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Page 1: Interview de Martine Aubry

L’heure de l’affrontement a sonné.Les six candidats à la primaire socialiste vont endécoudre pour la première fois ce soir à la télé-vision (20h35 sur France 2). Bien que distancéedans les sondages par François Hollande, Mar-tine Aubry est persuadée de toujours «être lamieux placée pour battre Nicolas Sarkozy».Au-delà de ses déplacements quasi quotidiens à larencontre des Français, la maire de Lille mise surces confrontations directes pour convaincre.

Ces débats seront-ils décisifs ?Ils sont essentiels car les Français verront qui ala personnalité et la cohérence pour redressernotre pays.Mais j’aurais préféré des face-à-facequi auraient permis de voir la solidité et le cou-rage de chacun. Nous sommes six, c’est sansdoute difficile.

Quels sont vos atouts ?Les Français me connaissent, ils savent que j’aiune expérience importante à la tête de ma villeet en tant que ministre. Ils savent surtout quelorsque je dis les choses, je les fais. Quand çatangue, je tiens la barre. Mais il faut surtout dela clarté pour expliquer qu’un chemin de sortiede crise existe. C’est pourquoi j’ai envoyé unelettre aux Français avec mes priorités et lesmoyens de les tenir et de les financer.

Pourquoi êtes-vous candidate ?Je pense être la mieux à même de battre Nico-las Sarkozy puis de redresser profondémentnotre pays en rassemblant les Français. Ils at-tendent de retrouver la République qu’ils ai-ment et qu’on n’aurait jamais dû quitter.Je mets beaucoup de force dans la campagnepour les convaincre qu’avec moi, la France re-trouvera son poids, sa voix, qu’elle sera plusforte et plus juste. Tout cela est décuplé par lesoutien des Français que je rencontre.

Pourtant, les sondages ne vous sontpas favorables…Les sondages sur les primaires ne sont pas fia-bles. C’est ce qu’ont dit tous les professionnels.Je crois qu’il faut les laisser de côté.

Quelle sera votre première décision ?Elle sera symbolique : réduire le salaire du Pré-sident et du Premier ministre, car l’exemple doitvenir d’en haut. De la même manière, je dépo-serai immédiatement une loi déjà prête pourqu’il y ait enfin une égalité salariale entrehommes et femmes dans les trois ans. Les en-treprises qui ne la respecteraient pas perdraientleurs exonérations de cotisations. Enfin, je met-trai en œuvre une grande réforme fiscale pourredistribuer du pouvoir d’achat à ceux qui enont le plus besoin et relancer l’économie parl’investissement. Je veux reconstituer une fisca-lité très claire : chacun doit contribuer à hauteurde ses moyens.

Pourquoi avoir fait de la sécuritél’une de vos priorités ?M. Sarkozy, qui a supprimé 11 000 postes depoliciers, n’est plus crédible. La crédibilité achangé de camp. Les Français savent qu’il n’y aplus de policiers dans les quartiers et dans leszones rurales, que les magistrats n’ont pas letemps de juger dans les dé-lais raisonnables et quenous n’avons pas unegamme de réponses adap-tées à chaque acte de délin-quance. Quand on estmaire, comme moi, on saitce que signifie la sécurité.Elle doit redevenir un droitpour chacun avec un principe simple : tout acted’incivilité ou de délinquance, dès le premier,doit donner lieu à une sanction, juste, propor-tionnée et rapide.

Autre priorité, l’éducation. Que pensez-vous de la proposition de FrançoisHollande qui veut recréer 60 000 à70 000 postes ?Les miennes sont plus ambitieuses. Quand on acompris la gravité de la situation, il ne suffit pasde remettre des effectifs. S’il faut, bien sûr, desmoyens supplémentaires d’enseignants, il fautsurtout les affecter où le besoin est le plus pres-sant. Il faut d’abord remettre en place au plus

vite la formation des enseignants, et adapter lespédagogies et les rythmes scolaires aux enfantsque l’on a devant soi. Ils doivent avoir le tempsde travailler à un projet collectif et ces heuresdoivent être rémunérées. C’est une grande ré-volution qui donne de l’autonomie aux ensei-gnants.

Mais cela nécessite des moyens…Certes, les déficits sont très importants, maispour la Cour des comptes, les deux tiers sontdus aux cadeaux fiscaux faits par le présidentde la République. Un tiers seulement est dû àla crise. Nous avons des marges de manœuvretrès importantes si l’on coupe 50 milliardsdans les niches fiscales inefficaces. Nous sup-primerons par exemple la défiscalisation desheures supplémentaires, qui est une mesurefolle…

La priorité, c’est donc de fairedes économies ?Nous procéderons aussi à un redéploiementdes ressources dans un même budget. Jeprends l’exemple de la politique du logement,dont le budget est de 33 milliards. Un tiers estconsacré à des avantages pour les multipro-priétaires. Si l’on reprend une partie de cettesomme – trois ou quatre milliards –, on fi-nance 150 000 logements sociaux par an.

