Solennité de la Sainte Trinité -‐ Année A l’écoute de la
À l’écoute de la Parole
« Béni soit Dieu le Père ! » Ce dimanche célèbre le mystère le plus grand et le plus profond de toute notre foi, la très sainte Trinité. Le Dieu miséricordieux s’est jadis fait connaître à Moïse sur le Sinaï (Ex 34) : « lent à la colère, plein d’amour et de vérité … » Temps de préparation. Puis saint Jean a reconnu en Jésus la venue de Dieu fait homme : « Dieu a envoyé son Fils dans le monde pour que, par lui, le monde soit sauvé » (Jn 3) Enfin, saint Paul nous offre une salutation trinitaire que nous utilisons au début de la messe : « Que la grâce du Seigneur Jésus-‐Christ, l’amour de Dieu et la communion du Saint-‐Esprit soient avec vous tous ! » (2Co 13).
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Méditation : Invitation au voyage mystique
La très sainte Trinité, un mystère inaccessible et lointain ? Pour notre raison humaine, certainement. Mais avec Jésus, la Trinité fait sa demeure en notre âme et nous pouvons en faire l’expérience intime: « Si quelqu'un m'aime, il gardera ma parole, et mon Père l'aimera et vous viendrons vers lui et nous nous ferons une demeure chez lui. » (Jn 14,23).
Nous nous mettons donc en route dans l’aventure mystique, vers ce Dieu caché qui est au centre de notre âme, en suivant quelques intuitions de grands spirituels.
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Bonne lecture, bonne prière ! P. Nicolas Bossu LC
Pour aller plus loin
Notre méditation voudrait inviter nos lecteurs à la vie mystique : un chemin concret, parmi d’autres, est celui de la famille spirituelle « Notre Dame de Vie », dont on pourra consulter le site officiel ici : http://www.notredamedevie.org/
On peut y lire : « C’est en se mettant à l’école du prophète Elie que le père Marie-‐Eugène a puisé l’inspiration pour la fondation de l’Institut Notre-‐Dame de Vie. L’Institut veut être une branche du Carmel, recevoir son esprit, l’esprit de sainte Thérèse d’Avila, de saint Jean de la Croix, de sainte Thérèse de l’Enfant-‐Jésus. Ces saints du Carmel sont des guides sûrs et des exemples concrets pour tous ceux qui veulent vivre de cet esprit dans leur vie. »
À l’écoute de la Parole
Mystère de la sainte Trinité : Dieu en trois personnes consubstantielles. La grandeur de ce mystère peut nous dérouter, surtout si nous essayons de l’expliquer du point de vue « théorique », avec toutes nos hésitations sur le choix des termes et des analogies : les hérésies semblent tapies dans l’ombre et guet-‐ter nos faux pas pour nous happer dans l’erreur. Laissons aux théologiens les formulations et explica-‐tions très précises, et revenons à l’essentiel : la Trinité est avant tout le mystère de Dieu, amour infini, qui nous invite à la communion avec lui. Le mystère de la Trinité est en quelque sorte la preuve que Dieu est amour. Si Dieu était une seule personne où serait l’amour ? Dieu n’est pas enfermé dans sa soli-‐tude, il est relation et communion d’amour. Cela explique aussi le désir que nous portons en nous de chercher une raison d’être au-‐delà de nous-‐même car nous sommes faits pour une communion d’amour comme les personnes de la Trinité entre elles.
