvée. Il lui reste une petite demi-heure avant la fin
de la séance. Benoît regroupe ses élèves et refuse l’aide d’Alain lui proposant de faire quelque
chose et donne ses consignes aux élèves : Aller se placer sur un parcours vent de travers, entre
une bouée rose et son bateau à moteur. A chaque passage les élèves doivent taper dans sa
main. La tutrice demande un complément d’informations au sujet de l’exercice qui semble
difficile à réaliser. Elle ne fait pas de remarques sur les difficultés prévisibles de sa mise en
place : Le vent est trop faible et il sera probablement difficile pour les élèves de rejoindre le
parcours. Après avoir lancé l’exercice, Benoît constate la difficulté des bateaux à remonter sur
le parcours qu’il a placé au vent des élèves. Ceci ouvre l’enquête visant à résoudre le
problème. L’objet qui est au départ le regroupement des élèves se transforme au cours
de l’enquête, notamment sous l’effet de l’évolution de l’interprétation. C’est ce que
montre l’analyse globale (voir plus loin).
1.2 Conclusions de l’analyse globale Lors de cette troisième enquête menée par Benoît l’objet de l’enquête peut se définir dans une
activité dont l’objet est :
Apparaître compétent aux yeux de la tutrice, en mettant en place efficacement un
exercice « pédagogique » c’est à dire en lançant l’exercice pour tous les élèves en même
Deuxième chapitre
210
temps et au même endroit, le tout dans un temps très contraint, et en faisant remonter
les élèves vers la base.
Cet objet est composé de six préoccupations essentielles :
1/ Dans un contexte perçu d’évaluation de la part de la tutrice, apparaître brillant à ses
yeux en mettant en place efficacement et coûte que coûte l’exercice pédagogique
prévu.
2/ Mettre en place l’exercice prévu dans un laps de temps restreint.
3/ Rapprocher les élèves de la base, et ne pas descendre sous le vent.
4/ Regrouper tous les élèves avant de lancer l’exercice.
5/ Trouver autre chose à faire.
6/ En finir avec la situation.
A de nombreux moments Benoît est confronté à un problème d’engagements contradictoires,
par rapport aux contraintes objectives du contexte de l’action. En effet vouloir, à la fois
paraître aux yeux du tuteur, en mettant en place un exercice visant la maîtrise de la conduite
du bateau dans un temps très court, mais sans accepter que les élèves restent loin de la base,
relève de la gageur. Cela conduit Benoît à faire remonter les élèves contre le vent (très faible)
dans un temps très court, pour pouvoir lancer son exercice.
A partir de la minute 53 de cette enquête impossible, Benoît est tellement tiraillé par les
contradictions de ses engagements qu’il déserte l’action suite à un effondrement de son
engagement dans celle-ci. C’est ce qui a été traduit par la « perte d’engagement » des UE 72
et 73 associés à une crise d’interprétation de la situation.
Deuxième chapitre
211
1.3 L’intrigue de l’enquête 3 Après les interventions d’Alain, Benoît peut enfin intervenir sur dans la séance. Il ne lui reste
plus qu’une demi-heure. Il aborde cette activité comme une épreuve d’évaluation, sur fond de
compétition avec l’autre apprenti. Son engagement est alors de paraître compétent aux yeux
du tuteur et si possible davantage que ne l’a été Alain.
Benoît présente son exercice. Il s’agit de faire effectuer aux élèves des virements autour de
son bateau à moteur. A chaque passage ces derniers devront lui taper dans la main. Benoît à
confiance en cet exercice, car il l’a déjà mis en œuvre, et qu’il avait, de son point de vue, bien
fonctionné. Il donne rendez vous aux élèves sur un parcours au vent, car il désire se
rapprocher de la base. Cependant du fait du vent faible les bateaux avancent lentement et ce
d’autant plus que les élèves doivent remonter au vent.
La tutrice lui demande un complément d’explication sur ce qu’il veut faire (4564). Il lui
répond. Son engagement le renvoie à des préoccupations visant à apparaître brillant en
répondant clairement à la tutrice. Dès le départ il se sent en difficulté (46) : Il doute que son
exercice fonctionne correctement (47) car il pense que la mise en place de son exercice ne se
fera pas rapidement. Il doute aussi que les élèves arrivent à temps pour qu’il puisse lancer
l’exercice prévu. Il mobilise alors un type de l’ordre de : Quand on ne peut plus effectuer la
séance prévue on est en difficulté pour intervenir et pour prouver sa compétence au tuteur.
Parallèlement ce doute provient d’une interprétation selon laquelle les élèves ont des
difficultés à remonter parce qu’ils n’ont pas toutes les compétences pour le faire (48). Benoît
essaie alors de les guider en se mettant devant eux avec son bateau à moteur (49). Il mobilise
alors un type de l’ordre de : Quand les élèves ont des difficultés on peut les faire suivre le
bateau à moteur . Les préoccupations globales de Benoît, sont de mettre en place l’exercice le
plus rapidement possible, et de regrouper tous les élèves avant de le lancer.
Alain tente de lui apporter son aide en lui proposant des solutions alternatives mais Benoît
refuse d’écouter ses propositions (50). Devant le manque de temps pour réaliser son exercice,
il éprouve un sentiment de frustration (51). Cette frustration est compréhensible par la
mobilisation du type : « Ce genre d’exercice a déjà été testé, a fonctionné et était marrant.
Les bateaux faisaient bien l’enroulé, mais l’exercice n’était pas vraiment pédagogique ». Ce
manque de temps est interprété comme un retard de sa part (52), ce qui entraîne un début de
panique (53), et une focalisation accrue sur l’heure (54). Ceci est associé a un apprentissage
64 Les numéros correspondent aux UE du récit réduit de l’enquête.
Deuxième chapitre
212
interprétatif de modification du type : il faudrait plus de temps pour mettre en place ce genre
d’exercice.
Les premiers bateaux arrivent et Benoît tente de combler l’impatience de ses occupants en
leur demandant de faire des aller-retour sur le parcours (55). Sa préoccupation est alors de se
débarrasser d’eux pour pouvoir intervenir sur les retardataires. En même temps son doute sur
la possibilité de réalisation de son parcours augmente, car il constate que les bateaux n’ont pas
beaucoup de vitesse ce qui rendra la réalisation de son exercice difficile (le virement) (56). Il
mobilise à ce moment un type selon lequel : « Quand les bateaux n’ont pas assez de vitesse ils
ne peuvent pas virer ».
Benoît redonne la même consigne aux nouveaux bateaux qui arrivent (57), Alain l’aide en
reformulant la consigne pour les élèves qui n’ont pas l’air d’avoir compris. Benoît se déplace
vers l’avant du groupe (58) et dit aux élèves qu’il est prêt à démarrer son exercice (les élèves
doivent venir lui taper dans la main) (59). Pendant ce temps Alain constate qu’il faudrait
ramener la tutrice qui doit rentrer à terre. Celle-ci intervient et demande de façon narquoise
aux deux apprentis si « le problème (sous-entendu d’organisation de l’exercice) est un
problème relatif à la notion d’au vent/sous vent ». C’est Alain qui répond et lui dit : « Non ça
c’est à peu près bon, non ils sont trop loin de la bouée et ils ne sont pas remontés au vent ».
Les élèves sont effectivement à deux cent mètres sous le vent du parcours de Benoît. La
tutrice se met alors à rire.
On entend au loin un élève qui appelle «Alain ! Alain ! ». Alain tente de venir en aide à
Benoît en lui expliquant que les élèves sont trop loin sous le vent et qu’ils ne peuvent pas
rejoindre le parcours parce qu’ils ne savent pas faire du près. Il lui propose donc de faire un
parcours vent de travers là où sont les élèves. Benoît juge que les élèves sont trop dispersés
pour pouvoir lancer son exercice (60), mais il ne répond pas à Alain. Il ne désire pas lancer
son exercice car il mobilise un type lui dictant d’attendre que tous le monde soit regroupé
avant de le faire car : « Quand certains sont à la bourre, après ils paniquent et ils disent :
putain, les autres font un autre truc, puis il y en a qui commencent à gueuler…et puis après
ça devient le bordel ».
Pendant ce temps les élèves qui étaient arrivés sur le parcours font demi-tour et redescendent
sous le vent, ce qui plonge Benoît dans une panique totale teintée de désespoir. Le peu de
résultat en terme de regroupement de la flotte s’effondre, puisque les seuls élèves qui étaient
parvenus sur les lieux du parcours repartent et redescendent vers les autres.
La tutrice est prise alors d’un fou rire qu’elle tente de masquer sans y parvenir. Benoît pense
immédiatement que la tutrice se moque de lui (62), qu’il est ridicule au possible, et que sa
Deuxième chapitre
213
séance est irrattrapable. Emerge alors un type selon lequel, en situation de formation, je risque
d’être ridicule et perçu comme incompétent.
L’enquête qui visait à trouver les moyens de mettre en place l’exercice prévu se double alors
d’une autre enquête visant à interpréter l’activité de la tutrice. La situation pour l’apprenti
n’est pas uniquement organisée par le déroulement de la séance, et l’interaction avec les
élèves. Elle l’est aussi par son interaction avec la tutrice.
Alain propose à Benoît de redescendre et de dire aux élèves les plus en retard de le suivre ce
que fait immédiatement Benoît (63), alors qu’il juge que la situation lui échappe (64). Il se dit
dans l’incapacité de déterminer pourquoi les élèves (ceux qui sont redescendus sous le vent)
ont agit de cette façon. Cette difficulté d’interprétation est en relation avec le type selon lequel
il n’est pas possible de « savoir ce qui se passe dans la tête des élèves ».
Il entre alors dans un moment de crise de détermination tant au niveau de l’action que de
l’interprétation de la situation (65), ne sachant plus quoi penser de la situation, ni quoi faire. Il
n’intervient pas pour faire remonter ceux qui sont en train de redescendre sous le vent. Il tente
de lancer son exercice là où sont les élèves comme lui préconisait Alain (66). Tandis qu’il se
focalise de plus en plus sur l’activité de la tutrice, notamment son rire qui devient de plus en
plus perceptible. Cette focalisation est associée à une interprétation (67) selon laquelle la pire
des choses lui arrive, la tutrice se moque de lui; « si la tutrice se permet de se marrer c’est
que c’est vraiment [pas bon] ». Cette interprétation est solidaire de la mobilisation du type
selon lequel : en situation de formation je risque d’être ridicule et perçu comme incompétent».
Ainsi le rire de la tutrice, interprété comme le signe du ridicule de l’activité de l’apprenti,
facilite la crise de détermination de la situation, à la fois sur le plan de l’action et de
l’interprétation. Ceci produit un énervement lié à cette interprétation, mais aussi au fait qu’il
ne peut plus réaliser ce qu’il voulait (avait prévu). Alain intervient auprès de la tutrice et lui
demande goguenard si son rire est nerveux ; comme pour défendre Benoît, qui est totalement
effondré, bien qu’il tente de faire bonne figure.
Benoît continue d’essayer de rassembler tout son groupe (69), mais il est totalement
désemparé et n’arrive plus à réfléchir. Sa préoccupation est alors de se donner du temps pour
réfléchir à la situation. La crise de détermination de l’action et de l’interprétation est à son
comble (70, 71, 72, 73). Pendant cette crise Benoît n’arrive pas à convoquer de type.
Cette crise conduit à un moment d’abattement (74), où Benoît s’assoit sur le bateau et laisse
Alain intervenir à sa place. A partir de ce moment (53ème minute), plusieurs phases
d’abattement et d’énervement se succèdent pendant lesquelles soit Benoît laisse Alain
intervenir, soit, pendant de courts moments, il essaie de reprendre les rênes de sa séance. Il
Deuxième chapitre
214
tente ainsi de relancer son exercice (75). Mais comble de malchance, il constate que les élèves
ne se rendent même plus compte qu’ils sont face au vent dans ce vent trop faible (76). Cette
interprétation est construite par la mise en relation avec un type selon lequel : « Quand le vent
est trop faible les élèves ne se rendent pas compte de ce qui se passe». Il pense qu’il ne pourra
donc pas réaliser l’exercice prévu (77).
Ce cycle d’abattement de sursaut et de constat d’échec recommence une deuxième fois (78 à
81). Deux minutes plus tard, les préoccupations de Benoît on changé. Interprétant la situation
par un constat de manque de vent pour mettre en place la séance prévue, il s’agit pour lui de
rentrer et d’oublier cet épisode douloureux. Quand Alain constate qu’il n’y a plus de vent et
propose de remorquer les élèves pour rentrer, Benoît en conclut que tout le monde est
d’accord pour dire qu’il n’y a plus rien à faire (83). Il décide de rentrer (84). Cette enquête se
termine par l’émergence du type selon lequel l’intérêt pédagogique de naviguer dans ces
conditions de vent est nul : « Quand les bateaux ne peuvent pas avancer cela n’a aucun
intérêt de faire de la voile », « on ne peut rien faire dans la pétole65 ».
65 Vent très faible
Deuxième chapitre
215
2. Analyse de l’expérience d’interprétation dans l’enquête 3
2.1 Un processus interprétatif de surveillance de l ’évolution de la situation est associé à une transformation du type dans sa dimension perceptive
Cette troisième enquête commence par le renforcement de l’engagement de Benoît sur
l’ostentation de sa compétence vers la tutrice (UE 45). Ceci va avoir pour conséquence une
augmentation de l’enjeu de son intervention dans la présentation de face. Au même moment
(UE 46) un élément de l’environnement lui apparaît divergent par rapport aux indices
correspondant à la situation espérée : il doute que les élèves aient le temps de remonter pour
qu’il puisse lancer son exercice et donc qu’il puisse se montrer compétent. Ce doute de
l’évolution positive de la situation (c’est à dire conforme aux espérances), va entraîner un
processus interprétatif de surveillance de l’évolution de la situation (UE 47). Si d’autres
indices confirment la divergence de la situation à celle espérée (UE 46), il y aura une
enquête (sous certaines conditions toutefois). Il s’agit donc d’une ouverture potentielle
d’enquête, déjà repérée par ailleurs.
L’état de l’interprétation se présente ici comme un repérage d’indices non souhaités de la
situation. Ce n’est pas tout à fait un pronostic négatif de la situation, mais simplement un
doute quant à l’évolution de celle-ci.
Au niveau des processus d’apprentissage, cette ouverture est associée à une transformation
du type dans sa dimension essentiellement perceptive.
Benoît repère les indices lui faisant pronostiquer la difficulté à mettre en place l’exercice et à
montrer sa compétence (la demande de la tutrice, le temps mis par les élèves pour se
rapprocher du parcours, le manque de temps) il les met en relation avec les éléments habituels
dans ce type de situation (notamment la vitesse habituelle de remontée au vent, la force du
vent requise). Ce type (la vitesse habituelle de remontée au vent par les élèves, dans ce type
de temps) subit l’influence de cette expérience. Il y a un affinement du repérage des indices
et une complexification des indices repérés. En effet, dans son interprétation de la
situation, Benoît prend la sorte de bateau en compte ce qu’il ne faisait pas au début de
l’enquête.
Deuxième chapitre
216
Le repérage d’indices dans son évolution dans le repérage d’un faisceau plus étoffé amène à la
fois un affinement de la perception des indices, mais aussi une augmentation de la complexité
des indices associés à la mobilisation du type.
2.2 Un horizon d’enquête qui se rétrécit dans des c onditions de forte charge émotionnelle
Cependant, la focalisation sur les indices divergents des espérances peut conduire à la
survenue d’une charge émotionnelle telle, qu’elle provoque la fermeture relative du champ
d’investigation.
A l’UE 53 par exemple, Benoît pressent les difficultés à mettre en place son exercice dans le
peu de temps qu’il lui reste, ce qui crée chez lui un sentiment de panique. L’interprétation
occurrente d’une situation perçue négativement amène une centration sur les indices négatifs
de la situation en cours. Entièrement préoccupé par la crainte de ne pas arriver à créer la
situation espérée, il se focalise sur les indices divergents.
Dans le même temps le processus de détermination de l’action relève d’une fermeture du
champ d’investigation des possibles. Benoît devient incapable d’envisager d’autres
solutions que celle déjà déterminée (faire remonter les élèves vers le parcours au vent), alors -
nous le verrons - qu’il dispose de solutions alternatives, mais qu’il n’arrive pas à mobiliser.
Mais cette fermeture du champ d’investigation des possibles, peut-être vue réciproquement
comme une réaction au processus d’interprétation de montée des indices divergents des
espérances.
Tout se passe comme si, pour se protéger de la montée des indices divergents, l’acteur se
fermait à envisager d’autres solutions, ce qui l’amènerait à repérer d’autres indices divergents
de ses espérances.
Ceci lui permet de ne plus avoir à relever trop d’éléments dans la situation, ce qui est
inconfortable émotionnellement pour lui. Il met en quelque sorte le processus d’interprétation
en sommeil pour surmonter la situation, comme le montre l’EU 55 : Benoît continue à mettre
en place son exercice comme s’il s’attendait à pouvoir le réaliser sans difficulté, alors qu’il
s’attend en fait, à ce qu’il ne puisse pas le réaliser.
Deuxième chapitre
217
En d’autres termes, tout se passe comme si, à certains moments de l’enquête le processus
interprétatif simplifie le repérage des indices de la situation, au point de faire disparaître tout
repérage d’indices divergents des souhaits.
Ce que l’on peut aussi constater dans les UE 57 à 59. Ainsi l’horizon de l’enquête dans sa
composante de détermination de l’action, peut se rétrécir à certains moments de l’enquête
sous forte charge émotionnelle, due aux repérages d’un faisceau d’indices non souhaités.
2.3 L’interprétation de la situation dans une activ ité désespérée Mais cette réduction du repérage d’indices ne résiste pas longtemps. Les indices s’imposent
de nouveau avec d’autant plus de force que l’acteur a tenté de les évacuer de son faisceau
attentionnel. Ceci peut conduire à une activité que nous appelons désespérée. Dans une
interprétation de la situation jugée désespérée - c’est à dire où l’acteur pense que ses
espérances ne vont pas advenir -l’activité peut devenir, elle aussi, désespérée. C’est à dire,
qu’elle se réalise bien que l’acteur pense que ses actions n’ont pas de chance de réussir. Elle
est associée ici à des émotions de l’ordre de la panique.
Cette dynamique émotionnelle est solidaire d’une crise de détermination de l’action (l’acteur
ne sait plus vraiment quoi faire ; UE, 69) et d’une crise interprétative (l’acteur ne sait plus
quoi penser de la situation ; UE 70).
Nous assistons à ce moment à un effondrement des attentes. L’acteur ne sait plus ce qui va se
passer. L’absence de type disponible, les émotions de panique, la perte des attentes, amène le
processus interprétatif dans le repérage accru des indices de la situation, la plupart étant ici
divergents de ce qui reste des espérances (UE 73). Tout se passe comme si l’acteur ne sachant
plus à quoi s’attendre subit une montée de la perception des indices divergents des
espérances.
Ce processus peut aller jusqu’au découplage de l’activité avec les processus interprétatifs
comme il est possible de le voir dans l’exemple de l’EU 61.
Quand la tutrice rit, et que Benoît n’ose pas lancer son exercice, car il juge que les élèves sont
trop écartés les uns des autres, il entre dans un moment de panique. Les indices sont tellement
divergents des espérances (mettre en place l’exercice prévu efficacement pour se montrer
compétent aux yeux de la tutrice) qu’il n’arrive plus à réfléchir (EU, 61). La situation apparaît
dans le même temps très complexe, car elle présente des indices divergents relevant de la
Deuxième chapitre
218
dimension fonctionnelle, mais aussi sociale : Benoît interprète le rire de la tutrice et sa prise
de note sur son calepin, comme un doute de celle-ci sur sa compétence. Ces aspects sociaux
de la situation peuvent d’ailleurs accaparer l’essentiel du processus d’interprétation (UE 62).
Benoît à certains moments ne fait plus qu’interpréter l’activité de la tutrice. Le rire est
maintenant le signe d’une moquerie à son égard, de son ridicule, et d’une séance irrattrapable
(UE 62).
Benoît repère également de multiples indices montrant que la situation lui échappe. L’acteur
recherche une mise en sens globale de la situation sans y parvenir. Les différents éléments de
la situation sont simplement juxtaposés comme autant d’indices d’une situation indéterminée
et qui échappe au contrôle de l’acteur et dont les éléments sont divergents de ce qu’il
souhaiterait voir. Ils sont perçus comme des indices d’une situation négative, sans qu’il
parvienne à déterminer le problème essentiel auquel il est confronté.
Le nombre et la diversité des indices (comme le montre le tableau suivant) rendent la
situation incompréhensible pour l’acteur.
Objet d’interprétation Indices de situation L’inte rprétation partielle
Les bateaux éloignés les uns des autres
Ce que je voulais faire n’est plus possible
Les élèves qui redescendent Je ne peux pas savoir ce qui se passe dans leur tête
1
L’organisation de la séance et l’activité des élèves
Un bateau face au vent en retard L’intérêt de naviguer par vent faible est nul
2 Les conditions météos Le vent faible Il n’y a rien à faire de ce temps
Le rire de la tutrice La tutrice pense que ma séance n’est vraiment pas bonne
La prise de note de la tutrice Je suis en situation d’évaluation
3 L’image qu’il pense donner à la tutrice
La question moqueuse de la tutrice
La pire des choses m’arrive, je suis ridicule, la tutrice se moque de moi
Dans cette phase de montée de la perception d’indices divergents des espérances, associée à
une complexité de la situation (par la diversité de nature des indices repérés), l’acteur subit un
moment de panique, dans lequel il n’arrive plus à réfléchir à la situation (EU 61,
68,70,71,72,73,74,77,78,79). Cette incapacité à structurer une interprétation à partir du
Deuxième chapitre
219
repérage de ces éléments relance une boucle de panique, (UE 71 à 74), qui perturbe encore un
peu plus le processus interprétatif.
Extrait de l’auto confrontation
B : Là... Là... Là je deviens fou là. (Rires). Là...Llà il se passe plus rien dans ma tête euh... Là je pfouh...Là c'est... Là je...Là je suis... Là mon truc il... Il est plus possible quoi.
c : ton truc est plus possible, ce que tu voulais faire est plus possible, c'est ça que tu veux dire ?
B : Ouais ! Ouais !
c : Et il ne se passe plus rien dans ta tête tu dis...?
B : Ben... Là euh... Elle est vide là parce que bon euh..., Quand tout va mal quoi ben... Ben... Je sais pas si t'as déjà ressenti çà, mais quand tout va mal euh...Y a pfouh là... Là tu... Tu réfléchis plus t'es... T'es complètement t'es euh... Ben... Je sais pas c'est... Tu sais plus quoi faire en fait quoi voilà c'est ça. (Soupir).
c : Tu dis euh... Quand tout va mal tu sais plus...
B : Ouais ! Ouais ! Euh... Là euh… Je savais plus ce qu'il fallait faire, enfin ouais euh... Je savais plus quoi faire quoi ! J'avais trop de trucs à m'occuper : L'autre qui était parti là bas, l'autre qui arrivait plus à revenir qu'était face au vent euh... Euh... Qui était à la bourre. Ouais ! (Silence) Donc euh... Voilà quoi. Bon au niveau du ouais ! Donc euh... j'ai pas su faire euh…
Quand Benoît tente d’interpréter la situation, c’est pour constater qu’il est impuissant à
comprendre les raisons de sa survenue. Par exemple, lorsque les élèves qui étaient arrivés au
vent commencent à redescendre, il se dit incapable de comprendre pourquoi les élèves
réagissent de cette façon : « Je ne peux pas savoir ce qui se passe dans la tête des élèves »
(EU 64). Il existait pourtant un certain nombre d’hypothèses facilement formulables :
lassitude d’attendre, envie de rejoindre les camarades sous le vent… Tout se passe comme si,
dans cette activité désespérée, les processus interprétatifs étaient altérés par l’effondrement
des espérances que l’acteur place dans une survenue positive de la situation. Cette
impuissance à interpréter la situation favorise encore le sentiment de panique.
Ce sentiment, qui perdurera pendant toute la fin de séance, est solidaire d’un découplage de
l’action (et de sa détermination) avec les processus interprétatifs. Le processus
d’interprétation continue de se dérouler sans entraîner de changement dans les intentions
d’action, alors même que l’interprétation de la situation présente celle-ci comme désespérée
aux yeux de l’acteur. C’est à dire, qu’il ne pense plus voir advenir ses espérances (faire
réaliser le parcours par les élèves). Benoît tente tout de même de regrouper ses élèves pour
mettre en place son parcours comme prévu (UE 63, 65, 66, 69, 75, 76, 81), alors qu’il pense
que la situation est irrattrapable.
Deuxième chapitre
220
Tout se passe comme si l’action se poursuivait de façon autonome, sans que les
interprétations de la situation n’influencent la détermination de l’action. Ainsi les processus
de détermination de l’action et les processus interprétatifs peuvent subir un découplage, face à
une situation trop complexe et désespérée.
Mais cela ne signifie pas pour autant que les processus d’apprentissage soient pour autant
stoppés : A leur niveau certains éléments du contexte peuvent devenir les indices significatifs
d’une situation reconnue comme habituelle. L’interprétation occurrente devenant ainsi un
type. Par exemple dans l’EU 62, la situation de formation devient pour Benoît typiquement
ridicule, et dévalorisante (incompétence). Dans cette situation désormais typique, le rire de la
tutrice, sa prise de note, son observation, deviennent les éléments signifiants habituels du
ridicule et de la dévalorisation de soi en situation de formation.
Il est possible de voir ici à quel point les processus interprétatifs et émotionnels sont
intimement liés. La dynamique émotionnelle et cette double crise de détermination (de
l’action et de l’interprétation) se nourrissent l’une l’autre comme le montre l’alternance et
l’intrication des UE émotionnelles à tonalité de panique et celles concernant cette double crise
(UE 61 à 81).
Les caractéristiques de cette activité désespérée sont :
1/ Ce moment d’activité désespérée est associé à une montée de la perception d’indices
divergents ; 2/ La multiplicité des constats divergents est associée au sentiment
d’impuissance du contrôle de la situation (je savais plus quoi faire quoi ! J'avais trop de trucs à
m'occuper) ; 3/ L’activité interprétative prend la forme de juxtaposition de constats divergents
sans pouvoir les organiser globalement ; 4/ Elle est associée à un sentiment de panique ; 5/ Il
y a un découplage des processus de détermination de l’action et des processus interprétatifs ;
6/ Dans des cas extrêmes cette activité désespérée peut conduire à un arrêt du processus
interprétatif ; 7/ Les processus d’apprentissage font apparaître des créations de types, pendant
cette activité désespérée.
Cette phase de remontée des indices peut être pourtant considérée comme une ouverture à
l’apprentissage. En effet, à ce moment l’acteur tente de donner un sens aux indices qui
l’entourent sans pour autant y arriver.
Deuxième chapitre
221
2.4 Le repérage d’un faisceau d’indices divergents : une ouverture à l’apprentissage
Le repérage du faisceau divergent des espérances et des attentes conduit à un constat d’une
difficulté d’interprétation (« Je ne peux pas savoir ce qui se passe dans la tête des élèves »).
De ce point de vue, l’impossibilité déclarée à comprendre l’activité cognitive des élèves, est la
conclusion du processus interprétatif, qui ouvre une potentialité d’apprentissage. Comment ce
processus d’interprétation a-t-il fonctionné ?
L’acteur a mis en relation par juxtaposition , les indices occurrents de la situation et
d’anciennes interprétations dans un faisceau qui l’amène à constater une divergence aux
espérances (ça commence à mal partir), sans pouvoir pour autant caractériser la situation.
Suite à ces difficultés de caractériser la situation, l’acteur connaît une crise de détermination
de l’action (UE 65) : il doute qu’il puisse faire ce qu’il espérait. L’acteur constate à la fois son
incapacité à comprendre le comportement des élèves (UE 64), mais aussi à pouvoir s’adapter
aux indices divergents. Ceci le plonge dans une double crise : à la fois interprétative et de
détermination de l’action.
Mais dans le même temps, cette crise, et la mise en relation des constats sur la situation, ainsi
que le constat de son incapacité à interpréter la situation représente une potentialité
d’apprentissage : si l’acteur entre dans une activité de recherche d’une nouvelle interprétation
visant à comprendre le fonctionnement des élèves (activité solidaire de la détermination de
l’action), il peut éventuellement créer un type, à partir de cette interprétation de la situation.
Cette recherche d’une nouvelle interprétation de ce faisceau d’indices, se produira un peu plus
tard. Elle restera limitée à une évolution de l’interprétation sans pour autant réellement
remettre en cause le type associé, pour des raisons que nous allons voir maintenant.
2.5 La construction de nouvelles interprétations et l’apprentissage associé est solidaire d’une possibilité de détermi nation valide de l’action
Un peu plus tard, Benoît revient sur l’incident des élèves qui sont redescendus sous le vent. Il
arrive à donner des raisons sous forme d’hypothèses au fonctionnement des élèves (il
suppose que les élèves qui sont redescendus sous le vent allaient rejoindre les autres élèves;
UE 72). Cependant l’hypothèse ne permet pas de déterminer une solution au problème, elle
aggrave de plus la crise interprétative : Benoît se trouve dans l’incapacité de réfléchir (UE 73
et 74). Ce début d’interprétation ne sera pas utilisé et approfondi et encore moins développé
en type.
Deuxième chapitre
222
Tout se passe ici comme si l’interprétation naissante ne pouvait se développer en type que si
elle pouvait conduire à une action valide du point de vue de l’acteur (c'est-à-dire conforme
aux espérances). Dans le cas contraire la poursuite de la construction d’une interprétation est
abandonnée. A fortiori, si l’interprétation qui s’élabore ne conduit pas à une possibilité
d’action conforme aux espérances, cette interprétation ne peut rendre possible la construction
d’un type. L’apprentissage interprétatif est donc intimement lié aux possibilités d’action
suscitées par le développement de l’interprétation occurrente.
2.6 Une surveillance du faisceau d’indices peut déb oucher sur une transformation du type (EU 47)
L’activité de surveillance des indices divergents des espérances ne prend pas toujours la
forme d’une activité désespérée. La plupart du temps elle actualise un pronostic
défavorable et donc l’ouverture d’une enquête visant à trouver les moyens d’éviter la
survenue de la situation défavorable (contraire aux espérances), à laquelle s’attend l’acteur
(exemple 47). Le pronostic apparaît donc au sein d’une contradiction entre les espérances de
l’acteur et ses attentes.
Par exemple au début de cette enquête, c’est parce qu’il espère « mettre en place rapidement
l’exercice prévu» et qu’il s’attend au contraire que « les élèves n’arrivent pas à rejoindre le
parcours », qu’un pronostic négatif s’actualise. Ceci provoque l’ouverture de l’enquête.
Les attentes changent donc. L’acteur s’attend maintenant à ce que les élèves n’arrivent pas à
remonter sur le parcours dans le temps imparti, dans ces conditions de vent, avec ce type de
bateau, pour ces élèves… Ce faisceau d’indices de la situation constitue une expérience
d’apprentissage pour Benoît, qui a pour effet de faire évoluer son type. L’habitude
d’interprétation de la vitesse usuelle de remontée au vent des élèves par de ce genre de vent,
subit - par le repérage des conditions de mise en place difficile - la prise en compte de
nouveaux éléments qui enrichit en complexité le type.
De ce point de vue, le changement d’attente est un indicateur de la transformation du type par
sa complexification. L’acteur affine les caractéristiques à prendre en compte dans cette
catégorie de situation, pour prévoir l’évolution attendue (maintenant) de la situation.
Deuxième chapitre
223
2.7 Une détermination explicite de la situation qui approfondit l’interprétation et le type (UE 48)
Ce pronostic est suivi d’une interprétation dont l’état est une détermination explicite de la
situation selon laquelle les élèves n’ont pas toutes les compétences pour rejoindre le parcours
(E/48). Cette détermination explicite de la situation entraîne un processus d’apprentissage
interprétatif . Le type de l’UE 46 dans sa partie perceptive (La vitesse habituelle de remontée
au vent par les élèves dans ce type de temps) est mobilisé dans l’EU 48. Dans ce cas précis le
processus d’interprétation établit les raisons plausibles de la situation (les élèves n’ont pas
toutes les compétences pour rejoindre le parcours). Dans le même mouvement le type est
approfondi par mise en relation avec les raisons plausibles de la situation. La
détermination explicite de la situation vient comme argument du type en cours. Nous voyons
ici comment le procès d’interprétation vient transformer le type usuel vers un
approfondissement de celui-ci, par un procès d’argumentation.
Le type subit à certains moments un approfondissement par la mise en relation de celui-ci
avec les raisons plausibles de la situation. L’interprétation occurrente vient comme argument
du type. Celui-ci devient le lien établit entre la vitesse de remontée et l’expérience des élèves.
2.8 Le rôle central des actions dans le processus d ’interprétation de la situation
L’enquête se poursuit par des actions concrètes compatibles avec l’interprétation occurrente.
Benoît tente, pour pallier au niveau des élèves, de les guider en se mettant devant avec son
bateau à moteur (EU 49). Le procès d’interprétation intègre des éléments de la situation en
tant qu’indices renforçant la conviction dans l’interprétation occurrente (par exemple les
élèves sont trop face au vent).
Outre la détermination de l’action (c’est à dire ici l’utilisation de l’interprétation pour choisir
une action concrète pertinente), les actions se présentent du point de vue du processus
interprétatif, comme une validation pragmatique de l’interprétation occurrente.
Si par l’action de guidage Benoît arrive à faire remonter plus vite les élèves, ce sera de fait
une confirmation que c’est bien leur niveau de compétence, qui est en cause dans leur
difficulté à rejoindre le parcours. Ce sera aussi une confirmation du type (intégrant une règle
Deuxième chapitre
224
d’action) précédent dans l’UE 49 : « Quand les élèves ont des difficultés, on peut les faire
suivre le bateau à moteur ».
Il existe donc dans ce processus interprétatif une double dynamique: (1) celle de la
détermination de l’action par le processus d’interprétation ; (2) et en retour, celle de
validation/invalidation de l’interprétation occurrente, mais aussi des types associés par le
résultat de l’action.
2.9 Un processus d’apprentissage mixte de diminutio n de fiabilité du type associé à un approfondissement
A l’EU (51 et 52), la détermination explicite de la situation comme un retard entraîne une
diminution de la fiabilité du type (ce genre d’exercice a déjà été testé, a fonctionné et était
marrant. Les bateaux faisaient bien l’enroulé, mais l’exercice n’était pas vraiment
pédagogique), dans ces conditions de réalisation spécifiques de manque de temps.
L’interprétation occurrente produit dans le même temps un approfondissement du type
par la mise en relation avec ces conditions de fiabilité (UE 52 et 53) : « Il faudrait plus de
temps pour mettre en place ce genre d’exercice ».
Le processus d’apprentissage se présente ici de façon mixte et intègre différents phénomènes
parallèlement : de diminution de la fiabilité du type et d’approfondissement de celui-ci, par le
repérage des conditions fiabilités du type.
2.10 Un dilemme facilitateur du développement des t ypes (généralisation et approfondissement)
A l’UE 56 l’acteur interprète la situation de la façon suivante : les bateaux n’avancent pas
assez pour que je puisse rassembler les élèves et réaliser l’exercice prévu.
Les indices non souhaités repoussés un moment, s’imposent de nouveau à l’acteur, qui est
obligé de repérer les éléments de la situation pour pouvoir agir. Dans le cas de l’UE 56,
l’interprétation occurrente est une confirmation de l’interprétation de l’EU 46, selon laquelle,
il sera difficile de mettre en place l’exercice. Cependant cette interprétation subit un
approfondissement, par l’argumentation supplémentaire du manque de vitesse des bateaux
pour effectuer les manœuvres. L’interprétation se présente donc dans un état qui non
seulement caractérise la situation, mais aussi le fonctionnement de celle-ci.
Deuxième chapitre
225
Cette caractérisation du fonctionnement de la situation est associé au niveau du processus
d’apprentissage à une mise en relation entre types : celui concernant l’intérêt de l’exercice
et celui concernant les possibilités de réalisation d’une manœuvre dans des conditions de vent
faible.
Cette mise en relation entre types n’est pas formalisée de façon abstraite et générale, mais
reste ici au contraire très spécifique à la situation occurrente : c’est une mise en relation que
nous qualifierons de pragmatique. Ici le type concernant l’intérêt de l’exercice (Cet
exercice a déjà été testé, a fonctionné et était marrant…; UE 52) et celui concernant les
possibilités de réalisation d’une manœuvre (Quand les bateaux n’ont pas assez de vitesse ils
ne peuvent pas virer ; UE 56), sont mis en relation par la survenue de l’interprétation
occurrente. Cette mise en relation débouche sur une diminution de la fiabilité du type (52)
pour des conditions de vent similaires.
Cette relation bien qu’affaiblissant la validation du type (UE 52), ne débouche pourtant pas
sur une invalidation pure et simple, bien que les conditions de faisabilité soient jugées très
difficiles.
Tout se passe comme si le type n’était pas vraiment invalidé, mais subissait une diminution de
la croyance dans sa fiabilité dans le cas précis de l’environnement où il est mobilisé. Nous
appellerons celle-ci un doute sur le domaine de fiabilité du type.
Cette mise en relation pragmatique de plusieurs types est solidaire de l’apparition d’un
dilemme interprétatif (entre l’intérêt habituel de l’exercice et les conditions de vent limitant
habituellement les possibilités d’effectuer des manœuvres). Par la suite (EU 84), cette mise
en relation pragmatique trouvera une formalisation plus explicite, tandis que la résolution
du dilemme sous-jacent marquera la fin de l’enquête. Benoît conclura que l’intérêt
pédagogique de naviguer dans ces conditions de vent est nul (UE 82). De plus la formalisation
du type sera argumentée. Benoît juge à la fin de l’enquête que lorsque les bateaux ne peuvent
pas avancer, cela n’a aucun intérêt de faire de la voile » et qu’« on ne peut rien faire dans la
pétole ». Cette mise en relation pragmatique est aussi une ouverture à l’approfondissement
de types. Elle est ici étroitement liée à l’émergence d’un dilemme.
Deuxième chapitre
226
Les dilemmes interprétatifs procèdent d’un conflit de types dans l’interprétation. Dans ces
dilemmes, certains types subissent une re-délimitation de leurs domaines de fiabilité au profit
d’autres types. Ainsi les mêmes faisceaux d’indices peuvent changer d’interprétation parce
qu’ils sont mis en relation avec d’autres types. Les dilemmes interprétatifs sont donc des
procès favorisant la différenciation des types, notamment parce qu’ils amènent à un
approfondissement de types.
2.11 Emergence d’un type hypothétique, par la surve nue d’une nouvelle interprétation hypothétique
A l’UE 76, alors que le vent tombe encore, Benoît remarque qu’un bateau est face au vent et
que les élèves ne réagissent pas. Il en déduit que les élèves ne se rendent pas compte qu’ils
sont face au vent. Cette interprétation provient d’une mise en relation de plusieurs constats (Il
n’y a plus beaucoup de vent, un bateau est face au vent et n’avance pas, les élèves ne
réagissent pas). Benoît s’attend à ce que les élèves tentent de sortir de la position face au vent
lorsqu’ils veulent avancer, car il pense qu’ils savent sortir de cette position. La mise en
relation de ces différents constats par la médiation de cette attente, amène Benoît à supposer
que les élèves ne se rendent pas compte qu’ils sont face au vent. Cette détermination explicite
de la situation est une nouvelle interprétation et attribue un sens nouveau à la situation, ce
qu’il n’arrivait pas à faire jusqu’alors. Cette nouvelle interprétation est établie sous forme
hypothétique (il suppose). Elle est en relation avec un type qui est encore non formulé
explicitement, selon lequel : « quand le vent est trop faible, les élèves ne se rendent pas
compte de ce qui se passe », mais qui deviendra explicite à l’UE 80. Cette interprétation est
une évolution du repérage d’indices de l’UE 70, et devient une caractérisation explicite de la
situation, et non plus seulement le repérage d’un faisceau d’indices. Le repérage d’un faisceau
d’indices divergent des espérances de l’ue 70, s’est transformé dans une détermination
explicite de la situation (ue 76), mais qui est encore hypothétique. Benoît suppose que les
élèves ne se rendent pas compte qu’ils sont face au vent. Ici l’interprétation occurrente se
confond avec le type en émergence. En d’autres termes le type est en émergence sous la
forme d’une interprétation occurrente hypothétique.
Cependant à ce moment là, cette interprétation n’est pas valide pour l’acteur : toujours pris
dans son engagement à faire réussir l’exercice prévu, il ne trouve pas de solution pour utiliser
cette interprétation. Cette interprétation et le type associé étant divergent de son engagement,
Deuxième chapitre
227
il n’y aura pas utilisation de cette interprétation (elle conduirait à un changement de plan, ce à
quoi Benoît se refuse ; voir l’engagement de l’UE 77).
Aussi, dans la dichotomie de l’action et de l’interprétation, caractéristique à l’activité
désespérée, subit-elle le même sort que les interprétations précédentes, en ne permettant pas
une détermination de l’action.
2.12 Création d’un Type énoncé : transformation de l’interprétation occurrente en type (EU 80)
Le type de l’EU 76, encore identifié à l’interprétation hypothétique, va devenir explicite et
tenu pour vrai à l’EU 80. Benoît remarque que certains bateaux sont face au vent et que les
élèves ne réagissent pas. Il suppose que ces derniers [ceux dans le bateau face au vent] ne se
rendent pas compte de ce qui se passe, car il n’y a pas assez de vent pour qu’ils puissent le
ressentir. Benoît établit donc ici une interprétation occurrente encore hypothétique, mais qui
tente d’établir les raisons plausibles de l’état de la situation (car il n’y a pas assez de vent
pour qu’ils puissent le ressentir). Cette détermination explicite de la situation est associée à la
formulation du type, très proche de l’interprétation occurrente selon lequel : «Quand le vent
est trop faible les élèves ne se rendent pas compte de ce qui se passe».
Le type est une traduction à peine plus généralisée de l’interprétation occurrente. Il fait
référence aux élèves en général et non plus au bateau face au vent qu’a remarqué Benoît. Il
est formulé de façon plus laconique que l’interprétation occurrente dont il est issu.
Tout se passe ici comme si la généralisation et la formulation plus laconique de
l’interprétation occurrente était une transformation de l’interprétation occurrente en type.
Celle-ci pouvant se caractériser comme la formation par induction d’une classe de situations
similaires sur la base d’une l’interprétation occurrente exemplaire.
2.13 Une généralisation du type (EU 82) La formulation explicite de ce type, va amener sa généralisation.
Lorsque l’autre apprenti constate qu’il n’y a plus de vent (EU 82), il est sous l’influence d’un
nouvel engagement (en terminer avec la séance ; EU 82) un nouveau type encore plus
général est alors créé. Benoît conclut de son expérience que « l’intérêt pédagogique à
naviguer dans ces conditions de vent est nul ». Tout se passe comme si le type de l’EU 80,
était intégré dans le nouveau type. On ne peut rien faire quand il n’y pas de vent, justement
parce que les élèves ne se rendent pas compte de ce qui se passe quand le vent est trop faible.
Deuxième chapitre
228
La typification de l’interprétation occurrente et la formulation du résultat de cette typification
(c'est-à-dire le type), facilitent la généralisation du type. Elle procède par l’induction de
cette nouvelle interprétation occurrente en type.
Parallèlement, dans cette ue 82, il y a de nouveau une détermination de l’action en relation
avec l’interprétation occurrente (il n’y a plus assez de vent pour réaliser la séance prévue,
c’est la pétole), ce qui conduit logiquement à l’arrêt de la séance.
Nous pouvons remarquer qu’il y a une généralisation du type à partir du moment où
l’engagement (« rentrer et oublier tout ça »; UE 82) est devenu convergent avec la
détermination de l’action. Celle-ci, en pouvant se développer de façon cohérente avec
l’interprétation occurrente, permet du même coup une construction plus générale du type.
2.14 La situation n’est pas uniquement fonctionnell e mais intègre aussi une dimension sociale organisant l’interpréta tion
La situation intègre une dimension sociale qui prend plus ou moins d’importance en fonction
de l’engagement de l’acteur et des indices repérés dans l’environnement. L’activité de Benoît
est orientée par un engagement à apparaître brillant aux yeux du tuteur. Pour ce faire, il tente
de mettre en place rapidement et sans aide de la part de l’autre apprenti, l’exercice qu’il a
prévu. Ceci explique le refus de l’aide que tente de lui apporter Alain (UE 50). Cet
engagement va amener un éclatement des catégories d’indices repérées dans la situation. En
plus de ceux concernant la conduite de la séance, Benoît repère aussi et interprète ceux
supposés avoir une influence sur le jugement de son tuteur à son égard. Le manque de temps
interprété sur la base de la lecture de l’heure tardive (UE 51), prend dans cette situation une
signification particulière, de retard dans la mise en place de son exercice (UE 51 à 54). Mais
ces indices sont moins pris en compte par Benoît comme des difficultés objectives de
conduite de sa séance, que des effets néfastes sur l’ostentation de sa compétence vis à vis du
tuteur.
L’interprétation est donc construite ici à partir d’indices qui font signe en fonction de la
composante sociale de la situation, sur fond d’un engagement visant à se démontrer
compétent aux yeux du tuteur.
Deuxième chapitre
229
La situation se complexifie donc pour Benoît du fait de l’irruption de la dimension sociale de
l’interprétation.
2.15 La dimension sociale de la situation organis e aussi l’apprentissage interprétatif
D’autre part, c’est parce que Benoît a reçu un assentiment social à arrêter la séance, que ces
interprétations ont pu réellement émerger et surtout se généraliser sous forme de type. De ce
point de vue l’autorisation sociale donnée à certaines actions (arrêt), est aussi une autorisation
d’interpréter la situation d’une autre façon (inintérêt de la navigation par vent faible, d’un
point de vue pédagogique). Ceci permet une autorisation sociale à l’émergence de nouveaux
types.
Ainsi les processus d’apprentissage interprétatifs sont-ils nettement dépendants du contexte
social de la situation et pas seulement de son aspect purement fonctionnel : l’acteur en
s’autorisant ou pas certaines interprétations de la situation en fonction de ce qu’il pense
acceptable par le contexte social (incarné par les observateurs et notamment ceux qui
incarnent l’autorité évaluative) permet ou non l’émergence, la création et la généralisation de
type.
En résumé la généralisation du type procède de plusieurs procès :
• Une induction d’une interprétation occurrente en type.
• Une détermination de l’action possible cohérente avec les apprentissages interprétatifs
et les engagements du moment.
• Un apprentissage interprétatif acceptable socialement.
Deuxième chapitre
230
3. La dynamique de l’apprentissage interprétatif da ns l’enquête 3
Décrivons maintenant la dynamique de l’évolution d’un type à travers cette enquête. Cette
modélisation ne peut reprendre l’ensemble de sa complexité. Le point de vue adopté sera
celui de l’évolution d’un type important dans cette enquête : «Ce genre d’exercice a déjà été
testé, a fonctionné et était marrant. Les bateaux faisaient bien l’enroulé, mais l’exercice
n’était pas vraiment pédagogique» (EU 50-52).
3.1 Description de la dynamique dans l’enquête 3 Comme dans la dynamique de la première enquête l’acteur mobilise un type initial qui
fonde son engagement dans l’enquête (UE 50-52) : « Ce genre d’exercice a déjà été testé, a
fonctionné et était marrant». L’acteur croit en sa fiabilité. Très rapidement la convocation
d’un indice divergent des espérances et des attentes (le temps très court qui est interprété
comme un retard de sa part) amène Benoît à une diminution de la croyance en la fiabilité
de ce type.
La survenue du repésentamen constitué d’un faisceau d’indices discordants des espérances et
des attentes (concernant la distance et la vitesse des bateaux) amène à une mise en relation
pragmatique entre le type initial et un nouveau type : (EU 56) «Quand les bateaux n’ont
pas assez de vitesse, ils ne peuvent pas virer».
Ainsi la confiance dans les possibilités de réussite de cet exercice et l’espoir de se montrer
compétent, diminuent-ils pour l’acteur à ce moment. Mais dans le même temps cette
diminution de la croyance dans la fiabilité du type est associée à une mise en relation
avec les conditions nécessaires pour la réussite de l’exercice (conditions de faisabilité),
c'est à dire pour que le type soit validé. Ceci représente à nos yeux un approfondissement
du type.
Cette nouvelle interprétation de la situation provoque une focalisation de la perception sur les
indices de confirmation de l’interprétation. (UE 76) L’acteur remarque alors des indices qu’il
ne souhaitait pas voir survenir, et auxquels il ne s’attendait pas (le peu de vent, un bateau face
au vent et surtout des élèves qui ne réagissent pas). Il fait alors une hypothèse afin de
donner un sens à l’ensemble de ce faisceau d’indices (il suppose que les élèves ne se
rendent pas compte qu’ils sont face au vent). Cette interprétation occurrente est associée à
l’émergence d’un nouveau type (implicite au départ) qui n’est formulé de façon explicite
que plus loin : «Quand le vent est trop faible les élèves ne se rendent pas compte de ce qui se
passe».
Deuxième chapitre
231
Cette émergence d’un nouveau type est un processus d’apprentissage que nous qualifions
d’émergence d’un type hypothétique. Cette dénomination renvoie au fait que ce type est
associé à une détermination hypothétique de la situation, et que le type lui-même est encore
hypothétique.
Mais la dynamique de transformation des types n’en reste pas là. L’interprétation occurrente
(UE 76), se transforme par un approfondissement et une généralisation (UE 80). L’acteur
passe d’une interprétation en forme de constat à une interprétation en terme
d’explication causale de l’état de la situation (les élèves ne se rendent plus compte de ce
qui se passe, car il n’y a pas assez de vent, pour qu’ils puissent le ressentir).
Parallèlement le type passe d’une forme implicite à une formulation explicite :
L’interprétation occurrente est transformée en type. Le type apparaît comme une reprise
de l’interprétation occurrente mais formulée dans une forme plus laconique et plus générale
que celle-ci, mais explicitement référée à l’interprétation occurrente.
Cette nouvelle interprétation de la situation et la création de ce nouveau type créent un
dilemme interprétatif auquel est soumis l’acteur. La situation peut être interprétée de deux
façons différentes en fonction du type mobilisé. La première laisse penser que l’exercice
réussira car il a déjà fonctionné, mais les conditions de vent et de temps ont considérablement
affaiblit la croyance dans la fiabilité de ce type et dans l’interprétation qui y est associée. De
l’autre coté, le nouveau type peut laisser penser au contraire à l’acteur que la situation est sans
issue, (car le manque de vent ne permet pas aux élèves de comprendre ce qu’il se passe).
Ce conflit trouve sa résolution par la création d’un nouveau type issu de cette expérience
interprétative (EU 84).
Un nouveau type est brusquement créé sous l’effet de la survenue d’un indice (Alain dit
« pétole »). Pour Benoît cet élément de l’environnement est l’indice d’un consensus sur l’état
de la situation. Il s’autorise alors à faire le constat qu’il n’y a plus assez de vent pour réaliser
la séance prévue, puisque les autres disent aussi qu’il n’y a pas assez de vent. Cet indice
représente de fait pour Benoît une autorisation sociale à porter une interprétation occurrente
sur la situation. Ceci lui permet de faire émerger un nouveau type qui nécessitait cette
autorisation (L’intérêt pédagogique de naviguer dans ces conditions de vent est nul : « Quand
les bateaux ne peuvent pas avancer cela n’a aucun intérêt de faire de la voile » « on ne peut
rien faire dans la pétole »). Ce nouveau type est la conclusion à la fois, de la perte progressive
de confiance dans le premier type (EU 50), et du confit interprétatif consécutif de la relation
pragmatique entre types concurrents pour une même interprétation (types des UE 50 et 76).
