La règlementation des plateformes de diffusion numériques par le droit canadien : vers une
meilleure protection de la diversité des expressions culturelles
Mémoire Maîtrise en droit
Ariane Deschênes
Université Laval Québec, Canada
Maître en droit (LL.M.)
et
Université de Paris-Sud
Orsay, France Master (M.)
© Ariane Deschênes, 2018
iii
Résumé
Cette étude avance que le droit canadien possède les outils lui permettant de
réglementer les plateformes de vidéo à la demande canadiennes et étrangères. Les
technologies de distribution et de diffusion numériques bouleversent profondément
l’industrie cinématographique et le système canadien de radiodiffusion et impliquent de
profonds changements dans la chaîne de production, de distribution et d'exploitation des
films. Les plateformes occupent une position concurrentielle sur le marché, sans pour
autant être soumises aux obligations de financement de la création et aux quotas de
diffusion de contenu canadien, tandis que le rôle des acteurs traditionnels, tels les
câblodistributeurs, se trouve menacé.
De plus, la diversité des expressions culturelles et la promotion du contenu canadien
ne sont pas garanties sur les plateformes de vidéo à la demande. Cette recherche démontre
qu’il est toutefois possible d’encadrer, par le droit canadien, les activités de ces
plateformes. Considérant que la politique canadienne de radiodiffusion est encore
pertinente aujourd’hui pour sauvegarder la culture canadienne, cette recherche propose d’en
revoir le système et les mécanismes afin de les adapter à l’environnement numérique.
Enfin, cette étude suggère avant tout la création d'un nouveau système normatif, par la mise
en place d’un règlement destiné spécifiquement aux plateformes de vidéos à la demande
canadiennes et étrangères, afin de les soumettre aux obligations de financement de la
création et à la promotion et la découvrabilité des contenus audiovisuels numériques
canadiens.
iv
Abstract
This study suggests it would be possible for Canadian law to regulate a video-on-
demand platform. In fact, distribution and broadcasting technologies have disrupted the
cinematographic industry and the Canadian public broadcasting system with profound
changes in the broadcast chain and the distribution channel. The video-on-demand platform
has taken up a predominant position on the market, without being submitted to the financial
contribution to a Canadian creation fund and to the obligation of broadcasting a percentage
of Canadian content, while the role of traditional stakeholder, such as cable distributors, is
being challenged.
Furthermore, the diversity of cultural expression and promotion of Canadian content
is not guaranteed on video-on-demand platforms. This study aims to demonstrate that it is
possible to regulate the activities of such platforms by Canadian laws. Considering that the
Canadian broadcasting policy is still relevant nowadays to maintain the presence of
Canadian culture online, this research suggests reviewing the Canadian public broadcasting
system in order to adapt it to the digital environment. Finally, this study suggests creating a
new regulation system by introducing regulation for the specific intention of Canadian and
foreign video-on-demand platforms. This would submit them to the obligation of financial
contribution to a Canadian creation fund and to the promotion and discoverability of the
Canadian audiovisual contents in the digital space.
v
Tabledesmatières
Résumé iii
Abstract iv
Remerciements vii
Liste des abréviations viii
Introduction 11. Mise en contexte 12. Problématique 33. Questions de recherche 84. Hypothèses 95. Méthodologie 11
Partie 1. Le système canadien de distribution et de diffusion des œuvres audiovisuelles 13
1.1. Les modes traditionnels de distribution et diffusion des films 131.2. La mission et le fonctionnement du système canadien de radiodiffusion 161.3. La politique canadienne de radiodiffusion et le système des licences de radiodiffusion 20
1.3.1. La pertinence de la politique canadienne de radiodiffusion dans un monde numérique 211.3.2. Les conditions restrictives d’obtention des licences de radiodiffusion 23
1.4. Une qualification d’entreprise de radiodiffusion désuète 27
Partie 2. Les mesures de soutien à la production et la distribution des œuvres audiovisuelles canadiennes face aux enjeux du numérique 34
2.1. Les mesures de financement du contenu canadien 342.1.1. Les fonds de soutien à la création canadienne 342.1.2. Les crédits d’impôt pour sociétés de productions canadiennes et étrangères 38
2.2. Les avantages et exemptions fiscales pour les plateformes de vidéo à la demande 402.2.1. L’absence de perception de la taxe sur la valeur ajoutée par les plateformes en ligne
402.2.2. Le paiement de l’impôt fondé sur la présence physique au Canada 42
2.3. Un système de quotas de diffusion inadapté au numérique 442.4. La promotion et la découvrabilité des contenus audiovisuels numériques 48
2.4.1. L’incidence de l’hyperchoix sur la découvrabilité 492.4.2. L’influence des systèmes de recommandation des contenus 50
2.5. Les conséquences des systèmes de recommandation sur la diversité des expressions culturelles 52
2.5.1. L’uniformisation des contenus 532.5.2. L’utilisation et le traitement des données personnelles 56
Partie 3. Les pistes de solutions 593.1. La révision de la qualification de radiodiffuseur 593.2. La révision du système de radiodiffusion et des licences 613.3. La révision des mécanismes de financement 673.4. La révision des fondements de la fiscalité pour atteindre l’équité fiscale 71
vi
3.5. La révision du mécanisme des quotas à l’ère du numérique 753.6. L’encadrement de la découvrabilité des contenus numériques 78
Conclusion 81
Bibliographie 84
vii
Remerciements
Je souhaite d’abord remercier ma codirectrice, Madame Véronique
Guèvremont, qui est une source d’inspiration et un modèle au niveau
professionnel et tout simplement une personne que j’admire. Merci d’avoir cru
en moi et de m’avoir soutenu tout au long de mon parcours académique.
Je souhaite également remercier ma codirectrice, Madame Alexandra
Bensamoun, pour son écoute et ses conseils durant tout le projet et pour la
création de ce programme d’études bidiplômant.
Merci également au Ministère des Relations internationales et de la
Francophonie (MRIF) et le Consulat Général de France à Québec (CGF) pour
l’octroi d’une bourse d’études m’ayant permis d’effectuer le séjour d’études en
France.
Enfin, je souhaite remercier tous ceux qui m’ont soutenu durant ce
projet, notamment les experts qui ont accepté avec générosité de m’offrir leurs
opinions et conseils sur ce mémoire ainsi qu’un merci particulier à ma
collègue, Sandy Caron, qui n’en peut surement plus d’entendre parler de
cinéma.
viii
Liste des abréviations
ARC Agence du Revenu du Canada
BCPAC Bureau de certification des produits audiovisuels
canadiens
CIPC Crédit d’impôt pour production cinématographique ou magnétoscopique canadienne
CISP Crédit d’impôt pour services de production cinématographique ou magnétoscopique
CPVP Commissariat à la protection de la vie privée du Canada
CRTC Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications
canadiennes
FMC Fonds des médias du Canada
FSI Fournisseur de services Internet
OCDE Organisation de coopération et de développement économiques
PVD Plateforme de vidéos à la demande
SMA Services de médias audiovisuels
SODEC Société de développement des entreprises culturelles
VSD Vidéo sur demande
1
Introduction
1. Mise en contexte
En septembre 2017, la ministre du Patrimoine canadien alors en fonction, Mélanie
Joly, annonçait le lancement du Cadre stratégique du Canada créatif prévoyant notamment
la révision du mandat du radiodiffuseur public canadien et, entre autres, la promotion de la
distribution et de la découverte du contenu canadien.1 Cette approche vise à assurer la
diversité des expressions culturelles sur les médias numériques. Par ailleurs, le Canada, en
vertu de ses engagements internationaux, se doit d’agir pour respecter ses engagements au
titre de la Convention sur la protection et la promotion de la diversité culturelle, adoptée en
2005. Cette convention reconnaît la double nature des biens et services culturels, possédant
à la fois une valeur économique et culturelle,2 et réaffirme le droit des États d’adopter et de
mettre en œuvre des politiques culturelles afin de soutenir la diversité des expressions
culturelles, notamment grâce à des mesures règlementaires.3
De plus, les nouvelles directives opérationnelles sur la mise en œuvre de la
Convention dans l’environnement numérique rappellent aux Parties de « mettre à jour leurs
cadres législatifs et règlementaires relatifs aux médias de service public, privé et
communautaire ainsi qu’aux organisations de médias indépendants, afin de promouvoir la
diversité des expressions culturelles et la diversité des médias dans l’environnement
numérique, en prenant en compte la convergence croissante des opérations au sein de la
chaîne de valeur. »4 Ainsi, avec l’arrivée d’Internet et des nouvelles technologies, cette
1 GOUVERNEMENT DU CANADA, Le cadre stratégique du Canada Créatif, [En ligne] https://www.canada.ca/fr/patrimoine-canadien/campagnes/canada-creatif/cadre.html (consulté le 23 mars 2018). 2 Convention sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles, 20 octobre 2005, UNESCO, [En ligne] http://portal.unesco.org/fr/ev.php-URL_ID=31038&URL_DO=DO_TOPIC&URL_SECTION=201.html (page consultée le 3 décembre 2018), Préambule. 3 Ibid., art. 6, par. 1 et 2 a). 4 UNESCO, Directives opérationnelles sur la mise en œuvre de la convention dans l’environnement numérique, approuvées par la conférence des parties à la Convention de 2005 sur la protection et la promotion de la diversité́ des expressions culturelles, 6e session, Paris, 12-15 juin 2017, DCE/17/6.CP/11, par. 11.
2
diversité culturelle bénéficie d’un environnement large où s’épanouir.5 Cependant, la
diversité des expressions culturelles ne semble pas être garantie sur les plateformes de
diffusion numérique, en raison de l’absence de réglementation visant les nouveaux acteurs.
À cet égard, l’Union européenne a débuté la révision de la Directive services médias
audiovisuels6 (ci-après « SMA ») afin d’assurer la promotion des contenus européens sur
les plateformes numériques.7
Enfin, les nouveaux modes de distribution et de diffusion des contenus audiovisuels
rendus possibles par les technologies numériques remettent en question le système
traditionnel canadien de radiodiffusion ainsi que son pouvoir de réglementation. À ce sujet,
le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (ci-après le « CRTC
») a produit un rapport le 4 juin 2018, intitulé : « Emboîter le pas au changement : L’avenir
de la distribution de la programmation au Canada ».8 Suivant sa publication, le
gouvernement a annoncé la révision de trois grandes lois sur le sujet, soit la Loi sur la
radiodiffusion, la Loi sur les télécommunications et la Loi sur la radiocommunication et a
nommé un comité d’expert pour examiner le sujet, dont le rapport doit être rendu en
octobre 2019.9
Ce projet de mémoire porte donc sur l’encadrement juridique de la diffusion de
contenus audiovisuels dans l’environnement numérique par le biais de plateformes de
vidéos à la demande. De plus, ce mémoire ne vise que les plateformes de vidéos à la
demande légales (ci-après « PVD ») qui « comportent généralement la sélection par le 5 GUÈVREMONT, V. (dir.), « Le renouvellement de l’exception culturelle à l’ère du numérique », RIJDEC, octobre 2015, 78 pages, [En ligne] https://www.fd.ulaval.ca/sites/default/files/recherche/rijdec_-_le_renouvellement_de_lexception_culturelle_a_lere_du_numerique_-_22.10.15.pdf, (page consultée le 2 décembre 2015), p. 22. 6 Directive 2010/13/UE « Services Médias Audiovisuels », 10 mars 2010, du Parlement européen et du Conseil, Journal officiel de l’Union européenne L 95/1. 7 Le texte de compromis final a été confirmé le 13 juin 2018. Le texte final a été transmis au Parlement européen pour approbation et adoption en première lecture. La directive sera finalement adoptée par le Conseil au cours de l'automne prochain, [En ligne] http://www.consilium.europa.eu/fr/policies/audiovisual-media/ (consulté le 17 juillet 2018). 8 CRTC, Emboîter le pas au changement : L’avenir de la distribution de la programmation au Canada, [En ligne] https://crtc.gc.ca/fra/publications/s15/ (consulté le 4 juin 2018). 9 PATRIMOINE CANADIEN, Le gouvernement du Canada procédera à un examen des lois régissant les télécommunications et la radiodiffusion, 5 juin 2018, Ottawa, [En ligne] https://www.canada.ca/fr/patrimoine-canadien/nouvelles/2018/06/le-gouvernement-du-canada-procedera-a-un-examen-des-lois-regissant-les-telecommunications-et-la-radiodiffusion.html (consulté le 6 juin 2018).
3
consommateur individuel du contenu visionné, au moment désiré, parmi un catalogue (ou
une bibliothèque) proposé par le diffuseur »10 et non les plateformes de streaming illégal
(de piratage)11 ou de peer-to-peer,12 ni celles offrant un contenu généré par les
utilisateurs,13 tel YouTube. Netflix est principalement cité en exemple, en raison de sa
popularité et de sa présence mondiale, mais il est à noter qu’il existe d’autres PVD
auxquelles sont destinées les réflexions présentées dans ce mémoire.14 Par le terme
audiovisuel, on vise « l’ensemble des moyens, des processus, des œuvres et des
programmes s’adressant à l’ouïe et à la vue de façon conjuguée ».15 Ce sujet s’intéresse dès
lors au système canadien de radiodiffusion, mais seulement aux secteurs de la télévision et
du cinéma. Enfin, l’introduction présente la problématique, les questions de recherche, les
hypothèses et la méthodologie utilisée.
2. Problématique
L’apparition de nouveaux acteurs dans le secteur de la distribution et de la diffusion
audiovisuelle, soit les PVD, bouleverse l’industrie de l’audiovisuel et le système
traditionnel de radiodiffusion canadien mis en place depuis les années 1920. En effet, les
PVD ont pu bénéficier des exemptions vouées au développement de l’Internet et des
nouveaux médias, telle l’Ordonnance d’exemption relative aux entreprises de 10 GOUVERNEMENT DU QUÉBEC, Institut de la statistique du Québec, Observatoire de la culture et des communications du Québec, État des lieux du cinéma et de la télévision au Québec, cahier 3, « La diffusion et la consommation », août 2014, p. 24. 11 « Technique de diffusion de fichiers audio ou vidéo par laquelle ceux-ci sont transmis en un flux continu de données sur un réseau, afin de permettre leur lecture en temps réel, à mesure qu'ils sont transférés d'un serveur à un poste client, sans attendre leur téléchargement complet. » Office québécois de la langue française, [En ligne] https://www.oqlf.gouv.qc.ca/accueil.aspx, (consulté le 7 août 2018). 12 « Poste à poste » : « Technologie d'échange de fichiers entre internautes, permettant à deux ordinateurs reliés à Internet de communiquer directement l'un avec l'autre, comme des partenaires égaux, sans passer par un serveur central. Le poste-à-poste s'oppose au modèle client-serveur dans lequel certains ordinateurs font uniquement office de serveur », CRTC, Glossaire [En ligne] https://crtc.gc.ca/multites/mtwdk.exe?k=glossaire-glossary&l=60&w=223&n=1&s=5&t=2 (consulté le 7 août 2018). 13 « Contenu numérique créé et partagé sur le Web par des utilisateurs grand public. [Il] est à l'opposé de celui diffusé par les médias traditionnels, créé par des producteurs professionnels pour le compte d'un tiers (ex. : journaux et télévison traditionnels) », Office québécois de la langue française, [En ligne] https://www.oqlf.gouv.qc.ca/accueil.aspx, (consulté le 7 août 2018). 14 Notamment : Acorn.TV, Aerocinema, Amazon Prime Video Canada, CanadaScreens.ca, iFestivus.com, IsumaTV, iTunes Canada, Netflix Canada, Revry.tv, Sundance Now (Canada) et quelques chaînes de YouTube, telles Cracked et KindaTV. 15 PINEL, V., Dictionnaire technique du cinéma, 2e éd., Éditions Armand Colin, Paris, 2008, p. 15.
4
radiodiffusion de nouveaux médias,16 ce qui leur permet de se soustraire à la Loi sur la
radiodiffusion, puisqu’elles ne sont pas considérées être des radiodiffuseurs. De plus,
puisque certaines sont situées à l’extérieur du Canada, elles ne sont pas soumises aux lois
canadiennes en matière de radiodiffusion et des télécommunications.
Ainsi, les nouveaux acteurs occupent une position dominante dans le domaine de la
diffusion en ligne d’œuvres audiovisuelles puisqu’elles sont issues d’un univers non
règlementé et qu’elles disposent de capacités financières importantes.17 Par exemple,
Netflix est, à ce jour, la plus grande PVD au Canada et ses revenus sont estimés à 766
millions $ en 2016, ce qui correspond à 70 % des revenus de la vidéo sur demande.18 19 Au
contraire des radiodiffuseurs publics, les PVD bénéficient de peu d’obstacles à l’entrée sur
le marché, ce qui leur a permis de constituer un catalogue de films et d’émissions beaucoup
plus important que ceux proposés par les diffuseurs canadiens.20 En conséquence, ils
attirent désormais plus de consommateurs que la télévision traditionnelle et leurs services
de télévision payants.21 Par exemple : « Netflix Canada avait constitué une base d'abonnés
d'environ 1,2 million de clients à la fin de 2011, soit 16 mois après son lancement en
septembre 2010. L'entreprise a attiré davantage d'abonnés que Super Channel [un service
canadien de télévision payante] au cours de ses trois années d'activité. » 22 Les plateformes
16 CRTC, Avis public 1999-197, Ordonnance d’exemption relative aux entreprises de radiodiffusion de nouveaux médias, Ottawa, le 17 décembre 1999. 17 PLANCADE, J.-P., sénateur, Présidence du sénat le 30 mai 2013, Rapport d’information fait au nom de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication par le groupe de travail sur les relations entre les producteurs audiovisuels et les éditeurs de services de télévision, Session ordinaire de 2012-2013, France, Sénat, n° 616, [En ligne] http://www.ladocumentationfrancaise.fr/rapports-publics/134000330/index.shtml (consulté le 13 janvier 2018), p. 45. 18 CRTC, Rapport de surveillance des communications, 2017, Ottawa, Canada. 19 En août 2011, Netflix a annoncé avoir franchi le seuil de 1 million d'abonnés au Canada. Voir : MILLER, P. H. et R. RUDNISKI, CRTC, La télévision par contournement au Canada en 2012 : incidence sur le marché et indicateurs, 30 mars 2012. 20 Ibid. 21 CRTC, Emboîter le pas au changement : L’avenir de la distribution de la programmation au Canada, op. cit., 22 Ibid.
5
échappent aussi aux règles de la chronologie des médias,23 auxquelles sont soumis les
diffuseurs traditionnels, ce qui leur permet d’augmenter plus rapidement l’offre de
contenus, ayant pour résultats d’attirer davantage de consommateurs qui ne souhaitent pas
attendre la fin de ces délais et qui se tournent vers ces nouveaux services numériques.24 Par
exemple, lors du dernier Festival de Cannes, en France, la plateforme numérique et
productrice Netflix a refusé d’autoriser la sortie en salle française des films The Meyerowitz
Stories (Noah Baumbach) et Okja (Bong Joon-ho), 25 créant ainsi une polémique dans le
monde du cinéma. À compter de l'édition 2018, le Festival de Cannes a donc obligé les
films qui figurent en compétition officielle à faire l’objet d’une sortie en salles françaises.26
Par conséquent, puisque les PVD ne sont pas soumises aux lois canadiennes, elles
ne participent pas au financement de la création canadienne et ne sont pas limitées par les
quotas imposés aux câblodistributeurs. Ainsi, une part des revenus issus des plateformes
n’est pas réinvestie dans la production canadienne et ne permet pas d’assurer leur diffusion
sur tous les médias. Alors, cela permet aux PVD d’éviter les contraintes vouées à la
protection de la diversité des expressions culturelles, en particulier les mesures liées à la
production de contenu et les mesures liées à sa distribution.
Par exemple, en septembre dernier, le Canada a signé une entente avec le géant
Netflix, par laquelle la plateforme de distribution numérique s’engage à investir dans la
production canadienne 500 millions de dollars durant les cinq prochaines années.27 Elle
échappe cependant à tout quota de production francophone qu’aurait pu lui imposer
23 MORIN-DESAILLY, C., Entre stratégies industrielles, soutien à la création et attentes des publics : les enjeux d'une nouvelle chronologie des médias, Commission de la culture, de l'éducation et de la communication, n° 688, Sénat, session extraordinaire de 2016-2017, le 26 juillet 2016, [En ligne] https://www.senat.fr/basile/visio.do?id=r8103667_3&idtable=r8103667_3|r8101907_10|r8102247_4&_c=L%27avenir+de+l%27audiovisuel+%E0+l%27%E8re+du+num%E9rique&c=%22Netflix%22&rch=gs&de=20170123&au=20180123&dp=1+an&radio=dp&aff=sep&tri=p&off=0&afd=ppr&afd=ppl&afd=pjl&afd=cvn&isFirst=true (consulté le 10 septembre 2017). 24 Rapport LESCURE, Mission « Acte II de l’exception culturelle », Contribution aux politiques culturelles à l’ère numérique, Tome 1, mai 2013. 25 Netflix boude le Festival de Cannes par crainte d’un « manque de respect », Journal Le Monde, [En ligne] http://www.lemonde.fr/festival-de-cannes/article/2018/04/12/netflix-boude-le-festival-de-cannes-par-crainte-d-un-manque-de-respect_5284180_766360.html (consulté le 13 avril 2018). 26 MORIN-DESAILLY, C., op. cit. 27 PATRIMOINE CANADIEN, Lancement de Netflix Canada : une reconnaissance du talent créatif du Canada et de son solide bilan dans la création d’œuvres pour le cinéma et la télévision, Ottawa, le 28 septembre 2017.
6
Ottawa, contrairement, par exemple, aux câblodistributeurs.28 Cependant, l’entente n’est
pas rendue publique et cela a fait régir de nombreux experts. 29 Ainsi, on ne connaît pas les
types de productions dans lesquelles Netflix investira et rien n’indique dans quelle
proportion elle investira dans le contenu original canadien francophone et québécois.30 Le
financement n’étant pas accordé de façon indépendante, il risque de porter atteinte à la
diversité des productions qui verront le jour. Ensuite, bien que la plateforme offre la chance
d’être distribué à ceux qui se sont vus refuser la distribution de leur œuvre, elle n’est
toutefois pas un gage de la qualité des contenus diffusés. D’autant plus, ce sont d’abord ces
contenus qui risquent d’être promus bien avant les productions indépendantes ou
étrangères, la plateforme n’étant soumise à aucune obligation de diffusion du contenu
national, par exemple, les quotas de diffusion.
Ainsi, l’absence d’encadrement ne permet pas de garantir l’exposition et la
promotion du contenu canadien sur les plateformes, celles-ci utilisant ses propres
algorithmes de recommandations de contenus, axés sur la découvrabilité de ses contenus
originaux, au détriment des contenus nationaux. De cette façon, grâce aux données
personnelles obtenues de leurs utilisateurs, les plateformes peuvent développer des
contenus qui correspondent aux goûts majoritaires, enfermant ainsi les consommateurs dans
une bulle culturelle, dont l’impact sur la diversité culturelle est évident.31 Par conséquent, la
diffusion de la culture canadienne sur les médias numériques risque de faire place à une
28 BOURGAULT-CÔTÉ, G., « Ottawa s’entend avec Netflix », Journal Le Devoir, [En ligne] https://www.ledevoir.com/culture/actualites-culturelles/509078/ottawa-aurait-une-entente-avec-netflix (consulté le 1er octobre 2017). 29 Exemple d’articles auquel a contribué Pierre Trudel : BOURGAULT CÔTÉ, G., « Mélanie Joy se soumet à loi Netflix », Journal Le Devoir, 27 sept 2017, [En ligne] http://www.ledevoir.com/culture/actualites-culturelles/509240/le-contenu-francophone-en-suspens (consulté le 11 octobre 2017) et BROUSSEAU-POULIOT, V., « Comment réglementer Netflix ? », Journal La Presse, [En ligne] http://plus.lapresse.ca/screens/71da7cd5-2cc1-45ea-bec3-b452def07624%7C_0.html?utm_medium=Facebook&utm_campaign=Internal+Share&utm_content=Screen (consulté le 31 mars 2018). 30 PATRIMOINE CANADIEN, le 28 septembre 2017, op. cit. 31 FONDS DES MÉDIAS DU CANADA, Découvrabilité : Vers un cadre de référence commun, volet 1, 2016.
7
homogénéisation de la consommation des contenus culturels, dont l’influence américaine se
fait sentir depuis le début de la radio et de la télévision canadienne.32 33
Par ailleurs, d’autres secteurs règlementés affectent le traitement des contenus
audiovisuels dans l’environnement numérique. Par exemple, au niveau fiscal, les PVD ne
sont soumises à aucune obligation, comme la taxe sur la vente des biens et des services, du
fait qu’elles ont leur résidence dans d’autres pays et bien qu’elles distribuent des biens et
des services au Canada, contrairement aux diffuseurs canadiens. Par conséquent, le Québec
s’est récemment doté d’un projet de loi n°150, par lequel les plateformes numériques
devraient percevoir la taxe de vente québécoise (TVQ) dès le 1er janvier 2019. En effet, les
fournisseurs de biens intangibles et de services en ligne devront percevoir la taxe sur les
ventes effectuées au Québec, même s’ils sont établis à l’extérieur de la juridiction.34 Il est
cependant pertinent de douter de la force contraignante de ce projet de loi. Il faudrait avant
tout revoir les fondements de la fiscalité pour la rendre applicable, notamment, aux
nouvelles PVD étrangères.
