EXPOSÉSLe bouddhismeest la religion d'Etaten Birmanie. Sesmoines, ici en1 955, très respectés,sont souvent enpremière ligne desrévoltes birmanesviolemmentréprimées.
TRANSITION En 1948,la Birmanie tout juste indépendante doit faire face àl'assassinat de son leader Aung San et une violence latente. Le grand repofterRobert Guillain nous fait découvrir les paradoxes de I'ancienne colonie britannique.
La perrr sous les souriresROBERT GUILLAIN. " LE MONDE " DES 6 ET 7 OCTOBBE 1948
n ministère assassiné ! Je dis bien un ministère et nonpas seulement un ministre... Quand j'arrivai à Rangounon continuait à répéter à tout venant le sanglant récit dudrame de l'an passé. j'aurais même pu, me dit-on, en
venantunpeu plus tôt, rendre visite auxvictimes, car on ar,ait exposéde longs mois leurs cadavtes embaumés dans des cercueils-vitrines.
La tragédie s'était passée le rgjuillet 1947. Le ministère était réunien conseil de cabinet. Aung San,premier ministre et héros nationaldepuis Ia résistance antijaponaise, présidait. On cogne à la porte. Despersonnages en kaki font irruption, cinq ou six fun seul homme sero
finalement arrêtéJ. En un édair les rafales des Stenguns qu'ils serrent
62 . . : : t | . , , : ' : : , : . : ' . 3 NOVEMBRE 2OOz
sous leurbras éclatent. Fauchés parune douche de feu, Ies ministres
et Aung San, criblés de balles, s'abattent en rond. Sous Ia table, les
meilleurs chefs de la Birmanie baignent dans un lac de sang...
Le voyageur croit avec peine à cette sombre histoire, car il décour,'re
en même temps qu'il vient d'arriver au n pays du Sourire o. le sou-
rire est dans l'air, dans les pagodes dorées, dans l'éclatement des
verdures, dans cejolipeuple à pagnes rouges, dans la gaieté des Bir-
mans. Après l'Inde, quel soulagement de trouver enfinl'humour et
Ie rire ! Après Calcutta surtout, capitale de l'angoisse hindoue et
inquiétante cité des hommes seuls - des millions d'hommes dehors,
et pas une femme -, voici enfinune ville toute fleurie de jolies filles.
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La Birmanie d'ailleurs séduit l'enquêteur par bien d'autres par-
ticularités heureuses. C'est le seul pays asiatique qui ne souffte pas
de surpopulation. Pas de problème religieux : tout le monde est
bouddhiste. Pas de famine : Ie riz est si abondant qu'on en exporte
normalement plus de 3 millions de tonnes par an. Pas de problème
de langue : tout le monde parle ou comprend ie birman. Pas de pro-
blème racial insoluble : si les tribus non birmanes, Karens et Shans,
s'agitent, c'est non pas pour sortir de l'Union birmane à laquelle
eiles se sont ralliées, mais pour y réclamer un gouvernement qui
fera régner l'ordre. Mais voici mieux encote : la Birmanie peut se
vanter d'être en Asie Ie plus indépendant des pavs indépendants ;
elle est la première colonie britannique qui ait non seulement
obtenu le self-government, mais refusé même les invisibles liens du
statut de dominion. Car les Anglais sont partis. A-lors qu'aux Indes
subsiste encore leur vaste réseau commercial et financier, ici, quand
ils ont quitté le pays en 1947, il ne leur est plus resté que quelques
agences bancates et grosses fumes menacées de nationalisation'
LA RÉBELLION S'ORGANISEIls étaient pourtant revenus en force en r945. Quand les Anglais
victorieux réoccupent le pays en l'été de cette année-là ils publient
un n livre blanc o qui promet le statut de dominion... en 1949' Mais
les Birmans avaientvu fuil en r94r les anciens maîtres blancs ; et les
laponais, fuyant à leur tour en 1944r avaient laissé derrière eux un
mot magique : f indépendance. Grèves et désordres édatent en Bir-
manie pendant I'été rg+6. La rébeilion s'organise derrière l'Afpel
(Ligue antifasciste du peuple pour la liberté ou AFPFL, Anti Fasciste
People's Freedom League), coaiition de partis directement issue
des groupes armés de la résistance, et derrière son chefAung San.