Nous sommes ainsi invités à célébrer, en cette fête de la sainte Trinité, le mystère fondamental de toute notre foi chrétienne, que l’Église a choisi de placer au tout début de ce monument qu’est le Catéchisme :
« Dieu, infiniment Parfait et Bienheureux en lui-‐même, dans un dessein de pure bonté, a librement créé l’homme pour le faire participer à sa vie bienheureuse. C’est pourquoi, de tout temps et en tout lieu, Il se fait proche de l’homme. Il l’appelle, l’aide à le chercher, à le connaître et à l’aimer de toutes ses forces. Il convoque tous les hommes que le péché a dispersés dans l’unité de sa famille, l’Église. Pour ce faire, Il a envoyé son Fils comme Rédempteur et Sauveur lorsque les temps furent accomplis. En lui et par lui, il ap-‐pelle les hommes à devenir, dans l’Esprit Saint, ses enfants d’adoption, et donc les héritiers de sa vie bienheureuse. »1
Toutes les lectures de ce dimanche sont à comprendre dans cette perspective simple mais grandiose : sur le mont Sinaï, Moïse, devant la révélation du « Dieu tendre et miséricordieux, lent à la colère, plein d’amour et de vérité », le supplie d’exercer sa miséricorde envers le peuple d’Israël (Ex 34). Saint Jean nous explique que « Dieu a tellement aimé le monde qu’il a donné son Fils unique » (Jn 3), et nous invite à croire en lui. Saint Paul, enfin, désire que « le Dieu d’amour et de paix soit avec nous » (2 Co 13), pour que nous vivions en paix entre nous et avec lui. Entre le temps des préparatifs que fut l’Exode, le som-‐met de la Révélation accomplie en Jésus, et sa réception dans le cœur des croyants pendant le temps de l’Église, l’appel à la communion trinitaire retentit donc comme un grand cri d’amour qui remplit toute l’histoire humaine et la bouleverse de fond en comble.
La première lecture, du livre de l’Exode, nous présente les deux partenaires du mystère d’amour : Dieu et l’homme. Une distance infinie sépare le transcendant et l’homme pécheur : il faut qu’un médiateur soit appelé à la parcourir, et c’est Moïse sur le Sinaï. Dieu le convoque sur cette montagne, qui est constituée comme un lieu sacré totalement interdit : « Que personne ne monte avec toi ; que personne même ne paraisse sur toute la montagne. Que même le bétail, petit et gros, ne paisse pas devant cette montagne. » (Ex 34,3). La mise en scène est grandiose, entre tremblements de terre et éclairs, pour sou-‐ligner la grandeur de l’événement et susciter notre respect devant le mystère.
Moïse porte avec lui deux nouvelles tables de pierre, pour remplacer les premières qu’il avait brisées de colère devant l’adoration du veau d’or (Ex 32) : elles montrent bien notre péché (c’est un peuple à la nuque raide, v.9), mais aussi notre nécessité de recevoir une Loi, un chemin concret pour vivre dans la vérité envers Dieu. C’est le but de cette scène : « Voici que je vais conclure une alliance avec vous… » (v.10), Israël est choisi, une fois de plus, comme peuple saint, dépositaire de la Loi qui le constitue comme « héritage » du Dieu trois fois saint.
1 Catéchisme de l’Eglise catholique, nº1, http://www.vatican.va/archive/FRA0013/__P3.HTM
2 Prière collecte de la messe du jour.
Nous sommes à l’un des sommets de l’Ancien Testament, où Moïse est élevé devant Dieu comme aucun autre homme avant ou après lui ; et Dieu s’abaisse autant qu’Il le peut sans abandonner sa transcen-‐dance. Le texte hébreu, dans notre passage, joue sur ce double mouvement, à tel point que Moïse et Dieu semblent deux personnages « en miroir » :
Moïse monte sur le Sinaï (v.4), Dieu y descend (v.5), pour ce rendez-‐vous inouï ;
Dieu va écrire sur les tables que Moïse a taillées, comme s’ils travaillaient ensemble (v.1) ;
Il est commandé à Moïse de se « présenter devant Dieu » (v.2), mais lorsqu’il est sur le Sinaï c’est Dieu qui « se présente devant lui » (v.5) : le même verbe est utilisé en deux formes différentes ;
Moïse « proclame le nom du Seigneur » (v.5), et tout de suite après le Seigneur se proclame (même verbe) lui-‐même Dieu « plein de tendresse et de miséricorde » (v.6)
Moïse supplie le Seigneur de « venir au sein du peuple » (v.9), Dieu lui répond qu’il va conclure une alliance avec le « peuple au sein duquel tu te tiens » (v.10)
Mais la différence essentielle entre Dieu et Moïse est bien respectée, puisque celui-‐ci « s’inclina à terre et se prosterna » (v.8). Nous contemplons donc la plus grande élévation possible d’un homme dans l’Ancien Testament ; au moment de conclure tout le Pentateuque, c’est ce qui sera retenu de Moïse : « Il ne s'est plus levé en Israël de prophète pareil à Moïse, lui que le Seigneur connaissait face à face » (Dt 34,10).