Enfin, puisque le Canada est parti à la Convention sur la protection et la promotion
de la diversité des expressions culturelles de 2005 de l’UNESCO, il se doit de prendre des
mesures à l’échelle nationale pour permettre l’atteinte des objectifs fixés par la convention,
y compris dans l’environnement numérique.35 D’ailleurs, le Canada et la France, dans une
déclaration conjointe du 16 avril 2018, ont notamment convenu que « les États, les
plateformes numériques et la société civile sont chacun chargés d’appuyer la création, la
diffusion et l’accessibilité des contenus divers et locaux ainsi que de promouvoir la 32 Par exemple : « Selon nos estimations, la bibliothèque de Netflix Canada compte 12 020 heures de programmation au total, dont 1 084 peuvent être considérées comme des heures de contenu canadien. […] Au total, 9 p. 100 du nombre total d'heures de la bibliothèque peut être désigné comme de la programmation canadienne. » dans MILLER, P. H. et R. RUDNISKI, CRTC, 30 mars 2012, op. cit. 33 Malheureusement, Netflix ne partage pas ses données avec le public. La dernière étude basée sur des estimations remonte donc à 2012. Il est probable de croire que les heures de programmation de contenu canadien aient changé. 34 Loi visant l’amélioration des performances de la Société de l’assurance automobile du Québec, favorisant un meilleur encadrement de l’économie numérique en matière de commerce électronique, de transport rémunéré de personnes et d’hébergement touristique et modifiant diverses dispositions législatives, Projet de loi n°150, sanctionné le 12 juin 2018, 1ère sess., 41e légis. Qc. 35 UNESCO, Directives opérationnelles sur la mise en œuvre de la convention dans l’environnement numérique, approuvées par la conférence des parties à la Convention de 2005 sur la protection et la promotion de la diversité́ des expressions culturelles, 6e session, Paris, 12-15 juin 2017, DCE/17/6.CP/11.
8
transparence dans la mise en œuvre des traitements algorithmiques et leur impact sur la
mise à disposition et la découvrabilité des contenus culturels numériques […] »36 Ainsi, les
États doivent agir face à cette concurrence étrangère s’ils ne veulent pas voir leur contenu
culturel disparaître des médias numériques, au profit de contenus presque exclusivement
américains. Le rôle du système de radiodiffusion public canadien et sa politique sont donc
plus importants que jamais face aux nouveaux acteurs du numérique et doivent être
renforcés et protégés.37
L’absence de réglementation des PVD représente donc une menace pour la diversité
des expressions culturelles, autrefois garantie par le rôle et la mission des médias
traditionnels, puisqu’elles échappent aux contraintes en matière de réglementation
canadienne, alors que les câblodistributeurs canadiens sont soumis à une réglementation
très stricte vouée au développement et à la protection de la culture canadienne. Ces derniers
ne bénéficient pas des mêmes conditions qui leur permettent de concurrencer les
plateformes numériques. Ultimement, les acteurs traditionnels risquent de disparaître face à
cette concurrence, puisque les nouveaux acteurs occupent une position dominante sur le
marché.
3. Questions de recherche
Ce mémoire se questionne sur la façon la plus appropriée pour renforcer le système
de radiodiffusion canadien afin de protéger et d’assurer une diversité des expressions
culturelles sur les PVD. Ainsi, il explore les modifications qui devront être apportées à la
réglementation canadienne en matière de radiodiffusion afin de soumettre les PVD aux
obligations applicables aux entreprises de radiodiffusion canadiennes et vouées à l’atteinte
des objectifs en matière de diversité culturelle.
36 GOUVERNEMENT DU CANADA, Mélanie Joly, Ministre du Patrimoine canadien et GOUVERNEMENT DE LA RÉPUBLIQUE FRANÇAISE, Françoise Nyssen, Ministre de la Culture, Déclaration conjointe sur la diversité culturelle et l’espace numérique, Paris, France, 16 avril 2018. 37 CLAUS, S., CRTC, La politique canadienne en matière de radiodiffusion en question : de Marconi à Netflix, [En ligne] https://crtc.gc.ca/fra/acrtc/prx/2017claus.htm (consulté 23 mai 2018).
9
Plus précisément, afin de garantir un système de financement et une concurrence du marché
juste et équitable permettant d’assurer la diversité des expressions culturelles, cette
recherche répondra aux questions suivantes :
Quelles mesures permettraient d’établir une concurrence juste et équitable, en
matière de soutien à la production et de fiscalité, entre les nouveaux diffuseurs et les
diffuseurs traditionnels ?
Quelles autres mesures nationales pourraient permettre l’atteinte des objectifs de la
Convention de 2005 pour assurer une diversité des contenus audiovisuels sur les
plateformes numériques ?
4. Hypothèses
Il serait possible de revoir la Loi sur la radiodiffusion canadienne afin d'encadrer et
d'encourager au mieux la distribution et la diffusion de films par Internet,38 par exemple, en
révisant la définition d’entreprise de radiodiffusion de l’article 2 de la Loi sur la
radiodiffusion, ainsi que l’exemption de 1999 applicable aux nouveaux médias. Une
réforme du système canadien de radiodiffusion est envisageable afin de l’adapter au
numérique, par exemple, en changeant les conditions d’obtention des licences ou même le
système des licences dans son entièreté.
Afin de mettre en place une équité entre tous les diffuseurs en matière de
contribution au financement national ou des obligations à l'égard de la création,39
l’obligation de verser une part dans un fonds de soutien à la création pourrait être étendue
aux PVD. Le Canada pourrait s’inspirer de la proposition de révision de la Directive «
SMA » de l’Union européenne qui prévoit que les États membres pourront demander aux
38 SACD, 23 mai 2017, Quel avenir pour le cinéma dans le monde des plateformes numériques ? [En ligne] https://www.sacd.fr/quel-avenir-pour-le-cin%C3%A9ma-dans-le-monde-des-plateformes-num%C3%A9riques# (consulté le 12 juin 2018). 39 Ibid.
10
services à la demande disponibles sur leur territoire de contribuer financièrement à la
production d'œuvres européennes.40
De plus, la création d’un nouveau mécanisme de financement pourrait être aussi
envisagée par lequel une partie des revenus des PVD serait versée dans un fonds destiné au
financement de la culture canadienne, ou encore via les revenus provenant de la publicité,
de manière volontaire ou contractuelle. Par exemple, la France a imposé une taxe sur les
recettes publicitaires provenant de contenus audiovisuels diffusés sur les plateformes
numériques.41 Le Canada pourrait aussi réviser la Loi sur l’impôt en s’inspirant des
concepts de « présence numérique significative » des propositions de directive de l’UE sur
la fiscalité.
Le CRTC pourrait étendre les obligations de quotas d'exposition de la création
canadienne aux PVD, notamment en révisant les conditions d’obtention des licences. Le
Canada pourrait aussi remplacer les quotas de diffusion par des obligations liées à la
découvrabilité et la promotion des contenus canadiens, comme il est discuté dans la
proposition de révision de la directive « SMA ». Il pourrait aussi intégrer la notion des
quotas au sein des algorithmes de recommandation, à l’aide de moyens techniques et
juridiques.
Enfin, la création d’un nouveau règlement applicable spécifiquement aux PVD
pourrait s’avérer nécessaire. De plus, la révision des grandes lois sur le sujet doit être
accomplie, soit : Loi sur les télécommunications et la Loi sur la radiodiffusion, la Loi sur le
Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes et la Loi de l’impôt sur
le revenu.
40 Proposition de directive du parlement européen et du conseil modifiant la Directive 2010/13/UE visant à la coordination de certaines dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres relatives à la fourniture de services de médias audiovisuels, compte tenu de l'évolution des réalités du marché, Bruxelles, 25.5.2016 COM (2016) 287 final, 2016/0151 (COD). 41 Loi n° 2016-1918 du 29 décembre 2016 de finances rectificative pour 2016 modifiant la taxe prévue à l’article 1609 sexdecies B du code général des impôt (voir l’article 56 (I à III).
11
5. Méthodologie
Ce mémoire compare différentes solutions juridiques afin d’établir le meilleur
moyen de soumettre les PVD aux obligations de financement de la création, aux obligations
fiscales canadiennes et à la promotion et la distribution de contenus canadiens. Des
suggestions de modifications législatives sont aussi formulées en vue d’adapter le droit en
vigueur au Canada aux PVD situées à l’extérieur du Canada et celles présentes uniquement
dans l’environnement numérique. À cet égard, les solutions actuellement développées en
France et dans l’Union européenne servent de sources d’inspiration.
Ce mémoire s’inscrit donc dans une perspective de bonification du droit canadien
par une approche comparative France-UE. Ainsi, les mesures prises en France ou dans
l’Union européenne sont comparées afin d’en déceler les conséquences et tenter de prédire
leur efficacité, leur nécessité, leur accessibilité et la facilité ou non d’application en droit
canadien lorsqu’un vide juridique est constaté, permettant alors de tenir compte de la
spécificité de ce droit. Dans une approche positiviste, le pouvoir du CRTC en matière de
réglementation est évalué et, s’il se révèle impuissant en la matière, la création d’une
nouvelle loi pour lui permettre d’accomplir sa mission peut être considérée.
Le contenu des règles franco-européennes et canadiennes sert de cadre théorique à
cette étude comparative afin d’établir le cadre juridique et suggérer des mesures
législatives. Le corpus se compose principalement de documents ministériels canadiens,
français et européens, tels des rapports et des études, ainsi que des documents officiels
internationaux des diverses instances gouvernementales européennes et des organisations
internationales telle l’UNESCO, puisqu’il n’existe peu ou pas de doctrine traditionnelle ni
de jurisprudence sur ce sujet. Enfin, les ordonnances et décrets du Conseil de radiodiffusion
et des télécommunications canadiennes servent à décrire le système canadien de
radiodiffusion. Lorsque disponibles, uniquement les documents datant de 2012 à
aujourd’hui sont utilisés, en raison de l’actualité du sujet et des changements rapides
engendrés par les nouvelles technologies.
12
Ce mémoire est donc divisé en trois parties. La première partie sert à décrire le
système canadien de radiodiffusion et la politique canadienne de radiodiffusion et présente
les fondements de l’industrie de l’audiovisuel et de la distribution des œuvres (1). La
deuxième partie traite des mesures de soutien à la production des œuvres audiovisuelles et
aborde à la fois le côté économique et culturel de la problématique, telles les mesures de
financement de la création et les mesures fiscales. Elle aborde aussi les mesures liées à la
distribution et la diffusion des œuvres audiovisuelles, tels le système des quotas de
diffusion des contenus canadiens et l’influence des systèmes de recommandations
algorithmiques utilisés par les PVD numériques (2). Enfin, en troisième partie, diverses
pistes de solutions seront proposées qui pourront être considérées par toute personne
s’intéressant au sujet et souhaitant proposer des modifications législatives (3). Le mémoire
couvre des mesures à la fois économiques et de diversité culturelle, celles-ci étant
intrinsèquement liées. En effet, sans moyens de financement de production indépendante,
on ne peut garantir une diffusion substantielle d’œuvre encourageant et soutenant une
diversité culturelle canadienne et internationale.
13
Partie 1. Le système canadien de distribution et de diffusion des œuvres
audiovisuelles
La première partie de ce mémoire aborde le système canadien de radiodiffusion, sa
politique et les conditions des licences de radiodiffusion. Dans un premier temps, les modes
traditionnels de distribution des œuvres audiovisuelles, la chaîne de valeurs de l’industrie
cinématographique et le principe de la chronologie des médias font l’objet d’une
description afin de bien intégrer les divers concepts (1.1.) Ensuite, la mission et le
fonctionnement du système de radiodiffusion canadien sont présentés (1.2), ainsi que les
principes fondamentaux de la politique canadienne de radiodiffusion, dont la validité et la
pertinence sont démontrées (1.3.1.). Ensuite, l’explication du système des licences de
radiodiffusion (1.3.2.) et de la qualification d’entreprise de radiodiffusion sont développées
(1.4).
1.1. Les modes traditionnels de distribution et diffusion des films
Le cinéma possède une double nature, celle d’œuvre de l’esprit, d’outil de
divertissement et celle de produit commercial qui se doit d’être économiquement rentable :
« Le cinéma est ainsi une histoire de symbiose et de tensions entres œuvres de l’esprit et
considérations d’argent – la culture et le commerce, les expressions artistiques […] et
l’économie – qui, par sa nature, ne se laissent pas confiner au sein de frontières nationales.
Ainsi le cinéma est par essence international. »42 Cette industrie culturelle a, depuis sa
création, été régulée en fonction de l’économie du marché national et international.43
L’invention du premier cinématographe, suivant celle du kinétoscope et du
phonographe, ancêtre du film, fut attribuée à Louis Lumière, aux alentours de 1895, à
Paris.44 À l’époque, les projections consistaient en la représentation de scènes du quotidien,
42 GERMANN, C., Diversité culturelle et libre-échange à la lumière du cinéma : réflexions critiques sur le droit naissant de la diversité culturelle sous les angles de L'UNESCO et de l'OMC, de la concurrence et de la propriété intellectuelle, Éditions Helbing Lichtenhahn, Suisse, 2008, p. 27. 43 Ibid. 44 SADOUL, G., Histoire générale du cinéma, vol. 1, Éditeur Denoël, Paris, 1973.
14
comme l’arrivée d’un train.45 Georges Méliès fut le premier à en faire un moyen
d’expression, en recréant sur pellicule ses spectacles de théâtre et de prestidigitateur.46
Plusieurs créateurs de l’époque accompagnaient leur projection de pièces musicales au
piano, jouées directement dans la salle de spectacle.47 Les balbutiements de ce qu’on
appelle aujourd’hui l’audiovisuel remontent ainsi au siècle dernier.
Le métier de distributeur, quant à lui, est apparu peu de temps après la naissance
de l’industrie cinématographique. Les films qu’on projetait alors étaient vendus sous la
forme de copie aux exploitants de salles de spectacles, de cafés ou aux forains, à qui
revenaient les revenus engendrés par la projection.48 Certains historiens attribuent à Charles
Pathé, la création du métier de distributeur. Celui-ci aurait renoncé à la vente de ses films
pour la remplacer par la location aux exploitants de salles, permettant ainsi un retour direct
des revenus liés à la projection.49 Par la suite, durant ce qu’on appelle l’âge d’or du cinéma
hollywoodien, entre 1930 à 1949, les États-Unis se sont vite imposés sur le marché du
film.50 Cinq studios se sont constitués sont la forme d’oligopole, en contrôlant l’ensemble
des étapes de production, distribution et d’exploitation, notamment par des accords avec les
salles de projection, bloquant ainsi l’arrivé de nouveaux entrants.51 Grâce à des décrets
antitrust de 1948, ils furent démantelés par les autorités de la concurrence.52 Leur oligopole
s’est alors reconstruit autour de la télévision, de la vidéo et enfin, de la diffusion par
Internet.53
À cet égard, l’industrie cinématographique et télévisuelle est fondée sur une chaîne
de valeurs qui permet de gérer les flux financiers et de partager les revenus entre les
45 SADOUL, G., 1973, op. cit. 46 Ibid. 47 DEMAS, L. et J.-C. LAMY, Cinéma : La grande histoire du 7e art, Éditions Larousse, Paris, 2011. 48 FARCHY, J., Et pourtant ils tournent : économie du cinéma à l’ère numérique, Éditions Institut national de l’audiovisuel, Coll. Médias Essais, Bry-sur-Marne, 2011, p. 12. 49 Ibid. 50 Ibid. 51 Ibid, p. 18. 52 Ibid. 53 Ibid.
15
différents acteurs.54 Cette chaîne de valeurs se divise en plusieurs étapes : Il y a d’abord la
création, par l’auteur, communément appelé l’ayant droit, d’une œuvre, puis sa production
par différents producteurs indépendants55 ou internes et affiliés à un télédiffuseur ou à un
grand groupe médias.56 Ensuite, le produit final, l’œuvre, est distribué par un distributeur
national ou étranger et diffusé vers les détaillants vidéo, les exploitants de salle, les
festivals, les télédiffuseurs et les services de médias numériques.57 Enfin, l’œuvre est
visualisée par les consommateurs grâce à Internet, aux câblodistributeurs et à la télévision
par satellite, aux locations de vidéogrammes et à l’achat de billets pour la projection en
salle.58 Cependant, les distributeurs doivent respecter certains délais avant d’offrir la
diffusion de l’œuvre aux divers exploitants : c’est ce qu’on appelle la chronologie des
médias. Elle varie selon les pays et la législation.
L’étape de la diffusion consiste à « transmettre des contenus culturels aux
consommateurs »59. Elle est généralement divisée, grâce à ce qu’on appelle la chronologie
des médias, en une suite de « fenêtres de diffusion »60 qui déterminent le « moment et le
format par lequel les œuvres audiovisuelles sont mises à la disposition des
consommateurs ».61 Ainsi, la première fenêtre de diffusion est la première diffusion de
l’œuvre originale.62 La deuxième fenêtre s’ouvre lorsque l’œuvre n’est plus considérée
comme nouvelle. Elle correspond à la vidéo sur demande et la location en format DVD ou
VHS.63 La troisième fenêtre vise la disponibilité sur les services de télévision payants :
54 GOUVERNEMENT DU QUÉBEC, Institut de la statistique du Québec, Observatoire de la culture et des communications du Québec, État des lieux du cinéma et de la télévision au Québec, cahier 1, « Flux financier et organisation industrielle », février 2014, p. 29. 55 « Dans l’industrie, on distingue en général les modes de production entre la production indépendante et celle qui est affiliée ou interne.55 Ainsi, une production cinématographique peut être financée par une société qui combine les fonctions de production et de distribution. Elle ne sera donc pas considérée comme indépendante.55 Une société de production est indépendante lorsqu’elle n’est pas liée à d’autres sociétés pour distribuer son produit, soit le film ou la série télévisée.55 Pour la production télévisuelle, les émissions peuvent être produites par les télédiffuseurs, par des entreprises affiliées ou par des sociétés de production qui n’ont aucun lien avec les télédiffuseurs. Uniquement dans ce dernier cas, elle sera considérée indépendante. » GOUVERNEMENT DU QUÉBEC, cahier 1, février 2014, p. 44. 56 Ibid., p. 46. 57 Ibid., p. 37 et 43. 58 Ibid., p. 33. 59 Ibid, p. 36. 60 Ibid. 61 Ibid. 62 GOUVERNEMENT DU QUÉBEC, cahier 3, août 2014, op.cit., p. 31. 63 Ibid.
16
« Les services de télévision payante diffusent des émissions, des films et des vidéos,
généralement sans publicité, moyennant un tarif d’abonnement »64 (par exemple Super
Écran). Ils excluent la vidéo sur demande. Enfin, la quatrième fenêtre correspond à la mise
à disposition de l’œuvre aux fins d’exploitation.65 Elle a traditionnellement lieu deux ans
après la première diffusion originale.66 Bref, toutes ces fenêtres de diffusion participent aux
financements des œuvres et des créateurs. La chronologie des médias peut être établie soit
par la loi, comme en France67, ou par concertation et accords des professionnels, comme au
Canada.68 Certains pays, comme le Royaume-Uni ou le Canada, ont créé une entité
publique chargée de diffuser, en principe, des contenus majoritairement nationaux sur les
chaînes de télévision, par l’entremise de ceux qu’on appelle les « radiodiffuseurs ».
1.2. La mission et le fonctionnement du système canadien de radiodiffusion
Au Canada, le Parlement établit dès 1932 un radiodiffuseur public69 par la Loi
canadienne de la radiodiffusion, maintenant la Loi sur la radiodiffusion.70 Dès les années
1960 naissent les premiers réseaux de télévision privés et la câblodistribution.71 Afin de
justifier l’instauration d’un organe étatique public de radiodiffusion, le Canada considère la
radio et ensuite la télévision, comme un « instrument essentiel de promotion de l’identité
nationale »72 et lui donne comme objectif de protéger et d’assurer la présence de contenus
culturels canadiens pour faire face à la concurrence américaine.73 En 1968, l’adoption de la
nouvelle loi canadienne sur la radiodiffusion crée le Conseil de la radiotélévision
canadienne, aujourd’hui le « CRTC ».74 Bien que le CRTC régisse le secteur de la radio et,
64 GOUVERNEMENT DU QUÉBEC, cahier 3, août 2014, op.cit., p. 23. 65 Ibid. 66 Ibid. 67 France, Code du cinéma et de l’image animée, art. L. 231-1 à L. 234-1. 68 Voir : GOUVERNEMENT DU QUÉBEC, cahier 3, août 2014, op. cit. 69 DEWING, M., La politique canadienne de radiodiffusion, Bibliothèque du Parlement, Ottawa, Canada, 2014, (Étude générale)Publication n°2011-39-F, (Révisée le 6 août 2014), p. 1. 70 Loi sur la radiodiffusion, L.C. 1991, c. 11. (ci-après « Loi sur la radiodiffusion »). 71 DEWING, M., 2014, op. cit., p. 2. 72 TRUDEL, P. « Le modèle nord-américain de régulation audiovisuelle » dans S. REGOURD et L. CALANDRI, « La régulation de la communication audiovisuelle – enjeux et prospectives », L.G.D.J, Institut Universitaire Varenne, Paris, 2015, p. 219. 73 Ibid. 74 DEWING, M., 2014, op. cit., p. 2.
17
plus spécifiquement pour les fins de ce mémoire, celui de la télévision, c’est d’abord le
moyen de transmission qu’il réglemente, soit la câblodistribution, et non le type de contenu
audiovisuel transmis. Les radiodiffuseurs qui bénéficient d’une licence du CRTC peuvent
diffuser, quant à eux, autant des films que des séries télévisées. Au niveau fédéral, il n’y a
pas de loi spécifique applicable au secteur du cinéma et les projections en salles et les
fenêtres de diffusion ne sont pas régies par le CRTC.75
Le CRTC a pour mandat de règlementer et de surveiller le secteur de la
radiodiffusion et des télécommunications et de mettre en œuvre les objectifs76 décrits dans
la Loi sur la radiodiffusion et la Loi sur les télécommunications.77 Ainsi, il a pour
principale mission de « sauvegarder, d’enrichir et renforcer la structure culturelle, politique,
sociale et économique du Canada et de favoriser l’épanouissement de l’expression
canadienne ».78 Ce sont tous des principes qu’on retrouve dans la politique canadienne de
radiodiffusion. La Loi sur la radiodiffusion rappelle aussi, dans sa politique, le principe que
le système canadien de radiodiffusion doit être la propriété et sous le contrôle des
Canadiens et que celui-ci est un « service public essentiel pour le maintien et la valorisation
de l’identité nationale et de la souveraineté culturelle » du Canada.79
Afin de distribuer du contenu à l’aide de la câblodistribution, toute entreprise doit
obtenir une licence de radiodiffusion.80 Ce système des licences permet au CRTC de
contraindre les entreprises de radiodiffusion à consacrer un pourcentage de contenu
canadien durant les grandes heures d’écoute (en soirée), afin de mettre en œuvre sa
politique de radiodiffusion. Ces pourcentages représentent en fait les quotas de diffusion
qui permettent d’assurer la promotion du contenu canadien à la télévision ; « le titulaire
d’une licence publique doit consacrer au moins 60 % de la période de radiodiffusion en
soirée à la radiodiffusion d’émissions canadiennes et le titulaire d’une licence privée doit
consacrer au moins 50 % de la période de radiodiffusion en soirée à la radiodiffusion 75 Voir au niveau provincial, par exemple, la Loi sur le cinéma, ch. C-18.1 du Québec. Au niveau fédéral, la Loi sur le cinéma, L.R.C. 1985, ch. N-8, n’a que pour objectif de créer l’Office National du Film du Canada. 76 Loi sur la radiodiffusion, art. 5. 77 Loi sur les télécommunications, L.C. 1993, c. 38. 78 Loi sur la radiodiffusion, art. 3 (1) d) (i), (ii). 79 Ibid., art. 3 (1) a), b). 80 Ibid., art. 9 (1).
18
d’émissions canadiennes. » 81 Ainsi, le CRTC exerce ses fonctions de régulation grâce à
l’adoption de textes réglementaires, aux énoncés de politique publique et aux décisions et
ordonnances qu’il rend sur les entreprises.82
Cependant, le CRTC, dans sa politique de radiodiffusion, doit s’adapter aux progrès
technologiques.83 Ainsi, avec l’arrivée des médias numériques dans les années 1990, c’est-
à-dire de la diffusion des contenus audiovisuels sur Internet, le CRTC a choisi de favoriser
l’innovation afin de faire émerger et croître les nouveaux modes de diffusion afin de ne pas
limiter l’accès des Canadiens à ces services.84 Le CRTC a donc émis une ordonnance
d’exemption pour les médias numériques, en vigueur depuis 199985, leur permettant
d’opérer sans être obligés de diffuser du contenu canadien, ni de financer la production
canadienne, puisqu’ils sont exempts de la réglementation à cet effet.86
En mars 2015, suite au processus amorcé par Parlons télé : une conversation avec
les Canadiens,87 dont le but était de réfléchir sur l’avenir de la télévision et d’examiner le
système de radiodiffusion, le CRTC met en place sa nouvelle politique règlementaire.88
Alors qu’il a l’occasion de se prononcer sur l’arrivée des nouveaux diffuseurs (les PVD), le
CRTC choisit de ne pas règlementer les plateformes, en réaffirmant l’exemption dont elles
bénéficient encore à ce jour. Ainsi, il ne leur a pas imposé de quotas de diffusion du
contenu national. Le CRTC a simplement réduit les quotas d’émissions canadiennes des
stations de télévision locales et des services facultatifs et a simplifié le processus
d’attribution de licence en regroupant les licences des services de programmation de
81 Règlement de 1987 sur la télédiffusion, D.O.R.S./87-49, article 4 (7) a), b). Voir aussi : Règlement sur la distribution de radiodiffusion, D.O.R.S./97-555, article 6. 82 TRUDEL P., Le CRTC, dans P. TRUDEL et F. ABRAN, « Les interrelations entre le CRTC et la Commission du droit d’auteur », 8 C.P.I., 1995, p. 377-445. 83 Loi sur la radiodiffusion, art. 3 (1) d) (iv). 84 CRTC, Avis public 1999-197, op.cit., (Réaffirmée en 2012). 85 DEWING, M., 2014, op. cit., p. 2. 86 CRTC, Avis public 1999-197, op.cit., (Réaffirmée en 2012). 87 Voir la 3e phase du processus : Avis de consultation de radiodiffusion CRTC 2014-190. 88 CRTC, Politique réglementaire de radiodiffusion CRTC 2015-86 (Parlons Télé).
19
télévision en trois grandes catégories.89 Ainsi, afin de rivaliser avec les nouveaux acteurs, le
CRTC a simplement décidé d’alléger la règlementation des radiodiffuseurs canadiens.
