Elise Villon (n ° étudiant 19602525)
Master 1 Pratiques professionnelles en français langue non maternelle Année 2005/2006
Mémoire de stage dirigé par Mme Gisèle Pierra
Etre un enseignant en devenir :
Malaise et questionnement, vers une aisance dans son
rôle et l’écoute des apprenants…
1
Sommaire
Introduction :
Première expérience d’enseignement douloureuse, nécessité de comprendre un malaise propre aux
jeunes enseignants, de réfléchir au rôle de l’enseignant et à son l’influence sur les apprenants, aux
attentes de ceux-ci, dans le souci de préparer au mieux l’entrée dans la profession.
I. Le rôle de l’enseignant : témoignages et observations d’apprenants
- Témoignage personnel
- Témoignages de mon entourage
- Observations faîtes lors de mon stage à l’école officielle de langue de San Blas à Madrid
II. La personnalité de l’enseignant, son influence sur l’apprenant : convergences
(Analyse des propos et observations faîtes en première partie)
+ synthèse
III. Malaise d’enseignants en devenir
(Recueil et analyse des propos de jeunes enseignants français et britanniques)
IV. Vers des remédiations au malaise des jeunes enseignants et pour une meilleure
qualité d’enseignement
- Se questionner sur son rôle futur auprès des apprenants
- Conseils d’enseignants
- Se former en multipliant les expériences
- Se former par le théâtre :
Parallèle entre le métier d’enseignant et le métier de comédien
Quelques outils
Conclusion :
Vers la décentration de soi et l’ouverture aux apprenants…
2
Introduction
J’ai effectué mon stage de Master 1 FLE en janvier 2006 à l’école officielle de langues de San
Blas, à Madrid. Cette école, existante depuis 1988, est située dans un quartier ouvrier de Madrid, et
comme toutes les écoles officielles de langues en Espagne elle est ouverte à tous (la cotisation à l’année
n’excède pas les 80 euros).
Lola Diaz, directrice du département de français et ma directrice de stage, m’a proposé de mettre
celui-ci à profit pour observer plusieurs professeurs. Elle m’a ainsi offert la chance de me transformer,
l’espace de deux semaines, en cette « petite souris » qu’elle aurait voulu être au moins une fois, selon ses
propos, pour se faufiler dans les classes de ses collègues et découvrir leurs différentes façons d’enseigner.
J’ai donc observé quatre enseignants avec des personnalités diverses dispensant les mêmes cours (au
programme de l’école) : ils abordaient chacun ces cours de manière distincte, et en retour les apprenants
réagissaient de manière sensiblement différente, semblant plus ou moins attentifs, plus ou moins
captivés, plus ou moins motivés…
A mon tour je suis intervenue dans une classe, tentant sous le regard d’Armelle, une des
enseignantes qui m’encadraient, de dispenser la leçon prévue. Ce fut ma première expérience
d’enseignement à une classe (jusqu’alors je n’avais eu l’expérience que des cours particuliers). Tout s’est
bien déroulé (rappelons que dans cette école sauf exception - lycéens ou étudiants obéissants au désir de
leurs parents - les apprenants viennent étudier de leur plein gré). Mais, si la personne qui m’encadrait
m’a félicitée et encouragée, me trouvant plutôt à l’aise, ce n’est absolument pas ce que j’ai ressenti. Je
devais dispenser le même cours auquel j’avais assisté la veille, avec la même enseignante, à une autre
classe, et je n’ai pu éviter la comparaison : quand Armelle était expressive, dynamique, rebondissait d’un
thème à un autre, dans l’humour, et enchaînant les activités en conservant toute l’attention de ses
élèves, je me suis trouvée fade, linéaire, monotone et pour ainsi dire sans personnalité. Le groupe
d’étudiants, au sein duquel régnait une vrai convivialité, m’a tout de même suivie et apporté son
soutien, curieux de la nouveauté et informé du fait qu’il s’agissait pour moi d’une première expérience.
3
s
Mais qu’en sera-t-il lorsque je me verrai confier ma propre classe, et que la responsabilité de
l’enseignement reposera sur mes épaules ? Serai-je être appréciée des élèves ? Ou ressemblerai-je aux
professeurs dont je redoutais la classe lors de ma scolarité ? Saurai-je mener les apprenants vers les
connaissances dont ils ont besoin et ne pas les léser ? Par quel chemin faudra-t-il que je passe pour
trouver l’équilibre nécessaire qui fera de moi une « bonne » enseignante, et bon ou mauvais enseignant y
a-t-il ? Qu’est-ce qui fait qu’un enseignant est apprécié ou non de ses élèves ?
Coupée a mon avis cette réalité professionnelle au long de mes études, il me tient à cœur de
réfléchir au phénomène de devenir enseignant et au malaise qu’il peut faire surgir ainsi qu’à la place de
la personnalité de l’enseignant* (et qu’ aura celle du futur enseignant) dans le parcours des apprenants…
* Je tiens à préciser que je m’intéresserai à la personnalité de l’enseignant quelle que soit la matière qu’il
dispense. Si je me destine à enseigner le français comme langue étrangère et suis con ciente de l’influence des méthodologies diverses sur les apprenants, extérieure à la volonté de l’enseignant, ainsi que de l’importance primordiale de la diversité des publics dans l’apprentissage au niveau interculturel, mon propos est autre. Je souhaite donc mettre de côté, autant que faire se peut, ces facteurs étrangers à la personnalité de l’enseignant, afin de me centrer le plus possible sur celle-ci.
4
I. Le rôle de l’enseignant : témoignages et observations d’apprenants
A travers mon propre vécu scolaire et universitaire, à travers celui de personnes que j’ai
interrogées et à travers enfin mon stage à l’école de San Blas, je me propose dans cette partie de rendre
compte de quelques observations sur le rôle d’enseignant.
Témoignage personnel
De manière générale, j’appréciais l’école. C’était la découverte de la vie sociale, et une période
où un choix primordial à faire pour l’avenir était encore loin, un point à l’horizon. Point non
négligeable cependant qui à la fin du lycée s’est rapproché sans crier gare : j’avais trouvé jusqu’alors
confortable d’aller en classe sans me demander pourquoi et j’allais devoir décider d’une orientation pour
l’avenir… Y étais-je préparée ? J’avais l’impression qu’ à part mes parents, personne ne m’avait conseillé
de réfléchir sérieusement au problème. Ceci expliquait-il en partie pourquoi, les années passant, le
temps semblait pour moi se rallonger dans les salles de cours ? J’avais du mal à rapprocher ce que
j’apprenais en classe avec ma vie en dehors de celle-ci. J’accordais de ce fait de l’intérêt à ce qui me
paraissait utile de toute évidence, comme les langues, ou à ce qui était ludique et créatif. Ce qui était
plus abstrait comme l’algèbre m’amusait si je le prenais comme un jeu, ce qui était plus concret comme
l’histoire me passionnait si le professeur lui donnait vie : n’ayant pas choisi d’apprendre telle ou telle
matière, je m’y intéressais vraiment quand un professeur m’y donnait goût… Je me laissais captiver par
des façons de parler, par des professeurs charismatiques, ou bien des professeurs qui maternaient. J’avais
besoin de sentir leur intérêt pour la matière qu’ils enseignaient et leur envie de la transmettre. J’étais
facilement découragée par des professeurs trop brouillons qui ne structuraient pas leurs cours. La
personnalité de mes différents professeurs a été, je crois, dans mon parcours scolaire plutôt
déterminante quant à ma motivation pour apprendre. Cela pouvait être assez extrême au point de me
passionner ou de me dégoûter d’une matière. J’avais peur par exemple d’aller aux cours de sport, j’étais
craintive et peu adroite, et l’on sait à quel point à l’école les cours de sport peuvent se transformer en
épreuve d’intégration dans un groupe… J’étais plus ou moins la risée de certains de mes camarades, mais
je n’ai jamais eu de professeur de sport à l’école qui m’apprenne à dépasser ma timidité. Au contraire, ils
étaient plutôt inexistant. (Cette année je suis pour la première fois un enseignement sportif dans un club
de boxe française, et je suis épatée par la psychologie dont fait preuve le professeur à l’égard de chacun
de ses élèves. Il a réussi à me faire dépasser ma peur, mes complexes, m’a motivée et donné goût au sport
qui avant était pour moi synonyme de corvée…)
5
Je me souviens également de cours d’E.M.T. qui me terrifiaient, dispensés par un professeur très
sévère et dans la classe duquel ne pas comprendre un exercice pouvait devenir catastrophique. Il en
allait de même dans celles de certains professeurs qui avaient leurs « chouchous » ou leurs « têtes de
Turques ». J’ai toujours essayé de ne me retrouver dans aucune de ces « cases », et préférais ne pas me
faire remarquer. Malheureusement j’ai été quelquefois blessée par des professeurs qui considéraient que
j’avais de bons résultats mais faisais peu d’efforts, et m’ont fait des réflexions peu sympathiques (j’étais
prétentieuse, etc.). Ceci a duré jusqu’au collège, au lycée je me suis mise au fond de la classe pour me
sentir acceptée des élèves moins disciplinés.
A l’université cela a été différent. J’ai pu apprécier un certain anonymat, malheureusement
jusqu’à abandonner une première fois mes études. La seconde fois, étant plus convaincue de la voie dans
laquelle je voulais me diriger, j’ai apprécié le système universitaire. La personnalité de mes enseignants
gardait toujours énormément d’importance, mais je relativisais les choses autrement, je sentais que je
travaillais pour moi. J’ai été captivée par la plupart de mes enseignants, qui m’ont semblé passionnés,
impliqués, et de qui j’ai appris énormément. Finalement, les seuls cours qui m’ont posé problème sont
ceux qui étaient le moins structurés. Le vrai problème qui s’est posé fut et est actuellement, le décalage à
mon avis existant entre les théories enseignées à l’Université et les pratiques professionnelles…
Témoignages de mon entourage
Afin de faire un comparatif entre différents parcours scolaires et différents ressentis, j’ai
également interrogé plusieurs personnes de mon entourage. Je leur ai demandé si d’une façon générale
ils aimaient ou non l’école et pourquoi, si certains professeurs les avaient marqués positivement ou
négativement, ce qu’ils avaient ou non apprécié dans leurs personnalités, en quoi celles-ci avaient pu
influencer leur parcours, et enfin leur avis sur le système scolaire et le système universitaire français…
Voici un condensé de leurs réponses. (Notons que je n’ai pas posé exactement les mêmes
questions à chacun et que j’ai orienté celles-ci lorsque cela m’a paru nécessaire, non dans le but
d’influencer les personnes interrogées mais de les faire développer certains points qui m’ont paru
importants. Je me suis efforcée d’être le plus fidèle possible à leurs propos).
