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La comédie musicale américaine en contexte

francophone : Les défis linguistiques et extralinguistiques reliés à la

traduction

Mémoire

Andréa Doyle Simard

Maîtrise en musicologie – Recherche-création

Maître en musique (M. Mus.)

Québec, Canada

© Andréa Doyle Simard, 2016

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La comédie musicale américaine en contexte

francophone : Les défis linguistiques et extralinguistiques reliés à la

traduction

Mémoire

Andréa Doyle Simard

Sous la direction de :

Sophie Stévance, directrice de recherche

Serge Lacasse, codirecteur de recherche

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Résumé

L’objectif général de ce mémoire est de contribuer à l’enrichissement des connaissances sur

les divers défis de traduction rencontrés par les traducteurs-adaptateurs de comédies

musicales. Ce travail de recherche-création propose, dans un premier temps,

d’expérimenter la traduction de trois comédies musicales américaines à vocation

différentes, ainsi que d’observer les approches de traduction utilisées en contexte

francophone. Dans un deuxième temps, ce travail permet d’analyser les comportements des

traducteurs-adaptateurs envers les divers défis de traduction qu’ils rencontrent. Alors que le

chapitre 1 dresse le portrait des origines de la comédie musicale et de l’évolution de sa

terminologie, tout en abordant le sujet des droits d’auteur, le chapitre 2 se concentre sur un

volet plus théorique, où l’on tente d’identifier les différences entre la traduction et

l’adaptation. Les notions de fidélité et de liberté en traduction sont évoquées, et on y aborde

la question de la « traduisibilité » des œuvres musicales. La dernière section de ce chapitre

s’attarde au concept de sacrifice auquel tant de traducteurs-adaptateurs font face.

Finalement, dans le chapitre 3, les termes « musicocentrique » et « logocentrique » sont

défini, et on analyse deux grandes catégories réunissant dix défis : les défis linguistiques et

les défis extralinguistiques. C’est par le biais d’un corpus composé de trois traductions de

Nicolas Nebot, ainsi que trois de nos propres traductions que nous analysons les divers

défis de traduction rencontrés. Plusieurs exemples issus de ce corpus illustrent le fait que

les choix des traducteurs-adaptateurs varient en fonction du but que ces derniers désirent

atteindre.

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Abstract

This master’s thesis examines the central challenges faced by those who translate the songs

of musical theatre. First, we assess the experience of translating three American musicals

with different vocations to observe various approaches of “English to French translation.”

Second, this study analyzes translator behaviour toward the challenges of translation. While

Chapter 1 profiles the origins of the American musical, the evolution of its terminology,

and copyright issues, Chapter 2 focuses on some theoretical aspects of the practice,

identifying the differences between translation and adaptation. The concepts of fidelity and

freedom in translation are discussed and we broach the issue of the “translatability” of

musical works. The last section of this chapter focuses on the concept of sacrifice faced by

many translators. Finally, in Chapter 3, we comment the concepts of logocentric and

musicocentric songs we analyze two categories involving ten challenges: linguistic and

extralinguistic challenges. We examine the various challenges by comparing three

translations by Nicolas Nebot, as well as three of our own. Several examples illustrate that

choices made by translators may vary, depending on the translator’s objectives.

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Table des matières

Résumé.................................................................................................................................. iii

Abstract ................................................................................................................................. v

Table des matières .............................................................................................................. vii

Liste des tableaux ................................................................................................................ ix

Liste des exemples musicaux .............................................................................................. xi

Avant-propos....................................................................................................................... xv

Remerciements .................................................................................................................. xvii

Introduction .......................................................................................................................... 1

0.1 Présentation du sujet ..................................................................................................... 1

0.2 État de la recherche et de la création ............................................................................ 2

0.2.1 État de la recherche ................................................................................................ 2

0.2.2 État de la création ................................................................................................... 5

0.3 Problème, question de recherche et objectifs ................................................................ 7

0.4 Cadre théorique ............................................................................................................. 9

0.5 Méthode de recherche-création ................................................................................... 10

0.6 Présentation des parties du mémoire .......................................................................... 11

Chapitre 1 : La comédie musicale au Québec .................................................................. 13

1.1 Terminologie ............................................................................................................... 13

1.1.1 Introduction .......................................................................................................... 13

1.1.2 Les premières manifestations de la comédie musicale......................................... 15

1.1.3 Vers une dénomination juste de la comédie musicale.......................................... 19

1.1.4 Qu’en est-il du théâtre musical? ........................................................................... 20

1.1.5 Conclusion ............................................................................................................ 23

1.2 Les droits d’auteur ...................................................................................................... 24

1.3 Sommaire du chapitre 1 .............................................................................................. 27

Chapitre 2 : La traduction et l’adaptation ....................................................................... 28

2.1 Introduction ................................................................................................................. 28

2.2 Traduction et adaptation, quelle différence?............................................................... 29

2.3 Traduire ou ne pas traduire ......................................................................................... 33

2.4 Fidélité ou liberté – Une histoire de négociation ........................................................ 35

2.5 La traduction de comédies musicales ......................................................................... 37

2.5.1 Traduire : l’art de sacrifier ................................................................................... 37

2.5.2 Les préoccupations des traducteurs de chansons ................................................. 42

2.5.3 Le traducteur non-musicien .................................................................................. 43

2.6 Sommaire du chapitre 2 .............................................................................................. 44

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Chapitre 3 Les différentes fonctions d’une chanson ................. Erreur ! Signet non défini.

3.1 La fonction d’une chanson dans une comédie musicale ............................................. 46

3.1.1 Chansons à vocation « musicocentrique » ........................................................... 48

3.1.2 Chansons à vocation « logocentrique » ................................................................ 48

3.2 Sommaire du chapitre 3 .............................................................................................. 49

Chapitre 4 Les défis rencontrés lors de la traduction de Sister Act, Blonde et Légale et

Le chanteur de noces ........................................................................................................... 45

4.1 Introduction ................................................................................................................. 45

4.2 Les défis linguistiques ................................................................................................ 46

4.2.1 Le sens .................................................................................................................. 50

4.2.2 La structure de phrase .......................................................................................... 54

4.2.4 Les expressions idiomatiques ............................................................................... 56

4.2.5 La rime ................................................................................................................. 60

4.2.6 La chanson logocentrique..................................................................................... 64

4.3 Les défis extralinguistiques ........................................................................................ 68

4.3.1 La restriction des syllabes et du rythme musical .................................................. 68

4.3.2 Les sonorités ......................................................................................................... 72

4.3.3 La chanson connue ou le respect de la sonorité d’origine.................................... 74

4.3.4 La mise en scène imposée .................................................................................... 79

4.3.5 La culture et la couleur locale .............................................................................. 81

4.4 Conclusion .................................................................................................................. 83

4.5 Sommaire du chapitre 4 .............................................................................................. 85

Conclusion ........................................................................................................................... 87

Démarche de recherche-création ...................................................................................... 93

Références ........................................................................................................................... 96

a) Bibliographie ................................................................................................................ 96

b) Médiagraphie .............................................................................................................. 101

Annexe 1 ............................................................................................................................ 104

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Liste des tableaux

Tableau 1 Comparaison des versions anglophone et francophone de la

chanson « Sister Act ».......................................... Erreur ! Signet non défini.

Tableau 2 Comparaison des versions anglophone et francophone de la

chanson « Pop » (traduction sourcière) ................ Erreur ! Signet non défini.

Tableau 3 Comparaison des versions anglophone et francophone de la

chanson « Pop » (traduction cibliste) ................... Erreur ! Signet non défini.

Tableau 4 Comparaison des versions anglophone et francophone de la

chanson « Chip On My Shoulder » ...................... Erreur ! Signet non défini.

Tableau 5 Comparaison des versions anglophone et francophone de la

chanson « I Could Be That Guy » ........................ Erreur ! Signet non défini.

Tableau 6 Comparaison des versions anglophone et francophone de la

chanson « The Life I Never Led » ....................... Erreur ! Signet non défini.

Tableau 7 Comparaison des versions anglophone et francophone de la

chanson « The Life I Never Led » (exemple de rime déplacée) ......... Erreur !

Signet non défini.

Tableau 8 Comparaison des versions anglophone et francophone de la

chanson « What You Want » ............................... Erreur ! Signet non défini.

Tableau 9 Comparaison des versions anglophone et francophone de la

chanson « What You Want » (suite) .................... Erreur ! Signet non défini.

Tableau 10 Comparaison des versions anglophone, francophone et allemande

de la chanson « Total Eclipse of the Heart » ....... Erreur ! Signet non défini.

Tableau 11 Comparaison des versions anglophone et francophone de la

chanson « Mamma Mia! » ................................... Erreur ! Signet non défini.

Tableau 12 Comparaison des versions anglophone et francophone de la

chanson « Knowing Me, Knowing You » ........... Erreur ! Signet non défini.

Tableau 13 Comparaison des versions anglophone et francophones de la

chanson « Sister Act ».......................................... Erreur ! Signet non défini.

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Liste des exemples musicaux

Exemple 1 Comparaison des structures de phrase de la chanson

« Let Me Come Home »................................................................................ 56

Exemple 2 Comparaison de la structure rythmique et mélodique des

couplets 2 et 3 de la chanson « Someday » ................................................... 69

Exemple 3 Comparaison de la structure rythmique et mélodique dans les

versions anglophone et francophone de la chanson « Someday » ................ 70

Exemple 4 Restriction des syllabes dans la chanson « Casualty of Love » .................... 71

Exemple 5 Comparaison des versions anglophone et francophone de la

chanson « Casualty of Love » ....................................................................... 72

Exemple 6 Comparaison des versions anglophone et francophone de la

chanson « Let Me Come » ............................................................................ 73

Exemple 7 Comparaison des versions anglophone et francophone de la

chanson « Somebody Kill Me Please »......................................................... 77

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Quand tout va bien, en traduisant, on dit

presque la même chose. – Umberto Eco

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Avant-propos

Lors de mon arrivée à l’Université Laval, j’étais loin de me douter que je ferais une

maîtrise, encore moins une en musicologie. La vie étant ce qu’elle est, une suite

d’évènements fortuits traçant chaque jour un nouveau bout de chemin vers la voie qui nous

est destinée, je me suis un jour retrouvée face à face avec le théâtre musical. La découverte

de cet art a été pour moi une sorte de révélation : il réunissait le théâtre et la musique, deux

types d’art qui m’avaient toujours fascinée. Lors de la dernière année de mon baccalauréat

en interprétation (saxophone jazz), j’ai eu l’opportunité de participer à un projet

(extrascolaire) de comédie musicale en tant que comédienne. C’est à partir de ce moment,

que j’ai compris que je venais de développer une obsession pour cet art. L’année suivante, à

la suite de cette expérience, on m’a offert la possibilité de monter mon propre projet de

comédie musicale. À cette « époque », on traduisait le texte en français et on conservait les

chansons en anglais. Comme c’était pratique courante, on ne se demandait pas pourquoi on

ne traduisait pas les chansons aussi.

C’est à cette même période que j’ai fait la rencontre de Serge Lacasse et Sophie Stévance.

J’étais à la recherche d’une façon d’accéder à un studio pour qu’on puisse enregistrer la

trame sonore de notre spectacle (9 à 5) et un certain Serges Samson m’avait suggéré de les

rencontrer afin de leur parler de mon projet, pour éventuellement obtenir leur permission

afin d’enregistrer au LARC. Suite à notre rencontre durant laquelle je leur avais expliqué le

but de mon projet ainsi que mes motivations, Serge et Sophie ont vu en mon projet un

certain potentiel : mon champ d’intérêt, lié à mon profil d’artiste multidisciplinaire

(directrice artistique, vocale et musicale, traductrice, musicienne et comédienne), mes

motivations et mon projet de création cadraient parfaitement dans cette maîtrise qu’on

appelait « recherche-création en musicologie ». C’est ainsi que je me suis naïvement

retrouvée à quitter ma maîtrise à peine entamée en administration des affaires pour

retourner étudier à la Faculté de musique. Bien qu’à ce moment, mon sujet de recherche

était plutôt vague et que j’avais l’impression d’avancer à l’aveuglette dans ce domaine qui

m’était tant étranger (la recherche scientifique), l’aide de Sophie et Serge m’a permis de

graduellement préciser mon sujet de recherche.

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Au tout début de ma maîtrise, mon intention était d’identifier les défis de traduction

rencontrés par les traducteurs en faisant une étude comparative des traductions française et

montréalaise de la comédie musicale Sister Act. Tout ça dans le but d’observer les

différences entre les méthodes de traduction des Français et celles des Québécois, par

rapport à la version originale de Broadway. Après avoir constaté avec déception que la

version montréalaise était identique à la version française, il m’a fallu réorienter mes

recherches. (J’étais loin d’imaginer que quatre ans plus tard, j’analyserais notre propre

traduction de Sister Act à côté de la version française!)

À cette même période, en compagnie de mes précieux collègues Julie Lespérance et Gabriel

Naud, nous avons décidé de créer notre propre compagnie de production de comédies

musicales, les Productions du Sixième Art. Avec ce nouveau projet, nous avons décidé de

donner une direction différente à notre travail en choisissant de présenter des spectacles

entièrement adaptés en français, chansons comprises, ce qui était une première à Québec :

en effet, aucune autre troupe amateure ou semi-professionnelle ne s’était donné comme

vocation de présenter ses comédies musicales entièrement en français.

Mes recherches ont donc été grandement influencées par les Productions du Sixième Art :

notre compagnie m’offrait maintenant un prétexte ainsi qu’une tribune parfaite pour

expérimenter mes traductions, me donnant l’occasion d’orienter mes recherches sur

l’analyse de mon propre travail de création, plutôt que sur celui des autres. Bien qu’avec ce

nouveau départ, mon objectif était maintenant de rédiger mon mémoire d’après mon projet

de création qui était la production de la comédie musicale Le chanteur de noces (2015),

notre obsession commune pour les comédies musicales nous a poussés à produire

entretemps deux autres spectacles : Blonde et légale (2016) et Sister Act (2017), qui

finalement auront aussi trouvé leur place dans ce mémoire.

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Remerciements

Mes remerciements les plus sincères vont d’abord à mes directeurs de recherche, les

professeurs Sophie Stévance et Serge Lacasse. Merci pour vos conseils avisés, vos

relectures efficaces, votre confiance en moi et pour vos continuels encouragements. Malgré

mes constantes incertitudes, vous avez su trouver les mots pour me motiver à persévérer. Je

ne vous remercierai jamais assez de m’avoir donné la chance d’étudier ma passion. Je tiens

également à remercier la professeure Isabelle Collombat de m’avoir guidée à travers le

fascinant monde de la traductologie. Merci à Serges Samson pour tout le temps que tu nous

as généreusement offert ainsi que pour tous les précieux conseils que tu nous as donnés.

Mon passage à l’Université Laval n’aurait pas été le même sans toi.

Bien qu’il me soit impossible de tous les nommer, je remercie tous les comédiens, les

musiciens et les collaborateurs qui se sont joints, de près ou de loin, à notre équipe des

Productions du Sixième Art. Merci pour tout le temps et l’investissement que vous avez

donnés à nos projets. Vous avez donné vie à nos spectacles : sans vous, il n’y aurait que des

mots sur du papier.

Merci à Joëlle Bond. Sans le savoir, tu as été une source continuelle d’inspiration pour moi.

Tes traductions de comédies musicales ont été pour moi l’élément déclencheur de mon

intérêt pour la traduction de chansons. Merci pour tes conseils et tes suggestions de lecture.

Sans toi, je n’aurais jamais découvert le concept de la chanson logocentrique.

Merci à ma sœur Valérie, son époux François et leur petite famille. Vos encouragements,

votre participation et votre implication habituelle à tous mes projets me font chaud au cœur

et me motivent à continuer. Merci d’avoir enduré que la comédie musicale soit mon

principal et seul sujet de conversation durant ces quatre dernières années.

L’aboutissement de la rédaction de mon mémoire ne serait jamais arrivé sans l’aide de deux

personnes en particulier grâce à qui le terme « travail d’équipe » a pris tout son sens pour

moi. Merci à Julie Lespérance, ma précieuse collaboratrice. Merci pour ton dévouement

sans limites, ta joie de vivre contagieuse et ta passion pour la scène. J’en apprends encore

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chaque jour en travaillant avec toi. Et merci à Gabriel Naud, mon complice au travail et

dans la vie de tous les jours. Ce mémoire ne serait pas ce qu’il est sans toi. Merci d’avoir

travaillé avec moi à la traduction de toutes ces chansons, de m’avoir ramassée à la petite

cuillère dans les moments les plus difficiles et d’avoir été d’une aussi bonne écoute tout au

long de mon parcours. Merci de partager et de vivre cette passion avec moi tous les jours.

Finalement, je dédie ce mémoire à mes parents, France Doyle et Marc Simard. Les mots ne

sont pas suffisants pour vous remercier de votre amour inconditionnel, votre présence

malgré la distance, votre support moral et vos encouragements à poursuivre mes études

dans le domaine des arts. Votre écoute et votre aide m’auront permis de passer à travers

toutes ces remises en question. Je vous dois tout ce que je suis en ce moment, y compris ma

réussite.

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Introduction

0.1 Présentation du sujet

Malgré son apparition et le succès rencontré dès les années 1950 aux États-Unis, la

comédie musicale reste un domaine en pleine expansion en contexte francophone : au

Québec, on observe depuis quelques années un nouvel intérêt, voire un engouement pour la

comédie musicale, comme l’illustre la multiplication de spectacles professionnel (Footloose

en 2017, Mary Poppins en 2016, Grease en 2015, Sweeney Todd et Sister Act en 2014,

Hairspray en 2012, Une vie presque normale en 2012, etc.).

En outre, les programmes scolaires offrent à présent des « options comédie musicale » dans

les écoles québécoises, ce qui indique une reconnaissance croissante de ce genre et de son

importance sociale et culturelle. Malgré cet enthousiasme croissant, la comédie musicale a,

jusqu’à présent, fait l’objet de peu de recherche. On relève quelques études qui se

concentrent essentiellement sur la traduction du texte et des dialogues, sans vraiment

aborder le sujet de la traduction des chansons. Les ouvrages recensés font surtout référence

à la traduction des référents culturels, des noms des personnages ou des lieux ou des

expressions, sans véritablement questionner les contextes de traduction. Dans le cadre de

notre travail artistique lié à la comédie musicale, nous nous sommes rapidement aperçue

qu’il est difficile, voire impossible, de faire fi des conditions de traduction des textes et de

la musique (pris au sens large) de comédies musicales, voire de leur adaptation notamment

en contexte francophone.

Plus particulièrement, en vue de l’adaptation des comédies musicales Le chanteur de noces

(2015), Blonde et légale (2016) et Sister Act (2017), nous avons été confrontée à plusieurs

contraintes d’ordre linguistique (le sens, la structure de phrase, les expressions

idiomatiques, la rime, la chanson logocentrique) et, inévitablement, d’ordre

extralinguistique (les sonorités, les chansons connues, la mise en scène, la culture et la

couleur locale). Ce constat nous a amenée à faire des choix essentiels, qui ont un impact

décisif sur le résultat qui est livré au public. Aucune traduction ne sera jamais « parfaite »;

il faut alors accepter « les pertes et les gains » (Derrida, 2005) inhérents à la traduction.

Notre objectif est donc de parvenir à une adaptation la plus juste et fine possible des grands

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succès de Broadway en contexte québécois. Comment traduire les comédies musicales

américaines en contexte québécois? Quels choix opérer musicalement, mais aussi par

rapport à la langue, tout en tenant compte du contexte social? En effet, ce dernier aspect est

important pour que le public québécois puisse mieux s’identifier au spectacle qu’il voit et

qu’il se sente plus concerné par l’histoire du spectacle en question. Dans Le chanteur de

noces (Sklar & Beguelin, 2006), dont l’histoire se déroule au New Jersey, on fait souvent

référence à des lieux géographiques qui ont des connotations humoristiques. Le public

québécois, a priori peu au fait de ces référents, risque de ne pas réagir de la même manière

que le public américain (par exemple, par des verbalisations, des ovations, ou des signes de

désapprobation, etc.). Le traducteur doit alors se questionner sur l’importance d’adapter les

lieux où se déroule l’histoire, ou encore sur la possibilité de les adapter en tentant de

trouver des référents américains plus connus des Québécois. Dans le cadre de notre

maîtrise, nous souhaiterions ainsi mettre à profit notre expérience vécue lors de la

traduction et de l’adaptation de textes de comédies musicales que nous avons montées, en

identifiant quels ont été exactement les défis auxquels nous avons dû faire face lors de la

traduction de l’anglais au français.

0.2 Problématique

0.2.1 État de la recherche

0.2.2.1 La traduction de comédies musicales

Bien que la musique prenne une grande place dans notre vie quotidienne, encore peu de

chercheurs spécialisés dans la traduction se sont attardés à la traduction de paroles de

chanson. Johan Franzon, auteur de nombreux articles sur la traduction de chansons de

l’anglais vers le suédois, a soutenu une thèse de doctorat en 2009. Il présente un modèle

d’analyse et de comparaison de trois traductions produites pour la comédie musicale My

Fair Lady (1956) : la première présentée en suédois, la deuxième en danois et la dernière en

norvégien. Son analyse explore trois défis rencontrés par les traducteurs de ces chansons :

l’intégration d’un texte dans une musique existante, la prise en compte d’une éventuelle

performance chantée et finalement, le rapprochement verbal du contenu de la langue-

source. Cette thèse se rapprochant considérablement de notre sujet de maîtrise, il est

intéressant d’y observer que Franzon considère que la traduction doit prendre en compte le

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fait qu’elle servira à une performance chantée, et donc, que les chansons doivent être

traduites entre autres en fonction des difficultés prosodiques propres à chacune des langues

dans laquelle l’œuvre est traduite.

Johanna Åkerström (2010) étudie, quant à elle, la traduction de trois comédies musicales

écrites par Benny Andersson et Björn Ulvaeus. Dans son introduction, l’auteure fait

référence aux contraintes culturelles imposées par les différents pays où la comédie

musicale Mamma Mia (2002) a été traduite. On y retrouve quelques citations de Benny

Andersson et Björn Ulvaeus parlant de leur expérience à l’égard de la traduction de leurs

chansons originales et on y retrouve plusieurs statistiques en lien avec l’écart entre le

nombre de syllabes dans la langue-source et dans la langue-cible, avec le pourcentage de

traduction mot à mot ou avec le pourcentage de mots ajoutés ou supprimés dans chaque

traduction. Bien qu’intéressant, ce travail ne partage pas du tout les objectifs du présent

mémoire.

À notre connaissance, peu d’ouvrages traitent directement de la traduction de comédies

musicales en français. Cependant, Alice Defacq a écrit une thèse de doctorat en littérature

(2011) où elle étudie les difficultés d’adaptation pour la traduction de comédies musicales.

Plus précisément, en se penchant principalement sur les principes de traduction, dont

l’onomastique et l’hétérolinguisme, l’auteure se concentre sur la manière dont les livrets de

comédies musicales sont traduits (analyse des référents culturels, changement des noms des

personnages, adaptation des titres ou suppression des jeux de mots). Cependant, et somme

toute en raison de sa discipline et de ses objectifs fixés (lesquels sont plutôt détachés des

enjeux musicaux), Defacq ne fait qu’effleurer l’aspect musical en mentionnant brièvement

les difficultés prosodiques liées à l’adaptation d’un texte chanté dans la langue cible. Notre

travail se distinguera donc du sien, en raison du fait que nous concentrerons une grande part

de nos recherches sur l’aspect musical en traduction de comédie musicale.

0.2.2.2 La traduction de chansons de l’anglais au français

Sans être un domaine où la recherche est florissante, la traduction de chansons de l’anglais

au français a fait l’objet de certaines recherches. Sandria P. Bouliane (2013) étudie la

pratique de traduction française de chansons populaires américaines dans les années 1920.

Sa thèse de musicologie, qui étudie l’histoire des adaptations de chansons américaines au

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Québec, comporte un chapitre entier sur la traduction, les contraintes et les procédés de

modification du sens des paroles traduites. Bien que non directement reliée à la comédie

musicale, cette thèse met en évidence certains problèmes rencontrés par les traducteurs de

chansons, tels que les contraintes imposées par la mélodie et l’obtention d’un texte qui

puisse être chanté avec la même teneur communicative que le texte d’origine. Nous

pourrons observer, dans le chapitre 4, que les traducteurs de comédie musicale font aussi

face à ces problèmes.

Pour sa part, Perle Abbrugiati (2011), professeure et spécialiste en études italiennes, s’est

penchée sur la comparaison de trois traductions de la chanson « Dans l’eau de la claire

fontaine » de Georges Brassens. Dans son article, l’auteure constate que plus un traducteur

aura de contraintes, plus son propre imaginaire sera libre, ce qui fait de la traduction

destinée au chant une authentique réécriture. En effet, nous l’observerons dans le

chapitre 2.

Bien que les deux prochains travaux ne soient pas reliés aux comédies musicales, ils sont

toutefois très pertinents pour nos recherches. En effet, Isabelle Collombat, dans son article

portant sur les traductions de negro spirituals par Marguerite Yourcenar (2003), se penche

sur l’importance des niveaux de langage choisis par les traducteurs. Cet important aspect de

la traduction est aussi le sujet principal d’un autre de ses articles intitulé « Traduire

l’américanité : d’une francophonie à l’autre » (2009). Collombat soulève une question très

pertinente concernant le sentiment d’agacement souvent ressenti au Québec face à la

traduction argotique hexagonale qui semble être, pour les traducteurs français, la façon la

plus juste de rendre la réalité culturelle nord-américaine. Nous aurons l’occasion d’observer

cet aspect dans les prochaines lignes, car si plusieurs comédies musicales ont été traduites

et produites en France, peu d’entre elles sont présentées au Québec.

0.2.2.3 La comédie musicale au Québec

À notre connaissance, un seul article fait directement référence à la comédie musicale au

Québec (Vaïs, 2007). L’auteur propose des réflexions sur la place qu’occupe la comédie

musicale au Québec, en se concentrant principalement sur les problèmes financiers

engendrés par leur production, sans faire référence aux problèmes liés à la traduction de

l’anglais au français. Enfin, le livre d’Isabelle Papieau (2010) traite exclusivement des

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spectacles musicaux de tradition française1, et ne mentionne donc pas la comédie musicale

américaine au Québec : Papieau étudie plutôt les stratégies adoptées par les producteurs.

0.2.2 État de la création

Bien que peu d’ouvrages directement en lien avec notre sujet aient été écrits, à plusieurs

reprises, au Québec, des traductions de comédies musicales ont été réalisées. L’un des

traducteurs de comédie musicale les plus actifs au Québec est probablement Yves Morin

(né en 1965). Détenteur d’une maîtrise en musique (spécialisation interprétation) de

l’Université de Montréal (1991), Yves Morin est professeur au Conservatoire de musique et

d’art dramatique de Montréal. Il est aussi compositeur, directeur vocal, traducteur et

adaptateur. À titre de traducteur, il produit des adaptations francophones de comédies

musicales dans le cadre du Festival Juste pour rire ou en partenariat avec Denise

Filiatrault : Cabaret (2003, 2013), Rent (2004), Un violon sur le toit (2009), La mélodie du

bonheur (2010), Une vie presque normale (2012), Chantons sous la pluie (2012),

Hairspray (2013) et Grease (2015, 2016). Lorsqu’il agit à titre de traducteur-adaptateur,

Morin s’en tient à traduire le texte et les chansons, alors que la mise en scène est assurée

par quelqu’un d’autre. Bien que cela ne découle pas seulement de ses choix personnels, il

arrive que, dans certaines comédies musicales traduites par Morin, des chansons soient

conservées dans leur langue d’origine si elles sont trop connues du public2. De plus,

certaines comédies musicales qu’il a traduites ont été adaptées en version québécoise3. Bien

qu’Yves Morin soit un excellent traducteur et que certaines de ses traductions nous aient

inspirée, son travail est plutôt éloigné du nôtre, car la plupart de ses traductions sont en

1 Le spectacle musical à tradition française fait référence à une suite de tableaux musicaux

accompagnés de chorégraphies, où les chansons sont conçues dans la logique des musiques dites

populaires et où il n’y a que très peu, voire, aucun dialogue. Plusieurs spectacles musicaux créés par

des Québécois suivent cette tradition. Par exemple : Notre-Dame de Paris, Don Juan, Roméo et

Juliette, Le petit prince. 2 Dans la comédie musicale Grease, traduite par Yves Morin, bien que les dialogues soient en français,

seulement la moitié des chansons ont été traduites. Les autres chansons, telles que « You’re the One

That I Want », « We Go Together », « Hopelessly Devoted To You » et quelques autres sont

interprétées dans leur version originale anglaise. Il est à noter que dans ce cas-ci, ce choix n’est

possiblement pas seulement celui du traducteur, mais celui de l’équipe artistique entière. 3 Dans les comédies musicales Rent, Une vie presque normale et Grease, on peut observer une

variation diatopique du langage. En effet, les dialogues sont en « québécois » plutôt qu’en « français

international », même si l’action ne prend pas part au Québec. Il est à noter que dans ce cas-ci, ce

choix n’est possiblement pas uniquement celui du traducteur, mais celui de l’équipe artistique entière.

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6

français québécois, alors que nous penchons pour une traduction voyageant entre le français

standard nord-américain et le français normatif international.