Concernant le financement destiné à soutenir la production des œuvres
audiovisuelles, il peut provenir soit de sources privées nationales ou de sources publiques.90
Au niveau privé, le financement est accordé par les télédiffuseurs ou les exportateurs et
distributeurs étrangers et, au niveau public, notamment par l’accord de crédit d’impôt ou de
fonds de soutien à la création.91 Le financement public sert à financer la production
indépendante. En effet, au Canada :
« La contribution des crédits d’impôt représente 18 % du financement total dans la filière cinématographique et 27 % dans la filière télévisuelle. Les autres principales sources de financement public sont Téléfilm Canada (20 % du financement public, dont environ 40 % pour les longs métrages de fiction), le Fonds des médias du Canada (ci-après « FMC ») (soit 8 % du financement public, essentiellement pour la production télévisuelle) et la Société de développement des entreprises culturelles (ci-après « SODEC ») (9 % du financement public, la majeure partie dédiée à la production cinématographique). »92
Ainsi, les entreprises de radiodiffusions canadiennes doivent contribuer annuellement à un
ou l’autre des différents fonds créés pour soutenir la création canadienne,93 alors que
Netflix, par exemple, ne participe pas au financement de la création canadienne. Certes, la
plateforme a financé certaines productions canadiennes, car elles s’inscrivaient dans son
modèle d’affaires et ses lignes éditoriales,94 mais elle ne finance pas concrètement la
création canadienne, comme le font les entreprises de radiodiffusion. En effet, les dépenses
89 PRESCOTT, S., et Y., WEXLER, « Le CRTC modifie profondément la réglementation de la télévision canadienne », Bulletin communications, Fasken, mars 2015. 90 GOUVERNEMENT DU QUÉBEC, cahier 1, février 2014, op. cit., p. 51. 91 Ibid., p. 45. 92 Ibid., p. 60. 93 Règlement sur la distribution de radiodiffusion, DORS/97-555, art. 52. 94 FONDS DES MÉDIAS DU CANADA, Conseils d’expert: comment vendre votre projet à Netflix, 22 mars 2018, [En ligne] https://trends.cmf-fmc.ca/fr/conseils-dexpert-comment-vendre-votre-projet-a-netflix/ (consulté le 26 juillet 2018).
20
consacrées au contenu canadien sur Netflix ne représentent que 5 % de sa programmation.95
Enfin, les mesures de financement sont explorées davantage dans la partie 2 du présent
mémoire.
Ce constat rappelle que les diffuseurs publics canadiens sont soumis à une forte
réglementation vouée à la préservation de la culture nationale qui fut mise en place pour
s’opposer à la concurrence américaine sur les chaînes de télévision dans les années 60.96
Cependant, aujourd’hui encore, les diffuseurs se retrouvent devant cette concurrence
américaine qui émane cette fois-ci des nouveaux modes de diffusion numérique, soit des
PVD. Notamment, les entreprises de diffusion numérique étrangères ne sont pas
considérées comme des entreprises de radiodiffusion selon Loi sur la radiodiffusion97 et ne
sont donc pas soumises à la réglementation canadienne et ne peuvent se voir accorder de
licence de radiodiffusion.
1.3. La politique canadienne de radiodiffusion et le système des licences de
radiodiffusion
La politique canadienne de radiodiffusion fut élaborée, comme mentionnée
précédemment, dès les années 20, pour renforcer l’identité nationale et concurrencer les
chaînes américaines.98 Elle fut amenée à évoluer avec les usages et les nouveaux modes de
distribution, mais son objectif principal est resté identique : celui de sauvegarder, renforcer
et promouvoir la culture canadienne.99 La mise en œuvre de la politique canadienne de
radiodiffusion est aujourd’hui remise en question avec l’arrivée de la distribution et de la
95 MILLER, P. H. et R. RUDNISKI, CRTC, 30 mars 2012, op. cit. : « Les dépenses de Netflix Canada consacrées au contenu canadien représentent environ 5 p. 100 de ses dépenses totales de programmation. Par conséquent, tout gain de part de marché de Netflix aux dépens de la télévision payante, de la télévision traditionnelle, de la VSD et des services spécialisés entraînerait la diminution des fonds alloués au contenu canadien dans le système. De plus, les exigences liées aux émissions d'intérêt national et les mesures favorisant la production d'émissions dramatiques canadiennes seraient aussi touchées. » 96 TRUDEL, P., op. cit., dans S. REGOURD et L. CALANDRI, 2015, p. 219. 97 « Entreprise de radiodiffusion : S’entend notamment d’une entreprise de distribution ou de programmation, ou d’un réseau. (broadcasting undertaking).», Loi sur la radiodiffusion, art. 2. 98 CLAUS, S., CRTC, op. cit. 99 Loi sur la radiodiffusion, art. 3.
21
diffusion numérique des œuvres, alors que les objectifs qu’elle poursuit demeurent
pertinents.
1.3.1. La pertinence de la politique canadienne de radiodiffusion dans un monde
numérique
Le CRTC est l’organe étatique public chargé de faire respecter la politique
canadienne de radiodiffusion grâce à l’accomplissement des objectifs prévus dans la Loi sur
la radiodiffusion.100 C’est en octroyant des licences aux entreprises de radiodiffusion que le
CRTC, s’appuyant sur les objectifs énoncés dans la Loi sur la radiodiffusion, peut imposer
des obligations de diffusion de contenu canadien ou exiger des radiodiffuseurs qu’ils
contribuent au financement des émissions canadiennes.101 Les principaux objectifs de la
politique exigent que le système de radiodiffusion soit sous le contrôle et la propriété des
Canadiens,102 qu’ils bénéficient d’une programmation essentiellement en langue anglaise
ou française103 et qu’elle contienne une majorité de contenus canadiens.104 La promotion et
l’accès à cette programmation sont aussi au cœur de ses objectifs.105 Tous les objectifs de la
politique canadienne de radiodiffusion de 1968 ont été repris dans la version modifiée de la
Loi sur la radiodiffusion de 1991.106 D’ailleurs, ces objectifs sont en parfaite adéquation
avec la Convention sur la protection et la promotion de la diversité des expressions
culturelles.107
Par contre, la pertinence de l’approche privilégiée par la politique canadienne de
radiodiffusion fut remise en cause plus d’une fois. Par exemple, en 2007, le CRTC a
commandé un rapport afin de procéder à une analyse complète du cadre de réglementation 100 Loi sur la radiodiffusion, art. 5. 101 GOUVERNEMENT DU QUÉBEC, Institut de la statistique du Québec, Observatoire de la culture et des communications du Québec, État des lieux du cinéma et de la télévision au Québec, cahier 2, « Encadrement législation et organisation associative », février 2014. 102 Loi sur la radiodiffusion, art. 3 (1) a). 103 Ibid., art. 3 (1) b). 104 Voir notamment : Loi sur la radiodiffusion, art. 3 (1) a), d), e), f), i), j), o), q), r) et s). 105 Par exemple, Loi sur la radiodiffusion, art. 3 (1) e), t) (i), (iii), (iv). 106 DUNBAR, L. J.E. et C. LEBLANC, CRTC, Révision du cadre réglementaire des services de radiodiffusion au Canada, Rapport final, 31 août 2007, p. 4. 107 Convention sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles, UNESCO, 20 octobre 2005, article 1.
22
actuel des services de radiodiffusion au Canada et a demandé des recommandations de
réforme.108 Dans ce rapport, les enjeux liés à Internet et aux médias numériques et les défis
auxquels fait actuellement face la radiodiffusion étaient déjà reconnus.109 La préoccupation
pour préserver le contenu national et le caractère canadien du système de radiodiffusion
était aussi abordée ainsi que les objectifs de préservation et de promotion du contenu
national qui sont encore partis de la politique canadienne de radiodiffusion, et ce, depuis les
années 60.110 En effet, ces objectifs sont la raison d’être du système canadien de
radiodiffusion et de la création du CRTC. Sans ceux-ci, ils y auraient moins de contenu
canadien, car il y aurait peu de soutien financier suffisant pour en assurer la création et sans
production de contenu, il y aurait, par conséquent, moins de distribution de contenu
canadien. En effet, produire des émissions canadiennes de haute qualité nécessite beaucoup
plus de moyens financiers que d’acquérir des émissions étrangères, par exemple
américaines, à faibles coûts pour les diffuseurs.111 Ainsi, ce n’est pas la politique
canadienne et les objectifs poursuivis par celle-ci qui sont remis en cause, mais plutôt le
cadre règlementaire et son approche, souvent jugés trop rigides pour concurrencer les
nouveaux acteurs du numérique, notamment dans un contexte de concurrence
internationale. Dans le rapport de 2007, on reconnaît en effet que la politique canadienne de
radiodiffusion est un outil important pour affronter la concurrence américaine et
étrangère.112
Plus récemment, en 2015, suite au processus Parlons Télé : Une conversation avec
les Canadiens, le CRTC a diffusé sa nouvelle politique réglementaire de radiodiffusion
2015-86.113 Considérant la transition des consommateurs de la télévision traditionnelle vers
les médias numériques offrant des contenus sur demande, le CRTC a annoncé des mesures
visant à faciliter cette transition. Parmi ces mesures, on retrouve l’objectif visant à favoriser
la promotion et la découverte de la programmation canadienne, tant au Canada qu’à
108 DUNBAR, L. J.E. et C. LEBLANC, CRTC, 31 août 2007, op. cit. 109 Ibid., p. 119. 110 Ibid., p. 32. 111 « Il peut coûter quelque 3,2 millions $CAN pour produire une dramatique d’une heure qui sera diffusée en période de grande écoute aux États-Unis, mais seulement 200 000 $ pour acheter les droits canadiens à la même émission. » : DUNBAR, L. J.E. et C. LEBLANC, CRTC, 31 août 2007, op. cit., p. 33. 112 Ibid. 113 CRTC, Politique réglementaire de radiodiffusion CRTC 2015-86 (Parlons Télé).
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l’étranger, afin de créer plus de contenus canadiens.114 La politique canadienne de
radiodiffusion n’est donc pas remise en cause, mais réaffirmée, en ciblant les médias
numériques. Enfin, dans son récent rapport de juin 2018, Emboîter le pas au changement :
L’avenir de la distribution de la programmation au Canada, rappelle que le contenu
canadien dépend largement de l’appui des divers paliers de gouvernements, des membres
de l’industrie, du public et surtout de l’engagement des créateurs canadiens : « Si les
Canadiens en venaient à abandonner ces services [de radiodiffusion] en nombre important,
le réseau serait moins en mesure de soutenir la création de contenus. Le contenu qui est
déjà coûteux à produire ou qui n’est pas rentable deviendrait encore plus difficile à
appuyer. »115 Avec l’arrivée des PVD telle Netflix, les consommateurs canadiens tendent à
abandonner les services traditionnels.116 Ainsi, le renforcement et la préservation de la
politique canadienne de radiodiffusion sont plus importants que jamais, car la perte de
contenu canadien limiterait la capacité du système de radiodiffusion de représenter la
culture et l’identité de la société canadienne,117 ce dont les plateformes numériques
étrangères ne se soucient guère. Par contre, son cadre règlementaire doit être révisé, car il
est inadapté aux nouvelles technologies.
1.3.2. Les conditions restrictives d’obtention des licences de radiodiffusion
Cette partie ne prétend pas faire l’énumération exhaustive de toutes les conditions
d’obtention des licences de radiodiffusion, car elles sont nombreuses. Elle s’attarde plutôt
sur celles ayant le plus grand impact en raison de l’absence de règlementation des
plateformes numériques et sur le financement du contenu canadien.
114 CRTC, Politique réglementaire de radiodiffusion CRTC 2015-86 (Parlons Télé). 115 CRTC, Emboîter le pas au changement : L’avenir de la distribution de la programmation au Canada, op. cit., risque n° 1. 116 MILLER, P. H. et R. RUDNISKI, 30 mars 2012, op. cit. : «Les chiffres de l'automne 2011 ont fourni la première preuve tangible du recul, bien que modeste, du nombre d'abonnements aux services de télévision payante. Si la croissance de Netflix demeure vigoureuse, ce service pourrait fort bien atteindre ou dépasser les niveaux de la télévision payante au cours des deux prochaines années. » 117 CRTC, Emboîter le pas au changement : L’avenir de la distribution de la programmation au Canada, op. cit.
24
Le principe fondamental du système de radiodiffusion canadien consiste dans
l’attribution obligatoire d’une licence à une entreprise qui souhaite distribuer du contenu
audiovisuel118 par voie analogique ou linéaire (qui représente la télévision traditionnelle,
par voie terrestre hertzienne, puis le câble ou le satellite), ou par la technologie non linéaire
(par exemple, les services de vidéo sur demande et les services de télévisions payants).119 Il
est donc important de faire la distinction entre ce que le CRTC considère la vidéo sur
demande et le terme PVD qui est utilisé aux fins de cette recherche. Pour le CRTC, la vidéo
sur demande correspond à :
« La VSD [Vidéo Sur Demande], permet à un client relié à un canal numérique et possédant un boîtier de décodage de fureter dans les grandes bibliothèques audiovisuelles, où il trouvera des longs métrages, des émissions de télévision et une grande variété d’événements sportifs. Une connexion individuelle point à point s’établit entre le décodeur du client (boîtier de décodage ou PC) et le serveur de diffusion en continu. La programmation est disponible comme service à la carte, par abonnement ou gratuitement dans le cas des abonnés numériques. »120
La vidéo sur demande correspond donc aux services tels Club Illico et CraveTv
(étant, à la fois, un service de vidéo à la demande disponible en ligne et sur la télévision et
lié à une entreprise de radiodiffusion canadienne : Bell)121. Au contraire, les PVD dont il est
question dans ce mémoire sont celles qui sont uniquement disponibles sur Internet et qui
utilisent l’adresse IP de l’utilisateur. L’adresse IP correspond en effet à une « adresse
numérique qui identifie de façon unique un ordinateur connecté au réseau Internet et en
permet la localisation. »122 Les licences ne visent donc pas les entreprises opérant
uniquement sur les réseaux numériques, c’est-à-dire, les PVD. Le CRTC utilise, quant à lui,
le terme « nouveaux médias » pour décrire ces plateformes. Ces nouveaux médias, ce qui
englobent les PVD numériques, bénéficient donc d’une exemption depuis 1999, qui fut
réitérée en 2012 :
« Le Conseil rend une ordonnance qui exempte de la réglementation, sans modalité ni condition, toutes les entreprises de radiodiffusion de nouveaux
118 Loi sur la radiodiffusion, art. 9 (1). 119 Ibid. 120 « Vidéo sur demande », CRTC, Glossaire [En ligne] https://crtc.gc.ca/multites/mtwdk.exe?k=glossaire-glossary&l=60&w=223&n=1&s=5&t=2 (consulté le 5 juillet 2018). 121 CraveTv, [En ligne] https://help.cravetv.ca/ (consulté le 13 juillet 2018). 122 « Adresse IP » Office québécois de la langue française, [En ligne] https://www.oqlf.gouv.qc.ca/accueil.aspx, (consulté le 5 juillet 2018).
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médias qui sont exploitées, en tout ou en partie, au Canada. Les entreprises de radiodiffusion de nouveaux médias sont des entreprises qui offrent des services de radiodiffusion distribués et accessibles sur Internet. Ainsi, les entreprises de radiodiffusion de nouveaux médias ne sont pas tenues d’obtenir une licence du Conseil. Le Conseil signale que l'ordonnance d'exemption ne vise pas les sphères d'activité autorisées en radiodiffusion (par exemple la radiodiffusion ou la télédiffusion hertzienne) d'une société qui exploite également une entreprise de radiodiffusion de nouveaux médias. »123 Ainsi, parce que la politique canadienne de radiodiffusion doit « demeurer aisément
adaptable aux progrès scientifiques et techniques »,124 le CRTC choisit de favoriser
l'émergence de ses nouvelles plateformes en s'abstenant de les réglementer, au lieu
d'adapter ses règles afin de mieux les encadrer. Or, la Loi sur la radiodiffusion autorise le
CRTC à soustraire certains exploitants d’entreprise de radiodiffusion à la réglementation
en vigueur, mais celui-ci ne peut les exempter lorsque cela entrainerait des conséquences
majeures sur la mise en œuvre de la politique canadienne de radiodiffusion.125 On peut
donc se demander si l’exemption applicable aux nouveaux médias est encore pertinente à
ce jour pour réaliser les objectifs de la politique canadienne de radiodiffusion et ainsi
permettre d’assurer la sauvegarde du contenu canadien, tel que prévu dans la politique
canadienne de radiodiffusion. Certes, en 1999 le portrait des activités de diffusion sur
Internet était tout autre que celui d’aujourd’hui et le CRTC devrait tenir compte davantage
des avancées technologiques.
De plus, puisque selon la politique canadienne de radiodiffusion, le système de
radiodiffusion canadien doit rester la propriété et sous le contrôle des Canadiens,126 le
gouverneur général en conseil a donné des instructions au CRTC, par lesquelles celui-ci ne
peut attribuer de licence de radiodiffusion à un demandeur non canadien.127 Le système
règlementaire canadien se trouve donc dans une impasse : D’un côté, l’exemption de
licences pour les plateformes numériques ne permet pas au CRTC de les soumettre à la
réglementation en vigueur,128 notamment en ce qui concerne la contribution au
123 CRTC, Avis public 1999-197, op. cit. 124 Loi sur la radiodiffusion, art. 3 (1) d) (iv). 125 Ibid., art. 9 (4). 126 Ibid., art. 3 (1) a). 127 Instructions au CRTC (inadmissibilité de non-Canadiens), D.O.R.S./97-192, art. 2. 128 Loi sur la radiodiffusion, art. 10 (2).
26
financement du contenu canadien et, d’un autre côté, l’inadmissibilité des non-Canadiens à
l’obtention de licences empêche le CRTC d’exercer son pouvoir règlementaire, notamment
sur les plateformes étrangères. Ainsi, les nouveaux acteurs se tournent plutôt vers
l’autoréglementation, par laquelle diverses ententes contractuelles de distribution avec les
ayants droit leur permettent de créer un catalogue de programme télévisuel sur Internet et
d’opérer en marge de la réglementation canadienne de radiodiffusion129 : « La distribution
de la programmation de télévision par Internet, que ce soit par des télédiffuseurs canadiens
ou par des entreprises étrangères, est exemptée de toute réglementation ».130
Récemment, suite à la politique règlementaire issue du processus Parlons Télé : Une
conversation avec les Canadiens, le CRTC a souhaité simplifier et alléger le processus
d’attribution des licences. Alors que certains avaient l’espoir que l’organisme déciderait de
règlementer les plateformes numériques, le CRTC a simplement réitéré son avis que «
l’attribution de licences aux entreprises de radiodiffusion de médias numériques n’est
généralement pas nécessaire pour atteindre les objectifs de la politique de radiodiffusion
énoncés dans la Loi ».131 Ainsi, il a remplacé les nombreuses catégories de licences, par
trois catégories possédant chacune leurs obligations et visant les différents services offerts
(et non la technologie de diffusion utilisée) : celles visant les services de télévision de base,
celles visant les services facultatifs, soit les services payants et les chaînes spécialisées et
enfin, celles visant les services sur demande,132 excluant ainsi les PVD de sa
réglementation. De plus, l’attribution de licence est un processus exigeant et coûteux pour
le système.133 D’ailleurs, le rapport de 2007 les comparait avec les ordonnances
d’exemption conditionnelles qui, à l’opposé, offrent un coût réduit d’administration.134
Ainsi, si l’attribution d’une licence ne permet pas de contribuer efficacement à l’atteinte
des objectifs de la politique canadienne de radiodiffusion, il faudrait peut-être les substituer
129 DUNBAR, L. J.E. et C. LEBLANC, CRTC, 31 août 2007, op. cit., p. 53. 130 Ibid. 131 CRTC, Politique réglementaire de radiodiffusion CRTC 2015-86 (Parlons Télé). 132 PRESCOTT, S., et Y., WEXLER, mars 2015, op. cit. 133 DUNBAR, L. J.E. et C. LEBLANC, CRTC, 31 août 2007, op. cit., p. 19. 134 Ibid.
27
par des ordonnances d’exemption conditionnelles, ou revoir complètement le cadre
règlementaire.135
Par conséquent, il semble que le système des licences, un processus complexe et
coûteux, ne permet pas d’atteindre les objectifs de la politique canadienne. Il ne semble pas
adapté à l’environnement numérique qui évolue dans un cadre beaucoup plus souple et
souvent à l’abri des législations nationales des pays vers lesquels les PVD diffusent leurs
contenus. De plus, bien que le système reste sous le contrôle des Canadiens, il ne permet
pas d’assurer une présence de contenus canadiens sur les plateformes étrangères et
l’ordonnance d’exemption des nouveaux médias laisse difficilement croire qu’elle
permette au CRTC d’atteindre ses objectifs. D’ailleurs, dans son récent rapport, le CRTC
proposait de remplacer l’octroi obligatoire de licences par des accords contraignants qui
viseraient aussi les nouveaux acteurs, soit : « tout service audio ou vidéo offert en sol
canadien ou percevant des revenus de la part de Canadiens. Cela devrait s’appliquer aux
services traditionnels ou nouveaux, qu’ils soient canadiens ou non. »136 Cependant, s’il
s’avère impossible de réviser le système des licences, il faudrait peut-être mettre en place
une réglementation spécifique pour ces plateformes, afin d’établir une concurrence juste et
équitable entre les entreprises de radiodiffusion et les plateformes numériques.
1.4. Une qualification d’entreprise de radiodiffusion désuète
Afin de qualifier ce qu’est une d’entreprise de radiodiffusion, il faut d’abord définir
ce que la Loi sur la radiodiffusion considère être une activité de radiodiffusion :
« Transmission, à l’aide d’ondes radioélectriques ou de tout autre moyen de télécommunication, d’émissions encodées ou non et destinées à être reçues par le public à l’aide d’un récepteur, à l’exception de celle qui est destinée à la présentation dans un lieu public seulement (broadcasting). » (Soulignement ajouté).137
135 DUNBAR, L. J.E. et C. LEBLANC, CRTC, 31 août 2007, op. cit., p. 19. 136 CRTC, Emboîter le pas au changement : L’avenir de la distribution de la programmation au Canada, op. cit. 137 Loi sur la radiodiffusion, art. 2.
28
Il s’agit en effet d’une définition très technique et large servant à décrire le procédé
de communication. Pour ce qui est de la définition d’entreprise de radiodiffusion, la Loi sur
la radiodiffusion la définit ainsi :
« S’entend notamment d’une entreprise de distribution ou de programmation, ou d’un réseau (broadcasting undertaking). »138
Enfin, la Loi sur la radiodiffusion définit ce qu’est une entreprise de distribution :
« L’entreprise de distribution est celle qui reçoit la radiodiffusion pour retransmission […] en vue de sa réception dans plusieurs résidences permanentes ou temporaires ou locaux d’habitation, ou en vue de sa réception par une autre entreprise semblable. » (Soulignement ajouté).139
Alors que l’entreprise de programmation est :
« L’entreprise de transmission d’émissions soit directement à l’aide d’ondes radioélectriques ou d’un autre moyen de télécommunication, soit par l’intermédiaire d’une entreprise de distribution, en vue de leur réception par le public à l’aide d’un récepteur. » (Soulignement ajouté).140
La Loi sur la radiodiffusion a donc inséré des définitions très techniques pour
décrire les activités règlementées : L’entreprise de distribution distribue les signaux radio et
l’entreprise de programmation transmet les émissions télévisées. Il ne semble pas y avoir de
différence notable entre l’entreprise de distribution et l’entreprise de programmation dans la
Loi sur la radiodiffusion. En consultant le Règlement sur la distribution de radiodiffusion,
il est décrit qu’une entreprise de distribution reçoit des services de programmation, pouvant
provenir soit d’une entreprise de programmation ou non et les distribue par la suite.141
L’entreprise de distribution est titulaire d’une licence de radiodiffusion et elle peut
contrôler une entreprise de programmation. Ainsi, dans ce dernier cas, l’entreprise de
programmation n’est pas une société indépendante du distributeur, par exemple, la société
Vidéotron, un câblodistributeur, distribue le contenu de son propre service de
programmation Le Superclub Vidéotron : La programmation peut donc émaner des studios
de ses établissements, d’un réseau de stations affiliées ou de sources extérieures.142
138 Loi sur la radiodiffusion, art. 2. 139 Ibid. 140 Ibid. 141 Règlement sur la distribution de radiodiffusion, D.O.R.S./97-555, art. 1. 142 GOUVERNEMENT DU QUÉBEC, cahier 3, août 2014, op. cit.
29
Par contre, l’enjeu principal de ces définitions est que certaines entreprises de
programmation ont été exemptées des obligations de la Loi sur la radiodiffusion.143 C’est
notamment le cas des médias numériques en raison de l’Ordonnance d’exemption relative
aux entreprises de radiodiffusion de nouveaux médias de 1999. Ainsi, la présence
d’entreprises qui distribuent, produisent et programment même parfois des émissions
destinées aux Canadiens sans tomber sous la définition d’entreprise de radiodiffusion de la
Loi sur la radiodiffusion canadienne envahissent le marché canadien.144 De cette façon, «
les revendeurs ou les distributeurs étrangers peuvent utiliser des plateformes alternatives
pour atteindre directement les consommateurs canadiens en réservant les droits numériques
de contenu, c’est-à-dire les droits d’exploitation sur Internet des contenus, mettant ainsi de
côté les distributeurs, télédiffuseurs et les entreprises de radiodiffusion nationales ».145
C’est le cas notamment de Netflix au Canada.
Fait d’autant plus intéressant, le Bureau de certification des produits audiovisuels
canadiens (ci-après le « BCPAC ») a annoncé que les productions audiovisuelles
canadiennes diffusées uniquement en ligne, sur des plateformes canadiennes ou étrangères,
seraient admissibles au crédit d’impôt CIPC, à condition qu’un distributeur ou un
radiodiffuseur canadien participe au projet146 :
« Pour qu’une production audiovisuelle soit admissible à la certification en vertu du CIPC, une convention écrite doit avoir été conclue avec un radiodiffuseur autorisé par le CRTC ou un distributeur canadien pour que la production soit diffusée au Canada au cours de la période de deux ans qui commence dès que la production est achevée et qu’elle devient exploitable commercialement. Cet engagement, souvent appelé la « clause de deux ans », est exposé dans le Règlement et n’est pas modifié par la présente politique. »147
143 Règlement sur la distribution de radiodiffusion, D.O.R.S./97-555, art. 1 « Entreprise de programmation exemptée ». 144 CLAUS, S., CRTC, op. cit. 145 PATRIMOINE CANADIEN, Étude sur le secteur de la distribution audiovisuelle au Canada, Annexe A : profil économique, Préparée par : Nordicity, Le 31 mars 2011, p. 104. 146 GOUVERNEMENT DU CANADA, Le cadre stratégique du Canada Créatif, op. cit. 147 BCPAC, Avis public 2017-01, Plateformes pouvant satisfaire à l’exigence qu’une production soit « diffusée au Canada » dans le cadre du Crédit d’impôt pour production cinématographique ou magnétoscopique canadienne, Gatineau, le 6 mars 2017, par. 22.