Moïse cependant invite Dieu à « marcher au milieu du peuple » : pour Moïse, cela signifie une présence religieuse, manifestée dans la nuée lumineuse de la tente, autour de laquelle s’organise le culte dans le désert. C’est aussi une présence militaire, qui assure le secours divin pour les guerres à venir (cf. v.11). Mais Dieu prend très au sérieux cette invitation et veut lui donner, au-‐delà de nos espérances humaines, un sens beaucoup plus profond. Quelques siècles plus tard, il inspirera au prophète Zacharie ce cri de jubilation : « Chante, réjouis-‐toi, fille de Sion, car voici que je viens pour demeurer au milieu de toi, oracle du Seigneur ! » (Zc 2,14). La longue préparation débouche alors sur l’événement unique qui dépasse tout : l’Incarnation du Christ. « Et le Verbe s’est fait chair, et Il a demeuré parmi nous » (Jn 1,14).
Dans son dialogue nocturne avec Nicodème, auquel est emprunté l’Évangile de ce jour, Jésus a souligné qu’il dépasse infiniment l’histoire de Moïse lui-‐même, et toute autre expérience religieuse : « Nul n'est monté au ciel, hormis celui qui est descendu du ciel, le Fils de l'homme. » (Jn 3,13). Il vient donc dépasser l’Alliance du Sinaï, pour nous offrir la plénitude de la Révélation sur Dieu, et nous inviter à la commu-‐nion avec le Père. Dans le court passage que nous proclamons ce dimanche, composé seulement de trois versets (16-‐18), se trouve condensée toute cette révélation. Y apparaît trois fois l’expression « Fils », rapportée à Dieu : « le Fils unique de Dieu » (v.18) nous indique que Dieu est Père de toute éter-‐nité, que le Christ est engendré éternellement en son sein : « né du Père avant tous les siècles… engen-‐dré non pas créé, consubstantiel au Père » (Credo).
C’est ce Fils qui, ayant pris chair de la Vierge Marie, est apparu dans le monde où il a été envoyé par son Père (v.17). Saint Jean, dans sa première lettre, rend témoignage de ce véritable contact humain et spiri-‐tuel avec Dieu en Jésus : « ce que nous avons entendu, ce que nous avons vu de nos yeux, ce que nous avons contemplé et que nos mains ont touché du Verbe de vie, nous vous l’annonçons » (1 Jn 1).
Dans son Évangile il décrit l’Incarnation et nous en donne la raison profonde : « pour que, par lui, le monde soit sauvé ». Cela sous-‐entend que Dieu, lorsqu’il veut nous élever à la communion avec lui,
trouve un obstacle majeur à ce dessein, qui est notre péché. D’où le lien avec l’expérience de l’Exode, où Dieu s’est révélé « tendre et miséricordieux, lent à la colère, plein d’amour et de vérité… » (Ex 34, 6).
Dans le passage de ce jour, la liturgie a omis le verset suivant : « … qui garde sa grâce à des milliers, to-‐lère faute, transgression et péché mais ne laisse rien impuni et châtie les fautes des pères sur les enfants et les petits-‐enfants, jusqu'à la troisième et la quatrième génération. » (v.7) Ce thème du péché qui doit, en quelque sorte, « retomber sur quelqu’un », traverse tout l’Ancien Testament et évolue petit à petit quant à la compréhension qu’en a le peuple élu : depuis la vengeance du meurtre dans les premières pages de la Genèse, sur les sept générations suivantes (cf. Caïn, Gn 4,15, puis Lamek), jusqu’à l’affirmation de la « rétribution individuelle » chez les Prophètes : « Celui qui a péché, c’est lui qui mour-‐ra » (Ez 18,4). Dans notre passage de l’Exode, nous sommes dans une étape intermédiaire : la bienveil-‐lance divine s’exerce sur « des milliers », et donc est infiniment supérieure à la justice qui ne poursuivra que « trois ou quatre générations » (v.7).