Une autre traductrice de comédie musicale qui se démarque au Québec est Joëlle Bond (née

en 1985). Diplômée du Conservatoire d’art dramatique de Québec (2008) et détentrice d’un

baccalauréat en traduction de l’Université Laval (2015), Joëlle Bond travaille depuis

comme comédienne, auteure dramatique et traductrice. À titre de traductrice, elle a assumé

la création de plusieurs comédies musicales en français au Québec parmi lesquelles on

retrouve Peter Pan (2010), Les quatre filles du Docteur March (2012), Wicked (2012),

Sweeney Todd (2014) et West Side Story (2015). Bien qu’elle ait à son actif moins de

traductions qu’Yves Morin et qu’elle ne possède aucune formation universitaire en

musique, Bond se démarque par la qualité de ses traductions de chansons : elles sont

proches des originales, tant en ce qui concerne la fidélité au rythme musical que celle du

texte et les sonorités; et elles sont de plus naturelles à entendre4. Ce dernier aspect des

traductions de Joëlle Bond nous inspire grandement, car elles sont très représentatives des

versions originales. En effet, elles sont traduites librement, tout en étant fidèles, et elles

conservent l’emplacement original des rimes.

Un troisième traducteur de comédies musicales a fait son apparition au cours de 2015 :

Serge Postigo (né en1968), reconnu pour ses talents d’acteur et de metteur en scène. Même

s’il n’a qu’une seule traduction à son actif, nous avons choisi de le mentionner dans notre

état de la création puisqu’il a une particularité intéressante que les deux autres traducteurs

n’avaient pas : dans la comédie musicale Mary Poppins (2016), il joue le double rôle de

traducteur-adaptateur et de metteur en scène. De plus, bien qu’il traduise en respectant le

sens global du spectacle, il se permet une certaine liberté d’adaptation, ce qui rend les

chansons particulièrement « naturelles » en français. Il est donc celui dont le profil se

rapproche le plus du nôtre. De plus, son approche de traduction partage des aspects de la

nôtre : en plus de respecter l’emplacement original des rimes, Serge Postigo ne calque pas

parfaitement le rythme musical de la mélodie originale anglophone. Il se permet de

4 L’auditeur connaissant les versions originales anglophones des comédies musicales traduites par

Joëlle Bond arrive à trouver un sentiment de familiarité et de similitude entre l’originale et la

traduction, ce qui rend le travail de Joëlle Bond très naturel à l’écoute.

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7

l’adapter en fonction de la prosodie française, tout en essayant de conserver au maximum

les valeurs de notes de la version originale.

0.3 Problème, question de recherche et objectifs

Comme le suggèrent l’état de la recherche et celui de la création, bien que la traduction de

comédie musicale soit une activité bien présente au Québec, on constate certaines lacunes

en ce qui a trait à la recherche scientifique. En effet, jusqu’à ce jour, très peu de recherches

ont été faites sur les défis de traduction rencontrés par les traducteurs-adaptateurs de

comédie musicale. Bien que plusieurs adaptations de comédies musicales professionnelles

aient vu le jour en France, elles n’ont malheureusement que très rarement traversé l’océan

pour se rendre jusqu’au Québec. Les Québécois se retrouvent ainsi dans une position qui

leur offre la possibilité de réutiliser les traductions et adaptations françaises, ou de créer

leur propre version francophone. Dans l’optique de créer des spectacles qui attireront plus

de spectateurs, les productions québécoises décident souvent de faire leurs propres

adaptations5. Si le public américain est aussi fervent des comédies musicales, c’est somme

toute en partie grâce à l’expérience que le public vit en y assistant. En effet, la traduction de

livrets en théâtre musical remonte aux origines de l’opéra, plus précisément « peu après

l’invention de l’opéra en 1600 » (Kaindl, 2004 : 44) et depuis cette époque, le désir de

compréhension du spectacle est l’une des principales raisons qui ont déterminé le besoin de

traduire les livrets : le public, bien souvent, « faisant fi des finasseries esthétiques […] veut

“comprendre” » (Marschall, 2004 : 17). Durant le XIXe siècle, la pratique de la traduction

était chose courante : le public et le compositeur dramatique lui‐même considéraient que le

livret « véhiculait un récit qui devait être compris » (Gouiffès, 2004 : 460). Anne-Marie

Gouiffès précise que ce désir de compréhension était probablement lié à un rapport à

l’opéra qu’elle définit comme étant « empreint de frivolité et de candeur » (ibid). Bref,

l’opéra était encore à cette époque un « art vivant » qui n’avait pas encore atteint son actuel

statut « d’objet de culture et de vénération » (ibib). Ce n’est qu’à partir de la seconde moitié

du XXe siècle que l’on a cessé de recourir de manière régulière à la traduction et que l’on a

commencé à privilégier les représentations en version originale.

5 La compagnie de productions Juste pour rire a présenté plusieurs comédies musicales qui étaient des

adaptations québécoises (entre autres Mary Poppins (2016) et Grease (2015)) alors que leur production

Sister Act (2014) s’inspirait d’une adaptation française présentée à Paris en 2013.

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Comme on peut l’observer, le désir de compréhension du public à l’égard du spectacle

auquel il assiste est une préoccupation qui remonte à plusieurs siècles. Or, comment le

public francophone d’aujourd’hui peut-il espérer vivre pleinement cette expérience si, à

tout moment, on passe d’une langue à l’autre? (En considérant que ce changement de

langue semble ne pas être justifié dans le livret.)

Quels sont donc les défis reliés à la traduction et l’adaptation de comédies musicales de

Broadway en contexte francophone québécois, et comment leur faire face? Dans ce

contexte, notre objectif principal est d’identifier les enjeux et les défis reliés à la traduction

ou à l’adaptation de comédies musicales américaines en contexte francophone québécois.

Plus spécifiquement, il s’agira de :

Saisir les enjeux théoriques reliés à la pratique de la traduction en vue de contribuer

à l’avancement des connaissances dans le domaine de la comédie musicale;

Comprendre les choix devant lesquels sont placés les traducteurs-adaptateurs de

chansons dans le contexte d’une comédie musicale;

Sur le plan de la création, adopter des réflexes de traduction qui nous permettront à

l’avenir de faire face plus rapidement aux défis imposés par la traduction, et par le

fait même;

Comprendre les raisons qui motivent nos choix personnels dans nos propres

traductions/adaptations de comédies musicales.

Pour atteindre nos objectifs, nous nous pencherons d’abord sur les aspects théoriques de la

traduction afin de pouvoir ensuite les appliquer à notre pratique dans le contexte de trois

comédies musicales et nous tenterons de cerner quels sont les défis linguistiques et

extralinguistiques rencontrés en les faisant dialoguer avec les possibles contraintes

imposées par les facteurs socioculturels, lesquels motivent l’adaptation ou la traduction de

comédies musicales de Broadway en contexte québécois.

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0.4 Cadre théorique

La notion de « traduction » est ici comprise au sens d’Umberto Eco. Dans Dire presque la

même chose (2007), l’auteur nous apprend que la fidélité n’est pas la reprise du mot à mot,

mais du monde à monde. Les mots ouvrent des mondes et le traducteur se retrouve à devoir

ouvrir le même monde que celui que l’auteur original a ouvert, mais à l’aide de mots

différents. Les traducteurs ne sont pas des peseurs de mots, mais des peseurs d’âmes et lors

de ce passage d’un monde à l’autre, tout est une affaire de négociation. Autrement dit, tout

bon traducteur sait négocier avec les exigences du monde de départ afin d’obtenir, dans le

monde d’arrivée, une traduction la plus fidèle possible, non pas à la lettre mais à l’esprit.

D’où la raison pour laquelle traduire c’est « dire presque la même chose », tout en sachant

qu’on ne dit jamais la même chose (Eco, 2007 : 8). Dire presque la même chose est un

procédé qui se pose sous l’enseigne de la négociation. « [T]oute traduction présente une

marge d’infidélité par rapport à un noyau de fidélité présumé, mais […] la décision sur la

position du noyau et l’ampleur de la marge dépend des objectifs que s’est fixés le

traducteur (ibid. : 16-17) ». Le traducteur doit faire une hypothèse sur le monde possible

que le texte représente (ibid. : 51).

Dans le même ordre d’idées, Jean-René Ladmiral, traducteur et philosophe français,

propose deux catégories de traducteurs : les « sourciers » et les « ciblistes ». Selon lui, les

sourciers s’attachent au signifiant du texte-source à traduire, alors que les ciblistes

entendent respecter le signifié (le sens et la valeur). Le premier type d’approche cherche

donc à être aussi près que possible du texte-source, culturellement et linguistiquement.

Quant à l’approche du second type, elle recherche une expression naturelle et vise à

produire le même effet chez le public-cible qu’a pu avoir le message-source sur ses

destinataires d’origine. Autrement dit, si l’on suit Eco, une traduction parfaite (donc à la

manière des sourciers) n’est pas possible. Plutôt, nous avons tout lieu de penser qu’afin de

parvenir à une traduction qui dise « presque la même chose », une traduction qui soit juste

(qui rende donc justice au texte source tout en étant compréhensible et agréable pour le

public de la langue cible), il faudrait adopter le mode de pensée cibliste : demeurer fidèle à

l’esprit du texte source, tout en tenant compte de la langue et la culture pour lequel ce texte

est traduit. Bien qu’à première vue l’approche cibliste nous semble la plus évidente à

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choisir, peut-on néanmoins tenir compte du fait que dans certains contextes, l’approche des

sourciers a sa place et qu’au final, une bonne traduction résulte probablement d’un équilibre

entre ces deux approches? Comment alors faire dialoguer les contraintes linguistiques et

extralinguistiques au moment de la traduction?

0.5 Méthode de recherche-création

Dans un premier temps, nous produirons la traduction de trois comédies musicales ayant

des chansons à vocation différentes : une à vocation « musicocentrique », une autre à

vocation « logocentrique », et finalement, une dernière mélangeant ces deux fonctions. Bien

que ces deux termes seront expliqué lors du chapitre 3, précisons que la chanson à vocation

« musicocentrique » valorise davantage la musique plutôt que les paroles (Gorlée, 1997 :

237) et que ses propos ne font pas avancer l’histoire ou le temps. Quant à la chanson

« logocentrique », elle est axée sur le discours (Low, 2013 : 237) et elle fait avancer le

temps, évoluer l’histoire et les informations dévoilées durant celle-ci ne sont pas

nécessairement répétées dans les dialogues qui la précèdent ou qui la suivent.

À la suite de ces traductions, nous tenterons d’observer si nos approches de traduction se

rapprochent plus de celle des ciblistes ou des sourciers, et si ces approches diffèrent en

fonction du type de chansons à traduire (musicocentrique ou logocentrique). Pour l’avoir en

partie expérimenté, nous pensons que l’approche cibliste est la plus adaptée à notre travail,

car elle est pensée en fonction du public-cible à satisfaire, plutôt qu’en fonction du texte-

source à respecter. Cependant, notre objectif est de tenter de comprendre le travail mené par

des traducteurs spécialistes du domaine, les choix qu’ils opèrent (cibliste ou soucier) et les

raisons qui les motivent sur la base de nos propres traductions/adaptations. Ainsi, nous

mènerons la recherche-création en deux temps :

1- Récolte des données : nous expérimenterons la traduction de trois comédies musicales.

Une première où les chansons sont à vocation musicocentrique, une deuxième à vocation

logocentrique et une dernière qui se situe entre ces deux pôles. Ensuite, nous observerons

les approches de traductions utilisées en France dans les spectacles Mamma Mia (2011) et

Le bal des vampires (2015), et nous observerons s’il y a, dans ces comédies musicales, des

défis de traduction que nous n’avons pas rencontrés dans les trois que nous avons traduites.

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Enfin, nous identifierons les défis de traduction et d’adaptation auxquels nous avons fait

face lors de la traduction d’un spectacle avec une majorité de chansons à vocation

musicocentrique, d’un autre spectacle où les chansons sont majoritairement à vocation

logocentrique et d’un dernier où les chansons sont à la fois musicocentrique et

logocentrique. Cette variété de sources et de types de données permettra d’élargir le spectre

des problèmes de traduction que l’on peut rencontrer.

2- Analyse des données : Une fois nos propres traductions faites et après avoir identifié

l’approche de traduction à laquelle notre travail se rapproche le plus, nous pourrons, en

adoptant une approche critique de notre propre travail, analyser les méthodes que nous

aurons utilisées.

À ce stade-ci de nos études, les résultats obtenus nous donneront un aperçu clair d’une

situation que nous essayons de mieux comprendre et d’expérimenter. Les résultats obtenus

nous permettront de mettre en application ces observations dans les prochaines adaptations

de comédies musicales que nous réaliserons.

0.6 Présentation des parties du mémoire

Le premier chapitre sera consacré à la comédie musicale au Québec. Plus précisément, il

sera question de bien définir la terminologie francophone attribuée au mot anglophone

musical, ce qui nous permettra, en outre, de mieux comprendre l’emprise décisionnelle que

les grandes compagnies octroyant les droits de représentations ont sur les traducteurs

lorsqu’il est temps de traduire une comédie musicale : donnent-elles libre cours aux

traducteurs ou bien imposent-elles des restrictions de traduction? Ces questions nous

permettront ainsi d’observer la réalité des traducteurs de comédie musicale au Québec. Le

deuxième chapitre s’intéressera à la traduction et à l’adaptation, ce qui nous amènera à

possiblement évoquer une dichotomie entre les deux termes. Les notions de traduction des

« ciblistes et sourciers », ainsi proposées par le traducteur Jean-René Ladmiral, seront

également réévaluées, puisqu’une partie des analyses à venir s’appuieront sur elles. Le

troisième chapitre concernera les différentes vocations des chansons. Nous avons retenu et

défini deux types de vocations s’appliquant aux chansons de comédie musicale : la chanson

musicocentrique et la chanson logocentrique. L’identification et la définition plus élaborée

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de ces deux vocations nous permettront de voir si les défis rencontrés par les traducteurs

sont présents dans les deux types de chanson, ou si certains d’entre eux n’apparaissent que

dans un seul type de chanson. Enfin, le quatrième chapitre sera consacré à l’analyse de dix

différents défis de traduction rencontrés lors de la traduction de Sister Act, Blonde et légale

et Le chanteur de noces. Les paramètres observés seront divisés en deux catégories : tout

d’abord les défis linguistiques, et finalement, les défis extralinguistiques.

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Chapitre 1 : La comédie musicale au Québec

1.1 Terminologie

1.1.1 Introduction

Le monde de la comédie musicale connaît présentement une croissance importante au

Québec. Cet art n’est pas nouveau, car le genre en question existe depuis plus d’un siècle

aux États-Unis et depuis plusieurs décennies au Québec. Cependant, de plus en plus

d’écoles offrent des programmes scolaires spécialisés en comédie musicale, ce qui indique

une reconnaissance croissante de ce genre et de son importance sociale et culturelle. Malgré

cet engouement pour la comédie musicale, la population a encore une certaine difficulté à

l’apprécier. Cette réticence est possiblement causée en partie par une ignorance vis-à-vis de

ce qu’est réellement la comédie musicale. Le terme francophone étant plutôt vague, il peut

être confondu avec d’autres types d’arts de la même lignée. En anglais, le terme utilisé est

simple : musical (terme utilisé depuis le XXe siècle qui a lui-même remplacé l’expression

plus ancienne musical theater) (Preston 2008 : 18). Le terme a été traduit de multiples

façons en français et au fil du temps, une légère confusion s’est installée. Parle-t-on d’un

théâtre musical, d’une comédie musicale, d’un spectacle musical, d’un opéra-rock, d’un

musical ou d’un music-hall? Toutes ces expressions peuvent nous amener à nous demander

si elles signifient toutes la même chose ou bien si elles font référence à des genres de

spectacles ayant chacun leurs particularités. C’est pourquoi, dans ce chapitre, nous

aimerions arriver à trouver un équivalent terminologique pertinent du mot anglais musical,

un terme qui décrirait exactement ce qu’est le musical de Broadway, qui ferait consensus et

ne porterait pas à confusion.

Concernant la terminologie utilisée en français pour décrire le terme musical, très peu

d’auteurs ont traité de ce sujet. En effet, certains auteurs comme Michel Chion (2002) ou

Richard Cyr (Vaïs, 2007) parleront exclusivement de comédie musicale et alors que

d’autres, comme Estelle Esse (ibid), ne parleront que de théâtre musical. Jusqu’à présent,

personne ne semble s’être interrogé sur le terme qui serait le plus approprié entre comédie

musicale et théâtre musical pour désigner le musical de Broadway.

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Ce qui semble manquer dans les ouvrages référencés est l’explication de la démarcation

entre l’apparition de la comédie musicale et l’apparition du théâtre musical en contexte

francophone. Il va de soi que l’apparition du musical est plutôt claire lorsqu’on lit des

ouvrages en anglais6 étant donné que la seule terminologie utilisée est musical. Cependant,

dans les ouvrages francophones7, la terminologie est tellement non-officielle que

quelquefois, on parle de l’apparition de la comédie musicale et d’autres fois, on parle de

l’apparition du théâtre musical. Et aucun auteur ne semble s’être demandé si ces deux

termes signifient la même chose, ou bien s’ils représentent deux genres bien distincts l’un

de l’autre. Sans terminologie exacte, il est difficile en contexte francophone de savoir

exactement de quoi il retourne. Nous chercherons donc à établir une terminologie qui, à

notre sens, sera claire et saura représenter exactement ce qu’est le musical typique de

Broadway. Pour le moment, nous comprenons que « […] la comédie musicale, [est la] sœur

de l’opérette française, via l’Angleterre » (Oster & Vermeil, 2008 : 9).

Puisque la comédie musicale était donc, au départ, de tradition purement anglaise, cela

pourrait expliquer pourquoi, au Québec et en France, on classe les œuvres du genre créées

en terre francophone comme étant des spectacles musicaux ou des opéras-rock, ce qui nous

semble être l’une des raisons pour lesquelles la terminologie du terme musical est, dans ce

contexte, si floue. Une autre hypothèse serait que, par besoin d’identification, les

francophones préfèrent utiliser des termes différents afin de se démarquer, mais aucune

recherche n’a, à notre connaissance, été menée en ce sens pour permettre de valider ces

pistes. De fait, comment établir une terminologie qui puisse rendre compte de la spécificité

de la tradition francophone tout en tenant compte de la pratique telle qu’elle est comprise

dans le monde anglophone? Nous essaierons donc de comprendre à quel moment dans

l’histoire la comédie musicale et le théâtre musical sont apparus, en retraçant la chronologie

des évènements, à partir des premières traces de théâtre s’associant à la musique. Ensuite,

nous nous questionnerons sur l’utilisation du mot « comédie » dans le terme comédie

musicale, pour mieux comprendre son utilisation.

6 Voir Mates (1985), Kislan (1995), Everett & Laird (2008), Preston (2008) et Koblick (2010)

7 Voir Rostain (1986 et 1987), Chion (2002), Vaïs (2007), Oster & Vermail (2008) et Papieau (2010).

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1.1.2 Les premières manifestations de la comédie musicale

À l’aide de différents ouvrages sur l’histoire du théâtre musical8, il m’a été possible de

retracer les premières manifestations du théâtre musical en Amérique. Cette reconstitution

chronologique m’a permis d’y voir plus clair quant à la provenance de cet art que nous

nommerons pour le moment « le musical de Broadway d’aujourd’hui ». Apparu au XVIIIe

siècle, le terme « théâtre musical » constituait une catégorie générale, composée de sous-

genres tels que l’opéra, les pantomimes, le mélodrame, les ménestrels ou encore

l’extravaganza. Les différentes formes de musicals appréciées par les Américains entre le

XVIIIe et le XIX

e siècle se sont développées en s’influençant mutuellement.

La première trace d’activité théâtrale aux États-Unis remonte en 1735 (Preston, 2008), avec

le premier opéra anglophone monté en Amérique, l’opéra-ballade Flora, or, Hob in the

Wall. Par la suite, la première troupe permanente a été la Company of Comedians de Lewis

Hallam, arrivée de Londres en 1752. Plus tard, celle-ci se renomma The American

Company. Cette compagnie voyagea de ville en ville durant la moitié du XVIIIe siècle. Par

la suite, des théâtres furent construits dans les grandes villes afin d’accueillir les troupes et

leurs spectacles. Les troupes de théâtre actives qui faisaient des tournées en Amérique

étaient des extensions transatlantiques du circuit théâtral de Grande-Bretagne; les théâtres

américains faisaient essentiellement partie de la sphère culturelle de Londres.

Au cours des années 1790, la vie théâtrale américaine a subi d’importants changements.

Les zones urbaines étaient désormais suffisamment grandes pour permettre la mise en place

de théâtres permanents où des troupes pourraient être en résidence. Les théâtres pouvaient

alors offrir des emplois à long terme aux musiciens, ce qui attira en Amérique de nombreux

musiciens européens. L’historien Julian Mates (1985) explique qu’au début du XIXe siècle,

au moins la moitié du répertoire de la scène américaine se rapprochait du musical. Chaque

théâtre avait son orchestre et les soirées typiques étaient constituées d’un pot-pourri de

performances, dont une grande partie nécessitait l’accompagnement d’un orchestre. À cette

époque, le pourcentage de musique dans une œuvre théâtrale était important. C’est

pourquoi, durant cette période, les termes « théâtre » et « théâtre musical » étaient

synonymes. À la fin du XVIIIe siècle, le mélodrame (introduit en Angleterre par la France)

8 Brookes (1984), Mates (1985), Kislan (1995), Preston (2008).

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fit partie intégrante du théâtre américain. Il deviendra l’une des formes dominantes de

théâtre musical au cours du XIXe siècle.

Dans les premières décennies du XIXe siècle, le vedettariat fut introduit en Amérique par

les Anglais : une célébrité anglaise visitait différents théâtres afin d’y jouer le rôle

principal, accompagnée par la troupe résidente du théâtre en question. À cette époque, le

théâtre américain s’appuyait encore sur le répertoire joué à Londres. Comme nous l’avons

mentionné plus tôt, le mélodrame commença à faire son apparition au début de ce siècle. Il

deviendra le genre dramatique et musical le plus important et le plus populaire en Amérique

durant ce siècle. D’origine française, le mélodrame utilise de courts passages musicaux afin

d’amplifier l’incidence émotionnelle, soit en alternance avec les dialogues, soit comme

musique de fond sous les dialogues. Le mélodrame s’inspirait aussi de la pantomime, la

musique y accompagnant les actions. Dès 1850, les différentes techniques d’alternance

entre la musique et les dialogues amenèrent des façons plus spécifiques d’utiliser la

musique au théâtre : on s’en servait maintenant pour attirer l’attention du public ou pour

accentuer l’impact émotionnel d’une scène lorsque les dialogues seuls étaient inadéquats ou

lorsque des scènes étaient concrètement impossibles à reproduire (comme des scènes de

combat). C’est à cette époque que le mélodrame cessera de faire référence à une simple

technique et qu’il deviendra un genre particulier de drame.

Vers 1843 apparaît le genre ménestrel, développement musicothéâtral le plus important de

la période d’avant-guerre. Il deviendra rapidement un rival du mélodrame en popularité

(Cockrell, 1997). Les troupes de ménestrels rejoindront rapidement les autres spécialités du

théâtre musical en attirant un public de diverses classes sociales et économiques. Le

spectacle de ménestrels consiste en une variété d’éléments du théâtre américain populaire

incluant la danse et le chant, appuyé par une focalisation sur le burlesque, qui était un

élément essentiel de l’humour américain de l’époque.

Durant les années 1840 et 1850, les frères Ravel arrivèrent en Amérique avec un spectacle

particulier, qui combinait la virtuosité physique et les machineries de scène sophistiquées

avec le récit visuel de la pantomime mélangé avec le ballet et les talents de gymnastique

(Adel Schneider, 1979). Les prouesses physiques de ce genre de spectacle impressionnèrent

le public américain. Cette combinaison de virtuosité physique avec la pantomime narrative,

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les décors et les machineries de scène évoluera en une forme qui sera plus tard appelée le

« spectacle » ou « l’extravaganza ».

Le théâtre américain burlesque du début du XIXe siècle était une production dramatique à

nature satirique et humoristique (ce n’est que plus tard que la forme burlesque deviendra un

spectacle de variétés avec « strip-tease » comme principale composante). Vers le milieu du

XIXe siècle, la forme burlesque a adopté quelques caractéristiques de l’extravaganza telles

qu’un humour présenté par des calembours et des jeux de mots humoristiques pleins de

double sens. À cette période, le spectacle burlesque commençait à introduire de plus en plus

de musique. Cette forme de théâtre devint rapidement populaire en raison des sujets traités :

les blagues sur les immigrants allemands ou irlandais et les Africains-Américains étaient

des sujets faisant partie de l’humour américain (Preston, 2008 : 15).

À la lumière de ces éléments, on comprend alors que le théâtre musical, sous toutes ses

formes, était partie prenante de la vie des Américains. Dans la seconde moitié du XIXe

siècle, tous les styles mentionnés plus tôt (burlesque, ménestrels, opéra, mélodrame,

pantomime, danse et pièces de théâtre avec chansons) ont continué d’être diffusés, mais ils

se sont aussi transformés et influencés entre eux. De nouveaux styles sont aussi apparus à

cette époque (l’opérette, la farce-comédie, le spectacle-extravaganza ainsi qu’une

expansion de variété.) Les troupes itinérantes de théâtre musical partaient maintenant en

tournée dans tous les États-Unis. En plus de la confusion dans les formes de théâtre musical

qui ne cessèrent d’apparaître, une imprécision de la terminologie fit surface : un même

spectacle pouvait être appelé une farce-comédie9, une revue

10 ou un spectacle. Il faut se dire

que de nombreux spectacles présentaient les caractéristiques de nombreuses catégories.

C’est donc à partir de cette époque que les formes de spectacles, ainsi que leur

terminologie, devinrent confuses : la fusion de toutes ces formes ensemble engendrait de

nouveaux genres de spectacle ayant quelques ressemblances communes tout en étant

différents.

9 Petite pièce comique populaire très simple [découlant du style burlesque] où dominent les jeux de

scènes. (Robert, Rey-Debove & Rey, 2010 : 1012) et genre théâtral découlant du style burlesque, qui a

pour but de faire rire et qui a des caractéristiques grossières. (Faivre, 1997) 10

Spectacle comique ou satirique évoquant des événements de l’actualité, des personnages connus.

(Larousse, 2001 : 891)

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18

La première utilisation du terme anglophone musical comedy date de cette époque. Le

spectacle Evangeline; or the Belle of Acadie est un très bon exemple d’enrichissement

mutuel des différents sous-genres du théâtre musical : un spectacle élaboré avec des décors,

des costumes, des machineries de scène (telles qu’une montgolfière). Au burlesque, on

emprunte des rimes et des jeux de mots, des références à l’actualité. Du spectacle de

variétés ainsi que du spectacle de ménestrels, on retrouve des sketches, des gags. De

l’opéra-comique, on a emprunté les dialogues parlés, une intrigue romantique, un recueil

musical de chansons, des danses, un ensemble de numéros et un chœur. Plusieurs éléments

du mélodrame et de la pantomime s’y retrouvent aussi. Avec ce spectacle, on comprend que

les premières comédies musicales étaient un amalgame de différents types de spectacles.

Un autre genre de spectacle a eu un immense impact sur le musical du XXe siècle. En effet,

la scène de vaudeville a accueilli un nouveau genre d’amusement nommé the revue. La

revue, style déjà populaire à Paris, fut présentée à New York vers 1890. La première revue

américaine à connaître un succès se nomme The Passing Show (1894). Ce spectacle

combinait l’extravaganza et le burlesque satirique avec le ménestrel, la danse et un chœur

de femmes légèrement vêtues. En résumé, c’était un spectacle de variétés dans le meilleur

de la tradition américaine.

En résumé, dans le XVIIIe et le XIX

e siècle, le théâtre faisait beaucoup plus partie

intégrante de la vie des Américains que de nos jours. Des éléments de la scène se sont

intégrés à la vie américaine de cette période. Les Américains connaissaient les chansons des

opéras et des spectacles de variétés, jouaient des arrangements de comédies musicales sur

leur piano personnel, montaient des productions amateurs d’opérettes, allaient écouter la

fanfare municipale jouer des arrangements tirés de la musique des opéras, opérettes et

spectacle de variétés (Preston, 2008). De nombreux Américains, de statuts sociaux ou

économiques différents, assistaient régulièrement aux performances musicothéâtrales.

Depuis, le théâtre musical américain a continué de se transformer grâce à une riche et

précieuse tradition d’entrecroisement mutuel de ses sous-genres. C’est précisément cet

échange et ce jeu de forme entre les genres du théâtre musical qui permet de comprendre le

développement de la comédie musicale américaine.

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19

1.1.3 Vers une dénomination juste de la comédie musicale

Selon les différentes définitions du terme « comédie musicale » que l’on retrouve autant sur

Internet que dans les livres ou les dictionnaires, un aspect est commun aux différentes

définitions : c’est un genre théâtral mêlant comédie, chant et danse. De nos jours, on se

demande si l’utilisation de la terminologie « comédie » musicale est juste pour représenter

le terme anglophone musical, car tous les musicals de Broadway ne sont pas

nécessairement comiques. Or, il s’agit d’une condition sine qua non.