6
• Théo, 15 ans, élève de Seconde au Lycée Val de Seine (Grand-Quevilly, Seine-Maritime) :
« Oui, j’aimais l’école, j’aimais apprendre … Surtout l’histoire et le français » « Là je fais plus grand
chose : je suis le bon élève qui se repose sur ses acquis »
« On avait une prof de français assez stricte, mais du coup tu apprenais. Et puis elle avait un bon
humour, assez cynique » « On avait un prof de math qui saquait les élèves, qui faisait des réflexions
méchantes. J’aimais pas aller à son cours »
« J’ai pas trop de problèmes à l’oral, mais c’est difficile dans certains cours, si la classe est dissipée, on
participe à l’arrachée » « Les profs se font pas toujours respecter, y’en a certains qui ont l’air
désespérés »
« Pour moi la plus grande qualité d’un prof c’est la communication… Parler avec des termes clairs,
pas être en décalage avec les élèves. Et puis savoir se faire respecter sans taper du poing sur la table »
• Benjamin, 22 ans, étudiant en M1 informatique à l’ I.U.P. de Montpellier II (Hérault) :
« Oui j’aimais l’école : on apprenait plein de trucs, et puis c’est une étape importante de l’intégration
sociale… Les bonnes notes c’était gratifiant » « Je détestais les interros, et puis les récitations devant
toute la classe »
« Je ne trouvais pas le temps long, c’était comme ça, c’était normal » « Le rythme est devenu plus dur
au lycée, plus lourd, et j’en avais marre de certaines matières »
« En primaire l’instit c’était une deuxième maman, ou une sorte de tuteur, de référent du monde
adulte » « Au collège ça change : on a plein de profs différents, on peut les comparer »
« En troisième j’avais une prof d’allemand excellente. Moi je trouve qu’on apprenait souvent des
choses systématiques, et elle, elle nous donnait envie, elle dédramatisait l’apprentissage, il y avait
une finalité explicite à son cours. Et puis c’était pas un enseignement traditionnel, c’était beaucoup
plus ludique. Par exemple on avait des jeux de cartes pour apprendre les verbes… »
« Elle était plutôt jeune, proche de nous, un peu comme une grande sœur, et elle avait beaucoup
d’humour. Ca changeait des profs préhistoriques ! » « Elle notait pas à la tête, et puis son système
n’était pas impersonnel, on se sentait reconnus » « Ca changeait des profs plus ou moins passifs avec
lesquels on était anonymes »
« J’aimais bien sa manière de nous évaluer. Elle ne corrigeait pas nos copies en rayant nos fautes,
mais en nous aiguillant, sans nous donner directement la solution, et on avait une seconde chance
en lui rendant notre propre correction. C’était encourageant. Pour moi c’est comme ça que tu
apprends, en te rendant compte de tes erreurs »
7
« On a eu aussi une prof de math comme ça, qui donnait des images, des exemples, des
mnémotechniques. C’est important pour accrocher à une matière aussi abstraite »
« J’ai bien aimé mon arrivée à la fac : plus d’autonomie, pas d’obligations, t’es pas fliqué en fait, tu
apprends pour toi, même si des fois c’est à double tranchant » « Ce qui me gêne plus c’est qu’on est
déconnectés du monde professionnel, sauf si on veut travailler dans l’enseignement ou la
recherche »
• Marc, 23 ans, récemment diplômé de l’I.F.P (Ecole d’ingénieur informatique et
télécommunications à Paris) :
« J’aimais pas vraiment l’école, à part pour voir les copains »
« J’ai eu une prof de math qui me détestait parce-que je ne faisais rien mais que j’étais bon. Elle a
essayé de me décourager en me disant que j’allais me planter en prépa… Et puis de manière générale
elle nous faisait subir ses problèmes personnels, elle changeait tout le temps d’humeur »
« Y’a des profs qui m’ont plu, si. Je me souviens d’un prof d’histoire, c’était pas « juste un prof ». Il
était pédagogue, il faisait vivre son cours, il parlait comme un jeune, et puis il mettait l’histoire en
rapport avec l’actualité… Il avait de l’humour et il était strict quand il fallait. Il était proche de nous.
On a même fait des repas avec lui »
« La fac j’ai trouvé ça trop neutre. Et puis on se rapproche du monde professionnel et on n’a rien de
concret, pas de stages… »
• Lucie, 28 ans, étudiante en première année d’arabe à Montpellier III (Hérault) :
« J’aimais l’école, le fait de ne pas être chez moi, l’aspect social. Et puis le jeu, la découverte, les
matières considérées comme secondaires : le dessin, la musique… » « Je n’aimais pas qu’on nous
oblige à faire la sieste »
« Je n’ai jamais aimé ne pas connaître la finalité d’un travail »
« Je m’ennuyais des fois en classe, je me taisais parce qu’on me disait de me taire, je restais tranquille
dans mon coin » « Je ne me sentais pas à l’aise à l’oral. Des fois j’étais la seule à connaître la
récitation, et le prof amenait si mal les choses que je faisais semblant de ne pas savoir non plus… Il y
a des profs qui interrogent toujours le même bon élève, en dernier recours, quand toi tu voudrais te
faire toute petite »
« Je trouve que dans le système scolaire français, il n’y a pas de place pour le défoulement. Des
activités primordiales telles que la musique, le dessin, le sport, sont considérées comme
secondaires »
8
« Je ne comprends pas la disposition frontale dans les classes. On devrait faire comme en
Allemagne : ils disposent les classes en U, tout le monde se voit et peut communiquer…»
« Le système de notation est une castration. Et quand on annonçait les notes de tout le monde
devant la classe, j’en devenais fière d’avoir des mauvaises notes » « Je n’avais pas peur des interros,
j’étais détachée… Ca avait de moins en moins de valeur. Je trouve qu’on nous apprend à nous en
foutre » « On nous apprend à être des fumistes, à vivre sur nos acquis, en nous disant « peut mieux
faire » et en nous rabâchant sans cesse les mêmes choses »
« Je crois que tout se joue en primaire : il manque l’apprentissage de la curiosité. On ne nous
apprend pas à chercher par nous mêmes mais à se satisfaire du minimum » « Il manque une véritable
éducation civique, un apprentissage de la vie »
« J’aimais les profs qui amenaient du ludisme, et qui fonctionnaient au cas par cas, parce que ça
donnait à chacun un rôle à jouer » « Je n’aimais pas les cours traditionnels, où on nous répétait
toujours la même chose, sans surprises, les professeurs qui lisaient leurs fiches, trop sévères, ou qui
ne maîtrisaient pas leur classe et faisaient la police. Par exemple j’en suis arrivée au dégoût des
maths dans une classe où il n’y avait aucune discipline et où le prof était laxiste »
« Je n’aiment pas les profs qui ne s’impliquent pas, gentils mais mous, assez âgés et avec des idées
arrêtées, qui ne se remettent pas en question »
« Il y a eu un prof de philo en terminale qui m’a vraiment motivée. Il était passionné, et il avait du
charisme : il avait un physique agréable, et puis une certaine froideur qui nous intriguait. Il faisait
de l’humour à froid, il était pince sans rire, et en même temps assez chaleureux. En fait c’était un
bon équilibre. Il faisait la part des choses entre son cours et le dialogue : il savait reprendre le cours
où il en était, le faire avancer, faire avancer le débat. Il avait une voix grave, et un air un peu
inquiétant… Un débit lent… Il faisait des pauses, il nous tenait en haleine. Il y avait une part de
séduction en fait. Et puis il cherchait toujours les mots justes, rien n’était laissé au hasard. Je crois
qu’il aurait fait un bon journaliste ! »
• Christophe, 30 ans, médecin à Perpignan (Pyrénées Orientales) :
« J’ai eu un prof d’espagnol qui m’a vraiment motivé. Il organisait des échanges avec des
correspondants. Il était proche de toi, te parlait de choses qui te touchaient en tant qu’adolescent…
On a même été en boîte avec lui ! Et puis il n’avait jamais besoin d’élever la voix… »
« Plus tard j’ai eu une prof d’espagnol complètement différente, qui portait des tenues strictes, un
peu rigide, qui nous faisait rentrer en classe à la queue leu leu, et tenir un cahier de verbes…
Pourtant elle a réussi à nous faire apprécier l’espagnol : elle venait de là-bas et elle aimait sa langue.
Elle était vraiment passionnée »
9
« Il y avait des profs qui mettaient des notes terribles dès le début. Soit ça te décourageait, soit ça te
mettait au défi… C’est une méthode de sélection, ou alors un moyen pour que les élèves se
remettent en question… »
• Ludmilla, 32 ans, récemment diplômée du DEFA (Diplôme d'Etat relatif aux Fonctions
d'Animation) (Rouen, Seine Maritime) :
« Je n’aimais pas l’école, les contenus descendants. Un prof qui parle et que tu écoutes. Pour moi
c’était du gavage »
« Avec certains profs sévères, j’avais vraiment la trouille, même de demander à sortir pour aller aux
toilettes » « J’ai eu des profs sadiques. Une prof d’anglais qui a mis le chewing-gum d’un élève dans
ses cheveux parce qu’il avait fait semblant de le jeter à la poubelle et l’avait gardé dans la bouche.