Mais avec le Christ, la nouveauté est totale : il attire sur lui notre péché et la malédiction qui en dé-‐coule , et nous en libère gratuitement. En inversant l’affirmation d’Ezéchiel, nous pourrions dire : « Puisque nous avons péché, c’est lui qui est mort ». Grâce à lui, nous « échappons au Jugement » (Jn 3,18), c’est-‐à-‐dire à la mort spirituelle qui est la conséquence du péché. La seule condition pour recevoir cette grâce est de croire au Christ : « … afin que quiconque croit en lui ne se perde pas, mais obtienne la vie éternelle » (v.16). La foi nous établit dans la lumière de la vérité, rend possible la miséricorde et nous fait entrer dans la communion trinitaire ; si nous la refusons, nous demeurons aveugles et fils des ténèbres, comme les Pharisiens qui s’opposeront au Christ jusqu’à le mettre à mort. Aussi si nous pour-‐suivons la lecture au-‐delà du passage de ce jour, nous trouvons la conclusion suivante :
« Tel est le jugement : la lumière est venue dans le monde et les hommes ont mieux aimé les ténèbres que la lumière, car leurs œuvres étaient mauvaises. Quiconque, en effet, commet le mal hait la lumière et ne vient pas à la lumière, de peur que ses œuvres ne soient démontrées coupables, mais celui qui fait la vérité vient à la lumière, afin que soit manifesté que ses œuvres sont faites en Dieu. » (Jn 3,19-‐21)
Saint Paul se place dans la même perspective lorsqu’il écrit à la communauté de Corinthe (2 Co 13, deu-‐xième lecture) : après avoir été assez âpre avec eux, en dénonçant leurs déviations et même en mena-‐çant de sévérité (si je reviens, je serai sans ménagement… 13,2), il conclut sa lettre par une salutation trinitaire que nous reprenons à la messe. Nous y retrouvons toute la richesse du mystère décrit par saint Jean :
« l’amour de Dieu [le Père] » est l’origine de tout, à la fois de la génération éternelle du Fils, de son envoi dans le monde, et de notre adoption filiale ;
« la grâce du Seigneur Jésus-‐Christ » désigne cette admission à la vie divine que le Fils est venue nous offrir gratuitement, et c’est l’objet de tout l’Évangile ;
« la communion du Saint Esprit » manifeste l’union des croyants entre eux et avec le Fils : ils forment le Corps mystique du Christ et entrent donc dans la Trinité, où l’Esprit est l’amour même du Père et du Fils, communion de vie parfaite et éternelle.
Le nouveau peuple saint, que Jésus a constitué comme son propre Corps, ne connaît donc plus la crainte et les tremblements qui secouaient Israël au pied du Sinaï. Le ton de saint Paul s’est fait plus doux à la fin de sa lettre. Connaître la miséricorde dans le Christ, recevoir l’effusion de l’Esprit Saint, appeler Dieu notre Père : nous sommes ainsi introduits dans la vie trinitaire, qui produit en nous la paix et la joie par lesquelles saint Paul conclut sa missive : « soyez dans la joie… vivez en paix, et le Dieu d’amour et de paix sera avec vous. » (v.12).
Avec une confiance inébranlable, nous pouvons donc adresser cette prière liturgique à la sainte Trinité :
« Dieu notre Père, tu as envoyé dans le monde ta Parole de vérité et ton Esprit de sainteté pour révéler aux hommes ton admirable mystère ; donne-‐nous de professer la vraie foi en reconnaissant la gloire de l’éternelle Trinité, en adorant son Unité toute-‐puissante. Par Jésus-‐Christ ton Fils notre Seigneur… » 2La
