E-réputation :
Les marques face aux bad buzz
Directeur de mémoire :
Benjamin Thiers
Année 2012 – 2013
Caroline Castro
ECS M1
3
SOMMAIRE
Remerciements ...................................................................................................................... 5
Introduction .......................................................................................................................... 6
I) Définitions des notions liées à l’e-réputation et contexte .............................................. 8
1.1) Définitions .................................................................................................................... 8
1.1.1) De la réputation à l’e-réputation ........................................................................ 8
1.1.2) Cartographie des médias sociaux ..................................................................... 9
1.1.3) Le buzz : good buzz et bad buzz ..................................................................... 13
1.2) La naissance de l’e-réputation .................................................................................. 14
1.2.1) La démocratisation d’internet ......................................................................... 14
1.2.2) Un web social et mobile .................................................................................. 16
1.2.3) Identification des influenceurs du web 2.0………………………………………..17
1.3) La culture du bad buzz ............................................................................................... 19
1.3.1) Typologie des bad buzz .................................................................................. 19
1.3.2) Internet au service de tous les instincts ........................................................... 20
1.3.3) La mode du « fail » ......................................................................................... 21
II) La gestion de l’e-réputation d’une marque sur les médias sociaux ........................... 22
2.1) Adapter sa communication au web 2.0 ...................................................................... 22
2.1.1) Effectuer une veille en amont .......................................................................... 22
2.1.2) De la communication traditionnelle à la communication relationnelle ............. 23
2.1.3) Définir la ligne directive de sa communication 2.0 ........................................... 25
2.2) Le rôle du community manager ................................................................................. 26
2.2.1) Connaître la marque et son secteur ................................................................ 26
2.2.2) Le processus de réponse aux commentaires .................................................. 27
2.3.2) Le cas Bouygues Telecom .............................................................................. 28
2.3) Développer une culture de crise................................................................................. 29
2.3.1) Imaginer les scénarios possibles pour une crise d’e-réputation ....................... 29
4
2.3.2) Mettre en place une cellule de crise ................................................................ 31
2.3.3) Organiser une veille web ................................................................................. 31
III) La communication à mettre en place lors d’un bad buzz .......................................... 33
3.1) Les règles à suivre pour atténuer la crise ................................................................... 33
3.2.1) Faire preuve de réactivité ................................................................................ 33
3.2.2) Opter pour la transparence ............................................................................. 34
3.2.3) Reconnaître ses torts ...................................................................................... 35
3.2) Le bad buzz : une opportunité s’il est bien géré ......................................................... 36
3.2.1) Le cas EA Sports ............................................................................................ 36
3.2.2) Le cas La Redoute .......................................................................................... 37
3.2.3) Le cas Domino’s Pizza .................................................................................... 39
Conclusion .......................................................................................................................... 41
Bibliographie ...................................................................................................................... 42
Glossaire ............................................................................................................................. 44
Annexes .............................................................................................................................. 46
5
REMERCIEMENTS
En préambule, je souhaite remercier les personnes qui m’ont apporté leur aide et leur
contribution pour la rédaction de ce mémoire.
Je tiens d’abord tout particulièrement à remercier Benjamin Thiers, mon directeur de
mémoire, qui m’a accordé de son temps et m’a éclairée grâce à ses nombreuses
connaissances dans le domaine de la communication digitale. Il a également su
répondre à toutes mes questions et m’a ainsi guidée au mieux dans la rédaction de
ce mémoire.
Je remercie aussi Rémi Gozlan, mon maître de stage, pour le temps qu’il m’a
accordé et le savoir qu’il m’a apporté tout au long de mon année en alternance au
sein de son entreprise RG Design. Mon alternance au sein de l’agence RG Design
m’a permis d’être concrètement confrontée à des problématiques de communication
digitale et d’acquérir une expérience solide dans le domaine du référencement
naturel.
Je souhaite également remercier l’ensemble de l’équipe pédagogique de l’ECS
Marseille, ainsi que les intervenants, pour les connaissances qu’ils m’ont apportées
et qui m’ont permis de m’orienter vers le sujet de mémoire que je souhaitais traiter.
Enfin, je remercie les blogueurs et autres internautes qui ont répondu à mes
questions lors de discussions autour du sujet de mon mémoire.
6
INTRODUCTION
Internet fait désormais partie intégrante de notre quotidien et nous sommes toujours
de plus en plus connectés : smartphones, tablettes tactiles, objets intelligents1... Le
web se développe de manière exponentielle, révolutionnant ainsi notre accès à
l’information, nos moyens de communication, et nos habitudes de consommation.
L’avènement du web 2.0 a participé de manière conséquente à cette évolution de
nos modes de vie en plaçant l’internaute au cœur de la toile. Au milieu des années
2000, internet est entré dans une phase participative, fondée sur la contribution
personnelle de tous les internautes. L’information n’est alors plus diffusée de manière
descendante sur internet, les internautes interagissent et échangent entre eux du
contenu, des avis, et des expériences.
Ce partage entre les internautes est notamment accentué avec l’internet mobile. Une
connexion en 3G, ou désormais en 4G, nous permet de diffuser une information de
manière instantanée, où que nous soyons. Cette émergence du web participatif et de
l’internet mobile confronte les marques à de nouvelles problématiques. Internet a en
effet entièrement modifié la relation existante entre les consommateurs et les
marques. Un internaute mécontent peut désormais le faire savoir au grand public en
quelques secondes. Il lui suffit de se munir de son smartphone et d’aller partager son
mécontentement sur Facebook, Twitter, un blog ou un forum.
Cette diffusion instantanée de l’information et ce développement des médias sociaux
confrontent aujourd’hui les marques à une nouvelle problématique, celle de l’e-
réputation. Le pouvoir donné aux internautes pour exprimer leur avis au sujet d’une
marque et de le partager avec le monde entier a fait naître un nombre pharamineux
de bad buzz aux cours des dix dernières années, portant ainsi atteinte à la réputation
en ligne des marques ainsi qu’à leur réputation au-delà de la toile. Ce qui est sur
internet ne reste pas seulement sur internet si le bad buzz n’est pas contrôlé et
rattrapé. Les marques se doivent donc de prendre en compte les enjeux liés à une
mauvaise gestion de leur e-réputation ou bien à une non-présence sur le web. Etre
présent permet en effet de pouvoir réagir face aux critiques et de communiquer au
1 Voir définition page 44
7
nom de la marque alors que n’avoir aucune présence laisse la porte ouverte à toutes
sortes de commentaires.
Au travers de ce mémoire, nous tenterons d’apporter une réponse à la problématique
suivante : comment les marques peuvent-elles anticiper les bad buzz et y faire face ?
Nous commencerons par définir les notions liées à l’e-réputation et au web 2.0 ainsi
que le contexte dans lequel les bad buzz s’inscrivent. Nous verrons ensuite comment
gérer sa réputation sur les médias sociaux afin d’éviter un bad buzz. Enfin, nous
nous pencherons sur le type de communication à entreprendre lors d’un bad buzz,
pour calmer la crise et profiter de la visibilité apportée à la marque.
Des extraits d’articles de presse, interviews, et livres en rapport avec la réputation
numérique, les médias sociaux, et la communication digitale de manière globale
viendront nourrir la rédaction de ce mémoire.
8
1. Définitions des notions liées à l’e-réputation et contexte
Avant d’apporter des réponses à la problématique énoncée en introduction, il est
primordial de définir clairement les différentes notions liées au domaine de l’e-
réputation qui seront utilisées tout au long de ce mémoire. Le contexte dans lequel
s’inscrivent les bad buzz se doit également d’être expliqué afin de permettre de
comprendre l’enjeu fondamental qu’ils représentent aujourd’hui pour les marques.
1.1) Définitions
1.1.1) De la réputation à l’e-réputation
Pour pouvoir comprendre l’e-réputation, il faut tout d’abord comprendre la réputation.
La réputation est définie de la manière suivante par le fondateur et directeur du
cabinet de conseil RCA2, David Reguer : « opinion a priori durable, détachée des
fluctuations de l’image, créée à partir des imaginaires, des représentations et des
signes d’où qu’ils viennent, perçus par une partie prenante dans un contexte culturel,
politique, sociologique et économique donné. »
La réputation d’une marque ne doit pas être confondue avec l’image de marque.
L’image de marque correspond à une projection façonnée par la marque elle-même.
L’image est ainsi relativement maîtrisée puisqu’elle se bâtit au travers de messages
et d’expressions créatives. La réputation diffère de l’image du fait qu’elle n’appartient
pas à la marque. Dans une interview, Stéphane Billiet, président-directeur général de
l’agence de communication Hill & Knowlton Strategies3 exprime que « L’image, je la
projette et elle est reçue. La réputation, elle m’est renvoyée et on la propage pour
moi. »
2 RCA est un cabinet de conseil en communication digitale fondé en 2003. 3 Hill & Knowlton Strategies est une agence de communication corporate et de relations publiques
appartenant au groupe WPP.
9
L’e-réputation, aussi appelée réputation numérique ou réputation online, n’est rien
d’autre que la réputation propagée grâce à un nouveau moyen : internet. L’e-
réputation change réellement le rapport des marques à la réputation par le fait que
l’information se propage plus rapidement que jamais. L’e-réputation ne correspond
ainsi pas à l’image que véhicule une marque sur internet mais est la « composante
numérique de sa réputation. »4
Les risques liés à une mauvaise gestion de l’e-réputation sont souvent mis en avant.
Cependant, la naissance de l’e-réputation a été accompagnée de nouvelles
opportunités pour les marques. En effet, une démarche interactive s’est mise en
place par le biais des médias sociaux et les consommateurs sont réellement devenus
des consommacteurs5 avec parfois la création d’une communauté protectrice plutôt
que destructrice pour la réputation d’une marque.
1.1.2) Cartographie des médias sociaux
Les médias sociaux correspondent aux plateformes en ligne permettant de partager
du contenu avec d’autres internautes. Les médias sociaux comprennent les blogs,
les forums, les sites de questions/réponses tels que celui de Yahoo, et les réseaux
sociaux.
4 Interview de Stéphane Billiet 5 Voir définition page 44
10
Illustration des principaux médias sociaux
Source : http://www.mediassociaux.fr
o Les wikis
Le nom wiki a pour origine le terme hawaiien wiki wiki, signifiant « rapide » ou «
informel ». Un wiki est un site web dynamique permettant à chaque utilisateur de
publier librement du contenu et de modifier les pages. Tout utilisateur peut ainsi
modifier une page à sa guise. Le wiki permet de faciliter le travail collaboratif de
différentes personnes appelées « contributeurs ». Ce système permet de facilité
l’instantanéité du partage d’informations en ligne, l’élaboration de documents à
plusieurs, et dans la majeure partie des cas, les contenus doivent être validés par la
communauté. Cependant, les wikis peuvent poser problème quant à la véracité des
propos publiés. Si tout le monde peut publier ce qu’il souhaite, il est en effet difficile
11
de s’assurer que le contenu est fiable. Wikipédia est le wiki le plus connu et le plus
consulté. La fiabilité de son contenu est d’ailleurs souvent remise en question.
o Les blogs
Le terme « Blog » est une abréviation de weblog, qui peut se traduire par « journal
sur Internet ». Un blog peut être personnel ou professionnel, généraliste ou dédié à
une thématique précise : musique, politique, photographie, chroniques
personnelles… Toute thématique peut être abordée par un blog. Le blog est avant
tout un espace virtuel personnel qui donne la parole à tous les internautes. De
nombreuses plateformes en ligne permettent de créer gratuitement un blog sur
internet. Généralement utilisé à des fins personnelles auparavant, le blog est
désormais un outil qui s’inscrit dans la stratégie de communication digitale de
nombreuses entreprises.
o Le social bookmarking
Le social bookmarking, traduit en français par « partage de signets » ou « marque
page social », permet aux internautes de stocker, classer, et de partager leurs liens
favoris. Les internautes enregistrent les liens qu’ils considèrent utiles dans des listes
qui peuvent être consultées par les autres utilisateurs du site de social bookmarking.
Parmi les plateformes de social bookmarking connues, on peut trouver les sites
Delicious et Diigo. L’avantage des bookmarks est qu’ils permettent de trouver
facilement ses liens mis en favoris grâce à une recherche par tags6 mais également
qu’il est possible de consulter ses bookmarks où que l’on se trouve. Enfin, en mettant
simplement une page en favoris, il est possible de la partager avec une communauté,
si l’on décide de rendre ses liens favoris publics. En entreprise, le social bookmarking
peut être utilisé afin de rassembler des informations et d’effectuer une veille sur sa
marque ou son secteur d’activité.
6 Voir définition page 45
12
o Les forums
Un forum est un espace de discussion en ligne, pouvant être privé ou public, qui
permet aux internautes d’échanger entre eux, de poser des questions, de publier des
réponses aux questions, ou simplement de partager du contenu. Généralement
modéré afin d’assurer son bon fonctionnement et dédié à une thématique précise, il
est organisé en fils de discussion, aussi appelés « topics ». Il faut généralement
s’inscrire pour pouvoir prendre part aux discussions d’un forum. Pour être inscrit, il
faut choisir un pseudonyme, et la plupart des utilisateurs demeurent donc anonymes
sur les forums de discussion.
o Les réseaux sociaux
Un réseau social est une plateforme en ligne permettant à une personne de s’inscrire
et de créer une identité virtuelle, appelée communément « profil ». Le réseau social
permet d’échanger de manière générale avec les autres membres inscrits par
messages privés ou publics. Un réseau social est défini par Marie Armand,
Dirigeante & consultante chez L'Œil au Carré, agence spécialisée dans la veille web,
comme étant « un point de rassemblement sur internet d’un groupe d’individus et/ou
d’organisations, et qui met à leur disposition des outils favorisant les échanges entre
eux. »
Il est courant de voir un amalgame fait entre la notion de médias sociaux et celle de
réseaux sociaux. En effet, de nombreux outils en ligne sont qualifiés de réseaux
sociaux alors qu’ils n’en sont pas. Il est pourtant primordial de distinguer clairement
les médias sociaux des réseaux sociaux. Les réseaux sociaux font partie des médias
sociaux mais les expressions « réseaux sociaux » et « médias sociaux » ne peuvent
aucunement être inter-changés.