30
La clause de deux ans correspond en fait à la fenêtre de diffusion, établie en raison du
principe de la chronologie des médias discuté précédemment. La production peut alors être
diffusée sur tous les médias, dont les PVD acceptables, si la société de production a conclu
une convention écrite, en échange d’une contrepartie à la juste valeur marchande, avec un
distributeur canadien, pour que la production soit diffusée au Canada dans les deux ans
suivant sa mise à disposition aux fins d’exploitation commerciale.148 Est considérée comme
une juste valeur marchande : « Le prix le plus élevé, en dollars, qu’un bien rapporterait lors
d’une vente effectuée dans un marché libre et sans restriction, entre deux personnes
consentantes qui sont averties, renseignées et prudentes, et qui agissent de façon
indépendante. »149
Ainsi, selon la liste des services en ligne acceptables aux fins de l’Avis public du
BCPAC 2017-01, en date du 4 juin 2018, on retrouve comme diffuseur autorisé, Netflix,
Amazon Prime Video, iTunes et certaines chaînes de YouTube.150 Se pose donc la question
de savoir si ces PVD devraient être considérées par la Loi sur la radiodiffusion comme des
radiodiffuseurs, donc des entreprises de radiodiffusion, puisqu’une diffusion d’une œuvre
audiovisuelle sur ce type de plateforme est considérée comme une diffusion admissible aux
crédits d’impôt CIPC, autrement réservés aux productions canadiennes, distribuées par des
entreprises canadiennes. Cette mesure a ainsi pour effet d’inciter les producteurs canadiens
à travailler en collaboration avec un distributeur ou un radiodiffuseur canadien, pour
ensuite diffuser uniquement en ligne la production audiovisuelle, sur des serveurs étrangers.
Notamment, ces plateformes pourraient être considérées comme des entreprises de
programmation. Le BCPAC est d’avis qu’on ne pourrait considérer les PVD comme des
distributeurs, car leur rôle consiste uniquement à fournir une plateforme de diffusion et
qu’elles n’exercent pas les fonctions habituelles d’un distributeur.151 Considérant
l’implication de plateformes comme Netflix dans la chaîne des valeurs des contenus
audiovisuels, allant de la production à la distribution, il est pertinent de douter de cette
148 BCPAC, Avis public 2017-01, op. cit., par. 30. 149 Ibid., par. 33. 150 GOUVERNEMENT DU CANADA, Liste des services en ligne acceptables pour les fins de l’Avis public du BCPAC 2017-01, [En ligne] https://www.canada.ca/fr/patrimoine-canadien/services/financement/bcpac-credit-impot/avis-bulletins/avis-public-2017-01/services-en-ligne-acceptables.html (consulté le 23 juillet 2018). 151 BCPAC, Avis public 2017-01, op. cit., par. 10.
31
affirmation.
Par ailleurs, il faut aussi souligner que certaines entreprises canadiennes exercent
plusieurs fonctions, ce qui soulève d’autres préoccupations. Par exemple, Vidéotron et Bell
agissent à la fois comme fournisseur de services Internet (ci- après « FSI ») et comme
radiodiffuseur. Alors, en fonction de leur rôle, soit la Loi sur la radiodiffusion ou la Loi sur
les télécommunications s’appliquent aux activités qu’elles dirigent. En effet, dans le Renvoi
relatif à la Loi sur la radiodiffusion de 2012,152 la Cour Suprême s’est prononcée en appel
sur un jugement de la Cour d’appel Fédérale sur la question de savoir si les FSI exploitaient
des entreprises de radiodiffusion assujetties à la Loi sur la radiodiffusion « lorsque,
conformément à leur rôle en tant que FSI, ils fournissaient l’accès par Internet à la «
radiodiffusion » demandée par les utilisateurs. »153 La Cour a rejeté le pourvoi, en infirmant
cette hypothèse.
Dans ce renvoi, la Cour fait la distinction entre les activités d’accès et de réception
des transmissions Internet :
« Les FSI mettent à la disposition de leurs abonnés routeurs et autres éléments d’infrastructure qui donnent accès au contenu et aux services offerts sur Internet, y compris de la programmation sonore et audiovisuelle provenant de fournisseurs de contenu, lesquels comptent sur les FSI pour la transmission de leur contenu par Internet aux utilisateurs finaux. »154
Ainsi, la Cour considère que lorsqu’ils agissent uniquement à ce titre, ils n’ont aucun
contrôle sur la programmation qui est diffusée sur leur réseau et ne devraient donc pas être
considérés comme des entreprises de radiodiffusion, mais plutôt comme des entreprises de
télécommunications,155 assujetties alors à la Loi sur les télécommunications.156
152 Reference re Broadcasting Act, 2012 SCC 4, [2012] 1 S.C.R. 142. 153 Ibid. 154 Reference re Broadcasting Act, 2012 SCC 4, [2012] 1 S.C.R. 142. 155 Loi sur les télécommunications, L.C. 1993, c. 38, art. 2. 156 Selon cette même logique, c’est pour cette raison qu’ils ne peuvent être tenus responsables des violations des droits d’auteur sur Internet, car ils ne sont que des intermédiaires techniques et n’ont aucun contrôle sur le contenu : Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique c. Assoc. canadienne des fournisseurs Internet, [2004] 2 R.C.S. 427. Et article 31.1. 1. Loi sur le droit d’auteur, L.R.C. 1985, c. C-42.
32
Au contraire, les entreprises de radiodiffusion participent à la sélection, à la création
de contenus et à leur mise à disposition sous forme de forfaits, selon les principes de la
politique canadienne de radiodiffusion.157 C’est donc dire qu’elles ont un contrôle éditorial
sur la programmation et non simplement un rôle technique de transmission. Cependant, il
faut s’interroger à savoir si cette distinction est encore pertinente aujourd’hui. En effet, sans
transmission de signaux, il n’y a pas d’accès aux plateformes de diffusion. De plus, la
plupart des entreprises au Canada sont concentrées en grands groupes médias qui agissent à
la fois comme FSI et en tant que radiodiffuseur, en plus d’avoir mis en place leur propre
plateforme.158 La notion de « contrôle » sur le contenu est alors ténue et la notion
d’entreprise de radiodiffusion ou de télécommunication semble alors désuète, puisque d’un
côté, l’on met à disposition un contenu et de l’autre, on met à disposition un outil pour
accéder à ce contenu. La numérisation des contenus et la convergence des activités de ces
entreprises ont alors pour effet de rendre la distinction moins nette entre radiodiffusion et
télécommunications.159 Ainsi, ces deux lois se chevauchent de plus en plus. 160 En révisant
ces deux lois et leurs définitions, le législateur permettrait au CRTC d’inclure les
fournisseurs de services sans fil et les FSI dans son modèle de financement de la
programmation, auquel contribuent déjà les radiodiffuseurs.161
Enfin, le rôle traditionnel joué par les distributeurs est celui de créer un lien entre les
détenteurs des droits d’une œuvre cinématographique (par exemple, le producteur) et les
salles de cinéma, les marchands pour la vente sous format physique, la location et les
radiodiffuseurs.162 En ce qui concerne la télédiffusion, les diffuseurs sont chargés de
l’horaire, de la présentation et de la promotion des contenus.163 Ensuite, le rôle traditionnel
joué par les diffuseurs est de distribuer le contenu directement aux consommateurs.164 Les
PVD ne sont donc qu’une nouvelle technologie de distribution et diffusion des contenus.
157 Reference re Broadcasting Act, 2012 SCC 4, [2012] 1 S.C.R. 142. 158 DEWING, M., 2014, op. cit., p. 8. 159 Ibid. 160 DEWING, M., 2014, op. cit., p. 8. 161 CRTC, Emboîter le pas au changement : L’avenir de la distribution de la programmation au Canada, op. cit. 162 PATRIMOINE CANADIEN, Étude sur le secteur de la distribution audiovisuelle au Canada, 31 mars 2011, op. cit., p. 12. 163 Ibid. 164 Ibid.
33
Leur impact sur la diffusion réside principalement sur le mode de consommation des
contenus, passant d’une grille horaire prédéterminée (comme la télévision traditionnelle)
vers un milieu de visionnement à la demande, c’est-à-dire au moment et au lieu désiré par
le consommateur.165
Par conséquent, le rôle de Netflix n’est pas différent des entreprises de
radiodiffusion traditionnelles, puisqu’elle acquiert les droits de distribution auprès des
détenteurs de ces droits pour diffuser leur contenu sur sa plateforme. Elle a aussi un rôle
éditorial dans la programmation, puisqu’elle se charge de la présenter et la rendre
accessible aux consommateurs et s’occupe de leur promotion. De plus, elle produit de plus
en plus son propre contenu et participe ainsi à sa sélection et à sa création, comme les
entreprises de programmation canadienne. Ainsi, le législateur devrait soit considérer la
modification de la définition d’entreprise de radiodiffusion pour y inclure les distributeurs
et les entreprises de programmation étrangères qui créent et diffusent du contenu destiné
aux Canadiens, soit retirer l’Ordonnance d’exemption relative aux entreprises de
radiodiffusion de nouveaux médias de 1999 pour rendre la Loi sur la radiodiffusion
applicable aux PVD numériques.
Enfin, les obligations liées au financement du contenu canadien fixées par les
licences, ainsi que les différents fonds de soutien à la création et les crédits d’impôt pour la
production de contenu canadien sont d’abord expliqués dans la deuxième partie de ce
mémoire, ainsi que les obligations liées à la promotion et la protection de la diversité des
expressions culturelles. Puis, le meilleur moyen d’encadrer les PVD est suggéré par des
pistes de solutions proposées en troisième partie.
165 PATRIMOINE CANADIEN, Étude sur le secteur de la distribution audiovisuelle au Canada, 31 mars 2011, op. cit., p. 12.
34
Partie 2. Les mesures de soutien à la production et la distribution des œuvres
audiovisuelles canadiennes face aux enjeux du numérique
Dans cette deuxième partie sont abordées les mesures de soutien à la production et
la distribution des œuvres audiovisuelles canadiennes et la manière dont elles tentent de
s’adapter aux enjeux du numérique. Ces mesures ont un impact important sur la diversité
des expressions culturelles, sur leur promotion et l’accès par les consommateurs. De plus,
les enjeux du numérique affectent le financement et la production future des œuvres
audiovisuelles. Ainsi, dans un premier temps, sont présentées les mesures de financement
des œuvres audiovisuelles canadiennes (2.1. et 2.2.). Ensuite, la démonstration de
l’inadaptabilité du système de quotas de diffusion canadien aux plateformes numériques est
effectuée (2.3.). Enfin, le concept de découvrabilité des contenus et son impact sur la
diffusion numérique sont évalués ainsi que les conséquences des systèmes algorithmiques
de recommandations sur la diversité des expressions culturelles (2.4.).
2.1. Les mesures de financement du contenu canadien
Parmi les mesures législatives et gouvernementales mises en place pour assurer un
financement satisfaisant des productions audiovisuelles canadiennes, l’obligation de verser
une part des revenus des radiodiffuseurs vers des fonds de soutien à la création est sans
doute la plus importante, avec l’octroi des crédits d’impôt offerts aux sociétés de
production canadienne. Par contre, l’absence de perception de la taxe sur la valeur ajoutée
par les plateformes numériques et l’absence de l’obligation de payer de l’impôt sur la
plupart de leurs activités créent une disparité entre les moyens financiers dont disposent les
entreprises de radiodiffusion et les nouveaux acteurs que sont les PVD.
2.1.1. Les fonds de soutien à la création canadienne
Les titulaires de licence de radiodiffusion doivent, comme mentionné
précédemment, contribuer au financement de la création canadienne. Selon le type de
technologie de distribution utilisée (et selon les services ou les contenus distribués), le
35
montant des versements vers les fonds de soutien à la création varie. Par exemple, les
entreprises de distribution par voie terrestre numérique et par voie analogique doivent
verser, chaque année, l’équivalent de 4,7 % de leurs revenus bruts à la programmation
canadienne, dont un pourcentage maximal de 1,5 % peut être déduit pour leurs activités de
contribution aux expressions locales.166 De ce montant total, 80 % sont versés au fonds de
production canadien et 20 % à un ou plusieurs fonds de production indépendants.167 Pour
les entreprises de distribution par satellite de radiodiffusion directe, ils doivent également
verser 4,7 % de leurs revenus bruts annuels à la programmation canadienne, dont un
pourcentage de 0,06 % peut être déduit pour leur contribution aux émissions de nouvelles
reflétant la réalité locale.168 De ce montant total, une contribution d’au plus 0,05 % doit être
versé dans un fonds de production indépendant et le solde restant, au fond de production
canadienne.169 Les plateformes de diffusion par Internet sont exemptées de ces obligations.
Ainsi, les contributions annuelles des entreprises de radiodiffusion peuvent être
dirigées vers plusieurs fonds, soit vers le Fonds des médias du Canada (ci-après « FMC »),
ou vers des fonds indépendants.170 Le FMC est le fonds le plus important en termes
d’allocations. Il fût créé à l’initiative du CRTC et il est un fonds à la fois privé et public.
Les allocations proviennent des versements obligatoires des radiodiffuseurs et de la
contribution publique de Patrimoine canadien.171 Par exemple, durant l’année 2016-2017, le
FMC a versé 361,6 millions de dollars à des projets canadiens de télévision et de médias
numériques.172 Quant aux fonds indépendants, le CRTC a dressé une liste des fonds de
production indépendants certifiés qui sont admissibles à recevoir des contributions des
radiodiffuseurs.173,174 Comme l’affirme le constat lors de la vérification des titres des
166 Loi sur la radiodiffusion, art. 34(2). 167 Ibid., art. 34(1). 168 Ibid., art. 52(1). 169 Ibid., art. 52(2). 170 GOUVERNEMENT DU QUÉBEC, cahier 2, février 2014, op. cit., p. 28. 171 Ibid., p. 30. 172 FONDS DES MÉDIAS DU CANADA, Rapport annuel 2016-2017, [En ligne] https://ar-ra16-17.cmf-fmc.ca/fr/ (consulté le 6 juillet 2018). 173 CRTC, Liste des fonds de production indépendants certifiés [En ligne] https://crtc.gc.ca/fra/general/cipfund.htm (consulté le 6 juillet 2018). 174 CRTC, Politique réglementaire de radiodiffusion CRTC 2016-343.
36
différents fonds de cette liste, ils sont généralement créés par les grands groupes médias,
tels Quebecor et Telus, ainsi que par Téléfilm Canada.175
Cependant, alors que les radiodiffuseurs sont tenus de contribuer à la production
canadienne, les entreprises comme Netflix, qui sont passées d’un rôle de simple diffuseur à
celui de producteur de contenus bien présents au Canada, n’ont pas l’obligation de
participer au financement de la création canadienne.176 En réponse au désir du CRTC de
règlementer Netflix et à la polémique entourant son opposition,177 Netflix a plutôt décidé de
privilégier la conclusion d’une entente avec le gouvernement canadien pour investir dans
les productions canadiennes.178 L’entente n’étant toutefois pas rendue publique, il est
impossible de savoir comment et vers quelles productions l’entreprise investira les 100
millions prévus par année, sur cinq ans. Il est ainsi impossible de garantir un contenu
canadien et non simplement des productions américaines, tournées sur le territoire, à
moindres coûts, par des créateurs américains.179 De plus, cette situation contribue à créer
une entorse à la concurrence sur le marché, puisque les radiodiffuseurs sont soumis à une
réglementation stricte et que la production canadienne dépend largement du financement
privé et public. En effet, les PVD étrangères ont des moyens financiers supérieurs et
bénéficient d’une absence de réglementation.180 Dans son dernier rapport, le CRTC
reconnaît d’ailleurs que les services de vidéo en ligne, soit les PVD, devraient contribuer à
la production du contenu, notamment en langue française.181
175 GOUVERNEMENT DU QUÉBEC, cahier 2, février 2014, op. cit., p. 31. 176 MILLER, P. H. et R. RUDNISKI, CRTC, 30 mars 2012, op. cit. : « Les dépenses de Netflix Canada consacrées au contenu canadien représentent environ 5 p. 100 de ses dépenses totales de programmation. Par conséquent, tout gain de part de marché de Netflix aux dépens de la télévision payante, de la télévision traditionnelle, de la VSD et des services spécialisés entraînerait la diminution des fonds alloués au contenu canadien dans le système. De plus, les exigences liées aux émissions d'intérêt national et les mesures favorisant la production d'émissions dramatiques canadiennes seraient aussi touchées. » 177 « Netflix refuse toujours d’être soumis à la Loi sur la radiodiffusion canadienne », 24 novembre 2016, [En ligne] https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1001979/netflix-patrimoine-canadien-investit-substantiellement-production, (consulté le 6 juillet 2018). 178 PATRIMOINE CANADA, Launch of Netflix Canada: a recognition of Canada’s creative talent and its strong track record in creating films and television, Ottawa, 28 septembre 2017. 179 BOURGAULT CÔTÉ, G., « Mélanie Joy se soumet à loi Netflix », op. cit. 180 TRUDEL, P., « En finir avec la « taxe » Netflix », Journal Le Devoir, 3 janvier 2018, [En ligne] https://www.ledevoir.com/opinion/chroniques/516629/en-finir-avec-la-taxe-netflix (consulté le 22 juillet 2018). 181 CRTC, Emboîter le pas au changement : L’avenir de la distribution de la programmation au Canada, op. cit.
37
Ensuite, un autre problème général lié au financement des contenus est dû au fait
que de plus en plus d’entreprises choisissent plutôt d’effectuer leurs dépenses publicitaires
en ligne, dirigeant ainsi leurs publicités vers les services Internet étrangers qui captent de
plus en plus les parts des marchés publicitaires,182 au détriment des entreprises canadiennes
de radiodiffusion et sans réinvestir dans la création. Certains chiffres indiqueraient que d’ici
2020, 45 % du marché publicitaire sera dépensé sur Internet.183 De cette façon, les dépenses
publicitaires ne suffiraient plus à enrichir les entreprises de radiodiffusion traditionnelles et
enrichiraient plutôt les services de propriété étrangère, tels Google et Facebook. En effet,
les entreprises de radiodiffusion traditionnelles dépendent surtout de la vente de temps
d’antenne qui est leur principale source de revenus (358 M$ en 2012, soit 82 %, de leurs
revenus).184 Bien que Netflix et les autres PVD ne diffusent en général pas de publicité sur
leur plateforme, le problème provient davantage des grandes plateformes de recherche
(Google) ou de médias sociaux (Facebook, Instagram) qui ont pour effet de détourner les
dépenses publicitaires à la télévision vers les services Internet.
De plus, ces mêmes entreprises n’utilisent pas les revenus engendrés par la publicité
pour acquérir ou investir dans le contenu canadien,185 contrairement aux radiodiffuseurs
canadiens. En effet, ces derniers vendent du temps d’antenne aux annonceurs, déboursant
des sommes auprès des radiodiffuseurs diffusant par la suite leur publicité. Les
radiodiffuseurs comptent en bonne partie sur les revenus engendrés par la publicité pour se
financer.186 Conséquemment, le déplacement des revenus de publicité de la télévision vers
l’Internet affaiblit les ressources financières des câblodistributeurs et donc leur capacité à
produire du contenu canadien de haute qualité. Enfin, hormis l’existence des fonds de
soutien à la création, les crédits d’impôt favorisent aussi l’investissement dans la
production canadienne.
182 ANDERSON, J., Centre canadien de politiques alternatives, Une exemption pour la télévision par contournement : Le temps est venu de règlementer et de taxer de manière équitable les nouveaux services médiatiques sur Internet, juin 2016. 183 Ibid. 184 GOUVERNEMENT DU QUÉBEC, cahier 3, août 2014, op. cit. 185 ANDERSON, J., juin 2016, op. cit. 186 CRTC, Les rudiments de la publicité à la radio et à la télévision, [En ligne] https://crtc.gc.ca/fra/television/publicit/publicit.htm (consulté le 10 juillet 2018).
38
2.1.2. Les crédits d’impôt pour sociétés de productions canadiennes et étrangères
Les deux crédits d’impôt, soit le crédit d’impôt pour production cinématographique
ou magnétoscopique canadienne (ci-après « CIPC »)187 ou le crédit d’impôt pour services
de production cinématographique ou magnétoscopique (ci-après « CISP ») permettent de
soutenir la production canadienne et les coproductions.188 L’objectif principal de ces crédits
d’impôt est de favoriser la production canadienne, dans le premier cas, et de favoriser la
croissance de l’emploi chez les travailleurs canadiens du domaine du cinéma et de la
télévision, pour le second.189 Il est à noter qu’à ceux-ci, s’ajoutent les divers crédits
d’impôts provinciaux, tel le crédit d’impôt remboursable pour la production
cinématographique et télévisuelle québécoise. Cette partie se concentre uniquement sur les
crédits d’impôts fédéraux, puisque cette recherche porte principalement sur la compétence
et la législation fédérale du gouvernement du Canada.
Il est à noter que le CIPC et le CISP sont deux crédits d’impôt distincts et non
cumulatifs.190 Le CIPC permet de rembourser 25 % des dépenses de main-d'œuvre pour la
production d'une vidéo ou d'un film canadien. Cependant, le respect de la condition de
contrôle canadien ne rend le crédit d’impôt disponible qu’auprès des sociétés sous contrôle
canadien.191 Il n’est donc pas offert aux sociétés étrangères.192 Au contraire, pour recevoir
le CISP, le demandeur doit « être une société de production qui exploite, par l'entremise
d'un établissement stable au Canada,193 une entreprise qui est principalement une entreprise
187 GOUVERNEMENT DU CANADA, CIPC, [En ligne] https://www.canada.ca/fr/agence-revenu/services/impot/impot-international-non-residents/credits-impot-films-produits-multimedias/programme-credit-impot-production-cinematographique-magnetoscopique-canadienne.html (consulté le 9 juillet 2018). 188 GOUVERNEMENT DU CANADA, CISP, [En ligne] https://www.canada.ca/fr/agence-revenu/services/impot/impot-international-non-residents/credits-impot-films-produits-multimedias/programme-credit-impot-services-production-cinematographique-magnetoscopique.html (consulté le 9 juillet 2018). 189 GOUVERNEMENT DU CANADA, CISP, op. cit. 190 Ibid. 191 Selon la Loi sur Investissement Canada, L.R.C., 1985, ch. 28 (1er suppl.), article 26 à 28. 192 GOUVERNEMENT DU CANADA, CIPC, op. cit. 193 Voir AGENCE REVENU CANADA, Sens de l'expression « établissement stable » au paragraphe 123(1) de la Loi sur la taxe d'accise (la Loi), Énoncé de politique sur la TPS/TVH P-208R, Révision 23 mars 2005, [En ligne] https://www.canada.ca/fr/agence-revenu/services/formulaires-publications/publications/p-208r/sens-expression-etablissement-stable-paragraphe-123-1-loi-taxe-accise-loi.html , (consulté le 10 juillet 2018).
39
de production cinématographique ».194 C’est-à-dire que, si Netflix par exemple, en tant que
producteur, investissait dans la production d’un film tourné au Canada, avec des acteurs
canadiens et réalisé ou scénarisé par un auteur canadien, l’entreprise aurait droit à ce crédit
d’impôt, comme tout producteur étranger qui souhaiterait investir dans la création
canadienne.195 Le lieu du plateau de tournage, par exemple, sera alors considéré comme un
établissement stable, grâce au bail immobilier qui en résulte. Par établissement stable, on
fait référence à une installation fixe et donc, continue et permanente.196 Cependant, elle
peut avoir une durée restreinte en raison de l’activité commerciale qui y est exécutée durant
une brève période,197 par exemple, le plateau de tournage d’un long métrage ou d’une série
télévisée.
Ainsi, une entreprise étrangère de production et de distribution peut bénéficier de
crédits d’impôt, car elle est considérée avoir un établissement stable au Canada. Alors, elle
n’échappe pas à l’obligation fiscale par laquelle elle doit payer de l’impôt sur le revenu.
Cependant, la nuance à apporter concernant le remboursement via le crédit d’impôt CISP
qu’elle reçoit tient au fait qu’il est souvent beaucoup plus important que les impôts prélevés
pour ses activités de production au Canada.198 Ainsi, la réelle inégalité provient du fait que
les plateformes étrangères admissibles aux crédits d’impôt CISP ne contribuent pas au
financement et à la promotion du contenu canadien en retour, par exemple via le Fonds des
Médias du Canada.
Bref, les PVD étrangères évoluent et se développent grâce à l’absence de
réglementation sur Internet et occupent une position dominante sur le marché, faisant
entorse à une concurrence juste et équitable aux dépens des acteurs traditionnels. En outre,
elles bénéficient d’avantages et d’exemptions fiscales puisqu’elles sont situées à l’extérieur
du territoire canadien.
194 Règlement de l’impôt sur le revenu, C.R.C., ch. 945, art. 1106, (10) e). 195 BROUSSEAU-POULIOT, V., « Comment réglementer Netflix ?», op. cit. 196 Voir AGENCE REVENU CANADA, Énoncé de politique sur la TPS/TVH P-208R, op. cit. 197 Ibid. 198 Informations obtenues après une entrevue avec un expert en fiscalité internationale de la firme comptable Raymond Chabot Grant Thornton.
