La consultation des oracles en Egypte, du Nouvel Empire
lpoque chrtienne*
Michal Chosson
La tradition des oracles en Egypte est un phnomne inhrent la pratique
religieuse sur la terre de Kemi. Pourtant, elle est trs diffrente des autres coutumes
divinatoires qui ont cours dans le monde mditerranen. Sa spcificit et sa longvit
la rendent particulirement utile pour tudier la religion et la religiosit gyptiennes au
cours des millnaires qui composent leur histoire. Rarement une religion a t autant
lie avec une pratique divinatoire aussi populaire. Pour dfinir loracle, il faut tout
d'abord le diffrencier de la prophtie. La prophtie peut tre analyse comme un
acte linstigation de la divinit qui "souhaite" transmettre un message aux hommes.
Pour cela, elle utilise un prophte. La prophtie est une sorte de prdiction, la
rvlation d'un futur parfois lointain. L'oracle participe du principe inverse. C'est le
fidle qui souhaite s'adresser la divinit. C'est de lui que vient l'initiative du contact
en quelque sorte. Et l o la prophtie peut avoir un caractre gnral, l'oracle est
d'une porte beaucoup plus rduite et d'un intrt rsolument pratique. L'oracle
gyptien est galement diffrencier de l'oracle grec en ce sens qu'il ne s'agit pas
d'un phnomne attach un lieu et une divinit unique (comme la Pythie de
Delphes) mais quil connat une diversit bien plus grande tant dans les lieux que
dans les divinits invoques.
L'intrt premier accord aux croyances gyptiennes et leurs
manifestations a pu faire croire que ce champ de la connaissance tait depuis
longtemps puis. Il n'en est rien. Jaroslav Cern, charg de l'exploitation des textes
non littraires lors du chantier de fouilles Deir El-Medineh dans les annes 1930 et
1940, a mis la main sur une srie de tessons de cramique tranges. L'tude et la
traduction des signes hiratiques (criture cursive drive hiroglyphes
monumentaux) inscrits sur les ostraca (les tessons de cramique utiliss comme
1
support lcriture) a permis de conclure l'existence de pratiques oraculaires au
sein de cette communaut : les ouvriers de Deir el-Mdineh en appelaient
rgulirement leur dieu tutlaire pour rsoudre des conflits grce ses dcisions.
C'est au moyen des tessons de cramique que les ouvriers s'adressaient cette
divinit. La publication de ce corpus fut permise par le Bulletin de l'Institut Franais
d'Archologie Orientale ds 1935 et jusqu'en 19721.
De nombreuses publications ont permis de dvelopper cet aspect de la
recherche. On ne peut viter de mentionner le travail exceptionnel de Lucia Papini2
qui propose une liste de tous les billets oraculaires connus de lpoque ptolmaque
et romaine jusquau VIIe-VIIIe sicles, et des demandes rdiges en langue copte. De
la mme manire, un ouvrage a rcemment abord cette question, non seulement
pour l'Egypte, mais galement pour toutes les grandes puissances du pourtour de la Mditerrane3. Peu de temps aprs la publication de ce rapport de colloque en 1995, un article de Genevive Husson et Dominique Valbelle4, tente de synthtiser l'tat de
la recherche sur les questions oraculaires.
Cependant, face une telle richesse de publications sur ce thme, on ne
peut que regretter l'absence d'une grande tude de synthse qui permettrait de
mettre en lumire la complexit et les diffrentes ralits du phnomne des oracles
gyptiens dans la longue dure. La difficult de runir des spcialistes des
diffrentes priodes (Nouvel Empire, poques ptolmaque, romaine et byzantine) na
pas permis la ralisation dun ouvrage traitant le phnomne oraculaire dans sa
complexit chronologique. Le sujet de notre matrise a donc t choisi en ce sens
avec laide de Melle Anne-Emmanuelle Vesse. Le corpus sur lequel repose le
mmoire est compos d'une part des 95 ostraca dits par Cern5 ; d'autre part de
61 papyrus dits au cours du XXe sicle dans des revues spcialises et des
collections de papyrus6. Les origines de ces papyrus sont diverses mais la majorit
proviennent des ncropoles du Fayoum, grande rgion agricole de lEgypte
ancienne, o les cartonnages de momies ont fourni une documentation
exceptionnelle7. Les tessons de cramiques sont dats par Cern de la XIXe la XXe
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dynastie (vers 1300 av. JC) ; le corpus de papyrus comprend quant lui des
documents dats du IIIe / IIe sicle avant JC (pour le plus ancien) au VIe / VIIe sicle
(pour le plus rcent). Il sattache essentiellement des documents dmotiques et
grecs, et ne comprend pas ltude des billets coptes pourtant recenss par Lucia
Papini8.