Pour Bernard Duperrin, consultant et expert en réseaux sociaux, la notion de réseau
social signifie que « deux individus en contact direct valident tous les deux leur
relation, la formalisent. Facebook ou Linkedin sont des réseaux car pour être en
contact il faut une action volontaire de part et d’autre.» Dans ce cas-là, Twitter n’est
donc pas un réseau social mais est un média social puisqu’il n’y pas d’interaction
directe entre deux internautes. La différence entre médias sociaux et réseaux
13
sociaux est donc parfois controversée mais de manière générale Twitter est
considéré comme un réseau social. Ses évolutions récentes comme le partage de
vidéos et photos tendent cependant à le faire considérer par certains comme étant
un média social.
Il existe des réseaux sociaux généralistes, des réseaux sociaux thématiques et des
réseaux sociaux professionnels. Les réseaux sociaux généralistes les plus connus
sont incontestablement Facebook et Twitter. Avec plus d’un milliard de profils
existants en 2013, Facebook est sans contestation le réseau social connectant le
plus de personnes dans le monde. Une telle notoriété en a ainsi fait une opportunité
majeure pour la communication digitale des marques. Les pages « fan » pouvant
être créées par des entreprises permettent en effet à une marque de créer sa propre
communauté sur ce réseau social et d’interagir avec. Twitter, quant à lui, regroupait
517 millions de comptes en février 2012 et représente également une opportunité
majeure pour la communication des marques sur le web.
1.1.3) Le buzz : good buzz et bad buzz
Le terme “buzz” est à la base un anglicisme désignant un bourdonnement. Ce terme
fut tout d’abord utilisé dans le domaine du marketing pour désigner le fait de faire du
bruit autour d’un produit ou d’un événement grâce au bouche à oreille. Depuis l’essor
des médias sociaux, le terme « buzz » est également utilisé dans le domaine de la
communication digitale pour qualifier une information ou un contenu à forte
viralité, c’est-à-dire partagé par un très grand nombre de personnes sur la toile. Le
buzz est notamment un moyen de communication pris d’assaut par les entreprises
depuis maintenant plusieurs années. Nombreuses sont celles qui ont par exemple
tenté un lip-dub7 ou un flashmob8 pour s’offrir un coup de publicité à moindre coût.
Dès qu’un buzz s’empare de la toile, il est fréquent de voir de nombreuses marques
s’en saisir pour tenter d’obtenir un contenu viral.
7 Voir définition page 44 8 Voir définition page 44
14
Le buzz désigne ainsi une photo, une vidéo, un texte ou tout autre contenu
bénéficiant d’une viralité importante. Ce phénomène est devenu tellement important
dans l’univers digital que le terme « buzz » a fait son entrée dans le dictionnaire
Larousse en 2010. Il est ainsi possible de dire qu’une réelle culture du buzz est née
au cours des dernières années et que les marques tentent constamment de trouver
le nouveau format à la mode sur la toile pour utiliser ce moyen de communication 2.0.
Le bad buzz, quant à lui, désigne un buzz négatif, c’est-à-dire un bouche à oreille qui
dessert une personne ou une entreprise. Le bad buzz est donc identique au buzz
hormis le fait qu’il n’est généralement pas souhaité. Ce phénomène est d’ailleurs une
des raisons qui rend les marques réticentes quant à l’utilisation des réseaux sociaux.
Un bad buzz peut en effet naître d’une mauvaise communication d’une marque sur
un réseau social comme une publication ou une réponse à un commentaire mal
formulée. Ceci dit, un bad buzz peut également voir le jour à la suite d’une action de
la marque et notamment suite à une tentative de créer le buzz.
C’est par exemple le cas du magasin Décathlon de Saint Dié des Vosges qui a publié
le 14 décembre 2012 un lip-dub sur Youtube. La vidéo reprenant la chanson « Call
Me Maybe » de Carly Rae Jepsen, véritable tube de l’année 2012, montrait les
employés en train de danser tout en chantant des paroles qui visaient à promouvoir
les articles du magasin pour les fêtes de fin d’année. La vidéo fut alors partagée à de
nombreuses reprises sur Twitter dans des tweets9 accompagnés de moqueries. La
marque Décathlon a ainsi tenté de créer le buzz mais il n’a pas été accueilli comme
prévu par les internautes. C’est comme cela que certaines marques se retrouvent à
l’origine même d’un bad buzz.
1.2) La naissance de l’e-réputation
1.2.1) La démocratisation d’internet
Internet s’est réellement ouvert au grand public à partir du milieu des années 1990.
L’année 1994 est d’ailleurs l’une des plus importantes dans l’histoire d’internet. C’est
9 Voir définition page 45
15
en effet en 1994 qu’est créé le premier navigateur internet, Netscape. Netscape sera
rapidement remplacé par Mosaic puis par Internet Explorer en 1995. En 1994 est
également créé l’annuaire Yahoo qui regroupe de nombreux sites internet par
thématique. Enfin, en 1994, WebCrawler voit le jour. WebCrawler est le premier
moteur de recherche capable d’indexer toutes les pages qu’il parcourt sur la toile.
Au milieu des années 90, internet est alors composé de sites internet, de portails
d’information ainsi que de moteurs de recherche. La communication par courriel est
notamment une grande révolution amenée par la toile. L’usage d’internet est pour les
internautes principalement lié à la consultation de sites et l’envoi de courriels. La
communication des entreprises sur internet est, quant à elle, uniquement
descendante.
C’est au début des années 2000 que les sites e-commerce, aussi appelés sites de
vente en ligne, apparaissent et se multiplient. C’est également dans les années 2000
que les blogs connaissent un succès phénoménal ainsi que les forums qui
permettent aux internautes de partager des informations et avis sur différentes
thématiques. En 2005, la plateforme de partage de contenus vidéo Youtube et son
concurrent français Dailymotion voient le jour. Un an plus tard, c’est Twitter qui fait
son arrivée sur la toile et Facebook qui s’ouvre au grand public10. Les internautes ne
sont alors plus simples spectateurs, ils commencent à interagir.
Ce passage d’un web passif à un web participatif est ce qui est appelé la transition
du web 1.0 vers le web 2.0. L’expression web 2.0 a été initiée par Tim O'reilly,
fondateur d'O'Reilly Media, une maison d'édition spécialisée dans l'informatique. Le
web 2.0 désigne de manière générale le web « nouvelle génération » et s’oppose à
l’ancienne utilisation d’internet. Le web 2.0 désigne ainsi une nouvelle utilisation
d’internet avec l’émergence d’un web collaboratif, où les utilisateurs sont au cœur de
l’information. Le web 2.0 signe alors la fin de la communication unilatérale et
descendante pour les marques, qui offrait peu de place à l’interactivité. Les
comportements des internautes sont modifiés, ils ont acquis un pouvoir par rapport
aux marques en pouvant donner leur avis, qu’il soit positif ou négatif. Ce pouvoir des
internautes face aux marques ne cesse alors de s’accroître.
10 Facebook était auparavant réservé aux étudiants des universités américaines.
16
1.2.2) Un web social et mobile
Le web devient par la suite de plus en plus social avec la multiplication des médias
sociaux et surtout avec un usage croissant de ces derniers. De plus en plus
d’internautes font part de leur mécontentement sur Twitter ou sur les pages
Facebook des marques. A cela s’ajoute la notion d’instantanéité apportée par
l’internet mobile. Selon une étude de Flurry Analytics, service de statistiques pour
applications mobiles, les mobinautes 11 sont désormais plus nombreux que les
internautes (81 min/jour contre 74min/jour).
Etude sur le temps d’utilisation journalier passé sur le web et sur les applications mobiles aux Etats-
Unis en 2010-2011
Sources : comScore, Alexa, Flurry Analytics
Les digital natives 12 , pour lesquels internet rime avec l’acronyme « ATWAD »
(Anytime, Anywhere, Any Device soit N’importe quand, n’importe où, n’importe quel
11 Voir définition page 44 12 Voir définition page 44
17
appareil), sont principalement ceux qui font pencher la balance en faveur de l’internet
mobile.
Cette nouvelle utilisation d’internet a un impact considérable sur l’e-réputation des
marques. Les consommateurs expriment en temps réel leur avis quant à la qualité de
leurs achats ou leur satisfaction par rapport à un service. Le cas de Nespresso en
février 2011 illustre parfaitement la proportion que peut prendre un avis sur un média
social. Le 22 février 2011, Normand Boulanger, un jeune homme canadien, se rend
dans une boutique Nespresso. Le service n’est pas rapide et d’autres personnes
arrivées après le jeune homme sont servies avant lui. Pour exprimer son
mécontentement, Norman Boulanger poste un tweet grâce à son smartphone en y
ajoutant @Nespresso_US13, le community manager de la marque en Amérique du
Nord. Un coup de fil est alors passé et le serveur en question frôle alors le
licenciement car ce tweet est perçu comme mauvais pour la réputation numérique de
Nespresso.
Avec l’internet mobile, le pouvoir des consommateurs face à l’e-réputation des
marques est encore plus grand. A tout moment et où qu’il soit, un individu lambda
peut faire part de son avis au sujet d’une marque et ainsi porter atteinte à sa
réputation numérique. Les parties prenantes du web 2.0 sont de plus en plus
critiques et des leaders d’opinions ont une influence conséquente dans la sphère
digitale. Les motivations des internautes sont diverses et doivent être cernées afin
que les marques puissent réagir aux avis négatifs et adapter leur stratégie de
communication en ligne.
1.1.3) Identification des influenceurs du web 2.0
Sur les médias sociaux, Forrester Research, entreprise réalisant des études sur
l’impact des technologies, distingue deux sortes d’utilisateurs. Le premier type
d’utilisateurs correspond aux internautes qui publient leurs avis et leurs
recommandations concernant des produits et des services sur des sites d’avis
d’utilisateurs, des blogs, des forums ou bien sur les réseaux sociaux. Le deuxième
13 L'arobase @ est utilisé sur Twitter pour mentionner un autre utilisateur.
18
type d’utilisateurs rassemble les influenceurs, dont le nombre est largement plus
réduit. Les influenceurs représentent en effet un petit nombre de personnes mais
sont ceux qui vont permettre la diffusion du contenu. Selon Forrester Research,
13,8% des internautes publient 80% des avis ayant de l’influence, et 6,2% assurent
80% de leur diffusion sur les médias sociaux. Les influenceurs, bien qu’ils soient peu
nombreux, jouent donc une part prépondérante dans la diffusion d’avis sur les
médias sociaux.
Plusieurs types d’influenceurs peuvent être identifiés sur les médias sociaux. Selon
Sandrine Szabo, co-fondatrice de Netinfluence, une agence web Suisse, il existe 6
profils d’influenceurs :
o Les créateurs de tendance : ce sont les premières personnes à créer du
contenu au sujet d’un nouveau produit ou service (hormis la marque si elle a
déjà communiqué auparavant en son nom à ce sujet).
o Les guetteurs : ils sont à l’affût de toutes les nouveautés et recherchent à
avoir les informations en premier. Ils effectuent une veille en continu pour ne
rien rater sur la toile.
o Les leaders d’opinion : ils sont connus et suivis sur le web, leur avis au sujet
d’un produit ou d’un service ralliera de nombreuses personnes à leur opinion.
Ils ne sont pas obligatoirement experts en un domaine mais ont gagné une
grande crédibilité au sein de la sphère 2.0.
o Les experts : ils sont très pointus dans leur domaine et sont donc reconnus
pour leur expertise. Ce sont généralement ces personnes qui réalisent des
tests sur de nouveaux produits par exemple.
o Les célébrités : le statut des célébrités fait qu’elles ont de l’influence même si
elles s’expriment au sujet d’un domaine dans lequel elles ne sont pas expertes.
o Les "social ring leaders" (initiateurs de la boucle sociale) : ce sont les
internautes qui disposent d’un immense réseau et propagent les buzz sur les
médias sociaux.
19
Les influenceurs sont donc les personnes qui peuvent avoir un poids important pour
l’e-réputation d’une marque. Cependant, même en étant une marque appréciée des
influenceurs du web, des risques de crise de réputation numérique persistent. Les
internautes entretiennent en effet une culture du bad buzz.
1.3) La culture du bad buzz
1.3.1) Typologie des bad buzz
Un bad buzz peut être déclenché par différents facteurs. Selon Olivier Cimelière14,
directeur de la communication corporate du groupe Ipsos15, nous pouvons distinguer
six catégories de bad buzz.
o Le bad buzz réputationnel : c’est celui qui peut affecter une marque sur le
long terme. C’est par exemple le cas de Nestlé et sa marque Kit Kat qui ont
été pointés du doigt par Greenpeace en 2010 à cause de l’achat d’huile de
palme en Indonésie. Greenpeace a également détourné le logo de Kit Kat
avec l’inscription « killer », ce qui a fortement nuit à la réputation de la marque.
o Le bad buzz controverse : ce type de bad buzz voit le jour à la suite d’un
acte de communication d’une marque jugé trop osé ou déplacé, et engendrant
ainsi une polémique.
o Le bad buzz résistance au changement : c’est le cas lorsqu’une marque
annonce un changement de logo ou la fin de production d’un produit par
exemple, et que les internautes s’y opposent fortement.