40
2.2. Les avantages et exemptions fiscales pour les plateformes de vidéo à la demande
Au niveau de la fiscalité, les PVD étrangères ne sont pas soumises à la taxe sur la
vente des biens et des services du Canada, puisqu’elles ont leur résidence dans un autre
pays ou encore puisque leurs activités s’effectuent en ligne seulement et qu’il n’existe
toujours pas de règles particulières pour le commerce électronique au Canada.199 Cet
avantage n’est pas exclusif aux biens culturels, mais s’applique à tous les biens et services
offerts sur Internet.200 Cela permet donc aux plateformes d’offrir des produits à des prix
plus bas aux consommateurs, puisqu’elles ne prélèvent pas de taxes sur les biens et services
vendus.201
2.2.1. L’absence de perception de la taxe sur la valeur ajoutée par les plateformes
en ligne
Le critère déterminant qui permet de savoir si une personne doit percevoir la taxe
sur la valeur ajoutée est l’exploitation d’une entreprise au Canada.202 Le concept «
d’exploitation d’une entreprise au Canada n’est pas défini par la Loi sur l’impôt. Selon les
lignes directrices de l’Agence du revenu du Canada (ci-après « ARC ») :
« Si une personne non résidente n'exploite pas une entreprise au Canada et n'a pas choisi de s'inscrire aux fins de la TPS/TVH, les fournitures effectuées au Canada par le non-résident sont réputées effectuées à l'étranger et le non-résident n'est donc pas tenu de percevoir la taxe sur ces fournitures. »203
Ainsi, les PVD étrangères qui offrent du contenu aux Canadiens, mais qui ne
possèdent pas de bureau ou de siège social au Canada, comme Netflix, n’ont pas
199 GOUVERNEMENT DU QUÉBEC, Rapport final de la Commission d'examen sur la fiscalité québécoise, Se tourner vers l’avenir du Québec, vol. 1, « Une réforme de la fiscalité québécoise », mars 2015, p. 180. 200 Ibid. 201 Ibid., p. 183. 202 AGENCE REVENU CANADA, Exploitation d'une entreprise au Canada, Énoncé de politique sur la TPS/TVH P-051R2, Révision 29 avril 2005, [En ligne], https://www.canada.ca/fr/agence-revenu/services/formulaires-publications/publications/p-051r2/exploitation-entreprise-canada.html, (consulté le 10 juillet 2018). 203 Ibid.
41
l’obligation de s’inscrire auprès de l’ARC et donc de percevoir les taxes sur la valeur
ajoutée.204
En effet, si les seuls facteurs de présence au Canada sont le lieu du contrat (la
vente), le lieu du public visé par la publicité du produit et le lieu du paiement, ces facteurs
ne sont pas considérés suffisants pour conclure que le fournisseur non résident exploite une
entreprise au Canada.205 Dans un monde où les transactions s’effectuent de plus en plus sur
Internet, il est donc facile pour une entreprise de ne pas se voir imposer d’obligations
fiscales des pays vers lesquels il exporte ses produits et services. Il faudrait alors que le
Canada revoie sa définition « d’exploitation d’une entreprise au Canada », afin que celle-ci
soit moins restrictive et qu’elle tienne davantage compte des facteurs concernant l’endroit
et les modalités où s’effectuent ces activités.206 Le rapport final de la Commission
d'examen sur la fiscalité québécoise, Une réforme de la fiscalité québécoise de 2015
recommandait d’ailleurs au gouvernement canadien de s’appuyer sur les réflexions de
l’Organisme de coopération et de développement économiques (ci-après « OCDE »)207 et
notamment de :
« Créer une présomption d’établissement stable pour les activités numériques entièrement dématérialisées sur la base d’une présence numérique significative et obliger les fournisseurs en ligne de services numériques et de biens incorporels à s’inscrire dans le régime de taxation du pays de résidence de l’acquéreur et à remettre la taxe applicable. »208
L’Union européenne a repris cette idée et travaille actuellement sur un projet de directive209
proposant de revoir les fondements de la fiscalité, lesquels seront présentés dans la
troisième partie de ce mémoire.
204 ANDERSON, J., juin 2016, op. cit., p. 16. 205 AGENCE REVENU CANADA, Exploitation d'une entreprise au Canada, op. cit. 206 Ibid., voir l’exemple n°14. 207 OCDE, Plan d’action concernant l’érosion de la base d’imposition et le transfert de bénéfices, (2013) Éd. OCDE, [En ligne] https://read.oecd-ilibrary.org/taxation/plan-d-action-concernant-l-erosion-de-la-base-d-imposition-et-le-transfert-de-benefices_9789264203242-fr#page1 (consulté le 29 mars 2018). 208 GOUVERNEMENT DU QUÉBEC, Se tourner vers l’avenir du Québec, op. cit., p. 183. 209 Proposal For A Council Directive laying down rules relating to the corporate taxation of a significant digital presence, Brussels, 21.3.2018 COM (2018) 147 final, 2018/0072 (CNS).
42
Ainsi, il faudrait que tous les services de commerce électronique perçoivent et
remettent les taxes au gouvernement du Canada, lorsqu’ils vendent des biens et des services
aux Canadiens, ou lorsqu’ils perçoivent des revenus de la publicité, ce qui pourrait
permettre de récupérer une partie des revenus pour être réinvestis dans la production de
contenus canadiens.210 D’ailleurs, le Québec a récemment fait un premier pas dans cette
direction, avec l’adoption récente du projet de loi n°150211 par lequel les plateformes
numériques doivent percevoir la taxe de vente québécoise, même s’ils sont établis à
l’extérieur de la province. Le Canada devrait ainsi prendre exemple sur le Québec et
l’Union européenne afin de revoir les fondements de la fiscalité et repenser la
réglementation pour la rendre applicable aux nouveaux acteurs étrangers et à ceux exerçant
leur commerce de façon électronique seulement.
2.2.2. Le paiement de l’impôt fondé sur la présence physique au Canada
Le paiement de l’impôt au Canada par les particuliers et les entreprises suit la même
logique que celle de la perception des taxes sur la vente, c’est-à-dire qu’il est fondé sur la
présence physique au Canada. Ainsi, un impôt sur le revenu doit être payé par le non-
résident si celui-ci a été employé au Canada, y a exploité une entreprise ou qu’il ait disposé
d’un bien imposable.212 Pour cela, il faut que l’entreprise ait un établissement stable au
Canada.213 Puisque le Canada a signé une convention internationale avec les États-Unis, le
sens à accorder à l’expression « établissement stable » vise une installation fixe où
l’entreprise exerce tout ou partie de son activité, incluant ainsi le siège social, une
succursale ou un bureau.214 On remarque alors que certaines entreprises proposant une PVD
sur Internet n’ont pas de siège social ni d’établissement au Canada, comme Netflix215 ou
210 ANDERSON, J., op. cit., juin 2016, p. 7. 211 Loi visant l’amélioration des performances de la Société de l’assurance automobile du Québec, favorisant un meilleur encadrement de l’économie numérique en matière de commerce électronique, de transport rémunéré de personnes et d’hébergement touristique et modifiant diverses dispositions législatives, Projet de loi n°150, sanctionné le 12 juin 2018, 1ère sess., 41e légis. Qc. 212 Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. 1985, c. 1 (5e suppl.), art. 2 (3). 213 Règlement de l’impôt sur le revenu, C.R.C., c. 945, art. 8201, al. 1 et 2. 214 Convention fiscale entre le Canada et les États-Unis d’Amérique en matière d’impôts sur le revenu et sur la fortune, signée à Washington le 26 septembre 1980, art. V. 215 D’après les informations de contact, Netflix n’est physiquement pas présent au Canada, [En ligne], https://help.netflix.com/en/node/2101, (consulté le 13 juillet 2018).
43
Amazon Prime Video.216 Elles ne sont donc pas soumises au paiement de l’impôt au
Canada en ce qui concerne les revenus issus des abonnements mensuels qu’elles
perçoivent. Cependant, comme mentionnées précédemment, si elles investissent dans une
production tournée au Canada, elles auront donc, durant ces activités de production, un
établissement stable au Canada et seront soumises à la perception de l’impôt sur les revenus
et dépenses issus de cette production, par exemple, sur la main-d’œuvre et les services
rendus au Canada, et bénéficieront du crédit d’impôt CISP.
Bien sûr, en raison de la convention fiscale internationale entre les États-Unis et le
Canada, il est plus avantageux pour les PVD d’exercer leurs activités sur Internet
seulement, sans s’établir au Canada ou encore de venir tourner des productions
audiovisuelles sur le territoire et de bénéficier de retour de crédits d’impôt plus importants
que l’actuel montant qu’ils ont à payer pour la perception de l’impôt sur le revenu. D’un
autre côté, elles ne devraient pas être soumises à une double imposition, soit dans leur pays
de résidence et dans les pays vers lesquels elles exportent leurs services.217 Cependant, il est
bien connu que les compagnies, non seulement de diffusion numérique, mais aussi les
grands groupes tels Google, pratiquent des stratégies d’évitement fiscal, notamment en
s’établissant dans des pays possédant une législation moins contraignante.218
Enfin, les entreprises de distribution de contenus audiovisuels qui ne perçoivent pas
les taxes sur la valeur ajoutée de leurs ventes canadiennes ni ne payent d’impôt sur les
revenus engendrés par leur plateforme auprès des consommateurs canadiens devraient être
tenues à l’une et/ou l’autre de ses mesures pour assurer une concurrence juste et équitable
envers nos câblodistributeurs canadiens et en faveur de l’incitation à la production de
contenus canadiens.
216 D’après les informations de contact, Amazon Prime Video n’a pas d’établissement au Canada, [En ligne] https://www.primevideo.com/help/ref=dvm_MLP_NA_privacy?nodeId=202064890, (consulté le 13 juillet 2018.) 217 ANDERSON, J., juin 2016, op. cit., 218 Ibid., p. 22.
44
2.3. Un système de quotas de diffusion inadapté au numérique
À titre de rappel, le principe fondamental du système de radiodiffusion canadien
consiste dans l’attribution obligatoire d’une licence à une entreprise qui souhaite distribuer
du contenu audiovisuel.219 Donc, c’est aussi par l’octroi de licences que le CRTC peut
imposer des obligations de diffusion des contenus audiovisuels canadiens. L’importance
d’offrir une majorité de contenus canadiens est prévue dans la politique canadienne de
radiodiffusion,220 notamment : « Tous les éléments du système doivent contribuer, de la
manière qui convient, à la création et la présentation d’une programmation canadienne. »221
Afin de mettre en place cet élément de la politique de radiodiffusion, le CRTC a imposé,
par règlement, l’obligation aux titulaires des licences de s’assurer que la majorité de leurs
services de programmation audiovisuels soient consacrés à la distribution de programmes
canadiens.222 Ainsi, les titulaires doivent consacrer durant la période de radiodiffusion en
soirée, soit de 18h à minuit,223 60 % de diffusion d’émissions canadiennes pour les
titulaires d’une licence publique, ou 50 % pour les titulaires d’une licence privée.224 Enfin,
quiconque ne se conforme pas aux règlements risque de se voir imposer une amende.225 On
peut cependant douter de l’efficacité de ces mesures dans l’environnement numérique pour
réaliser les objectifs de la politique canadienne de radiodiffusion.
Au début des années 60, face à la concurrence importante venant des États-Unis,226
une réglementation imposant des quotas de diffusion des émissions canadiennes s’avérait
nécessaire pour garantir un contenu canadien à la télévision : « En Amérique du Nord, les
enjeux économiques sont tels qu’on ne fera guère apparaître sur nos écrans une quantité
substantielle d'émissions canadiennes si l’on ne réserve pas de la place pour elles grâce à la
219 Loi sur la radiodiffusion, art.9 (1). 220 Ibid., art. 3(1) al. a), d), e), f), i), j), o), q), r) et s). 221 Ibid., art. 3(1), al. e). 222 Règlement sur la distribution de radiodiffusion, D.O.R.S./97-555, art. 6 (1). 223 Règlement de 1987 sur la télédiffusion, D.O.R.S./87-49, art. 4 (2). 224 Ibid., art. 4 (7), a), b). 225 Loi sur la radiodiffusion, art. 32 (2). 226 DEWING, M., 2014, op. cit.
45
réglementation. »227 Aujourd’hui, les possibilités offertes par Internet et le choix infini de
contenus en provenance de partout dans le monde entrainent une concurrence importante
pour les émissions canadiennes, dont la diffusion et la promotion ne sont pas garanties.228
Par exemple, le CRTC a estimé en 2012, faute d’accès aux données, que le catalogue de
Netflix Canada contenait environ 9 % de contenus audiovisuels canadiens.229
Récemment, pour faire face à la concurrence provenant des PVD, le CRTC a décidé
d’alléger la réglementation sur les obligations de diffusion du contenu canadien pour les
radiodiffuseurs. Dans Parlons télé : une conversation avec les Canadiens,230 le CRTC a
conclu que l’imposition des quotas pouvait avoir des conséquences négatives sur la
présentation du contenu :
« En moyenne, bien au-delà de 50 % de la programmation canadienne présentée sur l’ensemble des services […] sont rediffusées sur le même service ou recyclées en provenance d’autres services. […] Pour certains services, ce pourcentage est encore plus élevé et plus de 90 % de la programmation canadienne est rediffusée ou recyclée. »231 Considérant alors le vaste choix de contenu maintenant offert sur toutes les
plateformes, le CRTC considère que la programmation canadienne devra de plus en plus
s’affranchir des soutiens réglementaires tels les quotas relatifs au contenu :
« Aujourd’hui, avec l’arrivée des nouvelles plateformes à large bande, le nombre d’émissions étrangères disponibles est vraisemblablement illimité. Cette situation a rendu difficile le maintien du système de quotas en vue de créer une demande domestique d’émissions canadiennes. En outre, la demande domestique ne suffit plus à assurer le succès continu de l’industrie de la production qui fait face à des offres de contenu provenant du monde entier. Afin de s’adapter à cette nouvelle configuration de l’offre et de la demande, la programmation canadienne doit chercher des solutions et développer des auditoires internationaux. »232
227 La Commission royale d'enquête sur la radio et la télévision (Commission Fowler) est établie en 1955 sous la direction de Robert FOWLER, peu après l'avènement de la télévision privée au Canada, citée par DUNBAR, L. J.E. et C. LEBLANC, CRTC, 31 août 2007, op. cit. 228 Ibid. 229 MILLER, P. H. et R. RUDNISKI, CRTC, 30 mars 2012, op. cit. 230 Voir la 3e phase du processus : Avis de consultation de radiodiffusion CRTC 2014-190. 231 CRTC, Politique réglementaire de radiodiffusion CRTC 2015-86 (Parlons Télé), par. 191. 232 CRTC, Politique réglementaire de radiodiffusion CRTC 2015-86 (Parlons Télé), par. 42.
46
Le CRTC a, par conséquent, modifié les obligations de diffusion du contenu canadien
lors de chaque renouvellement individuel de ses licences. Les services facultatifs de
télévision payante et spécialisée ne doivent présenter que 35 % de contenu canadien
quotidiennement.233 Enfin, ces mesures ont eu pour objectif de flexibiliser le cadre
règlementaire jugé trop strict afin de rendre les acteurs traditionnels plus compétitifs face
aux nouveaux acteurs.234
Durant le même processus, par sa politique de 2015, le CRTC a eu l’idée de mettre
en place un système de mesure de cotes d’écoute installé sur les boîtiers de décodage.235
Cette mesure pour le moins inusitée visait à permettre aux radiodiffuseurs d’évaluer leur
programmation, afin de faire de meilleurs choix, par exemple pour monnayer plus
efficacement la publicité ou proposer une programmation qui corresponde davantage aux
intérêts des Canadiens.236 Il souhaitait de même que l’industrie de la radiodiffusion
bénéficie d’une juste concurrence avec les services de PVD étrangères.237 En effet, il
s’agissait d’évaluer les habitudes d’écoute des Canadiens pour permettre de créer et
promouvoir du contenu plus adapté à leurs habitudes.238 Cependant, malgré la mise en
place d’un groupe de travail afin d’évaluer la possibilité d’instaurer cette mesure, le projet
semble avoir été abandonné. Notamment, le Commissariat à la protection de la vie privée
du Canada (ci-après « CPVP ») a déclaré que « les renseignements recueillis grâce aux
boîtiers de décodage seraient vraisemblablement des renseignements personnels qui
pourraient être de nature sensible ».239 De cette façon, la mesure permettant aux
radiodiffuseurs d’évaluer leur programmation en fonction des habitudes d’écoute des
Canadiens poursuivait la même finalité que les algorithmes aujourd’hui utilisés par les
PVD, puisque les algorithmes ont besoin des données personnelles des utilisateurs afin de
créer et proposer des contenus adaptés aux goûts de la majorité. Ce type de mesures peut
porter atteinte à la diversité des expressions culturelles sur les contenus à être créés dans
l’avenir et entrainer une uniformisation des contenus audiovisuels disponibles auprès des
233 PRESCOTT, S., et Y., WEXLER, mars 2015, op. cit. 234 CLAUS, S., CRTC, op. cit. 235 CRTC, Politique réglementaire de radiodiffusion CRTC 2015-86 (Parlons Télé), 236 Ibid. 237 Ibid., par. 140. 238 Ibid. 239 CRTC, Politique réglementaire de radiodiffusion CRTC 2015-86 (Parlons Télé), par. 149.
47
consommateurs, comme il est discuté dans le point 2.4.
Alors que les quotas de diffusion peuvent s’avérer un bon moyen d’assurer une
présentation des contenus locaux et diversifiés sur les technologies traditionnelles, il n’est
pas certain qu’ils soient adaptés aux nouveaux services numériques. Puisque le Canada est
parti à la Convention sur la protection et la promotion de la diversité des expressions
culturelles,240 il doit s’assurer de mettre en place des mesures qui permettent d’assurer cette
diversité, autant sur les contenus en ligne, que sur les services traditionnels. Le Canada
pourrait à cet effet étendre les obligations de quotas de diffusion du contenu canadien aux
PVD en modifiant les conditions d’obtention des licences, comme il sera discuté dans la
troisième partie, ou encore tout simplement en retirant l’Ordonnance d’exemption relative
aux entreprises de radiodiffusion de nouveaux médias de 1999. Toutefois, il faut se
questionner sur la réelle application des quotas dans l’environnement numérique et si la
transposition du système des licences aux PVD est la solution adéquate.
En effet, en raison de l’Ordonnance d’exemption relative aux entreprises de
radiodiffusion de nouveaux médias, les PVD canadiennes ne sont pas soumises aux
obligations de diffusion des contenus canadiens. De même, les PVD étrangères ne sont pas
soumises aux lois canadiennes en général. Les PVD œuvrant uniquement en ligne peuvent
éviter toutes contraintes imposées en faveur de la protection de la diversité des expressions
culturelles, tels les quotas de diffusion des émissions canadiennes. En 2011, l’ancien
directeur du CRTC considérait que le mécanisme pour s’assurer de la fourniture de contenu
canadien serait en voie de devenir désuet.241 Il déclarait que si l’on désirait retrouver du
contenu canadien dans peu importe quels médias, il faudrait penser à augmenter le soutien
et la promotion des contenus.242 Donc, l’idée de suppléer les quotas par des obligations de
promotion des contenus a commencé à faire sa place au sein des discussions depuis un
certain temps déjà.
240 Convention sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles, UNESCO, 20 octobre 2005. 241VON FINCKENSTEIN, K., Discours au 5e Sommet sur la radiodiffusion (sur invitation), Cambridge, Ontario, 5 mai 2011. 242 Ibid.
48
L’Union européenne a, quant à elle, proposé de réviser la Directive services médias
audiovisuels243 afin d’assurer la promotion des contenus européens sur les plateformes
numériques et d’étendre les obligations de pourcentage de diffusion des contenus nationaux
aux pourcentages des contenus disponibles dans les catalogues des PVD.244 Le CRTC
pourrait donc mettre en place des obligations de promotion des contenus sous la forme de
quotas de contenus nationaux offerts dans les catalogues des PVDs, comme souhaite le
faire l’Union européenne, ou remplacer les quotas de diffusion sur les médias numériques
par des obligations liées à la promotion et la découvrabilité des contenus nationaux, sous
une autre forme. D’ailleurs, dans son rapport de 2018, le CRTC a fait une proposition
similaire qui vise à « mettre l’accent sur la production et la promotion de contenu
représentatif, informatif et/ou divertissant de haute qualité de Canadiens, qui peut être
découvert par les Canadiens et le reste du monde »,245 sans toutefois donner plus
d’informations sur la manière de mettre en place cette découvrabilité des contenus.
Dans la section suivante, l’impact de la découvrabilité dans l’environnement
numérique et pour les contenus audiovisuels est abordé, ainsi que les conséquences issues
des systèmes algorithmiques de recommandation des contenus sur la diversité des
expressions culturelles.
2.4. La promotion et la découvrabilité des contenus audiovisuels numériques
Le Canada fait face à un défi de taille en matière de politique audiovisuelle et de
règlementation. Considérant la difficulté à laquelle font déjà face les créateurs pour trouver
du financement pour leurs productions, le gouvernement doit, en plus de garantir la
disponibilité et l’accessibilité des contenus nationaux, captiver le public canadien et
s’assurer de la découvrabilité des productions nationales. Le cadre règlementaire du CRTC,
243 Directive 2010/13/UE « SMA », 10 mars 2010, du Parlement européen et du Conseil, Journal officiel de l’Union européenne L 95/1, art. 1 a) i), c) et d). 244 Proposition de directive du parlement européen et du conseil modifiant la Directive 2010/13/UE visant à la coordination de certaines dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres relatives à la fourniture de services de médias audiovisuels, compte tenu de l'évolution des réalités du marché, Bruxelles, 25.5.2016 COM (2016) 287 final, 2016/0151 (COD), article 13. 245 CRTC, Emboîter le pas au changement : L’avenir de la distribution de la programmation au Canada, op. cit.
49
comme présenté précédemment, possède ses limites dans un contexte de croissance
exponentielle des PVD246 et de l’infinité de contenus offerts par celles-ci, catégorisée par
un hyperchoix.
2.4.1. L’incidence de l’hyperchoix sur la découvrabilité
« Le Conseil reconnaît qu’une bonne visibilité et une grande disponibilité des
émissions canadiennes sont essentielles à leur succès. Les Canadiens doivent avoir
davantage d’occasions de découvrir les émissions canadiennes sur de multiples
plateformes. »247 Déjà en 2015, le CRTC arrivait à la conclusion qu’il fallait promouvoir et
favoriser la découverte de contenus canadiens sur toutes les plateformes.248 À cet égard, il
organisa le Sommet de la découvrabilité en juin 2016, une série de conférences sur le thème
de la découvrabilité et des nouvelles technologies.249 Mais qu’est-ce que la découvrabilité ?
La découvrabilité est un terme du domaine juridique et du domaine informatique et désigne
la capacité d’un élément à être découvert facilement.250 Par exemple, il peut se manifester
dans les probabilités de découvrir un contenu parmi une multitude de contenu. Il peut aussi
équivaloir en la capacité d’un contenu de se faire voir et d’être choisi parmi les autres
contenus. Encore, le concept représente :
« La nouvelle mesure de valeur qui, en plus de refléter le succès critique, reflète celui auprès de l’auditoire. Il s’agit du système de cotes d’écoute ultime, sans intervention d’un interprète […] La découvrabilité est une méthode qui oriente les spectateurs vers le contenu sans guide télé ni liste de chaînes de télévision. Elle permet en outre de mesurer le succès du contenu dans un monde composé non de 500, mais plutôt de millions de chaînes ».251
Ainsi, dans ce que l’auteur Emmanuel Durand appelle l’hyperchoix, c’est-à-dire la
multitude de contenus culturels disponibles et accessibles à tous en ligne, ou encore
246 FONDS DES MÉDIAS DU CANADA, 2016, op. cit., p. 19. 247 CRTC, Politique réglementaire de radiodiffusion CRTC 2015-86 (Parlons Télé). 248 Ibid. 249 CRTC et ONF, Le sommet de la découvrabilité : Le contenu à l’ère de l’abondance, Toronto, 10-11 mai 2016, [En ligne] http://decouvrabilite.ca/ (consulté le 21 juin 2018). 250 FONDS DES MÉDIAS DU CANADA, 2016, op. cit., p. 10. 251 Ibid.
50
l’immensité de l’offre culturelle dont bénéficient les consommateurs,252 laisse par
conséquent les entreprises en présence de ce qu’il décrit comme une « économie de
l’attention ». En effet, l’abondance de choix offert aux consommateurs n’entre pas en
corrélation avec le temps disponible pour consommer le contenu culturel.253 Donc, l’offre
augmente, mais pas le temps pour la regarder : « Pour visionner tout le contenu vidéo qui
circulera chaque mois sur les réseaux IP mondiaux, estime Cisco, une personne devrait
fixer son écran pendant plus de cinq millions d’années. »254 Alors, chacune des industries
culturelles met en place des techniques et des stratégies pour capter l’attention du public le
plus longtemps possible sur ses contenus.
2.4.2. L’influence des systèmes de recommandation des contenus
Parmi les stratégies utilisées pour capter l’attention du public sur le contenu, les
systèmes de recommandation de contenu sont les plus importants, fonctionnant grâce aux
algorithmes se servant des données (data) disponibles.255 Une donnée équivaut à un «
élément (fait, chiffre, etc.) représentant une information de base sur laquelle peuvent
s'appuyer des décisions, des raisonnements, des recherches pour être ensuite traitée par
l'humain avec ou sans l'aide de l'informatique. »256 Les données produisent à leur tour ce
qu’on appelle des métadonnées : « Dans son sens large, une métadonnée “est une donnée
servant à définir ou décrire une autre donnée, quel que soit son support (papier ou
électronique).” »257 Transposée au monde de l’audiovisuel, elle peut correspondre, par
exemple, au pays où est produit le film, son année de production et le nom du réalisateur.258
Ce sont ces données et ses métadonnées qui serviront à créer les algorithmes responsables
des systèmes de recommandation des contenus. En outre, ce sont les métadonnées qui
faciliteront la découvrabilité d’un contenu culturel sur les PVD.
252 DURAND E., L’attaque des clones. La diversité culturelle à l’ère de l’hyperchoix, Presses de Sciences Po (P.F.N.S.P.), « Nouveaux Débats », Paris, 2016, p. 31. 253 DURAND E., 2016, op. cit., p. 33. 254 FONDS DES MÉDIAS DU CANADA, 2016, op. cit., p. 13. 255 FONDS DES MÉDIAS DU CANADA, 2016, op. cit., p. 39. 256 « Donnée », Office québécois de la langue française, op. cit. 257 GOUVERNEMENT DU QUÉBEC, Institut de la statistique du Québec, Observatoire de la culture et des communications du Québec, État des lieux sur les métadonnées relatives aux contenus culturels, octobre 2017, p. 17. 258 FONDS DES MÉDIAS DU CANADA, 2016, op. cit.