L'Angleterrejette alors du lest : elle engage des pourparlers avec
Aung San. Attlee et Aung San s'entendent. Londres promet for-
mellement l'indépendance à la Birmanie, par l'accord du z8 jan-
vier 1947. En revanche il est sous-entendu que Aung San usera de
toute son autorité pour que son pays accepte le statut de domi-
nion. Mais, rentré à Rangoun, le jeune leader découvre qu'il est
débordé sur sa gauche. Des désordres communistes éclatent en
Birmanie centrale. Laile gauche de lAfpel exige la ruPture com-
plète avec Londres. Le rgjuillet Aung San est assassiné.
Ce jour-là l'Angletene a perdu la Bûmanie. U Nu[aussi appeléTha-
kin Nuj,le meilleur lieutenant dAung San, lui succède, mais il ne
peut maintenir la coalition menacée de i'Afpel qu'en cédant du ter-
rain aux extrémistes. Londres juge froidement la situation : pour
rester il faudrait employer la force, courir la même aventure que la
France en Indochine ou les Pays-Bas à Java.Et U Nu obtient de signer à Londres, le r7 octobre t947, un traité
qui assure à la Birmanie une indépendance sans conditions, amule
la dette birmane, retire les dernières troupes anglaises. La Birma-
nie consent seulement à n compenser équitablement n les entre-
prises britanniques qui setont nationalisées, et à inviter à Ran-
goun une mission militaire. Le 6 janvier 1948, aux fêtes de
I'indépendance, sir Hubert Rance, dernier gouverneur, apporte le
drapeau anglais, et, dans l'heure qui suit, voit du bateau qui redes-
cend l'Irrawaddi s'éloigner Ies pagodes dorées de Rangoun...
la pagode de Shwedagoq gloire de Rangoun ! Au pied de sa colos-
sale n toupie o d'or, encerclée d'une jungle de stupas plus petits, on
dûait que tourne dans une ronde tout ce peuple charmant. Campa-
gnards en pèlerinage, femmes agenouillées devant les images du
Bouddha, boutiquiers apportant l'encens, moines en robes safran,
soldats, écoliers, fillettes à la délicieuse coiffrrre... enpagode, tout ce
monde paraît si docile et si pieux dans ses prostemations devant
Ies mille autels. Et les grands Bouddhas dorés regardent les fleurs
s'amonceler à leurs pieds avec un sourire qui semble celui-là même
de leurs innombrables fidèles.< Pourtant,nevous y trompez pas, me dit un vieux résident fran-
çais qui connaît bien Ies Birmans. Si le petit peuple quevousvoyezici
estpieux, doux etpacifique,lapolitique de ses chefs sefait de plus enplus
ù coups de mitrailleuse.Le Birman est sons hoine, mois il passe brusque-
ment dela douceur àlaviolence.La criminalité atoujours été icil'une des
plus f ortes du monde. Les meuftr es d Aung S a n et de s e s ministres don-
nent I' atmo sphèr e vr aie de la B irmanie actu elle. D ep uis Ie s p ar achutages
d' ar mes p endant I' o ccup ation j ap onais e, tous les p artis s ont des ligu es
armées. Laliberté est un alcool encorc :,;"op fort pour les Birmans ; eIIe a
libéré surtoutlaviolence des factions rivales. Jadis quandle roibirman
venait à mourir, illaissait de ses femmes de nombreux fils : tout ce monde
se battait alors outour du trône. Les Anglais partis, et Aung San mort,
les chefs s'arrachent déjà sonhéritage. "
Polémique | les Britanniques ont-ils assassiné Aung San ?FRANCIS DERON, * LE MONDE " DATÉ 19-2O JUILLET 1987
Quarante ans après, les conditions de
I'assassinat d'Aung San rcstent obscures.
Certaines ethnies soupçonnent les Bri-
tanniques de I'avoir organisé,Encore aujourd'hui, les circonstances
dans lesquelles Aung San trouva la mort. le
19 jui l let 1947, sous les bal les d'un tueur à
gages, sont entourées de mystère. En dépit
d'une surveillance policière renforcée, un
homme, Ba Nyunt, parvient à s'inkoduire dans
le local où se tient la réunion. ll est armé d'un
fusil prélevé sur un stock d'armes britannique.
ll surgit dans une première pièce. U Nu, un
membre du conseil, bouddhiste fervent, esi en
train de prier. Ba Nyunt gagne la pièce sui-
vante. Les sept hommes qui vont diriger la
future Birmanie s'y trouvent. ll ouvre le feu.