14 Voir annexe 1 page 46 15 Ipsos est un institut de sondages français et une société internationale de marketing d'opinion, créé
en 1975.
20
o Le bad buzz militant : ce bad buzz surgit lorsqu’une ONG prend pour cible
une entreprise afin de défendre une cause. L’attaque de Greenpeace contre
Nestlé se classe également dans cette catégorie.
o Le bad buzz fausse rumeur : lancé sur un média social, une fausse rumeur
prend de l’ampleur et est fortement relayée, jusqu’à ce qu’elle génère un bad
buzz.
o Le bad buzz salariés : des salariés mécontents d’une entreprise peuvent
volontairement créer un bad buzz et porter ainsi fortement atteinte à la
réputation numérique de leur entreprise.
1.3.2) Internet au service de tous les instincts
Plusieurs raisons font que les internautes entretiennent les bad buzz. Certains
internautes cherchent à exprimer leur mécontentement et initier un bad buzz afin
d’attirer l’attention. C’est par exemple le cas d’une cliente de la Fnac qui a posté un
message racontant les soucis avec l’ordinateur qu’elle vient d’acheter sur la page
Facebook de la marque. En quelques heures seulement, plus de 12 000 personnes
aiment sa publication. Le problème de cette cliente devient ainsi viral et est repris sur
la toile. La cliente poste plus tard dans la journée un commentaire expliquant qu’elle
a été contactée par la Fnac et que son ordinateur va être échangé.
Le bad buzz est également un vecteur de sociabilisation sur la toile. Ce n’est qu’un
moyen comme un autre pour un internaute d’entretenir son réseau virtuel et le
partage de contenu viral renforce le sentiment d’appartenance sociale sur internet.
Certaines personnes se plaignent également sur les pages des marques afin de
créer un bad buzz leur apportant de la reconnaissance dans la sphère 2.0 et les
rendant célèbres, ne serait-ce que pour quelques heures.
D’autres internautes cherchent cependant seulement à se distraire en créant le buzz
et en le propageant. Les internautes aiment l’émotionnel et se distraire par l’humour
ainsi que le détournement. Le web peut être apparenté à un lieu de partage
permettant d’enrichir ses connaissances, de partager son savoir, mais permettant
21
également de se distraire et de rire. Les internautes sont ainsi friands de buzz, good
ou bad, car ils sont tous deux vecteurs d’émotions. Comme l’écrit Ronan Boussicaud,
consultant en webmarketing, dans son article « Pourquoi participe-t-on à un lynchage
numérique ? »16, « Le lynchage à l’ère du numérique arbore davantage une forme de
curiosité et de distraction que de procès d’intention et de plans machinéens. » La
dérision et la moquerie sont encouragées par le fait de pouvoir s’exprimer sous un
pseudonyme et de préserver ainsi son anonymat. Il est donc plus facile pour les
internautes de prendre une personne ou une entreprise pour un souffre-douleur. La
distraction par le bad buzz a ainsi engendré un phénomène que les internautes
appellent communément un « fail ».
1.3.3) La mode du « fail »
La mode du « fail » est palpable depuis déjà plusieurs années sur la toile. Le fail peut
être apparenté à un échec ou autrement dit un raté d’une personne ou d’une
entreprise sur la toile. Le fail s’oppose au « win » qui correspond à une réussite. Au-
delà du fail et du win existent les expressions « epic fail » et « epic win » pour
accentuer l’ampleur d’un raté ou d’une réussite. Selon Ronand Boussicaud, « le web
le web 2.0 est perçu comme un terrain de jeu saupoudré d’epic win et de fail en
tout genre. »
Les fails des marques sont repris et partagés à outrance sur la toile, avec pour
motivation la moquerie et la distraction comme expliqué précédemment. C’est par
exemple ce qui s’est passé pour la vidéo virale de Cuisinella. En décembre 2012,
Cuisinella met en oeuvre une fausse opération de caméra cachée durant laquelle
plusieurs passants se font abattre en pleine rue puis sont embarqués de force à bord
d’une ambulance avant d’être mis dans un cercueil. Le cercueil s’ouvre ensuite et le
passant se retrouve dans une cuisine Cuisinella. Le message de la vidéo étant
« Vous pourriez mourir à tout instant. N’attendez pas pour profiter d’une cuisine
Cuisinella ». Cette vidéo a été très mal accueillie par les internautes à l’unanimité. La
vidéo jugée choquante a fait le tour du web et a été qualifiée d’epic fail.
16 Voir annexe 2 page 52
22
Le lip-dub du magasin Décathlon dans les Vosges évoqué précédemment est
également un fail d’une marque. Le fail peut ainsi qualifier un bad buzz dont la
marque est à l’origine. Cependant, les marques ne sont pas toujours à l’origine des
bad buzz les concernant. De nombreux détournements circulent sur la toile et sont
notamment véhiculés sur Youtube, la vidéo étant un contenu extrêmement viral sur le
web.
2. La gestion de l’e-réputation d’une marque sur les médias sociaux
Qu’ils soient perçus comme une menace ou comme une opportunité, les médias
sociaux ne laissent pas indifférents. Une marque présente sur les médias sociaux
peut subir des atteintes à sa réputation numérique sur sa page Facebook par
exemple mais si elle n’est pas présente sur le web 2.0, les critiques ne seront pas
empêchées pour autant. Il est donc primordial pour une marque d’investir les médias
sociaux afin de pouvoir réagir aux commentaires des internautes et maîtriser ainsi
son e-réputation dans les limites du possible. Cependant, créer une identité sur les
médias sociaux ne doit pas être pris à la légère et doit être le fruit d’une réflexion. Il
est impératif de définir une stratégie précise qui soit adaptée aux médias sociaux.
2.1) Adapter sa communication au web 2.0
2.1.1) Effectuer une veille en amont
Avant d’investir les médiaux sociaux, une entreprise doit déjà connaître ce que les
internautes disent d’elle. Etre au courant des critiques qui sont faites à une marque
lui permettra de mieux appréhender sa relation avec les internautes et de savoir sur
quels médias sociaux elle doit être présente. Plusieurs outils permettent à une
entreprise d’effectuer une veille sur le web pour surveiller sa réputation numérique.
23
Tout d’abord, effectuer une simple recherche sur le moteur de recherche Google
permet d’obtenir des informations sur ce qui se dit au sujet d’une marque. En
analysant les résultats de Google, il est possible de se faire une idée de l’état de sa
réputation numérique. Cependant, pour savoir précisément les publications
présentes sur la toile au sujet de sa marque, d’autres outils doivent être utilisés,
comme les Google Alerts par exemple. Les Google Alerts permettent de recevoir une
notification à chaque fois que certains mots clés sont utilisés dans de nouvelles
publications sur le web. Une marque peut ainsi mettre comme mot clé son nom, celui
d’un de ses produits ou services, et recevra instantanément le lien de la page où ces
mots clés sont présents. L’outil Twitter Search permet également de savoir ce qui se
dit sur sa marque très facilement par une simple recherche sur Twitter.
Une marque doit ensuite analyser les forums de discussion sur lesquels elle peut
être citée afin de connaître les avis des internautes. Il faut d’abord effectuer un
ciblage des forums de discussions pertinents à surveiller puis mettre en place une
veille régulière. Les sites d’avis de clients sont aussi à analyser et surveiller, avec un
ciblage préalable comme pour les forums de discussion. Une fois ce travail de veille
effectué, la marque aura déjà conscience de comment elle doit appréhender sa
présence sur les médias sociaux. Cependant, elle doit aussi prendre en compte
d’autres critères et établir une stratégie de communication adaptée à ce nouveau
canal de communication.
2.1.2) De la communication traditionnelle à la communication
relationnelle
Les médias sociaux ont transformé les règles habituelles de communication en
positionnant l’internaute comme acteur du web. Les marques se doivent donc de
repenser leur stratégie afin de passer d’une communication traditionnelle vers une
communication relationnelle. De nombreuses erreurs nuisant à l’e-réputation sont en
effet commises par les marques uniquement parce qu’elles mettent en œuvre une
communication qui n’est pas adaptée à ce nouveau canal qu’est le web 2.0. La
communication traditionnelle est unidirectionnelle et a pour objectif de toucher le plus
24
grand nombre de personnes ciblées par la marque. Le consommateur ne fait que
recevoir un message, il n’interagit pas avec la marque.
Illustration des différences entre la communication 1.0 et 2.0
Source : http://www.reussirsonwebmarketing.com
Le modèle de communication sur les médias sociaux est plus difficile à appréhender
puisqu’il est basé sur l’interaction avec les internautes. La communication web 2.0,
contrairement au web 1.0, s’ancre donc dans une logique relationnelle où le dialogue
25
prime et où l’internaute ne doit pas être perçu comme un consommateur mais plus
comme le membre d’une communauté. C’est une communication multidirectionnelle
où l’internaute est amené à interagir par le biais de partages, de mentions « j’aime »,
de commentaires… Les règles de communication traditionnelle se trouvent ainsi
bouleversées. Les marques doivent donc réaliser un travail d’apprentissage
conséquent afin d’être présentes sur les médias sociaux de manière efficace.
2.1.3) Définir la ligne directive de sa communication 2.0
L’entreprise est une entité dont les employés sont les acteurs et ils jouent ainsi
également un rôle dans le déploiement d’une stratégie de communication 2.0. Il faut
donc que les employés se voient inculquer une culture des médias sociaux afin qu’ils
ne parasitent pas la communication si une crise survient. Cette culture des médias
sociaux peut se transmettre par l’information de tous les employés au sujet des
enjeux du web 2.0 ainsi que la diffusion et l’explication d’une charte d’utilisation des
médias sociaux. Les employés seront informés par la charte d’utilisation de ce qu’ils
peuvent et ne peuvent pas dire quand ils parlent au nom de la marque, ce qu’ils ont
le droit de divulguer, et les risques liés au partage d’informations confidentielles sur
les médias sociaux.
Les médias sociaux et l’internet mobile font que les marques doivent également
prendre en compte la notion d’instantanéité dans la diffusion de l’information.
L’information circule en temps réel et il faut donc que l’animateur de communauté,
également appelé community manager, puisse répondre rapidement, sans attendre
au préalable l’accord de sa hiérarchie. Le community manager doit pouvoir réagir
rapidement aux interactions des internautes afin de favoriser le dialogue. Bien que
l’animateur de communauté doive être réactif, il ne doit cependant pas être impulsif.
Pour veiller à cela, l’entreprise doit mettre en place une stratégie qui facilitera la
fluidité des échanges entre le community manager et les internautes. Le rôle du
community manger doit ainsi être clairement défini par la hiérarchie de l’entreprise et
il doit avoir toutes les clés en main pour être capable d’interagir le plus rapidement
possible avec les internautes.
26
2.2) Le rôle du community manager
2.2.1) Connaître la marque et son secteur
Afin de pouvoir répondre correctement et rapidement aux commentaires des
internautes, le community manager doit avoir une excellente connaissance de sa
marque. Il doit en effet connaître parfaitement son sujet mais également le marché
sur lequel sa marque est présente. Le community manager peut être pris en interne
ou en externe, en passant par une agence web par exemple. Dans le livre La
marque face aux bad buzz, l’auteur Ronand Boussicaud explique que
« Théoriquement, il est fortement conseillé d’internaliser son community manager,
mais dans les faits, toutes les sociétés n’ont pas forcément le budget nécessaire ou
les ressources internes. » Un community manager doit en effet de préférence être
choisi en interne, si le budget le permet, car il sera plus imprégné de ses valeurs et
aura un attachement à la marque.
Le community manager ne doit pas seulement connaître sa marque, il doit également
connaître parfaitement sa communauté en ligne. Il doit être capable d’identifier les
internautes qui ont de l’influence afin de tenter de les rallier à sa cause. Le
community manager doit aussi bien connaître sa communauté dans le but de ne pas
créer de polémique en abordant un sujet sensible. Si le community manager ne
connait pas suffisamment sa communauté et les valeurs auxquelles elle se rattache,
il peut lui-même créer un bad buzz.
C’est par exemple ce qu’a fait le community manager de Canal Plus lors du festival
de Cannes. A la fin du festival, les actrices du film La Vie d’Adèle, un film traitant de
l’homosexualité féminine, se sont vu remettre la palme d’Or. Suite à cela, le
community manager a posté une publication sur Twitter demandant de manière
vulgaire si les deux actrices ayant reçu la palme d’Or allaient avoir des relations
sexuelles pour fêter leur victoire. Le gestionnaire de communauté souhaitait poster
une publication humoristique, cependant les internautes ne l’ont pas du tout perçu de
cette manière. Le tweet a été qualifié de choquant et d’insultant pour les
homosexuelles, et a déclenché un raz-de-marée de réactions négatives sur Twitter.
Le community manager doit donc connaître la communauté en ligne à laquelle il
27
s’adresse afin de ne pas être lui-même à l’origine d’un bad buzz à l’encontre de sa
marque. Il doit également faire attention au contexte dans lequel il communique. Le
tweet de Canal Plus, publié en plein débat sur l’autorisation du mariage entre
personnes de même sexe, a d’autant plus choqué les internautes.
2.2.2) Le processus de réponse aux commentaires
En plus de ces connaissances au sujet de sa marque et de sa communauté, le
community manager doit posséder des qualités relationnelles. De par un travail de
veille conséquent et permanent, le community manager doit être prêt à répondre aux
questions et remarques de sa communauté de manière adéquate. Le community
manager doit faire preuve de diplomatie, d’ouverture d’esprit et de sang-froid. Il doit
avoir un certain recul pour répondre aux commentaires sans se précipiter et sans
être impulsif. Tous les community managers ne répondent cependant pas calmement
aux commentaires des internautes, ce qui peut faire naître un bad buzz.
