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La science et l'univers

Raffiniert ist der Herrgott, aber boshaft er ist nicht. [Le Seigneur est subtil, mais il n'est pas malveillant]

Albert Einstein

Frontispice : L a science a-t-elle « des crocs et des griffes rouges de sang », est-ce un Moloch, conduira-t-elle à l'holocauste ? L a science est-elle u n cancer, est-ce la mort de l'âme ?

Parce qu'elle explore la matière, la vie et l'esprit, la science pour moi est non seulement inévitable, mais irréprochable. L a science est la vie elle-même, mise à n u par l'émerveillement de l ' h o m m e (vismadd), ses investigations et ses aventures. O r aujourd'hui le savant, c o m m e tous les êtres humains, possède u n intellect d u xxe siècle, mais une conscience paléolithique. C'est combler ce fossé qui est la clé de l'évolution future de l ' h o m m e . [Diapositive Ektachrome et texte de Dharamjit Singh.]

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Einstein et le prix Nobel

Albert Einstein est sans doute surtout connu pour ses travaux sur les théories de la relativité restreinte et générale, et pour avoir réussi à élaborer une théorie concernant le mouvement brownien. E n 1922, le prix Nobel de physique pour 1921 fut décerné à Eins­tein för hans förtjänster ont den teoretiska fysiken, särskilt hans upptäckt av lagen för den fotoelektriska effekten, soit traduit du sué­dois, « pour ses services à la physique théorique, et notamment pour sa découverte de la loi de l'effet photo-électrique ». Einstein, à cette époque, travaillait en liaison avec le Kaiser-Wilhelm Ins­titut für Physik de Berlin, institut rebaptisé depuis Max-Planck Institut. M a x Planck lui-même avait remporté ce m ê m e prix Nobel trois ans plus tôt pour sa découverte sur les quanta d'énergie.

Destins et talents

Ils doivent être légion les exemples où la sagesse et la connaissance ont brillé dans le passé et perdu peu à peu leur éclat jusqu'à l'époque présente ou qui, restées dans l'ombre tout au long des âges et jusque dans le présent, brilleront de tout leur éclat dans l'avenir.

Kawabata Yasunari, Le maître de Go

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Vol. 29, n° 1, janvier-mars 1979

Le siècle d'Einstein Quatre générations de pensée révolutionnaire (1879-1979)

_, , Jacob Bronowski Presentation 3

Paul A. M. Dirac L'excellence de la théorie de la gravitation d'Einstein 11

Amadou-Mahtar M'Bow Einstein — esprit ouvert, cœur ouvert 15

Yuval Ne'eman Logique, faculté d'abstraction et engagement : Albert Einstein, physicien et humaniste 17

Mohammad Allai Sinaceur L e cercle et la droite 27

Hans-Jürgen Treder L e siècle d'Einstein dans l'histoire de la physique 37

Berol Robinson Qui sera le mieux équipé pour enseigner la physique dans les années 1980? 45

/ . L. Povh et A. D . Barinberg D u brevet d'Einstein et Szilard à la magnéto-hydrodynamique moderne 49

J. L. Demaret et J. E. H. L. Vandermeulen Antimatière et cosmologie 61

Mario Rodríguez Aragon U n e nouvelle mesure du temps : le système Einstein 73

David A. Mathisen 2079 : un siècle d'évolution technique et sociopolitique 83

Lettres 97 Appel aux lecteurs

Nous serons heureux de publier des lettres contenant des avis motivés — favorables ou non — sur tout article publié dans impact ou présentant les vues des signataires sur les sujets traités dans notre revue. Prière d'adresser toute correspondance à : Rédacteur, impact : science et société, Unesco, 7, place de Fontenoy, 75700 Paris (France). © Unesco 1979.

ISSN 0304-2944

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Avis aux lecteurs

impact : science et société est publié régulièrement en anglais par PUnesco.

L a revue est aussi publiée en espagnol par la Oficina de Educación Iberoamericana, Ciudad Universitaria, Madrid 3 (Espagne).

Al 'ilmu wa-almujtama' est publié en arabe par le Centre de publications de l'Unesco au Caire (Unesco Publications Centre in Cairo), 1 Talaat H a r b Street, Tahrir Square, L e Caire (Egypte).

Notre périodique est maintenant publié en portugais sous le titre impacto da ciencia na sociedade. Cette édition peut être obtenue auprès d'Impacto-Editorial e Serviços Ltda, rua Joào Caetano2i8, P . O . B o x 665, 25600 Petrópolis — R J (Brésil).

Les lecteurs désireux de s'abonner à impact dans l'une de ces langues peuvent entrer en contact directement avec ces bureaux.

L'autorisation de reproduire des extraits de cette revue et de les utiliser dans l'enseignement pour des cours et des travaux pratiques est subordonnée à la condition a) que les extraits reproduits ne fassent l'objet d'aucune transaction (vente ou autre) à des fins commerciales, b) qu'il soit fait mention de l'Unesco en tant que titulaire du droit d'auteur.

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Présentation

« A quoi ressemblerait le monde si je voyageais sur un rayon lumineux ? »

La mécanique de la grande horloge

Qu'il est doux de penser que la bonne vieille montre — ce métronome que nous portons au poignet, ce dictateur minia­ture de la vie moderne — a, depuis le moyen âge et pendant longtemps, hanté les rêves des artisans! E n ce temps-là, cependant, le souci des horlogers était moins de savoir l'heure que de reproduire la course des astres.

Pendant quelque deux cents ans, rien n'est venu troubler le mouvement d'horlogerie de l'univers de Newton. Si le fantôme du grand h o m m e était venu en Suisse avant 1900, il aurait été salué par toutes les horloges carillonnant à l'unis­son. Mais voilà que juste après 1900 est venu s'installer à Berne, à moins de 200 mètres de la vieille horloge, un jeune h o m m e qui allait rompre cette harmonie : Albert Einstein.

C'est à peu près à cette époque que le temps et la lumière ont commencé à avoir des comportements aberrants. E n 1881, Albert Michelson fit une expérience (qu'il répéta six ans plus tard avec Edward Morley) consistant à mettre de la lumière dans plusieurs directions ; il constata avec surprise que, quels que fussent les mouvements de la source lumineuse, la vitesse du rayonnement était la m ê m e . C'était absolument contraire aux lois de Newton. Et c'est ce petit souffle au cœur de la physique qui mit en effervescence la communauté scientifique aux alentours de 1900.

© 1973- L Bronowski. Extrait de The ascent of man, du m ê m e auteur. Reproduit avec l'autorisation de la British Broadcasting Corporation et de Little, Brown and C o .

impact : science et société, vol. 29 (1979), n° I 3

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Il n'est pas sûr que le jeune Einstein ait été au fait de cette expérience. Il n'avait pas été un étudiant très assidu. Mais ce qui est sûr, c'est qu'il s'était déjà demandé, alors qu'il était adolescent, à quoi ressemblerait le m o n d e vu par un obser­vateur se déplaçant à la vitesse de la lumière.

L a réponse à cette question est tout à fait paradoxale, et c'est ce qui la rend difficile. Mais c o m m e pour tout paradoxe, le plus difficile n'est pas tant de trouver la réponse que de formuler la question. Voilà en quoi des h o m m e s tels que Newton et Einstein ont du génie : ils posent des questions simples, naïves, auxquelles les réponses se révèlent destruc­trices. C'est en ce sens que le poète William Cowper a qualifié N e w t o n de « sage aux yeux d'enfant », expression qui décrit parfaitement le regard étonné qu'Einstein posait sur le m o n d e . Qu'il parlât de voyager sur un rayon lumineux ou de tomber dans l'espace, Einstein savait toujours trouver des exemples simples et admirables. Appliquons sa méthode. Allons au pied de la tour de l'horloge et montons dans le tramway qu'il prenait tous les jours pour se rendre à son travail à l'Office fédéral des brevets.

L'adolescent Einstein s'était posé la question suivante : « A quoi ressemblerait le m o n d e si je voyageais sur un rayon lumineux ? » Si le tramway où je m e trouve se déplaçait sur le rayon lumineux qui m e permet de lire l'heure à l'horloge, celle-ci se figerait ; le tramway — petite boîte filant sur le rayon lumineux — et ses passagers seraient immobiles dans le temps ; le temps s'arrêterait.

Reprenons le raisonnement. Supposons que l'horloge marque midi au m o m e n t où je monte dans le tramway. Je m e trouve maintenant dans un tramway qui va à la vitesse de la lumière, de sorte qu'en une seconde j'ai parcouru 300 000 kilomètres. Mais l'horloge marque toujours midi, parce que le rayon lumineux qui m e relie à l'horloge a mis autant de temps que moi. D o n c , par rapport à l'horloge telle que je la vois, à l'univers situé à l'intérieur du tramway, en allant à la m ê m e vitesse que la lumière, je m e suis mis hors du temps.

C'est u n paradoxe extraordinaire. Je n'entrerai pas dans ce qu'il implique, ni dans ce qu'Einstein en a tiré. Je m e contenterai de ce seul fait : si je voyageais sur un rayon lumineux, le temps, pour moi, s'arrêterait brusquement. D o n c , en toute logique, quand m a vitesse approche celle de

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la lumière (c'est ce qui se passej en simulation, dans ce tramway), je suis seul dans m o n système de temps et d'espace, qui s'éloigne de plus en plus de la norme.

Ce genre de paradoxe prouve deux choses : premièrement — c'est évident — qu'il n'y a pas de temps universel ; deuxièmement — c'est moins évident — que les choses se présentent différemment pour celui qui voyage et pour celui qui ne bouge pas, et donc pour chacun d'entre nous. Dans le tramway, m o n univers est cohérent : j'y découvre les m ê m e s lois, les m ê m e s rapports entre le temps, la distance, la vitesse, la masse et la force que tous les autres observateurs. Mais les valeurs que j'obtiens pour le temps, la distance, etc., ne sont pas celles du Bernois qui est resté sur le trottoir.

Voilà, en deux mots, le principe de la relativité. Mais, m e demanderez-vous, qu'est-ce qui relie ces deux univers, le nôtre et le sien ? Le passage de la lumière : la lumière est le messager qui nous relie les uns aux autres. C'est pourquoi le fait expérimental essentiel est celui qui a intrigué le m o n d e depuis 1881 : lorsque nous échangeons des signaux, nous découvrons que l'information passe entre nous toujours à la m ê m e vitesse. Nous obtenons toujours la m ê m e valeur pour la vitesse de la lumière. Dans ces conditions, le temps, l'espace et la masse sont nécessairement différents pour chacun d'entre nous, puisque les lois doivent être les m ê m e s pour moi qui suis dans le tramway et pour lui sur le trottoir, et que la valeur de la vitesse de la lumière reste la m ê m e .

La lumière et les autres rayonnements sont des signaux qui propagent des messages dans l'univers — c o m m e des ondes circulaires à la surface de l'eau — et il n'existe aucun moyen de diffuser ces messages plus rapidement. L a lumière — ou l'onde radio, ou encore le rayon X — nec plus ultra du transport, forme un réseau d'information qui agrège l'univers matériel. M ê m e si le message en question est l'heure, nous ne pouvons pas le transmettre plus vite que la lumière ou l'onde radio qui en est porteuse. Il n'est pas de temps uni­versel, pas de signal de Greenwich qui nous permette de mettre nos montres à l'heure sans que la vitesse de la lumière entre en jeu.

Mais il faut que cette antinomie se résolve. L a trajectoire du rayon lumineux ( comme la trajectoire d'une balle) n'est pas la m ê m e pour un observateur quelconque et pour celui

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qui a « tiré ». Elle semble plus longue à l'observateur. Il faut donc que le temps mis par la lumière sur sa trajectoire lui semble aussi plus long, si l'on veut que la vitesse soit la m ê m e .

Est-ce vrai ? Oui. Nous en savons assez aujourd'hui sur les processus cosmiques et atomiques pour voir qu'à grande vitesse c'est vrai. Si je m e déplaçais vraiment très vite, par exemple à une vitesse égale à la moitié de celle de la lumière, ce que j'aurais parcouru en trois minutes et des poussières à m a montre — le trajet en tramway d'Einstein — aurait duré une demi-minute de plus pour m o n Bernois sur le trottoir.

Lançons le tramway à une vitesse proche de celle de la lumière pour voir ce que deviennent les apparences. L'effet de la relativité est que les choses changent de forme. (Il y a aussi des changements de couleur, mais ils ne sont pas dus à la relativité.) Les immeubles s'incurvent, s'inclinent dans le sens de la marche ; on dirait aussi qu'ils sont comprimés. C o m m e je m e déplace horizontalement, les distances hori­zontales paraissent plus courtes, mais les hauteurs restent les m ê m e s . Les véhicules et les piétons subissent la m ê m e déformation : ils sont amincis, macaronisés. Et ce qui est vrai pour moi, qui suis dans le tramway, l'est aussi pour l'observateur extérieur. L e monde de la relativité — monde d'Alice au pays des merveilles — est systématique. L'obser­vateur voit le tramway tout aminci.

C'est là, faut-il le dire, une vision du monde toute diffé­rente de celle de Newton. Pour ce dernier, le temps et l'espace forment un cadre absolu dans lequel les événements matériels se déroulent dans un ordre immuable. C'est une vision divine : le m o n d e est le m ê m e pour tous les observa­teurs, où qu'ils se trouvent et quel que soit leur déplacement. A u contraire, celle d'Einstein est une vision humaine : le m o n d e que je vois et celui que l'autre voit sont relatifs, ils dépendent de notre situation et de notre vitesse. Et nous ne pouvons pas faire abstraction de cette relativité. Nous ne pouvons pas savoir à quoi ressemble le monde en soi ; nous pouvons seulement comparer les images que nous en avons, en échangeant des messages. M o i dans m o n tramway et vous dans votre fauteuil, nous ne partageons pas une vision divine et instantanée des choses ; nous pouvons seulement nous communiquer ce que nous voyons. Et la communication

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n'est pas instantanée : nous ne pouvons pas faire en sorte qu'elle échappe au temps de transmission de tous les signaux, déterminé par la vitesse et la lumière.

Le tramway n'a pas atteint la vitesse de la lumière. Il s'est arrêté, bien sagement, près de l'Office fédéral des brevets. Einstein est descendu, a fait sa journée de travail et, le soir, est allé faire un tour, c o m m e souvent, au café Bollwerk. Son travail à l'Office des brevets ne le fatiguait pas trop. A vrai dire, la plupart des demandes d'homologation semblent aujourd'hui parfaitement ridicules : l'une concernait une version améliorée du pistolet à air comprimé, une autre l'utilisation du courant alternatif, qu'Einstein a laconique­ment jugée « incorrecte, imprécise et confuse ».

A u café Bollwerk, le soir, il parle physique avec ses col­lègues. Il fume un cigare, prend un café. Mais surtout, il réfléchit : « C o m m e n t font, non pas les physiciens, mais les h o m m e s en général, pour communiquer ? Quels signaux échangeons-nous ? C o m m e n t parvenons-nous à la connais­sance ? » Voilà son souci majeur, la raison d'être de tous ses ouvrages : déchiffrer, page par page, le grand livre de la connaissance.

L e célèbre mémoire de 1905 ne porte pas seulement sur la lumière ou, c o m m e l'indique le titre, Sur l'électrodynamique des corps en mouvement. Il se prolonge, la m ê m e année, par une annexe ou est posée l'équivalence masse-énergie : E = m e 2 . C e que nous voyons dans le premier exposé de la relativité, c'est tout ce qu'il ouvre c o m m e horizons à la physique atomique. C e qu'y voit Einstein, c'est simplement un pas de plus vers l'unité du m o n d e ; c o m m e Newton et tous les penseurs scientifiques, il croyait profondément en cette unité parce qu'il sentait intimement les processus de la nature elle-même, et surtout les rapports entre l 'homme, la connaissance et la nature. L a physique n'est pas faite de phénomènes, mais d'observations. L a relativité est la c o m ­préhension du m o n d e non pas en tant que série de phéno­mènes, mais en tant qu'ensemble de relations.

Einstein gardait un bon souvenir de cette époque. D e nombreuses années après, il a dit à m o n ami Leo Szilard : « Ce furent les années les plus heureuses de m a vie. Personne n'attendait de moi que je décroche la lune. » Bien sûr, il a plusieurs fois décroché la lune : effets quantiques, relativité

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générale, théorie des champs. Peu à peu se confirmaient ses premiers travaux et ses prédictions. E n 1915, il affirma, dans La théorie de la relativité généralisée, que le c h a m p gravita­tionnel proche du soleil incurvait les rayons lumineux — c o m m e une distorsion de l'espace. D e u x expéditions furent envoyées par la Royal Society au Brésil et sur la côte occidentale de l'Afrique pour vérifier cette prédiction à l'occasion de l'éclipsé du 29 mai 1919. Arthur Eddington, qui dirigeait l'expédition africaine, s'est toujours souvenu de la première mesure des photographies qui furent prises à cette occasion c o m m e du plus beau m o m e n t de sa vie. La nouvelle se répandit parmi les membres de la Royal Society c o m m e une traînée de poudre ; Eddington télégraphia au mathématicien Littlewood, et Littlewood griffonna ces quel­ques mots à Bertrand Russell : « Cher Russell, L a théorie d'Einstein est pleinement confirmée. La déviation prédite était de i"y2 et celle qui a été observée de ï'75 ± 0 , 0 6 . Bien à vous, J. E . L . »

L a relativité était un fait, dans la théorie restreinte c o m m e dans la théorie générale. Bien entendu, la formule E = m e 2

fut confirmée par la suite. Il n'est pas jusqu'à la théorie des deux horloges qui ne finît par être vérifiée. E n 1905, Einstein avait défini de façon originale les conditions de l'expérience idéale.

« Supposons deux horloges synchronisées en A . Si l'une d'entre elles se déplace sur une courbe fermée à la vitesse constante v jusqu'à ce qu'elle se retrouve en A au bout de t secondes, elle aura perdu, en arrivant en A , 1/2 t (v¡c)2 secondes par rapport à l'horloge restée sur place. N o u s en concluons qu'une horloge située à Péquateur marche un tout petit peu plus lentement qu'une horloge identique située à l'un des pôles. »

Einstein mourut en 1955, u n demi-siècle après le grand mémoire de 1905. C o m m e on avait appris à mesurer le temps au millième de millionième de seconde près, on a pu reprendre son idée saugrenue : deux h o m m e s , l'un au pôle Nord, l'autre à l'équateur ; celui qui se trouve à l'équateur « tournant » plus vite que celui qui se trouve au pôle Nord, sa montre prend d u retard par rapport à celle de l'autre. C'est effectivement ce qui se passe.

L'expérience fut faite par le jeune H . J. H a y à Harwell. Il

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imagina une Terre aplatie, transformée en plate-forme dont le centre est le pôle N o r d et la circonférence l'équateur. Il mit une horloge atomique au centre de la plate-forme et une autre au bord. Les horloges mesuraient le temps statis­tiquement en comptant le nombre d'atomes radio-actifs qui se désintégraient. Il fallut se rendre à l'évidence, l'horloge située au bord allait plus lentement que l'horloge située au centre. L e m ê m e phénomène se produit sur toutes les plaques tournantes, sur tous les tourne-disques. E n ce m o m e n t m ê m e , sur tous les microsillons qu'on écoute, le centre vieillit plus vite que la circonférence.

Einstein fut le créateur d'un système plus philosophique que mathématique. Il avait le don de trouver des idées philo­sophiques qui montraient l'expérience pratique sous un jour nouveau. Son regard sur la nature était celui non pas d'un Dieu, mais d'un explorateur persuadé que, dans le chaos des phénomènes, il y a un dénominateur c o m m u n que nous pouvons découvrir si nous posons sur les choses un regard neuf. Il écrivait dans Comment je vois le monde :

« N o u s avons oublié ce qui, dans le m o n d e tel que nous le connaissons, nous a poussés à élaborer des concepts (pré­scientifiques) et nous avons beaucoup de mal à nous repré­senter ce m o n d e sans passer par la vieille interprétation conceptuelle. N o u s avons d'autant plus de mal à le faire que nous devons nous exprimer avec des mots qui sont indissolublement liés à ces concepts primitifs. Voilà les obstacles que nous devons surmonter quand nous voulons décrire la nature essentielle du concept préscientifique d'espace. »

Ainsi, Einstein a réussi, au cours de sa vie, à unir la lumière au temps et le temps à l'espace, l'énergie à la matière, la matière à l'espace et l'espace à la gravitation. A la fin de sa vie, il cherchait encore une unité entre la gravitation et les forces de l'électricité et du magnétisme. Je m e souviens de lui tel qu'il venait au Senate House, à Cambridge, vêtu d'un vieux chandail, pieds nus dans ses pantoufles, nous dire le lien qu'il essayait de trouver et les difficultés qu'il rencontrait.

L e chandail, les pantoufles, l'horreur des bretelles et des chaussettes n'étaient pas un genre qu'il se donnait. Einstein était la décontraction m ê m e . L e succès mondain, la respec­tabilité, le décorum ne l'intéressaient absolument pas, la

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plupart du temps, il n'avait aucune idée de ce qu'on attendait d'un h o m m e de sa stature. Il haïssait la guerre, la cruauté, l'hypocrisie et par-dessus tout le dogmatisme — haïr n'est d'ailleurs pas le verbe qui convient pour exprimer le triste dégoût qu'il ressentait ; la haine aussi, pensait-il, est un sentiment dogmatique. Il refusa de devenir président de l'État d'Israël parce que, selon sa propre explication, il n'avait pas la bosse des affaires humaines. C'est là un critère modeste, dont l'application généralisée ouvrirait de n o m ­breuses crises de régime.

Il est presque impertinent de parler des progrès de l ' h o m m e en présence de deux titans tels que Newton et Einstein. Newton est le dieu de l'Ancien Testament ; c'est Einstein qui est le héros du Nouveau. Il débordait d ' h u m a ­nité, de charité, de sympathie profonde. Sa vision de la nature elle-même était celle d'un être humain en présence du divin, et c'est ce qu'il a toujours dit de la nature. Il aimait parler de Dieu : « Dieu ne joue pas aux dés », « Dieu n'est pas pervers ». U n jour, Niels Bohr finit par lui dire : « Mais cesse donc de dire à Dieu ce qu'il a à faire ! » C'était un peu forcer la note. Einstein était un h o m m e qui pouvait poser des questions terriblement simples. Et ce que sa vie et son œuvre ont montré, c'est que, lorsque les réponses aussi sont simples, on entend Dieu penser. D

Jacob B R O N O W S K I

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L'excellence de la théorie de la gravitation d'Einstein Paul A . M . Dirac

Einstein nous a donné une nouvelle théorie de la gravitation qui est liée à la courbe de l'espace. Il a ouvert aux physiciens un nouveau champ d'action, celui de l'espace non euclidien. Le type particulier d'espace dont Einstein a imposé l'usage est un espace riemannien, qui peut s'inscrire dans une surface dotée d'un plus grand nombre de dimensions.

Sous l'impulsion d'Einstein, plusieurs sa­vants ont tenté d'introduire en physique d'autres espaces, mais sans y parvenir vrai­ment jusqu'ici. E n l'état actuel de nos connaissances, l'espace dû à Einstein est celui de la nature.

L a théorie de la relativité d'Einstein est demeurée inconnue sauf de quelques spécia­listes, jusqu'à la fin de 1918, c'est-à-dire jusqu'après la première guerre mondiale. Elle eut alors u n impact extraordinaire. Elle offrait au m o n d e u n nouveau m o d e de pen­sée, une philosophie nouvelle.

Elle venait à u n m o m e n t où la lassitude due à la guerre était générale, chez les vain­queurs c o m m e chez les vaincus. Les esprits réclamaient du nouveau. L a relativité repré­sentait exactement ce qu'il fallait et le grand public s'en empara aussitôt pour en faire du jour au lendemain son principal sujet de conversation. C'était le moyen d'oublier pen­dant u n temps les horreurs de la guerre.

D'innombrables articles sur la relativité ont été écrits dans des quotidiens, des pério­diques et autres journaux. Jamais aupara­vant, et jamais depuis, une idée scientifique n'a soulevé u n tel intérêt universel. L a plus grande partie de ce qui a été dit ou écrit se référait à des idées philosophiques générales

et manquait de l'exactitude nécessaire pour que s'instaure un débat scientifique sérieux. Peu d'informations précises étaient dispo­nibles ; néanmoins les spécialistes étaient heureux de faire part de leur point de vue.

J'étais à l'époque élève ingénieur à l'Uni­versité de Bristol, et, bien entendu, les étu­diants abordèrent la question et en discutè­rent abondamment entre eux. Mais ni les étudiants, ni les professeurs n'avaient d'in­formation précise à ce sujet et ils ne savaient rien de son substrat mathématique. N o u s ne pouvions guère parler que de ses incidences philosophiques et accepter la conviction uni­verselle que la théorie était bonne.

Trois moyens de vérifier la théorie

E n Grande-Bretagne, nous avions à l'époque u n physicien, Arthur S. Eddington, qui comprenait vraiment la relativité et qui

Adaptation d'une communication présentée le 19 septembre 1978 au Colloque sur l'influence des idées scientifiques modernes sur la société, organisé par l'Unesco en collaboration avec les universités d ' U l m et de Munich, à U l m (Répu­blique fédérale d'Allemagne).

impact : science et société, vol. 29 (1979), n° 1 II

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• Paul A. M . Dirac

Paul Adrien Maurice Dirac a été en 1933, avec Erwin Schrödinger, colauréat du prix Nobel de physique « pour avoir découvert de nouvelles formes productives de la théorie atomique ». Après avoir longtemps travaillé à V Université de Cambridge, le professeur Dirac est actuellement attaché à V Université d'État de la Floride, Tallahassee FL 32306 (États-Unis d'Amérique).

devint en quelque sorte le chef de file et l'autorité en la matière. Il s'intéressa beau­coup aux conséquences de la théorie en astro­nomie et aux possibilités de la vérifier par l'observation. O r , il y avait trois moyens possibles de mettre la théorie à l'épreuve et, grâce à la publicité que leur donna Eddington, ils devinrent vite familiers à chacun.

L e premier m o y e n est celui qu'offre la planète Mercure. O n savait depuis longtemps qu'il y avait u n écart entre le mouvement réel de cette planète et celui qui correspon­dait à la théorie newtonienne. L'observation montrait que le périhélie de Mercure ac­cusait u n déplacement de 42 secondes par siècle, ce que la théorie newtonienne ne pouvait pas expliquer. O r la théorie d'Eins­tein prédit ce déplacement et en donne la mesure exacte, 42 secondes par siècle. C'était là une preuve éclatante de la valeur de la théorie. O n dit d'ailleurs que cette confir­mation n'a pas autrement surpris Einstein lui-même, tant il était sûr que sa théorie était juste.

Par ailleurs, chez Einstein, la théorie de la gravitation exige que la lumière passant à proximité d u Soleil soit défléchie. L a théorie de N e w t o n exige aussi une déflexion, mais d'une portée inférieure de moitié à celle que prédit la théorie d'Einstein. O n peut donc vérifier la théorie d'Einstein en observant les étoiles situées au-delà du Soleil et dont la lumière est passée à proximité de celui-ci

pour nous atteindre ; c'est la vérification expérimentale numéro 2.

Ces observations-là ne sont possibles qu'en cas d'éclipsé totale du Soleil, faute de quoi la lumière solaire empêche de voir les étoiles. Il y eut une éclipse totale en 1919 et deux expéditions, organisées par Eddington — qui en dirigea d'ailleurs une — furent chargées de l'observer. Les deux équipes obtinrent des résultats qui confirmaient la théorie d'Einstein et infirmaient celle de Newton . L a précision de la confirmation, toutefois, n'était cependant que moyenne , en raison de la difficulté inhérente à ce genre d'obser­vation. Depuis cette date, des observations similaires ont été faites lors d'éclipsés totales ultérieures et la théorie d'Einstein a toujours été vérifiée, encore que la précision de la vérification n'ait pas été aussi grande qu'on l'eût souhaité.

Les vérifications expérimentales se prêtent à d'autres confirmations

L a découverte de radio-sources a fourni un autre m o y e n de procéder à la vérification expérimentale numéro 2, en utilisant les ondes radio au lieu des ondes lumineuses. Il faut alors avoir une source émettrice d'ondes radio située derrière le Soleil. Il suffit d'at­tendre que le Soleil passe à proximité de la trajectoire de ces ondes et d'observer si elle est défléchie. Il n'est pas indispensable d'at­tendre une éclipse solaire totale, le Soleil n'étant pas lui-même une radio-source très puissante.

L e recours aux ondes radio au lieu des ondes lumineuses se complique du fait que les premières sont défléchies par la couronne solaire. Mais on peut faire les observations pour deux longueurs d'onde différentes : la déflexion imputable à la couronne solaire étant différente pour chacune d'elles, on peut alors isoler celle qui correspond à l'effet Einstein. L e résultat de l'expérience confirme la théorie d'Einstein, avec une précision bien plus grande qu'avec les ondes lumineuses.

L e troisième m o y e n de vérifier la théorie

12 Paul A . M . Dirac

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d'Einstein est d'observer le déplacement des raies spectrales vers le rouge, causé par l'action d'un potentiel de gravitation en leur point d'origine. L e mieux pour cela est manifestement d'examiner la lumière émise par la surface d u Soleil. Toutefois, le phéno­m è n e est masqué par l'eifet Doppler d û au déplacement de la matière émettrice. Si l'on évalue l'eifet Doppler, on obtient une confir­mation approximative de la théorie d'Eins­tein, mais trop grossière pour avoir vraiment valeur de vérification.

L a découverte des étoiles naines blanches fournit u n meilleur m o y e n de vérifier le m ê m e effet. Chez une naine blanche, la matière est si dense que le potentiel de gravi­tation à la surface est très grand, de sorte que le déplacement vers le rouge est lui aussi important. Dès lors qu'on connaît assez bien la naine blanche pour déterminer sa masse et son rayon, on dispose alors d'un bon m o y e n de vérifier la théorie d'Einstein et cette vérification confirme bien la justesse de cette théorie.

L e m ê m e effet peut aussi être vérifié au m o y e n d'expériences terrestres, c o m m e l'ont montré R . V . Pound et G . A . Rebka. O n installe dans un laboratoire u n émetteur d'ondes électromagnétiques et l'on observe celles-ci à un endroit situé à u n niveau plus bas que le lieu d'émission et où le potentiel de gravitation est donc moindre. L e mieux, aux fins de cette expérience, est de se servir de rayons g a m m a d'une fréquence déter­minée. O n constate que la fréquence est accrue par la modification du potentiel de gravitation. L a mesure de cet accroissement confirme la théorie d'Einstein, avec une préci­sion plus grande qu'aucune autre vérifica­tion astronomique ne le permet pour cet effet.

Davantage de moyens de vérification

O n dispose désonnais et depuis peu, en sus des trois vérifications classiques, d'un qua­trième m o y e n de vérification expérimentale. Il s'agit ici du temps que met la lumière pour

passer à proximité du Soleil. L a théorie d'Einstein postule un retard. O r celui-ci peut être observé quand on projette des ondes radar sur une planète située au-delà du Soleil et qu'on enregistre le temps que prennent les ondes réfléchies pour revenir sur la Terre. Q u a n d on utilise des ondes radar, ce retard est modifié par l'action de la couronne solaire et, ici aussi, il faut se servir de deux longueurs d'onde différentes pour dissocier l'effet de la couronne de l'effet Einstein.

Les observations faites par I. I. Shapiro ont permis à celui-ci d'obtenir une bonne confirmation de la théorie d'Einstein.

L'observation de pulsars binaires fournit également des preuves positives de la théorie d'Einstein. U n pulsar émet par impulsion des ondes radio qui sont normalement d'une extrême régularité. Cependant, si le pulsar fait partie d'un système binaire, sa rotation autour de l'autre étoile introduit dans l'émis­sion des irrégularités — dues à l'effet Doppler lié au mouvement de l'étoile et aussi à l'effet de précession d'Einstein, semblable à l'effet dont nous avons parlé pour la première vérification expérimentale, lequel agit sur l'orbite décrite par le pulsar autour de son compagnon. Cet effet est en l'occurrence très marqué , beaucoup plus que dans le cas de Mercure.

Ces observations confirment la théorie d'Einstein d u point de vue qualitatif mais on ne peut pas opérer de vérification quanti­tative parce qu'on n'en sait pas assez sur les paramètres du système binaire.

J'ai énuméré les résultats positifs qui véri­fient la théorie de la gravitation d'Einstein. L a liste en est longue et impressionnante. Dans tous les cas la théorie d'Einstein se trouve confirmée avec plus ou moins de précision selon le degré de précision des observations et selon les incertitudes liées à celles-ci.

L'excellence de la théorie de la gravitation d'Einstein 13

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La théorie d'Einstein est-elle juste dans tous les cas?

Soulevons à présent la question qui se pose­rait à supposer qu'une contradiction, dû­ment vérifiée et dûment étayée, apparaisse entre la théorie et l'observation. C o m m e n t faudrait-il réagir ? C o m m e n t Einstein lui-m ê m e aurait-il réagi ? Faudrait-il alors consi­dérer que la théorie est fondamentalement erronée ?

Je serai catégorique : à cette dernière question, il faut répondre non. L a théorie de la gravitation d'Einstein a une vertu d'excel­lence qui lui est inhérente. Quiconque est sensible à l'harmonie fondamentale qui rat­tache le cours de la nature à de grands prin­cipes généraux de mathématique est néces­sairement convaincu qu'une théorie dotée de la beauté et de l'élégance dont la théorie d'Einstein est empreinte est obligatoirement juste pour l'essentiel. Si une contradiction apparaît lors d'une application quelconque

de la théorie, elle ne peut être imputable qu'à quelque élément secondaire qui se rap­porte à cette application et n'a pas été pris suffisamment en considération, et non à une défaillance des principes généraux de la théo­rie. Celle-ci inspire une grande confiance du fait de sa grande beauté, tout à fait indépen­d a m m e n t des confirmations de détail qui sont autant de preuves à son actif.

C'est très certainement cette confiance dans la beauté fondamentale de la descrip­tion mathématique de la nature qui a dû inspirer Einstein dans sa quête d'une théorie de la gravitation.

Lorsque Einstein travaillait à la mise au point de sa théorie de la gravitation, il n'essayait pas de donner u n compte rendu de résultats ou d'observations. Loin de là. Il cherchait surtout une belle théorie, une hypothèse telle que la Nature l'aurait établie. Bien sûr il faut être u n véritable génie pour pouvoir imaginer c o m m e n t la nature devrait être en y pensant d'une manière abstraite seulement. Einstein en était capable. D

14 Paul A . M . Dirac

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Einstein — esprit ouvert, cœur ouvert A m a d o u - M a h t a r M ' B o w

[L']immense courage intellectuel [d'Einstein] tirait sa force de la conviction profonde que l'univers physique était régi par une harmo­nie que l ' h o m m e pouvait saisir et refléter dans un modèle mathématique. Cette fasci­nation pour l'harmonie se retrouve dans l'amour qu'Einstein portait à la musique. Il voyait en elle, c o m m e Leibnitz, « . . . l'imi­tation de cette harmonie universelle que Dieu a mise dans le m o n d e ». L a musique était pour lui, c o m m e la physique, une des voies royales qui s'ouvrent à l 'homme pour explorer la beauté vers laquelle il tend de tout son esprit et de tout son cœur.

Mais à l'harmonie de l'univers doit ré­pondre la concorde parmi les h o m m e s . L'as­piration à cette concorde a été la troisième grande passion d'Einstein. Personne ne l'a aussi bien décrite que Leopold Infeld, qui fut le plus proche collaborateur du grand savant. Dans des pages d'une piété presque filiale, il écrit : « J'ai certainement appris d'Einstein l'essentiel de ce que je connais en physique. Mais ce dont je lui suis le plus redevable, c'est de son exemple moral et éthique. Car Einstein était tout simplement l 'homme le plus généreux que j'aie jamais connu. Toute sa vie était une communion ardente avec les autres, cette communion qui nourrit tout ce qui est grand et noble en l ' h o m m e , et qui jaillit à la fois de l'âme et de

l'intellect. Il sentait, avec toute sa lucidité et toute sa générosité, que la sérénité de chacun de nous est conditionnée par l'accomplisse­ment de son devoir envers tous ses sem­blables et avant tout envers ceux qui soutirent. »

C'est ainsi que cet h o m m e qui eut un sens si aigu de la nécessité des lois naturelles a aussi été m û par une passion, tout aussi forte de l'inaliénable liberté humaine. D ' u n côté, la recherche systématique de l'ordre intime des choses contre toute marge d'in­certitude, de l'autre la défense systématique d u génie créatif de l 'homme, contre toute forme de servitude ou de coercicion. C'est parce qu'il était convaincu que cette liberté, et elle seule, était susceptible de percer la mystère organisé du m o n d e , qu'il ne dissocie jamais l'aventure de l'esprit de celle de l'émancipation humaine et qu'il n'épargna ni son temps ni son énergie pour le prouver dans ses actes. D

Extrait de l'allocution prononcée à l'Université de Munich par M . Amadou-Mahtar M ' B o w , directeur général de l'Unesco, à l'occasion du Symposium sur l'influence des idées scientifiques modernes sur la société, qui s'est tenu à Munich et à U l m (République fédérale d'Allemagne), du 18 au 20 septembre 1978.

impact : science et société, vol. 29 (1979), n° 1 IS

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Logique, faculté d'abstraction et engagement : Albert Einstein, physicien et humaniste Yuval N e ' e m a n

Nous commencerons par voir, à la lumière des connaissances actuelles, quelles ont été les principales contributions d'Einstein à la physique. Nous examinerons ensuite la nécessité de parvenir à la formulation d'une théorie cohérente ainsi que l'importance d'une telle opération, et dans quels cas cela est impossible. Nous étudierons le rôle que jouent les principes d'invariance et le processus d'abstraction. Nous terminerons par les interven­tions d'Einstein dans des domaines non scientifiques tels que le pacifisme, la lutte contre le nazisme, l'abandon des armes nucléaires et le sionisme.

Stature de l'homme

C'est toujours avec une profonde émotion que je regarde le dessin d'Herblock paru dans le Washington Post, u n jour d'avril 1955. Il montre une vue générale de l'univers, dans lequel flottent des quantités de pla­nètes. L'une d'elles est spéciale car elle porte l'inscription « Ici a vécu Albert Einstein ».

D e tous les cerveaux qui ont contribué aux progrès de l'humanité depuis les débuts de l'histoire qui nous est connue, Albert Eins­tein est unique en son genre. Ainsi, Herblock a représenté les deux cents générations, dont celle d'Einstein, qui se sont succédé sur terre par u n ensemble de deux cents planètes qui n'ont, sauf une, pas accueilli d'Einstein. Cette façon poétique de traduire une idée abstraite nous parle à l'esprit de manière plus subtile et plus profonde que des mots ne le feraient. (La linguistique moderne étudie d'ailleurs ce genre de phénomène.) D'après moi , l'effet se fait sentir plus fort parce que le procédé utilisé engendre des associations d'idées nombreuses et sugges­tives. Dans ce qui suit, nous pourrons d'ail­

leurs évaluer la force d'abstraction dans le contexte scientifique.

Pour que le lecteur peu versé en physique puisse apprécier à sa juste valeur le poème en images d'Herblock, je m e dois de lui fournir quelques explications sur les travaux d'Einstein. E n fait, quelle qu'ait été l'in­fluence de ce dernier dans d'autres domaines — aussi importants qu'ils soient (qu'il s'agisse du pacifisme, du sionisme, de l'usage de la b o m b e atomique ou de l'abandon des armes nucléaires) — il n'a gagné la place qu'il occupe dans l'histoire que grâce à ses découvertes en physique. L e reste reflète, certes, une partie importante de sa person­nalité — celle d'un savant engagé — mais dont l'efficacité était avant tout due à sa stature de savant. Ceci est également vrai pour ses autres centres d'intérêt tels que la philosophie, la musique, etc. C'est vrai en philosophie par exemple, m ê m e si ses tra­vaux sur la conception du temps et de l'espace-temps ont anéanti le rôle historique particulier joué par cette discipline en tant que science ersatz tout c o m m e les idées de Copernic et de Galilée ont détruit les belles théories de l'Église. Celle-ci s'est par la suite

impact : science et société, voï. 29 (1979), n° 1 I?