Deuxième chapitre
232
3.2 Modélisation de la dynamique de l’apprentissage interprétatif dans l’enquête 3
50-52 / je suis en retard
Interprétations occurrentes
Types associés
(50) Ce genre d’exercice a déjà été testé, a fonctionné et était marrant. Les bateaux faisaient bien l’enroulé, mais l’exercice n’était pas vraiment pédagogique
-Les bateaux n’avancent pas, et sont encore loin
(56)Quand les bateaux n’ont pas assez de vitesse, ils ne peuvent pas virer.
56/ il sera difficile de mettre en place son exercice car les élèves n’avancent pas assez pour faire des virements.
Représentamens
Convocation d’un indice divergent des espérances
Repérage des indices divergents des espérances
Diminution du domaine de fiabilité du type (50) dans ces conditions (de vent faible)
Convocation de l’indice par la mobilisation du type : divergence des attentes
Focalisation sur les indices divergents des espérances
Type initial fondant l’engagement de Benoît au début de l’enquête : se montrer compétent aux yeux du tuteur par l’utilisation d’un exercice éprouvé
L’heure
Approfondissement du type par la mise en relation avec les conditions de faisabilité
Mise en relation entre types
Diminution de la fiabilité du type par la survenue de l’interprétation occurrente (manque de temps)
Il n’y a plus beaucoup de vent, un bateau est face au vent et n’avance pas, les élèves ne réagissent pas (76)
Deuxième chapitre
233
(76) Quand le vent est trop faible les élèves ne se rendent pas compte de ce qui se passe (supposition)
76/ Suppose que les élèves ne se rendent pas compte qu’ils sont face au vent
Il n’y a plus beaucoup de vent, un bateau est face au vent et n’avance pas, les élèves ne réagissent pas (76)
Mise en relation des d’indices avec les attentes (divergences)
Généralisation et approfondissement de l’interprétation précédente
Certains bateaux sont face au vent et les élèves ne réagissent pas
Emergence d’un type hypothétique
L’intérêt pédagogique de naviguer dans ces conditions de vent est nul : « Quand les bateaux ne peuvent pas avancer cela n’a aucun intérêt de faire de la voile » « On ne peut rien faire dans la pétole ».
82/ Constate avec Alain qu’il n’y a plus assez de vent pour réaliser la séance prévue, c’est la pétole
Alain dit « pétole »
Apparition d’un dilemme interprétatif : conflit de types (76/50)
Création d’un nouveau type issu de la perte de confiance dans le type initial, de relation pragmatique et du dilemme
Confirmation et généralisation du type 76 par l’interprétation 80
Résolution du conflit interprétatif
Autorisation sociale à l’interprétation occurrente conforme aux espérances
Validation sociale et collective à la création du nouveau type
80/ Suppose que les élèves ne se rendent pas compte de ce qui se passe, car il n’y a pas assez de vent, pour qu’ils puissent le ressentir
Quand le vent est trop faible les élèves ne se rendent pas compte de ce qui se passe (tenu pour vrai)
Deuxième chapitre
234
Enquête 4
1. Résultats relatifs à la quatrième enquête
1.1 Description du contexte de l’enquête n°4 Alain encadre avec Benoît. Ce moment de séance s’intercale entre les enquêtes 2 et 3 de
Benoît. Cette enquête survient au cours de la même séance que les enquêtes 1 à 3, menées par
Benoît, mais est ici réalisée par Alain. Les deux apprentis sont sur l’eau avec leur tuteur. Ils
sont dans le même bateau. Alain a la responsabilité de la séance pour un groupe d’enfants sur
catamaran. Le manque de vent amène Alain à organiser autre chose que ce qui était prévu. Il
désire organiser un jeu avec un ballon. Il s’adresse alors à Benoît pour lui demander son avis
et afin d’avoir de l’aide de sa part. Les conditions de vent sont incertaines car il est très faible.
De temps en temps une risée passe, mais la plupart du temps, il est très faible. Alain est en
charge de la séance depuis le début. Cela fait un quart d’heure qu’il est sur l’eau avec les
élèves et qu’il tente de les regrouper vers une bouée mais le vent tombe encore : Il propose
alors à Benoît de faire un jeu de ballon.
1.2 Conclusions de l’analyse globale L’objet de l’enquête vise dans un premier temps à impliquer l’autre apprenti dans une
démarche de collaboration afin de trouver des solutions pour maintenir l’engagement des
élèves par la mise en place d’un jeu (dont l’éventualité avait été prévue avec la tutrice). Mais
devant les signes de non collaboration de Benoît l’objet de l’enquête évolue ensuite vers
l’observation de l’efficacité de l’action de Benoît, qui a pris en main la séance alors que
c’était à Alain d’intervenir.
En définitive l’objet de l’enquête d’Alain apparaît triple il s’agit pour lui de :
- Mener à bien la séance.
- Encourager la collaboration avec Benoît.
- Observer l’action de ce dernier et de valider ou d’invalider ses types d’interventions
pédagogiques.
Deuxième chapitre
235
1.3 L’intrigue de l’enquête 4 Le vent tombe. Les élèves commencent à ramer avec les mains pour rejoindre le point de
rendez-vous que leur a fixé Alain. Ce dernier pense que la situation est mal partie. L’enquête
qui s’ouvre alors vise à éviter son déroulement vers une issue non souhaitée et son objet est de
protéger l’engagement des élèves (1). Alain tente de mettre en place le jeu de ballon dont il
avait évoqué la possible mise en œuvre avec la tutrice avant le début de la séance. Il espère
ainsi maintenir l’engagement des élèves. (2) Il se dit alors, qu’il va partir sur le jeu et qu’il va
l’expliquer à Benoît, puisque cette activité n’était pas prévue. Il désire le faire participer à sa
décision et s’attend à ce qu’il collabore. Il mobilise un type qui est : «Je me dis toujours, que
l’autre peut avoir une idée plus pertinente à utiliser ». L’engagement d’Alain apparaît donc
de l’ordre s’une recherche d’aide pour faire face à la situation. (3) Alain explique à Benoît ce
qu’il compte faire, car il considère qu’ils sont deux à encadrer la séance. (4) Mais
contrairement à ses attentes, Benoît ne lui répond pas et ne semble pas s’intéresser à ses
propositions. L’attitude de Benoît provoque chez lui un sentiment d’énervement (5) car il
interprète celle-ci comme un manque d’intérêt (Benoît n’est pas vraiment intéressé par ce
que je propose : il s’en fout en fait. Il est sûr de lui). De là apparaît un type décrit par Alain :
« Dans mes rapports avec lui, j’ai du mal à travailler avec Benoît ». (6) Il démarre
rageusement son bateau et va rejoindre les élèves. Son engagement est alors de l’ordre de :
Retrouver les retardataires pour regrouper tous les élèves dans un coin libre, et mettre
éventuellement le jeu de ballon en place. (7) Quand il arrive près des premiers bateaux, les
élèves lui signifient qu’ils n’avancent pas beaucoup. Il n’est pas vraiment surpris par la
réaction des élèves, car il s’attendait à ce que les élèves ne puissent pas faire avancer
rapidement le bateau à la voile : Il a en effet constaté la faiblesse du vent, et la vitesse réduite
des bateaux. (8) Il leur répond que la seule solution est de ramer. Sa préoccupation est à ce
moment de faire rapidement remonter les élèves sur le parcours, pour lancer le jeu. Pendant ce
temps Benoît intervient auprès des élèves à la suite d’Alain et sans tenir compte de sa
remarque. Il leur fait comparer leurs voiles avec celles des autres bateaux. (9) Alain interprète
cette intervention comme une action perturbatrice de nature à jeter le trouble dans l’activité
des élèves. Il en tire la réflexion suivante : «C’était pas très clair pour les gamins, c’était : Ni
on rame, ni on fait avec la voile, c’était encore entre les deux. Parce que lui il repart dans :
Regarde ta voile et tout… Les autres filles étaient déjà parties à ramer, donc... C’était pas...
Très cohérent à la limite. Parallèlement un processus d’apprentissage interprétatif s’établit :
Deuxième chapitre
236
« Je pense que c’est, c’est intéressant d’aller dans le même sens même si c’est pas facile
(puisqu’on est dans la même sécu)(a), même s’il y a des différences, ça peut être intéressant
aussi les différences». (b) Mais (c)... c’est quand même une seule oreille qui reçoit deux
personnes différentes (d) donc si les deux disent des trucs complètement opposés, ça peut pas
le faire quoi. (e)
(10) Ces raisonnements trouvent leurs traductions dans la détermination d’Alain à ne pas tenir
compte des questions de Benoît et à remorquer le bateau qui est en retard vers le restant du
groupe. (11) Alain pense qu’il est depuis trop longtemps sur l’eau sans qu’il se soit passé
quelque chose de vraiment intéressant. Le fait de ramer est au moins dynamique pour les
élèves. Le type qui le guide est que : «Les élèves s’ennuient quand ils ne sont pas maintenus
en activité dynamique» (12 et 13). Il s’occupe du bateau le plus en retard et laisse ramer les
autres. Il mobilise ici un type qui vise à éviter de changer de consignes : « Si je change
constamment d’objectif et de consigne je risque d’être moins clair. Les consignes doivent être
claires, c’est une condition essentielle de réussite de la situation». (14) Il encourage encore
plus les autres élèves à ramer. Benoît propose de lancer le jeu. La présence de la tutrice et de
la caméra gène Alain : Il n’arrive pas à s’expliquer ouvertement sur le jeu et à en débattre
librement avec Benoît. Alain ne répond pas et démarre le bateau pour se rendre à la tête de la
flotte. (16-17) Il pense que Benoît à raison, et qu’il faut mettre en place le jeu rapidement.
(18) Il demande aux élèves éloignés de rejoindre le groupe et leur annonce qu’il va y avoir un
jeu. Mais dans le même temps, la préoccupation d’Alain est de rassembler les élèves
retardataires autour du groupe le plus nombreux, pour pouvoir être, plus tard, entendu de tous.
Le type mobilisé est : Quand les élèves sont trop éparpillés, ils ne peuvent pas entendre les
consignes. Il constate également que les élèves sont très écartés les uns des autres, (19) que le
temps s’écoule et qu’il n’a encore rien dit. Sa préoccupation est d’arrêter de perdre du temps.
Alain est donc partagé entre les deux interprétations de la situation : Le temps presse, mais il
lui faut prendre le temps de rassembler les élèves. (20 )Il explique pourtant le jeu aux élèves
présents autour de lui, (21) faisant fi de l’interprétation selon laquelle certains élèves ne vont
pas entendre. En effet un élève crie au loin qu’il n’entend pas. Les élèves doivent tirer avec le
ballon à l’issue d’une passe à dix réussie, sur une cible constituée d’une bouée. (22) Il décide
de donner les consignes et de ré expliquer, vite fait, plus tard à ceux qui n’auront pas entendu.
Pendant toute cette période il repère que le temps s’écoule et que la séance n’est pas très
dynamique. (23) Pendant qu’il donne ses explications Benoît met le pied sur le bateau à voile
à coté d’eux et le fait balancer ce qui crée du désordre. Alain est énervé par l’attitude de
Benoît, ce qui a pour conséquence de réactiver le type selon lequel il a du mal à travailler avec
Deuxième chapitre
237
lui. (24) Il continue pourtant ses explications, et lance le jeu. Il interprète l’action de Benoît
comme une gène et une source de problème. Il répète plusieurs fois que la bonne façon de s’y
prendre est de ramer avec les mains puisqu’il n’y a pas assez de vent. (25) Il prend en compte
Benoît qui joue avec le bateau à coté, les deux élèves qui causent toujours, la caméra qui
perturbe les élèves… Il interprète l’ensemble comme une situation qui lui échappe encore : il
n’est pas facile de centrer l’attention des élèves, ça ne marche pas des masses. (26) Il
continue son interprétation en pensant que le fait que Benoît monte sur le bateau des filles, ça
extériorise les filles, et ça ne facilite pas la centration de l’attention (27) mais il continue à
lancer son jeu et à demander aux élèves de pagayer. Certains d’entre eux commencent à
échanger le ballon, tandis que d’autres tentent de se joindre au groupe. Les élèves s’engagent
très rapidement dans le jeu. Alain interprète ces indices comme le signe que le jeu est en route
et va peut-être se construire. Il mobilise un type selon lequel : « Il faut du temps pour que le
jeu se construise». (29) Il décide donc de laisser faire les élèves et d’attendre. (30) Cependant,
une élève a sauté à l’eau pour attraper le ballon. Il interprète ce fait comme le signe que la
situation risque de dégénérer, aussi dit –il aux élèves qu’il ne doivent pas quitter le bateau.
(31) Il décide d’être plus présent pour éviter que la situation dégénère, car les élèves
conservent le ballon sur le bateau au-delà des 10’’ permises, et les bateaux sont collés les uns
aux autres. Son engagement à ce moment vise à faire respecter et soutenir la règle. (32) Il se
rend à l’avant du groupe et fait respecter la consigne de relâcher le ballon avant 10’’, car il
s’attend à ce que les élèves fassent n’importe quoi, s’ils conservent le ballon sur le bateau. Il
mobilise un type selon lequel : si les élèves ne respectent pas les consignes, la situation peut
dégénérer. (33) Il interprète le comportement des élèves comme un non respect de ses
consignes : Les consignes sont claires pour moi dans ma tête mais pas pour eux : c’est des
gamins. Cette interprétation occurrente est liée à un type selon lequel : si les élèves ne
respectent pas les consignes, la situation peut dégénérer. (34) Comme une autre élève a sauté
à l’eau pour attraper le ballon, il répète sa consigne de ne pas quitter le bateau, et (35)
surveille de plus près la situation.
A ce moment là, la tutrice demande à ce que Benoît conduise la séance. (36) Alain laisse sa
place à Benoît et s’attend à ce qu’il poursuive ce qu’il a commencé (le jeu en faisant ramer les
élèves). Il interprète l’action de la tutrice comme un manque d’efficacité de sa part, il se dit
aussi que Benoît doit pouvoir intervenir («C’est vrai que je n’avance vraiment pas», il
suppose que la tutrice veut passer le relais à Benoît).
Benoît s’empresse d’intervenir en changeant toutes les consignes : Il interdit aux élèves de
ramer et leur demande de ne faire que des empannages et des virements de bord en se servant
Deuxième chapitre
238
uniquement des voiles. Benoît intervient encore pour éviter les abordages et encourager les
élèves. Il poursuit son intervention pour que les bateaux s’écartent les uns des autres. Il fait la
remarque que la situation ne sert à rien. Au même moment le vent se lève un tout petit peu.
(37) Alain est dubitatif sur l’action de Benoît. Il pense que le vent n’est pas assez fort pour
faire ce qu’il demande : «J’ai du mal à voir où il veut en venir, parce que même si le vent
s’est levé un tout petit peu, il n’est pas assez fort pour que les gamins arrivent à faire ce que
demande Benoît». Pour faire cette interprétation il mobilise un type selon lequel : «Dans ces
conditions, même moi avec un KL 1066 j’aurais du mal à faire ce que demande Benoît. Car à
partir du moment ou tu fais un empannage, tu finis sous le vent du ballon et tu ne peux pas
remonter, ça ne marche plus». (38) Bien qu’il s’attende à ce que la situation soit un échec, il
doute et laisse intervenir Benoît sans rien dire. (39) Il remarque que les bateaux sont groupés,
qu’ils n’avancent plus, et que les élèves s’échangent le ballon sans qu’il y ait de progression
vers le but. Il interprète ces éléments comme le signe que les élèves ont complètement oublié
l’objectif, à savoir shooter dans la bouée. (40) Il n’ose pourtant pas intervenir, afin de ne pas
se montrer en conflit ouvert avec Benoît. Sentant une tension entre eux, il pense que s’il
intervenait «ce ne serait plus de la discussion mais du règlement de compte». Il mobilise un
type selon lequel publiquement, «on peut avoir une discussion devant les gens mais pas un
règlement de compte». (41) Il se sent dépossédé de sa séance, comme « mouché » par la
situation et par la rupture radicale qu’a introduit Benoît. Mais aussi parce que le peu vent qui
s’est levé permet pendant un court moment aux bateaux de fonctionner sous voile, et aux
élèves de réaliser le jeu à la voile : Ils arrivent à s’écarter le uns des autres et à attraper le
ballon car les bateaux avancent à la voile avec un vent soit un peu moins faible.(42) Il
interprète ces éléments comme des indices de son propre échec : «Je me suis obstiné dans
mon truc, mais ce que fait Benoît contrairement à toute attente à l’air de fonctionner ; la
situation se dérouille ; Benoît sent le truc mieux que moi». (43) Ceci l’amène à confirmer sa
décision de laisser continuer Benoît sans intervenir, car il s’attend maintenant à ce que la
situation continue à fonctionner. (44) Alain est étonné et vexé par la réussite de Benoît, car il
s’attendait à ce que sa prestation soit meilleure que celle de Benoît. Le constat de la réussite
de l’exercice de Benoît ; la comparaison avec sa propre action et l’interprétation selon
laquelle : «Benoît sent le truc mieux que moi» amènent Alain à l’interprétation de la situation
qui le font douter de ce qu’il croyait. Il dit à ce propos : « j’essaie de construire quelque chose
de cohérent, de me remettre en cause, et Benoît arrive avec ses consignes foireuses dans la
66 C’est le nom du bateau à voile utilisé.
Deuxième chapitre
239
pétole, et la situation se débloque, ça fonctionne les gamins s’investissent. C’est à devenir
fou».
Pour formuler cette interprétation il mobilise un type selon lequel : «Les consignes de Benoît
ne sont jamais claires. (Mais il vient de me mettre un râteau, une claque sur le coup des
empannages et des virements). Comme quoi il est toujours utile de regarder sans a priori ce
que font les autres».
(45) Benoît arrête le jeu qu’il juge sans intérêt. Alain l’aide à regrouper les bateaux et Benoît
donne ses consignes aux élèves (voir enquête 3). Alain les écoute, les juge peu claires et
trouve l’exercice de Benoît peu intéressant. Mais fort de son expérience récente, il mobilise
son tout nouveau type, sous la forme d’une détermination : «même si les consignes de Benoît
ne sont jamais claires, il vaut mieux attendre de voir». Ainsi se termine cette enquête qui s’est
résolue de façon inattendue, pour Alain.
Deuxième chapitre
240
2. Analyse de l’expérience d’interprétation dans l’enquête 4
2.1 L’ouverture de l’enquête n’est pas forcément un e ouverture à l’apprentissage
L’ouverture de l’enquête (ici chercher à mettre autre chose en place que ce qui était prévu et
impliquer l’autre apprenti dans les décisions), ne coïncide pas forcément avec l’ouverture à
l’apprentissage. En effet dans l’exemple de l’EU 1, la solution alternative était déjà prévue
(mettre en place un jeu de ballon). L’enquête s’actualise sans pour autant que l’apprentissage
ne s’ouvre réellement car Alain dispose des types, et des déterminations de l’action
nécessaires pour faire face au problème.
2.2 La diminution de la fiabilité des types passe par la création de nouveaux types concurrents référés à la situation occurrente
Les types résistent à une invalidation pure et simple sur la base d’une seule expérience.
Cependant il est possible de remarquer que certains affaiblissements de la croyance dans la
fiabilité du type, passent par l’émergence de nouveaux types concurrents des premiers, sans
qu’ils permettent une invalidation totale des premiers types. Par exemple à l’EU 4 de cette
enquête, Alain mobilise au début de l’enquête le type selon lequel «l’autre peut avoir une idée
plus pertinente à utilise»r (2). Ceci l’amène à tenter de faire entrer Benoît dans une activité de
collaboration avec lui. Mais devant l’attitude de celui-ci, interprétée par Alain comme un non
intérêt de ce qui est proposé, il mobilise un type selon lequel «il lui est difficile de travailler
avec Benoît». Ce nouveau type représente bien l’actualisation d’une diminution de fiabilité du
type (2). Dans cet exemple il est possible de remarquer que la diminution de fiabilité est
relative au cas précis de la situation en cours (c’est à dire vis à vis du travail avec Benoît).
Elle se traduit par la formulation d’un nouveau type, qui est une extension du sens de
l’interprétation occurrente à une situation un peu plus générale, mais toujours référée à la
situation occurrente.
2.3 Le renforcement d’un type, associé à un approfo ndissement de celui-ci, facilite l’interprétation
Dans l’exemple de l’EU 9, l’intervention de Benoît visant à faire comparer les réglages chez
les élèves alors qu’Alain est en train de les faire ramer pour les regrouper et lancer son jeu
provoque chez Alain une interprétation teintée d’agacement, selon laquelle : «C’était pas très
clair pour les gamins».
Deuxième chapitre
241
Cette interprétation est associée à un type qui fait l’objet lui-même d’un raisonnement (Je
pense que c’est intéressant d’aller dans le même sens même si c’est pas facile (puisqu’on est
dans la même sécu). Une réflexion est produite qui débouche sur le renforcement dans la
croyance de la fiabilité d’un type, et est solidaire d’un approfondissement ainsi que d’une
généralisation de celui-ci.
Dans un premier temps il y a un raisonnement portant sur un type. Dans un deuxième temps
ce type est appliqué à l’interprétation occurrente de façon déductive comme le montre la
locution : « donc sur ce coup là ».
Extrait de l’auto confrontation :
Parce que ben, je sais pas, le fait d’être tous les deux sur la même sécu, je pense que c’est, c’est
intéressant d’aller… D’aller dans le même sens même si c’est pas facile mais... Même si ben,
effectivement il y a des différences, ça peut être intéressant aussi de, ces différences là quoi mais...
Les… les… Les… C’est quand même une seule oreille qui reçoit deux… Deux… Deux personnes
différentes donc si… Si les deux disent des trucs complètement opposés, çà… Ca peut pas le faire
quoi. Donc sur ce coup là… Ouais… Tu vois… Ouais… Ouais…, Peut-être ça ouais... Du coup, c’est
vrai que après, c’était pas très clair... Sur le... Pour les gamins, c’était : ni on rame, ni on fait avec la
voile, c’était encore entre les deux quoi, tu vois. Enfin bon, voilà. Parce que lui il repart dans : bah
regarde ta voile et tout et puis les… Les… Les autres filles qui ont du voir, qu’ils [les autres élèves]
étaient déjà partis à ramer donc... C’était pas... C’était pas très cohérent à la limite.
Analysons pas à pas le raisonnement portant sur le type.
Dans un premier temps, il y a l’explicitation d’un type : «Je pense que c’est intéressant
d’aller dans le même sens même si c’est pas facile (puisqu’on est dans la même sécu)».
Ce type est mis en relation avec un type concurrent : «même s’il y a des différences, ça peut
être intéressant aussi les différences».
De là naît un dilemme interprétatif, par la survenue d’un deuxième type concurrent (ça peut
être intéressant aussi de, ces différences là quoi) qui est tranché par un argument en faveur du
premier type : «Mais... c’est quand même une seule oreille qui reçoit deux personnes
différentes». Cet argument fait survenir une déduction qui déjuge la pertinence du second
type : «Donc si les deux disent des trucs complètement opposés, ça peut pas le faire quoi».
Le dilemme interprétatif est donc tranché en faveur du premier type. Cependant celui-ci a
subit des transformations. Il est confirmé comme nous l’avons vu. Il est mis en relation avec
des conditions d’efficacité (si les deux disent des trucs complètement opposés, ça peut pas le
faire). C’est cette mise en relation avec les conditions d’efficacité que nous qualifierons
d’approfondissement du type, comme détermination des raisons de la survenue de la situation.
Deuxième chapitre
242
Dans un deuxième temps, le type est utilisé pour interpréter la situation. Tout se passe comme
si cette interprétation était une illustration du type. Elle est en même temps une vérification de
fait de la validité du type. L’utilisation du type est effectuée de façon rétrospective dans une
interprétation dont on connaît d’avance l’évolution de la situation.
C’était pas très clair pour les gamins, (1)
C’était : ni on rame, ni on fait avec la voile, c’était encore entre les deux. (2)
Parce que lui il repart dans : regarde ta voile et tout… (3)
Les autres filles …étaient déjà parties à ramer (4)
Donc... c’était pas... très cohérent à la limite. (5)
Nous sommes ici en présence d’un processus interprétatif déductif.
En définitive l’association de l’interprétation occurrente à un type qui subit lui-même un
processus d’approfondissement/confirmation, est de fait une caractérisation du
fonctionnement de la situation. Cette caractérisation est dans le même temps une confirmation
pragmatique du type, et non plus « en pensée », comme dans le cas du raisonnement sur le
type. La formulation du type dans sa forme finale (si les deux disent des trucs complètement
opposés, ça peut pas le faire), intègre l’interprétation occurrente comme un exemple de la
catégorie de situation recouverte par le type ; ce qui conduit à une caractérisation du
fonctionnement de la situation du point de vue de l’acteur. Ainsi les processus de
développement de type et d’interprétation de la situation sont-ils liés. Les premiers permettant
ici l’approfondissement des types, ce qui facilite une caractérisation du fonctionnement de la
situation qui éclaire l’acteur sur les conditions de survenue de la situation. Ceci est d’un
intérêt tout à fait central, car ces processus permettent probablement l’amélioration des
capacités d’anticipation de l’acteur sur l’évolution des situations.
2.4 La confirmation de type est un processus immédi at Mais les confirmations de types ne sont pas toujours aussi complexes. La plupart du temps
elles apparaissent immédiates. Par exemple dans le cas de l’EU 23, le simple fait de
remarquer que Benoît met le pied sur le bateau à coté du bateau à moteur, est un indice de
confirmation du type : «Dans mes rapports avec Benoît j’ai du mal à travailler avec lui».
Pour la confirmation d’un type il suffit de repérer des indices de la situation convergents aux
attentes. Ceci est le cas dans cette UE car à ce moment là Alain s’attend à ce que le travail
avec Benoît soit difficile, mais pas au point qu’il perturbe la séance ce qui sera pourtant le cas
(UE, 24).
Deuxième chapitre
243
2.5 Certaines interprétations peuvent être opposées et être à la base des conflits entre types
Entre l’UE 11 et 22, Alain est aux prises avec un conflit d’interprétation solidaire d’un conflit
de détermination de l’action. Il pense que beaucoup de temps est passé et qu’il n’y a pas eu
beaucoup d’engagement des élèves jusqu’alors (11, 16 et 19). Mais dans le même temps, il
pense que son groupe est trop éclaté pour pouvoir lancer le jeu de ballon (18). Ce conflit
d’interprétation est lié à un conflit de types. Le premier (Les élèves s’ennuient quand ils ne
sont pas maintenus en activité dynamique), s’oppose au second (quand les élèves sont trop
éparpillés, ils ne peuvent pas entendre les consignes) dans la spécificité de cette situation.
Pour sortir de ce dilemme, Alain choisi d’intervenir sur les élèves autour de lui, quitte à
redonner les consignes au fur et à mesure que ceux-ci arriveront (EU20). Le dilemme est mis
en lumière de façon flagrante à la suite de cette action à l’UE 21 et 22.
A certains moments des enquêtes l’acteur est en proie à des dilemmes interprétatifs, structurés
par l’occurrence de deux types contradictoires pour l’interprétation de la situation en
cours. Certaines fois, l’acteur trouve une solution ad hoc, lui permettant de sortir du dilemme,
comme c’est le cas ici. La résolution du dilemme ne semble pas remettre en cause les types en
en question. D’autres fois les résolutions de dilemme, amènent à une transformation d’un ou
de plusieurs types. Nous verrons à d’autres occasions cette transformation de types.
2.6 L’invalidation de type peut être une ouverture à l’apprentissage sur les stratégies d’apprentissage interprétatif
Entre l’UE 37 et l’UE 44 une mini enquête se déroule à l’intérieur de l’enquête plus globale.
Alors que Benoît vient de prendre en main la séance et a donné ses consignes interdisant de
ramer, Alain regarde cette action en pensant qu’elle ne pourra pas réussir (37). Ce pronostic
est réalisé par la mobilisation d’un type selon lequel : «Dans ces conditions, même moi avec
un KL 10, j’aurais du mal à faire ce que demande Benoît. Car à partir du moment où tu fais
un empannage, tu finis sous le vent du ballon et tu ne peux pas remonter, ça ne marche plus».
Le type est donc de l’ordre des possibilités habituelles offertes par le bateau dans ces
conditions de vent. Il est ici contextualisé, dans la mesure où il est mis en relation avec les
conditions du moment.
Ce type est associé à l’interprétation occurrente : «J’ai du mal à voir où il veut en venir,
parce que même si le vent s’est levé un tout petit peu, il n’est pas assez fort pour que les
gamins arrivent à faire ce que demande Benoît».
Deuxième chapitre
244
Cette interprétation détermine le pronostic selon lequel la situation a peu de chance de réussir
(38). Dans un premier temps les indices relevés par Alain confirment son pronostic (Les
bateaux sont groupés, ils n’avancent plus et les élèves s’échangent le ballon sans qu’il y ait
de progression vers le but). Alain interprète ce faisceau comme le signe que les élèves ont
complètement oublié l’objectif : shooter dans la bouée (39). Cette interprétation est tellement
évidente pour Alain, qu’il est déterminé à intervenir, mais il s’empêche de le faire craignant
d’entrer en conflit ouvert avec Benoît (40).
Mais c’est alors que surviennent des indices divergents par rapport aux attentes (41 - 42) (Les
élèves arrivent à s’écarter le uns des autres et à attraper le ballon ; les bateaux avancent à la
voile ; le vent est un peu moins faible). Le processus d’invalidation du type commence : Il est
repérable à travers l’interprétation occurrente faisant le constat que la situation contrairement
à toute attente semble fonctionner.
Le procès d’interprétation porte aussi de façon réflexive sur l’activité interprétative passée :
(Je me suis obstiné dans mon truc), teinté de comparaison à l’action de l’autre (Benoît sent le
truc mieux que moi). Ces interprétations déterminent Alain à laisser continuer Benoît sans
intervenir pour voir comment va évoluer la situation (43).
Alain constate avec un peu d’amertume la réussite de l’exercice de Benoît (contrairement à
ses espérances et à ses attentes) (44). Il établit l’interprétation selon laquelle : «Benoît arrive
avec ses consignes foireuses dans la pétole, et la situation se débloque, ça fonctionne les
gamins s’investissent. C’est à devenir fou». Cette interprétation est associée au type : «Les
consignes de Benoît ne sont jamais claires. Mais il vient de me mettre un râteau, une claque
sur le coup des empannages et dans virements. Comme quoi il est toujours utile de regarder
sans a priori ce que font les autres».
La conclusion de cette enquête apporte une invalidation du type selon lequel il était
impossible de faire ce qui était demandé par Benoît aux élèves (type 37). Cette invalidation
est d’autant plus forte qu’Alain juge que les consignes de Benoît n’étaient pas bonnes, ce qui
ne facilitait pas la réussite de la situation telle que l’envisageait Benoît. Elle est associée à une
surprise qui perdure au-delà du temps de l’interaction.
Extrait de l’auto confrontation :
Alors tu vois… Alors du coup.…, Bon je suis encore plus sur le cul quoi. Donc, je dis : bon bah, il...
Cà… Ca fonctionne, les gamins, ils... Ils reprennent du fouet là. Comme quoi il est toujours utile de
regarder sans a priori ce que font les autres.
Deuxième chapitre
245
L’invalidation a été produite par le repérage d’indices divergents par rapport aux attentes
comme le montre la surprise d’Alain, mais aussi par le repérage des moyens opérationnels
utilisés par Benoît, qui rendent l’interprétation de la situation utilisable. Cette invalidation
ouvre aussi à l’apprentissage, car elle apporte dans le même temps une augmentation de la
croyance dans la fiabilité du type selon lequel : «l’autre peut avoir une idée plus pertinente à
utiliser» (type 2). Ce type est renforcé et approfondi par la survenue du type (44) : «Comme
quoi, il est toujours utile de regarder sans a priori ce que font les autres».
L’approfondissement vient par le constat du non a priori nécessaire dans l’observation
d’autrui pour apprendre des autres. Cette invalidation produit donc un double effet pour cet
acteur : sur l’apprentissage interprétatif, mais aussi sur les stratégies facilitant cet
apprentissage.
Deuxième chapitre
246
3. La dynamique de l’apprentissage interprétatif da ns l’enquête 4
Après avoir étudié les différents processus spécifiques à cette enquête de transformation des
types nous allons décrire maintenant la dynamique de ces transformations. Cette modélisation
comme les précédentes ne peut reprendre l’ensemble de la complexité de celle-ci. Le point de
vue adopté sera celui de l’évolution de deux types importants dans cette enquête (ceux des
EU, 2: «L’autre peut avoir une idée plus pertinente à utiliser ; et 37 : «Dans ce genre de
conditions, même moi avec un KL 10 j’aurais du mal à faire ce que demande Benoît. Car à
partir du moment où tu fais un empannage, tu finis sous le vent du ballon et tu ne peux pas
remonter, ça ne marche plus»).
3.1 Description de la dynamique dans l’enquête 4 L’acteur mobilise un type en début d’enquête solidaire de l’objet de celle-ci. Il s’agit du type
de l’EU 2, selon lequel : «l’autre peut avoir une idée plus pertinente à utiliser». Ce type va
subir de nombreux avatars avant d’être en définitive confirmé, généralisé, et approfondi, à la
fin de l’enquête. Il commence par subir une diminution de fiabilité, par l’interprétation
occurrente de l’EU 5. Ceci conduit à la création d’un type concurrent selon lequel : «L’acteur
pense qu’il a habituellement des difficultés à travailler avec l’autre apprenti» (Dans mes
rapports avec lui j’ai du mal à travailler avec Benoît). Ce type concurrent est lui-même
confirmé dans l’EU 9. Ceci crée de fait un conflit de types et d’interprétation de la
situation : dans cette situation précise, l’autre peut-il vraiment m’apporter quelque chose
d’intéressant ?
Ce conflit va être tranché par la survenue des évènements liés à l’action de l’autre apprenti.
Cette action va être interprétée par Alain, dans une enquête à l’intérieur de l’enquête plus
globale. Nous appellerons cette mini enquête, une « enquête secondaire », par rapport à
l’enquête globale. De cette enquête secondaire ressort l’invalidation du type (EU 37, dans le
type 44) selon lequel les bateaux sur lesquels naviguent les élèves ne peuvent pas, dans les
conditions de vent du moment, effectuer certaines trajectoires avec certaines manœuvres
(Dans ces conditions, même moi avec un KL 10 j’aurais du mal à faire ce que demande
Benoît. Car à partir du moment où tu fais un empannage, tu finis sous le vent du ballon et tu
ne peux pas remonter, ça ne marche plus). Cette invalidation constitue une surprise pour
l’acteur, car elle contredit en définitive la pertinence du type de l’EU 5, dans sa
concurrence avec le type 2 et donc de ses attentes du moment. En définitive même si Alain
pense avoir du mal à travailler avec Benoît, celui-ci par son action, peut tout de même lui
Deuxième chapitre
247
apprendre quelque chose (même si cette perspective est relativement désagréable, pour Alain).
Il s’agit donc d’une mise en relation non pas de deux types mais des processus
interprétatifs eux-mêmes qui créent un nouvel apprentissage. L’invalidation du type 37,
par l’action de Benoît confirme par un choc en retour le type selon lequel l’autre peut avoir
une idée plus pertinente à proposer. Ceci débouche sur le type (44) selon lequel il est toujours
utile de regarder sans a priori ce que font les autres. Ce nouveau type ne porte plus sur
l’action dans sa dimension d’intervention sur le monde, mais dans sa dimension plus
réflexive de l’organisation des processus d’apprentissages interprétatifs eux-mêmes.
Pour cet acteur la conclusion de cette enquête est donc double. Elle porte à la fois sur des
types visant l’interprétation de la situation (invalidation du type 37 et donc implicitement
création d’un nouveau type selon lequel les trajectoires demandées sont possibles dans cette
force de vent), et sur des types visant l’interprétation de l’activité interpr étative elle-
même (type 44).
Enfin, le développement du type 2, dans le type 44, est une confirmation, mais aussi une
généralisation et un approfondissement du type 2. C’est une généralisation, car le type 44
intègre l’idée qu’il est utile non seulement d’écouter les idées des autres, mais aussi de
regarder ce qu’ils font. C’est un approfondissement, car l’acteur intègre la nécessité de
regarder sans a priori, l’action des autres.
Il est possible de voir dans ce paramètre du type (regarder sans a priori), la trace de
l’expérience toute récente de l’acteur : contrairement aux a priori qu’Alain nourrissait envers
l’action de Benoît (« consignes foireuses » par exemple), l’interprétation du résultat de
l’action, l’amène à confirmer certes le type initial (2), mais aussi à l’enrichir de l’expérience
interprétative vécue (EU 37, 42 et 44). De ce point de vue, le développement du type (2 vers
44) est le résultat d’une intégration d’un niveau de complexité plus élevé. Cette
intégration de la complexité s’est réalisée par l’intégration d’une enquête secondaire dans une
enquête plus globale. Le résultat de cette intégration a participé à faire évoluer, en définitive,
l’objet de l’enquête dans son ensemble.
Les différents niveaux d’enquêtes peuvent donc être, quand les résultats de celles-ci sont mis
en relation, les éléments de l’expérience fondant la construction de la prise en compte de la
complexité dans les types.
Deuxième chapitre
248
3.2 Modélisation de la dynamique d’apprentissage interprétatif dans l’enquête 4
UE 2 : Benoît va m’aider dans la décision
Interprétations occurrentes
Types associés
(Je me dis toujours que) l’autre peut avoir une idée plus pertinente à utiliser 2
Benoît regarde son sifflet et ne répond pas
Dans mes rapports avec lui j’ai du mal à travailler avec Benoît (5)
UE 5 Benoît n’est pas vraiment intéressé par ce que je propose : il s’en fout en fait. Il est sûr de lui
Représentamens
Dans mes rapports avec lui j’ai du mal à travailler avec Benoît
(9) Ce n’était pas très clair pour les gamins
Repérage des indices divergents des espérances
Diminution de la fiabilité du type (2) par l’interprétation occurrente
Repérage de l’indice par la mobilisation du type : divergence des attentes
L’intervention de Benoît
Focalisation sur les indices convergents aux attentes
Repérage des indices divergents des espérances
37/ Dans ce genre de conditions, même moi avec un KL 10 j’aurais du mal à faire ce que demande Benoît. Car à partir du moment ou tu fais un empannage, tu finis sous le vent du ballon et tu ne peux pas remonter, ça ne marche plus.
37 / J’ai du mal à voir où il veut en venir, parce que même si le vent s’est levé un tout petit peu, il n’est pas assez fort pour que les gamins arrivent à faire ce que demande Benoît L’intervention de Benoît
Le vent moins faible
Evolution de l’objet de l’enquête : Profiter de l’action de l’autre apprenti pour observer la réussite ou non de l’action
Les conditions de vent faible, les élèves rament
42 Je me suis obstiné dans mon truc, mais ce que fait Benoît contrairement à toute attente semble fonctionner.
Création d’un nouveau type, concurrent du type 2
Après une confirmation du type (39-40), affaiblissement du type par l’interprétation occurrente
Confirmation du type 5 et conflit interprétatif
Par la mobilisation du type, s’attend à ce que la situation n’évolue pas positivement
Divergences aux attentes
Indices divergent des espérances
Les élèves arrivent à s’écarter le uns des autres et à attraper le ballon ; les bateaux avancent à la voile
Divergences aux espérances
Les consignes de Benoît ne sont jamais claires.
44/ la situation se débloque, ça fonctionne les gamins s’investissent. C’est à devenir fou (malgré les mauvaises consignes de Benoît)
La réussite de l’exercice de Benoît
Il est toujours utile de regarder sans a priori ce que font les autres.
Confirma- tion généralisa- tion, et approfondissement du type 2 Objet final de l’enquête : apprendre de l’expérience
Idem 37, mais affaiblissement
Invalidation du type 37 issu de la perte de confiance dans le type 37 : surprise et mise en contradiction de la pertinence du type 9
Objet initial de l’enquête : faire participer l’autre aux décisions pour mettre en place quelque chose d’intéressant
Deuxième chapitre
249
Deuxième chapitre
250
Enquête n°5
1. Résultats relatifs à la cinquième enquête
1.1 Présentation du contexte de l’enquête Alain est observé au cours d’une séance se déroulant en organisme de formation. Il doit
encadrer ses pairs. Il est aidé dans cette tâche par son formateur qui est avec lui dans le bateau
à moteur. Les conditions météo sont bonnes. Alain a préparé sa séance avec son tuteur,
notamment au niveau des critères observables de la technique.
Alain intervient et fait effectuer une descente vent arrière à ses pairs, qui naviguent en Laser67.
Son tuteur lui fait souvent part de ses observations sur le fonctionnement des pratiquants. Il
écoute ces remarques et discute avec son tuteur, mais c’est lui qui doit intervenir auprès des
pratiquants. Alain vient de vivre une séance qui lui a beaucoup plu et au cours de laquelle un
autre apprenti de la formation est très peu intervenu.
En ce début de séance, une enquête va débuter visant à trouver les moyens d’intervenir
efficacement sur ses pairs. Ceci survient alors qu’Alain pense que ses camarades ont le même
niveau que lui, et qu’il doute pouvoir leur apporter quelque chose qu’ils ne sachent pas déjà.
Nous sommes au tout début de la séance et Alain écoute et discute avec son tuteur au sujet du
comportement des pratiquants.
1.2 Conclusion de l’analyse globale L’objet de cette enquête est composé de 3 préoccupations essentielles:
1. Intervenir efficacement et suffisamment pour favoriser l’engagement des coureurs dans
l’apprentissage.
2. Améliorer son interprétation de la situation en établissant une synthèse des différents
indices de la situation (notamment le point de vue du tuteur).
3. Prendre le temps d’observer la situation.
Alain est en fait confronté à un dilemme, car ses préoccupations lui apparaissent
contradictoires, comme le montre cet extrait de l’auto confrontation :
67 Ce sont des dériveurs solitaires.
Deuxième chapitre
251
Alain : C'est toujours bizarre quoi Euh... On est toujours partagé entre la logique euh... Euh... (silence) Bon
j'essayais de… […] J'essais de faire le lien entre ce qu'on m'a… Ce dont on m'a parlé ce matin, sur des
observables précis, techniques, machin et tout et euh... Sur aussi le fait qu’on est sur l'eau, et que […] Les potes
qui sont sur l'eau, là [...] Ils ont envie que ça… Gnac [que la séance stimule l’engagement des pratiquants] et
puis eux, ils ont envie qu’à la fin de la séance […] D'avoir trouver un truc quoi ! [D’avoir appris quelque
chose].
Donc euh... T'es un peu partagé entre les deux quoi ! Tu vois ? (silence) Euh...
Chercheur : t'es partagé entre quoi et quoi ?
Alain : Euh... Ben... Partagé entre le fait que […] (silence) J'pense que ça se justifie (silence) […] De pas
intervenir trop, tu vois ? J'pense honnêtement hein... Que c'est intéressant quoi ! Mais en même temps, j'ai
l'impression que… Euh... Cà… Mais j'ai l'impression que çà manque ! En fait ! […] Ouais ! Moi je crois…
Enfin… J'pense que c'est intéressant de… D'intervenir peu et essayer de le faire bien ! Après, j'essayais peut être
trop de le faire bien et puis du coup […] j'interviens pas assez !
A cela il faut aussi ajouter les préoccupations d’Alain à apprendre de l’activité de son tuteur,
ce qui a pour effet d’augmenter la prégnance du dilemme comprenant trois termes que nous
formulons ainsi :
Améliorer son interprétation de la situation en établissant une synthèse des différents
indices de la situation (notamment le point de vue du tuteur) et en prenant le temps
d’observer la situation,
MAIS en intervenant efficacement et suffisamment pour favoriser l’engagement des
coureurs dans l’apprentissage.
La résolution de ce dilemme constitue l’objet de l’enquête.
En résumé ce dilemme est construit par la tension entre deux préoccupations : Apprendre à
interpréter / Intervenir.
Deuxième chapitre
252
1.3 L’intrigue de l’enquête 5 (UE, 1) L’enquête débute par l’interprétation de la situation selon laquelle : Il n’y a pas de
gros défauts, donc il ne sera pas facile d’intervenir pour donner des conseils techniques. Ce
pronostic négatif, s’établit sur un fond d’engagement visant à donner des conseils techniques
pertinents aux coureurs afin de les faire progresser. Le tuteur vient de demander à Alain de ne
pas intervenir tout de suite et de prendre le temps d’observer les coureurs. Alain ne remarque
pas de problèmes particuliers, il se sent donc en difficulté par rapport à la demande de son
tuteur, car il s’attend à ce qu’il n’y ait pas beaucoup de choses à voir. En effet, il mobilise un
type de l’ordre de : dans les débuts de séance et au vent arrière, il n’y a pas grand chose à
faire et à observer.
Le tuteur lui fait part de l’intérêt qu’il y a à attendre avant d’intervenir, car il lui signifie que
les coureurs ne sont pas encore réellement à l’aise dans cette descente au vent arrière.
(2) Cette remarque du tuteur provoque immédiatement chez Alain une interprétation qui est
communiquée au tuteur : «on voit qu’Adèle68 est bien en appui sur la voile, tandis que pour
Arnaud il y a des petits flottements».
(3) Alain est surpris et intrigué par la sûreté d’analyse du tuteur : Il interprète ses remarques
(sur le fait que les coureurs n’étaient pas à l’aise), comme rapides et intéressantes. Du coup
son engagement change, il tente de comprendre comment le tuteur observe. Un type selon
lequel : «on est dans le cadre de la pédagogie entraînement, pour apprendre des choses
comme en cours», commence à émerger. Il s’attend alors à apprendre à mieux observer les
coureurs.
(4) Il se met alors à naviguer de bateaux en bateaux pour pouvoir mieux observer le
comportement des différents coureurs, afin de trouver quelque chose d’intéressant à dire. Il
s’attend à ce que les coureurs ne cherchent pas à se confronter (ne régatent pas), car il
mobilise un type de l’ordre de : «Au vent arrière, sans consignes particulières les coureurs ne
régatent pas». Or contre toutes attentes, il interprète les empannages nombreux et les
trajectoires proches de deux bateaux comme des indices que deux coureurs se sont engagés
dans une activité de régate : «Charles et Adèle sont bien dedans, ils se cherchent un petit
peu». (5) Il poursuit cette interprétation par une analyse des raisons probables de ce
comportement : «Ils peuvent s’amuser à régater l’un contre l’autre, car ils sont assez forts».
Le tuteur a lui aussi remarqué l’activité de confrontation des deux coureurs et lui fait part de
ses interprétations de la situation :
Deuxième chapitre
253
Adèle descend bien, c’est une bonne abattée. Il a profité de la risée pour descendre un petit peu. Nickel
sur la contre gîte regarde ça ! Super conduite hein ? Par contre il est un peu trop fausse panne regarde
là !
(6) L’engagement d’Alain à écouter ce que dit le tuteur afin d’améliorer sa capacité à
interpréter les situations de navigation se renforce. Il s’attend maintenant à avoir de nouveaux
éléments lui permettant de mieux comprendre les situations, grâce aux interventions de son
tuteur. Dans le même temps il interprète, grâce aux remarques de ce dernier, et grâce à ses
propres observations que les coureurs commencent à être en confiance. A ce moment le type
selon lequel : «Laisser agir les coureurs permet de leur donner le temps qu’ils se mettent en
confiance», commence à émerger pour Alain.
(7) Il continue de produire des interprétations de la situation : Il observe le bateau d’Adèle
dont la vitesse, supérieure à celle des autres, l’intrigue. Il remarque une contre gîte très
importante, à tel point que le liston au vent est dans l’eau. Or le matin même dans le cours
théorique sur la navigation le tuteur expliquait que le liston dans l’eau était la limite extrême
de la contre gîte efficace. Alain mobilise donc le type selon lequel : «une contre gîte trop
importante est néfaste pour la vitesse du bateau». Il repère donc un faisceau d’indices
contradictoires entre eux : La contre gîte trop importante, mais la bonne vitesse du bateau.
Alain ne fait pourtant pas part de son trouble. Le tuteur lui fait encore remarquer d’autres
éléments de la situation, autant d’indices de l’engagement grandissant des coureurs :
« La bôme elle est vraiment partie devant. Alors tu vois ce qui est pas mal aussi c’est qu’ils tentent eux-
mêmes les manœuvres, c’est à dire qu’ils se sentent un peu plus en confiance quoi. Tu vois, il y a un qui
y est allé, les autres ont suivi. Arnaud il va s’y mettre aussi. T’as vu Adèle comme il est descendu
là ? ».
(8) Tandis qu’Alain signifie son adhésion à l’interprétation du tuteur, (9) il conforte son
interprétation qui est de l’ordre de : le tuteur a un point de vue intéressant et contre toutes
attentes, il y a des choses intéressantes à observer par rapport aux coureurs, (même au vent
arrière). Le type (3) se construit alors de façon explicite et est renforcé.
(10) Ceci amène une détermination de l’action visant à observer et comprendre le point de vue
du tuteur.
(11) Quand le tuteur lui fait part de ce qu’il voit et interprète de la situation, Alain complète
l’interprétation du tuteur.
68 Adèle et Arnaud sont des coureurs pairs de la formation
Deuxième chapitre
254
Tuteur : Didier aussi, Arnaud essaye la descente fausse panne. Voilà il vient se replacer vent arrière
quand même. Je trouve que c’est pas mal quand il y a des coureurs qui par eux-même tu vois au vent
arrière… La consigne était simple, dès qu’ils se sentent bien pouf, pouf …
Alain : ils tentent des choses
(12) L’interprétation de la situation se poursuit et se développe par une interprétation
occurrente qui détaille l’interprétation précédente : «Je n’ai pas des choses pertinentes à dire
maintenant aux coureurs, mais il se passe des choses intéressantes au moins pour eux, car ils
sont dynamiques, les coureurs cherchent des choses sur les manœuvres, ils prennent des
infos, ils font des choses différentes…Je vois qu’ils sont en train de chercher des choses».
Cette interprétation occurrente est associée à un type en émergence provenant d’une
expérience récente. La veille un autre apprenti (Charles) a fait une séance qui a beaucoup plu
à Alain (qui était alors coureur), et dans laquelle cet apprenti enseignant n’était pas beaucoup
intervenu. Alain en tire le type suivant : (a) «Il est parfois intéressant de laisser la situation se
dérouler sans intervenir».
Ce type est associé au raisonnement suivant (b) «Avec Charles il y a au de grands moments
où il n’est pas intervenu. Nous avons fait beaucoup de travail de répétition». (c) «J’ai trouvé
ça intéressant » (d) «Car c’était un cadre suffisamment large pour qu’on puisse travailler
dedans». (e) «Je me dis après tout pourquoi pas ?». Ce type est encore en hypothétique,
comme le montre la dernière locution.
(13) Ce type ne semble pas avoir encore suffisamment de crédibilité aux yeux d’Alain pour
conduire son activité interprétative, sans créer de dilemme, comme le montre les émotions
qu’il ressent à ce moment. : En effet, il se sent ennuyé de ne pas avoir beaucoup de choses à
dire aux coureurs.
(14 – 15 - 16) Il se persuade qu’il n’est pas forcément utile d’intervenir à ce moment, par
l’interprétation occurrente selon laquelle, les coureurs sont de plus en plus dynamiques.
L’engagement grandissant des coureurs, la diversité des actions, et l’assentiment du tuteur à
ne pas intervenir, constituent des indices que cette interprétation est pertinente.
