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La dmocratisationde laccs aux pratiques artistiques travers lapprentissage dans les tablissements
denseignement artistique
tude pour le compte de La NacreFinance par la Rgion Rhne-Alpes
Rapport final novembre 2014
Graldine Bois, Sbastien Gardon, Frdrique Giraud et Aurlien Raynaud
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Auteurs
Graldine BoisDocteure en sociologieMembre du Centre Max Weber, UMR CNRS 5283, quipe Dispositions, pouvoirs,cultures et socialisations , ENS de [email protected]
Sbastien GardonDocteur en science politiqueMembre du laboratoire Triangle, UMR CNRS 5206, ENS de Lyon / Sciences Po Lyon etUniversit Lyon II / Universit de [email protected]
Frdrique GiraudDoctorante en sociologie lENS de LyonMembre du Centre Max Weber, UMR CNRS 5283, quipe Dispositions, pouvoirs,cultures et socialisations , ENS de [email protected]
Aurlien RaynaudDoctorant en sociologie lUniversit Lyon 2Membre du Centre Max Weber, UMR CNRS 5283, quipe Dispositions, pouvoirs,cultures et socialisations , ENS de Lyon
Remerciements
Les auteurs tiennent remercier la Rgion Rhne-Alpes et la Nacre qui ont rendu possible
cette tude ainsi que toutes les personnes interroges que la convention danonymat ne leur
permet pas de citer ici pour le temps quelles leur ont consacr.
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SOMMAIRE(Table des matires dtaille en fin de volume)
Introduction - Contenu de la recherche et mthodologie _______________ 7
1re partie Lanalyse approfondie de six actions distinctes de
dmocratisation de lenseignement artistiue _________________________ !
. Action n 1/ Un parcours dducation artistique et culturelle au collge ______ 13
1. De lducation artistique au collge __________________________________ 15
2. Mise en uvre de laction __________________________________________ 22
3. Pratiques pdagogiques et modes dapprentissage ______________________ 2
!. "a rception de laction par les lves _________________________________ 33
5. #onclusion ______________________________________________________ !$
. Action n 2/ Des stages gratuits durant les vacances scolaires ______________ 51
1. "e conservatoire et len%eu de la dmocratisation _______________________ 53
2. &ituations dapprentissage ' ( atelier c)ant _____________________________ *
3. &ituations dapprentissage '' ( atelier M+, ____________________________ -
!. Portraits dlves _________________________________________________ -
5. Malgr son succs/ une action qui peine 0 atteindre ses ciles _____________ $*
. #onclusion ( quel avenir pour les stages ______________________________ $!
. Action n 3/ Un parcours danses orientale et ip!op en centre social puis au
conservatoire ___________________________________________________________ "5
1. n pro%et dtalissement 4ort autour de la prolmatique de la dmocratisation
_______________________________________________________________ $
2. "e partenariat entre le conservatoire et le centre social ( des o%ecti4s ien
distincts et un primat du conservatoire_____________________________________ 1*2
3. Des enseignantes au parcours particuliers et au mt)odes adaptes au
partenariat __________________________________________________________ 11*
!. "es rapports des lves 0 l6enseignement dispens _____________________ 122
5. #onclusion _____________________________________________________ 1!2
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. Action n #/ Un $ %rcestre & lcole ' ________________________________ 1#5
1. "a 4orme prise par lorc)estre est le rsultat de pratiques ngocies _______ 1!
2. "es conditions concrtes de la russite de laction en de)ors des murs du
conservatoire _________________________________________________________ 15$3. n succs relati4 ________________________________________________ 11
!. #onclusion _____________________________________________________ 1-3
. Action n 5/ (e succs dun atelier de )A% i*possi+le & reconduire ________ 1,5
1. De la rencontre avec des artistes et des rpertoires 0 la mise en pratique des
en4ants des quartiers d4avoriss _________________________________________ 1-
2. "es conditions de russite de laction ________________________________ 1$5
3. n ilan positi4 n r7le initiatique et dm8sti9cateur __________________ 2**
!. ne nouvelle session reporte 4aute de 4inancements ___________________ 2*$
5. #onclusion _____________________________________________________ 215
. Action n -/ Un atelier *usical pour parents et enants de !3 ans _________ 210
. I Objectifs et contenu de latelier ____________________________________ 217
1. Prsentation des caractristiques principales de laction _________________ 21
2. :capitulati4 de lenqu;te mene pour cette action _____________________ 21$
3. Des o%ecti4s partags entre les partenaires et prioritairement as sur des
dimensions etra
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"me partie Les logiues institutionnelles et politiues# freins ou le$iers %
la dmocratisation des enseignements artistiues & ___________________ "'(
1. n cadre rglementaire et institutionnel en construction ________________ 2--
2. "a dmocratisation ( de la volont au actes _________________________ 3*3
3. "es enseignements artistiques 4ace au en%eu de dmocratisation/ un secteur en
tension ______________________________________________________________ 31$
!. ?eu d6acteurs et collaorations locales ( logiques politiques et encastrement des
niveau d6action ______________________________________________________ 3!3
. onclusion de la deui*e partie ____________________________________ 301
)me partie *nalyses et rsultats trans$ersaux ___________________ )7(
1. &8nt)se et critique des demandes eprimes ( des pistes pour avancer ___ 3
2. #e que nous apprennent les si tudes de cas _________________________ 3-!
Conclusion gnrale + ,n portrait en creux . des conser$atoires & ____ )!!
/ostface de 0ean-Claude Lartigot ________________________________ 21
3i4liographie ________________________________________________ 2(
*nnexe - 5a4leau rcapitulatif des caractristiues principales des actions
de dmocratisation initialement recenses __________________________ 1)
5a4le des matires dtaille ____________________________________ 1(
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Introduction - Contenu de la recherche et
mthodologie
Lobjectif de cette tude1 est danalyser la mise en uvre de la dmocratisation de
lenseignement artistique dans la rgion Rhne-Alpes. La recherche comporte deux volets, qui
constituent les deux premires parties de ce rapport :
Le premier volet de cette tude dont les rsultats sont prsents dans la premire partie de
ce rapport a t ralis par une quipe de sociologues compose de Graldine Bois,
Frdrique Giraud et Aurlien Raynaud. Il consiste enune analyse qualitative approfondie desix actions, mises en place par des tablissements denseignement artistique de la rgion
Rhne-Alpes, et visant la dmocratisation de laccs la pratique de la musique, du thtre
et/ou de la danse. Sur chacun des six terrains denqute, trois aspects ont t tudis : 1/ les
objectifs des partenaires engags, grce lanalyse des projets des tablissements
denseignement artistique concerns et grce des entretiens avec les diffrents partenaires
(directeurs de conservatoires, reprsentants des tablissements scolaires et des centres sociaux
notamment) ; 2/ les formes dapprentissage proposes (plus ou moins formelles, plus oumoins proches de la forme scolaire, etc.) au travers de lanalyse du droulement des cours et
des pratiques enseignantes (observation de sances et entretiens avec les enseignants) ; 3/
lappropriation de ces expriences dapprentissage artistique par les lves (et/ou leurs
parents) par le biais dobservations de sances et dentretiens avec les personnes concernes.
Prs de 102 heures dobservation ont t menes en tout auxquelles sajoutent 45 entretiens
(ainsi quune petite enqute par questionnaires auprs des participants laction sur le seul
des six terrains o le public vis nest ni captif ni orient). Le dtail de ces oprations derecherche figure dans les monographies consacres chacune des six actions tudies.
Le second volet ralis par Sbastien Gardon et prsent dans la deuxime partie de ce
rapport a pour objet ltude du contexte sociopolitique du dveloppement des
enseignements artistiques lchelle de la rgion Rhne-Alpes et lanalyse des dispositifs mis
en uvre lchelle dpartementale, intercommunale et communale pour favoriser cette
1Cette tude a t ralise pour le compte de la Nacre et a t finance par la Rgion Rhne-Alpes. Elle a t
mise en place dans le cadre de la Commission Rgionale des Enseignements Artistiques (CREA).
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dmocratisation. Cette dmarche met laccent sur les textes, le discours et le cadre
institutionnel qui lgitiment et organisent ces actions, le travail des collectivits locales en lien
avec les tablissements, laction des diffrents partenaires des tablissements ainsi que le rle
des lus. Des entretiens, des observations et des analyses des textes ont t mens. En
particulier, 38 entretiens ont t raliss auprs des tablissements scolaires ou
d'enseignement artistique (proviseurs, directeurs), dans des villes ou des structures
intercommunales (directeurs des affaires culturelles et chargs de mission), dans les huit
dpartements de Rhne-Alpes (chargs de mission Schma dpartemental des
enseignements artistiques ), la rgion et auprs dlus adjoint la culture.
Une troisime partie expose les analyses et rsultats transversaux aux deux volets de
ltude. Les demandes formules par les acteurs de terrain interrogs dans la deuxime partiesont tout dabord thmatises et discutes la lumire des six actions tudies dans la
premire partie. Nous prsentons pour finir ce que lon peut retenir de ltude de ces six
actions.
N. B. : Consignes de lecture du rapport et statut de sa postface
Face la longueur de ce rapport, le lecteur sera sans doute tent daller directement sa
3me
partie. Nous tenons prciser que lexamen exclusif de celle-ci ne saurait suffire. La
synthse qui y est mene comprend les points que nous avons pu faire merger des analyses
approfondies des six actions tudies et des logiques institutionnelles et politiques
luvre, avec les comptences et les centres dintrt qui sont les ntres. Chaque
professionnel directement engag dans la problmatique de la dmocratisation artistique,
partir du point de vue qui est le sien, pourra sans aucun doute tirer dautres enseignements
de ce rapport tout aussi utiles pour mener ses actions condition de le lire dans son
entier.