C’est par exemple ce qui s’est passé en 2012 pour Aquarelle, un site internet de
livraison de fleurs. Tout a débuté par une mauvaise gestion d’un dossier par le
service client. Une jeune femme a commandé un bouquet mais il n’a jamais été livré
et elle souhaite donc un remboursement. Elle demande à être remboursée en
publiant un message sur la page Facebook de la marque. Le community manger lui
répond alors de la manière suivante : « Vous ne serez pas remboursée, votre dossier
est bloqué car vous mettez des messages sur Facebook ». La jeune femme ébruite
la réaction d’Aquarelle et attire rapidement l’attention d’autres internautes. Une
publication officielle va ensuite faire encore plus de tort à Aquarelle. Le community
manager signale en effet que la situation est réglée, que la personne a été
remboursée et que leur « page Facebook n’est pas un défouloir ». Il se trouve
cependant que la jeune femme n’a pas été remboursée mais bannie de la page
Facebook et poste alors des publications sur Twitter pour expliquer sa situation, ce
qui crée le buzz.
Le cas d’Aquarelle démontre l’effet boule de neige que peut engendrer une mauvaise
réaction d’un community manager. Bannir et censurer des messages ne peut pas
28
être efficace dans un environnement 2.0 où l’information circule de manière
instantanée.
2.2.3) Le cas Bouygues Telecom
Le cas Bouygues Telecom peut être considéré comme un cas d’école en matière de
community management. En 2012, l’arrivée de Free Mobile sur le marché de la
téléphonie mobile bouleverse profondément la situation des trois opérateurs français
SFR, Orange et Bouygues Telecom. Les faibles prix proposés par Free Mobile
exposent au grand jour une entente des trois opérateurs historiques au niveau des
tarifs de téléphonie mobile. Suite à cela, les internautes mécontents envahissent les
médias sociaux et expriment notamment leur colère sur le réseau social Facebook.
Pour la page Facebook de Bouygues Telecom, la moyenne qui était d’une centaine
de messages par jour est passée à plus de 5 000 lors de l’arrivée de Free sur le
secteur de la téléphonie mobile. Tanguy, le responsable web de Bouygues Telecom,
a parfaitement su gérer les critiques des internautes. Contrairement à Orange et SFR,
Bouygues Telecom a laissé les internautes s’exprimer sur sa page Facebook tout au
long de cette crise. Tanguy a choisi l’humour pour répondre aux commentaires
agressifs et de signer chaque commentaire de son prénom pour ajouter de la
proximité avec les internautes.
29
Commentaire publié sur la page Facebook de Bouygues Telecom et réponses du community manager
Source : page Facebook de Bouygues Telecom
De par son humour et sa capacité à gérer cette crise, Tanguy a eu des pages
Facebook créées à son effigie, une sorte de récompense pour avoir su gérer
efficacement une période difficile pour les opérateurs mobiles. L’estime que peut
porter une communauté à un community manager joue également dans la réputation
d’une entreprise sur la toile. En effet, le community manager est un représentant de
son entreprise ou de sa marque sur internet.
2.3) Développer une culture de crise
2.3.1) Imaginer les scénarios possibles pour une crise d’e-réputation
Afin de pouvoir réagir de manière efficace à une crise d’e-réputation, il est important
d’imaginer les scénarios pouvant en engendrer une. La marque doit tout d’abord
30
commencer par classer les événements pouvant survenir selon leur probabilité et
leur gravité. Les risques pour l’e-réputation d’une marque peuvent être analysés de
différentes manières. Il existe des méthodes déductives et des méthodes inductives.
Parmi les méthodes déductives se trouvent l’arbre des causes et l’arbre des
défaillances. Dans l’arbre des causes, on part de l’événement et des effets qu’il a
engendrés pour trouver les causes et son origine, alors que le contraire est effectué
dans l’arbre des défaillances. En ce qui concerne les méthodes inductives, deux des
méthodes les plus connues sont l’AMDEC (Analyse des Modes de Défaillance et de
leurs Effets et de leur Criticité) et l’APR (Analyse Préliminaire des Risques).
L’AMDEC consiste à considérer et analyser toutes les défaillances éventuelles d’un
système ainsi que leur probabilité d’apparition. L’APR consiste à évaluer les risques
au stade initial de la réalisation d’un système. D’autres méthodes plus simples à
mettre en œuvre pour analyser les risques existent cependant comme le montre le
tableau ci-dessous.
Source : E-book Communication à l’heure des médias sociaux
Une fois cette segmentation effectuée, la marque va pouvoir élaborer un plan de
réponse pour chacune des situations imaginées. La marque doit déterminer des
objectifs à court et long terme en matière de gestion de crise. Pour être préparé en
cas de crise et pouvoir être réactif, il faut ensuite constituer une cellule de crise avec
un porte-parole de la marque désigné, préparer un manuel de gestion de crise et
simuler un retour d’expérience.
31
2.3.2) Mettre en place une cellule de crise
La cellule de crise peut être composée d’une ou plusieurs personnes selon la taille
de l’entreprise concernée. Pour une grosse entreprise, il faudra constituer une
équipe composée d’un décideur, d’un coordinateur, d’un secrétariat et d’un
responsable de la communication selon les co-auteurs de l’e-book Communication
de crise à l’heure des médias sociaux. Les personnes composant la cellule de crise
sont les référents en amont, au cœur, et en aval de la crise. Le processus de
réponse aux commentaires en période de crise doit être parfaitement défini au
préalable. Un commentaire devra-t-il être retiré ? Dans quels délais faudra-t-il
répondre aux questions des internautes ? La cellule de crise est en charge de définir
la stratégie de communication multicanale à mettre en place et de coordonner les
actions afin de faire cesser la crise au plus vite. Dans la gestion de crise, la « war
room », terme faisant référence au cabinet de guerre du premier ministre britannique
Winston Churchill, représente un fort intérêt. La war room est le centre de la gestion
de crise et est un endroit où les gestionnaires de la crise peuvent se retrouver afin de
coordonner leurs actions.
Une marque ne peut pas se protéger contre tous les risques en matière d’e-
réputation mais elle peut cependant élaborer des plans de gestion de crise à
l’avance pour être le plus réactif possible en temps de crise. Selon Ronan
Boussicaud, auteur de « La marque face aux bad buzz », « sur les médias sociaux,
90% des crises sont prévisibles, il y a donc une opportunité d’établir des scénarios à
l’avance, en étant pro actif ». C’est notamment en effectuant une veille en continu
que les risques pouvant mener à un bad buzz ou à une crise de réputation
numérique peuvent être réduits.
2.3.3) Organiser une veille web
Pour éviter un bad buzz, une veille doit être réalisée en permanence sur le web. La
veille permet d’anticiper les bad buzz en sachant ce qu’il se dit sur une entreprise ou
32
une marque, et doit être effectuée avant, pendant et après une crise. Même si un
bad buzz est terminé, la veille doit cependant continuer. Selon une étude publiée par
Satmetrix en 2012, seulement 49% des entreprises réalisent un suivi des
commentaires sur les plateformes sociales, et 28% ne font aucune veille web.
Etude Satmetrix sur le suivi des commentaires sur les médias sociaux par les entreprises B2B et B2C
aux Etats-Unis en 2012
Track :
Source : http://www.marketingprofs.com/
Pourtant, dans de nombreuses situations, une veille web efficace permet d’éviter une
crise sur les médias sociaux. Pour être réactif et éviter ainsi une crise, il faut tout
d’abord connaître les critiques des internautes à leurs prémices, lorsqu’elles ne sont
pas encore assez visibles sur la toile pour avoir un réel impact sur l’e-réputation de la
marque. Une marque doit prendre en considération l’ensemble des plateformes sur
lesquels s’expriment les internautes et pas seulement Facebook ou Twitter. Souvent
laissés de côté, les forums et les sites de questions/réponses et les blogs impactent
tout autant sur la réputation numérique, d’autant plus s’ils ressortent en bonne
position sur les moteurs de recherche.
33
L’erreur souvent commise par les marques est d’effectuer une veille web concernant
seulement leur nom, leurs produits et leurs services. La veille web doit être plus large
et doit concerner les actualités dans le secteur d’activité concerné ou les actions des
concurrents. En faisant cette veille, la marque pourra identifier des sources
d’informations pertinentes telles que des blogs influents, des sites de concurrents, ou
des plateformes relayant l’actualité de son secteur. Une fois que les sources sont
identifiées, la veille web peut être automatisée grâce à de nombreux outils en ligne.
3. La communication à mettre en place
lors d’un bad buzz
3.1) Les règles à suivre pour atténuer la crise
3.1.1) Faire preuve de réactivité
La circulation instantanée de l’information sur internet fait qu’il est primordial pour
une marque de réagir vite lorsqu’un bad buzz survient. Il faut agir rapidement, dès
que le bad buzz débute, d’où l’importance d’avoir constitué auparavant une cellule de
crise. Une réaction rapide de la marque réduira les risques de développement du
bad buzz. Un bad buzz doit donc immédiatement être pris en charge et la marque ne
soit pas rester silencieuse, ce qui risquerait seulement d’amplifier la crise. Selon
David Reguer, fondateur et directeur de RCA, agence de communication et de
marketing digital, « Les réseaux sociaux de plus en plus intégrés au système
médiatique ne donnent plus le chois à la marque, la poussant à prendre la parole et
à agir pour éviter l’emballement. Pour autant, cette prise de parole doit être
mesurée. »
La réactivité ne doit cependant pas être confondue avec de la précipitation. Une
réponse inadaptée à un bad buzz ne fera en effet que l’amplifier. Selon Ronan
Boussicaud, « La précipitation est probablement l’erreur la plus fréquemment
34
observée. De nombreuses crises sont corrélés à un premier communiqué public à la
va-vite qui va finalement embraser la toile et créer un effet inverse qu’à celui
recherché. » Un premier message simple doit être communiqué afin d’indiquer aux
internautes qu’ils ont été entendus et que la marque ne fait pas la sourde oreille. Ce
premier message doit servir à orienter la suite de la communication de crise. Le bad
buzz ne sera pas réglé par un seul message, ce sera cependant une première
approche permettant d’entamer le dialogue avec les internautes. La marque ne devra
donc pas se précipiter tout en agissant rapidement, ce qui est souvent difficile à faire.
Les marques qui réagissent sans analyser l’étendu du bad buzz au préalable
prennent le risque d’envenimer la situation.
3.1.2) Opter pour la transparence
Le fait que l’information circule instantanément sur le web rend également la
transparence obligatoire dans la communication qui suit un bad buzz. Tout finit par
se savoir sur la toile et un manque de transparence lors d’un bad buzz fera perdre à
la marque sa crédibilité lors de ses futures prises de parole. Si la diffusion d’un
contenu est à l’origine du bad buzz d’une marque, sa suppression ne règlera pas la
crise mais au contraire l’accentuera. Ce phénomène est nommé « L’effet Streisand »
en référence à Barbara Streisand qui avait attaqué en justice le diffuseur d’une
photographie de son domaine privé afin d’éviter qu’elle se propage sur la toile.
L’écho de cette procédure juridique a eu pour conséquence de rendre populaire
l’image auprès des internautes américains. En demandant la suppression de cette
photographie, sa diffusion a ainsi été multipliée.
La suppression de contenu est très mal reçue par les internautes. Une
communication en toute transparence est généralement plus efficace que la
suppression d’une publication, qui risque seulement de faire croître le bad buzz. La
transparence permet de gagner la confiance des internautes. En période de bad
buzz, la transparence sera récompensée, plus qu’une suppression du contenu à
l’origine de la crise, que la censure de commentaires ou que le fait de ne pas prendre
la parole, qui laisse libre court aux commentaires à la polémique. Selon Ronan
Boussicaud, « La modération injustifiée ou encore le silence, sont des réponses à
35
éviter car elles représentent un aveu tacites des faits ». Le bad buzz peut en effet
devenir incontrôlable et perdurer. La modération des commentaires des internautes
est perçue comme un affront à leur liberté d’expression, ce qui rend les
commentaires encore plus virulents. La modération peut survenir comme un
empêchement automatique de publication des commentaires ou peut être effectuée
manuellement. Dans le cas où la modération est automatisée, les internautes se
rendront sur d’autres espaces virtuels pour s’exprimer. Si elle est effectuée
manuellement, la modération est réglée par les horaires de travail du community
manager et ne pourra pas être éternelle. Ignorer les internautes, les censurer, ne pas
les prendre en considération sont des réactions qui amplifient le bad buzz. La
transparence et une communication réactive après un bad buzz sont à privilégier.
3.1.3) Savoir reconnaître ses torts
Lors d’un bad buzz, la réaction la plus appropriée pour une marque est de
reconnaître son erreur si elle en a commise une. Dans une interview, Stéphane
Puchois, co-fondateur associé du cabinet conseil The Persuaders, exprime l’idée
suivante par rapport aux bad buzz : « Il faut assumer, si c’est une erreur de la
marque elle sortira grandie si elle s’explique ou s’excuse, si c’est une cause exogène
et/ou que ce n’est pas du fait de la marque, il est utile de le faire savoir et d’assumer
ses positions. » Les internautes attendent une réaction de la marque et le dialogue
ainsi que la transparence permettent de diminuer l’effet du bad buzz.