51
Par le terme « algorithme » l’on vise une « séquence de règles opératoires exécutées
sur des données permettant l’obtention d’un résultat. »259 C’est en fait une formule
mathématique et informatique qui permet d’obtenir un résultat à une question demandée :
« Dans le cas de la découvrabilité, les algorithmes demandent aux métadonnées de contenus et d’usage de trouver ce qui correspond à des termes de recherche, aux usages les plus fréquents, aux préférences d’un utilisateur précis, et de combiner et présenter ces résultats selon un schéma particulier ».260
En raison de l’infinité de choix qui s’offrent aux consommateurs de contenus culturels, les
algorithmes ont pour fonction d’orienter l’utilisateur dans l’hyperchoix afin de l’aider à
trouver le contenu le plus adapté à ses goûts personnels.261
Dans le cas de Netflix par exemple, l’entreprise affirme que 75 % de son contenu
est visionné par ses utilisateurs en raison d’un procédé de recommandation
personnalisée.262 De plus, les informations utilisées afin d’offrir ces recommandations
personnalisées peuvent servir à faire des choix éditoriaux.263 Alors qu’est-ce que comporte
le système de recommandation de Netflix, ou plus précisément, comment fonctionne son
algorithme? Celui-ci n’est pas connu, car la formule algorithmique de Netflix, son code
source, fait partie des secrets de l’entreprise et de ses actifs. Cependant, au niveau
technique, il existe plusieurs algorithmes de recommandation avec des logiques différentes.
Par exemple, l’analyse par des experts critiques, l’analyse automatique des contenus grâce
aux métadonnées, l’analyse du comportement de l’utilisateur, par les mots-clefs utilisés ou
son historique de visionnage et le filtrage collaboratif.264 Netflix utilise deux de ces
méthodes, soit des catégories créées par des personnes physiques qu’il emploie et le filtrage
collaboratif, c’est-à-dire qu’il fonctionne en créant une base de données de préférences en
259 « Algorithme », Office québécois de la langue française, op. cit. 260 FONDS DES MÉDIAS DU CANADA, 2016, op. cit., p. 32. 261 DURAND E., 2016, op. cit. 262 SMITH, C. « How Spotify, Netflix and Amazon control your online habits », Techradar, 18 janvier 2014, [En ligne] https://www.techradar.com/news/internet/how-spotify-netflix-and-amazon-s-powerful-discovery-tools-control-our-habits-1216211 (consulté le 22 juillet 2018). 263 CNIL, « Les données, muses et frontières de la création », Cahiers IP, Innovation et Prospective, octobre 2015, n°03. 264 CNIL, « Les données, muses et frontières de la création », op. cit., p. 54.
52
fonction des contenus et des utilisateurs. 265 Ainsi, les suggestions d’un nouvel utilisateur
seront alors jumelées avec les goûts d’autres utilisateurs qui ont des goûts similaires au
nouvel utilisateur.266 Donc, les contenus que les utilisateurs similaires au nouvel utilisateur
aiment lui seront recommandés, puisqu’il y a une forte probabilité qu’ils lui plaisent
aussi.267
Netflix se vante d’ailleurs d’utiliser les données afin d’orienter la production de
contenus audiovisuels. Un exemple marquant de cette affirmation est la création de la série
House of Cards, succès de la plateforme. « Grâce à une analyse détaillée des habitudes
d’écoutes du public, les données auraient prédit qu’une série télé politique adaptée d’une
ancienne série britannique, avec David Fincher comme réalisateur et Kevin Spacey en tant
que personnage principal, serait le prochain succès commercial. » 268 Ce fut le cas. Par
contre, plusieurs doutent de l’efficacité de ces données. En effet, il est allégué qu’une
personne dotée d’une intelligence moyenne aurait aussi pu prédire le succès d’une telle
série.269 Par contre, ces types de manipulations des données pour orienter la production et la
consommation des contenus audiovisuels ont un impact majeur sur la diversité des
expressions culturelles diffusées.
2.5. Les conséquences des systèmes de recommandation sur la diversité des expressions culturelles
La conséquence majeure des systèmes de recommandation générés par des
algorithmes est qu’elle enferme ses utilisateurs dans une création uniformisée et
discutable.270 En effet, même si la découvrabilité permet de trouver des contenus rares,
comme des films d’auteur ou internationaux, mais elle n’est en aucun cas gage de la qualité
265 SARWAR, B., KARYPIS, G., KONSTAN, J. and J. RIEDL, « Item-Based Collaborative Filtering Recommendation Algorithms », GroupLens Research Group/Army HPC Research Center, Department of Computer Science and Engineering University of Minnesota, Minneapolis, USA, 2001. 266 Ibid. 267 Ibid. 268 CARR, D., « Giving Users What They Want », New York Times, 24 février 2013, [En ligne] https://www.nytimes.com/2013/02/25/business/media/for-house-of-cards-using-big-data-to-guarantee-its-popularity.html (consulté le 13 juillet 2018). 269 DURAND E., 2016, op. cit. 270Ibid., p. 75.
53
des contenus trouvés et de leur diversité, chacun des concepts étant intrinsèquement liés et
discutés aux points 2.5.1. et 2.5.2. La qualité d’une production est certes difficile à définir
et reste très subjective. Cependant, certains croient que : « Netflix, en s'appuyant plutôt sur
des idées nouvelles pour créer un contenu innovateur plutôt que des super productions de
qualité hollywoodienne, permettrait d’avantager les petites maisons de production et les
créateurs de contenu pour concurrencer les grands acteurs qui dominent traditionnellement
l'écosystème de production mondiale. »271 La qualité ferait alors référence à l’originalité et
la reconnaissance par le public et la critique du succès de la production ainsi qu’à la
diversité des choix offerts.
De plus, « si la mondialisation a permis d’ouvrir les frontières culturelles en
permettant d’accéder aux expressions culturelles d’autres pays, elle réduit, d’un autre côté,
la diversité entre les pays ».272 En effet, Netflix propose à peu près le même catalogue pour
tous les pays où le service est offert et son algorithme mêle les milliers d’abonnés sans tenir
compte de leur spécificité sociodémographique.273 En conséquence, les contenus auxquels
accèdent les abonnés et maintenant les contenus créés tendent vers une uniformisation de la
culture. Cette même uniformisation réduit la diversité des contenus, gage de la qualité de
ces derniers.
2.5.1. L’uniformisation des contenus
Les algorithmes de recommandation ont tendance à enfermer l’utilisateur dans une
sorte de bulle culturelle. L’auteur Eli Pariser explique d’ailleurs bien ce phénomène qu’il
appelle une bulle de filtre (filter bubble) :
« Cette bulle représente notre univers informatique tel qu’il nous est présenté par les moteurs de recherche. L’utilisateur n’a pas de contrôle sur ce qu’on lui suggère comme contenu, qui lui est à son tour dicté par les clics que suivent les algorithmes afin de lui proposer du contenu personnalisé selon ses goûts, avec pour conséquence de ne lui présenter que du contenu en faveur de ses opinions
271 FRAGATA Y. et F. GOSSELIN, Qui a dit que la disruption serait facile : Les défis économiques et stratégiques de Netflix, février 2018, [En ligne] https://www.xnquebec.co/pdf/NETFLIX_FG8_FR.pdf (consulté le 6 novembre 2018), p. 10. 272 Ibid. 273 FRAGATA Y. et F. GOSSELIN, février 2018, op. cit., p. 10.
54
et goûts majoritaires, l’empêchant d’accéder et, par le fait même, de développer des goûts ou des opinions différentes. »274
Par exemple, une équipe de chercheurs en informatique du Massachusetts Institute
of Technologie a souhaité faire une étude à savoir comment ils pourraient améliorer les
systèmes de recommandations fondés sur le filtrage collaboratif sur des plateformes telle
Netflix. Sans entrer dans les détails techniques, en créant leur modèle mathématique, ils ont
voulu regrouper des données sur les goûts des utilisateurs et les décrire sous forme de
probabilités. Ainsi, ils se sont demandé combien de groupes différents seraient nécessaires
pour caractériser une population. Pour répondre à cette question, ils ont examiné les
données de 10 millions d’utilisateurs d’une plateforme de diffusion de films et ils ont
identifié 200 utilisateurs ayant évalué les mêmes 500 films. Ils ont alors compris qu’une
formule mathématique incluant cinq groupes différents serait suffisante pour constituer la
plupart des variations de goût dans une population.275 Cet exemple démontre à quel point
les algorithmes peuvent tendre vers une uniformisation des contenus recommandés et créés,
et dans quelle mesure ils réduisent le comportement des utilisateurs en simple formule
mathématique, dépourvus de libre arbitre.
D’autre part, la création pourrait aussi se voir enfermer dans une bulle culturelle,
puisque les producteurs de contenus se fient de plus en plus aux résultats dictés par les
algorithmes pour déterminer le contenu à produire, « automatisant ainsi la logique de
production au détriment d’une prise de risque caractéristique du milieu de la création
artistique et culturelle. »276 Selon d’autres points de vue, les systèmes de recommandation
contribuent à la diversité des expressions culturelles puisqu’ils permettent qu’un contenu
rare et caché puisse faire son chemin vers un public cible.277 Mais est-ce vraiment le cas ?
274 PARISER, E., The Filter Bubble: What The Internet Is Hiding From You, Éditions Penguin Books Limited, Royaume-Uni, 12 mai 2011. 275 HARDESTY, L., « Recommendation theory : Model for evaluating product-recommendation algorithms suggests that trial and error get it right », MIT News Office, November 14, 2014, [En ligne] http://news.mit.edu/2014/model-recommendation-engines-1114 (consulté le 31 juillet 2018). 276 FONDS DES MÉDIAS DU CANADA, 2016, op. cit., p. 33. 277 HUNT, N., Quantifying the Value of Better recommendations, [En ligne] https://fr.slideshare.net/ndhunt/recsys-2014-the-value-of-better-recommendations, (consulté le 31 juillet 2018).
55
Dans une logique commerciale, les contenus produits par une plateforme ne risquent-ils pas
d’être promus bien avant les productions indépendantes ou nationales ?278
Ainsi, les recommandations des grandes PVD seraient « par nature biaisées pour
favoriser les contenus ayant nécessité le plus d’investissements – en supprimant le risque
lié aux aléas de la rencontre avec les goûts du public. »279 Ce contrôle sur la présentation de
la programmation soulève donc des questions sur la neutralité de ces plateformes.
Puisqu’elles ne sont soumises à aucune obligation de promotion et de découvrabilité du
contenu national, il n’y aucune garantie que l’on puisse retrouver, à l’avenir, du contenu
canadien présenté de manière suffisamment efficace que l’algorithme remplacerait alors le
rôle joué par les quotas de diffusion. Une simple visite sur la plateforme Netflix permet de
constater que le contenu majoritairement recommandé et mis à l’avant est celui des
productions originales de Netflix, ce qui ne permet pas de croire que le système de
recommandation participe réellement à la diversité des expressions culturelles et à la
neutralité des contenus qui peuvent être regardées par ses abonnés :
« La centralisation, le traitement et le tri effectués de manière unilatérale par les plateformes leur confèrent un rôle actif en matière de prescription de contenus qui pourrait nuire au pluralisme et à la diversité culturelle compte tenu de la puissance de ces acteurs, ou à tout le moins soulever la question de l’effectivité́ de la diversité de l’information. »280
De plus, les PVD étrangères ne tiennent pas non plus compte de la spécificité du
Canada et ne reflètent pas la culture canadienne ou encore celle de la communauté
francophone. C’est ici alors qu’on se rend compte de l’importance qu’à la politique
canadienne de radiodiffusion dans la sauvegarde de la culture canadienne.
278 FONDS DES MÉDIAS DU CANADA, 2016, op. cit. 279 CNIL, « Les données, muses et frontières de la création », op. cit., p. 51. 280 CSA, Plateformes et accès aux contenus audiovisuels : quels enjeux concurrentiels et de régulation?, septembre 2016, [En ligne] http://www.csa.fr/Etudes-et-publications/Les-etudes-thematiques-et-les-etudes-d-impact/Les-etudes-du-CSA/Plateformes-et-acces-aux-contenus-audiovisuels (consulté le 17 mai 2018), p. 83.
56
2.5.2. L’utilisation et le traitement des données personnelles
Non seulement les systèmes de recommandation laissent présumer leurs effets sur la
diversité des expressions culturelles, mais elles comportent en plus un risque pour la
protection des données personnelles des utilisateurs. En effet, pour lui permettre de réaliser
ses recommandations, la plateforme Netflix analyse un nombre important de données
concernant ses abonnés. Par exemple, elle sait ce qu’ils regardent, quand ils le regardent et
durant combien de temps. Elle connaît aussi leurs évaluations des différents contenus
(grâce aux 5 étoiles qui permettent de noter un contenu), les dernières recherches, leurs
données de géolocalisation et leurs données des réseaux sociaux avec lesquels ils se
connectent, comme Facebook ou Twitter.281 Un exemple concret de la sensibilité de ces
données fut constaté lors du Netflix Prize. L’entreprise avait initié un concours dont
l’équipe gagnante qui créerait le meilleur algorithme de filtrage collaboratif se mériterait 1
million de dollars américains.282 L’entreprise a ainsi mis à disposition les données de ses
utilisateurs. Cependant, en croisant ces données avec celles d’autres banques de données
publiques comme IMDb et Facebook, ils ont réussi à réidentifier les individus dans 68 %
des cas lorsque celui-ci avait évalué au moins deux films ou séries télés, alors que les
données avaient été au préalable rendues anonymes.283 L’utilisation de ces données
comporte donc un risque pour la protection des données personnelles des individus,
puisqu’elles permettent de réidentifier facilement un utilisateur.
Les compagnies devraient donc offrir une loyauté sur les données concernant les
personnes physiques. Ces données de consommation peuvent s’avérer sensibles
puisqu’elles permettent de révéler les goûts, les intérêts d’une personne et par le fait même,
inférer des faits véridiques ou non, comme ses convictions politiques ou son orientation
281 HARRIS, D., Netflix analyzes a lot of data about your viewing habits, juin 14, 2012, [En ligne] https://gigaom.com/2012/06/14/netflix-analyzes-a-lot-of-data-about-your-viewing-habits/, (consulté le 31 juillet 2018). 282 BENNETT, J. and S. LANNING, « The Netflix Prize », [En ligne] https://web.archive.org/web/20070927051207/http://www.netflixprize.com/assets/NetflixPrizeKDD_to_appear.pdf (consulté le 31 juillet 2018). 283 NARAYANAN, Arvind et Vitaly SHMATIKOV, « Robust De-anonymization of Large Datasets (How to Break Anonymity of the Netflix Prize Dataset) », ArXiv, 2005, [En ligne] http://arxiv.org/pdf/cs/ 0610105v2.pdf (consulté le 24 juillet 2018).
57
sexuelle.284 Ainsi, « il est essentiel que ces données ne fassent pas l’objet de détournements
en usages marketing ou publicitaires cachés, mais qu’elles servent bien à la
personnalisation du service dans l’intérêt de l’ensemble des parties et dans le respect de la
loi ».285 Certains s’inquiètent d’ailleurs que ces compagnies n’utilisent les données
comportementales pour personnaliser les prix de ses abonnements.286 La France a d’ailleurs
inséré une obligation de loyauté dans la Loi pour une République numérique287 s’appliquant
aux plateformes qui mettent à disposition, notamment, des contenus audiovisuels fournis
par des tiers :
« Tout opérateur de plateforme en ligne est tenu de délivrer au consommateur une information loyale, claire et transparente sur : 1° Les conditions générales d'utilisation du service d'intermédiation qu'il propose et sur les modalités de référencement, de classement et de déréférencement des contenus, des biens ou des services auxquels ce service permet d'accéder ; 2° L'existence d'une relation contractuelle, d'un lien capitalistique ou d'une rémunération à son profit, dès lors qu'ils influencent le classement ou le référencement des contenus, des biens ou des services proposés ou mis en ligne.»288
Le gouvernement du Canada devrait s’inspirer de cette obligation dans l’éventualité
où il créerait un nouveau règlement destiné spécifiquement aux plateformes numériques.
Enfin, la transparence des algorithmes de recommandation est nécessaire.289 Au nom de la
diversité culturelle, il faut garantir la neutralité des plateformes.290
D’ailleurs, à titre de rappel, dans une déclaration conjointe entre la France et le
Canada, le gouvernement du Canadas et le gouvernement de la République française ont
convenu que :
284 CNIL, « Les données, muses et frontières de la création », op. cit., p. 60. 285 Ibid. 286 Executive Office Of the President Of the United States, Big Data and differential pricing, février 2015 [En ligne] https://obamawhitehouse.archives.gov/sites/default/files/whitehouse_files/docs/Big_Data_Report_Nonembargo_v2.pdf (consulté le 31 juillet 2018). 287 Loi n° 2016-1321 du 7 octobre 2016 pour une République numérique, JORF n°0235 du 8 octobre 2016, texte n° 1. 288 Ibid., art. 49. 289 CNIL, « Les données, muses et frontières de la création », op. cit. 290 Ibid., p. 60.
58
« Les États, les plateformes numériques et la société civile sont chacun chargés de […] Promouvoir la transparence dans la mise en œuvre des traitements algorithmiques et leur impact sur la mise à disposition et la découvrabilité des contenus culturels numériques, notamment s’agissant de classement, de recommandations et d’accès aux contenus locaux. »291 (Souligné ajouté).
Le CRTC en fait aussi mention dans son rapport de 2018 :
« Les algorithmes et les systèmes d’intelligence artificielle guideront vraisemblablement les Canadiens pour ce qui est du choix de contenu et seront des outils clés pour la promotion et la découvrabilité des contenus. Les systèmes du genre influenceront non seulement la découverte du contenu, mais aussi ce qui est produit, comment et par qui ».292
Ainsi, de son côté, le gouvernement canadien doit s’assurer de la transparence et de
la protection de la vie privée des utilisateurs qui naviguent sur des plateformes utilisant des
systèmes algorithmiques et doit s’assurer que la découvrabilité ne s’effectue pas seulement
en faveur des intérêts commerciaux prédominants des PVD, mais aussi en faveur des
contenus nationaux qui gagneraient à être promus et découverts.
291 GOUVERNEMENT DU CANADA, et GOUVERNEMENT DE LA RÉPUBLIQUE FRANÇAISE, Déclaration conjointe sur la diversité culturelle et l’espace numérique, op. cit. 292 CRTC, Emboîter le pas au changement : L’avenir de la distribution de la programmation au Canada, op. cit.
59
Partie 3. Les pistes de solutions
Dans cette dernière partie sont proposées des pistes de solutions visant à réformer le
système canadien de radiodiffusion et plus particulièrement la Loi sur la radiodiffusion et la
qualification de radiodiffuseur (3.1). Entre autres, il faut s’interroger à savoir si le système
des licences est réellement adaptable et transposable au nouvel environnement numérique
(3.2). Ensuite, de nouveaux mécanismes de financement ainsi que l’obligation de contribuer
au financement de la création nationale devraient être étendus aux PVD (3.3). L’égalité
fiscale est aussi un enjeu à ne pas négliger pour assurer une concurrence juste et équitable
entre tous les acteurs (3.4). Enfin, il faut revoir le mécanisme des quotas de diffusion et se
questionner quant à sa place sur les PVD (3.5), notamment en considérant la possibilité
d’introduire de nouvelles obligations liées à la promotion et la découvrabilité des contenus
audiovisuels dans la législation (3.6).
3.1. La révision de la qualification de radiodiffuseur
Le législateur pourrait revoir la définition d’entreprise de radiodiffusion de la Loi
sur la radiodiffusion, afin d’englober tous les nouveaux acteurs et ainsi les soumettre au
système des licences de radiodiffusion ou retirer l’Ordonnance d’exemption relative aux
entreprises de radiodiffusion de nouveaux médias de 1999 pour rendre la Loi sur la
radiodiffusion applicable aux PVD numériques.
Une modification possible aux définitions de la Loi sur la radiodiffusion devrait
cependant respecter le principe de la neutralité technologique,293 qui était l’intention initiale
du législateur lors de la création de la Loi sur la radiodiffusion, notamment par l’utilisation
des mots « par tout autre moyen de communication » dans la définition d’activités de
radiodiffusion et d’entreprise de programmation.294 Puisqu’il est impossible de prédire les
innovations futures, la définition devrait être large afin d’englober tous les acteurs,
nouveaux et traditionnels ainsi que ceux à venir. Le rapport Lescure explique d’ailleurs 293 Position du groupe culturel : Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (Re), 2010 CAF 178 (CanLII). 294 Loi sur la radiodiffusion, art. 2.
60
qu’une distinction dans la législation entre services traditionnels et nouveaux services est
artificielle et ne servirait pas la politique européenne de l’audiovisuel, car elle risquerait de
limiter l’application des politiques règlementaires uniquement aux services traditionnels.295
Le risque est aussi présent au Canada, advenant la transposition de cette distinction dans la
législation. Ainsi, pourquoi alors ne pas définir les entreprises de radiodiffusion selon leur
rôle plutôt que selon le procédé technologique par lequel elles exercent leurs activités? Par
exemple, dans la Directive européenne « SMA », la définition de fournisseur de médias met
l’accent sur la responsabilité éditoriale, c’est-à-dire sur le contrôle et sur le choix de la
programmation et son organisation.296 En définissant les entreprises de radiodiffusion
selon leur rôle, cela éviterait bien des confusions et des incertitudes, notamment quant à la
distinction entre les FSI et les radiodiffuseurs, et concorderait avec l’opinion majoritaire
exprimée dans le Renvoi sur la Loi sur la radiodiffusion de 2012.297
De plus, il serait possible d’inclure, dans la définition d’entreprise de radiodiffusion,
les nouveaux médias. En effet, dans le Rapport relatif aux nouveaux médias, qui a amené le
CRTC à créer l’Ordonnance d’exemption des nouveaux médias, le CRTC avait répondu à la
question de savoir si la définition de radiodiffusion s’appliquait aux nouveaux médias.298
Elle en était venue à une réponse affirmative, ce qui a d’ailleurs motivé le CRTC à
soustraire les nouveaux médias numériques de diffusion au système canadien de
radiodiffusion. Dans son analyse, le CRTC a estimé qu’Internet n’est pas seulement un «
lieu public », exception qu’on retrouve dans la définition de « radiodiffusion».299 Elle
considère que la transmission est exécutée à l’aide d’Internet et non seulement vers celui-ci,
car les émissions sont reçues dans un endroit physique, comme une chambre ou au bureau
de travail et non uniquement sur les réseaux.300 Ensuite, comme expliquée précédemment,
puisque la Loi sur la radiodiffusion est neutre sur le plan technologique, la définition de «
295 Rapport LESCURE, Mai 2013, op. cit., p. 170. 296 Directive 2010/13/UE « SMA », 10 mars 2010, du Parlement européen et du Conseil, Journal officiel de l’Union européenne L 95/1. 297 Reference re Broadcasting Act, 2012 SCC 4, [2012] 1 S.C.R. 142. 298 CRTC, Avis public radiodiffusion CRTC 1999-84 et Avis public télécom CRTC 99-14, « Nouveaux médias». 299 Loi sur la radiodiffusion, art. 2. 300 CRTC, Avis public radiodiffusion CRTC 1999-84 et Avis public télécom CRTC 99-14, « Nouveaux médias», par. 35-37.
61
radiodiffusion » inclut la transmission d'émissions par Internet. Le simple fait qu'elles
soient transmises par Internet uniquement ne les exclut donc pas de la définition de «
radiodiffusion ».301 Enfin, le CRTC estime que l’interprétation à accorder à l’expression «
destinées à être reçues par le public à l’aide d’un récepteur »302 inclut les appareils tels les
ordinateurs, les télévisions et les radios, s’ils peuvent servir à la réception de la
radiodiffusion, afin de ne pas compromettre la neutralité technologique de la Loi sur la
radiodiffusion.303
Bref, on constate que l’abrogation de l’exemption des nouveaux médias permettrait
au CRTC d’appliquer le système des licences aux nouveaux acteurs. De plus, une révision
de la définition de radiodiffuseur permettrait de soumettre les nouveaux acteurs au système
des licences actuel plutôt que de devoir les changer par des accords contraignants qui
auront le même effet.304
3.2. La révision du système de radiodiffusion et des licences
La première partie de ce mémoire mène à la conclusion que la politique canadienne
de radiodiffusion est encore pertinente et d’autant plus importante en raison de l’expansion
des technologies de diffusion numériques. De plus, il est apparu que l’exemption applicable
aux nouveaux médias ne concordait plus avec l’atteinte des objectifs de la politique
canadienne de radiodiffusion et que d’ailleurs, il conviendrait de revoir le système des
licences du CRTC.
À titre de rappel, le CRTC exerce ses pouvoirs réglementaires, notamment par
l’octroi de licences de radiodiffusion. C’est grâce à celles-ci qu’il peut obliger les
301 CRTC, Avis public radiodiffusion CRTC 1999-84 et Avis public télécom CRTC 99-14, « Nouveaux médias », par. 38-40. 302 Loi sur la radiodiffusion, art. 2. 303 CRTC, Avis public radiodiffusion CRTC 1999-84 et Avis public télécom CRTC 99-14, « Nouveaux médias », par. 40. 304 Opinion partagée par Me Suzanne Lamarre lors de la présentation du rapport du CRTC de 2018 durant l’évènement Quel avenir pour la diversité des expressions culturelles en ligne? de la Coalition pour la diversité des expressions culturelles, Montréal, 5 juin 2018.
62
entreprises de radiodiffusion à financer et diffuser le contenu canadien.305 De plus, l’article
10 de la Loi sur la radiodiffusion confère au CRTC le pouvoir d’établir des règlements.
L’alinéa 10 (1) k) lui permet aussi de « prendre toute autre mesure qu’il estime nécessaire à
l’exécution de sa mission ». Le CRTC possède donc un pouvoir résiduel d’adopter des
règlements concernant d’autres aspects qui ne sont pas indiqués dans les alinéas de l’article
10.306 Cependant, l’organisme doit « exercer son pouvoir discrétionnaire en respectant le
cadre législatif et les principes généralement applicables en matière de réglementation, dont
le législateur est présumé avoir tenu compte en adoptant ces lois ».307 Il peut aussi exempter
les entreprises de radiodiffusion de toute obligation découlant de la loi, par ordonnance.