Dans cet esprit, la postface du rapport propose un point de vue parmi d'autres
possibles sur notre travail. Elle a pour objectif de susciter des dbats parmi lensemble des
professionnels engags dans les questions quil soulve.
Avertissement : les extraits dentretiens cits dans ce rapport conservent volontairement la
forme orale des discours des personnes interroges. De ce fait, ils comportent des fautes de
grammaire et de syntaxe que nous avons choisi de ne pas corriger. Ils ont nanmoins fait
lobjet dune mise en forme afin de les rendre plus facilement comprhensibles.
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1re partie Lanalyse approfondie de six actions
distinctes de dmocratisation de lenseignement
artistique
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Les 6 actions plus particulirement tudies dans cette partie ont t choisies au terme dun
processus qui a t dtaill dans les rapports intermdiaires remis la Rgion en octobre 2011
et octobre 2012. Nous nous contentons de le rsumer ici, notamment pour respecter la
convention danonymat sur laquelle nous nous sommes accords avec le comit de pilotage de
ltude (les noms des tablissements et des personnes interroges ne sont donc pas donns ou
sont fictifs). Il sagit en effet non pas de nommer telle ou telle action qui serait donne en
exemple , mais den souligner les caractristiques pour dgager des pistes de rflexions
ventuellement utiles dans dautres situations particulires.
Dans un premier temps, nous avons dress une liste la plus exhaustive possible des actions
menes dans la rgion afin de prendre la mesure de leur diversit (discipline artistiqueconcerne, public vis, territoire de mise en uvre, etc.), et de choisir parmi elles et en
concertation avec le comit de pilotage celles tudier. Pour recenser les actions existantes,
nous avons envoy un courriel aux directeurs de tous les tablissements publics de la rgion,
tablissements classs (CRR, CRD, CRC et CRI) et tablissements publics non classs.
Pour nous assurer que les musiques actuelles soient bien reprsentes dans ltude, un courriel
a t envoy dans un second temps une liste non exhaustive de SMAC et dtablissements
d'enseignement artistique non publics. Dans le courriel, nous avons adopt une dfinition
large du terme de dmocratisation en parlant dactions lattention dun public
habituellement peu touch par lapprentissage de la pratique de la musique, de la danse et/ou
du thtre (milieu social, loignement gographique, handicap, etc.) . Toutes les actions
dsignes par les tablissements eux-mmes comme faisant partie de ce primtre ont t
recenses (une cinquantaine au final)2. Nous en avons prslectionn 17, qui couvraient
lensemble du territoire rhnalpin (except le Dpartement de lAin o aucune action
tudiable na t porte notre connaissance). Parmi ces 17 actions, 6 ont finalement t
choisies lors dune runion du comit de pilotage de ltude3.
Avec ces 6 actions, lenqute couvre 5 dpartements diffrents (tous les dpartements de
Rhne-Alpes sauf lAin, la Drme et la Loire). Comme le montre le tableau rcapitulatif ci-
dessous, ces 6 actions sont trs distinctes, en termes de partenaires impliqus, dges du
2Un tableau rcapitulatif des caractristiques principales de ces actions initialement recenses figure en annexe.
3 Outre les chercheurs et les reprsentants de la Nacre, le comit de pilotage tait alors compos de : CdricPellissier, Bob Revel, Fabien Spillmann, Martial Pardo, Carole Angonin, Gaspard Bouillat-Johnson, AlainDesseigne, et Mireille Poulet-Mathis. La liste complte des personnes ayant particip au comit de pilotage deltude figure en 4mede couverture du rapport.
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public viss, de territoires concerns, et de type de disciplines enseignes. Au niveau des
partenariats, deux sont en partenariat avec des centres sociaux, deux avec des tablissements
scolaires, une avec le Service Petite Enfance dune municipalit, et une avec le Ple jeunesse
dune ville. Au niveau de lge du public vis, il va de la petite enfance la fin de
ladolescence. Au niveau des lieux gographiques, une action se situe en milieu rural tandis
que les autres concernent plutt des quartiers populaires de villes moyennes ou grandes. Les
disciplines artistiques sont aussi varies : veil musical, pratique instrumentale, danse, thtre,
chant, composition musicale sur ordinateur. Concernant enfin le statut des tablissements,
cinq sont des tablissements publics et un ne lest pas mais est reconnu par le Ministre de la
Culture et de la Communication au titre du code de l'ducation.
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Les six actions tudies
N delaction
Type dtablissement Descriptif Partenaires Territoire Type Public
N 1 CRI Parcours dedcouverte dans le
temps et le cursusscolaires (IDD)
Un collge et unecompagnie de
thtre
Petite ville dans zonerurale enclave
Hors les murs Collgiparticu
N 2 CRC Stages gratuitspendant lesvacances scolaires
Ple jeunesse de laVille
Banlieue populairedune grande ville /Conservatoire situhors-ZUS
Dans lesmurs
Enfantsadultes
N 3 CRD Parcours dansesorientale et hip-hopen centre socialpuis auconservatoire
Centres sociaux Quartiers populairesclasss ZUS dunegrande ville /Conservatoire situhors-ZUS
Hors et dansles murs
Enfants
N 4 CRC Orchestre l'cole cole lmentaire Banlieue populairedune grande ville /Quartier class ZUS /Conservatoire situhors-ZUS
Hors les murs lves
N 5 tablissementassociatif
Amener des enfantset adolescents dequartiers populaires rencontrer lerpertoire dun
Orchestre
Orchestre dergion, et centressociaux et maisonde lenfance
Ville moyenne Dans et horsles murs
Enfants
N 6 CRC Ateliers musicauxparents-enfants
Service PetiteEnfance, CentreSocial Municipal etPMI
Ville moyenne /Conservatoire situ enZUS
Dans lesmurs
Enfantsleurs pa
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. Action n 1/ Un parcours dducation artistique et
culturelle au collge
Laction que nous allons analyser ici consiste en un parcours dducation artistique et
culturelle mis en place dans un collge dune petite commune rurale4. Ce parcours se compose
de quatre dispositifs spcifiques ddis chacun un niveau de classe (6me, 5me, 4meet 3me).
Pleinement intgr aux programmes scolaires, il touche tous les lves de ltablissement. Il a
pour objectif de permettre chaque collgien de dcouvrir et dexprimenter, tout au long de
son cursus au collge, des pratiques artistiques varies, lies en particulier au spectacle vivant
(thtre, danse, musique). Pour ce faire, il fait intervenir dans le cadre et le temps scolaires
des artistes et des enseignants de conservatoire, qui sont amens collaborer avec les
professeurs du collge. Un conservatoire rayonnement intercommunal disposant dune
antenne locale dans la commune et une compagnie de thtre professionnelle en rsidence
dans cette mme commune sont les porteurs artistiques du parcours. Impuls et soutenu par le
Conseil gnral, celui-ci a t expriment lors de lanne scolaire 2011-2012 auprs des
seules classes de 5me, avant dtre tendu ds lanne suivante lensemble des niveaux.
Depuis 2012-2013, toutes les classes de ltablissement sont donc concernes par le parcours.
Chaque niveau dispose de son propre dispositif en lien avec le programme scolaire. Toutes lesclasses dun mme niveau participent au mme projet, ce qui conduit faire travailler
ensemble des lves de classes diffrentes.
Lenqute de terrain a t mene en 2012-2013 et a port sur le projet ralis par les
classes de 5me. Celui-ci a consist concevoir, raison dune sance de deux heures par
semaine de novembre 2012 mars 2013, un spectacle articulant trois disciplines artistiques :
la musique, la danse et le thtre. Le moyen-ge, qui figure au programme de 5meen Franais
et en Histoire, a t retenu pour tre le thme du spectacle. Le projet sest droul en deux
temps. De novembre dcembre 2012, les lves ont suivi tout dabord des modules de
dcouverte par la pratique des trois disciplines artistiques proposes. Ces modules taient
encadrs par deux enseignantes du conservatoire (danse et musique) et une comdienne,
assistes par des professeurs de collge et une assistante dducation (AED). Dautres
sances, animes par des professeurs du collge seuls, ont eu pour but dcrire les textes du
spectacle. Au terme de cette premire phase, les lves ont mis des vux pour indiquer la
4Au recensement de 2011, cette commune comptait un peu plus de 3 000 habitants.
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discipline quils avaient prfre et quils souhaitaient poursuivre. Trois groupes ont alors t
constitus et les lves se sont ainsi spcialiss. Latelier thtre ayant t largement
plbiscit, tous nont pas obtenu leur premier choix. De janvier mars 2013, chaque groupe
(toujours encadr par une artiste et un professeur) a cr et travaill sa propre partie du
spectacle. Le projet a abouti le 19 mars deux reprsentations lune pour les lves et
professeurs du collge, lautre pour les familles des enfants donnes dans une salle de
spectacle de la commune. Ces deux reprsentations avaient t prcdes de deux journes de
rptition gnrale runissant les trois groupes.
Rcapitulatif de lenqute de terrain
Lenqute de terrain sest droule dans de bonnes conditions. Nous avons pu assister au
moins une sance de chacun des ateliers, ainsi quaux rptitions gnrales et aux
reprsentations. Nous avons galement eu la possibilit dobserver une sance de travail des
lves avec leurs professeurs seuls, ce qui a permis de mesurer limportance de lancrage
scolaire du projet. Des entretiens ont t mens avec les intervenantes des ateliers thtre et
musique, ainsi quavec 4 lves. Dans les pages suivantes, nous nous appuierons galement
sur les entretiens raliss par Sbastien Gardon avec le proviseur de la cit scolaire, le
principal adjoint du collge et le chef de projet au Conseil gnral.