(16) Ce sentiment mélangé est produit par la survenue d’un dilemme à la fois interprétatif et
de détermination de l’action, qu’Alain exprime dans le cours de l’action à son tuteur. C’est
vrai qu’on a souvent tendance à vouloir proposer des choses de peur qu’ils s’ennuient, […]
Hier l’intervention de Charles, j’ai trouvé ça excellent, il y avait vraiment des choses…
Quand toi (le coureur) t’es sur le bateau tu profites des situations pour tenter des choses. Il
souhaiterait intervenir davantage, et interprète son non interventionnisme comme un manque,
mais dans le même temps l’expérience récente, et l’interprétation de la situation occurrente,
Deuxième chapitre
255
démontrent le bien fondé de son non interventionnisme. Le tuteur montre son assentiment et
argumente même sur l’intérêt de la remarque d’Alain : C’est ça oui, ce que tu fais jamais en
régate et rarement en entraînement non plus…
En conclusion de cette réflexion Alain détermine le type assez général selon lequel : «Il est
intéressant que les coureurs aient un cadre donné, dans lequel ils peuvent travailler ce qu’ils
veulent». Ce type, exprimé lors de l’autoconfrontation, est lié au développement du type 12,
qui est conforté, généralisé et approfondi par l’apport de la notion de cadre (de travail).
(17) À ce moment Alain voit la dérive trop levée d’un stagiaire par rapport à ce qu’il aurait
fait lui-même. Mais compte tenu de la demande que le tuteur a fait précédemment de ne pas
intervenir tout de suite, et de du fait de l’émergence et du renforcement du type précédent,
Alain s’interdit d’intervenir sur ce stagiaire.
(18) Cependant le tuteur intervient et lui dit qu’il peut intervenir, ce que s’empresse de faire
Alain : Il donne des conseils au coureur sur l’équilibration de son bateau à l’aide de la dérive.
Il réalise l’interprétation occurrente selon laquelle : «Remettre un peu de dérive doit lui
permettre de stabiliser le bateau et lui permettre de sentir l’accroche du bateau [ce qui va
permettre à] Arnaud de se mettre progressivement en confiance».
Cette interprétation est réalisée par la mobilisation d’un type selon lequel : «Il est utile de
mettre un peu de dérive au départ pour commencer doucement la contre gîte et de la relever
progressivement, pour sentir l’appui du bateau».
(19) Le tuteur intervient encore pour faire remarquer à Alain le comportement d’un coureur :
Tuteur : Tiens regarde la régulation d’Arnaud, régulation gîte / contre gîte à la barre uniquement,
regarde : haut du corps fixé.
Alain lui répond en faisant part de son interprétation de la situation :
Alain : haut de corps fixé et hyper rentré par rapport aux autres
Tuteur : Tu vois ce que je te disais par rapport au safran, par rapport à l’angle de barre, là on l’a
c’est flagrant. Je régule uniquement à la barre.
Dans cette courte interaction, l’engagement d’Alain vise encore ici à apprendre du tuteur : il
espère que son interprétation de l’activité du coureur soit confirmée par le tuteur, mais il
s’attend aussi que le coureur ait un comportement cohérent avec son interprétation. Son
interprétation de la situation porte à la fois sur l’activité du coureur, mais aussi sur sa propre
activité interprétative: «le problème pour Arnaud n’est pas forcément lié à la dérive
uniquement mais aussi aux actions de barre. La dérive haute est une observation grossière.
Je ne cogite pas assez vite, il y a du boulot».
Deuxième chapitre
256
Il se rend compte à ce moment que son référentiel d’interprétation n’est pas assez élaboré, ce
qui lui permet de créer un nouveau type : «le déséquilibre au vent arrière peut être aussi dû à
des problèmes d’actions de barre».
Contrairement aux espérances d’Alain le tuteur ne confirme pas son interprétation de la
situation, mais insiste au contraire sur d’autres indices qui n’ont pas été pris en compte par
Alain. Ceci débouche sur la création d’un nouveau type.
(20) Alain prend en compte l’interprétation du tuteur comme une analyse intéressante et
complémentaire de la sienne : «l’intervention du tuteur ne signifie pas que je me suis trompé,
c’est une analyse complémentaire. Je n’avais pas vu ça. Je la réserve pour la suite». Il décide
toutefois de ne pas intervenir, car sa préoccupation à ce moment est de ne pas avoir d’actions
contradictoires dans un temps rapproché. Cette préoccupation provient d’un type selon
lequel : «il ne faut pas dire des choses contradictoires à un coureur dans un temps rapproché
mais prendre le temps de faire travailler sur un point avant de changer».
(21) Au contraire il intervient sur un autre coureur qui a lui aussi des problèmes de réglage de
dérive.
(22) Alors qu’il s’attend à ce que la séance continue sur cette descente vent arrière, le tuteur
intervient et lui demande de mettre en place la suite de la séance. Alain lance immédiatement
le nouvel exercice en étant surpris par cette demande qui lui parait prématurée.
(23) Cependant il ne s’attarde pas sur cet aspect et se concentre pour continuer à améliorer
son interprétation de la situation. Il observe sans rien dire. Ses préoccupations sont alors de
l’ordre de : a) Faire la synthèse entre ce que dit le tuteur et ce qu’il voit ; b) Se concentrer sur
les observables vus le matin en salle ; c) Essayer de déterminer « là où ça pêche ». Il mobilise
alors un type selon lequel : «si on observe bien un coureur, on peut lui donner des
informations intéressantes».
(24 et 25) Il intervient tout de même pour qu’un coureur qui ne fait pas la manœuvre
demandée s’engage dans l’exercice. Alain se demande pourquoi il ne fait pas ce qui est
demandé. (25) Mais il se remet tout de suite à observer les coureurs sans rien dire. Il tente
d’interpréter le comportement des coureurs à l’aide d’une comparaison avec le
fonctionnement des meilleurs. Il s’attend conformément à ce qu’a dit le tuteur que l’action sur
la barre soit déterminante. Son interprétation de la situation porte alors essentiellement sur sa
propre action. Il se dit : «dans mes observables, il y a des choses qui manquent. Le sillage et
la trajectoire sont plus flagrants, plus marquants que les actions de barre. J’ai du mal à être
précis dans mes observations».
Deuxième chapitre
257
Cette interprétation de sa propre activité interprétative est créée par la mise en rapport avec un
type selon lequel : a) L’intérêt est d’intervenir sur le plus gros détail technique qui fait que la
manœuvre n’est pas réussie dans sa globalité. b) Peu intervenir se justifie ; c)/ Mais je pense
que ça manque parce qu’ils n’ont pas assez de retour, du coup ils ne sentent pas beaucoup de
dynamique. d) Je trouve finalement qu’il est efficace de donner un élément et que le coureur
essaye plein de chose autour de ça.
Le dilemme entre intervenir ou prendre le temps d’observer est finalement tranché en faveur
d’interventions peu nombreuses, mais portant sur des choses essentielles et qui permettent de
déclencher une activité du coureur relativement libre. Ce nouveau type, permet de résoudre le
dilemme et de mettre fin à l’enquête.
Deuxième chapitre
258
2. Analyse de l’expérience d’interprétation dans l’enquête 5
2.1 Une nouvelle interprétation occurrente peut-êtr e à la base de la création d’un nouveau type
Un nouveau type peut être créé sur la base d’une nouvelle interprétation occurrente. Il arrive
qu’une nouvelle mise en relation d’un faisceau d’indices, forme une nouvelle interprétation
occurrente tenue immédiatement pour vraie, par l’acteur. Cette nouvelle interprétation
occurrente peut rester isolée, et non associée explicitement par l’acteur à un type (comme
c’est le cas de nombreuses fois dans les données). Mais elle peut être aussi à la base du
développement d’un type, qui sera formulé explicitement plus tard.
Par exemple, dans le cas de l’UE 3, Alain produit l’interprétation occurrente selon laquelle :
«Les observations du tuteur sont intéressantes et rapides». Cette interprétation occurrente
n’est pas associée explicitement à un type. Mais plus loin à l’EU 9, Alain produit une autre
interprétation occurrente selon laquelle : «Le tuteur a un point de vue intéressant. Contre
toutes attentes, il y a des choses intéressantes à observer par rapport aux coureurs». Il est
clair que la deuxième interprétation est une confirmation de la première, plus généralisée et
plus argumentée. Cette deuxième interprétation occurrente est mise en relation avec le type
selon lequel : «On est dans le cadre de la pédagogie entraînement, pour apprendre des choses
comme en cours».
Ainsi, rétrospectivement, la première interprétation occurrente apparaît comme un type
en émergence sous la forme d’une interprétation.
De ce point de vue, toute nouvelle interprétation est à nos yeux un type en émergence, (ou
potentiel) qui peut trouver sa conclusion par une érection d’interprétation occurrente en type.
Ceci incite à penser que le processus de typification peut être de nature inductive.
Ces deux interprétations (plus encore la deuxième que la première), organisent un faisceau
d’indices qui prend un caractère d’évidence pour l’acteur. Par exemple dans l’EU 9, les
interventions du tuteur, les conduites des coureurs, les réactions des bateaux, sont autant
d’indices de l’interprétation occurrente. Mais ce faisceau est réduit dans l’interprétation au
sens que prend la situation pour l’acteur. Ce sens survient de façon brutale, et entraîne par son
caractère d’évidence une interprétation tenue pour vraie.
Deuxième chapitre
259
Le type survient sur cet arrière fond d’évidence : il se présente comme une généralisation de
l’interprétation occurrente qui s’accompagne d’un glissement de sens. On passe d’intérêt du
point de vue du tuteur, à la catégorisation de la situation présente comme une situation de
formation comme une autre (même si elle se déroule sur le terrain).
Tout se passe comme si le processus d’apprentissage interprétatif était ici de l’ordre d’une
interprétation seconde prenant pour objet une interprétation première. Ici l’apprentissage
interprétatif porte sur les stratégies d’apprentissage interprétatif.
2.2 Le repérage d’un faisceau d’indices divergents des attentes, amène une mise en doute d’un type usuel
A certains moments, la perception d’indices divergents des attentes, produit une mise en
doute du type associé dans l’interprétation.
Dans l’exemple de l’UE 7, Alain mobilise un type selon lequel : «une contre gîte trop
importante est néfaste pour la vitesse du bateau». Or il voit un bateau qui est très rapide au
vent arrière et dont la gîte est très importante. Alain produit alors l’interprétation occurrente
selon laquelle : «Adèle à une super contre gîte, mais je me demande si elle n’est peut-être trop
importante, cependant son bateau avance bien». Implicitement la question que se pose Alain
est une mise en doute de la fiabilité du type. Le type mobilisé parait insuffisant pour
interpréter de façon satisfaisante la situation. Ce repérage d’indices divergents des attentes
apparaît solidaire d’une mise en doute du type usuel. Cette mise en doute du type, si elle se
poursuit peut déboucher pas une invalidation de celui-ci et la création d’un nouveau type.
Cependant Alain ne fera pas part de ses interrogations au tuteur. Il n’y aura pas d’échange à
ce sujet et la création d’un nouveau type ne se fera pas. L’ouverture à l’apprentissage que
représente cette mise en doute du type n’ira pas plus loin.
La mise en doute du type, représente donc une ouverture à l’apprentissage qui ne s’actualise
pas toujours au-delà de cette mise en doute.
2.3 La survenue d’un type concurrent, même hypothét ique, représente un début de transformation de type
La transformation d’un type n’est pas toujours directe, la rupture avec un ancien type n’est
pas la simple conséquence de la survenue d’un type concurrent. Elle passe d’abord par une
Deuxième chapitre
260
première phase d’acception du type concurrent qui représente une potentialité de rupture avec
l’ancien type.
Par exemple à l’EU 12, Alain produit une interprétation selon laquelle : «Je n’ai pas des
choses pertinentes à dire maintenant aux coureurs, mais il se passe des choses intéressantes
au moins pour eux, car ils sont dynamiques, les coureurs cherchent des choses sur les
manœuvres, ils prennent des infos…». Cette interprétation occurrente est produite par la mise
en relation avec un nouveau type en émergence. Celui-ci est à l’état hypothétique et provient
d’une réflexion : 1/ Il est parfois intéressant de laisser la situation se dérouler sans intervenir.
2/ Avec Charles69 il y a eu de grands moments où il n’est pas intervenu. Nous avons fait
beaucoup de travail de répétition. 3/ J’ai trouvé ça intéressant 4/ Car c’était un cadre
suffisamment large pour qu’on puisse travailler dedans. 5/ Je me dis après tout pourquoi
pas ?
Le nouveau type hypothétique selon lequel : «Il est parfois intéressant de laisser la situation
se dérouler sans intervenir» entre en concurrence dans l’interprétation de la situation avec
type plus ancien qui est de l’ordre de : «Il faut que la séance soit dynamique en intervenant
souvent pour fournir des retours aux coureurs». Mais il n’y a pas à ce moment, d’invalidation
de l’ancien type pour le nouveau. La survenue de ce nouveau type hypothétique pose pourtant
un dilemme interprétatif, qui affaiblit la croyance dans la fiabilité totale de l’ancien type : Il
représente donc une possibilité de transformation de l’ancien type, qui se poursuit d’ailleurs
dans les UE suivantes.
2.4 La généralisation d’un type peut se produire pa r la mise en relation d’un faisceau de type, associée à une mise en relation d’interprétations contradictoires
La formulation multiple et proche d’une même situation peut déboucher sur une
généralisation de l’interprétation.
Dans l’exemple de les EU 14 à 16, Alain produit une interprétation occurrente selon laquelle :
«Les coureurs sont de plus en plus dynamiques et confiants». Elle est le résultat d’un
processus complexe qui associe à la fois des interprétations antérieures dans l’enquête et un
faisceau de types issus de l’enquête en cours, mais aussi de l’expérience récente d’Alain.
Cette interprétation se présente comme le résumé d’une mise en relation d’autres
interprétations (UE 12 : mais il se passe des choses intéressantes au moins pour eux, car ils
69 La veille un autre apprenti « Charles » a fait une séance qui a beaucoup plu à Alain, et dans laquelle Charles n’est pas beaucoup intervenu.
Deuxième chapitre
261
sont dynamiques, les coureurs cherchent des choses sur les manœuvres, ils prennent des
infos, ils font des choses différentes…Je vois qu’ils sont en train de chercher des choses ;
UE 11 : Les coureurs tentent des choses : ils travaillent). Ces interprétations sont intégrées
dans l’interprétation globale 14-16. Cette mise en relation d’interprétations se fait sur la base
d’une interprétation surprenante. C’est sur ce fond de surprise que se développe cette mise en
relation. Alain ne s’attendait pas à ce que les coureurs s’engagent dans une activité de régate,
et qu’ils s’investissent autant alors qu’il n’intervient pas.
Dans le cas d’une formulation multiple et proche d’une même situation, tout se passe comme
si les diverses formulations étaient un effort d’adéquation et de généralisation de
l’interprétation.
2.5 Le processus interprétatif peut-être en relati on avec les interprétations occurrentes multiples
Ce processus interprétatif de formulations multiples peut-être en relation avec un
apprentissage interprétatif fait d’une mise en relation explicite d’un faisceau de types.
L’interprétation occurrente 14 à 16, est produite par la médiation du type selon lequel : «Il est
intéressant qu’ils (les pratiquants) aient un cadre donné, dans lequel ils peuvent travailler ce
qu’ils veulent».
Ce type est issu d’une réflexion produite en cours d’action par l’apprenti dans l’interaction
avec le tuteur. L’apprenti dit au tuteur: « c’est vrai qu’on a souvent tendance à vouloir
proposer des choses de peur qu’ils s’ennuient, […] hier l’intervention de Charles, j’ai trouvé
ça excellent, il y avait vraiment des choses… Quand toi (le coureur) t’es sur le bateau, tu
profites des situations pour tenter des choses ».
Dans cette interaction, Alain expose le dilemme interprétatif auquel il est aux prises.
Ce dilemme est produit par une mise en relation de types, qui n’est pas purement pragmatique
et implicite. Ici, la mise en relation de ce faisceau de types est explicite et est reliée à un
engagement d’apprentissage interprétatif. C'est-à-dire que l’activité interprétative vise autant
son propre développement que l’intervention dans la situation.
Etudions ce faisceau. Le type le plus ancien est relatif à l’intérêt d’intervenir souvent pour
stimuler l’activité des coureurs (UE 1 : intervenir souvent permet de stimuler l’activité des
coureurs). Le plus récent est présenté à travers l’allusion à la séance de Charles la veille (UE
12 qui est de l’ordre de : «ne pas trop intervenir permet de laisser se développer l’activité des
coureurs de façon plus autonome»).
Deuxième chapitre
262
Le tuteur en répondant : «c’est ça oui, ce que tu fais jamais en régate (tenter des choses) et
rarement en entraînement non plus » conforte Alain dans la pertinence et la justesse de sa
réflexion. De cette réflexion émerge le nouveau type. Il apparaît plus généralisé et moins
hypothétique que le type de l’EU 12.
En effet le type (12) «Il est parfois intéressant de laisser la situation se dérouler sans
intervenir » se transforme en (16) « Il est intéressant qu’ils aient un cadre donné, dans lequel
ils peuvent travailler ce qu’ils veulent».
Ce nouveau type n’est plus hypothétique. C’est une affirmation qui montre ainsi
l’augmentation de la croyance dans la fiabilité du type. Mais ce nouveau type est surtout
différent du type 12 dont il est issu. Il se différencie des deux types dont il est issu.
Il est aussi plus général, car il apparaît comme la réduction du dilemme entre l’ancien type et
le type 12. Le type 16 établit une sorte de synthèse où l’intervention est utile du fait qu’elle
permet une certaine autonomie au coureur. Ce type permet d’interpréter davantage de
situations, dans la mesure où il permet de rendre compte des situations d’apprentissage où
l’intervention du cadre est peu importante, mais où l’engagement des élèves est fort. Ce qui
était impossible avant. Il détermine les conditions de l’engagement (avoir un cadre, mais
pouvoir avoir de l’autonomie dans ce cadre de travail).
La mise en relation du faisceau de types a permis une généralisation des types du faisceau.
Dilemme interprétatif
(Ancien type) intervenir souvent permet de
stimuler l’activité des coureurs
(12) Nouveau type hypothétique (Je ne me
dis pourquoi pas?) « Il est parfois
intéressant de laisser la situation se dérouler
sans intervenir ».
Détermination d’un type plus général et moins hypothétique
(16) Type terminal (provisoirement) « Il est intéressant qu’ils aient un cadre donné, dans
lequel ils peuvent travailler ce qu’ils veulent ».
2.6 La validation des types issus de la mise en rel ation du faisceau de types est un processus en action
Il est à noter dans cette dynamique, que la validation des types issus de la mise en relation du
faisceau de types est réalisée aussi par l’action. En effet, à l’UE 15 Alain décide de ne pas
intervenir, car il constate que les coureurs continuent à reprendre confiance. Ceci a pour effet
d’augmenter la confiance qu’il a dans le type 12, et l’aide à devenir moins hypothétique.
Deuxième chapitre
263
2.7 La mise en faisceau de types peut permettre une différenciation des types
Le dilemme interprétatif relaté plus haut a aussi un autre effet : Il permet la construction d’un
type qui n’est pas seulement plus général, mais qui se différencie des deux autres types
notamment sous l’effet d’un processus d’approfondissement des types du faisceau.
Reprenons le raisonnement qu’Alain mobilise au cours de l’action avec son tuteur. Alain
interprète les comportements des coureurs comme un engagement et une confiance
grandissante de leur part (14). Le convocation d’un type usuel plus ancien fait émerger un
dilemme interprétatif (c’est vrai qu’on a souvent tendance à vouloir proposer des choses de
peur qu’ils s’ennuient, […] hier l’intervention de Charles, j’ai trouvé ça excellent, il y avait
vraiment des choses…). En prenant en compte ce faisceau de types, Alain produit une
nouvelle interprétation (quand toi (le coureur) t’es sur le bateau, tu profites des situations
pour tenter des choses). A cette nouvelle interprétation s’associe une tentative d’explication
des raisons de survenue des situations interprétées jusqu’à lors. L’interprétation de la situation
vécue la veille avec Charles, et de celle se déroulant sous ses yeux, montrant que le non-
interventionnisme de l’enseignant pouvait être la source d’une activité de bonne qualité chez
les coureurs.
Mais plus encore cette interprétation réalisée sur la base du faisceau de type, produit une
argumentation de l’état de la situation, par l’établissement des raisons de l’occurrence
du point de vue de l’acteur.
C’est parce qu’il est possible de profiter des situations pour tenter des choses, que les
coureurs peuvent s’investir et prendre confiance.
Nous appelons approfondissement du type cette argumentation de l’état de la situation
produite par l’interprète.
C’est précisément cette argumentation que l’on retrouve dans l’établissement du nouveau type
(16) (« Il est intéressant qu’ils aient un cadre donné, dans lequel ils peuvent travailler ce
qu’ils veulent). La notion de cadre provient quant à elle du raisonnement qui a conduit à la
création du type 12 (car c’était un cadre suffisamment large pour que l’on puisse travailler
dedans). Il est possible de remarquer le même processus d’approfondissement de
l’interprétation dans le raisonnement de l’EU 12.
Deuxième chapitre
264
Ainsi la mise en relation de types, associée à un approfondissement des types et des
interprétations, produit des éléments, qui permettent à l’interprète la production de nouveaux
types. Nous appelons différenciation de type le processus de production de types par mise en
relation/ approfondissement.
Schéma du processus de différenciation de types
Type initial : la séance est dynamique en intervenant souvent pour fournir des retours aux coureurs
Interprétations déjugeant le type initial associées à un sentiment de surprise : Dilemme interprétatif
Avec Charles70 il y a eu de grands moments où il n’est
pas intervenu. Nous avons fait beaucoup de travail de
répétition. 3/ J’ai trouvé ça intéressant
Les coureurs sont de plus en plus dynamiques et
confiants (alors que je n’interviens pas)
Interprétations secondes de ces interprétations : argumentation des interprétations des situations et des types
(12) C’était un cadre suffisamment large pour que
l’on puisse travailler dedans
Quand toi (le coureur) t’es sur le bateau, tu profites
des situations pour tenter des choses
Production d’un nouveau type différent par l’utilisation d’éléments issus de l’approfondissement de types
(16) Il est intéressant qu’ils aient un cadre donné, dans lequel ils peuvent travailler ce qu’ils veulent
On voit bien ici l’hésitation à choisir entre les préoccupations d’intervention et d’observation
qui s’opposent71. Les approfondissements du type sont des tentatives pour régler le conflit
entre ces deux types et sortir du dilemme. Dans le même temps la mise en relation de types
est un élément de généralisation du type. Les deux processus de généralisation et de
différenciation sont liés ici solidairement.
Le même processus se reproduit à l’UE 25, autour du même type qui subit ainsi une nouvelle
évolution.
Un processus de différenciation et de généralisation de types est à l’œuvre par mise en
relation / approfondissement de types sur la base d’un dilemme interprétatif.
Sur la base d’une interprétation première qui est de l’ordre de : «Je suis partagé entre
prendre le temps d’observer et intervenir suffisamment». Alain produit une réflexion, c'est à
dire une réflexion secondaire sur cette interprétation. Il développe le type selon lequel :
70 La veille un autre apprenti « Charles » a fait une séance qui a beaucoup plu à Alain, et dans laquelle Charles n’est pas beaucoup intervenu. 71 Comme le confirme l’envie d’intervenir en 17. D’autre part dès qu’il peut intervenir exemple en 18, il le fait immédiatement.
Deuxième chapitre
265
«L’intérêt est d’intervenir sur le plus gros détail technique qui fait que la manœuvre n’est
pas réussie dans sa globalité».
Il marque un dilemme car il pense dans le même temps, conformément à son expérience
récente que : «Peu intervenir se justifie».
Mais il affaiblit la confiance dans ce type ce qui détermine les termes du dilemme, par le
recours aux habitudes d’action qui entre en contradiction avec le nouveau type formé : «Mais
je pense que ça manque parce qu’ils n’ont pas assez de retour, du coup ils ne sentent pas
beaucoup de dynamique».
Il tranche ce dilemme en déterminant le type terminal (mi type, mi règle d’action) de cette
enquête selon lequel : «Il est efficace de donner un élément et que le coureur essaye plein de
choses autour de ça».
Ce type terminal est un approfondissement du type, car on passe de la notion de cadre de
travail à celle d’élément définie comme «Le plus gros détail technique qui fait que la
manœuvre n’est pas réussie dans sa globalité».
Au total cette enquête a fait évoluer notamment, mais pas seulement le type initial : «La
séance est dynamique si on intervient souvent pour fournir des retours aux coureurs», vers
le type terminal : «Il est efficace de donner un élément et que le coureur essaye plein de
choses autour de ça».
Cette évolution marque la prise en compte de l’intérêt de ne pas trop intervenir, pour que
l’activité des coureurs puisse se développer avec une certaine autonomie. Les interprétations
associées visent alors à prendre en compte des éléments essentiels (le plus gros détail
technique), afin de choisir ses interventions.
2.8 L’activité discursive facilite l’activité inter prétative, et l’apprentissage interprétatif
Cette étude montre à quel point l’activité discursive entre le tuteur et l’apprenti facilite
l’apprentissage interprétatif. L’activité interprétative de l’apprenti à un moment où il
s’attendait à avoir peu de choses à observer et encore moins à interpréter permet pourtant la
survenue d’une enquête. Le tuteur en montrant son assentiment et en argumentant sur l’intérêt
des remarques d’Alain, conforte, autorise et facilite l’évolution des types. L’action du tuteur
vient de façon convergente encourager les transformations des types et l’apparition de
solutions aux dilemmes interprétatifs auxquels Alain fait face.
Deuxième chapitre
266
Cette activité tutorale facilitant l’apprentissage interprétatif de l’apprenti, possède plusieurs
caractéristiques :
• Elle est discursive, mais référée à des indices précis de la situation en cours.
• Elle est centrée essentiellement sur l’interprétation de la situation.
• Elle donne du temps à l’interprétation par rapport l’urgence de l’action.
• Elle est une aide à l’interprétation de la situation par l’apprenti.
• Elle facilite l’objectivation des types mobilisés dans l’action et la
transformation des types : l’approfondissement des types, mise en relation des
types dans des dilemmes, la généralisation de types et différenciation de types.
2.9 Un développement de types concernant l’apprenti ssage interprétatif
Tout au long de cette enquête, Alain interprète la situation sur deux plans différents mais liés
entre eux. D’une part la situation du point de vue du déroulement des événements concernant
l’activité des coureurs, et d’autre part le sens que prennent ces interprétations pour son propre
processus d’apprentissage interprétatif.
Par exemple à l’EU 3, Alain, entendant les remarques que fait le tuteur sur l’activité des
coureurs, juge que celles-ci sont intéressantes et rapides. De cette interprétation occurrente il
redéfinit la situation dans laquelle il se trouve, en faisant appel à un type qui ne concerne plus
seulement l’interprétation de la situation dans sa dimension externe, mais qui intègre le sens
de sa propre activité dans la situation (on est dans le cadre de la pédagogie entraînement,
pour apprendre des choses comme en cours). Cette double activité interprétative accompagne
l’enquête, et redéfinit les engagements d’Alain qui ne sont plus seulement d’intervenir avec
efficacité, mais aussi et surtout d’améliorer sa capacité d’interpréter cette catégorie de
situations (l’entraînement de coureur en laser).
UE Interprétations occurrentes Types du méta apprentissage 3 Les observations du tuteur sont intéressantes et
rapides.
9 Le tuteur a un point de vue intéressant. Contre toutes attentes, il y a des choses intéressantes à observer par rapport aux coureurs.
19 La dérive haute est une observation grossière. Je ne cogite pas assez vite il y a du boulot.
On est dans le cadre de la pédagogie entraînement, pour apprendre des choses comme en cours.
23 Je peux affiner mes observables. Si on observe bien un coureur on peut lui donner des informations intéressantes.
Deuxième chapitre
267
L’interaction et la mise en langage de l’interprétation dans l’action amènent l’acteur à une
position réflexive sur ses propres processus d’apprentissages interprétatifs. De là, émergent
des types sur l’apprentissage interprétatif lui-même. Ainsi l’activité interprétative et les
apprentissages associés peuvent être à l’origine d’un méta apprentissage interprétatif. Celui-ci
est constitué notamment de la création de types concernant l’apprentissage interprétatif lui-
même dans la situation considérée.
Ce méta apprentissage interprétatif est constitué d’une énonciation des types. Elle procède
d’une interprétation sur des interprétations occurrentes concernant l’activité interprétative,
comme le montre le tableau ci-dessus.
Deuxième chapitre
268
3. La dynamique de l’apprentissage interprétatif da ns l’enquête 5
Décrivons maintenant la dynamique des transformations d’un type. Le point de vue adopté
sera celui de l’évolution du type (1) (La séance est dynamique si on intervient souvent pour
fournir des retours aux coureurs).
3.1 Description de la dynamique dans l’enquête 5 Au début de cette enquête Alain mobilise un type initial (La séance est dynamique si on
intervient souvent pour fournir des retours aux coureurs ; UE1). Très rapidement le repérage
d’indices divergents de ses attentes (il s’attendait à ne rien avoir à observer d’intéressant,
mais les remarques du tuteur lui démontrent le contraire) l’amène à se focaliser sur les
indices d’une situation potentiellement porteuse d’apprentissages (On est dans le cadre
de la pédagogie entraînement, pour apprendre des choses comme en cours ; UE 2). Il y a
donc une ouverture à l’apprentissage. Celui-ci est solidaire d’une interprétation de la
situation qui surprend Alain.
A l’UE 4 et 5 la focalisation sur des indices divergents des attentes amène à l’invalidation
d’un type qui n’est pas le type 1, mais qui est cohérent avec lui (Au vent arrière, sans
consignes particulières les coureurs ne régatent pas). En effet, le vent arrière est considéré
par Alain comme un exemple particulièrement significatif du type plus général selon
lequel : l’engagement des coureurs est fonction des « retours » que l’on fourni aux coureurs.
Tout se passe comme s’il y avait une invalidation partielle, par la remise en cause d’un
type appartenant à un type plus général. Cet apprentissage interprétatif est solidaire de la
survenue d’une interprétation déterminant les raisons de la survenue de la situation.
Dans l’UE 6, 8 et 11, sont formalisés l’émergence et le renforcement d’un type
concurrent au type 1 (Laisser agir les coureurs permet de leurs donner le temps qu’ils se
mettent en confiance). Cet apprentissage interprétatif survient par la focalisation sur les
indices divergents des attentes du type 1, et par le renforcement dans les attentes du type
concurrent ; s’ensuit alors la création d’un pronostic concurrent à celui du type initial. Ceci
implique l’apparition d’un dilemme interprétatif avec le type 1.
A l’EU 12 est créé un type concurrent du type initial, un peu plus général que le type
précédent, mais qui lui est associé (est parfois intéressant de laisser la situation se dérouler
sans intervenir). Ce type concurrent est de forme hypothétique. La confiance de l’acteur
dans ce type est donc encore faible et incertaine.
Deuxième chapitre
269
A l’EU 14 et 16 le type 12 (concurrent du type 1) subit une généralisation et un
approfondissement, issus de la mise en relation d’un faisceau de types, sur fond de
dilemme interprétatif. Dans cette UE survient aussi une augmentation de la croyance dans la
fiabilité du type, car il n’est plus hypothétique. Cet apprentissage interprétatif est solidaire du
repérage d’indices convergents avec les pronostics issus des types concurrents du type 1, et de
la mise en relation d’un faisceau de types.
A l’UE 25 apparaît un type encore plus général et approfondi construit par le même
processus d’apprentissage interprétatif que précédemment. Un nouveau type est créé qui
emprunte aux types antérieurs une part de leurs contenus, mais en les reconfigurant de façon
originale (Je trouve finalement qu’il est efficace de donner un élément et que le coureur
essaye plein de choses autour de ça).
Deuxième chapitre
270
Modélisation de la dynamique d’apprentissage interp rétatif dans l’enquête 5
UE 1 : Il n’y a pas de gros défauts, donc il ne sera pas facile d’intervenir pour donner des conseils techniques
Interprétations occurrentes
Types associés
Type1 : La séance est dynamique si on intervient souvent pour fournir des retours aux coureurs
Les interprétations du tuteur et les comportements des coureurs
On est dans le cadre de la pédagogie entraînement, pour apprendre des choses comme en cours
2/ On voit qu’Adèle est bien en appui sur la voile, tandis que pour Arnaud il y a des petits flottements
Représentamens
Au vent arrière, sans consignes particulières les coureurs ne régatent pas
4 et 5 : ils peuvent s’amuser à régater l’un contre l’autre, car ils sont assez forts. Charles et Adèle sont bien dedans, ils se cherchent un petit peu
Repérage des indices convergents des espérances
Repérage de l’indice par la mobilisation du type : divergence des attentes
Les comportements des deux coureurs
Focalisation sur les indices divergents aux attentes
Repérage des indices convergents des espérances
Laisser agir les coureurs permet de leurs donner le temps qu’ils se mettent en confiance
6/Les coureurs commencent à être en confiance 8/ Arnaud va se mettre en confiance aussi (pronostic) 11/ Les coureurs tentent des choses : ils travaillent.
Remarques du tuteur ; comportement engagé des coureurs. La rapidité du bateau d’Adèle
L’intervention du tuteur
Les réglages corrects
12/ Je n’ai pas des choses pertinentes à dire maintenant aux coureurs, mais il se passe des choses intéressantes au moins pour eux, car ils sont dynamiques
Divergences aux attentes du type 1
Indices divergent des espérances
L’engagement des coureurs
La diversité des actions
Ils regardent la voile
Divergences / convergences aux espérances
12/ Il est parfois intéressant de laisser la situation se dérouler sans intervenir
Création d’un nouveau type concurrent du type 1 sous forme hypothétique
Emergence et renforcement d’un type concurrent au type 1 : apparition de nouveaux pronostics.
Dilemme interprétatif avec le type 1
Diminution de la fiabilité du type (1) par l’interprétation occurrente
Ouverture à l’apprentissage
Invalidation d’un type associé au type 1, mais moins général
Objet initial de l’enquête : Faire un bord de portant pour qu’ils rentrent doucement dans l’action
Focalisation sur les indices divergents aux attentes
Deuxième chapitre
271
14 à 16/ Les coureurs sont de plus en plus dynamiques et confiants (alors que je n’interviens pas)
Divergences aux attentes sur le type 1, convergence pour le type 12
L’engagement des coureurs
La diversité des actions
Ils regardent la voile
L’assentiment du tuteur à ne pas intervenir
Je trouve finalement qu’il est efficace de donner un élément et que le coureur essaye plein de choses autour de ça.
25/ Dans mes observables il y a des choses qui manquent.
Je suis partagé entre prendre le temps d’observer et intervenir suffisamment La trajectoire des bateaux
Les sillages
Il est intéressant qu’ils aient un cadre donné, dans lequel ils peuvent travailler ce qu’ils veulent
Généralisation et approfondissement du type 12
Poursuite de la généralisation et approfondissement du type 12. Différenciation achevée d’un nouveau type.
Divergences aux attentes sur le type 1, convergence pour le type 12
Deuxième chapitre
272
Enquête n°6
1. Résultats relatifs à la sixième enquête
1.1 Présentation du contexte de l’enquête Benoît est observé au cours d’une séance se déroulant en entreprise. Il encadre des élèves de
12 à 14 ans. Il est seul dans son bateau à moteur. Les conditions météo sont bonnes, il y a un
peu de nuages et de petites pluies, le vent est bon (force 3 régulier) mais vient de terre. Ceci
implique que les élèves devront remonter contre le vent pour revenir à la base (ce qu’ils ne
savent pas encore faire), ou que Benoît sera obligé de les remorquer ce qu’il préférerait éviter.
En effet, lors d’une précédente séance ce dernier a été marqué par un événement. Alors qu’il
encadrait un groupe en kayak, il avait organisé un jeu dont le but était d’attraper un gilet de
sauvetage qu’il traînait derrière son bateau. De son point de vue la séance s’était bien déroulée
mais à terre les gens avaient eu une toute autre perception de ce qui se passait, comme le
montre cet extrait de l’auto confrontation.
B : Tout s'est bien passé, puisque je leur ai donné des règles ! Et euh... Ben... Y'en a qui se tournaient
comme çà et y fallait qu’ils attrapent le gilet, qu’il le laissent traîner, qu'les autres après y…
S'organisent pour soit attraper le bateau par l'arrière, ou enfin des trucs comme çà ! Et euh... Du
comment ? De… De terre euh... Ils croyaient que j're… J'remorquais euh... Que j'faisais du remorquage
quoi !
A : Ah oui ?
B : Et y z'ont interprété çà euh... Genre euh... : "Ah ! il fait du remorquage euh... !". Il remorque ses…
Ses sta… Ses stagiaires quoi ! Et euh... Après, j'ai entendu euh... Autre part, dans une soirée, enfin j'ai
eu des échos ! Et des personnes qui avaient rien avoir avec euh... avec mon boulot !
Benoît bien que seul sur l’eau, se sent tout de même surveillé depuis la terre, et pas libre de
faire ce qu’il veut. Sa préoccupation est de faire en sorte que son groupe est l’air organisé de
loin, et qu’il soit notamment groupé.
A la limite euh... J'préfère gueuler un peu plus fort, et que… Euh... Et que d'ici [c’est à dire de terre]
euh... On voit que mon groupe à l'air un peu regroupé et… Et qu'çà fasse bien organisé. Euh... Même si
pendant l'arrêt y'en a, qui sont un petit peu trop écartés ! A la limite, y m'entendront pas gueuler ou
euh...
Benoît aborde donc cette séance en ayant la préoccupation de « faire bon effet » vu de terre.
Il connaît les élèves qu’il a encadré plusieurs fois et a remarqué, que les élèves étaient
capables d’aller jusqu’à un point donné, mais qu’ils ne savaient pas forcément trouver par
eux-mêmes une route qui leur permette de revenir à leur point de départ, notamment s’il s’agit
de remonter le vent.
Deuxième chapitre
273
Après avoir vérifié qu’ils étaient capables de se maintenir seuls par vent de travers, il décide
de les faire remonter le plus possible vers le vent sans savoir s’ils en sont réellement capables.
Il est un peu angoissé par le vent de terre car il a pour effet d’éloigner les bateaux du port où
ils doivent revenir. L’enquête de Benoît vise ici à essayer de faire remonter les élèves contre
le vent. Elle est réalisée dans le but de leur faire apprendre à régler leurs voiles près de l’axe
du près, mais aussi et surtout pour vérifier qu’il n’aura pas de problème à faire revenir ses
élèves au point de départ sans avoir à les remorquer.
1.2 Conclusion de l’analyse globale L’objet de cette enquête est composé de 3 préoccupations essentielles :
1/ Faire bonne figure en faisant remonter seuls les élèves à la base.
2/ Faire intégrer la technique de la conduite au près72.
3/ S’organiser et s’améliorer pour comprendre, faciliter et prendre en compte l’autonomie des
élèves.
Benoît est confronté à un dilemme qui provient de la confrontation de préoccupations liées à
des habitudes anciennes (faites d’interventions visant à contrôler strictement l’activité des
élèves) à de nouvelles préoccupations en cours d’émergence (visant à prendre en compte
l’autonomie de l’activité des élèves), comme le montre cet extrait de l’auto confrontation,
relatif à cette enquête :
B : J’interroge pas assez les… Les personnes pour euh... Savoir ce qu'elles ressentent euh... Les repères qu'elles prennent et tout !
Chercheur: Quand est ce que tu t'es dit çà ?
B : Ben... Euh... En général quoi je...
Chercheur: En général ?
B : Ouais ! Ouais ! Ouais !
Chercheur: Mais pas forcément dans cette…
B : Je me dis… Je me le dis à chaque fois en fin de séance et puis je le… Je le fais jamais en séance quoi
Chercheur: Ah oui ?
B : ouais ! Je suis pas assez à l'écoute et, et je demande pas assez de renseignements aux personnes pour justement euh... Savoir euh... C'qui va pas quoi ! Je me base vraiment par rapport à ce que je vois et… Et çà, çà euh... C'est un truc qui faut qu'je… Je… Je fasse gaffe quoi !
72 C'est à dire apprendre aux élèves à naviguer dans l’angle le plus proche du vent possible.
Deuxième chapitre
274
Chercheur : Hum... Hum...
B : Parce que euh... Par exemple, ben... Au lieu de… De demander qui comment ? Qu’ils tirent sur l'écoute à fond, faudrait plutôt que je leur demande euh... Pourquoi ils le font pas à fond, ou…
Chercheur: Hum... Hum...
B : Ou qu'est ce qui ressentent euh... Ou est ce qu’ils… Je leur demande : "Est ce que vous êtes à fond ?". Ou euh... Pis s’ils me disent : "Non !". Je dis euh... : "Pourquoi ?". Et puis euh... A ce moment là, si la… La personne me dit : "Ben... Je savais pas qui fallait être euh... A cet endroit là ! ou…"Après çà me… Cà m'éclairerait plus, au de lieu de… De que j’ai à toujours répéter la même chose quoi !
Ces préoccupations nouvelles visant une activité compréhensive entrent en contradiction avec
celles concernant la réussite immédiate des élèves. (A cela il faut aussi ajouter les
préoccupations de Benoît à faire bonne figure aux yeux de ceux qui potentiellement le
surveillent du bord. Le critère de non éparpillement de la flotte est devenue une préoccupation
essentielle, car il est très visible du bord).
Chercheur: Comment tu expliques que tu le fais pas plus souvent ? [Questionner les élèves sur les
raisons de leurs fonctionnements] Alors que tu dis… Tu dis euh... Avoir envie de le faire plus ?
B : Parce que j'ai tellement envie qui re… Enfin qu’ils réussissent, qu’ils fassent le truc que… Ben...
Je suis pas assez euh... Je suis pas assez à l'aise euh... Encore euh... Pas assez confiant quoi ! Enfin
dans… Dans les exercices que je … Je donne ! (silence) Et je … Je… Mes exercices ils duraient pas
assez longtemps quoi ! Pour que je reste à… Faudrait que je prenne de… De mettre à côté des
personnes et… (silence) Et puis euh... Bon, là tout le monde était un peu éparpillé donc je pouvais pas
rester trop longtemps euh... [comme ça].
Ce faisceau de préoccupations a pour effet d’augmenter la prégnance du dilemme
comprenant trois termes que nous formulerons ainsi :
Faire intégrer la technique au près, tout en prenant en compte l’autonomie des élèves et en
faisant bonne figure en laissant les élèves remonter seuls à la base.
Ce dilemme à résoudre constitue l’objet de l’enquête.
En résumé ce dilemme est construit par la tension entre deux préoccupations : Contrôler le
fonctionnement des élèves pour faire bonne figure / prendre en compte l’autonomie des
élèves.
Deuxième chapitre
275
1.3 L’intrigue de l’enquête 6 (1) Les élèves ont été capables de se maintenir sur une bouée, sans descendre par rapport
au vent. Benoît se demande s’ils sont capables maintenant de remonter au vent. Il tient
à le savoir car il voudrait éviter de les remorquer jusqu’à la base. Il espère qu’ils
puissent remonter, mais doute qu’ils puissent le faire seuls. En revanche, il s’attend à
ce que les élèves restent sur un même bord et ne louvoient pas seuls. Son engagement
à ce moment vise à éviter d’avoir à les remorquer pour faire bonne figure de loin. Son
espoir réside dans le type selon lequel : «quand les élèves savent se maintenir sur une
bouée, et s’équilibrer à l’écoute, ils peuvent aborder le près».
(2) Il décide donc de lancer les élèves sur une remontée au vent. Cependant il remarque
que les élèves ne règlent pas leurs voiles correctement (ils ne bordent pas assez). Ces
indices sont divergents de ses espérances. Il interprète la situation comme un manque
de clarté de sa part (comme il le fait souvent d’ailleurs).
(3) Il donne donc des consignes aux élèves pour leur faire réaliser du près et leur donne
comme repère de remonter le plus possible vers le port. Son engagement vise à leurs
faire intégrer par des exercices les réglages de voile près de l’axe du près. La direction
du port n’est qu’un repère topographique, pour que les élèves se situent, mais c’est
également pour Benoît le moyen de vérifier qu’ils pourront rentrer seuls.
(4) Les bateaux démarrent et il les suit, afin de surveiller les réglages de voile. Il s’attend
à ce que les élèves ne bordent pas suffisamment les voiles. Effectivement ces derniers
ne bordent pas suffisamment les voiles pour pouvoir faire du près. Il interprète cette
situation en pensant que les élèves ne savent pas jusqu’où border. Pour faire cette
interprétation il mobilise un type selon lequel : «Le réglage maximum pour les élèves
c’est au niveau de leurs forces et des sensations et non pas par rapport à des repères
sur le bateau». Le type 1 subit donc une première transformation par la prise en
compte de la spécificité de la situation.
(5) Il s’attend à ce que les élèves se mettent souvent face au vent. Mais contrairement à
ses attentes, les élèves ne s’arrêtent pas trop souvent, ce qui est par contre conforme à
ses espérances. C’est donc plutôt une bonne surprise pour Benoît qui interprète cette
situation en se disant : «qu’en leur demandant d’aller vers le port, il leur fait faire
indirectement du près». Cette interprétation est produite en relation avec un type selon
lequel : «Il est efficace de faire faire quelque chose aux élèves indirectement plutôt
Deuxième chapitre
276
qu’en leur demandant directement73». Il attribue aussi cette réussite aux compétences
des élèves, car il pense qu’ils maîtrisent la relation entre la barre et la propulsion, car
«s’ils n’avaient pas compris la barre propulsion ils se mettraient face au vent et ne
bougeraient plus».
(6) D’autre part, il repère que les voiles des élèves ne faseyent pas beaucoup. Il interprète
cette situation en pensant que : «les élèves sentent déjà la vitesse par rapport à
l’équilibre du bateau…». Il approfondi cette interprétation en précisant que : «les
élèves n’ont pas besoin de voir la voile faseyer, le bateau face au vent pour
comprendre qu’ils n’avancent plus. Par rapport à ça ils ont des repères internes».
Cette interprétation est produite par la mise en relation avec le type selon lequel : «les
repères internes facilitent le fonctionnement des élèves sans téléguidage de ma part».
Cette interprétation est associée à une règle d’action : «il est important de donner des
repères internes aux élèves. Qu’ils ressentent quelque chose dès le début, les amener à
des sensations et après seulement des repères externes».
(7) Benoît en conclu : «je ne suis pas obligé de téléguider les élèves, ça me laisse une
possibilité d’observer». Cette interprétation / détermination de l’action est en relation
avec un type dans lequel le « Ça » de l’interprétation est déterminé. Il s’agit de
« centrer les élèves sur des repères internes et sur une activité de façon indirecte», ce
qui permet de « faire fonctionner les élèves et de se donner la possibilité de les
observer». Les indices permettant cette interprétation de la situation, portent sur
l’action même de Benoît : «je n’interviens pas souvent. Je n’étais pas souvent à coté
d’eux en disant regarde le machin, fait ci, fait ça».
(8) Dans le même temps, les préoccupations de Benoît visent à donner des repères aux
élèves pour leur permettre de faire du près, et leur faire explorer les réglages extrêmes.
Il s’attend à ce que les élèves ne bordent pas suffisamment les voiles. Il repère un
faisceau d’indices corroborant ses attentes (les voiles pas assez bordées, une vitesse
faible des bateaux, des angles de remontées insuffisant…). Benoît intervient en
demandant aux élèves de border leurs voiles.
(9) Il interprète les difficultés des élèves en pensant que : «les consignes sont écoutées,
mais que les élèves ne connaissent pas encore les réglages extrêmes». Il précise cette
interprétation : «dès que ça force un peu ils croient qu’ils sont à fond …Ils ne le savent
pas encore (quand c’est à fond) Parce que ce sont des petits». Cette interprétation est
73 Benoît comprend ici l’intérêt de donner un but clairement repérable matériellement à l’élève, différent de
Deuxième chapitre
277
en relation avec le type selon lequel : «C’est peut-être à moi de leur dire où sont les
extrêmes : quand c’est tiré à fond».
(10-11) Certains bateaux ont viré de bord et ont du mal à repartir sur l’amure opposée.
Benoît interprète les difficultés des élèves de façon similaire au cas précédant. Mais il pense
aussi que les bateaux sont trop face au vent. Cette interprétation est en relation avec un
faisceau de types : «Border la voile à fond permet de remonter au vent plus facilement. Plus
on se rapproche du vent moins on va vite. Quand on est trop face au vent il faut changer de
direction pour garder de la vitesse, mais en remontant au vent». Ses préoccupations évoluent
et visent maintenant à montrer aux élèves, jusqu’où les bateaux peuvent remonter au vent :
explorer le compromis cap/vitesse. Il intervient donc pour faire constater qu’ils sont face au
vent.
(12) Un autre bateau vire de bord, et Benoît intervient pour aider les élèves dans la
manœuvre. Il interprète ces virements de bord comme le signe que les élèves sont en train de
louvoyer. Ce qui constitue une surprise pour lui.
(13) Comme Benoît s’attendait à ce que les élèves ne louvoient pas, il est étonné du
louvoiement rapide des élèves. Il interprète cette situation en pensant que «les élèves ont
remarqué très rapidement qu’il fallait changer de bord». Cette interprétation est en relation
avec l’émergence d’un nouveau type. Il comprend qu’un exercice peut faire travailler
plusieurs choses à la fois chez les élèves : «D’habitude pour le louvoyage, je suis obligé de
faire un exercice spécifique. Pendant que je faisais un exercice spécifique je ne remarquais
pas que ça faisait assimiler d’autres paramètres de la tâche, et qu’un exercice pouvait
développer d’autres prises de consciences. Cet exercice est peut-être bon pour voir plusieurs
choses à la fois».
(14) Benoît utilise son type tout neuf, pour réinterpréter immédiatement la situation en
cours. Pour lui : «les élèves louvoient, car ils voient qu’ils s’éloignent du point à atteindre. Ils
le font de façon instinctive, car ils voient qu’à partir d’une certaine position et direction, ils
ne pouvaient plus avancer : ils savaient qu’on ne pouvait pas atteindre le point directement.
Puisqu’on était face au vent s’ils voulaient atteindre le point sans trop s’éloigner, il fallait
changer de bord».
(15) Cette nouvelle interprétation de la situation, amène une nouvelle détermination de
l’action. Il considère à présent utile d’ouvrir les possibilités de réponse dans l’exercice et de
guider les bateaux qui ne louvoient pas. Sa préoccupation change à nouveau. Il s’agit pour lui
l’objectif qu’il se donne en tant qu’enseignant. Mais ce type reste très ancré dans la situation occurrente.
Deuxième chapitre
278
d’utiliser les réalisations des élèves pour ouvrir l’exercice au louvoyage et de montrer à ceux
qui n’ont pas virés que les autres l’ont fait. Dans le même temps il remarque que les élèves ne
se suivent pas. Ceci est un indice aussi souhaité, qu’inattendu pour Benoît. Il interprète cette
situation comme le signe d’une décision autonome des différents élèves. Car il considère que
les élèves ne suivent pas simplement le premier. Il en tire un nouveau type selon lequel : «En
fonction de la réaction des gamins on peut changer l’aiguillage de la séance et l’orienter
d’une façon que l’on n’aurait pas imaginée».
Ce nouveau type est un apprentissage très en rupture pour Benoît quand on se rappelle sa
tendance en début d’année à vouloir réaliser coûte que coûte ce qu’il avait prévu sans tenir
compte de l’évolution de la situation. Il est vrai aussi que le tuteur n’est pas présent dans
cette séance.