Tous trépassent sur-le-champ. Uassassin est
arrêté aussitôt après. ll confesse avoir eu pour
mission d'épargner l'homme qui priait et de
tuer les autres.U Nu est le grand bénéficiaire de cet
assassinat. Les Britanniques, soucieux de
réagir promptement pour ne pas compro-
mettre la décolonisation, lui demandent aus-
sitôi de remplacer Aung San. L'enquête sur
le meurtre aboutit à I'arrestation d'U SaW le
dernier titulaire du poste de premier ministre
du temps de la domination britannique, avant
guerre. Condamné à morl, il finit pendu.
Le mouvement indépendantiste de I'eth-
nie Karen - le grand perdant de la précipi-
tation briiannique à décoloniser - a fait état,
dans une publication à diffusion très limitée
(Karen National Union Bulletin, avril 1986),
d'une version tout autre, qui met en cause
les hommes qui ont succédé à Aung San.
Selon cette version, des militaires britan-
nioues auraient aidé U Nu et le chef des
forces armées birmanes d'alors, le futur dic-
tateur Ne Win, à faire assassiner le leader
birman pour empêcher Aung San d'accor-
der des concessions majeures aux popula-
tions des " régions frontières ".L accession formelle de la Birmanie à l'in-
dépendance se fit comme prévu le 4 janvier'1948. Conduit par U Nu, puis par le général
Ne Win, le pouvoir central annexa les
" régions frontières " sans mettre en place
les mécaniques politiques susceptibles depermettre à leurs populations de se sentir
maîtresses de leur sor1. Quarante ans plus
tard, la guerre civile continue dans la plu-
part de ces régions.
u l[u, sEUr.PNFMIERMII|ISTRE ÉI.U
U Nu (1907-1995)aussi connu sous lenom de Thakin Nu,seul chef degouvernement élude l'histoire de laBirmanie, a padicipédès les années 1930à la lutte politiquepour l'indépendanceaux côtés d'AungSan. En raisonde I'assassinat dece dernier en 1 947,il devient le premierchef degouvernemenlde l'Union birmanele 4 janvier 1948.En 1958, unescission dans sonmouvement lecontraint à laissert^- t^^^À,,hrd prduE a ur I
gouvernementintérimaire militairedirigé par le généralNe Win. En avril1960, il empode uneécrasante victoireélectorale. Il estdéposé Ie 2 mars1962 par le généralNe Win. Internépendant plus dequatre ans, il s'exileen 1 969 enTharlande, puis auxEtats-Unis avantde s'installer en Inde.ll profite d'uneamnistie, décreteeen août 1980, pourregagner son payset se consacrer à desétudes bouddhiques.Débû septembre1988, U Nu, quise considère encorecomme le seulpremier ministrel{litime du pays,forme un< gouvernemenrparallèle ", alors queI'armée se prépare àreprendre le pouvoirdans un bain desang. Son initiativene recueillequ'un écho limité.J.-C. POMONTI,(( LE MONDE D DU
16 FÉVR|ER 1995
g NOVEMBRE 2OO7 i:: ù!;,i!+it: ::1 60
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> Je me rappelle ces paroles en franchis-
sant le seuil d'un des bâtiments officiels or)
réside un des plus hauts personnages de
I'Etat. Ici, 1e sourire s'arrête brusquement
devant des barbelés et des chevaux de frise.
Des gardes armés arrêtent le visiteur. II faut
parlementer pour entrer. A l'intérieur,
l'huissier somnole, huissier classique de
ministère, mais enpagne de coton rouge, et
les pieds sur la table. It, en travers de cette
table, s'allonge un énorme fu sil-mitrailleur...
Que craignent ces ministres plus gardés
que ne l'ont jamais été leurs anciens
maîtres ? Et ces fonctiomaires tout jeunes,
installés dans le vaste secrétariat où régnè-
rent longtemps les sahibs de l'Indian Civil
Sewice ? Ils sont aimables, accueillants, etpourtant ils ont I'air de craindre les ques-
tions. Décidément perce dans cette ville,
sous une surface plaisante, une anxiété voi-
sine de la peur. Le soir le tireur de pousse-
pousse ne s'écarte pas du quartier central.