Au terme dune anne de travail sur le sujet, nous avons pu faire le jour
sur certains aspects de la consultation oraculaire. Nous avons tudi notre corpus
selon les indications contenues dans le document mme. A partir des diffrents
tessons et billets, il a t possible de travailler selon trois axes de recherche :
lidentit des ddicants et la nature des motifs invoqus dans le contexte oraculaire ;
les dieux appels rendre des oracles et la perception quen avaient les fidles ;
lorganisation matrielle de la pratique et la place du clerg dans cette procdure.
Ddicants et motifs Sur certaines pices du corpus apparat le nom du ddicant. La forme la
plus rpandue de texte oraculaire se prsente comme-ci : "Au dieu Soknopaios et
Amon Soukou(peios), et aux dieux associs. Aphrodisios demande si tu permettras
que jpouse la fille de Srapiakos. Dis-moi cela"9. A partir de tous les noms prsents
sur les billets et les ostraca oraculaires, il a t possible de dresser une liste des
ddicants. A partir de cette liste, plusieurs lments ont pu tre mis en lumire.
La participation aux oracles est, semble-t-il, exclusivement rserves aux
indignes gyptiens durant le Nouvel Empire : dans le corpus de Deir el-Mdineh,
seuls les Egyptiens ont accs loracle. A partir de larrive des Grecs au IIIe sicle
av. JC, nous pouvons constater que le phnomne touche une population plus large.
Les Grecs, aussi bien que les Egyptiens, utilisent les oracles indignes pour rsoudre
leurs problmes et leurs conflits. Nanmoins, il faut se montrer prudent quant
lutilisation de lonomastique gyptienne de lpoque ptolmaque : il est trs difficile,
la lecture du seul nom, de dterminer lorigine de la personne. De nombreuses
unions entre Grecs et Egyptiennes rendent difficile lidentification certaine de lorigine
des personnes. Les noms grecs peuvent galement tre donns des Egyptiens
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aiss qui veulent tre assimils llite. On sait galement que les individus peuvent
avoir deux identits diffrentes selon le cadre dans lequel ils voluent. Une mme
personne peut tre connue par un nom grec et par un nom gyptien, selon quil se
trouve par exemple en rapport avec ladministration hellnistique ou quil offre une
stle votive un dieu indigne. Il est parfois plus facile de trancher quand le ddicant
mentionne le nom de ses anctres : "A Soknopaios et Sokonpieios, grands grands
dieux, de la part de Stototis, fils dApyncheos, fils de Tesenouphis : si je serai sauv
de cette maladie qui est en moi : rponds-moi cela"10. On peut cependant conclure
que la consultation des oracles touche aussi bien les Egyptiens indignes que les
Grecs colonisateurs mais il ne faut pas tomber dans lexcs inverse et simaginer une
pratique usurpe par la nouvelle lite grecque. Simplement, les conqurants ont
trouv un systme religieux efficace et le parallle avec les oracles rendus par la
Pythie de Delphes a pu rendre plus aise une participation cette pratique.
Il convient galement de relever la place des femmes au sein de notre
corpus : la mre de Tausorapis11, celle de Phanias12, Arsino13 ou la riche Nik14,
toutes ces femmes ont un jour eu besoin de rencontrer leur(s) dieu(x) pour lui poser
une question ou savoir quelle attitude adopter face une situation problmatique.
Lexistence de ces femmes dans notre corpus prouve que la pratique oraculaire ne
leur tait pas interdite. Elles avaient apparemment le droit aussi bien que les
hommes de poser leurs questions lors des sances oraculaires. Le premier texte
dans lequel le ddicant apparat expressment comme tant une femme15 est lun
des plus anciens papyrus de notre corpus. Labsence de femmes dans les
documents antrieurs celui-ci nest pas ncessairement le signe dune volution de
la pratique, dabord interdite aux femmes puis peu peu autorise au cours des
sicles suivants, mais constitue la plus ancienne attestation de leur participation aux
oracles.