Entretiens raliss (N= 6)
lodie Intervenante thtre 5 fvrier 2012
Isabelle Intervenante musique 19 fvrier 2013
Ivanie lve, groupe thtre 18 juin 2013
Mathis lve, groupe musique 18 juin 2013
Julien lve, groupe danse 19 dcembre 2013
Morgane lve, groupe danse 19 dcembre 2013
Observations ralises = 17h40 dobservation
Travaux sur le moyen-ge avec des professeurs du collge 11 dcembre 2012
(2 heures)
Atelier thtre 29 janvier 2013
(2 heures)
Atelier danse 5 fvrier 2013
(2 heures)
Atelier musique 19 fvrier 2013
(2 heures)
Atelier thtre 18 mars 2013
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(2 heures)
Rptition gnrale du spectacle 18 mars 2013
(3 heures)
Rptition gnrale du spectacle 19 mars 2013
(3 heures)Premire reprsentation devant les lves et professeurs du collge 19 mars 2013 (35 mn)
Dbriefing de la premire reprsentation / Briefing de la seconde
reprsentation
19 mars 2013 (30 mn)
Seconde reprsentation devant les familles des lves 19 mars 2013 (35 mn)
1. De lducation artistique au collge
1.1. Le montage du projet
Le parcours dducation artistique et culturel mis en place au collge est n dune
proposition du Conseil gnral du dpartement concern. Celui-ci mne depuis plusieurs
annes une politique de soutien et de mise en cohrence de lducation, des enseignements
dits spcialiss et des pratiques artistiques lis au spectacle vivant 5. Cette politique se
donne pour objectif de rpondre plusieurs problmatiques, en particulier celle dun manque
de coordination entre ducation artistique dans le cadre scolaire et pratiques et enseignementsartistiques extrascolaires. Or la mise en relation de ces deux univers sociaux, linstitution
scolaire dune part, les mondes de lart dautre part, apparat au Conseil gnral comme une
mission dimportance. Pour y rpondre, une action exprimentale dducation artistique
destination de collgiens, croisant diffrents arts de la scne et faisant intervenir dans le cadre
scolaire des artistes-enseignants, a t imagine. Le collge o se situe laction tudie est
apparu au Conseil gnral comme un terrain de choix pour tester empiriquement laction car
la commune dans laquelle il se trouve, bien que situe dans une zone gographique enclavedont on pourrait penser quelle limite loffre culturelle disponible, compte sur son territoire
plusieurs acteurs culturels professionnels. La commune dispose dune antenne locale dun
conservatoire de musique et de danse rayonnement intercommunal et accueille en rsidence
une compagnie de thtre professionnelle. Avant lexprimentation de laction, ces acteurs
culturels travaillaient frquemment dans les tablissements scolaires de la ville mais sous des
formats varis, sans quaucun programme coordonne et cohrent nexiste.
5Projet dexprimentation de parcours dinitiation artistique pluridisciplinaire.
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Sollicite par le Dpartement, la direction du collge a rpondu favorablement car elle tait
notamment incite par la rforme scolaire de 2009 introduisant lenseignement de lhistoire
des arts dans les programmes de collge, renforcer et systmatiser ses liens avec les acteurs
culturels locaux6. La premire runion visant laborer le projet daction a eu lieu en
mars 2010. La mthodologie retenue a t celle dune co-construction entre quipe
ducative du collge et acteurs culturels susceptibles dintervenir, avec lappui du chef de
projet du schma dpartemental de dveloppement des enseignements artistiques du Conseil
gnral 7. Le conservatoire de musique et de danse a t dsign comme le porteur du projet,
la direction artistique tant assure par le conservatoire et la compagnie de thtre en
rsidence dans la commune.
Quatre grands objectifs sont cibls par le Projet dexprimentation. Tout dabord unobjectif 1) d ducation artistique , consistant permettre des collgiens de dcouvrir et
explorer des pratiques artistiques, la fois comme spectateurs et comme acteurs. Puis 2) vient
un objectif scolaire. Les parcours sont le produit dun travail co-construit par linstitution
scolaire et les acteurs culturels. Ils doivent permettre d apporter de nouvelles motivations et
aiguiser le got apprendre des collgiens . Ensuite 3) un objectif de dmocratisation
artistique, consistant mettre en contact avec la Culture un public qui ne serait pas touch par
elle par ailleurs ; lexplication rsidant ici moins dans des facteurs proprement sociaux que
dans des raisons gographiques. Enfin 4) un objectif de formation des artistes amateurs, le
croisement de diffrents arts devant permettre de former des artistes plus complets.
Ces quatre objectifs forment en fait deux blocs, qui renvoient dune part des enjeux
culturels (duquer, dmocratiser et former), et dautre part des enjeux proprement scolaires.
Cette dualit des buts viss par laction correspond aux missions diffrencies qui sont celles
des institutions qui la portent. De fait, le soutien aux enseignements artistiques et aux
pratiques lies au spectacle vivant apparat comme lune des motivations initiales etprpondrantes du Conseil gnral, tandis que la direction du collge conoit dabord le
6Promesse de campagne de Nicolas Sarkozy en 2007, lintroduction de lhistoire des arts dans les programmesscolaires est ralise par Xavier Darcos. Elle est effective la rentre de septembre 2008 pour le primaire, cellede septembre 2009 pour le secondaire. Cette nouvelle matire embrasse tous les champs, de larchitecture lavido, afin de livrer aux lves des repres historiques et mthodologiques indispensables la comprhensiondes uvres, sans oublier le contact direct avec celles-ci. Les chefs dtablissement sont pris de conclure cette fin des accords avec les institutions culturelles du territoire, si ce nest dj le cas . (E. Wallon, Espoirset dboires de lducation artistique , in B. Toulemonde (dir.), Le Systme ducatif en France, Paris, La
Documentation franaise, 2009, p. 191-196, p. 193).7Projet dexprimentation de parcours dinitiation artistique pluridisciplinaire.
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parcours comme un mode particulier dacquisition et/ou de consolidation des connaissances
scolaires.
1.2. Dcouvrir et explorer des pratiques artistiques : veil au corps
et aux sensations
Comme on la dit prcdemment, lune des motivations initiales du Conseil gnral
mettre en place un tel parcours dducation artistique tait de systmatiser les liens pouvant
exister entre dune part linstitution scolaire, dautre part les tablissements denseignement
artistique et les artistes professionnels. De manire sous-jacente, lobjectif vis est en fait de
favoriser la dmocratisation de laccs aux pratiques artistiques et culturelles. Il sagit de se
saisir de linstitution scolaire, qui capte lensemble des enfants dune classe dge sans
distinction dorigine sociale et/ou de capital culturel, pour les mettre tous en contact avec la
Culture (lgitime) et les Arts. Cest pourquoi lorsque lide dun parcours cohrent
dducation artistique et culturelle a t soumise la direction du collge, le chef de projet au
Conseil gnral a insist pour que laction nentre pas dans le cadre des CHAM (Classes
Horaires Amnages), qui sont des dispositifs optionnels qui reposent sur le volontariat et ne
concernent quun nombre limit dlves. De fait, le mode de recrutement des CHAM fait
peser sur elles le risque que sy retrouve majoritairement un public a prioridj sensibilis
la culture lgitime et aux pratiques artistiques lextrieur du monde scolaire, au sein de leurs
familles. Comme lont montr de nombreuses enqutes sociologiques8, cest prcisment au
sein des familles, que naissent les ingalits daccs et de rapports la culture. linverse,
lambition du Conseil gnral tait bien de toucher lensemble des collgiens.
Lenjeu de la dmocratisation culturelle est bien peru par la direction du collge. En
entretien, le proviseur et le principal-adjoint de ltablissement soulignent que le public
scolaire quils accueillent est dorigine sociale trs populaire. Le taux de boursiers y est par
exemple important. Hormis quelques familles disposant de salaires consquents, lessentiel de
la population connat une relative pauvret. Le proviseur et le principal-adjoint ont ainsi
8 Parmi les recherches rcentes, on peut citer notamment : M. Court et G. Henri-Panabire, La socialisationculturelle au sein de la famille : le rle des frres et surs , Revue franaise de pdagogie, n 179, 2012, p. 5-16 ; B. Lahire, La Culture des individus. Dissonances culturelles et distinction de soi, Paris, La Dcouverte,2004 ; C. Mennesson, Socialisation familiale et investissement des filles et des garons dans les pratiquesculturelles et sportives associatives , Rseaux, n 168-169, 2011, p. 87-110 ; F. Renard, Reproduction deshabitudes et dclinaisons de lhritage. Les loisirs culturels dlves de Troisime , Sociologie, vol. 4, n 4,2013, p. 413-430 ; C. Tavan, Les pratiques culturelles : le rle des habitudes prises dans lenfance , Insee
premire, n 883, 2003.
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pleinement conscience davoir un gros rle jouer pour laccs la Culture de ce public
jug difficile . Ils tiennent pour une de leurs missions dapporter les arts tous les publics.
Pour ce faire, ils entendent prenniser le parcours dducation artistique et culturelle, qui a t
intgr au volet culturel du Projet dtablissement et du Contrat dobjectif signs avec le
Recteur dAcadmie. Le principal-adjoint a par ailleurs tenu rendre clairement visible le
dispositif dans les emplois du temps des lves afin de faciliter lintervention des artistes et
dafficher la pleine reconnaissance des actions. Celles-ci sont, de fait, identifiables par les
lves comme nimporte laquelle des matires qui composent leur emploi du temps.