La vérité c'est que déjà en ce début de l'été
Ia rébellion communiste a commencé, et
une insécurité croissante règne. Rangoun
Naypyidaw @
t-&,*gww&v$*m *ru wç{wYNOM: officiellement Union de Myanmar
depuis 1989.
SUPERFICIE : 676 577 km'?.
POPULATION : 51 millions d'habitants,
dont Birmans (61 %), Shans (9 %),
Karens (7 %, majoritairement chrétiens),
Mons, Kachins...
CAPITALE: la junte a créé une nouvelle
capitale à Naypyidaw, à près de 400 km
au nord de Rangoun.
RÉGIME : dictature militaire.
CHEF DE L'ETAT: général Than Shwe.
MONNAIE: kyat (cours officiel :
1 euro = 9,1 2 kyats, ce cours est
multiplié par 100 au marché noir).
LANGUE OFFICIELLE : biTMAN.
Une centaine de dialectes et l'anglais
sont également pratiqués.
RELIGIONS: bouddhistes (85 %),
chrétiens (4 %), musulmans (4 o/o), hindous,
animistes (1 %).
ESPÉRANCE DEVIE : 61 ans.
PNs PAR HABITANT: 220 dollars.
RESSOURCES: gaz naturel, riz, tourisme
(264 000 touristes étrangers en 2006).
lVanda lay.". TIITITÂM
l-Àûs
I,lli ft
d l l [a: l r je
'a.
Pegu ofir
a,*lRangpdfr
(Yangoun)
HOMMAGEEn visite officielleen Thailande en1955, le premierministre U Nu,entouré demembres de songouvernement,s'agenouilledevant des moinesbouddhistes, dansle temple WatBenjamabopit6 àBangkok.
est pratiquement isolée de f intérieur. Les seules nouvelles sont
celles où le gouvernement veut bien assurer qu'il contrôle ferme-
ment Ia situation, et que des n rebelles ' ont été mis en fuite ici et
1à sur des poilts très divers de la carte. Mais pour le Birman, cela
sent la guerre civile, même si le mot n'est pas dit.
LA FIÈVRE MARXISTEEntre les Indes, où l'Algleterre demeure influente, et la Malaisie,
où elle consewe intact un morceau d'empire,la Birmanie apparaît
bien comme le lieu où 1'hcendie ne laisse plus guère de chance
aux Anglais : Ieur démission politique n'y est pas compensée
comme ailleurs par un retour d'influence économique.11 se passe iciun phénomène plus net encore que dans les régions
voisines : dès avant le départ des Blancs, et plus encore quand ils
sontpartis, ies factions se disputent le pouvoû laissé vacant. Lunion
Sriirlù lir.lil;iiriir
nationale formée pour l'indépendance n'a pas survécu à l'assassinat
dAung San, le héros national. Une équipe de bonne volonté s'est
groupée autour de son successeur, U Nu. Mais dans ce pays peu évo-
lué,labasepopulaire du régime est étoite. La République de i'Union
birmane vacille dès sa naissance ; l'ordre public est Partout menacé,
et dans ce pays déchiré par les luttes internes, l'Angleterre ne Peutespérer ni développer ses affaires ni investir son capitaL
U Nu ménagerait volontiers les Anglais, mais il a dû adopter à
leur encontre une politique de nationalisation des entrePdses et
préconiser lui-même la diffusion du marxisme. La Birmanie sera,
dit-il, un u Etat de gauche o. Cette attitude est surtout due à la conta-
gion de la fièvre marxiste dans lAsie du Sud-Est. Une sorte de fuite
vers la gauche y enûaîne tous les partis. Après le départ des Anglais
une puissante influence occidentale demeure : le matxisme. C'est
que celui-ci s'est fait précisément le champion le plus résolu, après
les Japonais, de la lutte contre les Blancs, et que sa surenchère conti-
nue aujourd'hui contre les équipes autochtones elles-mêmes.