Une autre fois elle a vidé le cartable d’un élève sur l’estrade parce qu’il remballait ses affaires avant
la fin du cours… »
« Dans l’ensemble je trouve que les professeurs ne mettent pas les élèves à l’aise à l’oral »
« Il y a quelques profs que j’ai vraiment appréciés. Un prof d’histoire, qui nous racontait des
anecdotes en dehors du programme, qui faisait vivre son cours, qui le rendait concret » « Un autre
prof d’histoire, assez âgé, avec une voix grave. C’était un bon vivant et il aimait visiblement sa
matière. Il avait beaucoup de présence, il nous parlait à la manière d’un conteur. Et puis on pouvait
participer. Il nous considérait comme de futurs citoyens »
« On a eu un prof de math aussi, qui avait beaucoup d’humour. Il s’appelait Mr Bœuf, et on faisait
des blagues sur son nom, genre « on n’est pas des bœufs ». Il riait avec nous et lançait des craies à
travers la classe ! » « Son cours était concret. Il nous expliquait à quoi allaient nous servir tel ou tel
exercice dans la vie »
« On avait un super prof de musique, mais il était blasé du cadre du programme. J’ai jamais compris
pourquoi on nous impose la flûte à bec, c’est un instrument qui ne fait pas vite un joli son, c’est
décourageant. Et puis on pourrait varier, faire des petits orchestres avec la classe, ce genre de
choses… »
« J’aimais les sorties, dans les musées par exemple. On avait des moments de quartier libre, on nous
faisait confiance »
« J’aimais bien les professeurs proches de nous, mais dans une certaine mesure. Une fois au lycée un
prof est sorti avec une élève, là j’ai trouvé ça carrément inadmissible »
« Dans ma formation à l’I.D.S.*, ça a été complètement différent. D’abord c’est un organisme
d’éducation populaire, inspiré des écoles Freinet. Le projet de vie de l’apprenant est pris en compte »
« On était un groupe d’une quinzaine de personnes, et on avait un rapport de « collègues à
10
collègues » avec nos formateurs… Par exemple on se tutoyait. C’était un échange permanent,
constructif. On nous a poussé à être autonomes face à l’apprentissage : on nous a donné une boîte à
outils, après c’était à nous de nous en servir. Là ce n’était plus « apprendre par cœur, recracher,
oublier ». C’était dynamique »
« Je pense qu’instituer la découverte dans l’apprentissage est primordial » « L’école de A. S. Neill,
basée sur la confiance (les cours à la carte, les règles de vie votées par les élèves), montre qu’il faut
croire en l’Humain ».
* Institut Départemental Social
Observations faîtes lors de mon stage à l’école officielle de langue de San Blas à Madrid
Enfin, pour clore cette partie, suivent quelques observations que j’ai pu faire lors de mon stage à
l’école de langues de San Blas. Il s’agit d’un bref comparatif entre différentes manières d’aborder un
cours par quatre professeurs de français, et l’influence visible de celles-ci sur les apprenants. (Il ne s’agit
ici que de mes impressions. Je n’ai pu interroger les élèves au sujet de leurs enseignants durant mon
stage pour des raisons de temps et surtout de contexte : il aurait semblé maladroit de le faire sur le
terrain de l’école et je n’ai pu à ce moment disposer d’un terrain neutre…).
J’ai observé les classes de Lola, d’Armelle, de Juan et de Celia. Ils ont tous le même âge (entre 35
et 40 ans). Seule Armelle est française d’origine, Juan et Lola ont longtemps vécu en France et Celia a
appris le français en Espagne…
Armelle est celle qui semble la plus organisée. Son cours est parfaitement « huilé », les diverses
activités réparties sur les deux heures s’enchaînent sans moments creux, et chacune alterne pour donner
une respiration à l’autre. Les exercices de grammaire laissent place à une activité ludique, puis celle-ci à
une activité de réflexion personnelle, puis à un dialogue, puis à un débat, ainsi de suite… Rien n’est
laissé au hasard. J’ai observé plusieurs fois le même cours avec ses différentes classes, et il se déroulait
chaque fois de la même façon. J’ai observé attentivement les apprenants pendant ses cours, et il était très
rare d’en voir un rêvasser ou se tourner les pouces. J’ai pu noter que certaines plaisanteries, jeux de
mots, anecdotes, tombaient chaque fois au même moment : Armelle théâtralise ses cours pour capter
l’attention de ses élèves, en produisant différents effets (rire, étonnement, curiosité…). Elle ménage des
pauses à certains endroits de son discours, laisse planer le mystère après avoir posé une question, balaie
la classe du regard sourire aux lèvres en attendant les réactions. Parfois, l’effet escompté se produit dans
11
une classe et pas dans la suivante, « la sauce ne prend pas ». Apparemment, cela peut être dû à la fatigue
d’Armelle, et à celle des élèves (cours plus tardifs de 19h à 21h).
Elle donne beaucoup d’énergie durant ses cours. Elle ramène souvent quelque chose de ses
séjours en France, à l’occasion des fêtes ou pour l’anniversaire des élèves. Elle est attentive à chacun
d’eux - ils sont une quinzaine environ par classe - et connaît les prénoms de chacun par cœur depuis le
premier jour (elle me confie qu’elle fait cela depuis des années, que cela « bluffe » les élèves et instaure
un rapport de confiance plus rapidement). Les tours de parole lors des débats ou participations diverses
sont équitables. Elle fait beaucoup d’humour, semble connaître leurs personnalités et les taquine. Ils
réagissent avec le sourire. Elle les infantilise un peu, avec une façon de parler très douce et en
employant par moment la troisième personne du singulier pour s’adresser à l’un d’eux. Comme les
élèves ont des âges très variés (de 16 à 70 ans), cela paraît parfois étrange, mais je n’ai perçu aucune
réaction négative. Les élèves d’Armelle m’ont paru la plupart du temps enthousiastes, motivés, et
appliqués dans leur travail…
Lola est la directrice du département de français, et l’enseignante la plus ancienne de l’école.
Elle pratique également l’humour avec ses élèves, avec lesquels on la sent proche. Elle demande que
ceux-ci la tutoient même en français (en espagnol on se tutoie très facilement, à tous niveaux d’une
hiérarchie sociale), contrairement à Armelle qui pense que ce serait leur donner de mauvaises habitudes
langagières quant aux normes socioculturelles du pays dont ils apprennent la langue…
Elle est moins énergique qu’Armelle et le rythme de ses cours est moins soutenu. Pour autant
ses élèves ne semblent pas s’éparpiller : le cours est structuré, même si on peut noter quelques moments
de flottement où elle cherche des documents ou accessoires non préparés à l’avance…Elle aime faire
faire aux élèves des jeux pour apprendre la langue (jeux de carte, de devinettes, quiz par équipes …).
L’atmosphère de la classe est détendue, chacun participe, le dialogue est ouvert. Lola a une voix
très douce, rassurante. Elle a l’air fatiguée et m’a confiée quelques problèmes personnels, mais son état
n’avait pas l’air de perturber la classe. On la sent appréciée de ses élèves.
Juan a une approche différente de celle d’Armelle et de Lola, plus traditionnelle. Il a une
attitude plus scolaire, plus prescriptive et ses élèves semblent plus timides. Dans l’ensemble ils
s’expriment moins bien en français que les élèves de Lola et d’Armelle, à un niveau de classe pourtant
égal.
S’ils ne trouvent pas facilement les réponses attendues il a tendance à leur donner sans les
aiguiller. Il ne leur propose quasiment pas d’activités ludiques et laisse peu de place à l’oral. En retour
les élèves ont l’air moins à l’aise que dans les classes d’Armelle et de Lola.
12
D’une manière générale, on peut sentir Juan peu épanoui dans son travail. Il regarde souvent sa
montre, et son cours n’a pas toujours l’air préparé : il cherche parfois au fur et à mesure de son cours
quelles activités faire faire aux élèves, et pendant ce temps leur donne des documents à lire. Cela se fait
sentir dans la classe. Les élèves sont un peu distraits, dissipés, et regardent aussi leurs montres…
Juan ne manque cependant pas d’humour. Il est un peu cynique et taquine également ses élèves,
qui eux-mêmes le taquinent. On sent pourtant une légère pointe d’acidité dans les réparties échangées,
un regard critique de la part de l’enseignant sur ses élèves et vice-versa…
Celia est une enseignante de français extérieure à l’école, elle est venue remplacer une
enseignante souffrante. Sa façon d’enseigner contraste énormément avec celle des trois enseignants
précédemment cités. D’abord, elle dispense sa classe en majorité dans la langue maternelle des
apprenants. Elle parle très vite et les élèves sont souvent obligés de lui demander de répéter. Elle n’a
visiblement pas été informée du contenu des leçons précédemment vues par les élèves et ceux-ci s’en
plaignent. Elle est brouillon. Elle saute d’un point à un autre, met en route des exercices audio sans les
expliquer au préalable, est hésitante dans sa démarche… Elle parle beaucoup (toujours en espagnol,
langue maternelle des apprenants) de sujets sans rapport avec le cours… Les élèves se dissipent, parlent
entre eux, demandent les consignes à leurs voisins. Elle continue d’agir de la même manière. Elle utilise
énormément de métalangage et les élèves (de première année) sont perdus. Ses explications sont
improvisées et peu claires. Elle ne note rien au tableau. Elle parle des fois pour elle même, sans regarder
les élèves et sans articuler… Pendant que les élèves lisent un texte à tour de rôle à voix haute elle range
des affaires dans un placard, ne semble pas les écouter attentivement… On peut sentir la concentration
des élèves décroître au fil des minutes.
13
II. La personnalité de l’enseignant, son influence sur l’apprenant : convergences
(Analyse des propos et observations faîtes en première partie)
Dans ce second point, je propose de mettre en évidence les points communs ou divergences
relevés dans les observations faîtes en première partie (aussi bien à partir des propos des personnes
interrogées, que de ce que j’ai pu observer durant mon stage), afin de dégager les attentes des apprenants
quant à leurs enseignants, et de relever les traits de personnalité chez ces derniers influents sur eux,
influence bien sûr fonction de la sensibilité et subjectivité de chacun…
Toutes les personnes interrogées semblent apprécier s’ils le trouvent chez leurs professeurs un
certain équilibre entre souplesse et fermeté. Ils n’accrochent ni avec les professeurs trop sévères
(certains ont pu aller jusqu’à paniquer à l’idée d’aller en classe) ni avec les professeurs trop laxistes
(certains en sont arrivés jusqu’au dégoût du cours à cause du manque de discipline). L’humour est la
qualité la plus citée, avec une discipline douce, mais ferme. On aime des enseignants « stricts quand il
faut », qui n’ont « pas besoin d’élever la voix » ni de « taper du poing sur la table pour se faire entendre».
On apprécie également un cours bien structuré. Sans structure le cours est flottant, comme dans
la classe de Celia, et les élèves se dispersent, se fatiguent plus vite voire s’ennuient. Ce phénomène est
également visible dans la classe de Juan dans laquelle les élèves regardent facilement leurs montres…
Cela se ressent ensuite dans leur apprentissage. Sans structure il est beaucoup plus difficile de mémoriser
ou tout simplement de suivre le fil d’un cours. On peut supposer que c’est en partie à cause d’un manque
de structure dans son cours que les élèves de Juan ont plus de mal à suivre et à s’exprimer en langue
étrangère…
Une certaine proximité réciproque, enseignant-apprenants, rentre également dans les critères
positifs cités par les personnes interrogées. On la retrouve au niveau de l’humour, créateur de
connivence. On la retrouve aussi dans le discours de l’enseignant : sa capacité à employer des termes
clairs, à la portée de l’apprenant, voire des termes propres à la génération de ce dernier.
