UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES
Faculté des sciences psychologiques et de l’éducation
Le développement de
comportements pro-sociaux chez les
témoins de harcèlement moral au
travail
EMELINE LUCAS Mémoire réalisé sous la direction du
Professeur Catherine Hellemans en
vue de l’obtention du grade de
Master en Sciences Psychologiques
Année académique 2013-2014
2
ABSTRACT
Le harcèlement moral est de plus en plus fréquent dans les entreprises. Au-delà du
système bourreau-victime, d’autres protagonistes ont un rôle dans ces situations. En
effet, les témoins tels que les collègues ont le pouvoir d’agir sur le conflit, voire de le
stopper. C’est pourquoi nous avons choisi de nous centrer sur les différents facteurs
qui influencent leur développement de comportements pro-sociaux d’aide et de
soutien. Nous avons supposé que le climat organisationnel, ainsi que l’attribution
causale et de responsabilité que les témoins font de la situation, pouvaient influencer
leur décision. Pour cela, nous avons interviewé huit personnes qui ont été témoins de
harcèlement moral sur leur lieu de travail, selon un canevas d’entretien précis.
L’analyse thématique qui en a découlées n’a validé de liens ni entre les
comportements pro-sociaux des témoins et leur attribution, ni avec l’organisation.
Cependant, les justifications qu’ils nous ont données concernant leur choix d’agir ou
non apportent un nouvel éclairage, et de nouvelles pistes de réflexions sur le
processus d’intervention des témoins.
3
REMERCIEMENTS
Je remercie vivement ma promotrice Mme Hellemans qui a été à l’écoute et de
très bons conseils, et qui a su se rendre très disponible malgré ses obligations.
Je remercie M. Dejonghe, Mme Jost et Mme Ellegaard, conseillers en
prévention pour les aspects psychosociaux ; ainsi que le Pr.Corten, dirigeant de la
Clinique du stress de Bruxelles, pour leur aide précieuse dans ma recherche de témoins
de harcèlement moral en entreprise.
Je remercie, bien évidemment, tous les participants qui ont accepté de se
confier à moi et de répondre à mes questions, sans qui rien n’aurait été possible.
Je remercie tous mes amis et collègues avec qui j’ai pu avoir des discussions
très intéressantes qui m’ont aidé à avancer dans mes réflexions.
Et je remercie ma famille qui m’a soutenue tout au long de ce processus.
4
TABLE DES MATIÈRES
1. INTRODUCTION ......................................................................................................... 6
2. REVUE DE LA LITTÉRATURE ..................................................................................... 11
2.1. Composante individuelle ................................................................................. 12
2.1.1. L’attribution de causalité et de responsabilité ......................................... 12
2.1.2. Explications causales ................................................................................ 14
2.1.3. Notion de responsabilité .......................................................................... 14
2.1.4. Influence sur les comportements d’aide .................................................. 18
2.2. Composante organisationnelle ........................................................................ 19
2.2.1. Théorie du comportement planifié .......................................................... 19
2.2.2. Etat agentique et banalité du mal ............................................................ 21
2.2.3. Culture organisationnelle ......................................................................... 22
2.3. Influence conjointe de la composante individuelle et organisationnelle ....... 25
2.4. Modèle d’inter-influence ................................................................................. 26
3. HYPOTHÈSES ............................................................................................................ 27
4. MÉTHODOLOGIE ..................................................................................................... 28
4.1. Participants ...................................................................................................... 28
4.2. Matériel / Outils ............................................................................................... 31
4.3. Procédure ......................................................................................................... 34
4.4. Traitement des données .................................................................................. 34
5. RESULTATS ............................................................................................................... 36
5.1. Résumé du processus comportemental des témoins ..................................... 36
5.2. Données du questionnaire quantitatif ............................................................ 40
5.3. Analyse de contenu qualitative (catégorielle thématique) ............................. 41
5.3.1. Les comportements pro-sociaux .............................................................. 41
5.3.2. L’attribution causale et de responsabilité ................................................ 45
5
5.3.3. Lien entre les comportements pro-sociaux et l’attribution causale et de
responsabilité .......................................................................................................... 49
5.3.4. Les justifications des comportements ...................................................... 52
5.3.5. Le processus organisationnel ................................................................... 59
5.3.6. Lien entre les comportements pro-sociaux et le processus
organisationnel ........................................................................................................ 65
5.3.7. Lien entre le processus organisationnel et l’attribution causale et de
responsabilité .......................................................................................................... 67
6. DISCUSSION ............................................................................................................. 69
6.1. L’apport des thèmes et sous-thèmes .............................................................. 69
6.2. Les hypothèses ................................................................................................. 75
6.3. L’apport général de la rubrique « justifications des comportements » .......... 75
6.4. Limites et biais ................................................................................................. 78
6.5. Pistes de réflexion pour des recommandations concrètes ............................. 79
7. CONCLUSION ........................................................................................................... 81
8. BIBLIOGRAPHIE ........................................................................................................ 83
9. ANNEXES.................................................................................................................. 87
9.1. Annonce pour le recrutement des témoins de harcèlement .......................... 87
9.2. Canevas d’entretien et questionnaire ............................................................. 88
9.3. Retranscription de l’entretien avec le témoin n°1 .......................................... 90
9.4. Retranscription de l’entretien avec le témoin n°2 ........................................ 117
9.5. Retranscription de l’entretien avec le témoin n°3 ........................................ 137
9.6. Retranscription de l’entretien avec le témoin n°4 ........................................ 154
9.7. Retranscription de l’entretien avec le témoin n°5 ........................................ 192
9.8. Retranscription de l’entretien avec le témoin n°6 ........................................ 210
9.9. Retranscription de l’entretien avec le témoin n°7 ........................................ 248
9.10. Retranscription de l’entretien avec le témoin n°8 ..................................... 271
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1. INTRODUCTION
Dans une société où l’Homme passe la majeure partie de son temps au travail,
l’ambiance sur le lieu de travail et les relations avec les autres membres de
l’organisation s’avèrent primordiales. Or les difficultés sont fréquentes puisque selon
une enquête nationale belge sur les conditions de travail, portant sur 4000 travailleurs
menée en 2010, au cours du dernier mois 13 % des travailleurs ont subi des violences
verbales et 7 % des menaces ou des comportements humiliants sur leur lieu de travail.
De plus au cours des 12 derniers mois, 9 % ont fait l'objet d'intimidation ou de
harcèlement moral (Respect au travail, n.d.).
Le 4 août 1996 une loi concernant le bien-être au travail a été mise en place en
Belgique. Elle traite notamment des risques psychosociaux au travail, et a été modifiée
à plusieurs reprises jusqu’en février 2014 pour aujourd’hui s’étendre au stress au
travail, violences, harcèlement moral et harcèlement sexuel. Selon cette loi, le
harcèlement moral au travail est défini comme un « ensemble abusif de plusieurs
conduites similaires ou différentes, externes ou internes à l'entreprise ou l'institution,
qui se produisent pendant un certain temps, qui ont pour objet ou pour effet de porter
atteinte à la personnalité, la dignité ou l'intégrité physique ou psychique d'un
travailleur ou d'une autre personne à laquelle la présente section est d'application, lors
de l'exécution de son travail, de mettre en péril son emploi ou de créer un
environnement intimidant, hostile, dégradant, humiliant ou offensant et qui se
manifestent notamment par des paroles, des intimidations, des actes, des gestes ou
des écrits unilatéraux. Ces conduites peuvent notamment être liées à l'âge, à l'état
civil, à la naissance, à la fortune, à la conviction religieuse ou philosophique, à la
conviction politique, à la conviction syndicale, à la langue, à l'état de santé actuel ou
futur, à un handicap, à une caractéristique physique ou génétique, à l'origine sociale, à
la nationalité, à une prétendue race, à la couleur de peau, à l'ascendance, à l'origine
nationale ou ethnique, au sexe, à l'orientation sexuelle, à l'identité et à l'expression de
genre » (Loi du 4 août 1996, article 32ter. §2). La loi n’induit pas de critères de durée
ou de répétitivité précis, mais au fil des années un consensus semble s’être formé
autour des indications de durée de Leymann qui estime que pour constituer un
7
harcèlement (« mobbing »), les comportements d'agression doivent être répétés au
moins une fois par semaine pendant une durée de six mois (Leymann, 1996).
Cependant, nous n’excluons pas certains comportements moins fréquents ou sur une
durée inférieure à six mois, qui peuvent être tout aussi destructeurs. Même si nous
rappelons que la notion de pluralité des conduites est à la base de la définition légale
du harcèlement.
Le harcèlement peut être de deux types selon que cela se passe entre un
supérieur et son subordonné (harcèlement vertical) ou entre deux collègues
(harcèlement horizontal). Le harcèlement vertical peut se faire dans les deux sens,
c’est-à-dire d’un supérieur sur son subordonné (harcèlement vertical descendant) ou
d’un subordonné sur son supérieur (harcèlement vertical ascendant). Et le
harcèlement peut même être mixte lorsque par laxisme la hiérarchie vient ajouter un
harcèlement vertical descendant à un harcèlement horizontal initial (Desrumaux,
2011).
Ce sont notamment ces différentes distinctions et la multitude de
comportements que cela peut recouvrir qui amènent une disparité importante entre
les auteurs dans la définition et le terme employé (« harassment », « mobbing »,
« bullying », « mistreatment », « petty tyranny »,…). Nous nous baserons ici sur la
définition légale évoquée plus haut, mais les divergences de vue concernant la
définition de ce phénomène ont l’avantage de mettre plus ou moins l’accent sur deux
composantes importantes du harcèlement : l’aspect personnologique et l’aspect
situationniste. C’est cette différenciation qui a inspiré notre réflexion et nous a
poussés à investiguer ces aspects plus loin que simplement dans le système bourreau-
victime.
En effet, même si ces actes sont parfois fait en toute discrétion et à l’abri des
regards, « le harcèlement n’est pas un phénomène ignoré puisque 80 % des salariés
touchés sont entourés de personnes qui savent ce que le salarié subit » (Desrumaux,
2011, p.73), et selon une autre enquête 63 % des victimes ont même subi des actes de
harcèlement directement sous les yeux de témoins (Desrumaux, 2011). Les témoins
8
ont donc aussi un rôle à jouer dans le processus de harcèlement, notamment de par
leur contrôle possible sur la situation. Dès lors, l’étude des différents mécanismes
d’influence qui poussent un témoin à développer ou non des comportements d’aide
face à la situation de harcèlement, qu’ils relèvent des caractéristiques internes au
témoin ou du contexte organisationnel, nous a paru un angle d’étude intéressant
concernant le harcèlement moral au travail.
Pour éclaircir la notion de témoin, nous nous baserons sur la définition
juridique qui le détermine comme « celui en présence de qui se produit par hasard ou
à dessein, un fait ou un acte » (Cornu, 2011, p.1009). Nous considérerons donc tout
personne qui a pu assister de manière visuelle ou auditive à une situation de
harcèlement comme témoin de celle-ci. Mais nous n’ignorerons pas pour autant
l’ensemble des personnes mises au courant de la situation, de manière directe ou
indirecte, qui peuvent aussi avoir un pouvoir d’action sur celle-ci.
