Transcript
Page 1: Bienvenue dans l'ère de l'imprévu ! 150831 Les Echos Tribune Institut G9+ Valentine Ferreol & Luc Bretones

Les EchosLundi 31 août 2015 IDEES&DEBATS//09

art&cultureLES ARTICLES LES PLUS LUS HIER SUR LESECHOS.FR

1. Soupçonnéde chantage contre le royaumeduMaroc, le journalisteEricLaurent admetun « accord financier »2. JacksonHole : les banquiers centraux face auxdangers de l’inflation zéro3. L’air est demoins enmoinspolluéauMoyen-Orient, et cen’estpasunebonnenouvelle4. Les travailleurs freelance vont-ils relancer l’économie ?5. Le train fantômenazi chargéd’or suscite curiosité et convoitises

Visapourl’image:l’œilsurlestourmentsdumondeMichè[email protected]

Rendez-vous unique aumonde, Visa pour l’image,est, depuis vingt-six ans,l’événement annuel incon-tournable du photojournalisme. QuandArnaudBaumannest venu le 6 janvier pré-senter à Jean-François Leroy, fondateur etdirecteur du festival, le livre de photos surl’aventure de « Hara-Kiri » et « CharlieHebdo », réalisé avec Xavier Lambours,rienne laissait présager la tragédiequi sur-viendrait le lendemain. L’accrochage desportraits a naturellement été intégré auprogrammedesvingt-sixexpositions.Maisledéfi dans l’arbitrage, parmi les4.500dos-siers reçus chaqueannée, « consisteà éviterde juste égrener les fléaux», pointe Jean-FrançoisLeroy.

Le festival rembobine l’actualité, drama-tique ounon,vueparleboîtierdephotogra-phes aguerris comme le Français PascalMaitre, le Turc Bulent Kilic ou le Britanni-que Marcus Bleasdale. Visa pour l’image,qui les a souvent révélés, porte aussi lesgénérationsmontantes avecdes signaturescommeViviane Dalles, Edouard Elias, Ser-gey Ponomarev. Son directeur regrettel’absence de sujets sur Daech, dont seulesfiltrent des – insoutenables – images souscontrôle. Les femmes soldats yézidies quil’affrontent, au nord-ouest de l’Irak sont,

elles, présentes à travers lereportage de l’iranienAlfredYaghobzadeh.

En Afrique de l’Ouest,c’est une drôle de guerrecontreunennemi invisible,le virus Ebola, qui se joue.

Daniel Berehulak est l’un des seuls photo-graphes à l’avoir affronté sur le terrain. Sesimages d’êtres foudroyés parmi les sca-phandres jaunes teintent laréalitéd’unfan-tastique inquiétant. Elles sont au palmarèsde deux catégories, News et Magazine,parmi les six visas d’or qui sont délivrés. Acesrécompensess’ajoutentseptautresprix,dont le tout premier qui sera cette annéeremis au nom de Camille Lepage, la jeunephotoreporter tuée enCentrafrique enmai2014.

Témoigner et non interpréterOnneverrapas, cetteannée, les lauréatsduWorld Press Photo. Jean-François Leroy arefusé tout net les cimaises du festival à laprestigieuse organisation qui est au cœurd’une vive polémique pour un reportageprimé dont il a été démontré qu’il était misen scène. « Le photojournalisme doit témoi-gnerdumondeetnon l’interpréter »martèlele directeurdu festival.

Alors, «Bienvenue dans lemonde réel »,comme le signe Jean-François Leroy dansl’éditorial de cette 27e édition. Perpignanvous inviteà le regarder en face. n

Près de Suruç, ville du sud-est de la province de Sanliurfa, en Turquie,le 2 octobre 2014 : une femme kurde et sa fille attendent après leur passagede Syrie en Turquie, sous les tirs demortier. Photo Bulent Kilic/AFP

PHOTO

Visa pour l’imageA Perpignan,jusqu’au 13 septembre.visapourlimage.com

XavierGallais,clochardterrestre

ThomasNgo-Hong-Roche

Un imposant sapin blancsedresse côté jardin surunlit duveteuxde fausse four-rure.Onsecroiraitdansunconte d’Andersen. Mais lafête à laquelle nous convieKnut Hamsun ne ressem-ble guère à une féerie. Dans « Faim », sonromanenpartie autobiographique, leNor-végien esquisse le portrait d’une généra-tion d’écrivains sans le sou et en panned’inspiration. Comment parvenir à unidéalesthétiquelorsquelesbesoinslesplusprimaires ne peuvent être comblés ?