La pratique du tutoiement permet aussi de rapprocher enseignants et apprenants, du moins de
ne pas formaliser la distance existante entre les places de chacun. Dans la formation de Ludmilla à
l’I.D.S., celle-ci a instauré entre eux un rapport de « collègues à collègues ». Armelle vouvoie ses élèves,
en français uniquement, pour leur enseigner les normes socioculturelles propres à cette langue sur le
territoire français, alors que Lola les tutoie et leur demande de la tutoyer même en français pour ne pas
établir, dit-elle, de rapport hiérarchique, quitte à laisser de côté le facteur socioculturel.
La proximité avec les élèves peut aussi se manifester dans l’évaluation, orale ou écrite : celle-ci
peut être personnelle, personnalisée, et l’apprenant se sent du même coup considéré comme un individu
14
unique et reconnu par son enseignant. Quand Armelle apprend par cœur les prénoms de ses élèves le
jour de la rentrée, elle participe à la mise en place de cette proximité, en commençant par le
commencement : ne pas laisser les élèves dans l’anonymat.
Un rapport de confiance est aussi demandé. Benjamin a aimé son entrée à l’Université car il ne
se sentait plus « fliqué »… Ludmilla appréciait les sorties extra-scolaires parce-que les professeurs
laissaient quartier libre aux élèves : ils leur faisaient confiance. Et faire confiance c’est aussi encourager
la prise d’initiative, l’esprit de découverte, de curiosité (demande formulée explicitement par Ludmilla,
ou Lucie : « il manque l’apprentissage de la curiosité »)…
Certains élèves ont l’air de chercher la proximité jusqu’au rapport presque fraternel ou amical, et
apprécient avec leurs professeurs des relations extérieures au contexte de la classe.
Pour autant les apprenants souhaitent pour la plupart que chacun garde sa place, d’enseignant
ou d’apprenant. Si une part de séduction entre dans la relation enseignant-enseignés, il y a une limite à
ne pas dépasser, limite qui est aussi marquée par une demande d’autorité de la part des apprenants. A ce
sujet on peut par exemple consulter l’article de C. Bouyon, Des places et des relations : Analyse d’une
situation difficile en classe de langue (TD du FLE n°24), qui illustre les conséquences catastrophiques sur
les apprenants du refus de sa place par l’enseignant lui-même (Anne-Lise, enseignante débutante,
souhaite un rapport d’égal à égal avec ses élèves. Elle ne veut pas s’imposer ni imposer, pour conquérir
ses élèves et être au plus proche d’eux. Elle ira jusqu’à laisser sa place symbolique de professeur à John,
élève « leader » du groupe, qui s’installera plusieurs fois à son bureau. Petit à petit il désorganisera le
groupe et remplacera Anne-Lise…).
Toutefois la distance physique entre ces places n’est pas toujours bien perçue. La disposition
traditionnelle – frontale - des classes, le professeur sur son estrade, est peu appréciée. A l’école de San
Blas, la plupart des classes (accueillant au maximum vingt élèves) sont disposées soit en U, soit les tables
sont regroupées en carrés de quatre places. Ces dispositions semblent bien fonctionner : elles permettent
la circulation de l’enseignant à travers la classe par exemple pour écouter ses élèves lors de discussions
en petits groupes, elles mettent les élèves en face les uns des autres (on ne se tourne pas le dos) et
permettent ainsi d’établir plus naturellement la communication.
Cette demande de proximité peut aussi être perçue dans des propos tels que « Je ne me sentais pas à
l’aise à l’oral (…). Il y a des profs qui interrogent toujours le même bon élève, en dernier recours, quand
toi tu voudrais te faire toute petite ». Disons que plus que de la proximité, Lucie réclame ici que les
professeurs fassent preuve de psychologie. Cela en passe forcément par une certaine proximité qui
15
permettrait à l’enseignant de mieux connaître ses élèves, et ainsi éviter de les mettre mal à l’aise, les
blesser.
Certains professeurs cités semblent manquer cruellement de psychologie, ou du moins ne pas
faire l’effort d’en user, au point d’humilier sciemment des élèves ou de leur faire subir leurs humeurs
diverses et variées… Juan ne va pas jusque là, contrairement au professeur d’anglais citée par Ludmilla,
mais il se permet des remarques susceptibles de gêner des élèves et use de peu de délicatesse. Par
exemple lorsque j’assistais à sa classe, il me parlait à voix haute d’un élève très timide en la présence de
celui-ci : « Bon, lui il est timide, il ne te répondra pas… ». Il fait également ressentir à ses élèves, de
façon déguisée sous des traits d’humour, sa sympathie ou son antipathie à l’égard de certains d’entre
eux. Par exemple il lui arrive de faire référence à la vie privée ou à la personnalité d’un élève devant
toute la classe pour le taquiner (« Comment dit-on « besar » en français ? Javier, toi qui es un vrai
dragueur, tu dois pouvoir répondre à cette question ? »)… Cela prouve la proximité de cet enseignant
avec ses élèves, mais celle-ci n’est pas toujours bénéfique et peut provoquer un malaise chez certains
d’entre eux. Une distance souhaitable entre professeur et élèves n’a pas été observée …
(A propos de psychologie j’aimerais encore mentionner mon actuel professeur de boxe française.
Celui-ci en est particulièrement doté. Il détecte les élèves qui veulent s’investir totalement, ceux qui ne
demandent qu’à être poussés, ceux qui aiment être discrets et ceux pour qui la timidité est un véritable
fardeau. Il fait preuve d’autorité, pousse les gens à se dépasser, tout en restant souple. Il compose avec
chacun et parvient au fur et à mesure à répondre aux attentes. Il semble que ses élèves s’épanouissent
réellement au sein de ses cours…).
Un élément fort également cité parmi les attentes des élèves est la qualité de présence de
l’enseignant. Celle-ci est explicitement citée par Ludmilla à propos d’un de ses anciens professeurs
d’histoire (« Il avait beaucoup de présence, il nous parlait à la manière d’un conteur ») ou implicitement
par Lucie lorsqu’elle décrit son professeur de philosophie au lycée (charisme, équilibre entre chaleur et
froideur énigmatique, débit lent et ménagement de pauses dans le discours tenant la classe en
haleine…), par Marc à propos d’un professeur d’histoire (« Il faisait vivre son cours »), et de façon
générale par tous les autres lorsqu’ils parlent d’humour (pour qu’un clin d’œil, une plaisanterie, un jeu
de mot, soient perçus comme tels, partagés, ils nécessitent, il me semble, une certaine qualité de
présence chez son auteur)…
Cette présence paraît aussi associée à la passion éprouvée par l’enseignant pour ce qu’il enseigne,
et sa capacité à la transmettre. Un cours trop traditionnel et un enseignant qui lit ses fiches et colle au
programme sans s’impliquer, s’investir réellement dans ce qu’il enseigne, ne convainc pas son auditoire
16
et peut aller jusqu’à ennuyer celui-ci… (Je reviendrai sur cette notion de présence dans le tout dernier
point, qui concerne les ateliers de pratique théâtrale).
Les personnes interrogées semblent accrocher à une manière d’enseigner un tant soit peu
créative voire ludique. Benjamin appréciait ses cours d’allemand, où l’enseignement n’était pas dispensé
de façon traditionnelle : « C’était beaucoup plus ludique. Par exemple on avait des jeux de cartes pour
apprendre les verbes… », Lucie n’aimait pas les cours « sans surprises », et trouve que les activités
créatives telles que la pratique musicale ou des arts plastiques ne devraient pas être ainsi reléguées au
second plan du système éducatif français… A l’école de San Blas, Lola a une boîte avec des accessoires
pour faire des jeux variés à chaque cours. Elle dispose d’une paire de dés, d’un sablier, de cartes
dessinées représentant des métiers, de fiches colorées avec des verbes à tous les temps… Et elle
compose : devinettes à faire en groupe dans la langue étrangère, jeu du mémory avec les verbes, quiz par
équipe entre les apprenants… Ceux-ci se régalent visiblement et le cours fonctionne très bien… Notons
que le ludisme ne nuit en rien à la structuration d’un cours (élément important cité en amont). Les
cours de Juan ne sont pas ludiques, ni structurés, contrairement à ceux de Lola et d’Armelle qui allient
les deux qualités.
Les apprenants éprouvent le besoin d’être actifs et de créer, et demandent à la personne qui les
enseigne de faire elle-même preuve de créativité. Ludmilla aimait les cours d’histoire parce-que son
enseignant parlait « à la manière d’un conteur » et Marc parce-qu’il « faisait vivre son cours », Benjamin
aimait que son professeur de mathématiques prof de math donne « des images, des exemples, des
mnémotechniques ». C’est ici la faculté d’imagination qui est sollicitée chez l’enseignant.
Enfin, la demande des personnes interrogées semble se situer au niveau de l’enseignement en
général. Elle met en cause le système éducatif français plus que les enseignants eux-mêmes (cela était
aussi le cas concernant le ludisme puisque, indépendamment de l’enseignant, sa part dans
l’enseignement dépend du programme et des méthodes imposées par le système, point sur lequel je
reviendrai à la fin de cette partie). Elle concerne la finalité de l’enseignement : celle-ci, surtout avant les
dernières années du lycée et l’entrée en faculté, n’est pas clairement dite aux apprenants et c’est
l’obtention du baccalauréat qui est visée. Les personnes interrogées ont besoin de concret pour
apprendre. C’est pour cela que Marc appréciait son professeur d’histoire : il mettait son cours « en
rapport avec l’actualité ». Ludmilla ne saisissait pas le sens de ce qu’elle apprenait et compare
l’enseignement qu’elle a reçu avant sa formation à « du gavage ». Elle demandait un rapport de
confiance de la part des enseignants vis à vis des apprenants et regrette le peu d’autonomie laissée à
ceux-ci. Cette autonomie elle l’a trouvé ensuite dans un enseignement totalement différent à l’I.D.S :
17
« Dans ma formation à l’I.D.S., ça a été complètement différent. D’abord c’est un organisme d’éducation
populaire, inspiré des écoles Freinet. Le projet de vie de l’apprenant est pris en compte (…) » Avec les
formateurs « c’était un échange permanent, constructif. On nous a poussé à être autonomes face à
l’apprentissage : on nous a donné une boîte à outils, après c’était à nous de nous en servir. Là ce n’était
plus « apprendre par cœur, recracher, oublier ». C’était dynamique. Je pense qu’instituer la découverte
dans l’apprentissage est primordial ». Lucie pense, et cela exprime ce que vit Théo, « le bon élève qui se
repose sur ses acquis » et ne fait plus d’efforts, qu’ « on nous apprend à être des fumistes, à vivre sur nos
acquis, en nous disant « peut mieux faire » et en nous rabâchant sans cesse les mêmes choses (…), il
manque l’apprentissage de la curiosité. On ne nous apprend pas à chercher par nous-mêmes mais à se
satisfaire du minimum ». La plupart trouvent enfin que, si une certaine autonomie existe à l’Université,
l’ancrage dans une réalité concrète, vers l’indépendance, l’avenir professionnel, est toujours faible.