Ces témoins peuvent donc décider d’agir ou non en venant en aide à la
personne de quelque manière que ce soit. Ces actions font partie de ce que l’on
appelle comportements pro-sociaux et qui se distinguent en deux catégories selon
qu’ils sont orientés vers l’individu ou l’organisation. Les comportements pro-
organisationnels sont définis comme des « comportements volontaires exécutés
librement par un individu de manière à augmenter la performance, l’efficacité et à
préserver les normes de l’entreprise pour laquelle il travaille dans le but de préserver
ou développer cette organisation » (Desrumaux, 2011, p.172). Toutefois, ici ce sont les
comportements pro-individuels qui nous intéressent puisqu’orientés vers la victime de
harcèlement. Ils sont définis par les spécialistes de la psychologie sociale comme « des
actes effectués dans l’intention d’aider autrui, sans égard aux motivations ou aux
récompenses attendues » (Bédard, Déziel & Lamarche, 2012, p.303), et dans le
contexte plus particulier du travail « ils constituent des comportements volontaires
exécutés librement par un individu de manière à augmenter le bien-être, les
sentiments d’autonomie, de reconnaissance et d’estime des personnes, dans le but de
préserver ou développer la qualité de vie des personnes au travail » (Desrumaux, 2011,
p.172). Une recherche plus approfondie de Desrumaux, Legrand et Widzieckowski
9
(2007 ; cité par Desrumaux, 2011) a permis de déterminer 3 catégories de
comportements pro-sociaux orientés vers l’individu dans l’environnement
professionnel. « La première catégorie intègre les comportements de mobilisation, de
dynamisation et d’autonomie qui concernent le fait pour l’employé de motiver et
dynamiser ses collaborateurs, ses collègues. La deuxième catégorie inclut l’aide et le
soutien c’est-à-dire le fait de venir en aide à ses collègues, d’être altruiste. La troisième
catégorie regroupe les comportements de valorisation, de gratification et
d’encouragement. Il s’agit des comportements émis par les salariés dans le but
d’encourager le travail des autres, de le respecter et de le mettre en valeur »
(Desrumaux, 2011, p.173). Dans le type de situation qui nous préoccupe, ce sont plutôt
les comportements d’aide et de soutien de la deuxième catégorie de cette recherche
qui correspondent à ce que nous entendons par comportements pro-sociaux,
développés ou non par les témoins de harcèlement moral.
L’aide est parfois confondue dans les différentes catégories de soutien, mais
nous choisissons ici de les distinguer en estimant que l’aide relève d’une intervention
de la part du témoin, tandis que le soutien s’apparente plus à un accompagnement et
un support social qui peut prendre différentes formes. En la matière, nous avons
retenu la typologie de Schaefer, Coyne et Lazarus (1981 ; cité par Amiel-Legibre &
Gognalons-nicolet, 1993) qui sépare le support informationnel, le support tangible et
le support émotionnel. Le support informationnel comprend les informations et avis
donnés, le support tangible inclut les services rendus, et le support émotionnel
correspond à la possibilité de se confier et d’être rassuré. Bowes-Sperry et O’Leary-
Kelly (2005) proposent, eux, un modèle où le type de comportements pro-sociaux des
témoins se classe plutôt selon leur degré d’implication et d’immédiateté par rapport à
la situation de harcèlement afin de former un modèle à 4 entrées (faible immédiateté -
faible implication / haute immédiateté - faible implication / faible immédiateté - haute
implication / haute immédiateté - faible implication). Ceci permet de catégoriser de
manière relativement efficace l’aide apportée par les témoins. Nous nous servirons
donc de ces deux approches pour aborder leurs comportements.
10
Mais pour pouvoir développer ce type de comportements, les témoins doivent
être dans un climat organisationnel qui les favorise et les valorise, en leur apportant
une certaine reconnaissance notamment en mettant en place des actions qui
permettent de réfléchir à ce qui peut inciter ou freiner leur développement. C’est
pourquoi nous étudierons aussi les facteurs organisationnels et les processus en
découlant, qui peuvent influencer les comportements pro-sociaux.
Nous allons donc explorer la question de recherche suivante : Quels sont les
différents facteurs qui peuvent influencer le développement de comportements pro-
sociaux chez les témoins de harcèlement moral sur le lieu de travail ?
Ne pouvant évoquer, ni prétendre comprendre tous les mécanismes qui
peuvent influencer ces comportements, nous développerons en premier lieu les
facteurs internes aux témoins puis les facteurs organisationnels agissants de manière
directe ou comme renforçateurs des croyances des témoins. Ces différents facteurs
amèneront au développement d’hypothèses et à l’explication de la méthodologie qui a
été choisie pour les tester. Nous exposerons ensuite les résultats de notre analyse, afin
de discuter de ses implications et des conclusions que l‘on peut en tirer.
11
2. REVUE DE LA LITTÉRATURE
Les situations de harcèlement moral au travail qui sont caractérisées par une
durée et une répétition des atteintes et des agressions, le sont aussi paradoxalement
par une absence d’aide de l’entourage et un silence des victimes, des témoins et de
l’organisation en général (Desrumaux, 2011).
Selon plusieurs auteurs (Dejours, 1998 ; Leymann, 1996 ; Ravisy, 2000 ; cités
par Desrumaux, 2011), le harcèlement moral a une forte composante
organisationnelle. « Pour Faulx (2009), le développement du harcèlement est même
concomitant à des changements de fond tant sur le plan des comportements et des
pratiques managériales au travail que sur celui de l’évolution des mentalités dans les
sociétés occidentales. Le harcèlement moral, fruit de nouvelles idéologies et pratiques
de gestion des ressources humaines, est révélateur d’une nouvelle manière de penser
les rapports sociaux » (Desrumaux, 2011, p.26). Les témoins, victimes aussi de ces
méthodes de management et du contexte économique actuel peu favorable, sont
donc parfois dans l’impossibilité d’agir face au harcèlement.
La peur des témoins de perdre leur emploi ou de se voir victime eux aussi de
représailles, est donc souvent évoquée pour expliquer leur inaction (Desrumaux,
2011 ; Leymann, 1996). De plus, un aplomb et une confiance en soi suffisamment
importants semblent capitaux pour pouvoir intervenir dans ces situations difficiles.
C’est ainsi qu’il a été montré que le sentiment d’auto-efficacité à se défendre
(Thornberg & Jungert, 2013 ; Gini, Albiero, Benelli & Altoè, 2008) est un élément
central dans le comportement des témoins.
Toutefois la peur et le manque de confiance en soi ne sont pas des émotions
valorisées dans notre société, cela ne me semble donc pas être une explication
suffisante pour justifier de la non-assistance à une personne en danger. Par
conséquent, nous pensons que les témoins doivent s’appuyer sur d’autres types de
12
justification pour pouvoir vivre plus sereinement leur passivité dans cette situation
souvent douloureuse pour tous.
Latané & Darley (1968) tentent d’expliquer cette inaction par ce qu’ils
nomment le « bystander effect ». Ils observent que plus il y a de témoins moins ils
réagissent. Il semblerait que lorsque plusieurs personnes sont témoins de la scène, la
responsabilité se diffuse parmi les personnes présentes. Chacun se laisse influencer
socialement par la non-réaction des autres ce qui peut finir par provoquer une absence
totale de réaction de tous (Latané & Darley, 1968). C’est au moment du meurtre de
Kitty Genovese en 1935, pendant lequel ce phénomène fut flagrant, qu’il a commencé
à être étudié. Cependant d’autres faits divers nous montrent aussi l’inaction des
témoins sous un autre jour.
2.1. Composante individuelle
2.1.1. L’attribution de causalité et de responsabilité
En effet, dans les faits divers tels que le viol, nous pouvons fréquemment
observer dans les déclarations des témoins et les dires des journalistes que la
responsabilité est facilement transférée du violeur à la victime, en accusant par
exemple sa tenue vestimentaire, l’heure tardive et/ou le lieu inappropriés. Ce
phénomène relève du mécanisme d’attribution qui est le « processus par lequel
l'homme appréhende la réalité et peut la prédire et la maîtriser » (Heider, 1958, p.79 ;
cité par Villemain, Fontayne & Lévèque, 2005). Par ce biais, l'individu cherche surtout à
comprendre et à contrôler l'environnement dans lequel il se situe, ainsi que les
événements qui s’y produisent. C'est ainsi que l'individu cherche à donner un sens aux
événements et à ses comportements en leur attribuant une cause (Beauvois et
Deschamps, 1990 ; cité par Villemain et al., 2005).
Classiquement, nous distinguons trois types principaux d’attribution :
l’attribution dispositionnelle où l’on cherche à inférer les caractéristiques d’une
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personne à partir d’une action qu’elle vient d’accomplir, l’attribution de responsabilité
où l’on cherche à savoir s’il est possible d’imputer la responsabilité d’un évènement à
une personne, et l’attribution causale où l’on cherche à expliquer les causes d’un
évènement (Vallerand, 1994 ; cité par Fontayne, Martin-Krumm, Buton & Heuzé,
2003). Il semble, ici que l’attribution causale et l’attribution de responsabilité viennent
s’imbriquer pour influencer le jugement des témoins sur la responsabilité de la victime
et donc son besoin d’aide effectif.
Nous n’avons donc pas tous la même vision d’une situation pourtant identique.
Selon que nous soyons « victime », « bourreau » ou observateur, il est peu probable
que nous expliquions l’évènement de la même façon. Les premiers vont plutôt se
demander ce qu’ils ont fait de mal et se blâmer ou blâmer le « bourreau ». Ce dernier
va, lui, probablement accuser l’autre de provocation. Et les observateurs vont devoir
prendre conscience de la gravité de la situation avant de chercher un responsable et
une explication. Il semblerait même que les hommes et les femmes réagiraient
différemment, de part une éducation qui aurait plus ou moins légitimée la violence.
Mais pour chaque protagoniste le premier élément est bien sûr la prise de conscience
du harcèlement, constat rarement évident à poser quel que soit la position. Cette
compétence sociale des sujets à pouvoir se servir de ressources personnelles afin
d’obtenir des informations pertinentes et de les interpréter adéquatement, est
d’ailleurs un facteur important dans l’attribution causale. Néanmoins, les témoins, de
par leur position extérieure, ont la possibilité d’être plus objectif pour construire leur
jugement moral et pour évaluer les dommages pour la victime ou même le plaisir que
prend le harceleur. Ils reconnaissent donc plus souvent le caractère intentionnel ou
non des actes et peuvent percevoir si l’agression est plutôt instrumentale (dans le but
d’obtenir des bénéfices ou d’atteindre un objectif) ou purement violente (María &
Martínez, 2006). Mais au travers de l’intentionnalité ou d’autres facteurs, nous nous
demandons de quelle façon ils attribuent la responsabilité et la causalité de
l’évènement.
14
2.1.2. Explications causales
Weiner définit en 1986 (cité par Villemain et al., 2005), après plusieurs études
sur les attributions causales, que les trois principales dimensions en sont : le « locus de
causalité » c’est-à-dire le siège de la cause qui peut être interne (liée aux dispositions
personnelles) ou externe (liée à la situation) au sujet, la « stabilité » temporelle des
causes perçues, et la « contrôlabilité » que le sujet exerce sur les causes. Et c’est
notamment au travers du « locus de causalité » que nous attribuons aux différents
acteurs la responsabilité d’une situation, mais avec de nombreux biais comme l’erreur
fondamentale d’attribution qui est la « tendance à sous-estimer l’influence de la
situation et à surestimer celle des facteurs internes en tant que causes du
comportement d’autrui » (Bédard et al., 2012, p.76).