Le principal-adjoint, qui est charg dassurer le pilotage administratif et logistique du
parcours, apparat comme un soutien de poids qui dfend vivement la vise dducation
artistique du projet. Pour lui, lcole ne doit pas se fixer pour seule mission de transmettre desconnaissances et des savoirs scientifiques, mais doit aussi permettre aux lves de dvelopper
leur sensibilit . Dans cette perspective, lart constitue un moyen privilgi :
Si lcole doit apporter de la connaissance, de la science, elle doit aussi apporterde la sensibilit. Et si on na pas une ducation la sensibilit, on ne pourrafabriquer que des gens qui pensent de manire dsincarne, des gens qui ne seconnaissent mme pas, la rigueur, qui peuvent tre de trs bons mathmaticiensmais qui ne connaissent mme pas leurs propres choix, leurs propres gots .
Cette reprsentation de lart comme instrument privilgi de lducation des sens recoupela vision promue par les artistes intervenantes. lodie, comdienne et intermittente du
spectacle, insiste ainsi sur la dimension corporelle et motionnelle qui imprgne linitiation au
thtre et qui doit primer sur le texte. Pour elle, lenjeu premier des ateliers est dapprendre
aux lves faire usage de leurs corps, sexprimer corporellement, exprimer des motions
par le jeu, et en particulier par la gestuelle. lodie regrette dailleurs beaucoup le manque de
temps dont les lvent disposent pour monter le spectacle, qui fait que lefficacit du travail
ralis chaque semaine tend prendre le pas sur la recherche (des sensations, du jeu, de ce quimarche, etc.), pourtant conue comme une dimension essentielle du travail de comdien :
Faut tre efficace l. Cest--dire que tu vois par exemple cet aprs-midittais pas l mais un moment donn jessayais de leur donner des indications de
jeu et tout a. () a marchait pas, ils entendaient pas. Donc un moment donn,je leur montre et je leur dis : "Faites comme je fais". Ce que je ferais jamais enatelier extrascolaire parce quon a vraiment le temps de leur faire chercher. Euhl y a un temps de recherche qui est moindre. Voil. Ce que vraiment jaime leurapprendre cest que faire du thtre cest pas trouver, cest chercher. Et que cestcette recherche-l qui en tout cas nous intresse la Compagnie. Cest pas pourrien quon fait beaucoup de spectacles sur le thme de la science. Cest que larecherche nous intresse vachement plus que le rsultat final .
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Isabelle, professeure de piano et densemble musical au conservatoire et animatrice de
latelier musique, conoit galement lducation artistique comme une approche aux
sensations qui consiste mettre en veil les sens : Et cest a qui mintresse
normment cest mettre en veil la sensibilit, lcoute. tre hypersensible, hyperattentif.
De fait, elle aussi regrette un calendrier trop serr. Elle souhaiterait que laction puisse se
drouler sur une anne scolaire complte, ce qui permettrait aux lves davoir du temps pour
apprendre ressentir et pour permettre un collectif de se construire :
Donc je regrette un peu cette formule-l moi. Pour moi, a devrait tre quelquechose qui est fait sur toute l'anne, avec vraiment en fond () l'importance dugroupe, l'importance de mettre en chos et en rsonance sa sensibilit aussi parceque les enfants ne savent plus trop a. Euh... et couter, ils savent plus tropressentir, a va trop vite aujourd'hui, tout va trs vite. Et tout d'un coup les mettre
un peu en suspens c'est vachement intressant. C'est une belle exprience leurfaire vivre cet ge-l. a peut tre fait par les arts. Et je trouve a vachementintressant si on a le temps de le faire. Mais si nouveau on tombe dans unpanneau de production ou de quelque chose qui va trop vite, on est un peu ctde la plaque. Donc c'est a que je trouve un peu dommage cette anne .
La citation prcdente dit davantage que le regret du manque de temps. Dune certaine
manire, elle positionne le travail de lart en rupture avec le travail scolaire. Alors que ce
dernier suppose un calendrier pralablement dfini et un objectif prcis, prenant par exemple
la forme dune production , lapprentissage des arts rclame linverse un temps qui soitmoins dcoup et rationalis. Il sagit de laisser des sensations merger, sinstaller. Le corps
tient ici une place centrale. La smantique de lextrait met en avant le travail du et la
dcouvertepar le corps : sensibilit , ressentir , couter . Les organes sensoriels sont
ici mobiliss. Lusage dprciatif dans lextrait du mot production nest pas anodin. Il
sagit de dnoncer le finalisme suppos de lcole, cest--dire lide quil faudrait
ncessairement arriver un rsultat qui soit objectivable (valuable), tandis que lintrt
premier de lart rsiderait dans lexprience de sensations.
1.3. Soutenir les apprentissages scolaires
La dmocratisation culturelle, au sens o il sagit de permettre tous les lves de
dcouvrir des pratiques artistiques, est un objectif partag par tous les acteurs impliqus dans
laction. Or cet objectif nest pas dconnect denjeux et dattentes proprement scolaires, et ce
deux niveaux. Tout dabord parce que les actions dducation artistique et culturelle mises
en place au collge entrent dans le cadre de lenseignement de lhistoire des arts. Or, depuis
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2009, lhistoire des arts fait partie intgrante des programmes scolaires9. Elle est mme
sanctionne par une preuve au brevet des collges. Il est attendu des lves quils matrisent
au terme de leur cursus un certain socle de connaissances sur les arts. La dmocratisation
culturelle est donc, dune certaine manire, pleinement intgre aux missions de lcole et le
parcours dducation artistique et culturelle au cursus scolaire des collgiens du collge
tudi.
Mais il est galement espr de la participation des lves au parcours des bnfices
scolaires plus gnraux et plus immdiatement visibles. Le proviseur insiste particulirement
sur ce point. ses yeux, lobjectif rel de contribuer la dmocratisation culturelle ne doit
pas masquer que, dans la mesure o laction sinscrit dans le temps et le cadre scolaires, ainsi
que dans les parcours scolaires des lves, des retombes scolaires sont aussi, voire surtout,attendues. Les professeurs en particulier nous dit-il, esprent des bnfices sur le plan du
comportement, de limplication dans les tches scolaires ou encore en termes dapprentissage
et de rsultats. Il est notamment espr que le parcours permette certains lves en difficult
de raccrocher scolairement.
Les acteurs scolaires ne sont dailleurs pas les seuls placer dans laction de tels objectifs.
Linitiateur du projet au Conseil gnral, qui apporte son appui technique la mise en uvre
du parcours, voit dans celui-ci un outil alternatif l ducation classique pour intresser leslves aux thmatiques du programme scolaire (comme le moyen-ge dans le cas des 5me). Il
lenvisage galement comme un moyen pouvant contribuer remobiliser les lves en
difficult.
Les attentes scolaires sont donc loin dtre ngligeables. Et il semble mme quelles
tendent saffirmer au fil du temps. Un texte, dat du 13 janvier 2011 et faisant un point
dtape sur la ralisation du projet exprimental10, liste par exemple plusieurs lments
amliorer dans le dispositif, dont un ressort qui est particulirement intressant :
Le besoin dune approche pralable avec les lves comme avec les parents estressenti, de manire exposer les objectifs de ces actions dducation artistique,quelles soient reues comme de vritables moments dducation et non de
9 Il faut prciser ici que les tablissements scolaires bnficient dune autonomie importante dans llaborationde leurs enseignements de lhistoire des arts, conue comme une discipline transversale pouvant faire intervenirdes professeurs de diffrentes matires.
10Point dtape sur lexprimentation daction dducation artistique aux arts de la scne , compte-rendu dunerunion du 13 dcembre 2011.
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rcration. Un crit et une valuation interactive avec les lves semblentncessaires .
Cette citation constitue une bonne illustration de lancrage scolaire du projet. Dans lesprit
des acteurs qui la portent, laction ne saurait tre dtourne de ses vises ducatives et de ses
fins dapprentissage. Il leur apparat donc que ces dernires doivent tre bien connues et
perues la fois par les lves et leurs parents. Si, tels quils sont formuls, on ne sait pas
prcisment ce qui est entendu par un crit et une valuation interactive , on peroit
nanmoins une volont de renforcement de lencadrement scolaire. Le recours lcrit et
lvaluation soit des pratiques profondment incorpores aux modes daction scolaires, et
mme constitutifs de la forme scolaire dapprentissage a pour effet de rappeler et
dexpliciter la dimension scolaire du projet (qui ne doit pas tre peru par les lves et leurs
familles comme un moment de rcration ) et des buts fixs.
Il faut noter que le retour de ltablissement sur lanne dexprimentation semble avoir
confort le proviseur et le principal-adjoint dans la possibilit de tirer des profits scolaires de
laction. Selon eux, des lves en difficult dans certaines disciplines sont parvenus se
valoriser dans le projet. Il semblerait galement que les lves lisent avec plus de curiosit. Le
proviseur et le principal-adjoint analysent limplication des lves comme le rsultat de la
possibilit qui leur est donne de sinvestir dans les murs de ltablissement, mais en dehors
de leurs enseignements et enseignants traditionnels. La possibilit de faire des choix parmi les
disciplines proposes est galement perue comme un lment capable de stimuler
linvestissement des lves.
Au final, on observe que vises artistiques et vises scolaires imprgnent laction. Au
niveau des concepteurs, ces objectifs pluriels ne recoupent pas strictement la distinction entre
acteurs du monde artistique et culturel et acteurs du monde scolaire. Ils ne coexistent pas
sparment, mais tendent se mler pour la promotion dun projet ducatif global. Il sagit depromouvoir une approche de la culture et des arts en tant qulment dducation et plus
globalement de constructionde lIndividu 11. La dimension artistique, en revanche, prime
trs nettement dans les discours des artistes-enseignants. Nous verrons mme que pour elles,
casser certaines logiques scolaires peut paratre bnfique pour faciliter la dcouverte et
lexpression artistiques des lves.
11Ibid.