La marque Nutella a réussi parfaitement cet exercice suite à la polémique autour de
l’utilisation d’huile de palme. Le 7 novembre 2012, le Sénat adopte un amendement
ayant pour but d’augmenter d’environ 300% la taxe de l’huile de palme. L’huile de
palme est dénoncée car le développement des palmiers à huile perturbent la
biodiversité en Indonésie et en Malaisie, et participent à la déforestation. La fameuse
pâte à tartiner Nutella de Ferrero, contenant de l’huile de palme, est alors mise sur le
devant de la scène et prise pour cible principale. Ferrero va alors être très réactif
suite à cet amendement. Un site internet dédié nommé « Nutella parlons-en » ainsi
qu’un fil Twitter pour dialoguer avec les internautes et pour répondre à leurs
questions sont mis en place.
36
3.2) Le bad buzz : une opportunité s’il est bien géré
Le bad buzz peut à l’heure actuelle être un véritable cauchemar pour une entreprise.
La vitesse à laquelle se propage l’information de nos jours avec internet et
notamment l’internet mobile fait qu’un bad buzz peut considérablement endommager
l’image de marque d’une entreprise comme nous l’avons vu précédemment.
Certaines marques réussissent cependant à rebondir face à un bad buzz et à en tirer
profit.
3.2.1) Le cas EA SPORTS
Electronics Art appelé couramment EA est un des principaux développeurs et
producteurs mondiaux de jeux vidéo. EA Sports, une marque d’Electronics Art,
propose de nombreux jeux vidéo dans le domaine sportif dont le jeu vidéo de golf
nommé Tiger Woods. En 2007, un joueur de Tiger Woods PGA tour 08, poste une
vidéo sur Youtube pour se plaindre d’un bug présent dans le jeu. Dans cette vidéo,
on peut voir le célèbre golfeur Tiger Woods en train de marcher puis de jouer sur
l’eau. Cette vidéo devient alors virale en atteignant les 100 000 vues sur Youtube en
seulement quelques jours.
Face à cela, EA Sports décide de réagir avec dérision et humour. EA Sports réalise
alors une vidéo mettant en scène le véritable Tiger Woods en train de jouer en plein
milieu d’un étang, concluant la vidéo par « Ce n’est pas un bug du jeu. Il est vraiment
si fort que ça. » EA Sports a ainsi pu tirer avantage de ce qui était à la base un bad
buzz portant préjudice au jeu Tiger Woods PGA tour 08.
En admettant son erreur et en optant pour la transparence, EA Sports a su profiter au
mieux de ce bad buzz. Cette vidéo enregistre aujourd’hui plus d’un million de vues et
est une véritable réussite en matière de communication pour la marque. EA Sports a
même utilisé ce buzz a nouveau pour promouvoir l’édition 2009 du jeu Tiger Woods
et profité ainsi un maximum de la visibilité apportée par ce qui était à la base un bad
buzz.
37
3.2.2) Le cas La Redoute
La Redoute.fr est un site internet dédié à la vente en ligne de produits de prêt-à-
porter et de décoration. Avec plus de 7 millions de visites uniques en moyenne
chaque mois, La Redoute est un véritable leader sur son marché. Pour chacun des
produits proposés sur le site est associée une image, comme sur la plupart des sites
e-commerce. Une loupe virtuelle est également disponible sur le site de La Redoute
et permet de zoomer pour voir en détail l’image du produit consulté. C’est en utilisant
cette loupe que des internautes se sont rendus compte qu’un homme nu se trouvait
à l’arrière-plan d’une des images faisant la promotion de t-shirts pour enfants.
A partir du 4 janvier 2013, l’information concernant un homme nu présent dans le
catalogue en ligne de La Redoute est relayée massivement sur les médias sociaux et
notamment sur Twitter. L’image mettant en scène des enfants jouant sur la plage
avec un homme nu sortant de l’eau en arrière-plan fait alors le tour de la toile. Le jour
même, La Redoute communique via sa page Facebook et son compte Twitter pour
présenter ses excuses pour cette erreur. La crise se propage tout de même et les
conversations au sujet de l’homme nu de La Redoute ne cessent de s’accroître sur
les plateformes 2.0. Le fait que cet homme nu soit présent sur une photographie
mettant en scène des enfants dérange et fait naître des sentiments négatifs de la
part des internautes à l’égard de la marque. Le lendemain, de nombreux
détournements voient le jour sur la toile et participent à l’accroissement des
sentiments négatifs par rapport au cliché de l’homme nu. Sur l’ensemble de cette
crise de réputation numérique, le volume des discussions publiques liées à La
Redoute a augmenté de 1 400% par rapport au volume habituel. Selon Ronan
Boussicaud, « Les médias sociaux ont joué un rôle déterminant dans la propagation
de l’information, une grande majorité du bruit public s’étant fait sur Twitter (69,4%) et
Facebook (19,3%). »
38
Evolution des volumes de commentaires pour le bad buzz de La Redoute
Source : La marque face aux bad buzz
Lorsque ce bad buzz est apparu sur la toile, les internautes ont tout d’abord été
choqués. Un homme nu derrière proche d’enfants sur une plage évoque
inéluctablement l’idée de pédophilie. Plusieurs acteurs vont cependant permettre de
faire prendre une autre tournure à cette crise. Tout d’abord, les détournements des
internautes comme évoqués dans la culture du bad buzz permettent de donner un
ton humoristique à cet événement. Des entreprises décident également de s’offrir un
coup de publicité grâce au bad buzz de La Redoute et renforcent la touche
humoristique du cliché de l’homme nu. Tipp-Ex, marque de produits de correction,
diffuse ainsi sur le web une publicité décalée : « On REDOUTE tous de faire des
erreurs ». Les 3 Suisses, concurrent direct de La Redoute, décide également de
profiter de ce bad buzz et publie sur sa page Facebook l’homme nu de La Redoute
avec un maillot de bain et pour slogan « Visiblement, tout le monde ne sait pas que
39
nous avons des maillots de bain. » Ces détournements permettent ainsi partiellement
de changer la donne de la crise et de remplacer la notion de pédophilie par de
l’humour par rapport à une erreur de La Redoute.
C’est cependant quand la marque décide de communiquer à nouveau qu’elle va
réellement tirer profit de ce bad buzz. Le 1er février 2013, une fois que les
discussions au sujet de cette crise commencent à diminuer, La Redoute lance un
jeu-concours pour profiter de la visibilité apportée par le bad buzz de l’homme nu. La
directrice e-commerce et développement de la marque, Anne-Véronique Baylac,
communique par le biais d’une vidéo publiée sur Youtube et invite les internautes à
trouver d’autres erreurs présentes sur les images des produits du site. Le lot à
gagner ? De quoi s’habiller entièrement, un clin d’œil direct à l’homme nu devenu si
célèbre. En seulement quelques jours, la vidéo est visionnée plus de 190 000 fois.
En moins de 24 heures à peine, les 14 clichés comprenant des erreurs sont trouvés.
En réagissant de la sorte, La Redoute a pu reprendre le contrôle de la situation et a
pu se réapproprier le cliché de l’homme nu. Il n’est désormais plus perçu comme un
élément gênant et nuisible dans la communication de la marque. La Redoute a
parfaitement su gérer la crise et a profité d’une visibilité qui risquait au départ de salir
sa réputation.
3.2.3) Le cas Domino’s Pizza
Domino’s Pizza est une franchise internationale spécialisée dans la restauration
rapide de pizzas. En avril 2009, deux employés d’un magasin Domino’s Pizza en
Caroline du Nord se filment sur leur lieu de travail et publient la vidéo sur Youtube.
Sur cette vidéo, on les voit préparer les pizzas en y glissant des crottes de nez et en
riant à l’idée que des personnes les mangeront sous peu. On peut également les voir
se mettre du fromage dans le nez et éternuer sur un sandwich. En seulement deux
jours, cette vidéo crée un bad buzz mondial pour Domino’s Pizza en atteignant les
760 000 vues. Des milliers de commentaires sont alors postés sur les médias
sociaux et les termes « imbéciles » ou « dégoûtants » sont alors rattachés à
Domino’s Pizza dans les suggestions de recherche de Google. Suite à ce bad buzz,
40
le cours de l’action en bourse de la marque en vient même à considérablement
chuter.
La réaction de la marque est alors immédiate. La marque communique par le biais
d’un communiqué et informe que les deux employés ont été immédiatement licenciés.
Dans ce communiqué, il est également mentionné que ces deux personnes n’étaient
aucunement représentatives des 125 000 employés de la marque. Quelques heures
après, Patrick Doyle, président de Domino’s Pizza USA, publie une vidéo dans
laquelle il remercie la communauté d’avoir alerté indirectement l’entreprise de
l’existence de la vidéo des deux employés. Patrick Doyle affirme également que le
magasin concerné est temporairement fermé afin d’être entièrement nettoyé et que
des enquêtes vont être effectuées au sein de leurs magasins afin de s’assurer du
respect des règles d’hygiène en cuisine.
Quelques mois plus tard, Domino’s Pizza va avoir une troisième réaction par rapport
à ce bad buzz, qui va signer le début d’une toute nouvelle stratégie sur les médias
sociaux pour la marque. Domino’s Pizza lance le site Pizza TurnAround sur lequel on
peut voir une vidéo d’employés améliorant les recettes des pizzas suite aux
commentaires des internautes. Une autre vidéo est également publiée dans laquelle
Domino’s Pizza se rend chez les internautes ayant émis des critiques pour leur faire
goûter les améliorations de leurs pizzas.
La prise de parole rapide de la marque, la vidéo du président remerciant la
communauté, ainsi que les actions mises en place pour améliorer la qualité du
service de Domino’s Pizza ont permis à la marque de se sortir habilement de ce bad
buzz délicat. Domino’s Pizza s’en est même servi pour lancer une stratégie digitale
mettant les commentaires des internautes au cœur de sa communication 2.0.
41
CONCLUSION
Le web 2.0 a métamorphosé le rapport existant entre les internautes et les marques.
La réputation numérique ne peut aujourd’hui être ignorée par les marques. Pour
anticiper un bad buzz, une marque doit tout d’abord être présente sur les médias
sociaux avec une stratégie dédiée à ce canal de communication. La veille web et le
travail du community manager permettent de prévenir en partie les bad buzz.
Cependant, lorsqu’un bad buzz voit le jour, une marque doit avoir un plan de crise
prédéfini à mettre en œuvre. L’élaboration de scénarios de crise et la création d’une
cellule de crise font qu’une marque peut être prête à réagir rapidement.
L’instantanéité de la diffusion de l’information sur la toile ainsi que l’émergence du
web mobile font de la transparence une nécessité dans la gestion du bad buzz. Les
marques qui réussissent à rattraper un bad buzz sont celles qui ne cherchent pas à
dissimuler une erreur de leur part mais qui s’appuient sur cette erreur pour entamer
le dialogue avec les internautes et créer une relation de confiance et de proximité.
Les marques doivent prendre en considération le fait que l’internaute est toujours de
plus en plus au cœur de l’information sur le web et que les crises de réputation
numérique risquent ainsi de devenir plus nombreuses et moins prévisibles.
La mobilité est en effet l’avenir des crises car le nombre de mobinautes ne cessent
de grandir. D’autres technologies sont également en train d’émerger et vont
permettre d’être encore plus connecté. La télévision connectée, les lunettes sociales
telles que les Google Glass, ou bien encore les technologies de reconnaissance
faciale vont faire émerger de nouveaux enjeux pour les marques. Alors que le web
2.0 a mis en place un web participatif, le web 3.0 sera placé sous le signe de la
mobilité et des objets intelligents. Cette nouvelle révolution digitale est déjà en
marche et doit être préparée par les marques, pour lesquelles la réputation
numérique va devenir à la fois de plus en plus décisive et de plus en plus difficile à
maîtriser.
42
BIBLIOGRAPHIE
Ouvrages
- BOUSSICAUD, Ronan, DUPIN Antoine, La marque face aux bad buzz - Anticiper et
gérer les crises sur les médias sociaux. Editions Kawa, 2012
- BLANCOT Carole, BERTHELOT Vincent, PELLERIN Clément, LEFEVRE Henri,
Communication de crise à l'heure des médias sociaux. Atramenta, 2012
- REGUER, David, E-réputation : manager la réputation à l’heure du digital. Dunod,
2011
- FILLIAS, Edouard, VILLENEUVE, Alexandre, E-réputation : stratégies d'influence
sur Internet. Elipses, 2012
- LAURENT, François, BEAUVIEUX, Alain, WARGNIER, Xavier, Les médias sociaux
sans bla bla - de l'e-Réputation au Social CRM. Editions Kawa, 2012
Articles
- THIERS, Benjamin, Réseaux sociaux et médias sociaux, quelle différence ?
Disponible sur : http://blog.kinoa.com/2013/08/05/reseaux-sociaux-et-medias-
sociaux-quelle-difference/
- BOUSSICAUD, Ronan, Pourquoi participe-t-on à un lynchage numérique ?
Disponible sur : http://www.psycheduweb.fr/pourquoi-participe-t-on-a-un-lynchage-
numerique/
- DENIAUD, Cédric, Domino’s Pizza ou comment un bad buzz lance une vraie
stratégie Social Media
Disponible sur : http://www.mediassociaux.fr/2009/12/30/dominos-pizza-ou-
comment-un-bad-buzz-lance-une-vraie-strategie-social-media/
- HELL, Laetitia, Les 3 bad buzz les mieux rattrapés
Disponible sur : http://www.blueboat.fr/les-3-bad-buzz-les-mieux-rattrapes
- LAGUES, Benjamin, Gestion de bad buzz : le cas Décathlon
Disponible sur : http://www.webmarketing-com.com/2013/01/14/18538-gestion-de-
bad-buzz-le-cas-decathlon
43
Blogs
- Sylvain Richard : http://blog.axe-net.fr/
- Anthony Poncier : http://poncier.org/blog/
- Camille Alloing : http://caddereputation.over-blog.com/
- Edouard Fillias et Alexandre Villeneuve : http://e-reputation.org/blog-e-reputation
- Olivier Cimelière : http://www.leblogducommunicant2-0.com
- Camille Jourdain : http://www.camillejourdain.fr
- Aref Jdey : http://www.demainlaveille.fr/
Etudes
- DIGIMIND, « Schéma de propagation d’un buzz sur le web social », 2010
- DIGIMIND, « e-réputation : Typologie des risques liés à l’e-réputation », 2009
- DIGIMIND, « Typologie des contributeurs sur le web social », 2010
44
GLOSSAIRE
Consommacteur : Un consommacteur (mot-valise formé de « consommateur » et «
acteur ») est une personne qui à la fois reçoit et crée des informations, activités ou
biens. En Marketing Intelligence (ou Intelligence Client), ce terme désigne l'évolution
des comportements des consommateurs, recherchant aujourd'hui une ultra-
personnalisation des services, et une interactivité avec les marques.