Marc : « La fac j’ai trouvé ça trop neutre. Et puis on se rapproche du monde professionnel et on n’a rien
de concret, pas de stages… ».
Ces reproches faits à l’enseignement en général - plus précisément au système éducatif français
traditionnel (et cela vaut alors dans l’approche traditionnelle de l’enseignement du français comme
langue étrangère, car si cet enseignement sort dans de nombreux contextes du cadre de l’éducation
nationale, il n’en reste pas moins académique) – sont aussi du même coup adressés aux enseignants.
Informent-ils correctement leurs élèves sur la finalité de leur cours ? Sont-ils les détenteurs d’un savoir
abstrait ou des guides vers une connaissance utile aux apprenants ? Beaucoup d’enseignants sont perçus
par leurs élèves comme des juges, des censeurs. Pour Lucie par exemple, « le système de notation est une
castration ». Pour Benjamin, l’évaluation est intéressante si elle est un guide, un aiguillage pour
progresser, si elle est encourageante. « Pour moi c’est comme ça que tu apprends, en te rendant compte
de tes erreurs ». Les apprenants attendent une évaluation formatrice et non plus sommative. Un
enseignant qui les guide et non qui les juge.
Ces dernières réflexions montrent que l’enseignant peut être assimilé, dans la perception qu’en ont
ses élèves, au système qu’il est censé représenter, aux méthodes qu’il est censé utiliser, qu’il soit en
accord ou non avec. Ils n’apprécient pas toujours ce qui représente la tradition. Certains comme
Benjamin la définissent comme dépassée (« préhistorique »), d’autres la trouve encore bénéfique
(Christophe : «J’ai eu une prof d’espagnol (…) qui portait des tenues strictes, un peu rigide, qui nous
faisait rentrer en classe à la queue leu leu, et tenir un cahier de verbes… Pourtant elle a réussi à nous
faire apprécier l’espagnol (…) »). On peut dire que l’arrivée de l’Approche Communicative dans la
didactique des langues répond dans son domaine, alliée aux éléments efficaces de l’approche
traditionnelle - c’est à dire dans une forme de pédagogie éclectique - à plusieurs attentes formulées par
18
les personnes interrogées (et y répondrait dans d’autres si une méthodologie similaire était adoptée…) :
cette approche prend en compte son public le plus possible, ses besoins, et le considère dans son
contexte social et non plus scolaire. C’est pour F. Debyser « une pratique plus efficace parce que plus
fonctionnelle, plus pragmatique et plus concrète ». La faute n’est plus objet de sanction mais devient
« erreur », constitutive de l’apprentissage et point de repère dans l’évolution des apprenants (on rejoint
ici les propos de Benjamin sur le système d’évaluation employé par son professeur d’allemand)…
Lucie attend une remise en question d’eux-mêmes de la part de certains de ses enseignants, et une
ouverture d’esprit. Faut-il imputer au système et aux méthodes souvent imposées aux enseignants une
certaine fermeture ? Ce que Lucie perçoit comme un manque de remise en question serait-il simplement
un manque de liberté laissée aux enseignants ? Il est difficile d’apporter en peu de mots des réponses à
ces questions, et tel n’est pas mon propos, simplement s’il est certain que les méthodes utilisées par les
enseignants et la qualité de leur enseignement sont étroitement liées, ce qui m’intéresse ici sont les
éléments de leur personnalité qui influent sur l’apprentissage de divers individus, indépendamment des
méthodes imposées… Ce professeur de musique « blasé du cadre du programme » dont parle Ludmilla
était-il défaitiste, manquait-il d’imagination ou bien lui interdisait-on réellement tout initiative…
Durant mon stage à l’ école de San Blas j’ai observé des enseignants utilisant les mêmes méthodes et les
résultats étaient tous différents. Peut-être Juan était-il moins à l’aise dans l’approche communicative et
incorporait-il à son cours plus d’exercices issus de l’approche traditionnelle. Mais cela faisait partie d’un
choix et donc relève de sa personnalité propre. Les enseignants que décrivent les personnes interrogées
font également partie d’un même système, et certains composent apparemment avec mieux que
d’autres.
Synthèse
Pour clore ce second point, j’aimerais résumer ce qui vient d’être dit, en énumérant les qualités
citées par les personnes interrogées à propos de leurs divers enseignants et enseignements, qualités
existantes ou manquantes selon les cas… J’ai distingué :
- un équilibre entre fermeté/autorité et souplesse/humour
- la proximité avec les élèves, sans dépasser une limite souhaitable (cette proximité ne doit ni
signifier égalité des places entre enseignants et apprenants, ce qui perturberait ces derniers, ni
jeu de séduction excessif de la part de l’enseignant)
- la psychologie
19
- la présence, le charisme
- l’humour, l’imagination, la place au ludisme et à la créativité
- l’implication
- la passion et la transmission de celle-ci
- l’explicitation de la finalité de l’enseignement et le caractère concret de celui-ci
- le développement de la curiosité et de l’autonomie face à l’apprentissage
- une évaluation personnelle, formatrice et non sommative, un enseignant guide et non un juge
Ces critères sont bien sûr subjectifs, et c’est avec sa personnalité propre que l’apprenant perçoit celle
de l’enseignant. Une grande part d’affectif entre en jeu. En ce qui me concerne, j’imagine que mes yeux
d’enfants auront déformé ma vision de certains professeurs, et que si je me suis sentie blessée par
quelques-uns d’entre eux, une certaine susceptibilité n’est pas à négliger… Quand Ludmilla a une vision
plutôt négative de sa scolarité et emploie des mots forts comme « gavage », on peut imaginer de son côté
des difficultés extérieures au système d’enseignement, une forme de rejet… Le malaise à l’oral est aussi
inhérent à la personnalité de l’apprenant, et au sein d’une même classe, suivie par le même enseignant,
les réactions seront toutes différentes d’un apprenant à un autre. C’est là où la psychologie du professeur
entre en jeu, à lui de déceler les vrais timides de ceux qui ne demandent qu’à être sollicités, et de
rétablir l’équilibre (c’est ce que fait Armelle dans sa classe en faisant respecter les tours de parole de
chacun). Un désir d’autorité ou de souplesse marqué peut aussi faire partie des représentations diverses
de l’apprentissage, ou d’habitudes familiales que l’on souhaite conserver ou fuir… De façon générale,
apprécier l’humour de quelqu’un est quelque chose de complètement subjectif également. Tout comme
l’appréciation d’un timbre de voix, d’une façon de parler, d’un regard… Il m’est déjà arrivé d’admirer
des enseignants qui étaient le cauchemar de certains de mes camarades…
La liste serait trop longue de tous les facteurs subjectifs qui viennent interférer dans la vision des
personnes interrogées sur leurs divers enseignants, et il est de toute façon évident que l’appréciation de
la personnalité d’un individu est éminemment subjective. « Il ne s’agit pas de savoir si nous percevons le
réel tel qu’il est, puisque précisément le réel est ce que nous percevons » (Lyotard, La phénoménologie).
Quant à mes observations faîtes durant ma période de stage, si j’ai fait de mon mieux pour rester le plus
objective possible, là encore une part de subjectivité ne peut être niée.
Je ne prétends donc établir aucune vérité ni généralité d’après les informations que j’ai recueillies,
mais simplement me servir des récurrences, des points communs relevés dans les propos des personnes
interrogées et mes propres observations, comme de pistes pour une réflexion vers la préparation au
métier d’enseignant…
20
III. Malaise d’enseignants en devenir (Recueil et analyse des propos de jeunes enseignants français et britanniques)
Etre un enseignant en devenir paraît bien être une situation délicate. Elle suppose un
renversement des places : on était apprenant, on devient enseignant. La transition est plutôt brutale
pour certains, parfois inexistante, et l’on se retrouve catapulté, en quelque sorte, du gradin à l’estrade.
Dans cette troisième partie je propose tout d’abord de rendre compte du malaise de certains
professeurs débutants ou en devenir, à travers les propos recueillis par moi, d’Emilie (25 ans), professeur
des écoles débutante en Seine-maritime, de Magali (27 ans), professeur d’espagnol débutante également
dans un collège du Nord Pas de Calais, et d’Armelle (37 ans), professeur de français expérimentée à
l’école de San Blas, ainsi qu’à travers les entretiens d’enseignants débutants français et britanniques,
analysés par R. Malet dans son livre L’identité en formation, Phénoménologie du devenir enseignant.
Suivent une partie du questionnaire que j’ai soumis à Emilie, Magali et Armelle, ainsi que leurs
réponses (les questions 2, 5 et 6 n’apparaissent pas ici et seront traitées dans les points suivants) :
Qu’est-ce qui a pu vous gêner dans vos débuts, étiez-vous timides, impressionnés, ou pas du tout ? (1)
En êtes-vous passé par une remise en question difficile ? (3)
Considérez-vous avoir été bien ou mal formé, bien ou mal informé sur votre futur métier quand vous
étiez encore étudiant ou en formation ?(4)
• Emilie :
1-« Ce qui m'a gênée le plus au début c'est l'inconnu ( élèves, niveau de classe, rapport avec les parents
...). Mais je n'étais ni timide ni impressionnée ».
3- « Evidemment, après les premières prises de classe, c'est tellement fatiguant (car on gère mal ses
dépenses d'énergie au début) qu'on se dit que ce n'est pas pour nous, puis on prend ses marques et on
trouve son rythme de travail ».
4-« La formation pour les professeurs des écoles est très insuffisante, on apprend réellement sur le tas, et
souvent dans les premières années de prise de poste on se retrouve en AIS , CLIS ou SEGPA qui sont des
classes spécialisées ( Handicap mental , élèves autistes ......) pour lesquelles on n’a eu aucune formation ».
21
• Magali :
1-« Ce qui m'a gênée à mes débuts c'était de sentir les yeux des élèves qui me scrutaient de la tête aux
pieds... De les entendre chuchoter en me regardant... On en vient à être parano et a penser qu'ils se
moquent de nous, puis on se rend compte qu'ils ont bien mieux à faire...