(16) De nouveau son interprétation de la situation guide son action. Fort de ce nouvel
apprentissage interprétatif, Benoît intervient résolument sur le dernier bateau qui n’a pas
encore viré. Il s’attend maintenant à ce que tout les bateaux puissent louvoyer et pas
seulement à faire du près. Il pense que ses élèves sont capables de virer mais qu’ils ne se
sentent pas autorisés à le faire. Son intervention consiste donc à les aider à virer, mais aussi à
leur signifier qu’ils ont l’autorisation de le faire quand ils le souhaitent, pour aller vers le port.
(17 à 20) Benoît s’attend à ce que les élèves saturent s’il n’intervient pas, car il pense que
cet exercice demande une concentration importante. Il est rassuré, au delà de ses espérances et
de ses attentes sur la capacité des élèves à pouvoir remonter vers la base. L’enquête touche à
sa fin : il hâte la fin de l’exercice pour passer à la suite de la séance.
Deuxième chapitre
279
2. Analyse de l’expérience d’interprétation dans l’enquête 6
2.1 La contextualisation d’un type est un processus de différenciation de types et de complexification de l’interprétation occurrente
Benoît au début de cette enquête, mobilise un type suivant lequel : «, quand les élèves savent
se maintenir sur une bouée, et s’équilibrer à l’écoute, ils peuvent aborder le près». A l’EU 4,
il y a une transformation du type initial, par la prise en compte de la spécificité de la
situation. Benoît sous l’effet de l’interprétation occurrente (Les élèves ne savent pas jusqu’où
border), constate qu’ils ont du mal à faire du près, et élabore un nouveau type : «Le réglage
maximum pour les élèves c’est au niveau de leurs forces et des sensations et non pas par
rapport à des repères sur le bateau». Ce nouveau type représente une complexification du
type initial : Certes les élèves sont capables d’aborder le près (type 1), mais ils ne peuvent
pas réussir à maîtriser directement cette manœuvre puisqu’ils ne savent pas jusqu’où border
(interprétation occurrente 4), car le réglage est davantage guidé par leurs sensations que par
des repères sur le bateau (Type 4). Le type 4 représente une évolution du type 1 sous la forme
d’une contextualisation : Dans certaines conditions de vent, avec certains élèves, le près sera
fonction de la force et des sensations des élèves, et non fonction de repères sur le bateau.
En effet ce type (4) est très contextualisé. Il est très proche de l’interprétation occurrente, mais
n’est déjà plus seulement une érection d’interprétation occurrente en types. Il donne une
explication des raisons de la survenue de l’occurrence. Par là même, il met en relation
l’interprétation occurrente avec les conditions et le contexte d’occurrence spécifique dans
lequel émerge l’occurrence. Du point de vue de l’interprétation occurrente, le type apporte des
réponses aux conditions d’occurrence de la situation. Il représente une complexification de
l’interprétation occurrente : c’est parce que les élèves prennent pour repère leurs forces et
leurs sensations et non des repères sur le bateau qu’ils ne savent pas jusqu’où border (sous
entendu ils ne bordent pas assez).
Le type 4, est visiblement une évolution du type 1, par une contextualisation de celui-ci.
Cependant celle-ci produit un début de différenciation.
Deuxième chapitre
280
Aussi considérons nous, que la contextualisation de types est un processus de différenciation.
La contextualisation en montrant les limites des types dans certaines conditions permet
l’émergence de types différents, plus approfondis, que les types dont ils sont originaires. Cette
contextualisation est solidaire d’une complexification de l’interprétation occurrente.
2.2 L’intégration d’une interprétation occurrente c omme un exemplaire de la catégorie de situations recouverte s par le type, modifie celui-ci
A l’EU 5, Benoît mobilise le type suivant lequel : « il est efficace de faire faire quelque chose
aux élèves indirectement plutôt qu’en leur demandant directement». Il produit ce type en
intégrant l’interprétation occurrente selon laquelle : «en demandant [aux élèves] d’aller vers
le port, je fais faire du près indirectement aux élèves, car s’ils n’avaient pas compris la barre
propulsion ils se mettraient face au vent et ne bougeraient plus». Or Benoît constate que les
élèves ne s’arrêtent pas aussi souvent, que ce à quoi il s’attendait.
Le type émerge par la survenue d’indices divergents des attentes, auxquels l’acteur donne un
sens global. En retour, il intègre l’interprétation occurrente comme un exemple du type. La
situation de navigation au près par les élèves sans leurs demander explicitement, mais en leur
demandant d’atteindre un endroit au vent qui nécessite la maîtrise de cette allure, est donc
considérée comme un exemple de ce type d’efficacité de demande indirecte.
En même temps cette interprétation occurrente confirme le type et elle le modifie. Benoît
intègre les conditions de réussite de cette situation : «s’ils n’avaient pas compris la barre
propulsion, ils se mettraient face au vent et ne bougeraient plus». Il nous livre les raisons de
sa surprise : il s’attendait à ce que les élèves se mettent face au vent, pour aller vers le port et
ne bougent plus. Au contraire, ils conservent de la propulsion avec la barre, ce qui implique
qu’ils ont compris comment la direction peut influer sur la propulsion du bateau.
Cette surprise renforce la croyance dans la fiabilité du type de l’EU 5 : en contredisant ses
attentes sur les difficultés prévues des élèves, elle prouve que le fait de leur faire réaliser
quelque chose indirectement - par exemple en donnant une direction difficile à atteindre, sans
préciser les moyens de le faire - peut être efficace. Le type se transforme par
l’enrichissement de l’exemple de cette situation (liant demande de direction et moyen à
mettre en œuvre pour le faire, comme exemple d’une réponse à demande indirecte de la part
de l’éducateur). En intégrant cet exemple supplémentaire, le type a acquis une possibilité
accrue d’interprétation d’une nouvelle catégorie de situation.
Deuxième chapitre
281
2.3 La recherche de raisons plausibles à la survenu e d’une situation non attendue, peut déboucher sur la créat ion d’un type nouveau
A l’UE 6 Benoît constate que les élèves font moins faseyer leurs voiles que prévu (et
qu’ils se mettent moins souvent face au vent que ce à quoi il s’attendait, UE 5). Il
interprète les raisons de la survenue de cette situation. Il pense que les élèves n’ont pas
besoin de voir la voile faseyer, le bateau face au vent pour comprendre qu’ils n’avancent
plus. Par rapport à ça ils ont des repères internes. De cette interprétation occurrente
émerge un type selon lequel : « les repères internes facilitent le fonctionnement des élèves
sans téléguidage de ma part». Ce type est associé à une règle d’action selon laquelle : « il
est important de donner des repères internes aux élèves. Qu’ils ressentent quelque chose
dès le début, les amener à des sensations et après seulement des repères externes».
Dans ce cas, nous pouvons remarquer plusieurs choses. La première est que l’élément
significatif provient d’une surprise de l’acteur provoquée par la divergence des
indices de la situation avec ceux attendus. L’acteur cherche alors à donner un sens à
cette divergence. Il cherche à caractériser le fonctionnement de la situation . Il établit
pour cela des raisons qui, selon lui, permettent d’expliquer les raisons de la survenue
de la situation. Toutes les surprises de cette nature ne donnent pourtant pas lieu à une
recherche de raisons. Ici l’enjeu pour l’acteur est assez fort. Rappelons nous la crainte de
Benoît à devoir remorquer les élèves et de l’effet qu’il pense que cela pourrait avoir sur
d’éventuels observateurs de son action !
La recherche des raisons de la survenue de la situation est fonction pour l’acteur des
enjeux de la situation en cours, et plus encore des enjeux de cette découverte.
L’argumentation de l’état de la situation par l’établissement des raisons de survenue de la
situation, débouche sur la production d’un type qui est associé alors à une règle d’action.
Enfin la traduction langagière du type est une interprétation de l’interprétation
occurrente. Elle reprend essentiellement les raisons de la survenue de la situation qu’elle
condense dans un contenu plus laconique. Ces raisons de la survenue de la situation
reprise dans le type sont un approfondissement de l’interprétation d’une catégorie
d’occurrences.
Deuxième chapitre
282
L’utilisation du type étant alors un argument permettant de comprendre les raisons de la
survenue de l’occurrence. Cet argument articule deux prédicats. Ici c’est parce que les
élèves ont des repères internes (argument) [qu’] ils n’ont pas besoin de regarder les voiles,
ni le bateau face au vent (prédicat 1), pour comprendre qu’ils n’avancent plus (prédicat 2).
Cet approfondissement de la situation facilite dans le même temps l’activité de pronostic.
2.4 La transformation du type et de l’interprétatio n occurrente peut-être circulaire
Une interprétation occurrente peut produire l’apparition d’un nouveau type, qui amènera en
retour la transformation de l’interprétation occurrente. C’est à dire que le même faisceau
d’indices ayant servi dans la première interprétation est réutilisé et sémiotisé de façon
différente et en fonction du nouveau type.
Par exemple, à l’EU 12, l’acteur repère des bateaux qui ont viré de bord, il interprète cette
situation en pensant que les élèves, contre toute attente ont louvoyés.
Cette interprétation est reprise comme un indice de la situation dans l’EU 13. Associée
au fait qu’il ne leur a pas demander de louvoyer, il interprète la situation, en pensant que «Les
élèves ont remarqué très rapidement qu’il fallait changer de bord». De cette interprétation
occurrente, émerge la réflexion qui débouche sur la création d’un type, sur fond d’invalidation
de la généralité de ce dernier : «D’habitude pour le louvoyage, je suis obligé de faire un
exercice spécifique. Pendant que je faisais un exercice spécifique, je ne remarquais pas que
ça faisait assimiler d’autres paramètres de la tâche, et qu’un exercice pouvait développer
d’autres prises de consciences». Ce type est donc créé par la remise en cause d’un type
identifié à l’habitude. Il serait de l’ordre de : «Un exercice particulier ne fait assimiler que les
paramètres choisis». Du type nouvellement formé, Benoît fait évoluer son interprétation de la
situation : « cet exercice est peut-être bon pour voir plusieurs choses à la fois ». Cette
interprétation occurrente constitue l’exemple prototypique d’un type émergent qui serait de
l’ordre de : «Ce genre d’exercice permet de faire travailler plusieurs choses à la fois».
Mais ici le processus d’apprentissage ne s’arrête pas là. L’acteur réutilise ce nouveau type
(UE 14) pour réinterpréter le faisceau d’indices de la situation, qui change en même
temps que l’interprétation occurrente. Benoît pense que les élèves louvoient, car ils voient
qu’ils s’éloignent du point à atteindre. Ils le font de façon instinctive, car ils voient qu’à
partir d’une certaine position et direction, ils ne pouvaient plus avancer : ils savaient qu’on
ne pouvait pas atteindre le point directement. Puisqu’on était face au vent s’ils voulaient
atteindre le point sans trop s’éloigner, il fallait changer de bord. L’acteur explique donc les
Deuxième chapitre
283
raisons de l’état de la situation, sur la base de la mobilisation du nouveau type de l’ordre de :
puisqu’il est possible qu’un exercice développe d’autres prises de consciences [que celles
prévues par l’enseignant], il devient possible et intéressant de comprendre les raisons de la
conduite inattendue des élèves.74
Cette nouvelle interprétation de la situation est une résémiotisation d’un même faisceau
d’indices repéré par l’acteur, permise par la survenue du nouveau type. Les transformations
du type et de l’interprétation occurrente se sont mutuellement influencées. L’interprétation
occurrente a permis la création d’un nouveau type, tandis que le nouveau type a permis la
création d’un saut de sens du faisceau d’indice.
74 Il est au passage possible de remarquer combien ce type est différent de celui créé par Benoît dans l’enquête 3, selon lequel il n’était pas possible de savoir ce qui se passe dans la tête des élèves [comprendre les raisons de leurs comportements].
Deuxième chapitre
284
3. La dynamique de l’apprentissage interprétatif da ns l’enquête 6
Décrivons maintenant la dynamique des transformations des types. Le point de vue adopté ici
sera double. Nous modéliserons la dynamique de l’évolution du type (4) (Le réglage
maximum pour les élèves c’est au niveau de leurs forces et des sensations et non pas par
rapport à des repères sur le bateau) allant de l’UE 4 à 7. Cette première dynamique sera
suivie d’une deuxième qui amènera la création du type 14 de l’ordre de : un exercice peut
développer plusieurs prises de consciences, associé à la détermination de la règle d’action de
l’UE 15 selon laquelle : En fonction de la réaction des gamins on peut changer l’aiguillage de
la séance et l’orienter d’une façon que l’on n’aurait pas imaginée.
3.1 Description de la dynamique dans l’enquête 6 L’acteur mobilise à l’EU 1, un type qui est vrai pour lui quelque soit la situation : «Au près la
voile doit être tirée au maximum». De ce type apparaît un nouveau type en rupture à l’UE
4 (Le réglage maximum pour les élèves, c’est au niveau de leur force et des sensations et non
pas par rapport à des repères sur le bateau). Il apparaît par la prise en compte de la
spécificité de la situation. L’interprétation selon laquelle, Les élèves ne savent pas jusqu’où
border, subit elle-même une interprétation secondaire, qui en cherchant les raisons de la
survenue de la situation, développe le type de l’UE 4.
Le repérage d’un indice inattendu (Les élèves ne s’arrêtent pas trop souvent), amène à un
saut de signification du faisceau d’indices, solidaire d’une nouvelle interprétation (En leur
demandant d’aller vers le port, je fais faire du près indirectement aux élèves……Car s’ils
n’avaient pas compris la barre propulsion, ils se mettraient face au vent et ne bougeraient
plus). De cette interprétation est tiré le type (Il est efficace de faire faire quelque chose aux
élèves indirectement plutôt qu’en leur demandant directement), par la généralisation d’une
seule interprétation occurrente.
Ce nouveau type a pour effet de transformer les attentes de l’acteur, ce qui influence à la fois
l’interprétation suivante, mais aussi le repérage d’un faisceau d’indices convergents de ces
nouvelles attentes, mais divergents par rapport aux attentes initiales (Les voiles ne
faseyent pas beaucoup). Cette transformation des attentes pointe l’apprentissage interprétatif
dont elle procède.
Ce couple divergence/convergence rend, en quelque sorte, l’indice doublement
significatif . Celui-ci trouve une interprétation (Les élèves sentent déjà la vitesse par rapport à
Deuxième chapitre
285
l’équilibre du bateau. Ils n’ont pas besoin de voir la voile faseyer, le bateau face au vent pour
comprendre qu’ils n’avancent plus. Par rapport à ça ils ont des repères internes.
L’acteur tente de caractériser le fonctionnement de la situation, qui représente pour lui
un enjeu très fort. Les raisons, selon l’acteur, de la survenue de la situation étant
caractérisées, il en déduit un type, mi détermination de l’action, mi interprétatif, (Il est
important de donner des repères internes aux élèves. Qu’ils ressentent quelque chose dès le
début, les amener à des sensations et après seulement des repères externes).
Ce type permet ensuite la convocation d’un indice de la situation portant sur la conduite de
l’acteur même (je n’interviens pas souvent). Mais cet indice est interprété du point de vue des
interprétations construites jusqu’à lors (Je ne suis pas obligé de téléguider les élèves, ça me
laisse une possibilité d’observer). Cette nouvelle interprétation est solidaire de l’émergence
d’un nouveau type (Ça (le fait de centrer les élèves sur des repères internes et sur une activité
de façon indirecte), permet de faire fonctionner les élèves et de se donner la possibilité de les
observer), fait d’une mise en relation pragmatique avec les autres types de ce début d’enquête.
Il emprunte au type 6 le rôle des repères internes ; au type 5 l’intérêt de faire faire
indirectement quelque chose aux élèves ; tout ceci est contenu dans le « ça »75 de la
formulation du type.
Cette complexité interprétative condensée et laconique est mise en relation avec la nouveauté
interprétative de l’interprétation occurrente (UE7), qui débouche sur la création d’un nouveau
type beaucoup plus complexe que ceux dont il est issu. Ainsi le « laconisme » de la
formulation dissimule souvent une complexité sous-jacente.
Il existe un va et vient constant dans le repérage des indices de la situation, les interprétations
occurrentes et les types, qui s’influencent mutuellement dans une double interaction : d’une
part celle des types et des interprétations occurrentes ; d’autres part, celles des interprétations
occurrentes et des indices de la situation. Pour cette dernière interaction, ce n’est pas
uniquement la survenue de l’indice qui induit l’interprétation, c’est également la
nouvelle interprétation en cours de construction qui permet la recherche de l’indice
pouvant confirmer et/ou compléter l’interprétation. De plus, comme nous l’avons déjà
remarqué les interprétations précédentes sont prises en compte comme des indices de la
situation, ce qui permet leur complexification.
Ainsi le processus d’apprentissage interprétatif n’est pas seulement le résultat des
processus interprétatifs, il participe directement à ce dernier, en tant que processus.
75 Ce « ça » a été développé explicitement par l’acteur sur une demande du chercheur
Deuxième chapitre
286
3.2 Modélisation de la dynamique d’apprentissage i nterprétatif (eu 4-7) :
4/ Les élèves ne savent pas jusqu’où border
Interprétations occurrentes
Types associés
4/Le réglage maximum pour les élèves, c’est au niveau de leurs forces et des sensations et non pas par rapport à des repères sur le bateau.
Les élèves ne s’arrêtent pas trop souvent
5/Il est efficace de faire faire quelque chose aux élèves indirectement plutôt qu’en leur demandant directement.
5/ En leur demandant d’aller vers le port, je fais faire du près indirectement aux élèves […] Car s’ils n’avaient pas compris la barre propulsion, ils se mettraient face au vent et ne bougeraient plus
Représentamen
Il est important de donner des repères internes aux élèves. Qu’ils ressentent quelque chose dès le début, les amener à des sensations et après seulement des repères externes.
6/ Les élèves sentent déjà la vitesse par rapport à l’équilibre du bateau. Ils n’ont pas besoin de voir la voile faseyer, le bateau face au vent pour comprendre qu’ils n’avancent plus. Par rapport à ça ils ont des repères internes.
Convocation d’un indice divergent des attentes
Saut de signification du faisceau d’indices
Influence du type 5 sur l’interprétation suivante : c’est parce que la stratégie est efficace que les élèves peuvent sentir des choses
Convocation de l’indice grâce à une interprétation alternative disponible
Les voiles ne faseyent pas beaucoup
Convocation d’un indice convergent des nouvelles attentes
Approfondissement de l’interprétation précédente grâce à un nouvel indice
Convocation de l’indice grâce à une interprétation alternative disponible
Approfondissement du type 4
Ça (le fait de centrer les élèves sur des repères internes et sur une activité de façon indirecte), permet de faire fonctionner les élèves et de se donner la possibilité de les observer
7/ Je ne suis pas obligé de téléguider les élèves, ça me laisse une possibilité d’observer
Je n’interviens pas souvent
Mise en relation de types implicites
1 / Au près la voile doit être tirée au maximum
Transformation du type initial 1, par la prise en compte de la spécificité de la situation
Interprétation secondaire de l’interprétation. Emergence du type par établissement des raisons de la survenue de la situation.
Interrelation des processus d’interprétation et d’apprentissage
Interprétation prise comme indice
Généralisation, différenciation et complexification de types
Deuxième chapitre
287
4. Dynamique de l’apprentissage interprétatif dans l’enquête 6 (eu 8 à 16)
4.1 Description de la dynamique dans l’enquête 6 (e u 8 à 16) A l’issue de la dynamique déjà décrite, l’acteur repère dans un premier temps des indices
convergents à ses nouvelles attentes (UE 8 et 9). Ce qui amène une confirmation de la fiabilité
du type. Mais il repère alors un indice divergent de ses attentes (UE 10 à 12), ce qui cré un
sentiment de surprise. Il caractérise immédiatement la situation. Cette nouvelle interprétation
de la situation amène pourtant une ouverture à l’invalidation d’un type et à l’émergence d’un
nouveau, car il ne s’attendait pas à la voir apparaître dans ce contexte. Il intègre alors
l’interprétation occurrente (tenue pour vraie, UE 10 à 12), comme un indice supplémentaire
de la situation en cours et se focalise sur les indices de celle-ci (UE 13). Ceci débouche sur
une nouvelle détermination de la situation, associée à la création d’un nouveau type, sur fond
d’invalidation de la généralité du type initial. Le même schéma se reproduit à l’EU 14, mais
l’interprétation intègre une détermination des raisons de la survenue de la situation, associée à
une confirmation du nouveau type (qui résiste à l’analyse). Ce processus se reproduit de
nouveau à l’EU 15. Cette nouvelle étape de confirmation du nouveau type est associée à la
création d’une règle d’action totalement nouvelle pour l’acteur. Elle est mise en œuvre à l’EU
16 dans une communication aux élèves.
Ainsi dans cette dynamique nous pouvons voir comment l’interprétation évolue en
complexité par l’intégration d’anciennes interprétations comme indices de la situation. Ils
sont associés aux indices repérés dans l’environnement. Parallèlement l’évolution du type
initial se fait par le repérage du contexte inattendu dans lequel émerge la situation. Cette
surprise détermine un nouveau type sur la base d’une rupture de la généralité de
l’ancien type. A partir de ce moment la recherche des raisons de la survenue de la situation
permet la confirmation du nouveau type ainsi que son approfondissement et sa
généralisation.
Deuxième chapitre
288
4.2 Modélisation de la dynamique d’apprentissage in terprétatif dans l’enquête 6
Choc de la surprise
Eu 8 et 9 Repérages d’indices convergents aux attentes
Confirmation de la fiabilité du type
Processus d’apprentissage interprétatif
Procès d’interprétation UEs concernées
Eu 10 à 12 Repérage d’un d’indice divergent des attentes : Surprise mais détermination immédiate de la situation
Ouverture à l’invalidation de type et émergence d’un nouveau type
Eu 13
Repérage d’un faisceau d’indices divergents des attentes et nouvelle détermination de la situation
Création d’un nouveau type, sur fond d’invalidation de la généralité du type initial
Intégration de l’interprétation comme un nouvel indice de la situation
Eu 14
Réinterprétation du faisceau d’indices élargi et nouvelle détermination de la situation par détermination des raisons de la survenue de la situation
Confirmation du type créé en 13
Focalisation sur le faisceau d’indices
Focalisation sur le faisceau d’indices
Intégration de l’interprétation comme un nouvel indice de la situation
Eu 15
Réinterprétation du faisceau d’indices encore élargi et nouvelle détermination de la situation par détermination des raisons de la survenue de la situation
Confirmation, approfondissement et généralisation du type créé en 13, et création d’une nouvelle détermination de l’action (sous forme de règle d’action) associé au type
Focalisation sur le faisceau d’indices
Intégration de l’interprétation comme un nouvel indice de la situation
Nouvelle action en rupture avec les habitudes Eu 16
Deuxième chapitre
289
Deuxième chapitre
290
Résumé des résultats
Nous allons maintenant présenter un résumé des résultats collectés à dans les six enquêtes
que nous avons étudiées.
1. Présentation des tableaux récapitulatifs des rés ultats sur les procès interprétatifs et d’apprentissages interprétatifs
Les procès de construction des interprétations et des types sont présentés sous deux colonnes.
Elles ont été construites à partir du repérage des régularités fonctionnelles dans les processus
propres à chaque enquête. Les deux colonnes de gauche présentent les procès d’interprétation,
celles de droites ceux d’apprentissages. La dernière présente des exemples du procès l’EU
considérée dans l’enquête. Par exemple E2/17-19, signifie que l’exemple est celui de l’UE 17
à 19 de l’enquête 2. La première ligne présente une appellation générale des procès repérés.
Appellation générale des procès interprétatifs
Appellation générale des procès d’apprentissage interprétatifs
Procès d’interprétation
Définition du procès
d’interprétation
Procès d’apprentissage
Définition du procès
d’apprentissage interprétatif
Exemples
2. Tableaux récapitulatifs des procès de constructi on d’interprétation et d’apprentissage interprétatif
Nous allons maintenant présenter les différents procès d’apprentissage interprétatifs que nous
avons construits sur la base des processus repérés dans les résultats.
Deuxième chapitre
291
2.1 Procès d’émergence d’un nouveau type et mise en doute / confirmation du type (1) Ouverture potentielle d’enquête Ouverture à l’apprentissage
Procès d’interprétation
Définition du procès d’interprétation Procès d’apprentissage
Définition du procès d’apprentissage Exemples
Repérage d’un indice divergent par rapport aux indices correspondant aux
espérances
« la puce à l’oreille »
Doute de l’évolution positive de la
situation
Activité de surveillance de la situation accrue
L’acteur repère un indice divergent par rapport aux espérances, ou
il ne repère aucun indice permettant de supposer une évolution
positive de la situation (E6/1). Ceci provoque un doute de
l’évolution positive de la situation, c’est à dire conforme aux
espérances de l’acteur définies dans son engagement. Cependant
l’acteur n’établit pas encore un pronostic divergent de l’évolution
espérée de la situation (E4, 27). L’interprétation est seulement un
jugement de conformité ou non aux espérances (E4, 1).
L’acteur s’attend alors à repérer d’autres indices divergents de la
situation souhaitée et se focalise sur ces indices visant à confirmer
le doute et s’engage dans une activité de surveillance accrue des
éléments de la situation (E3, 46-47).
Ce type de procès interprétatif peut marque le début d’une
d’enquête, visant à éviter la survenance de la situation divergente,
si elle se confirme dans les interprétations ultérieures (E1, 1). Mais
l’acteur peut ne pas poursuivre son action relativement à la
situation76.
Repérage d’un indice divergent des
attentes
« Surprise »
Doute de la validité de l’interprétation
solidaire d’un doute de l’action engagée
Ouverture à l’apprentissage :
Repérage de la configuration
situationnelle dans laquelle émerge un
indice divergent
L’acteur repère un indice divergent des attentes habituelles, sur
fond d’une divergence aux espérances (qui se confondent souvent à
ce premier degré de procès) (E3, 46). Il y a une difficulté à
pronostiquer l’évolution de la situation. Ce qui crée une tension
émotionnelle allant jusqu’à la panique si cette divergence aux
attentes est aussi une divergence aux espérances (E3, 46, 60).
Relation de divergence entre l’interprétation occurrente et les
interprétations passées. L’acteur se questionne sur l’état de la
situation, ou doute de la validité de l’interprétation. Il se pose des
questions dont il n’a pas les réponses.
Il y a ouverture à l’apprentissage, c’est à dire possibilité
d’émergence d’un nouveau type par le repérage de la
configuration situationnelle dans laquelle émerge l’indice
divergent. Il est associé à la mise en doute des types usuels (E3,
46-47).
E1/1
E2/17-19
E3/46 - 47
E4/1
E4/27
76 En ne cherchant pas à la faire évoluer, ou si l’interprétation de la situation change en transformant du même coup l’engagement, vers un autre objet.
Deuxième chapitre
292
2.2 Procès d’émergence d’un nouveau type et mise en doute / confirmation du type (2)
Ouverture/ clôture d’enquête : repérage de faisceaux d’indices contradictoires, divergents, convergents
Intensification de l’ouverture à l’apprentissage et mise en doute du type / Augmentation de la croyance en la fiabilité
Procès d’interprétation
Définition du procès d’interprétation Procès d’apprentissage
Définition du procès d’apprentissage Exemples
Repérage d’un faisceau d’indices
divergents des attentes :
Mise en doute d’un type usuel
Et
Confirmation de la configuration situationnelle problématique
Des indices divergents peuvent cohabiter avec des indices convergents : les résultats n’apparaissent alors pas de façon nette pour l’acteur, mais au contraire de façon contradictoire, par rapport au type usuel. Procès associé à une montée de la perception des indices, notamment divergents des attentes. Il y a une confirmation que la configuration situationnelle pose des problèmes d’interprétation à l’acteur. L’acteur pense qu’il ne peut pas s’appuyer sur ce qu’il connaît et/ou s’aperçoit d’une lacune interprétative.
Relation de divergence entre le faisceau d’indices par rapport aux interprétations passées et/ou au type usuel. Confirmation du doute sur la validité du type usuel. Le ou les types usuels paraissent insatisfaisants pour interpréter de façon satisfaisante la situation (E5, 7).
Ouverture à l’invalidation d’un type par le repérage du faisceau d’indices divergents. Possibilité de création d’un nouveau type.77 (E3/47 ; 51-52).
E3/ 46 à 48 E3/64 E5/7 E6/12
Mise en relation des indices par relation de co-occurrence
Repérage d’un faisceau d’indices,
divergents des espérances :
Situation indéterminée
Ouverture d’enquête
Repérage de plusieurs indices divergents des espérances, mis en relation du fait de leur co-occurrence : émergence d’un faisceau d’indices. Pas de caractérisation globale et explicite de la situation qui reste indéterminée. Quand il est divergent par rapport aux espérances, sur fond des autres éléments de la situation, il y a survenance d’un pronostic négatif de l’évolution souhaitée de la situation. L’acteur s’attend à s’engager dans une activité de réduction des divergences prévisibles (E1, 2 ; E2, 19 ; E3, 46 à 48).
Diminution ou invalidation actualisée de la fiabilité du type
La diminution de la fiabilité d’un type par le repérage du faisceau d’indices divergents conduit à une ouverture d’érection d’un cas en type concurrent (quand il existe). Dans le cas d’une invalidation, celle-ci peut être associée à un développement des stratégies d’apprentissages interprétatifs. E4/44
E4/4 E4/44
Repérage d’indices convergents avec les
espérances :
clôture d’enquête
Repérage d’un faisceau d’indices convergent par rapport aux espérances amène une clôture de l’enquête.
Augmentation actualisée de la fiabilité du type
Validation d’un type par le repérage d’indices convergents avec une mise en relation par induction des indices de l’interprétation occurrente est produite avec les interprétations passées s’actualisant dans le type (E1, 3). Elle prend souvent un caractère immédiat de reconnaissance d’indices conformes aux attentes (E4/23-24).
E1/3 E4/23-24 E6/10-11
Suite entre le repérage d’un indice et le faisceau E4/19
77 Il n’y a pas d’invalidation de type sans création de type nouveau permettant une interprétation satisfaisante de la situation. Ce qui explique la relative difficulté à l’invalidation de type par rapport à la validation.
Deuxième chapitre
293
2.3 Procès de création d’un nouveau type (1) Détermination hypothétique de la situation Emergence de type hypothétique
Procès d’interprétation Définition du procès d’interprétation Procès d’apprentissage
Définition du procès d’apprentissage Exemple
Création d’une
hypothèse de
détermination de la
situation
Supposition
Attribution d’un sens possible au faisceau d’indices sous forme
d’hypothèse ou de façon analogue à une hypothèse (E3/72, 76).
L’acteur s’engage dans une activité de test d’hypothèses (quand il
le peut, ou quand il s’y autorise). Ce test d’hypothèses est lié à la
possibilité de trouver une détermination de l’action solidaire de
l’interprétation mais aussi valide.
Emergence de
type hypothétique
sur la base d’une
interprétation
dont la fiabilité
est incertaine pour
l’acteur
Emergence d’un nouveau type permettant une détermination de
la situation par la reconnaissance d’une forme globale et de façon
incertaine (pour l’acteur) à un faisceau d’indices divergents des
attentes. Le tout est fait de façon hypothétique et largement
identifiée à l’interprétation occurrente (E3/76).
La mise en relation du faisceau d’indices est réalisée quelquefois
par une hypothèse du fonctionnement de la situation. Mais
l’élément de liaison entre les indices reste souvent implicite.
L’émergence d’un nouveau type hypothétique, quand il est
concurrent avec un type plus ancien, provoque un dilemme
interprétatif qui affaiblit la croyance dans la fiabilité totale de
l’ancien type (E5/7) voire provoque la rupture avec le type usuel.
Voir article RF E3/76 E4/33 E5/12
Deuxième chapitre
294
2.4 Procès de création d’un nouveau type (2) Détermination explicite de la situation Fondation d’un type prototypique
Procès d’interprétation Définition du procès d’interprétation Procès d’apprentissage
Définition du procès d’apprentissage Exemple
Détermination de la
situation
Qualification globale de la situation, différente du repérage
d’indices, associée éventuellement à une justification de la
pertinence de cette qualification par la convocation d’indices de
l’état de cette situation.
Transformation du repérage d’un faisceau d’indices en une forme
globale signifiante de quelque chose qui réunit les indices dans un
tout significatif pour l’acteur (E2,22).
Fondation d’un
type
prototypique
sur la base d’une
nouvelle
interprétation
d’un faisceau
d’indices associé
à un sentiment
d’évidence
Création d’un nouveau type fondé sur une nouvelle
interprétation: mise en relation nouvelle pour l’acteur d’un
faisceau d’indices, donnant lieu à une nouvelle interprétation
occurrente, qui n’est pas hypothétique pour l’acteur mais tenue
pour vraie. Celle-ci est prototypique pour l’acteur.
Ceci suppose la présence d’un nouveau type identifié au départ à
l’interprétation occurrente (émergence d’une nouvelle forme à la
fois signifiante et immédiatement interprétante). Transformation
de l’interprétation occurrente en type, qui peut être formulé plus
tard de façon explicite E5/3-9.
E2/21 E5/3-9
Deuxième chapitre
295
2.5 Procès de création d’un nouveau type (3) Détermination explicite de la situation Création d’un type symbolique
Procès d’interprétation Définition du procès d’interprétation Procès d’apprentissage
Définition du procès d’apprentissage Exemple
Mise en relation globale des indices de la situation par structuration
d’un jugement de la situation78. Cette structuration se fait très
souvent de façon soudaine et est alors ressentie comme une
évidence pour l’acteur. Le faisceau d’indices disparaît alors au
profit du seul sens de la situation. (E5/9)
Création d’un
Type symbolique
énonçable, sur la
base de
l’interprétation
occurrente
Formulation d’une interprétation de la situation de façon plus
générale, mais à propos de la situation occurrente. Le type se
différencie de l’interprétation occurrente. Formation par
induction d’une classe de situations similaires sur la base d’une
interprétation occurrente exemplaire.
E3/80
E4/40
E6/13-14
78 Quand l’interprétation occurrente est associée à une impossibilité d’action il y a une crise de la détermination (effondrement des attentes et des espérances). Ce qui entraîne, soit la poursuite de l’activité de façon désespérée, soit l’arrêt de l’activité en cours.
Deuxième chapitre
296
2.6 Procès de reconstruction de type 79 : généralisation de types De la caractérisation de la situation à l’explicitation du type Généralisation de type80
Procès d’interprétation Définition du procès d’interprétation Procès d’apprentissage
Définition du procès d’apprentissage Exemple
Mise en relation et conflits de plusieurs
interprétations : Dilemmes interprétatifs
Mise en relation momentanée de plusieurs interprétations notamment les dilemmes d’interprétation (interprétations qui conduisent à des actions concurrentes et opposées). (E4/19 ; 21-22)
Nouvelle mise en relation
pragmatique entre types : Ouverture à la
généralisation/dif- férenciation de
types
Mise en relation (le plus souvent par simple juxtaposition) pragmatique et contextuelle de plusieurs types (notamment quand ils entrent en conflit d’interprétation) pour l’acteur. Notamment dans les dilemmes d’interprétation (E1, 8-9 ; E2, E3/56)
E1/8 et 9 E2/22 E3/56 E4/9 E4/11-2 E4/19-21 E6/7
Situation caractérisée par l’utilisation d’un
Type énoncé
Association de l’interprétation occurrente à un Type énoncé (dont connaissances théoriques) ou à des interprétations passées, par l’établissement d’une caractérisation du fonctionnement de la situation (E6/4). Ceci est une mise en mots des traits profonds de la situation81 permettant la survenance d’un type ne s’identifiant plus à l’interprétation occurrente parce que plus général qu’elle. (E4/9)
3.2 Généralisation du
type par intégration
d’une interprétation
occurrente surprenante
Intégration d’une nouvelle interprétation occurrente comme un exemple (ou un exemplaire) de la catégorie de situation recouverte par le type. La formulation procède d’une mise en relation qui intègre d’anciennes interprétations qui sont considérées comme autant d’indices d’une situation encore plus globale que l’acteur caractérise sous forme de type. Ceci est effectué sur la base des traits profonds de la situation et non plus sur celle des traits de surface comme précédemment.
E5/9 E6/5, E6/6
79 L’ensemble de ce procès est itératif et erratique. 80 C'est-à-dire une augmentation du nombre de situations interprétées par un même type. Ce procès procède autant d’un approfondissement de l’interprétation occurrente, que d’associations de nouvelles expériences (qui ne viennent souvent que pour tester le type créé). 81 Qui est en fait une théorie abstraite mais pragmatique et contextuelle, donnant un sens plus large aux indices que celui référé à la situation (les indices devenant l’incarnation de cette théorie).
Deuxième chapitre
297
Procès de reconstruction de type : généralisation de types (suite)
De la caractérisation de la situation à l’explicitation du type Généralisation de type
Procès d’interprétation Définition du procès d’interprétation Procès d’apprentissage
Définition du procès d’apprentissage Exemple
Apparition d’une nouvelle interprétation
plus générale d’un même faisceau d’indices
Association d’une nouvelle interprétation occurrente plus générale d’une situation et solidaire d’une mise en relation de plusieurs interprétations de la même situation82. Saut de signification de l’interprétation occurrente : la forme du faisceau d’indices change de sens. (E5/14-16).
3.3 Généralisation du type, par mise en
relation prédicative d’un faisceau de types
A partir de la mise en relation d’un faisceau de type de façon prédicative, abstraction d’un type plus général capable de subsumer le faisceau. Ceci donne lieu en retour à une interprétation plus conceptualisée de l’interprétation occurrente (E5/14-16). La généralisation se produit dans un contexte social la légitimant, ainsi que la détermination des actions associées à l’interprétation solidaire du type généralisé (E3/82). Processus circulaire d’interprétations et d’apprentissages interprétatifs : chaîne de raisonnement abductif, déductif, inductif. Relative autonomie des procès d’apprentissage par rapport aux procès interprétatifs (E5/25).
E1/3 E3/82 E5/14-16 E6/ 7
82 La formulation multiple et proche d’une interprétation d’une même situation peut déboucher sur une généralisation. Cette formulation multiple est en fait un effort d’adéquation et de généralisation de l’interprétation.
Deuxième chapitre
298
2.7 Procès de reconstruction de type : différenciat ion de types Du repérage des conditions d’occurrences à l’utilisation d’un nouveau type Différenciation de type83
Procès d’interprétation Définition du procès d’interprétation Procès d’apprentissage
Définition du procès d’apprentissage Exemple
Mise en relation explicite de la situation
avec le contexte d’occurrence dont
les moyens opérationnels
Repérage d’éléments particuliers de la situation qui se différencient des éléments habituels de cette catégorie de situation : complexification de l’interprétation occurrente. (E6/4) Repérage associé de la faisabilité d’une action en fonction de l’interprétation de la situation.
Contextualisation du type
Mise en relation des conditions et du contexte particulier d’occurrence de la situation typique (c’est à dire comme exemplaire de la catégorie de situation identifiée par un type donné) avec le type : complexification du type (E6/4) et ouverture à l’approfondissement. Ceci se produit notamment quand le type subit un phénomène de diminution de la fiabilité (E3/ 51à 53).
E3/48-49 E3/51à53 E4/9 E4/37-44 E6/4
Caractérisation des raisons de survenance de
la situation
L’établissement des raisons plausibles de la survenance de la situation, quelquefois associé à un sentiment de surprise (relevant une différence par rapports aux attentes) (E6/6 ; E5/4-5 ; E1/3)
Approfondisse ment de
l’interprétation d’une catégorie de
situations par l’utilisation d’un Type énoncé en
tant qu’argumentation
Argumentation de l’état de cette catégorie de situation par établissement des raisons des occurrences. Passage de la reconnaissance des traits de surface de la situation aux traits profonds du type usuel. Ce processus intègre aussi une mise en relation de l’occurrence avec des moyens opérationnels ; (E6/6). Diminution du domaine de validité du type usuel par création d’un type concurrent, ou alternatif même sous forme hypothétique (E5/4-5).
E3/4, E4/26 E5/4-5 E6/6
83 C'est-à-dire apparition d’un nouveau type permettant de produire une autre interprétation d’un même faisceau d’indices.
Deuxième chapitre
299
Apparition d’une nouvelle interprétation plus discriminante et précise d’un même faisceau d’indices
Apparition d’une nouvelle interprétation de la situation occurrente plus discriminante et précise sur la base d’un nouveau type : saut de sens du faisceau d’indices (E1/4 ; E6/13)
Différenciation actualisée de
types
Apparition d’un nouveau type par rupture caractéristique de la situation prise en compte dans l’interprétation mobilisée jusqu’à lors pour un même faisceau : création d’un nouveau type plus pertinent pour l’acteur, notamment pour résoudre un dilemme (E5/12-16,25; E6/13). Détermination du nouveau type sur la base d’un faisceau de types contradictoires fait de types usuels et de types hypothétiques concurrents. Processus circulaire d’interprétations et d’apprentissages interprétatifs : chaîne de raisonnement abductif, déductif, inductif. Relative autonomie des procès d’apprentissage par rapport aux procès interprétatifs (E5/25).
E5/12-16 E5/25 E6/13
Troisième chapitre
300
TROISIEME CHAPITRE MODELISATION DES APPRENTISSAGES
INTERPRETATIFS : SYNTHESE, DISCUSSION DES RESULTATS ET PERSPECTIVES
Ce troisième chapitre se décompose en trois parties :
• La première fait état d’une synthèse, d’une modélisation et d’une discussion des
résultats sur les apprentissages interprétatifs.
• La deuxième, présente la dimension sociale des apprentissages interprétatifs.
• Dans la troisième, nous décrivons des perspectives praxéologiques que les résultats
de cette recherche peuvent ouvrir dans les analyses de pratiques et l’accompagnement
des apprentissages par l’activité.
Troisième chapitre
301
Première partie : synthèse modélisatrice et discussion des résultats
Première partie du troisième chapitre.
Cette partie présente une synthèse modélisatrice des résultats sur les apprentissages
interprétatifs, en trois sections qui intègrent à chaque fois une discussion des modélisations.
Dans un premier temps, nous présenterons les caractéristiques essentielles des procès
interprétatifs, d’apprentissage interprétatif et des relations que ces procès entretiennent
entre eux.
Dans une deuxième section, nous proposerons une modélisation des procès de construction
de nouveaux types.
Dans une troisième section, nous exposerons une modélisation des procès de
reconstruction de types usuels.
Troisième chapitre
302
Caractéristiques essentielles des procès interprétatifs, d’apprentissage interprétatif et le urs
relations
1. Quelques caractéristiques essentielles des procè s interprétatifs
Avant d’aborder la relation entre les procès interprétation et d’apprentissage, déterminons
deux caractéristiques essentielles des procès interprétatifs : le caractère opératoire et
fonctionnel de l’interprétation. Nous étudierons aussi les modes de raisonnement utilisés dans
les procès interprétatifs. En effet, ces différentes caractéristiques influent l’apprentissage
interprétatif d’une façon générale.
1.1 Les caractères opératoire et fonctionnel de l’i nterprétation : leurs relations à l’apprentissage interprétatif
1.1.1 La dimension opératoire de l’interprétation Les types apparaissent la plupart du temps associés à des règles d’action, au point que les
interprétations semblent être organisées par les actions habituelles maîtrisées par l’acteur.
Tout se passe comme si les acteurs interprétaient les situations de façon à pouvoir utiliser les
solutions habituelles. De ce point de vue, les moyens opératoires n’apparaissent pas comme
les conclusions logiques et appliquées de l’interprétation de la situation, mais en sont des
constituants solidaires et aussi des apprentissages interprétatifs.
L’interprétation possède donc un lien avec la dimension opératoire de l’action :
l’interprétation est réalisée en fonction des moyens opératoires dont dispose l’acteur (exemple
E1/3). Réciproquement, une interprétation ne parait valide pour l’acteur , que si elle permet
une compréhension satisfaisante de la situation, mais aussi fait émerger une possibilité
d’intervention sur elle. De façon réciproque les résultats de l’action sont un moyen de
validation des interprétations occurrentes et des types associés. Par extension, nous
appellerons « types valides », les types permettant à l’acteur de réaliser une interprétation
qu’il considère valide.
Il s’ensuit que la création de nouveaux types n’est possible que s’ils sont associés à des
moyens opératoires.
Troisième chapitre
303
1.1.2 Crise d’interprétation et dimension opératoir e de l’action Quand l’acteur n’a pas de détermination de la situation lui permettant une détermination de
l’action valide, il y a apparition d’une crise d’interprétation , qui débouche sur un procès de
construction d’une nouvelle interprétation. Cette crise peut évoluer de deux façons. (1)
L’acteur détermine une interprétation de la situation lui permettant de faire appel à ses
moyens opératoires (exemple E2/20-24); ou (2) l’acteur n’arrive pas à une détermination
valide de la situation, à laquelle ne correspondent pas de moyens opératoires (exemple E3/56
et suivantes).
Dans le premier cas les indices de la situation sont repérés en fonction de l’engagement de
l’acteur. Il existe toute une partie d’éléments de l’environnement qui pourraient être
considérés comme importants par un observateur extérieur et qui sont négligés, pour pouvoir
obtenir une interprétation cohérente avec l’engagement du moment. Les indices repérés, sont
mis en relation sous forme de faisceau auquel les acteurs tentent de donner un sens global.
Mais tout se passe au total comme s’il y avait une sorte de prédétermination de
l’interprétation par l’engagement de l’acteur. Le repérage des indices semble être effectué
pour corroborer une situation globalement prédéterminée par l’engagement. Ce procès
interprétatif est ici abductif (nous verrons cette forme d’interprétation plus loin).
Dans le deuxième cas, cette crise peut aller jusqu’à la survenue d’une activité désespérée
(exemple E3/61). Les indices de la situation non souhaitée s’imposent à l’acteur. Lorsque
l’acteur pense que le pronostic négatif de la situation va survenir, qu’il est dépourvu d’une
détermination d’action et qu’il juge capable d’éviter la survenue de l’évolution négative de la
situation, l’acteur entre alors dans une activité que nous appelons désespérée. Cette activité
est associée à des émotions de l’ordre de la panique. Dans cette configuration l’activité
interprétative est affectée. (1) Il y a une réduction des investigations des possibles et du
champ des éléments pris en compte pour se focaliser sur les indices divergents des espérances
(qui s’imposent à l’acteur davantage que celui-ci cherche à les repérer). (2) L’acteur devient
incapable d’envisager des déterminations d’action autres que celles déjà déterminées
(exemple E3/53). (3) La multiplicité des constats divergents des espérances est associée à un
sentiment d’impuissance de contrôle de la situation. (4) Dans certains cas, cette activité
désespérée peut être associée à un arrêt du procès d’interprétation. Dans ce moment où la
situation est indéterminée et échappe au contrôle de l’acteur, le repérage des indices et surtout
leurs interprétations deviennent de plus en plus difficiles. Mais plus encore un découplage
entre l’activité interprétative et la détermination de l’action peut survenir (exemple E3/ 61,70-
74, 77-79). La détermination de l’action n’est plus solidaire du procès d’interprétation. La
Troisième chapitre
304
détermination de l’action continue à se dérouler selon le plan préalable sans que les
interprétations (même partielles) ne l’influencent, alors même qu’elles sont faites de
pronostics négatifs.
Ces moments d’activité désespérée sont des potentialités d’apprentissage. Quand l’acteur
revient plus tard sur son activité, il peut trouver des solutions nouvelles. Ces nouveaux
moyens opératoires ouvrent la possibilité à une réinterprétation de la situation par l’acteur et
donc aussi à un apprentissage interprétatif.
1.1.3 Analyse des activités désespérées Dans une activité désespérée, celle-ci est corrélée comme nous l’avons vu, à une tension
émotionnelle importante, à une situation est sans issue, à l’absence de solutions alternatives et
d’actualité potentielle. De là il est possible d’inférer que la recherche d’interprétation est une
quête de la part de l’acteur, pour rétablir des actualités potentielles valides. Elles prendraient
la forme de solutions et qui lui permettraient donc de continuer à espérer de nouveau, associée
à une nouvelle interprétation de la situation. D’autre part, il est clair que l’acteur à ce moment
est démuni face à la situation qui lui échappe, car il ne dispose manifestement pas d’un type
usuel qui lui paraisse approprié dans ce cas. L’acteur tente de lire la situation pour trouver une
solution et du même coup, ou plutôt en même temps comprendre la situation. Mais cette
lecture de l’environnement ne fait qu’accroître le nombre et la complexité de la situation et sa
divergence.
Dans ce cas, l’acteur ne possédant pas de types disponibles, ni de solutions opératoires, tout se
passe comme s’il y avait une ouverture de la perception à la diversité des éléments de la
situation. On pourrait parler d’une inversion du procès interprétatif : ce ne sont plus les
types usuels (ni les moyens opératoires) qui orientent le repérage des indices pertinents de la
situation et les organisent, mais ce sont les éléments de la situation qui s’imposent à l’acteur,
qui tente en retour de les organiser dans une forme significative singulière.
Le procès interprétatif est essentiellement ici inductif et abductif quand le procès débouche
sur une interprétation occurrente.
1.1.4 La dimension fonctionnelle D’autre part, l’interprétation est mise en relation avec les conséquences prévisibles de
l’évolution de la situation. C'est-à-dire que l’interprétation est organisée par l’enjeu du
pronostic pour l’acteur, en fonction de ses engagements, ce qui la distingue d’un diagnostic
Troisième chapitre
305
désengagé de l’acteur. C’est ce que nous avons appelé la dimension fonctionnelle de
l’interprétation (exemple E1/3).
Plus encore l’enjeu de la situation organise aussi le procès de détermination de la situation.
Si l’enjeu est faible pour l’acteur, il peut se contenter d’une détermination peu poussée de la
situation, qui lui suffit . Si au contraire l’enjeu demande une détermination plus valide de la
situation (c'est-à-dire plus prédicative, approfondie, opératoire et fonctionnelle), il poursuit la
détermination de la situation. Ceci a des retentissements sur le procès d’apprentissage
interprétatif dans la mesure où, une nouvelle détermination de la situation pour l’acteur aura
des effets de transformation du type.
1.2 Modes d’inférences dans le procès interprétatif Les procès interprétatifs peuvent s’actualiser à partir de la mobilisation du type, ou au
contraire à partir du repérage des indices de la situation, ou d’une mobilisation conjointe
d’une interprétation occurrente et du repérage des indices de la situation. Dans le premier cas
le procès est d’ordre déductif, dans le second il est inductif, dans le dernier cas il est abductif.
1.2.1 Mode d’inférence déductif pragmatique Quand l’acteur possède et mobilise un type usuel (préexistant à la survenue de la situation
occurrente) dans l’interprétation, le mode de raisonnement est d’ordre déductif. Mais il
s’agit là d’une déduction pragmatique, sans médiation langagière ou symbolique. Le type
organise le repérage des indices de la situation, par la médiation des attentes. L’interprétation
occurrente n’est alors que la face contextuelle et singulière d’un type. Celui-ci permet la
donation de sens à caractère d’évidence au faisceau d’indices. Ce dernier constitue une
confirmation de la validité du type, par la médiation de l’interprétation occurrente, dans le cas
d’un repérage d’indices conformes aux attentes (exemple E2/3).
1.2.2 Mode d’inférence inductif Parfois l’acteur laisse monter à lui les indices de la situation sans pour autant disposer d’un
type usuel. Il tente de donner un sens à un faisceau d’indices qui apparaissent souvent comme
étant contradictoires entre eux. Ce procès d’interprétation est caractéristique des moments de
crise interprétative. Il est constitué d’un mode de raisonnement inductif. Dans ce mode de
raisonnement l’acteur ne dispose pas de type valide. L’enjeu de la situation est suffisamment
important pour l’acteur pour qu’il y ait un effort de détermination de la situation à partir du
repérage du faisceau d’indices (exemple E3/64). Ce procès d’interprétation peut être à la base
d’un apprentissage interprétatif. Lorsqu’il y a une détermination d’une interprétation
Troisième chapitre
306
occurrente originale, celle-ci peut être érigée en nouveau type (érection de cas en type) ; ou le
type le plus proche de la forme de la situation peut subir des modifications pour pouvoir
intégrer cette nouvelle interprétation occurrente (voir plus loin).