Pour connatre lidentit et lorigine sociale des ddicants, le seul nom ne
suffit pas. Les informations sont trop lacunaires et imprcises pour permettre den
tirer des lments consquents. Cest ce moment que ltude des motifs vient
notre secours. Pour des raisons chronologiques, il nous a paru ncessaire de mettre
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en place deux typologies des motifs : tout dabord, nous nous sommes attachs
construire une typologie des motifs pour la communaut dartisans de Deir el-
Mdineh car on peut considrer ce corpus comme relativement reprsentatif. Toutes
les pices ont t retrouves sur le mme site et appartiennent la mme priode
(XIXe XXe dynastie). Une deuxime typologie a t dresse partir des billets sur
papyrus. De la confrontation de ces deux listes, il nous est apparu plusieurs
caractristiques de loracle gyptien : Pour les artisans de Deir el-Mdineh, cest surtout dans une perspective
sociale que loracle est utilis. On sen sert pour rsoudre des affaires de vol et de
litiges, rgler des questions de proprit et dappartenance ou justifier de sa journe
de travail : "Est-ce que lon fera que je devienne chef ? "16 ; "Les gens de larme
lont-il vol (ou : pris) ? "17. Les intrts sont avant tout lis lorganisation de la communaut qui vivait lcart des institutions gyptiennes. Loracle pouvait tre un
moyen rapide et peu onreux de rgler les diffrents conflits qui pouvaient natre
parmi les artisans.
Lutilisation des oracles par le reste de lEgypte montre une certaine
diffrence. Ce ne sont plus les vols ou les questions de proprit qui sont au centre
des intrts mais en majorit des questions portant sur le mariage et les voyages.
Ces deux lments permettent de considrer lorigine sociale des ddicants : le
mariage constitue un vnement important pour une famille qui a du bien. Il faut
pouvoir sassurer un bon parti et bon nombre de questions tournent autour de cette
problmatique : "Au trs grand et puissant dieu Soknopaios, de la part dAsklepiads
fils dAreios. Sil ne mest pas donn de vivre avec Tepatheus, fille de Marris, et
est-ce quelle ne sera pas la femme dun autre ? Rponds-moi et ralise pour moi cet
crit. Tapetheus tait jadis la femme de Horion, lan 35 de Csar, 1 Pachn"18.
Plusieurs prtendants semblent ici se disputer un bon parti, peut-tre une riche
veuve. On voit apparatre aussi le terme de contrat19, preuve quil sagit dun mariage
o les deux parties doivent dclarer par crit leurs biens personnels. De la mme
manire, la prdominance des questions sur le voyage et la scurit sur la route
montre que les ddicants des pices notre disposition ne sont pas des paysans
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mais plutt des voyageurs et des commerants. Bien souvent, les commerants
cherchent attirer lattention du dieu sur leur voyage et garantir ainsi leur scurit :
"De Soknopaios et Amon, Soukonpieios, grands dieux, Pallous vous invoque. Si tu
me permettras de me rendre Pisas, donne-moi cela"20. De nombreux autres
oracles aux motifs plus rares tendent galement prouver lorigine aise des
ddicants ; il sagit de questions portant sur un sacrifice21 ou lachat dun esclave22 :
ces activits ne sont pas la porte de tous.
La consultation des oracles semble tre une pratique prise par les classes
moyennes de la socit, artisans, commerants, lite grecque ou hellnise, plus quelle ne serait le reflet dune superstition de paysans "arrirs". La nature des dieux
invoqus et les relations entre le motif et leurs pouvoirs respectifs dmontre
galement un rapport complexe entre les divinits et les hommes.
Les dieux oraculaires Notre corpus de papyrus est constitu des billets rcuprs en grande
majorit dans les ncropoles du Fayoum. De fait, ce sont surtout les avatars du dieu-
crocodile Sobek qui sont invoqus. Dans cette rgion marcageuse, les crocodiles
trs rpandus ont incit trs tt les hommes vnrer un dieu qui serait le matre des
sauriens.
La varit des autres dieux invoqus est limage du panthon gyptien :
nous retrouvons des oracles destins Amon, Isis, Harpebekis, Harpocrate (divinits
drives dHorus), et aux Dioscures, Zeus et Srapis. Car mme les dieux grecs
se sont assimils la forme indigne du culte. Les colons ont amen avec eux leurs
propres divinits mais ils ont organis leur culte limage du culte indigne. Et lon
remarque quil ny a pas de diffrence de questions entre celles adresses aux dieux
gyptiens et celles adresses aux dieux grecs.