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Mouvement brownien et relativité • Yuval N e ' e m a n

Titulaire de la Wolf son Chair Extraordinary de physique théorique de V Université de Tel-Aviv, le professeur Ne'eman a commencé sa carrière comme ingénieur en mécanique. Après son service militaire, il étudia la physique sous l'égide du professeur Abdus Salam à l'Impérial College de Londres. Il s'intéresse particulièrement à la symétrie des particules et sa première contribution à cet effet fut l'invention du modèle de l'octet (proposé simultanément, bien qu'indépendamment, par Murray Gell-Mann). L'adresse de l'auteur est la suivante : Department of Physics and Astronomy, Tel-Aviv University, 61390 Tel-Aviv (Israël).

sagement cantonnée dans le domaine de l'éthique, où elle savait trouver pendant quelque temps une source de doctrine plus sûre. (Bien entendu, il lui fallait se prononcer sur les découvertes scientifiques et techni­ques — contrôle des naissances, instrumen­tation biologique, etc. — et essayer de trou­ver les réponses les plus satisfaisantes sur le plan éthique pour ne pas basculer dans un humanisme plus facile.) D e m ê m e , la philo­sophie postérieure à Einstein a abandonné la métaphysique et l'évaluation directe des principes naturels aux sciences appropriées et s'est retranchée dans l'épistémologie et l'étude de la méthode scientifique. Elle est, à ce sujet, parvenue à de bons résultats, et à élargir notre compréhension. Quant aux autres disciplines philosophiques, disons que la logique a été incluse, après Cantor, dans les mathématiques et que depuis u n siècle la politique fait partie des sciences sociales. L'esthétique et l'éthique sont restées là où la méthode scientifique n'a pas encore réussi à s'imposer.

18 Yuval N e ' e m a n

Si ses travaux en physique s'étaient révélés moins originaux, moins profonds et de moindre envergure, ils s'avèrent si nombreux et si divers qu'Einstein serait quand m ê m e apparu c o m m e u n grand savant. E n effet, ils touchent à la plupart des sujets et des do­maines traités jusqu'aux années trente. E n thermodynamique, c'est lui qui a eu l'idée, en m ê m e temps que W . Gibbs — quoique indé­pendamment de lui — d'appliquer la statis­tique à la mécanique. E n ce qui concerne la théorie des quanta, il a défini, avec M a x Planck, la notion de quantum d'action et relancé la théorie corpusculaire de la lumière qui aboutira plus tard à l'expression de la dualité ondes-corpuscules. C'est dans le cadre de ces recherches qu'il a établi (en m ê m e temps que S. N . Bose, mais séparé­ment) la méthode statistique reposant sur Pindiscernabilité des particules identiques et expliqué l'effet photo-électrique sur lequel repose par exemple le système d'entrée dans une banque ou le fonctionnement d'un as­censeur. Toutefois, ce ne sont là que quel­ques-uns de ses travaux les moins impor­tants. A u cours d'une conversation récente avec un professeur en sciences des matériaux sur les nouveaux « matériaux complexes » qui sont devenus très importants en aéronau­tique, par exemple, j'ai appris que la manière de les étudier repose sur le premier mémoire d'Einstein, qui portait sur le mouvement brownien (dans les deux cas, il s'agit d'un cœur de matériau A enveloppé dans une couche protectrice de matériau B ) .

Les contributions les plus marquantes d'Einstein aux sciences physiques ont été ses théories sur les relativités restreinte et géné­ralisée. N o u s verrons plus tard dans le détail quelles leçons on peut en tirer dans le domaine de l'épistémologie et de la métaphy­sique, mais nous dirons tout de suite qu'il a traité des propriétés fondamentales de l'es­pace et du temps et les a complètement modifiées. A propos du rôle joué par Einstein lui-même, d'aucuns ont dit que la relativité

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restreinte aurait été découverte dans l'année soit par Lorentz soit par Poincaré si elle ne l'avait été par lui. L e sujet devait être étudié en grande priorité ; il fallait expliquer le résultat négatif obtenu lors d'une expérience (l'essai de A . Michelson et E . W . Morley de mesurer la vitesse de déplacement de l'éther). G . F . Fitzgerald et H . A . Lorentz avaient déjà calculé la contraction « apparente » des longueurs dans u n interféromètre et Poincaré avait exprimé sous forme mathématique la transformation nécessaire. C e qui manquait, c'était la notion la plus difficile à concevoir, celle de la dilatation des durées. Einstein l'a trouvée, et il a modifié en m ê m e temps l'interprétation de toute la transformation : plutôt que de parler de manière artificielle d'un changement « apparent » ou « effectif » de matière d û à l'action de forces de des­truction internes, il s'est rendu compte que celles-ci n'étaient tout simplement que les propriétés propres de l'espace-temps, le cadre géométrique dans lequel nous vivons. A u lieu d'un système euclidien ou galiléen, la théorie utilise la vitesse de la lumière (les philosophes n'auraient jamais deviné que celle-ci serait étudiée de préférence à celle d u son, par exemple). C'est l'ancien profes­seur d'Einstein, H . Minkowski, qui a donné à la théorie d'Einstein sa forme m a t h é m a ­tique définitive. Tout repose sur le principe que la vitesse de la lumière doit être la m ê m e pour tous les observateurs se déplaçant à une m ê m e vitesse. L e rôle d'Einstein à ce moment-là (il avait vingt-six ans en 1905, lorsqu'il publia une série de cinq articles de la plus grande portée) a donc été des plus importants, quoiqu'il soit possible d'ad­mettre que d'autres auraient fait les m ê m e s découvertes en 1908 ou 1910.

Un centre d'intérêt

L'histoire de la théorie d'Einstein sur la gravitation (« la théorie de la relativité géné­ralisée ») est très différente. Il y a travaillé pendant dix ans avant de la publier en 1916. Il était parvenu à résoudre certains points

quelques années plus tôt et avait alors publié ses résultats. Il avait été aidé dans ses recherches par u n ancien camarade d'univer­sité spécialisé en mathématiques, Marcel Grossmann, et par u n des plus grands mathé­maticiens de notre époque, David Hubert. Pourtant, c'est Einstein lui-même qui s'est obstiné dans la poursuite des travaux et qui a construit petit à petit toute sa théorie. Celle-ci constitue probablement la recherche la plus brillante jamais effectuée par un savant. Il ne faut pas oublier que l'adaptation de la théorie de la gravitation de Newton aux exigences de celle de la relativité restreinte consistait en une tâche purement intellec­tuelle. Aucune expérience ne demandait à être expliquée de manière urgente. L'entre­prise apparaissait alors trop difficile pour beaucoup de savants.

Et lors de la formulation de la nouvelle théorie, la compréhension conceptuelle de l'espace-temps et de la matière sur laquelle elle se basait en 1905-1906 dut encore être modifiée! Einstein s'est servi du principe de N e w t o n sur l'égalité entre la masse inerte et la masse pesante qui, vérifié expérimentale­m e n t avec une grande précision, ne fit que stimuler son désir d'aboutir à u n résultat. Il avait compris par intuition la nécessité d'uti­liser le « principe de M a c h », considération philosophique non prouvée scientifiquement, énoncé par Ernst M a c h avant la relativité et selon lequel les forces d'inertie sont elles-m ê m e s le résultat de l'interaction de la gravitation avec les masses distantes de l'uni­vers. Sachant cela, nous pouvons dire que, sans Einstein, il aurait fallu attendre au moins une cinquantaine d'années encore la théorie de la relativité généralisée. Elle aurait m ê m e très bien p u ne jamais être énoncée du tout, car elle se rapproche de certaines de nos théories courantes — qui se basent toutefois sur la relativité générale.

De la relativité à la cosmologie

N o u s nous trouvons de nos jours face à plusieurs cas de systèmes incompatibles : par

Albert Einstein, physicien et humaniste 19

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exemple, celui de la gravitation et de la mécanique des quanta. Cela fait cin­quante-trois ans qu'un grand nombre de savants essayent de résoudre le problème et nous n'en s o m m e s peut-être plus très loin. Je crois que la liaison entre la physique de N e w t o n et la nouvelle cinématique de la relativité restreinte (respectée dans la théo­rie électromagnétique de Faraday et Maxwell) constitue une tâche d u m ê m e genre ; or celle-ci a été entreprise il y a moins de dix ans et pratiquement par un seul chercheur. E n outre, la théorie a supporté toutes les expériences réalisées ces soixante-trois der­nières années. Elle n'a pas été modifiée alors que tout le reste a d û être remanié ou complété. Elle apparaît en elle-même d'une extraordinaire beauté, elle dépasse Chartres ou le Taj Mahal par sa simplicité m o n u ­mentale mais écrasante. Il est très rare de rencontrer des mots tels qu' « esthétique », « beauté », etc., dans les manuels de phy­sique théorique. Je peux donc m e permettre de dire que les sentiments que j'exprime ici ont dû être ressentis par un bon n o m ­bre de physiciens sinon par tous, c o m m e le montre cette phrase relevée dans le cé­lèbre et excellent manuel de L . D . Landau et E . M . Lifshitz (écrit à part cela dans un style extrêmement abstrait et impersonnel) : « La théorie des champs de gravitation, qui repose sur celle de la relativité, s'appelle la théorie de la relativité généralisée. Elle a été établie par Einstein (et formulée ensuite par lui en 1916) et elle est probablement la plus belle [souligné par moi] de toutes les théories existantes en sciences physiques. Il est remarquable qu'Einstein ait pu éla­borer par simple déduction une théorie qu'ont confirmée à posteriori des observations astronomiques. »

Après la relativité générale, Einstein a in­venté en 1917 la cosmologie. C e domaine a été très étudié ces quinze dernières années grâce au nouveau matériel d'observation mis au point. U n e nouvelle théorie cosmogoni-que qui modifie celle d'Einstein (celle de 1' « état stationnaire ») a été avancée par un

groupe de savants britanniques en 1948, mais bien que devenue alors très populaire, au­cune observation n'a pu la justifier et les équations d'Einstein en la matière restent toujours valables.

Einstein s'est attaché, au cours des vingt dernières années de sa vie, à essayer de réu­nir sa théorie de la gravitation et celle de Pélectromagnétisme en une seule sans y par­venir. Depuis 1976, les chances d'abou­tir semblent s'améliorer et les résultats d'Einstein montrent bien qu'il était sur la bonne voie, car il avait déjà prévu certains aspects des recherches actuelles.

La logique scientifique

N o u s venons donc de voir que la plus im­portante contribution d'Einstein à la science a été la présentation d'une théorie plus gé­nérale et plus fondamentale dans laquelle se trouvent reliées la mécanique de Newton , basée sur une cinématique galiléenne sans vitesse préférée (et sur l'action à distance), et la cinématique fondée sur le principe de la relativité restreinte qu'il a lui-même dé­couvert, c o m m e celle de l'électromagnétisme de Faraday-Maxwell. Ces deux théories dif­férentes étaient justement considérées aupa­ravant c o m m e répondant à l'idéal de cons­truction sur le plan axiomes et déductions et à l'idéal d'esthétique que doit satisfaire une théorie physique.

L a plupart des travaux de physique théo­rique essayent de résoudre u n problème d'incompatibilité entre deux systèmes, quoi­que sur une échelle différente. Voilà c o m ­ment cela se passe généralement : un savant disposant d'une certaine théorie fait une nouvelle observation qui ne semble pas la confirmer. Quelquefois cette observation ré­sulte d'une expérience entreprise pour vé­rifier la validité de la théorie dans un esprit — c o m m e dit K . Popper — de « falsifica­tion ». Elle entraîne habituellement une m o ­dification de la théorie qui se traduit par l'affaiblissement d'un de ses postulats. U n nouveau paramètre non vérifié est introduit.

20 Yuval N e ' e m a n

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Dans certains cas ( comme lors de la décou­verte fondamentale de l'asymétrie de la ré­versibilité d u temps en 1964) il faut faire intervenir une force entièrement nouvelle. A la suite du résultat négatif de l'expérience de Michelson et Morley, c'est notre concep­tion de l'espace-temps qu'il a m ê m e fallu entièrement transformer. Toutefois, en ce qui concerne la relativité généralisée, le pro­blème était de tout autre envergure : il s'agissait de concilier deux théories solides et bien établies. Voilà pourquoi il fallait trouver une solution si approfondie. Q u ' u n e solution puisse être dégagée constitue d'ail­leurs en soi un détail épistémologique extrê­m e m e n t important.

Tout le succès du programme scientifique en dépend. Il est difficile de comprendre à priori pour quelle raison le m o n d e phy­sique devrait être bâti selon u n schéma mathématique m ê m e si nous croyons à la puissance de la logique et savons que les m a ­thématiques en sont la preuve la plus évidente. Les éléments qui composent le m o n d e pour­raient être intimement mêlés et si actifs qu'il n'y aurait aucun m o y e n de garantir l'exis­tence d'un système mathématique cohérent capable de le décrire complètement à partir des observations faites par les savants. E n fait, c'est généralement pour cela que les diverses disciplines restent comparti­mentées.

Par exemple, nous avons maintenant dans l'équation formulée en 1925 par Schroedinger en mécanique quantique une équation ca­pable en principe de décrire correctement n'importe quel atome ( m ê m e celui de l'ura­nium avec ses 239 protons et neutrons et ses 92 électrons en orbite) ou n'importe quelle molécule ( m ê m e l ' A D N avec ses millions d'atomes). Toute la chimie et peut-être la biochimie reposent donc sur cette seule équa­tion. Pourtant les calculs deviennent irréali­sables au-delà de deux ou trois électrons ou nucléons (protons et neutrons). N o u s devons nous contenter de savoir que le problème n'en est pas u n de principe mais de calculs réels et la chimie reste basée sur la structure

complexe de la matière. E n fait, G . F . C h e w avait émis l'hypothèse, au début des années soixante, qu'une telle situation était due aux Fortes Interactions (les forces de liaison du noyau), mais les recherches effectuées au cours de la présente décennie ont permis de progresser dans ce domaine.

Toujours plus de différences

Il est concevable que des théories portant sur des éléments ou des aspects fondamen­talement différents puissent être difficiles à harmoniser. L'exploit d'Einstein nous per­met de penser qu'il n'en est rien et qu'en poussant plus avant les recherches, nous pourrions arriver à dégager une structure cohérente. D e nos jours, certaines théories nous semblent si éloignées l'une de l'autre qu'elles apparaissent inconciliables et il est bon de savoir qu'il faut persévérer dans ses efforts plutôt que de se contenter de connais­sances fragmentaires.

L a mécanique des quanta et la relati­vité restreinte fournissent justement un bon exemple de théories tout à fait différentes qui furent harmonisées en 1948, après vingt ans de dur labeur. Toutefois, m ê m e si les plus grands physiciens de l'époque ont par­ticipé aux travaux—Dirac, Pauli, Weisskopf, F e y n m a n , Schwinger, Tomonaga , Dyson — pour n'en citer que quelques-uns, le résultat n'a pas le « fini » d'Einstein. L a théorie m a n q u e de fondements mathématiques. Elle fonctionne merveilleusement bien et produit les résultats des plus précis dans n'importe quelle science, mais les calculs impliquent la suppression de quantités infinies de chaque côté de l'équation, ce qui veut dire que l'opération n'est guère valable mathémati­quement. Il est certain que la théorie mérite qu'on lui donne une meilleure assise, m ê m e si les résultats pratiques sont déjà satisfai­sants. Des travaux en ce sens ont débuté en 1948 qui se sont intensifiés depuis le milieu des années cinquante, mais ils n'ont encore débouché sur rien de positif.

Il faudrait aussi concilier la théorie de

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la gravitation avec celles qui portent sur d'autres interactions (ou forces) se manifes­tant dans la nature : l'électromagnétisme, les faibles interactions (de petite portée) de Fermi ( c o m m e la baisse de radio-activité bêta) et les fortes interactions (aussi de petite portée, mais qui sont responsables de la cohésion des nucléons dans le noyau). Toutes ces préoccupations sont reliées aux derniers travaux, inachevés, d'Einstein. Nous avons récemment découvert (1960-1973) ce qui pourrait peut-être s'avérer la combi­naison ad hoc des interactions faibles et électromagnétiques. Les résultats concer­nant une interaction « électro-faible » cohé­rente sont très satisfaisants en 1979 mais c'est vers 1982 qu'aura lieu l'expérience cruciale. Il s'agit, je le répète, d'un mariage réalisé dans u n but pratique, qui ne pré­sente pas l'aspect esthétique des travaux d'Einstein. C'est ce succès qui a encouragé bon nombre d'entre nous à rechercher les autres liens manquants entre les interac­tions. Beaucoup d'entre nous se consacrent en particulier à l'étude d'un nouveau lien possible entre la gravité et les autres forces, ce qui permettrait en m ê m e temps de sup­primer l'incompatibilité entre la relativité généralisée et la mécanique des quanta. Cette perspective (la « supergravité ») est bien belle en elle-même, mais elle n'a pas encore permis d'aboutir à de bons résultats pratiques et les recherches se poursuivent donc.

Principes d'invariance et géométrisation

Dans ses théories sur les relativités res­treinte et généralisée, Einstein s'est servi des principes d'invariance. E . Whittaker les appelait « principes d'impuissance », bien qu'à en juger par les résultats ce n'était pas quelque chose dont ils souffraient. « Il est impossible de choisir un système de réfé­rence particulier dans l'espace-temps », c'est ainsi qu'Einstein énonçait son postulat d'in­variance, d'abord pour des « systèmes inertes » seulement (relativité restreinte)

puis « non inertes » (c'est-à-dire accélérés) en relativité généralisée. Dans le premier cas, son application a conduit à la formulation de restrictions cinématiques qui se sont expri­mées dans dix lois de conservation (moment énergie et m o m e n t angulaire généralisé). E n fait, d'après u n théorème démontré par E . Noether, une étudiante d'Hubert qui deviendra ensuite une collègue (bien que la Faculté de Göttingen lui ait refusé une chaire sous prétexte qu'il n'y avait que des toilettes pour h o m m e s dans le bâtiment d u conseil de l'université) à chaque invariance (ou symé­trie) correspond une loi de conservation et vice versa.

L e contenu négatif du postulat d'impuis­sance constitue en fait la généralisation la plus hardie de la nouvelle théorie. Pour obtenir quelque chose de cohérent, il faut se doter d'un fondement plus large, c'est-à-dire la simplicité. O n la trouve en admettant cette impossibilité de choisir un système de réfé­rence plutôt qu 'un autre. C'est cela la sim­plicité. Toutefois, pour que des généralisa­tions aussi absolues puissent s'appliquer aux lois de la nature, nous devrons peut-être développer considérablement nos connais­sances en dynamique. E n ce qui concerne la relativité généralisée — et récemment toutes les gauge theories qu'elle a inspirées — c'est ce qui se passe. Les principes d'invariance sont plus sûrs, « locaux » — local voulant dire ici que nous pouvons changer de sys­tème de référence en différents points de l'espace-temps. Tout postulat de ce genre suppose l'existence en tout point d'un nou­veau « c h a m p » qui compense et annule entièrement les changements que nous pro­duisons en appliquant arbitrairement notre liberté de choix à chaque point. Tel est le rôle que joue le c h a m p de gravitation ; celui du champ électromagnétique (ou peut-être « l'interaction électro-faible ») est semblable aussi. N o u s pouvons apprécier directement ces forces mais la justification de leur pré­sence (et la compréhension de leur action dans son ensemble) exige la reconnaissance de leur rôle de gardien de la simplicité par

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l'intermédiaire d'une relativité à la Leibnitz (ou libre choix d u système de référence) appliquée localement à l'espace-temps.

L'autre procédé nouveau dont s'est servi Einstein est celui de la géométrisation. Avec sa théorie de la gravitation, toute la physique peut se traduire par des mouvements dans u n espace-temps courbe. Cette courbure est une autre manifestation des m ê m e s tensions et forces de compensation mentionnées à l'alinéa précédent. N o u s avons justement constaté récemment que c'est dans u n tel contexte que se situent toutes nos nouvelles gauge theories. C'est Einstein qui a lancé cette idée de géométrisation et pendant quelque soixante ans il a semblé que seule la gravi­tation s'y plierait, toutes les autres forces se faisant sentir dans des directions différentes. Brusquement, tout change et il semble que c'est vers la géométrie que nous nous diri­geons tous.

Faculté d'abstraction

L e cerveau d'un physicien est constamment déchiré entre le désir de ne pas s'éloigner des perceptions et des observations et le besoin de disposer d'une formule abstraite obtenue par généralisation. Si chaque observation devait entraîner l'établissement d'une théo­rie, la science pourrait en rester à ce niveau, mais si une théorie veut reposer sur le plus grand nombre possible d'observations, il lui faut abandonner le m o n d e concret et s'élever au-dessus de lui pour mieux le survoler. Aristote essayait d'éviter l'abstraction en physique et étudiait des mouvements qui étaient tous tirés de la vie quotidienne et, par conséquent, soumis à des forces de friction. D a n s de telles circonstances, G . G . Stokes a calculé dans la première moitié du siècle passé que la force est pro­portionnelle à la vitesse « finale ». Aristote posait donc c o m m e postulat une telle loi — qui était simple en apparence mais qui décrivait une situation qui ne l'était pas. Cette loi sur la proportionnalité force-vitesse aurait très bien pu ne pas être

généralisée et la science en serait restée là. N e w t o n est arrivé qui a imaginé le vide et

énoncé ses lois dans ce milieu « non naturel ». Ses méthodes simples convenaient à cette image simple et il put en tirer une formule abstraite. « L a force est proportionnelle à l'accélération » est u n énoncé se prêtant à la généralisation, qui n'implique l'intervention d'aucune force particulière (la friction dans le cas d'Aristote). Einstein a suivi le m ê m e chemin et il est parti d'une représentation très abstraite de la généralisation s'appli-quant à un ensemble très divers. Il est par­venu aux buts qu'il s'était fixés, notamment le principe de M a c h , et sa faculté d'abstrac­tion lui a m ê m e permis d'aller au-delà. La théorie de la relativité traite de situations (telles que 1' « univers » de Gödel, u n univers dans lequel le temps est un phénomène cyclique) qui dépassent les buts intuitifs d'Einstein (notamment les univers non macbiens). E n fait, c'est Einstein lui-même qui a commencé à vérifier dans quelle mesure sa théorie de la gravitation pouvait être une théorie de l'univers (une théorie cosmo-gonique).

Pour réaliser u n tel saut dans l'abstraction, le scientifique imaginatif doit quelquefois se libérer — et nous libérer — de certaines notions préconçues, si celles-ci résultent de perceptions sensorielles, d'un conditionne­ment et de préjugés. C'est ce qui s'est sou­vent passé, par exemple en admettant que la Terre soit ronde (une vieille idée des Grecs, oubliée à l'époque médiévale mais réintro­duite au temps des découvertes). Copernic et Galilée ont dû se battre de toutes leurs forces pour replacer la Terre près du Soleil au centre du système planétaire. Darwin s'est heurté à des préjugés lorsqu'il a annoncé que l ' h o m m e descendait d u singe. L'apport ré­volutionnaire d'Einstein a été de détrôner Cronos, le temps immuable. Aujourd'hui encore, vous trouverez des défenseurs de la notion traditionnelle de temps, car ils n'ont pas assimilé le message malgré le n o m b r e écrasant d'observations venues nous le confirmer. N'oubliez pas non plus que, si

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une bonne théorie doit reposer sur des abstractions, elle doit aussi être verifiable expérimentalement, « falsifiable » pour e m ­ployer le terme de Popper. U n e théorie qui ne peut jamais se vérifier est dénuée de toute valeur scientifique. L a théorie d'Einstein sur la gravitation, théorie sur la relativité géné­ralisée, n'a été acceptée qu'après plusieurs expériences : le fléchissement de la lumière passant près du Soleil, l'avance du périhélie de Mercure, etc.

Qu'est-ce que l'abstraction scientifique peut avoir de c o m m u n avec le sens artistique dont nous avons parlé ? E h bien, elle peut exiger le m ê m e pouvoir d'imagination m ê m e si ses motifs et ses effets sont très diffé­rents. E n s o m m e , l'un résonne dans le sub­conscient alors que l'autre se vérifie par des calculs précis quoique la qualité esthé­tique des grandes théories touche aussi le subconscient.

Engagement

L a tradition veut que le savant travaille dans sa tour d'ivoire. Il ne fait aucun doute qu'au m o m e n t des recherches théoriques il a be­soin de tranquillité et le mathématicien, le physicien c o m m e peut-être bien d'autres intellectuels ne pourraient travailler s'ils devaient subir toutes les tracasseries de la vie quotidienne. Toutefois, il peut de temps «n temps prendre part à l'action et se désoler de voir ce qui se passe autour de lui. Dans bien des cas, le processus est irréversible mais c'est au savant lui-même qu'il incombe de décider s'il doit quitter sa tour d'ivoire ou y retourner.

Chez Einstein, c'est le sens de la justice et le souci de son prochain qui l'ont poussé à sortir de sa tour d'ivoire après 1914. L'écla­tement de la première guerre mondiale l'amena à prêter son n o m et à consacrer son énergie à la défense de la cause paci­fiste. Il ne comprenait pas la raison de cette guerre qui se livrait pour une question d'honneur et provoquée par l'assassinat d'un archiduc. D e Berlin m ê m e , il rédigea

avec Georg Nicolai un manifeste aux « Européens » qui transcendait les divers nationalismes.

Vers 1920, il se lança dans le sionisme et je discuterai de cet aspect de son engagement u n peu plus dans le détail pour des raisons personnelles évidentes. Pour en revenir au pacifisme, l'arrivée de la seconde guerre mondiale suscita chez lui une attitude diffé­rente. L'Allemagne nazie, notre ange exter­minateur, étendait sa domination sur toute l'Europe, répandant derrière elle le racisme et les persécutions et il était du devoir de tout h o m m e libre d'essayer d'arrêter et peut-être de repousser le fléau. Sur les ins­tances de Szilard et Wigner, il envoya sa fameuse lettre à Roosevelt qui décida ce dernier à ordonner la fabrication de la b o m b e atomique. Nul doute qu'il avait raison de craindre pour le destin d u m o n d e si les Nazis étaient parvenus les premiers. Hitler avait vu juste en pensant que l'utilisation d'une arme nouvelle pourrait lui faire gagner la guerre, et je m e souviendrai toujours de ces discours dans lesquels il parlait de « l'arme secrète » de l'Allemagne. Il se trouve qu'il s'était trompé dans le choix à faire, en consacrant ses forces à la construc­tion des fusées plutôt qu'à celle de la b o m b e atomique.

Après la défaite de l'Allemagne nazie, son sens de la responsabilité envers les h o m m e s amena Einstein à réclamer l'abandon des armes nucléaires dans un manifeste rédigé en collaboration avec Russell1. Il est ré­confortant de constater combien il pouvait se montrer à la fois moral et pragmatique. Il ne se comportait pas en intellectuel ou­vrant des yeux étonnés sur u n m o n d e étran­ger. Il comprenait les réalités de la vie et réévaluait continuellement la situation plutôt que de rester sur une position dogmatique.

Einstein et la vie politique

Il pouvait prendre des décisions courageuses et hardies c o m m e lors de son conflit avec Joseph McCarthy. Il fut alors une des rares

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personnes aux États-Unis à manifester son désaccord.

Venons-en au sionisme2. Il se rallia à cette cause entre 1914 et 1919, ayant abouti à la conclusion que la création d'un État juif en Palestine représentait vraiment le seul moyen de sauver les juifs. L e mandat attribué par la Société des Nations à la Grande-Bretagne dans le but explicite de faire de la Palestine le foyer national juif le remplit de joie3. « C e qui m e fait le plus plaisir, c'est la création de l'État juif en Palestine », écrivait-il à Ehren­fest. Il fit sa première visite en Amérique en tant que représentant du mouvement sio­niste, accompagné de C h a i m W e i z m a n n , le futur premier président d'Israël. Einstein était chargé de recruter le personnel et de trouver les moyens nécessaires à la création de l'Université hébraïque de Jérusalem. Il a d'ailleurs été plus tard n o m m é président du premier conseil d'administration de cette université.

Après 1921, Einstein participa activement au grand m o u v e m e n t sioniste en rédigeant un grand n o m b r e d'articles et en prononçant des discours. Outre le m o y e n de sauver les persécutés (qui est venu finalement trop tard pour 6 millions de juifs d'Europe centrale et de l'Est), il y examinait aussi l'effet que cela produirait sur les juifs de la Diaspora : « Je suis juif dans le sens que je réclame l'uti­lisation de la nationalité juive c o m m e celle de n'importe quelle autre. Je considère la nationalité juive c o m m e un fait... Je trouve que le désir de plus en plus fort des juifs de s'affirmer en tant que tels est aussi bien dans l'intérêt des non-juifs que dans le leur. C'est essentiellement pour cette raison que j'ai adhéré au m o u v e m e n t sioniste » (discours prononcé en Angleterre en 1921 à son retour d'un voyage en Amérique). O u encore il disait ceci : « C e qui m'attristera toujours, c'est de voir tant d'amis s'abaisser à désirer et à rechercher l'assimilation » ( m ê m e discours).

E n 1923, Einstein a visité la Palestine et noté dans u n journal tout ce qu'il ressentait alors. A Jérusalem, il a donné une confé­

rence et posé la première pierre de l'univer­sité. O n lui demanda de rester et de s'ins­taller à Jérusalem et il écrit à ce sujet dans son journal : « L e cœur dit oui mais l'esprit dit non. » Maintenant, je ne suis pas sûr que ce fût là la meilleure décision à prendre. Il est vrai que la Palestine était u n désert scien­tifique mais sa propre installation — peut-être dans les années trente — aurait accéléré le développement intellectuel d u pays et lui aurait permis encore de poursuivre ses travaux.

Les tentations du pouvoir

A Tel-Aviv, touché par l'enthousiasme popu­laire, il se joignit à un groupe de jeunes sionistes allemands en train de poser des briques dans un immeuble à usage d'habi­tation. Il apprécia cette expérience de travail manuel productif m ê m e s'il s'est souvent de­m a n d é par la suite si le retour des juifs à la Terre promise ne bloquerait pas les capa­cités intellectuelles qu'ils avaient acquises pendant la Diaspora.

Pendant les années trente et quarante, il s'est occupé de recueillir des fonds tout en s'intéressant aussi aux événements politi­ques. E n 1932, il a déclaré dans u n discours à Los Angeles : « L e sionisme nous offre une véritable occasion de mettre en pratique, par une solution viable du problème de la coexistence entre juifs et Arabes, les prin­cipes de tolérance et de justice que nous ont légués nos prophètes. » Souvent, il a ré­clamé u n compromis — mais sa voix ne rencontrait aucun écho de l'autre côté, où les sionistes étaient considérés c o m m e des in­trus. Lors des massacres de 1936-1939 et de l'invasion par six pays arabes en 1948, il prêcha la fermeté et la nécessité absolue de repousser l'agression.

E n 1952, à la mort de W e i z m a n n , il était naturel de demander à Einstein de lui suc­céder c o m m e président d'Israël. Il était de­venu véritablement u n symbole pour tous les juifs et les Israéliens, une personnalité unificatrice et u n lien entre tous. Il déclina

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l'offre craignant la tâche trop lourde et il écrivit : « J'en suis des plus désolés, car mes rapports avec le peuple juif sont devenus ce que j'ai de plus fort c o m m e lien qui

Notes

i. Cf. impact : science et société, vol. 26, n° 1/2, « Science et guerre », p. 17.

2. Les extraits des discours et du journal d'Einstein sont tirés de l'article de B . Hoffmann publié dans General relativity and gravitation ( G R 7 ) dont les directeurs de la publication sont G . Shaviv et J. Rosen, John Wiley and Sons, N e w York (1975), p. 233-242.

3. L a déclaration Balfour (1917) s'engagea à soutenir le peuple juif dans ses efforts pour la création d'un « foyer national » en Palestine, étant entendu que les « droits civils et religieux » des communautés

m'attache aux humains depuis que je m e suis rendu compte de l'existence précaire qu'il m è n e parmi les autres nations du m o n d e . » D

non juives de ce pays seraient respectés. Cf. aussi : The Universal Jewish Encyclopaedia (New York), vol. 8, 1948, p. 376-378.

Pour approfondir le sujet

C L A R K , R . Einstein, the life and times. N e w York, N . Y . , et Cleveland, World Publishing, 1971.

L A N C Z O S , C . The Einstein decade (1905-1915). N e w York, N . Y . , Academic Press, 1973 ; Londres, Paul Elek (Livres scientifiques) Ltd., 1974.

M A H E U , R . et al. Science et synthèse. Paris, Gallimard, 1967.

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Le cercle et la droite M o h a m m a d Allai Sinaceur

La « relativité » est une idée très générale, et le terme qui la désigne dit trop vite trop de choses. Il est inutile de spéculer sur son origine. Le principe suivant lequel l'origine commande le sens et le sens commande l'usage ne vaut pas pour elle. Et celui qui dirait aujourd'hui : « tout est relatif, comme disait Einstein », serait comme le héros d'un roman contemporain qui révèle — avec solennité — sa découverte : « La terre est ronde comme une orange ! ». / / est donc très probable que la théorie de la relativité physique n'est pas venue pour renforcer une simple conviction. Sans doute elle abolit radicalement un certain nombre d'absolus, mais cela signifie d'abord qu'elle les réfute en tant que base métrique de la théorie physique. Elle est d'abord l'élaboration d'une philosophie métrique.

La relativité c o m m e philosophie de la nature

Pas de physique sans théorie de la nature

Dès 1905, le mémoire d'Einstein, Électro­dynamique des corps en mouvement, développe une théorie à partir d'une réflexion physique très profonde. Mais qu'est-ce qu'une ré­flexion profonde physiquement significa­tive ? C'est d'abord une analyse physique. E n ce sens, dira Einstein plus tard, la rela­tivité restreinte ne se distingue pas de ce qui la précède par un postulat de relativité, mais par celui de la constance de la vitesse de la lumière dans le vide. D e cette idée spéci­fique découle que l'indication de temps n'a pas de valeur absolue : elle n'est pas indé­pendante du corps en mouvement. Il en résulte que « toute description pourvue de sens physique doit rendre préalablement compte de ce qu'il faut entendre par "temps" », car, « si nous voulons décrire le mouvement d'un point matériel au début de son développement, nous exprimons la va­

leur de ses coordonnées en fonction du temps ».

Outre que l'idée de la constance de la vitesse de la lumière est conçue dans un sens mathématiquement bien défini (celui de P « invariance » dans un changement de repères pour l'espace et le temps), l'essentiel est que la notion de temps — c o m m e d'ail­leurs celle d'espace — perd son sens absolu pour recouvrer sa fonction de base métrique. O r recouvrer cette fonction implique une percée dans les fondements m ê m e s de la théorie physique : en effet, la théorie exposée par Einstein exige un détour par la cinéma­tique des corps rigides, « car les énoncés de toute théorie visent au rapport entre des corps rigides (systèmes de coordonnées), des horloges et des processus électromagné­tiques ». E n effet, un énoncé physique est une relation entre des variables numériques re­présentant des grandeurs physiques, déter­minées au m o y e n d'instruments de mesure qui sont eux-mêmes des systèmes physiques.

Cela ne va pas de soi. Lorentz, le physicien le plus proche de l'idée de relativité au sens

impact : science et société, vol. 29 (1979), n° 1 27

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La fin des absolus

L'auteur a été attaché de recherche au Centre national de la recherche scientifique à Paris, puis professeur de sociologie à l'Université Hassan-II à Casablanca (Maroc). Depuis 1977 il assume les fonctions de chef de la Division de la philosophie à V Unesco. Il a publié divers articles dans la Revue d'histoire des sciences, dont la plupart portent sur des questions de philosophie et d'histoire des mathématiques. Son adresse est la suivante : Unesco, SSjPH, 7, place de Fontenoy, 75700 Paris (France).

einsteinien, cherchait encore à établir des hypothèses fondamentales. Einstein, lui, cherche à énoncer des relations entre corps rigides, horloges et signaux lumineux. A u lieu d' « une multitude de principes qui n'ont de fondamentaux qu'une nécessité née de l'insuffisance de la théorie », c'est à fonder la théorie de la mesure, base de toute théorie physique, qu'il voue sa réflexion fondamen­tale, sans perdre de vue ni les fondements empiriques de la théorie, ni les manipula­tions effectives auxquelles elle devrait abou­tir. Il reconstitue donc les concepts m é ­triques fondamentaux. Il fait éclater, c o m m e dit M a x Born, « le préjugé caché dans la notion de simultanéité ».

Car dire que deux événements sont simul­tanés n'a de sens que si l'on dispose d'une horloge au lieu où chaque événement se produit. Et que faire si ces horloges sont synchronisées... Il faut alors établir u n cri­tère qui permette de constater expérimenta­lement le synchronisme de deux horloges placées en des lieux différents. C e problème est résolu par l'introduction d'une conven­tion adéquate, la définition explicite du temps, la possibilité de « dater » un événe­ment. Dans cette construction, la vitesse de la lumière joue un rôle spécial. Sa constance est le postulat fondamental de la théorie.

L a relativité du temps découle de cette construction dont nous ne pouvons exposer les détails. Mais aussi celle de l'espace. E n un sens, cette « relativité » est la négation de convictions portant sur l'espace, le temps et le mouvement absolus. Toute négation est négation de ce dont elle résulte, disait Hegel. La négation einsteinienne est négation des postulats reçus c o m m u n é m e n t du rationa­lisme newtonien. Celui-ci reposait sur des éléments indépendants, choisis c o m m e fon­damentaux : l'espace absolu, le temps absolu, la masse absolue. Ils constituent sa base métrique.

C'est cette base qu'Einstein met en ques­tion en soumettant à la critique les notions de temps, de simultanéité et d'éther. Il pro­cède à une réorganisation des concepts de la théorie physique pour rendre compte de résultats expérimentaux c o m m e ceux de Michelson et de Fizeau, ce qui est possible au prix d'un changement dans nos concep­tions du temps. D ' o ù découlent la relativité des notions et la nécessité de les coordonner suivant u n principe général. N i le résultat de Fizeau, ni les progrès théoriques réalisés par Maxwell et par Lorentz n'ont permis la formulation de ce qu'ils impliquaient « natu­rellement ». Einstein est en droit de dire qu'à l'origine son mémoire ne fut « que le résumé simple et la généralisation d'hypo­thèses restées avant lui dispersées ». Q u ' o n relise le génial Poincaré si l'on veut avoir une idée de cette dispersion : « Il n'y a pas d'espace absolu, dit-il, et nous ne concevons que les mouvements relatifs. » Et il ajoute : « Il n'y a pas de temps absolu », en précisant : « N o u s n'avons m ê m e pas l'intuition de la simultanéité. » Cependant, ces remarques se dissolvent dans l'idée générale d'une théorie conventionaliste.

Poincaré n'a pas m a n q u é la relativité, mais une réflexion sur les conditions de la mesure physique : sur les règles et les hor­loges qui ne sont plus considérées indépen­dantes des longueurs et durées à mesurer.

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U n grand mathématicien n'est pas u n grand physicien. Mais le grand physicien théori­cien Lorentz n'a pas, lui non plus, franchi le pas : en 1914, il exprimait « une certaine satisfaction dans u n recours aux idées plus anciennes... que l'espace et le temps sont profondément séparés, qu'on peut parler de simultanéité sans préciser plus profondé­ment sa pensée ».

Principe d'inertie et mouvement rectiligne uniforme

Sur le plan de la philosophie de la nature, il ne pouvait y avoir de théorie de la relativité sans une réflexion d'abord physique (exi­geant, bien entendu, le détour d'une nou­velle cinématique). Les notions d'espace absolu, de temps absolu, de mouvement absolu ont été introduites par Newton c o m m e des notions limites. Elles sont l'aboutisse­ment des efforts liés à la formulation rigou­reuse d u principe d'inertie. « L'espace absolu, écrit Euler, est le garant de la validité du prin­cipe d'inertie associé dans la mathématisation cartésienne, au privilège de la ligne droite. »

« Tout corps qui se meut est déterminé à se mouvoir suivant une ligne droite et non point suivant une circulaire », écrit Descartes dans les Principes de la philosophie. Pour Descartes, parmi tous les mouvements il n'y a que le droit qui soit entièrement simple. L'idée ne va pas de soi. C'est l'idée que « le mouvement rectiligne, infini par nature » suppose, suivant Galilée, « le principe de se mouvoir en ligne droite, c'est-à-dire vers où il est impossible d'arriver, c o m m e le dit Aristote lui-même ». Il se heurte à ces deux faits : le mouvement naturel des planètes est circulaire et celui d'un corps qui tombe s'accélère. C'est seulement en faisant abstrac­tion de leur gravité et en posant u n réfé-rentiel où ne s'exerce aucune force fictive que des corps, des « graves », disait alors Galilée, peuvent avoir u n mouvement libre et uniforme. L a trajectoire d'un corps natu­rel est en réalité une « surface courbe ».