Kouabenan (1999) démontre aussi dans sa théorie de l’explication naïve des
accidents que les victimes expliquent davantage l’accident par des facteurs externes,
hors de leur contrôle ou de leur rôle causal alors que les témoins les expliquent
davantage par des facteurs qui relèvent du rôle causal de la victime. Les témoins ont
donc tendance à accentuer les explications causales internes pour les faits extérieurs à
eux, comme si une norme imposait dans la pensée commune que les acteurs sont
toujours responsables de ce qui leur arrive ou sont censés avoir un certain pouvoir de
contrôle (Kouabenan, 1999). C’est pourquoi certains auteurs (Kouabenan, 1999 ;
Desrumaux, 2011) relie ces phénomènes de biais attributionnels à la norme
d’internalité. Cette norme selon laquelle les explications internes sont survalorisées
dans notre société a été développée par Jellison & Grenn en 1981 (cités par
Desrumaux, 2011) puis élargit aux notions d’attribution en 1988 par Beauvois & Dubois
(cités par Kouabenan, 1999).
2.1.3. Notion de responsabilité
En parallèle des explications causales, entre aussi en jeu l’attribution de
responsabilité comme nous l’évoquions plus haut. Il s’agit donc de savoir s’il est
possible d’imputer la responsabilité d’un évènement à une personne (Vallerand, 1994 ;
15
cité par Fontayne, Martin-Krumm, Buton & Heuzé, 2003). Cependant, la notion de
responsabilité n’a pas de contours précis et peut revêtir différents sens selon que l’on
se place d’un point de vue juridique, philosophique ou psychologique.
Heider (1958 ; cité par Feather, 2002), célèbre psychologue pour son travail sur
les attributions causales et de responsabilités, estime qu’il faut tout d’abord faire une
distinction entre la causalité personnelle et impersonnelle. Selon lui, la différence se
situe dans l’intentionnalité de l’acte ; ce paramètre modifierait la responsabilité au
sens du lien qui existe entre la personne et les effets de ses actes (Feather, 2002). De
plus, il définit cinq phases dans l’attribution de responsabilité :
1) L’association : « une personne est responsable pour chaque effet qui lui est
de quelque façon lié ou qui semble de quelque façon lui appartenir »
(Heider, 1958, p.113, traduction libre de l’anglais ; cité par Hamilton, 1978,
p.317)
2) La perpétration : « tout dommage causé par une personne p est attribué à
lui. Le lien de causalité est entendu dans le sens où p est une condition
nécessaire pour la survenue de l’évènement, même s'il ne pouvait pas
prévoir le résultat aussi prudemment qu'il ait procédé. La personne n'est
pas jugée selon son intention, mais en fonction des résultats réels de ce
qu'il fait » (Heider, 1958, p.113, traduction libre de l’anglais ; cité par
Hamilton, 1978, p.317)
3) La prévisibilité : « p est considéré responsable, directement ou
indirectement, pour chaque répercussion qu’il a pu prévoir même si ce
n’était pas une partie de son propre but, et par conséquent pas encore une
partie de la structure de sa causalité personnelle » (Heider, 1958, p.113,
traduction libre de l’anglais ; cité par Hamilton, 1978, p.317)
4) L’intention : « seulement ce que p a prévu est perçu comme ayant sa source
en lui » (Heider, 1958, p.113, traduction libre de l’anglais ; cité par
Hamilton, 1978, p.317)
5) La justification : « si les propres motivations de p ne lui sont pas
entièrement imputables, mais sont considérés comme ayant leur source
dans l'environnement, « la » responsabilité de l’acte est au moins aussi
16
partagée par l’environnement » (Heider, 1958, p.114, traduction libre de
l’anglais ; cité par Hamilton, 1978, p.317)
L’ensemble de ces phases permet de mettre en place une réflexion structurée
afin d’aboutir à un jugement de responsabilité, qui ne doit pas, selon nous, être
nécessairement binaire mais plutôt comme un continuum que nous pourrions
imaginer s’étendre entre « pas du tout responsable » et « pleinement responsable ».
Ces différentes phases ont été ultérieurement rapprochées de notions légales précises
que nous ne développerons pas ici étant donné que nous ne sommes pas dans une
recherche de culpabilité mais bien dans une recherche de compréhension de la part de
responsabilité de chacun.
En parallèle, Hart (1968 ; cité par Feather, 2002), philosophe légaliste fait lui
aussi une distinction entre quatre types de responsabilité qui semblent intéressants
dans notre contexte de harcèlement en entreprise puisqu’ils prennent en compte
d’autres facteurs plus légalistes, mais relativement ancrés dans notre vision actuelle de
la responsabilité. Il différencie donc :
- « La responsabilité de rôle qui se réfère aux exigences et aux obligations faites
à une personne de par le rôle ou la position qu'elle occupe.
- La responsabilité de capacité qui tient compte de la capacité d'une personne à
répondre. La personne doit être capable de raisonner, et d’exercer un contrôle
sur les actions qu'elle entreprend.
- La responsabilité causale qui reconnaît que quand on attribue la responsabilité
d'un événement qui s'est produit, on regarde aussi la relation de cause à effet
qui lie la personne à l'événement.
- La responsabilité morale et juridique où une personne est passible d'une peine
ou d'autres conséquences négatives si certains critères sont respectés incluant
une intention coupable (intention criminelle), les capacités normales, et un lien
avec l'infraction qui a été commise, soit directement par la personne ou par
association avec l'agent de l'infraction » (Feather, 2002, p.35, traduction libre
de l’anglais).
17
La responsabilité de rôle est particulièrement relevant dans notre situation dans la
mesure où le harcèlement moral en entreprise est très souvent exercé par un
supérieur hiérarchique sur un de ses subordonnés, dans ce cas, est-il plus responsable
puisque c’est un manager ou au contraire pouvons-nous supposer que ce
comportement n’est que la réponse exigée par son rôle face à la pression des
directives de l’entreprise.
La responsabilité de capacité nous ramène à ce que nous évoquions
précédemment, en montrant que les troubles psychologiques du harceleur pouvaient
influencer l’analyse du témoin en faveur de la victime.
La responsabilité causale est bien évidemment directement liée à l’attribution
causale, en tant qu’élément de la perception de la responsabilité des protagonistes.
La responsabilité morale et juridique est, elle, une sorte de combinaison de ces
différents éléments permettant de décider des sanctions à prendre envers les
responsables. Il est donc ici question de « blâmativité », c’est à dire de déterminer s’il
l’on désapprouve ou juge condamnable une personne lorsque ses actes sont
moralement désapprouvés dans la société et lorsque les excuses ou justifications
semblent insuffisantes (Shaver, 1985 ; cité par Feather, 2002).
Toutes ces différentes réalités que peuvent recouvrir le concept de responsabilité
est donc à prendre en compte dans l’analyse que les témoins vont faire de la situation.
En fonction des sensibilités de chacun ou même de l’éducation, nous pouvons
supposer que chaque élément sera plus ou moins pris en compte inconsciemment
dans l’attribution de la responsabilité de chaque acteur.
Nous savons d’ailleurs que les témoins de harcèlement empruntent ce
mécanisme puisque Bloch (2010) relève 3 schémas typiques de responsabilisation. Il
semblerait qu’ils ont tendance à soit normaliser complétement la victime en la
décrivant de manière très positive à l’inverse du harceleur, c’est ce que l’on appelle un
schéma défensif car ils ont souvent été eux-mêmes victimes de harcèlement ; ou ils se
18
placent dans un schéma persécuteur en stigmatisant la victime, considérant ces actes
comme déviants ; ou plus fréquemment les témoins se situent dans un « commuter
schema » puisqu’ils naviguent entre une perception normale et déviante de la victime.
De plus, les témoins ont tendance à être dans le déni vis-à-vis de leur propre
responsabilité puisqu’ils ne sont pas légalement « coupables ». Leur part de
responsabilité dans l’engrenage que constitue le processus de harcèlement est
semble-t-il dénié et transféré sur les autres. Par conséquent ces difficultés à se
positionner dans la situation peuvent créer une certaine ambivalence entre l’envie
d’aider et le passage à l’acte effectif (Bloch, 2010). C’est donc les répercussions
directes sur les interventions des témoins que nous allons à présent aborder.
2.1.4. Influence sur les comportements d’aide
Nous avons donc vu que l’Homme a une prédisposition naturelle à rechercher
une cause à tout phénomène par des explications lui permettant de retrouver du sens
mais aussi un sentiment de sécurité et de contrôle sur son environnement
(Furstenberg, 1988 ; cité par Kouabenan 1999). C’est donc probablement par ce type
de mécanisme psychique, entres autres, qu’un témoin peut justifier son inaction face à
un comportement de harcèlement moral au travail. Inférer que la victime est
partiellement responsable de cette situation pourrait donc permettre de mettre à
distance les sentiments de culpabilité, en limitant le besoin d’intervention de
l’entourage. De plus, le modèle attributionnel de Weiner (1985 ; cité par Fontenay et
al., 2003) postule qu’il existe un lien important entre le type d’attributions causales
effectuées par un individu et son comportement futur, et démontre notamment que
« le locus et la contrôlabilité perçue de la cause influencent significativement la
probabilité d’un comportement d’aide » (Desrumaux, 2011, p.83).
Par ailleurs, le type d’explications que fournit la victime à propos de sa situation
joue aussi un rôle important, puisqu’il peut influencer l’attribution de responsabilité
des témoins. En effet, si la victime évoque des causes internes en termes de traits de
personnalité ou d’intentions, par exemple, ou si elle mentionne avoir déjà été victime
19
de harcèlement ; ce processus de survictimation va amener les observateurs à la
considérer comme plus responsable de la situation et à diminuer leurs comportements
d’aide. Et à l’inverse, les caractéristiques du harceleur, tels que des problèmes
psychologiques avérés, vont entraîner dans la vision des témoins une diminution de la
responsabilité de la victime, ce qui les poussera à plus de comportements pro-sociaux
envers elle (Desrumaux, 2007).
De plus, le rôle de l’attribution causale basé sur le modèle de Weiner a aussi été
récemment étudié dans le cas particulier des témoins de harcèlement moral au travail.
Il a été démontré que les témoins qui perçoivent la victime comme en partie
responsable de la situation de harcèlement, développeront moins de comportements
d’aide envers elle. Ils font aussi intervenir le sexe et les émotions ressenties par le
témoin comme variable médiatrice mais nous ne développerons pas ces points
(Mulder, Pouwelse, Lodewijkx & Bolman, 2013).
Suite à cette analyse, il nous semble que le principe premier dont découlent ces
différentes théories est la notion d’attribution causale et de responsabilité. Cette
réflexion nous mène donc à émettre une première hypothèse (H1) selon laquelle le
développement des comportements pro-sociaux des témoins de harcèlement moral
en entreprise est influencé par l’attribution causale et de responsabilité qu’ils font de
la situation.