Devant une telle diversit, on peut se demande si les fidles choisissaient
entre plusieurs dieux pour rsoudre leurs problmes. A cette question, deux
rponses sont possibles.
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Il est des cas o, effectivement, cest bien le rle thologique du dieu ou de
la desse qui dtermine le choix du ddicant. Pour une maladie, on en appelle ainsi
plus facilement Isis23 ou Srapis24, connus pour leur puissance contre les venins
et les maux. La seule invocation de Touris, desse protectrice des accouchements
et de lenfance, apparat dans un billet concernant lavenir dun enfant25.
Mais dans dautres cas, la nature de la question nest pas dterminante
pour le choix de la divinit. Ainsi, tous les ouvriers de Deir el-Medineh sadressent
leur patron divinis Amnophis Ier quelle que soit la nature du problme : vol, litige,
sacerdoce De mme, les habitants de Soknopaiou Nesos, o est vnr Soknopaios (un avatar local de Sobek), invoquent de prfrence leur dieu local plutt que le dieu dorigine au culte trs institutionnalis.
On peut en dduire que la relation qui sinstaure entre les dieux oraculaires
et les ddicants est une relation de proximit. La pratique oraculaire entre dans le
cadre dune religiosit personnelle et non pas prive car elle sexerce au temple et
souvent en public. Cette relation quasi personnelle avec les dieux est peut-tre
lorigine de la prennit du phnomne, mme aprs linterdiction des religions
paennes.
Lorsque le christianisme remplace lancienne religion polythiste, la
tradition des oracles se maintient. Ce ne sont plus les dieux qui sont alors invoqus
mais les saints, en tant quintercesseurs auprs du Dieu unique : "O Dieu tout
puissant, saint, vritable et misricordieux, Crateur, Pre de notre Seigneur et
Sauveur Jsus Christ, rvle-moi la vrit qui est tienne, si ta volont est que jaille
Chiout, et si je trouverai ton aide et indulgence. Quil en soit ainsi ; Amen"26 ; "Saint
Cme et Saint Damien, si vous ordonnez [], fils de Gerontios de se laver, [que
sorte ce billet]"27. Les modalits de la question oraculaire ne semblent pas connatre
de bouleversements profonds : le support reste le mme (papyrus et, lextrme fin
du VIIe sicle, un exemplaire sur parchemin), la forme de la question se maintient, le
type de motif galement. L aussi, un saint connu pour ses gurisons miraculeuses
sera plus souvent invoqu pour des questions mdicales : "O Dieu de notre
protecteur Saint Philoxne, nous demandes-tu demmener Anoup lhpital ? Montre
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ton pouvoir et laisse cette prire tre accomplie"28. Notre corpus na pas intgr les
questions oraculaires rdiges en copte ; lextension de ltude ces billets serait
ncessaire pour pouvoir proposer avec plus de prcision une comparaison raisonne
des questions oraculaires paennes et des questions oraculaires chrtiennes.
La relation que le ddicant entretient avec les dieux peut tre qualifie de
personnelle mais la mdiation du clerg nen est pas moins ncessaire : lui seul est
capable de transmettre la question du fidle au dieu et, le cas chant, dinterprter
sa rponse.
La sance oraculaire, une institution sous le contrle du clerg Le billet oraculaire ne mentionne pas les rites pralables qui accompagnent
sa prsentation au dieu. Ce nest pas le texte lui-mme qui peut apporter des
informations. Pourtant, ces simples morceaux de papyrus ou tessons de cramique
reclent de nombreuses indications qui permettent de comprendre ou du moins
dapprhender le mode de fonctionnement de cette coutume, aussi bien lie au cadre
dans lequel elle se pratique quau personnel charg de la mettre en place. La
participation du clerg chaque tape est essentielle.
Lorganisation de la consultation oraculaire prend vraisemblablement place
au moment des processions de la statue du dieu29. Celle-ci, sortie
exceptionnellement de son naos, est transporte sur une barque le long dun
itinraire sacr. Le plus souvent, la procession suit le dromos, voie sacre qui mne
au temple. Le trajet peut tre li la thologie du dieu et rejoindre le sanctuaire dun
dieu associ. Des tapes sont tablies sur le parcours, matrialises par des
reposoirs pour la barque. A chaque pause, les prtres pratiquent des rituels.