En effet, à tort ou à raison, le mot comédie est synonyme d’humour. Si l’on prend, par

exemple, les genres cinématographiques, un film humoristique se retrouvera dans la

catégorie « comédie », alors qu’un film à l’histoire tragique se trouvera dans la catégorie

« drame ». Toutefois, une comédie dramatique pourrait se retrouver dans l’une ou l’autre de

ces deux catégories. Si l’on se fie à cette logique que nous utilisons pour classifier les

genres de films, il en irait de même pour les spectacles musicaux. Une pièce de théâtre

musical humoristique serait une comédie musicale et une pièce de théâtre musical

dramatique serait un drame musical ou une tragédie musicale. Cependant, comprenons-

nous réellement le vrai sens du terme « comédie » dans l’appellation comédie musicale? Si

l’on regarde la première définition du mot comédie d’après le dictionnaire le Petit Robert

2017, cela signifie « spectacle de théâtre, de cinéma où se mêlent la musique, le chant, la

danse et un texte sur une base narrative suivie (à la différence du music-hall) ». On pourrait

alors en déduire qu’une comédie musicale, lorsque présentée sur scène, est une pièce de

théâtre musicale.

La deuxième définition du dictionnaire le Petit Robert 2017 est : « Pièce de théâtre ayant

pour but de divertir en représentant les travers, les ridicules des caractères et des mœurs

d’une société ». D’après cette deuxième définition plus moderne du terme comédie, une

comédie musicale devrait être une pièce de théâtre musicale qui soit divertissante. Plus loin

dans les définitions du même mot, on retrouve une précision sur le terme comédie

musicale : « Spectacle de théâtre, de cinéma où se mêlent la musique, le chant, la danse et

un texte sur une base narrative suivie (à la différence du music-hall). » Dans cette définition

précise de la comédie musicale, il n’est pas question d’humour. On précise que

contrairement au music-hall (qui est un spectacle de variétés comportant plusieurs numéros

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qui s’enchaînent), la comédie musicale doit suivre un fil narratif. Dans le dictionnaire le

Petit Larousse 2015, le mot comédie est défini ainsi : « Pièce de théâtre, film destiné à

provoquer le rire par la peinture des mœurs, des caractères, ou la succession de situations

inattendues. » Le Petit Larousse donne aussi une définition précise du terme comédie

musicale : « Genre de spectacle où alternent des scènes dansées et chantées, textes parlés et

musique. » Quant au Grand dictionnaire terminologique de l’office québécois de la langue

française, il définit le terme ainsi : « Pièce de théâtre où de nombreux numéros de chant, de

musique et de danse cohabitent avec le dialogue pour faire progresser une intrigue. »

En résumé, ni dans le Petit Larousse, ni dans le Petit Robert, ou même dans le Grand

dictionnaire terminologique de l’office québécois de la langue française la comédie

musicale désigne un spectacle comique ou humoristique. Donc, on peut en conclure,

d’après ces définitions, que la comédie musicale renvoie à un genre de spectacle

mélangeant théâtre, chant, danse et musique, le tout basé sur une trame narrative. Malgré

les apparences, la comédie n’est pas systématiquement axée sur le registre comique, même

si la majorité de ce que l’on classe comme « comédie » l’est. Par exemple, la comédie

larmoyante n’a absolument rien d’humoristique. Cependant, elle fonctionne comme une

comédie, par le biais de caractéristiques classiques telles que la fin heureuse. Or,

l’utilisation du mot « comédie » dans une terminologie telle que « comédie larmoyante » ou

« comédie musicale » ne signifie pas obligatoirement une référence à un genre comique. À

la lueur de ces précisions, l’utilisation de la terminologie « comédie musicale » comme

traduction au terme anglophone musical semble, pour le moment, être toujours possible,

malgré cette ambiguïté qu’entraîne le mot « comédie ».

1.1.4 Qu’en est-il du théâtre musical?

L’appellation « théâtre musical » serait-elle une alternative à l’appellation « comédie

musicale »? Malgré tous les noms francophones possibles associés au terme anglophone

musical, les deux termes en tête de liste restent toujours théâtre musical et comédie

musicale. À travers les divers ouvrages et articles que nous avons lus, lorsqu’il était

question du musical de Broadway, on utilisait l’un ou l’autre des termes mentionnés

précédemment. Par conséquent, on pourrait en conclure qu’il n’est plus nécessaire de

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21

trouver un terme idéal pour redéfinir la traduction francophone de musical, mais plutôt de

savoir lequel de ses deux termes le traduit le mieux. Théâtre musical ou comédie musicale?

Rostain (1986) évoque la rivalité entre l’institution lyrique (l’opéra) et le théâtre musical. Il

en vient aussi à se demander si cette délimitation entre l’institution lyrique et le théâtre

musical est justifiée :

Une image floue et fragile entoure toujours d’un halo rébarbatif l’appellation même de

« théâtre musical ». […] Que vise-t-on en effet lorsqu’on défend ou lorsqu’on attaque

le théâtre musical? En réalité, rien d’autre qu’un conglomérat parfaitement hétéroclite

de styles d’écritures musicales très différentes les unes des autres, un agrégat

d’idéologies dramaturgiques, d’esthétiques de mise en scène, de pratiques

institutionnelles souvent très éloignées les unes des autres… Tant et si bien que

lorsqu’on désigne le théâtre musical on ne désigne rien de précis, bien au contraire.

[…] Il faut admettre le fait que l’expression théâtre musical ne désigne ni un genre, ni

un mouvement esthétique, ni un groupe artistique militant, mais qu’elle ne sert en fait

qu’en tant que système provisoire de repérage (en distinguant de l’institution lyrique).

(Rostain, 1986 : 2)

En d’autres termes, Rostain semble tenir à ce que le théâtre musical et l’opéra soient deux

choses bien distinctes l’une de l’autre. Dans un autre article (Rostain, 1987), il en vient à se

demander si le théâtre musical est un genre et se demande comment nommer les spectacles

musicaux qui ne sont pas de l’opéra. Il en arrive à deux conclusions possibles :

Ou bien l’on entend par Théâtre Musical TOUT ce qui est création lyrique

contemporaine, toute œuvre musicale destinée au spectacle dramatique. Et dans ce cas-

là, en n’employant plus le mot Opéra, on veut clairement marquer une coupure entre le

passé lyrique et le présent. Ou bien l’on veut différencier esthétiquement ce qui serait

l’Opéra Contemporain du Théâtre Musical Contemporain. Mais on court alors le risque

d’avoir à multiplier les catégories, et de devoir ajouter à Opéra et à Théâtre Musical

autant de concepts (Théâtre instrumental, spectacle musical, Opéra de poche, etc.)

autant de désignations que le désireront les compositeurs, lorsqu’ils ne se reconnaîtront

pas dans ce qui existe, ou lorsqu’ils voudront à leur tour s’en différencier. (Rostain,

1987 : 2)

Rostain n’est pas le seul à se demander si l’opéra et le théâtre musical font partie du même

genre artistique :

What is musical theater? Is it merely drama into which songs and other music have

been interpolated? Is it opera on a smaller scale, with perhaps a smaller musical reach?

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22

Is it a hybrid of these two, or a genre that needs to be considered independently of

others?11

(Koblick, 2010 : 2)

Rostain évoque son propre point de vue quant à la terminologie :

[…] tout dépend dans cette querelle de mots, du point de vue où l’on se place. Est-ce

du Théâtre Musical? Est-ce de l’Opéra? Tout dépend de qui pose la question, ou de la

position de qui y répondra. (Rostain, 1987 : 2)

Dans une entrevue avec le musicologue et historien français Guy Erismann, ce dernier

donne sa propre définition du théâtre musical :

Le théâtre musical, c’est du théâtre. Du théâtre qui a récupéré la musique, qui a

récupéré la totalité des modes d’expression et qui en fin de compte est du théâtre

dramatique qui a retrouvé la musique comme il y a trois siècles, tout simplement. Dans

ma définition du terme théâtre musical, je donne la priorité à théâtre, absolument.

MAIS!... la musique en est le moteur essentiel! […] Dans les origines du théâtre, il y

avait la musique. […] Chez les Grecs et même jusqu’à Monteverdi, on ne concevait

pas du tout le théâtre sans la musique. Et c’est un théâtre très ouvert parce que chaque

compositeur et surtout chaque rencontre de créateurs donne une forme différente.

(Erismann, 1978)12

Ce qu’il y a d’intéressant dans les propos de Guy Erismann, c’est qu’il ne cherche pas à

faire une différence entre le théâtre musical d’antan (chez les Grecs, par exemple) et le

théâtre musical d’aujourd’hui. De nos jours, nous avons tendance à inventer de nouvelles

catégories13

à chaque fois qu’un spectacle démontre des caractéristiques particulières et

unique. C’est ce que l’auteur semble vouloir éviter. Erismann ne développe cependant pas

sur son dernier commentaire : « […] chaque rencontre de créateur donne une forme

différente. » Ce que le musicologue semble vouloir dire, c’est que chaque spectacle aura sa

propre forme, mais que cependant, quelles que soient les différences, cela restera du théâtre

musical.

11

« Qu’est-ce que le théâtre musical? Est-ce simplement une pièce de théâtre où la musique et les

chansons ont été interpolées? Est-ce un opéra à plus petite échelle avec une portée musicale plus

petite? Est-ce un hybride de ces deux formes ou bien est-ce un genre qui doit être considéré

indépendamment des autres? » 12

http://www.ina.fr/video/I04365737 13

Par exemple, le la production québécoise de Sweeney Todd à Québec en 2014 était appelée un

thriller musical. La production québécoise de Don Juan, présentée en 2012, était appelée un spectacle

musical, alors que Starmania (1978) était un opéra-rock.

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23

Dans un court reportage sur l’adaptation québécoise du musical intitulé Next to Normal,

Denise Filiatrault donne son avis sur l’utilisation du terme comédie musicale lorsqu’il s’agit

d’une pièce à caractère non humoristique :

On peut appeler ça du théâtre musical plus que de la comédie musicale. Bien sûr qu’en

anglais, it’s a musical. En français, on dit une comédie musicale mais y’a rien de

comique là-dedans. Enfin, il y a de l’humour… Mais c’est une pièce très, très, très

touchante. (Filiatrault, 2012)14

Ainsi, un metteur en scène tel que Filiatrault (qui proviendrait du milieu du théâtre et qui

monterait une comédie musicale) pourrait risquer de mettre l’accent sur le côté théâtral de

sa création. Donc, son bagage professionnel et ses expériences passées influenceraient la

perspective de son propre travail. Cet artiste pourrait être porté à dire qu’il ou elle fait du

théâtre musical étant donné que sa production met l’accent sur le côté théâtral, malgré la

présence de chansons dans le spectacle.

1.1.5 Conclusion

Ce panorama des origines de la comédie musicale a permis d’observer que le théâtre

musical a toujours été un genre artistique à part entière, et ce, depuis que le théâtre et la

musique évoluent dans un même spectacle. Cependant, malgré le fait que l’on parle de

théâtre musical depuis l’existence des premières pièces de théâtre avec des intermissions

chantées, la comédie musicale, quant à elle, a vu le jour beaucoup plus tard. En effet, on

n’utilise le terme comédie musicale ou musical que depuis 1866. L’apparition de ce terme

dans l’histoire de la musique, comme sous-genre du théâtre musical (tels l’opérette,

l’extravaganza, le music-hall, le mélodrame, le spectacle de ménestrels, etc.) pourrait

laisser penser qu’historiquement, le terme comédie musicale est le plus approprié et qu’à

force d’avoir tenté de classer les types de spectacles dans des catégories trop précises, le

genre et son sous-genre ont été mélangés15

.

Si l’on regarde de plus près les définitions du Petit Robert et du Petit Larousse, la comédie

musicale est un « Spectacle de théâtre, de cinéma où se mêlent la musique, le chant, la

14

https://www.youtube.com/watch?v=1S0aXBHya6M 15

Par exemple, le film d’action et le drame sont des sous-genres de cet art qu’on appelle le cinéma,

alors que la comédie musicale et l’opéra sont des sous-genres du théâtre musical.

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danse et un texte sur une base narrative suivie. » Ces définitions n’impliquent aucunement

une part d’humour obligatoire, même malgré la présence du mot comédie.

Nous avons observé qu’une distinction entre le théâtre musical et l’opéra semble inévitable.

En effet, peu importe la source, les auteurs excluent constamment l’opéra du théâtre

musical, un peu comme si l’expression « théâtre musical » désignait un genre artistique

plus nouveau, plus jeune et plus libre (d’où la raison pour laquelle ses sous-genres en

viennent à se confondre). Cependant, cette délimitation nous semble restrictive. L’opéra

m’apparaît être un sous-genre du théâtre musical recourant à une technique particulière de

chant, différente de celle employée par la comédie musicale, et sans intégrer

nécessairement de partie dansée. Ainsi, la terminologie francophone la plus appropriée,

lorsque l’on parle du musical typique de Broadway, semble être « comédie musicale »;

autrement dit, la comédie musicale serait du théâtre musical. Cependant, une différence

pourrait être proposée entre la comédie musicale, qui est le spectacle que l’on va voir, et le

théâtre musical, qui est le type d’art en question. En outre, le musical de Broadway

correspond, en français, à « la comédie musicale ». Au-delà des préoccupations

terminologiques, on peut observer une autre réalité québécoise : l’influence du droit

d’auteur.

1.2 Les droits d’auteur

Que ce soit pour une production professionnelle ou une production amateur, chaque

production se doit de payer des droits d’auteur. Évidemment, ce ne sont pas les auteurs qui

gèrent eux-mêmes les droits de représentation ou les droits d’exécution. Il existe aux États-

Unis plus d’une dizaine de sociétés de gestion des droits ayant comme mandat d’autoriser

la production de comédies musicales16

. En plus de permettre aux productions de jouer en

toute légalité et d’avoir accès au matériel officiel de répétition (livrets, partitions et

quelques fois des trames sonores), ces sociétés s’assurent qu’une même comédie musicale

ne soit pas produite dans la même région à des dates similaires.

16

DramaSource, Dramatic Publishing Co., Dramatists Play Service, Eldridge Publishing, Rodgers &

Hammerstein Org., Miracle or 2 Productions, Music Theatre International, Samuel French, Tams

Witmark et Theatrical Rights Worldwide sont les plus importantes compagnies américaines octroyant

les droits pour la production de comédie musicale.

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En effet, la majorité des comédies musicales de Broadway ne mettront pas sur le marché les

droits de représentation pour leur spectacle tant qu’elles tourneront encore à New York. Les

producteurs professionnels craignent que les productions amateurs (même les plus

éloignées) nuisent à leur vente de billets, et ils désirent offrir une certaine exclusivité aux

spectateurs qui se déplacent jusqu’à New York pour voir leur spectacle. C’est pourquoi les

comédies musicales les plus populaires de Broadway prennent du temps à être accessibles

aux amateurs. Dans la même logique, lorsqu’un revival17

ou une importante tournée

nationale est prévue pour une comédie musicale, il arrive fréquemment que les compagnies

octroyant les droits retirent temporairement les droits d’un spectacle. Lorsqu’une

production professionnelle ou amateur désire présenter une comédie musicale de

Broadway, mais dans une autre langue, elle doit faire affaire avec ces grandes sociétés. Ces

dernières offrent généralement l’un des deux scénarios suivants : si la société possède déjà

une traduction dans la langue demandée par la production, cette dernière se verra dans

l’obligation d’utiliser la traduction fournie. Dans le cas contraire, si aucune version n’est

disponible dans la langue demandée, la production devra traduire elle-même le spectacle et

faire approuver sa traduction. Le statut du traducteur est donc influencé par les limites

fixées par les droits d’auteur :

The copyright law outlines […] the limits of manipulation in the translation of work

whose copyrights are still controlled by the playwrights or their descendants.

(Aaltonen, 1997 : 91)18

Déjà qu’il est difficile traduire et d’adapter une comédie musicale dans une nouvelle

langue, même sans contraintes légales, un facteur important influence les traducteurs dans

leur travail : les compagnies possédant les droits de production des comédies musicales ont

leur mot à dire sur la traduction. Afin d’en apprendre plus sur le processus d’approbation

d’une traduction de comédies musicales, nous avons contacté Musical Theater

International19

.

17

Revival est le terme anglophone utilisé pour désigner une nouvelle production d’un ancien spectacle

à succès. Généralement, lors d’un revival, on sous-entend une reprogrammation du spectacle : nouvelle

mise en scène, nouveaux décors, une réorchestration, etc. (Perroux, 2009) 18

La loi sur le droit d’auteur fixe les limites des modifications apportées lors de la traduction à une

œuvre dont les droits sont détenus par l’auteur ou ses descendants. (Notre traduction) 19

Musical Theater International est l’une des plus grandes compagnies de distribution de droits

d’auteur en Amérique du Nord. Leur catalogue propose plus de 330 titres de comédie musicale.

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26

Le traducteur traduisant une comédie musicale dont les droits sont contrôlés par Musical

Theater International doit signer une entente contractuelle avec la compagnie20

. Il est

intéressant de constater que sur les dix points constituant ce contrat, un seul concerne

directement le travail de traduction et d’adaptation.

The Translator agrees that the translation will preserve the spirit and tone of the Play’s

English-language version and that he/she will not make any changes to the book or

lyrics of the Play except such minor changes and colloquialisms as may be necessary

to make the Play suitable for production in the [foreign] language.21

Les autres points font entre autres référence au fait que les droits de la traduction effectuée

appartiendront à l’auteur original de la comédie musicale, et donc que le traducteur renonce

à tout droit moral en lien avec son adaptation. En d’autres mots, le traducteur s’engage à

préserver l’esprit original de la pièce et à ne pas faire de changement au livret ou aux

paroles, à l’exception de quelques changements mineurs, tels que des idiotismes, qui

seraient plus adaptés afin de favoriser une bonne compréhension dans la langue cible. Une

fois la traduction terminée, elle doit être approuvée par l’auteur du livret original. Les

possibilités et les limites de traduction dépendent donc de chaque auteur. L’un pourra être

plus enclin à accepter une adaptation libre, alors qu’un autre pourra préférer que la

traduction soit la plus proche possible de son livret original. C’est une des raisons pour

laquelle certains auteurs choisissent eux-mêmes les traducteurs lorsqu’une version dans une

langue étrangère est en préparation22

.

Ce phénomène n’est pas récent. Au XIXe siècle, Richard Wagner a vu quelques-unes de ses

œuvres se faire traduire. Wagner imposait ses propres principes de traduction que les

traducteurs devaient suivre à la lettre. Ces principes exigeaient que le traducteur respecte la

prosodie, la versification, les rimes et le phrasé ainsi que les rapports entre structure

musicale et structure verbale et le rapport entre le texte et le jeu des chanteurs (Kaindl,

2004). Dans le cas de Richard Wagner, les traductions existantes sont l’œuvre de plusieurs

20

Voir le contrat en annexe. 21

Le Traducteur s’engage à préserver l’esprit et le ton de la Pièce dans sa version anglaise et à n’effectuer

aucun changement au livret ou aux paroles de la Pièce, à l’exception de quelques changements mineurs et

idiotismes indispensables à sa production dans la langue cible. (Notre traduction) 22

Le compositeur Alan Menken a choisi de demander à l’adaptateur Nicolas Nebot de traduire les

chansons de la comédie musicale Sister Act, présenté en France en 2013. (http://www.stage-

entertainment.fr/sister-act-nicolas-nebot)

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27

traducteurs, choisis par la famille Wagner qui, selon Gouiffès, a toujours refusé que les

éditeurs aient leurs propres traducteurs (2004 : 463).

En conclusion, on peut observer que les droits d’auteur déterminent le degré de variation

d’une traduction par rapport à sa version originale. Le traducteur peut donc travailler plus

librement si les droits d’auteur ne sont pas trop restrictifs ou si une œuvre n’est plus

protégée par les droits d’auteur. Dans ce cas, il peut laisser libre cours à sa créativité.

1.3 Sommaire du chapitre 1

La comédie musicale est un sous-genre artistique qui gagne en popularité au Québec.

Cependant, plusieurs Québécois sont encore réticents face à cet art. Cette antipathie est

possiblement causée en partie par une ignorance vis-à-vis de ce qu’est réellement la

comédie musicale. Le terme francophone étant plutôt vague, il peut être confondu avec

d’autres types d’art de la même lignée. Comme le terme a été traduit de multiples façons en

français, une légère confusion s’est installée. Afin de trouver une solution terminologique

intéressante au mot anglais musical, il aura fallu retracer les origines du terme anglophone.

Les premières manifestations de l’utilisation du terme musical theater remontent au XVIIIe

siècle, alors que celles du terme musical comedy remontent au XIXe siècle. À l’époque, le

terme musical theater était utilisé comme une catégorie générale, composée de sous-genres

(opéra, pantomime, extravaganza, etc.). Depuis cette époque, le théâtre musical américain a

continué de se transformer grâce à une riche et précieuse tradition d’entrecroisement mutuel

de ses sous-genres. C’est précisément cet échange et ce jeu de forme entre les genres du

théâtre musical qui permettent de comprendre le développement de la comédie musicale

américaine. Nous avons aussi observé qu’une distinction entre le théâtre musical et l’opéra

semblait inévitable. Cependant, cette délimitation paraît plutôt restrictive. En considérant le

théâtre musical comme une pratique générale mariant théâtre et musique, l’opéra pourrait

constituer un sous-genre du théâtre musical, tout comme la comédie musicale. En outre,

nous avons convenu que le musical de Broadway correspondait, en français, à la comédie

musicale.

Dans le premier chapitre, nous avons aussi précisé quel était le rôle des sociétés gérant les

droits d’auteurs. D’une part, ces compagnies s’assurent qu’aucune production ne nuit à une

autre, d’où la raison pour laquelle certains spectacles ne sont pas disponibles tant que la

production de Broadway se produit encore sur scène. D’autre part, elles fournissent les

autorisations de traduction des spectacles qu’elles gèrent. Nous avons pu observer que ces

sociétés n’imposent pas de conditions de traduction autre que de ne pas dénaturer le texte

d’origine. En effet, elles ne demandent pas de respecter les rimes, ni de respecter le nombre

de syllabes par vers. Cependant, l’approbation finale de chaque traduction revient à l’auteur

original, qui a le droit de refuser une traduction s’il juge que la version qui lui est soumise

ne respecte pas l’esprit de la pièce originale.

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28

Le prochain chapitre aura pour objectif de mieux comprendre quelles sont les différences

entre la traduction et l’adaptation. Il sera aussi question de comparer les principes de

fidélité et de liberté, en tenant compte du principe de « sacrifices ». Finalement, nous nous

pencherons sur les principales préoccupations des traducteurs-adaptateurs de comédies

musicales.

Chapitre 2 : La traduction et l’adaptation

2.1 Introduction

La traduction est-elle possible? Au cours des siècles passés, plusieurs grands esprits

s’entendaient pour dire que la traduction était une tâche impossible (Cary & Ballard, 1985 :

35). Cervantès comparait la traduction à un tapis mis à l’envers où « tous les motifs sont là,

mais rien de leur beauté n’est perceptible ». Dante affirmait qu’« aucune chose de celles qui

ont été mises en harmonie par lien de poésie ne peut se transporter de sa langue en une

autre sans qu’on rompe sa douceur et son harmonie ». Pour sa part, Schlegel disait que « la

traduction est un duel à mort où périt inévitablement celui qui traduit ou celui qui est

traduit », alors que George Borrow disait que « la traduction est, au mieux, un écho » (cités

dans Cary & Ballard, 1985 : 25).

De nos jours, la question ne mérite plus d’être posée, puisque la pratique quotidienne de

l’activité de traduire prouve qu’elle existe et donc, qu’elle est possible. Ceci dit, comme la

traduction est en quelque sorte un processus de négociation interlinguistique et

interculturelle (Simon, 1994 : 8), quelle est donc la tâche du traducteur? Le traducteur

évolue en plein cœur de la communication interculturelle et il est en quelque sorte un

passeur culturel. Comme le mentionne Delisle, « on traduit bien uniquement ce que l’on

comprend bien et il va de soi qu’on ne traduit pas pour comprendre […] mais pour faire

comprendre » (2013 : 84). En d’autres termes, « traduire, c’est rendre intelligible » (ibid. :

232). Par conséquent, le traducteur ne transpose pas des mots d’une langue à une autre,

mais plutôt le sens dont ils sont porteurs. Celui qui traduit doit alors s’éloigner des mots

pour se rapprocher du sens en recréant le message au fur et à mesure qu’il le traduit (ibid. :

233). Bensoussan explique que la traduction « consiste, selon la définition […] du

philosophe Derrida, en un mouvement intralinguistique, assurant le transport d’un signifié

d’une langue à une autre, d’un système de signifiants à un autre » (Bensoussan, 1995 : 26).

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29

Kenny, quant à elle, décrit la traduction comme une équivalence fonctionnelle devant

produire le même effet que celui que visait l’original (1998 : 78).

Un bon traducteur ne traduit pas seulement les mots, mais aussi la pensée qui la sous-tend.

Il y parvient en se référant constamment au contexte et à la situation émise dans le texte

source (Vinay & Darbelnet, 1977 : 163). Le traducteur ne doit pas non plus se concentrer

uniquement sur la traduction des mots : il doit plutôt penser à traduire des phrases, de façon

à rendre le sens sans rien perdre de la pensée et l’émotion exprimée par l’auteur (ibid.:

267). Bien qu’il semble aisé de définir la traduction, en est-il de même pour l’adaptation?

2.2 Traduction et adaptation, quelle différence?

Entre la traduction proprement dite et l’adaptation, la ligne de démarcation est fort

malaisée à tracer. Elle est mouvante et très diversement située par les différents

peuples et les différentes époques. (Cary & Ballard, 1985 : 50)

L’adaptation est une notion au contenu hétérogène qui recouvre différentes opérations

allant de l’imitation à la réécriture. Son histoire se confond quasiment avec celle du mot

« traduction ». Depuis l’Antiquité, Cicéron (106-43 av. J.-C.) et Horace (65-8 av. J.-C.) ont

remarqué deux méthodes de traduction possibles, la première consistant à reproduire

l’original mot à mot, c’est-à-dire à être fidèle à la lettre, et la deuxième, à rendre le texte de

façon plus libre, ou en d’autres mots, à « l’adapter ». Cette opposition entre fidélité et

liberté sera débattue tout au long du Moyen Âge, sans vraiment donner que le traducteur-

adaptateur se voie accorder droit de cité (Guidère, 2008 : 86). Au XXe siècle, certains

auteurs ont considéré l’adaptation comme étant une infidélité à proscrire du domaine de la

traduction. Pour eux, cette méthode est une violation de l’original ainsi qu’une trahison

envers l’auteur, car elle empêche le public-cible de connaître et d’accepter « l’étranger »

dans sa langue et dans sa culture (Berman, 1985). Malgré tout, l’adaptation est de nos jours

considérée par certains théoriciens (entre autres Vinay et Darbelnet) comme un procédé de

traduction.

En effet, dans leur ouvrage Stylistique comparée du français et de l’anglais, Vinay et

Darbelnet ont établi une liste des procédés techniques de traduction (correspondant à des

difficultés d’ordre croissant) dans laquelle l’adaptation figure en dernier. Bien que les

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auteurs précisent qu’avec ce procédé « nous arrivons à la limite extrême de la

traduction » (1977 : 52), l’adaptation est malgré tout considérée comme un procédé de

traduction à part entière. Voyons en quoi consiste cette liste de procédés (1977 : 48-54).

Le premier procédé est l’emprunt. Il consiste à ne pas traduire et à laisser tel quel un mot

ou une expression de la langue de départ dans la langue d’arrivée, pour des raisons d’usage,

d’absence d’équivalent ou pour créer un effet stylistique. Par exemple, pour introduire une

couleur locale, le traducteur pourrait se servir de termes étrangers. Ce procédé est pratique

lorsqu’il n’existe pas de terme équivalent dans la langue cible. Cela permet également de

situer clairement un texte dans son contexte culturel (par exemple, « Let’s go to the pub »

devient « Allons au pub »).

Le deuxième procédé est le calque. C’est un emprunt d’un genre particulier : on emprunte à

la langue étrangère le syntagme, mais on traduit littéralement les éléments qui le

composent. Certains calques à partir de l’anglais sont acceptés en français (par exemple,

« It is not his cup of tea » devient « Ce n’est pas sa tasse de thé »). C’est un procédé qui

doit être utilisé avec précaution, car il conduit facilement à des tournures agrammaticales

ou non idiomatiques.

Le troisième procédé est la traduction littérale, qui consiste à traduire la langue-source

mot à mot, sans effectuer de changement dans l’ordre des mots ou au niveau des structures

grammaticales, tout en restant cohérent avec la langue cible (par exemple, « Avoir un mot

sur le bout de la langue » devient « To have a word on the tip of the tongue »). La

traduction littérale est une solution complète lorsque l’on traduit entre langues de même

famille (par exemple : français-italien). Cependant, les obstacles liés à ce procédé de

traduction sont nombreux lorsque l’on traduit entre deux langues qui ne sont pas de même

famille. Bien que possible, il est très rare de pouvoir traduire parfaitement de façon littérale

(par exemple, « She left the town yesterday » devient « Elle quitta la ville hier »).