En tenant compte du cadre législatif et de la politique de radiodiffusion, le CRTC
devrait définitivement retirer l’exemption applicable aux nouveaux médias. Il est aberrant
qu’aucune mention de l’exemption et de son possible retrait n’ait été faite dans son rapport
de 2018.308 C’est une solution viable et facile à implémenter à court terme, en attendant la
révision des grandes lois sur le sujet, prévue seulement pour 2020. De plus, elle pourrait
permettre de soumettre les PVD canadiennes à la contribution au financement du contenu
canadien et aux exigences de diffusion de celui-ci. L’exemption favorise certes la
croissance et le développement des industries de médias numériques,309 mais elle le fait
maintenant au détriment de la diversité des expressions culturelles et des acteurs
traditionnels qui ont toujours contribué au financement de la création. Enfin, il est permis
de croire que l’ordonnance d’exemption ne sert plus réellement les objectifs de la politique
de radiodiffusion.
À cet égard, le CRTC doit demeurer adaptable aux progrès techniques,310 bien
entendu, mais qu’arrive-t-il lorsque la technologie surpasse les attentes et les prévisions
305 GOUVERNEMENT DU QUÉBEC, cahier 2, février 2014, op. cit. 306 Renvoi relatif à la Politique réglementaire de radiodiffusion CRTC 2010-167 et l’ordonnance de radiodiffusion CRTC 2010-168, [2012] 3 RCS 489. 307 ATCO Gas and Pipelines Ltd. c. Alberta (Energy and Utilities Board), 2006 CSC 4, [2006] 1 R.C.S. 140, par. 50, le juge Bastarache. 308 CRTC, Emboîter le pas au changement : L’avenir de la distribution de la programmation au Canada, op. cit. 309 CRTC, Politique réglementaire de radiodiffusion CRTC 2015-86 (Parlons Télé). 310 Loi sur la radiodiffusion, art. 3 (1) d) (iv).
63
d’une exemption datant de 1999, durant les premiers balbutiements de l’Internet ? Son
devoir de s’adapter aux progrès techniques doit aussi être considéré par rapport aux
conséquences et à l’évolution d’une même technologie et ne signifie pas que l’adaptabilité
équivaille à tout prix à une dispense de réglementation. En effet, il ne s’agit que du
prolongement de l’histoire. Lors de la création du système canadien de radiodiffusion, il
n’existait que la radio, puis est apparue la télévision vers la fin des années 60.311 À chaque
nouveau mode de diffusion des contenus, le CRTC a décidé de réglementer la technologie
pour affronter la concurrence provenant du marché américain. Maintenant, ce nouveau
mode de communication et de diffusion est l’Internet. Il faut donc lever l’exemption
applicable aux nouveaux médias pour réglementer les PVD numériques.
Cependant, il ne faut pas non plus limiter l’entrée sur le marché des petits joueurs,
soit des nouvelles PVD qui ont peu d’abonnés, car ils ne pourront concurrencer les grandes
plateformes déjà bien ancrées dans le paysage canadien. Plusieurs pistes de solutions sont
alors envisageables. Par l’exemple, le CRTC pourrait modifier l’exemption seulement pour
les diffuseurs numériques comptant un nombre restreint d’abonnés. De cette façon, elle
pourrait exempter les médias numériques, par exemple, possédant moins de 20 000
abonnés312 et soumettre à la réglementation canadienne uniquement ceux ayant un nombre
significatif d’abonnés.313 C’est une solution probable et équitable pour tous les acteurs. Le
CRTC a d’ailleurs déjà mis en place par le passé une exemption de ce genre, par exemple
l’ordonnance d’exemption relative aux entreprises de distribution de radiodiffusion
terrestre desservant moins de 20 000 abonnés.314 Enfin, comme mentionné précédemment,
la mise en place d’une ordonnance d’exemption est beaucoup moins coûteuse et son
fardeau administratif est moins lourd que la création de nouvelles licences.315 Ainsi, il
311 DEWING, M., 2014, op. cit. 312 Il s’agit d’un chiffre suggéré. Le CRTC devrait conduire une étude à ce sujet avant de déterminer le nombre pertinent d’abonnés. 313 Loi sur la radiodiffusion, art. 9 (4). 314 CRTC, Politique réglementaire de radiodiffusion CRTC 2015-543 et ordonnance de radiodiffusion CRTC 2015-544. 315 DUNBAR, L. J.E. et C. LEBLANC, CRTC, 31 août 2007, op. cit., p. 19.
64
pourrait aussi modifier l’ordonnance d’exemption en imposant des conditions précises à
respecter par les PVD canadiennes.316
Une autre piste de solution probable pourrait être de revoir le système des licences de
radiodiffusion. En effet, les règlements du CRTC sont applicables uniquement aux titulaires
de licences.317 De plus, comme soulevé précédemment, seules les entreprises canadiennes
ou sous contrôle canadien peuvent obtenir des licences de radiodiffusion du CRTC, en
raison des instructions données par le gouverneur en conseil sur l’inadmissibilité des non
canadiens.318 C’est donc dire que malgré la modification de l’exemption relative aux
nouveaux médias, les PVD étrangères ne pourraient être soumises à la réglementation
applicable aux radiodiffuseurs canadiens, puisque le CRTC ne peut leur attribuer de
licences. Dans ce cas, elles se retrouveraient donc à opérer illégalement, sur le territoire
canadien, une entreprise de radiodiffusion, ce qui pourrait conduire le tribunal à bloquer
leurs services sur le territoire.319
Une solution pourrait être de revoir l’interprétation du principe du contrôle et de la
propriété canadienne de l’article 3 (1) a) de la Loi sur la radiodiffusion. En effet, le
gouverneur en conseil a le pouvoir de donner des instructions au CRTC concernant les
demandeurs non admissibles à l’attribution des licences,320 un pouvoir qu’il a rarement
utilisé. Il pourrait alors moderniser l’interprétation des principes, en donnant de nouvelles
instructions afin d’interpréter différemment le sens des mots « contrôle et propriété
canadienne ».321 Ainsi, il pourrait contrôler les plateformes non canadiennes, disponibles au
Canada, en les soumettant à des conditions plus strictes de diffusion. Par exemple, en les
obligeant à contribuer au financement des œuvres audiovisuelles canadiennes, en échange
d’accès aux consommateurs à leurs services sur le territoire. De cette façon, cela permettrait
316 Il faut cependant garder en tête que ce type de mesures risquent de porter atteinte au principe de non-discrimination en matière de commerce international et être contraire aux engagements internationaux du Canada. Voir : Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce (GATT), OMC, 30 octobre 1947. 317 Loi sur la radiodiffusion, art. 10 (2). 318 Instructions au CRTC (inadmissibilité de non-Canadiens), D.O.R.S./97-192. 319 D’après une interprétation stricte de la loi : opinion partagée par M. Pierre Trudel, Université de Montréal et la Loi sur la radiodiffusion, art. 32. 320 Loi sur la radiodiffusion, art. 26 (1) c). 321 Opinion avancée par M. Pierre Trudel, Université de Montréal.
65
d’effectuer une forme de contrôle et d’atteindre les objectifs de la politique. Par contre,
cette solution semble difficilement pouvoir être mise en place en raison de l’absence de
force contraignante sur les acteurs étrangers et comme mentionné précédemment, le
système des licences ne semble pas être l’outil idéal pour réglementer les PVD.
Alors, puisque les conditions d’obtention des licences sont très strictes et visent
notamment à atteindre les objectifs de la politique canadienne, il faudrait revoir cet outil de
réglementation. De plus, c’est un processus exigeant administrativement qui a un coût
important pour le système de radiodiffusion canadien.322 Au contraire des règlements qui
peuvent s’appliquer à l’ensemble des entreprises et dont les conditions à respecter sont plus
transparentes que celles des licences.323 Ainsi, il faudrait soit changer les conditions
d’obtention des licences de façon à inclure les acteurs étrangers ou remplacer les licences
par un autre outil contraignant. À ce propos, dans son récent rapport, le CRTC proposait de
remplacer l’octroi des licences par des accords contraignants visant les nouveaux acteurs :
« [Les modifications législatives futures] devront clairement et explicitement assujettir à la législation et intégrer dans le système de la radiodiffusion tout service audio ou vidéo offert en sol canadien ou percevant des revenus de la part de Canadiens. Cela devrait s’appliquer aux services traditionnels ou nouveaux, qu’ils soient canadiens ou non. »324
Enfin, il semble que le CRTC ait du moins pris au sérieux cette question et s’est
finalement prononcé sur les PVD étrangères qui bouleversent le paysage de l’audiovisuel
canadien et qu’il ait admis que le système des licences est désormais désuet dans ce nouvel
environnement. Donc, ce qu’il entend par « accords contraignants » serait des accords
généraux « faits sur mesure et établis avec quelques douzaines d’entreprises précises ou de
groupes d’entreprises affiliés qui offrent individuellement ou collectivement une variété de
services aux Canadiens. »325 Sans jamais être plus précis, le rapport mentionne que les
accords devraient prévoir des pouvoirs suffisants pour avoir force contraignante et pour
322 DUNBAR, L. J.E. et C. LEBLANC, CRTC, 31 août 2007, op. cit., p. 19. 323 Ibid. 324 CRTC, Emboîter le pas au changement : L’avenir de la distribution de la programmation au Canada, op. cit. 325 Ibid.
66
assurer le respect de ceux-ci et de ses conditions. On parle de la possibilité d’imposer des
sanctions administratives.326 En effet, le type d’accords auxquels l’on fait référence
ressemblerait plutôt au système des licences. Ces accords auront le même impact que les
licences déjà existantes.327 Ainsi, elles n’apporteraient rien de nouveau, en ce sens que les
mécanismes que sont les licences ou les ordonnances d’exemption existent déjà et ont une
force contraignante plus crédible que des accords vagues et généraux octroyés sur mesure
lors de négociation avec les entreprises privées étrangères dont la force de négociation
pourrait dépasser largement celle du CRTC.
Toutefois, quelle pourrait être la solution au niveau règlementaire ? Certes, un
nouveau règlement pourrait être applicable à l’ensemble des entreprises de radiodiffusion,
d’autant plus qu’il serait plus transparent que les conditions à respecter par les détenteurs
de licences.328 D’un autre côté, les conditions spécifiques aux licences permettent de mieux
les adapter aux différentes entreprises :
« Si l’on peut atteindre les objectifs de réglementation de manière plus efficace par des obligations bien ciblées, les conditions de licence sont préférables aux règlements d’application générale ; toutefois, il faut alors s’assurer que le règlement soit équitable pour toutes les entreprises concurrentes et que la relative compétitivité de certaines entreprises ne soit pas artificiellement encouragée ou réduite par des mesures de réglementation ciblées. »329 Par contre, le système des licences n’est pas la meilleure solution à transposer au
monde numérique. Donc, puisque d’un côté, les outils de réglementation actuels ne
peuvent suffire pour assurer la participation des plateformes étrangères et que le régime
législatif actuel est trop rigide pour inclure ces nouveaux joueurs,330 malgré le principe de
neutralité technologique, la solution pourrait être de créer un règlement spécifique
applicable aux nouveaux services numériques diffusants que sur Internet. En effet, il est
326 CRTC, Emboîter le pas au changement : L’avenir de la distribution de la programmation au Canada, op. cit. 327 Selon l’avocate Suzanne Lamarre qui est intervenue lors de la présentation du rapport le 5 juin dernier, à Montréal, Voir le compte-rendu final, CDEC, Quelles perspectives pour résoudre la crise qui secoue les créateurs, artistes et producteurs de contenus culturels au Canada?, 6 juillet 2018, [En ligne] https://cdec-cdce.org/wp-content/uploads/2018/07/compte-rendu-final-1.pdf (consulté le 16 juillet 2018). 328 Ibid. 329 DUNBAR, L. J.E. et C. LEBLANC, CRTC, 31 août 2007, op. cit., p. 19. 330 CRTC, Emboîter le pas au changement : L’avenir de la distribution de la programmation au Canada, op. cit.
67
difficile de prétendre qu’un règlement unique destiné à tous les acteurs puisse être adopté,
car les acteurs évoluent dans des univers technologiques complètement différents qu’il est
peu réalisable d’intégrer toutes les subtilités dans un cadre législatif unique. Ainsi, la
création de nouvelles règles permettrait de ne pas nuire à l’innovation et favoriserait un
environnement concurrentiel et équitable pour tous les acteurs.331 Alors, dans ce nouveau
règlement, pourraient être introduites les obligations de participation au financement et au
soutien de la culture canadienne pour toutes PVD étrangères qui distribuent et diffusent du
contenu audiovisuel aux consommateurs canadiens, depuis une plateforme accessible sur le
territoire canadien et destinée aux Canadiens, par laquelle la plateforme prélève des frais
d’abonnement ou en tirent des revenus publicitaires.
3.3. La révision des mécanismes de financement
La mesure la plus importante de financement du contenu canadien, comme
mentionnée précédemment, fut rendue possible grâce à la création de divers fonds de
soutien à la création. De plus, les entreprises de radiodiffusion sont soumises à une
obligation de contribution à l’un ou l’autre des fonds canadiens, lors de l’octroi des
licences. Puisqu’une part significative des revenus, notamment sur la publicité, est
détournée des fonds de soutien vers les plateformes numériques, le gouvernement a dû
compenser les pertes de son propre porte-monnaie.332
C’est pourquoi l’obligation de verser une part des revenus des entreprises de
diffusion vers les fonds de création devrait être étendue aux PVD canadienne et étrangère et
s’il s’avère impossible, il faudrait envisager la création d’un nouveau fonds ou d’un
nouveau mécanisme de financement incluant les nouveaux acteurs qui pourrait, notamment,
provenir des revenus de la publicité. Donc, si l’on souhaitait soumettre les PVD à
l’obligation de contribution au financement via les licences, il faudrait d’abord en revoir le
système, comme expliqué précédemment. La même logique s’applique en ce qui concerne
les PVD canadiennes et l’ordonnance d’exemption dont elles bénéficient. 331 CRTC, Emboîter le pas au changement : L’avenir de la distribution de la programmation au Canada, op. cit. 332 GOUVERNEMENT DU CANADA, Le cadre stratégique du Canada Créatif, op. cit.
68
Cette proposition n’est pas nouvelle puisque l’Union européenne révise
actuellement la Directive services médias audiovisuels.333 La proposition de modification
de la directive vise à ce que les États membres soient en droit d’exiger une participation
financière de la part des fournisseurs de services de médias à la demande, incluant ceux
situés dans un autre État membre :
« Les États membres peuvent exiger que les fournisseurs de services de médias audiovisuels à la demande visant des publics sur leur territoire, mais établis dans un autre État membre contribuent financièrement de la sorte. Dans ce cas, la contribution financière est fondée uniquement sur les recettes perçues dans les États membres ciblés. Si l’État membre dans lequel le fournisseur est établi impose une contribution financière, il tient compte de toutes les contributions financières imposées par des États membres ciblés. » 334 (Soulignement ajouté).
Cependant, la proposition de directive prévoit le renforcement du principe du pays
d’origine.335 C’est-à-dire que les règles applicables sont celles de l’État où l’entreprise a
son siège social. Par conséquent, cela entraîne un effet de forum shopping, qui permet aux
entreprises de s’installer dans un État membre ayant des règles moins contraignantes que
celles des autres États vers lesquels elle dirige ses activités.336 On retrouve le même
problème au Canada, puisque les entreprises, comme Netflix, ont choisi de ne pas établir
de siège social sur le territoire pour échapper aux règles relevant, notamment, de la
fiscalité. L’article 13 de la proposition de directive, qui traite de la participation au
financement, est donc un aménagement au principe du pays d’origine de la directive. De
plus, la proposition de directive précise un nombre d’indices afin de déterminer, au cas par
cas, si un service de médias numériques vise des publics sur le territoire d’un des États
membres. L’État peut en effet se référer à des indicateurs tels la publicité ou la promotion
333 Le texte de compromis final a été confirmé le 13 juin 2018. Le texte final a été transmis au Parlement européen pour approbation et adoption en première lecture. La directive sera finalement adoptée par le Conseil au cours de l'automne 2018, [En ligne] http://www.consilium.europa.eu/fr/policies/audiovisual-media/ (consulté le 17 juillet 2018). 334 Proposition de directive du parlement européen et du conseil modifiant la Directive 2010/13/UE visant à la coordination de certaines dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres relatives à la fourniture de services de médias audiovisuels, compte tenu de l'évolution des réalités du marché, Bruxelles, 25.5.2016 COM (2016) 287 final, 2016/0151 (COD), article 13. 335 Ibid. 336 OLIVA, A.-M., « La transposition de la directive « services de médias audiovisuels » : atouts et faiblesses d'une directive d'harmonisation minimale », Rev. UE, 2017, p. 473.
69
des services destinés spécifiquement aux consommateurs de son territoire, ou encore, de la
langue utilisée sur le service.337
Ainsi, le Canada pourrait s’inspirer de cette directive dans le cadre d’une mise en
œuvre d’un nouveau mécanisme de financement. Notamment, afin d’établir des obligations
liées au financement des œuvres, le Canada pourrait s’inspirer des critères qui permettent
de déterminer vers quels territoires la PVD dirige ses activités. De plus, certains ont
soulevé l’idée que le pays d’origine soit remplacé par le pays de destination, ce qui
permettrait d’harmoniser les règles nationales des États membres et donc, la législation
applicable serait plutôt celle du pays vers lequel est destiné le service de vidéo à la
demande.338 De cette manière, advenant une modification législative ou la création d’un
nouveau règlement sur la radiodiffusion canadienne, le gouvernement canadien pourrait
réussir à encadrer les plateformes étrangères et à les soumettre à une obligation de
contribution au financement, selon l’établissement du principe du pays de destination.
L’autre outil contraignant envisageable serait donc de créer un nouveau fonds de
soutien à la création destiné uniquement aux PVD puisque les radiodiffuseurs traditionnels
contribuent déjà aux fonds créés pour soutenir la production de contenus canadiens. Les
plateformes prélevant des frais d’abonnement aux utilisateurs ou bénéficiant de revenus de
la publicité sur leurs contenus et diffusant sur le territoire canadien verseraient donc une
part de leurs revenus vers ce fonds qui servirait, dans une proportion à déterminer, à
financer la culture canadienne et, notamment, la diffusion numérique de ce contenu. Pour
les diffuseurs ayant déjà investi dans la création de contenus canadiens, une exemption de
contribution pourrait leur être accordée en fonction du montant investi et au regard de
critères précis qui permettraient de déterminer si l’investissement a réellement été fait en
337 Proposition de directive du parlement européen et du conseil modifiant la Directive 2010/13/UE visant à la coordination de certaines dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres relatives à la fourniture de services de médias audiovisuels, compte tenu de l'évolution des réalités du marché, Bruxelles, 25.5.2016 COM (2016) 287 final, 2016/0151 (COD), considérant 23. 338 Conférence organisée par la Coalition européenne pour la diversité culturelle, le 14 novembre 2016, au Parlement européen,338 intitulée Digital World : An Opportunity For Creation ? et VLASSIS, Antonios, « The review of the Audiovisual Media Services Directive. Many political voices for one digital Europe ? », Politique européenne, février 2017, n° 56, p. 117.
70
faveur de contenu canadien.339 Il faut d’ailleurs souligner l’initiative de Netflix, en
collaboration avec l’Institut National de l’Image et du Son (l’INIS), qui a investi dans la
mise en place d’un programme de formation, axé sur la culture francophone et autochtone,
dont le montant de l’entente n’est pas connu.340 Par conséquent, Netflix pourrait, par
exemple, avoir à fournir une contribution moindre en raison de son investissement, ce qui
l’encouragerait peut-être d’ailleurs à révéler le montant et le contenu de celui-ci.
Certainement, les plateformes comme Netflix sont présentes dans de nombreux
pays à travers le monde et elles ne pourraient à elles seules supporter toutes les
contributions financières de soutien à la création de tous les territoires où elles sont
présentes. On ne pourrait non plus leur imposer un deuxième fardeau, notamment fiscal, au
risque de paralyser l’innovation et d’entraver la juste concurrence. C’est pour cette raison
qu’il faudrait tenir compte, dans la création d’un fonds de soutien à la création, des
investissements déjà effectués par les plateformes dans la création de contenus nationaux.
D’un autre côté, sans les abonnements des utilisateurs de tous ces territoires et sans
certains des contenus produits par les autres pays ou par la publicité, elles ne pourraient
exister. De plus, elles ne peuvent continuer d’évoluer dans un environnement exempt de
réglementation, au détriment d’une concurrence équitable avec les acteurs traditionnels
soumis à une forte réglementation. Il faut donc trouver un moyen équitable de financer la
production nationale et faire participer tous les acteurs du monde de la diffusion
audiovisuelle numérique.
339 Par exemple, les critères de l’article 3(1) f) de la Loi sur la radiodiffusion pourrait servir de source d’inspiration: « toutes les entreprises de radiodiffusion sont tenues de faire appel au maximum, et dans tous les cas au moins de manière prédominante, aux ressources — créatrices et autres — canadiennes pour la création et la présentation de leur programmation à moins qu’une telle pratique ne s’avère difficilement réalisable en raison de la nature du service […] ». 340 HAMEL, J., « L’INIS met en place un nouveau programme de formation grâce au soutien de Netflix », 20 avril 2018, [En ligne] https://www.inis.qc.ca/communiques/nouveau-programme-de-formation-grace-au-soutien-de-netflix (consulté le 17 juillet 2018).
71
3.4. La révision des fondements de la fiscalité pour atteindre l’équité fiscale
En matière de fiscalité, le problème majeur, autant du côté de la perception des taxes
sur les ventes de biens et services que du paiement de l’impôt sur le revenu, réside dans le
concept d’établissement physique au Canada. De plus, le Canada, contrairement à l’Union
européenne, par exemple, ne possède pas de législation spécifique pour le commerce
électronique. Cependant, il ne semble pas impossible pour le gouvernement canadien de
soumettre les services de commerce électronique fournis sur son territoire, à s’inscrire à la
taxe sur la valeur ajoutée.
Par exemple, le Québec a déjà fait un premier pas dans ce sens, grâce au Projet de
loi n°150, par lequel fournisseurs de biens intangibles et de services en ligne seront tenus
d’appliquer la TVQ sur les ventes effectuées au Québec, dès 2019, sur la base d’une
présence physique ou significative au Québec.341 Alors, il ne resterait plus qu’au Canada à
suivre cet exemple et l’exemple de beaucoup d’autres pays, dont la majorité des pays
membres de l’OCDE, excepté le Mexique et la Turquie, qui ont instauré des règles relatives
au commerce électronique.342 Selon une étude, si le Canada venait à percevoir les taxes sur
une plateforme numérique comme Netflix, ce serait 52 millions de dollars de retomber dans
les coffres du gouvernement canadien.343 La perception de cette taxe pourrait ainsi être
réinvestie dans la création et la production de contenu canadien, ce qui permettrait du
même coup de combler les pertes en matière de financement et de soutien à la création.
Cependant, il est à noter que le versement de cette taxe dans un fonds de soutien à la
création nationale pourrait aussi aller contre les engagements du Canada en matière de
commerce international et porter atteinte au principe de non-discrimination et de traitement
341 Loi visant l’amélioration des performances de la Société de l’assurance automobile du Québec, favorisant un meilleur encadrement de l’économie numérique en matière de commerce électronique, de transport rémunéré de personnes et d’hébergement touristique et modifiant diverses dispositions législatives, Projet de loi n°150, sanctionné le 12 juin 2018, 1ère sess., 41e légis. Qc. 342 [En ligne] https://coalitionculturemedias.ca/files/2018/05/171201-Coalition_document-taxation-FINAL.pdf, (consulté le 18 juillet 2018). 343 WYONCH R., « Bits, Bytes, and Taxes : VAT and the Digital Economy in Canada », Institut C.D. HOWE, Commentary no. 487, 2017.
72
national.344 Ce sujet n’étant pas abordé dans le cadre de ce mémoire, il nécessite que des
recherches plus approfondies soient menées.
Pour percevoir les taxes sur les plateformes numériques, le Canada devrait donc
revoir sa définition « d’exploitation d’une entreprise au Canada »345 et « d’établissement
stable »346 en tenant compte davantage des éléments pertinents comme la publicité ou la
promotion des services orientés vers les consommateurs de son territoire, la devise utilisée,
ou le lieu de la vente et du paiement.347 Ainsi, ces nouvelles définitions pourraient renvoyer
aux concepts de « présence numérique significative », telle que proposée dans la nouvelle
directive de l’Union européenne sur la fiscalité.348 Cette présence numérique significative
est fondée sur les revenus tirés de la fourniture de services numériques, du nombre
d’utilisateurs de ce service ou du nombre de transactions (ex : abonnements) effectuées
pour ce service.349 En s’inspirant de ce modèle, le Canada pourrait créer un cadre législatif
juste et équitable qui tienne compte de la taille des entreprises, afin de ne pas leur imposer
un fardeau fiscal trop lourd. Dans la proposition, on considère effectivement la présence
numérique significative lorsque soit, les revenus provenant des services offerts aux
utilisateurs dépassent 7 000 000 d’euros (soit l’équivalent d’environ 11 millions de dollars
canadiens), soit le nombre d’utilisateurs excède 100 000 ou encore si le nombre de
transactions pour la fourniture de services numériques excède 3000.350
De plus, même aux États-Unis, lieu de résidence de beaucoup de PVD, la Cour
Suprême a jugé que les fournisseurs de biens et de services sur Internet pourraient être
requis de percevoir les taxes sur leurs ventes, même dans les États où elles n’ont pas de
présence physique.351 En Australie, le gouvernement a aussi instauré une taxe sur la
fourniture des biens et des services en ligne, depuis le 1er juillet 2017, par laquelle « les
344 Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce (GATT), OMC, 30 octobre 1947. 345 Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. 1985, c. 1 (5e suppl.). 346 Ibid. 347 ANDERSON, J., juin 2016, op. cit. 348 Proposal For A Council Directive laying down rules relating to the corporate taxation of a significant digital presence, Brussels, 21.3.2018 COM (2018) 147 final, 2018/0072 (CNS). 349 Ibid. 350 Ibid., art. 3, par. 3. 351 South Dakota v. Wayfair, Inc., et Al., Certiorari to the Supreme Court of South Dakota n°17–494, june 21, 2018.