2.2. Composante organisationnelle
2.2.1. Théorie du comportement planifié
La théorie du comportement planifié d’Icek Ajzen (1991) peut corroborer nos
premiers éléments de réflexion mais aussi apporter un éclairage plus large sur la
question. En effet, ce modèle postule que pour qu’un comportement se produise, il
faut que l’individu en ait l’intention, qu’il le planifie, mais cette intention est modulée
par plusieurs éléments. Tout d’abord « l’attitude envers le comportement » influence
l’intention par les jugements sur la désirabilité du comportement et de ses
20
conséquences, puis les « normes subjectives » suggèrent de prendre en compte les
considérations et l’opinion du monde environnant, et enfin le « contrôle
comportemental perçu » se rapporte aux croyances sur la capacité du sujet à réussir ce
comportement notamment par le biais de son sentiment d’efficacité personnelle décrit
par Bandura (Ajzen, 1991). Les normes subjectives peuvent se référer à la norme
d’internalité particulière au phénomène d’attribution causale, mais nous ne pouvons
ignorer que nous sommes ici dans un contexte particulier qui est celui du monde
professionnel. Même dans le cadre de l’attribution causale, Gosling (1999 ; cité par
Villemain et al., 2005), rappelle que « la situation dans laquelle est l'acteur est
rarement considérée dans la formulation d'attributions, pourtant cet élément y joue
un rôle. Les données du contexte guident nos actes, et la perception de la cause
explicative du résultat dépend du vécu des individus et de la particularité de la
situation » (p.279). Le contexte professionnel a donc probablement aussi une influence
sur les normes que chaque travailleur a internalisées.
En considérant l’entreprise de manière globale, nous pouvons l’envisager
comme une microsociété qui impose de manière implicite, de par les différentes
politiques qui y sont menées, des normes d’attitudes ou de croyances, tout comme la
société dans laquelle nous vivons peut le faire (la norme d’internalité en étant un
exemple frappant). De plus, de nombreux auteurs (Dejours, 1998 ; Leymann, 1996 ;
Ravisy, 2000 ; cités par Desrumaux 2011) ayant mis en évidence l’importance de la
composante organisationnelle dans le harcèlement moral, le contexte organisationnel
nous semble aussi pouvoir influencer l’ensemble des éléments décrits par Icek Ajzen.
Nous pouvons supposer que le climat de l’entreprise ainsi que les normes qui y sont
prônées ont un rôle dans l’évaluation que le sujet fait de la désirabilité de son
comportement d’aide et donc de « l’attitude envers le comportement ». En effet, une
entreprise qui diffuse des valeurs de solidarité et d’entraide valorisera probablement
plus un comportement d’aide, qu’une entreprise qui mise sur l’individualisme et la
compétition entre ses membres pour atteindre un plus haut niveau de productivité. De
même, un leadership autoritaire et contrôlant orienté uniquement vers la productivité
empêche l’assouvissement des besoins fondamentaux des employés (autonomie,
compétence, affiliation sociale) et peut provoquer une importante détresse psychique
21
chez eux (Forest, Dagenais-Desmarais, Crevier-Braud, Bergeron & Girouard, 2010). Cela
engendre fréquemment du stress qui, chez les personnes les plus sensibles, peut
réduire le sentiment d’efficacité personnelle (Lecomte, 2004) et donc le « contrôle
comportemental perçu » sur la situation. De plus, le stress diminue significativement le
développement de comportements altruistes (Motowidlo, Packard & Manning, 1986).
Ainsi un témoin qui ne s’estime pas capable de résoudre le conflit aura tendance à
ignorer l’évènement et ne pas mettre en place de comportement pro-sociaux d’aide
(Shapiro & Rosen, 1994 ; cités par Desrumaux, 2011).
2.2.2. Etat agentique et banalité du mal
De surcroît, cet aspect situationnel important qu’est l’environnement de travail
a des conséquences sur le comportement des témoins. En effet, les témoins, de par le
contexte oppressant qui règne dans l’entreprise, peut être placé dans un « état
agentique » (Desrumaux, 2011). Cet état est le concept central décrit par S.Milgram
qu’il a découvert en 1974 suite à des expériences sur la soumission à l’autorité. Cette
expérience démontre que des personnes tout à fait normales et saines d’esprit
peuvent envoyer des décharges électriques mortelles à des inconnus, sur simple ordre
d’un expérimentateur (Milgram, 1974). Ils démontrent par-là, que l’homme distingue
le respect de l’autorité, des actes prescrits par cette autorité ; autrement dit il ne se
perçoit pas comme responsable de ces actes, ni par extension des conséquences de
ces actes, si ils sont dictés par une autorité supérieure (Hamilton, 1978). Hannah
Arendt, philosophe ayant assistée au procès d’Adolf Eichmann en 1961, explique grâce
à sa théorie de la « banalité du mal », qu’il semble que c’est par soumission à l’autorité
et non du fait de leurs caractéristiques perverses internes que certains dirigeants nazis
ont accomplis de tels crimes (Arendt, 1966). Le contexte peut donc transformer une
personne et influencer grandement ses intentions d’action, c’est pourquoi nous allons
à présent nous attarder sur les facteurs organisationnels pour tenter de comprendre le
rôle exact qu’ils peuvent jouer, à travers différents éléments précis.
22
En effet, les déterminants organisationnels possèdent généralement une bonne
puissance prévisionnelle dans l’explication des comportements antisociaux au travail,
le harcèlement moral étant un des comportements orientés contre l’individu le plus
caractéristique des comportements antisociaux au travail (Baron, Neuman & Geddes,
1999 ; cité par Leblanc, LaFrenière, St-Sauveur, Simard, Duval, LeBrock, Girard, Brunet
& Savoie, 2004). En outre, comme évoqué auparavant, les changements récents de
notre société dans les pratiques managériales et de ressources humaines ont
transformé les organisations, et nous savons aujourd’hui qu’elles jouent pleinement un
rôle dans le processus de harcèlement. Pascale Desrumaux (2011), spécialiste de la
question, ajoute même que « tout individu est une victime ou un agresseur potentiel
en fonction du contexte dans lequel il évolue » (p.29). D’autre part, l’émergence et le
développement de comportements nocifs comme celui-ci n’est possible, d’après
Brodsky (1976 ; cité par Desrumaux, 2011), que parce que l’organisation installe un
climat permissif à cet égard.
2.2.3. Culture organisationnelle
Parmi ses facteurs organisationnels, de très nombreux sont pertinents en ce qui
concerne leur influence sur les phénomènes de harcèlement. Nous pourrions choisir
d’évoquer, par exemple, la justice organisationnelle où lorsqu’un déséquilibre ou une
inégalité s’installe entre les demandes et les rétributions, le bien-être des travailleurs
est mis à mal ; mais les incohérences dans les demandes de l‘entreprise ou
l’accroissement de la compétitivité ou encore les styles de leadership et de
management sont aussi des données non négligeables et qui ont déjà prouvé leur
importance (Desrumaux, 2011). Mais tous ces éléments plus précis, nous paraissent
provenir d’un climat sous-jacent, d’une ambiance de travail qui véhicule des valeurs et
des comportements plus ou moins différents selon les entreprises.
Dès lors, la culture organisationnelle de l’entreprise dans laquelle évoluent les
harceleurs, victimes et témoins nous paraît être la base, l’origine de la forte influence
organisationnelle sur les phénomènes de harcèlement que défendent Christophe
23
Dejours ou Heinz Leymann (cités par Desrumaux, 2011), parmi les auteurs les plus
connus. De plus, son lien avec les comportements antisociaux au travail a été mis en
évidence par deux études (Simard, St-Sauveur, LeBrock, Lafrenière, Leblanc, Duval,
Girard, Savoie & Brunet, 2004 ; St-Sauveur, Duval, Julien, Rioux, Savoie & Brunet,
2004). Nous empruntons la définition de Cohen (1995 ; cité par Leblanc et al., 2004)
pour expliciter ce que nous entendons ici par culture organisationnelle. Elle se définit
donc « comme étant un modèle partagé de valeurs, de coutumes, de croyances et
d’attentes allant au-delà des normes comportementales acceptées au sein d’un
système social. Partant du modèle de Cooke et Lafferty (1989 ; cités par Leblanc et al.,
2004) sur la culture organisationnelle, trois types de sous-cultures sont définies:
constructive, dans laquelle les membres sont encouragés à interagir avec les autres et
à orienter leur travail de façon à rencontrer leurs besoins d’accomplissement les plus
élevés ; passive–défensive, à l’intérieur de laquelle les individus interagissent de façon
à préserver leur propre sécurité par une attitude de soumission et de conformité ;
agressive–défensive, dans laquelle l’interaction entre les membres, caractérisée par de
l’opposition, de la rivalité et de la compétition, a pour objectif d’atteindre des
standards de performances élevés, ou du moins de préserver leur statut et leur
sécurité » (Leblanc et al., 2004, p.64).
Etant donné que selon cette définition, la sous-culture « constructive » véhicule
des valeurs de coopération et d’entraide, nous pouvons supposer que les membres de
ce type d’organisation seront plus enclins à développer des comportements pro-
sociaux lorsqu’ils sont témoins de harcèlement moral. A l’inverse, les employés d’une
entreprise dont la sous-culture organisationnelle est de type « passive-défensive »
auront probablement plutôt tendance à rester en retrait des situations de
harcèlement, du fait du climat de soumission et d’insécurité. D’ailleurs une étude (St-
Sauveur, Duval, Julien, Rioux, Savoie & Brunet, 2004) a démontré qu’il existait un lien
positif entre la sous-culture passive et les comportements d’agression psychologique
au travail. De même, la sous-culture « agressive-défensive », eu égard à ses
caractéristiques de rivalité et de concurrence, provoque probablement des attitudes
de retrait et/ou d’agressivité de la part de ses membres, le harcèlement serait donc
perçu comme plus acceptable par les témoins dans un tel climat. Ces idées nous
24
mènent à la formulation d’une seconde hypothèse (H2) selon laquelle le contexte
organisationnel, au sens définit par Cohen en 1995 (cité par Leblanc et al., 2004),
influence l’émission de comportements pro-sociaux chez les témoins de harcèlement
en entreprise.
Nous avons choisi ici une définition très cadrée de la culture organisationnelle
afin d’appuyer nos hypothèses, cependant il est intéressant de souligner, comme nous
le suggérions au début de cette partie, que de nombreux éléments sous-tendent le
contexte organisationnel. Patterson, Warr et West (2004) s’appuient, eux, sur la
définition de Denison (1996 ; cité par Patterson et al., 2004) qui distingue culture et
climat, en considérant la culture comme « la structure profonde l’organisation » et le
climat comme « les aspects de l’environnement social qui sont consciemment perçus
par les membres de l’organisation » (p.624, traduction libre de l’anglais). Nous n’avons
pas choisi de faire cette distinction considérant que la corrélation entre les deux est
manifeste, néanmoins ce point de vue est intéressant puisqu’il englobe l’ensemble de
l’environnement en discernant 17 facteurs pouvant influencer le climat. Ainsi cette
vision élargie nos perspectives en incluant à la fois des éléments du management mais
aussi des conditions de travail, et de la satisfaction des employés tels que :
l’implication, autonomie, le support hiérarchique, l’intégration, la préoccupation du
bien-être des employés, le développement des compétences, l’effort, la réflexivité,
l’innovation et la flexibilité, l’ouverture sur l’extérieur, la clarté des objectifs, l’exigence
de productivité, la qualité, le feedback sur la performance, l’efficacité, la formalisation,
et la tradition (p.201, traduction libre de l’anglais, Patterson et al., 2004).