Le quatrième procédé est la transposition. C’est un procédé qui entraîne le changement de

catégorie grammaticale d’un mot en passant d’une langue à l’autre. Par exemple, on

transpose un nom en un verbe, ou l’inverse (« For sale » devient « À vendre). Ce procédé

est souvent utilisé lorsque la traduction littérale n’a aucun sens, si elle entraîne une erreur

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de traduction ou une incompréhension. Le chassé-croisé est un cas particulièrement

fréquent de transposition (par exemple, « He hurried through the room » devient « Il

traversa la pièce à toute allure. »

Le cinquième procédé est la modulation. C’est une variation dans le message qui implique

un changement de point de vue. Elle permet d’éviter l’emploi d’un mot ou d’une expression

qui ne s’utilise pas bien dans la langue d’arrivée. Elle permet aussi de tenir compte des

différences d’expression entre les deux langues. En utilisant ce procédé, on change le

regard que l’on porte sur une scène. La modulation offre entre autres un passage de

l’abstrait au concret, de la partie au tout et de l’affirmation à la négation (par double

contraire ou par contraire négativé). Comme chaque langue a ses propres particularités

stylistiques et prosodiques, il arrive parfois qu’une négation convienne en anglais, mais pas

en français. Nous pourrions traduire la phrase « She was not like him » en utilisant la

modulation « Elle était différente de lui », au lieu d’utiliser le calque « Elle ne lui ressemble

pas » ou « Elle n’était pas comme lui ».

Le sixième procédé est l’équivalence. C’est un procédé qui consiste à traduire un message

dans sa globalité. Le traducteur doit comprendre la situation dans la langue de départ et doit

trouver l’expression équivalente appropriée qui s’utilise dans la même situation dans la

langue d’arrivée. C’est donc une rédaction entièrement différente du message, d’une langue

à l’autre. La plupart des équivalences sont figées et font partie d’un répertoire

phraséologique d’idiotismes, de clichés, de proverbes, de locutions substantivales ou

adjectivales, etc. Les proverbes offrent en général de parfaites illustrations de l’équivalence

(par exemple : « Like a bull in a china shop » devient « Comme un chien dans un jeu de

quilles », « What’s up? » devient « Quoi de neuf » et « Mind your own business » devient

« Occupe-toi de tes oignons »).

Finalement, le septième procédé est l’adaptation. Comme nous l’avons mentionné plus

haut, ce procédé est à la limite extrême de la traduction. Il s’applique à des cas où la

situation à laquelle le message se réfère n’existe pas dans la langue cible et où il doit être

créé par rapport à une autre situation, que le traducteur juge équivalente. On pourrait

préciser cette définition en ajoutant que l’adaptation est le processus créateur d’expression

d’un sens général visant à rétablir, dans un acte de parole interlinguistique donné,

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l’équilibre communicationnel qui aurait été rompu s’il y avait simplement eu traduction

(Bastin, 1993). L’adaptation est donc, en quelque sorte, une façon de traduire

l’intraduisible.

Le traducteur-adaptateur Nicolas Nebot, entre autres connu pour ses traductions de Mamma

Mia! (2010), de Sister Act (2012) et du Bal des vampires (2014), donnait sa propre version

de ce qu’est une adaptation lors d’une entrevue sous forme de question-réponse via les

médias sociaux23

:

Une adaptation, c’est la retranscription dans une autre culture d’une œuvre existante. Il

y a trois types d’adaptations. Il y a celles qui sont assez proches textuellement de

l’original, il y a les adaptations qui sont proches des sonorités et enfin, il y a les

adaptations libres. Dans l’écriture d’un spectacle, les personnages vont traverser

différentes émotions qui vont s’exprimer de plusieurs façons. On va pouvoir faire

passer ces émotions par le jeu d’acteur, puis quand l’émotion deviendra plus intense on

passera au chant, puis à la danse. Le même personnage va jouer, chanter et danser. Il

n’est pas cohérent d’avoir du texte parlé en français et du texte chanté dans une autre

langue. On ne fait pas ça chez Stage Entertainment France. Les chansons vont faire

avancer l’intrigue et donc elles se doivent d’être absolument adaptées à la culture du

pays. Et il ne faut surtout pas dénaturer les textes originaux.24

Dans un contexte de comédie musicale, Nebot ouvre donc la porte à une adaptation en vue

de satisfaire un public-cible, tout en essayant de rester fondamentalement fidèle au texte-

source. Nous reviendrons sur cette tension entre fidélité et liberté.

À la lumière de ce qui a été mentionné dans cette section, nous considèrerons l’adaptation

comme un procédé de traduction et non pas comme un moyen de transposition de

l’information servant à passer très librement d’une langue à une autre et nous utiliserons le

terme de « traducteur-adaptateur » lorsque nous ferons référence à la personne chargée de

traduire et d’adapter le livret et les chansons de comédies musicales. Même si la liberté de

traduction opposée à la fidélité du texte original a été le sujet de plusieurs questionnements

en traductologie, un autre donne matière à réflexion : traduire ou ne pas traduire?

23

https://www.facebook.com/LeBaldesVampires/photos/?tab=album&album_id=257117784483763 24

Entrevue donnée par Nicolas Nebot via les médias sociaux :

https://www.facebook.com/LeBaldesVampires/photos/?tab=album&album_id=257117784483763

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2.3 Traduire ou ne pas traduire

De nos jours, les producteurs de comédies musicales (tant en théâtre amateur qu’au

professionnel) font face au dilemme de traduire ou ne pas traduire les comédies musicales.

Au Québec, le phénomène que l’on peut observer le plus souvent est celui de la « demi-

traduction25

» : on traduit les dialogues, mais pas les chansons. Plusieurs raisons peuvent

motiver les producteurs de comédie musicale à faire ce choix. Certains, par manque de

temps (les dialogues demandant moins de temps de traduction que les chansons), et

d’autres, car ils estimeront que les « fans » de comédies musicales préfèreront entendre les

chansons originales qu’ils connaissent. En effet, tout le monde peut se procurer facilement

l’album d’une comédie musicale de Broadway chantée par la distribution originale. De ce

fait, le public est facilement exposé aux chansons du spectacle et il a l’occasion de les

écouter encore et encore, jusqu’à les connaître par cœur. Cependant, il n’en est pas de

même pour les dialogues de ces comédies musicales. En effet, seuls les spectateurs se

déplaçant à New York pour voir le spectacle auront la possibilité d’entendre les dialogues.

Ce fait est possiblement une des raisons pour laquelle les producteurs étrangers de

comédies musicales penchent vers la « demi-traduction » : comme le public a accès aux

chansons originales et qu’il les connaît, mais qu’il n’a pas accès aux dialogues du spectacle,

il pourrait être moins dérangeant de ne traduire que l’élément ayant le plus de chances

d’être inconnu du public. Cependant, ce type d’approche est délicat : la « demi-traduction »

joue la carte de la sécurité, mais le passage d’une langue à l’autre crée une rupture dans la

narration et prive les spectateurs de la compréhension de certaines scènes essentielles au

déroulement de l’histoire.

Les préoccupations entourant la nécessité de traduire ou non un spectacle ne sont pas

nouvelles. Déjà, au IIe siècle, on voyait apparaître les premières interrogations sur la

traduction (Tardy, 2011). À cette époque, on retrouvait d’un côté ceux qui considéraient la

traduction comme un don et une révélation permettant de traduire la parole divine et de

l’autre, ceux qui estimaient impossible de transposer le mystère de la parole de Dieu dans le

langage des humains et qui, par conséquent, considéraient la traduction comme un sacrilège

25

Nous utiliserons ce terme afin de parler des comédies musicales dont seulement les dialogues sont

traduits et non pas les chansons.

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(et le traducteur comme un blasphémateur). Cette objection préjudicielle, qui marquera

l’histoire de la traduction jusqu’à l’époque contemporaine (Ricoeur, 2004), a affecté le

domaine de la traduction d’opéra, plus particulièrement au XIXe siècle (Tardy, 2011).

Effectivement, la question de la traduction des livrets d’opéra a divisé l’opinion. Après la

Seconde Guerre mondiale, nombreux étaient les critiques pensaient que les traductions

étaient de mauvaise qualité (Apter et Hermann, 1995 : 100-102). Les traducteurs se font

notamment reprocher de ne pas prendre la musique en considération lorsqu’ils traduisent et

de ne pas connaître assez bien l’œuvre (Kaindl, 1995 : 177-262). D’autre part, en ce qui

concerne les traductions vers le français, on considère souvent que le français est une

langue difficile à chanter. Par ailleurs, certains pensent que, dans le cas de l’opéra, la

musique prime et que ce n’est pas grave si on ne le comprend pas le texte (Marshall, 2004 :

10-26). Dans le même ordre d’idées, Apter et Herman évoquent un autre argument, selon

lequel les mots font partie de la musique et qu’à ce titre, ils ne doivent pas être modifiés

(1995 : 100-119).

Cependant, malgré la critique à l’égard de la traduction de spectacles musicaux, plusieurs

en voient les bienfaits. Certains envisagent la traduction comme un moyen d’ouvrir l’opéra

à un plus large public (Pistone, 2004). D’autres, comme Heinzelmann, soulignent le fait

que le public a le droit de comprendre ce qui se passe sur scène (2004 : 614-622).

Heinzelmann prend notamment l’exemple de l’opérette, où il est indispensable de

comprendre le texte pour pouvoir rire des plaisanteries (ibid. : 619). La traduction est donc,

selon lui, un moyen de faire aimer l’opéra à un plus large public, qui ne comprendrait pas la

langue originale de l’œuvre.

Dans son article « Traduire l’opéra, quel défi! », Marshall conseille fortement de bien

définir le rôle du traducteur, de dégager les composantes du texte et d’évaluer ce qui peut

être traduit. Il s’agit de « savoir pour qui on traduit et comment se justifient d’une part le

besoin de traduction, d’autre part le style donné au texte cible » (ibid. : 13).

Médiateur entre cultures et mentalités, le traducteur est au préalable amené à trancher

face à un choix fondamental et lourd de conséquences : le « texte traduit » doit-il

évoquer l’univers (le milieu, l’ambiance) original du texte source, avec tous les

ingrédients que cela implique, doit-il privilégier le charme de l’étrangeté susceptible de

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procurer au récepteur le plaisir du dépaysement? Ou bien doit-il, au contraire, créer un

univers adapté au monde du lecteur cible pour lui fournir un moyen de compréhension

à travers une sorte de « familiarité artificielle »? Comment capter un maximum

d’éléments authentiques tout en s’ouvrant à la culture du nouveau récepteur?

Transposer, est-ce conserver ou métamorphoser? (ibid. : 17)

Il serait intéressant de préciser que la réussite et la justification d’une traduction dépendent

de la méthode que le traducteur choisira d’adopter. Comme la traduction d’opéras (et de

comédies musicales) est pratique courant de nos jours, il n’est pas question ici de justifier si

la traduction est possible ou non. Il est plutôt question de conscientiser les divergences

d’opinions qui sont encore fortement présentes dans la traduction de spectacles musicaux.

Une des raisons pour lesquelles les traductions ne sont pas les bienvenues dans le monde du

théâtre musical est que certaines personnes jugent qu’elles sont de mauvaise qualité. Nous

l’avons mentionné dans le sous-chapitre précédent : certains « fans » préfèrent que les

chansons originales soient conservées. Cependant, pourquoi cet aspect de la comédie

musicale est-il plus important à conserver que les autres? Et dès lors, pourquoi ne pas

interdire les mises en scène qui s’affranchissent du travail du metteur en scène original, en

créant une nouvelle vision de l’œuvre? Pourquoi ne pas encourager une nouvelle version de

paroles alors que l’on accepte une nouvelle mise en scène, une réorchestration de la

musique, ainsi que de nouvelles chorégraphies? Cette extrapolation peut paraître excessive,

mais elle relève selon nous du même mécanisme de raisonnement.

Autour de toutes ces préoccupations gravite un autre questionnement : doit-on rester fidèle

au texte source ou peut-on se permettre une certaine liberté?

2.4 Fidélité ou liberté – Une histoire de négociation

Tout au long de l’histoire, les différentes façons de traduire ont été édictées en fonction de

deux pôles conflictuels : le premier opposant la traduction littérale (dite fidèle) à la

traduction libre et le second, la primauté du fond sur elle de la forme (Larose, 1989 : 4). La

traduction vise « l’équivalence dans la différence » (Jakobson 1963 : 80). Comme le

mentionne Simon, en traduction, l’accent a longtemps été mis sur le premier terme de cette

définition, « la quête toujours frustrée de l’équivalence parfaite à atteindre en

traduction » (Simon, 1994 : 21), alors qu’aujourd’hui, ce sont « davantage les différences

inévitables qui résultent de cette activité de transfert textuel et cognitif » (ibid.). Dans ce

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contexte-ci, le terme équivalence équivaut à la fidélité que certains traducteurs et

traductologues jugent comme sacrée. Cary a soumis un questionnement fort intéressant

concernant la traduction de comédies au théâtre :

[Q]uelle traduction méritera l’honneur d’être appelée la traduction authentique, la

traduction vraiment valable? Est-ce la version qui nous permet de tout savoir de la

syntaxe de l’original, ou celle qui peut être jouée sur une scène? La notion de fidélité

doit-elle nécessairement s’appliquer à la forme sémantique d’un texte et lui sacrifier la

vie de ce texte, ce qui fut sa raison d’être? (Cary & Ballard, 1985 : 50)

Cette dualité entre fidélité et liberté fait écho aux approches de « sourciers et ciblistes » de

Ladmiral (1986 et 2014). Ladmiral classe les traducteurs dans deux catégories : « les

sourciers, ceux qui en traduction […] s’attachent au signifiant de la langue du texte source

qu’il s’agit de traduire; [et les] ciblistes, [ceux] qui entendent respecter le signifié (ou plus

exactement, le sens et la « valeur ») d’une parole qui doit advenir dans la langue-cible »

(2014 : 4). On pourrait donc associer les sourciers à ceux qui prônent la fidélité et les

ciblistes, aux autres qui prônent la liberté.

Les concepts de fidélité et de liberté sont encore omniprésents en traduction, et

particulièrement chez le traducteur-adaptateur de comédies musicales. Ce dernier, empreint

du désir de rendre justice à l’œuvre originale, navigue entre ces deux pôles, car le nombre

de contraintes imposées par la structure musicale et rimique l’oblige à certains moments à

passer d’une approche à une autre, d’où la raison pour laquelle cette dichotomie peut

sembler dépassée. Appliquée à un contexte de traduction de chansons, on pourrait dire

qu’une traduction « sourcière » aurait tendance à respecter l’œuvre originale sous toutes ses

facettes : la forme, le sens, les mots, les rimes et aussi le respect du cadre musical (mélodies

et rythmes musicaux imposés). Par exemple, dans une chanson, un sourcier n’aurait

probablement pas comme réflexe d’ajouter une note d’anticipation afin de favoriser la

chantabilité (et donc afin de respecter les accents toniques de la langue d’arrivée) d’une

traduction proposant une phrase qui comporte une syllabe de plus qu’en anglais, étant

donné qu’il ne respecterait pas le rythme musical original de la chanson. À l’inverse, le

traducteur « cibliste » se permettrait possiblement une certaine liberté sur la traduction vis-

à-vis des mots et du sens. Cela pourrait aussi signifier qu’il s’autoriserait à modifier le

rythme musical, par exemple en y ajoutant ou en supprimant quelques notes dans une

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phrase en français afin d’obtenir un résultat qui donne plus de sens et qui favorise la

chantabilité du texte. Bien que les notions de sourciers et de ciblistes ne soient plus

totalement d’actualité, considérant le fait que cette dichotomie est maintenant dépassée et

que des approches fonctionnalistes se fondent sur la finalité et les destinataires de chaque

mandat de traduction et qu’elle permettent maintenant d’être à la fois fidèle et libre,

sourcier et cibliste, nous avons choisi de conserver cette approche, tout en étant consciente

de ses limites. Grâce à nos propres expérience de création réalisées dans le cadre de cette

maîtrise, nous espérons faire notre propre jugement, quant à savoir si en traduction, on doit

être exclusivement cibliste ou sourcier, ou s’il est possible de croire qu’entre les deux se

retrouve un troisième type de traduction. C’est-à-dire, est-ce qu’un traducteur peut être

cibliste et, à d’autres moments, sourcier et qu’éventuellement, un meilleur rendement

résulte de cet équilibre entre les deux?

Dans n’importe quel texte de sourcier déclaré se trouvent des passages attribuables à

un cibliste, et inversement. Parce que si la traduction est un art, c’est un art du

compromis. Mais pas du renoncement. Une négociation à partir d’une position parfois

définie, et qui n’aboutit pas nécessairement à un juste milieu. Simplement, il faut

choisir, et le choix ne fait pas toujours pencher du même côté. (Keromnes, 2006 : 185-

186)

La traduction est donc une forme de négociation qui implique une préparation et une

stratégie d’écoute et d’observation de l’autre (le texte source) qui demande une certaine

ouverture face aux concessions et aux compromis (Lavault, 1998 : 87). Cependant, faire des

choix signifie aussi de faire des sacrifices.

2.5 La traduction de comédies musicales

2.5.1 Traduire : l’art de sacrifier

En traduction de chansons, l’équivalent musical d’un texte n’est pas toujours une relation

de un pour un. Le traducteur doit donc analyser le contexte englobant les chansons afin de

trouver un sens supplémentaire s’il désire rendre justice à la relation entre le texte et la

musique de la chanson originale. Pour faire des choix éclairés, le traducteur doit être

conscient des pertes et des gains possibles lors du processus de traduction (Tråvén, 2005 :

107). Quelques théoriciens en traductologie ont commenté la traduction de chansons :

Hervey et Higgins (1992 : 138) considèrent la traduction de livrets comme une tâche

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extrêmement exigeante, alors que Nida (1964 : 177) soulignait les restrictions plutôt

sévères qu’engendre ce type de traduction. En effet, toute traduction est, d’une certaine

manière, un processus durant lequel il faut faire des sacrifices. Le premier étant de sacrifier

le texte original en le remplaçant par un texte écrit dans autre langue. Lors du processus de

traduction de chansons, il faut parfois choisir entre sacrifier la sonorité au bénéfice du sens,

l’exactitude à l’élégance, ou même la fidélité du texte source à une meilleure

communication avec le public-cible (Golomb, 2005 : 122). Pour sa part, Etkins estime que

l’on ne traduit pas des mots en d’autres mots, mais du mental en verbal. Il ajoute que la

traduction en vers (qui vise à remplacer l’original pour le public ignorant la langue de

départ) vise à produire sur lui la même impression [ou une impression équivalente] que

l’original produit sur un anglophone (Etkins, 1982 : 211).

Nous en avons discuté plus haut, la majorité des traducteurs sont d’avis qu’une bonne

traduction ne doit pas dénaturer sa version originale. Cependant, lorsqu’elle s’applique à la

traduction de chansons, cette ligne directrice semble discutable. Vermeer (1978), qui a

initié la théorie du skopos26

(mot grec signifiant la visée, le but ou la finalité) vers la fin des

années 1970, est d’avis que les méthodes et les stratégies de traduction sont déterminées en

fonction du but ou de la finalité précise du texte à traduire, d’où le qualificatif de

« fonctionnelle » associé à cette théorie. Cependant, on ne parle pas ici de la fonction

assignée par l’auteur original du texte source, mais plutôt de la fonction prospective

associée au texte cible. Dans le contexte qui est le nôtre, soit la traduction de chansons de

comédies musicales, le but premier pourrait être que les chansons produisent le même effet

sur le public-cible que sur le public-source, tout en étant agréables à chanter pour

l’interprète.

La tâche première du traducteur de chansons est donc de produire un texte qui sera chanté

devant un public. Low remarque que la réalisation d’une traduction chantable est plutôt

complexe, car le texte cible doit s’emboîter dans une musique déjà existante (qui inclut des

rythmes, des valeurs de notes, des phrasés, etc.) tout en conservant l’essence du texte

source (2005 : 185). Une illusion doit alors être créée : le texte cible doit donner

26

Cette théorie s’applique à la traduction en général; cependant, certains théoriciens de la traduction de

chansons (Low et Gorlée) semblent convenir qu’elle s’applique particulièrement bien à la traduction de

chansons.

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39

l’impression que la musique a été composée pour l’accompagner, même si en réalité, elle a

été écrite pour accompagner le texte source. À plusieurs reprises, cette tâche a été

considérée comme impossible (ibid.). Low ajoute que dans le cas de chansons traduites, il

faut tenir compte des éventuels auditeurs de la chanson en question : le système culturel

dans lequel ils évoluent est probablement différent de celui de la culture source. Il faut aussi

prendre en considération le fait que leur compréhension et leur appréciation du texte se font

dans un temps restreint (possiblement en moins de trois minutes) puisque la chanson n’est

présentée qu’une fois dans le spectacle. Low suggère donc de paraphraser plutôt que de

simplement traduire (ibid. :186). La fonction et le but d’une traduction aideront le

traducteur à choisir les aspects à prioriser et ceux qu’il est le moins dommageable de

sacrifier (ibid.).

Divers traductologues ont suggéré des listes d’éléments à prioriser lors de la traduction de

chansons. Kelly propose le modèle suivant (1992-1993 : 92) :

1. Respecter le rythme;

2. Déterminer et respecter le sens;

3. Respecter le style;

4. Respecter les rimes;

5. Respecter les sonorités;

6. Respecter l’auditoire cible;

7. Respecter l’original.27

Il est intéressant d’observer que, dans ce modèle, le respect de la chanson originale se

trouve au bas de la liste : ce n’est donc pas la priorité. Kelly tient toutefois compte du

public visé par cette traduction, ce qui laisse croire qu’une traduction variera en fonction du

public qu’elle servira. Finalement, trouver et respecter le sens signifie possiblement que le

traducteur n’a pas à respecter strictement la formulation originale, et qu’il a donc une plus

garde marge de liberté, à condition de respecter le sens.

27

Notre traduction.

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40

Quant à Dyer-Bennet, il propose un modèle qui priorise des aspects différents de Kelly

(Emmons & Sonntag, 1979 : 292) :

1. Le texte cible doit être chantable, à défaut de quoi toutes ses autres qualités

deviennent insignifiantes;

2. Le texte cible doit donner l’impression que la musique a été écrite pour

l’accompagner, même si en réalité elle a été écrite pour accompagner le texte

source;

3. Les rythmes de la poésie originale doivent être conservés, car ils justifient le

phrasé;

4. Le traducteur [pourra s’éloigner du sens de l’original] si les trois premiers

critères ne peuvent pas être atteints.28

En réponse à Kelly et Dyer-Bennet, Low propose un modèle qu’il appelle

métaphoriquement « The pentathlon approach » (approche pentathlonienne). Tout comme

le pentathlonien, le traducteur de chansons doit surmonter cinq épreuves (cinq critères à

satisfaire) et il doit obtenir le meilleur résultat global. Ces critères sont la chantabilité, le

sens, le naturel, le rythme et la rime. Low indique que les quatre premiers critères

correspondent respectivement aux obligations du traducteur envers le chanteur, l’auteur, le

public et le compositeur. Il considère le critère de la rime comme un cas spécial. Voyons

plus spécifiquement le modèle proposé par Low (2005 : 192-199).

Le premier paramètre de cette approche est la chantabilité. Les chanteurs doivent pouvoir

chanter des mots avec sincérité (Graham, 1989 : 35). Plusieurs d’entre eux insistent sur le

fait que certaines voyelles ne peuvent pas être chantées sur des notes aiguës, et que le choix

de voyelles chantantes est restreint dans un contexte de notes très graves (Gorlée, 2002 :

167).

Le deuxième point de l’approche pentathlonienne est le sens. Dans la traduction de textes

informatifs, la précision sémantique est primordiale. Cependant, les contraintes propres à la

traduction de chansons signifient qu’une certaine marge de manœuvre est nécessaire.

L’approche pentathlonienne demande donc une certaine flexibilité. Tout bon traducteur de

chansons est conscient de ses obligations envers l’auteur du texte source. Il doit alors

28

Notre traduction.

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41

trouver un équilibre entre cette obligation et les autres, qui entrent en conflit (celle du

chanteur, du compositeur et du public). Il ne peut en délaisser aucune (Low, 2005 : 194-

195).

Le troisième paramètre concerne le naturel. Ce critère est une obligation du traducteur

envers le public. Il consiste à ce que la traduction ait l’air la plus naturelle possible pour le

public, afin que celui-ci n’ait pas l’impression d’entendre une traduction, mais plutôt un

texte qui semble être l’original.

Le quatrième paramètre se rattache au rythme. Arthur Graham se demandait

rhétoriquement : « Don’t composers make such changes in setting strophic songs?29

»

(1989 : 34). En effet, un premier couplet pourra commencer sur le temps et comporter 8

syllabes alors que le deuxième couplet commencera sur une anticipation et comportera 9

syllabes. « Clearly, composers did not all see the rhythmic details as sacrosanct30

» (Low,

2005: 197). D’après Low, le traducteur devrait viser à toujours avoir un total de syllabes

égal dans la langue-source et la langue-cible dans chaque partie de la chanson qu’il traduit

(couplet, refrain, etc.). Cependant, en pratique, il arrive parfois qu’un vers de 8 syllabes

résulte en une phrase plutôt maladroite. Le cas échéant, le traducteur pourrait choisir

d’ajouter ou de soustraire une syllabe, si cela améliore la chantabilité.

Le dernier paramètre de l’approche pentathlonienne est la rime. Low, qui le considère

comme un critère de dernier recours, estime qu’il n’est pas toujours possible de respecter

l’emplacement des rimes du texte source. L’auteur peut donc décider de changer la forme

des rimes d’un couplet s’il juge que cette inversion aide à obtenir une meilleure

chantabilité, un meilleur respect du sens et du rythme. Low mentionne que s’il existe autant

de mauvaises traductions, c’est parce que les traducteurs ont donné une trop grande priorité

à ce critère, en délaissant les autres – chantabilité, sens, naturel et rythme (2005 : 199).

D’après Low, considérer un seul des critères mentionnés plus haut comme plus sacré que

les autres équivaut à accepter une contrainte très rigide qui risquerait de causer

29

Les compositeurs ne font-ils pas eux-mêmes des changements dans l’arrangement strophique de

leurs chansons? (Notre traduction) 30

De toute évidence, les compositeurs ne sacralisent pas tous les détails rythmiques.. (Notre

traduction)

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42

d’importantes pertes au regard des autres critères. En tolérant une petite marge de flexibilité

dans plusieurs critères, on peut ainsi éviter d’importantes pertes liées à la traduction (ibid. :

210). L’idée générale de l’approche pentathlonienne de Low est donc de viser un haut

pointage global (pour chacun des cinq critères) au lieu de miser sur un score parfait dans un

seul.

À la lumière de ce sous-chapitre, il est possible d’observer que peu importe le modèle

proposé (celui de Kelly, de Dyer-Bennet ou de Low), il y aura toujours un aspect qui sera

sacrifié lors de la traduction. Il en ressort que de faire de petits sacrifices ici et là semble

être la méthode de traduction à considérer si l’on souhaite obtenir une traduction qui

réponde à un plus grand nombre de critères. Bien qu’il soit important de satisfaire aux

critères mentionnés plus haut, est-ce réellement la préoccupation première des traducteurs

de comédie musicale?

2.5.2 Les préoccupations des traducteurs de chansons

Qu’ils traduisent des textes ou des chansons, les traducteurs ont tous des préoccupations

semblables : traduire le plus fidèlement possible. Bien que le traducteur « littéraire » doive

prendre en compte un nombre considérable de contraintes auxquelles il doit faire face, il

arrive qu’il soit libre31

d’utiliser le nombre de mots qu’il désire afin de traduire le plus

fidèlement possible.

Cependant, le traducteur de chansons n’a pas les mêmes servitudes. Bien qu’il ait

fondamentalement les mêmes préoccupations, celles-ci ne sont pas régies par les mêmes

contraintes. Or, le traducteur devrait plutôt avoir les mêmes préoccupations et intentions

que le parolier32

. En effet, lorsque le parolier écrit les paroles, il a avant tout comme

intention de faire passer un message précis, dicté par le livret de la comédie musicale, mais

il se préoccupe aussi d’écrire une « bonne » chanson. Et pour ce faire, ses préoccupations

sont principalement la chantabilité et les rimes. Alors pourquoi n’en irait-il pas de même

31

Précisons que ce n’est pas toujours le cas : certains éditeurs demandent de limiter le foisonnement afin de

réduire les coûts de production de l’objet livre. 32

Dans le cadre de ce mémoire, nous utiliserons exclusivement le terme parolier lorsque nous ferons

référence à celui qui écrit les paroles des chansons de comédie musicale. Bien que nous soyons consciente

que certains paroliers composent également la musique ou écrivent aussi le livret des comédies musicales, ce

terme nous permettra d’éviter une éventuelle confusion. Évidemment, nous utiliserons le terme compositeur

lorsqu’il sera question de parler exclusivement de composition musicale.

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43

pour le traducteur de chansons? Ne devrait-il pas penser comme le parolier en misant sur la

chantabilité?

2.5.3 Le traducteur non-musicien

La portion humaine dans tout projet de traduction de chansons joue une part importante

dans la compréhension du processus de réflexion qui justifie les choix du traducteur. En

effet, au-delà des notions théoriques de traduction (respects des rimes, de la prosodie et des

accents toniques), la facilité d’exécution de l’interprétation par le chanteur validera si la

traduction a été bien réalisée. En effet, il arrive que certains choix de traduction ne soient

pas réfléchis sous tous les aspects. L’aspect le plus négligé par les traducteurs (surtout par

ceux qui n’ont que très peu ou pratiquement pas de connaissance en musique), est la

chantabilité. En effet, le traducteur n’ayant aucune connaissance musicale pourrait avoir

tendance à valider sa traduction en se fiant au résultat obtenu après une simple lecture des

paroles traduites. D’après Michèle Laliberté, pour bien traduire une pièce de théâtre ou un

opéra, il faut lire et chanter le texte à voix haute et essayer de retrouver la même émotion

dans la langue-cible que dans la langue-source (2010 : 95). C’est à ce moment-là que le

traducteur peut voir si ses choix sont justes. Cet exercice permet, entre autres, de vérifier les

sonorités (l’emplacement d’une voyelle à un endroit donné, en fonction de la hauteur de la

note à chanter). Comme certaines syllabes ou voyelles sont plus difficiles à exécuter pour

un chanteur lorsque la note à chanter est très aiguë, le traducteur doit choisir judicieusement

ses mots. Les mots terminant en [a], [o] ou [wa] sont plus faciles à exécuter sur une note

aiguë que les mots en [i], [iːʁ], [y] ou en [yʁ].