Mais il ne suffit pas de ré-duire les déficits publics, ilfaut aussi relancer la crois-sance : un point en plus,c’est 10 milliards de re-cettes fiscales. On le voiten Grèce ; le plan d’austé-rité trop brutal a entraînéune perte de croissance de

12 %. C’est pourquoi je veux relancer la crois-sance de manière ciblée en aidant l’investis-sement des PME ou en lançant rapidement300 000 emplois jeunes.

Mais ce ne sont pas des emploispérennes…Ce sont des contrats de trois ans mais qui pré-pareront les jeunes aux métiers dont on aurabesoin demain. Je pense ainsi aux 7 000 jeunesque nous formerons à faire le bilan thermiquedans les logements. Ils pourront ensuite travail-ler dans les entreprises du bâtiment pour faireles travaux nécessaires à la réduction de la fac-ture énergétique.

La crise des finances européennes vousinquiète-t-elle ?Elle m’inquiète énormément. Depuis deux ans,nous disons que si on ne fait rien pour arrêter laspéculation des marchés financiers et desbanques, si on ne crée pas la taxation sur lestransactions financières, si on ne change pas lestatut des agences de notation, tout recom-mencera. De plus, l’Europe est toujours arrivéetrop tard, comme des pompiers qui arriveraientavec une lance à incendie à moitié vide. Elle n’apas aidé la Grèce comme elle aurait dû en lacontraignant à un plan d’austérité trop lourd ettrop rapide. Cela entraîne aujourd’hui une spé-culation qui fait courir un vrai risque pour l’euro.Il manque les architectes pour mettre la financeau service de l’économie et ne pas la laisser di-riger le monde.

Faut-il nationaliser les banques ?On n’en est pas là. Mais rappelez-vous quand,en 2008, l’Etat a prêté 20 milliards d’euros auxbanques ; nous avions dit qu’il fallait entrer auconseil d’administration pour contrôler leurs pra-tiques, leur demander de se recapitaliser avec lesbénéfices qu’elles ont réalisés (25milliards pourles cinq plus grandes en 2010).Aujourd’hui, cer-taines ont des actifs en Grèce et en Italie qui lesfragilisent ; si on en arrive à être obligé d’inter-venir, l’Etat doit entrer au capital car on ne peutpas indéfiniment demander au citoyen de payer.

Est-il envisageable de pousserla Grèce hors de l’Euro ?Ce serait une catastrophe. Si un pays doit quit-ter la zone euro parce que l’Europe n’a pas sutrouver un autre chemin, c’est tout l’esprit del’Europe qui est en cause. C’est pour cela qu’enjuillet, j’avais écrit qu’il faut «sauver la Grècepour sauver l’euro et sauver l’Europe».

DSK doit-il s’exprimer sur cette question ?Dominique est sorti d’un cauchemar extrême-ment lourd (…). Laissons-le respirer et s’expri-mer quand et comme il l’entendra. Je sais qu’ilaura envie d’être utile à son pays et sa voix por-tera, surtout dans cette période de crise. Pour lereste, c’est à lui de décider. •

«MAFRANCESERAPLUSJUSTE»

MARTINE AUBRY, CANDIDATE À LA PRIMAIRE SOCIALISTE

A quelques heures du premier débat téléviséentre les six candidats, Martine Aubry

affiche son ambition et dévoile ses priorités.

©WITT/SIPAPOURDIRECTMATIN

TRENTEETUNJOURSDÉCISIFS

Aujourd’hui.Les six candidats à la primaire (MartineAubry, Jean-Michel Baylet, FrançoisHollande, Arnaud Montebourg, SégolèneRoyal et Manuel Valls) s’affrontentpour leur premier débat sur France 2en partenariat avec Le Monde.

Mercredi 28 septembre.2e débat organisé sur i-Télé et LCPavec Europe 1 et Le Parisien.

Mercredi 5 octobre.3e débat organisé sur BFM TVavec RMC, Le Point et Public Sénat.

Dimanche 9 octobre.Premier tour organisé dans 10 000bureaux de vote. Les procurations etle vote Internet ne sont pas prévus.

Dimanche 16 octobre.Second tour entre les deux candidatsarrivés en tête dans les mêmesconditions que le premier. Un débattélévisé aura lieu dans la semaine.

La première secrétaire du Parti socialiste, Martine Aubry, à l’Assemblée nationale, avant-hier.

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«Sur la sécurité, lacrédibilité a changé decamp. Cela doit redevenirun droit pour chacun.»

N˚ 1538 JEUDI 15 SEPTEMBRE 2011 WWW.DIRECTLILLE.COM12 Grand angle