1.2.3 Mode d’inférence abductif Une autre catégorie de raisonnement peut aussi survenir lorsque l’acteur ne possède pas de
type valide pour faire face à la situation. Le procès d’interprétation repère un certain nombre
d’indices de la situation, dont le repérage est fonction de l’engagement de l’acteur. Mais ce
repérage contrairement au procès précédent est effectué sur la base d’une prédétermination de
la situation a priori. Cette prédétermination a pour rôle de protéger et de déterminer une
action cohérente avec l’engagement de l’acteur.
Le mode de raisonnement actualisé est différent d’une modalité déductive par l’absence de
type pouvant diriger le repérage des indices de la situation et la particularisation de la
situation.
Il diffère aussi du raisonnement inductif, l’interprétation n’est pas réellement déterminée à
partir des seuls éléments de la situation en l’absence de types valides. L’interprétation
occurrente apparaît comme jouée d’avance par la prédétermination de la situation fonction de
l’engagement et des espérances de l’acteur.
Ce raisonnement est abductif et se présente sous la forme de cette prédétemination de
l’interprétation occurrente, qui amène un repérage des indices convergents visant à corroborer
la prédétermination de la situation (exemple E2/21).
1.3 Discussion sur les procès interprétatifs En logique formelle la validité d’une inférence est fonction de sa valeur véridictionnelle.
Seules les inférences déductives établies à part de prémisses données comme vraies sont dites
valides. Ici la validité de l’inférence est considérée du point de vue de l’acteur. C'est-à-dire
qu’elle est seulement plausible et performante pour l’acteur. Cette posture épistémologique
sur le caractère de validité des types construits par l’acteur permet de considérer, notamment,
les inférences abductives non pas comme des biais de la pensée, mais bien comme une pensée
créatrice propre à la pratique et à l’action. De ce point de vue, nous pensons à la suite de
Scribner (1986), que la pensée pratique n’est pas une forme dégradée de la pensée formelle.
Au contraire, le caractère situé de cette pensée en fait toute l’originalité. Interpréter les
situations ne se résume pas à établir des conclusions logiques sur des bases abstraites, mais
bien à percevoir et organiser le réel. Ceci ne se fait pas seulement à partir des connaissances
(fussent-elles situées), mais aussi à partir des éléments concrets des situations qui constituent
Troisième chapitre
307
autant d’indices de ce qu’est la situation pour l’acteur. D’ailleurs nous n’avons trouvé qu’un
seul cas de déduction formelle, réalisée à partir de connaissances théoriques. Nous rejoignons
ici les conceptions qui montrent (Sève, Saury, Theureau et Durand 2002), que la pensée
déductive est très marginale dans l’action pratique. D’ailleurs dans le seul cas trouvé,
l’inférence n’était pas valide ni du point de vue de l’interprétation de la situation, ni du point
de vue pragmatique en terme de détermination qu’elle permettait pour l’acteur. En effet, les
prémisses utilisées par l’acteur réduisaient la situation à seulement trois éléments, et en
négligeaient bon nombre d’autres pourtant importants. Nous pensons que les inférences
déductives formelles sont peu adaptées à l’interprétation des situations dans l’action, car elles
sont coûteuses cognitivement, donc réclament du temps et de la décentration cognitive.
Certains travaux en l’ergonomie cognitive (Amalberti et Deblon, 1992 ; Hoc et Amalberti,
1994), montrent, sur la base du modèle du diagnostic de Rassmussen (1986), que les acteurs
n’utilisent le recours au concepts que lorsqu’ils ont épuisés les autres possibilités et quand la
situation n’a pas un caractère d’urgence (peu de pression temporelle). D’autres part, nous
pensons sur la base de nos données, que les prémisses qui permettent les inférences
déductives de façon formelle, sont souvent trop limitées par rapport à la complexité des
situations, à leurs relatives singularité, et instabilité (Schön, 1983, 1996). Nous faisons
l’hypothèse que ceci conduit les acteurs à se fier à d’autres modes d’inférences qui s’avèrent
probablement plus souvent fiables pragmatiquement parlant, même s’ils le sont moins d’un
point de vue formel, car plus aptes à prendre les caractéristiques des situations pratiques.
La conséquence de ces considérations est que l’apprentissage dans l’action possède lui aussi
ses spécificités. Nous allons voir que cette pensée pratique – notamment du point de vue des
procès d’interprétation – est solidaire des apprentissages – notamment ceux s’actualisant dans
la construction et la reconstruction de types. En d’autres termes, l’apprentissage n’est pas un
préalable à l’interprétation, il accompagne celle-ci tout en la transformant en retour dans le
cours même de l’action.
Remarquons aussi que les procès interprétatifs utilisent aussi des modes d’inférences
(abduction, induction, déduction) qui ne sont pas réservés uniquement aux apprentissages
même si on les retrouve dans ceux-ci. Les deux procès (d’interprétation et apprentissage
interprétatif) étant distingués (même s’il sont solidaires), il est possible de repérer ces modes
d’inférence dans chacun des deux processus.
Troisième chapitre
308
2. Modélisation générale des procès d’apprentissage interprétatif
Les procès de construction et d’évolution des types que nous avons repérés sont au nombre de
11. Ces procès peuvent être catégorisé en 3 procès plus généraux qui construisent de
nouveaux types, et 1 procès qui reconstruit les anciens en les faisant évoluer.
Ces 3 procès de construction sont : 1/ Apparition d’une mise en doute du type, ou au contraire
augmentation de croyance dans la fiabilité du type ; 2/ Emergence de types hypothétiques ; 3/
Apparition d’un nouveau type. Le procès de reconstruction est double. Il s’agit d’une
généralisation et d’une différentiation de type. Ce procès de reconstruction fait passer les
types à des degrés construction intégrant de plus en plus de complexité, ayant une capacité
d’interprétation plus générale (généralisation). Mais dans le même temps, ce procès fait aussi
accéder les types à des discriminations plus importantes des situations (différenciation).
Ces procès ont été construits à partir du repérage des régularités fonctionnelles dans les
processus propres à chacune des enquêtes.
2.1 Les procès d’apprentissage interprétatif Ceci nous donne la modélisation des procès d’apprentissage interprétatif suivante :
Construction de types Reconstruction de types Généralisation et Différenciation de types usuels
Catégorisation générale des procès
Emergence d’un nouveau type Ou mise en doute / confirmation d’un type usuel
Création d’un nouveau type
Différenciation Généralisation
Repérage de la configuration situationnelle dans laquelle émerge un nouvel indice divergent des attentes
Création d’un type hypothétique
Contextualisation du type
Nouvelle mise en relation pragmatique de plusieurs types dans les dilemmes interprétatifs
Repérage de la configuration situationnelle dans laquelle émerge un nouveau faisceau d’indices divergent des attentes Confirmation de la configuration problématique
Nouvelle interprétation de la situation : Identification de la situation en type prototypique
Approfondissement de l’interprétation d’une catégorie de situations
Généralisation du type par intégration d’une interprétation occurrente
Procès
Création d’un type symbolique énonçable sur la base de l’interprétation occurrente
Différenciation actualisée de types
Généralisation actualisée d’un type, par mise en relation d’un faisceau de types
2.2 Discussion de la modélisation La distinction entre procès de construction et de reconstruction de types constitue en elle-
même une interprétation des données. Les procès de construction de types sont
essentiellement antéprédicatifs. Les procès d’apprentissage interprétatif de reconstruction de
Troisième chapitre
309
types intègrent par contre eux une part prédicative plus importante. Ils sont le plus souvent
associés à une énonciation du ou des types mobilisés dans l’interprétation, ce qui a pour
conséquence de les faire évoluer. Cette distinction est conforme aux conceptions de
l’apprentissage du cadre sémiologique le plus actuel à notre connaissance (Theureau, 2006).
Cet auteur distingue la création de savoirs sans création symbolique, et avec création
symbolique. Sans entrer dans le détail de la distinction entre antéprédicatif / prédicatif que
(nous avons retenus) et du symbolique /non symbolique, qui nous entraînerait trop loin de
notre propos, nous dirons seulement que la distinction symbolique, non symbolique est plus
large que celle que nous avons retenue car elle intègre l’action. A cette nuance près, cette
partition est conforme à la conception selon laquelle l’énonciation transforme l’apprentissage
lui-même. Dans le même temps cette distinction pointe que l’apprentissage interprétatif ne se
limite pas, loin s’en faut, aux seuls procès mobilisant le langage. Au contraire, nos données
montrent à quel point les procès antéprédicatifs sont responsables de la construction de
nouveaux types.
3. Activité d’enquête et apprentissage interprétati f
3.1 L’apprentissage interprétatif est généré essent iellement dans les moments d’enquête
Nos résultats montrent que les apprentissages interprétatifs se retrouvent essentiellement lors
d’une activité interprétative intense. Cette activité survient de façon plus importante dans les
moments particuliers de l’action que sont les enquêtes. Les acteurs tentent de faire évoluer
une situation à laquelle ils s’attendent en l’absence d’une action de leur part, et qui est
contraire à leurs souhaits, ou espérances. La question que nous nous posons est de savoir
pourquoi l’activité d’enquête génère une activité interprétative et un apprentissage
interprétatif.
3.2 Discussion de la relation activité d’enquête et d’apprentissage interprétatif
Dans sa recherche sur les pongistes de haut niveau C. Sève (Sève et al., 2002), détermine
deux types d’activité : les activités exploratoires et exécutoires. Les premières correspondent
à des moments où l’acteur ne recherche pas la performance, mais essaie essentiellement
d’interpréter les particularités de la situation d’opposition. Cette activité exploratoire est
proche de l’activité d’enquête telle que nous l’avons observé. Cependant à la différence des
pongistes, un des deux apprentis (Benoît) recherche l’efficacité immédiate de ses actions. Si
Troisième chapitre
310
la recherche de cette efficacité n’est pas opposée à l’activité interprétative, elle semble limiter
pourtant les tests, les essais, dont cet apprenti ne serait pas sûr et par conséquent
probablement son apprentissage interprétatif84. Cette recherche d’efficacité est liée à un
engagement visant à se montrer compétent aux yeux du tuteur par la réalisation maîtrisée de
ce qui était prévu au départ. Cette forme d’engagement exclue une prise de risque par rapport
à l’incertitude. Or faire un test signifie s’engager dans une situation dont l’issue est incertaine,
et peut-être contraire aux espérances de l’acteur. Comment dans ces conditions peuvent
apparaître des apprentissages interprétatifs ?
Au contraire dans l’enquête 5, l’autre apprenti (Alain) en se centrant sur les opportunités
d’apprentissage avec des engagements visant à apprendre de la situation, s’autorise des tests
et facilite son apprentissage interprétatif. En premier lieu nous considérons qu’une activité
incluant des tests de l’évolution de la situation, et acceptant l’incertitude de celle-ci est
probablement plus porteuse d’apprentissage. Nos données nous apprennent que cette activité
nécessite une orientation des engagements vers l’apprentissage et non plus vers la réussite
immédiate de la situation. Cependant des apprentissages existent malgré tout lorsque l’activité
vise la réussite immédiate, à condition que l’acteur soit dans une activité d’enquête,
pourquoi ?
Lorsque la situation est reconnue comme habituelle et que l’acteur sait ce qu’il doit faire pour
atteindre ses intentions, tout se passe comme si, la signification de la situation apparaît alors
directement et avec un sentiment d’évidence. La situation est alors directement déterminée,
même si elle n’est pas caractérisée. Lorsque l’acteur tente de faire évoluer la situation vers
une issue souhaitée, il développe une activité de détermination de la situation, qui se traduit
par une densité d’unités élémentaires d’activité interprétative. Tout se passe comme si pour
faire évoluer la situation, l’acteur était obligé d’accentuer la détermination de la situation.
Nous faisons l’hypothèse que dans le premier cas, il y a mobilisation directe de types
habituels. L’interprétation se résume éventuellement à la vérification de la validité du type
dans l’action. Ceci débouche sur le renforcement de la confiance dans la validité du type.
Mais il y avait très peu, voire pas du tout d’interprétation explicite de la situation, en dehors
des moments d’enquête, c’est à dire de communication d’éléments de caractérisation de la
situation. Il y avait encore moins de recherche de sens à des indices d’une situation
indéterminée.
84 Rappelons que cet apprenti, Benoît, n’obtiendra pas son brevet d’état et progressera beaucoup moins qu’Alain qui sortira major de sa promotion.
Troisième chapitre
311
Dans le cas contraire, l’interprétation et son procès de transformation, en déterminant de façon
plus précise la situation, ouvre des possibilités de nouvelles déterminations de la situation et
donc d’émergence de nouveaux types (sous certaines conditions), ou à des reconstructions
d’anciens types qui se trouvent transformés par l’activité interprétative.
La question qui se pose alors est de savoir quelle est la relation entre les procès interprétatifs
et d’apprentissage interprétatif ?
4. Relation entre les procès d’interprétation et d’apprentissage interprétatif
4.1 Une relation potentielle d’apprentissage Ces procès d’apprentissage interprétatif sont éventuellement actualisés à partir d’un fond
constitué de procès d’interprétation de la situation. C’est parce que l’acteur produit un certain
procès d’interprétation que l’apprentissage peut survenir en fonction de certaines conditions
dont certaines sont générales et d’autres spécifiques à certains procès d’apprentissage.
La relation entre les procès d’interprétation et les procès d’apprentissage, est de l’ordre
de la potentialité. Un certain degré de développement du procès d’interprétation de la
situation occurrente, permettent sous certaines conditions la survenue d’un certain procès
d’apprentissage interprétatif.
Certaines de ces conditions sont générales, comme la dynamique émotionnelle, le type
d’engagement, l’importance de l’enjeu de la situation pour l’acteur, la possibilité et la
pertinence de l’utilisation pragmatique de l’interprétation pour l’action en cours et la
configuration sociale (favorable ou défavorable à l’apprentissage).
D’autres conditions sont au contraire spécifiques à chaque procès d’apprentissage
interprétatif.
En d’autres termes, il n’y a pas de relation de solidarité stricte entre le procès interprétatif et
celui de construction des types. Il est cependant possible de remarquer une relation
d’influence du procès interprétatif sur le procès d’apprentissage, à tel point que celui-ci
apparaît comme une condition nécessaire du développement des types, notamment quand
ceux –ci n’apparaissent pas encore sous une forme explicite. L’énonciation langagière des
types permet en revanche une relative autonomisation du procès d’apprentissage sur le procès
interprétatif, qui prend alors davantage un statut d’expérimentation et de validation pratique
des procès de construction des types, y compris en cours d’action.
Troisième chapitre
312
4.2 Discussion de la relation entre procès d’interp rétation et d’apprentissage
Avant d’aborder cette discussion, nous allons revenir sur les notions d’espérances et
d’attentes pour les faire évoluer.
4.2.1 Un continuum des anticipations liées aux enga gements et aux actualités potentielles dans l’apprentissage interprétatif
Comme nous l’avons développé, dans la partie présentant l’évolution méthodologique, nous
avons été amenés à effectuer une distinction entre les espérances et les attentes. Nous aurions
pu aller un peu plus loin et distinguer en plus les souhaits, qui peuvent aussi être considérés
comme faisant partie des actualités potentielles de l’acteur.
Rappelons pour mémoire la distinction que nous avons établie entre espérances et attentes.
Nous avons défini au début de ce travail, les souhaits et les espérances (de façon synonyme)
comme la survenue espérée d’un certain état de la situation ( « ce que j’aimerais qu’il se
passe » ). Les attentes étaient par contre une anticipation de la survenue d’un certain état de la
situation ( « ce que je pense qu’il va se passer » ). Les attentes apparaissaient donc liées à la
connaissance habituelle du type de situation, dont la situation occurrente était un exemplaire.
Avoir des attentes supposait donc avoir un type associé à une forte croyance dans sa
validité. En revanche nous avions remarqué que les acteurs débutants n’avaient pas toujours
des attentes bien établies, mais plutôt des espérances d’évolution de la situation. Ceci
suppose, qu’un type hypothétique, c'est-à-dire dont la valeur de validité pour l’acteur
est faible, est à l’œuvre dans l’interprétation associée aux espérances.
Cependant, dans les moments d’activité que nous avons appelé désespérée, nous avons aussi
remarqué qu’une disparition des attentes, puis des espérances pouvait survenir. Il n’y en avait
alors plus que les souhaits (dont l’acteur savait qu’ils ne pouvaient plus se réaliser), pour tenir
lieu d’actualité potentielle.
Cette forme très particulière d’activité désespérée exhibe la strate première de
l’anticipation constituée de souhaits. Contrairement aux deux autres (espérances et
attentes), cette anticipation ne nécessite pas de type, même hypothétique pour exister,
mais est en revanche à la base même des engagements de l’acteur.
Troisième chapitre
313
Nous faisons l’hypothèse que les souhaits, se muent en espérances, puis éventuellement en
attentes, au fur et à mesure qu’un type hypothétique émerge, puis qu’il se confirme (s’il se
confirme). En d’autres termes, nous faisons l’hypothèse que l’évolution des actualités
potentielles est fonction d’une évolution parallèle des types associés. Il y aurait une
transformation progressive des souhaits (comme engagement sans certitudes), vers des
espérances (souhait associé à une attente hypothétique qui se situent entre engagement et
actualité potentielle), et enfin se transforment en attentes (comme anticipation typique,
révélatrice de l’actualisation d’un type). Ceci nous amène à postuler un continuum entre la
structure des engagements et celle des actualités potentielles dans les procès d’apprentissage
interprétatif.
La théorie sémiologique (Theureau, 2006) retient essentiellement les attentes comme
marqueurs des actualités potentielles. Nous pensons que les notions de souhaits et
d’espérances sont des notions complémentaires qui permettent de saisir le procès
d’apprentissage en train de se réaliser, et non pas seulement dans la forme finie des attentes.
Une autre conséquence de cette conception est que l’apprentissage interprétatif naît
essentiellement à partir des engagements des acteurs et non pas de la contemplation passive
de la situation. Ceci explique, selon nous, l’importance des procès interprétatifs et
d’apprentissage de forme adductive, sur lesquels nous reviendrons longuement, et qui sont
une construction d’un type à partir d’une interprétation occurrente. Car en définitive, les
interprétations occurrentes déterminées en l’absence de type, le sont à partir de l’engagement
de l’acteur.
4.2.2 Le rôle essentiel des émotions comme conditio ns de survenue des apprentissages interprétatifs
La première condition de survenue d’un certain procès d’apprentissage interprétatif, à partir
de l’interprétation est suspendue à la présence conjointe d’une certaine sorte d’émotion. Nous
suivons en cela les conceptions de Berthoz (2003) suivant lesquelles l’émotion activerait les
mécanismes de l’attention sélective et induirait non pas une déformation du monde perçu
mais une sélection des objets perçus ou négligés dans le monde, elle modifierait
profondément la mise en relation de la mémoire avec la perception sur présent. L’émotion,
guide de l’action serait un filtre perceptif. Ce mécanisme est fondamental pour la décision
puisque nos décisions dépendent beaucoup de ce que nous percevons, de ce que notre cerveau
Troisième chapitre
314
échantillonne dans le monde et de la façon dont il met en relations les objets perçus avec le
passé (Bertoz, ibid., p.347). Cette théorie est compatible avec celle des marqueurs somatiques
de Damasio (1999), qui considère que l’émotion vient ajouter une valeur à la perception
comme configuration particulière de stimuli dans un contexte précis, en fonction de
l’expérience vécue antérieurement.
Le repérage des faisceaux d’indices est proche de la perception. Le repérage des faisceaux
d’indices peut faire émerger une émotion ou plutôt un faisceau d’émotions, qui provoque
l’apprentissage.
Cette émotion est notamment constituée par le couple déception voire inquiètude (relative
aux souhaits) / surprise (relative aux attentes, ou aux espérances dans le cas d’une
interprétation sur type hypothétique). Ce couple d’émotions ouvre la possibilité à la création
de nouveaux types.
L’apprentissage interprétatif permet de passer de ce couple d’émotions à celle de satisfaction
/ confortation dans une situation de même type et de restaurer ainsi le bien être de l’acteur.
Corrélativement nous pensons que l’apprentissage interprétatif vise à combler la béance
ouverte par l’émotion inconfortable (liée au constat implicite d’indétermination de la
situation) de ce couple pour le remplacer par une émotion plus confortable dans la
détermination (voir la caractérisation) de la situation. Cette conception trouve un point
d’appui sur les conceptions de Damasio (1999). Pour cet auteur les émotions sont au
fondement de l’action par leurs aspects conatifs qui visent la recherche de la survie et du bien
être. Ceci nous porte à considérer que la conception de l’apprentissage interprétatif sous
jacente à la théorie de Sperber et Wilson (1989) de la pertinence peut subir un
approfondissement. En effet, si l’apprentissage interprétatif est fonction du développement de
l’environnement cognitif de l’individu, par le principe de pertinence, il nous apparaît que la
pertinence est suspendue in fine à l’accroissement d’émotions positives pour l’acteur.
Ainsi parallèlement à l’apprentissage interprétatif, il est possible de décrire une dynamique
émotionnelle l’accompagnant. Les émotions permettent l’ouverture des procès
d’apprentissage. Quand celui-ci est actualisé par la transformation des types, la situation est
associée à une nouvelle valeur émotionnelle. Ceci permet un nouveau processus interprétatif
qui donne lieu éventuellement à un nouvel apprentissage et ainsi de suite.
La seule et notable exception que nous ayons trouvée à cette dynamique est le cas déjà décrit
d’un engagement de l’acteur dans la recherche d’un apprentissage. Dans cette configuration
Troisième chapitre
315
particulière de l’action, la déception n’est pas nécessaire pour qu’il y ait apprentissage. Seule
la surprise suffit (cas de l’enquête 5).
Notons que les autres conditions de survenue d’un apprentissage interprétatif (l’importance de
l’enjeu de la situation pour l’acteur, la possibilité et la pertinence de l’utilisation pragmatique
de l’interprétation pour l’action en cours et la configuration sociale favorable ou défavorable
de l’apprentissage, que nous étudierons plus loin), sont finalement en lien avec la dynamique
émotionnelle. L’enjeu participe de la résonance que prennent la déception et la surprise et
augmente l’inquiétude en cas d’indétermination de la situation dans un pronostic négatif. La
possibilité d’une utilisation pragmatique de l’interprétation participe de la survenue
d’émotions positives et valide donc l’apprentissage. Enfin la configuration sociale organise à
la fois les engagements, les enjeux et la résonance émotionnelle de la perception d’indices
divergents des souhaits.
Troisième chapitre
316
Descriptions des procès d’apprentissage interprétatif de construction de nouveaux types
1. Modélisation de la relation entre procès d’inter prétation et d’apprentissage interprétatif de construction de types
Procès interprétatif Conditions d’apparition du procès d’apprentissage
Procès d’apprentissage interprétatif de construction de types
Ouverture potentielle d’enquête Repérage d’un indice divergent par rapport aux indices correspondant aux espérances
Emotion de déception et d’inquiétude
Doute de l’évolution positive de la situation
Focalisation sur les indices divergents
Repérage d’un indice divergent des attentes.
Emotion de surprise
Doute de la validité de l’interprétation occurrente
Repérage de la configuration situationnelle dans laquelle émerge le nouvel indice divergent des attentes
Et
Mise en doute d’un type usuel
Ouverture d’enquête Mise en relation des indices par relation de co-occurrence
Repérage d’un faisceau d’indices, divergents des espérances :
Renforcement de l’émotion d’inquiétude et de déception
Situation indéterminée
Repérage d’un faisceau d’indices divergents des attentes.
Accentuation de l’émotion de surprise, pouvant aller jusqu’à la panique
Repérage de la configuration situationnelle dans laquelle émerge le nouveau faisceau d’indices divergent des attentes
Confirmation de la configuration situationnelle problématique
Et
Mise en doute d’un type usuel
Repérage d’un indice ou d’un faisceau d’indices convergent par rapport aux indices correspondant aux espérances
Repérage d’un indice ou d’un faisceau d’indices convergent des attentes
Sentiment d’évidence
Confirmation du type
Em
erge
nce
d’un
nou
veau
type
o
u /
et m
ise
en d
ou
te /
con
firm
atio
n d
’un
typ
e u
suel
Création d’une hypothèse de détermination de la situation « Supposition »
Création d’un nouveau type hypothétique par transformation abductive de l’interprétation occurrente hypothétique
Création d’un nouveau type de forme prototypique non symbolique par transformation inductive non symbolique de l’interprétation occurrente tenue pour vraie
Détermination de la situation Sentiment d’évidence
Apparition d’une forme globale signifiante pour l’acteur de quelque chose à la place du repérage d’un faisceau d’indices surprenants
Nouvelle détermination d’un nouveau faisceau d’indice, ou resémiotisation d’un ancien faisceau
Apparition d’un sentiment de certitude (plus ou moins grand) lié à une nouvelle évidence de l’interprétation occurrente
Création d’un nouveau type de forme symbolique par induction symbolique de l’interprétation occurrente tenue pour vraie C
réat
ion
d’un
nou
veau
type
Troisième chapitre
317
2. Emergence d’un nouveau type dans une ouverture potentielle d’enquête
2.1 Le procès interprétatif Les enquêtes commencent à s’ouvrir généralement par le repérage d’un indice non souhaité.
Ceci développe un doute pour l’acteur sur l’évolution positive de la situation (exemple E1/1),
associé à un début de sentiment d’inquiétude. Mais le repérage de ce simple indice ne suffit
pas réellement à produire une enquête. Il représente la survenue de la possibilité d’un
pronostic négatif de la situation pour l’acteur. C’est ce que nous avons appelé une ouverture
potentielle d’enquête. L’acteur ne réalise pas encore réellement de pronostic négatif de la
situation. Il y a simplement la survenue d’un doute sur une évolution conforme aux
espérances de l’acteur. D’ailleurs cet indice peut être tout simplement négligé.
Mais le repérage de cet indice isolé peut aussi amener à une focalisation de l’acteur sur la
recherche d’autres indices laissant présager l’évolution de la situation contraire aux
espérances. Si d’autres indices confirment la probabilité de l’évolution divergente des
espérances, un pronostic négatif est établi et l’enquête s’ouvre réellement (exemple E1/2).
Elle vise à éviter la survenue de la situation non souhaitée. L’acteur repère au minimum un
faisceau d’indices par relation de co-occurrence. Le procès d’interprétation n’établit pas
nécessairement d’interprétation occurrente claire de la situation. Le simple repérage du
faisceau suffit à produire le pronostic négatif, et à déclencher l’enquête (exemple E2/19).
L’enquête vise donc essentiellement à éviter la survenue d’une situation non souhaitée, mais
attendue. Le procès d’interprétation dans l’enquête accompagne l‘action, en établissant en
continu une détermination plus ou moins poussée de la situation, c'est-à-dire dont l’état
d’interprétation évolue.
2.2 L’apprentissage interprétatif par repérage de l a configuration situationnelle dans laquelle émerge l’indice diverg ent
Les repérages d’indices divergents des attentes ainsi que leur mise en faisceau constituent le
procès d’affaiblissement de types. Mais il arrive souvent pour nos acteurs débutants dans
l’activité professionnelle qu’aucun type ne soit disponible, notamment quand les acteurs sont
confrontés pour la première fois à une situation. Le repérage des indices et leur mise en
faisceau constitue alors le procès même d’apprentissage interprétatif, tandis que l’indice puis
le faisceau constituent un type en émergence. L’importance des indices dans notre étude tient
probablement au fait que nous avons étudié des débutants.
Troisième chapitre
318
Du point de vue de sa dynamique, ce procès survient le plus souvent par le repérage d’un seul
indice divergent des espérances définies à mi-chemin entre l’engagement de l’acteur et ses
actualités potentielles.
Dans le même temps le procès d’apprentissage associé à ce repérage provient de la difficulté
ressentie par l’acteur à interpréter la situation de façon satisfaisante. Dès ce premier
degré, l’apprentissage interprétatif s’actualise par le repérage de la configuration
situationnelle dans laquelle émerge l’indice. C'est-à-dire que l’acteur repère l’indice
divergent sur le fond des autres éléments de la situation. Ceci marque un déficit interprétatif.
C’est précisément le repérage de la configuration situationnelle dans laquelle l’acteur ressent
ce déficit interprétatif qui constitue l’apprentissage.
Au niveau de la dynamique d’apprentissage interprétatif cet apprentissage se poursuit
généralement par repérage d’un faisceau d’indices divergents.
3. Poursuite de l’émergence du type par repérage d’ un faisceau d’indices divergents
3.1 Le procès interprétatif de repérage d’un faisce au d’indices non souhaités
La focalisation produite par le repérage d’un indice non souhaité, peut entraîner le repérage
d’autres indices eux aussi non souhaités. En l’absence de type pouvant donner un sens global
à ce faisceau, ceci débouche sur une mise en relation de ces indices par relation de co-
occurrence. La situation reste indéterminée dans ce procès interprétatif. Il y a seulement un
repérage de plusieurs indices qui sont en relation pour l’acteur dans la mesure où ils sont
divergents des espérances. Lorsqu’un faisceau d’indices succède à la survenue d’un seul
indice, il y a un renforcement du sentiment d’inquiétude. Un faisceau d’indices se dessine
donc pour l’acteur sans qu’une détermination de la situation ne soit possible. Mais le repérage
de ce faisceau fait survenir un pronostic négatif de l’évolution probable de la situation.
L’acteur s’engage dans une activité de réduction des divergences prévues de la situation, qui
marque l’ouverture actualisée de l’enquête (exemple : E1, 2 ; E3, 46à 48).
Troisième chapitre
319
3.2 Le procès d’apprentissage interprétatif de conf irmation de la configuration situationnelle de déficit interprétat if par repérage d’un faisceau d’indices
Quand ce faisceau est aussi divergent des attentes, il y a une actualisation du doute sur les
types mobilisés, ou plus radicalement un constat d’une incapacité à interpréter efficacement la
situation (exemple de l’enquête 5).
C’est maintenant un faisceau d’indices divergents des attentes qui est repéré. Il s’ensuit un
renforcement du sentiment de surprise.
Celui-ci débouche sur une confirmation de la divergence entre le faisceau d’indices et les
interprétations passées subsumées dans le type. Ce procès mis en langage par l’acteur
débouche sur l’énonciation de l’ordre du doute à s’appuyer sur ce qu’il connaît. L’acteur
s’aperçoit aussi qu’il a des lacunes dans son système interprétatif. Ceci revient à une
confirmation de la configuration situationnelle dans laquelle existe un déficit
interprétatif pour l’acteur. Autrement dit un constat d’absence de type valide pour interpréter
la catégorie de situations présentes de façon satisfaisante du point de vue de l’acteur (exemple
E5,7).
Quand l’acteur possède des types usuels, il y a alors apparition d’une mise en doute de leurs
fiabilités.
Ceci ouvre la possibilité à la construction d’un nouveau type (exemple : E3, 47 ; 51 - 52) ou à
une invalidation future du type quand il existe.
Le repérage de ce faisceau d’indices inattendus constitue alors une ouverture à
l’apprentissage (qui est potentielle à ce degré d’apprentissage interprétatif). En effet, pour
que l’apprentissage s’actualise réellement il faudra la survenue d’un autre type, ou une
modification d’un type usuel. Ce premier degré ouvre seulement cette possibilité associée à
un sentiment de surprise.
Dans le cas de la remise en cause d’un type usuel, l’invalidation ne sera totale que lorsque le
repérage du faisceau divergent des espérances et attentes, conduit à la fois à une nouvelle
détermination de la situation et dans le même temps à l’émergence d’un nouveau type
concurrent du premier type (exemple : E4, 4 ).
Ceci explique que l’invalidation de type soit beaucoup plus difficile que leur confirmation. En
effet, pour le même procès, le simple repérage d’un indice ou plus encore d’un faisceau
Troisième chapitre
320
d’indices convergents vers les attentes suffit à renforcer la croyance dans la fiabilité du type
(exemple E1,3 ; E4, 23-24).
Cependant la survenue d’un apprentissage interprétatif à partir du repérage d’un ou plusieurs
indices est contingente et nécessite des conditions spécifiques.
3.3 Conditions d’apparition d’un procès d’apprentis sage interprétatif solidaire des repérages d’indices
3.3.1 Les indices repérés doivent être divergents d es espérances, mais aussi des attentes
L’ouverture de l’apprentissage interprétatif dans l’enquête est cependant contingent. Il a
notamment lieu lorsque l’acteur repère des indices de la situation, non seulement non
souhaités, mais aussi non attendus. Ceci provoque un sentiment de surprise de la part de
l’acteur. Ce sentiment est donc le signe d’une possibilité d’apprentissage interprétatif dans la
mesure où il marque un déficit interprétatif pour l’acteur. En effet, la surprise provient d’une
divergence entre les indices repérés de la situation et ceux attendus par l’acteur. Or les
attentes proviennent précisément de la mobilisation d’un type issu de l’expérience de l’acteur.
La surprise est donc un sentiment qui marque une inefficience du type dans la situation
considérée, dans une relation de divergence entre l’interprétation occurrente et les
interprétations passées subsumées dans le type. Ceci permet l’émergence d’un doute sur la
fiabilité du type usuel (quand il existe) qui est porteur potentiellement d’apprentissage si le
processus se poursuit. Il transforme le type ou en fait émerger un nouveau dans le cas d’une
impossibilité à interpréter la situation.
Une deuxième condition de la survenue de l’apprentissage est l’enjeu que revêt la situation
aux yeux de l’acteur, et donc de l’importance pour lui des relations de divergence du couple
espérances/attentes.
3.3.2 L’enjeu de la situation doit être suffisammen t important pour l’acteur Cependant, ce repérage de cette configuration situationnelle problématique, ou cette mise en
doute du type, se produit lorsqu’il y a aussi un repérage d’indices divergents des espérances.
Nous l’avons vu, l’activité interprétative est d’autant plus importante qu’il y a enquête. Or
celle-ci est suspendue à un pronostic négatif de l’évolution de la situation. Nous n’avons pas
repéré de mise en doute de types en dehors des moments d’enquête. Ainsi la résolution du
problème que la situation pose à l’acteur doit représenter un enjeu suffisamment important
pour l’acteur pour que la surprise créée par le repérage d’indices de divergence aux attentes
puisse développer un apprentissage. Au contraire, lorsque l’enjeu est insuffisamment
Troisième chapitre
321
important pour l’acteur, ce repérage n’entraînait pas d’apprentissage. Dans ce cas la
divergence aux attentes est négligée.
3.3.3 Le cas particulier des enjeux liés à l’engage ment d’apprentissage Le seul cas divergent de cette règle tient à un engagement particulier de l’acteur. L’acteur
peut attribuer un enjeu faible à la situation au départ, repérer des indices convergents aux
espérances, mais s’engager tout de même dans une activité d’apprentissage interprétatif, sur la
base d’un repérage d’indices inattendus. La condition favorable de cette activité, est alors la
transformation de l’engagement vers des préoccupations d’apprentissage (cas de l’enquête 5).
Tout se passe alors, comme si l’enjeu de la situation n’était plus intrinsèquement lié à sa
réussite fonctionnelle, mais à l’apport qu’elle peut apporter à l’acteur en tant que source de
transformation de soi.
3.3.4 Des conditions générales de la survenue de l’ apprentissage interprétatif Ces trois conditions sont des conditions générales à la survenue de l’apprentissage
interprétatif. Comme nous le verrons par la suite l’ensemble des autres procès d’apprentissage
interprétatif s’appuie sur ce premier degré d’apprentissage. Il s’ensuit que ces conditions
deviennent des conditions générales à l’ensemble des autres procès d’apprentissage
interprétatif qui suivent ce procès.
3.4 Discussion des procès d’émergence de types
3.4.1 L’apprentissage interprétatif possède au nive au de l’émergence de types une dimension de développement de l’activité percep tive
La forme la plus émergente d’apprentissage interprétatif que nous avons déterminée est celle
de repérage de la configuration situationnelle dans laquelle émerge un indice divergent des
attentes. Ce repérage, associé à un sentiment de surprise, est le signe d’une inadéquation entre
les éléments de la situation repérés dans la situation (surtout s’ils sont aussi divergents des
espérances), et les types usuels ou plus encore l’absence de type pour une interprétation
satisfaisante et valide de la situation. Cette première forme d’apprentissage interprétatif
montre le caractère de perception indissociablement lié à la construction de types.
Bien que se situant dans une épistémologie différente de celle que nous avons choisie, la
notion de concepts pragmatiques (Pastré, 1997, 1999) concepts mobilisés dans l’action pour
établir un diagnostic - est proche de la notion de type.
Pastré note que ces concepts pragmatiques sont constitués de deux éléments : d’indicateurs
observables, et d’une partie abstraite. Ces concepts pragmatiques ont une fonction de donation
Troisième chapitre
322
de sens à des indicateurs qui sans lui n’en auraient pas. « Ils occupent une place centrale dans
le réseau des relations de détermination entre variables » (Pastré, ibid., p.19) et « les
indicateurs n’ont de sens qu’en ce qu’ils renvoient, par le biais d’une variable abstraite au
fonctionnement de la machine [quand il s’agit de conduire une machine] » (Pastré, ibid., p.
20). Cette partie abstraite du concept pragmatique organise la perception des indicateurs en
leur donnant un sens. Mais en retour c’est la perception des indicateurs qui permet la
mobilisation de la partie abstraite. En effet, comme le montrent les données sur le
développement des compétences des jeunes ingénieurs dans le contrôle des processus
dynamiques dans les centrales nucléaires, c’est bien les constructions d’indicateurs pertinents
et des relations de significations les liant, qui sont responsables en premier lieu du
développement de la performance. Ces constructions permettent la transformation des
connaissances en organisateurs de l’action. De ce point de vue, l’activation des concepts
pragmatiques, comme des types, requiert donc une activité perceptive spécifique au
concept pragmatique ou au type mobilisé, (et/ou pour le mobiliser).
Cependant, une des différences essentielles de la notion de type avec celle de concept
pragmatique, tient à l’importance attribuée au repérage actif de la part de l’acteur des
éléments significatifs de la situation. C’est à dire, qu’il n’y a pas de saisie directe
« d’indicateurs », en l’absence des autres éléments de l’unité élémentaire d’activité
(Theureau, 2000) et notamment de l’engagement de l’acteur dans la situation, composée par la
fonction situante de l’activité (Astier, 2003). Ceci implique de prendre en compte le vécu de
l’acteur pour construire le type mobilisé. C’est la raison pour laquelle nous préférons parler
d’activité de repérage d’indices, plutôt que de perception d’indicateurs pour bien marquer le
caractère « situant de l’activité ».
Nous pensons qu’il est ici raisonnable de considérer que les indices habituellement repérés
font partie intégrante du type.
Nous reprenons ici les travaux des théories de la Psychologie de la Forme. La forme existe car
elle se détache sur un fond. Pour nous un fond que nous appelons configuration situationnelle.
Cela signifie que les traits essentiels de la situation peuvent être repérés comme similaires
ultérieurement en tant qu’organisation de singulière d’une forme de situation régulière85
(Barbier, 2000a). La forme est constituée de l’élément divergent des attentes, intégré dans
cette configuration. Ce repérage est associé à un sentiment de surprise et provoque le doute
85 Dans la signification de familière
Troisième chapitre
323
sur les capacités de l’acteur à interpréter la situation. Ce repérage constitue selon nous un
nouveau type en cours d’émergence.
3.4.2 Les indices divergents comme types en émergen ces La mise en relation des indices dans les faisceaux par relation de co-occurrence, nous paraît
homologue à ce que Ducrot (1995), décrit dans la théorie linguistique argumentative des
Topoï, à propos de l’activité discursive. Le Topos dans cette théorie linguistique est un garant
argumentatif permettant de produire un enchaînement qui autorise le passage entre deux
segments A et C, dont l’un est présenté comme argument justifiant l’autre, donné comme
conclusion. Dans l’exemple donné par Ducrot, si l’on dit « Il fait chaud. Allons à la plage. On
suppose non seulement que le beau temps du jour dont on parle, rendra ce jour-là la plage
plus agréable, mais qu’en général la chaleur est pour la plage, un facteur d’agrément ».
Il est possible de voir ici la parenté entre la notion de topos et celle de type. La différence
essentielle tient évidemment au fait que les types ne sont pas uniquement de l’ordre de
l’activité discursive, mais de l’activité en général. Mais par la suite - si le processus
d’apprentissage interprétatif se poursuit- la recherche des raisons de la survenue de la
situation apparaît comme un effort de l’acteur pour faire émerger un élément organisateur de
la survenue du faisceau. Cet élément apparaît alors proche des caractéristiques des Topoï.
La mise en faisceau d’indices en étant organisée par la surprise provenant de la divergence
aux attentes, tout se passe comme si c’était cette divergence qui tenait lieu de « Topos ». La
mise en faisceau des indices est au moment de l’émergence un procès « en creux ». C’est
justement parce que l’acteur n’a pas de détermination de la situation que ces indices sont
signifiants (d’autant plus qu’ils sont contraires aux espérances). Nous faisons l’hypothèse que
la liaison implicite entre les juxtapositions de certains constats et interprétations qui
accompagnent l’action est un élément précurseur d’une émergence actualisée d’un nouveau
type.
Une autre caractéristique des Topoï est leur caractère graduel. Ils mettent en relation deux
prédicats graduels, deux échelles (par exemple celui de la température et de l’agrément). Dans
l’exemple du cas n°2 tiré de l’étude exploratoire, la force du vent et l’existence de repères
pour les élèves sont des prédicats graduels. Du point de vue de l’acteur, il n’y a pas assez de
vent pour que les élèves aient des repères. Le type en émergence se compose ici d’une mise
en relation de deux constats par une relation d’influence graduelle de l’un sur l’autre. Ceci
signifie ici, que les éléments de savoir, y compris les plus triviaux, (le savoir convoqué est
que « les bateaux ont besoin de suffisamment de vent pour avancer »), ne sont activés que
Troisième chapitre
324
lorsque l’expérience en montre la signification pour l’action en cours. Dans cette situation
nouvelle pour l’apprenti, l’apprentissage n’est pas construit à partir d’un savoir formalisé
constitué d’une représentation stabilisée qui serait appliquée dans un sens descendant, des
niveaux de régulation cognitif les plus conceptuels vers les plus automatiques. L’émergence
du type se présente au contraire ici, comme la mise en relation d’indices concrets de la
situation accompagnant l’action par des relations de gradualité. Ces relations de
gradualité entre indices sont à la base de la construction de nouveaux types.
Cependant à l’inverse de la notion de Topos dans la linguistique argumentative, la mise en
relation d’indices (en tant qu’argument ou que conclusion), n’est pas directement suspendue à
la pré-existence d’un type. C’est au contraire la simple juxtaposition de ces indices qui invite
la construction concomitante du type. Nous sommes ici de plein pied dans la dimension de
l’émergence d’un nouveau type et non pas de l’utilisation d’une interprétation habituelle pour
l’acteur de la situation. Le type n’est pas encore construit, mais sa construction est devenue
une possibilité. Dit à la manière de Pierce (1984), sa construction est entrée dans l’univers de
la priméité, sans être obligatoirement actualisée.
3.4.3 La résistance à l’invalidation : autre hypoth èse Plusieurs études dans le cadre sémiologiques (par exemple, Sève et al., 2002 ; Sève et
Leblanc, 2003) ont montré qu’un type usuel résiste à de nombreuses infirmations avant d’être
invalidé, tandis qu’une seule confirmation suffit à le faire reconnaître comme valide. La
théorie de l’apprentissage dans le cadre sémiologique, explique ce fait par confiance accordée
par l’individu dans son type. Cependant dans notre étude nous avons des exemples de
transformations rapides de types, sur la base d’une seule observation infirmant le type
(exemple de la dynamique de l’apprentissage interprétatif de l’enquête 5 et 6). Cette
transformation se produit par : (1) une surprise créée par le repérage d’un ou plusieurs indices
divergents des attentes, (2) une mise en doute du type associé à l’interprétation occurrente, (3)
l’apparition d’un dilemme interprétatif associé à l’émergence d’un nouveau type concurrent
du type usuel, (4) un choix visant à trancher le dilemme.
Certes la confiance dans le type initial est un facteur de résistance comme l’ont montré des
études de longue date (Matthews et Patton, 1975).
Cependant nous formulons une autre hypothèse pour rendre intelligible le fait de la résistance
des types à l’invalidation : l’invalidation d’un type est beaucoup plus complexe que sa
validation.
Troisième chapitre
325
En effet, la construction d’un nouveau type demande simplement de reconnaître la forme
typique pris par les indices au cours d’une interprétation convergente (ou non convergente)
vers les espérances. Le nouveau type passe éventuellement par une phase hypothétique (cas
de la dynamique de l’enquête 3), mais est très rapidement validé, s’il ouvre la possibilité à des
actions conformes aux espérances.
A l’inverse l’invalidation d’un type nécessite la création d’un nouveau type concurrent. Tout
se passe comme si un acteur ne pouvait pas abandonner un type usuel, s’il n’avait pas à sa
disposition un nouveau type plus valide.
Les dilemmes interprétatifs sont de ce point de vue, la marque de cette concurrence entre deux
types au sein d’un même procès interprétatif. D’autre part, il est nécessaire que le nouveau
type permette à la fois d’interpréter la situation de façon plus adéquate, mais aussi permette de
trouver une action susceptible de résoudre le problème. En d’autres termes, le nouveau type
doit permettre à l’action de gagner en opérativité, pour que l’acteur invalide (au moins en
partie) son ancien type usuel. De plus l’invalidation d’un type est rarement totale. Dans nos
données les types invalidés voyaient essentiellement leurs domaines de validité réduits au
profit du nouveau type dans un procès de différenciation de types. A l’extrême il est possible
de considérer qu’il n’y a probablement que très rarement d’invalidation complète des types,
mais au contraire un recalibrage constant de leurs domaines de validité, c'est-à-dire une
redétermination permanente des formes de situations où ils sont pertinents. Cette conception
ouvre la possibilité de comprendre la dynamique de différenciation des types, comme une
concurrence entre les types.
Cette conception de l’apprentissage, trouve un point d’appui théorique dans les conceptions
de l’apprentissage pointant l’importance de l’inhibition. Pour Houdé (1995, 2003),
l’inhibition des connaissances, y compris implicites, est un procès essentiel de
l’apprentissage. Nous faisons l’hypothèse que la différenciation de type et la concurrence
entre types dont elle procède, en produisant un recalibrage de leur domaine de validité,
inhibent l’activation des anciens types au profit de plus récents et plus valides pour une
portion plus ou moins large de situations. Au contraire, lorsque les types voient leurs
domaines de validité s’élargir à plus de situations, ils gagnent en généralité. Nous faisons
l’hypothèse, que c’est au contraire un procès d’activation qui produit cette généralisation du
type.
Troisième chapitre
326
4. Création de types par transformation de l’interp rétation occurrente en type
4.1 Création d’un type hypothétique, par la survenu e d’une nouvelle interprétation hypothétique
4.1.1 Le procès interprétatif d’interprétation hypo thétique Le procès d’interprétation peut développer une détermination globale de la situation à partir
de la mise en relation du repérage d’un faisceau d’indices sur la situation. Cette mise en sens
peut-être de l’ordre de l’évidence, comme nous le verrons plus tard, mais elle peut-être aussi
de l’ordre de la supposition. Dans ce cas l’interprétation occurrente est de forme
hypothétique par son caractère de faible certitude pour l’acteur (exemple E3, 76). C'est-à-dire
qu’elle n’est pas associée à une croyance de fiabilité très élevée pour l’acteur. Quand
l’interprétation est traduite de façon langagière elle est alors de l’ordre de la supposition
(exemple e3/72, 76).
Cette nouvelle interprétation de la situation en forme de détermination hypothétique de la
situation fait naître de nouvelles attentes sur la situation, qui prennent de fait le statut de tests
d’hypothèses lorsque la situation évolue en infirmant ou en confirmant les hypothèses
interprétatives.
Ces nouvelles attentes très incertaines encore pour l’acteur, sont liées à un type émergent qui
est encore pour le moment de forme hypothétique et très proche du caractère contextuel et
singulier de l’interprétation occurrente. Ces nouveaux types hypothétiques se distinguent des
types validés par l’acteur. Cependant dans le cas où les types hypothétiques trouvent une
confirmation ultérieure, naîtront des types qui auront par le renforcement dans la croyance en
leur fiabilité un caractère de type à part entière. Ils seront alors associés à un sentiment
d’évidence dans leur mobilisation dans l’interprétation.
4.1.2 Construction de types hypothétiques et condit ions d’apprentissages Pour que le type émerge, il est nécessaire que le faisceau d’indices soit surprenant et qu’il soit
mis en relation par une hypothèse de détermination de la situation. Mais cette hypothèse a un
deuxième effet.
Troisième chapitre
327
Elle permet de relier les indices entre eux et de leur donner un sens global. Tout se passe alors
comme si le faisceau d’indices disparaissait au profit du seul sens de la situation contenue
dans l’interprétation, comme si le faisceau était structuré dans une forme globale, qui reste
cependant hypothétique. C’est précisément la mise en relation de cette forme globale de la
situation (notamment des indices les plus saillants) qui constitue le type (exemple E3, 76).
Ces nouveaux types hypothétiques apparaissent notamment lorsque qu’ils entrent en
concurrence avec des types plus anciens, dans des dilemmes interprétatifs. Tout se passe
comme si les nouveaux types, lorsqu’ils entrent en contradiction avec des types plus anciens,
ne peuvent pas être validés purement et simplement. Ils surviennent comme de nouvelles
possibilités d’interprétation de la situation, dont l’acteur n’est pas sûr.
Le sort de ces nouveaux types hypothétiques est divers. Certaines fois ils représentent
seulement une simple mise en doute de l’ancien type (exemple E5/7). D’autres fois, leur
survenue entraînent un conflit interprétatif, qui débouche sur des modifications profondes des
types mobilisés, y compris dans le cours même de l’action (exemple E5/ 12 et suivantes). Là
aussi l’enjeu que donne l’acteur à la réduction de ce conflit est essentiel. Lorsque l’enjeu est
faible pour l’acteur le conflit d’interprétation n’a pas lieu. Au contraire, lorsque le conflit
s’établit, notamment sous une forme langagière, un renforcement de la fiabilité du type peut
survenir, au point de supplanter le type ancien, ou du moins de le faire évoluer
considérablement.
4.2 Discussion des procès de création de types hypo thétiques: abduction et création de formes interprétantes
Dans la création d’un type hypothétique l’apprentissage interprétatif est caractéristique des
inférences abductives. Elles partent des interprétations occurrentes (les faits), et sont
déterminées de façon équivalente à une hypothèse de type. Nous avons donc ici les deux traits
caractéristiques de l’abduction : formation d’une conceptualisation à partir d’un cas et
création d’hypothèses. Cependant cette abduction ne convoque pas hypothèses explicatives
des raisons de la survenue de la situation. Au contraire, elle utilise uniquement les traits
significatifs de la situation, (sur la base du faisceau d’indices divergents des espérances et des
attentes). L’inférence consiste en une détermination hypothétique qui subsume le faisceau tout
en le structurant. Ainsi le faisceau d’indices prend une forme globale, même si l’acteur n’est
pas sûr de la détermination au point que le faisceau d’indices devient non énoncé au profit de
Troisième chapitre
328
la seule détermination globale de la situation. Cette donnée nous laisse penser que la
détermination est de l’ordre de la structuration86 des indices réunit dans le faisceau.