Lexistence de ces pauses amne supposer que les demandes oraculaires du
peuple qui venait trs nombreux assister ces rjouissances avaient lieu ce
moment. La barque est immobile, les prtres brlent de lencens et font des offrandes
limage du dieu. Les fidles masss en nombre autour du reposoir de la barque
peuvent profiter de la halte pour poser leur question. Cette phase de la procession
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nest pas spontane mais entre dans le cadre du rituel tabli et contrl par les
prtres. Les questions sur ostraca ou sur papyrus sont dposes au pied de la
barque divine et les mouvements de celle-ci ressentis par les porteurs qui
dterminent la rponse du dieu. Les questions sont poses de telle manire quun
simple "oui" ou "non" suffit pour que la rponse soit intelligible. Un mouvement vers
lavant signifierait "oui", un mouvement vers larrire, "non". Dans le cas de billets
coupls (cest dire dont le texte prsente deux versions antithtiques dune mme
proposition), il suffit la barque de pencher dun ct ou de lautre pour que le fidle
sache quelle version est choisie par le dieu.
La pratique stant rvle trs populaire, les processions nont pas t
suffisantes et il a fallu mettre en place un systme permettant au dieu de rpondre
aux questions plus souvent. Cest ainsi que sest dvelopp le systme de lorale du
temple organis autour de billets coupls. Les deux versions taient dposes dans
le naos du temple et y passaient vraisemblablement la nuit. Le lendemain, la version
approuve pouvait tre remise au fidle par le prtre. La prsence de billets coupls
remettre au prtre peut tre dduite du modle de formulation du billet : "Untel, si tu
es daccord avec cette proposition, fais sortir ce billet". On pense galement que les
structures de chapelles adosses larrire des temples pouvaient avoir des
fonctions oraculaires30.
La mission archologique qui travaille depuis 1994 Tebtynis et plus
particulirement sur le dpotoir prs du sanctuaire de Soknebtynis a mis au jour un
corpus indit de papyrus vraisemblablement issus des archives du temple31. 350
papyrus crits en dmotique et en grec ont t retirs des gravats et parmi eux, plus
de 250 papyrus oraculaires. La pratique des billets coupls est confirme par la
dcouverte de plusieurs paires encore unies mais des formes moins traditionnelles
de questionnement de la divinit sont apparues. Il peut arriver que trois ou quatre
papyrus interviennent dans le cas dune affaire de vol, par exemple. Le texte des papyrus prsents par une seule personne ne diffre que sur un seul point : le nom
des suspects. Dans le cas o plusieurs individus sont souponns davoir commis un
9
dlit, la victime du vol peut donc amener devant le dieu un nombre de billets
quivalent au nombre des individus incrimins.
Sur dautres billets, en lieu et place de la traditionnelle forme tripartite du
billet oraculaire se trouve uniquement la mention dun objet vol et le nom du
suspect. Ou encore, certains billets ne font apparatre que le nom du suspect. Ces
textes trs courts parlent en faveur dune rdaction payante, dont le prix varie au
prorata de la longueur de la demande. Des documents encore plus significatifs
existent dans ce lot. Des individus aux moyens limits peuvent mme renoncer au
texte crit : des papyrus rouls et scells ont t retrouvs vierges de toute criture.
Parfois, un simple trait dencre ou une croix marquait le papyrus. Ces billets ont t
retrouvs avec les autres documents du temple. Bien que non crits, ils sont
cachets et ficels comme les autres demandes, ce qui indique quil sagit de
demandes doracle. Ils apportent la preuve que lon peut adresser au dieu un doublon
de billets compos dun papyrus vierge et dun papyrus marqu dun symbole simple
et convenu. Le ddicant accorde chacun des documents la signification quil veut.
Malgr la forme trs concise des documents et le peu de renseignements
directs quils apportent sur les ddicants, la quantit dostraca et billets retrouvs
depuis une soixantaine dannes permet de dvoiler un pan entier des pratiques
religieuses du peuple gyptien, mme aux poques grecque, romaine ou chrtienne.