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2. Mise en uvre de laction
Nous allons dans cette partie tudier la mise en uvre concrte de laction. Nous traiterons
exclusivement du projet ralis par les classes de 5me
lors de lanne scolaire 2012-2013, quiest celui sur lequel ont port les observations. Il convient de noter en prambule que ce projet
ne fait pas seulement cho aux programmes dhistoire des arts, mais quil entre dans le cadre
des Itinraires de Dcouverte (IDD). Introduits dans le programme des classes de 5me la
rentre de 2002, les IDD sont des modules denseignement interdisciplinaires par projets
visant favoriser lapprentissage de lautonomie par les lves. Bien que devant servir
lacquisition par ces derniers des savoirs composant le programme scolaire, les IDD
sefforcent de dvelopper des dispositifs pdagogiques alternatifs au modle de la salle de
classe. Chaque tablissement est autonome pour laborer ses propres IDD. Dsormais, il nous
arrivera dans ce texte de parler des IDD pour dsigner laction.
2.1. Bornage scolaire, autonomie des artistes
Lun des principes qui a guid la conception du parcours est celui de la co-construction du
projet artistique par des artistes-enseignants dune part et lquipe ducative du collge
dautre part. Cette ide de la co-construction est largement mise en avant dans les textes et les
discours institutionnels portant sur laction. Or, alors que le terme suppose une collaboration
troite entre les diffrents acteurs, les observations sur le terrain conduisent relativiser cette
prsentation. Cest en effet plus un net partage des rles et des tches entre les artistes et les
professeurs quun vritable travail conjoint qui se donne voir sur le terrain.
En premier lieu, il est ncessaire de souligner le fort ancrage scolaire de laction. Les
ateliers suivis par les lves se droulent dans les murs du collge et durant le temps scolaire.
Ils sinscrivent doublement dans le programme scolaire, du fait quils relvent des IDD et que
le thme du spectacle (le Moyen-ge) figure aux programmes de franais et dhistoire. Ils
mobilisent enfin des professeurs sur leurs heures de service. Ce sont dailleurs ces derniers
qui, en accord avec la direction du collge, ont dtermin et impos la thmatique du moyen-
ge. Il faut noter en outre que les quelques sances assures par les professeurs seuls durant la
premire phase des IDD, sapparentent trs clairement des cours classiques. Il sest agi pour
lessentiel de travailler sur des textes, que ce soit pour les lire ou pour les crire. Lune des
sances laquelle on a assist a ainsi t consacre la lecture et la comprhension dun
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extrait de Gargantua de Rabelais. Lexercice consistait dans un premier temps chercher
dans le dictionnaire le sens des mots difficiles (pralablement surligns) et en rdiger une
dfinition. Puis la professeure interrogeait les lves, notant leurs propositions de dfinition
au tableau. On est ici dans un format tout fait scolaire, la sance consistant peu ou prou en
un cours de franais.
Cet ancrage scolaire est une caractristique fondamentale de laction. Celui-ci
saccompagne toutefois dune autonomie importante laisse aux artistes intervenantes. La
direction et la conception du spectacle leur sont en grande partie confies. Certes, le thme
gnral leur est impos et pse sur elles comme une contrainte dont elles aimeraient
saffranchir. lodie, lintervenante thtre, dit dailleurs avoir tent de ngocier avec les
professeurs lors des premires runions, mais que le choix du thme sest rvl ne pas trediscutable : Nous a fait deux ans quon essaye de se sortir de ce thme-l avec Maria et
Isabelle . Cette contrainte du thme impos est cite par lodie comme une des
problmatiques de bosser avec un tablissement de lducation nationale : Cest quon est
oblig de rester dans le programme. Et du coup des fois cest un peu . Malgr cela, les
intervenantes disposent dune marge de manuvre importante pour laborer le spectacle ( Et
le spectacle on la mont avec Maria et Isabelle ). Ce sont elles qui, lors de runions
prparatoires dont tait absente lquipe ducative du collge, en ont construit la trame,
dgag les grands axes, crit les principales lignes. Les sous-thmes du spectacle (le
monstrueux, la chevalerie, lamour courtois) sont ainsi des trouvailles et des choix des
intervenantes. La prparation du spectacle a ncessit, en amont des premires sances avec
les lves, tout un travail dcriture auxquels les professeurs nont pas particip. Ce travail
prparatoire a notamment dbouch sur un droul complet du spectacle qui a ensuite t
prsent aux professeurs. Ces derniers sont donc en fait entrs dans laction plus tardivement
et, alors que les missions de conception et de direction dvolues aux intervenantes ont requis
un travail consquent hors de la prsence des lves, leur primtre dintervention sest pour
lessentiel limit aux sances avec les lves. La diffrenciation des rles entre les artistes et
lquipe ducative du collge va se traduire concrtement par une division du travail trs
marque. Du fait quelles tiennent les rnes de la conception du spectacle, les intervenantes
vont en piloter la mise en uvre et relguer les professeurs des tches plus priphriques.
Signe de leur dpossession, une professeure nous dira dailleurs quelle et ses collgues ont du
mal savoir o on va .
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2.2. Une nette division du travail
Lors des sances dapprentissage et de rptition, une rpartition des rles et des tches
trs marque sobserve. Parce quelles possdent les savoir-faire artistiques, mais aussi parce
quelles ont conu le spectacle, les artistes ont la main sur la conduite de laction. Elles
dirigent les sances, grent la progression de la prparation du spectacle, prennent les
dcisions qui simposent. A contrario, les professeurs apparaissent systmatiquement en
retrait, prenant peu la parole et intervenant rarement. Ils restent cantonns un rle dappui et
lexcution de tches priphriques qui nentrent pas dans le cur artistique du
spectacle.
Dans latelier thtre, si la professeure qui accompagne lodie fait lappel en dbut desance, elle se place ensuite en retrait. Cest alors lodie qui monopolise la parole, donne les
consignes, demande aux lves de faire le silence lorsquil y a trop de bruit, fait la discipline,
etc. La professeure est non seulement le plus souvent silencieuse, mais se tient mme
physiquement lcart. Ds les exercices dchauffement, elle est assise sur un bureau situ
une extrmit de la pice tandis que les lves et lodie occupent un grand espace au centre
de celle-ci. Ses prises de parole, quil sagisse dmettre une suggestion ou de rprimander un
lve jug insupportable , sont rares (lors dune des sances que nous avons observes,
nous nen avions relev que deux). Son attitude dnote nanmoins une vritable implication.
Elle est attentive ce quil se passe mais le cours de la sance est pris et tenu en mains par
lodie.
Une configuration analogue sobserve dans latelier danse, quoique de faon moins
marque. Lors des phases dchauffement, la professeure est par exemple intgre au cercle
form par lintervenante (Maria) et les lves. Par la suite, elle assiste Maria de manire plus
active, nhsitant pas corriger les erreurs chorgraphiques de certains lves.
Plus que dans les autres ateliers, cest en musique que le binme de lintervenante, qui
nest pas professeur mais assistante dducation12, est le plus discret et effac. Sans doute son
statut participe-t-il de cette ralit. En effet, nenseignant pas, nayant pas ses propres lves,
mais occupant aussi une position domine dans lespace des personnels du collge, lAED est
non seulement moins tenue par lattente dventuelles retombes scolaires du projet, mais
aussi moins lgitime. Isabelle, lintervenante, nous dit dailleurs en entretien que, si a se
12Les assistants dducation (AED) sont les surveillants.
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passe trs bien avec elle, elle prfre tout de mme travailler avec des professeurs puisquil y
a quand mme une grande implication pdagogique de leur part . Durant les sances,
lAED se tient assise sur une chaise, en marge des lves tandis quIsabelle est linverse
pleinement intgre au groupe form par les lves. Le rle de lAED se rduit pour
lessentiel veiller ce que les lves soient disciplins. Ainsi, lors des temps morts, elle en
profite souvent pour recadrer discrtement les lves jugs insuffisamment attentifs. Ce nest
pas pour autant que lintervenante nassure pas ces tches elle aussi. En dfinitive, cest mme
elle qui dfinit les rgles. Nous avons par exemple pu observer une scne trs significative de
ce point de vue. Au cours dune sance, une lve demande lAED si elle peut se rendre aux
toilettes. Cette dernire hsite deux secondes avant quIsabelle nintervienne et tranche en
sadressant directement llve : cest non.
Dune manire gnrale, on constate que si le primtre daction des professeurs et de
lAED est rduit et se limite parfois assurer la discipline, en revanche il ny a pas de tches
dont sont exclues les intervenantes. Et pour ce qui concerne la discipline, elles sont mmes les
premires sen occuper. Cest ainsi une hirarchisation des rles et des fonctions que lon
observe : les intervenantes dirigent, les professeurs et lAED assistent. Dans latelier musique,
lAED est par exemple charge de lancer le disque tandis que lintervenante dirige les lves
la manire dun chef dorchestre. On voit l une distinction nette entre un rle dappui dune
part et un rle de direction dautre part.
Cette division du travail entre les artistes et lquipe ducative va se rvler encore plus
visible lors des rptitions gnrales au cours desquelles tous les groupes, et donc tous les
lves, sont runis. Comme durant les sances prcdentes, les intervenantes dirigent les
oprations (elles sont sur la scne avec les lves) tandis que les professeurs (et lAED) sont
physiquement en retrait (positionns dans lespace destin au public). Mais cette fois-ci, les
intervenantes demandent explicitement aux professeurs de se charger dassurer la disciplineafin que les rptitions soient efficaces. Par ailleurs, lorsquil sagit de rgler certains dtails
du spectacle, les intervenantes discutent entre elles et prennent les dcisions seules. Exclus de
ces changes, les professeurs nont alors aucune prise sur la dimension artistique des
vnements et semblent plus que jamais dessaisis de ce qui se passe. Mais le plus significatif
se droule sans doute lors des longs temps de pause, comme les repas. Dans ces moments, les
intervenantes se soustraient la prsence des lves. Elles mangent par exemple entre elles,
lcart. Les professeurs et lAED prennent alors en charge les lves. LAED distribue les
plateaux-repas aux lves et les professeurs les surveillent et mangent avec eux. La mme
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configuration se retrouve lors de la pause goter de laprs-midi. Les intervenantes annoncent
mme alors lquipe ducative quelles sclipsent trois quarts dheure pour
dcompresser . On voit bien ici la division du travail : aux intervenantes le rle de
direction artistique, aux professeurs la mission de gardiennage.