O n voit là le germe d'une « relativité géné­

rale », qu'on ne sait pas encore penser, faute d'avoir soigneusement dégagé les condi­tions dans lesquelles un principe de relativité et un principe d'inertie sont compatibles, c'est-à-dire faute d'avoir déterminé u n e échelle d'expérience et un type de mesures propres à rendre intelligibles la translation uniforme et son fondement : l'équivalence de systèmes et d'observations affranchis de toute contrainte, mais une équivalence qui définit une classe d'observateurs, et qui se traduit par la covariance des lois physiques dans une transformation de Lorentz.

La reprise de Newton

Voilà pourquoi, en possession du principe d'inertie et d u calcul des fluxions, N e w t o n pouvait certes édifier une dynamique qui donne une formulation mathématique pré­cise à l'idée d'observateur libre affranchi de toute contrainte, par suite d u principe d'iner­tie ; mais c'est une dynamique où la trans­lation seule était relative. L a rotation, elle, reçoit une signification absolue. C o m m e l'écrit A . Koyré, « l'interprétation newto-nienne d u mouvement circulaire c o m m e mouvement "relatif" à l'espace absolu... a résisté à tous les assauts... elle est en effet la conséquence nécessaire et inévitable de F "éclatement de la sphère", de "la rupture du cercle", de la géométrisation de l'espace, de la découverte ou affirmation de la loi d'inertie, c o m m e première et principale loi (ou axiome du mouvement ... car, à la différence de la simple translation, l'accé­lération (constante liée au mouvement cir­culaire) a toujours été quelque chose d'ab­solu, et est demeurée telle jusqu'en 1915 », date à laquelle, pour la première fois dans l'histoire de la physique, la théorie de la relativité d'Einstein l'a privée de ce carac­tère absolu — en refermant l'univers sur lui-même et en niant la structure euclidienne de l'espace.

Si, donc, la relativité « restreinte » n'est déjà ni une induction à partir de résultats expérimentaux négatifs, ni une conséquence

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de Pélectromagnétisme de Maxwell — qui en réunissant les domaines dispersés de l'op­tique et de l'électricité a édifié la plus belle théorie physique avant celle de la relati­vité — ni le prolongement des réflexions « relativistes » qui auraient sans doute fini par prendre corps, cela est encore plus vrai de la relativité « généralisée ». Celle-ci n'est pas seulement une fondation, mais une ex­tension, une généralisation du principe de relativité. L ' u n des résultats de cette généra­lisation est d'abolir la différence quasi sublo­gique qui subsistait entre système d'inertie et système accéléré.

D e m ê m e que Galilée a aboli la différence entre physique céleste et physique terrestre, Einstein, après avoir aboli le privilège de tout système absolu lié à l'éther, abolit en quelque sorte le caractère fondamental de la distinction entre le vrai et l'apparent qui résultait de la façon dont étaient conçues des actions distinctes, mais localement in­discernables, que sont l'inertie et la gravi­tation. Toutefois, c o m m e l'équivalence entre champs d'inertie et champs de gravitation, qui va c o m m a n d e r le développement de la théorie, suppose une singulière « union de géométrie et de gravitation », ce sont les principes mathématiques de cette union qui doivent retenir notre attention.

Mathématique et physique

Un style mathématique

O r , dans l'édification de la théorie de la rela­tivité, le principe d'équivalence n'aurait pas suffi sans la conception de l'espace-temps de Minkowski : la pression exercée par la pro­blématique elle-même le conduit, grâce à Marcel Grossmann, à s'intéresser à ces conceptions envers lesquelles il s'était m o n ­tré très méfiant. E n effet, tout jeune, Einstein n'aime pas la mathématique pour elle-même. Parmi ses professeurs au Polytechnicum de Zurich figurait justement Minkowski, mais Einstein ne s'intéressait guère à ses cours.

Toutefois, avant de considérer l'outil m a ­

thématique dont Einstein s'est servi, il faut rappeler le style mathématique qui imprègne sa pensée dès le mémoire de 1905. Et de fait, deux analogies frappent le lecteur de ce mémoire. D ' u n e part, Einstein pose, ana­lyse, puis résout son problème essentielle­ment théorique sans référence à aucun m o ­dèle particulier et sans hypothèse causale sur la nature des choses. Il s'agit plutôt pour lui de définir un domaine tel que certains types de mesures y deviennent possibles et que leurs relations soient exprimées de façon rigoureuse par des connexions mathémati­ques. C e m o d e de pensée a placé Einstein loin des faits particuliers. Il lui a permis de poser les relations qui gouvernent u n do­maine de l'expérience. O r ainsi pensait le formalisme naissant ; ainsi procédaient les mathématiciens qui reconstruisaient axioma-tiquement l'arithmétique ou la géométrie. Et l'ouvrage classique qui couronna cette méthode est celui de Hubert : les Fondements de la géométrie (1899).

D'autre part, et sans qu'Einstein se soit in­téressé à la mathématique qui se faisait de son temps, nous constations une analogie entre sa démarche et celle de la mathématique moderne. E n prenant c o m m e postulat ce qui a précisément créé le problème qu'il voulait résoudre, il a procédé c o m m e Dedekind et Cantor, lesquels ont posé le paradoxe de l'infini c o m m e sa définition, pour chercher ensuite toutes les conséquences qui en résul­tent. Bref, mutatis mutandis, Einstein pense aussi structuralement que l'on peut penser dans le domaine de la philosophie de la nature. A quoi nous ajouterons qu'il est le premier à appliquer rigoureusement à la physique le principe suivant lequel on ne définit que les notions dont on se sert effecti­vement, principe conséquemment réalisé par Frege. Tout cela prend son sens, enfin, dans l'intention de reproduire une théorie : il reprend et renouvelle, sous l'égide d'un nou­veau principe heuristique — c'est-à-dire, au fond, dans l'unité d'un m ê m e thème — les noyaux théoriques fondamentaux de la m é ­canique et de l'électromagnétisme.

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Privilégier le point de vue électromagnétique

C e faisant, dès 1905, il se trouve très précisé­ment aux prises avec u n problème mathé­matiquement formulé : il y avait, d'une part, la dynamique classique, régie par la transfor­mation de Galilée ; le c h a m p électromagné­tique, de l'autre, régi par les équations de Maxwell. Les invariances de ces deux don­nées n'étaient pas régies par le m ê m e groupe, mais l'une par le groupe de Galilée, l'autre par le groupe de Lorentz. Cette incompati­bilité des groupes préoccupe Poincaré, qui écrivit une longue note sur ce qu'on appellera plus tard les transformations de Lorentz. Einstein, en 1905, ignore le travail de Poin­caré. Mais il fait preuve d'une très grande audace. D o n c il philosophe, mais avec plus de précision et de dynamisme que le mathé­maticien ; de façon plus créatrice : il met la dynamique classique en question, et pour résoudre l'incompatibilité il « décide » que l'électroiuagnétisme imposera sa loi.

Cette « décision finale » est l'aboutissement d'une longue méditation, bien que la concep­tion de l'idée de relativité restreinte ne pré­cède que de quelques semaines la publica­tion. Mais le privilège mathématique accordé à la transformation de Lorentz consacre, pour Einstein, la pertinence de ses implica­tions physiques : avec lui, ce n'est pas à proprement parler une nouvelle mathéma­tique qui est exigée ou appliquée, mais une interprétation physique qui rejoint l'expres­sion physique. Bref, c'est la portée d'une mathématisation qui est saisie et ses consé­quences qui sont livrées.

Inversement, cette conséquence physique trouvera dans le formalisme de Minkowski — au m o y e n duquel l'univers einsteinien devient quadridimensionnel avec une déter­mination métrique particulière — sa repré­sentation adéquate et géométriquement in­tuitive. Par là, au-delà de sa connexion avec les équations de Maxwell, la transformation de Lorentz trouve sa signification pour la géométrie de l'univers dans l'univers de la géométrie où le temps n'est plus un conti­

n u u m indépendant. L e rêve cartésien d'une physique géométrique est en train de se réaliser. L a question est alors de voir c o m ­ment la géométrie non euclidienne a fourni l'espace physique qui a poussé à son tour à l'élargissement de la géométrie.

Gravitation et mathématiques

Newton pose aux physiciens le problème des forces instantanées à distance. Certains cal­culs de Laplace montrent que, si l'on veut, sans contradiction avec la théorie newto-nienne, que la gravitation se propage à une vitesse finie, il faut que cette vitesse soit au moins mille fois la vitesse de la lumière. Mais, de plus, la conception newtonienne de l'espace pose également des problèmes : on suppose que la densité moyenne de matière diminue assez vite pour que, sur le plan de l'expression mathématique, on ait affaire à des séries qui convergent.

Expérimentalement parlant, si la densité de matière était partout la m ê m e que dans le voisinage du système solaire par exemple, le ciel serait complètement incandescent. D o n c il faut mettre en cause Newton . C e coup d'audace ouvre la voie à la théorie relativiste de la gravitation, une théorie qui exige pré­cisément les mathématiques développées dans l'article — qu'Einstein ignore — de Ricci et Levi-Civita : Méthodes de calcul différentiel absolu et leurs applications (1901). Il découvre, grâce à M . Grossmann, puis H e r m a n n W e y l , les structures capables d'ex­primer ses intuitions. Inversement, l'idée d'intégrer le c h a m p électromagnétique dans u n cadre géométrique conduit sans doute les mathématiciens à expliquer le champ magnétique par un facteur de similitude.

Ainsi apparaît l'une des origines de la géométrie différentielle moderne : celle de connexion dont le parallélisme au sens de Levi-Civita n'est que la première forme, approfondie et généralisée par l'astronome Eddington. Mais elle conduit en fait au cadre édifié par Elie Cartan, dont la cor­respondance avec Einstein est en cours

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d'édition. L a poussée relativiste opère donc sur le domaine mathématique. Elle est une des motivations de la géométrie différentielle moderne.

Développement de la géométrie différentielle

Mais les rapports ne sont pas à sens unique. Les éclairer vraiment serait élucider la ques­tion fondamentale de la science moderne : l'alliance de la physique et de la mathéma­tique dans la philosophie de la nature. Einstein n'a pas étudié les propriétés mathé­matiques des équations de Maxwell ou de la transformation de Lorentz, mais, à travers elles, il a saisi la structure métrique qu'elles impliquaient. A l'aide d'un m i n i m u m de mathématiques usuelles, il a formulé des conclusions physiques inhabituelles.

E n revanche, la signification géométrique de sa physique a été plutôt aperçue par Minkowski, Hubert, Grossmann, Weyl , Cartan, etc. Ses postulats les plus profonds déterminent la géométrie que l'univers réa­lise, géométrie en fait née de la rencontre des spéculations riemanniennes et du calcul ten-soriel ainsi que de leurs conséquences m a ­thématiques.

Relativité et philosophie

Relativité et relativisme

Peut-on concevoir la signification philoso­phique d'une relativité où seules comptent des mesures et des geometries ? Est-elle l'aboutissement, c o m m e eût dit Auguste C o m t e , de la révolution intellectuelle « c o m ­mencée au xive siècle dans tout l'Occident et consistant principalement à renouveler l'en­tendement humain par l'irrévocable substi­tution du relatif à l'absolu » ? N o n , sans doute. Car les « absolus » supprimés par la théorie de la relativité et le d o g m e de la simultanéité dont l'abolition fut sa plus grande victoire du point de vue de la théorie de la connaissance appartiennent à ce que C o m t e appelait la révolution intellectuelle moderne.

Lorsque Einstein répond à ceux qui se de­mandent pourquoi la translation dans l'éther ne peut se distinguer du repos, Einstein répond en proclamant que l'éther n'existe pas, il supprime une hypothèse qui résulte directement des absolus newtoniens, lesquels « interviennent davantage, c o m m e le sou­ligne Marie-Antoinette Tonnelat, par ce qu'ils autorisent que par ce qu'ils sont ». C e sont des absolus induits par une physique résolument expérimentale. Bref, la problé­matique relativiste est interne à l'histoire de la physique mathématique.

La nécessité d'une philosophie

Il en résulte que sa signification philoso­phique se situe également à l'intérieur du domaine scientifique. Elle correspond à un m o n d e construit de mesures et d'équations. Avec la fondation logique et ensembliste des mathématiques, elle inaugure u n nouveau genre de philosophie : celle qui naît de l'examen de la pensée scientifique, celle qui accompagne l'activité scientifique.

Mais cette philosophie est difficile : c'est u n fait, écrit C . F . von Weizsäcker, que tous les physiciens théoriciens contemporains philosophent; c'est un fait également que leur philosophie ne coïncide pas avec les opinions philosophiques traditionnelles. Ces deux phénomènes expriment une nécessité concrète : la physique moderne ne peut être comprise sans philosophie, mais cette philo­sophie n'existe pas. L a pensée du physicien élaborée à partir de déterminations mathé­matiques et expérimentales ne coïncide pas avec l'enseignement des doctrines philoso­phiques. L a pensée physique ne peut être caractérisée « en bloc ». Et Bachelard pensait « disperser le spectre philosophique des phi­losophies traditionnelles » pour préciser phi­losophiquement les caractères des sciences expérimentales contemporaines. C'était là ne voir dans la philosophie qu'un ensemble de langages et oublier que déjà des mots tels que « phénomène », « nature », « univers » consti­tuent des morceaux de philosophie.

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Quel que soit le langage utilisé, il véhicule, lorsqu'il décrit l'activité scientifique, une philosophie inconsciente, parfois des convic­tions incohérentes.

Le réalisme d'Einstein et la mécanique quantique

Aussi devons-nous nous intéresser à la phi­losophie d'Einstein, qui s'est lui-même beau­coup méfié de la philosophie. Néanmoins, son opposition à la mécanique quantique de Bohr l'a amené à philosopher. L'insatisfac­tion dans laquelle cette théorie le laissait fut souvent interprétée c o m m e un rejet de la théorie de Bohr. N'oublions pas qu'Einstein est le père des photons — qu'il introduit dès 1905, amorçant ainsi la quantification proprement dite du champ électromagné­tique. E n outre, il crée, avec Bose, la statis­tique dite de Bose-Einstein, c'est-à-dire des particules à spin entier. O n ne peut donc dire qu'il ait été hostile à la mécanique quantique en tant que telle : il y a été au contraire un acteur de premier ordre.

E n revanche, c'est le dogmatisme de Bohr qu'il rejette. C'est au n o m d'une conception plus déterministe de la physique. C o m m e il l'écrit à son ami Michel Besso (lettre du 24 juillet 1949) : « M o n animosité contre la théorie statistique des quanta ne concerne pas le contenu quantitatif, mais la croyance actuelle que cette manière de traiter les fondements de la physique est, pour l'essen­tiel, définitive. » Dans une autre lettre (du 15 avril 1950), il précise : « L a question de la "causalité" n'est pas tout à fait centrale, mais plutôt la question de l'existence réelle et la question de savoir s'il y a une catégorie quelconque de lois rigoureusement valables (non statistiques) pour la réalité représentée théoriquement. Q u e de telles lois n'existent pas pour les faits observés, cela est parfaite­ment clair. Mais la question est celle-ci : « Y a-t-il quelque chose qui remplace la "réalité" c o m m e programme théorique ? »

L'importance de ce problème vient de ce qu'on ne peut, sans absurdité, imaginer un

m o n d e qui est et dont on puisse jouer l'absence aux dés. L a réalité doit donc rester le programme théorique : d'où les défis lancés à l'école de Copenhague en produisant des exemples qu'elle est fort embarrassée pour interpréter. L e paradoxe Einstein-Podolsky-Rosen en est un. Il s'agit de m o n ­trer le caractère incomplet de la mécanique quantique. Incomplet : elle ne donne pas une description complète de l'état d'un objet, parce qu'elle est probabiliste. Peut-on ré­duire les descriptions qu'elle donne à des descriptions non probabilistes ? L a question se pose du fait que la thermodynamique classique peut être édifiée, en dernière ana­lyse, sur une base non probabiliste.

O n peut donc se demander si l'on peut, dans le cas quantique, obtenir une théorie à variables cachées qui reproduit les prévisions statistiques de la mécanique ordinaire. L'exa­m e n logique de l'argument permet de voir que si la mécanique quantique est non contradictoire, mais incomplète, on ne peut la rendre contradictoire qu'en procédant à une extension de la théorie. Il montre égale­ment que les auteurs utilisent la théorie des paramètres cachés reliée à la mécanique quantique ordinaire par une condition de réalité. E n écrivant rigoureusement l'argu­ment — en précisant ce que signifie pour une quantité qu'être réelle dans un état et qu'être complète pour la connaissance d'un état — on peut démontrer une contradiction au sens strict. C e qui conduit à la solution de Bohr, une solution qui c o m m e n c e par des rectifi­cations terminologiques et par une mise en question profonde du postulat de réalité.

Pourtant Einstein est un précurseur de la théorie quantique

Ainsi est-il démontré qu'une exigence philo­sophique continue d'entretenir une discus­sion scientifique.

L'intérêt d'Einstein pour la théorie des quanta de Bohr — qui incommodait sa propre théorie et ne se déduisait pas de ses thèses, c o m m e il le rappelait à son ami

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M . Besso (lettre du 6 janvier 1948) — pro­vient de la contribution qu'il y a apportée par sa conception du photon. O n associe plus souvent son n o m à la théorie de la relativité, à plus juste titre « générale ». Mais en lui décernant plutôt en 1921 le prix Nobel pour ses travaux — notamment sur son interpré­tation de l'effet photoélectrique fondée sur l'hypothèse des quanta de lumière — on voulait sans doute honorer le physicien dont les travaux continuaient à inspirer la phy­sique « se faisant » et une œuvre qui couronne l'effort scientifique en vue d'élucider la na­ture de la lumière qui a c o m m e n c é avec Alhazen et al-Fânsï, car non seulement l'explication de l'effet photoélectrique fut triomphalement confirmée par l'expérience en 1916, mais son étude et ses conséquences n'ont cessé de préoccuper et d'inspirer les plus grands physiciens dont les résultats, c o m m e ceux de de Broglie, sont publiés en 1922.

A cet égard, il faut rappeler, d'une part, que dans la proposition relative à l'élection d'Einstein à l'Académie des sciences de Ber­lin on pouvait lire : « Il ne faut pas lui repro­cher sévèrement de dépasser parfois dans ses raisonnements les limites de l'objectif visé, c o m m e dans son hypothèse des quanta de lumière, par exemple. » O r , en 1921, l'exac­titude des idées les plus hardies d'Einstein était confirmée. D'autre part, la théorie relati-viste de la gravitation cherchait encore son fondement dans « une théorie prometteuse du c h a m p ». Cette théorie, dite unitaire, fut son ambition et c o m m e sa pierre philosophale. Mais ce fut u n échec. O n ne connaissait alors que très peu de champs (électromagnétique et de gravitation) ; on connaissait très peu de particules ; on n'attachait pas u n champ à une particule. Et dès qu'on c o m m e n c e à le faire on a tellement de champs que le pro­blème se renouvelle totalement.

Le réalisme d'Einstein

Scientifiquement, Einstein eut une attitude conservatrice à l'égard de Bohr. Mais un conservatisme véritablement scientifique est

aussi indispensable que l'imagination la plus folle. Il appartient au physicien d'allier les deux attitudes : quand il saute, il prend bien garde en m ê m e temps que la terre ne se dé­robe pas sous ses pieds ! Q u a n d les paradoxes issus du problème de la vitesse de la lumière ont menacé la rationalité physique — do­maine d'élection pour Einstein — il a su don­ner aux lois de la nature une forme invariante quels que soient les systèmes de référence adoptés. Et, de fait, en assimilant la gravita­tion aux forces d'inertie, les lois de la nature restent identiques à elles-mêmes indépen­d a m m e n t de tous les systèmes de référence.

Mais, quand Bohr a introduit la mécanique quantique, Einstein a refusé de toutes ses forces l'idée de fondements statistiques de la physique ; pareille idée menaçait la stabilité de « sa terre ». L e fondateur de la théorie de la relativité croyait qu'il y avait un absolu auquel la relativité ne s'étendait pas : « la loi qui gouverne u n univers fait de quelque chose existant réellement ». Aussi ce qui vaut pour la théorie ne peut pas valoir pour la vision personnelle ; la théorie tendait, c o m m e dit Cassirer, à convertir toute « substantialité » en « fonctionnalité ». Mais cela est vrai m ê m e des absolus newtoniens qui sont des réalités limites, jouant u n rôle plus fonctionnel que topologique.

Impossible image de l'univers

Il n'y a plus lieu de décider entre le cercle et la droite, entre telle ou telle image de l'uni­vers, sans privilégier arbitrairement u n m a -thématème*, dût-il être assorti, c o m m e Eins­tein tenta de le faire pour la théorie de la gravitation, de conditions à l'infini de l'es­pace. N'est-ce pas le signe de la fin du règne où la connaissance pouvait être une représen­tation — la marque d'une distinction de fait et de droit entre les valeurs d u savoir et le savoir propre aux valeurs qui y interfèrent sans lui appartenir. D

* Le terme mathématème, analogue au pho­nème de la linguistique, signifie une valeur mathématique.

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Pour approfondir le sujet

C A P E K , M . The concept of space and time. Dordrecht, Reidel, 1976.

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E I N S T E I N , A . ; B E S S O , M . Correspondance.

Paris, H e r m a n n , 1962. K O Y R E , A . From the closed world to

the infinite universe. Baltimore, M d . , T h e Johns Hopkins University Press, 1957.

L I C H N E R O W I C Z , A . Théories relativistes de la gravitation et de Vélectromagnétisme. Paris, Masson, 1955.

N A Z I E , M . Kamal ad-Din al-Färisi et certaines de ses recherches sur la science de la lumière. La société égyptienne

d'histoire des sciences, n° 2, décembre 1958, p. 63-100. (En arabe.)

P A R N O V , E . AU carrefour des infinis. Moscou, Éditions Françaises de Moscou, 1972.

S C H E I B E , E . The logical analysis of quantum mechanics. Oxford, Pergamon Press, 1973.

S V E T C H N I K O F F , G . Causality and the relation between states in physics. Moscou, Progress Publishers, 1971. (En anglais, trad. G . Yankovsky.)

T O N N E L A T , M . - A . Histoire du principe de relativité. Paris, Flammarion, 1971.

Z A K I , N . Al-mantiq al-wad'i. Vol. 2 : Philosophie des sciences. L e Caire, Éditions anglo-égyptiennes, 1921. (En arabe.)

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Le siècle d'Einstein dans l'histoire de la physique Hans-Jürgen Treder

A Vépoque où la physique s'est constituée, au début du XVIIe siècle, Pascal a souligné la place centrale de l'homme dans l'univers. Selon Pascal, la vie et l'expérience de l'homme se situent entre l'infiniment grand et l'infiniment petit. D'autre part, par un processus d'abstraction, l'homme opère une transition du très petit à l'infiniment petit et du très grand à l'infini. Cette transition rend possible une conception idéalisée des problèmes physiques et naturels au moyen d'un continuum mathématique. Cependant, une telle conception devient impossible dès que l'expérience s'étend au macroscopique ou au micro­scopique. Le fait que l'infiniment grand et l'infiniment petit ne sont, dans le processus d'abstraction de la physique classique, qu'une hypostase du très grand et du très petit détermine le passage de la physique classique du milieu quotidien à la physique contem­poraine du microcosme et du macrocosme.

Les premiers travaux d'Einstein, de 1902 à 1906, ont porté à leur perfection la phy­sique statistique classique et la théorie ciné­tique des gaz, auxquelles sont associés les noms de Maxwell, Boltzmann et Gibbs. Einstein a tiré les dernières conclusions des fondements statistiques de la thermodyna­mique et de la tentative de Boltzmann d'en rattacher les principes à la dynamique n e w -tonienne au moyen de la théorie atomique. Ces conclusions illustrent la différence essen­tielle entre la thermodynamique phénomé­nologique et son modèle statistique, dérivé du principe de la grandeur finie du nombre N de Loschmidt : nombre de molécules par mole. Einstein avait pris au sérieux les cri­tiques des fondements atomiques de la ther­modynamique dans l'application statistique par Boltzmann de la mécanique newtonienne des particules, et il en tira en fait une confir­mation de la théorie atomique.

L e mathématicien H . Poincaré, le chimiste W . Ostwald, et aussi Planck, objectaient à

l'idée de Boltzmann de rattacher les prin­cipes de la thermodynamique à la statistique de l'atome que la réduction de la thermody­namique à une théorie atomique n'était pas valable dans le cas d'espaces de petites di­mensions ou de longues périodes d'obser­vation et que, dans ces cas, le principe de l'irréversibilité des processus réels ne s'ap­pliquait plus. Einstein (qui presque en m ê m e temps, indépendamment de Gibbs et par une autre voie, formulait une théorie géné­rale de la mécanique statistique, en tant que théorie des conditions préalables des sys­tèmes de particules) soumit à une analyse minutieuse les déviations de la thermody-namiquephénoménologique : les fluctuations.

Il démontra que les phénomènes de fluctuation observés par les expérimenta­teurs — les mouvements browniens, par exemple — expriment en fait des fluctua­tions statistiques, et que l'on peut déduire directement de ces déviations par rapport à la phénoménologie thermodynamique les

impact : science et société, vol. 29 (1979), n° 1 37

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• Hans-Jürgen Treder

L'auteur dirige le Zentralinstituts für Astrophysik, Akademie der Wissenschaften der D D R . On peut entrer en contact avec lui à l'adresse suivante : 1502 Potsdam-Babelsberg, Sternwarte, Rosa-Luxemburg-Strasse ija (République démocratique allemande).

grandeurs fondamentales de la théorie ato­mique de Boltzmann : les volumes et les masses atomiques. Peu de temps après, J. Perrin déterminait expérimentalement ces grandeurs, à partir des formules d'Einstein.

Relativité restreinte

Tout autre était la position méthodologique adoptée par Einstein dans ses travaux, déjà très célèbres à l'époque, sur les fondements de l'électrodynamique des corps en mouve­ment : la théorie de la relativité restreinte. Einstein posait ici de nouveaux principes de mécanique, établis sur le modèle des prin­cipes newtoniens — soumis toutefois à une révision essentielle.

L a théorie de la relativité restreinte est une cinématique et une dynamique, au sens de la mécanique classique de Galilée et de Newton. Les lois fondamentales d u mouvement des corps sont exprimées sous forme d'axiomes et de définitions, mettant en évidence les rapports entre les structures mathématiques et les grandeurs mesurées par l'expérimen­tation physique. Ainsi, la théorie de la relativité comporte une nouvelle notion de l'espace, du temps et du mouvement , qui corrige les positions de Galilée et de Newton. L a cinématique et la dynamique nouvelles d'Einstein ne se distinguent essentiellement de la théorie newtonienne que par un nou­veau groupe d'invariants. Poinearé et Eins­tein ont n o m m é ce groupe d'invariants d'après Lorentz, l'auteur de la théorie des électrons. Dans la théorie de la relativité, le

groupe de Lorentz remplace le groupe de Galilée en tant que principe cinématique d'invariance. L e fondement physique de cette substitution est fourni, selon Einstein, par l'électrodynamique des corps en m o u v e ­ment, soumise aux invariants de Lorentz ainsi qu'aux lois électrodynamiques de Maxwell.

C'est toutefois la relation causalité-temps qui en fournit le fondement théorique, dans le cadre de la théorie des champs, pour laquelle il existe seulement des interactions locales et, pour chaque interaction, une vi­tesse finie maximale de propagation : c, vi­tesse de la lumière dans le vide. A u contraire, la cinématique de Galilée et de Newton admet une vitesse-limite infinie (c - > 00) pour l'échange de signaux. La théorie de la relativité restreinte d'Einstein définit cette vitesse-limite c o m m e étant c, vitesse finie de la lumière, qui devient une constante uni­verselle. La vitesse de la lumière remplace « la vitesse infinie » de la physique classique — ce qui explique les particularités de la cinématique einsteinienne, considérées à l'ori­gine c o m m e autant de paradoxes.

L a physique relativiste se transforme en physique classique dès que l'on pose c -> 00.

Une nouvelle physique des principes

Planck reconnut l'importance fondamentale des travaux de 1905 d'Einstein, notant que la théorie de la relativité restreinte fournis­sait exactement la révision indispensable de la cinématique galiléenne et newtonienne et la réinterprétation correspondante des axiomes dynamiques de Newton, en définis­sant, indépendamment de modèles physi­ques spécifiques, une nouvelle forme de la mécanique, compatible avec une physique des champs conformément aux principes d'Einstein.

L'enthousiasme d'un théoricien c o m m e Planck pour l'œuvre d'Einstein s'explique par le fait que la théorie de la relativité res­treinte constitue une physique des principes, au sens newtonien. L a m ê m e raison explique

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les prises de position très marquées des phy­siciens de l'époque, pour ou contre Einstein — que A . Sommerfeld soulignait à propos d'une communication de Planck au congrès de physiciens de Stuttgart en 1906. L e dé­saccord se situait entre les jeunes physiciens — la plupart, contemporains d'Einstein — et les physiciens plus âgés. Il est à noter que la majorité des anciens — dont W . C . Rönt­gen et H . A . Lorentz — prirent position en faveur de la théorie de la relativité d'Einstein, que la plupart des jeunes contestaient ou combattaient.

Les nouveaux principes de cinématique présentés par Einstein dans sa théorie de la relativité restreinte réhabilitaient la méca­nique newtonienne, mais débouchaient sur de nouveaux principes de physique très au-delà de tous les modèles physiques et élec­trodynamiques de la structure de la matière — modèles que Lorentz et Poincaré, pré­curseurs immédiats d'Einstein, cherchaient encore. (Entre 1895 et 1905, Lorentz et Poincaré s'approchèrent du formalisme m a ­thématique de la théorie de la relativité restreinte, dont le contenu physique leur échappa totalement.)

L a troisième grande réalisation d'Einstein fut l'application généralisée de la constante d'action quantique, découverte par Planck. Einstein dépassait ainsi largement la théorie planckienne d u rayonnement de la chaleur. Dans u n premier temps, Planck lui-même rejeta ces travaux d'Einstein. Plus tard, ces résultats furent accueillis avec joie et satis­faction par les expérimentateurs et les physico-chimistes.

La relation quantum-électrodynamique

Einstein attendait beaucoup de A, la cons­tante de Planck, et espérait m ê m e , par l'in­troduction du quantum à la base de la physique, expliquer toute la physique des particules élémentaires (en premier lieu, le problème de l'existence des électrons). Il fut le premier à reconnaître que le quantum de Planck conduisait à une nouvelle conception

du déterminisme physique et introduisait, à la base de la physique, un aspect stochas­tique dépassant la physique atomique sta­tistique. Ainsi seulement — Einstein l'a démontré — pourrait-on expliquer sans contradiction la constante de Planck et sa loi du rayonnement à l'électrodynamique et à la thermodynamique.

Einstein alla plus loin. Il démontra que l'application de la constante de Planck à la lumière impliquait que celle-ci ne consiste ni uniquement en ondes, ni uniquement en particules, mais comporte les deux aspects. N i le seul aspect particules, ni le seul aspect ondes n'expliquent la loi du rayonnement de Planck pas plus que l'interaction entre les atomes et le c h a m p magnétique.

Seule l'interprétation stochastique de la loi d u rayonnement permet de concilier les deux aspects (particules et ondes) avec l'interac­tion entre le rayonnement et les atomes — ce qu'Einstein démontra en 1917. Cette idée, jugée abstraite à l'époque, mettait en relation le premier modèle quantique de l'atome, élaboré par Bohr en 1913, avec l'électrody­namique et démontrait que cette relation débouchait sur la loi de Planck. Ainsi, Eins­tein aboutissait-il à de nouvelles notions, inséparables de cette relation. Il formula la notion d'émission provoquée, préfigurant ainsi les conséquences macrophysiques de la physique des quanta de Planck, qui allaient conduire à la découverte d'un processus totalement inconnu à l'époque : l'émission provoquée d'un rayonnement cohérent—qui est aujourd'hui à la base de l'optique quantique.

C e nouveau type de rayonnement ne pré­sente pas une répartition statistique, c o m m e le rayonnement thermique ; il est, au con­traire, orienté et cohérent. O n avait décou­vert là un macrophénomène de la physique des quanta ; un effet macroscopique des quanta.

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Caractère non distinguable des particules atomiques

Einstein reprit l'étude de ces effets après que S. N . Bose — physicien indien alors inconnu — lui eut adressé u n manuscrit où il tirait les conclusions mathématiques de la statistique des photons d'Einstein, d é m o n ­trant que les photons obéissent à une autre statistiques que les gaz de Boltzmann. Les travaux de Bose encouragèrent Einstein qui les traduisit et les fit imprimer. Mais Einstein considérait le problème plus en profondeur, allant au-delà de Bose. Q u e devient la sta­tistique des quanta, formulée en termes m a ­thématiques et appliquée aux photons par Bose, si on l'applique aux atomes classiques ou aux électrons ?

Einstein découvrit que la nouvelle stra-tistique de Bose et Einstein implique que, dans une théorie conséquente des quanta, les particules atomiques ne peuvent être mar­quées. Einstein reconnut que l'impossibilité de distinguer les particules atomiques est la conséquence de leur caractère ondulatoire, du fait qu'elles ne sont pas seulement des particules, mais aussi des ondes.

Les nouvelles contributions d'Einstein à la statistique des quanta attirèrent l'attention du public sur u n travail qui, à l'époque, était ignoré ou n'était pas pris au sérieux, la thèse de Louis de Broglie. Louis de Broglie attri­buait des ondes à toutes les particules ato­miques, inversant audacieusement la théorie d'Einstein sur les photons et appliquant ainsi la théorie d'Einstein de la relativité res­treinte. Broglie prévoyait aussi des phéno­mènes d'interférence pour les atomes clas­siques. Einstein observa que la théorie des quanta n'implique l'universalité d u principe thermodynamique de Nernst que si l'on admet le caractère non distinguable des particules atomiques et si l'on tient compte pour la statistique des phénomènes d'inter­férence de Broglie.

C'était une conception entièrement nou­velle, différente de la statistique de Boltz­m a n n par sa structure logique. U n e fois de

plus, Einstein annonçait de nouveaux phéno­mènes macroscopiques de quanta, résultant de la présence d'un grand nombre de parti­cules atomiques non distinguables et de leur caractère ondulatoire.

Quelle était la valeur de la théorie quantique ?

L a statistique d'Einstein et, en liaison avec elle, l'introduction d'aspects ondulatoires, dans la théorie atomique, concentrait l'at­tention sur l'une des conséquences les plus étonnantes de la constante de Planck (h) : le caractère non distinguable des particules et l'existence de phénomènes macroscopiques de quanta. Les travaux d'Einstein furent le point de départ d'expériences visant à rechercher, dans les atomes et les électrons, des phénomènes ondulatoires que l'on n'al­lait pas tarder à découvrir.

Einstein lui-même n'était pas convaincu d u caractère définitif de la théorie des quanta, bien qu'il en eût approfondi tous les principes et reconnu les résultats. Il n'en était pas convaincu parce que la théorie des quanta n'explique que certains aspeas de la théorie atomique. Elle est la clé de la compréhension de la structure atomique, elle ne rend pas compte de l'existence des particules élémentaires elles-mêmes. Cette déception amena Einstein à réfléchir aux limitations possibles de la théorie des quanta et à constater que ces limitations tenaient au problème de la conciliation de la théorie des quanta avec la théorie de la relativité — pro­blème non encore pleinement résolu malgré les grands progrès réalisés par la théorie relativiste des quanta depuis les premiers travaux d'Einstein dans ce domaine, il y a cinquante ans.

Les questions relatives à la théorie des quanta, qu'Einstein a soulevées et spéciale­ment discutées avec Bohr et Born, ont contribué à la compréhension de cette théo­rie. Les questions auxquelles Bohr, à la satisfaction d'Einstein, a pu finalement ap­porter une réponse, aussi bien que celles

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restées sans solution, entre Bohr et Einstein, caractérisant le contenu physique de la théo­rie des quanta. L a clarification apportée par les discussions entre Bohr et Einstein facilite l'interprétation physique d'une théorie au premier abord mathématique et abstraite. Les questions restées sans réponse semblent nous inviter aujourd'hui à progresser au-delà de la théorie des quanta.

C'est d'ailleurs ainsi qu'Einstein lui-même comprenait ses objections et, dans cet esprit, il s'efforça de convaincre les physiciens que la théorie des quanta n'est pas seulement une belle et utile théorie mais aussi u n difficile problème de fond à résoudre pour le progrès futur de la physique.

La théorie de la gravitation devient la théorie des champs

L a théorie d'Einstein de la relativité généra­lisée constitue le développement mathéma­tique de deux grands principes. L e premier repose sur l'égalité de la masse inerte et de la masse pesante. Einstein voyait dans cette donnée expérimentale le principe de l'équi­valence de l'inertie et de la pesanteur. L e second principe indispensable à la formula­tion mathématique du premier est le prin­cipe de la relativité généralisée, qui trans­forme la dynamique de la gravitation en une théorie des champs. Selon Einstein, ces deux principes supposent une géométrie de Riemann de l'espace-temps et cette théorie inclut presque obligatoirement la théorie newtonienne de la gravitation.

L e problème d'Einstein était double. Dans les limites de la théorie de la relativité res­treinte, la gravitation s'avérait u n problème insoluble. Certes, dès 1906, H . Poincaré — indépendamment d'Einstein — avait posé des fonctions relativistes de la gravitation modifiant la loi de la gravitation de N e w t o n par l'introduction des invariants de Lorentz. E n liaison avec la dynamique relativiste d'Einstein et Planck, H . Minkowski et H . A . Lorentz proposèrent des modifications analogues de la loi de N e w t o n . Mais ce

n'étaient que des essais empiriques, faisant abstraction des principes essentiels de la dy­namique newtonienne de la gravitation, de la proportionnahte universelle de l'inertie et de la pesanteur, et d u postulat newtonien de réaction.

E n outre, ces tentatives pour introduire la gravitation dans la théorie de la relativité restreinte ne tenaient pas compte des don­nées fondamentales de la dynamique rela­tiviste — dont le principe einsteinien d'éga­lité de la masse et de l'énergie.

Dès 1907 Einslein avait noté ce qu'il devait appeler en 1911 la clé d'une dyna­mique relativiste de la gravitation, à savoir que ce principe, appliqué à l'énergie électro­magnétique de la lumière et associé à la proportionnalité universelle de la pesanteur et de l'énergie, établie par Galilée et Newton , doit nécessairement conduire au-delà de la théorie de la relativité restreinte. E n pré­sence d'un potentiel de gravitation, la vitesse de la lumière ne peut être constante, en raison de l'égalité de la masse et de l'énergie ainsi que de l'inertie et de la pesanteur. A u contraire, il résulte de ces seuls principes que, dans un c h a m p statique de gravitation, la vitesse de la lumière est une fonction directe de <p, potentiel newtonien de gravita­tion : / = constante de gravitation

( <p\ fm

c0 = valeur (Maxwell-Hertz) de la vitesse de la lumière en relativité restreinte ; r est le rayon de l'action, m est la masse et, bien sûr, c = vitesse de la lumière.

Le problème de la géométrie de la lumière

C'est ainsi qu'Einstein conçut l'idée de l'adaptation des temps et des mesures au c h a m p de gravitation — ce qui fait que l'universalité de la vitesse de la lumière se maintient par rapport à ces temps et mesures. Il fut ainsi amené à penser que le potentiel

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de gravitation doit être lié, non seulement à la vitesse de la lumière dans le vide mais aussi, de façon universelle, à la métrique de l'espace-temps relativiste. L'interprétation par Minkowski de la théorie de la relativité restreinte, c o m m e une géométrie pseudo­euclidienne d'un espace-temps à quatre dimensions, fut d'une importance physique capitale pour le développement ultérieur de la physique relativiste. L a géométrie de l'espace-temps allait dès lors faire l'objet de recherches physiques.