La Trinité
2 Prière collecte de la messe du jour.
Méditation : Invitation au voyage mystique
« Au nom du Père, et du Fils, et du Saint Esprit… » : Un geste si simple, le premier que nous enseignons aux petits enfants pour la prière, celui qui commence et termine toutes les célébrations liturgiques. Un geste que nous avons peut-‐être rendu banal et inefficace à force de ne plus lui donner l’attention qu’il mérite. Un jour, une de ses sœurs en religion a interrogé la petite Bernadette Soubirous : « Que faut-‐il faire pour être sûre d’aller au ciel ? » On s’attendait de la voyante quelque remède extraordinaire, une prière spéciale, ou un secret de la sainte Vierge, mais sa réponse fut déconcertante de simplicité : « Bien faire le signe de la croix, c’est déjà beaucoup… »3
La célébration de ce dimanche nous permet de revenir à l’essentiel de l’essentiel, au fondement de tout : Dieu un et trine qui se révèle à nous. Le Catéchisme nous explique la place que mérite ce mystère dans l’organisation des vérités de foi :
« Le mystère de la très sainte Trinité est le mystère central de la foi et de la vie chrétienne. Il est le mys-‐tère de Dieu en Lui-‐même. Il est donc la source de tous les autres mystères de la foi ; il est la lumière qui les illumine. Il est l’enseignement le plus fondamental et essentiel dans la hiérarchie des vérités de foi. Toute l’histoire du salut n’est autre que l’histoire de la voie et des moyens par lesquels le Dieu vrai et unique, Père, Fils et Saint-‐Esprit, se révèle, se réconcilie et s’unit les hommes qui se détournent du pé-‐ché. » 4
Parcourons donc rapidement quelques autres points centraux de la foi pour voir comment ils découlent du mystère de la Trinité : la création n’est rien d’autre que la Trinité qui « pose » en dehors d’elle-‐même, dans un certain sens, des êtres qui ne sont pas Dieu ; mais ils restent complètement enveloppés de sa présence, lui qui leur donne l’être en permanence, et sans qui ils tomberaient dans le néant. Cette Trinité engage un dialogue progressif avec sa créature préférée, l’homme, et voilà toute l’histoire du Sa-‐lut qui se met en branle… le mystère de l’incarnation : Jésus s’incarne pour révéler le Père, et répandre l’Esprit en nos cœurs ; saint Paul résume toute son œuvre par cette phrase lapidaire : « la preuve que vous êtes des fils, c'est que Dieu a envoyé dans nos cœurs l'Esprit de son Fils qui crie : Abba, Père ! » (Ga 4,6)… Nous sommes depuis lors en « chemin de retour » vers cette Trinité d’où nous venons : l’Eucharistie est notre aliment spirituel, Jésus lui-‐même qui nous rejoint sur terre pour que nous le rejoi-‐gnons dans le Ciel. Où nous participerons sans fin et sans entraves de cette vie bienheureuse : louer le Père, dans le Fils, par l’Esprit.
Et pourtant la Trinité nous apparaît souvent comme un rivage lointain : dans notre navigation mouve-‐mentée ici-‐bas, ballotés par les vents contraires, elle serait une terre complètement étrangère à nos souffrances, une oasis séparée du monde que certains affirment avoir rencontrée et dont nous rêvons parfois sans y croire vraiment. Certes, du point de vue naturel, il nous est autant impossible de l’atteindre qu’à un aveugle de distinguer les couleurs. Saint Ephrem souligne ainsi, dans une très belle hymne, l’excès de lumière qui entoure la Trinité pour nos sens spirituels :
« Vois comme il t’étonne, le soleil, ta lampe, faible que tu es ! Et tu ne sais pas comment le scruter ! » 5
C’est pourquoi nous devrons attendre la vie dans l’au-‐delà pour contempler sans voile le mystère éblouissant de la sainte Trinité. Le bienheureux Newman exprimait ainsi notre attente et le désir qui nous anime tous secrètement :
3 Voir le site du sanctuaire de Lourdes, qui a dédié au signe de croix son « thème pastoral » de l’année 2010 :
http://fr.lourdes-france.org/evenement/actu-theme-pastoral-2010 4 Catéchisme de l’Église catholique, nº234, http://www.vatican.va/archive/FRA0013/__P18.HTM 5 Saint Ephrem de Nisible, Hymne LXXV, disponible ici : http://www.patristique.org/Ephrem-de-Nisibe-Hymne-a-la.html