Il s’avère, en effet, que les conditions et la charge de travail des employés ont
un rôle réel dans le développement du harcèlement moral en entreprise. C’est au
travers du leardership qu’un important levier d’action est soulevé. Un leadership
éthique, permettant une amélioration de l’environnement de travail sur un plan tant
qualitatif que quantitatif, serait garant de la création d’un climat favorable à la
diminution significative du harcèlement sur le lieu de travail (Stouten, Baillien, Van den
Broeck, Camps, De Witte & Euwema, 2010).
25
2.3. Influence conjointe de la composante individuelle et
organisationnelle
Dans la mesure, où comme nous l’avons expliqué précédemment, le contexte
organisation dans son ensemble influence ses membres et leurs actions, nous nous
demandons si cela peut aller jusqu’à créer un cercle vicieux qui de par son influence
modifierait aussi le type d’attribution causale des témoins. Aucune étude, à notre
connaissance, n’a cherché à mettre en lien directement les notions de contexte
organisationnel et d’attribution causale des témoins dans le cas spécifique du
harcèlement au travail. En revanche, de nombreuses études ont montré l’influence
que l’organisation pouvait avoir sur les caractéristiques de la victime ou du harceleur à
travers divers médiateurs (Desrumaux, 2011). Par ailleurs, une étude menée par
Desrumaux, Casse & Cornelis (2007 ; cités par Desrumaux, 2011), a mis en lien les
informations situationnelles relatives au climat d’entreprise avec les jugements
d’équité, de responsabilité et d’aide. Il en ressort que les intentions d’intervention sont
modulés en grande part par le jugement de responsabilité des différents acteurs sur la
situation, jugement qui dépend lui-même en partie de la situation économique de
l’entreprise. C’est pourquoi, nous sommes amenés à penser que si un élément indirect
tel que la crise économique peut avoir une influence réelle sur le jugement des
témoins, le contexte organisationnel qu’ils subissent au quotidien pourrait engendrer
les même effets et conséquences sur leurs attributions causales et de responsabilités,
et leur intention de développer des comportements pro-sociaux face aux situations de
harcèlement moral. Cependant, nous ne pouvons être plus précis dans nos
affirmations puisque rien ne nous permet d’affirmer qu’une sous-culture particulière
de contexte organisationnel renforcera les attributions internes ou externes des
témoins. Ceci nous amène tout de même à formuler une troisième hypothèse (H3),
plus exploratoire que les précédentes, selon laquelle le contexte organisationnel de
l’entreprise influence l’attribution causale et de responsabilité des témoins de
harcèlement.
26
Attribution causale et de responsabilité
des témoins
Développement de comportements pro-sociaux
chez les témoins de harcèlement moral au travail
Contexte organisationnel de
l'entreprise
2.4. Modèle d’inter-influence
Cette dernière hypothèse mise en correspondance avec les deux précédentes
créées un modèle d'influence du développement des comportements pro-sociaux chez
les témoins de harcèlement moral au travail. Ce modèle postule que l’attribution
causale et de responsabilité des témoins ainsi que le contexte organisationnel dans
lequel ils se trouvent, influencent directement leur développement de comportements
pro-sociaux. Et qu’en parallèle, le contexte organisationnel influence aussi le type
d’attribution causale, ce qui renforce ou diminue l’intention de développer des
comportements pro-sociaux à l’égard des victimes, comme explicité visuellement dans
la figure 1, ci-dessous.
En conclusion, le harcèlement est un processus complexe qui entraine dans son
sillon bien plus que la victime et le harceleur puisque tout l’entourage est touché,
entourage qui ne résiste pas non plus aux différents facteurs qui influencent
l’apparition de harcèlement, qu’ils soient internes ou organisationnels. Nous allons
donc, à présent, récapituler l’ensemble des hypothèses émises concernant notre
thème de recherche.
Figure 1: Modèle d'influence du développement des comportements pro-sociaux chez les témoins de harcèlement moral au travail
27
3. HYPOTHÈSES
Suite à cette réflexion, nous sommes amenés à former plusieurs hypothèses
tentant d’apporter des éléments de réponse à notre question de recherche. Nous
avons donc dégagé une variable dépendante qui est l’émission de comportements pro-
sociaux d’aide ou de soutien de la part des témoins de harcèlement moral, et deux
variables indépendantes qui sont le type d’attribution causale et de responsabilité, et
le contexte organisationnel. Par ailleurs, nous supposons que ces variables s’inter-
influencent, comme expliqué précédemment.
Nous avons donc décomposé chaque hypothèse en une hypothèse générale
reprise dans le texte (Hx) et une hypothèse de recherche (Hx.1.).
H1 : Le développement des comportements pro-sociaux des témoins de harcèlement
moral en entreprise est influencé par l’attribution causale et de responsabilité qu’ils
font de la situation, au sens global (rôle de la victime, du harceleur, et d’eux-mêmes).
H1.1.: Dans une situation de harcèlement moral au travail, les témoins attribuant une
causalité interne à la victime développent moins de comportements pro-sociaux
envers eux.
H2 : Le contexte organisationnel influence l’émission de comportements pro-sociaux
chez les témoins de harcèlement en entreprise.
H2.1. : Les témoins de harcèlement évoluant dans une entreprise dont la sous-culture
de contexte organisationnel est de type « constructive » développent plus de
comportements pro-sociaux envers les victimes que les témoins issus d’une autre
sous-culture.
H3 : Le contexte organisationnel de l’entreprise influence l’attribution causale et de
responsabilité des témoins de harcèlement.
H3.1.: Nous ne formulerons pas d’hypothèses plus précises puisque concernant cet
aspect notre démarche reste exploratoire du fait de son caractère inédit.
28
4. MÉTHODOLOGIE
Afin de discuter nos hypothèses, nous avons choisi de procéder à des entretiens
individuels, selon un canevas précis, qui feront l’objet d’une analyse qualitative.
Ce choix se justifie car bien que le questionnaire permette de multiples
passations sans trop de difficultés, la pensée causale reste toujours orientée et
stimulée par le chercheur. Même si les avantages du questionnaire apparaissent dans
la facilité de mesurer, de quantifier et de standardiser les résultats, il ne faut pas
oublier, qu'à travers les formulations de questions, la réponse reste très fermée, par
certains côtés, forcée. Le sujet ne peut s'exprimer ou clarifier certaines explications par
rapport au contexte (Villemain et al., 2005), ce qui semble pourtant essentiel dans
notre recherche exploratoire sur un sujet encore peu traité. En mettant à l’aise les
participants, il me semble que cette méthode pourrait aussi réduire le biais de
désirabilité sociale important dans des situations comme celle que nous souhaitons
abordée ; nous y serons en tout cas particulièrement attentifs.
Dans un premier temps, nous allons décrire la constitution de notre échantillon,
puis nous aborderons le matériel avec le contenu de notre canevas d’entretien,
ensuite nous développerons la procédure et enfin la méthode choisie pour le
traitement des données.
4.1. Participants
Nous avons pu interviewer 8 personnes qui ont été témoins de harcèlement
moral en entreprise, cela grâce à l’aide de plusieurs conseillers en prévention de
différents services de prévention et de protection au travail interne ou externe, qui ont
acceptés de distribuer une annonce (voir annexe 1) aux témoins de leurs affaires de
harcèlement présumé, ou qui ont recontactés à postériori les témoins de situations
jugées comme harcelantes. Nous avons aussi affiché cette annonce dans les locaux de
29
la clinique du stress du CHU Brugmann à Bruxelles, et l’avons partagé sur différents
groupe du réseau social Facebook.
Notre échantillon est composé de 4 hommes et 4 femmes, avec une moyenne
d’âge général de 40 ans mais dont l’intervalle est compris entre 26 et 60 ans. Ils sont
tous actifs professionnellement, à l’exception d’une personne en congé maladie pour
cause de burnout. Leurs situations s’avèrent assez hétéroclites tant dans le type de
harcèlement que dans leur position de témoin vis-à-vis de la victime ou du harceleur.
Trois participants (témoins n°1, 5 et 6) ont été entendus à propos d’une même
situation de harcèlement vertical descendant orienté contre un service entier. Ils ont
donc eux aussi été victimes, à différents degrés, mais témoignent ici en leur qualité de
témoins des agissements qu’ont subis leurs collègues. Cette situation a été reconnue
officiellement comme relevant de comportements harcelants par un conseiller en
prévention pour les aspects psychosociaux. Aucun d’entre eux ne travaille encore dans
cette institution privée.
Un autre des témoins (témoin n°8) a aussi subi du harcèlement moral vertical
descendant en provenance du même supérieur hiérarchique que le collègue pour
lequel elle témoigne ici. Le cas particulier de son collègue n’a pas été reconnu
officiellement puisqu’il n’a engagé aucune procédure et a démissionné, mais son
harceleur est en cours de jugement judiciaire pour le cas similaire qu’il a fait subir à
notre témoin et a été reconnu responsable de comportements harcelants par un
conseiller en prévention pour les aspects psychosociaux. Cette situation s’est déroulée
dans une institution publique et notre témoin est actuellement en arrêt maladie.
Nos témoins suivants n’ont pas subi de harcèlement dans la situation qu’ils
décrivent et peuvent donc se positionner purement en tant que témoins externes.
Dans ces situations aucune personne habilitée n’a attesté de comportements
harcelants, cependant selon notre analyse de la situation, basée sur la liste des 45
agissements constitutifs de harcèlement moral de Heinz Leymann (1996), nous
estimons qu’il s’agit très probablement de harcèlement moral.
30
Notre témoin n°2 est une collègue et amie proche de la victime. Elle a assisté et
assiste encore à un harcèlement vertical descendant dans une institution publique. Il
me semble important de préciser qu’elle a été nommée fonctionnaire puis membre du
CPPT seulement en cours d’affaire ; affaire encore en cours de traitement dans la
cellule psychosociale d’un service de prévention externe.
Le participant n°3 a été témoin de harcèlement vertical descendant dans une
entreprise privé pour laquelle il était intervenant indépendant. Il s’est aussi porté
témoin dans le procès judiciaire que la victime avait intenté contre l’entreprise, pour
licenciement abusif dans le cadre de ce harcèlement. Mais le procès n’a pas abouti
puisqu’un accord entre les parties a été conclu.
Le témoin n°4 est intervenu pendant 2 ans, en tant qu’employé privé, dans une
entreprise publique et a pu constater un harcèlement vertical à la fois descendant et
ascendant. Cela relève donc de harcèlement groupal orienté contre un seul et même
individu.
Enfin, le témoin n°7 est une collègue et amie proche du harceleur, qui pratique
un harcèlement vertical descendant sur une de ses subordonnées dans une entreprise
privée.
Pour récapituler les caractéristiques de chaque témoin, nous utiliserons le
tableau suivant :
Age Sexe Type d’entreprise Type de harcèlement Situation
commune
Témoin 1 26 H Institution privée Harcèlement vertical descendant
orienté contre un groupe X
Témoin 2 45 F Public Harcèlement vertical descendant
Témoin 3 40 H Privé Harcèlement vertical descendant
31
Témoin 4 29 F Public Harcèlement groupal vertical à la
fois descendant et ascendant
Témoin 5 35 H Institution privée Harcèlement vertical descendant
orienté contre un groupe X
Témoin 6 28 H Institution privée Harcèlement vertical descendant
orienté contre un groupe X
Témoin 7 60 F Privé Harcèlement vertical descendant
Témoin 8 58 F Public Harcèlement vertical descendant
Tableau 1: Récapitulatif des informations concernant les participants
Nous allons donc maintenant exposer le matériel qui nous a permis de guider
ces entretiens.