Cette approche d'une théorie relativiste de la gravitation, axée sur le problème de la géométrie de la lumière dans le champ de gravitation, fut associée par Einstein à l'ana­lyse critique des principes postulés c o m m e axiomes par la dynamique et la théorie de la gravitation de Newton . L a théorie de la relativité restreinte remplaçait la cinéma­tique de Galilée et de Newton , fondée sur la comparabilité des temps et des vitesses indé­pendamment de la distance par une cinéma­tique où seules les opérations de mesure sont rigoureusement localisées. Mais la dyna­mique de N e w t o n contient aussi l'idée d'interaction entre corps en mouvement à une distance quelconque. L a gravitation newtonienne est une action à distance et les forces d'inertie, qui chez N e w t o n apparais­sent c o m m e le résultat des mouvements des corps relativement à l'espace absolu, ont aussi le caractère d'action à distance. Dans la conception d'Einstein, l'égalité de l'inertie et de la pesanteur permet d'unifier ces deux forces et de les géométriser au sens de la conception de la métrique de la lumière, pour constituer la métrique locale de l'espace-temps.

Sur la base de ce programme, Einstein introduisit dans la physique la géométrie difFérentielle de Riemann et son nouvel auxi­liaire mathématique, le calcul tensoriel, aboutissant à l'idée que l'essence de la pesan­teur est la déformation de l'espace-temps en une géométrie de Riemann généralisée. Ainsi, la mesure locale de la courbure de l'espace (au sens de la géométrie difFéren­

tielle de Gauss et de Riemann) représente la mesure directe des forces locales de gra­vitation.

Pas de dynamique relativiste indépendante

Einstein parvint à ramener la dynamique relativiste de la matière à des équations de gravitation. Il démontra qu'en principe la fonction qui définit la condition, découverte par Einstein et Hubert, de l'intégralité des équations de gravitation d'Einstein ainsi que de la compatibilité de la causalité et de la relativité généralisée rend compte de toutes les lois du mouvement macroscopique, et que ces lois sont les m ê m e s que celles que l'on peut déduire des lois physiques propres à des formes spécifiques de la matière, à l'aide des principes d'équivalence et de relativité. Par conséquent — et c'est là une conclusion majeure de la théorie des champs d'Einstein — il n'existe pas de dynami­que relativiste indépendante : celle-ci est contenue dans les équations de gravitation de la théorie de la relativité généralisée. A Princeton, en collaboration avec L . Infeld et B . Hoffmann, Einstein a explicitement déduit des équations de gravitation la dyna­mique des points de masse (1938-1945). Presque en m ê m e temps, à Leningrad (de­puis 1939), V . A . Fock concrétisait les idées d'Einstein, en utilisant le tenseur phéno­ménologique de matière.

L a question posée par Einstein à propos de la structure du champ des particules élémentaires, et partiellement résolue par déduction de la dynamique à partir des équations de gravitation, pose à son tour le problème de la nature de l'interaction entre la gravitation et la matière. Dans la théorie de la relativité généralisée d'Einstein, cette interaction est définie par l'introduc­tion du tenseur de matière en relativité restreinte (T^), c o m m e source du c h a m p de gravitation et c o m m e facteur non h o m o ­gène dans le second m e m b r e des équations einsteiniennes.

Mais Einstein considérait la distinction

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entre géométrie et matière c o m m e pure­ment heuristique. D a n s u n discours pro­noncé à l'occasion du Friedtichstag de 1921, Einstein déclarait que, selon H . Poincaré, le contenu de la physique, dans la théorie de la connaissance, est la s o m m e des for­mules géométriques G et des lois phy­siques P :

G + P = contenu de la physique.

Mais , alors que pour Poincaré cette s o m m e ne peut correspondre qu'à u n contenu dé­montrable et bien défini, Einstein estime que la physique atomique, d'une part, et la théorie de la relativité généralisée, d'autre part, ont posé les conditions physiques né­cessaires de la géométrie de l'espace G . Ainsi, la structure de l'espace-temps dé­termine la structure des champs et des particules.

Vers l'unification de la théorie des champs

D e s efforts persévérants pour construire une théorie unifiée de tous les champs phy­siques, dans le prolongement de la théorie de la relativité généralisée, représentent l'es­sentiel des travaux d'Einstein — non seu­lement pendant ses dernières années à Berlin, mais surtout à Princeton. A Princeton, dans un premier temps, Einstein reprit ses tra­vaux sur une théorie de la relativité à cinq dimensions. D e 1945 à sa mort, il se consacra à la généralisation asymétrique de la théorie de la relativité généralisée, qu'il avait exposée dès 1924 à l'Académie des sciences de Berlin.

Einstein espérait surtout par ces dernières tentatives élargir la théorie de la relativité généralisée — ce qui lui paraissait également nécessaire d'un point de vue m a t h é m a ­tique — afin d'approfondir encore les bases de la physique et de rattacher la théorie de la relativité généralisée à la physique quan-tique. Son idée était qu'en généralisant la théorie de la relativité généralisée on abou­tirait en fin de compte à une théorie unifiée d u c h a m p de la matière, qui permettrait

aussi bien de résoudre l'énigme des quanta, au sens einsteinien, que de rendre compte de l'existence des particules élémentaires.

A l'époque, ces travaux d'Einstein n'abou­tirent à aucun résultat satisfaisant et furent considérés par lui-même c o m m e un échec. Toutefois, il se sentait capable de surmonter de telles défaites, et tenu de le faire, pour affirmer sa position personnelle, désormais tout à fait en désaccord avec l'évolution générale de la physique, déterminée par le succès de la théorie des quanta. Il espérait ainsi trouver enfin u n écho. C e faisant, Einstein s'isolait, conscient des physiciens de la jeune génération dont les plus repré­sentatifs — Heisenberg, Dirac et Pauli — acceptaient c o m m e base de la physique du xx e siècle les travaux d'Einstein sur l'atomis-tique, les fondements de la théorie de la relativité restreinte et les travaux de phy­sique quantique (pour lesquels il avait reçu le prix Nobel en 1922). Alais la théorie de la relativité généralisée se situait en dehors du domaine d'intérêt de la physique quan­tique et atomique, et les recherches relatives à une théorie géométrique unifiée auxquelles elle donnait lieu étaient considérées c o m m e des spéculations mathématiques ésotériques de caractère, essentiellement anachronique, d'autant plus qu'elles ne s'appuyaient pas sur la théorie quantique.

La valeur de la relativité généralisée

L a théorie de la relativité généralisée — à part quelques contributions à la cosmo­logie — n'ayant fait à l'époque aucun pro­grès notable depuis vingt ans, Einstein avait l'impression que, s'il était honoré pour avoir porté à sa perfection la théorie ato­mique, inventé la théorie de la relativité restreinte et fait connaître la théorie quan­tique, une grande partie de son œuvre res­tait incomprise.

Dans les cinq dernières années de sa vie, la situation se modifia nettement. L a théorie de la relativité généralisée avait trouvé dans

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l'astrophysique m o d e r n e et l'exploration ac­tive d e l'espace u n vaste c h a m p d'applica­tion. Et de n o m b r e u x théoriciens acceptaient l'idée d'Einstein q u e la théorie de la relativité généralisée est mathémat iquement mieux fondée que la théorie quantique et q u e , par conséquent, les progrès futurs de la p h y ­sique théorique seront déterminés par les méthodes et les concepts de la théorie de la relativité généralisée.

M ê m e les spéculations mathématiques d'Einstein sur u n e théorie d u c h a m p uni­fiée — qui semblaient à l'époque très abs­traites — ont u n impact indirect, voire de plus en plus direct, sur la physique contem­poraine.

L a théorie axiomatique quantique d u c h a m p , ainsi que la théorie des particules

Pour approfondir le sujet

A K H U N D O V , M . L O spazio e il tempo nella struttura délia teoría física [L'espace et le temps dans la structure de la théorie physique]. Scientia, vol. 113,

nos v-vi-vir-vnr, 1978.

on ac- élémentaires voient dans les symétries m a -sphca- thématiques — c o m m e le faisait Einstein à étaient la fin de sa vie — la clé des lois physiques, lativité Les notions de « géométrodynamique », mieux de « supersymétrie » d'Eich, de « super-îe, par gravitation », devenues familières dans la 1 p h y - physique contemporaine, procèdent direc->ar les tement de l'intuition einsteinienne d 'une ; de la théorie géométrique unifiée.

L a grande idée d'Einstein, selon laquelle itiques les principes fondamentaux de la théorie de p uni- la relativité généralisée transcendent l'oppo-:s abs- sition entre la physique classique et la théo-ùre de rie quantique, apparaît c o m m e le leitmotiv >ntem- d'une nouvelle époque de la pensée théori­

que, qui dépassera la théorie quantique et la ne d u théorie de la relativité, tout c o m m e celles-ci ticules ont supplanté la physique classique. D

B E R N S T E I N , J. Einstein. Londres, Fontana, 1973. (Collection M o d e m Masters.)

F E Y N M A N , R . La nature des lois physiques. Paris, Robert Laffont ; Paris, Marabout, 1970.

L A N C Z O S , C . Albert Einstein and the cosmic world order. N e w York, N . Y . , John Wiley, 1965.

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Qui sera le mieux équipé pour enseigner la physique dans les années 1980 ? Berol Robinson

Depuis l'époque où Einstein étudiait et pratiquait la physique, non seulement le contenu même de cette discipline, mais aussi son mode d'enseignement et d'expérimentation ont radicalement changé. U n professeur de physique explique ici quelques-unes des faiblesses des méthodes actuelles d'enseignement de la physique appliquées à la fois aux étudiants et aux professeurs.

Dans le bref exposé qui va suivre, nous pose­rons, au sujet de l'enseignement de la phy­sique dans les pays en développement, trois questions auxquelles il n'est pas facile de répondre, mais qui ne doivent pas pour au­tant être éludées. D e u x d'entre elles concer­nent aussi bien l'enseignement des autres sciences exactes et naturelles et devraient préoccuper également les enseignants d'au­tres disciplines. L e terme « pays en dévelop­pement » doit être interprété assez largement, étant donné que maints pays avancés sur les plans industriel et économique ne sont guère développés pour ce qui touche à ces questions.

Avant tout, il faut préparer les professeurs à enseigner

E n général, l'un des principaux secteurs dans lesquels les diplômés de l'université trouvent un emploi est l'enseignement d u second degré. Pourtant, dans le cadre des études traditionnelles des premières années d'université, la formation pédagogique n'a jamais beaucoup retenu l'attention. Je ne m e hasarderai pas à suggérer de consacrer une part importante des quatre premières années d'études universitaires à l'enseignement des

fondements et de la pratique de la théorie pédagogique, mais ce domaine pourrait au moins être effleuré et certains stages prati­ques d'enseignement pourraient notamment être prévus, m ê m e si les élèves sont les propres camarades de l'étudiant (comme dans le cadre d'un séminaire) ou d'autres étudiants d'un ou de deux ans ses cadets (si l'intéressé fait office de maître-assistant).

E n m a qualité de professeur de physique à l'université, j'ai parfois envié ceux qui commençaient leur carrière après avoir reçu une formation pédagogique c o m m e profes­seurs de l'enseignement secondaire, voire simples maîtres de l'enseignement primaire, pour retourner ensuite à l'université achever leurs études supérieures et obtenir un di­plôme de hautes études universitaires. C'est une filière qui était courante dans le passé, mais cet important apprentissage a récem­ment été écarté dans la hâte mise à former un très grand nombre d'enseignants pour les établissements supérieurs.

N o m b r e u x sont ceux qui commencent leur carrière d'enseignant à l'université après n'avoir entendu pour tout conseil que la remarque suivante : « Puisque cela fait près de vingt ans que vous étudiez, vous devez savoir en quoi consiste l'enseignement. »

impact : science et société, vol. 29 (I979)5 n° I 45

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• Berol Robinson

L'auteur du présent article, titulaire d'un doctorat de l'Université Johns Hopkins, est spécialiste de la physique expérimentale. Il a fait partie du corps enseignant de la Case Western Reserve University et du Massachusetts Institute of Technology avant d'entrer à V Unesco où il occupe un poste de spécialiste du programme dans le domaine de l'enseignement supérieur des sciences. On peut entrer en contact avec lui en lui écrivant à V Unesco, Secteur des sciences, 7, place de Fontenoy, 75700 Paris (France).

Préparer les professeurs d'université à ensei­gner est, à l'heure actuelle, une tâche dont u n petit nombre de pays avancés s'efforcent de s'acquitter systématiquement1, de m ê m e que de rares institutions exceptionnelles ailleurs2. Mais cet aspect de la formation des enseignants ne retient guère l'attention des pays en développement.

En second lieu, il importe de redresser quelques erreurs

Permettez-moi de dénoncer certaines des erreurs que l'on c o m m e t habituellement au sujet de l'enseignement des sciences à l'uni­versité. Tout d'abord, chacun, professeur ou non, a naturellement tendance à regarder le m o n d e à travers le prisme de sa propre expérience. (Une des raisons qui incitent à lire u n roman n'est-elle pas l'envie de décou­vrir une expérience autre — celle de l'au­teur ?) L e professeur d'université débutant est ainsi enclin à fondre chacun de ses étu­diants dans son propre moule, oubliant ou n'ayant tout simplement pas conscience a) qu'il est devenu professeur justement parce qu'il était l'un des plus brillants sujets de sa promotion et b) qu'il a dû surmonter l'obstacle de la sélection à de nombreux

niveaux pour parvenir au poste qu'il occupe. Par erreur ou par inadvertance, il attend de chaque étudiant qu'il fasse ce que lui-même était capable de faire au m ê m e âge.

U n autre mythe dont le système d'ensei­gnement (supérieur) a hérité est la nécessité d'opérer un « filtrage » imposé par la so­ciété : il a le devoir de sélectionner les étudiants « les meilleurs » et de rejeter « les moins bons », en vertu de certains critères généralement acceptés. Peu importe d'ail­leurs ce que sont ces critères (croit-on à tort), pourvu qu'ils soient admis sans trop de discussion. Dans les pays industrialisés, l'abondance de candidats permet d'écarter ceux qui ne répondent pas aux normes de sélection. Mais dans les nations en dévelop­pement, ces candidats représentent une den­rée plus rare3 et leur élimination en u n point quelconque d u processus de sélection constitue une perte regrettable4. Trois ques­tions se posent alors :

Q u e peut-on faire pour garantir le succès d'un plus grand n o m b r e d'étudiants ? J'ai entendu personnellement, lors d'un sé­minaire en Afrique, u n professeur répon­dre à cette question en affirmant qu'il incombait aux professeurs de l'enseigne­ment supérieur « de se mettre au niveau de chaque étudiant pour répondre à ses besoins », en d'autres termes, d'examiner chaque cas individuellement.

Quelle est la valeur des critères de sélection ? L a réponse à cette question se situe à u n niveau très supérieur à celui de l'établis­sement d'enseignement considéré ; elle se situe au niveau de la politique d'éducation appliquée à l'échelon national, voire in­ternational.

Quelles autres possibilités s'offrent à l'étu­diant qui est parvenu au niveau de sélec­tion, mais n'a pu le franchir ? Autrement dit, peut-on faire (ou dire) quelque chose de constructif pour celui qui pourrait spécifier sur sa carte de visite : « A passé sa licence es sciences (sans succès). »

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Enfin, il faut revoir les programmes de physique

Qu'il m e soit permis, en terminant, d'abor­der la question des programmes de physique proprement dits. J'opérerai ici une triple distinction, en subdivisant encore chaque élément en deux.

Tout d'abord, je distinguerai contenu et méthode. Aujourd'hui, l'accent est forte­ment mis sur le contenu dans les programmes de physique. Alors qu'il était courant, dans le passé, de parler « d'enseignement de la méthode scientifique », de nos jours ce souci est assez rare. Il existe désormais un volume important de connaissances nouvelles à im­partir et il est beaucoup plus facile d'ensei­gner u n contenu qu'une méthode et, surtout, de faire porter les examens sur le contenu que sur la méthode.

E n second lieu, le contenu lui-même peut être subdivisé en contenu théorique et contenu pratique (parfois appelé expérimen­tal, mais je préfère conserver le terme plus général que j'emploierai dans la suite de la présente étude). Pour des raisons analogues à celles qui viennent d'être données, les pro­grammes sont aujourd'hui fortement axés sur la théorie. Les travaux pratiques sont coû­teux, tant sur le plan du matériel à prévoir que sur celui des heures d'enseignement ; leur utilité est assez aléatoire, peut-être parce que l'apprentissage devrait porter sur la méthode plutôt que sur le contenu, et le contrôle en est évidemment difficile — à supposer, bien entendu, que l'on ait l'intention ou l'obligation de procéder à ce contrôle5.

E n troisième lieu, permettez-moi d'exa­miner la dichotomie qui existe entre la phy­sique moderne et la physique classique. L e programme des quatre premières années d'université a été conçu progressivement en fonction de la curiosité intellectuelle suscitée

par le succès de la mécanique quantique. L'accent y est mis sur les éléments de la physique classique qui sont indispensables à la compréhension de la physique quantique et de vastes domaines de la physique sont relativement négligés parce qu'ils présentent relativement peu d'intérêt pour cette « disci­pline frontière », bien qu'ils aient des appli­cations importantes. L a mécanique des corps déformables et la dynamique des fluides viennent à l'esprit en tant qu'exemples de domaines de la physique appliquée dans lesquels les diplômés de physique pourraient faire œuvre utile — à condition qu'ils reçoi­vent u n peu plus que l'initiation la plus élémentaire au cours de leurs premières années d'études supérieures.

Autres interrogations

Enfin, il conviendrait d'étudier à fond les trois aspects de l'enseignement de la phy­sique relégués aujourd'hui au second plan ; posons-nous ici trois autres questions : Est-il possible d'enseigner efficacement la

méthode ? Quel est le meilleur m o y e n d'enseigner à

observer puisque l'observation est le fon­dement m ê m e de la physique et qu'aucun physicien ne peut s'y dérober ?

Quels éléments supplémentaires de physique classique devrions-nous inscrire au pro­g r a m m e des premières années d'études supérieures ?

Ces questions préoccupent tous ceux qui s'intéressent à l'enseignement de la physique, tant dans les pays « avancés » que dans les pays en développement. C o m m e je l'ai dit au départ, elles ne sont pas faciles à résoudre et, en outre, les réponses différeront sensi­blement d'un lieu à l'autre. C e sont, néan­moins, des questions qu'il faut absolument se poser. D

Qui sera le mieux équipé pour enseigner la physique dans les années 1980? 47

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Notes

i. Se reporter notamment aux travaux du Co-ordinating Committee on Training University Teachers [Comité de coordination sur la formation des professeurs d'université], dont le coordonnateur est le D r Christopher Matheson, Registry, University of East Anglia, Norwich N R 4 7TJ (Royaume-Uni).

2. Par exemple : Center for Research in Learning and Teaching [Centre de recherches sur l'apprentissage et l'enseignement], University of Michigan, A n n Arbor M I 48104 (États-Unis d'Amérique).

3. Il est intéressant de comparer le coût de la formation d'un élève ou étudiant à un niveau donné et le produit (ou le revenu) par habitant d'une nation. L a simple présentation des données disponibles sous forme de tableau montre que ce rapport varie du simple au décuple pour la formation d'un titulaire de la licence. (Ceci vaut pour la formation dans le pays, parce que le rapport peut aller jusqu'au centuple pour la formation à l'étranger : les pays industrialisés qui acceptent des étudiants en provenance de pays

en développement devraient y prendre garde !) 4. Dans les statistiques relatives à

l'éducation, le terme technique utilisé est « déperdition ».

5. L e rôle des travaux pratiques dans l'enseignement de la physique a fait l'objet d'un examen rapide lors d'une conférence internationale sur l'enseignement de la physique qui a eu lieu en 1975, et une réunion internationale a été organisée sur ce seul thème en juillet 1978. A cette occasion, de nombreux aspects de l'enseignement expérimental ont été examinés, mais la question de savoir s'il convenait ou non d'incorporer les travaux de laboratoire dans les programmes de physique n'a guère été abordée. Certaines questions (évaluation, équipement peu coûteux et travaux pratiques dans les pays en développement, par exemple) ont été étudiées de façon assez détaillée, de m ê m e que les voies nouvelles permettant d'organiser l'instruction pratique et de nouveaux sujets tels que la micro-électronique et l'optique moderne. Les résultats de cette conférence sont très diffus. Aucune conclusion générale n'a été formulée, mais un rapport détaillé devrait être publié sous peu.

48 Berol Robinson

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Du brevet d'Einstein et Szilard à la magnéto-hydrodynamique moderne I. L . Povh et A . D . Barinberg

La pompe électromagnétique, inventée et brevetée par Albert Einstein et Léo Szilard, fut un des premiers appareils conçus pour utiliser l'action des champs électromagnétiques sur un liquide conducteur d'électricité. Les travaux entrepris ultérieurement dans ce domaine dans divers pays ont donné naissance à une discipline scientifique et technique nouvelle : la magnéto-hydrodynamique appliquée. Dans cet article, les auteurs étudient les réalisa­tions actuelles et les perspectives de ces applications.

L a source de toute réalisation scientifique est... l'insatiable avidité de savoir de l'expérimentateur et l'imagination créatrice de l'ingénieur et de l'inventeur.

A . Einstein [i]*

Le brevet britannique n° 344881**

Les grands esprits sont fertiles en idées. Il est parfois difficile d'expliquer l'origine de ces idées, lorsqu'elles n'ont qu'un rapport lointain avec le domaine d'activité de l'au­teur. Certaines idées, qui ont pu paraître sans grande portée aux yeux de la génération qui les vit naître, et de leur auteur m ê m e , étaient en fait en avance sur leur temps et sont devenues plus tard u n élément (voire le fondement) d'une science ou d'une techni­que. A cet égard, il est intéressant de considérer l'activité d'Albert Einstein en tant qu'inventeur. Expression suprême du génie d'Einstein, la théorie de la relativité a eu une immense influence sur l'évolution de la physique moderne et attiré l'attention sur son œuvre scientifique en tant que physicien. E n revanche, on a fait peu de cas des proues­ses de l'ingénieur et de l'inventeur. O r Einstein inventa u n électromètre d'un haut degré de sensibilité (pour l'époque) ; il col­

labora à la construction d'appareils gyros-copiques de grande précision qui devaient être largement utilisés plus tard sur les bateaux ; et il mit au point u n posemètre et un copieur. Les années qu'il passa à l'Of­fice fédéral des brevets de Berne devaient le marquer pour la vie et susciter en lui l'admi­ration des réalisations techniques, des in­ventions et des inventeurs. Vers la fin de sa vie, il reconnaissait avoir beaucoup appris en travaillant à la mise au point finale de brevets techniques. Il avait été contraint aussi d'en­visager chaque problème sous tous ses aspects et amené à réfléchir sur les phénomènes physiques [2].

Berlin, 1929 : U n jeune ami d'Einstein, Léo Szilard, fréquentait régulièrement ses conférences et séminaires. Les deux amis

* Les chirríes entre crochets renvoient à la bi­bliographie à la fin de l'article.

** U n e partie des renseignements donnés ici nous ont été aimablement fournis par B . E . Javelov.

impact : science et société) vol. 29 (1979), n° 1 49

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• Ivan Loukitch Povh, Alexandre Davidovitch Barinberg

Membre correspondant de VAcadémie des sciences de la République socialiste soviétique d'Ukraine, le professeur Povh dirige le Département des sciences hydrodynamiques de l'Université de Donetsk. Il se consacre depuis longtemps à la magnéto-hydrodynamique appliquée et il a organisé sur la technique magnétohydrodynamique plusieurs conférences qui ont rassemblé des spécialistes de toute l'Union soviétique; il a publié trois recueils d'études sur ses travaux, et a formé huit ingénieurs diplômés qui travaillent avec succès dans sa spécialité. Son adresse : Gosoudarstvennyi Universitet, Donetsk 340055 (URSS). Ingénieur diplômé, A . D . Barinberg est chargé de cours sur les appareils électriques à l'Institut polytechnique de Donetsk. Il participe également aux travaux de recherche et de perfectionnement de commutateurs et d'instruments de contrôle et de régulation magnéto-hydrodynamiques. Son adresse : Kafedra EPG, DPI, Donetsk 340066 (URSS).

avaient le m ê m e enthousiasme pour les scien­ces physiques, ce qui ne les empêchait pas de s'intéresser spécialement aux problèmes techniques. A cette époque, de nombreux inventeurs cherchaient à mettre au point de nouveaux types de machines frigorifiques — question qui intéressait aussi Einstein et Szilard. Ils proposèrent un appareil frigo­rifique où le réfrigérant était u n métal li­quide. L a difficulté était de pomper le réfrigérant. Les pompes mécaniques ne fai­saient pas l'affaire. C'est ainsi que naquit l'idée d'une p o m p e électromagnétique l'une des premières jamais réalisées : une p o m p e conçue pour résoudre un problème précis.

Dans ce cas, un c h a m p magnétique variable fait circuler un liquide conducteur. E n 1931, Einstein et Szilard obtinrent un brevet bri­tannique — n° 344881 — pour ce type de p o m p e à utiliser pour les machines frigori­fiques [3]. L e réfrigérant proposé était un alliage de sodium et de potassium considéré encore maintenant c o m m e le plus efficace pour le refroidissement des réacteurs dans les centrales nucléaires.

Einstein et Szilard ne pensaient certes pas alors compter parmi les inventeurs et les savants qui posaient les fondements d'une science et d'une technologie nouvelle : la magnéto-hydrodynamique appliquée. L e terme « magnéto-hydrodynamique » fut créé u n peu plus tard (peu après 1940) par l'astro-physicien Hannes Alfvén, qui a étudié l'in­fluence des champs électromagnétiques sur les phénomènes cosmiques. Mais les expé­riences terrestres mettant en jeu l'interaction d'un c h a m p électrique et d'un liquide ou plasma conducteur remontent au xixe siècle. C'est ainsi qu'en 1821 H u m p h r y D a v y observa la déviation d'un arc électrique sous l'effet d'un c h a m p magnétique, et que Faraday tenta de mesurer la force électro­motrice induite par le mouvement de l'eau dans le champ magnétique terrestre. Les expériences de Faraday échouèrent, surtout parce qu'une grande partie du signal recher­ché passait par le lit de la rivière, et non par l'appareil de mesure. Cependant, Faraday connaissait le rapport de Wollaston sur les mesures de la tension induite par la marée montante dans la M a n c h e (1851). Par ail­leurs, u n article de Ritchie, paru dans Pro­ceedings of the Royal Society en 1832, traitait du mouvement d'un liquide sous l'effet d'une force électromagnétique.

U n certain nombre d'articles sur la m a ­gnétohydrodynamique furent publiés au dé­but du xxe siècle — notamment sur les pompes d'Einstein et Szilard, de Triapit-cin [4] et de C h u b b [5], sur l'indicateur électrique de Northrup [6], et sur le c o m p ­teur électrique de Smith et Slepian [7]. A la différence des chercheurs du xixe siècle, ce

50 I. L . Povh et A . D . Barinberg

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groupe d'ingénieurs et de scientifiques s'ef­forçait d'appliquer les possibilités de la magnéto-hydrodynamique aux problèmes techniques de l'époque. C'était là faire œuvre éminemment utile.

Cependant, ces recherches demeurèrent longtemps au stade des expériences de labo­ratoire. Seuls le progrès technologique et le développement industriel des trente der­nières années ont permis à la magnéto-hydrodynamique d'avoir des applications in­dustrielles, conformément aux idées de ses promoteurs. O n connaît surtout les géné­rateurs M H D (magnéto-hydrodynamiques). Mais les « capacités » de la magnéto-hydrodynamique ne se limitent pas à la production d'énergie électrique. Considérons quelques-unes de ses réalisations et de ses possibilités.

Régulation des transporteurs et du circuit d'alimentation

Conformément aux lois de la physique, le mouvement d'un conducteur dans un champ magnétique produit une force électromo­trice aux bornes du conducteur. C'est le cas non seulement pour les conducteurs solides, mais aussi pour les liquides et les gaz conduc­teurs. L e générateur M H D le plus simple est un tube — de section rectangulaire — placé entre deux pôles magnétiques. Des électrodes sont introduites dans les deux parois opposées du tube. O n fait passer dans le tube un gaz ionisé (plasma) ou un liquide, et la différence de potentiels ou force électro­motrice apparaît aux électrodes.

Les machines électriques, elles, sont géné­ralement réversibles. E n conséquence, si l'on remplit un tube d'un liquide conducteur d'électricité, le passage du courant à travers les électrodes produit, par interaction avec le champ magnétique, une force qui est orientée ( comme dans le cas d'un conducteur solide de courant dans un c h a m p magnéti­que) dans le sens contraire des aiguilles d'une montre. U n dispositif de ce genre est capable de pomper un liquide conducteur : c'est

D u brevet d'Einstein et

F I G . I. Principe de fonctionnement d'une pompe de conduction M H D . E n passant dans le liquide, le courant crée une force électromagnétique (dans le sens de la flèche).

ce qu'on appelle une p o m p e de conduction électromagnétique (ou p o m p e M H D ) .

L e principe de l'interaction d'un courant électrique et d'un flux magnétique est à la base du fonctionnement de toutes les p o m ­pes M H D , mais les sources de flux magné­tique, et partant le dessin des pompes, varient. Les pompes M H D d'induction sont d'usage fréquent aujourd'hui. Elles fonc­tionnent selon le m ê m e principe que le moteur d'induction. Si l'enroulement est chargé d'un courant alternatif triphasé, le champ magnétique envoie des pulsations pour chaque phase. Si l'enroulement est placé à la surface du cylindre, la s o m m e des trois champs induit la rotation du champ. Imaginons un cylindre à enroulement li­néaire : le champ avance ; il se déplace. L e

F I G . 2. P o m p e d'induction M H D . i : noyaux avec enroulement ; 2 : cylindre contenant le fluide conducteur d'électricité. C o m m e le schéma l'indique, la pompe ne comporte pas d'électrodes : les courants sont induits dans le fluide par un fluide en mouvement.

à la magnéto-hydrodynamique moderne 51

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courant électrique est induit dans n'importe quel corps conducteur (par exemple, une plaque) placé dans la zone d 'un champ en mouvement. Il y a alors interaction du cou­rant et du champ magnétique qui l'a produit, et la plaque commence à se mouvoir. C'est le principe du fonctionnement des moteurs linéaires. La plaque solide peut être rempla­cée par un chenal qui laisse passer un liquide conducteur ; l'effet sera le m ê m e : la pression du liquide augmentera. E n fait, le phéno­mène est le m ê m e que dans une pompe de conduction : le conducteur qui achemine le courant dans le champ magnétique se met en mouvement. Dans ce cas, cependant, le courant est transmis directement au liquide, mais il est induit par l'intermédiaire du champ magnétique en mouvement.

O n peut se demander s'il est possible de pomper un liquide non conducteur à l'aide d'une p o m p e M H D . Probablement oui, mais dans un tel dispositif, le métal liquide conduc­teur, m û par la pompe M H D , fait fonction de piston : il déplace l'autre liquide, exé­cutant un mouvement de va-et-vient.

L e développement de l'énergie nucléaire a beaucoup contribué à la mise au point et à l'utilisation des pompes électromagnétiques. Certains types de réacteurs utilisent c o m m e fluides caloporteurs des métaux liquides (so­dium, lithium, potassium). O r ces métaux sont difficiles à transporter à l'aide de p o m ­pes conventionnelles, dont les pièces mobiles exigent un entretien constant et se dérèglent rapidement. O n a donc eu recours aux pro­cédés, décrits par Einstein et d'autres inven­teurs, de pompage des liquides conducteurs d'électricité à l'aide d'un champ magnétique. E n effet, une telle pompe ne comporte aucune pièce mobile. D e 1953 à 1956, on a fabriqué aux États-Unis un certain nombre de pompes destinées aux réacteurs nucléaires de sous-marins. U n e de ces pompes a été installée sur le Sea wolf. E n U R S S , on a mis au point, à l'Institut D . V . Efremov de recherche scientifique pour l'équipement électrophysique, une série de pompes d'in­duction fonctionnant sur 100 k W environ,

destinées à pomper les métaux alcalins dans les unités auxiliaires des centrales nucléaires. Certaines de ces pompes peuvent transporter jusqu'à 500 m 3 / h à la pression de 2 kg f /cm2 .

Les pompes M H D se sont révélées très utiles dans la métallurgie et la fonderie. Par exemple, pour couler un métal liquide il suffit d'appuyer un certain temps sur un bouton pour que la quantité requise de métal fondu soit déversée dans un moule ; la pompe s'arrête alors automatiquement. D e tels dispositifs de contrôle du débit de coulée sont déjà utilisés dans un certain nombre d'entreprises. Ceux conçus à l'Institut de physique de l'Académie des sciences de Lettonie (Riga) pour couler le plomb et les alliages de plomb sont particulièrement effi­caces. Les dispositifs conçus à l'Institut de recherche sur les problèmes de fonte des métaux de l'Académie des sciences d'Ukraine (Kiev) coordonnent la chauffe électroma­gnétique du métal dans le creuset et le dosage consécutif dans la poche de coulée. L e débit de coulée est d'environ 3 kg/s pour 0,5 à 50 kg d'aluminium. Pendant la phase de dosage, le système ne consomme que 25 k W . L a coulée électromagnétique réduit de moi­tié les frais de main-d'œuvre, augmente la productivité, réduit les pertes en déchets, et améliore les conditions de travail. Energo-maseksport, la firme soviétique pour l'expor­tation d'équipement électrique, a fourni du matériel de ce genre à la République démo­cratique allemande, à la Bulgarie et à la Hongrie.

Autres applications

L a pompe M H D est un instrument c o m ­m o d e pour contrôler le débit d 'un métal liquide à la sortie de la cuve. Le métal fondu passe par le chenal de la pompe placé au fond de la cuve. Si le commutateur de la pompe est tourné de façon que la force électroma­gnétique pousse le métal vers l'extérieur, le débit du liquide augmente. A l'inverse, si le commutateur commande à la force électro­magnétique d'agir dans la direction opposée

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F I G . 3. Moulage sans noyaux de pièces creuses) à l'aide d'une p o m p e M H D . 1 : four ; 2 : pompe M H D ; 3 : moule en plusieurs parties ou coquille. O n distingue trois phases : I : le métal s'écoule du four par le cylindre de la pompe vers le moule ou coquille ; II : la partie extérieure de la coulée se refroidit et forme un moulage (l'épaisseur des parois du moulage dépend du temps de refroidissement) ; III : on inverse le mouvement de la pompe, qui aspire alors la portion non durcie du métal et la renvoie dans le four.

(vers la cuve), le débit diminue. Dans ce dernier cas, la p o m p e M H D — souvent appelée « soupape M H D » ou « obturateur M H D » — joue le rôle de bouchon. C e dis­positif permet de programmer le débit du liquide à la sortie de la cuve. L a p o m p e électromagnétique présente un avantage cer­tain sur d'autres types de pompes, en ce qu'elle permet de changer aisément la direc­tion de la force qui s'exerce sur le métal liquide. L'obturateur M H D a été soumis à des essais concluants en vue de son applica­tion industrielle à l'usine de traitement de l'aluminium de Bratsk et dans les usines

métallurgiques de Kouïbychev en U R S S , et en France à l'Institut de recherches de la sidérurgie.

L e combinat du mercure Nikitov, dans le Donbass, est équipé d'un système complet de dispositifs M H D pour le transport, le contrôle de la coulée et l'épuration du mer­cure. E n conséquence, le traitement du mer­cure est entièrement automatique et auto­n o m e , ce qui permet une productivité accrue et de meilleures conditions de travail. Les pompes à mercure ont un rendement ho­raire de 0,5 à 65 tonnes de mercure pour une pression de 0,2 à 60 kg f /cm2 . Les ingénieurs soviétiques réalisent maintenant des installa­tions de ce genre dans d'autres pays ; il en existe déjà une en Algérie. Il est parfois souhaitable de pouvoir accéder à la zone de surface pendant le transport du métal li­quide. E n effet, l'accès à la surface facilite de nombreuses opérations techniques, telles que le nettoyage du métal, le brassage, etc. C'est pourquoi un nouveau type de p o m p e M H D a été mis au point : l'auge électromagné­tique. L e métal liquide y est soumis à l'action du champ électromagnétique non dans un chenal fermé, mais dans une auge ouverte. L'auge électromagnétique ressemble à une p o m p e d'induction dont on aurait ôté l'in­ducteur supérieur et la paroi supérieure du chenal. C'est, en quelque sorte, une canne­lure métallique dans un « chenal électro­magnétique ». E n 1969, la firme japonaise Angawa Denki a équipé une fonderie de petites auges pour contrôler la coulée de fonte. E n 1966 a été inaugurée, dans une usine métallurgique du Donbass, une auge colossale de 30 mètres de long. L e 27 sep­tembre de cette année-là, les directeurs de l'entreprise virent avec quelque appréhen­sion une foule inhabituelle se masser, totale­ment indifférente aux consignes de sécurité, le long du chenal qui devait recevoir le jet de fonte à la sortie du fourneau. L e procédé est courant, mais il y avait une innovation : au lieu d'être en pente descendante du haut fourneau jusqu'à la poche — c o m m e par­tout — le chenal (ou auge) était en pente

D u brevet d'Einstein et Szilard à la magnéto-hydrodynamique moderne 53

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F I G . 4. Dispositif permettant de séparer la fonte liquide du laitier. A la sortie du fourneau, 1, la fonte qui coule dans le chenal, 2 (vue en coupe transversale) contient toujours du laitier. L e laitier étant d'une densité inférieure à la fonte, il s'amasse en couche à la surface du métal liquide, 3, et s'écoule par le chenal de décrassage, 4 , vers la cuve à scories, 5. Il est impossible de déterminer la hauteur optimale de la tuyère qui éviterait qu'une certaine quantité de fonte soit entraînée dans la cuve à scories. Il y a nécessairement u n certain pourcentage de perte. O n peut donc concevoir le chenal de décrassage, 4, c o m m e une auge électromagnétique avec u n inducteur, 6, placé sous cette auge. Lorsque l'inducteur est mis en circuit, la force électromagnétique empêche la fonte de couler vers la cuve à scories alors que le laitier, non conducteur, s'écoule librement.

montante. Pourtant, dès que la fonte com­mença à couler du fourneau, elle se mit à monter dans l'auge ! C e défi apparent à la loi de la pesanteur s'explique par la présence sous l'auge de noyaux d'acier avec enroule­ment. L a force produite dans le flux de métal fondu par le champ magnétique était plus puissante que la pesanteur, faisant cou­ler la fonte vers le haut.

La M H D et les progrès techniques

Dans l'industrie métallurgique, les pompes sont utilisées pour d'autres opérations que la régulation de la coulée de métal. Elles ser­vent aussi à améliorer certaines opérations, telles que l'épuration de la fonte. La fonte grise a souvent une teneur en soufre exces­sive, qu'on peut éliminer par l'addition d'un agent de désulfuration (par exemple chaux, soude, magnésium). Après avoir fixé le sou­fre, cet agent est extrait de la fonte.

Certaines opérations métallurgiques exi­

gent un mélange parfait du métal liquide, qu'on obtient par un procédé électromagné­tique. L e métal est coulé dans une cuve cylindrique avec enroulement triphasé. Lors­que le courant est envoyé dans l'enroulement, le champ magnétique commence à tourner imprimant u n mouvement rotatif au liquide conducteur. L e mélange s'opère alors dans la cuve. U n autre procédé consiste à ins­taller dans le bain de métal fondu une p o m p e qui y engendre un puissant mouvement en spirale. La vitesse du débit du métal et la profondeur d'immersion de la p o m p e sont déterminées en fonction de spécifications techniques. Il existe encore d'autres types de mélangeurs M H D . Les fours de fusion à arc sont largement utilisés pour le mélange électromagnétique de l'acier. Les mélan­geurs sont produits en série par l'usine Electrosila de Leningrad, la firme Heraeus (République fédérale d'Allemagne), la so­ciété américaine Westinghouse, etc. Depuis quelques années, on utilise des mélangeurs d'un type moins puissant — par exemple, à la manufacture de livres de Kiev, pour la fusion électromagnétique de l'alliage servant à fabriquer les caractères d'imprimerie — qui permettent de réduire de moitié les pertes en métal, par rapport aux procédés courants.