« Après la fièvre de l’existence, après les fatigues et les maladies, les combats et les découragements, après langueurs et agitations, luttes et échecs, luttes et réussites, après toutes les vicissitudes et les aléas de cette condition maladive et troublée vient enfin la mort, vient enfin le trône immaculé de Dieu, vient enfin la vision béatifique. Après l’agitation vient le repos, la paix, la joie ; notre lot éternel, si nous nous en montrons dignes : la vision de la Trinité bienheureuse du Dieu unique et saint; des Trois qui témoi-‐gnent dans le Ciel, dans une lumière inaccessible, dans une gloire sans tache ni imperfection, avec une puissance qui ne connaît ‘aucun changement, ni l’ombre d’une variation (Jc 1, 17)’. Dieu le Père, Dieu le Fils et Dieu le Saint-‐Esprit ; Père Seigneur, Fils Seigneur, Esprit saint Seigneur ; Père incréé, Fils incréé, Saint-‐Esprit incréé ; Père incompréhensible ; Fils incompréhensible et Saint-‐Esprit incompréhensible. » 6
Cependant, il serait faux de considérer l’inaccessibilité de la Trinité comme définitive, au risque de méconnaître l’œuvre de Jésus : n’est-‐il pas venu nous ouvrir cette communion bienheureuse ? N’est-‐il pas présent dans l’Eucharistie, dans notre cœur, dans l’Église, lui qui est le Fils ? Ces paroles sont bien les siennes : « Si quelqu'un m'aime, il gardera ma parole, et mon Père l'aimera et vous viendrons vers lui et nous nous ferons une demeure chez lui. » (Jn 14,23). Nous sommes certes « en voyage » sur cette terre, vers la patrie bienheureuse qui est le Ciel, mais la très sainte Trinité est déjà réellement présente dans notre âme, depuis le baptême. Ce mystère est si profond que nous l’ignorons souvent, comme ces ré-‐serves souterraines qui nous fournissent l’eau du puits, sans que nous cherchions à savoir d’où elle vient ! Et pourtant, la simple prière du « Notre Père » devrait nous éveiller à cette réalité, comme le note le Catéchisme :
« Nous pouvons adorer le Père parce qu’il nous a fait renaître à sa Vie en nous adoptant comme ses en-‐fants dans son Fils unique : par le Baptême, il nous incorpore au Corps de son Christ, et, par l’Onction de son Esprit qui s’épanche de la Tête dans les membres, il fait de nous des ‘christs’. » 7
Nous nous mettons donc à « l’école de l’Incarnation » : si Dieu s’est fait homme dans le Christ, cela im-‐plique que l’humanité de Jésus est pour nous le chemin vers le Père (cf. Jn 14,6). Ne laissons donc pas la Trinité dans la sublimité inaccessible de son mystère, et n’ayons pas peur de nous la représenter humai-‐nement, selon les nécessités de notre entendement, comme le suggère saint Ephrem :
« Que si le Seigneur, Qui est Dieu aussi, n’a point approché notre humanité sans user d’images, Que l’homme lui-‐même, étant si infirme, recherche des voies pour que sa faiblesse accède au Très-‐Haut. Ne paresse pas, Ô esprit de l’homme ! Construis des ponts spirituels et passe vers ton Créateur ! » 8
Dès lors, toute notre vie spirituelle est un jaillissement de la présence de la Trinité en notre âme. Nous grandissons en sainteté, dans la mesure où nous prenons conscience de ce mystère, que nous collabo-‐rons à son développement, que nous lui donnons tout notre être sans réserve. C’est l’itinéraire mys-‐tique à laquelle tant de saints nous invitent, comme par exemple sainte Thérèse d’Avila qui décrit l’âme comme un château intérieur entouré de sept demeures, au centre desquelles réside Dieu lui-‐même. Le
6 Newman, Sermons Paroissiaux, vol VI, 25, Les éditions du Cerf, Paris 2006, pp 314-320, disponible ici :
http://www.newmanfriendsinternational.org/french/?p=189 7 Catéchisme de l’Eglise catholique, nº2782, http://www.vatican.va/archive/FRA0013/__P9W.HTM 8 Saint Ephrem de Nisible, Hymne LXXV, disponible ici : http://www.patristique.org/Ephrem-de-Nisibe-Hymne-a-la.html .
Le cardinal Newman exprimera la même idée plus explicitement : « Quand on nous présente le mystère de la Trini-té, nous voyons bien qu’il dépasse absolument notre raison, mais en même temps il n’y a rien d’étonnant à ce que le langage humain soit incapable d’exprimer, et l’intelligence humaine de recevoir, des vérités touchant l’essence infi-nie et incommunicable du Dieu tout-puissant. Mais le mystère de l’Incarnation touche pour une part à des sujets plus à la portée de notre raison : il réside non seulement dans le fait de savoir comment Dieu et l’homme sont un seul Christ, mais dans le fait même qu’il en soit ainsi. Tout ce que nous croyons savoir de Dieu, c’est qu’il est tota-lement exempt d’imperfections et de faiblesses ; or il nous est dit que le Fils éternel a pris en lui-même une nature créée qui désormais lui est autant unie, lui appartient autant que les attributs et pouvoirs divins qu’il a depuis tou-jours » (sermon disponible ici : http://www.newmanfriendsinternational.org/french/?p=54).