Nous sommes ici dans le cas d’un apprentissage implicite qui « laisse généralement
l’apprenant incapable d’exprimer les règles qui structurent la part de l’environnement avec
laquelle il interagit… » (Perruchet et Pacton, 2004, p.122). Car à ce stade de l’évolution du
type, l’acteur est incapable d’énoncer le type qui tout entier est contenu et identifié pour le
moment à l’interprétation occurrente. Certains travaux (par exemple Pacton, 2002), montrent
que les règles régissant une situation ne sont pas acquises par les apprenants alors qu’ils
réussissent à interpréter correctement la situation, sur la base du repérage de ressemblance
entre situations qui sont familières. L’apprentissage implicite fonctionne essentiellement à
partir des aspects capables de capturer et de guider l’attention sur la base du repérage des
traits de surface et des relations entre les éléments des situations (Perruchet et Pacton, ibid.).
Nous faisons l’hypothèse que la détermination de la situation, est une structuration87 des traits
de surface et relations entre indices dans le faisceau, capable de guider et de capturer
l’attention de l’acteur. Nous appelons forme88 signifiante occurrente pour l’action cette
structuration. Nous la disons occurrente afin de signaler le statut de résultat du procès
interprétatif ; et pour l’action, afin de souligner que cette structuration est toujours fonction de
la perspective saisi par l’acteur.
86 Structuration : en tant qu’émergence soudaine d’une totalité à partir de l’assemblage de ce qui devient alors ses composantes (Ducret, 1998) 88 La notion de forme est à prendre dans sa signification première. Elle est de l’ordre de l’ensemble des contours d’un objet résultant de la structure de ses parties et le rendant identifiable (Petit Robert)
Troisième chapitre
329
De façon métaphorique nous pouvons comparer les nouvelles interprétations des situations à
des figures ambiguës. Selon la perspective de l’acteur les mêmes éléments de la situation
peuvent devenir des indices d’une nouvelle forme.
Ainsi comme il est possible de voir dans cette figure bien connue, le visage d’une vielle ou
d’une jeune femme (mais difficilement les deux à la fois) les situations sont déterminées en
premier lieu par la structuration des traits de surface par l’acteur fonction de la perspective
qu’il adopte sur l’environnement.
Nous faisons l’hypothèse supplémentaire que cette nouvelle structuration peut être
remobilisée ultérieurement dans des situations similaires, c'est-à-dire dans des situations où
peut être reconnue la même structuration. Nous appelons nouvelles formes interprétantes ces
nouvelles structurations habituelles pour l’acteur des indices de la situation capables de
déterminer des situations similaires. Ces formes interprétantes représentent un deuxième état
du type (après celui de repérage d’indices et de faisceau d’indices).
Cependant les modèles de l’apprentissage implicite insistent sur la sensibilité de l’individu à
la récurrence statistique des aspects perceptivement saillants de l’environnement. Dans notre
recherche, les inférences abductives puis inductives que nous allons voir, montrent au
contraire que l’acteur structure les types (en tant que formes interprétantes) sur la base d’un
seul exemplaire de la situation qui devient prototypique d’une catégorie de situation. Nous
rejoignons en cela les observations de Sève (2000).
Troisième chapitre
330
4.3 Construction de types prototypiques
4.3.1 Le procès interprétatif de détermination de l a situation Ce procès interprétatif est conjoint aux apprentissages interprétatifs de création de types
prototypiques et symboliques. L’acteur peut quelquefois, à la suite du repérage du faisceau
d’indices inattendus lui attribuer un sens immédiatement, y compris en l’absence d’un type
préexistant permettant une interprétation satisfaisante de la situation. Ceci est solidaire d’un
procès d’apprentissage interprétatif, de construction de nouveaux types.
D’autre part, nous avons établit que le repérage d’un faisceau d’indices ne détermine pas
l’interprétation qui reste contingente. L’acteur peut donner un sens différent au même
faisceau d’indices en fonction de son engagement, du moment de l’enquête et des actions
qu’il a entreprises, et aussi bien sûr de son apprentissage interprétatif (exemple E1/2-8). Un
faisceau d’indices n’est pas une somme d’indices qui s’ajoutent les uns aux autres. La
survenue d’un seul indice peut faire changer totalement le sens attribué au faisceau d’indices
dans l’interprétation. Ceci peut se traduire, lorsque l’acteur peut déterminer la situation, par
un changement complet de sens (exemple E2/18). Tout se passe comme si la survenue du
nouvel indice amenait une reconfiguration des indices (les anciens et le nouveau) dans cette
nouvelle interprétation.
Le sens de la situation n’existe pas per se, mais est bien une construction contingente de
l’activité interprétative.
Les conditions d’apprentissage à partir du procès interprétatif tiennent à la possibilité pour
l’acteur de structurer une forme globale signifiante de quelque chose à la place du repérage du
faisceau d’indices qui doit toutefois être surprenant. En d’autres termes, la création de type
n’est possible que lors qu’une nouvelle interprétation occurrente est déterminée à partir d’un
faisceau d’indices surprenants.
Quand l’acteur détermine une nouvelle interprétation occurrente sur la base d’un faisceau
d’indices surprenants, tout se passe alors, comme si l’acteur donnait une forme globale au
faisceau d’indices de quelque chose qui réunit les indices dans un tout significatif pour lui. En
d’autres termes, l’acteur détermine la situation non plus par mise en relation de co-occurrence
d’un faisceau d’indices, mais par la médiation d’un élément autre que ceux présents dans la
situation, capable de donner une cohérence significative au faisceau (Exemple E2, 21 ). Ce
procès d’interprétation permet à certains moments la structuration des indices sous une forme
Troisième chapitre
331
globale, ressentie comme une évidence pour l’acteur, et non plus de façon hypothétique. La
perception du faisceau d’indices de la situation disparaît alors, et l’acteur ne relève plus que le
seul sens que prend la situation pour lui (E5/9). C’est précisément cette forme globale et la
signification qui lui est donnée alors qui devient un nouveau type, par son pouvoir
d’interprétation d’autres situations jugées similaires.
Nous avons d’autre part remarqué que cette recherche de cohérence amène l’acteur à ériger
une interprétation du faisceau cohérente avec son engagement de moment. Tout se passe
comme si l’interprétation occurrente avait alors pour fonction de servir, voire même de
protéger l’engagement de l’acteur. Pour cela l’acteur néglige certains éléments de la situation
qui ne « cadrent » pas avec l’interprétation occurrente.
4.3.2 Procès d’apprentissage interprétatif de créat ion de types prototypiques La création d’un nouveau type tenu pour vrai par l’acteur est du même ordre que celle du type
hypothétique mais à la différence de celui-ci, l’interprétation occurrente est tenue pour vrai,
ainsi que le type associé.
Ceci permet la survenue d’un deuxième degré d’apprentissage interprétatif qui peut être
caractérisé par une nouvelle donation de sens à un faisceau d’indices inattendus. Mais cette
nouvelle donation de sens est ici totalement limitée à la situation occurrente et n’est pas reliée
à un type usuel préexistant à l’interprétation de la situation. Tout se passe comme si
l’interprétation occurrente et le type se confondaient, comme s’ils étaient identifiés l’un à
l’autre, ou plus précisément comme si l’interprétation occurrente tenait lieu de type
s’enracinant dans l’ici et le maintenant, mais s’en distinguant par la mise en mémoire de la
forme globale prise par la situation. L’interprétation occurrente devient le contenu sensible
d’un type réinvestissable dans de nouvelles interprétations ayant pour base le repérage d’un
faisceau d’indices semblables. Ce qui est retenu est la forme globale de la situation
signifiante, référée à l’attribution du sens donné qui devient habituel. Cet ensemble permet la
reconnaissance de toutes les situations qui prennent la même forme que cette situation
prototypique (exemple E2, 21).
Cette émergence de type produit une identification implicite de l’interprétation occurrente en
type de forme prototypique non symbolique et antéprédicatif.
Ce procès rend ainsi des situations familières, alors qu’elles ne l’étaient pas auparavant par
jugement de similarité avec la situation prototypique. Nous faisons l’hypothèse que l’acteur
Troisième chapitre
332
en retient la forme globale signifiante pour lui et en fonction de son engagement lui-même
probablement typifié.
4.4 Discussion des procès d’apprentissage interprét atif de construction de types prototypiques non symboliques
Quand l’interprétation occurrente est tenue pour vraie, elle est étendue à la même famille de
situations de façon implicite, formant ainsi un type prototypique. Selon les travaux de Rosch
(1976 ; Rosch & Lloyd, 1978), les catégories naturelles sont formées (au niveau de base) à
partir de la ressemblance avec un objet concret. Nous considérons que dans ce procès
d’apprentissage interprétatif le type est constitué sur la base du prototype constitué par la
situation déterminée par l’interprétation occurrente. En effet, dans cet apprentissage le type
est très proche de la l’interprétation occurrente, au point de se confondre presque totalement
avec elle. La situation déterminée dans l’interprétation occurrente devient un nouveau
prototype.
Cet apprentissage est une certaine généralisation de la situation par la mise en mémoire des
traits caractéristiques de la situation: la forme signifiante, devient immédiatement une forme
interprétante. La situation déterminée dans l’interprétation occurrente est l’élément
prototypique, dans des situations similaires. C'est-à-dire que l’on peut reconnaître comme
ayant le même air de famille. Les différents indices de la situation disparaissent, plus encore
que dans l’émergence de types hypothétiques, au profit de la forme signifiante globale de la
situation. Ce procès d’apprentissage interprétatif est basé sur des inférences inductives. Les
indices subsumés sous l’interprétation occurrente est elle-même subsumée sous le type, dont
elle est l’élément unique de la catégorie de situations, en tant que prototype. Comme toute
inférence inductive celle-ci néglige des éléments qui pourraient être contradictoires avec
l’interprétation occurrente. Cette fonction de simplification est essentielle pour l’acteur qui ne
peut intégrer toute la complexité de la situation, notamment dans l’action où il doit prendre
des décisions. Comme le remarquent Bourgeois et Nizet (1997, p.71), le caractère inférentiel
de la catégorisation est étroitement lié à la fonction de simplification de l’environnement
exercée par celle-ci, fonction vitale pour l’individu. Nous verrons cependant que
parallèlement les processus d’interprétation permettent d’intégrer de plus en plus de
complexité, dans le procès de reconstruction de types, tout en négligeant (conformément aux
théories de l’induction) une partie de la situation.
Ce procès fonctionne à partir de ce qui a été appelé des heuristiques de représentativité
(Kahneman & Tversky, 1973 ; Beauvois et Deschamps, 1990 ). Pour Bourgeois et Nizet
Troisième chapitre
333
(idid.), l’heuristique de représentativité consiste à classer un objet dans une catégorie
d’appartenance en fonction des attributs congruents les plus immédiatement perceptibles de
l’objet… en vertu de l’heuristique de représentativité, la saillance de certains attributs de
l’objet, c'est-à-dire, le fait qu’ils soient plus immédiatement perceptibles que d’autres va
commander l’évocation de catégories qui les intègrent le plus aisément. Une autre
caractéristique des heuristiques de représentativité, était qu’elles pouvaient être influencées
par le contexte. Les éléments saillants retenus peuvent être différents en fonction du contexte
dans lequel l’inférence se déroule.
Cependant dans les résultats que nous discutons, la catégorie ne précède pas la catégorisation.
Il s’agit bien d’une catégorisation sans catégorie a priori, qui se fait sur la base d’un
exemplaire unique, qui partant d’une abduction, se poursuit par une induction89.
4.5 Création d’un nouveau type prédicatif et symbol ique Le procès interprétatif peut être constitué d’une qualification globale de la situation sous une
forme prédicative (exemple E2/21). Cette qualification de la situation est parfois associée à
une justification de la prédication par la convocation des indices de la situation. Dans cette
détermination explicite de la situation l’acteur donne un sens à un faisceau d’indices de la
situation différent du simple repérage des indices. Ceci constitue le premier degré de
détermination prédicatif, qui est une détermination explicite de la situation.
Ce procès d’interprétation ouvre la possibilité à une création d’un nouveau type. Si celui-ci
est suffisamment prégnant et différencié de l’interprétation occurrente, pour l’acteur, il peut
alors l’exprimer de façon explicite lors de l’auto-confrontation (exemple E3/80), ou à un
interlocuteur au cours de l’action (comme le tuteur) (exemple E5), ou probablement pour lui-
même dans un discours privé. Le type apparaît alors dans une formulation à peine plus
générale que l’interprétation occurrente. Il fait référence aux catégories des éléments pris en
compte et non plus seulement à ceux de la situation particulière. La formulation du type se
présente dans une forme plus laconique que l’interprétation occurrente, dont il est issu. Tout
se passe comme si la généralisation de l’interprétation occurrente aux classes de situations
entrant dans la même catégorie du point de vue de l’acteur, permettait l’érection de
l’interprétation occurrente en type. Ce procès d’apprentissage interprétatif marque le passage
des procès antéprédicatifs aux procès d’apprentissage de forme prédicative.
89 D’où selon nous, les hésitations de Sève et al. (2002) à caractériser le procès « d’érection de cas en type » entre abduction et induction.
Troisième chapitre
334
Se faisant la détermination explicite de la situation se présente de fait comme un argument de
la survenue co-occurrente des indices du faisceau. La mise en langage de cet argument
représente le médiat permettant à l’acteur de mettre en lien les différents indices de la
situation, et constitue un élément essentiel de construction du type.
4.6 Discussion du procès de création de types antép rédicatifs et symboliques
La détermination de la situation en se présentant en tant qu’argument de la survenue des
indices du faisceau est analogue à un topos, mais qui serait limité à la situation. Lors de la
formulation explicite du nouveau type associé à la détermination prédicative de la situation, le
nouveau type est analogue à un topos, mais qui serait situé pour la catégorie des situations
définie par la ressemblance à la situation prototypique déterminée dans l’interprétation
occurrente. La potentialité de survenue du topos, émergent avec le repérage d’un faisceau
d’indices divergents des espérances, a été actualisée par la détermination de la situation et par
la création d’un type symbolique, très proche encore du prototype. Il s’agit là encore d’un
procès d’apprentissage inductif, mais qui s’effectue avec la médiation du langage.
L’énonciation du type fait prendre au type un statut prédicatif et probablement de façon plus
générale, symbolique.
Cette énonciation du type ouvre la possibilité à utiliser des inférences déductives, y compris
dans le cours de l’action. La construction du nouveau type à partir du repérage du faisceau et
de la détermination explicite de la situation, peut en retour être utilisée pour resémiotisé le
même faisceau d’indices, mais en lui conférant une interprétation occurrente différente en
fonction du nouveau type. Ce procès interprétatif utilise alors très probablement des
heuristiques dites « d’accessibilité » (Khaneman et Tversky, 1973). Ces heuristiques
« consistent à activer pour la catégorisation d’un objet la catégorie la plus accessible dans le
répertoire catégoriel du sujet à ce moment-là (Bourgeois et Nizet, 1997, p. 75).
4.7 La construction de nouveaux types : de la nouve lle forme signifiante pour l’acteur, à une nouvelle forme int erprétante
La construction d’un nouveau type, (c'est-à-dire pour le cas où l’acteur ne dispose pas d’un
type lui permettant d’interpréter un faisceau d’indices surprenants, pour lequel il construit un
type totalement nouveau), procède globalement d’une transformation de l’interprétation
occurrente en type. Dans sa forme déployée les dynamiques d’apprentissage interprétatif
montrent un procès qui – à partir de la constitution d’un faisceau d’indices surprenants - passe
d’une détermination hypothétique de la situation, en une transformation de l’interprétation
Troisième chapitre
335
occurrente tenue pour vraie en type prototypique, et de celle-ci en type symbolique. Mais le
procès est contingent. Il peut passer directement à une détermination associée à une forte
certitude et à une transformation directe de celle-ci en type symbolique.
Nous attirons l’attention sur le fait que ces trois procès ne sont pas des étapes de création de
nouveaux types. L’acteur peut déterminer directement un type symbolique, sans passer par
une phase hypothétique, puis prototypique. A d’autres moments au contraire, les dynamiques
d’apprentissage interprétatif montrent le passage par ces trois moments qui sont autant de
procès d’apprentissage interprétatif à l’œuvre.
5. Conclusion sur les procès de construction de nou veaux types
La conception des procès d’apprentissage interprétatif que nous avons présentée relativement
à la construction de nouveaux types fait évoluer le cadre théorique de départ. Ainsi au niveau
de l’émergence de types deux procès d’apprentissage ont été rajoutés :
- le repérage de configuration situationnelle associé à un doute (par repérage d’un indice
divergent des attentes).
- la mise en doute du type (par repérage d’un faisceau d’indices divergents des attentes).
Au niveau de la création actualisée d’un nouveau type, la conception de ce procès
d’apprentissage interprétatif est conforme à la notion d’érection de cas en type (Theureau,
1998 ; Sève 2000). La conception de ce procès d’apprentissage distingue cependant à
l’intérieur de celui-ci trois sous catégories: (1) émergence d’un type hypothétique, (2)
émergence d’un nouveau type prototypique, (3) émergence d’un nouveau type de forme
symbolique.
Les dynamiques des apprentissages interprétatifs montrent que ces trois formes se suivent
souvent, mais qu’elles ne sont pas des étapes obligatoires. Le processus d’apprentissage se
présentant de façon erratique. Il peut y avoir détermination directement d’un type symbolique
à partir du repérage d’un faisceau d’indices. Cependant dans sa forme la plus progressive, le
processus d’apprentissage exhibe le recours à des inférences abductives (dans l’émergence de
types hypothétiques), puis inductives (associées aux heuristiques de représentativité dans la
construction d’un type prototypique et symbolique), et enfin déductive (associées aux
heuristiques accessibilité dans l’utilisation en retour du nouveau type construit). Le processus
peut continuer et se reproduire de nouveau, entraînant alors une transformation du type
construit (ce que nous allons discuter plus loin), ou / et la construction d’un nouveau type. On
assiste alors à un tourbillon mêlant procès interprétatif et apprentissage, les premiers faisant
Troisième chapitre
336
survenir les seconds, tandis que les types émergeant de ce tourbillon intervenant
immédiatement dans les procès interprétatifs.
Lorsque le nouveau type est créé sa mobilisation influence alors sa reconstruction permanente
qui est faite de deux procès complémentaires : la différenciation et la généralisation.
Discutons maintenant ces deux grands procès de reconstruction de types.
Troisième chapitre
337
Descriptions des procès d’apprentissage interprétatif de reconstruction de types usuels
Les procès d’apprentissage interprétatif ne sont pas toujours de l’ordre de la construction de
nouveaux types. Ils interviennent aussi dans la reconstruction d’anciens types considérés par
l’acteur comme valides, que nous appelons les types usuels. Ces types usuels subissent parfois
une modification de leur domaine de validité. C'est-à-dire qu’ils sont validés pour
l’interprétation de situations dont le nombre et la spécificité changent.
Quels sont les procès d’apprentissage interprétatif dans ce nouveau cadre ?
Nous avons pu déterminer deux procès de développement de types usuels : leur
généralisation et leur différenciation. Nous nommons généralisation des types, le procès qui
crée une augmentation du pouvoir d’interprétation d’un type à un nombre plus élevé de
situations. La différenciation des types est le procès qui crée un pouvoir de discrimination
plus importante des situations dans l’interprétation (en décomposant les types usuels, en types
plus nombreux et moins généraux, mais plus précis et plus satisfaisants dans l’interprétation).
Ces deux procès sont très souvent liés l’un à l’autre et apparaissent conjointement dans la
dynamique du procès d’apprentissage, comme les deux faces complémentaires d’un même
procès de reconstruction de types.
1. Dynamique du développement des types usuels : généralisation et différenciation de types
Les dynamiques étudiées montrent que les nouveaux types, qui au départ s’identifient le plus
souvent avec une situation prototypique, suivent un procès de développement les généralisant
en intégrant d’autres interprétations de situations jugées similaires et pouvant être
interprétées, à partir d’un même type. Cette intégration par un choc en retour, amène une
modification du type qui augmente son pouvoir d’interprétation, par une modification de la
forme moyenne des situations concernées par le type. La généralisation des types apparaît
aussi parfois fondée par la mise en relation d’interprétations passées. Ceci ouvre des
potentialités de nouvelles interprétations de la situation occurrente, qui se traduit par la
donation d’un nouveau sens global aux indices de la situation. Ceci représente un saut de sens
qui donne une interprétation de la situation, cette interprétation étant solidaire d’une
généralisation du type associé.
Troisième chapitre
338
Parallèlement le procès de généralisation ne peut pas se poursuivre indéfiniment sans être
contrebalancé par celui d’une spécification du type, sous peine de n’avoir plus qu’un seul type
pour interpréter toutes les situations rencontrées. L’étude des procès d’apprentissage
interprétatif montre que les types mobilisés dans l’action subissent parallèlement à leur
généralisation – et d’ailleurs même principalement dans le cas de nos éducateurs débutants –
un procès de différenciation. Celui-ci débouche sur une transformation des types qui permet
une discrimination plus importante des situations par l’interprétation. Cette conception est
conforme aux recherches qui ont montré que les résultats de l’apprentissage dans l’action
étaient non seulement des connaissances procédurales, mais aussi des constructions de
classes de problèmes et d’outils sémiologiques nouveaux (voir Falzon, 1994 pour une
présentation de ces recherches).
Ce procès de différenciation des types usuels, semble essentiellement guidé par un ajustement
de l’interprétation à l’engagement de l’acteur. Quand l’engagement de l’acteur demande une
discrimination plus précise de la situation que celle dont il dispose, pour pouvoir assouvir son
engagement, s’enclenche alors un procès de différenciation. Evidement cela est loin d’être
toujours le cas. Certains engagements ne demandent pas une interprétation plus poussée de la
situation que celle dont dispose l’acteur, d’autres au contraire impliquent une compréhension
plus précise de celle-ci.
Montrons maintenant la synthèse des résultats collectés sur ces deux procès en gardant à
l’esprit qu’un même procès interprétatif peut être à la source des deux formes de
reconstruction de types repérés : la généralisation et la différenciation de types.
Nous présentons ci-dessous la modélisation générale de ces procès.
Troisième chapitre
339
2. Modélisation de la relation entre procès d’inter prétation et d’apprentissage interprétatif de reconstruction de types
Procès d’apprentissage interprétatif de reconstruction de types Redéfinition du domaine de validité des types
Procès interprétatif Conditions de d’apparition du procès d’apprentissage
Différenciation Généralisation Nouvelle contextualisation de la mobilisation type : augmentation de la complexité du faisceau d’indices habituels du type
Repérage d’un nouveau contexte d’apparition d’une nouvelle interprétation occurrente :
ouverture à la différenciation de types si invalidation du type usuel.
ouverture à la généralisation de types si validation du type usuel.
Nouvelle mise en relation pragmatique entre types et concurrence entre types :
mise en relation explicite de la situation avec le contexte d’occurrence et / ou Mise en relation et conflits de plusieurs interprétations dans un dilemme interprétatif
Existence d’un dilemme interprétatif qui apparaît nécessaire d’être tranché aux yeux de l’acteur.
ouverture à la différenciation de types si repérage de contrastes entre la situation occurrence et les situations passées du type
ouverture à la généralisation si repérage de ressemblances entre la situation occurrence et les situations passées du type
Caractérisation des raisons de la survenue de la situation et / ou situation caractérisée par l’utilisation d’un type énoncé
Différenciation : repérage de différence dans les traits profonds de situations considérées comme semblables auparavant Généralisation : repérage de la situation comme un nouveau cas d’un type usuel
Approfondissement de l’interprétation d’une catégorie de situation par l’utilisation d’un type en tant qu’argument
Généralisation du type par intégration d’une interprétation occurrente ou par approfondissement de l’interprétation d’une catégorie de situation
Différenciation : apparition d’une nouvelle interprétation plus discriminante et précise d’un même faisceau d’indices Saut de sens de l’interprétation Généralisation : apparition d’une nouvelle interprétation plus générale d’un même faisceau d’indices
Différenciation : rupture des caractéristiques de la situation prise en compte dans l’interprétation habituellement réalisée jusqu’alors Généralisation : mise en relation d’un faisceau de types qui permet une nouvelle interprétation de la situation plus satisfaisante
Différenciation actualisée de types par énonciation du faisceau de types : création d’un nouveau type
Généralisation actualisée d’un type par énonciation du faisceau de types : création d’un nouveau type
Troisième chapitre
340
3. Procès d’apprentissage interprétatif : contextua lisation et nouvelles mises en relation entre types par les procès interprétatifs de conflits entre types
3.1 Procès interprétatifs de conflits entre types, et de contextualisation de la situation
A certains moments de l’enquête les acteurs mobilisent des interprétations différentes et
parfois contradictoires sur la situation à partir d’un même faisceau d’indices. Ces différentes
interprétations traduisent un dilemme interprétatif . L’acteur hésite entre plusieurs
interprétations concurrentes du même faisceau d’indices. Ces conflits d’interprétation
proviennent de la mobilisation de types concurrents pour interpréter la situation. Les conflits
d’interprétations procèdent donc d’un conflit de mobilisation de types (exemple E1, 8-9).
Lorsque les acteurs ne tranchent pas le conflit, mais au contraire trouvent un compromis il n’y
a pas remise en cause des types. Au contraire lorsque les acteurs tranchent le dilemme il y a
une évolution des types. Il y a alors deux grands cas. Pour trancher ces dilemmes le procès
interprétatif mobilise alors soit des comparaisons par ressemblance, ou au contraire des
contrastes entre des catégories de situations (exemple E6/15). Dans le même temps l’acteur
établit un repérage d’éléments particuliers de la situation qui se différencient des
éléments habituels de la catégorie de situation. Il s’ensuit une complexification de
l’interprétation occurrente (Exemple E6/4). Le plus souvent cette complexification est
associée à la faisabilité d’une action en fonction de l’interprétation occurrente.
Les relations de contraste permettent de mieux faire ressortir les éléments semblables entre les
situations et inversement. Le repérage des contrastes facilite la différenciation des situations,
tandis que celui des ressemblances prépare la généralisation de l’interprétation. Ceci a un effet
sur l’apprentissage. Dans le premier cas il y a une ouverture à la généralisation, dans le
deuxième cas à la différenciation. Dans les deux cas, il y a une augmentation de la complexité
des éléments pris en compte dans le type.
L’apparition de ce dilemme interprétatif constitue une condition d’apprentissage interprétatif
pour la reconstruction des types usuels. La façon dont l’acteur va sortir du dilemme est
constituée de plusieurs modalités qui vont intervenir solidairement dans le procès
d’apprentissage. Etudions les.
Troisième chapitre
341
3.2 Le procès d’apprentissage interprétatif de nouv elles mises en relation pragmatique de plusieurs types dans les di lemmes interprétatifs
Dans les dilemmes interprétatifs les acteurs mobilisent des types différents, voire concurrents
pour interpréter la situation. Dans ces moments, les indices de la situation sont interprétés de
deux façons contradictoires en fonction du type mobilisé. En fonction de l’interprétation
choisie la détermination de l’action peut-être totalement différente, voir opposée. Dans ces
moments particuliers de l’enquête les acteurs ressentent ces dilemmes interprétatifs, comme
un tiraillement entre des préoccupations contradictoires (exemple E4/11-2290). Dans ce procès
la mise en relation est produite à travers les interprétations contradictoires. Les types sont
mis en relation par juxtaposition à travers l’hésitation entre plusieurs interprétations (et
non pas dans l’énonciation d’un faisceau de types). Au niveau des procès d’interprétation
cette mise en relation peut déboucher sur deux catégories de résolutions du dilemme. (1) Ils
ne tranchent pas le dilemme interprétatif en adoptant une détermination de l’action en forme
de compromis (exemple E4, 11-22), (2) les acteurs privilégient un des types et font une
interprétation tranchée de la situation (exemples E3, 56/ E6, 7)91. Dans le premier cas, le
compromis redéfinit le domaine de validité du type, en relation avec le repérage du contexte,
nouveau pour l’acteur. Dans le second cas, il y a une ouverture à la différenciation ou au
contraire à généralisation des types usuels mobilisés dans l’interprétation. Cette dernière
possibilité est offerte par la mise en relation pragmatique de types concurrents pour une même
interprétation occurrente, sur la base de cette simple juxtaposition présente dans le procès
étudié ici.
Dans tous les cas, le dilemme fait ressortir des relations soit de ressemblance soit de
contraste avec des situations antérieurement interprétées. Le repérage des contrastes ouvre
vers la différenciation de type, tandis que les ressemblances sont une ouverture vers la
généralisation du type. Ainsi le dilemme interprétatif peut à la fois orienter les procès
d’apprentissage interprétatif soit vers la différenciation, soit vers la généralisation de types.
90 Voir notamment analyse globale de cette enquête 91 D’autres part, nous pensons que les acteurs peuvent dépasser probablement aussi le conflit en trouvant une solution ad hoc originale (mais nous n’avons pas trouvé ce cas dans la mise entre type, mais uniquement dans l’énonciation du faisceau de types)
Troisième chapitre
342
3.2.1 Dans le dilemme interprétatif, le compromis a pporte une redéfinition du domaine de validité du type
Quand l’acteur choisi un compromis (exemple, E4/11-22), la transformation des types est de
l’ordre d’une confirmation/ affaiblissement de croyance dans sa fiabilité. Mais surtout et dans
le même temps, le dilemme produit un effet sur l’apprentissage interprétatif qui est de l’ordre
de la redéfinition du domaine de validité des types mis en relation (exemple E1/8). La
mise en relation des types mobilisés reste implicite pour l’acteur. Ils n’entrent en conflit qu’à
travers les interprétations occurrentes contradictoires qu’ils suscitent. La mise en relation des
types est aussi, pragmatique, et contextuelle. Elle est pragmatique, car elle vise l’évolution
favorable de la situation, par la détermination de l’action en cours ; contextuelle car elle
mobilise des éléments particuliers de l’environnement fonction du type utilisé (exemple
E2/21). Dans le compromis, tout se passe comme si aucun type n’était vraiment invalidé,
mais subissait une diminution de la croyance dans leur fiabilité dans le cas précis de
l’environnement où ils sont mobilisés.
3.2.2 Quand l’acteur tranche un dilemme interprétat if, il y a soit une ouverture à différenciation ou au contraire à la généralisati on d’un type
Lorsque l’activité d’enquête apporte un repérage d’indices divergents des attentes il y a un
affaiblissement de la validité d’un type. Dans le cas d’un conflit entre types, cet
affaiblissement de la validité provoque une redéfinition du domaine de validité des types
engagés dans l’interprétation. D’autre part, le repérage d’un contraste entre les conditions de
mobilisation des relations entre types et celles survenues dans les interprétations passées et les
contradictions entre types amène un doute global sur la fiabilité des types engagés, dans le
contexte précis de mobilisation des types (exemple E3, 56). Ceci débouche parfois sur la
construction plus tard d’un nouveau type, qui dépasse ceux mis en relation (exemple E3, 56-
82), en rompant avec les types usuels mobilisés dans la relation.
Il donc possible de considérer rétrospectivement le dilemme interprétatif comme une
ouverture à la différenciation de types dans des conditions ou il est associé à un ou plusieurs
affaiblissements dans la croyance de la fiabilité de types et dans le même temps à repérage de
contrastes entre l’interprétation occurrente et les situations passées.
Au contraire, le repérage d’une ressemblance entre les conditions de mobilisation de cette
relation entre types et les interprétations passées sur fond de validation des types engagés dans
Troisième chapitre
343
leur contexte précis de mobilisation, débouche parfois sur la construction plus tard d’un
nouveau type, qui dépasse ceux mis en relation en les généralisant (exemple E6, 7).
Le dilemme interprétatif constitue ici une ouverture à la généralisation de types dans des
conditions ou le dilemme est associé à un ou plusieurs renforcement dans la croyance de la
fiabilité de types et dans le même temps de repérage de ressemblances entre l’interprétation
occurrente et les situations passées.
3.2.3 Sortir du dilemme : un procès d’apprentissage interprétatif entre plausibilité, engagement et possibilité d’action
Pour trancher le dilemme l’acteur arrête le processus d’interprétation quand il trouve une
interprétation plausible, mais aussi ouvrant sur une action qu’il maîtrise et conforme à son
engagement du moment. La validité d’une interprétation apparaît fonction non seulement de
sa plausibilité mais aussi des possibilités qu’elle offre dans une détermination d’action
(exemple E2/21).
Pour ce faire, le procès d’interprétation néglige certains éléments de la situation pour
rechercher une interprétation cohérente avec l’engagement, mais aussi avec les moyens
opératoires dont dispose l’acteur. A l’inverse la focalisation de l’acteur se porte
préférentiellement sur les éléments de la situation corroborant l’interprétation occurrente.
Les moyens opérationnels ne se présentent pas comme les conclusions logiques, rationnelles
et appliquées de l’interprétation de la situation, mais sont ici des constituants solidaires de
l’interprétation et de l’apprentissage interprétatif (Exemple, E2/22-24). En effet, lorsque
l’interprétation est choisie, elle constitue de fait un renforcement de la croyance dans la
fiabilité du type (si l’action solidaire de l’interprétation conduit à un résultat positif) ; alors
même que ce procès est basé autant sur les possibilités performatives qu’offre l’interprétation
que sur sa plausibilité.
Ceci nous conduit à dire que le renforcement de la croyance dans la fiabilité du type
parallèlement à son pouvoir d’interprétation plausible, est aussi un renforcement de sa validité
pragmatique, c'est-à-dire de la capacité du type pour l’acteur, à entraîner la détermination
d’une action efficace, c'est-à-dire conforme à l’engagement du moment pour l’acteur.
Ce fait, maintes fois repéré, amène à penser que l’apprentissage interprétatif est encadré en
« amont » par la mobilisation de l’engagement, et en « aval » par la validation pragmatique
(pouvoir de compréhension de la situation, et de production d’actions valides).
Troisième chapitre
344
L’engagement définit la précision de l’interprétation requise, le développement des types
nécessaire pour l’action en cours. La validation pragmatique permet de tester le pouvoir de
compréhension qu’offre le type sur la situation. Mais aussi et parfois surtout, elle permet de
pouvoir mobiliser efficacement les procédures pratiques d’intervention sur la situation dont
dispose l’acteur. La validation ou l’invalidation du type est au moins fonction de ses
différents paramètres. Ceci explique en grande partie l’indifférenciation relative
qu’entretiennent les acteurs au sujet du pouvoir de compréhension que revêtent les règles
d’action et les types. Une règle d’action (qui n’est en fait qu’une typification de la
détermination de l’action), a en définitive aussi un rôle interprétatif et peut tenir lieu de type92.
Cette contextualisation pragmatique du type est une ouverture à la différenciation ou à la
généralisation. L’acteur tranche le dilemme et dans le même temps repère les conditions
spécifiques de la situation dans lesquelles le type est validé ou invalidé.
3.2.4 Le procès de contextualisation du type Ce procès produit une complexification et une diminution (ou une augmentation) du
domaine de fiabilité d’un type usuel, par la prise en compte de la spécificité de la situation
dans laquelle il est mobilisé. La contextualisation du type quand elle est associée à une
diminution de fiabilité du type est un procès de différenciation, car en montrant les limites des
types dans certaines conditions, elle ouvre la possibilité à la création de nouveaux types plus
approfondis que les types usuels originaux.
Quand le procès d’interprétation permet la détection d’un faisceau d’indices inhabituels et
contraires aux attentes, associé à une détermination explicitement de la situation, le type subit
en retour une transformation (exemple E4/37-44). Il y a une mise en relation des conditions et
du contexte particulier d’occurrence de cette situation dans ce qu’elle a de typique93 avec le
type (exemple E3/47-48). Ceci conduit à une complexification du type (exemple E6/4) par
cette contextualisation du type. Cette complexification par l’ajout de conditions particulières
qui enrichissent mais nuancent dans le même temps le domaine de validité du type, est dans le
même temps une ouverture à l’apprentissage. La plupart du temps ce procès est suivi d’une
recherche par l’acteur d’une détermination des raisons de la survenance de l’occurrence (voir
procès suivant) (exemple E3/47/48).
92 Ceci explique aussi les difficultés de codification des données. Quelque fois il est impossible de savoir s’il on a à faire à un type ou à une règle d’action, car si la formulation de l’acteur amène à la caractériser comme une règle d’action, son utilisation pragmatique dans l’interprétation en fait de façon pratique un type ! 93 C’est à dire comme exemplaire de la catégorie de situation identifiée par un type donné
Troisième chapitre
345
Ce procès se produit lorsque la détermination de la situation entraîne une diminution de la
fiabilité du type. En effet, dans ce cas, l’acteur perçoit la situation occurrente comme un
contre-exemple de la fiabilité du type. Les conditions d’émergence de la situation sont alors
autant d’indices du manque de fiabilité du type dans ce contexte précis. Les indices
contradictoires deviennent des éléments constitutifs du type (exemple E3/51-52). Ceci
signifierait que cette ouverture à la différenciation de type est solidaire d’une diminution de
fiabilité du type ou du moins du domaine de fiabilité du type.
3.3 Discussion du procès d’apprentissage interpréta tif de complexification, de contextualisation, et mises en relations pragmatiques des types usuels
3.3.1 Augmentation de la complexité, une fonction e ssentielle de l’apprentissage interprétatif
Nous avons vu qu’à certains moments les interprétations produites dans le cours de l’action,
étaient considérées comme vraies et réutilisées comme un simple indice de la situation. Ces
interprétations occurrentes fonctionnent alors comme des assertions garanties (Dewey, 1938/
1993).
Elles étaient alors associées à de nouveaux indices directement perceptibles pour former un
nouveau faisceau d’indices. La forme laconique que prennent les interprétations occurrentes
mobilisées dans un nouveau faisceau d’indices montre le caractère de réduction de la
complexité du faisceau précédemment mobilisé. Cependant cette première réduction de la
complexité - en intégrant de nouveaux indices, parfois divergents des interprétations
occurrentes – permet d’intégrer une complexité croissante. Ainsi parallèlement à la fonction
de stabilité des structures d’assimilation de l’interprétation (Bourgeois et Nizet, 1997),
l’interprétation possède aussi une fonction d’assimilation de la complexité dans le procès
d’apprentissage.
3.3.2 Nouvelle mise en relation entre types dans le s dilemmes interprétatifs : une ouverture à la reconstruction des types
Les dilemmes interprétatifs se présentent comme des conflits cognitifs basés sur une
dissonance cognitive (Festinger, 1957) concernant une multiplicité de déterminations
possibles de la situation. Mais ces dilemmes ne sont pas d’ordre contemplatif, ils concernent
aussi les déterminations d’actions associées aux interprétations occurrentes. Ils ne sont pas
non plus uniquement mentaux, car ils revêtent aussi une dimension perceptuelle. En effet, les
dilemmes interprétatifs sont aussi des conflits de perception de situations qui apparaissent à
Troisième chapitre
346
l’acteur comme ambiguës. Pour trancher ces dilemmes, l’acteur les rapproche de situations
passées, ou plutôt de la forme habituelle prise par une certaine catégorie de situations dans ce
qu’elles ont de plus significatif. Ce rapprochement est effectué par relation de ressemblance
ou de dissemblance avec la forme prise par une catégorie de situations.
Nous faisons l’hypothèse que le type subsume des situations ressenties par l’acteur comme
similaires dans une forme moyenne. Cette conception provient des travaux issus de la
sémantique du prototype appliquée à la catégorisation et à l’interprétation de scènes visuelles
(Dubois, Mazet, Fleury, 1988 ; Dubois, 1993 ; Kleiber, 1991). Pour ce courant l’interprétation
se fait par rapprochement à une forme moyenne fonction d’une intention en cours. De ce point
de vue, nous considérons que le type usuel (type qui préexiste avant l’interprétation et qui fait
l’objet de plusieurs inductions) est notamment constitué de cette forme moyenne habituelle
qui permet l’interprétation : une forme interprétante moyenne. Ceci n’est pas le cas du
prototype qui est basé sur l’érection d’une seule situation en type dont la forme interprétante
prototypique prise par celle-ci le constitue.
Nous faisons l’hypothèse supplémentaire, que le dilemme est structuré par la convocation de
deux formes interprétantes moyennes qui ne permettent pas à l’acteur de choisir entre ces
deux formes. Cependant ces dilemmes ouvrent une possibilité d’apprentissage.
Le premier est dans le repérage d’une dissemblance, au moins d’une partie des indices. Cela
conduit à une redéfinition du domaine de validité du type. Ceci signifie que le type subit
une transformation de sa forme moyenne interprétante, pour ne plus reconnaître certaines
situations comme similaires à cette forme, mais au contraire comme similaires à une forme
interprétante différente d’un autre type intervenant dans le dilemme. Ceci conduit à une
différenciation de type, qui n’est vraiment possible que lorsqu’il y a émergence d’un nouveau
type concurrent du premier, même s’il est hypothétique. Au contraire dans le cas d’un
jugement de ressemblance avec une nouvelle situation relativement éloignée au départ
(notamment au niveau des attentes), la redéfinition du domaine de validité du type conduit à
une intégration comme un nouveau cas appartenant à la même catégorie identifiée par le type.
Ceci conduit au contraire à une généralisation du type, c'est-à-dire à une extension des
situations entrant dans l’interprétation de ce type.
Troisième chapitre
347
4. Procès d’apprentissage interprétatif : intégrati on d’une interprétation occurrente au type et approfondissem ent de l’interprétation d’une catégorie de situation
4.1 Procès interprétatifs : caractérisation de la s ituation par l’utilisation d’un type énoncé et par les raisons d e survenance de la situation
La détermination explicite de la situation peut-être associée à une caractérisation des raisons
de survenance d’une situation sans surprise. Cette détermination des raisons plausibles de la
survenance de la situation peut-être en relation avec un type usuel explicité. Dans ce cas (sans
surprise de la mobilisation d’un type usuel) ce procès correspond à une confirmation du type
(exemple E1/3). Cependant lorsque la survenance du faisceau d’indices est surprenante pour
l’acteur, la détermination des raisons de survenance de la situation, constitue une possibilité
d’apprentissage. En effet, la surprise marque une divergence avec les attentes de l’acteur
(exemple E6/6). Or les attentes proviennent de l’actualisation des types usuels dans
l’interprétation. La surprise est donc le sentiment associé au choc d’une non pertinence de
l’actualisation d’un type dans l’interprétation d’un faisceau d’indices. Ceci constitue une
possibilité d’apprentissage que nous étudierons plus tard.
D’autre part, ce procès interprétatif est associé à une détermination de règles d’action
(exemple E6/6). Tout se passe comme si la détermination des raisons de l’occurrence tenues
pour vraies par l’acteur, permettait cette détermination plus facile de règles d’action associées.
Cette détermination des raisons de survenance de la situation est une détermination explicitée
des traits profonds et non plus seulement des traits de surface de la situation. Celle-ci permet
la mise en relation d’autres situations présentes ou / et passées sur la base de ressemblances /
contrastes entre les situations, mais aussi sur celle des traits profonds de la situation. Ce
passage à la détermination de la situation par les traits profonds de la situation est une
ouverture à la possibilité de la survenance de nouveaux types.
4.2 Conditions d’apprentissage interprétatif Les conditions d’apparition de l’apprentissage interprétatif sont de l’ordre du repérage de
différences dans les traits profonds de situations considérées comme semblables (avant pour
la différenciation). Pour la généralisation c’est au contraire soit le repérage de ressemblance
dans les traits profonds de situations considérées comme différentes auparavant, ou le
repérage d’une situation comme un nouveau cas d’un type usuel par ressemblance des traits
superficielles de celle-ci.
Troisième chapitre
348
4.3 Procès d’apprentissage interprétatif d’intégrat ion d’une interprétation occurrente au type
Un effet sur l’apprentissage est produit, lorsque l’acteur produit une interprétation occurrente
et associe explicitement le type à cette interprétation. Quand l’interprétation occurrente est
sans surprise, cela produit au moins une confirmation de la validité du type.
Cependant cela peut aussi produire un début de généralisation du domaine de validité du type,
c'est-à-dire une possibilité accrue d’interprétation d’une nouvelle catégorie de situations,
quand l’interprétation occurrente repose sur des indices inattendus et qu’elle est donc une
surprise pour l’acteur (exemple E6/5).
En effet, la surprise est un marqueur et un déclencheur de la contradiction du type usuel
mobilisé dans l’interprétation. En intégrant le nouvel exemple de situation auquel il est
appliqué, le type s’enrichit de l’exemple de cette nouvelle interprétation occurrente. Ceci
ouvre la possibilité d’interpréter à l’avenir toutes les situations suffisamment semblables au
nouvel exemple de situation. Le type a donc acquis une nouvelle possibilité d’interprétation
plus large.
4.4 Procès d’apprentissage interprétatif d’approfon dissement de l’interprétation d’une catégorie de situation ; gén éralisation et différenciation
4.4.1 Une généralisation de types par détermination des raisons de la survenance de la situation
Dans cette intégration d’une interprétation occurrente surprenante, les acteurs cherchent
parfois à caractériser le fonctionnement de la situation. Tout se passe comme si, face à cette
surprise ils tentaient de comprendre les raisons de la survenance de la situation qui les
surprend. Evidemment cette détermination des raisons de la survenance de la situation n’est
pas toujours actualisée. L’acteur ne cherche à déterminer ces raisons que si l’enjeu de la
situation pour l’acteur vis-à-vis de son engagement est assez important ; ou plutôt si les
enjeux de la découverte des raisons de la survenance de la situation sont assez importants
relativement à l’engagement de l’acteur (exemple E6/6).
Cette détermination des raisons de la survenance de la situation est une caractérisation des
traits profonds de la situation et non plus seulement des traits de surface (les faisceaux
d’indices) : C’est une détermination de la structure profonde de la situation. Celle-ci a un effet
sur la typification. Les acteurs dans cette activité de détermination particulière tâtonnent et
Troisième chapitre
349
donnent plusieurs versions de la structure profonde de la situation. Progressivement, ils en
donnent une version au contenu plus laconique. Cette version laconique sert quelque fois à
rebours à une réinterprétation des indices de la situation (exemple E6/12). Ceci montre que
cette forme laconique de la structure profonde de la situation est devenu un type.
Ce nouveau type, plus abstrait que l’interprétation occurrente qu’il a eu pour base, est une
interprétation de cette interprétation occurrente, mais aussi éventuellement d’autres
interprétations passées. Cette réunification de ce faisceau d’interprétations par le même type
montre ici le caractère de généralisation du type (exemple E6/13). Nous assistons donc à un
procès d’apprentissage en boucle : la typification faisant évoluer le type, ce qui produit une
resémiotisation des mêmes faisceaux d’indices , l’évolution des interprétations occurrentes,
servant de base à nouvelle typification, par une nouvelle interprétation des interprétations
occurrentes, etc… (Exemple E6/14-15).
4.4.1.1 Ce procès d’apprentissage intègre la détermination de l’action et la création de règles d’action
La détermination des raisons de la survenance de la situation, est le plus souvent associée, à
une règle d’action, y compris nouvelle dans le cas d’un nouveau type (exemple E6/6,15).
Tout se passe comme si la détermination des raisons de la survenance de la situation, tenues
pour vraies par l’acteur, permettait une détermination plus facile des règles d’action associées
au type (exemple, E6/6). A l’inverse les règles d’action et leurs déterminations entrent dans le
procès de typification. En effet, le résultat de l’utilisation de ces règles d’action apparaît
comme un moyen de validation du type. Les règles d’action sont remises en cause pour tenir
compte de l’interprétation de la situation. Les déterminations d’action font évoluer
l’engagement de l’acteur et par-là même l’interprétation de la situation. Quand la pertinence
de la règle d’action est validée pour l’acteur, celle-ci oriente en retour l’interprétation de la
situation et donc l’évolution du type. L’apprentissage interprétatif se présente dans un
processus itératif entre une évolution de l’interprétation de la situation et une évolution de la
détermination de l’action, solidaire d’une construction d’une règle d’action (exemple E6/15).
4.4.1.2 Ce procès intègre de plus en plus de complexité, par les anciennes interprétations prises comme des indices de la situation présente
Les modélisations des dynamiques d’apprentissage interprétatif montrent une intégration des
interprétations précédentes comme indices utilisés dans certaines interprétations occurrentes
(exemple dynamique E6). Tout se passe comme si le procès d’interprétation gagnait en prise
en compte de la complexité par l’intégration des anciennes interprétations, dans
l’interprétation occurrente. Ces anciennes interprétations sont prises en compte comme des
Troisième chapitre
350
indices de la situation considérés comme vrais, au même titre que le repérage des indices
prélevés dans l’environnement pour constituer la situation. Ceci permet d’intégrer un nombre
croissant d’éléments dans la forme économique que représente l’interprétation (et non sous la
forme de faisceau d’indices). C’est sur ce fond que le repérage d’une interprétation occurrente
inattendue, va produire une modification du type pour comprendre cette surprise. Cette
modification peut–être seulement une modification du domaine de validité du type (réduction
de la généralité associée à une différenciation de type), mais aussi dans le même temps une
augmentation d’un domaine de validité (mais différent de celui du type d’origine), (exemple
dynamique E5).
4.4.2 Une différenciation de type par détermination des raisons de la survenance de la situation situations
Ce procès d’apprentissage interprétatif produit, un approfondissement de l’interprétation
d’une catégorie de situations par l’utilisation d’un type énoncé en tant qu’argumentation de
l’état des situations considérées.
A certains moments les acteurs se focalisent sur les conditions d’occurrence de la situation. Ils
apportent des réponses à la question de savoir pourquoi la situation est apparue, telle qu’ils
l’interprètent. Si cette détermination des raisons de la survenance de cette situation n’est pas
associée à un sentiment de surprise, l’apprentissage interprétatif est de l’ordre de la
confirmation du type (exemple E1/3). Il arrive cependant que ce procès interprétatif soit
associé à une surprise, due à une différence de l’interprétation occurrente par rapport aux
attentes. Dans le cas où l’acteur convoque explicitement le type, ce procès ouvre la possibilité
d’une détermination des raisons (aux yeux de l’acteur) de la survenance - non plus de la
situation particulière - mais de la catégorie de situations à laquelle appartient l’occurrence. Le
type apparaît alors comme l’argumentation des raisons de la survenance de cette catégorie de
situations. Se faisant il subit ce que nous avons appelé un approfondissement. En effet, le
type n’est plus seulement prédicatif (cette situation est celle-là), il devient argumentatif
(cette situation est celle-là, car…). En déterminant des raisons à la survenance de la catégorie
de situations, l’acteur dépasse la caractérisation des situations identifiées par le même type à
partir de leurs traits de surface, pour déterminer les traits profonds de ces situations (Exemple
E1/4). L’utilisation du type devient alors un argument qui articule plusieurs prédicats
(Exemple E6/6).
Ce procès se produit par intégration des interprétations successives sur la même situation dans
une forme plus laconique et plus approfondie. Cet approfondissement permet une
différenciation de la catégorisation des situations (exemple E1/4). Mais cette interprétation
Troisième chapitre
351
plus générale à une catégorie de situations implique une généralisation du type, elle apparaît
comme une interprétation de (ou des) interprétation (s), en cours.
Le procès d’approfondissement du type est donc à la fois un procès de généralisation et de
différenciation. En d’autres termes, les procès de généralisation et de différenciation des types
sont les deux faces d’un même procès d’approfondissement.
Ce procès peut déboucher sur la détermination d’un nouveau type qui peut être hypothétique
(exemple E1/8). Il peut devenir un type dont la croyance dans la fiabilité est élevée lorsqu’il
est confirmé par la suite, et s’il peut aussi apporter des interprétations plus valides que les
types plus anciens (voir procès suivant).