Lorsque le traducteur ne pense pas aux notes qui seront difficiles à chanter, il risque de ne

pas penser à y placer un mot finissant sur une sonorité qui en facilitera l’exécution. Ce

phénomène survient régulièrement dans la traduction de comédies musicales.

Généralement, l’équipe de production approche un traducteur qui devra se charger d’écrire

le texte des dialogues et des chansons en français. Une fois la traduction complétée, le

travail du traducteur est souvent terminé. Cependant, ce n’est que lorsque la distribution du

spectacle se réunira avec le directeur vocal que l’on pourra se rendre compte de la difficulté

à chanter certains mots, en raison de la vitesse à laquelle il faut les chanter ou de la hauteur

des notes à exécuter. Le directeur vocal se retrouve donc dans une situation où il devra

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44

adapter la traduction qui lui a été soumise, afin de « rendre la vie plus facile » aux

chanteurs.

Dans une situation comme celle-ci, on observe en premier lieu le travail de traduction du

texte par le traducteur, et ensuite, le travail d’adaptation de la traduction par les chanteurs.

Nous nous sommes demandé si ce problème pouvait être évité et nous nous sommes rendu

compte que si le traducteur avait les mêmes connaissances musicales que le directeur vocal

et les comédiens et qu’il se mettait dans leur peau dès lorsqu’il commence sa traduction, le

problème serait résolu à la source.

À la lumière de ce qui a été présenté, nous tendons donc à penser qu’un bon traducteur de

comédies musicales se doit de savoir chanter et d’avoir des connaissances minimales en

notation musicale, car grâce à ces connaissances33

, il peut prévoir les problèmes

d’exécution en adaptant au fur et à mesure sa propre traduction. Ainsi, le travail du

traducteur, qui peut sembler impeccable sur le papier, ne se retrouve pas dénaturé par

l’intervention d’un autre joueur (dans le cas présent, le directeur vocal). Dans ce contexte,

le traducteur arrive à garder le contrôle sur sa traduction tout au long du projet.

2.6 Sommaire du chapitre 2

Même si l’objectif de notre travail n’est pas de savoir si le fait de traduire est une tâche

réalisable, la traduction reste un art dont la pratique est remise en question. Cela dit, la

faisabilité de l’acte a été démontrée par plusieurs traducteurs (Laliberté, Low, Graham,

Kelly, Dyer-Bennet, etc.). À une époque où l’opéra commençait à s’exporter dans divers

pays, le besoin de comprendre des spectateurs étrangers se faisait sentir. Cependant, alors

que certains souhaitaient voir ces spectacles traduits, d’autres préféraient que ces œuvres ne

soient pas « dénaturées » par leur éventuelle traduction. Bien que les premières

préoccupations concernant la traduction remontent au IIe siècle, cette divergence d’opinions

est toujours d’actualité avec la comédie musicale et aucune réponse définitive ne peut être

avancée – les raisons motivant l’une ou l’autre des décisions demeurent fondées sur des

critères qualificatifs et émotifs. Le public peut aimer une traduction ou bien juger qu’elle

est de mauvaise qualité.

Dans ce chapitre, nous avons aussi pu constater que l’adaptation est un procédé de

traduction à part entière. Si une distinction devait être faite entre les deux termes, on

33

Bien que nous n’ayons pas abordé le sujet, nous croyons que le traducteur-adaptateur de comédie musicale

doit connaître parfaitement les règles de prosodie des deux langues concernées (dans notre contexte, le

français et l’anglais), car le respect de cet aspect linguistique contribue directement à la chantabilité de la

chanson, ainsi qu’à sa compréhension.

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45

pourrait dire que la traduction est à la fidélité ce que l’adaptation est à la liberté. Cependant,

nous avons aussi compris que la traduction est un art du sacrifice ainsi qu’une forme de

négociation. Le traducteur se trouve donc à devoir jongler avec les compromis : priorisera-

t-il la chantabilité d’un texte plutôt que le respect du sens original? Ou bien sacrifiera-t-il le

rythme musical afin de respecter les rimes? C’est bien connu : quand tout va bien en

traduisant, on dit presque la même chose. Par conséquent, on ne dit pas exactement la

même chose, on doit légèrement adapter. Plus particulièrement en traduction de chansons,

en raison du nombre élevé de critères à tenter de respecter (le sens, la chantabilité, le

naturel, le rythme et la rime). Low suggère donc aux traducteurs de chansons de faire

preuve de flexibilité et d’essayer de respecter chacun des critères équitablement, plutôt que

de n’en prioriser qu’un seul. Toutefois, les méthodes et les stratégies de traduction

devraient idéalement être déterminées en fonction du but ou de la finalité précise du texte à

traduire. Autrement dit, le traducteur de comédies musicales, dont l’objectif est de traduire

des chansons qui seront présentées devant un public, doit avant tout traduire pour que les

spectateurs apprécient ce qu’ils entendent. Finalement, nous avons observé qu’en traduction

de chansons, un « traducteur-musicien » sera plus susceptible d’identifier les facteurs

imposés par la musique, ses connaissances musicales lui permettront d’avoir des réflexes de

traduction plus « naturels » et de se mettre à la place des chanteurs. Comme Keromnes

(2006) et Lavault (1998) l’ont montré, traduire est un art du compromis. Il faut faire des

choix. On comprend donc qu’en traduction, il n’y a pas qu’une seule voie tracée à suivre.

Au contraire, il existe autant de possibilités qu’il y a de choix.

Le prochain chapitre aura pour objectif de mieux discerner les types de chansons que le

traducteur-adaptateur de comédies musicales doit traiter. D’une part, les chansons

musicocentrique, d’autre part, les chansons logocentriques. L’identification des différents

types de chanson et la familiarisation avec leurs caractéristiques apporteront des outils

permettant d’aborder des particularités de la traduction de comédie musicale.

Chapitre 3 Les défis rencontrés lors de la

traduction de Sister Act, Blonde et Légale et Le

chanteur de noces

3.1 Introduction

Nous avons établi que, nonobstant sa complexité, la traduction de textes en prose est

généralement moins contraignante que ne peut l’être la traduction de chansons. Au-delà de

la multitude de défis et de contraintes rencontrés lors de la traduction d’un simple texte,

s’ajoutent différents défis (linguistiques et extralinguistiques) lorsqu’il s’agit de traduire

dans un contexte de chanson. Dans ce chapitre, nous exposerons les principales difficultés

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(imposés, entre autres, par la musique) rencontrées au cours des dernières années, lors de la

traduction de Sister Act (2017), de Blonde et légale (2016) et du Chanteur de noces (2015).

Nous analyserons de quelle façon nous avons traité chacun de ces défis. Les résultats

obtenus ainsi que les conclusions que nous en tirerons seront fondés sur notre propre

expérience de traduction, tout en étant étayés par la recherche. Nous sommes consciente

que d’autres solutions pourraient être proposées. Cependant, nous ne mentionnerons que

celles qui nous semblent les plus pertinentes, en fonction des besoins du contexte dans

lequel nous avons traduit ces chansons. Il est à noter que certains défis mentionnés dans ce

chapitre ne sont pas exclusifs à la traduction de chansons. Certains apparaîtront aussi lors

de la traduction de textes en prose ou de pièces de théâtre.

Ce chapitre est divisé en trois partie. Tout d’abord, il sera question de définir les termes

musicocentrique et logocentriques. Les deux autres parties de ce chapitre seront divisée en

fonction des deux grandes catégories de défis que nous avons observés. La première

concerne les défis linguistiques et les défis extralinguistiques. Dans la première catégorie,

nous nous pencherons sur le sens, la structure de phrase, les expressions idiomatiques, la

rime et la chanson logocentrique, alors que dans la deuxième partie, nous nous

concentrerons sur la restriction des syllabes, les sonorités, la chanson connue, la mise en

scène imposée, la culture et la couleur locale.

3.2 Les différentes fonctions d’une chanson dans une

comédie musicale

Dans la comédie musicale, les chansons ont une fonction bien particulière. Globalement,

elles servent à faire avancer l’histoire tout en amplifiant les émotions véhiculées au moment

du spectacle où elles interviennent. Grâce à la musique, les scènes drôles deviennent

hilarantes et les scènes tristes deviennent encore plus touchantes. L’émotion s’en trouve

accentuée, l’action dramatique, renforcée, et l’atmosphère et l’humeur, exprimées mieux

que par les mots seuls. En effet, la musique donne de précieuses indications aux

spectateurs. Elle aide aussi à comprendre certaines situations en faisant ressentir au

spectateur une sensation, par exemple de distance ou de proximité, d’obscurité ou de clarté

(Kaindl, 1995 : 111-115). La musique joue donc sur la perception du spectateur :

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47

The fact that [a] character sings rather that speaks and that music accompanies

virtually every word that the character utters leads us to perceive him or her – at least

initially – as a more mythical, more heroic, more sublime being than we would [with] a

literary character. (Linderberger, 1984 : 44)34

Dans son livre, Opera, the Extravagant Art (1984 : 25-74, 81-91, 139-142), Herbert

Lindenberger explique que la musique permet entre autres de hiérarchiser les informations

en attirant l’attention du public sur certains passages. Il ajoute que le compositeur se sert de

moyens musicaux pour exprimer les idées et les émotions suggérées par le livret. Par

exemple, la modulation tonale permet de changer l’atmosphère ou de caractériser un

personnage. Linderberger précise que la musique est perçue par tous les auditeurs, même

par ceux qui n’ont pas une connaissance théorique de la musique.

Même si les chansons d’une comédie musicale ont une fonction globale bien précise, qui a

été déterminée précédemment, chacune d’elles a sa propre raison d’être dans le spectacle,

qui pourrait s’apparenter à une fonction spécifique (chansons de type « climax

émotionnel », « reprise », « définition de personnage », « désirs du personnage »,

« exposition du sujet », « narration » ou « conflit ») [Brown, 2007].

Avant d’entrer plus en détail dans les défis de traduction que nous avons rencontrés, il est

nécessaire de faire le point sur une constatation que nous avons faite lors des traductions

que nous avons réalisées dans le cadre de notre maîtrise. Indépendamment de leurs

fonctions globale et spécifique au sein du spectacle, nous avons noté que chacune des

chansons d’une comédie musicale répond à un critère précis : elle est soit

« musicocentrique », soit « logocentrique ». Comme le mentionne Low (2013 : 237),

certains traducteurs considèrent qu’une traduction proche de l’original est « meilleure »

qu’une adaptation. Selon Low, les deux ont leur place, car dans le contexte de la chanson,

on oublie souvent que l’importance des mots et de la musique est relative et varie

considérablement : « Thus the words are much more important in narrative ballads, for

34

Le fait qu’un personnage chante au lieu de parler et qu’une musique accompagne virtuellement

chaque mot qu’il nous fait entendre nous amène à percevoir ce dernier – au moins initialement –

comme étant plus mythique, plus héroïque et plus sublime que s’il n’avait été qu’un simple personnage

littéraire. (Notre traduction)

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example, than in lullabies35. » (ibid.) Bien que Low souligne la différence de l’importance

des paroles entre les chansons logocentriques et les chansons musicocentriques, il est

important de comprendre que les paroles sont importantes dans les deux contextes, à des

niveaux différents cependant. Comme le mentionne Langer : « Song is not a compromise

between poetry and music[:] song is music. » (Langer 1953 :152)36 C’est ici que les

notions de chansons logocentriques et musicocentriques se définissent, d’après les

observations que nous avons pu tirer.

3.2.1 Chansons à vocation « musicocentrique »

La chanson à vocation musicocentrique est en quelque sorte pour la comédie musicale ce

qu’est l’aria pour l’opéra. Cette chanson est généralement composée sous la forme de

couplet-refrain. On y parle principalement d’états d’âme et de sentiments. Cependant, les

propos n’ont pas pour objectif de faire évoluer l’histoire. Ainsi, le temps n’avance pas

nécessairement pendant la chanson. Par conséquent, il est à noter que, dans ce type de

chansons, on peut traduire plus librement. Autrement dit, le traducteur a un message et une

émotion à respecter, non une histoire. Le concept d’émotion étant plus large, il offre plus de

possibilités. Low (2013 : 237) convient que « [f]or musicocentric songs an elegant

adaptation is often the best option37 ».

3.2.2 Chansons à vocation « logocentrique »

La chanson logocentrique en comédie musicale pourrait être comparée au récitatif de

l’opéra. Bernstein décrivait le récitatif ainsi : « The function of [a] recitative is […] in other

words, to further the plot through music38 ». (Bernstein, 1956) La chanson logocentrique

est avant tout basée sur un discours ou un dialogue exprimé à travers la musique

(habituellement entre deux ou plusieurs personnages; cependant, il arrive qu’un seul

interprète chante une chanson logocentrique, s’il s’adresse à une autre personne). Elle peut

être composée sous la forme couplet-refrain ou sous une forme plus complexe évoluant en

35

Ainsi, les mots sont beaucoup plus importants dans une ballade narrative, par exemple, que dans une

berceuse. (Notre traduction) 36

Une chanson n’est pas un compromis entre la poésie et la musique : une chanson, c’est de la

musique. (Notre traduction) 37

Une adaptation élégante est souvent la meilleure option pour traduire une chanson musicocentrique.

(Notre traduction) 38

« Autrement dit, la fonction du récitatif consiste à faire avancer l’intrigue à travers la musique. »

(Notre traduction)

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fonction de la mise en scène. L’histoire se poursuit durant la chanson et le temps passe (le

fil temporel de l’histoire n’est pas interrompu, la chanson se passe en temps réel). Ce type

de chansons est particulièrement difficile à traduire, car les paroles donnent de nombreuses

informations nécessaires à la compréhension de l’histoire. En effet, les informations

dévoilées durant la chanson ne sont pas obligatoirement répétées dans les dialogues qui

précèdent ou qui suivent la chanson. La difficulté de traduction réside dans le fait qu’il y a

un message précis à passer. Le traducteur peut traduire aussi librement dans une chanson

logocentrique que dans une chanson musicocentrique, sauf qu’une fois la traduction

terminée, l’information doit être exacte. Le message à passer offre donc moins de

possibilités de traduction que celui d’une chanson musicocentrique, compte tenu du

discours à respecter; en d’autres mots, « the logocentric songs […] need careful translation

and […] pose the greatest challenges39

» (Low, 2013 : 237). La patter song40

et la list

song41

sont entre autres des chansons à vocation logocentrique fréquemment rencontrées

dans les comédies musicales.

3.2.3 Conclusion

Au cours du troisième chapitre, nous avons tout d’abord pu observer que les chansons

d’une comédie musicale ont généralement une fonction bien particulière : faire avancer

l’histoire tout en amplifiant les émotions véhiculées dans le spectacle. En plus de renforcer

l’action dramatique, la musique permet aussi au spectateur de percevoir les personnages du

spectacle comme plus mythiques et plus héroïques. De plus, nous avons identifié deux

principales vocations s’appliquant aux chansons de comédies musicales : une vocation

« musicocentrique » et une vocation « logocentrique ». La première vocation s’apparente à

l’aria de l’opéra. Nous avons observé que, dans ce type de chanson, on parle principalement

39

Les chansons logocentriques doivent être traduites avec minutie; ce sont elles qui posent les plus

grands défis de traduction. (Notre traduction) 40

D’après le New Grove Dictionnary of Music (Sadie & Tyrrell, 2001: 237), on définit la patter song

comme « A comic song in which the humor derives from having the greatest number of words uttered

in the shortest possible time. » Autrement dit, la patter song consiste en une légère mélodie chantée

très rapidement par un comédien verbomoteur. Très souvent, ce type de chansons implique des

virelangues qui ont pour but de tester la capacité du chanteur à prononcer clairement les paroles. De

plus, la mélodie est souvent écrite en doubles-croches, sur un tempo modéré à rapide qui accélère

graduellement. Par exemple, les chansons « The Worst Pies in London » (Sweeney Todd : The Demon

Barber of Fleet Street), ainsi que « Words, words, words » (The Witches of Eastwick) peuvent être

considées comme des patter songs. 41

La list song consiste en une chanson ou l’interprète énumère une liste d’idées.

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d’états d’âme et de sentiments, et nous avons noté que les propos ne font pas

nécessairement évoluer l’histoire. Ces caractéristiques permettent donc au traducteur-

adaptateur de traduire un peu plus librement les paroles, considérant qu’il doit

principalement respecter l’émotion à véhiculer. La vocation « logocentrique » s’apparente

au récitatif de l’opéra; par conséquent, cette chanson révèle de nombreuses informations.

Elle résulte souvent en un dialogue entre quelques comédiens, ce qui signifie que l’histoire

poursuit son déroulement tout au long de la chanson. Ces aspects rendent la traduction de

chansons logocentriques un peu plus compliquée, car le traducteur-adaptateur se retrouve

avec une moins grande liberté de traduction qui l’oblige à résoudre de plus nombreuses

difficultés et le contraint quelquefois à devoir faire plusieurs sacrifices.

L’identification et la définition des deux vocations vues dans ce troisième chapitre nous

permettront de voir si les défis de traduction rencontrés par les traducteurs sont présents

dans ces deux types de chansons, ou si certains défis n’apparaissent que dans un seul des

deux. Il convient donc à présent d’étudier les différentes stratégies de traduction. À cette

fin, le prochain chapitre sera consacré à l’analyse des différents défis rencontrés lors de la

traduction des comédies musicales Le chanteur de noces (2015), Blonde et Légale (2016) et

Sister Act (2017).

3.3 Les défis linguistiques

3.3.1 Le sens

Comme nous l’avons mentionné dans le chapitre 2, la quête d’une traduction la plus fidèle

possible repose principalement sur le respect du texte d’origine et de son sens. Cependant,

comme nous l’avons aussi remarqué dans ce même chapitre, le fait de traduire le texte

source le plus fidèlement possible ne résulte pas nécessairement en la solution la plus

adaptée aux besoins de la traduction en question. Étant conscient de ce fait, le traducteur-

adaptateur qui s’attaque à la traduction des chansons d’une comédie musicale doit, à notre

avis, bien observer le texte original afin de cerner les éléments nécessaires à la

compréhension du spectacle et qui devront absolument apparaitre dans le texte cible. Une

fois ces éléments ciblés, le traducteur-adaptateur pourra se permettre de reformuler la

chanson, tout en gardant en mémoire qu’il doit transmettre un certain message.

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Prenons par exemple la chanson « Sister Act », extraite de la comédie musicale du même

nom. Contextuellement, cette chanson représente le moment clé du spectacle où Deloris

Van Cartier, personnage égocentrique et individualiste, réalise qu’elle ne trouvera pas le

bonheur grâce à la célébrité qu’elle convoitait tant, mais plutôt grâce à l’amour que ses

« sœurs » lui apportent. Précisons que le personnage avait été obligé de se cacher, à

contrecœur, dans une église, subissant la présence des sœurs du couvent, à la suite d’un

meurtre dont elle était seule témoin. Cette chanson est donc un tournant très important dans

le récit. De plus, c’est aussi la seule fois dans le spectacle où l’on mentionne l’expression

« Sister Act », qui est aussi le titre de la comédie musicale. Ici, dans le contexte

anglophone, « Sister Act » fait référence à ce grand numéro qu’est la couverture de Deloris

(qui prétend être une nonne afin de pouvoir se cacher dans ce couvent). Le traducteur

s’attaquant à cette chanson ne peut ignorer le fait qu’une traduction québécoise du film

original existe et fait partie courante de la culture québécoise : Rock’n Nonne est un film

« culte » pour bien des Québécois42

. Cependant, utiliser cette traduction dans le contexte

actuel de cette chanson ne nous semblait pas pertinent, étant donné la nature de la chanson :

une ballade très sentimentale reflétant une prise de conscience assez brutale de la part du

personnage principal.

C’est pourquoi, afin de traduire le plus fidèlement possible le sens de la chanson originale,

nous avons tout d’abord réfléchi aux grandes lignes directrices de la chanson, en tentant

d’en faire ressortir le sens premier. Nous avons conclu que Deloris Van Cartier constatait

lors de cette chanson :

Qu’elle n’a finalement pas besoin de toutes ces choses superflues qui entourent le

show-business et le « star-système », mais qu’elle désirait tant autrefois;

Qu’elle réalise qu’elle a finalement tout dont elle a besoin pour se sentir comme une

« star »;

Que ses sœurs sont celles qui lui permettent d’être « la star » qu’elle a toujours

voulu être;

42

La chanson « Sister Act » a été composée exclusivement pour la comédie musicale. Elle n’apparaît

donc pas dans le film original.

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52

Que toute cette mascarade qu’est sa couverture en religieuse lui offre finalement la

chance de faire partie du plus grand numéro auquel elle aura l’occasion de participer

dans toute sa vie;

Que grâce à ses sœurs, lorsque le rideau tombe, elle n’est finalement jamais seule;

Qu’elle a trouvé des personnes qui la soutiendront toujours;

Et finalement, qu’elle prend conscience de son désir d’être toujours présente et

disponible pour ses sœurs, quoi qu’il arrive.

Tableau 1 Comparaison des versions anglophone et francophone de la chanson « Sister Act »

Sister Act (Version anglophone originale)

I don’t need a spotlight.

I don’t need a crowd.

I don’t need the great wide world

to shout my name out loud.

Don’t need fame or fortune,

nice as those things are.

I’ve got all I need

to feel like I’m a star…

I’ve got my sisters by my side.

I’ve got my sisters’ love and pride.

And in my sisters’ eyes

I recognize

the star I want to be.

And with my sisters standing strong,

I’m on the stage where I belong.

And nothing’s ever

gonna change that fact.

I’m part of one terrific

sister act.

And yes, I love that spotlight!

Yes, I crave acclaim!

I’ll admit I love the sound

when strangers scream my name.

All that glitz and glamour,

they’re all right, no doubt.

But what are you left with

when the lights go out?

I’ll have my sisters with me still,

Pour une fois (Notre traduction)

Pas besoin d’un public,

ni de projecteurs.

Pas besoin de tous ces gens

qui clament mon nom en chœur.

Pas besoin de succès.

Juste un peu d’espoir.

C’est tout c’qu’il me fallait

pour devenir une star.

Moi j’ai mes sœurs à mes côtés,

tout leur amour et leur fierté.

Et au fond de leurs yeux

je vois bien mieux

l’étoile que je suis.

Et avec mes sœurs qui m’entourent,

je vois grandir un nouveau jour.

Et personne n’y chang’ra

quoi que ce soit.

Je me sens enfin chez moi,

pour une fois.

Et oui, j’aime chanter sur scène.

Oui, j’en ai besoin!

Je dois admettr’ que j’aime voir

cette foule qui me soutient.

Le glamour, la fortune…

Tout ça c’est très bien.

Mais dis-moi c’qu’il en reste

aussitôt qu’on éteint?

Moi j’aurai mes sœurs, mes amies,

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53

Une fois que l’on sait « ce que l’on veut dire », il ne reste qu’à trouver « comment le dire ».

C’est donc grâce à ces grandes lignes qu’il nous a été possible de traduire librement, tout en

respectant le sens. En comprenant que la morale de cette chanson était que Deloris Van

Cartier a enfin trouvé une famille qui l’accepte et qui l’aime comme elle est, nous avons

tout d’abord émis plusieurs possibilités de vers en français pouvant remplacer :

And nothing’s ever gonna change that fact.

I’m part of one terrific sister act.

Plusieurs possibilités se sont offertes à nous :

1. Et personne ne pourra changer ce fait.

J’ai enfin une vraie famille qui me plaît.

2. Et personne ne pourra changer ce fait.

Je fais partie d’une famille qui me plaît.

3. Et personne n’y changera quoi que ce soit.

J’ai trouvé une vraie famille, qui m’aimera.

Même si toutes ces possibilités reflètent le sens de la chanson originale, nous avons opté

pour une quatrième proposition :

« Et personne n’y changera quoi que ce soit.

Je me sens enfin chez moi, pour une fois. »

Cette dernière traduction nous semblait un choix plus judicieux, permettant de souligner

l’importance, dans le fil de l’histoire, qu’elle ait trouvé une famille chez les sœurs. Par

I’ll have my sisters, always will.

And with my sisters’ love,

no star above

will shine as bright as me.

And as a sister and a friend,

I’ll be a sister ‘til the end,

and no one on this earth

can change that fact.

I’m part of one terrific

sister act.

car avec elles c’est pour la vie.

Tout l’amour qu’elles répandent

rend bien plus grande

l’étoile que je suis.

Et comme une sœur, main dans la main,

je s’rai leur sœur jusqu’à la fin.

Et personne n’y chang’ra

quoi que ce soit.

Je me sens enfin chez moi,

pour une fois.

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conséquent, le fait de dire qu’« elle se sent enfin chez elle » résume l’idée générale du

concept de famille. De plus, « pour une fois » vient ajouter un élément quelque peu

dramatique à la chanson, qui met l’accent sur ce sentiment nouveau qu’elle ressent pour la

première fois, ce confort d’être enfin aimée.

Finalement, nous avons réussi à garder un sens proche tout prenant de la distance par

rapport au titre de la chanson originale, simplement en résumant l’idée générale de la

chanson. Bien que cette technique se rapproche d’une méthode cibliste favorisant la liberté

de traduction, il est intéressant de constater qu’à certains moments, il nous a été possible de

traduire presque au mot à mot, malgré toutes les autres restrictions (rimes, nombre de

syllabes, etc.) imposées par le texte original.

3.3.2 La structure de phrase

Au cours de nos recherches, nous avons assisté à plusieurs comédies musicales amateur et

nous avons constaté une erreur récurrente qui survient lorsque le traducteur-adaptateur

traduit rapidement une chanson43

: de façon générale, il sera porté à traduire en suivant à la

lettre la structure de phrase de la chanson originale, c’est-à-dire qu’il respectera l’ordre

dans lequel les informations apparaîtront dans la chanson d’origine.

L’exemple suivant est celui qui ressort le plus de nos observations. Prenons, par exemple,

la finale de la chanson « Let Me Come Home » tirée du Chanteur de noces et attardons-

nous aux trois derniers vers44

:

Let me come home to you, baby.

Let me come home.

Let me come home to you, baby.

Let me come home.

Let me come home to you, baby.

Let me come home.

43

Il est emportant de souligner que, dans un contexte de comédie musicale amateur, la vitesse de traduction

n’est pas le seul paramètre en cause : souvent, la personne chargée de traduire s’improvise traducteur alors

qu’elle n’a généralement aucune, voire très peu de connaissances en la matière. 44

Les soulignements, les changements de couleurs du texte, ainsi que la mise en gras que nous avons ajoutés

indique les portions de texte sur lesquelles on veut porter l’attention des lecteurs.

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Oh, let me come…

Oh, let me come…

Let me come home!

La structure de phrase anglophone répète les trois premières syllabes du vers « Let me

come home to you, baby ». Une traduction rapide, sans processus de réflexion, pourrait

nous amener à tomber dans le piège suivant :

Laisse-moi rev’nir à toi, baby.

Laisse-moi rev’nir.

Laisse-moi rev’nir à toi, baby.

Laisse-moi rev’nir.

Laisse-moi rev’nir à toi, baby.

Laisse-moi rev’nir.

Oh, laisse-moi re…

Oh, laisse-moi re…

Laisse-moi rev’nir!45

En désirant faire une traduction la plus fidèle possible et en voulant absolument respecter la

structure de phrase (action découlant d’un désir de traduire au mot à mot), le traducteur se

retrouve dans une situation délicate : il coupe un mot en deux. En effet, la traduction

« Laisse-moi re- » donne une phrase dépourvue de sens qui sera répétée deux fois et elle

crée une césure en plein milieu du mot « revenir », ce qui ne favorise pas une

compréhension optimale des paroles par le public.

Afin d’éviter ces deux erreurs de traduction, qui deviennent aussitôt des erreurs

linguistiques et des erreurs de composition, nous avons opté pour la traduction suivante :

Laisse-moi rev’nir auprès de toi.

Laisse-moi rev’nir.

Laisse-moi rev’nir auprès de toi.

Laisse-moi rev’nir.

Laisse-moi rev’nir auprès de toi.

Laisse-moi rev’nir.

45

Traduction utilisée dans une production amateur de Le chanteur de noces, en 2014.

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Auprès de toi…

Auprès de toi…

Auprès de toi!

En décidant de ne pas respecter la structure de phrase originale, et en choisissant d’utiliser

la dernière partie du vers plutôt que la première, il nous a été possible d’éviter une césure

en plein milieu d’un mot, ce qui permet une meilleure compréhension des paroles. De plus,

ce choix favorise les sonorités, défi que nous aborderons dans les prochaines lignes.

Exemple 1 Comparaison des structures de phrase de la chanson « Let Me Come Home ».