chrétien, sous l’impulsion de la grâce, doit ainsi parcourir les différentes étapes qui sont une découverte progressive de l’hôte caché dans l’âme. Un grand spécialiste de sa spiritualité, le père Marie-‐Eugène de l’Enfant Jésus, décrit ainsi cette aventure intérieure, qui est œuvre de la grâce en nous :
« Envahissante et filiale, la grâce va accomplir son œuvre de transformation et de conquête. Greffée sur la nature humaine, avec son organisme vivant de vertus infuses et de dons du Saint-‐Esprit, la grâce épouse parfaitement les formes du complexe humain, en saisit toutes les puissances et toutes les activités. Envahissante, elle pénètre et domine progressivement les facultés humaines en les libérant de leurs tendances égoïstes et désordonnées. Filiale, elle les entraîne, après les avoir conquises, dans son mouvement vers ce Dieu intérieur, Père de lumière et de miséricorde, et les Lui offre désormais purifiées et fidèles, toutes soumises à ses lumières et à son action. » 9
Cette aventure nous fait peur, nous sentons en nous mille résistances à l’aventure mystique ? Certaines biographies de saints, qui frôlent la caricature avec leurs récits de pénitences et de phénomènes ex-‐traordinaires, ne sont pas faites pour nous aider, il est vrai… Pourtant, l’essentiel n’est pas là mais dans la recherche de l’union avec Dieu qui est lui-‐même communion d’amour. C’est la vocation de tout baptisé, et ceux qui ont sincèrement tenté l’aventure ne le regrettent pas. Par exemple, une fille de sainte Thérèse qui vient d’être canonisée, sainte Elisabeth de la Trinité, nous offre une description très enthousiaste de la vie des âmes saisies par la grâce :
« [Ces âmes] pensent beaucoup moins au travail de destruction et de dépouillement qui leur reste à faire qu'à se plonger dans le Foyer d'amour qui brûle en elles, et qui n'est autre que l'Esprit Saint, ce même Amour qui dans la Trinité est le lien du Père et de son Verbe. Elles entrent en Lui par la foi vive, et là, simples, paisibles, elles sont emportées par Lui au-‐dessus des choses, des goûts sensibles, dans la ténèbre sacrée et transformées en l'image divine. Elles vivent, selon l'expression de saint Jean, en « société » avec les Trois adorables Personnes, leur vie est commune, et c'est là la vie contemplative ; cette contempla-‐tion conduit à la possession. Or cette possession simple est la vie éternelle goûtée dans le lieu sans fond. C'est là qu'au-‐dessus de la raison nous attend la tranquillité profonde de la divine immutabilité. » 10
Ce dimanche est donc l’occasion de louer la très sainte Trinité, de lui offrir notre action de grâce, et de désirer toujours plus son règne en notre âme, dans l’Église et sur le monde. Pour cela, nous pouvons re-‐prendre cette célèbre prière de la même sainte carmélite :
« Ô mon Dieu, Trinité que j’adore, aidez-‐moi à m’oublier entièrement pour m’établir en Vous, immobile et paisible comme si déjà mon âme était dans l’éternité ; que rien ne puisse troubler ma paix ni me faire sortir de Vous, ô mon Immuable, mais que chaque minute m’emporte plus loin dans la profondeur de votre mystère ! Pacifiez mon âme. Faites-‐en votre ciel, votre demeure aimée et le lieu de votre repos. Que je ne Vous y laisse jamais seul, mais que je sois là, toute entière, toute éveillée en ma foi, toute ado-‐rante, toute livrée à votre action créatrice. » 11
9 Bienheureux Marie-Eugène Grialou, Je veux voir Dieu, éditions du Carmel, p. 34. Il est le fondateur de
l’institut Notre-Dame de Vie, cf. http://www.notredamedevie.org/ 10 Sainte Elisabeth de la Trinité, Le Ciel dans la foi, Quatrième jour, première oraison, nº14. 11 Sainte Elisabeth de la Trinité, Prière, disponible ici avec d’autres : http://www.elisabeth-dijon.org/francais.html