La coalition au pouvoir groupait à l'origine tous les partis de
gauche sous son enseigne ambitieuse de Ligue antifasciste du
peuple pour Ia liberté (l'Afpei). Mais dès 1946les communistes eux-
mêmes se scindent en communistes du drapeau... blanc, qui res-
tent dans l'Afpel, et communistes du drapeau rouge, qui Passentà l'opposition armée. Peu après la proclamation de I'indépendance
en r948, les blancs rejoignent les rouges, malgré 1'arrestation de
leur chefThakin Soe. Restent dans lAfpel les socialistes, qui sont
des modérés, et les PVO, ou volontaires du peuple, formation para-
militaire issue de l'armée antijaponaise de la résistance, et hâtive-
ment rhabillée en civil.Tout ce monde est armé. Les Anglais n'ont pas réussi à se faire
rendre les armes parachutées pendant Ia guerre ou iaissées aux
Birmans par les Japonais. Avant même qu'éclate en mars la rébel-
lion communiste, I'ordre est précaire. Le communisme birman
obéit selon toute probabilité à des consignes politiques venues
du dehors, comme f indique le fait que l'insurrection commence
aussitôt après la fameuse conférence de Calcutta, quand 1es com-
munistes intensif,ent leur action dans les Indes, au Siam [actuelle-mentlaThatlandeJ, en Indonésie et passent à i'offensive en Malaisie
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Mais siMoscou s'intéresse à ce pays, c'est sans avoir à ytaire grand
effort. Les communistes sont à l'aise pour pêcher en eau trouble
grâce au désordre qui compromet la production agricole, à l'insécu-
rité qui paralyse la vie économique et les ûansports. Ils profitent
aussi de la crédulité du petit peuple qui les suit quand ils promet-
tent l'abolition des impôts ou la nourriture gratuite. [s ont été l'élé-
ment actif de la résistance : ils en ont profité pour semer la révolte.
Ils n'ont plus qu'à exploiter une paradoxale vague d'amertume et
de haine de classe qui déferle sur le pays. Paradoxale, car dans l'heu-
reuse Birmanie d'alant la guerre, et même dans celle d'aujourdhui,
il y a peu de pauwes gens, comme aussi peu de riches.
En attendant, si Ia rébellion a des méthodes semblables à celles
du reste du Sud-Est asiatique - guérilla, terrorisme, sabotage -, elle
s'en distingue par un fait bien intéressant. Elle n'a plus ici l'excuse
d'un combat pour la libération nationale, puisque le pays est indé-
pendant. Elle ne vise plus l'homme blanc,les Anglais étant partis.
C'est une gue[e civile menée par des Birmans contre des Birmans.
C'est enfil une révolte contre un gouvernement qui pourtant se
veut lui-même marxiste. Il s'agit évidemment d'installer un foyer
communiste dans une position centrale, entre le Siam,l'Indochine,
la Chine, l'Inde et le Pakistan oriental, dans le seul pays complète-
ment libéré de toute emprise occidentale.
DES LIBERÉS LGOTÉESDernier paradoxe de la libre Birmanie : les libertés publiques y
ont été ligotées par Ie gouvernement lui-même plus fortement
que ne l'avaient jamais fait les Anglais. n Popa >, c'est le nom
redouté du Public Order PreservationAct (loi pour la présewation
de l'ordre public, qui constitue I'arme principale du cabinet U Nu
dans sa lutte contre les rebelles). Quand on a entendu les accusa-
tions portées contre le u colonialisme o occidental en Indochine
ou en Indonésie par exemple, on se frotte les yeux lorsqu'on lit,
dans cette loi, des articles tels que celui qui donne le droit aux
représentants de l'autorité d'infliger aux habitants d'un village
des rançons individuelles ou collectives, de confisquer les biens, de
détruire la propriété ou les habitations (!) en partie ou en tota-
lité (! !) " parlefeu oupar tout autte moyen" (!). Et je ne parle pas des
dispositions qui permettent de juguler la presse, d'arrêter sans
jugement, etc. Cette législation est Pour une part un héritage du
temps des Arglais, mais loin d'être abolie par le nouveau régime,
eiie a été encore tenforcée et n'a jamais autant servi...