3. ratiques pdagogiques et !odes dapprentissage
3.1. Casser des logiques scolaires
Dans le discours des intervenantes apparat explicitement le dsir de rompre, pour favoriser
linitiation aux pratiques artistiques, avec les logiques scolaires, juges pesantes et
inhibitrices, qui leur sont imposes au sein de et par linstitution. lodie est particulirement
volubile ce propos. Le fait que les ateliers aient dordinaire lieu dans les murs du collge
constitue pour elle un handicap, ou tout le moins un frein la progression des lves. Les
hirarchies, les rflexes, les attitudes scolaires persistent en effet avec le lieu. Celui-ci borne
lexprience des lves. De la mme manire, la prsence de professeurs du collge peut aussi
constituer un lment perturbateur en tant quils reprsentent linstitution scolaire et lordre
que celle-ci impose. Lors de lentretien que nous menons avec elle en fvrier 2013, lodie se
dit trs impatiente des journes balises consacres aux rptitions gnrales (prvues pour les
18 et 19 mars suivants) car elles vont avoir lieu en dehors de ltablissement, dans une salle
des ftes de la commune :
Ah ouais dj je pense que le 18-19 a va tre vachement plus agrable quonsoit (nom de la salle des ftes) et quon soit dans la salle des ftes de (lacommune), et pas dans le collge. Parce que a libre un peu aussi, enfin ilssortent, cest bien quils sortent de ltablissement aussi quoi. () Moi je penseque sortir de ltablissement cest pas mal. () Voil quand on sort de
ltablissement on a encore autre chose qui arrive quoi, on a encore dautreschoses qui se passent. Parce que dans ltablissement tu as encore les durs quivont faire les durs, tu as encore voil toutes les relations et tous les statuts, toutela hirarchie qui peut y avoir entre lves. () Alors que ds que tu changesdendroit tout peut se casser la gueule. Mme si tu as encore les profs et tout amais quand mme ils sont que 4 profs donc cest pas non plus le .
Pour contourner ces effets dinhibition et casser un ordre scolaire peru comme pesant,
lodie exige que les lves la tutoient et lappellent par son prnom. Elle emploie galement
un langage volontiers familier (comme par exemple le mot verlan chelou ) dans le but
assum de rduire la distance avec les lves. Lgalisation des positions et des statuts vise
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par ce procd est cense favoriser leur expression : Enfin y a un moment donn on nose
pas alors que le but cest de faire exploser les barrires. En jeu en tout cas quoi.
Isabelle attache quant elle une grande importance aux notions de groupe et de solidarit
collective, qui sont des conditions de possibilit pour jouer de la musique ensemble et qui nesemblent pas, selon elle, tre transmises par lcole. Lcole favoriserait au contraire plutt la
comptition et lindividualisation. En musique, il sagit de construire quelque chose
collectivement. Chaque lve doit par consquent tre intgr ( avoir une place ) et
valoris13:
Et cest a que je trouve moi le plus intressant dans les IDD, cest cette histoireo je leur rpte souvent et je sens quils commencent comprendre cettehistoire du groupe, de la sensation du groupe, dtre chacun une pierre dans le
groupe. Quon ne peut pas se mettre tout dun coup au centre du truc et tout fairebasculer (). a, je trouve cest super important pour a dintervenir au collgeparce que je pense quils ont pas du tout cette notion-l () dcoute collective,ou daide ou dentraide .
3.2. Impliquer les lves
Dans leur pratique pdagogique, les intervenantes sattachent beaucoup impliquer les
lves dans la construction du spectacle et dans les prises de dcision. Si elles manifestent une
certaine directivit (dans la mesure o leurs prises de parole sont frquentes pour expliquer,
corriger et conseiller les lves), elles (et les professeurs) ne font pas seuls des choix que les
lves nauraient ensuite qu excuter. Au contraire, aux diffrentes phases du travail, ces
derniers sont consults. On leur demande ce quils pensent du spectacle, sils ont des ides
pour les dialogues ou la chorgraphie, les costumes ou le dcor, sils trouvent que les
personnages conviennent, etc. Bref, les lves ne sont pas de simples excutants mais
participent rellement la conception du spectacle. On attend deux quils soient force de
proposition. Cet effort pour impliquer les lves se matrialise notamment par des temps de
dbriefing en fin de rptitions. L, on demande aux lves leur avis sur la sance qui vient de
se drouler, on leur demande de critiquer leur performance pour lamliorer. Et, dans
lensemble, les lves jouent le jeu. Lors de la dernire rptition de groupe, certains
nhsitent ainsi pas dire quil y a eu des oublis, que les voix ne sont pas assez fortes, etc. ;
certains font des suggestions pour dpasser un problme.
13Notons quapprendre vivre ensemble constitue aussi une valeur scolaire. En se positionnant contre lcole,Isabelle dfend paradoxalement des valeurs promues par elle.
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En musique notamment, Isabelle se rvle particulirement soucieuse, non seulement
dassocier pleinement les lves la conception de la pice, mais aussi de leur ressenti. Aprs
chaque phase de travail dune heure, elle fait avec eux un bilan de ce qui vient dtre ralis et
demande aux lves leur sentiment et leur avis. Elle pose par exemple la question suivante :
Que ressentez-vous, vous ? .
Cet effort pour impliquer les lves, pour quils participent rellement la fabrication du
spectacle, nest pas le seul fait des intervenantes mais caractrise aussi les manires de faire
des professeurs durant les IDD. Par exemple, lors de la sance anime seulement par des
professeurs que nous avons observe, lune des tches que les lves avaient raliser tait de
puiser dans un texte littraire du moyen-ge des lments qui pouvaient tre dclams et qui
pouvaient donc tre intgrs aux dialogues du spectacle. La consigne demandait aux lves desurligner dabord les phrases qui leur plaisaient ou qui leur voquaient quelque chose. Ce
nest que dans un second temps seulement quils devaient noter les phrases qui leur
paraissaient difficiles et leur posaient des problmes de comprhension. La priorit tait ici
donne lcriture du spectacle, dont les lves devaient tre parties prenantes, et non
lobjectif scolaire de comprhension de texte, bien prsent cependant. Cest ainsi que les
lves ont pu retrouver dans les dialogues finaux du spectacle des phrases quils avaient eux-
mmes slectionnes ou crites.
Cette pratique pdagogique est en fait pleinement conforme aux objectifs qui fondent le
dispositif IDD, lesquels visent, par la ralisation de projets, lapprentissage de lautonomie par
les lves. Rompant avec une pdagogie directive juge dpasse (qui considre les lves
comme des rceptacles passifs du savoir dvers dans leurs oreilles ou tal devant leur
yeux 14), elle suppose et rclame linverse un lve actif : Llve doit prendre en charge
son activit intellectuelle, tre plac en situation de rflexion ou de production-cration (vs
situation dentranement systmatique et rptitif) 15
.
14 B. Lahire, Fabriquer un type dhomme autonome : analyse des dispositifs scolaires , in B. Lahire,
LEsprit sociologique, Paris, La Dcouverte, 2007, p. 322-347, p. 329.15Ibid.
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3.3. Transmission orale, apprentissage pratique
Lapprentissage dans les diffrents ateliers se ralise pour lessentiel sur un mode pratique.
Il sagit principalement dun apprentissagepar corps16. En effet, les musiciens apprennent les
techniques du jeu musical en jouant, les comdiens leur personnage en lincarnant, les
danseurs leur chorgraphie en linterprtant, sans avoir recours pour ce faire des supports
crits. Par exemple, dans latelier thtre, lun des exercices raliss consiste marcher en
mimant son personnage, un autre dclamer un bonjour en se mettant dans la peau de ce
mme personnage. Cest ensuite par la rptition et les corrections successives que les lves
sajustent et sapproprient leur rle. Lapprentissage sopre donc par exprimentation.
lodie soutient activement lide que lune des bases du jeu thtral (et ce sur quoi elleinsiste particulirement lors des ateliers dinitiation quelle anime) est lexpression des
motions. Or elle privilgie le corps au texte pour favoriser cette expression. Le thtre, selon
elle, est avant tout un travail du corps, sur le corps :
Moi je travaille normment sur lexpression des motions. Vraiment, pour moi,linitiation, cest a, cest la base. Et partir du moment o () on a un paneldmotions en jeu, on peut y aller, on peut dj euh avancer, pas mal. Donc toutce qui est expression des motions et puis le travail du corps. Cest ce qui nous
intresse la compagnie en fait parce que on nest pas normment dans le texte, la compagnie. En tout cas on fait jamais de texte classique. () Moi ce quejaime bien avec les ados par exemple, cest de leur faire dcouvrir des auteurscontemporains. () Ce que jaime beaucoup cest que souvent on arrive dans uneclasse, ils sont persuads quon va leur faire rciter du Molire pendant deuxheures. Et la surprise de bah non cest pas du tout a quoi. Cest de lexpressiondes motions, cest des jeux (). Cest des jeux pour le jeu quoi. Et pourexprimer le jeu. () Au dbut on commence vraiment avec des jeux, des petitschauffements corporels, des choses vraiment trs simples pour explorer soncorps, comment on ragit, etc. Aprs tout un travail sur les motions, toujours parle corps. Et la parole elle arrive au bout de trois mois dinitiation .