73
plateformes numériques de distribution telles que Netflix doivent percevoir et remettre la
TPS d’une valeur de 10 % applicable aux produits numériques et autres services digitaux,
téléchargés et consommés par des consommateurs australiens. »352 Enfin, si le Canada se
positionnait comme beaucoup d’autres pays ont osé le faire, il devrait toutefois établir un
seuil minimal pour l’inscription à la taxe sur la valeur ajoutée, afin de ne pas nuire à
l’implantation de plus petites entreprises.353
Une autre piste de solution à être envisagée pour le Canada serait de s’inspirer de la
taxe française sur la vidéo sur demande.354 En effet, grâce à un décret355 qui modifie
l’article 1609 sexdecies B du Code général des impôts,356 la France a imposé une taxe d’un
taux de 2 % sur les revenus des plateformes mettant à disposition du contenu audiovisuel,
de façon payante sur Internet, excluant celles déjà visées par la taxe prévue à l’article L115-
6 du Code du cinéma et de l’image animée. L’objectif de cette taxe est de faire participer
les plateformes audiovisuelles au financement de la création française. Ainsi, les opérations
qui permettent, moyennant un paiement, à un utilisateur de visionner sur demande du
contenu audiovisuel, grâce à un procédé de communication électronique (vidéo à la
demande), sont visées par la taxe.357 Toutes les personnes réalisant ces opérations, qu’elles
soient situées sur le territoire français ou non, sont redevables de la taxe sur les ventes.358
Le produit de la taxe sur la diffusion en vidéo physique et en ligne de contenus audiovisuels
mentionnée à l'article 1609 sexdecies B du Code général des impôts est affecté au Centre
national du cinéma et de l’image animée.359
352 RIZQY, Marwah, « Le commerce électronique : l’Australie s’adapte à la nouvelle réalité », Revue Regard CFFP, mars 2017. 353 RIZQY, Marwah, mars 2017, op. cit. 354 Loi n° 2016-1918 du 29 décembre 2016 de finances rectificative pour 2016 modifiant la taxe prévue à l’article 1609 sexdecies B du code général des impôt (voir l’article 56 (I à III). 355 Décret n° 2017-1364 du 20 septembre 2017 fixant l'entrée en vigueur des dispositions du III de l'article 30 de la loi n° 2013-1279 du 29 décembre 2013 de finances rectificative pour 2013 et des I à III de l'article 56 de la loi n° 2016-1918 du 29 décembre 2016 de finances rectificative pour 2016. 356Code Général des Impôts, [En ligne] https://www.legifrance.gouv.fr/affichCodeArticle.do?idArticle=LEGIARTI000022202043&cidTexte=LEGITEXT000006069577&dateTexte=20120101&oldAction=rechCodeArticle, (consulté le 19 juillet 2018). 357 Taxe sur les ventes et les locations de vidéogrammes destinés à l’usage privé du public, Bulletin Officiel des finances publiques- impôts, [En ligne] http://bofip.impots.gouv.fr/bofip/194-PGP.html?identifiant=BOI-TCA-VLV-20140716. 358 Ibid. 359 Code du cinéma et de l’image animée, art. L116-1.
74
De plus, depuis mars 2009, par une modification à la Loi n° 86-1067 du 30
septembre 1986 relative à la liberté de communication (Loi Léotard), tout éditeur de
services de télévision qui effectue une « communication au public de services de médias
audiovisuels à la demande » est soumis à une taxe. Par services de médias audiovisuels à la
demande on entend :
« Tout service de communication au public par voie électronique permettant le visionnage de programmes au moment choisi par l'utilisateur et sur sa demande, à partir d'un catalogue de programmes dont la sélection et l'organisation sont contrôlées par l'éditeur de ce service. Sont exclus les services qui ne relèvent pas d'une activité économique. »360
Pour l'application de cette taxe, est considérée comme un éditeur de services de
télévision toute personne qui encaisse les sommes versées par les annonceurs.361 Cette taxe
est codifiée à l’article L115-6 du Code du cinéma et de l’image animée. La taxe est
prélevée sur les sommes versées par les annonceurs pour la diffusion de leurs messages
publicitaires par les éditeurs de services de télévision (incluant la vidéo sur demande)
établis en France et sur le produit des abonnements des distributeurs établis en France.362
Pour les éditeurs, un taux de 5,65 % est prélevé du montant des versements annuels pour
chaque service. 363 Pour les distributeurs, la taxe est calculée en fonction de chaque fraction
des encaissements annuels excédant 10 millions d’euros (soit environ l’équivalent de 15
millions de dollars canadien).364 Enfin, le produit de la taxe est affecté au Centre national
du cinéma et de l'image animée,365 afin de financer la production audiovisuelle française.
Pour conclure, le Canada pourrait s’inspirer des diverses mesures législatives
adoptées par d’autres pays et s’imposer comme leader mondial en matière de perception de
la taxe et d’imposition. Les solutions telles que celles adoptées en France permettraient
d’un côté, d’aller prélever la taxe sur la valeur ajoutée chez les PVD étrangères, afin
qu’elles contribuent au financement national et d’un autre côté, elles permettraient d’établir
un modèle intéressant pour inspirer les nouvelles dispositions advenant que le CRTC lève 360 Loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication (Loi Léotard), art. 2. 361 Ibid. 362 Code du cinéma et de l’image animée, art. L115-7, par. 1 et 2. 363 Ibid., art. L115-9, par. 1. 364 Ibid., art. L115-9, par. 2. 365 Ibid., art. L115-13.
75
l’ordonnance d’exemption pour les nouveaux médias, afin de les soumettre à l’obligation
de contribution au financement de la culture nationale. Cependant, il faut garder en tête que
le but principal est de faire contribuer tous les acteurs aux mesures de soutien à la
production des œuvres audiovisuelles canadiennes. Lors de la modification ou de la
création de nouvelles mesures, il faudra tenir compte de la taille des entreprises et de leurs
revenus afin de leur imposer des obligations équitables qui ne porteraient pas atteinte à
l’innovation et aux progrès technologiques. Enfin, il faudra garder en tête les principes
directeurs de la politique canadienne de radiodiffusion encore pertinente aujourd’hui, dans
un monde en constante mutation numérique.
3.5. La révision du mécanisme des quotas à l’ère du numérique
Il est important de comprendre, pour les fins de cette partie, que les réflexions
concernant la révision du système des licences de radiodiffusion abordées à la partie (3.2.)
sont transposables ici, puisque la politique de radiodiffusion canadienne à deux objectifs
principaux, soit soutenir la production canadienne et soutenir son accès et sa promotion.
Afin de préserver ces deux mesures, soit la contribution au financement de la création et la
diffusion de contenu canadien par le mécanisme des quotas, il faudrait réviser soit le
système des licences et/ou l’Ordonnance d’exemption relative aux entreprises de
radiodiffusion de nouveaux médias. Ainsi, le lecteur doit se référer à la partie (3.2.) du
présent mémoire, puisque les mêmes réflexions ne seront pas reprises ici.
Cependant, quelques nuances sont à apporter concernant le mécanisme des quotas.
Lorsqu’il était fait mention que le CRTC pourrait modifier l’ordonnance d’exemption
seulement pour les diffuseurs numériques comptant un nombre restreint d’abonnés, afin
qu’ils contribuent au financement de la création canadienne, la même réflexion ne devrait
pas s’appliquer concernant les quotas. Afin d’introduire une solution juste et équitable, pour
les petits comme les grands acteurs du numérique, le CRTC pourrait modifier la Loi sur la
radiodiffusion en imposant diverses obligations de diffusion du contenu, selon le type de
PVD. Par exemple, il faudrait tenir compte de la spécificité de chaque plateforme et du
contenu qu’elles offrent. Une PVD spécialisée dans la diffusion de films d’horreur, comme
76
Shudder,366 ou encore de cinéma international, comme MUBI,367 ne devrait pas se faire
imposer des quotas à la hauteur de 50 % de contenu canadien. Elles devraient tout de même
réserver une part de contenu canadien lorsque celui-ci est pertinent à la raison d’être de la
plateforme. Il faudrait donc que le CRTC reconnaisse l’effet de la programmation sur la
promotion de la diversité des expressions culturelles par chacune des PVD à laquelle il
voudrait imposer les obligations de diffusion des contenus canadiens.
D’autant plus, la multiplication des PVD au Canada aujourd’hui répertoriées au
nombre de 25,368 possèdent un contenu fluctuant rapidement en raison des ententes avec les
producteurs. Il serait donc difficile d’appliquer les quotas et de vérifier leur respect par les
PVD. Par ailleurs, Netflix soulevait qu’il était difficile pour l’entreprise d’obtenir du
contenu canadien certifié sans travailler en collaboration avec un diffuseur ou un
distributeur canadien et qu’elle privilégiait donc les coproductions avec les diffuseurs
canadiens :
« D’autres œuvres originales de Netflix […] mettent en vedette beaucoup de créativité et de talents canadiens et satisfont plusieurs des critères établis pour le contenu canadien, mais ils n’ont pas la certification officielle parce qu’il nous est impossible de faire certifier du contenu canadien de notre propre initiative. »369
La solution pourrait être, entre autres, de revoir les critères du contenu canadien pour les
PVD. Ensuite, le Canada pourrait s’inspirer de la proposition de la Directive SMA de
l’Union européenne pour étendre les obligations de diffusion aux PVD. La proposition de
Directive prévoit que :
« Les États membres veillent à ce que les fournisseurs de services de médias audiovisuels à la demande relevant de leur compétence proposent une part d’au
366 Shudder, [En ligne] https://www.shudder.com/ (consulté le 31 juillet 2018). 367 MUBI, [En ligne] https://mubi.com/fr (consulté le 31 juillet 2018). 368 FONDS DES MÉDIAS DU CANADA, À la conquête des téléspectateurs canadiens: la télé en ligne contre la télé traditionnelle, 11 juillet 2018, [En ligne] https://trends.cmf-fmc.ca/fr/a-la-conquete-des-telespectateurs-canadiens-la-tele-en-ligne-contre-la-tele-traditionnelle/ (consulté le 26 juillet 2018). 369 FONDS DES MÉDIAS DU CANADA, Conseils d’expert: comment vendre votre projet à Netflix, 22 mars 2018, [En ligne] https://trends.cmf-fmc.ca/fr/conseils-dexpert-comment-vendre-votre-projet-a-netflix/ (consulté le 26 juillet 2018).
77
moins 30 % d’œuvres européennes dans leur catalogue et mettent ces œuvres en avant » (Soulignement ajouté).370
Cependant, l’établissement des quotas comme gage de la diversité des expressions
culturelles sur les plateformes semble tout de même désuet et inadapté aux réalités
technologiques. Ainsi, comme établi précédemment, « le régime législatif actuel est trop
rigide pour inclure ces nouveaux joueurs »,371 la solution pourrait être de créer un
règlement spécifique applicable aux plateformes étrangères. Dans ce nouveau règlement,
toutes PVD étrangères qui distribuent et diffusent du contenu audiovisuel aux
consommateurs canadiens, par laquelle la plateforme prélève des frais d’abonnement ou en
tire des revenus publicitaires, devrait être soumise à des obligations de promotion et de
mise en valeur des contenus nationaux. Par exemple, le législateur belge a investi sur la
mise en valeur des œuvres européennes, considérant que les quotas étaient inadaptés dans le
cadre des PVD:
« Le Conseil Supérieur de l’Audiovisuel a expérimenté un monitoring systématique de mesures de promotion dans les services de [vidéo à la demande], à travers la quantification des œuvres européennes au sein des catalogues, parmi les occurrences promotionnelles sur différents supports et dans la consommation des utilisateurs. Il témoigne de la possibilité d’atteindre des résultats satisfaisants en termes de visibilité des œuvres européennes dans [c]es services. »372
Ainsi, en examinant d’autres législations, il est possible de croire que la mise en
place d’obligation liée à la promotion des œuvres nationales est non seulement faisable,
mais aussi bénéfique. De cette façon, le Canada pourrait remplacer les quotas de diffusion
par des obligations liées à la découvrabilité et la promotion des contenus canadiens pour les
370 Résolution législative du Parlement européen du 2 octobre 2018 sur la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil modifiant la directive 2010/13/UE visant à la coordination de certaines dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres relatives à la fourniture de services de médias audiovisuels, compte tenu de l’évolution des réalités du marché (COM(2016)0287 – C8-0193/2016 – 2016/0151(COD)) (Procédure législative ordinaire: première lecture), article 13. 371 CRTC, Emboîter le pas au changement : L’avenir de la distribution de la programmation au Canada, op. cit. 372 MOSSERAY, P.-É., Directeur de la transition numérique, CSA Belgique (FWB), Comment transposer les objectifs de visibilité et d’accès aux œuvres - européennes / francophones / locales - de la radio et la télévision aux plateformes en ligne ? Conférence du réseau francophone des régulateurs, Refram, Genève, 24 octobre 2017.
78
PVD. Cela s’avérerait beaucoup plus efficace que la transposition des quotas à ces
dernières et permettrait d’atteindre les objectifs visés par la politique canadienne de
radiodiffusion. Toutefois, cette mesure ne serait possible qu’à l’aide d’outils techniques et
juridiques qui seront examinés dans la prochaine section.
3.6. L’encadrement de la découvrabilité des contenus numériques
La présente proposition suggère au gouvernement du Canada de trouver des moyens
pour encadrer la promotion et la découvrabilité des contenus audiovisuels sur les PVD.
Notamment, en référence aux solutions proposées pour modifier le système canadien des
licences et les mécanismes de financement de la création, la création d’un règlement
spécifique aux plateformes numériques canadiennes et étrangères était suggérée. Ainsi, en
créant un nouveau règlement spécifique aux PVD, on pourrait intégrer les obligations de
participation au financement et au soutien de la culture canadienne pour toutes PVD
étrangères qui distribuent et diffusent du contenu audiovisuel aux consommateurs
canadiens. De plus, le gouvernement canadien pourrait réussir à encadrer les plateformes
étrangères et à les soumettre à une obligation de contribution au financement, selon
l’établissement du principe du pays de destination.373 Alors, dans ce nouveau règlement,
pourraient être introduites des obligations de promotion du contenu canadien pour toutes
plateformes qui diffusent du contenu au Canada et destinées à des consommateurs
canadiens, lorsque la plateforme prélève des frais d’abonnement ou en tire des revenus
publicitaires. Par ailleurs, le pouvoir législatif doit faire en sorte qu’aucune pratique
adoptée par une masse d’utilisateurs ou une majorité d’entreprises ne puisse se substituer à
la loi ou faire la loi.374 Le législateur devrait ainsi « partir des usages constatés et non des
lois préexistantes pour proposer une réglementation de l’espace public de diffusion et
d’accès aux informations ou aux biens culturels immatériels ».375
373 Conférence organisée par la Coalition européenne pour la diversité culturelle, le 14 novembre 2016, au Parlement européen,373 intitulée Digital World : An Opportunity For Creation ? et VLASSIS, Antonios, « The review of the Audiovisual Media Services Directive. Many political voices for one digital Europe? », Politique européenne, février 2017, n° 56, p. 117. 374 ERTZSCHEID, O., L’appétit des géants Pouvoir des algorithmes, ambitions des plateformes, C&F Éditions Blogollection, Paris, 2017, p. 65. 375 Ibid.
79
Puisque les algorithmes de recommandations deviendront probablement, dans un
futur proche, la manifestation ultime des quotas de diffusion, remplaçant de ce fait celles-ci,
le Canada devrait trouver un moyen technique et juridique d’intégrer la notion des quotas
au sein de ces algorithmes de recommandation et réfléchir sur un moyen contraignant de les
mettre en place, notamment au sein des plateformes étrangères. Une consultation avec
notamment des experts en informatique et le gouvernement devrait donc être organisée.
Aujourd’hui, les possibilités offertes par les nouvelles technologies numériques permettent
de croire qu’il est possible de mettre en place des moyens techniques pour s’assurer de la
promotion du contenu canadien sur les PVD. En effet, des mesures de protection, comme le
géoblocage, consiste à : « une pratique utilisée surtout par les entreprises de diffusions
média pour accepter ou rejeter les tentatives d'accès au contenu en fonction de l’adresse IP
du demandeur »376 existent déjà et sont appliquées par les PVD.
L’idée serait alors de créer un algorithme de recommandation qui, en fonction de
l’adresse IP et donc de la géolocalisation de l’individu, lui proposerait d’abord du contenu
national correspondant à des goûts similaires. Par exemple, si l’abonné a récemment aimé
un thriller américain, les recommandations pourraient lui suggérer d’abord des thrillers
similaires, mais canadiens, et ensuite d’autres thrillers correspondant à ses goûts. En effet,
si les algorithmes « demandent aux métadonnées de contenus et d’usage de trouver ce qui
correspond à des termes de recherche, aux usages les plus fréquents, aux préférences d’un
utilisateur précis, et de combiner et présenter ces résultats selon un schéma particulier »,377
il est tout à fait pensable qu’elles puissent, dans une même logique, trouver le contenu qui
correspond à la position géographique de la personne et de lui proposer.
Ensuite, il faudrait s’assurer que les contenus nationaux soient promus, et donc mis
à l’avant prioritairement aux autres contenus, ce qui peut être vérifié par une simple
observation de la PVD. Du point de vue contraignant, des auteurs suggèrent que les
obligations des utilisateurs d’outils algorithmiques pourraient être validées par une autorité 376 « Géoblocage », CRTC, Glossaire [En ligne] https://crtc.gc.ca/multites/mtwdk.exe?k=glossaire-glossary&l=60&w=223&n=1&s=5&t=2 (consulté le 5 juillet 2018). 377 FONDS DES MÉDIAS DU CANADA, 2016, op. cit., p. 32.
80
publique de contrôle, s’assurant du respect des différentes finalités exigées par
règlement.378 Par exemple, la licence consentie aux diffuseurs ou un nouveau règlement
pourrait leur ordonner de promouvoir le contenu canadien en priorité et de ne pas détourner
l’algorithme de ses fonctionnalités, ou encore cette obligation pourrait être prévue dans un
nouveau règlement applicable spécifiquement aux PVD : « Dans cette perspective, une
autorité de contrôle des algorithmes serait compétente pour mener des audits afin de tester
périodiquement les algorithmes pour s'assurer qu'ils ne produisent pas de résultats qui
violeraient le droit. »379 Peut-être que dans un futur rapproché, le CRTC pourrait aussi
jouer ce rôle, s’inscrivant alors dans la politique canadienne de radiodiffusion qui vise, à
titre de rappel, à ce que « tous les éléments du système doivent contribuer, de la manière
qui convient, à la création et la présentation d’une programmation canadienne ».380
Pour terminer, il faudrait que le cadre règlementaire de la radiodiffusion canadienne
travaille en collaboration avec les nouvelles technologies, advenant la création d’un
nouveau règlement, car elles risquent de maintenir leur position sur le marché de la
diffusion et de la distribution encore longtemps, avec pour conséquences d’entrainer les
politiques sans cesse vers de nouveaux défis, comme le résume cette citation :
« Our choice is not between "regulation" and "no regulation". The code regulates. It implements values, or not. It enables freedoms, or disables them. It protects privacy, or promotes monitoring. People choose how the code does these things [...] The only choice is whether we collectively will have a role in their choice - and thus in determining how these values regulate - or whether collectively we will allow the coders to select our values for us ».381
378 GODEFROY, L., « Le code algorithmique au service du droit », Recueil Dalloz, 2018, p. 734. 379 Ibid. 380 Loi sur la radiodiffusion, art. 3 (1) e). 381 LESSIG, L., « Code Is Law. On Liberty In Cyberspace : The Code Of Cyberspace Regulates » Harvard Magazine, janvier 2000.
81
Conclusion
Ce mémoire s’interroge sur la façon la plus appropriée de renforcer le système de
radiodiffusion canadien pour protéger et assurer une diversité des expressions culturelles
sur les PVD canadiennes et étrangères. Cette recherche vise à répondre à deux questions :
Quelles mesures permettraient d’établir une concurrence juste et équitable, en matière de
soutien à la production et de fiscalité, entre les nouveaux diffuseurs et les diffuseurs
traditionnels ? Et, quelles autres mesures nationales pourraient permettre l’atteinte des
objectifs de la Convention de 2005 pour assurer une diversité des contenus audiovisuels sur
les plateformes numériques ?
À cet effet, une étude des modifications devant être apportées à la réglementation
canadienne en matière de radiodiffusion afin de soumettre les PVD aux obligations
applicables aux entreprises de radiodiffusion canadiennes et vouées à l’atteinte des objectifs
en matière de diversité culturelle a été effectuée. Cette recherche a démontré que plusieurs
pistes de solutions existent et peuvent être mises en place pour assurer une concurrence
juste et équitable entre tous les joueurs. Notamment, pour soumettre les PVD aux
obligations de soutien à la création, il faudrait définitivement retirer l’Ordonnance
d’exemption relative aux entreprises de radiodiffusion de nouveaux médias de 1999 pour
rendre la Loi sur la radiodiffusion applicable aux PVD numériques canadiennes. Une autre
solution permettant de les soumettre à la législation sur la radiodiffusion pourrait être de
revoir la définition d’entreprise de radiodiffusion, en définissant les entreprises de
radiodiffusion selon leur rôle plutôt que selon le procédé technologique par lequel elles
exercent leurs activités, sans oublier de consacrer le principe de la neutralité technologique.
Cependant, malgré la modification de l’exemption relative aux nouveaux médias,
les PVD étrangères ne pourraient être soumises à la réglementation canadienne en matière
de radiodiffusion, puisque le CRTC ne peut attribuer de licences à des demandeurs non
canadiens. Par contre, cette recherche arrivait à la conclusion que le système des licences ne
semblait toutefois pas être la meilleure solution à transposer au monde numérique, car il est
trop rigide et donc inadapté à cet environnement. De la même façon, l’établissement des
82
quotas comme gage de la diversité des expressions culturelles sur les PVD est inadapté aux
réalités technologiques.
La solution à préconiser serait plutôt de créer un règlement spécifique applicable
uniquement aux PVD numériques. De cette manière, le législateur canadien pourrait réussir
à encadrer les plateformes étrangères et à les soumettre à une obligation de contribution au
financement, selon l’établissement du principe du pays de destination ou encore les
soumettre aux obligations de diffusion des contenus nationaux. Ensuite, le législateur
devrait revoir les fondements de la fiscalité afin d’obliger toutes les plateformes de
fourniture de biens et de services à prélever la taxe sur la valeur ajoutée canadienne, sur les
ventes effectuées au Canada, sur la base d’une présence physique ou significative au
Canada, comme l’a fait le Québec et l’Union européenne.382
Enfin, puisque le système des quotas de diffusion est difficilement transposable au
numérique, le Canada pourrait remplacer les quotas de diffusion par des obligations liées à
la découvrabilité et la promotion des contenus canadiens pour les PVD à l’aide d’outils
techniques et juridiques. Ces mesures nationales permettraient l’atteinte des objectifs de la
Convention de 2005 pour assurer une diversité des contenus audiovisuels sur les
plateformes numériques. Ainsi, les futures politiques culturelles et règlementaires du CRTC
et du gouvernement du Canada devraient trouver un moyen technique et juridique
d’intégrer la notion des quotas au sein de ces algorithmes de recommandation et réfléchir
sur un moyen contraignant de les mettre en place. Une consultation avec des experts en
informatique et le gouvernement s’avère nécessaire à cette fin. Le CRTC avait déjà débuté
les réflexions sur le sujet grâce au Sommet sur la découvrabilité383 organisé en 2016.
Cependant, le processus de révision du système canadien de radiodiffusion a besoin
d’outrepasser celui de la réflexion et des mesures concrètes doivent être mises en place. Il
382 Loi visant l’amélioration des performances de la Société de l’assurance automobile du Québec, favorisant un meilleur encadrement de l’économie numérique en matière de commerce électronique, de transport rémunéré de personnes et d’hébergement touristique et modifiant diverses dispositions législatives, Projet de loi n°150, sanctionné le 12 juin 2018, 1ère sess., 41e légis. Qc. Et Proposal For A Council Directive laying down rules relating to the corporate taxation of a significant digital presence, Brussels, 21.3.2018 COM (2018) 147 final, 2018/0072 (CNS). 383 CRTC et ONF, Le sommet de la découvrabilité : Le contenu à l’ère de l’abondance, Toronto, 10-11 mai 2016, [En ligne] http://decouvrabilite.ca/ (consulté le 21 juin 2018).
83
est venu le temps pour le gouvernement canadien de se diriger vers un plan d’action concret
et efficace. L’espoir repose alors sur la révision des trois grandes lois sur le sujet, soit la Loi
sur la radiodiffusion, la Loi sur les télécommunications et la Loi sur la
radiocommunication, en cours d’exécution et sur le rapport du comité d’expert nommé à
ces fins, attendu pour 2019.384
Pour terminer, les solutions aux problématiques soulevées dans ce mémoire
dépendent d’abord et avant tout de la volonté politique. Des solutions concrètes existent au
niveau législatif et informatique, comme les législations étrangères ont pu le démontrer. La
décision repose sur le choix à accorder à l’importance de sauvegarder le système de
radiodiffusion canadien et sa politique, protecteur et promoteur de notre diversité culturelle
ou de trouver un moyen alternatif afin d’assurer une promotion et une protection efficace de
la diversité des expressions culturelles sur les PVD.
384 PATRIMOINE CANADIEN, Le gouvernement du Canada procédera à un examen des lois régissant les télécommunications et la radiodiffusion, 5 juin 2018, Ottawa, [En ligne] https://www.canada.ca/fr/patrimoine-canadien/nouvelles/2018/06/le-gouvernement-du-canada-procedera-a-un-examen-des-lois-regissant-les-telecommunications-et-la-radiodiffusion.html (consulté le 6 juin 2018).
84
Bibliographie
Législation
Canada
1. Loi sur le droit d’auteur, L.R.C. 1985, c. C-42. 2. Loi sur le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes,
L.R.C. 1985, c. C-22. 3. Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. 1985, c. 1 (5e suppl.).
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a. Règlement de 1987 sur la télédiffusion, D.O.R.S./87-49. b. Règlement sur la distribution de radiodiffusion, D.O.R.S./97-555. c. Instructions au CRTC (inadmissibilité de non-Canadiens), D.O.R.S./97-192. d. Avis public 1999-197, Ordonnance d’exemption relative aux entreprises de
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7. Loi sur les télécommunications, L.C. 1993, c. 38. 8. Loi visant l’amélioration des performances de la Société de l’assurance automobile
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France
1. Code de la propriété intellectuelle. 2. Code du cinéma et de l’image animée. 3. Code général des impôts. 4. Loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication,
(version consolidée au 10 avril 2018). 5. Décret n° 2010-1593 du 17 décembre 2010 relatif aux services de télévision et de
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85
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