Ce procès d’apprentissage interprétatif peut fonctionner aussi à rebours. L’approfondissement
du type, peut-être de nouveau mobilisé pour interpréter une situation passée. Dans ce cas, ce
procès d’interprétation rétrospectif, constitue une vérification de la validité du type. Si celui –
ci permet de comprendre de façon satisfaisante la situation et son évolution connue (puisque
la situation est passée), la croyance dans sa validité peut en sortir augmentée (exemple E4/9).
Ainsi les procès d’interprétation et d’apprentissage interprétatif sont liés. Les premiers
permettent l’approfondissement des types tandis que les seconds permettent une anticipation
accrue par une discrimination plus importante des situations.
D’autre part, la détermination des raisons de la survenance de l’occurrence est la plupart du
temps associée à des règles d’action. Tout se passe comme si cet approfondissement de type
facilitait la détermination de règles d’action (exemple E6/6).
4.5 Discussion du procès d’apprentissage interpréta tif d’approfondissement du type
Nous avons vu qu’à certains moments de l’enquête les procès interprétatifs identifiaient les
raisons de la survenue de la situation, du point de vue de l’acteur. Ceci correspond à un procès
typiquement abductif. En effet la détermination de la situation est connue, et est considérée
comme vraie, mais la recherche des raisons de cette survenue amène, compte tenu des indices
de la situation, une détermination de la règle sous jacente à l’apparition de la situation.
Troisième chapitre
352
Ce ne sont plus seulement les traits de surface de la situation qui sont repérés, mais aussi sa
structure profonde, c'est-à-dire les règles de survenue de celle-ci.
De cette détermination abductive, l’acteur peut à partir de ce cas, identifier ensuite par
induction une règle de survenue de la classe de situations en rapport avec la détermination de
la situation, qui transforme le type. Au contraire, l’acteur peut considérer qu’une situation qui
faisait partie d’une catégorie donnée, n’en faisait plus partie, sur la base de la structure
profonde de la situation. Ceci transforme bien évidement le type. Nous avons là aussi un
procès de redéfinition du domaine de validité du type qui conduit soit à une généralisation,
soit à une différenciation de type. Mais ce procès est produit par un procès
d’approfondissement du type et non plus par une induction, ou l’exclusion de la forme
typique d’une situation donnée, sur la base des traits de surface. Ce nouveau procès de
généralisation des types est une alternative au seul procès d’induction repéré jusqu’alors dans
le cadre sémiologique de l’apprentissage situé (Sève et al., 2002; Theureau, 2006).
Ceci marque un changement fondamental dans les procès d’apprentissage interprétatif.
Perruchet et Pacton (2004), déterminent deux types d’apprentissage à l’œuvre dans l’activité.
Le premier déjà décrit dans la création des types prototypiques, est effectué par repérage des
traits de surface de la situation. Le deuxième consiste à inférer les règles sous jacentes
régissant la situation. Ces auteurs plaident pour l’importance quasi exclusive du repérage des
traits de surface dans les apprentissages implicites. Nos résultas montrent au contraire que les
deux procès d’apprentissage peuvent cohabiter, et ne sont pas exclusif l’un de l’autre dans des
contextes naturels d’action et d’apprentissage. A certains moments, les acteurs recherchent
des structures profondes aux situations déterminées par l’interprétation occurrente.
Ceci affecte le type qui est approfondi. Il n’est alors plus seulement une forme interprétante
créée à partir des traits de surface de la situation, mais aussi à partir des éléments abstraits de
la situation inférée à partir de l’abduction. De façon analogue à la notion de concept
pragmatique avancée par Pastré (1999), la détermination de cette structure profonde
représente la partie abstraite du type, en complément de la partie concrète représentée par la
forme prise habituellement par le faisceau d’indices.
Ces résultats entrent en contradiction par rapport aux travaux sur les apprentissages
implicites. Dans les situations naturelles, l’apprentissage interprétatif n’est pas seulement basé
sur le repérage des formes prises par les situations à partir d’une sensibilité à la régularité
statistique. Il est aussi constitué de procès d’apprentissage interprétatif que nous appelons
Troisième chapitre
353
« approfondissements de types », qui déterminent une structure organisatrice de la survenue
des situations déterminées par le type : les structures profondes de la situation.
Cependant cet approfondissement n’est pas toujours nécessaire. Il est probablement plus
coûteux cognitivement, réclame un passage au plan prédicatif et demande donc plus de temps
pour être opéré, que le repérage de la forme de la situation. Cet approfondissement pour
survenir, réclame donc des conditions spécifiques. L’acteur doit en ressentir le besoin, c'est-à-
dire qu’il doit ressentir une insatisfaction dans son interprétation à partir des traits de surface.
Il doit en avoir le temps objectivement mais aussi subjectivement parlant. La pression
temporelle peut être objective, du fait du caractère dynamique94 de la situation. Mais elle peut
être aussi subjective, du fait de la planification que l’apprenti se donne et qui est trop
importante pour le temps imparti, et notamment dans un contexte social d’ostentation de
compétences dans une prestation publique (Zeitler, 2001a).
5. Procès d’apprentissage interprétatif : différenc iation / généralisation d’un type par énonciation du faiscea u de types
5.1 Procès interprétatif : Saut de sens de la situa tion
5.1.1 Un procès interprétatif procédant d’une nouve lle interprétation plus générale de la situation
Le procès interprétatif fait parfois survenir une nouvelle interprétation de la situation
occurrente. Il y a alors un changement de sens donné à un même faisceau d’indices qui se
traduit, lorsque l’interprétation est explicitée dans le mode prédicatif, par une transformation
du sens de la situation occurrente. C’est ce que nous appelons un saut de sens de
l’interprétation occurrente. Ce saut de sens peut conduire à une interprétation plus généralisée
de la situation sur la base d’une induction réunissant plusieurs interprétations de la même
situation, notamment à la suite des conflits d’interprétations (exemple, E5/14-16). D’autre
part, l’explicitation de la caractérisation des traits profonds de la situation, par sa logique
argumentative et déductive permet de dépasser la seule ressemblance aux situations proches et
de recatégoriser la situation comme un exemplaire d’une catégorie plus large. Mais ce saut est
aussi le produit solidaire de la déduction pragmatique réalisée à partir de la création d’un
nouveau type (notamment sur la base de la mise en relation d’un faisceau de types, voir plus
loin).
94 Qui évolue plus ou moins rapidement en dehors d’une activité de l’opérateur.
Troisième chapitre
354
5.1.2 Un procès interprétatif fait d’une nouvelle i nterprétation plus discriminante de la situation
Dans le même temps, ce saut est aussi, le résultat d’une discrimination plus importante de la
situation, dont l’interprétation occurrente apparaît plus précise qu’au début du procès
interprétatif. Cette augmentation de la précision de l’interprétation occurrente est le résultat du
procès de caractérisation des raisons de la survenance de la situation (essentiellement
déductif), et du repérage des éléments particuliers de la situation qui différencie la situation
(essentiellement inductif). Comme dans le cas des procès de généralisation, la discrimination
de la situation est solidaire de la transformation du type mobilisé dans l’interprétation.
En résumé les procès interprétatifs dans le mode prédicatif peuvent, lorsqu’ils se développent
jusqu’à leur terme, faire survenir une interprétation occurrente plus générale et plus
discriminante d’un même faisceau d’indices. Ce saut de signification mobilise à la fois des
procès inductifs et déductifs. Parallèlement la transformation du type et de l’interprétation
occurrente est circulaire (exemple E13-15). Les interprétations occurrentes entrent dans la
dynamique du procès interprétatif comme des nouveaux indices. Ceux –ci sont intégrés dans
l’interprétation ce qui produit des modifications du type. Ces nouveaux types modifiés en
étant mobilisés font évoluer l’interprétation occurrente, par une resémiotisation du faisceau
d’indices. Ainsi la transformation du type et des interprétations occurrentes s’influencent-elles
simultanément.
Plus encore cette dynamique circulaire est solidaire de l’action et de sa détermination
(exemple E6/15). Tout se passe comme si la possibilité ouverte de nouvelles déterminations
d’actions validait les sauts de signification des interprétations et les transformations de types
associés. Ce procès interprétatif est solidaire, sous certaines conditions, d’un procès
d’apprentissage interprétatif de différenciation et/ ou de généralisation actualisé de type.
5.2 Procès d’apprentissage interprétatif de général isation actualisée de types par l’énonciation d’un faisceau de types
La survenance d’une interprétation surprenante, amène dans certains cas, outre la recherche
des raisons de survenance de la situation, une tentative d’interprétation adéquate, quand
l’interprétation échappe à l’acteur. Au cours de cette tentative l’acteur réalise de multiples
interprétations à la fois proches, mais différentes de la même situation. Ces multiples
interprétations débouchent parfois sur une interprétation à la fois plus générale et plus précise
de la situation (exemple E5/14-16). Ce procès interprétatif proche de ceux déjà remarqués
plus haut, débouche cependant sur un saut de signification de la situation occurrente, dont le
Troisième chapitre
355
faisceau d’indices change de sens. Ce procès interprétatif peut être en relation avec un procès
d’apprentissage interprétatif fait d’une mise en relation explicite d’un faisceau de types.
5.2.1.1 Une abstraction d’un nouveau type réalisé sur la base d’un raisonnement sur un faisceau de types, en relation avec le procès interprétatif
Les diverses interprétations sont produites par la médiation de divers types, qui peuvent être
d’ailleurs contradictoires entre eux. L’acteur formule parfois le faisceau de types donnant
lieu à l’interprétation globalisante. Ceci fait passer la mise en relation de types du plan du
sens à celui de la signification ; de celui de l’expérience antéprédicative, à celle prédicative de
la catégorisation de la situation. Cette catégorie de procès d’apprentissage interprétatif, intègre
à la fois celui de nouvelle mise en relation pragmatique entre types, et d’élargissement du
type par intégration d’une interprétation occurrente surprenante.
Cependant en formulant explicitement la mise en relation de ce faisceau de types, le procès
d’apprentissage interprétatif est fait de raisonnements portant directement sur la
transformation des types, mais en référence à la situation occurrente.
Tout se passe comme si ce procès d’apprentissage interprétatif permettait le développement
d’une certaine autonomie du développement des types par rapport aux procès d’interprétation
en permettant le raisonnement directement sur des catégories de situations. Ce procès
particulier intègre les deux autres procès d’apprentissage interprétatif du procès de
généralisation de type mais en les rendant explicites. Il peut se dérouler dans le cours même
de l’action (exemple E5/12-16).
Décrivons ce processus. Les acteurs sont en prise à un dilemme interprétatif d’une situation
surprenante, qui produit une mise en relation de types qui sont explicités. Les interprétations
concurrentes de la situation - par la médiation de types anciens et des nouveaux issus
d’expériences plus récentes - fondent un dilemme interprétatif explicite faisant appel aux
expériences passées. Face à l’interprétation surprenante de la situation, et à la concurrence des
nouveaux types, les plus anciens subissent un affaiblissement de fiabilité. Les nouveaux types
d’abord essentiellement hypothétiques gagnent progressivement en croyance dans leur
fiabilité tout en se transformant et en prenant une partie des éléments constitutif des anciens
types. Ce procès peut se terminer par la survenance d’un nouveau type plus général que les
types qui ont servi à son élaboration, qui apparaît plus valide aux yeux de l’acteur pour la
catégorie de situations dont un exemplaire est en cours (exemple E5/12-16 ; E6/ 5-7). Mais ce
Troisième chapitre
356
procès n’est pas uniquement « cognitif ». Il est aussi pragmatique. Le développement du
nouveau type généralisé, se réalise aussi par l’observation de l’évolution de la situation
fonction des déterminations d’actions solidaires des interprétations (exemple E5/15-16). Ainsi
le procès de mise en relation explicite d’un faisceau de types peut ne pas être seulement un
« procès en pensée », mais bien aussi « en action ». Tout se passe alors, comme si ce procès
intégrait les autres procès de construction de types antéprédicatifs, mais qu’en plus il
permettait par la médiation du langage, des opérations directement organisées sur les types et
les catégories de situations.
Ce procès d’apprentissage interprétatif mobilise donc des procès d’abstraction qui subsume
un faisceau de types dans un nouveau type.
5.3 Procès d’apprentissage interprétatif de différe nciation actualisée de types par l’énonciation d’un faisceau de types
Ce procès d’apprentissage interprétatif produit l’apparition d’un nouveau type par rupture
avec les caractéristiques de la situation prise en compte dans l’interprétation. Il y a la création
d’un nouveau type plus pertinent pour l’acteur, notamment pour résoudre un dilemme
interprétatif (exemple E6/13). Un processus mobilise des nouveaux types au départ
hypothétiques et concurrents des types usuels. Progressivement un nouveau type est créé à
partir de ce faisceau de types qui se différencie de chacun des types du faisceau. Il reprend
certains éléments des types du faisceau pour former un type original, différencié des types de
départ (exemple E5/12-16,25).
Ce procès naît d’un dilemme interprétatif qui fait émerger un faisceau de types
contradictoires pour interpréter la situation. Ce procès intègre aussi les deux autres procès de
différenciation précédent. Il intègre des contextualisations de types et des
approfondissements. Mais sa spécificité tient au fait qu’il intègre ces deux autres procès dans
la mise en relation de plusieurs types dans un faisceau.
Comme dans le procès de généralisation il existe un va et vient permanent entre le procès
interprétatif et d’apprentissage interprétatif. Le type initial est déjugé par une interprétation
occurrente qui crée un sentiment de surprise et un dilemme interprétatif. L’acteur met alors en
relation des types concurrents du type initial et des interprétations surprenantes. Il effectue
des interprétations de deuxième niveau sur ce faisceau interprétatif . Ceci l’amène à
déterminer un type plus performant qui subit un procès d’approfondissement. Ce type reprend
des éléments des différents types et interprétations mobilisées dans le faisceau. Il apparaît
Troisième chapitre
357
alors différencié du type initial (exemple E5/12-16). Ce procès peut se reproduire à partir de
ce nouveau type usuel. Il s’ensuit une nouvelle étape de différenciation / généralisation. Il
s’agit donc d’un procès itératif qui procède par interprétation de faisceaux d’interprétations
passées et de types.
5.4 Le caractère itératif du procès interprétatif e t d’apprentissage La transformation du type et de l’interprétation occurrente à ce niveau peut-être circulaire. En
effet, une interprétation occurrente peut produire l’apparition d’un nouveau type, qui
amène en retour la transformation de l’interprétation occurrente. C’est à dire que le
même faisceau d’indices ayant servi dans la première interprétation est réutilisé et sémiotisé
de façon différente et en fonction du nouveau type (exemple dynamique interprétative de
l’enquête 6). Dans ce cas les interprétations précédentes dans la dynamique interprétative sont
reprises comme des indices d’une nouvelle interprétation que l’acteur cherche à déterminer. Si
le procès aboutit, cette nouvelle interprétation est plus générale et plus discriminante que
celles qui ont permis sa détermination (exemple E6, 12-13).
5.5 L’unité du procès de généralisation / différenc iation Ce procès d’apprentissage interprétatif de généralisation / différenciation de types apparaît
comme un procès d’interprétation sur des faisceaux d’interprétations occurrentes plus ou
moins typifiées, et de types usuels, ou hypothétiques.
L’effet de ce procès d’apprentissage interprétatif sur l’interprétation est l’apparition d’un saut
de sens donné au faisceau d’indices de la situation occurrente. Donc à l’apparition d’une
nouvelle situation sur la base du même faisceau d’indices (exemple E1/4 ; E6/13).
5.6 Les conditions de survenance de ces procès d’ap prentissage Ce procès survient dans des conditions particulières : (1) Il y a une explicitation des types en
jeu dans les interprétations. (2) Cet explicitation se fait à partir d’interaction verbales (avec le
chercheur (exemple E3/82), ou avec un co-acteur (exemple le tuteur E5/12-16). (3) De plus
cet échange porte sur les indices de la situation, et (4) laisse libre l’acteur de son
interprétation, sans jugement normatif sur celle-ci. (5) L’interlocuteur facilite au contraire
l’expression des dilemmes interprétatifs et de la surprise devant certaines interprétations
occurrentes. Les conditions sociales de l’interaction permettent à l’acteur l’expression de ses
doutes, surprises et dilemmes. (6) Le dialogue met à distance l’urgence de la situation pour se
concentrer sur son interprétation. (7) Elle facilite et fait émerger la transformation des types,
indexée aux interprétations occurrentes des situations.
Troisième chapitre
358
(8) Enfin quand l’engagement de l’acteur est orienté vers son apprentissage interprétatif et
non plus seulement l’intervention dans la situation, l’explicitation des types est facilitée.
L’ensemble de cette configuration semble faciliter une posture réflexive de l’acteur sur ses
propres apprentissages interprétatifs. A l’extrême cette configuration peut être considérée par
l’acteur comme une situation d’apprentissage interprétatif. L’interprétation prend alors pour
objet la transformation des interprétations et des types concernés (exemple E5).
Ces données montrent toute l’importance du contexte social dans lequel l’expérience
interprétative se développe pour les procès d’apprentissage interprétatif95.
5.7 Discussion du procès d’apprentissage interpréta tif de différenciation / généralisation par énonciation du faisceau de types
5.7.1 Dynamique différenciation / généralisation : reconstruction de types Le procès de reconstruction de types usuels procède non seulement d’une généralisation des
types (augmentation du pouvoir d’interprétation d’un type d’une classe de situations plus
nombreuses) mais aussi d’une différenciation (décomposition d’un type, en types plus
nombreux et moins généraux, mais plus précis et plus satisfaisants dans l’interprétation). Les
deux procès fonctionnement ensemble et procèdent de sous procès qui sont : (1)
l’augmentation de la complexité du faisceau d’indices habituellement interprété par le type ;
(2) de nouvelles mises en relation entre types dans les dilemmes interprétatifs, (3)
l’approfondissement de l’interprétation d’une catégorie de situations par l’inférence des traits
profonds de la situation et le repérage de nouveaux cas appartenant à un type usuel, (4)
création actualisée d’un nouveau type plus général et / ou différencié par la mise en relation
d’un faisceau de types.
La généralisation ne se fait pas seulement par induction, mais aussi par abduction
(approfondissement de l’interprétation occurrente puis intégration d’autres cas similaires mais
sur les traits profonds de la situation). Les inférences déductives s’intègrent dans le cours
même de l’action et de l’apprentissage par le statut de mise en œuvre des types en cours de
reconstruction, et permet ainsi leurs tests.
Sur quels sous–procès la différenciation et la généralisation sont-elles basées et comment
fonctionnent chacun des ces sous-procès, sont les questions auxquelles nous allons tenter
d’apporter des réponses.
95 Nous reviendrons en détail sur cette dimension sociale de l’apprentissage interprétatif plus loin.
Troisième chapitre
359
5.7.1.1 La mise en relation d’un faisceau de types La mise en relation de types permet la construction d’un nouveau type. Ils sont constitués de
chaîne d’inférence abductive, inductive, et déductive mais à partir de la mise en relation
explicite de types. Ce procès d’énonciation permet une relative autonomisation des procès
d’apprentissage par rapport à l’action immédiate. Ceci permet notamment de faire des
expériences en pensée (imaginer des situations similaires notamment vécues). Ceci permet
aussi de réaliser des opérations de généralisation directe du type, en passant par le plan
symbolique, grâce à la prédication des situations rattachées au type. Le rattachement à la
situation en cours est alors davantage de l’ordre de la vérification de la validité du type qui est
en cours de reconstruction, que d’une véritable induction. Le procès est ici aussi déductif, la
situation n’étant plus considérée que comme en exemple de la validité de la reconstruction du
type.
Cependant nous avons vu à quel point ces procès demandaient des conditions très
particulières, tout aussi rares et difficiles à réunir, mais dont les effets étaient proprement
spectaculaires. Nos données nous incitent à nuancer les conclusions de Sève (Sève et al.,
2002), sur la quasi absence des procès déductifs y compris formels. Il est clair que dans une
situation de forte contrainte temporelle (comme celle des pongistes de haut niveau en cours de
match officiel) les inférences déductives, par le temps et la décentration cognitive qu’elles
réclament, ne peuvent pratiquement pas apparaître. Pas plus d’ailleurs que n’apparaissent
l’utilisation de concepts dans les procès de décision sous fortes contraintes temporelles (Hoc
et Amalberti, 1994). Mais dans les activités d’enseignement - pourtant considérés comme se
déroulant dans des situations dynamiques (Allègre et Dessus, 2005 ; Perrenoud, 1996) -
lorsque les contraintes temporelles sont affaiblies (y compris de façon artificielles), des
inférences déductives peuvent avoir lieu et porter directement sur les types et leur
reconstruction, tout en étant référées à la situation occurrente. Nous assistons alors à un
tourbillon d’inférences déductives, associées ou intégrant des abductions, des inductions.
Ce procès porte spécifiquement sur une transformation des heuristiques d’accessibilité
(Khaneman et Tversky, 1973), mais porte directement sur l’heuristique elle-même.
Troisième chapitre
360
6. Conclusion sur les apprentissages interprétatifs
6.1 La complexification des types : un procès commu n aux deux procès de généralisation et de différenciation des types
Dans les différents procès la complexification des types apparaît comme un procès constant et
transversal à la reconstruction des types. Pour le premier procès de mise en relation implicite
de types, ce sont les conditions particulières nouvelles qui sont intégrées et qui fondent soit la
différenciation, soit la généralisation des types. Dans le second, l’intégration d’une nouvelle
interprétation occurrente dans la généralisation ou au contraire l’approfondissement du type,
lui apporte de nouveaux éléments. Enfin l’énonciation du faisceau de types est produite
notamment par des procès d’interprétation sur des interprétations tenues pour vraies. Ce
procès intègre ainsi une complexité croissante dans une forme laconique des interprétations et
des types. Dans ce dernier procès l’apprentissage interprétatif est essentiellement prédicatif et
symbolique et fonctionnent sur la base d’interprétations prenant une ou plusieurs autres
interprétations occurrentes, comme indices. Ceci permet une réduction du nombre des indices
tout en conservant une augmentation de la complexité prise en compte.
6.2 Un méta apprentissage interprétatif accompagnan t l’apprentissage interprétatif ?
Tout se passe comme si l’intention d’apprendre, par une transformation de l’engagement,
organisait de façon particulière l’apprentissage, en orientant de manière différente l’activité
d’enquête. La transformation des engagements dans une activité non plus fonctionnelle mais
visant explicitement l’apprentissage, facilite ce dernier. Alors même que les souhaits ne sont
pas déçus, l’apprentissage devient possible, mais les attentes doivent être surprises toutefois.
Nous avons vu que cette activité d’enquête pouvait s’accompagner d’une réflexion de l’acteur
sur son activité interprétative, mais au-delà sur ses propres procès d’apprentissage (exemple
E4, 3 ,9,19,23).
Ce constat nuance les conceptions de l’apprentissage implicite selon lesquelles l’intention
d’apprendre n’est pas nécessaire à l’apprentissage. Certes celle-ci n’est pas toujours
nécessaire. Mais quand cette intention est présente ceci transforme alors considérablement
l’activité d’apprentissage dans le cours même de l’action et correspond à une expérience que
nous qualifions de deuxième niveau. Nous entendons par là qu’il s’agit d’une expérience
portant sur l’expérience interprétative elle-même. Ceci nous semble nous rapprocher de
l’hypothèse théorique développée par Theureau (2006), concernant la construction d’un méta
Troisième chapitre
361
interprétant pratique. C’est dans l’action et pour celle-ci que l’acteur développe un type sur la
manière de mieux observer et interpréter la forme de situation occurrente.
Mais l’acteur va plus loin dans son apprentissage interprétatif. Cette première mise en type est
elle-même prise comme objet et débouche sur un type de deuxième niveau relatif à la stratégie
même d’apprentissage interprétatif. Nous rapprochons ce procès d’apprentissage interprétatif
de la notion de méta-interprétant symbolique (Theureau, ibid.). Cet apprentissage interprétatif
est fait d’un discours privé de l’acteur, mais plus encore il ne fait plus référence au coté
fonctionnel de la situation, mais aux possibilités d’apprentissage ouvertes par la situation.
Ainsi l’activité de l’acteur, lorsqu’elle est orientée par des engagements d’apprentissage et est
accompagnée d’une certaine prise de conscience peut déboucher sur une mise en types de
l’activité d’apprentissage interprétatif elle-même, qui nous semble être catégorisée par ailleurs
comme la construction de méta-interprétants.
6.3 Apport de cette recherche au cadre sémiologique Les résultats de cette recherche amènent un certain nombre de confirmations mais aussi
d’évolutions par rapport au cadre théorique de départ sur l’apprentissage interprétatif (Sève,
2000, Sève et al., 2002, Theureau, 2000).
L’architecture globale de la création de types est confirmée. Nous avons retrouvé les procès
de vérification de types usuels (renforcement / affaiblissement du type), construction d’un
nouveau type sur la base: (1) d’une seule observation, (2) de plusieurs cas, (3) d’une mise en
relation de types.
Cependant, le point de vue de cette recherche est différent. Cherchant à comprendre les procès
d’apprentissage interprétatif, nous avons été amenés à établir une modélisation globale assez
différente du cadre d’origine.
(1) Nous avons établi une modélisation des relations entre les procès interprétatifs et ceux
concernant l’apprentissage interprétatif. (2) Nous avons modélisé l’apprentissage interprétatif
en deux grandes catégories de procès : construction de nouveaux types / reconstruction de
types usuels. Pour les procès de construction de nouveaux types, nous avons modélisé :
(3) les procès d’émergence de nouveaux types sur la base du repérage de nouveaux indices, et
de nouvelles mises en faisceau d’indices ; (4) trois sous-procès responsables de la création
d’un nouveau type sur la base d’un seul cas (abduction, induction prototypique, induction
symbolique). Pour les procès de reconstruction de types usuels, nous avons modélisé: (5)
le procès général de différenciation de types ; (6) la dynamique solidaire de la différenciation /
Troisième chapitre
362
généralisation de types, sous la forme d’une redéfinition du domaine de validité des types ; (7)
la construction progressive de la complexification des types ; (8) les procès de reconstruction
par les dilemmes interprétatifs ; (9) les procès d’approfondissement de types.
Enfin, certaines analyses des résultats divergent, notamment en ce qui concerne les procès
d’invalidation de types, de la place de l’abduction dans le procès d’apprentissage, de la
généralisation des types et du procès de différenciation de types.
Troisième chapitre
363
Troisième chapitre
364
Deuxième partie : dimension sociale des apprentissages interprétatifs
Deuxième partie du troisième chapitre .
Les raisons qui nous ont poussés à étudier cet aspect de la question sont d’ordre
épistémologiques, théoriques, et relèvent des constats que nous avons faits à partir de nos
résultats. Nous avons vu au cours de ceux-ci, que la composante sociale de la situation
influençait les procès d’apprentissage interprétatif. D’autre part, conformément à la position
soutenue dans notre partie théorique, nous pensons que l’individuel et le social sont
profondément entremêlés dans l’interprétation des situations (Goffman, 1988, 1991). Nous
montrerons qu’il en va de même pour l’apprentissage interprétatif. Enfin du point de vue
épistémologique, une conception située de l’activité amène à prendre en compte aussi les
aspects sociaux de la situation. C’est ce que nous tentons de faire toujours relativement à
notre objet.
Nous allons dans cette partie synthétiser et discuter les résultats relatifs à la composante
sociale de l’apprentissage. Nous le ferons autour de quatre cas.
1. Résultats et analyses de ceux-ci Benoît, a été observé dans deux contextes d’enseignement et avec des tuteurs différents à une
semaine d’intervalle. Dans les deux contextes Benoît était accompagné par un autre apprenti
(la première fois de Charles la seconde d’Alain), mais le tuteur n’était pas présent dans son
bateau la première fois alors qu’il l’était dans la deuxième.
Dans les deux cas Benoît a rencontré une situation qui lui posait problème et a mené une
enquête visant à le résoudre. Pour cela, il lui a fallu interpréter la nature des situations
problématiques.
1.1 Le premier cas 96 : collaboration des apprentis moniteurs avec leur tuteur à distance
La première fois, que Benoît a été observé, il était dans l’organisme de formation, il
enseignait la voile à des enfants. Un autre apprenti (Charles) était à bord de son bateau à
moteur. Le tuteur était sur un autre bateau à moteur, et observait la séance à distance avec
96 Cas tiré de l’étude exploratoire
Troisième chapitre
365
d’autres apprentis. Le tuteur pouvait entendre les consignes données aux élèves par Benoît,
mais il était trop loin pour entendre les discussions entre les apprentis dans le bateau à moteur.
Lors de l’activité d’enseignement dans le premier contexte, Benoît remarque que ses élèves
ont des difficultés à rester sur le parcours qu’il leur a donné, et qu’ils dérivent dans le sens du
vent (sous le vent). Dans un premier temps il attribue cette difficulté, à la présence d’un
hypothétique courant, ou au fait que les bateaux sont poussés sous le vent. La détermination
de la situation effectuée dans l’interprétation occurrente ne lui permet pas de construire une
détermination de l’action efficace de son point de vue. L’interprétation qu’il donne des causes
de celle-ci échappe à une intervention de sa part. Il s’ensuit un moment de malaise et un
sentiment d’inconfort devant cette situation. C’est alors que Charles intervient et qu’une
conversation s’instaure entre les deux apprentis.
Charles : c'est une belle journée, j'adore, il fait beau … (silence)
Charles : les optimistes avec un ris dans le petit temps ça ne remonte pas très bien.
Benoît : en fait le parcours, il n'est pas très bien mouillé quoi.
Charles : Oui il faudrait que la bouée orange soit plus par là [plus au vent]
Benoît : je pense qu'ils peuvent remonter vers la bouée orange ...
Charles : fais-les en aller vers la perche autrement, et tu remontes sur le parcours.
Benoît: c'est sur ce bord alors vraiment
Charles : oui oui il faut qu'ils remontent
Benoît : qu'ils remontent , qu'ils remontent
On voit ici que le simple fait que Charles fasse remarquer que les bateaux ne remontent pas
très bien, incite Benoît à faire évoluer son interprétation première de la situation. En effet le
terme « remonter » signifie implicitement que les bateaux sont proches de l’axe du vent sur un
bord, ce qui ne devrait pas être le cas puisque au « vent de travers » les bateaux sont dans un
sens comme dans l’autre toujours en travers du vent.
Très rapidement, en quelques mots les deux apprentis déterminent, que les difficultés des
élèves sont dues au positionnement du parcours par rapport au vent, puisqu’il y a un bord sur
lequel il est plus difficile pour les élèves de se maintenir que sur l’autre. Il suffit donc
d’orienter différemment le parcours pour régler le problème de dérive. C’est d’ailleurs ce qui
sera fait et avec succès. Cette interaction facilite de façon assez spectaculaire la construction
d’une nouvelle interprétation de la situation.
Mais cette nouvelle interprétation de la situation est aussi associée à celle d’un nouveau type,
que nous pouvons formuler ainsi: un parcours au-dessus du vent de travers implique
l’existence d’un bord sur lequel les élèves ont du mal à rester sur le parcours. Ce type est
associé au repérage par l’acteur de l’indice : les élèves dérivent sous le vent du parcours sur
Troisième chapitre
366
un des deux bords. Cet apprentissage a été facilité par la médiation du langage imposée par la
courte interaction en cours d’action. Remarquons également que cette interprétation collective
réalisée entre pairs est marquée du sceau de la collaboration entre les deux apprentis. Cette
médiation, parce qu’elle introduit une distance entre le sujet et son action, devient un moyen
de produire d’autres interprétations et actions, et des apprentissages associés à cette enquête.
Cependant il ne faudrait pas croire que le simple fait de placer deux apprentis officiellement
dans une situation de collaboration suffise à produire une activité d’interprétation collective
porteuse d’apprentissages, comme nous allons le voir maintenant. Dans un deuxième épisode
les choses vont se passer de façon très différente, à une semaine seulement d’intervalle.
1.2 Deuxième cas 97 : compétition entre les apprentis et proximité du tuteur
En effet, une semaine plus tard Benoît était en entreprise (club de voile), et menait une séance
à partir d’un bateau à moteur, où était encore présent un autre apprenti (Alain, qui avait mené
le début de la séance). Mais cette fois le tuteur était à bord du bateau à moteur de sécurité.
Benoît enseignait aussi la voile à des enfants qui étaient sur le même support (petits
catamarans de sport).
Benoît prend en responsabilité la séance ce qui va ouvrir une longue et pénible enquête, car le
vent est très faible et permet à peine aux bateaux d’avancer. Cette enquête vise à trouver les
moyens de faire regagner par les bateaux la zone où il a prévu de réaliser son exercice. Il
présente son exercice aux élèves. Il s’agit de rejoindre un parcours au-vent98 pour faire plus
tard des virements de bord, sur ce parcours. A ce moment, les préoccupations de Benoît visent
à apparaître brillant aux yeux du tuteur, car il se sent en situation d’évaluation99. L’objet de
l’enquête est donc double, il s’agit à la fois de réussir la mise en place prévue, mais cette
activité n’est qu’un moyen pour obtenir la reconnaissance de la part de l’autorité sociale
notamment évaluative et incarnée par le tuteur.
Au moment où Benoît veut commencer son exercice, Alain qui pressent la difficulté des
élèves à rejoindre le parcours essaie d’intervenir auprès de Benoît pour lui proposer de faire
quelque chose d’autre, mais Benoît le coupe et ne l’écoute pas. Pourtant il se met à douter de
la possibilité de faire remonter les élèves sur le parcours, car il juge que les élèves n’ont pas
97 Cas tiré de la troisième enquête 98 c’est à dire qu’il faut louvoyer contre le vent pour rejoindre le parcours, ce qui relativement difficile pour des élèves peu expérimentés. 99 Ce qui du point de vue du tuteur n’est pas le cas ; celui-ci déclare au contraire dans un entretien avec le chercheur vouloir leur demander de collaborer et d’essayer de réaliser des choses qu’ils ne maîtrisent pas forcément pour apprendre de leurs actions. Le tuteur déclare ne pas tenir compte de la qualité de la prestation puisque l’évaluation certificative doit avoir lieu dans plusieurs mois.
Troisième chapitre
367
toutes les compétences pour le faire. Cette interprétation de la situation ne remet pas pour
autant en cause la poursuite de son exercice dans lequelle il persiste.
A ce moment, les trois protagonistes constatent qu’il ne reste plus beaucoup de temps. Un
sentiment de panique envahit Benoît quand il regarde sa montre. Il tente alors de lancer
l’exercice tout en aidant ceux qui sont le plus en difficulté. Il juge alors que les bateaux
n’avancent plus assez pour réaliser son exercice pour lequel il tente précisément de faire venir
les élèves sur son parcours. Cette interprétation de la situation ne l’empêche pourtant pas de
persister à vouloir maintenir son exercice. Ceci montre une sorte de découplage de l’activité
interprétative de celle de l’action proprement dite. Il entre alors dans une période d’espoir à
chaque renforcement du vent qui fait avancer mieux les bateaux et de doute teinté de panique
lorsqu’il constate un affaiblissement du vent. Pendant ce temps le tuteur ne dit rien et observe
la situation, tandis que Benoît recherche les indices de ce que pense le tuteur… C’est alors
qu’il voit le vent s’affaiblir encore, et le tuteur prendre des notes sur son calepin. Ce fait
provoque chez lui une véritable panique, il s’énerve et dit perdre la tête, car il interprète cette
prise de note comme le symbole d’une évaluation de son action, voire de lui-même. A ce
moment un évènement terrible se produit pour Benoît. Le seul bateau qui avait réussit à
rejoindre le parcours fait demi tour et redescend avec le vent, vers les autres élèves qui
n’arrivent pas à remonter. Le tuteur se met à rire. Benoît interprète immédiatement ce rire
comme le signe qu’il est « ridicule au possible » aux yeux du tuteur et que sa séance est
irrattrapable. Pour couronner le tout, le vent tombe encore et les élèves sous le vent ne
remontent plus du tout. Il poursuit son action alors qu’il pense qu’elle est sans issue, comme
s’il agissait sans espérer que la situation puisse s’améliorer. Dans cette activité désespérée,
son activité d’interprétation se partageait déjà sur l’observation de la force du vent, les
positions des élèves par rapport au parcours, l’activité de ceux-ci. Benoît se focalise
maintenant essentiellement sur l’activité du tuteur : le silence, l’observation du tuteur, puis
son calepin et son rire devenant les artéfacts du ridicule et de l’échec, « si le tuteur se permet
de se marrer c’est que c’est vraiment [pas bon] ». Benoît renforce alors un type selon lequel
les situations de formation avec la présence du tuteur sont des situations d’évaluation et de
sanction pénible à vivre. Il s’assoit sur le bateau ne sachant plus quoi penser ou quoi faire et
regarde Alain intervenir à sa place. Il n’a alors plus vraiment d’attente, ni même d’espérance.
Quand Alain constate qu’il n’y plus de vent, il pense que tout le monde est d’accord pour
arrêter la séance. Benoît va saisir au bond cette autorisation validée par l’autorité pour arrêter
sa séance. Sa préoccupation du moment est alors de « rentrer et d’oublier tout ça ». Quand
Alain propose de remorquer les élèves pour rentrer, il acquiesce. Cet épisode montre toute la
Troisième chapitre
368
dureté que peut revêtir les activités d’enseignement sous contrôle tutoral, sans qu’elles soient
pour autant compensées par une aide effective de la part du tuteur.
1.3 Résultats et discussion du deuxième cas 1/ Dans cette enquête, Benoît a une activité interprétative qui s’organise progressivement
principalement sur l’activité du tuteur, y compris la non-activité manifeste et le silence de ce
dernier. 2/ Contrairement à la séance précédente Benoît se place dans une activité de
compétition avec l’autre apprenti et non plus de collaboration. 3/ De ce fait, l’aide du pair
n’est plus acceptée, car elle serait contraire à l’objet de l’enquête structuré par la
préoccupation de se montrer plus compétent que l’autre apprenti. La construction collective
d’une nouvelle interprétation n’est plus possible ici. 4/ Le jugement de son action vécue
comme un échec, renforce des types relatifs à la situation de formation incluant la situation
d’encadrement comme potentiellement dangereuse et porteuse de ridicule.
Ces 4 résultats peuvent être compris comme l’expression de la transformation du cadre
primaire (Goffman, 1991) d’enseignement et/ou de formation dans un nouveau cadre : celui
de la démonstration d’une compétence supérieure à l’autre apprenti, dans un contexte perçu
par l’apprenti comme un moment d’évaluation de la part du tuteur. De ce point de vue,
l’encadrement des élèves et sa propre formation, deviennent plutôt des cadres secondaires.
Ces deux activités sont en fait théâtralisées : il s’agit de faire comme si l’on encadrait pour
faire progresser les élèves, comme si cet encadrement servait à sa propre formation. En fait,
l’essentiel est ailleurs ; il s’agit avant tout de se montrer sous son meilleur jour aux yeux du
tuteur. C’est ce qui paradoxalement conduit le plus sûrement Benoît à l’échec. Le silence ou
le rire du tuteur prennent dans cette perspective une signification particulière. Ce n’est pas
celui d’un spectateur mais celui de l’amateur que Benoît perçoit et interprète. Comme le note
Goffman (1991; p. 138), en parlant du cadre théâtral (qui nous concerne en fait dans cet
épisode), «le rire par un acte ou par une réplique particulièrement drôle est tout à fait
différent de celui qui fuse lorsqu’un comédien s’embrouille… Dans le premier cas c’est le
spectateur qui rit, alors que, dans le second, c’est l’amateur ». Il est possible de comprendre à
quel point ici le rire du tuteur, considéré par Benoît comme celui d’un amateur averti de
l’activité d’enseignement, devient l’indice du ridicule pour lui. Les remarques, questions et
actions du tuteur ne peuvent plus être interprétées sous l’angle de l’aide à l’enseignement ou à
la formation mais sont bien pour Benoît des signes relatifs au cadre primaire de la
présentation de face : le silence, le rire, le calepin, les questions du tuteur deviennent les
artéfacts de cette présentation, qui devient ridicule si les choses tournent mal et non plus les
Troisième chapitre
369
éléments d’une formation au métier. Dit à la manière de Barbier (2006), l’action de l’acteur
est en fait ici essentiellement une activité d’influence sur autrui et non pas à dominante
opératoire de production de résultats: le langage et les signes donnés aux élèves sont en
réalité destinés au tuteur. Ainsi fonctionne l’intersubjectivité dans cette dyade, l’essentiel
étant dans le jeu théâtralisé présenté aux yeux de l’amateur de ce théâtre.
1.4 Comparaison des deux premiers cas La comparaison de ces deux premières enquêtes, montre que la présence du tuteur ou son
absence peut pour un apprenti donné impliquer une transformation radicale du sens de la
situation, orientant du même coup les objets des enquêtes, le travail collectif et
l’apprentissage interprétatif. Ceci est associé à une transformation des rapports de place
(Barbier, ibid.) par exemple entre les deux apprentis, les faisant passer d’un statut de
collaborateurs à celui de compétiteurs. Quand le tuteur est présent ou absent dans le bateau,
une collaboration ou au contraire une compétition s’instaure entre les deux apprentis, créant
ainsi des conditions d’apprentissage interprétatif très différentes. Dans le premier cas, il y a,
par la médiation du langage, une remise en cause des interprétations premières des situations,
et d’une ré-interprétation rapide de la situation. Cette activité interprétative collective
débouche sur des apprentissages interprétatifs rapides et efficaces dans le cours même de
l’action. Dans le deuxième cas, les cadres de l’expérience se transforment sous l’influence du
sens donné à la présence du tuteur. La coopération se mue en compétition entre les deux
apprentis. Non seulement les activités d’encadrement et de formation deviennent secondaires
par rapport au cadre théâtralisé de la présentation de soi, mais ce cadre primaire est fondé par
la préoccupation de se montrer davantage compétent que l’autre apprenti100. Ceci se traduit
par un refus de l’aide associé à des préoccupations d’ostentation d’une compétence supérieure
à celle de l’autre apprenti, ce qui concrétise bien le sens de compétition de l’activité en cours.
Il est possible au passage de remarquer une distorsion entre la signification officielle donnée à
la situation de coopération, avec le sens subjectif et personnelle de compétition qu’elle revêt
pour l’apprenti.
En effet, si on reprend les définitions classiques de Deutsch (1949) sur la coopération et la
compétition « on peut atteindre son but que si l’autre l’atteint, à l’inverse la compétition
signifie que l’on ne peut atteindre son but que si l’autre ne l’atteint pas », l’engagement de
l’apprenti à paraître plus brillant que l’autre, le porte à se centrer sur l’image qu’il donne à
voir au tuteur. Il s’ensuit que les procès d’interprétation prennent en compte les indices
Troisième chapitre
370
significatifs donnés par le tuteur en plus de la situation d’enseignement stricto sensu. Cela
débouche sur une telle augmentation de la diversité des indices de la situation – entre les
indices de la dimension sociale et technique - que l’apprenti n’arrive plus à interpréter cette
complexité. L’apprentissage interprétatif essentiel qui en ressort est une méfiance accrue vis-
à-vis de la situation de formation sous supervision tutorale.
A l’inverse, en l’absence du tuteur à bord, Benoît pouvait accepter l’aide de son coéquipier
sans pour autant se sentir dévalorisé aux yeux du tuteur.
Il y a alors une coopération réelle, l’interprétation de la situation peut changer radicalement et
très rapidement par la simple verbalisation divergente de l’interprétation de la situation ou
simplement de certains indices sur l’état de celle-ci. L’apprentissage interprétatif dans son
orientation de production de résultats peut alors survenir.
Pourtant les rôles ne sont pas définis strictement, les deux apprentis pouvant intervenir dans la
séance, l’un ayant simplement la responsabilité de la séance à un moment particulier. Or
comme le signale Monteil (1994), l’absence de rôles préalablement définis permet
l’émergence de l’obligation fonctionnelle d’une division minimale du travail, et par la même
les conditions d’un conflit socio-cognitif facilitant les constructions cognitives. Cette non pré-
définition stricte des rôles est un facteur d’échange et de coopération, comme il possible de le
voir pour le premier cas. Cependant la transformation des cadres de l’activité et de
l’interprétation des situations par le sens attribué aux faits et gestes du tuteur - y compris les
silences et l’inactivité apparente - transforme la structure sociale de l’activité et empêche une
collaboration effective entre pairs, mais aussi entre les tutorés et le tuteur.
1.5 Le rôle de la responsabilité Cependant la proximité du tuteur et le sens de sa présence ne sont pas les seuls paramètres
sociaux déterminant les procès d’apprentissage interprétatif pour Benoît. La plus ou moins
grande prise de responsabilité dans la séance joue aussi un rôle. Les temps d’intervention dans
la séance relative au deuxième cas avaient été partagés entre Benoît et Alain. Ce dernier avait
commencé la séance, Benoît était sensé l’aider dans cette tâche d’encadrement, et inversement
plus tard (deuxième cas). Benoît n’était donc pas réellement en responsabilité de la séance au
début de la séance. L’étude de l’activité interprétative tout au long de cette séance montre que
les objets des enquêtes, le contenu des interprétations et l’apprentissage interprétatif changent
en fonction de la part responsabilité prise par Benoît dans la conduite de la séance, toujours
sous le regard du tuteur.
100 Ce que nous avons déterminé notamment dans les deux premières enquêtes
Troisième chapitre
371
1.5.1 Présentation synthétique de l’évolution des c ontenus des interprétations dans la séance de Benoît
En-
quêtes Contexte Objet de l’enquête Objet des apprentissages
interprétatifs
1 A terre : L’acteur n’est pas en responsabilité, mais a la possibilité d’intervenir dans la séance de l’autre apprenti.
Surveiller, juger, et influencer la séance de l’autre apprenti, afin d’éviter les problèmes futurs mais aussi pour faciliter l’apprentissage des élèves.
Investissement des élèves, leurs apprentissages, et la stratégie d’enseignement mise en œuvre.
2 Idem 1, mais sur l’eau. Remplir l’espace de parole pour se montrer plus compétent que l’autre apprenti, par des interventions sur la technique des élèves.
L’intérêt de la situation en cours vis à vis de l’image qu’il peut donner de lui-même, la technique des élèves.
Apparaître compétent aux yeux du tuteur, en mettant en place coûte que coûte efficacement un exercice « pédagogique », c’est à dire dans une forme non jouée.
L’attitude du tuteur, les conditions de mise en place de l’exercice, ce que pensent les élèves de l’exercice mis en place.
3
Cas N°2
L’acteur est en responsabilité, mais l’autre apprenti peut l’aider. La situation est perçue comme une évaluation de la part du tuteur
Comprendre ce qui se passe pour trouver de nouvelles solutions
Les éléments divergents des attentes et espérances de l’acteur
Ce tableau montre que plus l’acteur est en charge de la responsabilité de la séance, plus l’objet
des interprétatives et des apprentissages évolue de la prise en compte des élèves, vers le souci
de la présentation de soi aux yeux du tuteur.
1.5.2 Des apprentissages interprétatifs fonction de la responsabilité de l’acteur et de la valorisation sociale de l’activit é
Dans un raccourci saisissant, il est possible de constater que l’acteur se focalise sur le rire des
élèves au début de la séance comme indice pertinent de la situation en cours, alors que c’est
celui du tuteur qui devient un indice essentiel de la situation à la fin de la séance, quand
Benoît est en responsabilité. Cette évolution se double de celle d’une première phase de
collaboration tant que les deux apprentis sont à terre à une phase de compétition dès qu’ils
sont sur l’eau. Cette compétition s’organise autour de l’utilisation de l’espace de parole qu’il
s’agit de remplir davantage que l’autre apprenti, afin de se montrer plus compétent que le
pair-concurrent, voir même de limiter l’activité d’encadrement de l’autre apprenti. Cette
intensification de la compétition entre les apprentis, est liée à la valorisation sociale relative
des deux moments de la séance. La partie à terre étant perçue par les différents acteurs,
comme moins valorisée socialement que l’encadrement en mer, emblématique de l’identité du
métier de moniteur de voile. L’enjeu social de l’activité située organise donc les procès
d’interprétation et des apprentissages. En jouant un rôle de catalyseur, il augmente les effets
déjà présents dans les dynamiques liés à présence du tuteur.
Troisième chapitre
372
De façon schématique, l’évolution des objets des apprentissages interprétatifs peut-être
représentée de la façon suivante :
Evolution de l’objet des apprentissages interprétatifs au cours de la séance de Benoît
1.5.3 Le social comme élément de la situation Un autre type de données vient préciser l’importance de la dimension sociale dans la
situation. Il s’agit du recueil de données faisant suite à l’auto-confrontation, mais sans
présentation de la vidéo de la séance101. Dans l’entretien d’autoconfrontation, tant que la
vidéo retrace l’activité passée, Benoît dit qu’il était dans l’incapacité de proposer de nouvelles
solutions et se réfère pour expliquer ses difficultés à un manque de préparation et de solutions
alternatives. Cependant dès lors que la vidéo est éteinte, de nouveau questionné sur ce qu’il
aurait fait sans présence du tuteur, l’acteur fait état de solutions alternatives, entraînant une
autre interprétation de la situation.
Tout se passe comme si le cadre de l’activité secondaire et théâtralisé d’enseignement pendant
la séance, redevenait un cadre primaire dès lors que le tuteur n’est plus là, permettant
l’émergence de solutions, d’interprétations nouvelles de la situation, donc de potentialité
d’apprentissage interprétatif . En d’autres termes les actions à intention dominante d’influence
sur autrui, redeviennent des actions à dominante de production de résultats d’une activité
opératoire visant la transformation de l’environnement externe. Par exemple, les nouvelles
solutions envisagées par Benoît étaient de l’ordre de l’arrêt de l’exercice en cours. Il aurait
101 Il s’agit de données que nous avons recueillies de façon fortuite. La vidéo de la séance était coupée, l’entretien d’autoconfrontation était terminé, mais la discussion avait continué sur l’expérience vécue tandis que l’enregistrement continuait de se faire.
Activité d’apprentissage des élèves Stratégie d’enseignement mise en œuvre Collaboration avec l’autre apprenti
Organisation de l’exercice prévu Ostentation de sa propre compétence aux yeux de la tutrice
Compétition et Refus de la collaboration de l’autre apprenti
Intérêt de la situation vis à vis de sa propre image, de la technique des élèves, et des verbalisations des élèves
Compétition avec l’autre apprenti
Alain dirige la séance à terre
Responsabilité entière
Alain dirige la séance sur l’eau Benoît dirige la séance sur l’eau
Rire de le tuteur Rire des élèves
Responsabilité limitée
Troisième chapitre
373
mis un jeu en place et il déclare rétrospectivement qu’il ne se voyait par utiliser de telles
solutions, car elles ne lui paraissaient pas assez sérieuses en présence du tuteur. Pour Benoît
elles n’étaient pas « pédagogiques102 », c’est à dire qu’elles ne paraissaient pas conformes à
ce que Benoît imaginait de ce qu’attendait le tuteur, de l’action qui convenait en sa présence.
Ceci est pour nous révélateur d’une activité empêchée (Clot, 1998, 1999) qui entre en rupture
avec la planification préétablie de l’action. En effet, toute l’activité de cet acteur est orientée
par l’engagement à réaliser ce qu’il avait prévu (je m’étais engagé devant tout le monde à
faire ça… alors je ne pouvais pas faire autrement). Tant que la présence du tuteur est présente
à l’écran, l’acteur ne peut pas accéder à toute une partie de sa cognition, tandis que le simple
fait d’imaginer que le tuteur ne soit plus là ou/et qu’il ne soit plus à l’écran, permet la
convocation d’autres solutions qu’il possède pourtant mais qui ne lui viennent pas à l’esprit en
présence du tuteur ! Tout se passe comme s’il y avait une inhibition d’une partie des types en
présence du tuteur. Nous faisons l’hypothèse que certains types ne sont pas conformes à
l’action qui convient (Thévenot, 1990), dans le contexte social (supervision tutorale) dans
lequel il agit. Ce contexte social est structuré par l’idée que l’acteur se fait de la norme
attendue (par l’autorité évaluative) envers sa propre activité.