Les procédés M H D exercent sur le métal liquide une action très différente de celle des techniques mécaniques : piston, gaz comprimé, etc. E n effet, les forces électro­magnétiques sont produites directement dans la masse du métal et sont assimilables à cet égard à la force de pesanteur ; il devient ainsi possible, par exemple, d'obtenir une goutte de métal liquide en suspension dans l'air. E n disposant des inducteurs autour de la goutte, on crée un champ magnétique variable à cet endroit. Les courants induits dans la goutte entrent en interaction avec le champ magnétique et libèrent une énergie qui compense la force de pesanteur : la goutte « reste suspendue » en l'air ! Et les courants induits chauffent la goutte à la température requise. O n utilise ce procédé de fusion sans creuset pour obtenir des m é -

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taux extra purs en petites quantités. Il est difficile de produire de grandes quantités par cette méthode en raison de l'instabilité du liquide dans la « cuve électromagnéti­que » : au moindre écart par rapport à la répartition requise du c h a m p magnétique dans l'espace, la cuve « fuit ».

Perfectionnement de procédés nouveaux

L'usine métallurgique de Kouïbychev est équipée d'un système original : u n cristal-liseur électromagnétique. Alors que dans un cristalliseur ordinaire le métal fondu durcit dans un moule réfrigéré, dans le cristalliseur électromagnétique la surface latérale de la coulée n'entre pas en contact avec les parois. Elle est portée par le c h a m p magnétique jusqu'à ce que le métal refroidi se transforme en lingot. Les lingots ainsi obtenus présen­tent une surface unie et régulière et le métal est d'une qualité très supérieure. Plusieurs entreprises soviétiques sont équipées de tels dispositifs, et certaines sociétés étrangères ont acheté les droits de cette invention des métallurgistes de Kouïbychev.

E n agissant sur u n liquide, le c h a m p élec­tromagnétique en modifie le poids. C e phé­nomène comporte des applications intéres­santes. L e chenal de coulée du métal étant placé entre deux pôles magnétiques, on fait passer u n courant dans le métal, le long du chenal, de façon que la force électromagné­tique agissant sur chaque volume élémentaire de métal soit dirigée vers le bas, vers le fond du chenal. L a pression exercée sur le fond et sur les parois latérales se trouve ainsi accrue, ce qui revient à accroître d'autant le poids spécifique du métal liquide. Si ce der­nier contient des impuretés non conductrices (particules de laitier, pellicules d'oxyde), le champ électromagnétique n'a pas d'effet sur elles et leur poids spécifique n'est pas modifié. E n amplifiant la différence entre les poids spécifiques, on obtient une augmentation de la poussée d'Archimède sur les impuretés qui remontent à la surface : le métal est ainsi débarrassé des impuretés non métalliques.

F I G . 5. L e dispositif ci-dessus est identique à celui de la p o m p e de conduction M H D , si ce n'est que le courant passe à travers le liquide par un chenal. E n conséquence, la force électromagnétique est dirigée vers le fond du chenal (en sens contraire des aiguilles d'une montre). L e liquide devient « lourd ». Si l'on inverse le courant, le liquide devient « léger ».

L e phénomène de la charge électrique est utilisé pour l'enrichissement des minerais. D a n s l'un des procédés de séparation, cer­tains matériaux restent immergés dans le liquide, tandis que d'autres remontent à la surface. Mais la méthode M H D permet de concentrer davantage le liquide. C e type de séparateur c o n s o m m e environ 100 k W pour enrichir jusqu'à 50 tonnes/h de minerai.

Des expériences réalisées dans des stations ou des vaisseaux, dans des conditions de totale apesanteur, ont permis d'obtenir des fusions homogènes de métaux non miscibles à l'état liquide — en particulier de métaux qui, à terre, se stratifient inévitablement pen­dant le processus de cristallisation en raison de différences de densité. Des physiciens de Riga ont utilisé l'action de la force électro­magnétique sur les métaux liquides pour obtenir des résultats analogues à terre. Ils ont réussi à réaliser des conditions dans les­quelles les composants liquides de diffé­rentes fusions, soumis à des forces électro­magnétiques, réagissent c o m m e s'ils avaient la m ê m e densité, ce qui est le cas dans des conditions d'apesanteur. O n a déjà obtenu ainsi des fusions homogènes de zinc et de plomb, de bismuth et de gallium, et de gal­lium et de plomb.

D u brevet d'Einstein et Szilard à la magnéto-hydrodynamique m o d e r n e 55

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Le générateur M H D , appareil de mesure

A u début de cet article, nous avons rappelé le principe du générateur M H D . Dans ce type de générateur, la force électromotrice est proportionnelle à l'induction magnétique, à la distance entre les deux électrodes et à la vitesse du flux. Si la dimension du chenal et le champ magnétique sont constants, il est évident que la force électromotrice est pro­portionnelle seulement à la vitesse du flux ; autrement dit, le générateur M H D devient un indicateur de vitesse : un débitmètre. Dans ce cas, c o m m e dans celui des pompes M H D , quelles que soient les sources du champ magnétique, la force électromotrice reste proportionnelle au flux. Naturellement, le débitmètre est très inférieur en dimensions et en capacités au générateur M H D , puisque sa charge électrique se limite normalement à l'appareil de mesure ou à l'enregistreur de la force électromotrice.

Les physiologues, en particulier le Fran­çais Fabre, furent les premiers à utiliser le débitmètre électromagnétique c o m m e appa­reil de mesure. D e nombreux articles ont paru sur l'application de tels appareils à l'étude de la circulation du sang. L e sang est pompé à l'extérieur ou étudié à l'aide d'un débitmètre placé sur un vaisseau sanguin en bon état. Les débitmètres M H D sont utilisés dans la marine. L e loch, qui sert à mesurer la vitesse d'un navire, est fondé sur le prin­cipe du débitmètre. U n loch électromagné­tique, fixé à la carène, mesure le débit de l'eau par rapport au navire et émet un signal électrique proportionnel à la vitesse de dé­placement. L e loch électromagnétique est plus sensible que les autres appareils de m e ­sure de la vitesse. Il a été utilisé avec succès sur le sous-marin américain Nautilus.

Quel est le dessin le plus rationnel pour un oléoduc ? Quelle est la forme optimale d'une coque de navire ? L a mesure du débit permet de répondre à ces questions, et à bien d'autres. Dans le cas d'un liquide conduc­teur d'électricité (même mauvais conducteur c o m m e l'eau du robinet), le débitmètre M H D

est l'un des meilleurs instruments de m e ­sure : il permet de déterminer la force élec­tromotrice, qui est proportionnelle à la vitesse instantanée et à la vitesse moyenne pendant un laps de temps donné. Des débitmètres fixés en divers points de la coque du bateau ou de l'oléoduc fournissent des données sur les variations de débit.

Des débitmètres ont été mis au point et sont utilisés aux États-Unis, au Royaume-Uni, en France et dans la République d é m o ­cratique allemande. E n U R S S , ils sont fabri­qués par la manufacture d'instruments de mesure de Tallin. L e Département de phy­sique hydrodynamique de l'Université de Donetsk fabrique des appareils permettant de mesurer les pulsations de la vitesse d'écou­lement. Ils peuvent enregistrer des pulsations de l'ordre de 0,5 m / s .

Les romans de Jules Verne se réalisent

Mobilis in mobile! [Mobile dans l'élément mobile !], c'est la devise du capitaine N e m o , ce héros épris de liberté, créateur du sous-marin Nautilus. Jules Verne avait imaginé le Nautilus équipé d'un seul moteur électrique ordinaire et d'une hélice. Ecrivant dans les années i860, Jules Verne était très en avance sur la technologie de son temps. U n siècle plus tard, le moteur électrique ordinaire ne satisfait plus les ambitions des constructeurs de sous-marins. Dès les années i960, des plans de sous-marins à réaction équipés de moteurs M H D avaient été mis au point.

Il est intéressant de noter que Jules Verne avait prévu certaines caractéristiques structurales du sous-marin M H D : « L e Nautilus... affecte sensiblement la forme d'un cigare... il se compose de deux coques, l'une intérieure, l'autre extérieure... fabri­quées en tôle d'acier. » Or voici la description que donnent L . G . Vasil'ev et A . I. Hozainov du sous-marin M H D dans leur ouvrage sur la magnéto-hydrodynamique dans la cons­truction navale [Magnitnaja gidrodinamika v sudovoj tehniké] : «. . . La coque extérieure

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F I G . 6. Moteur d'induction M H D pour sous-marin i : rigole annulaire recevant l'eau de mer ; 2 : coque intérieure et coque extérieure ; 3 : enroulement. Les machines sont logées dans la coque intérieure.

et la coque intérieure du sous-marin consti­tuent les circuits magnétiques du propul­seur — autrement dit, les noyaux des induc­teurs dans les chambres desquels sont installés des enroulements triphasés. Entre les inducteurs, sur toute la longueur de la coque, est aménagée une rigole annulaire dans laquelle l'eau de mer pénètre libre­ment. Le courant triphasé, en passant dans l'enroulement, produit un champ magné­tique se déplaçant de l'avant vers l'arrière. Des courants induits se forment dans l'eau de mer de la rigole. Et l'interaction de ces courants et du c h a m p magnétique en m o u v e ­ment produit dans l'eau une force électro­magnétique qui s'exerce dans le sens du déplacement du champ. L e submersible est comparable à un calmar : il semble propulsé par l'eau. C'est l'une des applications du moteur d'induction M H D : mobilis in mobile.

Il existe aussi u n moteur de conduc­tion M H D . Dans ce cas aussi, le navire a une coque extérieure et une coque intérieure. Entre les deux coques sont placés des ai­mants permanents — en forme de barres — qui créent un c h a m p magnétique dans la rigole ; les lignes de force de ce c h a m p sont circulaires. Les coques extérieure et inté­

rieure, séparées par une plaque isolante, servent d'électrodes par lesquelles le cou­rant passe dans l'eau de mer de la rigole, dans le sens radial. L'interaction du flux magnétique et du courant électrique en­gendre dans l'eau de m e r des forces électro­magnétiques qui donnent l'impulsion au moteur.

U n e question se pose : pourquoi ne pas équiper toute la flotte sous-marine de m o ­teurs M H D , ce qui permettrait d'accroître la vitesse et de réduire le bruit et les vibra­tions ? Peut-être le fera-t-on un jour, mais pour le moment ces moteurs sont relative­ment peu puissants, parce que l'eau de m e r n'est pas très bonne conductrice d'électricité et parce que les aimants produisent une induction magnétique plutôt faible. Ces dif­ficultés peuvent être surmontées grâce à l'utilisation de réacteurs atomiques puissants (en tant que source d'énergie) et d'aimants superconducteurs. Mais actuellement, on en est encore au stade des maquettes. U n e maquette de canot automobile a été exposée au Musée polytechnique de Moscou dans les années 1950, et une maquette de sous-marin à l'Université de Californie dans les années i960.

D u brevet d'Einstein et Szilard à la magnéto-hydrodynamique moderne 57

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Instruments de contrôle et de régulation

Sur un panneau est fixé verticalement un tube de verre contenant u n liquide dans sa partie inférieure et relié, d'une part, à une petite p o m p e M H D , et, d'autre part, à une cuve remplie de liquide. Cet appareil ressemble à un thermomètre; c'est en fait un ampère­mètre, sans aiguille et sans chiffres lumineux.

L a p o m p e M H D aspire le liquide conduc­teur de la cuve pour le faire passer dans le tube. L e niveau du liquide dans le tube s'élève d'une hauteur proportionnelle au courant qui passe dans la p o m p e . Si l'on veut établir un rapport de dépendance déterminé entre le courant et le niveau du liquide, on utilise un tube à section variable. E n incli­nant le tube, la graduation de l'ampèremètre s'allonge : pour une pression constante dans le conduit de la p o m p e , donc pour un cou­rant constant, le liquide a un plus long chemin à parcourir.

O n peut verser u n liquide léger non conducteur sur un liquide lourd conducteur d'électricité pour faciliter le pompage. Par exemple, u n ampèremètre de 50 ampères à deux liquides aura une graduation de 2 m è ­tres. E n plus de l'ampèremètre M H D , il existe des wattmètres M H D (indicateurs de puissance) et d'autres appareils électriques de mesure. Si le tube où circule le liquide est placé entre une source de lumière et une pellicule impressionnable, le signal envoyé à la p o m p e s'inscrit sur la pellicule c o m m e un tracé ombré.

L e relais est un dispositif de contrôle du courant électrique (puissance, tension, etc.) qui émet un signal lorsque la grandeur m e ­surée obtient un certain seuil. Le relais M H D le plus simple se compose de cuves partielle­ment remplies d'un liquide conducteur (mer­cure, par exemple), communiquant par l'intermédiaire d'une p o m p e M H D et por­tant des électrodes. Certaines paires d'élec­trodes sont immergées dans le mercure, d'autres émergent à la surface. E n déplaçant le niveau du mercure, la p o m p e ferme et ouvre les circuits.

F I G . 7. Commutateur M H D . 1 : parois du cylindre annulaire de la p o m p e M H D ; 2 : pôles de l'aimant ; 3 : électrodes des circuits de commutation ; 4 : goutte de mercure (Hg). Le mercure se déplace le long du cylindre et déclenche alternativement les électrodes des circuits contrôlés.

Divers types d'aimants

La pression exercée par une p o m p e de conduction dépend du courant produit dans le canal et du flux magnétique. Si le canal de la p o m p e du relais est relié à un circuit électrique continu, monté en série avec une charge électrique, et si le flux magnétique est constant (aimant permanent, par exem­ple), la différence de niveau dans les cuves d u relais correspond au niveau du courant. Lorsque la charge électrique atteint un ni­veau déterminé, certaines paires d'électrodes d'une cuve émergent du mercure et ouvrent le circuit directionnel. D'autres paires d'élec­trodes, dans une autre cuve, entrent en contact avec le mercure et établissent u n nouveau circuit. Mais si la polarité du courant se modifie dans le canal de la p o m p e , le mercure se déplace en sens inverse — autrement dit, le relais contrôle non seulement l'intensité, mais aussi le sens du courant.

O n peut remplacer l'aimant permanent

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par u n électro-aimant. Si l'enroulement de l'électro-aimant est relié au canal par un montage en série, la sensibilité du relais se trouve considérablement accrue : la pression varie à la fois en fonction du courant du canal et en fonction du flux magnétique de l'électro-aimant. Mais les relais de ce type ne sont pas sensibles aux changements de sens du courant, car il se produit en m ê m e temps u n changement de polarité (si le signe des deux facteurs change, le signe du produit ne change pas).

D a n s un relais à bobine électromagnétique directement branchée sur le circuit, indé­pendant du canal, le flux magnétique est proportionnel à la tension. O n appelle ce type de relais, relais de puissance, parce que la différence du niveau du mercure dans les cuves est proportionnelle au produit du cou­rant d u canal par la tension du circuit. Si l'on branche u n tel relais sur courant alter­natif, la pression du canal de la p o m p e dé­pend aussi de la synchronisation du courant et d u flux magnétique, c'est-à-dire de l'am­plitude de phase. O r , étant donné que la puissance d'un circuit de courant alternatif dépend aussi de l'amplitude de phase, l'ap­pareil utilisé sur courant alternatif est soit u n relais de puissance, soit un relais de déphasage.

Flexibilité et commodité

L e relais M H D équipé d'une p o m p e d'in­duction triphasée règle non seulement l'in­tensité du courant, mais aussi la corrélation des courants triphasés. Plus l'asymétrie est grande, moins les niveaux diffèrent d'une cuve à l'autre (les cuves sont c o m m u n i ­cantes). L'interruption d'une phase fait dis­paraître la pression dans le canal. C e relais est également très sensible à la séquence des phases : si la séquence se modifie, la force change de sens dans le canal.

Les conditions techniques de fonctionne­ment d'un relais déterminent sa dimension et l'énergie qu'il utilise. A l'Institut de phy­sique appliquée de Moscou, fonctionne un

relais à courant continu qui se déclenche au I/I ooo de seconde. Il a un volume total de i c m 3 , y compris l'aimant, et la masse de mercure se mesure en fractions de gramme. Les relais réalisés à l'Institut polytechnique de Donetsk correspondent à des spécifica­tions différentes. Par exemple, le relais des­tiné à protéger u n moteur électrique triphasé se déclenche d'autant plus vite que la sur­charge est plus forte ; il pèse environ 2 kg et remplace plusieurs relais conçus d'après des principes différents.

O n sait combien sont flexibles et pratiques les systèmes hydrauliques de divers appa­reils et machines. Les appareils M H D sont deux fois plus pratiques et efficaces, puisque le déplacement du liquide y est l'effet direct à la fois de l'action du courant électrique et de celle d u champ magnétique. Actuellement, on c o m m e n c e à connaître la technologie de la production en série de plusieurs de ces appareils et l'on met au point de nouveaux dispositifs pour la régulation des circuits continus à haute tension, pour le contrôle d'opérations technologiques, pour le contrôle de grandeurs non électriques (fréquence de rotation et angle de rotation d'un axe), ainsi que d'autres éléments ou systèmes de pro­duction et de régulation.

Conclusion

Les réalisations scientifiques et techniques dans le domaine de la M H D sont maintenant bien connues, L'Académie des sciences de la République socialiste soviétique de Lettonie publie u n journal spécialisé de magnéto-hydrodynamique, unique au m o n d e : Magnit-naja gidrodinamika. E n U R S S et dans beau­coup d'autres pays, en plus des travaux sur les générateurs M H D , de nombreuses re­cherches se poursuivent sur les possibilités d'application de la M H D , dans la métallur­gie et la fabrication d'instruments, la techno­logie et la chimie atomiques, le génie méca­nique et la production d'équipement. L e présent article ne porte que sur quelques aspects des recherches en cours.

D u brevet d'Einstein et Szilard à la magnéto-hydrodynamique moderne 59

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Ces recherches ne donnent pas toujours lieu à des applications pratiques, tant s'en faut ; tous leurs résultats ne sont d'ailleurs pas pleinement utilisables au stade actuel de la technologie. Il est probable, néanmoins, qu'avec le perfectionnement des procédés industriels et la diversification des besoins

Bibliographie

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Pour approfondir le sujet

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60 I. L . P o v h et A . D . Barinberg

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Antimatière et cosmologie" J. L . Demaret et J. E . H . L . Vandermeulen

L'astrophysique applique les lois et les méthodes de la physique à Vétude des phénomènes cosmiques. Le déploiement de moyens d'observation tels que les radio-télescopes et les détecteurs placés à bord de fusées et de satellites, permettant d'élargir de façon extraordi­naire le domaine explorable des rayonnements auparavant limité essentiellement à la lumière visible, a révélé l'image d'un univers fourmillant de rayonnements et peuplé d'une variété d'astres aux propriétés étonnantes.

Les problèmes étudiés par l'astrophysique touchent aujourd'hui à la nature et à l'évolu­tion de l'univers, c'est-à-dire à la cosmo­logie. Parce que l'objet de son étude est l'univers dans son ensemble, considéré c o m m e u n objet unique, la cosmologie est une branche dont le statut est particulier. Il n'y a pas très longtemps, la cosmologie se limitait essentiellement à l'aspect géomé­trique de l'univers ; l'examen des processus physiques n'y trouvait guère sa place. L a première intrusion véritable de ceux-ci re­monte à trente ans à peine, avec l'étude de G a m o w et ses collaborateurs [il** relative à la nucléosynthèse dans la phase jeune de l'univers. Aujourd'hui, la physique subnu­cléaire, ou physique des particules élémen­taires, qui cherche à comprendre la nature des constituants fondamentaux de la matière et leurs interactions, intervient aussi.

Deux sortes d'étoiles

L a confirmation par l'expérience de l'exis­tence des antiparticules permet d'imaginer l'antimatière c o m m e l'équivalent de la m a ­tière, formée toutefois d'antiatomes, c'est-à-dire d'atomes constitués à partir d'anti­particules.

L a première mention de l'existence éven­tuelle des antiatomes et de l'antimatière semble due à Schuster [2] ; intrigué par la dualité de l'électricité (positive et négative), il soupçonnait par analogie une symétrie fondamentale relative aux constituants ul­times de la matière ; bien qu'assez démarquée des propriétés actuellement établies, la conjec­ture n'en témoignait pas moins d'une éton­nante intuition, et l'auteur suggérait que l'astronomie pourrait apporter la surprise.

C'est la théorie quantique de l'électron formulée par Dirac [3] qui a introduit de manière bien définie la notion d'antiparti­cule. Après quelques hésitations, l'interpré­tation des résultats du formalisme de Dirac a conduit à imaginer l'existence d'une parti­cule symétrique de charge de l'électron et de m ê m e masse que celui-ci : Pantiélectron, appelé généralement le positon. Cette exis­tence fut bientôt confirmée par l'observa­tion [4], d'ailleurs tout à fait indépendam­ment des développements théoriques [5].

* Reproduit des Cahiers fundamenta scientiae, n° 75J 1977, avec l'aimable autorisation de leur directeur, Michel Paty, et des auteurs.

** Les chiffres entre crochets renvoient à la bibliographie à la fin de l'article.

impact : science et société, vol. 29 (1979), n° 1 6l

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• Jacques Louis Demaret, Jacques E . H . L . Vandermeulen

M . Demaret a obtenu le doctorat en sciences, « avec la plus grande distinction », de l'Université de Liège en IÇJS ; le titre de la dissertation présentée était : « Influence de révolution et des corrections de relativité générale sur la stabilité stellaire ». M . Vandermeulen, ancien attaché de recherches au CERN, est aussi docteur en sciences, « avec la plus grande distinction » (Université de Liège, 1963), et agrégé de l'enseignement supérieur, « à l'unanimité », 1976 (dissertation consacrée à V « Étude phénoménologique de l'annihilation nucléon antinucléon »J. On peut joindre les auteurs à l'adresse suivante : Service de physique théorique et mathématique, Institut de physique, Université de Liège, San Tilman, bâtiment B . 5, 4000 Liège 1 (Belgique).

Bien avant l'identification de l'antipar­ticule d u proton, l'antiproton, donc bien avant que l'idée de la réalité de l'antimatière reçoive u n support vraiment substantiel, Dirac annonçait en 1933, dans sa conférence Nobel [6] :

« Si nous acceptons l'idée de la symétrie complète entre charge électrique positive et négative pour ce qui concerne les lois fon­damentales de la nature, nous devons consi­dérer plutôt c o m m e u n accident que la Terre (et vraisemblablement tout le système so­laire) soit constituée essentiellement d'élec­trons négatifs et de protons positifs. Il est très possible que ce soit le contraire pour certaines étoiles, construites essentiellement avec des positons et des protons négatifs. E n fait, il se peut que la moitié des étoiles soit de chaque sorte. Les deux sortes d'étoiles émettraient exactement les m ê m e s spectres, et les méthodes astronomiques actuelles ne

permettraient en aucune façon de les dis­tinguer. »

Cela ouvrait une perspective tout à fait originale, tout en faisant déjà allusion aux difficultés que la démonstration par les faits est vouée à rencontrer.

Les grands accélérateurs et l'antimatière

L'observation de l'antiproton en labora­toire [7], bientôt suivie de celle de l'anti­neutron, fut un progrès crucial. L a symétrie qui avait été formulée au niveau des lois fondamentales se trouvait concrètement véri­fiée pour tous les constituants des atomes.

Il est maintenant admis de manière una­n ime qu'à chaque type de particule est asso­ciée l'antiparticule ; les propriétés de celle-ci sont exactement symétriques des propriétés de celle-là : particule et antiparticule ont m ê m e masse, m ê m e spin, m ê m e durée de vie si elles sont instables ; par contre, la charge électrique de l'une est de signe opposé à celle de l'autre.

Les particules se sont vues dotées par les physiciens de nombres quantiques qui ser­vent à les identifier et à caractériser leurs propriétés d'interaction. L ' u n de ces nombres est la charge électrique (exprimée en unités de charge d u proton) ; aussi appelle-t-on parfois ces nombres quantiques des charges : n o m b r e ou charge baryonique (les baryons sont une classe de particules à laquelle ap­partiennent le proton et le neutron), n o m b r e ou charge leptonique (l'électron est u n lep-ton). Toutes les charges d'une particule sont opposées à celle de son antiparticule. Ainsi, le neutron et l'antineutron ont u n n o m b r e baryonique qui prend les valeurs + 1 et — 1 respectivement. L a valeur globale des charges citées est strictement conservée dans les réactions corpusculaires ; cela implique que les baryons et les leptons ne peuvent être produits ou détruits qu'en paires (une par­ticule et une antiparticule).

Les particules traditionnelles : les n u ­cléons, à savoir le proton et le neutron, ainsi

62 Jacques Louis Demaret, Jacques E . H . L . Vandermeulen

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Maîtriser l'antimatière

D e l'antimatière sous forme d'antiprotons a été emmagasinée pour la première fois : l'événement s'est produit en juillet dernier au C E R N , l'organisation européenne pour la recherche nucléaire, au cours d'essais menés en vue d'utiliser l'accélérateur S P S c o m m e machine de collisions entre protons et antiprotons.

L e proton est une particule stable présente dans le noyau de tous les atomes constituant l'univers. L'antiproton est u n « grain » d'antimatière possédant toutes les caractéristiques du proton — à l'exception de sa charge électrique, qui est négative au lieu d'être positive. Normalement, une antiparticule s'annihile immédiatement avec la matière ambiante.

Plusieurs centaines d'antiprotons à 2,1 G e V / c 1 créés à partir de protons ont été maintenus en circulation dans une machine dite initial cooling experiment (un anneau magnétique de 24 m de diamètre) pendant 300 000 secondes, ou 85 heures. Jusque-là, la mesure expérimentale la plus précise de la durée de la vie d'un antiproton, réalisée au cours d'expériences en chambres à bulles, donnait une valeur d'environ io_* secondes.

U n principe de base de la physique des particules fondamentales, appelé « invariance C P T », postule que la durée de vie de l'antiproton est identique à celle du proton. Cependant, le fait que notre

que l'électron, sont les entités fondamen­tales avec lesquelles est construite la matière ; leurs antiparticules sont à considérer c o m m e les constituants d'un autre type de matière que l'on appelle l'antimatière.

Parmi les nombreux corpuscules jaillis­sant des collisions nucléaires dont les grands accélérateurs permettent l'étude — réactions où une partie de l'énergie cinétique de la particule projectile se voit transformée en

univers est composé essentiellement de matière — et non également d'antimatière — porte à croire que la durée de vie de l'antiproton est beaucoup plus courte que celle du proton. L'expérience d u mois de juillet dernier n'infirme pas encore cette conjecture ; elle constitue u n progrès considérable en vue de l'accumulation d'antiprotons dans l'accélérateur S P S et les anneaux de stockage au C E R N , où l'on pourra déterminer avec beaucoup plus de précision quelle peut être la valeur limite de la durée de vie de ces antiparticules.

Dès 1981, les physiciens utilisant pour leurs expériences des faisceaux de protons et d'antiprotons pourront explorer u n domaine de la physique corpusculaire accessible seulement à des accélérateurs de particules qui seraient dix fois plus puissants qu'actuellement.

CERN

1. Le G e V (ou milliard d'électronvolts) est une unité d'énergie cinétique liée aux particules accélérées ou à leur masse, car masse et énergie sont équivalentes. L e G e V / c est une unité de quantité de mouvement. Les antiprotons se déplaçant avec une énergie de 2,1 G e V / c ont été produits à l'aide de protons à 18 G e V provenant de l'accélérateur S P S , entrant en collision avec une cible fixe en tungstène.

masse des particules produites — peuvent apparaître des antiparticules. D a n s le labo­ratoire, qui est constitué de matière et non pas d'antimatière, les antiprotons, les anti­neutrons, les positons sont voués à une dis­parition rapide. E n effet, une particule et une antiparticule ne peuvent pas coexister à por­tée d'interaction l'une de l'autre : elles sont vouées à réagir en se détruisant mutuelle­ment ; on dit qu'elles s'annihilent.

Antimatière et cosmologie 63

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Il est à noter que, contrairement à la situa­tion des particules traditionnelles auxquelles nous venons de faire allusion, certaines par­ticules sont identiques à leur propre anti­particule; c'est le cas notamment pour le photon, qui constitue l'aspect corpusculaire du rayonnement électromagnétique. L e pho­ton ne porte de charge d'aucun type, ce qui le place en position symétrique à l'égard de la matière et de l'antimatière ; il en découle que les échanges d'énergie qui se produisent dans la matière donnent lieu au m ê m e rayonnement que ceux qui y correspondent dans l'antimatière (d'où l'allusion faite plus haut dans la citation de Dirac).

L'univers est-il symétrique ?

U n e fois la symétrie fondamentale établie, u n certain nombre de physiciens et d'astro­nomes ont consacré un examen attentif à l'éventualité d'une réalisation globale de l'univers qui soit symétrique, en ce sens qu'elle consisterait en de la matière et de l'antimatière en m ê m e quantité [8]. L a chose est certes plausible, mais s'agit-il d'une exi­gence ? L'argument en faveur de la symétrie de composition a été formulé avec vigueur par O m n è s [9] de la manière suivante :

« C'est une surprise pour un spécialiste de la physique des particules de rencontrer quelquefois parmi les astrophysiciens tant d'incrédulité à l'égard de l'existence d'anti­matière dans notre univers. L a symétrie entre particules et antiparticules est une pro­priété fondamentale de la description des particules en théorie des champs. C'est parti­culièrement vrai dans la meilleure théorie actuelle — l'électrodynamique quantique — qui implique nécessairement l'existence des antiatomes, des antimolécules, bref, de l'anti­matière. D e nombreux tests expérimentaux de cette symétrie ont été imaginés et vérifiés avec succès. E n conséquence, il semble que l'hypothèse de loin la plus simple est de considérer que ce qui est identique dans la nature doit exister identiquement. »

N o u s verrons plus loin que l'argument

de simplicité n'est pas inattaquable. Avant d'aborder ce point, nous allons décrire de quelle façon l'idée générale de la réalisation symétrique peut prendre corps dans une classe de constructions théoriques : pour cela, nous allons évoquer sommairement les cosmologies symétriques.

Dès que l'on considère le rôle éventuel de l'antimatière sur le plan cosmologique, et, plus particulièrement, quand on s'attache à u n modèle symétrique (c'est-à-dire de c o m ­position équilibrée), il apparaît indispensable que des contraintes physiques adéquates du milieu évitent une annihilation complète. C e n'est qu'à cette condition qu 'un modèle cosmologique peut être significatif.

Premiers modèles symétriques

L a première cosmologie explicitement symé­trique est due à Klein et Alfvén [10]. Ils supposent un état initial de notre univers observable, appelé métagalaxie, constitué d 'un nuage extrêmement dilué sous la forme d'un ambiplasma composé d'électrons et de positons, de protons et d'antiprotons faisant partie d'un univers infini et statique. La contraction du nuage sur lui-même, due à la gravitation, conduit à une densité critique où les réactions d'annihilation commencent à jouer un rôle important et transforment l'implosion en une explosion ; celle-ci doit correspondre à l'expansion actuelle de l'uni­vers. Alfvén et Klein se placent dans le cadre de la théorie newtonienne de la gravitation et suggèrent la formation de nuages séparés de matière et d'antimatière ; ils seraient rela­tivement peu vulnérables face à l'annihilation grâce à un phénomène de caléfaction — en quelque sorte une protection mutuelle due à la répulsion que cause la libération d'éner­gie dans la région de contact — tandis que la taille pourrait s'accroître par coalescence des assemblages de m ê m e sorte. Selon ces auteurs, chaque galaxie contiendrait une m ê m e quantité de matière et d'antimatière.

L e modèle a été très critiqué pour plu­sieurs raisons ; l'une est que le rebond at-

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tendu ne semble pas pouvoir être escompté ; une autre raison est le caractère ptoléméen d u modèle, qui confère au système solaire une place privilégiée dans la métagalaxie, transgressant le principe cosmologique fon­damental de l'uniformité de l'univers. Il reste au modèle le mérite d'avoir constitué la première tentative d'étude physique d'un univers doté d'une composition symétrique.

Quant au modèle de type stationnaire [n] avec création continue de matière, il ren­contre déjà dans sa version traditionnelle de sérieuses difficultés pour rendre compte no­tamment des propriétés évolutives que l'ob­servation suggère pour les radiosources et les quasars. D e plus, la version où la création continue de particules se ferait sous la forme de paires nucléon-antinucléon impliquerait sans doute l'existence d'un rayonnement de fond g a m m a d'une intensité très supérieure à ce qui est observé.

La fournaise initiale

Il est maintenant admis assez généralement que l'univers a évolué à partir d'un état pri­mordial de densité extrêmement élevée (le big bang) ; c'est le modèle de Friedman-Lemaître [12, 13]. Ces auteurs ont essen­tiellement proposé le cadre géométrique en faisant appel à la relativité générale pour un modèle d'univers isotrope et uniforme : G a m o w et ses collaborateurs [1] y ont intro­duit les processus physiques, en particulier les réactions nucléaires susceptibles de se produire à haute température et à haute concentration (le big bang chaud).

L a récession apparente des galaxies corres­pondant au décalage de leur émission lumi­neuse vers le rouge ainsi que l'existence d'un rayonnement électromagnétique, apparem­ment caractéristique d'un corps noir à 2,7 K et extrêmement isotrope, sont deux faits d'observation qui trouvent leur place dans ce cadre.

L e contenu en matière et en énergie de l'univers est imaginé distribué en une répar­tition uniforme : le scénario de l'évolution

de l'univers peut alors être tracé à rebours, à partir de la situation actuelle, grâce aux équations de la relativité générale appliquée à ce cas simple. L e contenu physique est essentiellement celui d'un rayonnement de corps noir (c'est-à-dire une enceinte aux parois internes réfléchissantes) dont la tem­pérature s'élève au fur et à mesure de la contraction. Il vient u n stade où le corps noir n'est plus u n simple bain de rayonne­ment , c'est-à-dire de photons ; matière et rayonnement ne sont plus découplés c o m m e c'est le cas actuellement et les énergies indi­viduelles sont suffisantes pour que se créent des paires électron-positon.

Si l'extrapolation est poussée jusqu'aux instants très précoces de cet univers, on se trouve face à un système de très haute den­sité et de très haute température où existe une profusion de paires de nucléons et d'antinucléons.

C e récit fait l'impasse sur un certain n o m ­bre de problèmes, la difficulté majeure étant l'existence des galaxies, une réalité pour la­quelle aucune explication satisfaisante n'est offerte. Admettons néanmoins la valeur heu­ristique d'un tel schéma.

A partir de la densité moyenne actuelle admise pour la matière dans l'univers, de la densité en photons du rayonnement de fond, et d u taux d'expansion, le calcul peut établir que la matière actuellement présente dans l'univers ne peut pas provenir d'un état primordial homogène : un excès très faible (~ io~8 en proportion relative) des nucléons sur les antinucléons doit avoir existé [14].

Réduction à une donnée géométrique

Cette violation timide de la symétrie a paru à d'aucuns peu esthétique. Harrison [15] a déplacé le problème en suggérant qu'un mécanisme dont la nature est à préciser a créé dans l'état primordial des inhomogé­néités sous la forme de variations spatiales de la concentration en nucléons et antinu­cléons, ce qui devrait permettre aux parti­cules localement en excès de survivre alors

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qu'elles seraient vouées à disparaître par annihilation si l'évolution se produisait dans une phase homogène.

L e mécanisme doit nécessairement inter­venir dans la phase très précoce pour éviter une annihilation excessive ; cette phase pré­coce correspond à une température de plu­sieurs centaines de milliards de degrés et à une densité supérieure à la densité des noyaux (~ io12 g / c m 3 ) , situation dont on connaît mal les lois physiques, relatives aux interactions fortes.

Alors que Harrison était parti de l'examen des conditions cosmologiques pour proposer l'existence d'une hétérogénéité sans en pré­ciser l'agent physique, O m n è s [16] a suggéré l'existence, dans le rayonnement du corps noir à très haute température, d'une tran­sition de phase conduisant à une séparation des nucléons et des antinucléons. Tout natu­rellement amené à considérer l'importance de cette propriété pour le problème cosmo­logique, il fit ressortir [17] l'intérêt — de nature esthétique — d'une situation où, « à ses débuts, l'univers contiendrait unique­ment u n rayonnement de corps noir et n'au­rait donc aucune condition initiale qui ne soit pas réductible à une donnée géomé­trique ». Puis il fut entraîné à examiner les implications du mécanisme de séparation pour l'évolution cosmologique : calcul du taux de survie des nucléons et des anti­nucléons, possibilité éventuelle de rendre compte de la formation des galaxies.

L e modèle physique de la séparation a été raffiné par la suite, la conclusion d'une sépa­ration par transition de phase se trouvant confirmée par certains, infirmée par d'autres.

« La plus imaginative des cosmologies »

U n ensemble d'études visant à expliquer les principales données cosmologiques à partir d'une phase précoce de l'univers de c o m p o ­sition symétrique où joue la séparation entre la matière et l'antimatière ont été entreprises par O m n è s et ses collaborateurs [18]. L e

mécanisme de séparation conduirait l'uni­vers précoce à une emulsion de « goutte­lettes » de matière et d'antimatière baignant dans le rayonnement. Des mouvements hy­drodynamiques engendrés par l'annihilation survenant aux points de contact de la m a ­tière et de l'antimatière conduiraient à l'agré­gation de masses de l'ordre de celle d'une galaxie, l'effet de caléfaction agissant dans une certaine mesure c o m m e protection, ainsi que Alfvén et Klein l'avaient imaginé.

L e modèle est vulnérable à plusieurs égards [19, 20]. D'abord, il apparaît difficile de rendre compte par le calcul du sauvetage d'une quantité suffisante de matière (et d'an­timatière) ; ensuite, les conditions dans les­quelles se ferait la nucléosynthèse primor­diale, c'est-à-dire dans un milieu de densité non uniforme, ne semblent pas devoir conduire à une formation suffisante d'hé­lium ; enfin, le spectre du rayonnement de fond devrait, par les phénomènes d'annihila­tion se produisant après découplage de la matière et du rayonnement, manifester une distorsion que l'observation ne révèle pas.

Bref la cosmologie d ' O m n è s , qui est, selon les termes de Harrison, « la plus imaginative des cosmologies se situant dans le cadre du modèle du big bang », rencontre de très sé­rieuses difficultés. Notons bien qu'il ne s'agit de rien de moins que de reconstituer l'évo­lution de l'univers à partir de la physique à l'origine du temps.

Envisager la brisure de la symétrie

Beaucoup sont partisans d'une approche plus tiède — certains diront plus réfléchie — du problème et insistent pour que soit mise en question la démarche consistant à poser en principe la symétrie de composition en matière et antimatière. La symétrie dans la réalisation doit-elle être prise c o m m e une exigence découlant des lois fondamentales ? L a composition doit-elle être équilibrée ?

Il ne semble pas que les arguments pro­duits plus haut quant au caractère prétendu

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nécessaire, inéluctable, de la symétrie de composition de l'univers soient irrésistibles. L a symétrie des lois physiques n'entraîne pas nécessairement la symétrie dans les choses observées : des contraintes peuvent s'interposer entre la structure des lois et le plan réel.

Ainsi, l'introduction des conditions de frontière aux équations fondamentales peut faire disparaître la symétrie de leurs solu­tions : c'est le cas lorsque la symétrie à l'égard du renversement du temps des équa­tions de l'électroroagnétisme est brisée par l'exclusion des solutions qui violent la cau­salité, l'exigence de la causalité correspon­dant à imposer qu 'un signal se propage dans le sens prescrit du déroulement du temps.

U n autre cas flagrant où s'impose la flèche du temps correspond à l'irréversibilité ther­modynamique. Les équations du mouvement des particules individuelles qui composent u n système, par exemple une certaine quan­tité de gaz, sont symétriques à l'égard du signe de la variable temps ; le mouvement de chaque particule obéit à une loi réversible mais l'irréversibilité s'introduit pour l'en­semble d 'un grand nombre de particules.