Llment essentiel de cette analyse reste la perptuation de la pratique dans les
formes quelle utilise et la fonction quelle maintient au cur de la socit : les motifs
invoqus dans les demandes oraculaires sont toujours les mmes, quelles que soient
les poques ou lidentit des ddicants. Cette caractristique nest pas lie
uniquement la culture gyptienne puisque les Grecs ont adopt trs facilement ce
systme de communication avec le divin. Ce rapprochement nest-il d qu la
proximit entre les deux religions polythistes dont lassimilation de certains dieux est
tablie par Hrodote ds le Ve sicle avant JC ? La pratique oraculaire a perdur
chez les partisans du christianisme naissant qui, en respectant les donnes
10
thologiques essentielles du monothisme, ont intgr dans leurs pratiques rituelles
les plus essentielles cette particularit hrite des temps paens.
Les oracles nont pas fini de servir de futures tudes. La recherche a
encore de nombreux aspects auxquels sattacher : comment est ne une telle
pratique ? quelles en sont les premires et les dernires occurrences ? Un corpus
plus consquent permettrait en outre de vrifier sil existe une dichotomie entre la
ville et la campagne, si les motifs peuvent nous renseigner davantage sur lorigine
sociale des ddicants Il faut esprer que la publication des papyrus de Tebtynis
trouvs rcemment permettra de complter grandement les connaissances
existantes. Runir autour de ce thme une quipe interdisciplinaire serait sans doute
la cl dune comprhension plus fine du phnomne de la consultation des oracles.
Marne la Valle
Michal Chosson
* Lintgralit de notre mmoire de matrise peut tre consulte ladresse suivante :
http://oracle.egyptien.free.fr/ 1 Cern, J., "Questions adresses aux oracles", BIFAO 35, 1935, p. 41-58, "Nouvelles srie de questions adresse aux oracles", BIFAO 41, 1942, p. 13-24 et "Troisime srie de questions adresse aux oracles", BIFAO 72, 1972, p. 46-69. 2 Papini, L., "Domande oraculari : elenco delle attestazioni en greco ed in copto", Analecta Papyrologica 4, 1992, p. 21-27. 3 Oracles et Prophties dans l'Antiquit, Actes du Colloque de Strasbourg, 15-17 juin 1995, Universit des Sciences Humaines de Strasbourg, Paris, 1997. 4 Husson, G. et Valbelle, D., "Les questions oraculaires d'Egypte. Histoire de la recherche, nouveauts et perspectives", Egyptian Religion, The last thousand years. Studies dedicated to the Memory of Jan Quaegebeur, Orientalia Lovaniensia Analecta 85, Louvain, 1998, p. 1055-1071. 5Cern, J., op. cit. 6 Voir bibliographie sur Internet 7 Si la plupart des textes sont de nature administrative ou marchande, comme il peut s'agir de lettres prives, on a parfois la chance de tomber sur les archives d'un temple rcupres par les embaumeurs. On peut aussi bien, lors de fouilles proximit d'un sanctuaire, dcouvrir les textes liturgiques et les papyrus sacrs mis au rebut lors de la fermeture du temple. 8 Papini, L., op. cit. 9 P. Kln IV 201 10 BGU I 229 11 PSI Congr XVII 14, 3 12 P. Oxy. VIII 1148 13 P. Oxy. XXXI 2613 14 P. Oxy. VIII 1149 15 PSI Congr XVII 14, n3 (IIe-Ier sicle avant JC)
11
16 O. IFAO 720 17 O. Bruxelles Muses Royaux du Cinquantenaire inv. E 317 18 W. Chr. I,. 122 19 P. Oxy. VIII 1148 20 P. Stras 352 21 P. Oxy. VI 923 22 P. Oxy. VIII 1149 23 P. Mich inv. 1258 24 P. Mnch III 117, P. Oxy. VI 923, P. Oxy. VIII 1148 et 1149, P. Oxy. IX 1213, P. Oxy. XXXI 2613, P. Oxy. XLII 3078 25 PSI XVII Congr. 14, n3 26 P. Oxy VI 925 27 P. Amster inv. 88 28 P. Oxy VIII 1150 29 Sauneron, S., Les prtres de lancienne Egypte, 2me d., Persa, 1988 30 Quaegebeur, J., "Tithoes, dieu oraculaire", Enchoria 7, 1977, p. 103-108a 31 Gallazzi, C., "Umm el Breigt (Tebtynis) : campagne de fouilles de 1997", Annales du service des Antiquits de lEgypte LXXVI, 2000-2001, Imprimeries du C. S. A., Le Caire, 2001, p. 31-44
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