Je me suis aussi laissée déstabiliser par les questions pièges et les remises en questions de mes
connaissances.
Enfin, j'ai mis quelques mois à prendre ma place dans la classe, à assumer mon autorité, et à comprendre
que les élèves, loin de la rejeter, la réclament.
Un autre problème est au début de vouloir être apprécié des élèves... Cela entraîne parfois un manque
de fermeté, et on se rend vite compte qu'ils ne nous apprécient pas moins lorsqu'on est ferme, à
condition d'être JUSTE. Je n'ai pas encore tout à fait réussi à pallier à ce problème, notamment parce
qu'il faut être très ferme en début d'année, et que j'ai du mal...».
3-« La remise en question est quotidienne dans ce travail, chaque fois qu'il y a "conflit" avec un élève,
qu'un cours ne les intéresse pas, qu'à l'évaluation je me rends compte qu'ils n'ont pas bien compris. Mais
la plus grande a pour moi eu à voir avec ma place dans la classe... Je suis le prof! Et c'est dur parfois, car
j'ai cessé d'être élève il y a peu de temps. Il est dur aussi de faire la part des choses entre les attaques
personnelles et celles qui sont adressées a ce que je représente, à la figure du prof ».
4-« La formation laisse certes à désirer... Pendant les années de fac, elle est inexistante, en ce qui
concerne les pratiques pédagogiques. A l'IUFM, elle reste théorique, et l'on nous met encore en position
d'élèves, et non d'adultes, d'enseignants en formation, ce qui n'aide pas forcément à prendre sa place.
On a parfois aussi l'impression que les conseils et les théories ne sont pas applicables face à des élèves
"durs", mais uniquement avec des élèves motivés et disciplinés. On n'est pas formés à réagir de façon
adéquate face aux imprévus et aux situations tendues. On apprend cela au jour le jour, a force de se
tromper, et d'y réfléchir ».
• Armelle (Armelle n’a pas répondu entièrement à toutes les questions, suivent ses propos tels
quels) :
« Problèmes du début :
- Calculer le temps des activités à réaliser en classe.
- Tendance à faire 2 activités uniquement.
- Tendance à s’occuper uniquement des gens qui participent…
Mal informée NON, mais peu OUI »
22
Les problèmes qui semblent se poser, ou s’être posés, aux enseignantes interrogées sont de
plusieurs ordres. Ils concernent la qualité de leur enseignement (et donc un souci d’autrui, en
l’occurrence de l’apprenant) : le cours est-il structuré, s’éparpille-t-on, maîtrise-t-on son sujet, a-t-on
réussi à transmettre les connaissances… ? Ce souci d’autrui, décentration de soi, est relégué au second
plan par Magali quand elle dit « La remise en question est quotidienne dans ce travail, chaque fois qu'il y
a "conflit" avec un élève, qu'un cours ne les intéresse pas, qu'à l'évaluation je me rends compte qu'ils
n'ont pas bien compris. Mais la plus grande a pour moi eu à voir avec ma place dans la classe… » . Sa
grande difficulté semble être de concilier son rôle de professeur, détenteur de l’autorité, avec son besoin
de plaire à ses élèves. Elle a peur de leur regard, de ne pas être crédible. Elle se centre sur elle-même. Ce
n’est apparemment pas le problème d’Emilie, mais elle souligne tout de même une crainte de l’inconnu.
Armelle elle parle d’une tendance qu’elle avait à ses débuts à « s’occuper uniquement des gens qui
participent ». C’était peut-être une façon de se sentir soutenue par ces élèves…
Les problèmes évoqués par Emilie et Magali concernent enfin (et peut-être surtout) une
formation insuffisante et mal adaptée à leur métier d’enseignantes. Celle-ci paraît trop théorique et
Magali s’est sentie toujours en position d’élève. Finalement, c’est sur le terrain que Magali et Emilie
disent apprendre réellement leur métier.
R. Malet fait dans son livre une étude comparative entre les différents ressentis d’enseignants
débutants français se formant aux I.U.F.M.* de Limoges et d’Orléans, et britanniques à la School of
education de l’Université de Leeds. On y constate que les enseignants débutants français se plaignent
d’un manque de formation. R. Malet expose dans son livre ses recherches sur les raisons d’un vrai
malaise ressenti par les enseignants débutants français. Ceux-ci semblent écrasés par le poids d’une
excellence académique, et la transition qui les mène de leur rôle d’étudiant à celui d’enseignant les fait
passer par une véritable crise identitaire. « Ceux-ci développent et favorisent les espaces-temps de
formation que l’institution les a explicitement engagé à privilégier, au détriment de dimensions
centrales de la profession enseignante que sont la décentration de soi, le souci de l’autre, le désir de
transmettre un savoir, autant d’aspects fondamentaux de leur futur métier que la formation académique
a étouffés, la satisfaction aux critères académiques du concours faisant de celui-ci une affaire privée,
coupée de la réalité.
* Si ce contexte de formation n’a pas été le mien – j’ai été formée au métier d’enseignant à l’Université dans le cadre d’un Master « Pratiques professionnelles en français langue non maternelle » - je me reconnais dans les propos des étudiants interrogés par R. Malet et dans l’analyse qu’il en fait. Ma première expérience d’enseignement devant une classe à l’école officielle de langues de San Blas en est une confirmation.
23
Il montre que les futurs enseignants français interrogés s’engagent mollement sur la voie de
l’enseignement, comme sur un chemin tout tracé et subi, fin d’un épanouissement personnel au sein
d’un cadre d’études et qui leur imposerait un véritable travail de deuil. Leurs collègues britanniques eux
vivent beaucoup plus sereinement leur passage dans le monde professionnel. Ils « ne renvoient pas dos à
dos formation académique, formation expérientielle et formation professionnelle, mais intègrent les
unes et l’autre dans un mouvement global de formation et dans une visée unifiante, intégratrice de
structuration de la personnalité » (R. Mallet 1998 : 196). L’approche des Britanniques du métier
d’enseignant est, de par leur culture, beaucoup plus empirique et pragmatique que ne l’est l’approche
française. Au long de leurs études, les futurs enseignants britanniques réfléchissent à leur futur métier
tout en multipliant les expériences sur le terrain, et mettent en avant le côté socialisant offert par leurs
études plus que l’excellence académique. Avec les élèves ils sont investis d’un rôle social, ont plus de
contact avec eux : la vie scolaire et extra-scolaire est moins cloisonnée qu’en France. Lors de leurs
premiers pas dans un établissement d’enseignement ils sont guidés par un tuteur, durant au minimum
quatre mois. Ils intègrent plus spontanément l’enseignement dans une logique de formation personnelle
et professionnelle, et dans une attitude plus ouverte, non dans une crainte d’enfermement identitaire ou
de dépersonnalisation…
La centration sur soi des jeunes enseignants évoquée plus haut est préjudiciable à
l’apprentissage., tout comme le manque de souplesse et d’ouverture. Aussi, capacité d’écoute,
d’observation, d’adaptation à de nouveaux mondes, sont des qualités primordiales pour enseigner.
Le malaise provoqué par le regard de l’Autre, l’apprenant, (qui rend Magali presque paranoïaque
selon ses dires) paraît malheureusement exister chez la plupart des jeunes enseignants (aussi bien
français que britanniques, même si ces derniers y sont mieux préparés). Regard d’autant plus difficile à
affronter lorsque l’on sait qu’on représente un modèle, un référent d’autorité, une forme de sagesse…
« En effet c’est l’élève – ou le groupe d’élèves – qui enseigne le débutant de ce qu’il est (…) » (R. Malet
1998 : 207). Il évoque aussi la solitude éprouvée par les jeunes enseignants au sein de leur classe, la
sensation d’un abandon de soi au bénéfice d’autrui…
Un autre malaise provient chez les jeunes enseignants de ce que R. Malet nomme « l’amplitude
corporelle ». Il s’agit d’habitus corporels propres à une culture et d’une capacité à se mouvoir avec ceux-
ci dans des espaces, ou des « mondes » variés, c’est à dire une certaine flexibilité. « Chez les stagiaires
français, la brutalité du changement de monde entraîne une résistance corporelle au mouvement (…) »
(R. Malet 1998 : 200), ce qui n’est pas le cas chez leurs confrères britanniques pour qui ce changement
24
de monde est longuement anticipé. Les jeunes enseignants engagent leurs corps sur le territoire de la
classe, dimension proprement physique illustrée par Emilie lorsqu’elle dit prendre « ses marques ».
Ce manque de flexibilité, de souplesse, existant chez de nombreux jeunes enseignants dans leur
rapport au corps peut aussi apparaître dans la capacité à s’adapter à des situations imprévues : les
« questions pièges » dont parle Magali, les « conflits » avec les élèves, les réactions imprévisibles.
« La relation d’inconnu est au cœur de la relation à l’autre et d’enseignement. Il faudra donc
s’adapter à un public, à une situation : chaque expérience d’enseignement est une expérience nouvelle,
car fondée par cette relation d’inconnu, structurée par une forme d’ignorance du public (on ne sait pas à
qui on a affaire), d’indétermination (on ne peut anticiper sur les réactions de ce public, sur ses
humeurs). Cette non prévisibilité nécessite donc une plus grande ouverture et écoute » (J-M Prieur,
Faute et apprentissage).
25
IV. Vers des remédiations au malaise des jeunes enseignants et pour une meilleure qualité
d’enseignement
J’ai tenté, à travers mon observation faîte en stage et différents témoignages d’apprenants et de
jeunes enseignants, de cerner l’influence de la personnalité de l’enseignant sur l’apprentissage, les
attentes des apprenants, ainsi que les malaises éprouvés par les enseignants à leurs débuts.
A partir de ces points, j’aimerais maintenant proposer quelques outils aux futurs enseignants
dont je fais partie, pour préparer au mieux leur entrée dans leur nouveau métier, remédier à leur
malaise, afin de l’exercer au mieux pour le bénéfice de leurs futurs apprenants.