Des modes de faire analogues sobservent dans latelier danse. Lune des mthodes
employes par Maria pour apprendre aux lves danser consiste donner une consigne trs
gnrale, comme par exemple faire un mouvement impliquant la colonne vertbrale , puis
demander aux lves de le rpter jusqu ce que le mouvement excut soit abouti, cest--
dire sapparente un lment chorgraphique. Cest ainsi, par lentranement rpt, que des
techniques sont progressivement matrises. Par ces modes dapprentissage, les lves
acquirent prioritairement des savoir-faire, cest--dire des comptences corporelles.
16S. Faure,Apprendre par corps. Socio-anthropologie des techniques de danse, Paris, La Dispute, 2000.
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Ce qui relve des savoirs, comme par exemple le vocabulaire spcialis, nest pas lobjet
premier de la transmission, ce qui nempche pas que des notions ou des termes techniques
soient mobiliss par les intervenantes et mme, que celles-ci insistent pour quils soient
retenus. Par exemple, lors dune des sances, lodie annonce que les lves vont procder
un filage arrt . Le filage arrt consiste jouer chronologiquement lintgralit dune
pice en sarrtant sur les passages rclamant des corrections ou des ajustements. Lorsquelle
voque cette notion, lodie explique son sens et le rpte plusieurs reprises. Elle signale de
cette manire son dsir que ce quelle signifie soit compris par les lves. Autre exemple : lors
dun exercice visant travailler la projection sonore de la voix, lodie livre des explications
thoriques sur la respiration. La connaissance technique ou savante nest donc pas tout
fait exclue de lapprentissage, mais elle nest pas ce qui prime. Le recours des notions
techniques nest pas, a fortiori, dconnect de leur utilit pratique. Celles-ci sont en effet
sollicites lorsque, en permettant de dsigner, nommer ou expliquer quelque chose, elles
servent lapprentissage pratique. Elles ne sont pas, enfin, transmises sur un mode scolaire,
cest--dire passant par la forme crite.
Dans les ateliers, la transmission sopre en grande partie oralement. Les intervenantes
donnent loral les consignes, dtaillent les procds, dcrivent les gestes accomplir,
noncent les attentes, etc. Une bonne part du travail pdagogique est constitue de discours
consistant expliquer ce quil faut faire (et/ou ne pas faire) et comment le faire. Par exemple
en musique, certains lves ont pour tche deffectuer des bruitages sonores. Lors des
rptitions, lintervenante dicte les mouvements effectuer (se taper la poitrine, les cuisses,
les mains, battre du pied, etc.) mesure que les lves les effectuent. Si elle a devant elle un
pupitre sur lequel est pos un cahier o la succession des mouvements est note, les lves
nont aucun support crit.
Une autre part du travail pdagogique consiste montrer, cest--dire fournir aux lvesdes modles de ce quils doivent raliser. Lapprentissage se fait donc pour partie par
imitation. Les lves sefforcent de reproduire ce qui est ralis devant eux par lintervenante.
Expliquer et montrer sont dans les faits deux oprations souvent simultanes. Si linverse
nest pas vrai, lexemplification (montrer) saccompagne en revanche toujours dexplications
(expliquer). En danse et en musique surtout, jusquaux toutes dernires rptitions, les
intervenantes excutent avec les lves le rpertoire tout en dcrivant ce quelles sont en train
de raliser. Les gestes constituent ainsi un modle instantan des instructions donnes.
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3.4. Retours des procds scolaires
Si, dans les ateliers, lapprentissage seffectue sur un mode essentiellement pratique et non
thorique, on observe nanmoins le recours des procds scolaires, en particulier lcrit.
Lcrit nest pas, dans les ateliers, un support de lapprentissage (les lves nont pas dcrits
sous les yeux au cours des sances), mais il nest pas tout fait absent pour autant. En
loccurrence, il est surtout mobilis dans les fins de sances, comme mode denregistrement
de ce qui a t ralis. Dans chaque atelier, il est demand aux lves de noter dans leurs
cahiers ce quils ont appris et quils doivent retenir et rpter pour le prochain cours. Ainsi,
dans latelier danse, Maria demande aux lves de noter par crit les sentiments quils doivent
mimer afin quils puissent sentraner chez eux. Cest l une manire de faire qui sapparente
trs clairement aux devoirs. On assiste l, dune certaine manire, un retour du refoul
scolaire puisquon en revient des manires classiques de faire lcole : recours lcrit
comme support privilgi de la mmoire et mode de fixation des apprentissages, projection
dans le temps, planification des tches, rptitions et exercices.
Par ailleurs, dans chaque atelier, on sefforce de donner aux lves les moyens de se
projeter dans le temps et danticiper les phases de travail venir. Ainsi lodie annonce-t-elle
au dbut de chaque sance le contenu de celle-ci. Les lves savent ainsi ce quil va se passer
et ce quils vont avoir raliser dans le futur proche. la fin de la sance, est aussi annonc
le programme de la sance (voire des sances) suivante, ce qui permet aux lves de situer
leur progression par rapport lobjectif final (le spectacle) et par l denvisager un temps plus
long. Cette faon de prvoir, de programmer, danticiper est constitutive dun rapport rflexif
au temps qui participe de la forme scolaire.
Enfin, on observe ponctuellement, en particulier dans latelier danse encadr par Maria, la
mise en place dactivits visant intellectualiser la pratique artistique. Nous avons ainsi tnous-mme frapps de voir Maria dbuter une sance par la lecture dun texte (assez abscons)
du philosophe Roger Garaudy sur la danse. Cette lecture avait pour objectif de donner les
lves rflchir sur le sens collectif de lacte de danser ensemble. Elle manifeste en creux la
volont de lintervenante daller au-del du simple apprentissage corporel, de ne pas agir
seulement sur les corps, mais aussi sur les esprits, comme on fait dordinaire lcole. Un
autre exercice propos par Maria consistait rapprendre marcher. Les lves devaient
essayer de marcher comme sils marchaient pour la premire fois. On assiste l une
pdagogisation de savoirs ordinaires consistant rapprendre, et rapprendre diffremment,
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en particulier consciemment, des savoirs et savoir-faire pralablement incorpors ce qui
constitue une autre caractristique de la forme scolaire dapprentissage.
3.5. La fonction structurante du spectacle
Dans les entretiens, lodie et Isabelle regrettent le temps trop court dvolu aux IDD. Il en
rsulte selon elles, quen dfinitive, la production (ie le spectacle) prime sur les aspects
recherche et dcouverte artistique qui sont pourtant leurs yeux les lments les plus
intressants transmettre. Dans la pratique, on constate en effet qu mesure quil se
rapproche, le spectacle saffirme comme lenjeu prioritaire, le but ultime en fonction duquel
se rgle lensemble des attitudes et des comportements. Les intervenantes sont dailleurs les
premires faire rfrence au spectacle. Dans leurs discours, il devient, en tant que finalit,
un lment cl de la pdagogie. Maria demande par exemple ses lves, pour quils se
lchent et excutent pleinement les mouvements, de se projeter sur scne, de simaginer
devant le public. Lors de la dernire rptition de groupe, lodie voque quant elle la taille
de la scne, les distances parcourir, les jeux de lumire, etc., pour faire ressentir aux
comdiens les conditions spcifiques dans lesquelles aura lieu la reprsentation, et leur
permettre ainsi de parfaire leur jeu.
Le spectacle constitue galement un argument pour remobiliser les lves dans les
moments de dconcentration. Par exemple, lors de lchauffement dune sance de latelier
musique, un lve, visiblement intrigu par notre prsence dobservateur, se retourne
frquemment dans notre direction. Lintervenante le rappelle lordre et profite de cette
situation pour rappeler que le jour du spectacle, il y aura du public, des lments perturbateurs
et quil faudra parvenir rester concentr. Lors de la dernire rptition avant le spectacle,
lodie reprend un lve turbulent et, pour lui intimer de se calmer, lavertit que dans cinq
heures a lieu le spectacle et quil a tout intrt bien couter pour savoir ce qui va se passer et
ne pas se ridiculiser sur scne.
Les lves sont confronts dans les IDD plusieurs formules pdagogiques, des plus
explicitement scolaires (on pense aux sances animes par les professeurs, dont on a montr
quelles tendaient reproduire le schma classique du cours ) celles qui en paraissent le
plus loign (jeux de mime dans latelier thtre, bruitages avec des sacs plastiques dans
latelier musique, exprimentations corporelles dans latelier danse). Laccent mis par les
intervenantes sur le corps, sur les sensations et les motions, positionne leur travail en rupture
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avec lcole, qui fait de la raison la fois linstrument et lenjeu de lapprentissage. Mais
cette dernire nen disparat pas pour autant. La conception des IDD comme des situations
dapprentissage formalises, dont la vise dlibre est dapprendre, de former et dduquer
(mme si cest par dautres moyens que lducation classique 17), le dcoupage et la
rationalisation du temps, le recours jamais totalement cart la forme crite participent de la
forme scolaire, laquelle imprgne, quoique parfois de manire implicite, laction.
". #a rception de laction par les lves
4.1. Un niveau dimplication globalement lev, mais variable
selon les groupes et les moments
Dune manire gnrale, on a pu constater quune grande majorit dlves a fait preuve
durant les sances de concentration et dimplication. On a ainsi pu voir frquemment des
lves poser des questions, faire des suggestions, mettre en vidence des problmes et
proposer des corrections. Le niveau dimplication apparat cependant trs variable selon les
ateliers. Sans surprise, si lon considre son image sociale trs sexue, cest en danse et parmi
les garons que les cas les plus frquents dindiscipline et de distance manifeste lgard de
lactivit ont t observs. La plupart des garons (tous sauf deux) du groupe nous ont
dailleurs fait part de leur manque de motivation.