4.2. Matériel / Outils
Pour discuter nos hypothèses, nous avons opté pour des entretiens individuels
semi-directifs, suivant un canevas d’entretien relativement précis composé de huit
questions ouvertes et de deux questions fermées. Les questions ouvertes ont bien
évidemment été construites en lien direct avec nos hypothèses, mais afin d’éviter
toute influence de notre part sur les réponses des participants nous avons veillé à être
très général et très neutre dans notre formulation.
L’entretien commence par l’ensemble des questions ouvertes, que nous avons
voulu le moins restrictives et le moins influentes possible. De ce fait, nous avons choisi
de ne pas interroger les témoins directement sur les effets que nous attendions, mais
de les questionner de manière approfondie sur les comportements pro-sociaux qu’ils
ont pu ou non mettre en place.
La première question (Pour commencer, je vais vous demander de vous
présenter en expliquant votre position de travail et vos liens avec la personne cible et le
« harceleur », et de m’expliquer en quelques mots la situation) propose au participant
de présenter l’ensemble de la situation dont il a été témoin, ainsi que ses liens avec les
principaux intéressés de façon à déceler les différences interactionnelles particulières
32
et à pouvoir restituer la situation dans un contexte organisationnel. Cette première
question très globale laisse aux témoins l’espace de donner sa propre analyse des faits,
mais aussi du rôle et de la responsabilité de chacun.
Puis la seconde question se centre sur leurs comportements pro-sociaux (Par
rapport à cette situation de harcèlement, comment vous êtes-vous situé ? êtes-vous
intervenu d’une manière ou d’une autre vis-à-vis de la personne-cible ? - Si oui,
comment et pourquoi ? Ces comportements étaient-ils habituels ? Etaient-ils faciles à
mettre en place ou cela vous demandait-il un effort ? Pourquoi avez-vous réagit de
cette manière plutôt qu’une autre ? - Si non, pourquoi ? Qu’est-ce qui vous a empêché
de réagir ?). Elle se compose d’un grand nombre de sous-questions afin d’explorer au
maximum les conditions et les raisons de l’intervention, en tentant toujours de
ramener cela à une norme comportementale instaurée avant les faits de harcèlement.
Par les nombreux « Pourquoi ? » qui la constitue, cette question permet aussi aux
témoins d’approfondir leur attribution causale et de responsabilité des différents
protagonistes.
La troisième question (Avez-vous a un moment donné pris plus conscience de ce
qui était en jeu dans la situation, ou bien sa gravité ? Cela a-t-il modifié votre
comportement ?) vise à se placer dans une perspective plus longitudinale de façon à
évaluer l’impact de la prise de conscience sur les comportements.
La quatrième question (Les autres membres de l’entreprise ont-ils réagi ?
Avaient-ils le même type de comportements que vous ?) aborde la comparaison avec le
comportement des autres collègues, de manière à pouvoir juger du contexte
organisationnel plus ou moins favorable dans lequel ces actes interviennent.
La cinquième question (L’entreprise a-t-elle réagi ?) les compare cette fois-ci
aux réactions de l’entreprise et vise de nouveau à appréhender le contexte
organisationnel général.
33
La sixième question (Pensez-vous que cela est plus dur dans votre entreprise
plutôt que dans une autre de pouvoir intervenir ? Pourquoi ?) approfondie la question
précédente, en sondant indirectement la perception du témoin sur la structure
organisationnelle dans laquelle s’est développé le harcèlement.
La septième question (Quels ont été les obstacles les plus durs à dépasser pour
pouvoir mettre en place des comportements d’aide ou de soutien ?) revient à un niveau
plus global pour comprendre l’ensemble des difficultés qu’a pu rencontrer le témoin.
Et enfin la huitième question (Qu’est ce qui aurait pu faire que vos
comportements soient différents (plus ou moins présents) ?) tente de recueillir les
éléments dans le contexte, l’organisation, ou même l’attribution de responsabilité qui
ont pu influencer les comportements du témoin, par le biais d’une formulation
hypothétique et la plus neutre possible.
Puis deux questions fermées, rédigées sous forme d’un questionnaire écrit où
trois réponses étaient proposées, concluaient l’entretien. Ces questions traitaient de
l’attribution de responsabilité (Dans la situation de harcèlement que vous décrivez,
selon vous, qui est responsable de cette situation ? Est-ce plutôt : le « harceleur » / la
personne cible / l’entreprise) et de la culture organisationnelle (Comment décririez-
vous votre entreprise de manière générale ?), de façon à fixer de manière non
interprétable ces deux paramètres. Les réponses proposées pour la seconde question
sont directement extrait de « l’inventaire de culture organisationnelle abrégé (ICO-A) »
de Cooke et Lafferty (1989 ; cités par Simard, St-Sauveur, LeBrock, Lafrenière, Leblanc,
Duval, Girard, Savoie & Brunet, 2004), et présentées comme suit :
Comment décririez-vous votre entreprise de manière générale ?
□ C’est une entreprise dans laquelle les membres sont encouragés à interagir les
uns avec les autres et à orienter leur travail de façon à rencontrer leurs besoins
d’accomplissement les plus élevés.
34
□ C’est une entreprise à l’intérieur de laquelle les individus interagissent de façon
à préserver leur propre sécurité par une attitude de soumission et de
conformité.
□ C’est une entreprise dans laquelle l’interaction entre les membres, caractérisée
par de l’opposition, de la rivalité et de la compétition, a pour objectif d’atteindre
des standards de performance élevés, ou du moins de préserver leur statut et
leur sécurité
4.3. Procédure
Les données ont été récoltées grâce à des entretiens individuels, entièrement
enregistrés, réalisés au domicile des participants ou dans un café. Les participants ont
été informés de la teneur de l’entretien et de l’objectif poursuivi, et ont répondu à mes
questions pendant 45 minutes à 1h30 selon les sujets.
L’entretien débutait par le récit de la situation dont ils avaient été témoin suivi
des sept autres questions ouvertes, puis ils répondaient par écrit aux deux questions
fermées, et enfin nous avons remercié les participants et leur avons offert la possibilité
de recevoir ultérieurement un feedback sur nos résultats.
Par la suite, les entretiens ont été retranscris intégralement « mot à mot » afin
de conserver l’entièreté du contenu, et avons encodé dans un tableau les données du
questionnaire qui ont été par la suite mises en lien avec les résultats de l’analyse de
contenu. Nous allons donc à présent expliquer notre méthode d’analyse.
4.4. Traitement des données
Sur base de l’ensemble de nos retranscriptions, nous avons effectué une
analyse de contenu de données verbales au niveau sémantique, sans aucune
assistance informatique. Pour servir au mieux notre sujet, nous avons procédé à une
analyse catégorielle thématique. Dans ce cadre, nous avons choisi de ne pas nous
servir des signes paralinguistiques tels que les rires ou les silences, cependant nous
35
tiendrons compte dans notre analyse des autres indices nous permettant de relever,
par exemple, l’ironie. Etant donné le caractère très ouvert de nos questions, nous nous
sommes laissés la possibilité d’ignorer certaines pistes poursuivies par le sujet, qui
s’avéraient trop éloignées des objectifs initiaux de l’étude (Paillé & Mucchielli, 2008).
Concernant notre démarche précise, nous avons effectué une thématisation en
continue, en inférant petit à petit un thème à chaque élément repéré. Pour cela nous
avons utilisé un relevé de thème qui nous a permis de regrouper, de fusionner, de
subdiviser ou de hiérarchiser progressivement les différents thèmes sous formes de
thèmes plus centraux. Pour leur détermination, nous avons bien sûr gardé en tête nos
hypothèses qui nous ont aussi permis de construire des rubriques générales de base
regroupant les ensembles thématiques saillants, sous forme de catégories
interprétatives liées à nos référents théoriques (Paillé & Mucchielli, 2008).
Puis par l’analyse de notre relevé de thème, nous avons hiérarchisés
successivement les rubriques générales, les thèmes et les sous-thèmes (Paillé &
Mucchielli, 2008).
Enfin, nous avons schématisé dans un tableau, la fréquence d’occurrence de
chaque thème en fonction des sujets, afin de pouvoir les mettre en lien avec les
données du questionnaire et extraire les résultats de notre analyse.
36
5. RESULTATS
Afin de mieux appréhender la complexité de la situation des témoins, nous
allons faire un résumé de chaque témoignage de façon à proposer une vision globale
et processuelle des comportements de chacun. Puis nous comparerons les cas entre
eux en vous présentant les résultats de l’analyse de contenu. Il faut bien sûr relever
qu’un résumé porte l’empreinte subjective de la personne qui l’écrit, mais nous
estimons que cela est important pour la compréhension du sujet.
5.1. Résumé du processus comportemental des témoins
Témoin 1
Le témoin 1 a vécu une situation de harcèlement moral vertical descendant de
la part de son chef de service sur l’ensemble des membres du service, il a donc été à la
fois victime et témoin. En tant que témoin, il a été confronté à de nombreuses
altercations avec ses collègues. Après avoir lui-même subi plusieurs différends avec le
harceleur, il va commencer par remettre en question son schéma, précédemment très
ancré selon ses dires, de respect dû à la hiérarchie. A partir de ce moment-là, il va se
permettre d’intervenir directement auprès du harceleur lorsque ses collègues sont
agressés. Etant donné que le harceleur ne s’attaquait qu’à une personne à la fois, il
leur a fallu un certain temps avant de mettre en commun leurs expériences et de
réaliser l’ampleur du phénomène. C’est cet évènement qui va les décider à porter
plainte ensemble auprès de la hiérarchie supérieure, et d’un conseiller en prévention.
Le témoin 1 a pris activement part à cette démarche en se chargeant de rédiger et
d’envoyer par email le récit quotidien des évènements abusifs. Il s’est aussi plaint
auprès de toutes les instances disponibles. Cependant il évoque, qu’au bout de
quelques temps il s’est senti épuisé psychologiquement par ces démarches, qui
puisaient toute son énergie et l’empêchaient de se concentrer sur son travail, au point
de devoir s’arrêter quelques semaines. Il a aujourd’hui changé de lieu de travail.
37
Témoin 2
Le témoin 2 a assisté à un harcèlement vertical descendant de la part de sa chef
de service sur un de ces collègues. Au fil des évènements, le témoin s’est rapproché de
la personne cible et ils sont devenus très proches. Elle a tout d’abord commencé par le
soutenir ouvertement en se distinguant de ces autres collègues, sans jamais s’opposer
directement au « harceleur ». Puis touchée par ses difficultés personnelles, elle lui a
apporté, à lui ainsi qu’à sa famille, son aide au quotidien en allant jusqu’à s’installer
chez lui pour des périodes plus ou moins longues. Mais elle explique que ce soutien l’a
épuisée et lui a aussi causé des problèmes avec sa hiérarchie. Elle a même dû s’arrêter
quelques temps suite à un burnout. Elle a ensuite décidé de se faire élire au CPPT aux
côtés de la personne cible afin d’avoir plus de poids concernant la gestion des risques
psychosociaux, et afin de protéger son emploi. Aujourd’hui, après les difficultés
professionnelles que cela lui a causé, elle ne laisse plus transparaitre son soutien
ouvertement mais continue son aide extérieure vis-à-vis de la personne cible.