Ce jeûne forcé engendre paradoxale-ment des bouffées délirantes propices àl’épanchement d’une sensibilité onirique.Tranchant sur l’âpreté du quotidien, lesdéambulations fantastiques du sans-logisdans des palais d’émeraude et d’améthysteoffrent un refuge rêvé face à un quotidienprécaire.

Touchant va-nu-piedsL’ironiedusort veutque la représentationde« Faim » se déroule dans la petite salle duParadis,authéâtreduLucernaire.Unparadisbien ingrat, alors,pourunartisteenquêtede

créativité. Créée avec succèsen 2011 au Théâtre de laMadeleine, l’adaptationd’ArthurNauzyciel fait fi defioritures. Presque austère,lamiseenscènedudirecteurduCDNd’Orléansseconcen-tre avec profit sur son rap-portavecXavierGallais.

L’acteur prodige (dirigé plusieurs fois parBenoît Lavigne, lenouveaupatronduLucer-naire)selivreàcorpsperdudanslabatailleententant de conserver sa dignitéd’hommedelettres.Ildélivreuneperformancesaisissantesans verser dans une quelconque emphase.L’entendre raconter sa lutte pour tenter dedénicher un os avec de la viande ou avoir leplaisir de savourer un simple bifteck provo-quedesfrissons.Gallaisdonnechairetâmeàce personnage émouvant de vagabondinquiétant. Avec de la détresse dans les yeuxmais une volonté inébranlable dans le cœur,l’acteur captive le public par l’incandescencerentréedesonjeumalgré,untexteardu.

« Faim » se termine sur l’illumination deguirlandes rouges : lumières vivifiantes ouenferàvenir ?Entoutcas,notreclodo-artistes’embarque à bord d’une galère. Littérale-ment. Peut-être l’aube d’un avenir plusradieux. n

THÉÂTRE

Faimde Knut Hamsun.Mise en scèned’Arthur Nauzyciel.A Paris, Le Lucernaire.(01 45 44 57 34). 1 h 20.

LEPOINT

DEVUE

de StéphaneCossé

LeFMIfaceauparadoxeallemand

Danslagestiondelacrisegrecque,toutlaisseàpenserquelefauconallemands’oppose auFMI, dont

les fonctionnaires seraient devenus enquelque sorte des colombes de la disci-pline financièremondiale. La situationest pour lemoins paradoxale. L’Allema-gneattendduFMIqu’ilparticipeausau-vetagede laGrèceaunomdesarigueur,quandleFMIluirépondqu’ilestprêtà lefaire si l’Allemagne assouplit sa propreposition, jugée trop rigoureuse. Com-mentpeut-onenarriver là ?

Le FMI a posé deux exigences pourparticiper au programme d’aides à laGrèce : un plan de réformes complet etun allégement de la dette. Depuisl’accord de lami-août avec Athènes, leFMIainsinuéquelapremièreconditionétait acquise, mais pas la seconde. Orl’Allemagne ne souhaite pas ouvrir laquestionde la réductionde la dette. Ellefait appel au FMI pour son expériencedanslesplansdesauvetageetpouréviterun face-à-face germano-grec dans lamiseenœuvredemesures« impopulai-res ».D’unpointdevue financier, leFMIfait clairement « payer » à l’Europe lechoixdenepas laisser sortir laGrècedelazoneeuro.L’institutionavait indiquéàl’Europe qu’il lui appartenait d’arbitrersur un choix qu’elle considérait denaturepolitique.LeFMIconsidèreainsique le budget annoncé de 85milliardsd’euros du plan d’aide est insuffisantpoursortir laGrèced’affaire.