Se questionner sur son rôle futur auprès des apprenants
On a vu des critiques positives ou négatives de quelques apprenants, leurs attentes, quant à
leurs divers enseignants. Il appartient donc pour commencer au futur enseignant de se poser certaines
questions, vers une prise de conscience de lui en tant qu’enseignant, et tenter d’y répondre avant même
d’exercer son métier. Les questions difficiles, les problèmes insolubles, trouveront leurs réponses au fil
du temps avec la pratique, et des réajustements auront lieu (finalement une remise en question régulière
sera nécessaire )…
Voici quelques questions qu’à mon sens devrait se poser un futur enseignant (j’ai tenté d’y
apporter des réponses en m’appuyant sur les constatations faîtes au long de mon travail, elles n’ont
aucunement la prétention d’établir des vérités, et figurent simplement dans le but de proposer une
réflexion…).
o Qu’attendent les apprenants, de quoi ont ils besoin ? (ils ont besoin d’être formés, d’être guidés dans
leur apprentissage, d’être écoutés, d’être cadrés, d’avoir des contacts avec la réalité professionnelle,
de prendre du plaisir, d’être éveillés à la curiosité et à l’esprit critique, d’être responsabilisés, qu’on
leur fasse confiance…)
o Saurai-je répondre à leurs attentes ? (pour y répondre au mieux il sera très utile de prendre
connaissance de son public, de son niveau de connaissance, de sa sphère culturelle et de ses horizons
d’attente, de prendre connaissance de ses besoins… ces éléments pourront être déterminés par le
cadre d’enseignement ou au travers d’entretiens si ceux-ci sont réalisables…)
26
o Pourrai-je blesser un apprenant ? (pour éviter cela je devrai faire preuve de psychologie, être attentif
à chacun de mes élèves afin de détecter leurs gênes, leurs craintes, les aider à les dépasser sans pour
autant les mettre face à elles si cela doit être douloureux… je devrai aussi respecter une certaine
distance : je ne suis pas leur « copain », ni un de leurs parents… cela ne veut pas dire non plus que je
n’ai pas le droit de tenir un rôle social et de leur apporter un soutien s’ils en expriment le désir… -
les britanniques ont un rapport de complicité beaucoup plus fort avec leurs élèves et cela ne semble
pas être négatif… il est aussi important de toujours être juste…un sentiment d’injustice peut être
très mal vécu par un élève qui ne saurait pas l’extérioriser…)
o Serai-je assez ferme ? (je ne devrai pas, pour plaire à tout prix à mes élèves, établir avec eux un
contact trop amical qui nuirait au bon déroulement de la classe. Si la classe est dissipée c’est que je
n’aurai pas fait preuve d’assez d’autorité, si personne n’ose lever la main je devrai peut-être
m’assouplir…)
o Ferai-je subir mes états d’âme à mes élèves ? (avant de rentrer en classe je devrai faire un travail sur
moi-même afin de ne pas faire subir aux élèves mes problèmes personnels, et faire de mon mieux
pour être d’humeur égale à chaque cours…)
o Devrai-je jouer un rôle ou rester moi-même ? (je serai en représentation devant mes élèves, j’aurai
donc un personnage face à eux, mais je serai aussi moi-même en tant qu’enseignant, dans un des
rôles que je joue dans la société…)
o Serai-je crédible ? (je le serai si je maîtrise bien ce que j’enseigne, si j’ai bien préparé mon cours, et si
je ne me laisse pas déstabiliser par des questions qui me surprennent ou auxquelles je ne sais pas
répondre… je devrai apprendre à improviser, à réagir vite, pour ne pas perdre la face devant les
élèves… l’erreur est humaine et je ne devrai pas dramatiser une lacune éventuelle de ma part -
même si je devrai faire mon possible pour la combler…je devrai faire sentir aux élèves mon
implication dans ce que j’enseigne pour les convaincre…)
o Serai-je ridicule ? (une trop grande crainte du regard des élèves transforme totalement le
comportement de l’enseignant qui peut adopter une posture fermée, avoir des gestes mal maîtrisés et
ainsi trahir son manque de confiance en lui… les élèves pourront éprouver de l’empathie – ce fut le
cas lors de mon expérience d’enseignement à l’école de San Blas - mais très souvent s’ils sont jeunes
27
ils n’hésiteront pas à se moquer de leur enseignant ou à émettre des critiques négatives…il faut donc
travailler la confiance en soi…)
o Saurai-je transmettre les connaissances ? (je devrai entre autre bien structurer mon cours, varier les
activités pour ne pas fatiguer l’attention des élèves et ne pas les noyer d’informations, les intéresser
en leur expliquant le pourquoi de mon cours, rendre celui-ci concret, proche d’eux, en employant
des termes clairs et des références de leur génération, sans tomber dans la démagogie… apporter
une part de ludisme et de créativité est également très important…)
o Saurai-je motiver mes élèves ? (je devrai leur expliquer la finalité de mon enseignement et leur
prouver qu’il peut leur être utile – dans le cas où mon public n’aurait pas choisi de le suivre,
l’intégrer au plus possible dans la réalité, et ne pas évaluer mes élèves de façon castratrice mais au
contraire les former, les pousser à se dépasser…)
o Saurai-je passionner mes élèves ? (cela dépendra de ma personnalité, de ma présence, de ma capacité
à transmettre ma propre passion, à montrer mon implication dans ce que j’enseigne…)
o Mes élèves m’apprécieront-ils ? (cela est de toute façon très subjectif… savoir allier humour et
autorité paraît un atout majeur… en aucun cas il ne faut se focaliser sur soi à cause de son désir de
leur plaire, si la séduction a une grande part entre enseignant et élèves elle ne doit pas parasiter le
cours… il vaut mieux adopter une attitude ouverte et être à l’écoute…)
o …
Conseils d’enseignants
Pour compléter le point précédent, voici ce qu’ont répondu Emilie, Magali et Armelle à la
question suivante : Quels conseils pourriez-vous donner à un jeune enseignant pour « affronter » une
classe à ses débuts ?
• Emilie :
« S'appuyer un maximum sur l'équipe enseignante de l'école permet d'être guidé. Préparer très
précisément ( déroulement et durée de chaque activité) la journée de classe .
Il faut se faire confiance ainsi qu'aux élèves. C'est normal que des séances ( pourtant bien
préparées) ratent complètement mais ce n’est pas grave et on apprend beaucoup de nos erreurs ».
28
• Magali :
« Ne plus faire attention à ce que les élèves peuvent dire de moi (moi aussi je passais mes profs au
crible!), ouvrir le livre au chapitre correspondant pour démontrer que je maîtrise ce que j'avance, et le
faire vérifier par les élèves eux-mêmes, et si je me trompe, le prendre avec humour, l'erreur est
humaine!
Pour l'autorité... Ce n'est pas encore ça... J’ai du mal à me mettre dans la peau du personnage... Je
m'ennuie moi-même et cela ne correspond guère à ma personnalité... Mais je vais m'y mettre car je me
rends compte que c'est indispensable, même si l'humour permet bien souvent de récupérer l'attention
des élèves et de désamorcer les conflits! ».
Etre conscient qu'on a une autorité de fait sur les élèves : si on est à l'aise avec ça, qu'on l'assume, les
élèves ne la remettent pas en question... ou lorsqu'ils le font, s'ils voient que l'on est solide, ils
l'acceptent. Le plus important est d'être JUSTE, et de respecter les élèves. Enfin, le conseil habituel :
"être ferme au début de l'année, et relâcher progressivement une fois que la classe fonctionne"... Pas
facile! ».
• Armelle
« Problèmes du début :
- Calculer le temps des activités à réaliser en classe.
Petits trucs : faire les exercices lorsque l’on prépare les cours. Avec le temps, on s’habitue à calculer
automatiquement le temps dont on va avoir besoin.
- Tendance à faire 2 activités uniquement.
Petits trucs : prévoir plusieurs activités au moins 4 /5 par heure + utiliser un maximum de stratégies
pour faire passer le message. (ne pas faire uniquement de l’écrit ou uniquement des chansons) Utiliser
des outils d’apprentissage variés : ex visuel, oral, d’écoute etc.
- Tendance à s’occuper uniquement des gens qui participent…
Petits trucs : Etre patient et ferme en même temps : ne pas hésiter à couper la personne qui parle trop et
faire participer les plus timides.
Je n’ai jamais eu de problèmes de discipline, mais dès le premier jour j’explique les règles du
jeu… par exemple… lever le doigt pour poser une question, ne pas couper les camarades ni le professeur
lorsque celui-ci parle.
Je fais une liste des objectifs de l’année + ce que j’attends des élèves + j’explique l’évaluation que
je vais suivre.
29
Conseils :
- Préparer ses cours
- Exposer aux étudiants les objectifs de chaque cours
- Arriver en cours avec le sourire et être sûr de soi.
- Contrôler les règles de discipline : les énoncer en début de cours
- Éviter « le copinage » avec les élèves…garder une certaine distance (surtout au début et si le prof
est jeune) cela peut créer des conflits au sein du groupe
- Savoir faire rire et travailler en même temps
- Finalement ne pas hésiter à être un peu « dur », les élèves préfèrent un prof qui se fait respecter
à un prof trop «gentil» ».
Se former en multipliant les expériences
On l’a vu, le système éducatif français offre des formations au métier d’enseignant (en I.U.F.M.
comme à l’Université) plutôt théoriques. Cela provoque un malaise au moment de passer à la pratique
méconnu (du moins mieux appréhendé) par nos confrères britanniques, qui ont une approche beaucoup
plus pragmatique et empirique de leur profession. Il n’est pas question ici de proposer une révolution du
système français de formation aux enseignants, mais de proposer des outils aux futurs enseignants qui
pourront leur être utiles pour pallier aux manques existant dans leur formation…
Il semble que la multiplication des expériences professionnelles (ou pré-professionnelles telles que
des stages) tout au long de la formation soit salvatrice. C’est ce cloisonnement entre monde étudiant et
monde professionnel qui provoque un malaise chez les jeunes enseignants français. La transition est
douloureuse, certains n’ont pas réfléchi aux implications que leur nouveau métier comportait, et ils ne
sont pas du tout familiarisés avec ce qui les attend, nouvel univers.
Pour le futur enseignant, « l’adaptation sereine ou non à ce nouvel espace de vie dépend de sa
capacité à jouer avec et dans ce monde, et cette capacité est fonction de sa familiarité à celui-ci et à de
son adhérence à d’autres mondes » (R. Malet 1998 : 199). Il s’agit donc pour vivre au mieux son entrée
dans le corps enseignant de s’ouvrir aux expériences (faire des stages, travailler avec des associations,
avec des publics variés), et de se socialiser. Il est aussi très utile d’observer comment fonctionnent les
autres enseignants, de leur demander conseil, pour résoudre ensemble des problèmes, s’enrichir, s’ouvrir
à des techniques d’enseignement auxquelles on aurait peut être pas pensé…
30
Se former par le théâtre
Parallèle entre le métier d’enseignant et le métier de comédien
Avant de proposer des outils de remédiation à certaines difficultés rencontrées par les jeunes
enseignants (ou enseignants désireux de continuer à se former) par la pratique théâtrale, j’aimerais
exposer brièvement quelques similitudes entre le métier d’enseignant et celui de comédien…
Le jour où l’enseignant passe la porte de sa première classe, même avec un gros bagage théorique
sous le bras, il ne peut compter que sur ses talents, en quelques sorte, « d’acteur » : il aura beau avoir eu
parfaitement préparé son cours, il ne sera pas, avec une formation classique au métier d’enseignant,
préparé à affronter les dizaines de regards qui se posent sur lui. Il ne sera pas non plus préparé aux
réactions multiples et diverses des apprenants face à son cours. Ancien étudiant, il passe du gradin à
l’estrade et doit conquérir sa classe.