3.3.3 Les expressions idiomatiques

Les expressions idiomatiques, aussi appelées idiotismes, sont des expressions propres à une

langue. Généralement assez imagées, ces expressions prennent parfois la forme de

métaphores. Bien qu’il existe des équivalents francophones pour la majorité des

expressions idiomatiques anglophones, les idiotismes ne peuvent pas se traduire mot à mot

et il arrive que certains d’entre eux soient carrément intraduisibles. La traduction de ces

expressions est alors un des défis les plus difficiles à surmonter pour le traducteur-

adaptateur. Lors de la traduction de nos comédies musicales, nous avons observé deux

difficultés auxquelles nous avons souvent fait face lorsque nous avons croisé des

expressions idiomatiques :

1. Il n’est pas rare de tomber sur un idiotisme qui ne possède pas d’équivalent

francophone.

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2. Souvent, la traduction d’une expression idiomatique nécessite en français beaucoup

plus de mots et de syllabes que l’expression originale en anglais (en traduction de

chansons, cette particularité pose problème, car la traduction est entièrement

contrainte par une restriction rythmique).

Conscient que l’équivalent francophone des expressions idiomatiques anglophones n’a pas

toujours le même nombre de syllabes, le traducteur-adaptateur fait souvent face à un

dilemme : garder le sens original de l’expression (et traduire par un autre idiotisme) en ne

respectant pas nécessairement le nombre de syllabes imposé par le rythme musical original,

ou ne pas tout à fait respecter le sens, mais conserver le nombre de syllabes et le rythme

musical original. C’est ce que nous avons observé lors de la traduction de la chanson

« Pop », extraite de la comédie musicale Le chanteur de noces (2015). Dans cet exemple,

l’expression idiomatique est « Pop the question » et elle possède un équivalent

francophone. En effet, elle peut être traduite par « Faire la grande demande ». Si l’on tentait

de faire une traduction à la manière des sourciers, on voudrait probablement respecter la

signification de « Pop the question ». Alors, on obtiendrait possiblement une version

semblable à celle-là :

Tableau 2 Comparaison des versions anglophone et francophone de la chanson « Pop » (traduction sourcière)

Pop (Version anglophone originale)

Il fera sa demande

(Traduction à la manière des sourciers)

Holly et Angie

He’s gonna pop!

He’s gonna pop!

The question!

Julia

He’ll never pop.

He’ll never pop

the question!

Holly et Angie

Il te fera

Il te fera

Pas sa demande!

Julia

Il n’la f’ra pas.

Il ne f’ra

pas sa demande!

Holly et Angie

So there’s no reason to stop

And question his love.

Oh, pop the question!

Holly et Angie

Tu n’devrais jamais douter

de ses intentions.

Il f’ra sa demande!

Bien que cette traduction respecte le sens de l’expression, ainsi que le nombre de syllabes

imposé par le rythme musical original, elle ne respecte pas la structure de la phrase, qui

voudrait que le mot remplaçant « pop » soit toujours au même endroit, et par le fait même,

on ne respecte pas non plus les rimes entre « pop » et « stop ». Nous avons décidé de

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remplacer l’expression « Pop the question » par « Oui je le veux »46

. Bien qu’au premier

regard, ce choix linguistique semble très éloigné de l’original, il nous semblait plutôt

judicieux. En effet, au final le public comprendra le même message que dans la langue

originale, mais simplement dit d’une autre manière :

• En anglais, on parlera du copain qui fera sûrement sa demande à Julia.

• En français, on parlera de Julia qui aura sûrement l’occasion de dire oui à la

demande de son copain.

Tableau 3 Comparaison des versions anglophone et francophone de la chanson « Pop » (traduction cibliste)

Pop (Version anglophone originale)

Oui

(Notre traduction)

Holly et Angie

He’s gonna pop!

He’s gonna pop!

The question!

Julia

He’ll never pop.

He’ll never pop

the question!

Holly et Angie

Tu diras oui!

Tu diras oui!

« Oui, je le veux! »

Julia

J’aim’rais dire oui.

J’aim’rais tant dire

« Oui, je le veux! »

Holly et Angie

So there’s no reason to stop

And question his love

Oh, pop the question!

Holly et Angie

Tu n’devrais jamais douter

de ses intentions

Dis « Oui, je le veux! »

Dans cet exemple, nous avons eu recours à une traduction par modulation. Avec cette

proposition, le mot « oui » arrive exactement à la même place que « pop ». Grâce à ce

remplacement d’expression, nous arrivons donc à respecter la structure de phrase proposée

en anglais. Cependant, nous n’avons malheureusement pas réussi à sauver la rime entre

« pop » et « stop », et nous avons dû ajouter une note lors du passage de « He’ll never pop

the question » vers « J’aim’rais tant dire oui, je le veux ». Étant donné l’importance de

l’expression, qui est répétée plusieurs fois dans la chanson, il nous semblait moins grave de

sacrifier une seule rime et d’y ajouter une note (précisons que cet ajout n’altère pas la

chantabilité et que toutes les autres rimes de la chanson ont été conservées).

46

Cet exemple réfère à un procédé de traduction vu dans le deuxième chapitre : la traduction par

modulation. C’est une variation dans le message qui implique un changement de point de vue, afin de

favoriser le passage d’une langue à l’autre.

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Lors de l’analyse de nos propres traductions, nous avons constaté que nous adoptions les

comportements de traduction suivants vis-à-vis des expressions idiomatiques : lorsqu’une

expression n’apparaissait qu’une fois dans une chanson et qu’elle ne se traduisait pas

particulièrement bien, soit nous la supprimions, soit nous la remplacions par une autre

expression qui prenait une direction différente (choix cibliste). Cependant, un cas extrême

de traduction d’idiotisme s’est présenté à nous lors de la traduction de Blonde et légale

(2016) dans la chanson « Chip On My Shoulder ». Un problème important s’imposait : la

chanson est entièrement basée sur la signification de cette expression. Il était donc

impossible de la supprimer ou de prendre une direction différente. Il nous a donc fallu

trouver une équivalence pertinente qui serait aussi représentative et imagée que l’originale

(donc, traduire à la manière des sourciers). Comme l’expression fait référence à une image

pour laquelle il n’existe pas d’équivalent francophone, il nous a fallu faire quelques

recherches afin de bien comprendre le sens de l’expression. La définition la plus complète

de cette expression est la suivante : une personne qui a un « Chip on his shoulder » est une

personne constamment fâchée parce qu’elle croit avoir été traitée injustement ou parce

qu’elle a l’impression de ne pas être aussi bonne que les autres47

.

Tableau 4 Comparaison des versions anglophone et francophone de la chanson « Chip On My Shoulder »

Chip On My Shoulder (Version anglophone originale)

There’s a chip on my shoulder,

and it’s big as a boulder.

With the chance I’ve been given,

I’m gonna be driving as hell!

I’m so close I can taste it,

so I’m not gonna waste it.

Yeah, there’s a chip on my shoulder…

You might wanna get one as well.

Une dent contre le monde

(Notre traduction)

J’ai une dent contre le monde

Et j’y pense à chaque seconde

Avec la chance que j’ai eue,

J’dois tout faire pour monter l’échelle

Et ceux qui auront douté

n’auront qu’à me regarder…

Ouais, j’ai une dent contre le monde…

Trouve-toi s’en une n’importe laquelle.

Finalement, on remarque que l’expression choisie a été « J’ai une dent contre le monde ».

Après plusieurs heures de réflexion, cette traduction nous est apparue comme la plus

efficace pour remplacer l’expression idiomatique : elle respecte parfaitement le nombre de

syllabes original et elle représente exactement le sens du texte d’origine. Même si le reste

47

Notre définition de l’expression, à la suite de l’analyse des définitions anglophones trouvées dans différents

dictionnaires.

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de la strophe n’est pas une traduction littérale, nous l’avons adaptée en changeant

légèrement le discours du personnage afin de conserver les rimes, tout en respectant le

message ciblé par la chanson d’origine : notre héros a un passé qui le fâche et c’est ce passé

qui le motive à aller de l’avant.

3.3.4 La rime

Comme nous l’avons observé dans le deuxième chapitre, plusieurs traducteurs ont proposé

des modèles de priorités en traduction de chansons. Il est intéressant de constater que, dans

les trois modèles que nous avons retenus, la rime ne semble jamais être une priorité. Kelly

place la rime en quatrième sur une liste de sept éléments (1992-1993 : 92). Quant à Dyer-

Bennet, il ne parle aucunement de respecter cet aspect (Emmons & Sonntag, 1979 : 292).

Finalement, Low, dans son approche pentathlonienne, considère la rime comme le dernier

des cinq critères de sa liste. Pour lui, s’il existe autant de mauvaises traductions, c’est parce

que les traducteurs ont donné une trop grande priorité à ce critère, en délaissant les autres –

chantabilité, sens, naturel et rythme (2005 : 199).

Lors de la conscientisation de notre propre travail de création, le respect de la rime s’est

avéré un aspect aussi primordial que le respect du sens original de la chanson. En effet, la

rime est la dernière chose que nous acceptions de sacrifier. À nos yeux, elle représente, en

quelque sorte, le squelette de la chanson, au même niveau que les accords, la mélodie et le

rythme musical. Nous sommes consciente que les paroliers ne se basent pas

fondamentalement sur la rime pour écrire leurs chansons. Cependant, en tant que

traductrice qui a le devoir de faire refléter le travail du parolier original, nous croyons qu’il

faut rendre justice à cet aspect de la chanson, considérant que les rimes n’apparaissent pas

par hasard et que leur insertion dans un texte chanté résulte d’un processus de réflexion

important. Nous croyons donc que s’il y a présence de rimes dans une chanson, le

traducteur doit les respecter. Les paroles sont en quelque sorte un poème et c’est dans cette

optique qu’il faut traduire. De plus, les rimes donnent une certaine direction et un certain

rythme à la chanson.

Le travail du traducteur-adaptateur sera inévitablement comparé à l’œuvre originale et c’est

pourquoi nous pensons que ce dernier se doit d’offrir une version qui paraîtra la plus

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familière possible à l’auditeur connaissant la version originale. Prenons par exemple la

chanson « I Could Be That Guy », extraite de la comédie musicale Sister Act (2017).

Tableau 5 Comparaison des versions anglophone et francophone de la chanson « I Could Be That Guy »48

I Could Be That Guy

(Version anglophone originale)

I could be the cock of the walk,

and the talk

of the town.

Leadin’ the pack

when the action goes down!

I could be the dude all in white,

bathed in light

on the floor.

Livin’ out loud

as the crowd shouts for more!

Je serais celui-là

(Notre traduction)

Je devien’drais une vraie légende

en demande

tous les soirs Une vraie idole,

celle que tout l’monde veut voir!

Je serais ce gars tout en blanc, si brillant,

si intense. Du premier pas

jusqu’à la révérence!

On peut observer que la structure des rimes (ou des assonances) est respectée à chaque

couplet dans la version originale. Cela donne un bon indice sur le fait que ces rimes n’ont

pas été placées là par hasard. Elles font donc partie intégrante de la structure de la phrase et

c’est pourquoi nous avons jugé pertinent de respecter leur emplacement. En comparant la

version originale avec notre traduction, on peut remarquer que nous n’avons pas respecté la

signification de chaque vers individuel. En effet, respecter la signification de chaque vers

tout en conservant l’emplacement de chaque rime relève de l’impossible. Cependant, si l’on

choisit de respecter le sens global de la chanson (voire de chaque couplet), il nous est

soudainement possible de respecter la grande majorité des structures de rimes et le sens

original.

Un autre cas intéressant s’est présenté à nous lors de la traduction de Blonde et légale

(2016). Dans la chanson d’ouverture du spectacle, « Oh My God, You Guys », on peut

observer qu’à plusieurs reprises, tout au long de la chanson, une rime en [aız] est présente

dans les refrains49

:

48

Les mots soulignés qui sont d’une même couleur sont les emplacements des rimes à respecter. 49

Précisons que dans cette chanson, chaque fois que le refrain survient, les paroles de ce dernier sont

différentes. Elles évoluent en fonction de l’avancement de l’histoire.

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1. Oh my god, omigod you guys,

Looks like Elle’s gonna win the prize!

If there ever was a perfect couple, this one qualifies,

Omigod you guys!

2. Oh my god, omigod you guys

Fashion crisis to supervise

No one should be left alone to dress and to accessorize.

Ohmigod you guys!

3. Oh my god! Omigod you guys!

All this week I’ve had butterflies:

Ev’ry time he looks at me it’s totally proposal eyes

Omigod you guys!

4. Oh my god! Omigod you guys…

Elle saw right throught that salesgirl’s lies.

I may be in love but I’m not stupid, Lady : I’ve got eyes.

5. Oh my god. Omigod you guys!

This one’s perfect. And it’s just my size!

See? Dreams really do come true. You never have to compromise.

La répétition de cette rime est tellement importante que le fait de traduire cette chanson

sans la respecter pourrait déstabiliser le spectateur. En effet, ayant entendu la rime en [aız]

à chaque refrain, il s’attendra à l’entendre à nouveau lors des prochains refrains. Voyons à

présent de quelle façon nous avons abordé ce défi de traduction :

1. Oh mon Dieu, mon Dieu j’y crois pas!

Très bientôt Elle se mariera!

Jamais on aura vu un couple parfait comme celui-là,

mon Dieu j’y crois pas!

2. Oh mon dieu, mon Dieu j’y crois pas!

Nous devons éviter les dégâts.

Personne ne doit rester seul dans une situation comme celle-là.

Mon Dieu j’y crois pas!

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Afin de respecter la structure de toutes les rimes de la version originale, il nous a fallu

choisir une rime nous offrant assez de possibilités. En effet, plusieurs vers dans la chanson

d’ouverture terminent avec la rime [aız]; cependant, la chanson finale du spectacle reprend

le même thème, mais avec des propos différents qui riment encore en [aız]. Le choix de la

rime en [ɑ] nous semblait judicieux, car il nous offrait de nombreuses possibilités. Encore

une fois, on peut remarquer que notre traduction respecte le sens global de chaque refrain,

non le sens de chaque vers individuel. Le choix de prioriser le respect de la rime nous

oblige donc à sacrifier un peu l’exactitude du sens dans la traduction.

Pour terminer, nous avons constaté que nous priorisons la rime au même titre que le sens

lors de la traduction des chansons. Nous avons aussi observé que l’on négligera une rime,

ou on la déplacera, seulement si cette rime ne se trouve pas au beau milieu d’un vers et que

le fait de la respecter ne nous oblige pas à sacrifier plusieurs critères (la structure de phrase,

le sens, le rythme original, etc.) Par exemple, dans la chanson « The Life I Never Led »

extraite de Sister Act (2017), une structure de rimes à respecter s’imposait. Cependant,

parce que chaque vers était relativement court, il nous a été impossible de placer la

troisième rime exactement au même endroit dans le vers :

Tableau 6 Comparaison des versions anglophone et francophone de la chanson « The Life I Never Led »

The Life I Never Led

(Version anglophone originale)

I’ve never let go

and gone with the flow,

and don’t even know, really, why.

I’ve never rebelled,

or stood up and yelled,

or even just held my head high.

Cette vie dont j’ai rêvé

(Notre traduction)

J’n’ai jamais laissé

Le vent me porter,

C’est drôle mais je n’sais pas pourquoi

Je n’suis pas de celles

Qui jouent les rebelles,

Déployer mes ailes, je n’sais pas.

Dans cet exemple, on observe que la rime du troisième vers se trouve sur la cinquième

syllabe dans la chanson originale. Dans le premier couplet de notre traduction, il nous a été

impossible de traduire en obtenant des rimes riches. Alors que « laissé » et « porter »

devrait rimer avec un troisième mot rimant en [e], nous avons opté pour un mot rimant

en [ɛ]. Cependant, en modifiant légèrement la prononciation du mot « sais » [sɛ] par [se],

l’auditeur entendra les trois rimes, même si à l’écrit il n’y en a que deux.

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Finalement, voyons un exemple dans lequel nous avons dû déplacer une rime (toujours

dans la même chanson, avec la même forme de couplet) :

Tableau 7 Comparaison des versions anglophone et francophone de la chanson « The Life I Never Led »

(exemple de rime déplacée)

The Life I Never Led

(Version anglophone originale)

To stand up and say

"I’m seizing the day"

To not just obey, but to choose.

Cette vie dont j’ai rêvé

(Notre traduction)

Et enfin crier : « Laissez-moi passer! »

Pas juste obéir, mais choisir.

Dans ce dernier exemple, on remarque que la triple rime du couplet n’est pas respectée. En

effet, nous avons préféré déplacer la rime étant donné que les propos de ce couplet sont

primordiaux à la bonne compréhension de la suite de l’histoire. Au lieu que la cinquième

syllabe du troisième vers rime avec les deux premiers vers, nous l’avons fait rimer avec le

dernier mot du troisième vers.

Bien que ces quelques exemples démontrent des possibilités permettant de garder les rimes

présentes après la traduction, il existe certainement plusieurs autres méthodes et solutions

permettant de tenir compte de ce paramètre lors de la traduction. Nous avons pu observer, à

la lumière de notre expérience personnelle, que notre réflexe est de prioriser la rime

apparaissant en fin de phrase. Quant aux rimes apparaissant au milieu d’un vers, lorsque

nous ne n’arrivons pas à les conserver, nous les adaptons, les déplaçons, ou, à l’extrême,

nous les supprimons. Cela dit, à l’aide de ces exemples, nous désirions simplement

démontrer que la créativité du traducteur-adaptateur est mise à l’œuvre (et à l’épreuve)

lorsqu’il s’agit de respecter ses propres convictions (considérant que le respect de la rime

est un choix artistique propre à chaque traducteur-adaptateur).

3.3.5 La chanson logocentrique

Comme nous l’avons vu dans le troisième chapitre, la chanson logocentrique en comédie

musicale pourrait être comparée au récitatif de l’opéra. Elle est basée sur un discours ou un

dialogue exprimé à travers la musique et peut être composée sous la forme couplet-refrain

ou sous une forme plus complexe évoluant en fonction de la mise en scène. Le défi de

traduction dans ce type de chanson est que le fil temporel du récit n’est pas interrompu

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durant la chanson, de sorte qu’elle se passe en temps réel. Étant donné que les paroles

comportent de nombreuses informations nécessaires à la compréhension de l’histoire, cet

aspect augmente le niveau de difficulté de sa traduction.

En effet, comme les informations dévoilées pendant la chanson ne sont pas nécessairement

répétées durant les dialogues qui précèdent ou qui suivent la chanson, la contrainte

sémantico-narrative est importante pour le traducteur-adaptateur de comédie musicale.

Nous avons constaté qu’il est possible de traduire aussi librement dans une chanson

logocentrique que dans une chanson musicocentrique. Cependant, une fois la traduction

achevée, la charge informative doit être aussi complète que dans l’original. Le message à

passer offre donc moins de possibilités de traduction que celui d’une chanson

musicocentrique, compte tenu du discours à respecter.

Prenons par exemple la chanson « What You Want », tirée de la comédie musicale Blonde

et légale (2016). Ce numéro musical est l’un des plus longs de la pièce (environ une dizaine

de minutes). Le numéro commence alors qu’Elle Woods, jeune californienne bien nantie et

peu studieuse, réalise que pour regagner le cœur de Warner, l’homme qui l’a quittée, elle

devra être admise (elle aussi) à l’école de droit d’Harvard en vue d’impressionner Warner,

grâce à son QI élevé. Elle Woods est toutefois ramenée à la réalité par l’une de ses amies

qui l’informe qu’elle devra travailler dur pour être admise dans cette prestigieuse

université. Elle Woods rend ensuite visite à ses parents et elle les convainc de payer ses

études à Harvard. Alors qu’elle s’investit considérablement en vue d’améliorer ses résultats

scolaires, la tentation de s’amuser et de laisser l’école de côté se fait de plus en plus

ressentir. Cependant, elle résiste et ses efforts sont récompensés : elle obtient un résultat

satisfaisant lui permettant d’envoyer sa candidature à Harvard. Ceci fait, elle se présente au

bureau des admissions d’Harvard accompagnée de l’équipe des meneuses de claque de

Californie afin de prouver au jury, qui hésitait malgré tout à l’admettre, qu’elle a toutes les

compétences requises pour être admise à l’école de droit. C’est ainsi qu’Elle Woods est

finalement acceptée à Harvard.

On observe que l’ensemble de ces évènements survient au sein d’une seule et même

chanson. Les propos originaux doivent donc être le plus possible conservés afin que le

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spectateur puisse suivre le fil de l’histoire. Par conséquent, le traducteur doit respecter la

chanson originale. Observons le couplet où les parents d’Elle Woods tentent de comprendre

pourquoi leur fille désire quitter la Californie pour aller étudier à Boston :

Tableau 8 Comparaison des versions anglophone et francophone de la chanson « What You Want »

What You Want

(Version anglophone originale)

Père d’Elle

What you want, button,

hey, you just say the words,

but what you want’s absurd,

and costs a whole lot of swag.

And hell why? Button,

when you can stay right here,

pursue a film career?

Mère d’Elle

How ‘bout a nice Birkin bag?

Père d’Elle

Yes, the east coast is foreign:

there’s no film studios.

It’s cold and dark,

no valet parking,

all the girls have diff’rent noses!

Christ! Button, it’s like the damn frontier!

Parents d’Elle

Tell me what’s out there that you

can’t get right here?

C’que tu veux

(Notre traduction)

Père d’Elle

C’que tu veux, poussin,

oui tout ça me perturbe.

C’que tu veux est absurde

et ça nous coût’ra un bras

Et pourquoi? Poussin,

quand tu peux vivre ici,

avec la bourgeoisie?

Mère d’Elle

Que dis-tu d’un sac Prada?

Père d’Elle

Oui, la Côte Est est ennuyante,

il n’y a rien d’amusant.

Il y fait froid

Tu n’aim’ras pas…

Toutes les filles ont un nez différent!

Poussin, tu vas gâcher ta vie!

Parents d’Elle

Dis-moi, qu’y a-t-il là que tu

n’as pas ici?

On peut remarquer dans cette chanson que le père d’Elle tient un discours où il tente de la

dissuader d’aller à Harvard. Bien que chacun des vers individuels ne soit pas nécessaire à la

compréhension de l’évolution de l’histoire, c’est sa globalité qui est importante à respecter.

On remarque dans cet exemple que nous avons respecté les vers qui nous semblaient être

les plus nécessaires à la bonne compréhension de l’histoire, tout en conservant chacune des

rimes. Cependant, comme les paroles n’ont rien de poétique et qu’elles ont une fonction

informative, le traducteur est donc restreint face à la liberté qu’il peut prendre.

Observons un autre couplet de cette même chanson :

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67

Tableau 9 Comparaison des versions anglophone et francophone de la chanson « What You Want » (suite)

What You Want

(Version anglophone originale)

What you want, sweetheart,

is no easy thing.

If you’re going to swing it,

it will wreck your senior spring.

Yeah, it’s true :

First you’ll need an LSAT score

of more than one seventy four,

so no more parties for you.

C’que tu veux

(Notre traduction)

C’que tu veux, n’a rien

d’une tâche facile’.

Si tu vises le mille,

oublie les vacances d’avril.

Il faudra

obtenir la note d’au moins

cent-soixante-dix à l’examen:

la fête c’est fini pour toi.

Dans ce couplet, plusieurs informations doivent absolument être présentes dans la

traduction, car on y fait référence plus tard dans la même chanson. Par exemple, « it will

wreck your senior spring » fait référence à un couplet plus loin où tous les étudiants de

l’Université de Los Angeles profitent pleinement de leurs vacances d’avril pour faire la

fête, alors qu’Elle Woods doit résister à la tentation et reste enfermée chez elle à étudier

pour réussir ses tests d’admissions. « First you’ll need an LSAT score of more than one

seventy four », fait aussi référence à la finale de la chanson, où Elle Woods dépasse d’un

point le résultat minimum à atteindre, lui permettant d’envoyer sa candidature à Harvard.

Même si nous avons dû modifier le résultat dans la version francophone afin de respecter le

nombre de syllabes de la phrase, ce changement n’altère pas la compréhension de l’histoire.

Le seul aspect important à respecter dans ce vers était de mentionner un résultat minimum à

atteindre.

En conclusion, il est primordial pour le traducteur-adaptateur de bien identifier les

informations à conserver dans une chanson logocentrique, après quoi il pourra décider s’il

traduira le plus fidèlement possible, ou s’il se permettra une certaine flexibilité en fonction

des aspects qu’il choisira de prioriser lors de sa traduction.

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68

3.4 Les défis extralinguistiques

Au-delà des aspects linguistiques, d’autres aspects musicaux, théâtraux, sociaux et culturels

s’imposent.

3.4.1 La restriction des syllabes et du rythme musical

Comme nous l’avons observé dans le deuxième chapitre, certains traducteurs proposent des

modèles de priorités à respecter lors de la traduction de chansons. Le traductologue Kelly

propose un modèle (1992-1993 : 92) où la priorité est le respect du rythme de la chanson

originale, considérant que c’est une obligation du traducteur envers le parolier original.

Cependant, rappelons que Graham a remis en question la pertinence de cette restriction en

posant la question rhétorique suivante : « Don’t composers make such changes in setting

strophic songs?50

» (1989 : 34).

Lors de la traduction de notre première comédie musicale, Le chanteur de noces (2015), qui

a eu lieu bien avant d’entamer nos recherches sur la traduction de chansons de comédies

musicales, nous hésitions à ajouter des notes et à en supprimer lorsque l’on n’arrivait pas à

traduire en respectant le rythme musical et le nombre de syllabes. Il nous semblait, d’une

certaine manière, irrespectueux d’agir ainsi, et cela nous donnait l’impression de ne pas

respecter le travail du parolier. Nous avions aussi l’impression que ce geste pourrait rendre

le public réticent à l’égard de notre traduction51

. Cependant, après avoir analysé les

chansons de cette comédie musicale, nous avons pu observer que le parolier effectuait lui

aussi certaines modifications rythmiques dans ses propres chansons. En effet, il arrivait à

plusieurs reprises que les différents couplets d’une même chanson n’aient pas de

correspondance métrique entre eux. Prenons, par exemple, la chanson « Someday » extraite

de The Wedding Singer (2006).

50

Les compositeurs (paroliers) n’effectuent-ils pas eux-mêmes des changements dans l’arrangement

strophique de leurs chansons? (Notre traduction) 51

Considérons ici le public comme un fin connaisseur des chansons originales de la comédie musicale

en question.

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Exemple 2 Comparaison de la structure rythmique et mélodique des couplets 2 et 3 de la chanson

« Someday »

Si l’on compare les couplets 2 et 3, qui ont exactement la même progression harmonique et

qui se situent avant le pré-refrain de la chanson, on peut observer que le rythme n’est pas

exactement respecté d’un couplet à l’autre. On comprend que la ligne mélodique reste la

même, cependant que le rythme musical est adapté en fonction des paroles à insérer. Ainsi,

le parolier se permet une certaine liberté rythmique afin de favoriser la chantabilité du

texte, principalement dans le but de faire correspondre les accents toniques de la langue

d’arrivée avec les accents musicaux et donc, avec ceux de la langue d’origine.

Sachant que le parolier :

Se permet une certaine liberté rythmique, variable selon les couplets,

Qu’il le fait afin de favoriser une bonne chantabilité, laquelle permet aussi une

meilleure compréhension du texte,

Et que, nonobstant ces petites modifications rythmiques, il respecte le contour

mélodique d’origine,

le traducteur-adaptateur ne pourrait-il pas à son tour se permettre de modifier le rythme

musical, à condition que cette modification lui permette de maximiser la chantabilité de la

chanson ainsi que la compréhension du texte? Pour l’avoir nous-même expérimenté au

cours des dernières années, nous nous sommes aperçue que le fait d’ajouter ou de

supprimer une note (voire simplement d’inverser certaines valeurs rythmiques) afin de nous

permettre de respecter le sens de la phrase originale ne déstabilise pas l’auditeur qui connaît

la chanson d’origine. Cette modification nous permet en fait d’adapter la chanson à un

contexte francophone où la prosodie n’est pas identique à celle de la langue d’origine.

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Appliquons maintenant les trois points identifiés plus haut à la traduction du deuxième

couplet de la chanson « Someday » :

Exemple 3 Comparaison de la structure rythmique et mélodique dans les versions anglophone et francophone

de la chanson « Someday »

Afin d’obtenir une traduction dont le sens était proche de la chanson originale, il a été

nécessaire d’ajouter une note sur le quatrième temps de la première mesure de cet extrait.

En effet, la traduction que nous avions retenue comportait une syllabe de plus que la

version anglophone. Chaque décision de traduction prise par le traducteur-adaptateur

comporte son lot de gains, mais aussi de pertes, par un jeu normal de compensation. En

effet, dans cet exemple, afin de conserver le sens original, nous avons dû ajouter une note.

Cependant, en faisant ce choix, nous avons été contrainte de sacrifier l’exactitude

rythmique pour conserver le sens. On peut aussi remarquer que dans la troisième mesure, le

rythme a dû être légèrement modifié afin de satisfaire à la prosodie de la langue française.

Dans certaines de nos traductions, il arrivait que nous ne puissions pas respecter

entièrement les règles de prosodie et d’accentuation de la langue française. Lorsqu’on a

affaire à une mélodie dont les accents originaux sont placés sur les notes les plus hautes de

la ligne mélodique et que les accents toniques des mots choisis en français n’arrivent pas

sur celles-ci, nous y remédions en accentuant la bonne syllabe. C’est ici que notre double

rôle de traductrice et de directrice artistique et vocale nous avantage : la simple traduction

sur papier peut sembler fautive, cependant, lorsqu’elle est interprétée avec un accent ajouté

au bon endroit, on arrive à pallier ce manque.