Digital natives : Digital natives est une expression américaine pour désigner la
génération ayant grandi en même temps que le développement d’Internet. On
considère généralement que les "digital natives" sont nés entre 1980 et 2000.
Flashmob : Un flash mob, terme anglais traduit généralement par foule éclair ou
mobilisation éclair, est le rassemblement d’un groupe de personnes dans un lieu
public pour y effectuer quelque chose de particulier avant de se disperser rapidement.
Généralement organisé au moyen d’Internet, les participants (les flashmobbers) ne
se connaissent pas pour la plupart.
Lip-dub : Un lip dub, littéralement doublage lèvres, est un clip vidéo musical collectif
tourné en play-back et le plus souvent sous la forme d’un plan séquence qui est
diffusé sur les plateformes de partage vidéo. Le plus souvent, les acteurs des lipdubs
sont les membres d’une organisation (entreprise, école, association, parti, etc.).
Objet intelligent : un objet intelligent est composé d’au moins une unité de
traitement (le micro-processeur), de moyens de connectivité (bluetooth, wifi, zigbee,
Ethernet, pop5…) et de moyens de présentation de l’information qui ne se réduisent
pas forcément aux écrans mais peuvent s’étendre à la lumière, aux sons, aux
vibrations…) et qui sont souvent déportés (connexion à une application ou à un site
web).
Mobinautes : Un mobinaute est un individu qui accède à des contenus Internet ou à
des applications mobiles à partir d’un téléphone mobile de type smartphone. Par
extension, on considère également souvent comme mobinaute un individu accédant
à ces mêmes contenus par l’intermédiaire d’une tablette tactile ou liseuse.
45
Tags : Choisie et attribuée librement par les internautes, ce sont des mots clés qui
permettent de définir, classer puis rechercher des documents, des favoris, des
images.
Tweet : Le tweet est le nom que l'on donne aux messages de 140 caractères de long
posté dans le réseau social Twitter.
46
ANNEXES
ANNEXE 1
Article Web 2.0 : Bad buzz, vous avez dit bad buzz ? d’Olivier Cimelière du Blog
du communicant 2.0.
Le « bad buzz » est la grande frayeur tapie dans les réseaux sociaux et prête à
déchiqueter n’importe quelle réputation en l’espace de milliers de clics à la seconde.
Pour les communicants, c’est la grenade dégoupillée capable de mettre à mal des
mois d’efforts pour soigner l’image d’une marque, d’une entreprise ou d’une
personnalité.
Durant la 2ème édition du Hub Forum qui s’est tenu les 6 et 7 octobre à Paris, une
table ronde a rassemblé plusieurs experts du digital pour décortiquer le phénomène,
exemples à l’appui. Le Blog du Communicant 2.0 vous propose une synthèse de ce
riche débat. Le « bad buzz » est-il autant à craindre, qui est-il, pourquoi surgit-il et
peut-il être évité ? Autant de questions que les panelistes ont évoquées très
directement sous la houlette de Thierry Wellhoff, président du Syntec RP.
« Il faut vingt ans pour construire une réputation, il faut cinq minutes pour la détruire
» – Warren Buffet
Pour Warren Buffet, richissime homme d’affaires américains, le constat est sans
détours à l’heure des médias sociaux : « Il faut vingt ans pour construire une
réputation, il faut cinq minutes pour la détruire ». C’est un fait. Le « bad buzz » peut
enflammer la blogosphère (et par ricochets les médias traditionnels) et générer des
dommages collatéraux pouvant aller très loin si la posture idoine n’est pas adoptée
ou si le temps de latence pour réagir est beaucoup trop lent.
Pour les panélistes de la table ronde du Hub Forum intitulée « #Fail : Bad Buzz &
valeurs de l’organisation », l’unanimité est totale. Les risques réputationnels sont
montés d’un cran depuis que le Web 2.0 permet à quiconque de s’emparer de la
parole et de la diffuser à vitesse éclair pour s’attaquer à une marque, une entreprise
ou une personnalité publique. Tous ont cité d’intéressants cas d’étude pour souligner
47
la multiplicité des formes et des impacts qu’un « bad buzz » peut revêtir. En les
écoutant, on peut distinguer 6 catégories majeures de « bad buzz ».
Catégorie n°1 : le « bad buzz » réputationnel
Nestlé a réagi de façon psycho-rigide soufflant ainsi sur les braises d’un « bad buzz »
Pour quiconque à pignon sur rue, c’est probablement le type de « bad buzz » qui
peut durablement affecter l’image d’une entreprise ou d’une marque, rompre la
confiance ou l’empathie des parties prenantes, voire dans les pires cas, impacter
lourdement les ventes. Ceci est d’autant plus vrai que l’empreinte numérique est la
plus puissante des mémoires. Comme cas d’école emblématique, les experts ont
spontanément cité les mésaventures de Nestlé et sa marque KitKat qui ont été
attaqués en 2010 par l’ONG Greenpeace. Au lieu d’engager la conversation avec
ses opposants, la firme helvétique a réagi de façon psycho-rigide soufflant ainsi à
ses dépens sur les braises d’un « bad buzz » qui n’en demandait pas temps pour
s’embraser (lire à ce propos le billet publié par le Blog du Communicant 2.0, «
Nestlé/Greenpeace : pas de pause KitKat sur le Web »).
Dans le même registre, les participants de la table ronde ont évoqué le cas Monoprix.
L’enseigne de distribution avait en juillet dernier mis à pied un salarié suspecté
d’avoir pris des légumes dans les poubelles du magasin. Une sanction qui a
déclenché un torrent de fureur chez les internautes. Les médias s’en étaient d’abord
fait l’écho mais la polémique a fortement rebondi sur la toile au point d’amener
Monoprix à s’investir dans le débat et de réussir à estomper ce qui aurait pu être un
piège létal. Pour une analyse plus complète de ce cas, je vous conseille de visionner
le bon billet vidéo de Guy Birenbaum dans sa chronique quotidienne « Deux minutes
Net » sur Europe 1.
Catégorie n°2 : le « bad buzz » controverse
Dans cette catégorie, la Toile regorge de polémiques qui éclatent à intervalles
réguliers parce que des contenus tendancieux, osés ou tout simplement
provocateurs viennent heurter des opinions fortement ancrées, adverses et peu
décidées à passer l’éponge sur ce qu’elles considèrent comme une offense ou un
contenu de « très mauvais goût ». Les experts de la table ronde ont cité deux cas
récents ayant défrayé la chronique pour la virulence qu’ils ont engendrée sur le Web.
48
Pour le premier, il s’agit de la nouvelle campagne publicitaire d’Eram. Comme
thématique de communication, la célèbre marque de chaussures à petits prix a choisi
d’appuyer son plan promo autour de la notion de la famille mais en adoptant un ton
volontiers trublion à l’instar de ses pubs un brin déjantées qui ont fait son succès
d’antan. Dans les visuels de cette année, étaient en effet présentées des familles qui
sortent du sacro-saint tryptique traditionnel « papa-maman-enfant » au profit de
familles nettement moins conventionnelles. Le résultat ne s’est pas fait attendre et a
déclenché un tollé sur la page Facebook de la marque, notamment de la part
d’associations catholiques outrées que l’on puisse ainsi jouer avec des valeurs
fondamentales.
Dans une veine assez semblable, la marque épilatoire Veet pensait probablement
avoir décroché la martingale publicitaire en lançant sa nouvelle campagne baptisée «
Mon minou tout doux » et en misant sur une tonalité sexy et décalée. Question bruit
médiatique, le résultat a été effectivement au rendez-vous mais pas forcément en
termes de qualité des retombées. Devant les remarques outrées des consommateurs
sur Facebook, Twitter et le site Web de Veet, l’entreprise a préféré mettre rapidement
un terme à la controverse en remisant définitivement au placard la contestée
campagne.
Catégorie n°3 : le « bad buzz » résistance au changement
Pour les experts, cette catégorie est plus impalpable et aléatoire. Elle surgit sans
prévenir alors que rien ne laisse vraiment présager de l’émergence d’un « bad buzz ».
C’est précisément ce qui est arrivé en mars 2011 avec le mythique bubble-gum
Malabar. Cadbury, l’entreprise détentrice de la marque décide en effet de changer le
logo de son produit. Exit le blondinet aux gros biscottos et place à un petit chat
taquin qui serait plus proche du cœur de cible de la marque (les enfants de 8 ans)
que le bodybuildé peroxydé de ces 40 dernières années.
A priori, pas de quoi fouetter un chat sauf que c’est un torrent de commentaires
virulents et de critiques négatives qui se déverse sur la Toile et les canaux
numériques de la marque avec des slogans du style « Vous avez tué ma jeunesse » !
Un déferlement qui n’est pas sans rappeler la fureur digitale que l’enseigne
d’habillement américaine Gap avait générée en son temps en voulant modifier de
fond en combler son logo.
49
Toutefois, François Vogel, directeur général de TBWA Smarts, (et qui a géré le cas
Malabar) a tenu à relativiser l’attitude à tenir dans ce genre de situation. La réaction
de la blogosphère a certes a été violente mais elle a été sans conséquences
particulières sur les ventes de la marque. Dans ce type de « bad buzz », il convient à
ses yeux de savoir distinguer les simples fans, les consommateurs avérés et les
influenceurs notoires avant d’envisager une réplique ou pas. En écho, Lucille Merra,
consultante et chercheur en médias sociaux, souligne que le cas Malabar est une
manifestation symptomatique de la résistance au changement émanant
probablement d’ « aduslescents » nostalgiques de leur costaud blond.
Catégorie n°4 : le « bad buzz » comme arme militante
Sans doute moins fréquent que les premières catégories évoquées ci-dessus, ce «
bad buzz » n’en est pas moins redoutable. Il est fréquemment l’apanage
d’associations et d’ONG militant pour une cause et n’hésitant pas à recourir à la
mécanique extrêmement virale de la Toile pour attaquer ou mettre sous pression une
cible désignée. A ce jeu particulièrement machiavélique, l’organisation écologiste
Greenpeace est devenue orfèvre en la matière. Depuis sa passe d’armes
particulièrement réussie avec Nestlé et KitKat, Greenpeace multiplie les coups
d’éclats en offrant à chaque internaute qui veut, toute une panoplie prête à employer
(envoi d’e-mails préprogrammés, pages de pétition, fil Twitter dédiée, logos
détournées, etc).
Cet été, la marque automobile allemande Volkswagen en a fait l’amère expérience.
Alors que la firme de Wolfsbourg menait en coulisses un intension contre le
durcisssement de certaines normes environnementales européennes, elle s’est
retrouvée assaillie par l’ONG à travers une campagne Web bien huilée et dont on
peut lire le descriptif détaillé dans le billet de la blogueuse MadMoizelle.
Depuis, la mobilisation n’est pas retombée. Durant le salon de l’Automobile de
Francfort, Volkswagen a dû une nouvelle fois subir les assauts des militants de
Greenpeace dans ses concessions automobiles. Feuilleton « bad buzz » à suivre !
Catégorie n°5 : le « bad buzz » fausse rumeur
C’est peut-être le « bad buzz » le plus vicieux à gérer car il éclate subrepticement et
peut prendre d’astronomiques proportions s’il n’est pas enrayé à bon escient.
50
Récemment, l’on a ainsi vu des milliers de lycéens et collégiens manifester
spontanément par la simple rediffusion d’un message Twitter alarmiste leur disant
qu’un projet de réduction d’un mois des vacances scolaires estivales était sur le point
d’aboutir. L’info était un tuyau percé mais elle n’en a pas moins précipité les jeunes
manifestants dans la rue.
Les experts de la table ronde se sont attardés sur un autre cas qui aurait également
pu tourner au désastre s’il n’avait pas été jugulé prestement. Le 11 mai 2011, un
incident voyageur se produit sur la ligne 11 de la RATP à la station Porte des Lilas.
La RATP informe très vite les voyageurs mais une personne croit malin de tweeter
aussitôt sur une collision grave entre deux rames. En l’espace de quelques minutes,
la blogosphère s’échauffe en conjonctures et les médias ne tardent guère à se
préoccuper de l’affaire. Grâce au monitoring en temps réel, la RATP parviendra à
stopper la rumeur en diffusant à son tour des rectificatifs et en identifiant aussitôt
celui qui n’était que « l’homme qui a vu l’homme qui a vu l’homme qui a vu » ! Pour
en savoir plus, lire l’excellent article de Rue89.
Catégorie n°6 : le « bad buzz » salariés
Aux cas développés par les experts du panel, je voudrais ajouter une sixième
catégorie sans doute plus sporadique mais qui là aussi, peut-être vecteur de dégâts
réputationnels sans commune mesure. Qu’on le veuille ou non et pour diverses
raisons, des salariés mécontents peuvent devenir de redoutables machines à « bad
buzz » si elles décident de véhiculer des informations négatives ou très sensibles et
peu flatteuses sur leur entreprise. Pour bien cerner les enjeux, on peut se référer à
ce propos au billet publié sur le blog du cabinet Altaïde.