Il ny a pas, toutefois, datelier qui nait t confront des lves rtifs. Ces cas sont
nanmoins plus rares en musique et en thtre. Outre la moindre connotation sexue de ces
pratiques, lune des explications tangibles est que ces ateliers comptent moins, parmi leurs
effectifs, dlves pour qui ils constituent un second choix. Latelier thtre a t largement
plbiscit. Nombreux sont donc ceux qui ont d tre reverss dans un autre atelier, lequelavait statistiquement plus de chances dtre latelier danse dans la mesure o celui-ci avait t
le moins choisi. Autrement dit, cest en danse que lon compte le plus de dus. linverse, la
quasi-totalit des lves de thtre et de musique avait obtenu leur premier vu. On peut
comprendre, ds lors, quun diffrentiel de motivation se fasse jour entre les diffrents
groupes.
17La formule, dj cite, est employe par le Chef de projet au Conseil gnral.
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Il est nanmoins intressant dobserver comment lapproche du spectacle, dans chacun des
ateliers, maximise limplication des lves. Les dernires rptitions, en particulier celles de
la veille et du jour du spectacle, sont ainsi celles o les indisciplines, les bavardages
intempestifs, les carts en tous genres sont les plus rares. Le stress (trs palpable) li
limminence de la reprsentation manifeste la volont de la grande majorit des lves de
faire bonne figure et se traduit par une attention soutenue. On voit ainsi certains lves
jusque-l trs dtachs, et parfois mme perturbateurs, paratre, parce que soucieux de ne pas
tre ridicules, soudain concerns et sappliquer apprendre leur rle. Il arrive par ailleurs que
des lves prennent la parole pour rappeler une dcision prise prcdemment et qui tait en
passe dtre oublie, ou pour faire des suggestions afin damliorer le spectacle.
Durant les rptitions gnrales, le calme est rapidement obtenu lorsquil est demand.Lors du filage, le silence se fait spontanment. Les lves apparaissent concentrs et
impliqus. En revanche, lors des temps morts et des pauses, les bavardages sont nombreux et
le volume sonore lev. Le bruit est parfois occasionn par le fait que les lves rejouent ce
quils viennent de faire ou anticipent la scne suivante. On sent une excitation forte chez les
lves, qui trouve se librer dans ces moments de transition. Le dernier jour en particulier,
les moments sont nombreux o une partie des lves est inoccupe. Il y a en effet des temps
de mise en place, dessais de costumes, dhabillement, etc. Lors de ceux-ci, le contrle et
lencadrement des adultes, pris alors dans des microtches o ils sont accapars par des petits
groupes, se desserrent. Ce relchement est exploit par les lves qui bavardent, se
chamaillent, se bousculent, rient, etc. On ne doit pas, cependant, interprter ces
comportements comme les indicateurs dun dtachement des lves lgard du projet. Au
contraire, ils apparaissent comme des moyens efficaces dvacuer la tension et le stress
accumuls lors des phases de travail, durant lesquelles il est attendu des lves une grande
concentration. On observe en effet que lorsque les rptitions reprennent, le calme et le
silence reviennent assez aisment, ce qui tmoigne de limplication dont la majorit des
lves a fait preuve.
4.2. Portraits dlves
Les pages qui suivent sintressent aux cas singuliers de quatre lves que nous avons
interrogs et qui prsentent des profils sensiblement diffrents. Il sagit danalyser leur
perception des IDD ainsi que la faon dont ceux-ci sinscrivent dans leur parcours familial,
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scolaire et culturel. Ivanie (groupe chant) et Mathis (groupe musique) sont tous deux en trs
bonne situation scolaire et pratiquent des activits artistiques en dehors du cadre scolaire.
Morgane (groupe danse) et Julien (groupe danse) sont quant eux en difficult scolaire et
nont pas dexprience artistique extrascolaire. Il est important de noter que ces quatre lves
ont t recruts de deux faons distinctes pour participer un entretien. Ivanie et Mathis,
interrogs les premiers, se sont spontanment ports volontaires aprs que le principal adjoint
ait relay auprs de lensemble des classes de 5me notre demande dinterroger quelques
lves. On peut dduire de leur volontariat quils taient bien disposs lgard des IDD.
Morgane et Julien ont fait lobjet dune seconde vague dentretiens. Ils ont quant eux t
slectionns et sollicits directement par le principal adjoint, qui lon avait demand de
pouvoir questionner des lves aux profils scolaires diffrents de ceux dIvanie et Mathis. On
ne sait pas avec certitude si Morgane et Julien ont accept de bonne grce cette sollicitation,
ou sils ne se sont pas sentis le droit de la refuser. Quoi quil en soit, les portraits qui suivent
ne doivent pas tre tenus pour reprsentatifs de tous les lves ayant suivi les IDD, mais
doivent bien tre lus comme des cas particuliers.
a) Ivanie (groupe chant)
Ivanie est issue dune famille appartenant aux classes populaires. Ses parents, qui ontrcemment divorc, sont originaires de la Runion. Sa mre est femme au foyer et son pre
est au chmage aprs avoir travaill comme mcanicien dans un garage automobile. Ivanie ne
connat pas prcisment leur niveau de diplme mais croit savoir quils possdent tous les
deux un baccalaurat. Ivanie est la quatrime dune fratrie compose de sept enfants. Elle a
deux frres et une sur plus gs, deux surs et un frre plus jeunes. Lan de ses frres est
lectricien dans une usine, le second travaille temporairement dans un restaurant dans lattente
dintgrer une cole de stylisme Lyon. Sa sur ane a termin des tudes de comptabilit
mais envisage de se rorienter, songeant aux mtiers de la manucure. Ses surs (CP et 6me) et
son frre (CE1) plus jeunes sont dans lensemble en bonne situation scolaire. Aucun dentre
eux na connu de redoublement. Ivanie est, elle, en trs bonne situation scolaire. Elle na
jamais redoubl, ses rsultats sont bons et elle manifeste la possession de dispositions
scolairement rentables.Elle dit aimer lcole ( Jaime apprendre et tout. Cest cool ) et ne
pas prouver de difficult se mettre au travail. Lcole est perue par elle comme
importante. Mme si elles sont rares, elle avoue se sentir mal lorsquelle obtient de
mauvaises notes. Au moment de lentretien, elle ne sait pas encore quel mtier elle voudrait
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faire. Elle estime avoir le temps de choisir et avoir le choix tant donn ses rsultats
scolaires : Jaime beaucoup de choses et tout. Jai des bonnes notes alors du coup Non je
sais pas. Je rflchis des fois mais Jai encore du temps ! (rires) .
La musique et la danse sont trs prsentes au quotidien dans la famille dIvanie. Lesmembres de la famille aiment couter ensemble de la musique, mais aussi regarder des films
sur la danse, des clips ou des vidos sur internet :
Dans la famille on aime tous la musique, et tout, on a toujours quelque chose. Ya toujours de la musique chez nous en fait, y a toujours quelque chose. Si y en apas, faut vite lallumer en fait. On aime tous a, la danse, la musique, on regardedes trucs ensemble .
Le pre dIvanie possde une guitare dont il a appris jouer en autodidacte. Sil en joue
trs peu aujourdhui, la jeune fille se souvient en revanche lavoir souvent vu jouer lorsquelle
tait plus jeune. Elle se souvient galement quelle aimait beaucoup prendre la guitare aprs
lui et essayer de reproduire ce quil faisait. Sa mre nest pas musicienne mais aime beaucoup
la danse. Elle avait dailleurs commenc suivre des cours de zumba quelle na pas pu
poursuivre par manque de temps. La danse apparat comme lactivit artistique et sportive
dominante au sein de la famille. Toutes les filles de la fratrie en font ou en ont fait. Lun des
fils a quant lui fait du thtre.
Ivanie manifeste, dune manire gnrale, un got prononc pour les pratiques artistiques.
Comme ses surs, elle fait de la danse en club depuis lge de 5 ans. Elle a dbut par du
modern jazz, quelle a pratiqu pendant 4 ans, et fait depuis du hip-hop. Avant son entre au
collge, elle a galement fait du thtre pendant deux ans, mais a arrt parce que dune part,
la faon de travailler de la professeure ne lui convenait pas ( La prof elle tait un peu stresse
chaque fois donc du coup ctait un peu nervant la fin ), dautre part cela arrangeait
financirement ses parents quelle ne conserve quune seule activit extrascolaire encadre.
Elle aime malgr tout beaucoup le thtre. Elle aimerait galement apprendre jouer de la
musique, du piano ou de la guitare, mais est consciente quon ne peut pas tout faire non
plus . Avec son ami Mathis, qui est pianiste, elle interprte cependant des chansons. Lui
laccompagne pendant quelle chante.
tant donn son profil scolaire et culturel, Ivanie tait a priori toute dispose sinvestir
heureusement dans les IDD, ce qui est effectivement le cas. Dune manire gnrale, elle a
beaucoup aim participer au projet, bien quelle ait eu quelques difficults en dbut de
parcours se reprsenter ce qui allait se passer, ce qui a constitu pour elle une petite source
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dapprhension. Parmi les sances de dcouverte, Ivanie a trs largement prfr latelier
thtre : Parce que jaime dj le thtre en fait. () Jouer la comdie ! . Elle connaissait
dailleurs dj lodie, lintervenante, pour avoir suivi en 6meune option thtre anime par
elle. Elle dit en revanche avoir t droute et due par latelier danse, en raison dune
approche de la pratique trs diffrente de celle quelle connat. Alors que le hip-hop est une
danse trs dynamique et sportive , Maria proposait dans les IDD une conception plus
intellectualise de la pratique :
Cest pas le