Contrairement à ce qui se produit pour une comédie musicale présentée sur grand écran,

rien n’oblige le traducteur de comédie musicale à respecter le nombre de syllabes de la

chanson originale. En effet, au cinéma, le traducteur est obligé de respecter les syllabes et le

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rythme pour que ceux-ci suivent le comédien qui, à l’écran, bouge ses lèvres en fonction du

texte original. Le défi de traduction dans ce contexte est alors beaucoup plus grand et le

traducteur doit faire des choix, voire des sacrifices, principalement en ce qui a trait au

respect du sens original.

Comme nous le montre l’exemple précédent, la restriction des syllabes et du rythme ne

signifie pas qu’il faut obligatoirement ajouter ou supprimer une note. Au contraire, il arrive

dans quelques situations que l’on doive modifier légèrement les valeurs rythmiques des

notes. C’est le cas notamment de la chanson « Casualty of Love » extraite de The Wedding

Singer (2006), au point d’orgue plus particulièrement :

Exemple 4 Restriction des syllabes dans la chanson « Casualty of Love »

Dans cet exemple, nous proposons la traduction suivante : « Une victime de l’amour ». À

première vue, cela semble être une traduction intéressante, car c’est une traduction littérale,

dont le sens est donc entièrement respecté. De plus, la traduction comporte le même

nombre de syllabes que dans la version originale anglophone. Théoriquement, cette

traduction répond donc à tous les critères pour être une traduction fidèle. Cependant, en

pratique, elle l’est beaucoup moins : si l’on chante exactement le rythme de la version

anglophone avec les paroles en français, on rencontre un problème important, car on se

retrouve à faire une césure en plein milieu d’un mot, ce qui vient brouiller la bonne

compréhension du texte. Malheureusement, le mot love n’a pas d’équivalent francophone à

une syllabe, ce qui contraint le traducteur-adaptateur à trouver une autre solution. Voici

comment nous avons tenu compte de la restriction des syllabes :

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Exemple 5 Comparaison des versions anglophone et francophone de la chanson « Casualty of Love »

En nous permettant de modifier légèrement le rythme, sans toutefois modifier la mélodie ou

les notes, on obtient un résultat très compréhensible qui ne dénature pas la version

originale. Nous avons donc changé quelque peu la valeur de la note ré et déplacé le point

d’orgue sur un autre mot, ce qui a pour effet de faire disparaître la césure que l’on obtenait

en respectant la version anglophone. Précisons que si nous nous sommes permis de faire ce

changement dans la partition, c’est que le style musical nous y invitait.

3.4.2 Les sonorités

Lors du processus d’écriture d’une chanson, plusieurs facteurs entrent en jeu et influencent

le choix des paroles. Le choix des sonorités est l’un de ceux avec lesquels le parolier, ainsi

que le traducteur-adaptateur de chansons de comédies musicales, doit jongler. En effet, bien

que le traducteur-adaptateur désire traduire en respectant le plus possible le sens original du

texte, il devra parfois adapter certains passages en raison de la sonorité imposée par une

traduction littérale. Le choix des voyelles pour les notes aiguës ou finales devrait être une

préoccupation constante lors de la traduction. Comme cette dernière a pour but d’être

interprétée par un chanteur, le traducteur doit donc prendre en considération qu’une

certaine chantabilité est de mise.

La « chantabilité » dépend donc à la fois de phénomènes physiologiques et

articulatoires, mais également de paramètres musicaux : la prononciation du texte

chanté peut être en soi difficile, mais cette difficulté est accrue en raison de

l’expressivité qu’il doit exprimer. La traduction d’un texte chanté dépend donc de la

prise en compte de ces deux types de facteurs. (Hirsch, 2011 : 64)

En effet, une traduction peut sembler parfaite à l’écrit, mais une fois chantée, on observe

que certains mots ne se s’exécutent pas bien, en raison du registre dans lequel ils sont

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chantés : « If the singer is in the highest or lowest part of his or her range, care must be

taken in the choice of vowels and consonants or the words will be physically impossible to

sing. » (Apter et Herman, 1991 : 102)52

Il faut donc donner une chance aux chanteurs en procédant à des choix logiques. C’est ici

que la notion d’adaptation intervient. L’adaptateur joue ici un rôle très important : il doit

adapter le texte afin de le rendre facilement chantable. Il est important que le traducteur-

adaptateur considère la hauteur de la note et la capacité générale de la voix à prononcer

telle ou telle voyelle sur la note en question : si le [a] est aisément chantable sur une note

très haute, faire le choix de le remplacer par un [i] dans la traduction compliquera

l’émission du son, ce qui rendra le texte moins intelligible et compréhensible.

Reprenons l’exemple utilisé dans la section concernant la structure de phrase.

Exemple 6 Comparaison des versions anglophone et francophone de la chanson « Let Me Come »

Comme nous l’avons montré précédemment, le choix de la traduction « Auprès de toi »

plutôt que « Laisse-moi rev’nir » nous permettait d’éviter la répétition de la strophe

« Laisse-moi re- ». Cependant, notre choix de traduction a été grandement influencé par la

sonorité. En effet, comme la chanson se termine sur une note relativement aiguë, le choix

de la syllabe [iːʁ] comme note finale ne nous semblait pas judicieux (la position de la

bouche étant plutôt fermée, cela risquerait d’affecter la chantabilité de cette phrase). Nous

52

Il faut choisir soigneusement les voyelles et les consonnes des mots devant être chantés dans la

partie aiguë ou grave du registre de l’interprète, à défaut de quoi il risque de ne pas être physiquement

capable de les prononcer. (Notre traduction)

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avons donc opté pour un mot finissant sur une voyelle ouverte : même si l’on ne respecte

pas la structure de phrase imposée par la version anglophone (qui voudrait que l’on utilise

le début du vers plutôt que sa fin), ce choix favorise une sonorité avantageuse pour

l’interprète. En effet, la sonorité [twa] (en [a]), permet une position de la bouche très

ouverte, ce qui rend l’émission de note aiguë plus accessible.

Ce cas nous illustre bien le niveau d’adaptation nécessaire pour traduire en parvenant à

respecter simultanément le sens des paroles et leur chantabilité. Afin d’éviter des erreurs de

choix de sonorités, le traducteur-adaptateur de comédie musicale devrait donc être

constamment conscient de cet enjeu afin d’adapter ses paroles au fur et à mesure qu’il les

écrit. Chanter soi-même ses traductions est aussi un bon moyen de pouvoir vérifier leur

chantabilité.

3.4.3 La chanson connue ou le respect de la sonorité d’origine

Il est toujours délicat de traduire des chansons connues, surtout lorsqu’il s’agit de

classiques incontournables. Le public a souvent de plus grandes attentes et est plus prompt

à critiquer les traductions de chansons connues. De fait, il arrive fréquemment que des

chansons bien connues du public soient intégrées dans des comédies musicales. L’exemple

le plus marquant est la comédie musicale Mamma Mia (2002). Ce spectacle rassemble les

plus grands succès du groupe ABBA, autour desquels un fil narratif a par la suite été écrit.

Bien qu’à première vue il semble impensable de traduire ces chansons, l’exercice a été

réalisé à maintes reprises dans plus de quinze langues. Comme il n’est pas question ici de

dire si ces chansons doivent ou ne doivent pas être traduites, mentionnons simplement que

les avis sur la question sont partagés53

. Alors que certains sont heureux de voir des

comédies musicales présentées dans la langue du public qui y assiste, d’autres jugent que la

traduction de chansons aussi connues que celles d’ABBA les dénature.

Au-delà de ces opinions, la pratique de la traduction de chansons connues en comédies

musicales est chose courante. Le traducteur-adaptateur Nicolas Nebot, réputé pour ses

traductions de Mamma Mia! (2010), de Sister Act (2012) et du Bal des vampires (2014),

53

Plusieurs commentaires ont été émis à la suite d’un article concernant la viabilité des adaptations

francophones de comédie musicale. On peut y observer que les opinions sont partagées :

http://www.musicalavenue.fr/Dossiers-Dossier-thematique-Adaptation/

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mentionnait, lors d’une entrevue sous forme de questions/réponses par le biais des médias

sociaux, qu’il existe divers types d’adaptations54

:

Il y a trois types d’adaptation. Il y a celles qui sont assez proches textuellement de

l’original, il y a les adaptations qui sont proches des sonorités et enfin, il y a les

adaptations libres.55

Nebot a traduit en 2014 la comédie musicale Le bal des vampires. La chanson thème du

spectacle est basée sur la chanson « Total Eclipse of the Heart », un succès bien connu des

années 1980, écrit par Jim Steinman. Dans le but probable d’offrir des repères sonores au

public, les traducteurs s’attaquant aux chansons connues traduiront souvent en conservant

des sonorités d’origine. Dans son entrevue, Nicolas Nebot expliquait qu’il avait désiré

garder une sonorité originale dans le refrain. Observons ce refrain :

Tableau 10 Comparaison des versions anglophone, francophone et germanophone de la chanson « Total

Eclipse of the Heart »

Total Eclipse of the Heart

(Version anglophone originale)

Turn around,

this is the night

Now i need you

more than ever

And if you’ll only

hold me tight

We’ll be holding

on forever

And we’ll only be

making it right

Cause we’ll never be wrong.

Cette nuit restera éternelle

(Traduction de Nicolas Nebot)

Je t’attends

c’est le grand soir,

pour les vrais comme

les faux rêveurs.

On écrira

notre histoire

à l’encre rouge de

nos deux cœurs.

Avec moi tu trouveras

dans le noir

qu’il y fait bien meilleur!

Totale Finsternis

(Traduction allemande)

Sich verlieren

heißt sich befrei’n.

Du wirst dich in

mir erkennen.

Was du erträumst wird

Wahrheit sein.

Nichts und niemand

kann uns trennen.

Tauch mit mir in

die Dunkelheit ein!

Zwischen Abgrund und Schein.

En effet, Nicolas Nebot désirait garder une sonorité familière du refrain original. Il a donc

transformé (et déplacé) le mot « forever » en « faux rêveurs ». Dans cet extrait, il est

intéressant de voir que la traduction francophone est plutôt éloignée de l’original

anglophone. Cependant, on peut constater que la traduction « Avec moi tu trouveras dans le

noir » est probablement inspirée de la version allemande « Tauch mit mir in die Dunkelheit

54

https://www.facebook.com/LeBaldesVampires/photos/?tab=album&album_id=257117784483763 55

Entrevue donnée par Nicolas Nebot via les médias sociaux :

https://www.facebook.com/LeBaldesVampires/photos/?tab=album&album_id=257117784483763

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76

ein!56

». À l’écoute, plus il y aura de sonorités familières, plus l’auditeur pourra se sentir en

terrain connu et ainsi apprécier davantage la traduction.

Nebot a aussi utilisé ce principe dans ses traductions pour la comédie musicale Mamma

Mia! (2010). Dans le refrain de la chanson-titre, on peut remarquer que la sonorité d’origine

est encore présente :

Tableau 11 Comparaison des versions anglophone et francophone de la chanson « Mamma Mia! »

Mamma Mia!

(Version anglophone originale)

Mamma mia, here I go again.

My, my, how can I resist you?

Mamma mia, does it show again?

My, my, just how much I’ve missed you.

Mamma Mia!

(Traduction française de Nicolas Nebot)

Mamma mia, c’est la même rengaine.

Non, non, je n’peux pas résister.

Mamma mia, toute bataille est vaine.

Non, non, je n’peux pas t’oublier.

Une autre chanson où ce principe de traduction apparaît dans le refrain et où il est

particulièrement bien respecté est la suivante :

Tableau 12 Comparaison des versions anglophone et francophone de la chanson « Knowing Me, Knowing

You »

Knowing Me, Knowing You

(Version anglophone originale)

Knowing me,

knowing you

It’s the best I can do.

Qui je suis, qui sommes-nous

(Traduction française de Nicolas Nebot)

Qui je suis,

qui sommes-nous?

Deux étrangers c’est tout.

On peut observer dans cet exemple que Nicolas Nebot a respecté la sonorité des trois vers

principaux du refrain, de même que la rime présente dans la version originale. Cependant,

le sens a dû être adapté. C’est ici que l’on peut observer les limites de la traduction. En

effet, en décidant de conserver les sonorités d’origines afin de rendre la traduction

familière, ainsi que les rimes, le traducteur a dû sacrifier le sens le sens original des paroles

en les adaptant57

. On observe aussi qu’afin de réaliser cet exercice, il lui a fallu adapter la

56

Plonge avec moi dans la noirceur. (Notre traduction) 57

Notons qu’en général, Nicolas Nebot a traduit Mamma Mia (2010) en réussissant de façon

exemplaire à respecter le sens original des paroles. Cependant, comme dans cet exemple, sa priorité

n’est pas constamment le respect du sens original.

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structure de phrase interrogative. Bien que le sens de la traduction française soit plutôt

éloigné de l’original58

, il aurait été plus naturel d’écrire « Qui suis-je et qui sommes-

nous? ». Cependant, comme dans cet exemple, la priorité étant la sonorité, il en a été

autrement.

Dans notre propre travail de traduction, il nous est arrivé à deux reprises de devoir traduire

des chansons connues du grand public. Dans la comédie musicale Le chanteur de

noces (2015), on retrouve les chansons « Somebody Kill Me Please » ainsi que « Grow Old

With You », qui apparaissaient aussi dans le film original de 1998. Dans les versions

francophones de ce film, ces deux chansons étaient conservées en anglais. Comme notre

spectacle en entier allait être présenté en français, il nous a fallu traduire aussi ces deux

chansons. Attardons-nous à « Somebody Kill Me Please » :

Exemple 7 Comparaison des versions anglophone et francophone de la chanson « Somebody Kill Me

Please »

Afin de favoriser la compréhension du texte de la version francophone et afin de la rendre

plus naturelle et plus agréable à écouter, nous avons effectué une légère inversion

rythmique dans la phrase. Le levé commence donc avec deux croches plutôt qu’une noire.

Cependant, on y retrouve encore le même nombre de syllabes, et l’esprit général de la

chanson est respecté. De plus, le sens original est conservé. Contrairement aux traductions

de Nebot, celle-ci ne conserve aucunement les sonorités d’origine. Nous avons préféré

conserver le message orignal de la chanson, ce qui aurait été impossible à conserver avec

une traduction proche de la sonorité d’origine. Malgré tout, notre traduction a bien été reçue

58

Les paroles de la chanson originale signifient « Me connaissant et te connaissant, c’est le mieux que l’on

puisse faire ». L’auteur de la traduction française a probablement choisi d’ouvrir sur un autre pan sémantique

afin de pouvoir respecter les sonorités d’origines.

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par le public. Il faut dire que cette chanson a principalement une fonction humoristique.

Plusieurs aspects extralinguistiques (la mise en scène, le jeu d’acteur et l’interprétation –

nous y reviendrons) ont donc permis au public de rire lors de l’exécution. Notre traduction

remplissait donc sa fonction principale.

Ajoutons qu’il n’est pas rare que les traducteurs décident de conserver dans la langue

d’origine les chansons les plus connues du public. Dans la comédie musicale Grease

(2015), traduite par Yves Morin, bien que les dialogues soient en français, seule la moitié

des chansons est traduite. Les chansons les plus connues, telles que « You’re the One That I

Want », « We Go Together », « Hopelessly Devoted To You » et quelques autres, sont

interprétées dans leur version originale anglaise. Ce choix ne découle pas uniquement que

de l’emprise décisionnelle du traducteur, car il est fort probable que la décision de ne pas

traduire les chansons bien connues du public soit en lien avec la critique journalistique, que

les producteurs souhaitent ne pas subir, ou éviter.

Le respect de la sonorité d’origine ne s’applique pas uniquement lorsqu’un traducteur

travaille sur une chanson connue. Il s’agit d’un type de traduction qui s’applique à toutes

les chansons, bien qu’il soit particulièrement utilisé avec les chansons connues.

Tableau 13 Comparaison des versions anglophone et francophones de la chanson « Sister Act »

Sister Act

(Version anglophone originale)

And nothing’s ever

gonna change that fact.

I’m part of one terrific

sister act.

Sister Act

(Traduction de Nicolas Nebot)

Et personne ne pourra

briser ce pacte.

Moi j’appellerai cette famille

sister act.

Pour une fois

(Notre traduction)

Et personne n’y changera

quoi que ce soit.

Je me sens enfin chez moi,

pour une fois.

Dans cet exemple, Nebot a choisi de conserver la sonorité d’origine. Bien qu’aucune

explication n’ait été donnée à ce sujet par le traducteur, quelques hypothèses sont toutefois

possibles. Tout d’abord, à l’origine, la version française du film avait conservé l’appellation

« Sister Act », bien qu’il s’agisse d’un emprunt intégral à l’anglais, et en dépit du fait qu’à

aucun moment dans la traduction française il ne soit fait référence à cette expression. Pour

le public français, il aurait probablement été inconcevable que la comédie musicale porte un

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titre différent du film. De plus, il est important de savoir qu’en comédie musicale, il est

fréquent d’entendre le titre du spectacle mentionné dans les paroles d’une chanson59

. Pour

toutes ses raisons, le traducteur a possiblement choisi de conserver l’appellation d’origine

anglophone. Une autre hypothèse pourrait être que Nébot désirait conserver la sonorité

d’origine. En effet, nous l’avons vu précédemment, ce traducteur utilise régulièrement

l’adaptation proche des sonorités d’origine. Comme les rimes avec le mot « fact » sont peu

nombreuses, cela rend la sonorité particulière à l’oreille. Effectivement, dans la chanson

populaire, on entend souvent des vers se terminant par des sonorités en [a], [e], [t], ou en

[bl], car elles offrent une grande variété de choix de mot. Cependant, ce n’est pas le cas de

la rime avec « fact », ce qui la rend notamment distinguable et particulière à cette chanson.

C’est peut-être une autre raison pour laquelle Nébot a décidé de la conserver. Cependant, si

l’on porte un regard critique vis-à-vis de cette traduction, on peut y observer un problème :

à aucun moment dans le spectacle, le personnage ne se trouve à faire un pacte. Or, ici, on se

retrouve devant une traduction où la rime a été priorisée, au détriment du sens, lequel est à

la limite de la logique.

On peut conclure que le respect de la sonorité d’origine n’est pas un gage de réussite en

traduction de chansons connues du grand public. Il s’agit plutôt un choix personnel de la

part du traducteur-adaptateur. Pour certains, c’est un défi à relever au même titre que de

respecter les rimes. Pour d’autres, cet aspect n’est pas important et n’influence pas le

résultat de leur traduction.

3.4.4 La mise en scène imposée

Bien que le traducteur puisse s’autoriser une certaine liberté, il se doit de ne jamais mettre

de côté un aspect important de la comédie musicale : la mise en scène. En effet, lorsque

l’on traduit uniquement un texte destiné à être seulement lu, on peut se permettre d’adapter

certains éléments, voire de les supprimer et de les remplacer par d’autres éléments.

Cependant, en traduisant une comédie musicale, on doit toujours garder à l’esprit que sa

traduction ne doit pas modifier la mise en scène. Effectivement, certaines actions menées

59

Bien que ce ne soit pas un principe obligatoire, dans plusieurs comédies musicales, le titre du

spectacle est effectivement mentionné dans les paroles. En voici quelques exemples : 9 to 5, Legally

Blonde, Sister Act, The Beauty and the Beast, Annie, Cabaret, The Phantom of the Opera, Footloose,

Mamma Mia, Rent, Wicked.

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80

par les personnages sont justifiées par les dialogues, et certaines chorégraphies sont basées

sur les paroles des chansons.

Dans Blonde et légale, lors de la chanson « What you want », le personnage principal lance

« aléatoirement » quelques mots et expressions tirés du langage juridique. Bien que l’on

puisse croire qu’au moment de traduire, le traducteur est libre de choisir le vocabulaire sans

être obligé de faire une traduction mot à mot, la chorégraphie qui suit l’expression « May I

approach? » est basée sur le fait que le personnage principal et les danseurs qui

l’accompagnent forment progressivement une masse dansante qui s’approche, un peu à la

manière d’un avocat qui approcherait un juge. Dans cet exemple, si le traducteur n’est pas

au courant de la chorégraphie exécutée à cet instant dans la pièce, il pourrait faire l’erreur

de traduire librement sans se rendre compte que la mise en scène impose des contraintes de

traduction supplémentaires. Quelle place occupe alors le traducteur par rapport à l’équipe

chargée de la mise en scène? Le traducteur devrait pouvoir s’intégrer au processus de mise

en scène. Il doit tenir compte des choix artistiques de l’équipe de production, qui

comprennent, entre autres, d’éventuels remaniements du livret original pour le bien de la

mise en scène.

Comme le fait remarquer Kaindl, « les reconstructions du texte tout comme les réductions à

l’intérieur du texte, en passant par le complet remaniement » (1995 : 160) peuvent être

envisagés. De nos jours, « la mise en scène [s’est] émancipée de son modèle écrit » (ibid. :

160). Le traducteur doit en avoir conscience et s’adapter aux besoins et aux demandes du

metteur en scène et de son équipe. En plus d’être flexible, le traducteur doit avoir, d’une

part, une certaine expérience de la traduction des livrets et, d’autre part, de bonnes

connaissances en matière de théâtre, et ce, pour plusieurs raisons : il lui faut être capable,

premièrement, de produire une traduction « qui est adaptée à la conception de la mise en

scène et aux besoins du chanteur » (Kaindl, 1995 : 162) et, deuxièmement, de s’imposer

face au metteur en scène grâce à sa connaissance du fonctionnement d’une production, qui

lui permet de ne pas être considéré par l’équipe chargée de la mise en scène comme un

« fournisseur de matière première » (ibid. : 162), c’est-à-dire comme le créateur d’un texte

que l’équipe de production prendra comme base pour la mise en scène et qu’elle modifiera

à sa guise selon les besoins de la représentation, sans lui demander son avis. Il s’agit donc

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81

pour le traducteur de devenir un acteur à part entière de la production d’une comédie

musicale. En fait, nous croyons que le traducteur et le metteur en scène doivent travailler de

concert et interagir dans le but de s’influencer mutuellement. Il convient d’avoir à l’esprit,

ainsi que le rappelle Kaindl, qu’il ne peut pas exister une seule et unique version du texte,

parce que les possibilités de mise en scène sont elles-mêmes multiples, en raison de

l’orientation musicale et théâtrale et des possibilités matérielles de l’établissement qui

monte le projet. (Kaindl, 1995 : 168).

Dans notre cas, la traduction se fait avant que le travail de mise en scène ne soit amorcé.

Cependant, comme nous agissons à titre de directrice artistique et directrice vocale, en plus

d’être traductrice, ces responsabilités nous permettent de travailler tout au long de la

production du spectacle, en partenariat avec le metteur en scène. Ce scénario est favorable,

car il permet de suivre l’évolution du livret tout au long du projet et de prendre ainsi part

aux décisions qui seront prises par l’équipe de production quant aux modifications

influençant la traduction du livret. Nos traductions sont donc en constante évolution jusqu’à

la toute fin de chaque projet.

3.4.5 La culture et la couleur locale

Parfois, la présence d’éléments culturels, ou, selon Marschall, de la « couleur locale »

(2004 : 14), détermine le besoin de traduction. Porgy and Bess (1935) et West Side Story

(1957) sont d’excellents exemples de cette couleur locale à préserver. Marschall affirme

qu’il serait dommage, voire malvenu, de traduire ces œuvres, car le chant est très fortement

empreint d’éléments de la culture américaine que la traduction ne saurait exprimer

correctement : le milieu social typique, le timbre inimitable des voix et les connotations

ethnogéographiques de l’accompagnement orchestral (Marschall, 2004 : 14), sans oublier

l’accent parlé, qui dans certains contextes comme West Side Story, justifie plusieurs points

dans l’histoire. Dans ces cas-là, Hirsch propose la solution suivante :

Il est préférable de laisser le texte tel quel parce que chanter ces œuvres dans une autre

langue que l’anglais reviendrait à annihiler une part importante de la typicité de

l’œuvre. Cette conception est valable pour toutes les autres langues, à partir du

moment où la traduction représente un obstacle conséquent à l’expression du profil

culturel de l’œuvre. (2011 : 85)

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82

La simple traduction serait alors considérée comme impossible. Il faudrait donc recourir à

l’adaptation, mais pas simplement pour les paroles : il faudrait adapter l’histoire tout entière

(les lieux, l’origine des personnages, leur nom, leur accent, etc.). Dans quelle mesure une

comédie musicale serait-elle traduisible ou ne le serait-elle pas?

Nous croyons qu’avant de déclarer un spectacle intraduisible, il faut avant tout identifier

quel est le but de la traduction du spectacle en question. En effet, si le spectacle est monté à

des fins pédagogiques60

, la traduction sans adaptation du contexte culturel nous semble

possible et pertinente. Cependant, si le spectacle est monté par une grande compagnie

réalisant des productions québécoises dignes de Broadway, la traduction et l’adaptation

risquent de se faire différemment. Certains producteurs préfèreront adapter le spectacle en

entier, en transposant géographiquement l’histoire dans un autre contexte (ou

environnement)61

, alors que d’autres adapteront simplement les noms des personnages.

Un exemple intéressant est le cas de la version française de Mamma Mia (2010). Seule

l’origine des personnages a été adaptée : Sam Carmichael, l’architecte américain, est

devenu Sam Carpentier; Harry Bright, le banquier anglais, est devenu Henri Bricourt;

finalement, Bill Austin, l’écrivain et explorateur australien, est devenu Paul Sautin. De

plus, les accents des personnages ont été effacés, ce qui, par le fait même, fait disparaître

toutes les traces de leurs origines. Dans ce cas-ci, cette suppression n’affecte pas vraiment

le reste de l’histoire, car celle-ci se déroule néanmoins en Grèce, à l’instar de la version

originale. Les noms de famille des personnages ne sont mentionnés qu’à une ou deux

reprises : leur conservation n’était donc pas nécessaire à la compréhension de l’histoire.

Cependant, la francisation de ces noms fait disparaître l’information suivante : les trois

hommes viennent de pays différents et la seule chose qu’ils ont en commun est d’être allés

en Grèce tous à la même époque, 18 ans plus tôt. Comme ce détail n’est pas un obstacle à

l’expression du profil culturel de l’œuvre et qu’il ne nuit pas à la compréhension du reste de

60

Par exemple, si le spectacle est monté par un groupe d’élèves ou d’étudiants et que le but premier du

projet est de leur offrir la chance d’élargir leurs horizons en découvrant des œuvres où la culture et la

couleur locale est importante et très différente de la leur. 61

Par exemple, la comédie musicale Footloose (2017), traduite par Serge Postigo, utilise une

adaptation que nous qualifierons « d’extrême » : l’histoire prend place au Canada afin de justifier le

fait que certaines chansons ont été traduites, alors que d’autres ont été conservées en anglais. Notons

que l’histoire originale se déroule à Chicago.

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l’histoire, il était sans doute moins dérangeant de sacrifier cet aspect. Autrement, les

comédiens auraient dû jouer en français, mais en utilisant des accents anglophones et la

différence entre les accents américain, australien et anglais n’aurait probablement pas été

assez marquée en « parler français ». Ce choix de traduction favorise certainement une

meilleure compréhension de l’histoire.

L’adaptation de la structure narrative d’une comédie musicale est donc délicate. À petite

échelle (comme avec la francisation des noms des personnages), il ne semble pas y avoir de

complication. Cependant, à plus grande échelle (par exemple lorsque l’on change

l’emplacement du déroulement de l’histoire, donc la culture des personnages, ce qui tend à

influencer directement le contenu du spectacle), on fait face à plusieurs défis. En effet,

comme nous l’avons vu dans le premier chapitre, la traduction de comédies musicales est

régie par les sociétés octroyant les droits d’auteurs. Chaque traduction est donc finement

analysée et comparée avec l’original. Comme chaque compagnie possède ses propres règles

de traductions, le traducteur doit être conscient que de soumettre une traduction dans

laquelle des modifications aussi importantes ont été effectuées risque de ne pas toujours

être bien accepté. Il en tient donc au traducteur de vérifier avec ces compagnies quelles sont

les marges de manœuvre possibles en ce qui a trait à l’adaptation « extrême ».

3.5 Conclusion

La traduction des livrets de comédies musicales présente donc de grands défis, en raison du

nombre d’éléments extralinguistiques qu’elle doit prendre en compte. En ce sens, la

traduction de ce type de texte soulève de nombreuses questions dans le vaste domaine de la

traduction en tant que telle (Hirsch, 2011). Ainsi, selon Loubinoux, « il est peut-être

possible de dire la même chose dans deux langues différentes, il est impossible de le dire de

la même façon » (2004 : 55).