Les trous noirs

Les observations faites il y a environ u n an au mont Palomar et à Kitt Peak, à l'aide de spectroscopes et de détecteurs électroniques à balayage associés à des télescopes optiques, permettent de penser qu 'un trou noir se trouve au centre de la constellation de la Vierge. Celle-ci est constituée par u n amas de 130 galaxies comprenant plusieurs centaines de milliards d'étoiles. L 'une d'elles est une énorme configuration elliptique désignée sous le n o m de Messier 87. « M - 8 7 » est à 50 millions d'années lumière de la Terre, et l'on estime que le trou noir super-massif dont on suppose

U n processus irréversible global est entière­ment composé d'événements élémentaires réversibles.

Selon Steigman [20], il se peut qu'une forte violation des lois physiques sous-jacentes soit inhérente à l'existence d'un sys­tème macroscopique. L'exemple des équa­tions de Maxwell montre que les solutions d 'un système d'équations intéressantes sur le plan physique n'ont pas nécessairement la symétrie des équations. O n peut imaginer que d'une manière analogue des conditions aux limites sont susceptibles de jouer u n rôle crucial dans la sélection des solutions cosmologiques. Bien que des solutions symé­triques du point de vue des particules et anti­particules puissent exister en théorie pour l'évolution cosmologique, la réalisation de l'univers exige peut-être la brisure de la symétrie.

Les propriétés des trous noirs

A ce propos, Steigman [20] fait allusion à une remarque fondamentale — souvent énoncée — portant sur le caractère « unique » de l'univers. Il est en effet essentiel de se

l'existence — quelles que puissent être ses dimensions — est 5 milliards de fois plus massif que notre soleil. U n e autre anomalie récemment découverte et dont on suppose qu'elle est u n trou noir est désignée sous le n o m de Cygnus X - i , corps dont la masse est plusieurs fois supérieure à celle de notre soleil. E n juin dernier, la Société astronomique du Pacifique a été avisée par l'Université de Princeton et par une équipe de chercheurs britanniques qu'un troisième trou noir apparent (désigné sous le n o m de Scorpii V-861) avait été découvert dans la constellation du Scorpion.

impact

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rendre compte qu'il n'est pas possible d'ap­pliquer à l'univers dans son ensemble la démarche conventionnelle de la physique consistant à isoler un système partiel, repro­ductible, et à expérimenter sur lui. Est-il légitime de supposer que le seul univers pour lequel les développements théoriques puissent être comparés aux données d'obser­vation soit « normal » ?

E n tout cas, il n'est pas sûr que les lois issues de l'étude au laboratoire doivent stric­tement coïncider avec celles qui s'appliquent aux problèmes astrophysiques et cosmologi­ques. L'expansion universelle n'est-elle pas sans portée pour ce qui regarde la physique traditionnelle ?

A cet égard, le cas des trous noirs, récem­ment étudié notamment par Hawking [21], est des plus instructifs. Lorsqu'une étoile suffisamment massive a épuisé son combus­tible nucléaire, la génération d'énergie qui évite l'effondrement de la masse sous sa propre attraction gravifique cesse et l'étoile peut en quelque sorte se refermer, s'effon­drer sur elle-même. Classiquement, de tels objets ne peuvent plus laisser échapper aucune particule, aucun photon, donc aucun signal : ce sont des trous noirs. Des indices d'observation très sérieux en suggèrent l'exis­tence dans la Galaxie.

L a théorie quantique conduit à des conjec­tures étonnantes pour les propriétés des trous noirs ; il semble que, dans certaines conditions, ils rayonnent et émettent des particules. Les émetteurs intéressants se­raient ici des objets de masse faible qui auraient p u être formés dans le milieu dense et chaud très peu de temps après le début d u big bang. U n trou noir est caractérisé par la valeur globale de la masse, du m o m e n t cinétique et de la charge électrique, qui sont des grandeurs associées à des interactions de longue portée : gravitationnelle et électro­magnétique ; ces grandeurs sont bien défi­nies et constantes pour u n objet isolé. Par contre, le nombre baryonique qui est associé à l'interaction hadronique, qui est de très courte portée, n'est pas pertinent. Dans ces

conditions particulières, une règle stricte­ment en vigueur dans les conditions nor­males, la conservation du nombre baryo­nique, n'est pas applicable.

L'antiproton est-il instable ?

Faisons encore allusion à une forme imagi­nable de la violation de la symétrie entre la matière et l'antimatière. O n sait que le proton est extrêmement stable puisqu'il a été établi que sa durée de vie est supérieure à io36 sec — à comparer à 5 x io17 sec, qui est l'estimation de la durée depuis le début de l'expansion de l'univers — et la symétrie imposée par la théorie implique la m ê m e stabilité pour l'antiproton.

A u prix de la brisure de règles solides, auxquelles la grande majorité des physiciens n'est pas prête à renoncer, avec toutefois un degré de violation extrêmement faible qui n'entraînerait aucune conséquence obser­vable pour les processus corpusculaires étu­diés jusqu'à présent, l'instabilité de l'anti­proton ne serait plus exclue. L a durée de vie de ce dernier serait sans doute très longue, mais pourrait néanmoins être inférieure à la durée de l'univers, par exemple io16 sec.

D e la sorte, le fait que la matière subsiste­rait quasiment seule actuellement ne serait plus formellement incompatible avec l'hypo­thèse d'une composition initiale équilibrée. Les conséquences physiques et cosmologi-giques de cette suggestion toute récente [22] n'ont pas encore été développées ; nous la citons c o m m e exemple d'une éventualité plausible. Certains effets sans conséquence significative en physique traditionnelle peu­vent se révéler sur le plan cosmique grâce à la grandeur des échelles, ici celle des temps.

Existe-t-il des réactions d'annihilation ?

Est-il possible d'apporter une conclusion au débat ? L ' u n e et l'autre hypothèse, celle de la composition symétrique et celle de la composition asymétrique, restent jusqu'ici plausibles. C o m m e n t les départager ?

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C o m m e nous l'avons vu, une voie de re­cherche consiste à développer la théorie d'un univers symétrique, visant à calculer un certain nombre de propriétés d u domaine cosmologique, voire à prédire les caracté­ristiques de milieux ou d'astres dont la théorie implique l'existence. U n e méthode plus immédiate, et peut-être par là plus convaincante, est, en se dégageant autant que possible de tout modèle, de recourir à l'observation pour établir l'existence d'anti­matière sur la base des propriétés connues à l'échelle corpusculaire.

U n e telle méthode est d'ailleurs tout aussi pertinente pour la démonstration de l'exis­tence éventuelle d'antimatière, m ê m e en quantité différente de celle qui assure globa­lement l'équilibre de composition avec la matière.

L'entreprise est très difficile. L'identifi­cation directe de l'antimatière consiste es­sentiellement à observer si le contact avec de la matière entraîne ou non des réactions violentes d'annihilation. Les vols d'explora­tion et les sondes spatiales ont ainsi montré que la L u n e et les planètes M a r s et Vénus sont faites de matière. L e vent solaire, flux de particules émises par le Soleil et se pro­pageant à travers l'ensemble d u système solaire, permet d'affirmer le caractère maté­riel et non pas antimatériel de tout le système solaire, car aucun rayonnement caractéristi­que de réactions d'annihilation n'a été repéré.

L e rayonnement cosmique corpusculaire apporte, dans cet ordre d'idées, des éléments d'information plus délicats à interpréter. Certes, aucun noyau d'antimatière n'a jamais été identifié dans le rayonnement cosmique primaire, mais aucune conclusion précise ne peut en être tirée tant que les connaissances relatives à la production et à la propagation des particules cosmiques interceptées par la Terre restent vagues.

Le défi de l'astrophysique

Les difficultés sont encore plus grandes dans la méthode indirecte d'identification consis­

tant en l'observation du rayonnement issu d'une source lointaine où se produiraient des réactions d'annihilation. Chaque annihilation d'une paire électron-positon émet deux ou trois photons ; l'essentiel de l'énergie pro­vient de l'annihilation nucléon-antinucléon : une première phase voit émerger des m e ­sons, particules instables, puis, après des transmutations dont la durée n'excède pas l'ordre de la microseconde, toute l'énergie de masse initiale se trouve conférée à des électrons et des positions (qui finiront par s'annihiler, sans doute après avoir rayonné), des neutrinos et des photons ; leur énergie est en moyenne de quelque ioo M e V , soit environ le dixième de l'équivalent de la masse du nucléon.

Les effets prenant place dans une source astronomique sont intriqués, et il est rare que l'on puisse attendre une signature nette de l'annihilation éventuelle : des mécanismes faisant intervenir des réactions corpusculaires à haute énergie où ne sont impliquées que des particules de matière sont susceptibles de produire un type similaire de rayon­nement.

L a grande différence entre l'astrophy­sique et la physique apparaît ici clairement. L e physicien contraint la nature, il détaille les phénomènes en spécifiant dans le labora­toire les conditions de l'expérience ; l'astro-physicien, par contre, est forcé de recueillir les observations venues du cosmos dans toute leur complexité, leur ambiguïté. Pour le cas qui nous occupe, l'interprétation des observations doit tenir compte à la fois des propriétés des réactions corpusculaires, de la structure des sources, de l'interaction des produits dans le site de production et dans le cosmos.

Des preuves directes de l'antimatière ?

Steigman [20] a présenté un recensement complet des données d'observation, ac­compagné des considérations théoriques per­tinentes concernant les tentatives d'identi­fication de l'antimatière. C o m m e nous l'avons

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dit, de nombreux facteurs sont imbriqués, mais les paramètres relatifs aux processus corpusculaires sont mieux connus que ne le sont souvent certaines conditions cosmiques telles que la densité dans les espaces inter­galactiques, la distribution du rayonnement cosmique corpusculaire, les champs m a ­gnétiques.

Bornons-nous à une allusion. L a source potentielle énorme d'énergie que constitue l'interaction de matière avec de l'antimatière a suscité de nombreuses conjectures quant à son rôle éventuel dans l'évolution d'objets tels que les quasars et les galaxies explosives. Néanmoins , il semble très difficile de cons­truire sur cette base u n modèle de source conduisant au rayonnement observé dans les domaines radio et optique. Par ailleurs, une relation théorique a été établie entre l'acti­vité de sources qui seraient alimentées par l'annihilation et le flux des neutrinos émis simultanément [23] ; la connaissance actuelle du flux de neutrinos reçu sur la Terre permet d'écarter certaines hypothèses.

L'ensemble des considérations de cet ordre fait apparaître que la nécessité ne s'impose pas de faire intervenir c o m m e mécanisme opérant à l'échelle cosmique l'interaction entre les particules de la matière et celles de l'antimatière. Les preuves directes de l'exis­tence de l'antimatière sont inexistantes ; de plus, il semble que l'intervention de l'an­nihilation ne fournisse pas l'explication de certains phénomènes cosmiques encore mal cernés.

Toutefois, il n'est pas possible d'exclure que de grandes quantités d'antimatière soient présentes, à condition que la matière et l'an­timatière restent séparées à l'échelle des amas de galaxies ; dans ce cas, l'antimatière ne peut jouer actuellement aucun rôle signi­ficatif sur le plan astrophysique, bien que le début de l'univers doive en avoir été in­fluencé. L a controverse cosmologique n'est donc pas close.

Conclusion

U n e large divergence se maintient entre les positions de principe. Les tenants de la sy­métrie dans la composition de l'univers sont décidés à ne pas abandonner leur point de vue, sauf s'il est nettement prouvé que l'an­timatière n'a joué et ne joue aucun rôle dans l'évolution de l'univers. A l'inverse, ceux qui croient que sa composition est totalement asymétrique attendent pour en démordre qu'une preuve flagrante de l'intervention de l'antimatière soit présentée.

E n conclusion, l'ensemble des éléments d'appréciation dont nous avons donné un rapide aperçu fait apparaître que la symétrie de composition n'est pas forcément à rejeter ; mais si la discussion reste ouverte sur le plan cosmologique, il faut admettre que les objec­tions portées envers les théories cosmolo­giques symétriques élaborées jusqu'à présent sont très vigoureuses. Cette idée de symétrie n'a pas suffi à ouvrir la voie royale que cer­tains, peut-être, escomptaient.

Les problèmes abordés sont des plus fon­damentaux et le fait que les réponses soient parfois vagues, que des interrogations restent largement ouvertes, ne doit pas décevoir. C e ne sont sans doute que les premiers pas d'une recherche qui se poursuivra longtemps encore.

D'autres questions — de portée plus li­mitée — sont posées, telles celles soulevées par l'observation de particules du rayonne­ment cosmique dotées d'énergies extrême­ment grandes [24]. L a compréhension de phénomènes de ce type exige des informa­tions relatives à la fois à la structure de l'espace galactique et extra-galactique et à certaines propriétés en physique subnu­cléaire. L e rapprochement, dont témoigne la matière du présent essai, entre les domaines de recherche relatifs aux deux extrémités de l'échelle des dimensions n'est-il pas ré­confortant ? D

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24. Cf. W A T S O N , A . New scientist, février 1977, p . 408.

Antimatière et cosmologie 71

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Matière et espace dans l'univers

Les équations de champ d'Einstein... ne sont autres qu'une formu­lation absconse de la proposition selon laquelle la courbure du continuum espace-temps où se déroulent les phénomènes maté­riels est simplement liée à la répartition de la matière au sein de ce continuum. C'est pour cette raison qu'il est, en principe, possible de découvrir une caractéristique purement géométrique de notre univers, telle que sa courbure spatiale par l'observation de la matière qui s'y trouve contenue. Car, si (comme l'admet la théorie de la relativité) la structure géométrique de l'univers est condi­tionnée par la matière et si l'on considère que cette dernière se distribue à une échelle suffisamment vaste selon une répartition uniforme, dégageant une structure géométrique uniforme, notre espace astronomique à trois dimensions ne peut qu'être homogène et présenter partout la m ê m e courbure.

Jagjit Singh, Great ideas and theories of modern cosmology, N e w York, N . Y . , Dover et Toronto, General Publishing, 1970 (rev.). Publié à Harmondsworth par Penguin, sous le titre Modern cosmology.

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Une nouvelle mesure du temps le système Einstein Mario Rodríguez Aragón

L'analyse du concept du temps physique et de la mesure de la grandeur temps est suivie de la présentation du Système international d'unités (SI), dont on souligne le caractère non cohérent en ce qui concerne les unités d'espace et de temps. Enfin, il est proposé un système véritablement cohérent d'unités — le système Einstein (SI) — qui est à la fois de carac­tère théorique et applicable à l'analyse mathématique de la réalité physique.

Je m e souviens très nettement que déjà dans m a plus petite enfance j'avais une perception très précise de l'écoulement du temps, ce qui m'emplissait de stupeur teintée de mélan­colie. Je pense que tous les êtres humains ressentent la m ê m e chose. Personnellement, je peux dire que depuis lors la question du temps ne m ' a jamais abandonné.

Lorsque je dirigeais le Boletín de metrolo­gía1, un de m e s collaborateurs assidus, le professeur E . Gálvez-Laguarta, de l'Univer­sité de Saragosse (Espagne), m e demanda de participer aux travaux de la première réunion interdisciplinaire2, organisée dans cette ville par des établissements d'enseignement supé­rieur et de recherche, et dont le sujet était le temps. L a réunion s'est tenue en no­vembre 1957 e t J'y présentai une c o m m u n i ­cation, portant le numéro 9, intitulée « L e temps en métrologie », dans laquelle je faisais la synthèse de nombreuses analyses anté­rieures. C'est u n problème auquel depuis plus de vingt ans je n'ai cessé de réfléchir, m ê m e s'il n'a pas été pour moi l'objet d'une préoccupation exclusive.

A partir de cette réflexion, je vais m'eflbr-cer de prouver la nécessité impérieuse de modifier le concept d'unité de temps pour mettre au point un système cohérent d'uni­

tés physiques, l'utilité d'un tel instrument pour les chercheurs et les avantages qu'il présenterait pour le progrès scientifique.

La dimension « temps »

Toutes les sensations perçues par un être vivant et produites par des stimulations dues à son environnement sont, en définitive, des grandeurs. L e volume des objets, leur cou­leur, leur masse, leur température, leur d u ­reté, la hauteur d'un son et l'intensité d'une odeur ou d'une saveur sont des grandeurs, indépendamment des difficultés d'ordre pra­tique que représente leur mesure à des degrés divers de précision. Enfin, il est possible de ramener la forme à des expressions dimen-sionnelles concrètes.

L a dimension temps n'est pas une excep­tion; c o m m e toutes les autres qualités d u m o n d e physique, nous la percevons aussi par notre système sensoriel. N o s sens nous in­forment de la simultanéité et de la succession des phénomènes que nous observons ainsi que de la durée d'un processus dont la réfé­rence initiale est notre propre durée en tant qu'êtres vivants.

D e m ê m e que les références spatiales pri­maires de l 'homme s'enracinent en lui — la

impact : science et société, vol. 29 (1979), n° 1 73

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• Mario Rodríguez Aragón

U auteur, métrologiste et professeur, est secrétaire de la Subcomisión Técnica de la Comisión Española de Metrología i Metrotecnia. Son adresse personnelle est la suivante : Antonio Aria, 5-2 B, Madrid 9 (Espagne).

plupart des unités primitives de mesure sont anthropométriques, c'est-à-dire établies sur le modèle de l ' h o m m e — la référence tempo­relle immédiate se fonde sur le m ê m e terme de comparaison.

E n résumé, la simultanéité, la succession et la durée sont perçues par le système sen­soriel dans les limites des bandes de fré­quence accessibles à ses récepteurs et ce sont les sens qui nous informent, en premier lieu, de la grandeur temps.

Le mouvement, clef du processus

Chaque fois que nous observons u n pro­cessus, nous percevons une multitude de variations dans les grandeurs : changements de forme, de couleur, de volume, d'état phy­sique, etc., et, bien entendu, de durée. Étant donné que, dans le m o n d e physique, tout processus se ramène en définitive à u n m o u ­vement, aucune observation ne serait pos­sible sans une aptitude à percevoir les varia­tions de la grandeur temps.

A partir du m o m e n t où nous adoptons c o m m e hypothèse de travail la formule d'Einstein qui consiste à reconnaître des li­mites, m ê m e variables, à l'espace et à la vitesse, il nous faut aussi inévitablement ac­cepter des limites pour le temps si nous prétendons expliquer et représenter les phé­nomènes physiques dans un tel système de coordonnées. E n d'autres termes, le m o u ­vement est impossible si l'on suppose que l'espace ou le temps atteignent les valeurs limites de zéro ou de l'infini.

Si nous considérons que le temps a des limites, il en ira de m ê m e pour la durée d'un processus quelconque et, à plus forte raison, de chacune de ses phases. Seule cette hypo­thèse permet de construire des échelles à partir de fractions de la valeur totale. Mais si l'on choisit c o m m e unité une phase du pro­cessus, cette unité conservera nécessairement des rapports simples avec les autres phases et avec l'ensemble du processus, conformé­ment à la conception structurale du m o n d e physique non contredite jusqu'à présent.

Cette proposition nous amène à la consta­tation d'une autre grave difficulté qui ra­lentit et complique inutilement les travaux expérimentaux ou spéculatifs de recherche cosmologique : les unités astronomiques et les échelles équimétriques de temps sont sou­vent inadéquates, malgré leur utilisation tra­ditionnelle et universelle.

Traditionnellement, nous considérons le temps c o m m e une grandeur unidimension-nelle de type scalaire. Les échelles imaginées pour le mesurer sont des plus variées pour ce qui est des unités prototypes, du choix de l'origine de l'échelle et, plus encore, des multiples et sous-multiples ou unités allo-typiques.

U n autre problème bien différent est celui que nous posent le choix et l'adoption d'uni­tés. Il ne faut pas oublier que le concept de temps physique ne parvient à l 'homme que par la perception des modifications spatiales, de la succession de phénomènes rapportés à l'espace, en d'autres termes de mouvements, au point que l'existence physique, sans ex­clure l'existence biologique, se qualifie par le mouvement. A cette date, la tentative la plus avancée de définition de la vie consiste à la considérer c o m m e une forme parti­culière du mouvement, ce qui est conforme à l'hypothèse selon laquelle l'idée de temps naît dans l'être vivant lorsque celui-ci prend conscience de ses propres mouvements or­ganiques qui, tout en lui étant propres, n'en appartiennent pas moins au m o n d e physique. Cette constatation est éminemment signifi­cative, car le mouvement est précisément le

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rapport qui coordonne les deux accidents formels par lesquels nous connaissons l'exis­tence physique : l'espace et le temps.

Chronologie et Chronometrie

Actuellement, si nous disposions d'un m o u ­vement périodique naturel suffisamment uniforme, aisément et universellement obser­vable, il pourrait servir à la définition d'une unité et à la constitution d'un étalon satisfai­sant. E n fait, dans la pratique, ces conditions sont merveilleusement réunies dans la suc­cession des jours et des nuits due à la rotation de la Terre ; la journée solaire est sans aucun doute la première unité de temps qui soit apparue aux yeux stupéfaits des premiers h o m m e s , et elle accompagnera le dernier de leurs descendants.

L e deuxième phénomène naturel, specta­culaire, assez régulier, d'une périodicité suf­fisamment courte pour se graver dans les mémoires primitives et relever de leurs possi­bilités d'observation, est le mois lunaire. N o u s pouvons donc penser que les m o u v e ­ments de notre satellite furent pris en consi­dération dès les premiers temps et nous avons des preuves qu'il en fut effectivement ainsi. L'origine naturelle de cette deuxième unité de temps considérée par l ' h o m m e , le mois, ne doit pas être oubliée sous prétexte que la durée en a été arbitrairement modifiée au point qu'actuellement il s'agit d'une unité conventionnelle et irrégulière, sans le moin­dre lien apparent avec les phénomènes qui furent son origine et sa raison d'être. Cette unité a peut-être accompli sa mission en permettant d'accélérer considérablement la découverte d'une troisième unité d'ordre supérieur et d'importance vitale, à savoir l'année naturelle.

L a fascination mystérieuse qu'exerce le temps sur l'esprit humain, tel un coursier fantasmagorique qui galope entre les abîmes insondables du tout et d u néant, de l'instant et de l'infini, jointe à la tentative toujours vaine de concilier numériquement les unités naturelles de temps, puis ces dernières avec

les unités civiles, était une tentation trop forte pour qu'on n'y succombât pas. Us sont légion ceux qui, dans la poursuite de cette chimère, se sont perdus dans le labyrinthe cabalistique des jeux arithmétiques dont les résultats furent les innombrables considéra­tions sur les ères, les cycles et les périodes.

Dix millénaires de métrologie

D e la préhistoire à la fin du xviiie siècle, tous les systèmes métrologiques ont eu pour base des étalons arbitraires pour chaque grandeur, indépendants les uns des autres. O n obtenait de façon irrégulière les multi­ples et les sous-multiples en appliquant des lois de formation différentes dans chaque cas : systèmes binaire, ternaire, décimal, duodécimal, etc. Les étalons étaient considé­rablement diversifiés selon les utilisations, les lieux et m ê m e en un seul lieu. Les instru­ments de comparaison entre étalons étaient nettement rudimentaires.

Dans l'Antiquité, la métrologie répondait avant tout à des besoins assez primaires : iti­néraires, arpentage, commerce — en grande partie à base de troc — et recouvrement des impôts, effectué généralement en espèces. Néanmoins, il fut procédé à des calculs d'une remarquable précision et à la construction d'ouvrages d'une étonnante qualité : les palais de Ninive, la grande pyramide de Chéops, les menhirs de l'île de Pâques, les ponts et les aqueducs romains, l'immense constellation de cathédrales médiévales ou la forteresse de Machupicchu peuvent servir d'exemples parmi tant d'autres.

Il n'y a rien de magique dans ces réalisa­tions, et pour s'en rendre compte il suffit de comprendre que leur élément essentiel est la connaissance et la maîtrise des propor­tions, quelle que soit la mesure de référence adoptée dans chaque cas. Il ne faut pas écarter la possibilité, fort probable, de la possession de formules empiriques, aujour­d'hui tombées dans l'oubli, qui ont dû per­mettre de matérialiser les proportions préé­tablies avec l'approximation nécessaire dans

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la pratique. Mais il y a un autre facteur de la plus haute importance : la grandeur temps n'intervient pas dans ces calculs.

Par ailleurs, il est bien connu que, dans l'Antiquité, la géodésie et l'astronomie attei­gnirent un développement surprenant : les calculs d'Eratosthène sont d'une précision remarquable, de m ê m e que les observatoires complexes des druides, dont Stonehenge pa­raît être un exemple. Certes, la précision est importante dans la mesure du temps, mais, de toute façon, il s'agit de méthodes d'obser­vation. L'astronomie de position ne se déve­loppa que lorsqu'il fut possible de mesurer des intervalles de temps relativement courts avec une grande précision. Or , l'astronome de l'Antiquité ne disposait pas d'une horloge dans son observatoire ; il se trouvait au centre m ê m e de la grande horloge cosmique et son travail consistait à observer le fonc­tionnement de cette immense machine pour en déduire les lois qui la régissent.

Un langage universel

L a France est entrée dans le xixe siècle en offrant au m o n d e un nouveau système m é -trologique « fondé sur la nature » et doté, de ce fait, d'éléments applicables au monde entier. Les avantages attribués au nouveau système métrique décimal peuvent se résu­m e r c o m m e suit : a) l'unité de base, le mètre, définie en fonction de la longueur du méri­dien terrestre, était invariable et réfractaire à toute tentative de nationalisation ; b) le système était cohérent, car les unités fonda­mentales étaient reliées entre elles ; c) sa nomenclature était rendue homogène par des préfixes grecs et latins ; d) sa structure décimale autorisait une extrême simplifi­cation des calculs.

Il apparut rapidement que les choses n'étaient pas aussi simples que cela. Des mesures de plus en plus précises d'arcs de méridien révélèrent que, si l'on maintenait la définition initiale, il faudrait modifier le mètre à cause des progrès techniques appliqués aux mesures géodésiques. E n 1889,

on pallia cette difficulté, à l'échelon inter­national, en définissant l'unité de longueur en fonction de l'étalon, ce qui équivalait à revenir à l'ancien concept d'unité arbi­traire, doté désormais du qualificatif de conventionnel.

L a cohérence du système est rigoureuse pour les seules grandeurs géométriques ; elle est seulement relative pour la masse, étant liée aux précédentes par la valeur 1 de la densité. Mais aucune de ces unités n 'a elle-même le moindre rapport avec la se­conde, unité fondamentale de temps, ni avec aucune autre unité temporelle.

Il nous faut préciser ici que si l'on avait défini le mètre par la longueur du pendule simple qui bat les secondes à 45 degrés de latitude au niveau de la mer , selon la proposition de C h . Huygens, O . Roemer , J. Picard, Turgot, J. Riggs Miller et d'au­tres, on n'aurait pas non plus disposé d 'un étalon permanent facile à reproduire, car l'oscillation du pendule dépend de la gra­vité du lieu, laquelle est affectée à tout ins­tant par la situation du champ magnétique.

Plus d 'un siècle s'est écoulé depuis la Convention relative au mètre (1875) et nous pouvons affirmer que le principal avantage de cette réalisation capitale que fut le sys­tème métrique est son caractère décimal et sa nomenclature. A vrai dire, ce système a été le premier et le seul langage métrolo-gique international, véritable langage uni­versel au service de la science, de l'éducation et du développement à tous les niveaux. L a gloire de sa création et de son adoption re­vient avant tout à la France et aux pays qui ont étroitement collaboré avec elle.

Tours de passe-passe diplomatiques

L'origine théorique véritable du système métrique décimal est tellurique, quant à la définition de ses unités fondamentales, m ê m e si par la suite elles évoluent vers des étalons matérialisés. C e système n'a jamais été cohé­rent, du moins en ce qui concerne l'unité de temps. L a raison en est, parmi beaucoup

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d'autres, le fait qu'on estimait le mètre au 1/40 000 000 méridien terrestre alors qu'on donne à la seconde la valeur de 1/86400 du jour; m ê m e si l'on suppose u n rapport valable entre la longueur du méridien et le temps de rotation de la Terre autour de son axe, les facteurs utilisés pour déduire ces deux unités sont différents : l'un est « quasi » décimal et l'autre est nette­ment sexagésimal.

A u cours des années, la seconde s'est maintenue immuable, isolée, étrangère aux autres unités métrologiques fondamentales. Il y eut une exception lorsque le 24 novem­bre 1793 on essaya sans succès, en France, d'instaurer la division décimale de la jour­née, ce qui ne réussissait pas non plus à assurer une cohérence intrinsèque néces­saire à un système de mesures véritablement scientifique.

A l'origine, le temps à proprement parler ne faisait pas partie du système métrique décimal. Les nombreux systèmes dérivés de ce dernier — systèmes physiques, techni­ques, absolus, rationalisés, etc. — introdui­sent et conservent invariablement la seconde. Il n'y a aucune raison de se dissimuler que l'adoption de ces systèmes à l'échelon national et international répondait plus à des considérations d'ordre politique, de pres­tige et d'image de marque qu'elle n'était dictée par la prétendue cohérence, fort discutable, et autres avantages objectifs de chaque système.

A titre d'exemple, prenons celui du mètre en i960. L a X I e Conférence générale des poids et mesures a adopté, le 14 octo­bre i960, une nouvelle définition du mètre en longueurs d'onde du krypton 86. Cette décision, prise au terme d'une longue polé­mique scientifique qui a duré des années, fut purement diplomatique : le cadmium 114 offre des avantages supérieurs à ceux du krypton, sans parler du pouvoir élevé de définition de la raie hyperfine du mercure mono-isotopique (Hg 198) ; mais le krypton triomphe, car le vote s'est effectué en fonc­tion de blocs politiques. U n e comparaison

effectuée onze ans plus tard a démontré de façon irréfutable que la nouvelle définition correspond à une longueur plus courte de 25 cent millionièmes de millimètre que celle de l'étalon de platine iridié. Il faut ajouter que l'on envisage aujourd'hui très sérieuse­ment la possibilité de réviser la définition en vigueur.

Mais ce n'est pas tout. L e « mètre i960 » est le m ê m e que le « mètre 1889 », exprimé en longueurs d'onde avec une erreur de ± 25 [xm. Dans le nouveau mètre, l'élément arbitraire conventionnel subsiste, mais on a donné satisfaction à l'orgueil national des superpuissances qui, depuis i960, ont été dispensées de rattacher leurs étalons au prototype du Bureau international des poids et mesures. E n d'autres termes, aucune unité de longueur n'a été déduite d'une longueur d'onde lumineuse déterminée, auquel cas il y aurait dans le système décimal une unité définie par un nombre entier et décuple de la longueur d'onde choisie ; on s'est contenté de mesurer en longueurs d'onde le « fétiche » du pavillon de Breteuil : le changement de définition a seulement servi à remplacer le prototype métallique par un étalon optique» théoriquement facile à reproduire.

Macrocosmes et microcosmes

Voyons maintenant ce qu'il est advenu de la mesure du temps. Les problèmes métro-logiques propres à cette grandeur se ramè­nent à déterminer des phénomènes ponctuels et à mesurer des intervalles, c'est-à-dire, d'une part, la simultanéité et, d'autre part, la durée. La mesure de durées suppose la détermination de faits successifs. U n cas particulier de la durée est la détermination de fréquences, durées successives identiques ou variant selon la loi qui régit le phénomène auquel elles correspondent.

N o u s avons déjà vu qu'à l'origine l ' h o m m e s'est d'abord préoccupé d'établir la succes­sion des événements en les rapportant à une échelle immédiatement et directement obser­vable : le mouvement apparent des astres.

U n e nouvelle mesure du temps : le système Einstein 77

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Bien que la chronologie ait précédé d'une façon ou d'une autre la Chronometrie, il est rapidement apparu utile d'évaluer les inter­valles de temps par rapport aux cycles des règnes végétal et animal. O r la mesure de plus en plus précise d'intervalles de plus en plus courts exige des techniques per­fectionnées.

L a coordination difficile des macro-unités naturelles ne constitue pas l'écueil principal qui réduit à néant la valeur des étalons correspondants. Lorsque les travaux scienti­fiques qui utilisaient traditionnellement ces derniers exigèrent la réalisation de mesures extrêmement fines d'intervalles très courts, il fut prouvé que ces étalons n'étaient pas constants. L a grande diversité de « jours » — astronomique, solaire, sidéral, etc. — et d' « années » — lunaire, planétaire, sidérale, tropicale, etc. — n'a pas permis d'obtenir la précision voulue, qu'était censée posséder la merveilleuse horloge cosmique. E n effet, les rotations de la Terre, de la Lune et le « ballet » général des astres n'ont pas u n seul mouvement qui se répète exactement. L a variabilité de ces étalons, sans importance dans la vie quotidienne, est notoire et capi­tale pour la recherche et l'application pra­tique de nombreuses techniques.

Lorsque la curiosité humaine, absorbée pendant des millénaires dans la contempla­tion du spectacle grandiose du macrocosme, tourne son insatiable regard scrutateur vers les merveilles de l'infiniment petit, il devient aussitôt nécessaire de disposer d'instruments capables de diviser le temps en fractions rigoureusement égales. O r c'est précisément dans le microcosme, dans la zone de l'invrai-semblablement minuscule, que nous trou­vons la solution de ce problème. Les atomes, dont les raies spectrales offrent un étalon de longueur doté de qualités infiniment supé­rieures à celles des étalons calculés sur des mesures géodésiques, sont aussi des pendules d'une constance extrême. Il s'agit là des premiers étalons de temps qui, dérivés eux aussi de la nature, échappent au caractère astronomique de leurs prédécesseurs.

1960 : l'aggiornamento

E n i960, la X I e Conférence générale des poids et mesures a adopté trois résolutions apparemment importantes : 1. L a nouvelle définition du mètre (résolu­

tion n° 6) — déjà citée — dont le texte est le suivant : « L e mètre est la longueur égale à 1 650 763,73 longueurs d'onde dans le vide de la radiation correspondant à la transition entre les niveaux 2p10

et 5d5 de l'atome de krypton 86. » 2. L a ratification (résolution n° 9) de la dé­

cision du Comité international des poids et mesures de 1956 (résolution n° 1), aux termes de laquelle « la seconde est la fraction 1/31 556 925,974 7 de l'année tropique pour 1900 janvier o, à 12 heures de temps des éphémérides ».

3. L'adoption du Système international d'unités (SI, résolution n° 12), avec six unités de base ou fondamentales, nombre dont l'augmentation ultérieure peut prê­ter à discussion (XIV e Conférence géné­rale, 1971, résolution n° 3).

E n 1967, la XIIIe Conférence générale des poids et mesures, par sa résolution n° 1, a abrogé la définition antérieure de la seconde, ratifiée en i960 et maintenue en 1964 ; elle a adopté la définition suivante : « L a seconde est la durée de 9 192 631,770 périodes de la radiation correspondant à la transition entre les deux niveaux hyperfins de l'état fonda­mental de l'atome de césium 133. »

Il s'agit là de la première tentative consis­tant à détacher le temps des éphémérides et à le relier à une Chronometrie atomique. Mais, c o m m e dans le cas d u mètre, nous s o m m e s loin d'un changement d'unité ; il s'agit simplement d'un changement d'éta­lon et d'une définition de la seconde tradi­tionnelle au m o y e n de fréquences atomiques. Mais changer d'étalons et d'appellations ne signifie pas changer le système; il faut reconnaître, en toute justice, que l'aggiorna­mento a été purement formel.

Nous ne voulons pas laisser entendre que ces rapides modifications des définitions de

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la seconde et d u mètre — cette dernière semble très prochaine — dénotent une cer­taine précipitation ou légèreté dans la prise des décisions3, mais plutôt que les raisons objectives de caractère scientifique ont été reléguées au profit de motifs d 'un autre ordre. Il est toutefois très encourageant de constater que la Conférence générale des poids et mesures, la plus haute autorité in­ternationale en matière de métrologie, fait preuve d'un esprit ouvert et de souplesse et qu'elle a la possibilité de revenir rapidement sur ses propres résolutions.

Le Système international (SI)

Tous les documents officiels, antérieurs et contemporains, qui ont trait à l'adoption du Système international d'unités (SI) parlent d'un système pratique. U n système de ce genre, outre qu'il est souhaitable, est absolu­ment nécessaire pour l'usage quotidien dans le commerce, les industries traditionnelles, l'éducation de base, et l'enseignement pro­fessionnel et supérieur non spécialisé. U n système pratique d'unités est, à notre avis, u n système qui s'adapte aux besoins de la métrologie légale.

U n système pratique d'unités doit être immobiliste, et il ne peut en être autrement. E n effet, son efficacité dépend de son exclu­sivité et de son inaltérabilité. Sinon, des changements répétés nuiraient à la normali­sation en introduisant dans les processus économiques des bouleversements et des perturbations d'une telle importance que le système serait rejeté c o m m e étant inaccep­table. Ces deux attributs ont toujours cons­titué la base de la prétendue universalité du système métrique décimal, laquelle est heu­reusement sur le point d'être réalisée.

C'est ici que nous observons une certaine contradiction dans le SI, continuateur naturel d u système métrique décimal. Il conserve d'une part, sous des formes différentes, les unités telluriques traditionnelles, caractéris­tique que nous jugeons absolument indis­pensable, et d'autre part il adopte des

définitions, impeccables dans leur précision, dont la compréhension immédiate suppose u n niveau scientifique élevé, allant jusqu'à la spécialisation, que ne possède pas le public auquel il est destiné.

L e SI apparaît donc c o m m e u n système hybride ou mixte dont certaines zones cor­respondent à la métrologie légale alors que d'autres sont seulement applicables aux technologies les plus perfectionnées. Il est possible que, dans u n avenir proche, on aborde courageusement la diversification de ces deux groupes de zones entre plusieurs systèmes qui, bien entendu, devraient être convergents et dotés d'unités de base c o m m u n e s .

Bien que le système métrotechnique soit distinct du système pratique, chacun d'eux et leur ensemble, à savoir le Système inter­national d'unités, continueraient de former u n système non cohérent pour la simple raison qu'il n'existe aucun lien physique objectif entre ses unités fondamentales d'es­pace et de temps. Toutefois, le fait de dis­poser d'un système cohérent d'unités pour le traitement de l'information scientifique serait d'une utilité considérable.

Le point de départ

L e problème fondamental auquel se heurte la connaissance scientifique moderne est l'indétermination qu'il a été indispensable d'introduire dans la nouvelle conception du m o n d e physique pour expliquer l'ensemble des phénomènes récemment révélés par l'expérience. Les nouvelles théories trouvent une expression appropriée dans le vaste langage mathématique, mais nous s o m m e s plongés dans les abîmes du paradoxe lorsque nous nous efforçons de les traduire en m o ­dèles matérialisés. N o u s supposons — et il semble, d'après certains indices, qu'il ne s'agit pas là d'une simple attitude témé­raire — que la situation changerait radicale­ment si nous nous décidions véritablement à réviser nos conceptions traditionnelles rela­tives au temps et à son estimation. Mieux

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encore, et sans vouloir pécher par optimisme, nous pensons qu'une révision aussi hardie permettrait d'éclaircir la situation actuelle mais aussi de mettre en lumière des domaines de la connaissance encore inexplorés.

E n fait, le seul objet de l'étude physique est le mouvement , ce phénomène consub-stantiel au m o n d e où nous vivons. D e ses deux manifestations formelles, l'une, celle de l'espace, a été stratifiée en différents ordres, selon la dimension, tandis que l'autre, celle du temps, a résisté à toute ten­tative d'analyse et a conservé sa simplicité romantique. O n est en droit de penser que l'état de stagnation de la Chronometrie est dû, en grande partie du moins, à une concep­tion scolastique du temps.

Les grandeurs sont des qualités spécifiques de l'existence physique. Ainsi les dimensions spatiales de l'univers constituent la limite de l'espace ; le m o n d e physique n'existe pas dans l'espace, mais l'espace est justement la limite du m o n d e physique. Nous pourrions formuler la m ê m e idée en disant que l'espace n'existe pas sans l'univers physique et que l'univers n'existe pas dans le temps, mais que le temps est la durée du m o n d e physique. Par conséquent, l'espace (longueur, super­ficie, volume) et le temps sont des grandeurs dépourvues de valeurs réelles négatives.