Ici c’est bien le rôle social d’évaluation unilatérale descendante et normative attribué à
l’activité du tuteur par le stagiaire, qui structure le sens de la situation, le cadre de l’activité, le
travail collectif, oriente les interprétations de la situation et l’apprentissage interprétatif. Non
seulement la dimension sociale de l’activité organise les interprétations, les actions, mais elle
empêche dans le même temps toute une potentialité d’activité103, et notamment
l’apprentissage interprétatif.
1.5.4 Troisième cas : le social de l’activité comme dimension subjective de la situation
Cependant l’attribution de ce sens est contingente, car relative aux acteurs. Alain n’attribuait
pas un sens d’évaluation aussi fort au tuteur. Quelques mois plus tard vers la fin de la
formation, lors d’une séance sous la tutelle d’un autre tuteur, Alain ira jusqu’à résister par
trois fois aux injonctions de son tuteur qui l’incite à réaliser une action pédagogique
particulière. La raison de cette résistance est qu’il intègrait son activité d’enseignement sous
supervision tutorale, dans le cadre plus large de sa formation. Il voulait savoir à quoi allait
aboutir son action pour pouvoir l’analyser dans le débriefing de séance après celle-ci. Le
102 Dixit extrait de l’autoconfrontation
Troisième chapitre
374
cadre primaire construit par cet apprenti est celui de l’activité « se former ». A l’inverse
Benoît lors de la même séance demandera tout au long de son activité l’assentiment du tuteur
pour toutes les actions entreprises, afin de valider tout au long de sa séance si ses actions
étaient conformes aux souhaits de son tuteur. Le cadre de son activité était de l’ordre de la
« conformation ».
De ce point de vue, c’est bien le sens social attribué à la présence du tuteur qui est en cause
dans la transformation des cadres d’analyse de la situation, davantage que sa seule présence
ou son absence.
Il est à noter que les catégories d’attribution de sens à la présence du tuteur, parce qu’elles
déterminent l’activité des apprentis ont des effets essentiels sur l’apprentissage : Alain est en
réussite dans sa formation, il finira premier de sa promotion ; tandis que Benoît est en échec,
il sera classé dernier et échouera à la certification de son diplôme d’état. La dimension sociale
de l’activité n’apparaît pas uniquement comme une donnée objective de la situation, mais bien
aussi comme une construction subjective, dont les ressorts apparaissent probablement aussi lié
à l’histoire biographique de l’acteur.
1.6 Quatrième cas : un apprentissage interprétatif co-construit entre le tuteur et l’apprenti
1.6.1 Présentation du troisième cas Un quatrième cas tiré de l’enquête 5, nous amène à penser la dimension sociale de
l’apprentissage interprétatif, non pas comme une donnée externe à l’activité des acteurs, mais
comme une configuration sociale co-construite par leurs interactions.
L’apprenti et le tuteur sont dans le même bateau. Là, compte tenu des cas présentés plus haut,
il serait possible de s’attendre à ce que l’apprentissage interprétatif de l’apprenti soit limité
par la présence du tuteur. Mais ici il n’en est rien. Le tuteur a demandé à l’apprenti de ne pas
intervenir tout de suite, mais d’observer le déroulement de la situation. Ils se sont fait part
mutuellement de leurs interprétations de la situation. Une collaboration entre un apprenti et un
tuteur est devenue effective et était centrée essentiellement sur l’interprétation de la situation,
voir sur les apprentissages interprétatifs. L’engagement d’Alain s’est alors transformé en vue
d’améliorer ses capacités à interpréter les situations similaires. Il s’en est suivi une activité de
sa part renforçant encore la collaboration entre le tuteur (notamment par les questions qu’il lui
103 en transgressant quelque peu la posture de chercheur, je ne peux résister ici à l’envie de signaler que j’avais trouvé que les solutions proposées par Benoît à la suite de l’autoconfrontation étaient beaucoup plus pertinentes compte tenu du contexte de la séance que celles qu’il s’acharnait à mettre en place en présence du tuteur…
Troisième chapitre
375
pose, et par ses réflexions à voie haute convoquant des expériences passées). L’activité du
tuteur quant à lui, en poussant Alain à prendre le temps d’observer la situation, favorise son
apprentissage interprétatif. En répondant aux préoccupations d’Alain centré sur la réduction
de ses dilemmes interprétatifs, il favorise la survenue de procès d’apprentissage interprétatif
de l’ordre de la mise en faisceau prédicatif et symbolique de types. En faisant part de ses
interprétations et lui montrant les indices qu’il repère dans la situation, le tuteur favorise la
vérification pragmatique des types nouvellement construits. Comme dans le cas de la
collaboration entre les apprentis du premier cas, la médiation langagière dans le cours
d’action favorise le développement d’apprentissage interprétatif . Ici comme dans le premier
cas elle est produite par une collaboration voulue par le tuteur, acceptée et enrichie par
l’apprenti. Le tout débouche sur la construction d’une situation subjectivement partagée, riche
d’apprentissage interprétatif , qui produit des positions personnelles tranchant des dilemmes
fondamentaux de l’acte d’enseignement : Le tout dans une activité de six minutes et dans le
cours même de l’action !
1.6.2 Discussion du cas Ainsi ce n’est pas le seul tuteur qui organise l’activité de l’apprenti, comme l’activité de
l’apprenti n’est pas indépendante de celle du tuteur. C’est bien l’interaction des deux acteurs
qui a fait émerger cette relation. Nous désignons par configuration sociale d’apprentissage, la
situation co-construite par l’activité des acteurs dans l’action. Ici c’est cette configuration
sociale d’apprentissage qui construit la réussite de l’apprentissage interprétatif comme la
configuration du cas 2, conduit plutôt à un échec relatif.
Troisième chapitre
376
2. Conclusion sur la dimension sociale de l’apprent issage interprétatif
2.1 Activité collective et dimension sociale de la situation La dimension sociale de l’activité joue un rôle essentiel dans la construction de
l’interprétation des situations : elle structure les cadres de l’activité et de l’interprétation de la
situation et elle organise l’activité collective des acteurs. Il est nécessaire ici de bien
distinguer de ce qui relève de l’action collective et de l’influence du social. Dès lors qu’il y a
interaction entre les apprentis ou avec le tuteur, l’action collective existe. Cependant cette
activité collective prend des formes opposées de collaboration ou de compétition en fonction
du cadre social dans lequel se reconnaît le sujet. La dimension sociale réelle de la situation
apparaît alors dans le sens que donnent les apprentis à la présence du tuteur : une aide à
l’apprentissage et à l’action ou un représentant de l’autorité évaluative. Selon le sens donné,
l’activité réelle repérable à travers les interprétations associées est de l’ordre de la production
d’un encadrement, ou d’une prestation théâtralisée et compétitive.
Ainsi la dimension sociale de la situation n’est pas uniquement une donnée objective, mais est
essentiellement une composante subjective de l’activité. Le niveau de responsabilité du
stagiaire, la plus ou moins grande proximité du tuteur et son activité, sont différemment
perçus en fonction de la personne. En fonction des différents stagiaires la dimension sociale
de la situation structure un sens particulier du contexte de formation. Il a été possible d’en
repérer deux. Le premier est organisé par le sens « se former » tandis que le deuxième est
tendu vers la préoccupation de « se conformer » à l’autorité normative. Différents éléments
entrent ainsi en interrelation, donnant lieu à des configurations totalement différentes y
compris sur le plan social alors même qu’elles sont situées dans une même unité de lieu et de
temps. Il est remarquable que certaines configurations s’avèrent davantage porteuses de
réussite tandis que d’autres orientent plutôt l’activité vers l’échec de la formation.
Davantage qu’une relation de cause à effet, ou de corrélation, nous préférons utiliser la notion
de configuration. Celle-ci permet de rendre compte de l’interaction d’éléments qui organisent
ensemble une orientation de l’activité, tandis que chacun des éléments pris séparément reste
contingent à la détermination de celle-ci. Nous avons modélisé deux configurations sociales
d’apprentissage interprétatif. Il est évident que la construction de ces deux configurations ci-
dessous est une modélisation de deux formes extrêmes d’activité d’apprentissage. Mais
pourtant ces deux formes ressortaient de nos données. La pratique des acteurs est
probablement rarement aussi tranchée.
Troisième chapitre
377
Deux exemples extrêmes de configuration sociale d’apprentissage interprétatif
Configuration sociale d’apprentissage porteuse potentiellement :
Caractéristiques de l’activité d’apprentissage
d’échec de réussite
Engagement global de l’acteur Se conformer Se former
Préoccupations essentielles Se montrer compétent aux yeux du tuteur
Faire participer les autres aux décisions / prendre des avis
Sens de la présence du tuteur Evaluation Aide
Dialogue engagé entre les acteurs
Remplissage de l’espace de parole / lutte pour la prise de pouvoir dans l’activité d’encadrement
Conflits socio-cognitifs et construction collective de nouvelles interprétations
des situations
Travail collectif Compétition / refus de l’aide Collaboration / acceptation de l’aide
Cadre de l’interprétation des situations
Cadre secondaire théâtralisé d’encadrement ou / et de formation
pour soi
Cadre primaire d’encadrement ou et de formation pour soi
Activité interprétative majoritaire de l’apprenti
Centrée sur l’activité du tuteur Centrée sur l’activité des élèves
Responsabilité de l’apprenti Forte sur la réussite de la séance, faible sur son propre apprentissage
Faible sur la réussite de la séance, forte sur son propre apprentissage
Normes de l’action attendue valorisées par le collectif
Réalisation de la séance prévue Adaptation contingente à l’évolution de la situation
Temps d’intervention Court, sentiment de crise temporelle (ne pas avoir suffisamment de temps pour faire ce qu’il pense devoir faire)
Long, temps d’intervention organisé par ce qu’il y a à faire
Proximité du tuteur dans une distance où l’échange est possible
Obstacle à l’apprentissage Facilitation de l’apprentissage
Une place particulière sera réservée à la proximité spatiale du tuteur. Celle-ci est un obstacle
dans la configuration d’échec, tandis qu’elle représente une ressource dans la configuration de
réussite. En effet, selon le sens attribué à la collaboration tuteur/ tutoré, la distance peut jouer
un rôle opposé.
Ainsi comme le remarque Bougeois (1997), les caractéristiques du contexte de formation sont
essentielles à l’apprentissage, par le fait qu’elles influencent les interactions sociales avec les
formateurs mais aussi entre pairs. La réussite de l’apprentissage est donc une affaire de
contexte (Monteil et Huguet 2004 ).
Troisième chapitre
378
Cependant, ce que nous voulons signifier avec la notion de configuration situationnelle, c’est
que ce contexte est redéfini subjectivement par l’apprenant dans la situation. Plus encore, il
intervient dans la construction du contexte à partir de ses interprétations du contexte dans ce
qu’il a de social, mais aussi par ses actions concrètes. De ce point de vue la configuration
situationnelle de formation est une co-construction du contexte réalisée entre l’apprenti, les
formateurs et le dispositif, à la fois subjective mais aussi objective.
Troisième chapitre
379
Troisième chapitre
380
Troisième partie : perspectives praxéologiques Troisième partie du troisième chapitre.
1. Aide à la conception de la formation utilisant l a pratique comme moyen de formation : une entrée « apprentissage interprétatif »
La démarche proposée ici tente d’établir un lien entre les résultats de la recherche en terme
d’intelligibilité et une praxéologie de la formation en terme d’ergonomie de la formation.
En reprenant la métaphore de la machine formative que nous avons développée dans
l’introduction à cette recherche, nous allons tenter de faire des propositions visant son
amélioration, sur la base des connaissances issues de cette recherche. Mais en nous souvenant
des conceptions d’Hutchins (1994) selon lesquelles la cognition n’est pas uniquement dans la
tête des personnes mais dans l’unité personne-contexte, nous nous proposons de considérer
l’apprenti comme constituant du système de formation et non pas seulement comme
bénéficiaire. Ainsi, à l’instar de cet auteur qui considère que l’unité pertinente pour le pilotage
d’avion est le cockpit incluant le pilote en action, nous considérons que la conception des
systèmes de formation devrait porter sur l’unité apprenti – formateur – contexte matériel et
social. Ceci implique qu’un système de formation ne peut pas évoluer indépendamment d’une
intégration de l’apprenti en tant qu’acteur du système de formation lui-même.
En effet, comme nous l’avons remarqué dans nos résultats concernant la dimension sociale de
l’apprentissage interprétatif, ce sont bien des configurations de formation intégrant l’action de
l’apprenti qui induisent certains effets sur l’unité apprenti – formateur – contexte. De ce point
de vue, la formation est une Co-construction. Cette conception de la formation s’oppose à un
modèle de la commande ou de la transmission et prend au contraire le parti pris d’une
conception de l’autonomie dans la conception de la formation (Albero, 2001 ; Durand et
Arzel, 2002).
2. Quel principe de conception de la formation ? Le but de l’aide à la conception de la formation, est de rationaliser l’apprentissage dans
l’action et de prolonger cette rationalisation à la suite de l’action. Cette aide est reliée à un
principe essentiel.
Troisième chapitre
381
Le principe que nous défendrons est celui visant à éviter la position de surplomb du formateur
et de conformation scolastique au modèle de l’action du maître, mais d’apporter au contraire
une aide à la construction de l’action autonome de l’apprenti.
Nous rejoignons les conceptions défendues par Ria (2001), mettant en cause l’attitude de
« surplomb » entretenue dans les pratiques de tutorat qui consiste à comparer la face
observable de l’action à celle que réaliseraient des professionnels plus expérimentés. La
stratégie générale consiste alors à tenter de réduire l’écart entre le comportement de l’apprenti
et celui de l’expert. Cette stratégie conduit à ignorer la cohérence interne d’une action parfois
non pertinente. En effet, l’expert et le l’apprenti peuvent être dans deux situations différentes
alors qu’ils sont dans le même environnement objectif. Intervenir auprès de l’apprenti en
préservant son autonomie implique pour le tuteur de comprendre l’interprétation que
l’apprenti fait de la situation. Dans le même temps apprendre du tuteur, est facilité pour
l’apprenti, s’il se sert de l’interprétation du tuteur pour faire évoluer la sienne.
Pour favoriser cette transaction nous plaidons pour une entrée de formation visant en premier
lieu à comprendre l’action « du dedans », afin d’aider à la faire évoluer à partir d’une
modification de sa cohérence interne. Dans ce cas, cela signifie concrètement que la formation
s’attache en premier lieu à identifier la construction des significations particulières qui
s’établissent sur fond d’engagement, d’émotions et en relation avec les déterminations
d’actions qui fondent ensemble la cohérence de l’action.
Cependant, si l’activité de compréhension en reste là, la formation court alors le risque de
déplacer le problème de la conformation au niveau de la subjectivité de l’apprenti. Il s’agirait
de conformer l’apprenti à l’interprétation que le tuteur fait de la situation. Le remède serait
alors probablement pire que le mal. Il ferait basculer la formation, d’une conformation
d’action, dans une injonction de subjectivité104 en donnant une valeur véridictionnelle à
l’interprétation du tuteur en tant que hiérarque. Le problème qui se pose alors est de savoir
comment favoriser l’aide à l’évolution de l’action à partir de la compréhension de la
subjectivité engagée par l’apprenti, tout en se servant de l’expérience du tuteur comme une
ressource à cette évolution ?
La réponse que nous proposons à cette question est de poursuivre la compréhension de la
subjectivité engagée dans l’action au niveau des procès d’apprentissages notamment
interprétatifs. Nous avons acquis le type105 selon lequel : il est possible de favoriser
l’apprentissage des apprentis tout en respectant en grande partie l’autonomie d’action et le
104 Mal d’ailleurs très actuel
Troisième chapitre
382
développement de celle-ci dans le style (Clot, 2000) propre à l’apprenti. En d’autres termes,
nous pensons que cette entrée « apprentissage interprétatif de la formation » permet de laisser
libre champ à la créativité de l’apprenti et à son autonomie d’apprentissage tout en lui
fournissant une aide efficace sur ces deux plans.
Nous faisons aussi le pari que cette posture, certes difficile à maîtriser, est de nature à lever au
moins en partie le dilemme vécu par les tuteurs de « la conformation ou de l’abandon » que
nous décrivions dans notre partie introductive. En effet, nous pensons que cette entrée permet
de prendre en compte l’altérité de l’apprenti. Nous avons la conviction que cette entrée permet
aussi de pouvoir mobiliser l’expérience du tuteur pour donner des contenus concrets aux
questions émergentes des procès d’apprentissage interprétatif, eux-mêmes stimulés par
l’activité tutorale. Ceci nous parait être très différent d’une conformation, qui ne prend pas en
compte la subjectivité ou impose une injonction de subjectivité. Cette activité d’interprétation
de la part du tuteur sur l’apprentissage interprétatif chez l’apprenti, ne peut s’actualiser que
par inférence à partir du repérage d’indices provenant de l’activité de l’apprenti, manifeste et
non manifeste. Il est donc nécessaire de se doter d’un recueil de ces indices et d’un référentiel
de types susceptibles d’en permettre une interprétation valide. Ici les résultats de cette
recherche peuvent nous être utiles.
Voyons les grandes lignes opérationnelles que nous avons imaginées pour cette entrée
« apprentissage interprétatif » en formation.
3. Démarche de recueil d’indices sur les apprentiss ages interprétatifs : Stratégie générale
La stratégie générale se décline en plusieurs points et temporalité. Le premier point vise à se
doter d’une démarche de recueil d’indices sur les apprentissages interprétatifs. Le deuxième
vise la favorisation de l’actualisation des procès d’apprentissage interprétatif. Cette
favorisation peut se faire en trois temps différents, avant, pendant et après l’action
d’enseignement de l’apprenti (Zeitler, 2001b). Nous étudierons ces trois temps de formation.
Afin de construire une démarche de recueil des indices sur l’apprentissage interprétatif, il
nous semble que la première étape est de permettre une compréhension de l’action, intégrant
sa composante interprétative.
Dans un deuxième temps et à partir de nos résultats de recherche nous avons construit une
grille de questionnement visant à comprendre l’état du procès d’apprentissage interprétatif.
105 Par notre expérience en tant que formateur – chercheur
Troisième chapitre
383
Cette grille est pensée pour être utilisée de façon différenciée en fonction des possibilités du
moment (temps disponibles, urgence de la situation…) et du contexte de formation.
Troisième chapitre
384
Des questions pour comprendre l’activité d’apprentissage
interprétatif de l’apprenti
Ce document est une opérationnalisation des résultats de cette recherche sur l’apprentissage
interprétatif
1/ Comprendre et faciliter la construction de nouveaux types
Faire émerger la construction d’un nouveau type
• Est-ce que tu es déçu de ce qui arrive là ? • Est-ce que tu es surpris de ce qui arrive là ? • Est-ce que tu t’y attendais ? (A ce qui vient de se passer) • Qu’est-ce qui te surprend et à quoi tu t’attendais au contraire ? • En quoi la situation est-elle différente de celle à laquelle tu t’attendais ?
Aider à la création d’un nouveau type hypothétique et prototypique
• Qu’est-ce que tu supposes qu’il se passe • Qu’est ce que ce faisceau d’indices (auquel tu ne t’attendais pas) peut vouloir dire ? • Qu’est-ce que ce faisceau d’indices peut vouloir dire dans ce type de situation ?
Aider à la création d’un nouveau type prototypique
• Est-ce que ce faisceau d’indices veut dire quelque chose d’évident pour toi ? • Qu’est-ce ce qu’il veut dire dans ce type de situation ?
Aider à la création d’un nouveau type symbolique
• Dans quelle type de situation sommes nous là ?
2/ Comprendre et faciliter la reconstruction de types usuels
Accéder aux types usuels
• comment sais-tu que ces indices sont révélateurs de la situation (ou de l’évolution de la situation) que m’a décrite ?
Ouverture à la généralisation ou à la différenciation de types par :
Par nouvelle contextualisation du type
• Est-ce que la survenue de cette situation te surprend par rapport à ce à quoi tu t’attendais ?
• Qu’est-ce qu’il y a en plus par rapport à d’habitude ?
Troisième chapitre
385
• Quels sont les éléments qui sont différents, et ceux qui sont similaires après réflexion aux éléments habituels ?
Par dilemme interprétatif
• Est-ce que tu hésites entre plusieurs interprétations de la situation ? • Qu’est-ce qui te permettrait de dire que c’est plutôt l’une ou l’autre des situations, ou
ni l’une ni l’autre et que tu es en présence d’une autre situation ? • Est-ce que cette nouvelle situation ressemble, ou au contraire est différente du type de
situation à laquelle tu la rattachais au départ ? en quoi ?
Généralisation / différenciation de types par approfondissement
• Est-ce que tu peux caractériser les raisons qui selon toi font que cette situation survient à ce moment là ?
• Est-ce que tu peux caractériser les raisons qui selon toi font que ce type de situation survient et dans quel genre de configuration elle survient ?
• Comment sait-on que ce type de situation va survenir ? • Est-ce que le fait de comprendre les raisons de la survenue te fait classer plutôt ce type
de situation de la même façon qu’avant ou de façon différente ?
Généralisation / différenciation des types par énonciation d’un faisceau de types
• Quels sont les types de situations qui sont proches de celle-ci ? • Au contraire, quels sont les types de situations qui sont différentes de celle-ci, même si
elles se ressemblent aux premiers abords? • Quels sont les types situations qui sont en relation avec ce type de situation et qui
permettraient de la comprendre autrement ? • Est-ce que la situation t’apparaît de la même façon ou au contraire très différente par
rapport à avant ? • Que signifie maintenant pour toi le faisceau d’indices que tu avais repéré ?
Cette grille de questions représente autant une méthode d’investigation de l’état des procès
d’apprentissage interprétatif qu’une facilitation de ceux-ci. L’idée générale est ici que ce
questionnement permet au formateur d’aider l’apprentissage interprétatif à survenir en
facilitant les conditions de son apparition, sur la base de procès d’interprétation qui ne sont
que des potentialités d’apprentissage. C’est la raison pour laquelle on trouve des questions
relatives aux procès interprétatifs et pas seulement aux procès d’apprentissage interprétatif.
Présentons maintenant dans les grandes lignes une démarche plus complète de formation
centrée sur cette entrée apprentissage interprétatif. Ceci sera fait en trois temps : avant,
pendant et après l’action.
Troisième chapitre
386
4. Favoriser l’actualisation des procès d’apprentis sage interprétatif
4.1 Avant l’action Comme nous l’avons vu dans les résultats concernant la dimension sociale de l’apprentissage
interprétatif, que le sens que donne le formé à la situation de formation et à la présence du
tuteur est déterminant pour l’apprentissage. Ceci nous conduit à introduire deux sortes
d’action de formation. La première vise à aider le stagiaire à se situer dans une formation
organisée prioritairement par l’entrée « apprentissage interprétatif ». La deuxième vise à
influer sur le rapport à l’apprentissage des apprentis pour les aider à utiliser au mieux le
système de formation, voir à influer de façon positive sur lui, en tant qu’acteur du système et
plus seulement en tant que bénéficiaire.
4.1.1 Des souhaits différents de la part du système de formation : Un contrat centré sur l’apprentissage et non plus sur la perfo rmance
La commande des dispositifs de formation envers les apprentis est le plus souvent de l’ordre
de la production de la meilleure action possible. Nous pensons que cette commande
représente paradoxalement un obstacle à l’apprentissage. Ce souhait de la part des formateurs
concernant une activité de recherche de performance pédagogique, favorise paradoxalement
l’émergence d’une configuration sociale d’apprentissage porteuse potentiellement d’échec
(comme celle que nous avons modélisée dans nos résultats). En effet, il est difficile pour les
apprentis de concilier à la fois une performance pédagogique et un apprentissage.
L’apprentissage (de la pédagogie) nécessite de tester de nouvelles solutions (forcément mal
maîtrisées), de mettre en œuvre de nouvelles procédures, c'est à dire de prendre des risques
par rapport à ce que l’on sait faire de façon plus habituelle. De plus, il faut aussi mettre à
distance l’urgence de la situation pour prendre le temps de faire évoluer l’interprétation des
situations. Or la prégnance du résultat à atteindre augmente la pression temporelle du point de
vue subjectif, et limite ainsi les possibilités d’apprentissage interprétatif (Zeitler, 2001a). Ce
souhait qui parait pourtant intuitivement évident détruit par avance la fécondité de la
l’apprentissage par l’activité. En effet, la commande de performance immédiate renforce la
limitation de la prise de risque et l’engagement à se conformer aux attentes supposées des
formateurs. Ces derniers prennent essentiellement un statut d’évaluateurs et non plus d’aide.
L’activité devient essentiellement théâtralisée, comme nous l’avions déjà remarqué (Zeitler,
2000). La présence du tuteur devient elle-même un obstacle à l’apprentissage. Même la
Troisième chapitre
387
poursuite de l’apprentissage après la séance par une activité réflexive sur l’action est faussée,
car elle repose sur l’analyse de cette activité théâtralisée.
Pour éviter ces effets, ou tout au moins tenter de les limiter, nous proposons que la commande
de la formation porte explicitement sur l’apprentissage et non plus sur la performance.
Ceci signifie que le système de formation devra accepter une dégradation de la performance,
pour privilégier l’apprentissage, quitte à organiser une aide d’une part, au niveau des activités
mentales106 notamment d’interprétation des situations, et d’autre part au niveau des activités
concrètes au cours même de l’action. Évidemment cette posture n’est absolument plus
compatible avec une évaluation de la prestation de l’apprenti.
Symétriquement à la position de la formation, il existe un autre aspect qui nous semble devoir
être pris en compte dès le début de la formation. Il s’agit d’une transformation des types
concernant l’activité se former sous supervision tutorale chez les apprentis.
4.1.2 Transformer les types usuels des apprentis co ncernant leur propre formation et leur propre apprentissage
Les types usuels concernant la formation et l’apprentissage sont parfois un obstacle important
pour le développement de l’apprentissage. Les types portant sur l’apprentissage dans l’action
peuvent avoir des connotations très négatives sur la formation comme ceux que nous avons
repérés chez Benoît par exemple107.
De plus les apprentis peuvent mobiliser des types organisés par une valorisation du modèle de
rationalité technique (Schön, 1983, 1996). Ceci implique une dévalorisation de l’adaptation
en cours d’action108. Dans cette configuration, l’apprentissage interprétatif est plus
difficilement actualisé. Nous pensons que le fait de travailler sur la nature contextuelle et
adaptative de l’action d’enseignement est de nature à réhabiliter, (voire de faire prendre
conscience), de l’importance des processus d’interprétation aux yeux des apprentis. De ce
point de vue, il nous parait pertinent de travailler non seulement sur le sens de la situation de
formation, mais aussi sur son efficience. En effet si l’on y prête garde, le système de
formation ne prête qu’à ceux qui sont déjà riches d’un rapport à l’apprentissage fructueux
(comme celui rencontré chez Alain). L’intention est ici d’aider ceux qui n’ont pas ce rapport à
l’apprentissage et de tenter de rationaliser l’apprentissage. Aussi plutôt que de considérer les
procès d’apprentissage interprétatif comme totalement autonomes, nous pensons qu’il est
106 Nous avons eu un bon exemple de cette aide dans l’enquête n°5 107 Que l’on se rappelle seulement les types de Benoît sur cet objet : La compétence se prouve à travers la prise de parole, mais sans dire d’erreurs car: « tout ce qui est dit sera retenu contre toi ». « La situation de formation est dangereuse »
Troisième chapitre
388
possible d’aider les apprentis à mieux les comprendre et les actualiser. Ceci peut passer par
plusieurs procédures, comme un travail d’appropriation des procès d’apprentissage
interprétatif , la mise à jour des procédures d’explicitation de l’expérience et les raisons de
l’utilisation de celles-ci, une détermination en commun (formateurs apprentis) des différents
temps de formation… L’objectif étant ici de faciliter une création ou une évolution de méta –
types sur l’apprentissage interprétatif.
Cependant si cette caractérisation sociale de la configuration de formation nous semble
essentielle, elle nécessite une mise en œuvre effective sans rupture de contrat. C’est cette mise
en œuvre que nous allons explorer maintenant, pendant et après l’action d’enseignement.
4.2 Faciliter l’apprentissage interprétatif pendant l’interaction Les résultats de cette recherche font état d’une relative solidarité des procès d’apprentissage
interprétatif et d’une transformation de l’action. En nous inspirant de ce résultat, nous nous
attacherons à favoriser l’activité interprétative et plus encore l’apprentissage interprétatif au
cours même de l’action, pour aider à la transformation de celle-ci. Nous avons vu que cet
apprentissage se réalisait dans les moments d’enquête. Or nous avons vu aussi que ces
moments pouvaient se transformer en activités désespérées. Aussi il nous apparaît important
de favoriser les moments d’enquête, c'est-à-dire les moments où le pronostic est défavorable
et réclame une détermination accrue de la situation. Mais afin que cette enquête ne se
transforme pas en activité désespérée, il nous parait aussi important de fournir une aide. Nous
choisissons de créer cette aide, conformément à la posture de recherche que nous avons prise,
c'est-à-dire du point de vue intrinsèque à l’action et non pas en extériorité. Concrètement cela
signifie que les actions d’aide nécessitent de connaître a minima l’engagement, les attentes et
l’interprétation occurrente de la situation, plus toutes les autres composantes de l’ue qu’il sera
possible de connaître en cours d’action. Ceci débouche sur un questionnement qui provoque
un double effet. Le premier est d’avoir des indices sur l’état de l’activité du point de vue de la
subjectivité engagée par l’apprenti. Le deuxième est de favoriser les transactions langagières
et l’énonciation des interprétations et des types dont la recherche a montré tout l’intérêt dans
l’apprentissage interprétatif dans le cours même de l’action.
4.3 Faciliter l’apprentissage interprétatif après l ’interaction Ici les procédures d’analyse de pratiques peuvent être très utiles. Dans la droite ligne de ce qui
a été présenté, nous avons expérimenté un dispositif essentiellement centré sur l’apprentissage
108 Voir le type de Benoît : Quand on ne peut plus effectuer la séance prévue on est en difficulté pour intervenir et
Troisième chapitre
389
interprétatif à partir de cas réellement vécus. Nous ne ferons que décrire les grandes lignes de
cette démarche qui a été formalisée par ailleurs (Zeitler, Leblanc, 2005).
Il s’agit de reconstruire l'activité de l’acteur en relation avec les éléments objectifs mais aussi
sa face subjective. Pour cela une description méticuleuse des indices considérés comme
importants et significatifs par l’apprenti est produite. La restitution de ces faisceaux
d’indices est en général chargée d’émotion, ce qui marque le caractère significatif des indices.
A partir de cette description, une première série d’interprétations de la situation est produite,
par l’apprenti seul, ou par le groupe qui a vécu l’évènement. Ces diverses interprétations sont
passées au crible de la pertinence et de la plausibilité, qui ont l’avantage de tenter d’éviter une
dérive vers une position véridictionnelle, mais tout en garantissant des interprétations valides
de la situation. Ceci permet d’établir un faisceau d’interprétations sur la situation plus ou
moins congruent ou au contraire relativement dissonant. Un travail de problématisation de la
situation est effectué à la suite de l’énonciation de ce faisceau d’interprétations. Il rassemble
les différentes interprétations en un type plus général, ou différencie un type en plusieurs
autres types. Une généralisation / illustration du type est ensuite produite en associant d’autres
expériences, qui sont subsumées du point de vue des apprentis sous le même type. Dans le
même temps, ces diverses opérations débouchent sur un couplage avec des déterminations
d’actions compatibles avec les différents problématisations qui ont été élaborées.
5. Favoriser l’efficience de l’apprentissage interp rétatif : principes généraux
Favoriser l’efficience de l’apprentissage interprétatif nécessite de notre point de vue une
posture générale, qu’il est possible de mobiliser plus ou moins en fonction des moments de
l’activité formative. En dehors des aspects de mise en sens que nous avons déjà évoqués nous
désirerions plaider pour quelques principes, dont nous faisons l’hypothèse de leurs intérêts en
formation.
• Cultiver la surprise.
La surprise naît de la distorsion entre les indices qui sont repérés et les attentes. Mais comme
ces dernières sont par définition l’expression anticipatoire d’un type, la surprise est la marque
d’une contradiction du type. Ceci représente pour nous une ouverture à la transformation du
type. S’en saisir est probablement un point de départ pour favoriser l’apprentissage
pour prouver sa compétence au tuteur
Troisième chapitre
390
interprétatif. Il nous semble tout à fait utile de favoriser le repérage des configurations
situationnelles dans lesquelles émergent des indices et des faisceaux d’indices surprenants. En
effet, notre modélisation de l’apprentissage interprétatif nous porte à croire que ce repérage
est à la base de l’émergence de nouveaux types.
• Favoriser l’émergence de nouveaux types en relation avec de nouvelles déterminations d’actions associées.
L’interprétation est aussi construite à partir des moyens opérationnels dont dispose l’acteur
pour agir. L’apprentissage interprétatif ne peut se développer que si l’acteur peut mettre en
rapport de nouvelles déterminations d’actions associées de façon solidaires aux nouveaux
types. Aussi nous semble-t-il essentiel d’associer des déterminations d’action permettant ainsi
d’opérationnaliser les nouveaux types pour permettre à l’apprentissage interprétatif de
s’actualiser.
• Favoriser l’émergence de nouveaux engagements en relation avec les nouveaux types.
L’interprétation comme l’apprentissage interprétatif se développe fonction de la perspective
adoptée par l’acteur. A l’inverse il est probable que la transformation des types nécessite une
évolution des engagements habituels des acteurs dans les situations typiques individuées par
les nouveaux types.
• Favoriser l’engagement de l’apprenti dans des situations incertaines pour lui.
Les apprentis répugnent à s’engager dans des situations dont ils ne savent pas s’ils seront
capables de les maîtriser. Pourtant ce sont dans ces situations incertaines que se développent
les enquêtes et les apprentissages. L’indétermination des situations qui y est par définition
associée, fait survenir des processus d’interprétation visant justement une détermination
accrue. Ces situations incertaines ont l’immense avantage de permettre une favorisation de la
création de types hypothétiques. De plus, ces types hypothétiques, en permettant l’apparition
de dilemmes permettent une reconstruction de types usuels. Ainsi l’acceptation d’un
engagement dans les situations incertaines, n’est pas seulement le ferment de création de
nouveaux types, mais est aussi celui d’une reconstruction de types usuels. Ceci implique
l’acception d’une prise de risque de la part de l’apprenti, et de façon réciproque un contexte
formatif qui la permette.
Troisième chapitre
391
• Favoriser l’énonciation des types, mais de façon référée aux situations vécues
Nous avons vu que l’énonciation des types permettait le passage de types prototypiques en
types symboliques. Ce passage est très intéressant, car il permet une certaine autonomisation
de l’apprentissage par rapport à l’action. Mais dans le même temps, cette autonomisation peut
conduire à une coupure totale avec l’activité de repérage des éléments concrets de la situation
(les indices de sa détermination), notamment en dehors de l’action. La création du nouveau
type se couperait d’une évolution de la perception, habituellement solidaire du type. Ceci
conduirait probablement alors à avoir une évolution du discours sur la situation sans que les
types usuels ne soient transformés par cette activité discursive. C’est, nous semble t-il,
l’énorme avantage de l’énonciation de types en cours d’action, que de pouvoir à la fois utiliser
les ressources symboliques pour l’évolution des types et dans le même temps, de se servir du
support concret de la situation pour faire évoluer la partie perceptive afférente au type. C’est
d’ailleurs cette caractéristique qui produit selon nous l’extraordinaire efficacité de
l’apprentissage dans l’enquête 5. De ce point de vue, les échanges langagiers, les
controverses, sur la nature de la situation en cours d’action, même s’ils sont difficiles à mettre
en œuvre à cause du caractère dynamique de la situation, sont pourtant une source
d’apprentissage interprétatif qu’il nous semble très intéressante de favoriser.
• Accéder au type réellement mobilisé par une méthode indirecte
La difficulté dans l’énonciation du type est d’accéder, ou plutôt de faire accéder l’acteur au
type réellement mobilisé. Pour cela, le questionnement direct peut parfois ne pas être efficace
notamment lorsque le type est très nouveau ou en cours d’émergence. Mais il est possible de
favoriser l’énonciation du type en mobilisant les attentes sur l’évolution de la situation. En
effet, la détermination prédicative de la situation par anticipation, mobilise implicitement le
type sur les indices de la situation. Ceci correspond à la réponse aux questions concernant les
attentes sur la situation109. A partir de ce pronostic, si l’on demande à l’acteur comment il
connaît l’évolution de la situation, il peut y avoir deux sortes de réponse. La première
correspond aux indices prélevés dans la situation (ce qui constitue la partie concrète et
perceptive du type). La seconde correspond à la partie abstraite qui permet de réunir dans un
tout signifiant ces indices (la partie interprétante du type). Pour aider à l’énonciation de la
partie abstraite (qui correspond aussi quelque fois à une prise de conscience) la question peut
être de la forme : comment sais-tu que ces indices sont révélateurs de la situation (ou de
109 Voir grille de questionnement plus haut
Troisième chapitre
392
l’évolution de la situation) que m’a décrite ? Ici l’explicitation du type peut s’exprimer en
forme de généralité (parce qu’en général, d’habitude…), ou ce façon prototypique (parce
qu’une fois, il m’est arrivé…). Ceci permet aussi au passage de déterminer l’état de
développement du type prototypique ou symbolique.
• Favoriser l’intégration d’une complexité de plus en plus grande dans le type
Les éléments de contextualisation des types permettent d’introduire une prise en compte de la
complexité des situations de plus en plus grande. Il nous semble utile de favoriser la prise en
compte d’éléments différents de ceux qui organisent habituellement la mobilisation du type.
Le repérage de ces nouveaux indices, associé à de nouvelles interprétations des situations
devrait permettre un développement d’une plus grande complexité des éléments pris en
compte dans le type et donc une évolution de celui-ci.
• Favoriser l’émergence de dilemmes interprétatifs et mise en faisceau de types
Nous avons vu que les dilemmes interprétatifs étaient une condition d’apparition d’ouverture
à la différenciation ou à la généralisation des types. C’est la raison pour laquelle nous pensons
que favoriser des interprétations alternatives à celles que produisent habituellement les
apprentis, est porteur d’apprentissage. Ceci signifie notamment qu’il est sans doute utile de
faire mettre en rapport dans des faisceaux les types usuels et les nouveaux types
hypothétiques sur la même situation. Cette mise en faisceau de types dont nous avons vu les
avantages pourrait être stimulée par la demande d’une argumentation référencée aux indices
concrets des situations.
• Favoriser l’émergence d’un approfondissement des types mobilisés sur la base d’une interprétation des traits profonds de la situation.
Le procès d’approfondissement des types, en dépassant le repérage de la forme de la situation
à partir des traits de surface de celle-ci, permet de favoriser une différenciation et/ ou une
généralisation des types. Les démarches permettant de les favoriser nous semblent être
conformément notre cadre théorique, de l’ordre de la recherche des raisons de la survenue des
situations subsumées sous le type. A la suite de cette caractérisation, il nous semble utile de
faire construire le rapprochement entre les situations de même nature sur la base des traits
profonds malgré une dissemblance de forme ou au contraire différentes malgré l’apparente
ressemblance. Ce nouveau rapprochement devrait favoriser en toute logique la différenciation
ou la généralisation de types sur la base de cet approfondissement.
Troisième chapitre
393
6. Conclusion de la partie praxéologique Nous avons l’espérance que ce travail praxéologique, visant une aide à la conception des
formations de terrain, permettra une évolution de celles-ci. Pour le moment nos premières
tentatives dans ce sens, ont provoqué des émotions de satisfaction, de surprise mais aussi de
déception… Les satisfactions que nous avons eues tiennent à l’accueil enthousiaste des
apprentis à cette démarche de formation. Nous avons pourtant rencontré des difficultés à
approfondir de façon récurrente l’action des apprentis au cours même de celle-ci. Il fallut
choisir les moments. Cependant, nous avons eu souvent la surprise de constater, que le peu
d’investigation de l’action au cours même de celle-ci110 changeait considérablement (en
mieux de notre point de vue) l’apprentissage et l’engagement des apprentis dans celui-ci, de
même que l’action de formation. Une déception est venue tempérer notre enthousiasme
relativement à la difficulté d’appropriation de la démarche. Nous avons tenté une action de
formation envers d’autres formateurs, sous forme de compagnonnage. Le temps
d’appropriation de la démarche fut relativement long (de l’ordre de deux semaines) pour
commencer à percevoir des changements significatifs dans l’activité de formation. Ceci nous
interpelle sur la difficulté de la maîtrise de cette posture d’aide à l’apprentissage. Mais
parallèlement le changement fut plus net et l’évolution plus rapide dans les phases post
actives. Ici l’évolution des pratiques de formation comme de l’engagement des apprentis
dépassa et de loin toutes nos espérances. Ceci fit survenir une surprise dont nous espérons
qu’elle sera pour nous à la base d’un apprentissage futur. Cependant au-delà de notre
expérience, ces espoirs et ces difficultés nous posent la question de la transposition des
connaissances issues de la recherche dans le domaine social de la formation.
110 Essentiellement organisée autour d’une approche de l’engagement, de l’interprétation de la situation, des attentes, (comme approche des types mobilisés dans l’action) et de la détermination de l’action.
394
Conclusion générale
vanitas vanitatum (l’Ecclésiaste)
1. L’apprentissage interprétatif en tant qu’expérie nce : les effets d’une activité de recherche ?
Comme nous l’avons vu la dimension interprétative est un constituant essentiel de
l’apprentissage par et dans l’activité. Sans activité interprétative, il n’y a pas d’attribution de
sens possible à l’environnement et donc, pas d’action possible, en dehors d’une réaction
automatique à la perception.
Pourtant, cette dimension d’interprétation aussi fondamentale soit-elle reste la plupart du
temps cachée aux yeux des acteurs. Tout se passe comme si elle était masquée par la
prégnance de la détermination de l’action.
L’apprentissage interprétatif est encore plus caché pour l’acteur. Cependant, il devient
objectivable pour qui sait solliciter et reconnaître les indices crées par l’activité des procès
d’apprentissage interprétatif. Cette conviction, qui a des implications sur le plan
praxéologique, mais aussi théorique et épistémique, provient à la fois du travail de recherche
présenté, mais aussi de l’expérience même de ce travail.
Cette expérience a modifié les types que nous avions sur l’apprentissage en général et
interprétatif en particulier. Ainsi, cette recherche, qui a utilisé comme matériel empirique
l’activité d’encadrement d’apprentis moniteurs de voile, a eu sur nous des répercussions sur
la compréhension d’autres apprentissages interprétatifs se déroulant par exemple au cours
d’activités professionnelles. Mais cette recherche a eu aussi un effet inattendu sur nous même.
Elle a transformé la compréhension de nos propres apprentissages interprétatifs, se déroulant
jusque dans la vie quotidienne. Ainsi, par exemple, la simple contemplation du tableau
d’Holbein « les ambassadeurs » fut–elle l’occasion d’une expérience prototypique
d’apprentissage interprétatif qui se poursuit probablement encore. C’est précisément cette
expérience que nous voudrions présenter à titre de métaphore des résultats de notre recherche.
395
2. La contemplation des « ambassadeurs » : une expérience d’apprentissage interprétatif
Holbein : les ambassadeurs
Dans un premier temps, je ne fus pas séduit par ce tableau. L’interprétation que je fis
immédiatement de ce tableau est qu’il représentait deux personnages richement vêtus posant
avec prestance. Le peintre, Holbein, que je ne connaissais pas, devait avoir été payé de façon
assez importante, comme c’était l’usage au 16ème siècle. Cette interprétation provoquait alors
un apprentissage interprétatif qui augmentait la confiance dans mon type selon lequel, les
peintres du 16ème siècle étaient dans la dépendance sociale totale de leurs commanditaires qui
se mettaient en scène dans les tableaux. Ceci était de nature à limiter les possibilités
d’expression des artistes dans leurs œuvres. Je n’étais pas surpris tout en reconnaissant la
virtuosité figurative du maître.
396
Je remarquai les instruments derrière les deux hommes et le titre de l’œuvre. J’en tirai
l’interprétation suivante : sur ce tableau figuraient deux ambassadeurs français qui se
présentaient eux-mêmes. Ils tentaient de donner à voir une vision incarnée de leur pays, pétrie
de sciences, de technique, de culture et de rationalité. Cette réorganisation de l’ensemble des
indices laissé par le peintre dans le tableau pour son interprétation me faisait donc concevoir
le sens total de celui-ci de façon assez différente. Mais, quelque chose me surpris : la date. Ce
tableau avait été peint en 1533. J’en induis que les arts et les sciences étaient déjà des choses
valorisées dans la scène. La détermination de cette nouvelle interprétation rapportée au
contexte du tableau, incluant la scène peinte, mais aussi la date de création ouvraient des
conditions d’apparition d’un procès d’apprentissage interprétatif.
Un nouveau type hypothétique se créa alors pour moi. Dès cette époque la valorisation sociale
des sciences du quadrivium antique était peut-être née dans des cercles de la haute société
plus étendus de la société que je ne le supposais. Ce nouveau type hypothétique (et l’est
toujours pour moi) venait en contradiction avec un type plus ancien selon lequel la période de
valorisation de la science en tant que fait social n’apparaissait vraiment que plus tard. Ceci fit
survenir un procès de dilemme interprétatif. Je décidais d’opter pour une solution en forme de
compromis, qui n’invalidait ni l’un ni l’autre des types. La considération positive pour la
science avait dû être diffusée très tôt dans les milieux éclairés de la société. A partir de deux
interprétations différentes, un nouveau type avait donc émergé, intégrant plus de complexité
que chacun des deux autres. Il avait gagné en généralité, mais apportait aussi une
différenciation en resémiotisant le faisceau d’indices que j’avais repéré dans le tableau.
Cependant, l’enjeu de cet apprentissage était faible pour moi. Je ne suis pas un spécialiste de
l’art pictural (loin sans faut) et je ne projetai pas de le devenir. L’apprentissage en est resté là
sur cette question.
A ce moment, je remarquai un troisième faisceau d’indices. Une chose indéterminée se
trouvait aux pieds des ambassadeurs. J’en fus surpris. J’en fus aussi intrigué, car je ne
m’attendais pas à voir un élément aussi dissonant dans un tableau de cette période. Quelque
chose « clochait ». Je doutais tout à coup, d’avoir vraiment compris le tableau. C’est comme
si la toile me lançait un défit interprétatif. Etant engagé par ailleurs sur le travail de recherche
sur les apprentissages interprétatifs, résoudre cette énigme devint un enjeu d’apprentissage sur
l’apprentissage interprétatif. J’allai surveiller de près comment je m’y prenais pour mener
cette enquête et en profiter pour voir quelle résonance elle aurait pour moi en terme
d’apprentissage (outre le fait qu’il était clair que je faisais de ce défi une affaire personnelle
maintenant). Ainsi, le simple repérage d’un indice divergent des attentes et le repérage de la
397
configuration situationnelle dans laquelle il émergeait, avait transformé mon engagement dans
la contemplation de ce tableau. J’entrais donc dans une activité d’enquête. N’arrivant pas à
déterminer la forme, je détaillais le faisceau des éléments dont elle était constituée qui étaient
autant d’indices : plusieurs trous, une partie lisse en haut. N’arrivant pas à déterminer la
forme, je lus le commentaire. Cette communication facilita immédiatement l’interprétation de
la forme.
Soudain, ce faisceau se structura dans une forme qui prenait immédiatement sens : c’était un
crâne111. Il était allongé et déformé certes, mais c’était un crâne. En fait il fallait regarder
cette forme d’un certain point de vue, comme par dessous et sur le coté pour rétablir les
proportions et retrouver la signification immédiate de la forme.
D’autres indices pouvaient être maintenant repérés à l’aune de cette nouvelle forme
signifiante pour moi de l’idée de la mort : le nez, la mâchoire, une dent… une nouvelle
interprétation survint alors. Le peintre avait dissimulé la mort dans le tableau. Je tins
immédiatement cette interprétation pour vraie tant elle était associée à un sentiment de
certitude. Du coup, cette nouvelle interprétation devint un nouvel indice qui augmentait
considérablement la complexité de la situation.
Une nouvelle interprétation advint alors. Non, je n’avais pas devant moi une image signifiant
la magnificence, la glorification de la raison et des arts. L’image stigmatisait au contraire la
vanité des ambassadeurs et de leurs croyances dans la toute puissance de la rationalité, par le
facétieux Holbein. Ceci créa un nouveau type prototypique. Le peintre pouvait signifier autre
chose que ce qu’il était censé signifier et ceci probablement à l’insu du commanditaire. Etant
engagé dans la surveillance de mes propres procès d’apprentissage interprétatif, je formulai
pour moi même alors un type symbolique suivant lequel : les peintres de cette époque
pouvaient s’affranchir de la tutelle sociale des commanditaires par des moyens masqués. Ce
type symbolique subit alors un approfondissement. Le fait d’être obligé de cacher la
signification profonde du tableau augmentait paradoxalement les possibilités créatrices. Cet
approfondissement du type amenait à une redéfinition du domaine de validité du type initial.
Les peintres étaient soumis à une domination sociale, mais jusqu’à un certain point. La
caractérisation symbolique du type ouvrait la possibilité à une mise en faisceau entre types. Je
repensai aux propos des artistes russes qui avaient vécus l’époque de la censure soviétique
comme un moment de fortes contraintes, que leurs créativités s’ingéniaient à contourner.
Cette mise en faisceau déboucha sur le type plus général selon lequel, la contrainte de l’artiste
398
était à la fois un blocage, mais aussi une source de créativité pour la contourner. Ce
raisonnement s’autonomisait par rapport à la contemplation du tableau dont il était issu. Par
un choc en retour, le sens que je donnais au tableau subit un saut. Ce tableau était devenu un
exemple typique d’un type d’une certaine subversion par la maîtrise de l’art de
l’anamorphose.
L’apprentissage aurait pu en rester là. Mais la découverte récente, d’un autre indice remet tout
en cause. Le tableau avait été commandité par Jean de Dinteville (le personnage de gauche)
qui avait pour devise Memento mori (Souviens-toi de la mort). L’inclusion de la mort dans le
tableau était peut-être une commande et non un subterfuge de la part du peintre. Du coup
l’interprétation peut changer de nouveau complètement par ce nouvel indice. Le tableau n’est
plus une stigmatisation de l’attitude des ambassadeurs, mais au contraire une ode à l’humilité
devant la mort de la part de Jean de Dinteville. Si la production de cette signification cachée
était une commande, mes types en seraient changés. Ils le sont d’ailleurs par cette seule
possibilité. Ce n’est plus tant le peintre qui était obligé de dissimuler la signification profonde
du tableau, mais bien le commanditaire. J’en forme maintenant le type selon lequel, certains
nobles devaient probablement être amenés à cacher une certaine humilité (à des fins de
présentation de soi) en empruntant pour cela des subterfuges comme virtuosité des maîtres de
la peinture.
En définitive, de cette expérience interprétative émerge pour moi la création d’un méta type,
organisant mon propre apprentissage interprétatif. La sémiose est infinie. Elle l’est par la
puissance des procès d’apprentissage interprétatif qui agissent sur elle. Cet ensemble donne à
l’acteur ses possibilités créatives dans l’interprétation de l’environnement. Celles-ci
construisent par là-même des situations valides pour des actions inédites.
111 Ce n’est qu’au 20ème siècle qu’un historien des arts interprétât cette forme comme une anamorphose de crâne humain, que l’on nommait souvent jusqu’alors « os de seiche » !
399
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