Le phénomène n’est pas nouveau mais pour les employeurs qui ne sauront pas
déployer une communication interne consistante et ouverte, il est fort à parier que les
cas de « bad buzz » issus d’employés se multiplieront à l’avenir. En 2006, Nestlé
Suisse avait dû affronter un salarié blogueur anonyme qui avait créé un blog baptisé
« Nestlé Suisse Real News » pour dénoncer le management totalitaire et
irrespectueux de la nouvelle directrice générale. L’affaire avait fait grand bruit car elle
mettait au grand jour des comportements inadmissibles et à mille lieues des valeurs
managériales prônées par le géant suisse. Après plusieurs mois de billets
51
accusateurs, la directrice générale a fini par être démissionnée et renvoyée à ses
chères études.
Conclusion – Le « bad buzz » n’est pas une fatalité
Tous les intervenants se sont accordés sur la nécessité impérative d’intégrer les
médias sociaux dans leur stratégie de communication en insistant notamment sur
deux points particuliers : 1/la veille numérique pour écouter, repérer et anticiper les
signaux faibles pouvant amener une crise et 2/un dispositif pour répondre en temps
réel. Or, il n’est nul besoin d’être un grand clerc pour constater qu’une majorité de
grandes entreprises demeure encore réticente à l’idée de devenir une « entreprise
conversationnelle » et préfère fréquemment rester rivée aux bons vieux canons
incantatoires « top-down ».
Il y a encore du chemin en effet avant que les entreprises, communicants, dirigeants
et marketeurs en tête, ne s’affranchissent de ces réflexes pourtant obsolètes. Au-
delà d’une culture orientée vers les médias sociaux encore globalement faible ou
alors restreinte à une vision très descendante, bon nombre d’acteurs notoires ont du
mal à se faire à l’idée que les internautes participent désormais pleinement à
l’alimentation de leur réputation. En bien ou en mal, ils sont devenus avec le Web 2.0
des vecteurs de réputation tout aussi clés que les beaux messages et les sublimes
campagnes ciselés par leurs agences. Le « bad buzz » n’est pas une fatalité et peut
même être évité. Encore faut-il avoir la volonté d’écouter et de nourrir la conversation
en faisant valoir son point de vue tout en tolérant que d’autres puissent avoir une vue
différente ou divergente
52
ANNEXE 2
Article Pourquoi participe-t-on à un lynchage numérique ? de Ronan
Boussicaud.
Internet est un catalyseur médiatique de succès et de casseroles tout autant
savoureuses. Qu’il s’agisse de fautes graves, de maladresses ou simplement d’une
image grotesque, les internautes participent activement à la propagation de ces
dénonciations taquines. En ce sens, le web est un tribunal à ciel ouvert, où les
accusateurs ne cherchent pas toujours la peine capitale envers la victime, mais
simplement l’estime des juges grâce à leur relais dénigrant, voire leur lyrisme
malsain. Les notions de justice et de moralités sont des biens sociaux un tantinet
relatifs sur le digital, car le tribunal juge et applique les peines sans aucune forme de
procès. En effet, sur Internet comme ailleurs, la loi vocifère que chaque internaute
est responsable de ses actes, et doit en subir les conséquences.
La dérision, la moquerie et la stigmatisation peuvent de ce fait enfoncer des individus
et détériorer la réputation de certaines entreprises. Un engouement sadique qui
marque souvent l’entité au fer rouge, pour laisser une marque indélébile difficile à
oublier, même pour Google. Les hommes sont-ils mauvais par nature pour autant ?
La toile peut nous piéder dans ses filets Le lynchage à l’ère du numérique arbore
davantage une forme de curiosité et de distraction que de procès d’intention et de
plans machinéens. Le lynchage ne rime pas toujours avec linge sale. Pourtant la
médisance et la malveillance fonctionnent souvent de pair dès lors qu’une victime
s’est empêtrée dans les filets de toile. Impitoyable prédateur en mal d’amusette, le
web profite ainsi des tentatives de résorption des proies pour les enfoncer toujours
un peu plus dans les méandres de la turpitude humaine. Un piège sans pitié auquel
nous tous pouvons participer avec le sourire. Car le vice vient bien du rire. Mais
l’humour est un concept qui peut recouvrir bien des réalités face à la culture web
ambiante.
Alors, d’où provient la notion de lynchage et comment sa signification a-t-elle évolué ?
En quoi cette lapidation sur la place publique correspond-elle à des réflexes sociaux ?
Pourquoi notre esprit nous joue-t-il des tours quant à l’entraide et à la solidarité ?
53
Comment expliquer le fait de rester sans rien faire quand une personne est en
danger ? Toutes les victimes méritent-elles leur sort ?
Du lynchage historique au numérique
Le terme de Lynchage est pour la première fois apparu en 1837, à la création de la
loi de Lynch. Charles Lynch (pas David, même si pour certains esprits terre-à-terre
ses films sont une forme de torture psychique), patriote de l’État de Virginie avait en
effet décidé de réformer la justice en instaurant des procès expéditifs. Bien entendu
en ces temps de régime colonial, les noirs furent rapidement poursuivis et
condamnés, généralement à tort. Cette loi s’est vite répandu et a permis l’essor de «
comités de vigilance » (comme le célèbre Ku Klux Klan ), censés matérialiser les
suspicions et veiller à l’ordre. L’hostilité du gouvernement judiciaire légitima de ce fait
des actes de ségrégations et d’exécutions en dépit des lois en vigueur. C’est de cette
loi que le terme « lynchage » a vu le jour. Le mouvement des droits civiques a
heureusement stoppé ces lynchages sanguinaires. Après la fin de ces actes
barbares, le terme a perduré, mais son sens a évolué.
Aujourd’hui, le lynchage n’évoque plus nécessairement les heures sombres de
l’histoire, mais désigne populairement un système collectif d’autojustice visant à
accabler une même cible. Un jeu collectif bête et méchant où l’on se délecte des
mésaventures d’autrui pour se divertir, quitte à le trainer dans la boue par la même
occasion. Même si le terme lynchage peut paraître exagéré, il est pourtant rentré
dans le langage populaire tant les lynchages médiatiques sont devenus monnaie
courante.
Au temps du web dit social, il s’agit surtout d’une manifestation virtuelle massive
gravitant autour d’une entité qui suscite la colère, la gouaillerie, le rejet. Ce
phénomène dépasse la simple critique pour la transcender en un focus attentionnel.
Un ralliement extrême tel une flashmob improvisée qui désinhibe souvent le
politiquement correct pour se complaire à se gausser de la victime, voire à l’humilier.
Cela peut même conduire à un acharnement intempestif ou à un vrai harcèlement
moral. Si la loi condamne ces pratiques dans les milieux physiques (écoles, bureaux),
comment s’y prendre avec des milliers d’internautes répartis aux quatre coins du
globe ?
54
Le lynchage numérique est affublé d’un éventail de concepts qui le caractérisent :
- Le rire (sentiment de joie qui provoque une envie de partage et qui contre l’effet du
stress)
- La moquerie (tourner en ridicule une entité pour se doter d’un pouvoir implicite
d’emprise inconscient).
- La caricature (exagérer les traits de la victime par des détournements potaches).
Vous l’aurez compris, sur Internet, plus besoin de rires enregistrés pour égailler sa
navigation. Nous les façonnons nous-mêmes pour confectionner une ambiance de
franche poilade. Le web 2.0 est perçu comme un terrain de jeu saupoudré « d’epic
win » et de « fail » en tout genre. Une gammification opportune aux opportunistes.
Ce reality show est par ailleurs accentué par le fait que si la victime cherche à
supprimer la cause de ses maux, les contenus sont très souvent sauvegardés et
retéléchargés par d’autres utilisateurs. Une manière de clamer « The show must go
on ».
De plus, la question de l’anonymat et plus généralement du pseudonymat pose
problème dès lors qu’un courant de commentaires innommables est déversé sur la
toile. Internet permet d’outrepasser l’altercation physique tout en protégeant les
bavards dévergondés. Une manière de participer sans se mouiller pour fuir ses
responsabilités, alors que l’on reproche souvent à la victime de ne pas assumer les
siennes.
Pourquoi accabler une victime ?
Un constat populaire prétend que les individus ou les entreprises qui subissent des
revers douloureux l’ont souvent logiquement cherché. Un internaute qui poste de leur
plein gré une vidéo où il se filme dans une interprétation ridicule peut être la cause
rationnelle de bien des moqueries. Une entreprise qui pousse le bouchon un peu trop
loin (n’est-ce pas Maurice) va surement voir sa réputation tourner au vinaigre. Le
web peut en effet nous donner l’intime conviction selon laquelle tout ce qui arrive à
une entité est de sa faute. Les réactions des internautes représenteraient ainsi une
juste récompense pour donner une « leçon » de vie.
55
Ce manque de compassion est expliqué par une « erreur d’attribution » induit par un
jugement erroné de la causalité et conduisant les individus à sous-estimer les causes
situationnelles au profit des causes dispositionnelles. En d’autres termes, nous
dévaluons l’importance de la situation dans laquelle la personne s’est trouvée alors
que nous attribuons systématiquement à l’individu la responsabilité de sa conduite.
Cette méprise s’explique à priori par :
- un besoin de contrôle (possibilité de contrôler les facteurs internes),
- un besoin de justice sociale (responsabilité de ses propres actes),
- un besoin de compréhension et de prévisibilité (simplicité des explications internes).
Toutefois, les mauvaises péripéties seraient-elles toujours dues directement à une
action de l’auteur ? Pas vraiment, car lorsque la mésaventure nous arrive à nous, on
ne pense pas que cela est dû à une faute de notre part, mais bien à la situation ans
laquelle nous nous sommes retrouvés. Alors , faisons-nous tous preuve d’une
hypocrisie volontaire ? En réalité, cette déresponsabilisation souligne un biais acteur-
observateur observé par les psychologues.
L’être humain a naturellement le réflexe trompeur d’expliquer un comportement
différemment selon s’il en est l’auteur ou l’observateur. De ce fait, pour rationaliser
nos actes, nous analysons les facteurs externes, la situation. Alors que pour
expliquer les gestes d’autrui, on se réfère aux facteurs internes, sa personnalité. En
d’autres termes, si je provoque un fou rire narquois, c’est en raison du contexte qui
m’a mis dans l’embarras, alors que si un inconnu se trouve dans la même situation,
c’est surtout car son comportement a provoqué directement cette réaction.
Ce biais Acteur / observateur se manifeste car on ne recherche pas le même objectif
selon notre rôle. En tant qu’acteur, on tend à justifier notre comportement alors qu’en
position d’observateur, on tente de comprendre les raisons du comportement d’autrui.
Finalement, on observe que les internautes accablent plus facilement un individu
lorsqu’ils ne connaissent pas les raisons qui ont motivé ces actes décriés.
Les Psychologues Bruner et Tagiuri vont plus loin avec les théories implicites de la
personnalité. Ils y développent l’idée que la perception que nous avons d’un individu
va conduire à la prédiction des caractéristiques de sa personnalité. Un processus qui
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peut également révéler les motivations et les raisons des actions d’un internaute.
Cette attribution causale stipule donc qu’à partir d’un fragment d’information, on
élabore inconsciemment un écosystème informationnel qui gravite autour (à base de
stéréotypes, de préjugés, d’idées reçues, etc.)
Le psychologue Kelley démontre lui que l’internaute s’appuie sur trois sources
d’informations pour fonder son jugement et expliquer le comportement d’un pair :
- Le consensus : comportement d’autres individus dans d’autres situations similaires
- La consistance : comportement habituel de la personne visée dans d’autres
situations similaires
- La différenciation : comportement de la personne dans d’autres situations
différentes
D’autres concepts comme les inférences correspondantes de Jones et Davis ou celui
de la covariation de Kelley démontrent également que nous réalisons
inconsciemment des interprétations subjectives de la situation pour juger la
responsabilité d’un bouc-émissaire.
Pourquoi ne pas secourir les blessés ?
Lorsque nous faisons face à une situation de lynchage, ou simplement menaçant un
individu ou une entreprise, on se demande toujours pourquoi nos congénères ne
viennent pas en aide aux victimes. Le regard hagard, percevant pourtant une
débauche de bassesses consternantes, on ne réagit pas. Ce phénomène
d’ignorance collective porte un nom : « l’effet du témoin ».
Le site Wikipédia désigne cela comme « un phénomène psycho-social qui se réfère
aux situations d’urgence dans lesquelles notre comportement d’aide est inhibé par la
simple présence d’autres personnes présentes sur le lieu ». Face à un état d’alerte,
notre capacité à porter secours à un individu dépend en grande partie de la présence
de tiers. Plus il y a de monde et plus on pense que quelqu’un va agir, mais tous les
autres pensent de la même façon. Malgré une volonté tenace, nous sommes
paralysés, devant l’immobilisme des personnes qui nous entoure. On voit, on entend,
mais on ne dit rien. Cette réaction pour le moins curieuse a été majoritairement
étudiée à partir du meurtre de Kitty Genovese en 1964.
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Une information croustillante comme une crise, une vidéo dégradante ou un bad-
buzz génère un intérêt majeur pour biens des explorateurs du web. Et comme
souvent sur les médias sociaux, la viralité y met son grain de sel. De ce fait, le
contenu qui flagelle une cible précise se partage comme des petits pains. Un effet de
foule qui nait instinctivement comme lorsque devant une queue bien disciplinée, le
premier se décide à agir et rentre dans la salle. Une fois cet acte anodin réalisé, tout
le monde se précipite pour suivre le mouvement. À partir de ce moment, la cible du
lynchage devient vite un phénomène de foire, une tarte en plus sur son beau minois
ne fera pas plus de mal que ce qui a déjà été fait.