Témoin 3
Le témoin 3 a assisté à un harcèlement vertical descendant, dans l’enceinte
particulière d’un village de vacances, entre le chef de village et le directeur des
ressources humaines du village. Après le début des comportements abusifs, la
personne cible est venu demander son avis au témoin sur la situation. Le témoin 3
s’est donc mis dans une position de retrait pour observer les agissements du chef de
village et des autres chefs de service. Par la suite, le témoin est donc revenu vers la
personne cible pour lui confirmer son ressenti et le soutenir moralement. Le témoin 3
n’est jamais intervenu directement auprès du « harceleur » mais a soutenu la
personne cible lorsqu’il a décidé de porter plainte pour licenciement abusif, et s’est
proposé officiellement comme témoin. En tant qu’intervenant extérieur, il ne risquait
pas de recevoir une quelconque pression, mais n’a jamais ébruité son investissement
dans cette affaire et a quitté la structure à la fin de la saison.
38
Témoin 4
Le témoin 4 est arrivé au milieu d’une situation de harcèlement groupal vertical
à la fois descendant et ascendant, déjà bien installée. Elle a, dans un premier temps,
observé la dynamique sans se positionner estimant que ce n’était pas son rôle mais
celui des supérieurs hiérarchiques, et de peur du jugement des autres. Puis s’étant
retrouvée dans le même bureau que la personne cible, elle a commencé à essayer de
lui venir en aide. Pour cela, elle lui a prodigué de nombreux conseils sur la conduite à
tenir tant au niveau relationnel que vestimentaire pour améliorer les choses vis à vis
de ses subordonnés uniquement, car le témoin se sentait impuissante face au
harcèlement du directeur. Puis elle a proposé différentes solutions à sa hiérarchie ainsi
qu’au service des ressources humaines pour résoudre ces tensions très nuisibles à la
productivité de l’entreprise. Dépasser le jugement des autres lui a demandé beaucoup
d’énergie, mais son vécu personnel de harcèlement dans l’enfance l’a poussée à agir.
Elle explique aussi s’être permise tout cela puisqu’elle n’était pas du tout sous la même
direction que la personne cible, et car son poste n’était prévu que pour une durée de
deux ans.
Témoin 5
Le témoin 5 a vécu la même situation que le témoin 1. Il a donc été à la fois
victime et témoin d’un harcèlement vertical descendant de la part de son chef de
service sur l’ensemble du service. Il explique qu’avant la mise en commun des
informations qui a conduit à la plainte le groupe était très peu soudé. Ce n’est donc
qu’après avoir, lui aussi, signé cette plainte qu’il a commencé à soutenir ses collègues.
Cependant, il dit ne pas avoir pu faire plus étant donné la personnalité du harceleur. Il
a aujourd’hui changé de lieu de travail.
Témoin 6
Le témoin 6 a aussi vécu la même situation que les témoins 1 et 5. Il a donc
vécu une situation de harcèlement moral vertical descendant de la part de son chef de
39
service sur l’ensemble des membres du service, et a été à la fois victime et témoin. Le
témoin 6 s’est tout d’abord tu, puis après avoir pris part au dépôt de plainte,
n’estimant qu’il n’avait plus rien à perdre, il a commencé à intervenir directement
auprès du « harceleur » à chaque comportement abusif observé, jusqu’à son départ de
l’entreprise. Ce départ ne fait pas suite au harcèlement mais était prévu dans le cadre
de l’aboutissement d’un projet.
Témoin 7
Le témoin 7 a assisté à un harcèlement vertical descendant entre sa directrice
et une employée. Il s’avère que cette directrice n’est autre qu’une amie intime du
témoin 7 de qui elle est très proche depuis plus de 25 ans. Etant donné sa position
particulière de proche de la « harceleuse » elle a pu intervenir auprès d’elle à de
multiples reprises en tentant de la raisonner et en lui proposant des solutions pour se
détendre. Elle s’est même servie de leur amitié comme moyen de chantage pour
tenter de la calmer. Cependant elle n’est pas intervenue auprès de la personne cible,
mais explique ne pas avoir changé de comportement vis-à-vis d’elle contrairement à
d’autres collègues. Elle travaille toujours dans cette entreprise et continue son action
pour tenter d’apaiser la situation.
Témoin 8
Le témoin 8 a vécu et assisté à un harcèlement vertical descendant entre son
supérieur hiérarchique et son collègue direct. Mais elle a, elle aussi, été harcelée par
ce même supérieur. Elle a soutenu moralement la personne cible et lui a conseillé
plusieurs adresses pour se faire aider. Elle lui a aussi proposé d’être témoin s’il
souhaitait déclencher une procédure, et en tant que déléguée syndicale a ré-insistée
sur la problématique des risques psychosociaux lors des réunions du CPPT. Cependant
elle n’a jamais voulu intervenir directement auprès du « harceleur », estimant que cela
était déplacé vis-à-vis des attentes de son collègue. A bout de forces, la personne cible
a choisi de démissionner, et le témoin 8 est aujourd’hui en arrêt maladie.
40
Nous allons pouvoir présenter les résultats de la passation du questionnaire
ainsi que les résultats de notre analyse de contenu faite sur base de l’ensemble des
entretiens des 8 témoins cités ci-dessus.
5.2. Données du questionnaire quantitatif
Nous commençons par exposer les résultats du questionnaire, même s’il n’a été
distribué qu’en fin d’entretien, car nous nous servirons progressivement de ces
données dans la partie suivante afin de mettre en lien les résultats qualitatifs et
quantitatifs.
T 1 T 2 T 3 T 4 T 5 T 6 T 7 T 8 Total
Attribution causale et de
responsabilité
« Harceleur » X X X X X X X X 8/8
« Victime » X 1/8
Entreprise X X X 3/8
Sous-culture de climat
organisationnel
Constructive X X X 3/8
Passive-défensive
(conformité) X X X X X 5/8
Agressive-défensive
(compétitivité) 0/8
Tableau 2: Tableau de données des deux questions fermées de fin d’entretien
Nous pouvons cependant, d’ores et déjà observer que dans l’attribution le
harceleur est toujours cité comme responsable, contrairement à la victime qui l’est
plus rarement encore que l’entreprise. Concernant la sous-culture de climat
organisationnel, trois de nos témoins semblent évoluer dans une entreprise de type
constructive et cinq autres dans une entreprise de type passive-défensive prônant
plutôt une certaine conformité. Relevons que malheureusement les trois types de
sous-cultures ne sont pas représentés ici, puisqu’aucun témoin n’a dit appartenir à la
sous-culture de type agressive-défensive prônant la compétitivité entre les employés.
41
Nous tenterons de faire des liens entre ces deux éléments par la suite grâce aux
résultats de l’analyse qualitative, que nous allons présenter maintenant.
5.3. Analyse de contenu qualitative (catégorielle thématique)
Sur base de nos hypothèses nous avons choisi de déterminer 3 rubriques
générales correspondant à nos 3 variables. La variable dépendante correspond donc à
la rubrique « Les comportements pro-sociaux », la variable indépendante de
l’hypothèse 1 correspond à la rubrique « L’attribution causale et de responsabilité », et
la variable indépendante de l’hypothèse 2 correspond à la rubrique « Le processus
organisationnel ». Puis suite à l’analyse des entretiens nous avons relevé qu’une
quatrième rubrique générale apparaissait et semblait très intéressante pour notre
étude : la rubrique « Les justifications du comportement ».
Par conséquent, nous allons à présent expliciter, à l’aide de verbatimes ou
d’extraits, ces rubriques avec leurs thèmes et sous-thèmes correspondants, et exposer
les réponses des participants à travers des tableaux. Puis nous ferons progressivement
des liens entre les rubriques.
La fréquence d’occurrence de chaque sous-thème dans les dires des témoins, a
été codifiée dans les tableaux pour une meilleure lecture. Ainsi si le témoin n’en parle
pas un zéro est indiqué, s’il l’aborde un 1 l’indique, s’il l’aborde plusieurs fois cela sera
noté par un 2, et enfin s’il insiste vraiment cela sera représenté par un 3. De plus, les
témoins ont été indiqués par abréviation (T1, T2, …) afin de pouvoir afficher les
tableaux sur une page.
5.3.1. Les comportements pro-sociaux
Selon notre conception des comportements pro-sociaux, nous différencions
aide et soutien. Cependant, sans nier cette distinction, nous avons choisi, ici, de
42
distinguer les différents types de comportements pro-sociaux selon le modèle de
Bowes-Sperry et O’Leary-Kelly (2005). Les comportements sont donc classés selon leur
degré d’immédiateté et d’implication (faible ou haut). Etant donné qu’aucun témoin
n’a stipulé avoir développé de comportement à haute immédiateté et faible
implication, tel que détourner la personne cible de l’incident, nous n’avons pas
représenté cette catégorie. Les trois autres catégories possibles se déclinent comme
suit selon notre analyse :
T 1 T 2 T 3 T 4 T 5 T 6 T 7 T 8 Total
Faible immédiateté
/ Faible implication
Soutien informationnel
0 0 0 3 0 0 0 2 2/8
Soutien émotionnel
1 2 2 1 3 3 0 3 7/8
Faible immédiateté
/ Haute implication
Aide par intervention auprès d'une hiérarchie ou
juridiction
3 0 1 2 2 3 0 0 5/8
Aide par investissement syndical ou au
CPPT
0 1 0 0 0 0 0 2 2/8
Aide par intervention
tardive auprès du
« harceleur »
1 0 0 1 0 0 3 0 3/8
Soutien matériel et fonctionnel
0 2 0 0 0 0 0 0 1/8
Soutien par proposition de divertissement
1 1 1 2 0 0 0 0 4/8
Haute immédiateté
/ Haute implication
Aide par intervention immédiate auprès du
« harceleur »
1 0 0 0 0 3 0 0 2/8
Tableau 3: Les comportements pro-sociaux
43
5.3.1.1. Description de la rubrique
Le thème « faible immédiateté et faible implication » représente les
comportements qui ne sont pas mis en place au moment même de la scène de conflit
mais par après, et qui demande une faible implication au témoin. Il se décompose en
deux sous-thèmes « le soutien informationnel » et « le soutien émotionnel ».
Le premier sous-thème « soutien informationnel » correspond aux conseils
pratiques que le témoin peut donner à la personne cible. Cela peut être dans le but de
l’aider à améliorer la situation comme le témoin 4 qui explique sa position
d’intermédiaire lui permettant de donner des conseils avisés « sachant ça, c’est vrai
qu’alors, pour moi c’est facile de lui donner ce conseil là puisque les gens me disaient ce
qu’ils attendaient d’elle, et elle me disait ce qu’elle attendait des gens » ; ou dans le but
de l’aider à trouver un soutien psychologique ou médical comme le témoin 8 qui disait
à son collègue « Fais toi aider, arrête de travailler ici et fais-toi aider ».
Le second sous-thème « soutien émotionnel » correspond au soutien moral
qu’un témoin peut apporter notamment par l’écoute et le réconfort. La majorité (7 sur
8) des témoins a dit avoir développé ce type de comportement, comme nous le
montre les propos du témoin 2 : « je l’écoute beaucoup quand il se passe des trucs qui
le blessent, bah il m’en parle, on en discute ensemble, j’essaie de le soutenir comme ça
en l’écoutant ».