Ce chapitre nous a permis d’observer que si l’on souhaite prioriser un aspect en particulier

en traduction, les autres risquent d’en être affectés. Il est donc difficile, voire impossible, de

surmonter la somme des défis que nous impose la traduction de chansons de comédies

musicales. Le traducteur-adaptateur doit faire des choix, créer des combinaisons d’aspects

qu’il décidera de respecter (ou prioriser), en espérant que ces choix lui offrent le meilleur

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arrangement possible. Il devra donc faire preuve de flexibilité afin de prendre des décisions

« stratégiques ». Pour notre part, ayant un parcours de musicienne, nous sommes

constamment préoccupée par les aspects extralinguistiques. Étant consciente de

l’importance de l’équilibre entre l’aspect musical et l’aspect linguistique, notre formation

de musicienne nous permet de conscientiser tous les enjeux à considérer lors de la

traduction de chansons, ce qui nous offre la possibilité d’adapter nos traductions au fur et à

mesure que nous les écrivons et que nous les chantons. À l’inverse, le traducteur qui ne

s’attarde qu’aux mots risque d’avoir à recommencer une importante partie de son travail

lorsque sa traduction sera soumise aux chanteurs. Notre double rôlepermet donc d’avoir

une vue d’ensemble dès le départ de tout le travail qu’il y aura à faire, en vue de le

synthétiser.

À la lumière de ce chapitre, on comprend alors mieux que l’importance en traduction de

chansons de comédies musicales n’est pas de respecter tous les aspects énumérés plus haut.

Au contraire, le fait de sacrifier ou de mettre de côté certains éléments plutôt que d’autres

nous permet souvent d’ouvrir la voie à un plus grand nombre de possibilités à considérer.

Au final, on obtient alors une version beaucoup plus proche de l’original que si l’on avait

tenté de tout respecter en traduisant. Il n’y a donc que les contraintes que l’on s’impose soi-

même qui nous empêchent de traduire efficacement. En conclusion, si l’on souhaite « bien

traduire », il faut avoir comme préoccupation première de respecter l’essentiel du travail du

parolier et du compositeur. Mais c’est en optant pour une certaine liberté de traduction que

les résultats seront les plus efficaces et probant, car la flexibilité et la créativité sont les

atouts principaux du traducteur-adaptateur.

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85

3.6 Sommaire du chapitre 3

Même si l’objectif de notre travail n’était pas de dresser une liste de priorités à respecter

lors de la traduction de comédies musicales, nous avons pu observer, dans ce dernier

chapitre, que certains aspects plus que d’autres semblent plus propices à être mis de côté,

en fonction des choix du traducteur-adaptateur. Dans ce quatrième chapitre, nous avons

passé en revue dix défis de traduction présents dans la traduction de comédies musicales,

divisés en deux sections : les défis linguistiques et les défis extralinguistiques.

Dans la section linguistique, on retrouve tout d’abord le respect du sens original, qui est

possiblement l’ultime préoccupation des traducteurs. Nous avons émis la possibilité de faire

une traduction qui soit juste, mais dans laquelle nous pouvons néanmoins nous permettre

une certaine liberté. C’est-à-dire qu’en étant bien conscient du message fondamental de la

chanson, ainsi qu’en identifiant les informations qu’il est nécessaire de conserver afin de ne

pas altérer la bonne compréhension de l’histoire, le traducteur se trouve alors outillé pour

réaliser une traduction assez fidèle à l’original, tout en étant libre de traduire sans avoir à

respecter l’information au vers près. En effet, chaque couplet traduit devrait dégager

l’essence même du couplet original, sans avoir à être traduit littéralement. Cette façon de

traduire permet donc d’être libre tout en respectant le sens original. Ce principe peut

également s’appliquer au défi de la structure de phrase. Nous avons observé que parfois, le

désir de respecter la structure de phrase originale mène à une traduction qui n’est pas

toujours satisfaisante sur le plan de la chantabilité. Le fait d’opter pour une certaine liberté,

tout en tentant de respecter la structure dans la mesure du possible, nous permet donc

d’éviter certaines traductions disgracieuses.

Quant aux expressions idiomatiques, elles posent de grands défis aux traducteurs de

comédies musicales. Par nature, celles-ci ne sont pas traduisibles littéralement, et leur

traduction ne comporte souvent pas le même nombre de syllabes quand dans la langue-

source. Nous avons pu observer, sur la base des exemples que nous avons présentés, que

l’emploi du procédé de la modulation peut s’avérer utile lorsque l’expression se traduit

dans un nombre de syllabes inégal à l’original. De plus, une certaine liberté créative est de

mise lorsque l’expression n’a pas d’équivalent francophone. Quant à la rime, bien que

certains traducteurs de chansons semblent diminuer son importance, nous la plaçons en

haut de liste. En effet, le respect de la rime assure une certaine musicalité à la traduction. La

rime est en quelque sorte le squelette de la chanson, au même titre que les accords, la

mélodie et le rythme. Bien que les paroliers ne se basent pas foncièrement sur la rime afin

d’écrire leurs chansons, nous croyons important de rendre justice à cet aspect, considérant

que les rimes n’apparaissent pas par hasard et que leur insertion dans un texte chanté résulte

d’un processus de réflexion important. Si les paroles peuvent s’apparenter, dans une

certaine mesure, à un poème, c’est dans cette optique qu’il faut les traduire. De plus, les

rimes donnent une direction et un certain rythme à la chanson. Il est à noter que comme le

travail du traducteur-adaptateur sera inévitablement comparé à l’œuvre originale, ce dernier

se doit d’offrir à l’auditeur une version qui lui sera la plus familière possible. Le dernier

défi de cette section linguistique est la chanson logocentrique. Comme cette chanson est

axée sur le discours, les informations qui y sont véhiculées sont généralement nécessaires à

la bonne compréhension de l’histoire. Le traducteur doit donc identifier les informations

primordiales à conserver et celles qui peuvent être traduites plus librement. À la lumière de

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ce sous-chapitre concernant les défis linguistiques, il est intéressant de constater que, quel

que soit la difficulté rencontrée, le respect du sens est omniprésent.

Dans la section consacrée aux aspects extralinguistiques, on retrouve tout d’abord les

restrictions liées aux syllabes et au rythme musical. Grâce à l’analyse de certaines chansons

dans leur langue d’origine, il nous a été possible de constater que même les paroliers

originaux ne respectent pas toujours leur propre forme rythmique dans chaque couplet.

Cette observation nous laisse alors supposer qu’il est aussi possible pour le traducteur-

adaptateur de chansons de ne pas respecter à la lettre la structure rythmique imposée par la

chanson originale. En effet, le fait de modifier légèrement le rythme musical d’une phrase

dans le but de favoriser la compréhension des paroles en français est un choix qui n’est pas

dérangeant à l’écoute (à condition que les modifications rythmiques ne soient pas

extrêmes), et qui rend même le texte en français plus agréable et plus naturel à entendre. Le

deuxième défi extralinguistique est celui des sonorités. Nous avons observé que certaines

sonorités seront plus difficiles à émettre lorsqu’elles sont chantées sur des notes aiguës, par

exemple. Le traducteur-adaptateur doit donc tenir compte de cet aspect technique et vocal

lorsqu’il traduit. Quant à la chanson connue, diverses possibilités de traduction s’offrent au

traducteur : la traduction proche sémantiquement de l’original, l’adaptation proche des

sonorités d’origine et l’adaptation libre. À ces trois catégories, ajoutons que certains

traducteurs décideront de ne pas traduire les chansons connues, qu’ils conserveront dans la

langue d’origine en assumant la coupure occasionnée par le changement injustifié de

langage. Nous avons aussi observé qu’il n’y a pas seulement la musique qui impose des

défis de traduction : la mise en scène est un aspect important à considérer lors du processus

de traduction. Un travail de collaboration avec le metteur en scène est très important, et ce,

tout au long du processus de production du spectacle. Finalement, la culture et la couleur

locale d’une comédie musicale influenceront grandement la décision de la traduire ou non.

Nous avons observé que généralement, lorsque la couleur locale ne peut que difficilement

être transposée dans la culture cible, soit le spectacle n’est pas du tout traduit, soit les

traducteurs ont recours à l’adaptation extrême : ils adapteront tous les aspects de l’histoire

(lieu où elle se déroule, noms et origines des personnages, etc.) afin de créer un univers

dans lequel la comédie musicale pourra être transposée de façon crédible dans la culture

cible.

En conclusion, nous pouvons remarquer que le respect du sens est omniprésent dans chacun

des défis mentionnés plus haut. Peu importe si l’on décide de traduire littéralement ou

librement, le respect du sens reste primordial. Le traducteur-adaptateur doit donc parvenir à

transmettre le message du parolier original. À la lumière de ce chapitre, la résolutions des

différents problèmes de traduction mentionnés précédemment montrent qu’une certaine

flexibilité dans la fidélité au texte source nous a permis de résoudre plus aisément certains

problèmes auxquels nous avons fait face en tant que traductrice-adaptatrice de comédie

musicale.

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Conclusion

Tout au long de ce mémoire, notre objectif principal a été d’identifier les enjeux reliés à la

traduction ou à l’adaptation de comédies musicales américaines en contexte francophone

québécois en vue de porter un regard réflexif et critique envers notre propre démarche de

création. À cet effet, nous avons souhaité mieux comprendre la réalité des traducteurs-

adaptateurs québécois et nous sommes intéressée à la différence entre la traduction et

l’adaptation. Finalement, c’est grâce à l’analyse de notre propre travail de création, ainsi

qu’à celle du travail exercé par les professionnels du milieu, que nous avons pu identifier

les comportements des traducteurs-adaptateurs par rapport aux éléments qui s’imposent

comme des défis de traduction en comédie musicale. La mission du traducteur-adaptateur,

quel que soit son domaine, ne consiste donc pas à contourner les difficultés de traduction en

les supprimant, mais bien à trouver des solutions.

Dans un premier temps, afin de comprendre la réalité de la comédie musicale au Québec,

nous nous sommes penchée sur la terminologie utilisée par les Québécois. C’est en

remontant jusqu’aux origines de la comédie musicale que nous avons pu retracer

chronologiquement l’évolution du musical américain. Cette rétrospective nous a permis de

différencier les termes relatifs au théâtre musical. Effectivement, une certaine confusion

s’est installée quant aux termes comédie musicale, musical (en anglais) et théâtre musical.

Afin de conserver une certaine constance tout au long de ce mémoire, nous avons donc

convenu que le terme comédie musicale serait celui qui représenterait pour nous

l’équivalent du musical de Broadway. Cette décision, qui s’appuie sur l’analyse des

origines du terme, nous permet alors de classer la comédie musicale comme un sous-genre

du théâtre musical, au même titre que l’opéra ou le spectacle musical, pour ne nommer que

ces deux exemples. Cette distinction des sous-genres nous permet alors d’identifier plus

rapidement le type d’art auquel on fait référence : la comédie musicale renvoie au musical

américain, alors que le spectacle musical évoque plutôt les spectacles à tradition française.

Quant à l’opéra, il fait référence à un type de spectacle semblable où la musique est de

tradition classique, alors que la comédie musicale réfère à la musique populaire.

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La confusion des genres du théâtre musical n’est pas la seule réalité québécoise touchant à

la comédie musicale. Nous avons vu, dans le premier chapitre, que les droits d’auteur en

lien avec la production d’une comédie musicale sont gérés par de grandes sociétés. Le

traducteur-adaptateur est directement concerné par les droits d’auteur, car il devra

soumettre sa traduction à la société gérant les droits du spectacle qu’il traduit et il devra

aussi la faire approuver. Cette étape d’approbation est cruciale, car sans autorisation,

aucune production ne peut présenter un spectacle dans une langue étrangère. En fonction de

la société qui octroie les droits, les critères de traduction varieront. Certaines sociétés ne

donnent aucun critère et laissent les auteurs originaux se charger d’accepter ou de refuser

une traduction, alors que d’autres demandent à ce que les traductions soient les plus

littérales possibles. Chose certaine, une fois la traduction adaptée, le traducteur devra

contractuellement renoncer à ses droits moraux62

. Bien qu’il soit déjà laborieux de traduire

et d’adapter une comédie musicale dans une nouvelle langue sans même avoir de

contrainte, le fait que les sociétés possédant les droits de production des comédies

musicales aient leur mot à dire sur la traduction est un facteur qui influence

considérablement le travail des traducteurs-adaptateurs.

Tout traducteur doit, avant de commencer son processus de traduction, identifier le skopos

de sa traduction. Dans le contexte de la traduction de chansons de comédies musicales,

notre but premier pourrait être de faire connaître une œuvre à un public qui ne parle pas la

langue d’origine dans laquelle cette œuvre a été écrite (ou présentée), considérant que les

traductions servent avant tout à faire voyager les écrits et les œuvres à travers le monde.

Cependant, nous avons observé qu’un deuxième but, tout aussi important que le premier,

doit être considéré par le traducteur-adaptateur de comédie musicale : la traduction doit

produire le même effet sur le public-cible que sur le public-source, tout en étant agréable à

chanter pour l’interprète. On observe alors que le premier but est à vocation informative,

alors que le deuxième est à vocation ludique.

Si les traducteurs de comédies musicales s’en tenaient à traduire le spectacle, un seul des

deux objectifs du traducteur serait atteint; le spectateur comprendrait l’histoire, mais ne

62

En renonçant à ses droits moraux, le traducteur ne recevra aucune redevance et il ne recevra aucun cachet

de la part des sociétés. Il pourrait toutefois recevoir un cachet de la part de la compagnie de production qui lui

a demandé de traduire.

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l’apprécierait pas nécessairement. Cependant, en recourant à l’adaptation pour rendre

l’histoire plus intéressante pour le public-cible (en adaptant les référents et certains

éléments factuels pour que les paroles soient agréables à écouter), nous croyons qu’il serait

possible d’arriver à présenter des spectacles en français qui ont le même effet sur les

spectateurs francophones que les comédies musicales de Broadway sur les spectateurs

anglophones. En traduction, le travail d’adaptation ne consiste pas simplement à

(re)produire un texte afin de le rendre compréhensible, mais plutôt à reformuler un texte en

fonction des contraintes imposées par la langue du pays d’accueil.

Parallèlement aux objectifs précédents, nous avons aussi pu constater que l’adaptation est

un procédé de traduction à part entière, d’après la stylistique comparée de Vinay et

Darbelnet. Si toutefois une distinction devait être faite entre ces deux termes, on pourrait

dire que la traduction est à la fidélité ce que l’adaptation est à la liberté. Comme nous

l’avons vu dans le chapitre 2, la traduction est une tâche dont la pratique est souvent remise

en question. Cela dit, la faisabilité de l’acte a été démontrée par plusieurs auteurs

(Laliberté, Low, Graham, Kelly, Dyer-Bennet, etc.). Le débat actuel en traduction prend

plutôt place au niveau des stratégies de traduction. Ladmiral, traductologue français, oppose

deux catégories de traducteurs : les « sourciers » et les « ciblistes », chacun ayant des

approches de traductions distinctes. Alors que le premier type d’approche vise à la plus

grande proximité possible avec le texte source, culturellement et linguistiquement,

l’approche du second type recherche plutôt une expression naturelle qui vise à produire le

même effet chez le public-cible que sur le public-source.

À cette étape-ci de nos recherches, nous pouvons maintenant conclure qu’aucune des deux

approches n’est plus appropriée que l’autre en traduction de comédies musicales : bien que

nous traduisions principalement selon une approche cibliste, qui nous permet une certaine

liberté créatrice dans nos traductions, nous avons constaté qu’à certains moments, il nous

fallait traduire avec l’approche des sourciers. Le traducteur-adaptateur de comédies

musicales doit tenir compte d’un nombre impressionnant de contraintes, ce qui l’empêche

de traduire en étant parfaitement fidèle. Cependant, s’il se permet trop de liberté, il risque

de dénaturer l’œuvre originale. Le talent du traducteur-adaptateur réside donc dans la

maîtrise d’un certain équilibre entre ces deux approches, d’où l’utilisation du terme

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traducteur-adaptateur : comme une grande portion du travail de traduction de comédies

musicales résulte en une adaptation de certains éléments, le terme adaptateur est donc

primordial dans la dénomination de la fonction.

Nombreux sont les paramètres qui entrent en ligne de compte dans la traduction de

chansons, et le traducteur-adaptateur doit avant tout considérer certains critères à respecter

avant d’entamer sa traduction. Les traductologues ont proposé différents modèles de

critères à prioriser lors de la traduction de chansons, mais c’est l’approche pentathlonienne

de Low qui s’est avérée le mieux correspondre à nos propres critères, soit la chantabilité, le

sens, le naturel, le rythme et la rime. Une seule différence apparaît entre notre liste de

critères et celle de Low : ce dernier traite la rime comme un cas spécial, un critère de

dernier recours. Il mentionne que s’il existe autant de mauvaises traductions, c’est parce

que les traducteurs ont donné une trop grande priorité à ce critère, en délaissant les autres, à

savoir la chantabilité, le sens, le naturel et le rythme (Low, 2005 : 199). Au contraire, nous

croyons que si les traducteurs-adaptateurs considéraient la rime comme un critère aussi

important à respecter que le sens, par exemple, le résultat serait plus satisfaisant. Comme la

rime fait partie intégrante du squelette de la chanson, tout comme la structure mélodique ou

la structure rythmique, elle mérite donc d’être considérée, lors de la traduction, au même

titre que ces deux critères. Avec cette approche, le traducteur-adaptateur ne doit donc pas

prioriser un critère au détriment des autres : s’il considère un seul des critères mentionnés

plus haut comme plus sacré que les autres, il risque de subir d’importantes pertes sur les

autres critères. En optant pour une petite marge de flexibilité dans plusieurs critères, il

pourra ainsi éviter d’importantes pertes globales dans la traduction (ibid. : 210).

L’idée générale de cette « approche pentathlonienne adaptée » est donc de viser un haut

pointage global (total des cinq critères) au lieu de miser sur un score parfait dans un seul.

Grâce à un parallèle entre le parolier et le traducteur-adaptateur, nous en avons conclu que

le traducteur doit se mettre dans la peau du parolier original afin d’avoir les mêmes

intentions et préoccupations que ce dernier : comme le parolier de comédies musicales a

avant tout une intention de faire passer un message précis, tout en se préoccupant aussi

d’écrire une « bonne » chanson, il devrait en être de même pour le traducteur-adaptateur.

Au lieu de viser la fidélité de sa traduction, il devrait plutôt s’attacher, entre autres, à la

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chantabilité de sa traduction. Il va de soi qu’un traducteur-adaptateur n’ayant aucune

formation musicale sera moins compétent pour ce faire qu’un traducteur-adaptateur

musicien. Il est fréquent dans le domaine de la comédie musicale de voir une traduction

faire l’objet d’une adaptation par les chanteurs ou par le directeur vocal. Plus conscient des

paramètres liés à la prosodie où à la chantabilité de certaines syllabes, les chanteurs et le

directeur vocal auront tendance à adapter la traduction, lorsque le traducteur non musicien

aura oublié de prendre en considération certains facteurs musicaux influençant la

performance vocale. Afin d’éviter la frustration de voir sa traduction modifiée par un

intermédiaire, tout traducteur-adaptateur de chansons se voit avantagé à être lui-même

chanteur, ou à avoir une base solide de connaissances musicales, grâce auxquelles il peut

prévoir les problèmes d’exécution en adaptant au fur et à mesure sa propre traduction.

Ainsi, son travail ne sera pas dénaturé par l’intervention d’un autre intervenant (dans le cas

présent, le directeur vocal ou les chanteurs). Dans ce contexte, le traducteur musicien peut

arriver à garder le contrôle sur sa traduction tout au long du projet.

Le traducteur-adaptateur musicien est donc avantagé par rapport au non musicien, car il est

mieux outillé pour faire face aux défis extralinguistiques. Comme nous l’avons vu dans le

quatrième chapitre, plusieurs défis linguistiques et extralinguistiques pavent le chemin de la

traduction de chansons d’une comédie musicale. Les paramètres linguistiques s’apparentent

à ceux de la traduction dite classique, ainsi qu’à ceux de la traduction de poèmes.

Effectivement, le sens, la structure de phrases, les expressions idiomatiques, la rime et la

chanson logocentrique sont des défis que tout traducteur rencontrera, peu importe qu’il

traduise une chanson ou non. Nous avons pu observer qu’en règle générale, l’important est

de conserver le sens global de la chanson originale. En tant que passeur de culture, le

traducteur se doit de respecter cet aspect. Nous insistons sur le mot global, car respecter

globalement le sens nous permet de traduire avec une plus grande liberté. En ne se

restreignant pas à traduire l’information exacte au mot près, le traducteur-adaptateur se

retrouve face à un large horizon de possibilités. C’est entre autres grâce à cette méthode de

travail que nous sommes arrivée à traduire efficacement les chansons logocentriques,

chansons qui, comme nous l’avons vu dans les chapitres 3 et 4, proposent de grands défis

de traduction en raison de la quantité d’information donnée à respecter. Il en va de même

pour la structure de phrases : en l’adaptant légèrement, nous avons observé qu’il nous était

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possible d’obtenir un résultat dont l’effet était semblable à l’original, tout en adaptant

légèrement.

Au-delà des défis linguistiques, les défis extralinguistiques sont ceux qui donnent le plus de

fil à retordre aux traducteurs non musiciens. À travers ces défis s’imposent des aspects de

toutes sortes : musicaux, théâtraux, sociaux, culturels et bien d’autres. Dans la catégorie des

défis aux aspects musicaux, deux défis majeurs ont retenu notre attention. La restriction des

syllabes et la sonorité. Ces deux défis semblent être la bête noire des traducteurs non-

musiciens. En effet, leur premier réflexe sera de traduire en conservant l’intégralité de la

structure rythmique originale, en y insérant par-dessus des phrases dans la langue-cible.

Cependant, ce réflexe ne tient aucunement compte de la prosodie de la langue d’arrivée.

Dans le contexte qui est le nôtre, l’anglais et le français sont deux langues bien différentes

dont la prosodie n’est pas compatible. C’est-à-dire que rythmiquement, pour dire la même

chose, il sera difficile d’obtenir des mots qui ont exactement le même nombre de syllabes

dans les deux langues. Il est donc nécessaire pour le traducteur de modifier légèrement le

rythme d’une phrase rythmique donnée, afin de l’adapter à la prosodie de la langue-cible,

de sorte que le résultat entendu par le spectateur de la langue d’arrivée soit beaucoup plus

naturel.

Parallèlement aux aspects musicaux, certains paramètres, comme la chanson connue, sont

davantage d’ordre social. Comme nous l’avons vu dans le quatrième chapitre, la chanson

connue est un casse-tête important dans la traduction de chansons. Certains pourraient

même la qualifier d’obstacle. Nous le savons, les enjeux de la traduction de chansons

connues sont si grands que certaines productions feront le choix de ne pas les traduire.

Cependant, certaines productions plus « téméraires » tenteront de relever le défi. L’exemple

le plus marquant est sans aucun doute la comédie musicale Mamma Mia qui a été traduite

dans plus de quinze langues.

Nous l’avons mentionné précédemment, le travail d’adaptation ne consiste pas simplement

à reproduire un texte afin de le rendre compréhensible, mais plutôt à reformuler un texte en

fonction des contraintes imposées par la langue du pays d’accueil. Dans un cas comme

celui de la chanson connue, le surtitrage ne serait-il pas un moyen efficace de transmettre

l’information sans dénaturer l’œuvre, comme on le fait souvent à l’opéra? Dans une

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perspective où le but premier de notre traduction est de faire vivre au spectateur

francophone la même expérience que celle vécue par le spectateur anglophone, nous

croyons toutefois que le surtitrage ferait brouillerait la bonne compréhension du spectacle et

surtout, viendrait en occulter la composante immersive : le public serait certainement plus

occupé à lire la version française qu’à regarder ce qui se passe sur scène. Pour contourner

cette difficulté, certains producteurs décident de marier les deux langues sur scène.

Certaines chansons sont donc adaptées en français, alors que les plus connues sont

conservées dans leur langue originale. Cependant, ce type d’approche est délicat : alors que

les producteurs préfèrent jouer la carte de la sécurité, le passage d’une langue à l’autre crée

une rupture dans la narration et prive les spectateurs de la compréhension de certaines

scènes clés (Delval : 2011). Il faut donc choisir. À l’heure actuelle, un nombre important de

Québécois comprennent bien l’anglais. Il ne semble donc pas toujours pertinent de traduire

les chansons populaires appréciées par le public. Celui-ci risquerait en effet de rejeter les

adaptations françaises, ce qui n’est « après tout que le réflexe naturel de tout spectateur

attaché à une œuvre qu’elle ou il aime » (ibid.). La question de maintenir les chansons dans

la langue d’origine ne se poserait probablement pas « si les meilleures comédies musicales

venaient de Slovaquie ou de Finlande » (ibid.). La langue anglaise joue donc un rôle

important dans la décision de maintenir les paroles originales puisque son usage est de plus

en plus répandu dans la vie courante au Québec.

Démarche de recherche-création

Bien que cette liste de défis ne soit pas exhaustive, elle représente néanmoins un éventail

assez vaste des paramètres auxquelles le traducteur-adaptateur de chansons de comédie

musicale aura considérer. Tout comme il y a autant de traductions possibles qu’il y a de

traducteurs, nous sommes consciente que plusieurs autres méthodes de traduction sont aussi

adéquates que les nôtres afin d’obtenir une traduction satisfaisante. Cependant, notre but

était de porter un regard réflexif et critique envers notre propre démarche de création. Nous

pouvons maintenant faire face aux défis de traduction en étant consciente de la manière

dont nous devons les traiter. Dans l’esprit de la recherche-création, telle que la proposent

Stévance et Lacasse (2013), il nous semble important de préciser que nous considérons

notre création comme étant un terrain de recherche. En effet, la production artistique seule

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(la présentation d’une comédie musicale devant public) ne nous aurait pas permis, en tant

que chercheuse-créatrice, de mettre notre savoir-faire au service de la recherche

scientifique. Cependant, sans création, il n’y aurait pas eu de recherche. C’est donc grâce à

cette interaction entre recherche et création que nous avons pu être confrontée à des idées

nouvelles et diversifiées. Dans notre cas, bien que ce soit la création qui ait motivé la

recherche dans notre projet, et non l’inverse, ce sont nos recherches qui nous ont permis de

conscientiser nos réflexes de traduction, ainsi que les concepts et les méthodes que nous

employions intuitivement. Et si nous n’étions pas passée par la création en premier lieu,

nous n’aurions pas pu arriver à identifier l’ensemble de ces défis. Notre recherche a donc

été positivement influencée par le fait que nous avons eu à les relever dans un contexte

concret, non pas seulement de manière théorique. En d’autres termes, dans notre cas, c’est

la création qui a avant tout nourri la recherche. Cependant, nous croyons que les deux

étaient indissociables, car la recherche nous permet maintenant de choisir une approche de

traduction en fonction du type de chansons que nous rencontrons, nous permettant ainsi de

cerner plus rapidement les défis que nous rencontrerons dans nos futurs projets, et à faire

des choix réfléchis, non plus uniquement intuitifs.

Par le biais de la recherche, nous avons pu conscientiser nos réflexes de traduction, ce qui

nous permet désormais de justifier chaque choix de traduction que nous faisons. Bien qu’au

départ, nous étions convaincue qu’en traduction une forte portion du résultat provenait d’un

effort de travail purement intuitif, la théorisation du processus réflexif de traduction nous a

amèné à analyser notre propre travail, nous permettant ainsi de valider nos choix, voire de

les remettre en question.

Le fait de nous intéresser aux différents facteurs influençant la traduction de chansons de

comédies musicales a permis de soulever un questionnement important : toutes les

comédies musicales ont-elles lieu d’être traduites? Même si nous avons effleuré le sujet en

soumettant l’hypothèse que certaines comédies musicales semblent être moins propices à la

traduction, notre objectif n’était pas de répondre à cette question, mais plutôt d’observer les

défis auxquels nous avons fait face, en tant que créatrice qui passe par la recherche

théorique en vue de mieux comprendre ses choix. Et comme les trois comédies musicales

que nous avons traduites se prêtaient toutes à une traduction, il nous aurait été difficile de

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répondre à cette question sur la seule base de notre expérience en tant que musicienne. Une

prochaine étape qui semble s’imposer serait de nous pencher sur les aspects et les raisons

qui rendent certaines comédies musicales intraduisibles afin de comprendre pourquoi de

grands classiques de la comédie musicale (tels que West Side Story ou Porgy and Bess)

n’ont toujours pas vu le jour en version francophone. Par ailleurs, il serait intéressant

d’entrer en contact avec des traducteurs-adaptateurs professionnels afin d’observer s’ils

sont eux-mêmes confrontés à ces enjeux de traduction. Bien que nous ayons analysé leurs

traductions au cours de ce mémoire, le fait de rencontrer des professionnels à cette étape-ci

de nos recherches aurait pu nous permettre de comparer nos propres réflexions avec celles

de spécialistes du milieu et de voir s’ils conscientisent leurs propres méthodes de traduction

de la même manière que nous. Nous croyons donc qu’une incursion de ce côté viendrait

projeter un éclairage nouveau sur la réalité entourant les professionnels du milieu artistique

québécois.

À la lumière de ce mémoire, nous constatons que la réalité du traducteur consiste à être

constamment jugé par le public. Ce dernier est, de toute évidence, un élément fondamental

quant à la « survie » d’une comédie musicale et, par le fait même, à celle du métier de

traducteur-adaptateur. C’est le public qui appréciera ou non le spectacle : selon Delval

(2011), « le meilleur moyen d’éviter une triste déconvenue, c’est encore de savoir aborder

une adaptation avec une oreille neuve, et pour ce qu’elle est : une vision nouvelle (au même

titre que la mise en scène ou l’interprétation) à laquelle il faut donner sa chance ». Ainsi,

c’est bien le public qui conduit les producteurs de comédies musicales à les adapter ou non

dans la langue du pays d’accueil.

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Annexe 1


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