Sur Internet, le degré d’urgence est amoindri, car l’aspect vital est rarement en jeu.
Un effet spectateur qui nous convint que notre voix ne compte pas. Ce constat
erroné entraîne une auto-censure qui annihile toute prise de risque, et par la même
occasion de volonté de protection. On n’ose pas prendre la défense (même si on
n’est pas de l’avis majoritaire) car il est plus aisé de fustiger. Âtre le premier à aller
panser les plaies du blessé n’est pas toujours un rôle enviable. Et comme les actes
des leaders communautaires jouent le rôle de références, voire de normes, il est
parfois difficile de se mettre son réseau de dos. Pourtant, si l’intégrité et la réputation
ne représentent pas un danger vital aux yeux des internautes, on ne perçoit pas
directement les préjudices occasionnés.
Alors que peut-il bien passer par la tête des internautes pour laisser ses vilénies
perdurer. L’internaute fait en réalité face à 3 étapes d’auto-suggestion :
- La diffusion de la responsabilité (Pourquoi devrais-je agir moi plutôt qu’un autre ?)
- L’appréhension de l’évaluation (De quoi vais-avoir l’air si j’agis ?)
- L‘influence sociale (Qu’ont fait et que vont faire les autres ?)Aider ses pairs, un
parcours psychique du combattant
Les psychologues Darley et Latané ont été les premiers à étudier cet effet du témoin.
En mettant en scène une crise d’épilepsie (simulée par un complice), ils ont
démontré que 85% des individus intervenait lorsqu’ils étaient seuls avec la victime.
62% lorsqu’ils étaient deux à assister à la scène et seulement 31% quand ils étaient
quatre. De plus, les réactions sont visibles beaucoup plus rapidement que l’individu
est seul que lorsqu’il est accompagné. Qu’importe le statut social, l’âge, la religion ou
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le sexe, tout le monde est soumis à cette loi de passivité. Des chiffres à relativiser
toutefois, puisque dans le domaine numérique, le facteur visuel n’entre pas en jeu.
Heureusement, certains facteurs facilitent la rescousse de sauveteurs inespérés (de
là à voir Pamela Anderson ou Mitch Buchannon en maillot rouge venir à votre
secours…). Un appel à l’aide ou une complainte touchante peut par exemple stimuler
des moussaillons téméraires (généralement « grande gueule» qui n’ont pas peur de
se prendre une saucée) à se ranger ouvertement de leur côté.
En outre, il ne faut pas négliger l’importance des voix minoritaires que des
internautes brandissent envers et contre tout. Certes il est plus facile de surfer dans
le sens des vagues, mais il ne faut pas croire que chaque inconvenant qui se borne à
soutenir l’animal de toutes les curiosités sera immédiatement rejeté et affilié à cette
tendance dégradante. Car ces manifestations représentent des formes d’influence
ayant un réel impact sur l’avis d’un tiers.
Des victimes qui l’ont mérité ?
Sur Internet, la chaine alimentaire n’est pas clairement établie. Il n’y a pas de
prédateurs ou de proies préétablies. Néanmoins, un chasseur peut devenir chassé et
vice versa. De ce fait, n’importe quelle entreprise ou personne peut se retrouver au
centre d’une commission sommaire qui le désigne comme étant un souffre-douleur.
Des communautés aux valeurs opposées peuvent même taire leurs différents
l’espace d’un moment pour s’allier à une persécution en bon et due forme. Elles y
trouvent un intérêt commun, le fun.
Néanmoins, toutes les victimes ne provoquent pas ce désastre de la même manière :
Certaines victimes le deviennent par insouciance
Avec le web 2.0, le succès est un trésor qui peut vite se transformer en une
malédiction. Chacun peut y exposer son brin de voix ou son goût pour la danse et le
diffuser sur Internet. En contrepartie, chaque internaute peut à loisir exposer
publiquement son avis. Si pour certains chanceux, le succès est au rendez-vous
(comme Keenan Cahill), la plupart des inconnus s’exposent souvent sans en prendre
véritablement conscience des conséquences du regard moqueur d’autrui. Certains
internautes peuvent de ce fait devenir des victimes latentes en publiant des contenus
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où ils se mettent dans des situations dégradantes. Cette prédisposition à s’afficher
inutilement dans le but de devenir une star révèle souvent des failles individuelles
pour contrer un mal de vivre. Dans une société d’image et de jugement, les jeunes
générations deviennent très influençables et sensibles envers les normes culturelles.
Tenter de devenir « quelqu’un » sur la toile peut renvoyer à un besoin de sentir un
intérêt autour de sa personne, une forme d’attachement, voire de reconnaissance.
Pour autant, ces internautes crédules se retrouvent souvent acculées par des
commentaires abjects. Un succès espéré mais inattendu qui ne revêt pas l’apparat
escompté, et qui fait de la victime le sujet de discussion favori des zygomatiques en
mal d’exercices. En France, on peut citer une jeune rappeuse qui a été la cible de
milliers de youtubers. En 2009, la jeune femme décide de mettre en ligne ses
interprétations sous le pseudo « Amandine du 38 ». Face à ses performances, son
physique et son élocution, les retours ne se sont pas fait attendre. Elle est
immédiatement devenue la risée du web, avec son lot de parodies et d’insultes qui
en ferait pâlir ce cher Bernard Pivot.
Certaines victimes le deviennent par négligence
Certains internautes peuvent passer de l’autre côté de la barrière en jouant avec le
feu. Sans aucun signe distinctif et sans contenu en amont pouvant les dévaloriser, ils
peuvent être malmenés. Dans la plupart des cas, il s’agit d’une action réalisée qui n’a
pas été du goût de tout le monde, et son lynchage est perçu comme le résultat
logique de son erreur. En cas de faute grave, une envie de justice peut être légitime
et louable. Celui de la flagellation est cependant sinistre car vorace, permissive et
perverse.
Lors de l’effervescence autour de l’arrivée de Free Mobile, le community manager du
concurrent Bouygues Télécom a remarqué qu’un client très mécontent n’était rien
d’autre qu’un des salariés de Free. Pire, son message a également été envoyé aux
autres concurrents. La supercherie dévoilée, la communauté web s’est léguée contre
la malotrue. Une écorchure à soigner pour la marque, mais une réputation numérique
à porter comme un fardeau pour la cible.
Des actes bénins mais maladroits peuvent de ce fait présenter de réels risques.
Comme si les acteurs du web pouvaient eux-mêmes se jeter la première pierre et
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provoquer une animosité. Les Community Managers par exemple sont régulièrement
dans le collimateur des internautes tant leurs bévues sont populaires. Des acteurs du
numérique qui sont sur la sellette puisque comme le souligne ce cher Jean-Jacques
Rousseau : la critique est une chose bien commode : on attaque avec un mot, il faut
des pages pour se défendre »
Certaines victimes le deviennent par influence
Dans le but de forger des stars à la Justin Bieber, certains producteurs et agents
n’hésitent plus à exploiter des individus pleins de rêves pour vampiriser leur
promesse de célébrité et les formater en animaux de foire. On pense notamment à
Suzanne Boyle qui malgré son talent a souffert de cette malice sordide. D’autres ont
tout bonnement été encouragés suite à un « conditionnement marketing ».
Qui sera le prochain à passer sur le grill ?Un formatage qui peut amener certains
jeunes à se lancer alors qu’ils n’ont pas vraiment de talent. Ce fut le cas pour
l’adolescente surnommée Rebecca Black. Après la sortie de son single « Friday », sa
chanson remporte la palme de « la plus mauvaise chanson jamais écrite » et son clip
rassemble des millions de commentaires dégradants. La barre des 150 millions de
vus franchie, elle est devenue en 2012 le terme le plus recherché sur Google (lien).
En France, on a connu le phénomène Cindy Sanders qui a été perpétuellement
rabaissée et humiliée, surtout après la sortie de son « papillon de lumière ». Les
médias traditionnels participent d’ailleurs souvent à cette débauche, au moment de
son apogée, en invitant les pauvres incrédules sur les plateaux télé ou à la radio
juste pour se payer leur tête. Certains ont même réussi à faire commerce de cette
notoriété par scandale, comme le fameux Mickael Vendetta. D’un autre côté, bon
nombre d’internautes se font une réputation sur le seul fait de se payer la tête de ces
bons pigeons. Un « Duck Hunt » dissimulé derrière une envie de se taper une barre.
Certaines victimes le deviennent par prévalence
Certaines personnes ou organisations célèbres représentent de par leur aura un bon
moyen de créer une médiatisation. C’est pourquoi ces entités assurent un buzz 1ère
classe, idéal pour générer une émulation, voire une indignation en deux temps trois
mouvements. L’actrice Marion Cotillard a par exemple subi les moqueries à outrance
suite à une (très) mauvaise interprétation dans le dernier Batman. Des parodies
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Youtube et autres Tumblr ont vu le jour pour surfer sur cette tendance. Certaines
sociétés ont par ailleurs l’habitude d’être prises en porte à faux. Macdonald par
exemple représente un met de choix sur lequel s’acharner. Il y a quelques jours, une
vidéo terrible présentant les conditions d’abattage des animaux de la part d’un de
leurs fournisseurs de viande a vu une palanquée de reproches envers ce
malheureux Ronald.
Vous l’aurez compris, toutes ces victimes sont souvent incrédules et démunies face à
la «vague» qui les secoue âprement. En outre, si la personne a une particularité
physique (corpulence, élocution) ou si l’entreprise a été affublée d’une étiquette en
particulier (fait travaillé des enfants chinois), ces ingrédients augmenteront la
virulence et la viralité des propos. On pense notamment à la chanteuse française
Magalie Vaé qui n’a eu de cesse que de devoir faire face aux blagues rébarbatives
face à son poids.
Parfois, la vérité importe peu et quand le buzz se met en marche, il est difficile de
l’étouffer de l’intérieur. Peu importe la véracité des rumeurs, l’objectivité des critiques
ou la responsabilité de la victime, le succès de sa persécution attire comme une
odeur nauséabonde fait rappliquer les bourdonnements. Car un lynchage est au final
une simple déclinaison de buzz.
Pire, face à la déferlante de parodies et de réappropriation en tout genre, la cible
visée devient un acteur de second plan, un instrument sonore et un outil de partage
social sur lequel se pose des déclinaisons virales. Le lynchage peut en ce sens
déshumaniser l’identité de la victime. On sait de qui il s’agit, mais on s’en fiche. Ce
qui prime c’est que cela va faire rire les copains.
Conclusion : Prenez du recul
Internet est devenu un État de droits sans limites où tout (ou presque) est permis. Un
agent de star, mais un tsar du persiflage. Car à trop vouloir rire, la toile en oublie le
préjudice moral occasionné impunément par des violences verbales et textuelles. Un
régime judiciaire international digne de l’inquisition, où les plus mal lotis sont
molestés et où les esprits sains se délectent d’un « bullying » exacerbé et
décomplexé. Finalement, « La bave du crapaud atteint bien la blanche colombe (qui
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n’est pas forcément vierge de tout reproche). Des mots moqueurs qui prennent
conjointement l’apparence de mots destructeurs.
Bien entendu les gens pensent rarement à mal. Beaucoup d’entre nous préfèrent
d’ailleurs ne pas prendre part au débat houleux pour se laisser bonne conscience.
Mais « Suffit-il de n’être jamais injuste pour être toujours innocent ? » demandait
Jean-Jacques Rousseau
Comme un papier jeté par terre, on se rassure en se répétant que nos relents sont
des actes anodins. Toutefois ce raisonnement n’est pas une conclusion isolée. Pour
se déculpabiliser, chacun se décharge de sa responsabilité dans l’acte indécent de
ses pairs. Alors en quoi une vidéo parodique ou une remarque sarcastique de notre
part changerait-elle quelque chose ? C’est pourtant précisément cette déduction qui
met en place un cercle vicieux de lynchage. Personne n’est responsable puisque tout
le monde est coupable.
Je rassure les âmes en mal de fleur bleue, cet article n’est pas le fruit d’un justicier
idéaliste qui port des collants dans son bureau, mais plus une interrogation face à
l’engouement des internautes autour d’élucubrations guère reluisantes. Dans une
politique universelle de mise en valeur aux dépens d’autrui, on peut réfléchir aux
vraies motivations de nos actes sur Internet. Car même si ces coups de projecteur ne
veulent pas nécessairement causer du tort, le résultat s’en approche souvent. Vous
êtes-vous déjà imaginé votre réaction si vous étiez de l’autre côté du miroir ? Le
climat du buzz rend les mains moites et encourage les tempéraments tempérés à
s’immiscer autour d’une fournaise d’interactions. Dans ce cadre, de plus en plus
d’internautes opèrent tels des comités de vigilance qui surveillent l’horizon pour
dénicher la nouvelle raillerie hype. Un mode de pensée biaisé par notre égo, qui
détruit celui de nos pairs.
Alors que faut-il faire, ne plus se moquer ou s’amuser des maladresses d’une
entreprise ou d’un illustre M. Pignon. ? La lol-attitude n’est pas toujours la « positive-
attitude » ? Il ne s’agit pas simplement d’une vision vinaire du type « bien agir» ou du
« mal agir». Disons simplement que ce qui compte n’est pas ce que nous faisons,
mais pourquoi nous le faisons. Car sans vouloir changer les choses, l’important reste
avant tout de prendre conscience de ces mécanismes universels qui ne jouent pas
en la faveur des victimes. Savoir que ces réflexes spirituels existent implique déjà de
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relativiser l’objectivité de son jugement. Un acte qui peut amener à voir les choses
autrement, et à apporter un avis plus constructif.