La sortie de la zone euro aurait eu defacto pour conséquence une incapacitéde laGrèceà repayer ladettede l’Etat enmonnaie dévaluée. Ce schéma est bienconnuduFMI : lescréancierspublicsdelaGrèceauraientétécontraintsd’accep-ter une réduction du stock de la dettedans le cadre d’un accord au Club deParis, tout en exigeant que le gouverne-mentmette en place un programme de

réformes avec le FMI. Lemontant de laréduction de la dette, qui atteignait320milliards d’euros avant l’accordmi-août, aurait étéproportionnel auniveauestimé adéquat par le FMI pour que,compte tenu du programme de réfor-mesetdupotentieldecroissance,lebilanfinancierdupaysredevienneviable.

LeFMIanalyseleseffetsmacroécono-miques dumémorandumet de l’ajuste-ment interne, et conclutà l’insoutenabi-lité. La BCE semble àmots couvertspartager cette analyse (Mario Draghijuge« indiscutable »lanécessitéd’allégerla dette grecque). Mais ce positionne-

ment reflète aussi, et peut-être surtout,unjeud’acteursquiarrangenombredesEtatsmembres du FMI, sauf… l’Allema-gne. A commencer par le premieractionnaire du FMI, les Etats-Unis. Cesderniersconsidèrentque lecoûtdusau-vetage revient aux contribuables euro-péens. Le gouvernement et le Congrèsvoient enoutred’unbonœil la coalitiond’ungouvernementd’extrêmegaucheetdroite se scinder sur l’autel d’un trainderéformes complètes, auquel les Etats-Unis souscriventparailleurs.

Les autres actionnaires du FMI ontpourleurpart,àplusieursreprises,criti-qué la trop forte exposition du FMI en

Grèce. Lassés par leur manqued’influence au sein de l’institution àWashington, certains d’entre eux selancent dans des projets multilatérauxalternatifs de solidarité financière. Lespays asiatiques ont créé une Banqueasiatique d’investissement pour lesinfrastructures (AIIB) et les BRICS vien-nent d’abonder un fonds commun aveclemêmeobjectif.

Et l’Europe ? Il est certes important àses yeux de partager l’addition déjàlourde du plan de sauvetage avec lesEtats-Unis et le reste dumonde, et deréussir à élargir la base du soutien auxmesures courageuses. Mais, certains,comme la France, peuvent utiliser l’exi-gence du FMI d’une réduction de dettepour « raisonner » l’Allemagne. Et lesplus européistes peuventmême y voirune manière de bouter le FMI horsd’Europe :aide-toi, l’Europe t’aidera.

Autotal, l’Allemagnesemblebien iso-lée, écartelée entre sa responsabilité denepasfragiliserlasolidaritéeuropéenneet les coûts faramineux que constitue lesauvetage de la Grèce, notamment auxyeuxdesonopinionpublique.Sonappelàl’implicationduFMIresteenl’étatvain.Ellepeutàcestaderappelersonsuccès :l’inflexibilitéd’AngelaMerkel a fait plierAléxisTsípras.Sanspréjugerdurésultatdesélectionsgrecquesattenduesensep-tembre, la porte de sortie se trouverasansdoutepar lebiaisd’uncalcul finan-cier avec leFMI :unallégementdedetterepose surdenombreuxparamètres delong terme(potentieldecroissance, réé-chelonnementdeséchéances,réductiondes taux) qui pourraient être aménagéspour trouver un compromis acceptablepar tous.

Stéphane Cossé est ancien senior

economist au FMI et membre du

conseil d’administration d’EuropaNova.

Le FMI fait « payer »à l’Europe le choixde ne pas laisser sortirla Grèce de la zone euro.

L’Europe veut partagerl’addition du plan desauvetage avec les Etats-Unis et le reste dumonde.