L’espace dans lequel évolue l’enseignant peut être comparé à celui d’une scène de théâtre, sur
laquelle il fait son entrée et sa sortie, et qu’il doit investir. Il a un public, qu’il doit convaincre et
captiver. Il met en scène le savoir à transmettre, le met en représentation dans ce sens où il rend présent
quelque chose d’absent, où il doit faire vivre une abstraction. Dans son livre Enseignant ou comédien,
un même métier ?, E. Runtz-Christan compare le triangle pédagogique (enseignant-savoir-apprenant)
au triangle dramaturgique (comédien-texte-spectateur).
L’enseignant en amphithéâtre qui donne un cours magistral fait en quelque sorte un monologue.
Tout comme le comédien il a préparé celui-ci et sait où il pourra produire des effets pour capter
l’attention de son public. Le public de l’enseignant pourra cependant interrompre celui-ci, et même très
régulièrement dans une petite classe où l’apprentissage se fait de manière interactive. Alors l’enseignant
devra faire preuve d’une capacité d’improvisation, qualité propre aussi au comédien.
Tout comme le comédien, l’enseignant est soumis au trac et à une solitude face à un regard vécu
comme juge (Le regard du public spectateur ou apprenant peut être empathique plus que critique dans
certains cas, mais il semble que cela ne se passe pas la majorité du temps. Cette empathie pourra naître
plus facilement entre enseignant et apprenants car ils se retrouvent régulièrement et peuvent créer une
confiance mutuelle). L’enseignant et le comédien connaissent le même phénomène de contagion chez
leur public (rire, chahut, ennui…), les mêmes phénomènes de réceptivité. Ils sont aussi soumis à une
31
insécurité permanente et à des remises en questions similaires propres à leur nécessité de plaire à leur
public et de ne pas le décevoir…
Pour conclure ce point suivent les réponses de Magali et d’Emile à la question « Considérez-vous
qu’être enseignant c’est aussi se forger un personnage au fil du temps… » :
• Magali
« Complètement! Je me sens en représentation, pas parce que je ne suis pas moi-même, car je reste moi,
je ne peux l'éviter, et les élèves le sentent... mais parce que le rôle d'autorité n'est pas naturel, et que je
"joue" la prof fâchée lorsque cela est nécessaire... ».
• Emilie
« Il y a quelque chose du personnage dans ce métier car il est important de tout théâtraliser pour
maintenir l'attention des élèves et mener la classe. Il faut attirer l’attention sur soi, mener le jeu, jouer
de sa voix. Personnellement c’est la pratique du chant qui m’a aidée à la poser. Il faut changer
d’intensité de voix pour maintenir l’attention, et puis les faire rêver, faire passer de l’émotion, de la
passion, par le regard, la gestuelle, et encore une fois la modulation de la voix… Et puis il faut faire de
l’humour. A force on repère ce qui fonctionne ou non, mais je ne « joue » pas la même leçon à chaque
fois : c’est eux qui mènent la danse, surtout en primaire. Il faut s’adapter sans cesse… On se crée un
personnage, un peu ami, mais il faut garder une limite. Les élèves doivent pouvoir repérer quand je
plaisante ou non. Je blague avec eux mais en conservant mon autorité : en gros, je veux bien rigoler mais
il ne faut pas me prendre pour une idiote. De manière générale il faut bien réfléchir aux limites
professionnelles qu'on se donne car on est un modèle de référence pour nos élèves et on se doit d'être
irréprochable pour être crédible ».
Enfin pour Laure, jeune enseignante interrogée par R. Malet, « on essaie un peu de forcer sa
nature ; là ça joue sur la naturel, et on se compose un peu un personnage ; mais malgré tout on est quand
même soi-même ». Elle parlera ensuite de « travailler son propre style ». En somme la jeune enseignante
se fabrique un personnage qui lui permettra de s’affirmer ou se réaffirmer (s’affirmer elle au sein de la
classe), de faire naître sa propre personnalité dans son rôle d’enseignante.
32
Quelques outils
En parallèle avec des expériences sur le terrain, la participation à un atelier théâtral visant à la
formation des enseignants (ou atelier théâtral non spécialisé d’ailleurs) semble particulièrement
bénéfique. Celle-ci permettra en effet d’améliorer la confiance en soi et en l’autre, la posture corporelle,
la présence, la gestion du souffle, le placement de la voix, l’attention et la concentration, l’imaginaire, la
capacité d’improvisation…
Revenons sur la notion de présence évoquée plus haut par des élèves au sujet de leurs professeurs.
E. Runtz- Christan dans son ouvrage déjà cité énumère diverses définitions de cette notion au sens
théâtral du terme. On apprend ainsi que pour E. Barba elle correspond à un processus de mise en forme
de l’énergie, qu’il nomme « le corps-en-vie », et que pour A. Mnouchkine il s’agit d’un état, d’être « au
présent », dans l’action et dans l’émotion. Pour P. Pelletier, il s’agit de se débarrasser du « vouloir faire »
et « d’être là ». E. Runtz- Christan a interrogé divers comédiens, enseignants et didacticiens pour établir
une sorte de liste des composantes de la présence. Il s’agirait du regard, de l’écoute, de la voix, de
l’aisance, du physique, de la concentration, de l’imagination, de personnalité, de professionnalisme, de
séduction … Cette notion regroupe alors tout ce qui pourra être travaillé au sein d’un atelier de pratique
théâtrale.
L’enseignant, dont la profession nous l’avons vu se recoupe en plusieurs points avec celle de
comédien, aura tout intérêt à travailler chez lui cette précieuse qualité de présence s’il veut captiver
l’attention de son public et ainsi transmettre du savoir.
Pour ce faire il pourra au sein d’un atelier de pratique théâtrale se livrer à divers exercices (Il
pourra consulter à ce sujet différents ouvrages – voir les ouvrages de G. Pierra et de G. Quentin cités en
bibliographie) qui lui permettront d’apprendre à se relaxer, à retrouver confiance en lui, à placer sa
voix, à s’ouvrir, à écouter, à réagir, à improviser, à s’adapter, à imaginer…
Il s’agira par exemple (exemple parmi des dizaines d’exercices simples à réaliser) d’être filmé en
faisant une entrée sur scène et disant : « je suis là ». Le but sera, grâce au visionnement vidéo, de prendre
conscience des attitudes corporelles spontanées qui nient la présence.
Tout un travail sur le corps et son expressivité améliorera la communicativité. Le mouvement du
corps, sa facilité à se déplacer, à investir l’espace, son agilité donnant une précision supplémentaire au
langage, au message à transmettre… On tentera d’atteindre une globalité corporelle et vocale.
33
On apprendra à improviser, exercice primordial pour apprendre à réagir, à s’adapter, à jouer avec
et dans différents espaces…
Un travail sur la confiance et le regard de l’autre permettra de retrouver une sécurité qui sans
laquelle la parole reste impuissante. On ira vers une désinhibition indispensable à l’épanouissement de
soi, à l’acception de soi et de sa relation aux autres, dans le ludisme et plaisir… Autant de bénéfices pour
exercer son futur métier avec aisance.
Conclusion
Future enseignante angoissée à l’idée de ne pas remplir au mieux ma fonction et de léser les
futurs apprenants dont j’aurai la responsabilité, j’ai tenté au fil de mon travail de comprendre ce qui
pouvait gêner des apprenants dans leurs parcours ou au contraire les stimuler, les encourager, les faire
progresser. Cette angoisse, ce malaise, sont partagés par plusieurs futurs enseignants ou enseignants
débutants français, souvent insuffisamment formés, mal préparés à leur profession naissante, et j’ai
souhaité y réfléchir. Il semble que si les représentations de l’enseignement et de l’apprentissage propres
à notre culture soient souvent un obstacle à une ouverture vers des pratiques nouvelles, du moins des
formations nouvelles au métier d’enseignant, et à une véritable ouverture aux apprenants et à leurs
besoins, on puisse y remédier chacun en multipliant les expériences, en se concertant les uns les autres,
en se remettant sérieusement en question dans son rôle d’enseignant et en effectuant un travail sur soi
au sein par exemple d’ateliers tels que des ateliers de pratique théâtrale, vers une appréhension plus
concrète de la profession.
Pour que ce malaise provoqué par le regard des apprenants et par la venue à un nouveau rôle, à
un nouvel espace, ne passe au premier plan et parasite l’apprentissage, on apprendra au plus vite à en
sortir, à sortir de l’auto centration, d’un souci de plaire, pour se recentrer sur les apprenants dans une
attitude ouverte, attentive à eux et à leurs besoins. En travaillant notre confiance, notre expressivité,
notre présence, en ajustant régulièrement nos propres techniques d’enseignement, on exercera avec plus
d’aisance, dans la détente, l’enthousiasme, qu’on souhaite communiquer aux apprenants, vers le plaisir
d’apprendre…
34
Bibliographie consultée :
R. Mallet (1998), L’Harmattan, L’identité en formation, phénoménologie de devenir enseignant
G. Pierra (2001), L’Harmattan, Une esthétique théâtrale en langue étrangère
J-M. Prieur (2001), Publication de l’Université Paul Valéry, Le vent traversier
G. Quentin (1999), Chronique sociale, Enseigner avec aisance grâce au théâtre
E. Runtz-Christan (2000), ESF Editeur, Enseignant et comédien, un même métier?
Articles parus dans Travaux de didactique du FLE :
C. Bouyon, Travaux de didactique du FLE n°24. Des places et des relations : analyse d’une situation
difficile en classe de langue
G. Pierra, Dossiers d’étudiants, Travaux de didactique du FLE n°38, N. Duterne, L’expressivité et la
relation au corps, N. Puzenat, La voix qui sourd du texte, M-I. Casal, D’un personnage à l’autre, du
bilingue à l’acteur, P. Bonfils, Réflexion sur la notion de présence