De la seconde à l'hydrogène

Après la seconde du temps des éphémérides, la seconde SI est une seconde atomique. Elle se matérialise au moyen des horloges ato­miques, génératrices de fréquences de grande stabilité et permettant, de nos jours, d'obte­nir des précisions de l'ordre de 5 x io~13

pour des intervalles de mille secondes et de 2 X io - 1 3 lorsqu'elles sont utilisées en groupes, ce qui permet de travailler plusieurs heures avec une erreur de 0,1 nanoseconde seulement par rapport à l'échelle.

Les échelles du T e m p s universel atomi­que ( T U A ) et du T e m p s universel coor­donné ( T U C ) , assorties à la synchronisation d'horloges à distance au m o y e n de la télé-

métrie laser, permettent actuellement de déterminer la simultanéité et les durées avec une précision sans cesse accrue. L a coordi­nation des échelles s'effectue au moyen de techniques extrêmement perfectionnées, de m ê m e que la détermination des fréquences, et il est possible qu'en allant dans cette direction nous nous rapprochions de l'erreur due à l'indéterminisme propre aux phéno­mènes physiques.

D e toute façon, nos mesures actuelles du temps sont en réalité un comptage d'impul­sions ; nos unités continuent d'être les unités telluriques traditionnelles, produits des ob­servations astronomiques, et toutes nos échel­les de temps sont équimétriques, ce qui répond à la fonction du temps des éphémé­rides. U n e remise en question approfondie de la mesure des durées pourrait permettre d'envisager l'utilité d'échelles de temps non équimétriques grâce auxquelles on pourrait effectuer l'étude linéaire de phénomènes qui ne se présentent pas à l'heure actuelle sous cette forme, et surtout leurs variations et leur dispersion.

N o s étalons de temps les plus perfection­nés sont dotés de fréquences — unité dé­rivée — qui constituent la base de la seconde. L e Comité international des poids et des mesures a déclaré, en 1964, que « l'étalon à utiliser (pour les mesures physiques du temps) est la transition entre les niveaux hyperfins F = 4 , M = o e t F = 3, M = o de l'état fondamental 2 S 1 / a de l'atome du césium 133 non perturbé par des champs ex­térieurs » et que « la valeur 9 192 631 770 H z est assignée à la fréquence de cette tran­sition ».

L'instabilité conceptuelle de ces moments , en ce qui concerne les unités fondamentales, se traduit par la multitude de propositions correctives. Elles sont de trois types pour le mètre : a) celles qui préconisent de remplacer le krypton 86 par un rayon laser ; b) celles qui envisagent une nouvelle définition, dans le cadre des unités dérivées, d u type : « L e mètre est la distance parcourue par la lumière dans le vide en 1/299 792 458,00 seconde »4 ;

80 Mario Rodríguez Aragon

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c) celles qui demandent l'adoption d'un éta­lon unique pour les unités de longueur et de temps, c'est-à-dire que le mètre et la se­conde soient définis en fonction de fréquen­ces et de longueurs d'onde d'un m ê m e élé­ment chimique, par exemple l'atome de césium 133.

Quant à nous, nous sommes convaincus de la nécessité de disposer d'un étalon ato­mique c o m m u n pour la longueur et le temps, c'est-à-dire de choisir pour unités sa lon­gueur d'onde et sa fréquence spécifique dans des conditions à déterminer, ou leurs mul ­tiples convenables. Dans cette hypothèse, les atomes lourds ne nous semblent pas offrir d'avantage. Bien au contraire, l'atome d'hy­drogène offre des propriétés extraordinaires, sans parler de sa grande stabilité qui devrait le faire préférer à tout autre. Il est très pro­bable, c o m m e le suggérait Swedenborg il y a près de trois siècles, que l'hydrogène nous ouvrira l'accès aux secrets de la matière et de la vie.

Un système cohérent

N o u s avons insisté sur l'importance capitale de l'étude d u mouvement , et des m o u v e ­ments, car c'est précisément dans les phéno­mènes périodiques, à l'échelon de la molé­cule et de l'atome, que convergent les grandeurs spatiales et temporelles dans un rapport qui, c o m m e on sait, est universel et constant. L a relation bi-univoque entre les fréquences et les longueurs d'onde, dans les mouvements oscillatoires, offre la possibilité de déterminer des unités de longueur et de temps absolument cohérentes : une longueur d'onde et sa période correspondante.

Il est évident qu'il ne s'agit pas ici de mesurer et d'exprimer en longueurs d'onde et en fréquences des étalons déjà établis et plus ou moins bien matérialisés, mais de re­tenir, pour des unités cohérentes, le couple de valeurs longueur-temps correspondant au phénomène oscillatoire unique choisi c o m m e origine d u système. D e façon ana­logue, en développant le système, on pour­

rait déterminer l'unité de masse et son équi­valent énergétique et, bien entendu, les autres unités fondamentales, dérivées et sup­plémentaires.

N o u s savons fort bien que ce que nous proposons n'est pas facile. Mais il faut définir clairement le rôle que nous attribuons, en principe, à ce système cohérent d'unités : il s'agirait d'un instrument d'analyse mathé­matique au service de l'étude des phéno­mènes physiques.

Il ne s'agit pas, en effet, de modifier inu­tilement les systèmes pratiques, les systèmes légaux, le SI ou tout autre. Cette prétention serait démentielle. Il s'agit plutôt de disposer d'un système véritablement cohérent pour y reporter les données d'un problème en vue de le traiter mathématiquement dans son domaine, c o m m e cela se fait tous les jours avec les logarithmes. A notre époque, l'élec­tronique offre des moyens commodes et très rapides de calculer ces transmutations.

L a philosophie de ce système consiste à tenter de faciliter la découverte de lois et de relations numériques nouvelles — toujours « simples » — qui régissent les phénomènes naturels. L'histoire de la science nous en fournit de nombreux exemples : Newton et la formulation de sa loi sur la gravitation universelle; Mendeleïev, qui découvrit la loi périodique des éléments ; Catalan, Ritz et Balmer, qui identifièrent le rapport entre les fréquences des lignes spectrales ; Planck et Maxwell et leurs lois ; Lorentz et ses équations de transformation ; et parmi en­core des milliers d'autres cas, celui d'Einstein, dont la carrière est jalonnée de conquêtes scientifiques se traduisant toujours par des simplifications, et couronnée par sa célèbre formule de l'énergie. Tout se passe c o m m e si les étapes qui nous rapprochent de la connais­sance de la vérité objective étaient une suc­cession de synthèses, de simplifications.

Hommage à Einstein

Si u n jour on adopte u n système cohérent d'unités c o m m e celui que nous proposons

U n e nouvelle mesure du temps : le système Einstein 81

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ici — tant nous s o m m e s certains de son extrême utilité scientifique — et qu'on nous demande quelle appellation lui donner, nous répondrons sans hésiter : le Système Einstein (SE). E n effet, c'est à lui que nous le devrons en grande partie, à cet h o m m e qui a révo­lutionné la connaissance du cosmos par ses simplifications géniales, et qui est mort en rêvant de la théorie d u c h a m p unitaire.

Qu'il nous soit permis de terminer en transcrivant u n passage de son œuvre, très significatif du talent scientifique d'Einstein, car nous pensons que citer les paroles d'un penseur est le plus bel h o m m a g e qu'on puisse rendre à sa mémoire :

« Les concepts et les systèmes de concepts trouvent leur raison d'être dans le fait qu'ils nous permettent d'embrasser d'une seule vue les complexes psychiques ; ils ne possè­dent pas d'autre justification. C'est pourquoi

Notes

i. Revue officielle de la Commission permanente des poids et mesures, publiée à Madrid par la présidence du gouvernement.

2 . Première réunion d'approximation philosophique et scientifique organisée par l'Institution Fernando el Católico, du Conseil supérieur de la recherche scientifique, Université et Deputation provinciale de Saragosse.

3. E n qualité de porte-parole de la délégation d'Espagne, l'auteur a assisté aux XII e et XIIIe sessions de la Conférence générale des poids et mesures, 1964, 1967 et 1968.

je suis d'avis que les philosophes c o m m e t ­tent un acte des plus pernicieux, en sous­trayant certains concepts fondamentaux de la science au domaine empiriquement utile, accessible au contrôle, et en les plaçant dans la région de la nécessité logique (l'a priori). Car, s'il est certain que le m o n d e des concepts ne peut pas être dérivé des états psychiques par le procédé logique ou d'une autre m a ­nière, mais qu'ils sont dans u n certain sens des créations libres de l'esprit humain, il ne reste pas moins vrai qu'ils sont aussi peu indépendants de nos états de conscience que le sont les habits de la forme du corps h u ­main. Ceci est particulièrement vrai de nos concepts de temps et d'espace, que les physiciens — forcés par les faits — ont été obligés de faire descendre de l'Olympe de l'a priori, pour les remanier et les rendre utilisables »5. D

4 . Moreau, H . Le système métrique (vol. 5). Paris, Bureau international despoids etmesures, 1973.

5. Quatre conférences sur la théorie de la relativité, p . 2 .

Pour approfondir le sujet

Voir également les ouvrages de : B . B I J O K S I ; L. de BROGLIE ; M . D A R W I N ; M . DANLOUX DUMESNILS ; B. DECAUX ; W . FLINDERS PÉTRIE ; B. GUINOT ; W . HEISENBERG ; B. KOFFMANN ; L. INFELD ; J. JEANS ; A . O R T E ; J. P A L A C I O S ; M . PLANCK ; H . POINCARÉ ; M . SCHLICK ; E. SCHRÖDINGER ; et U . STILLE, Le temps et les philosophies, Paris, Unesco, 1978.

82 Mar io Rodríguez Aragón

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2079 : un siècle d'évolution technique et sociopolitique* David A . Mathisen

Dans cette ère égàlitaire de paix mondiale, où le niveau de vie et la qualité de vie se sont stabilisés de façon équitable et où la maladie et la famine sont devenues des objets de curiosité, on a peine à croire qu'en 1979 les inégalités flagrantes dans la répartition des ressources étaient les principales causes de la pénurie et de la guerre. O n considérait que la condition humaine était essentiellement tributaire d'une économie de pénurie. Aujour­d'hui, nous disposons de suffisamment d'énergie pour utiliser et recycler nos ressources avec efficacité. Grâce au système d'énergie soleil-hydrogène, répondant aux besoins de chacun, de façon satisfaisante, dans un environnement non pollué, nous nous sommes suffisamment libérés du matérialisme pour aspirer à l'épanouissement spirituel et à l'organisation socio-économique à l'échelle mondiale.

Début de la nouvelle orientation

L'accession du technicien au pouvoir poli­tique est l'une des causes fondamentales du processus accéléré de l'évolution sociale qui a permis les modifications sans précédent de la qualité de la vie dans le m o n d e , au cours des cinquante dernières années. L a réorga­nisation politique radicale s'est amorcée au début de la grande crise de l'énergie de la fin d u xxe siècle. Les nations industrialisées furent plongées dans u n tel chaos politique et économique qu'elles se trouvèrent dans l'obligation de recourir à la seule réalité tangible qui subsistait : celle de la science et de la technologie telles qu'elles sont person­nifiées par le technicien diplômé de l'uni­versité.

Pendant les cinq décennies qui ont suivi 1979, la société prit progressivement conscience du fait qu'au cours des 5 000 ans qui se sont écoulés depuis le début de l'agri-oolture sédentaire, l'évolution sociale avait été dirigée non pas tant par la modification

continuelle des systèmes politiques que par la technologie, une technologie évoluant de façon arbitraire, constituant u n assemblage de différents éléments, existant c o m m e fin en soi et fonctionnant avec une autonomie toute-puissante.

Ceux qui avaient créé et compris la tech­nologie n'avaient pas suffisamment de pou­voir politique ou de responsabilités envers la société pour leur permettre de contrôler c o m m e n t cette technologie était mise au service de la société. E n fait, ils n'étaient pratiquement pas maîtres des recherches et du développement qu'ils avaient entrepris ou de leurs applications finales. D e plus, c o m m e leur puissance technique était dis­sociée d u pouvoir politique, les techniciens,

* Adapté d'un discours prononcé par Lee N g o N h U j président du Technological Institute of the Federation of Southeast Asian Republics, à l'Assemblée générale des Nations Unies, le 16 novembre 1978, à l'occasion du soixan­tième anniversaire de la création de la C o m m i s ­sion des Nations Unies pour l'énergie.

impact : science et société, vol. 29 (1979), n° 1 83

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• David A . Mathisen Les premiers changements et la première crise de l'énergie

Né en 1948, l'auteur a obtenu son premier diplôme d'ingénieur à l'Université du Wisconsin (Madison), puis a mené pendant cinq années une vie de bohème pour se donner à son premier amour, qui était d'écrire des romans, années au cours desquelles il a exercé divers métiers : dessinateur, assistant d'ingénieur, moniteur d'auto-école, plongeur de restaurant, directeur de succursale de banque, linotypiste et relieur. Il a repris ses études universitaires en 1976 pour obtenir un diplôme en journalisme scientifique. Il achève actuellement des études sur les applications de la télédétection à la planification urbaine et régionale et à la protection de l'environnement, études que couronnera un diplôme de génie civil. Son grand sujet de préoccupation est la crise de l'environnement, dont il rend responsable la technologie moderne des nations industrialisées bien plus que la surpopulation. L'apparition de cette oligarchie technologique qu'il décrit dans le présent article lui fait horreur, et le scénario qu'il nous propose tient lieu d'avertissement. L'auteur accueillera avec plaisir les commentaires de ceux qui voudront lui écrire à l'adresse suivante : 6206 East Gate Road, Monona WI53716 (États-Unis d'Amérique).

pratiquement tout au long de l'histoire, se soucièrent peu des incidences sociales de leur travail.

Ainsi, étant à l'écart des systèmes poli­tiques gouvernant le changement social à court terme, ils entraînèrent un éloignement de leur technologie, qui devint inexorable­m e n t le levier de l'évolution sociale à long terme.

Vers le milieu des années soixante-dix, la plupart des événements importants se pro­duisaient dans les pays très industrialisés d'Europe et d'Amérique du Nord . A u début de la présidence de Carter aux États-Unis, en 1977, la première grande crise de l'énergie prenait rapidement de l'ampleur. Les c o m ­bustibles fossiles liquides et gazeux étaient pratiquement épuisés et un engouement de dernière minute pour la technologie nucléaire se répandit dans toute l'Europe. Bien que bon n o m b r e de gens aient espéré que la technologie du surrégénérateur résoudrait leurs problèmes d'énergie, la prise de cons­cience croissante du public quant au danger présenté par les réacteurs à fission paralysa les efforts déployés aux États-Unis en vue d'une « révolution de l'énergie nucléaire ». L a construction de nouveaux réacteurs cessa presque complètement dans ce pays en raison de l'opposition constante exercée par le p u ­blic à l'encontre de tous les sites choisis pour leur construction, et du fait que les tenta­tives d u gouvernement fédéral visant à trou­ver un système satisfaisant d'évacuation des déchets échouèrent; le gouvernement mit un terme au soutien qu'il apportait à l'éner­gie nucléaire.

E n 1977, la Suède fut la première nation à promulguer une loi suspendant l'utilisation de l'énergie nucléaire « jusqu'à ce qu'un système d'évacuation des déchets nucléaires, fiable et permanent, ait été mis au point ». L a Commission suédoise pour l'énergie reçut rapidement u n pouvoir politique considé­rable pour contrebalancer l'influence des intérêts économiques nuisibles à l'environ­nement qui, à l'instar de ce qui se pro­duisait dans u n grand n o m b r e de pays, réclamaient de l'énergie quel que fût le coût qu'elle impliquait pour la société. Cet équilibre exceptionnel de pouvoir politique devint alors u n modèle qui servit de base à la politique énergétique des autres nations.

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Mini-glossaire

Projet Armageddon. Projet international d'exploration intensive des nouvelles possibilités en matière d'énergie solaire.

C A T T . Citoyens contre la technologie et les technocrates.

S H . Énergie ou technologie soleil-hydrogène.

L e mot « charbon » avait encore un pouvoir magique. E n 1975, les experts américains prédisaient encore que leur pays avait des réserves suffisantes pour les 150 à 1 500 an­nées à venir. Mais vers le milieu de l'an­née 1979, de nouvelles évaluations firent ressortir que ce chiffre n'était plus que de l'ordre de 75 ans. A u début des années quatre-vingt, on découvrit en Union sovié­tique et en République populaire de Chine de vastes réserves de charbon ; ce qui suscita u n débordement éphémère d'optimisme à l'égard de l'énergie. Mais bientôt des esti­mations plus raisonnables faites dans ces pays fixèrent également la longévité des gisements nouvellement découverts à 75 ans. Cependant, tous les gouvernements concer­nés, désireux de trouver des solutions à court terme pour leurs crises de l'énergie, établi­rent d'énormes programmes d'exploitation du charbon.

A u fur et à mesure que la nouvelle ère du charbon progressait, l'exploitation du mine­rai à ciel ouvert et la combustion des combus­tibles fossiles augmentaient. Les incidences prévues plus tôt sur l'environnement se ré­vélèrent vraiment catastrophiques et l'oppo­sition du public à l'accélération continuelle de l'exploitation du charbon s'accentua. E n 1991, le Congrès des États-Unis mit pratiquement u n terme à l'ère nouvelle d u charbon en ratifiant u n amendement cons-

SLH. Énergie ou technologie soleil-laser-hydrogène.

GNS. G a z naturel de substitution.

EPS. Electrolyte de polymère solide.

TWOFIE. Organisation d u tiers m o n d e pour l'intégrité de l'environnement.

UN E R G . Commission des Nations Unies pour l'énergie.

titutionnel qui habilitait pleinement les corps législatifs des États à bannir sur leur terri­toire l'exploitation des gisements à ciel ou­vert. L a production du charbon baissa de 90 % aux États-Unis, pratiquement du jour au lendemain. U n e opposition iden­tique de la part du public chinois et sovié­tique représenta une telle menace de boule­versement politique que finalement leurs gouvernements respectifs abandonnèrent leur politique de soutien du charbon.

Consommation d'énergie disproportionnée

Cependant, au cours de la décennie précé­dente, la solution de l'énergie nucléaire avait reconquis droit de cité en Europe. E n Europe occidentale, peu de pays possédaient des réserves de charbon, à l'exception de la Suède et de la Suisse qui optèrent pour une baisse de la consommation d'énergie de 75 % par le biais de mesures d'économie d'énergie obligatoires. L'Europe occidentale et l'Eu­rope centrale avaient décidé, quoi qu'il ad­vînt, de recourir au nucléaire.

L a technologie du surrégénérateur pro­gressa dans toute la région, à u n rythme beaucoup plus rapide que prévu. Il apparut que les craintes suscitées auparavant par la perspective d'une invasion de réacteurs n'étaient pas justifiées. Il n'y eut pas u n seul accident grave.

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E n Chine, en U R S S , en Amérique du Nord (y compris au Mexique1, avec son taux de croissance démographique élevé), ainsi que dans les pays du Proche-Orient, d'Amérique latine et d'Océanie qui avaient amassé des capitaux considérables grâce à l'exportation de pétrole au cours des an­nées 1970 et 1980, une véritable épidémie de construction de réacteurs nucléaires se pro­pagea tout au long des années 1990. E n l'an 2005, la fission nucléaire aux États-Unis produisait à elle seule 3,5 millions de m é ­gawatts, ce qui représentait à l'époque 40 % des ressources en énergie de la nation. L a proportion était de l'ordre de 8 0 % dans l'ensemble de l'Europe et de 90 % au Japon.

La seconde grande crise de l'énergie

A u début d u siècle, une multitude de désas­tres mit brusquement u n terme à l'ère nu­cléaire. E n trois opérations différentes, des groupes de terroristes s'emparèrent de car­gaisons de plutonium puis construisirent et firent exploser des bombes de fortune, d'un kilotonne, à Bruxelles, Moscou et N e w York. L'année suivante, en février 2008, le surré­générateur français Superphénix fondit à Maleville et six mois plus tard, le m ê m e phénomène se produisit à Seabrook, dans le N e w Hampshire (États-Unis). Dans les deux cas, les couvercles d'acier des réacteurs cé­dèrent sous la pression de la vapeur produite par des systèmes de secours de refroidisse­ment à eau censés être indétraquables. Des enquêtes effectuées par des ingénieurs révé­lèrent que le métal s'était décomposé au cours d'un certain nombre d'années en rai­son de l'irradiation de rayons g a m m a qui s'était infiltrée à travers le blindage de métal lourd.

Il y eut plus de victimes des radiations que lors des bombardements par fission nu­cléaire à Hiroshima et Nagasaki pendant la Deuxième Guerre mondiale. Les populations survivantes des nations les plus industria­

lisées exprimèrent leur fureur, et en six mois seulement elles parvinrent à faire voter une loi qui interdisait définitivement l'établisse­ment et le fonctionnement de centrales nucléaires.

L e m o n d e développé se trouva ainsi privé de plus de 50 % de son approvisionnement en énergie, ce qui mit les économies capi­talistes, communistes et mixtes au bord de l'effondrement total. Aucune ne se montra plus apte que d'autres à faire face à cette crise de l'énergie. Cependant, dans les régions ru­rales des nations encore en voie de dévelop­pement, la vie n'avait guère changé. Les habitants d'Amérique centrale, d'Amérique du Sud, d'Afrique et d'Asie du Sud conti­nuaient à être tributaires de leurs modestes sources d'énergie produites par l ' h o m m e , la bête, l'eau et le vent, et de l'utilisation importante et judicieuse de digesteurs de méthane.

Réapparition du « roi charbon »

L e Canada, la Chine, l'Union soviétique et les États-Unis, dotés de vastes réserves de charbon, jouèrent très vite le rôle qui avait échu trente ans plus tôt aux nations pétro­lières du Proche-Orient. Les grands pays se mirent à exporter des millions de tonnes de charbon vers les nations moins privilégiées, en particulier l'Europe occidentale, l'Afrique australe et le Japon. Cela comportait natu­rellement des avantages et des inconvénients : les nations productrices de charbon furent victimes des conséquences graves pour l'en­vironnement qu'impliquèrent l'extraction du minerai à ciel ouvert et autres types d'exca­vations, mais elles purent mettre à profit les revenus considérables dérivés des exporta­tions de charbon pour stabiliser leur éco­nomie, profondément affaiblie par la catas­trophe de l'ère nucléaire.

1. Les réserves de pétrole imprévues découvertes dans la partie orientale du Mexique pendant les années soixante-dix furent exploitées jus­qu'à épuisement complet en l'an 2001.

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L'Europe , en revanche, ne fut pratique­ment pas touchée par les conséquences de l'extraction, mais se trouva par contre rapi­dement ruinée. Les déficits des balances des paiements provoquèrent une dévaluation continue de toutes les devises européennes jusqu'à ce qu'elles perdent toute valeur. Les crises économiques s'enchaînaient ; le R o y a u m e - U n i , la France et les deux Alle-magnes — autrefois des géants industriels — s'effondrèrent sur le plan économique et tombèrent dans l'anarchie.

E n dépit de ce chaos, la première usine géante de gazéification du charbon au m o n d e entra en fonctionnement en 2010 dans la vallée de la Ruhr . Très vite, on en construisit d'autres dans bon nombre de régions du m o n d e . Elles s'approprièrent les réserves d'eau destinées à l'agriculture sur des dizaines de milliers de kilomètres carrés à la ronde, afin de transformer le charbon en une sé­rie de composés liquides ou gazeux. L ' u n des produits principaux était un gaz na­turel de substitution ( G N S ) qui devint ra­pidement la principale source d'énergie de consommation. U n e usine de gazéifi­cation de taille moyenne (approvisionnant 700 000 consommateurs résidents par jour) nécessitait 20 000 tonnes de charbon et pra­tiquement 27 000 tonnes d'eau pour pro­duire 7 080 000 mètres cubes de G N S par jour.

Il apparut très vite que les nations riches en charbon ne pouvaient plus bénéficier à la fois d'une économie viable et d'un environ­nement acceptable. Les restrictions écolo­giques et les conditions de remise en valeur des terres firent monter le prix d'extraction du charbon en quantité suffisante à u n ni­veau intolérable. Les réglementations furent abrogées, et bientôt l'Amérique du N o r d et l'Asie orientale se mirent à creuser la terre avec frénésie.

Les nations pauvres en charbon ne connu­rent pas le m ê m e problème, mais furent touchées c o m m e les autres par une catas­trophe encore plus pénible qui se produisit dans la biosphère. L a réglementation en

matière d'émission et le contrôle des effluents étaient autrefois stricts dans la plupart des nations industrialisées. Mais au fur et à mesure que les centrales encouraient des pertes se chiffrant à plusieurs millions de dollars, en raison de la non-utilisation des réacteurs nucléaires et de la nécessité de construire rapidement une vaste infrastruc­ture thermique, elles ne pouvaient plus se permettre de respecter ces réglementations coûteuses. L 'une après l'autre, celles-ci tom­bèrent en désuétude. Et dès l'an 2020, u n procédé employé dans le m o n d e entier pour transformer le charbon en électricité battait son plein. Il représentait à cette époque presque 100 % de l'approvisionnement en énergie du m o n d e développé.

La mise à l'écart des autres technologies

Mais qu'en était-il de la technologie soleil/ hydrogène ? Il faut considérer les points suivants. L a technologie solaire existait de­puis la mise au point de la cellule photovol-taïque, en 1954. A u début des années 1970, la France possédait, à Odeillo, un four so­laire en mesure de supporter une tempéra­ture de 3 000 C : soit une température de 500 C supérieure à celle qui est requise pour la rupture thermique de l'eau qui per­met la production d'hydrogène. Toute la technologie de base pour le stockage, la transmission, l'utilisation et la fiabilité de l'hydrogène que nous possédons aujourd'hui existait en 1975. U n an seulement aupara­vant, plus de cent savants s'étaient réunis à Miami à l'occasion du premier colloque inter­national sur l'économie de l'hydrogène pour faire le point de la situation. Q u e se passait-il donc ?

Les historiens expliquent le plus souvent l'échec d u m o n d e industrialisé par le fait que les entreprises privées, les centrales élec­triques et les gouvernements avaient investi beaucoup de temps, d'efforts et de capitaux dans la fission nucléaire et le charbon. O n avait également surestimé les possibilités

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•d'avenir de la fusion nucléaire. M ê m e à ce jour, personne n'est encore parvenu à obte­nir une réaction de fusion à grande échelle, soutenue et contrôlée.

D o n c , il y a un siècle, vers la fin des an­nées 1970, tout le m o n d e avait convenu que l'énergie solaire était trop onéreuse et le resterait pendant longtemps encore. Et, cu­rieusement, cette conviction n'avait prati­quement pas été ébranlée par le fait que a) entre 1967 et 1977 Ie c o u t de production des cellules photovoltaïques avait diminué de moitié (en raison d'un investissement minimal pour la recherche et le développe­ment) et que b) la seule véritable entrave à de nouvelles réductions du coût, de deux ou trois ordres de grandeur, était les frais de montage des cristaux de silicium.

Naissance •de la nouvelle révolution

L a recherche sur de nouvelles technologies en matière d'énergie péchait depuis long­temps par un m a n q u e de coordination, et une insuffisance notable de crédits dans le m o n d e entier. Il n'est pas improbable que 75 % des recherches effectuées dans une nation quelconque aient fait double emploi avec les recherches faites ailleurs. L a redon­dance des efforts déployés dans la recherche avait toujours été dénuée de sens, mais au cours des dernières décennies d u xxe siècle, ces entreprises parallèles constituèrent l'ob­stacle le plus marquant à la réalisation de percées en matière de technologie et d'éner­gie permettant de sauver la biosphère (et l'humanité par la m ê m e occasion).

Lors d'une conférence spéciale sur l'éner­gie qui se tint à Prague en mai 2018, les représentants des nations les plus dévelop­pées convinrent de mettre en c o m m u n les crédits dont ils disposaient pour la recherche et le développement de l'énergie, en les affectant à un programme international mixte d e recherche en énergie qui serait géré par les Nations Unies. Chaque nation était habilitée à n o m m e r un délégué auprès de

ce nouvel organisme, qui s'intitula la C o m ­mission des Nations Unies pour l'énergie ( U N E R G ) . L e délégué du Japon, Tominaga Kensuke, ingénieur en énergie et président de l'Université de technologie de Kyushu , fut élu premier président de l ' U N E R G . Tominaga, longtemps partisan lui-même de l'énergie soleil-hydrogène (SH) , se servit immédiatement de tout le prestige de son nouveau poste pour appuyer la solution qu'offrait le S H .

L a tâche de Tominaga ne fut pas aisée, car la plupart des experts estimaient toujours que la solution au problème mondial de l'énergie résidait dans la fusion nucléaire et dans les techniques élaborées du charbon. Mais Tominaga fit inlassablement pression sur différentes capitales du m o n d e , pour l'énergie de remplacement en faveur de laquelle il était personnellement engagé.

L a première et la plus importante réussite de Tominaga consista sans doute à faire traduire en plus de langues l'ouvrage clas­sique sur le S H intitulé : Energy: the solar/ hydrogen alternative1 et à le faire distribuer à chaque personnalité dans le m o n d e exer­çant une influence en matière de politique énergétique. Cette campagne éducative fut la plus efficace de l'histoire de la politique de l'énergie et ne tarda pas à porter ses fruits.

L a cause défendue par Tominaga pro­gressa considérablement en raison de la pa­nique grandissante du public, due à une augmentation astronomique des taux d'as­phyxie engendrés par u n niveau extrême­ment élevé de pollution atmosphérique : il y eut 77 000 morts rien qu'à Londres en 2019. E n septembre 2020, l'Assemblée générale des Nations Unies adopta une résolution affectant 40 milliards de dollars des fonds de cette institution au développement du S H , sous la direction de l ' U N E R G . Avant la fin

1. Ce livre de J. Bockris fut publié pour la pre­mière fois aux États-Unis en 1975. Il était encore valable plus de quarante ans après sa publication.

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de Tannée, Tominaga avait commencé à appliquer son programme détaillé de dé­veloppement.

Le Projet Armageddon

Reconnaissant qu'il faudrait peut-être vingt ou trente ans pour mettre au point la tech­nologie solaire à grande échelle nécessaire pour faire face aux besoins énergétiques du m o n d e (les quelques progrès réalisés étaient toujours hésitants et financés de façon in­suffisante), l'ingénieur japonais comprit aussi que les pays développés ne survivraient probablement pas au délai supplémentaire de dix à quinze ans requis pour la construc­tion du système d'hydrogène d'appui. Aussi son projet se divisait-il en deux tranches devant être mises en œuvre simultanément.

L'une visait à établir, avant qu'il ne soit réellement utilisé, un système complet de transmission, de stockage, de distribution de l'hydrogène à portée du consommateur. L'autre consistait à mettre en œuvre un effort interdisciplinaire intensif de recher­ches et de développement en vue d'exploi­ter l'énergie solaire. Cet aspect du plan était traité au Centre de la recherche en ingénierie de Rio de Janeiro, poursuite d'efforts plus modestes entrepris — sous l'égide de l'Unesco — à Bucarest et à Udine (Italie) au cours du troisième quart du siècle précédent ; l'opération embrassait plus de 8 ooo universités, centrales électri­ques publiques et entreprises publiques et privées dans le m o n d e entier. Cet effort se fit connaître sous le n o m de Projet Armageddon.

L e programme de Tominaga progressa ra­pidement. Huit millions de kilomètres de gazoducs à gaz naturel, abandonnés de­puis 1990, furent remis à neuf et aménagés pour recevoir l'hydrogène, leur diamètre pas­sant de 90 c m à 115 c m , diamètre considéré c o m m e idéal pour son acheminement. O n installa 5 millions de kilomètres de gazoducs neufs. E n 2025, le système de transmission et de distribution était achevé, desservant di­

rectement plus de 75 % de tous les consom­mateurs de ce qu'on appelle le m o n d e déve­loppé. (Le terme « développé » désignait toujours les nations qui avaient abusé de leur environnement naturel au point d'être par­venues à une économie qui, à l'instar du cancer, se caractérisait par une croissance perpétuelle et u n gaspillage immoral, corol­laire de cette croissance.)

E n dehors de ces gazoducs, 2 527 entre­pôts de gaz naturel, également abandonnés depuis 1990, furent rénovés. O n fabriqua de Phydrure de métal, refroidi artificiellement, et une nouvelle infrastructure souterraine, de sorte qu'en 2026, il y avait une capacité de stockage de 790 milliards de mètres cubes d'hydrogène, quantité plus que suffisante pour répondre à la demande en énergie du m o n d e développé prévue pour l'an 2030, dans un système reposant entièrement sur l'énergie solaire et l'hydrogène.

Les pays en développement face aux pays développés

C e programme fit ressortir avec précision, cette fois, l'immense fossé séparant les na­tions industrialisées du tiers m o n d e en déve­loppement. L'attitude des premières envers le second était désinvolte dans le meilleur des cas ; on s'était contenté de tentatives symboliques pour préparer l'Asie du Sud, l'Afrique et l'Amérique latine à la révolution attendue de l'énergie. « Après tout », avan­cèrent les délégués des pays développés (usant d'arguments fallacieux et typiquement étriqués), puisque les pays nantis finan­çaient le Projet Armageddon, pourquoi les pays pauvres devraient-ils bénéficier d'une manière disproportionnée d'une projet au­quel ils avaient si peu contribué d u point de vue financier et scientifique ? Les nations riches soutinrent en outre que les régions en développement n'avaient pas souffert de la vague des crises de l'énergie et qu'en fait, leur taux de consommation d'énergie par habitant, qui était déjà faible, n'avait pas changé depuis 1980.

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Lors d'une session houleuse de la C o m ­mission des Nations Unies pour l'énergie, le délégué nigérian, Alhaji N d u k w e , assuma les fonctions de porte-parole du tiers m o n d e ; il expliqua que pendant plus d'un siècle les pays en développement avaient été contraints de supporter les répercussions universelles qu'avait eues la politique d'expansion éco­nomique suivie par un m o n d e développé irresponsable en matière d'écologie. L a pol­lution atmosphérique provenant principale­ment des États-Unis, de l'Union soviétique et de l'Europe du Nord-Ouest avait provoqué des pluies acides de plus en plus fréquentes dans le sous-continent indien, en Afrique du N o r d , en Afrique centrale et en Amérique latine ; ces pluies contenaient de l'anhydride sulfureux qui, de son côté, extrayait par lixiviation les éléments nutritifs et vitaux du sol.

L e délégué nigérian rappela que l'inci­dence du cancer, des maladies respiratoires et vasculaires avait aussi augmenté en Asie du Sud, en Afrique et en Amérique du Sud, également en raison de la pollution venant de l'extérieur. Les changements climatiques dus aux « effets de serre » provoqués par le gaz carbonique et à l'effet d'écran particulate du Soleil, imputable à la combustion du charbon et du G N S , avaient ruiné l'agri­culture de la vallée du Nil en raison des crues qu'ils engendraient constamment. Les dé­serts d'Afrique du Nord s'étaient étendus au point que plus de 90 % du continent afri­cain situé au nord du Sahara était devenu une zone agricole marginale.

N d u k w e signala que, depuis que des poli­tiques démographiques extrêmement réus­sies au cours des cinquante dernières années avaient réduit la population du tiers m o n d e de 50 %, les pays en développement étaient devenus le garde-manger du m o n d e indus­triel. (L'extraction du minerai à ciel ouvert et la production d'énergie avaient rendu inu­tilisable 60 % de la terre qui était arable en 1980 dans les nations développées.) Sans les importations alimentaires massives du tiers m o n d e , qui, c o m m e on l'a reconnu,

avaient centuplé grâce à l'aide financière et agronomique émanant du m o n d e industria­lisé, les pays développés auraient connu la famine.

A la suite de cela, l'Assemblée générale n o m m a un groupe d'intervention pour exa­miner ces accusations, mais les recomman­dations de ce groupe visant à une distribution plus équitable des fonds dont disposait la Commission pour l'énergie furent rejetées par le Conseil de sécurité (toujours dominé par les nations développées). Se considérant à juste titre frustrés, la plupart des pays du tiers m o n d e se retirèrent des Nations Unies pour constituer leur propre Organisation du tiers m o n d e pour l'intégrité de l'environne­ment ( T W O F I E ) , dont le siège fut établi dans la capitale bolivienne au n o m bien choisi, L a Paz (« paix »).

Gaspillage et mauvaise utilisation des vieilles techniques

Cependant, en 2025, la situation sociale dans le m o n d e était devenue critique et peu de gens avaient une raison de vivre. L e gaz carbonique, l'anhydride sulfureux, les oxydes d'azote, le benzopyrène, les isotopes radio­actifs et les métaux lourds toxiques (produits de la combustion du charbon et du G N S ) s'associèrent aux effets catastrophiques de l'extraction non réglementée du minerai à ciel ouvert pour tourner la « qualité de la vie » en dérision. Les taux de suicide étaient effroyablement élevés : d'après les estima­tions, ils atteignaient 2 millions par an en Amérique du N o r d , en Europe centrale et occidentale, en République populaire de Chine et au Japon.

Plus de 3 % des terres d'Amérique du N o r d et d'Union soviétique étaient deve­nues improductives en raison des excava­tions ; cela leur avait valu la dénomination de « terres orphelines » dans le jargon de l'in­dustrie du charbon. Dans des régions telles que la Californie, les besoins des gigan­tesques usines de gazéification et des cen­trales électriques avaient fait baisser la nappe

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aquifère de 3 à 12 mètres, transformant la région en terrain vague aride. L e spectre de la famine généralisée dans le m o n d e indus­trialisé devenait vite une réalité : déjà 10 % de la population souffrait d'une malnutrition élevée.

A u x États-Unis, au Canada et sur le conti­nent européen, 1,7 % de la surface des terres était déjà enfouie sous les déchets solides des centrales thermiques. Depuis le début du XXIe siècle, une centrale thermique moyenne de 1 000 M W avait produit 71 000 tonnes de cendres accumulées sous la chaudière, 281 000 tonnes de cendres volantes recueil­lies dans sa cheminée et 212 000 tonnes de déchets sulfureux. Malgré des progrès signi­ficatifs en vue d'obtenir une meilleure c o m ­bustion du charbon, le fait que l'on dût brûler de plus en plus des qualités inférieures de charbon maintenait la quantité des dé­chets à u n niveau constant.

Partout dans le m o n d e développé, les gens étaient devenus prisonniers de leur condi­tionnement socio-psychologique. Pour eux qui étaient nés dans une société à haut ni­veau technologique et en étaient imprégnés, la vie sans technologie massive et complexe n'était plus la vie. Cette technologie avait besoin d'énergie et cette dernière avait be­soin de charbon. A u cours des cinq millé­naires qui s'étaient écoulés depuis la nais­sance de l'agriculture sédentaire, l'expansion de la technologie avait engendré une nou­velle race d'êtres humains : une race tribu­taire d'une technique dévoreuse d'énergie pour s'assurer des moyens de subsistance à la fois temporelle et spirituelle. Et seul le charbon pouvait permettre à la technologie de continuer d'exister. D u moins était-ce l'opinion de la majorité.

Quelques exemples des effets de la crise sur la politique

Les aspects politiques de la crise étaient plus complexes. L'Europe était en ruine du point de vue économique et l'anarchie y régnait depuis 2010. E n revanche, l'économie des

États-Unis et du Canada se caractérisait par un taux d'expansion encore plus rapide qu'auparavant en raison d'un afflux massif de capitaux étrangers (surtout européens) provenant de la vente du charbon. Cepen­dant, en 2027, aux États-Unis, une révolution violente dirigée par des militants opposés à la technologie fut sur le point d'éclater. L a colère du public face au niveau élevé de pol­lution et à l'extraction frénétique des res­sources naturelles s'était rapidement accrue depuis 2010. E n 2015,150 000 morts dans ce pays étaient directement imputables à la pol­lution par le charbon et le G N S ; la mort survenait principalement à la suite de mala­dies respiratoires et vasculaires. E n 2022, le taux de mortalité avait doublé. Les acci­dents mortels avaient tendance à survenir en masse dans les centres où se groupait la po­pulation, en raison de variations brutales de température.