LEPOINT

DEVUE

deValentine FerréoletLucBretones

Bienvenuedansl’èredel’imprévu

L’histoire de l’humanité est entréedans une nouvelle phase de sondéveloppement, une phasemar-

quée par une accélération mais aussiune complexité sans précédent, deschangements auxquels nous devonsnouspréparerdèsaujourd’hui.

La troisième révolution industrielleremet en cause l’approche centraliséeissuedelarévolutiondelavapeurpuisdel’électricité. L’industrie de demain seratrès profondément impactée par l’essorde l’Internet des objets. Les change-ments organisationnels qui vont endécouler seront colossaux. Nous som-mes en train de vivre une accélérationsans précédent des capacités de disrup-tion et d’action à grande échelle, autre-ment dit la « surabondance d’opportuni-tés ». Que ce soit avec Internet, lesréseaux sociaux, lesmobiles, les plates-formes de « crowdsourcing » ou de« crowdfunding », les individus dispo-sent de capacités de calcul et d’action enréseau jusque-là réservées aux grandsgroupes ou aux institutions publiques :endeuxcentsans, lavitessedetransmis-siondel’informationaétémultipliéepar100milliards. Cela, ajouté à la chute duprix des capteurs (accéléromètres, GPS,lecteursd’empreintes…)maintenantdis-ponibles àmoins de 1 euro, fait que deplus en plus d’objets de notre quotidienvont disposer d’un processeur, de cap-teurs et surtout d’une connexion Inter-netviaBluetoothouwi-fi.

Cemonde ultraconnecté appartientdésormais aux ingénieurs et aux entre-preneursquivontpouvoirexploitercetteformidablebase installéeafind’inventerde nouvelles applications, de nouveaux« businessmodels » à partir de ce parcd’objets connectés presque infini. C’esttrès précisément ce que Richard Buck-minster Fuller a décrit dès 1969 commele phénomène d’« éphémérisation »,process qui consiste à réaliser toujoursplusavec toujoursmoins. FrancisHeyli-ghen, cybernéticien, complète en expli-quant que « désormais, plutôt que de

compter sur une chance de découverte etde l’attendre, les nouvelles méthodesd’innovation développent des techniquesde façon systématique en utilisant lamodélisation et le test qui caractérisent lascience. »Ainsi, les nouvelles idées sontexprimées, formalisées et testées à unrythmesanscesseplusrapide.

Faceàcettebrusqueaccélération, faceà ces changements radicaux de société

quis’annoncent,touslesanalystes,touteslesentreprises traditionnellesontétépri-ses au dépourvu. Comme le soulignaitJackWelch, l’ancien patron deGeneralElectric, « lorsque le rythme de change-ment à l’extérieur dépasse le rythme dechangement interne, la fin (sous-entendud’uneentreprise)estproche».

Nous devons innover ensemble,sachant que les start-up créentmassive-ment l’innovation de rupture et les« gazelles », ou entreprises de crois-sance, massivement les nouveauxemplois. Plusieurs étudesmenées auxEtats-Unis montrent que la créationnetted’emploissurunelonguepériodeaétéproduiteen intégralitépardesentre-prisesdemoinsdecinqans.

Nous avons besoin en France et enEurope de plates-formes permettantd’accélérer l’« open innovation » entregrands groupes, start-up et gazelles. Lenouvel alphabet de l’innovation s’écritsurlabasedetechnologiesetdeconceptsnouveaux (IP, « open source » », API,standards de fait, « crowdfunding »...)Pour les grands groupes, c’est un travaild’adaptationetde transformationquoti-dien. Au-delà de la dimension innova-tion ou financière, la proximité desstart-up permet d’accélérer la transfor-mationdans lesgroupesplus installés.

Valentine Ferréol est la présidente

de l’institut G9+ ;

Luc Bretones en est le vice-président.

Ce sont les start-upqui créent massivementl’innovation de rupture.

Grands groupeset jeunes pousses doiventtravailler ensemble.

Recommended