Et voici pour l'homme blanc l'angoissante question : n'a-t-il pas
tort après tout de partir ? N'est-ce pas lâcheté et faiblesse ? Et ne
devrait-il pas à tout prix se maintenir ? Cette question pourtant
1es Anglais refusent de la poser en termes aussi précis ou aussi
théoriques. n Vous outres Français, me disaient-ils à Rangoun, vous êtes
trop nets dans lo théorie, ettrophésitonts dans la pratique. Que nous oyons
tort de nous faire une trop mauvaise conscience en Asie, c'est peut-êtte
vrai ;nous croyonspow notrepqrty avoir apportéplus debien que demal,
etles populations sur lesquelles n ous avons régné apprennent aujourd'hui
qu'il ne suffisait pas de se donner des maîtres de leur race pour avoir la
Iiberté, encore moins I' ordre etla prospérité. Mais nous devons tous payer
- et ici nous avonsle droit d' avoir des remords - le prix des guenes insen-
sées qui ont épuiséI'Occid.ent : ce qui atuéle colonialisme, c'est d'abord
notre faiblesse. Quel embarras seraitle nôtre si,fatigués comme nousle
sommes, nous cvions eu sur les bra s,enrg47 et 7948, les troubles des Indes
etla rébellion de Birmanie ! Rappeler nos troupes à Rcngoun ? Nous ny
songeons pas sérieusement.LesBirmans eux-mém es se garderontbien de
nousle petmettte. La Birmanie, tans pis pour elle, " fara da se". Elle est pour
nous la port du feu.Maisvousverrez enMalaisie qu'ily a des points où
nous nous donnons encorele temps d'achever notre tâ.che et où nous ne
permettons pqs qu' on mette Ie feu. " .
1947, un mois avant sonrencontre avec Aung
leader politique birman, surpoint de gagner son combat
l'indépendance de sonLane, un chemin qui serpente
travers la verdure de la banlieue deAu détour du sentier, mon
s'arrâa : " /f's here. " Unevilla se dressait au sommet
colline. Un ieune homme nousdans une pièce à peine
: " Le général sere Ià dansmstanfs. " Un pas léger
l'escalier:Auno San ! C'esthomme grand, svelte, au visage
énergique, où luisent des yeux
regard dur. Vêtu d'un pull-over àroulé et d'un pantalon de toile,
premier leader politique birman
. Et pourtant il y avait dansparler tranchant je ne sais quoi
en imposait. Homme d'action,San est autant un militairepolitique. Ce sont ses proches
me contèrent son histoire.San se signala très tôi par ses
en droit à I'université de Ranooun.organisa des grèves estudiantines
telle ampleur qu'il fut excluans de l'université. Ainsi lancéla vie politique, il entra au
Asiayone, le grand parti
de l'époque. Aung San'avait que 24 ans quand le Front
l'indéoendance l'élit secrétaireVint la guerre. Elle était née
Europe, Aung San prétendit
devait pas regarder les Birmans etune intense campagne
et anti-imoérialiste. Elleivalut un mandat d'arrêt ou'il évitase réfugiant en Chine, à Amoy
Kamenl. Deux mois plus
la ville tombait aux mains deset Aung San en profitait
gagner Tokyo où il rencontraitautorités imoériales. Celles-ci
s'il les aidait, de donnerà la Birmanie. Aung
acceota de " collaborer ". RentréBirmanie pour mettre I'affaire au
il repartait pour Tokyo avec unede militants d'élite destinés à
un entraînement militairedébut de 1942, il éIait à Bangkok
créer I'armée d' indéoendance(BlA). Enfin, les " Japs "
en Birmanie, les soldatsAung San marchant à leurs côtés.
mois passèrent. Les Nipponssemblaient plus disposés à tenir
promesses. Aung San obtintcommandement japonais
de former une nouvellesous son commandemenl
Celle-ci allait devenir le noyaula résistance birmane. En 1943,
orenait directement contact avec
GQG briiannique. [accord se fit
idement. Et c'est ainsi que le
1* août 1 944 naquit la Ligueiste pour la liberté du peuple
Le27 mars 1945, Aung San
" I'ordre de soulèvementinl contre les militaristes
iaponais ". Devenu chef d'une ligueissante, il parvint rapidement à
'imposer. ll n'avait pas de doctrinebien précise. ,, Certes, je
maniste mais j'estime que ladoctinale ne vaut que pour
'Occident. Dans cet ordre d'idées,à mon avis Mao Zedong a su
une synthèse valable en Asie.
encore une fois, elle n'est pas
à la Birmanie qul a sesspécifiques. Ce que
voulons ? Avant tout un
" Aung San est près
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