C e qui était pire encore, c'est que la tem­pérature globale moyenne avait régulière­ment augmenté, en corrélation directe avec l'accroissement de la concentration de gaz carbonique dans l'atmosphère. Les centrales thermiques aux États-Unis seuls émettaient chaque année 1 milliard de tonnes et plus de gaz carbonique et la longue controverse opposant l'effet de serre à l'effet d'écran particulaire cessa enfin. L a température moyenne de la Terre avait augmenté de 6,5 °C en 2023, et les calottes glaciaires des pôles fondaient. L e niveau de la mer était monté de plus d'un mètre, c o m m e les habitants de certaines nations côtières (la Thaïlande, le Viet N a m et les Pays-Bas) le savaient bien. (Ces trois nations furent à moitié submergées en 2028, malgré la mise en place de systèmes de barrages de secours.) A u x États-Unis, l'île de Manhattan fut évacuée en 2027 et abandonnée à la mer.

Pendant ce temps, la plupart des nations membres de la T W O F I E conservèrent une stabilité politique, mais il en était autrement dans le m o n d e à haute technologie. Seuls le Canada, la Chine, l'Union soviétique et les États-Unis avaient pu préserver u n semblant

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d'ordre sociopolitique. Dans la plupart des sociétés fermées, les efforts de propagande à grande échelle déployés en vue de maintenir la population dans l'ignorance de la réalité étaient de plus en plus vains. O n avait dû établir des centres de concentration près de toutes les grandes villes pour y incarcérer toute personne ayant fait preuve de « compor­tement antisocial ». Tout mouvement révo­lutionnaire organisé était donc exclu dans ces régions.

Cependant, le sort de l'Amérique du Nord était pire. E n 2022, aux États-Unis, dix-neuf organisations dissidentes fusionnèrent en un seul mouvement révolutionnaire cohé­rent unifié par la haine de la technologie et de ses tenants. L e F B I lui-même ne put démanteler l'impitoyable C A T T {Citizens against Technology and Technocrats [Ci­toyens contre la technologie et les techno­crates]). Pendant l'été fatidique de 2028, le C A T T concentra ses efforts dans la région située autour de Washington, la capitale, où une variation brutale de température qui durait depuis une semaine causait chaque jour des milliers de morts. Dirigeant une armée gigantesque, composée de simples partisans, le C A T T ordonna de bombarder « tout ce qui fumait », déclarant la guerre à toute production d'énergie et proclamant tous les savants et ingénieurs « ennemis du peuple ». L'appui populaire que reçurent ces réactions était effrayant, et la police ne pou­vait pratiquement pas compter sur l'aide du citoyen m o y e n pour y mettre u n terme.

Événements inattendus

E n 2028, cela faisait huit ans seulement que le développement intensif de la technologie solaire avait constitué la principale préoc­cupation de l ' U N E R G ; le vaste réseau Tominaga pour la distribution de l'hydro­gène restait inutilisé. L e Projet Armageddon était resté axé avec ténacité sur les procédés photovoltaïque et photogalvanique. L e coût élevé du maniement des cristaux de silicium était toujours un obstacle à l'exploitation du

procédé photovoltaïque. O n avait réalisé des progrès dans le domaine du procédé photo­galvanique, qui avait été jusqu'à présent le principal bénéficiaire des travaux de re­cherche.

L e responsable du Projet Armageddon, Alberto Aranez, ingénieur chimique boli­vien, déclara lors d'une session d'urgence de l'Assemblée générale des Nations Unies, qui eut lieu en avril 2028 : « N o u s s o m m e s sur la bonne voie. Il est possible que l'époque des progrès scientifiques soit révolue, par conséquent nous nous orientons vers le per­fectionnement de la technologie existante. » Heureusement, Aranez se trompait. Les pro­grès scientifiques d'autrefois n'étaient pas tombés en désuétude.

L e 29 août 2028, alors qu'une grande partie du m o n d e allait basculer dans l'anar­chie, le salut surgit de là où on ne l'attendait pas. Igor A . Korsov, secrétaire général de l ' U N E R G , fut réveillé à 2 heures du matin par un de ses principaux conseillers, qui le pria instamment de parler au professeur Harold P . Lambert, ingénieur en électrochi­mie de l'Université de Wisconsin (États-Unis), qui se trouvait à côté de lui. Lambert avait travaillé paisiblement, depuis quelques années déjà, avec d'autres chercheurs en Australie, en Asie centrale soviétique, en Espagne, en Israël et en République de Palestine. Leur objectif consistait à mettre au point un système d'énergie solaire, n'utilisant pas de combustible, en mesure de recycler tous les matériaux utilisés, et non polluant.

Lambert entra dans le vif du sujet, d'une manière quelque peu brutale. « M o n ­sieur le Secrétaire général, m e s collègues et moi avons mis au point u n système de technologie solaire bon marché et simple qui peut être combiné au réseau d'hydrogène de Tominaga. N o u s estimons que dans quatre ans ce système interface pourra pourvoir à 90 % des besoins en énergie de l'Amérique du Nord, du continent européen, de la Chine et du Japon. C e projet sera onéreux, mais nous sommes sûrs d'avoir trouvé la bonne solution. Les États membres devront trouver

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quatre-vingt-dix milliards de dollars pour le financer, mais leur investissement sera amorti en moins d'une génération. »

L e prix était élevé, mais nous connaissons parfaitement le dénouement de cette his­toire : les Nations Unies réunirent les capi­taux nécessaires, et au début de 2033 le système soleil-hydrogène avait fait son appa­rition dans la plus grande partie d u m o n d e industrialisé. D è s 2039, il était en place dans le m o n d e entier, à l'exception des na­tions membres de la T W O F I E .

Réalisations de Lambert

Lambert, savant et inventeur dissident, fai­sait depuis longtemps autorité en matière de recherche solaire. Tominaga avait d'abord n o m m é Lambert à la tête du Projet A r m a ­geddon à Rio de Janeiro en 2022. D e u x ans plus tard, Lambert quittait les Nations Unies pour trouver une solution aux pro­blèmes de technologie solaire selon une optique personnelle que certains de ses col­lègues considéraient trop fantaisiste et irréa­liste. Lambert avait déjà à son actif une série d'inventions futiles ; cependant, il savait qu'il suffirait d'une véritable découverte pour résoudre la crise universelle de l'énergie.

Sa manière révolutionnaire d'aborder le problème que représente l'utilisation de la radiation solaire pour dériver l'hydro­gène de l'eau lui fut d'abord contraire. Lambert pensait que ses collègues d u Projet Armageddon avaient tout à fait tort de s'acharner sur les procédés photogalvanique et photovoltaïque. Il préférait quant à lui adopter une méthode simple et efficace : celle du craquage de l'eau. Les déperditions au cours des échanges de chaleur et la défi­cience du matériel avaient fait échouer ses premières tentatives de craquage thermique (utilisant évidemment les rayons solaires) mais, en décembre 2022, il avait mis au point une technique selon laquelle la lumière incidente du soleil était directement concen­trée sur un laser à énergie élevée, adapté à l'opération.

Puis Lambert mit au point une méthode peu coûteuse de craquage de l'eau en l'irra­diant avec un rayon laser à haute énergie, le laser ionisant les molécules d'eau de fa­çon à les dissocier spontanément. L e procédé donna satisfaction : le rendement de conver­sion solaire s'élevait à 30 % (comparés aux 14 % maximaux que pouvaient atteindre les procédés photovoltaïque et photogalvani­que). A u printemps 2028, Lambert avait simplifié ce système afin qu'il puisse être produit en série. Il subsistait encore, toute­fois, le problème économique relatif à l'ac­quisition et à la manipulation des cristaux de laser bon marché répondant aux condi­tions de la chaîne de montage.

Pour résoudre celui-ci, Lambert fit appel à Rosa Callinieri, expert en laser de l'Institut de recherche en physique appliquée de Naples. Elle-même adepte convaincue de l'énergie soleil-hydrogène, Callinieri avait suivi de près les travaux de Lambert. Tominaga, qui joua le rôle de coordinateur entre Lambert et les chercheurs d'autres pays, l'avait persuadée de participer à la mise au point du type de laser que Lambert re­cherchait. Lorsque Lambert la contacta en mai 2028, Callinieri avait déjà élaboré u n laser à bas prix utilisant du tungstate de cal­cium additionné de néodyme, bien adapté à la production en série et garantissant une longévité de l'ordre d'un demi-siècle.

Application du système Lambert-Callinieri

Toutes les nations manifestèrent leur recon­naissance envers l'introduction du nouveau système d'énergie en collaborant au maxi­m u m avec les fonctionnaires de l ' U N E R G chargés de mettre en œuvre le nouveau sys­tème soleil-laser-hydrogène ( S L H ) . E n plus de sa fonction salvatrice, la nouvelle tech­nologie offrit d'autres avantages pratiques. L'hydrogène produit par le S L H ne coûtait que 5 % par B T U , par rapport à ce que le gaz produit par le charbon ( G N S ) avait coûté en 2020. L a transition vers le nouveau

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système fut relativement simple étant donné que, à des fins pratiques, le comportement de l'hydrogène pendant l'oxydation exothermi­que était analogue à celui du G N S . Les seuls produits entrant dans l'oxydation de l'hy­drogène étaient naturellement l'eau potable et l'énergie. Il n'y avait pas non plus de phénomène marqué de vieillissement de l'équipement. D e simples modifications suf­fisaient pour adapter les instruments exis­tants, consommant des combustibles fossiles, à la combustion d'hydrogène.

L a conversion posa peu de problèmes do­mestiques. Les chaudières et instruments électroménagers fonctionnant au G N S subi­rent des modifications afin de consommer de l'hydrogène et leurs systèmes d'échappement dévoreurs d'énergie furent supprimés. Prati­quement ioo % de la chaleur émise par la chaudière de la maison accédait maintenant directement à l'espace que l'on souhaitait chauffer, sans émanations toxiques de la cheminée, alors qu'auparavant 40 % de la chaleur était accompagnée de gaz toxiques. Il y avait aussi la possibilité d'utiliser le pro­cédé catalytique de la combustion d'hydro­gène sans flamme (mis au point dans les années 1970), écartant ainsi les risques d'in­cendie.

Les craintes du public suscitées par la nature explosive de l'hydrogène (appelées d'une manière laconique « syndrome de Hindenburg ») apparurent sans fondement. Les mesures de sécurité entourant le manie­ment de ce gaz faisaient qu'il n'était pas plus dangereux que les autres combustibles. L a conversion à l'hydrogène posait quelques problèmes en cas de transport, car il néces­site u n vaste réseau d'appui pour le ravi­taillement en combustible et les réparations. Les moteurs à combustion interne alimentés au G N S furent facilement transformés, mais le stockage du ravitaillement en combustible à bord d'un véhicule exigeait l'installation d'un réservoir cryogène (selon le principe de la fameuse bouteille Thermos) ainsi qu'un système de stockage d'hydrure de métal. Cet hydrure de métal permettait de laisser

échapper progressivement l'hydrogène pen­dant qu'on le chauffait, se ravitaillant lui-m ê m e lorsque il était placé dans une atmo­sphère d'hydrogène pur.

L e fait que la plupart des instruments consommateurs d'énergie étaient électriques constitua la difficulté majeure en matière de transition. Mais la construction rapide de cellules de combustion d'hydrogène géantes, non polluantes, résolut le problème. O n uti­lisa les electrolytes de polymères soudes (EPS), mis au point cinquante ans plus tôt aux États-Unis par General Electric, au lieu d'électrolytes liquides classiques. Les ré­seaux électriques nationaux ne tombèrent pas en désuétude. A u contraire, les générateurs thermiques furent remplacés par des cellules de combustion d'hydrogène pour ravitailler les réseaux électriques.

Conséquences de la technologie du S LH

L e consommateur vit naître une nouvelle ère d'indépendance en matière d'énergie. Des cellules de combustion E P S bon marché, de 15 k W , furent vendues dans le commerce dès juillet 2029.

Grâce à cette énergie peu coûteuse, non polluante et facile à obtenir, la communauté technologique n'était plus tributaire d'un approvisionnement capricieux et onéreux : elle put se consacrer à la mise au point de méthodes à haute intensité d'énergie de façon à maximiser les bénéfices provenant des res­sources de la terre. Étant donné l'abondance d'énergie, le recyclage des matériaux devint une entreprise extrêmement rentable, ex­ploitée au m a x i m u m dans le but de garantir partout le plein emploi.

E n 2040, les affaires socio-économiques du m o n d e industrialisé n'avaient jamais été plus prospères. Les Nations Unies expri­mèrent le souhait de mettre la technologie de l'énergie S L H à la disposition des nations membres de la T W O F I E . Il faut reconnaître que les motivations des Nations Unies n'étaient pas tout à fait altruistes : ses États membres défendirent la suppression des iné-

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galités flagrantes existant dans le m o n d e entier, dans leur propre intérêt. Ces inéga­lités, si elles avaient persisté, auraient sapé les tentatives visant à l'établissement d'un vrai gouvernement universel et d'une paix durable. L e m o n d e développé avait toujours besoin des matières premières et des terres à vocation agricole des pays membres de la T W O F I E . Autre fait intéressant : l ' O N U et la T W O F I E s'étaient réconciliées.

E n 2065, 90 % de la population mondiale — comptant 7,5 milliards d'habitants — avait accès à toute l'énergie, l'alimentation, et les biens et services nécessaires au main­tien d'une qualité de vie décente. L a produc­tion s'appuyait à nouveau sur une main-d'œuvre importante, car les projections faites auparavant de la croissance exponentielle des besoins en matière d'énergie ne se matéria­lisèrent pas. E n fait, la consommation d'éner­gie par habitant retomba au niveau de celle de 1945.

E n ce qui concerne les organisations

internationales, les nations membres de la T W O F I E votèrent à l'unanimité leur rallie­ment aux Nations Unies, fusion heureuse et intelligente qui réunit ces deux institutions en un seul organisme il y a un peu plus de quinze ans. Cependant, à un niveau plus fondamental, un autre changement impor­tant se produisit dans le m o n d e .

A la suite de la révolution de l'énergie de 2028, le sentiment d'insécurité, respon­sable de la course quasi mondiale aux nou­velles commodités, régressa. L a source de cette compétition frénétique — une distri­bution terriblement injuste des richesses de la planète — fut éliminée. L a civilisation rejeta la notion établie de technologies « plus nouvelles et meilleures » (et par conséquent consommant plus d'énergie). O n assista à un retour à la quête du bien-être spirituel et du calme intérieur de l'individu. Celui-ci a cessé depuis lors d'adorer le dieu Techno­logie, et a préféré le mettre au service de l 'homme.

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Lettres

La science et l'Amérique latine

Pablo Kittl, qui suit de près les thèmes étudiés dans Impact, nous adresse la lettre ci-dessous de VInstituto de Investigaciones y Ensayos de Materiales, Universidad de Chile, Plaza Ercilla 883, Casilla 1420, Santiago de Chile. Son adresse pour Vannée 1979 est la suivante : Departamento de Engenheria de Materiaio, Universidade Federal de Sao Carlos, Caixa Postal 676,13560 - Sao Carlos - SP (Brésil).

J'ai lu avec beaucoup d'attention le vo­lume 27 , n° 3, de juillet-septembre 1977, et les articles de Mai lman et de Salas Capriles m'amènent à présenter quelques remarques concernant l'application des lois de l'éco­nomie à la science en Amérique latine.

E n deux occasions antérieures [1, 2]*, j'ai essayé de montrer c o m m e n t les lois de l'éco­nomie qui, à m o n avis, s'appliquent sans exception à tous les actes de l ' h o m m e , s'ap­pliquent également au m o n d e scientifique et technique, lequel, de toute évidence, est fait lui aussi d'actions humaines. Parmi tous les exemples disponibles, j'en retiendrai deux, extraits de la série d'études contenues dans le numéro précité d'Impact : science et société [3].

José Leite Lopes [4] évoque la fonda­tion des premières écoles de physique en Amérique latine, avec G a n s et Vallaría. Je ne suis pas au courant de la situation dans tous les pays d'Amérique latine, mais, dans ceux que je connais, son évolution a été régie par les lois que j'ai numérotées 1,6 et 8

dans l'article cité à la note 1. Autrement dit, on forme des physiciens en grande quantité : ils sont, en général, médiocres, et ceux qui ne le sont pas travaillent sur des sujets qui n'ont d'intérêt que pour les pays industria­lisés ; la plupart n'ont pas d'emploi véritable ou, quand ils en ont u n , c'est dans quelque organisme créé expressément à cette fin. E n règle générale, les plus capables émigrent vers des pays où les rémunérations et les perspectives d'avenir sont meilleures. Si, par malchance, ces pays sont sous-développés, le processus se répétera.

Leite Lopes cite également l'influence des grandes sociétés multinationales, supposées faire obstacle d'une certaine façon au déve­loppement de la science appliquée. Peut-être ce phénomène relève-t-il davantage d'une fixation de type œdipien, correspondant à la loi n° 6 évoquée plus haut. Je connais des institutions (commissions de l'énergie ato­mique) qui, après vingt ans ou davantage de travaux « technologiques » et d'investisse­ments suffisants pour financer l'achat de plusieurs réacteurs nucléaires puissants, fi­nissent par acheter ces derniers à l'étranger. L e seul travail utile effectué par ces institu­tions semble avoir été la publication d'un certain nombre de documents scientifiques, qui n'ont rien apporté de nouveau au m o n d e scientifique, et l'entretien d'une armée de

* Les chiffres entre crochets correspondent aux références figurant à la fin de cette lettre.

impact : science et société, vol. 29 (1979), n° 1 97

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bureaucrates. Les technologues compétents qui ont été formés sont partis à l'étranger où — toujours la m ê m e histoire — ils répé­teront le processus.

Je partage l'opinion de Leite Lopes sin-la nécessité de conserver u n groupe de phy­siciens qui publient des documents scienti­fiques, mais je ne pense pas que quiconque est conscient d u problème puisse souhaiter entretenir, année après année, des groupes de technologues se spécialisant dans la fabri­cation d'un produit qui, en fin de compte, sera importé. C'est c o m m e si u n groupe de physiciens achetait à l'étranger des études originales et les publiait dans des revues scientifiques locales. L'exemple équivalent, sur le plan économique, serait celui d'une usine qui, incapable de fabriquer le produit en vue duquel elle a été construite, assurerait sa survie en vendant ce m ê m e produit, acheté à d'autres usines, aux dépens de son propre capital. Aucune banque ne patron­nerait de telles pratiques et, bien sûr, aucune ne prêterait de l'argent à une usine qui ne pourrait pas vendre ses propres produits.

Je reconnais, avec Salas Capriles, que la production n'exige pas une technologie à grande échelle [5], mais un m i n i m u m est manifestement nécessaire. Quoi qu'il en soit, l'échec est toujours sanctionné ; une société créée en vue de fabriquer un certain produit fera inévitablement fail­lite si elle n'est pas capable, à tout le moins, de fabriquer le produit en question.

Je voudrais conclure en disant, pour re-

Étude de cas : M . Z.

La lettre qu'on lira ci-dessous nous a été adressée par David Galef, étudiant à Princeton University, aux États-Unis, qui écrit : « La

faveur dont jouit actuellement la parapsycho­logie m'a incité à écrire quelque chose sur ce sujet. Nombre de chercheurs dans ce domaine sont à ce point persuadés de l'existence de la perception extra-sensorielle (ESP) qu'ils se livrent à toutes sortes de contorsions pour

prendre les termes de la loi n° 6 (réf. 1), qu'à m o n avis « les petits centres technico-scientifiques auront u n rendement faible et fonctionneront c o m m e des satellites des grands centres », et que seule l'intégra­tion totale de l'Amérique latine est capable de déclencher u n développement écono­mique , scientifique et technologique vérita­blement important ; d u moins l'intégration de l'Amérique d'expression espagnole, puis­que l'Amérique d'expression portugaise est déjà intégrée et semble avoir la dimension appropriée pour devenir u n univers scienti­fique, technologique et économique de grand avenir.

PABLO KITTL

Références

1. K I T T L , P . Quelques lois du marché applicables au m o n d e scientifico-technique. Impact : science et société, vol. 26, n° 3 , 1976, p . 243-244.

2 . . Es posible la planificación científica ? Revista Minerva, vol. X X X I V , n° 1-2, 1976, p. 1-8.

3. L a science et l'Amérique latine. Impact : science et société, vol. 27, n° 3 , 1977.

4 . L E I T E L O P E S , J. Pays en développement et

science dépendante. Impact : science et société, vol. 27, n° 3, 1977, p . 287-293.

5. S A L A S C A P R I L E S , R . L e transfert de technologie

et les industriels en Amérique latine. Impact : science et société, vol. 27, n° 3 , 1977, p . 339-352.

nous en convaincre, et vont même jusqu'à énoncer des règles spéciales en la matière : les manifestations de l'ESP, soulignent-ils, sont erratiques et imprévisibles. Par conséquent, affirment-ils, on ne peut pas s'attendre que les résultats obtenus dans un laboratoire se repro­duisent automatiquement dans un autre. Per­sonnellement, je trouve cette théorie de la non-reproductibilité des résultats indéfendable.

98 Lettres

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Beaucoup de chercheurs prétendent en outre que F E S P ne se manifeste pas en présence d'un esprit sceptique. D'où le pastiche ci-dessous. » L'adresse de M . Galef est la suivante : 112 1939 Hall, Princeton University, Prin­ceton, NJ08540 (États-Unis d'Amérique).

Dark University, établissement célèbre pour son institut de parapsychologie, a enregistré des faits étranges liés à des phénomènes extra-sensoriels. Les récits de personnes se trouvant dans une pièce et qui se trans­portent ailleurs par télépathie, devinent le symbole figurant sur des cartes Rhine1 sans se tromper ou prédisent ce que les expé­rimentateurs s'apprêtent à dire — voilà quelques-uns des phénomènes surnaturels qui ont été enregistrés. L e cas le plus étrange auquel les expérimentateurs aient eu affaire est cependant celui d'un h o m m e que (pour créer un peu de confusion) nous désignerons par la lettre Z .

Z était apparemment un h o m m e c o m m e les autres : vingt-cinq ans environ, de taille, poids et corpulence moyens. E n fait, il res­semblait tellement au c o m m u n des mortels que les expérimentateurs faillirent l'éliminer du lot des sujets à examiner. Il est heureux qu'ils l'aient gardé, car, par la suite, le jeune Z se révéla être à l'origine de l'une des grandes découvertes de la parapsychologie.

Lorsqu'il entra dans la salle d'expérimen­tation, on n'eut pas l'impression qu'une cer­taine présence se manifestât dans un coin de la pièce ; tous les meubles restèrent exac­tement à leur place. A u lieu d'attirer une chaise à lui par la seule force de sa pensée, Z s'avança vers l'une d'elles, puis s'assit. C e curieux comportement fut le premier indice qui donna aux expérimentateurs le sentiment d'avoir affaire à un sujet c o m m e ils n'en avaient jamais rencontré auparavant, et cela les dérouta.

L ' u n d'eux apporta deux dés et expliqua la marche à suivre. Z acquiesça lentement, d'un signe de tête, et dans ses yeux l'on ne vit briller aucune flamme intérieure et domi­

natrice. A u premier coup de dés, pour lequel Z avait annoncé le chiffre 7, ce fut le 2 qui sortit; au second, ce fut le 9, alors que Z avait risqué le 5 ; au troisième essai, Z se trompa une fois encore. L'expérimentateur, dont le front luisait maintenant de sueur, comprit qu'il se trouvait devant u n phéno­m è n e nouveau et terrible ; il avait affaire à u n sujet dépourvu de tout pouvoir préco-gnitif, fait troublant qui menaçait de bou­leverser les statistiques si soigneusement éta­blies par l'université. Il fut alors décidé de soumettre le sujet à l'épreuve de télékinésie.

Lorsqu'on lui demanda de faire bouger la chaise sur laquelle il était assis sans pour autant la toucher, il parut déconcerté. Certes, il leva légèrement u n bras, mais uniquement pour se gratter le dos. L ' u n des expérimen­tateurs désigna la chaise d'un geste impatient, puis releva le doigt pour bien montrer ce qu'il voulait dire. (Les expérimentateurs ne peuvent pas pratiquer la télékinésie : cela fausserait les résultats parfaitement objectifs de ces expériences.) Lorsqu'il apparut clai­rement que Z ne pouvait pas ou ne voulait pas faire bouger la chaise, on plaça devant lui deux objets sensiblement moins lourds, une feuille de papier et une allumette. Cette fois, Z , à force de volonté, pinça les lèvres pour émettre u n souffle qui provoqua u n bruissement de la feuille de papier et fit tomber l'allumette par terre. C e résultat fut considéré c o m m e u n petit m o n d e en soi. L a concentration mentale qui avait permis à Z d'émettre ce souffle puissant était u n exploit certes minime, mais encourageant.

« Preuve irréfutable » de l'ESP

O n passa ensuite aux tests de télépathie. Tandis qu'un expérimentateur fronçait les sourcils en s'efforçant de projeter mentale­ment le nombre qu'il avait en tête, Z fronça lui aussi les sourcils, puis annonça le chiffre à haute voix. O n constata, fait étonnant, qu'il n'y avait pas la moindre brise ni la moindre trace de pouvoir mental, à tel point qu'un expérimentateur en devint tout blême,

Lettres 99

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cependant qu'il déchirait son bloc-notes en menus morceaux.

Les premiers nombres annoncés par Z pour la série allant de i à ioo était inexacts. Etait-ce par perversité ou, ce qui était invrai­semblable, par u n m a n q u e total de pouvoirs télépathiques, toujours est-il que Z annon­çait généralement un nombre faux avec une marge d'erreur embarrassante.

Cette marge se réduisit légèrement lorsque le nombre se trouva choisi entre i et 10. Enfin, lorsque le choix se trouva limité à i et 2 , Z c o m m e n ç a à deviner relativement juste : il réalisa la moyenne impressionnante de 50 % environ. C e résultat rassura les expérimentateurs, qui abordèrent la der­nière épreuve avec plus d'optimisme.

Ils présentèrent à Z les cartes Rhine qu'ils gardaient toujours en réserve. Ces cartes étaient spécialement marquées pour que le plus parfait novice pût d'un seul coup d'œil voir le symbole qui figurait sur chacune d'elles. (Des cartes de ce genre ont largement contribué à démontrer l'existence d'une chose ou d'une autre — soit la réalité de l'ESP, soit l'excès de zèle des expérimenta­teurs.) Quoi qu'il en soit, Z se trompa à chaque fois. E n fait, il ne se contenta pas de se tromper sur u n pourcentage acceptable de cartes, mais sur chacune d'elles, en igno­rant complètement les symboles qui s'y trouvaient. Z était si loin de la vérité que l'un des expérimentateurs se risqua à dire

qu'il devait avoir le don de l'anticlairvoyance, la faculté de voir ce qui n'est pas. Bien que séduisante en elle-même, cette théorie fut écartée de peur que les profanes ne la jugent stupide.

Cela mit u n point final aux expériences. Z n'avait pas témoigné de la moindre faculté extra-sensorielle. Pour tout dire, c'était un être à part. Lorsqu'il se leva pour quitter la salle, nulle aura n'entoura son corps ; il sortit calmement par la porte, sans m ê m e la faire claquer derrière lui.

Dès que Z fut parti, les expérimentateurs se précipitèrent sur leurs machines à écrire pour rédiger à l'intention de leurs revues favorites des rapports sur le « facteur dé­viant » constaté au cours de cette expérience. C e facteur présentait certes de l'intérêt en raison de sa singularité, mais, étant donné l'énorme masse d'informations sur l'ESP obtenues à la suite d'authentiques études de cas, il ne méritait guère qu'on le prît au sérieux.

DAVID GALEF

Note

1. Cartes mises au point pour les expériences de transmission de pensée par le professeur Rhine, de Duke University, spécialiste des phénomènes de perception extra-sensorielle.

100 Lettres

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Le prochain numéro d'impact : science et société traitera des grands problèmes auxquels le monde fait face dans le domaine des

Ressources de la mer

Parmi les auteurs qui contribueront au volume 29, n° 2, de la revue, figureront :

J. W . Brodie (Wellington)

Rifat M . Ali (Abou Dhabi)

Guy Prud'homme de Saint-Maur (Paris)

Kurt Fleischmann (Hemel Hempstead)

Vikenty Zaitsev (Moscou)

Pushkar L . Kaul (Norman, Oklahoma)

Mansour Kashfi (Chiraz, Iran)

Jacques-Yves Cousteau (Monte-Carlo)

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En réponse aux demandes de lecteurs...

. . . impact : science et société traitera les thèmes ci-dessous au cours des quinze mois suivant la parution de ce numéro.

vol. 29, n° 3 (juillet-septembre 1979) Recherche et objectifs sociaux

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Stage pour une pédagogie des sciences et techniques intégrées dans le domaine extra-scolaire européen

Les Centres d'entraînement aux méthodes d'éducation active ( C E M E A ) ,

mouvement d'éducation nouvelle, participent à la formation d'animateurs dans le domaine extra-scolaire et au recyclage des enseignants.

Leurs diverses expériences, alliées à une connaissance des différents systèmes éducatifs européens, les ont conduits à réaliser — à l'échelle européenne —

un stage centré sur la pédagogie des sciences et techniques intégrées dans le domaine extra-scolaire.

L'Association française des C E M E A , avec l'aide de la Fédération internationale des C E M E A et de la Division de la jeunesse de l'Unesco, réalisera ce stage du 13 au 26 juillet 1979 dans la région de Montpellier (France). Première partie : connaissance, action, réflexion ; deuxième partie : évaluation, réflexion, projection.

L'équipe d'animation sera internationale, et les langues de travail seront le français, l'anglais et le russe. La session s'adresse à tous ceux qui dans leur profession — enseignants, chercheurs scientifiques, psychologues, chercheurs en sciences de l'éducation, éducateurs du milieu extra-scolaire, journalistes scientifiques — sont confrontés à l'éducation scientifique et technique à l'échelle nationale et européenne.

Toute demande de renseignements est à adresser aux C E M E A , 55, rue Saint-Placide, Paris Cedex 06 (France).

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Librería Navarro, 2.a avenida, n.° 201, Comayaguela, T E G U C I G A L P A . Federal Publications (HK) Ltd., 5A Evergreen Industrial Mansion, 12 Yip Fat Street, Wong Chuk Hang Road, A B E R D E E N . Swindon Book Co., 13-15 Lock Road, KowLOON. Akadémiai Könyvesbolt, Váci u. 22, B U D A P E S T V. A . K . V . Könyvtarosok Boltja, Népkoztársaság utja 16, B U D A P E S T VI. Orient Longman Ltd. : Kamani Marg, Ballard Estate, B O M B A Y 400038; 17 Chittaranjan Avenue, C A L C U T T A 13 ; 36A Anna Salai, Mount Road, M A D R A S 2 ; B-3/7 Asaf Ali Road, N E W D E L H I I. 80/1 Mahatma Gandhi Road, BANGALORB-560001 ; 3-5-820 Hyderguda, HYDBRABAD-500001. Sous-dépôts : Oxford Book and Stationery Co. , 17 Park Street, C A L C U T T A 700016 ; Scindia House, N E W D E L H I IIOOOI. Publications Section, Ministry of Educa­tion and Social Welfare, 511 C-Wing, Shastri Bhavan, N E W D E L H I IIOOOI. Bhratara Publishers and Booksellers, 29 JI. Oto Iskandardinata III, JAKARTA. Gramedia Bookshop, JI. Gadjah Mada 109, JAKARTA. Indira P . T . , JI. Dr. Sam Ratulangi 37, JAKARTA P U S A T .

McKenzie's Bookshop, Al-Rashid Street, B A G H D A D . Commission nationale iranienne pour l'TJnesco, avenue Iranchahr Chomali n° 300, B.P. 1533, TÉHÉRAN. Kharazmie Publishing and Distribution Co., 28 Vessal Shirazi Street, Shahreza Avenue, P . O . B . 314/1486, T É H É R A N . The Educational Company of Ireland Ltd., Ballymount Road, Walkinstown, D U B L I N 12.

Snaebjörn Jonsson & Co., H . F . , Hafnarstraeti 9, REYKJAVIK. Emanuel Brown, formerly Blumstein's Bookstores : 35 Allenby Road et 48 Nachlat Benjamin Street, T E L A V I V ; 9 Shlomzion Hamalka Street, J É R U S A L E M . LICOSA (Librería Commissionaria Sansoni S.p.A.), via Lamarmora 45, casella postale 552, 50121 FTRENZE. Agency for Development of Publication and Distribution, P . O . Box 34-35, TRIPOLI.

Sangster's Book Stores Ltd., P . O . Box 366, 101 Water Lane, K I N G S T O N . Eastern Book Service Inc., C . P . O . Box 1728, T O K Y O 100 92. East African Publishing House, P . O . Box 30571, NAIROBI. The Kuwait Bookshop Co. Ltd., P . O . Box 2942, K U W A I T . Mazenod Book Centre, P . O . M A Z E N O D . Librairies Antoine A . Naufal et Frères, B.P. 656, B E Y R O U T H . Cole & Yancy Bookshops Ltd., P . O . Box 286, M O N R O V I A . Eurocan Trust Reg., P . O . Box 5, S C H A A N . Librairie Paul Brück, 22, Grand-Rue, L U X E M B O U R G . Commission nationale de la République démocratique de Madagascar pour l'Unesco, B.P. 331, T A N A N A R I V E . Federal Publications Sdn. Bhd., Lot 8238 Jalan 222, Petaling Jaya, S E L A N G O R . Librairie populaire du Mali, B.P. 28, B A M A K O . Sapienza's Library, 26 Republic Street, VALLETTA. Toutes les publications : Librairie « Aux belles images », 281, avenue Mohammed-V, R A B A T (CCP 68-74). * Le Courrier » seulement (pour les enseignants) : Commission nationale marocaine pour l'Unesco, 20, Zenkat Mourabitine, R A B A T (CCP 324-45). Nalanda Co. Ltd., 30 Bourbon Street, P O R T - L O U I S . SABSA, Insurgentes Sur n.° 1032-401, M É X I C O 12 D . F . British Library, 30, boulevard des Moulins, M O N T E - C A R L O . Instituto Nacional do Livro e do Disco (INLD), avenida 24 de Julho 1921, r/c e i.° andar, M A P U T O . Librería Cultural Nicaragüense, calle 15 de Septiembre y avenida Bolívar, apartado 807, M A N A G U A . Librairie Mauclert, B.P. 868, N I A M E Y . The University Bookshop of Ife. The University Bookshop of Ibadan, P . O . Box 286, IBADAN. The University Bookshop of Nsukka. The University Book­shop of Lagos. The Ahmadu Bello University Bookshop of Zaria. Toutes les publications : Johan Grundt Tanum, Karl Johans gate 41/43, O S L O I. « Le Courrier » seulement : A / S Narvesens Litterarurtjeneste, Box 6125, O S L O 6. Reprex S A R L , B.P. 1572, N O U M É A . Government Printing Office, Government Bookshops : Rutland Street, P .O. Box 5344, A U C K L A N D ; 130 Oxford Terrace, P . O . Box 1721, C H R I S T C H U R C H ; Alma Street, P . O . Box 857, H A M I L T O N ; Princes Street, P . O . Box 1104, D U N E D I N ; Mulgrave Street, Private Bag, W E L L I N G T O N .

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Uganda Bookshop, P . O . Box 145, K A M P A L A . Mirza Book Agency, 65 Shahrah Quaid-e-azam, P . O . Box 729, L A H O R E 3. Empresa de Distribuciones Comerciales S.A. (EDICO), apartado postal 4456, P A N A M Á Zona 5.

Agencia de Diarios y Revistas, Sra. Nelly A . de García Astillero, Pie. Franco n.° 580, A S U N C I Ó N .

N . V . Martinus Nijhoff, Lange Voorhout 9, ' S - G R A V E N H A G E . Systemen Keesing, Ruysdaelstraat 71-75. A M S T E R D A M 1007. Editorial Losada Peruana, Jirón Contumaza 1050, apartado 472, L I M A . The Modern Book Co. , 926 Rizal Avenue, P . O . Box 632, M A N I L A D-404. Ars Polona - Ruch, Krakowskie Przedmiescie 7, 00-068 W A R S Z A W A . O R P A N -Import, Palac Kultury, 00-901 W A R S Z A W A . Dias & Andrade Ltda., Livraria Portugal, rua do Carmo 70, LISBOA. Librairies internationales ou Buchhaus Leipzig, Postfach 140, 701 LEIPZIG. Le secrétaire général de la Commission nationale de la République unie du Cameroun pour l'Unesco, B.P. 1600, Y A O U N D E . Textbook Sales (PVT) Ltd., 67 Union Avenue, SALISBURY. I L E X I M , Romlibri, Str. Biserica Amzei n° 5-7, P . O . B . 134-135, BUCURESTI. Abonnements aux périodiques : Rompresfilatelia, calea Victoriei n° 29, BUCURESTI. H . M . Stationery Office, P . O . Box 569, L O N D O N , S E I 9 N H . Government bookshops : London, Belfast, Birmingham, Bristol, Cardiff, Edinburgh, Manchester. La Maison du livre, 13, avenue Roume, B.P. 20-60, D A K A R . Librairie Clair-afrique, B.P. 2005, D A K A R . Librairie « Le Sénégal », B.P. 1594, D A K A R . N e w Service Ltd., Kingstate House, P .O. Box 131, M A H É . Fourah Bay, Njala University and Sierra Leone Diocesan Bookshops, F R E E T O W N . Federal Publications (S) Pte Ltd., N o . 1 N e w Industrial Road, off Upper Paya Lebar Road, SINGAPORE 19. Modern Book Shop and General, P . O . Box 951, M O G A D I S C I O . Al Bashir Bookshop, P . O . Box 1118, K H A R T O U M . Lake House Bookshop, Sir Chittampalam Gardiner Mawata, P . O . Box 244, C O L O M B O 2. Toutes les publications : A / B C . E . Fritzes Kungl. Hovbokhandel, Fredsgatan 2, Box 16356,103 27 S T O C K H O L M 16.

« Le Courrier » seulement : Svenska FN-Förbundet, Skolgränd 2, Box 15050, S-104 65 S T O C K H O L M .

Europa Verlag, Rämistrasse 5, 8024 Z U R I C H . Librairie Payot, 6, rue Grenus, 1211 G E N È V E II.

Librairie Sayegh, Immeuble Diab, rue du Parlement, B.P. 704, D A M A S . Dar es Salaam Bookshop, P . O . Box 9030, D A R ES S A L A A M . S N T L Spalena 51, P R A H A I (Exposition permanente). Zahranicni literatura, 11 Soukenicka, P R A H A I. Pour la Slovaquie seulement : Alfa Verlag, Publishers, Hurbanovo nam. 6, 893 31 BRATISLAVA.

Nibondh and Co. Ltd., 40-42 Charoen Krung Road, Siyaeg Phaya Sri, P . O . Box 402, B A N G K O K . Suksapan Panit, Mansion 9, Rajdamnern Avenue, B A N G K O K . Suksit Siam Company, 1715 Rama IV Road, B A N G K O K . Librairie évangélique, B.P. 378, L O M É . Librairie du Bon Pasteur, B.P. 1164, L O M É . Librairie moderne, B.P. 777, L O M É .

National Commission for Unesco, 18 Alexandra Street, St. Clair, TRINIDAD W . I. Société tunisienne de diffusion, 5, avenue de Carthage, T U N I S . Librairie Hachette, 469 Istiklal Caddesi, Beyoglu, ISTANBUL. Mezhdunarodnaja Kniga, M O S K V A G-200. Editorial Losada Uruguaya, S.A., Maldonado 1902, M O N T E V I D E O . Librería del Este, avenida Francisco de Miranda 52, Edificio Galipán, apar­tado 60337, C A R A C A S . La Muralla Distribuciones S.A., 4.* avenida entre 3.* y 4.» transversal, Quinta « IRENALIS », los Palos Grandes, C A R A C A S 106. Jugoslovenska Knjiga, Trg. Republike 5/8, P . O . B . 36,11-001 B E O G R A D . Drzavna Zalozba Slovenije, Titova C . 25, P . O . B . 50-1, 61-000 LJUBLJANA. La Librairie, Institut national d'études politiques, B.P. 2307, K I N S H A S A , Commission nationale zaïroise pour l'Unesco, Commissariat d'État chargé de l'éducation nationale, B.P. 32, KINSHASA.

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