Le thème « faible immédiateté et haute implication » représente les
comportements pro-sociaux toujours développer par après, mais cette fois exigeant
une haute implication de la part du témoin. Il se décompose en cinq sous-thèmes
définis ci-dessous.
Le premier sous-thème « aide par intervention auprès d’une hiérarchie ou
d’une juridiction » reprend toutes les alertes, plaintes ou demandes d’aide que les
témoins ont pu formuler auprès de la hiérarchie, du service des ressources humaines,
des juridictions compétentes ou d’autres instances disponibles. Le témoin 1 a
notamment frappé à toutes les portes pour se plaindre de la situation, tandis que le
44
témoin 3 s’est proposé comme témoin dans le procès opposant la personne cible à
l’entreprise : « j’ai suivi la procédure juridique et j’ai même été témoin ».
Le deuxième sous-thème « aide par investissement syndical ou au CPPT »
correspond aux témoins qui ont choisi d’alerter indirectement grâce à leur rôle de
représentant des travailleurs. Le témoin 8 a profité de son rôle de déléguée syndicale
« Moi, je sais que je suis intervenue quelques fois. Ça, ça a été ma bataille, en tant que
déléguée syndicale », alors que le témoin 2 a choisi de se faire élire au CPPT pour avoir
plus de poids dans les décisions : « au CPPT comme on aimerait bien prévenir les
risques psycho-sociaux et donc mettre des choses en place pour tout ça, […] ça faisait je
sais pas combien de temps qu'il essayait de mettre ça en place mais que ça tombait
chaque fois à l'eau. Mais bon avant j'étais pas élue donc maintenant au lieu qu'ils
soient 2 on est 3 donc peut-être que ça peut changer la donne ».
Le troisième sous-thème « aide par intervention tardive auprès du harceleur »
correspond à toutes les remarques que les témoins ont pu faire au harceleur en aparté
du moment conflictuel, comme le témoin 7 qui en tant qu’amie de la « harceleuse » a
pu se le permettre : « elle n'avait qu'une obsession, c'était de lui faire la peau, "de
toute façon, je l'aurais, je lui ferais la peau". Et j'ai essayé de lui faire comprendre que
ça n'avait pas de sens ».
Le quatrième sous-thème « soutien matériel et fonctionnel » relève donc d’un
comportement de soutien orienté vers l’aide concrète du quotidien. Le témoin 8 est la
seule à avoir mise en place ce comportement. Elle est allée jusqu’à s’installer chez la
personne cible « je lui ai dit c’était plus fort que moi je savais pas faire autrement, je
devais être présente pour toi, pour t’aider à ce moment-là quoi donc c’est vrai que je
suis restée… je suis allée très souvent chez lui. J’ai même désinvesti un peu ici pour
être… j’étais plus souvent chez lui que chez moi », et a aussi aidé sa mère « Quand il
était super mal ça m’est arrivée d’aller faire les courses pour sa maman ».
Le cinquième sous-thème « soutien par proposition de divertissement »
s’apparente à toutes les invitations à boire un verre ou partager un repas. Le témoin 3
souhaitait plutôt distraire la personne cible « aller boire un verre et discuter » tandis
que le témoin 4 avait plutôt pour objectif d’inclure la personne cible dans le groupe de
collègue « Parce que, une fois par semaine, j'allais manger avec tout le groupe et je
commençais à l'inviter peu à peu ». Ce comportement pourrait être considéré comme
45
à faible implication, cependant les témoins de notre étude ont dû accepter de montrer
leur soutien en public souvent au sein même de l’entreprise.
Le thème haute immédiateté et haute implication correspond à un
comportement pro-social très engageant effectué pendant la scène même de conflit.
C’est le cas lors de l’ « aide par intervention immédiate auprès du harceleur » qui sera
notre seul sous-thème de cette partie. Dans ce cas, les témoins sont intervenus en
s’adressant directement au harceleur pendant l’altercation. Les témoins 1 et 6, ayant
subis la même situation, ont été les seuls à développer ce type de comportement. Au
moment où une insulte a été proférée par le « harceleur », le témoin 6 explique : « j'ai
quand même pris mon courage à deux mains, et j'ai dit "je trouve ça incroyable, quand
même, d'entendre de votre bouche que vous le traitiez de connard" ».
5.3.1.2. Conclusion de la rubrique
On observe donc dans le tableau 3 que les comportements pro-sociaux
développés par les témoins sont majoritairement à faible immédiateté et haute
implication. En effet l’ensemble des témoins a mis en place au moins un
comportement de ce type. Dans ce thème, les comportements d’aide sont plus
plébiscités que les comportements de soutien ; cependant dans le thème « faible
immédiateté et faible implication », le soutien émotionnel s’avère être le
comportement le plus développé par les témoins puisque 7 personnes sur 8 l’ont mis
en place et sont plutôt insistants à ce propos. Le soutien informationnel n’est
développé que par 2 personnes. De la même façon les comportements à haute
immédiateté et haute implication tels que l’intervention immédiate auprès du
harceleur est, elle aussi, peu développée.
5.3.2. L’attribution causale et de responsabilité
L’attribution causale et de responsabilité est décomposée très simplement en
trois thèmes selon que la responsabilité est attribuée au harceleur, à l’entreprise ou à
46
la victime. Puis les raisons sont approfondies par différents sous-thèmes, comme le
montre le tableau suivant :
T 1 T 2 T 3 T 4 T 5 T 6 T 7 T 8 Total
Responsabilité du
« harceleur »
Exercice abusif de l'autorité
1 0 2 0 0 3 3 2 5/8
Problèmes relationnels et
communicationnels 0 3 0 3 0 2 2 0 4/8
Personnalité « inadaptée »
0 0 0 0 0 2 2 0 2/8
Responsabilité de l'entreprise
Management soutenant le harcèlement
0 2 0 0 0 0 0 3 2/8
Passif de harcèlement
0 1 0 0 0 1 0 0 2/8
Responsabilité de la
« victime »
Partiellement fautive
0 1 0 2 0 0 0 0 2/8
Pas fautive 0 1 1 1 0 0 0 1 4/8
Tableau 4: Attribution causale et de responsabilité
5.3.2.1. Description de la rubrique
Le premier thème « responsabilité du harceleur » présente trois sous-thèmes
tentant d’expliciter la vision des témoins.
Le premier sous-thème « exercice abusif de l’autorité » expose la
responsabilité du harceleur sous le jour d’un hyper-contrôle ou d’une autorité trop
présente avec des comportements ou remarques exagérées. Le témoin 6 exprime bien
cela : « C'était incroyable, dès qu'il arrivait, c'était la panique à bord, au laboratoire,
même quand on est en train de travailler, on a l'impression qu'il fallait en faire plus, de
manière visuelle, il fallait vrai... vraiment montrer qu'on est vraiment en train de faire
quelque chose. Sinon, il nous saute dessus, "qu'est-ce que tu fais ?", machin, et tout, il
passait cinq fois par jour pour demander où est-ce qu'on en était, dans le travail. Tout
le temps contrôle, dès qu'on est sur l'ordinateur, alors qu'on travaille, il passe avec un
47
regard... mais monstrueux, genre heu... on est en train de faire quelque chose de très
très mal, le moindre retard, enfin bref, à chaque fois qu'il y avait quelque chose, c'était
tout de suite une réprimande ».
Le deuxième sous-thème « problèmes relationnels et communicationnels »
correspond à un « harceleur » dont la responsabilité est de ne pas savoir communiquer
ou interagir avec son équipe au point de créer des tensions extrêmes pouvant amener
à des comportements abusifs. Le témoin 4 rapporte le comportement du supérieur
hiérarchique : « le boss qui lui disait il faut que tu fasses comme ça, comme ça, comme
ça, il faut que tu fasses ça et ça et ça, et quand elle disait "écoute j’ai un petit
problème" il fait "je veux rien savoir tu le fais sinon tu auras une autre place" il faisait
une sorte de pression et il l’a harcelait dans le genre « de toute façon tu es pas bonne
dans ton travail, tu sers à rien » je ne sais pas si ça c’est aussi une forme de
harcèlement mais pour moi ça l’est de l’entendre dire "tu sers à rien, tu comprends
rien" ». Et le témoin 6 explique, à propos du harceleur « qu'il avait un vrai problème, de
management, de gestion, qu'il ne savait pas nous gérer, qu'il avait une emprise sur tout
et qu'il savait pas nous parler ».
Le troisième sous-thème « personnalité inadaptée » évoque la responsabilité
du « harceleur » sous l’angle d’une personnalité que l’on a qualifié d’inadaptée. En
effet le témoin 6 nous dit à plusieurs reprises que le « harceleur » n’est pas normal : «
on s'est rendu compte que le gars était pas net du tout […] on a commencé à interagir
directement avec lui, et on s'est rendu compte que ce gars-là est pas normal, quoi […]
Là, on a compris que ce qu'il nous faisait, sa façon d'interagir avec heu... son personnel
était pas normal du tout ». Le témoin 7 explique aussi ce phénomène mais en
développant plutôt l’aspect de souffrances personnelles du « harceleur » difficilement
compatible avec une fonction de management.
Le thème « responsabilité de l’entreprise » évoque la part de responsabilité de
l’entreprise dans le développement de comportements harcelants.
Le premier sous-thème « management soutenant le harcèlement » montre la
responsabilité de l’entreprise dans la mise en place d’un management qui peut amener
à des dérives. Le témoin 8 développe bien cela dans ses propos : « on n’avait jamais de
réunion d’équipe. Jamais. Donc, tout était fait à la tête du client, en fait. Il n’y avait
48
jamais de réunion où on pouvait s’exprimer. On recevait des ordres, point. Mais donc,
on sait difficilement fonctionner là-dedans. Voilà, donc, le type de management a
favorisé, enfin, ou en tout cas, favorise des pervers à s’immiscer là-dedans et à tirer leur
flûte, quoi, ça s’est sûr ».
Le deuxième sous-thème « passif de harcèlement » correspond aux entreprises où du
harcèlement s’est déjà produit et où le témoin estime que cela est une faute de l’entreprise. Le
témoin 2 explique que cela s’est déjà produit dans le même service et envers la même
personne : « en fait c'est récurrent. Il a déjà subit du harcèlement il y a quelques années
mais moi j'étais pas encore là. Dans cette même entreprise ? Oui mais avec d'autres
personnes. […] Alors il se dit mais c'est de ma faute, c'est moi, bah je dis bah non, mais
y'a peut-être quelque chose, c'est pas que lui, y'a un système, y'a quelque chose qui fait
que… ». Et le témoin 6 reproche à l’entreprise d’avoir caché le passif de harcèlement de son
chef de service : « il y a aussi l'entreprise, parce qu'elle savait que ce gars-là avait déjà
un problème, avant, ils l'ont... ils nous l'ont un peu caché. Moi j'aurais aimé savoir, en
arrivant, que le gars avait déjà un passif, à ce niveau-là ».
Le thème « responsabilité de la victime » n’apporte pas de détails quant aux
raisons, car les témoins restent très flous sur le sujet. Cependant, l’on peut distinguer
deux types de propos :
- ceux imputant une part de responsabilité à la victime sans plus d’explications,
formant le premier sous-thème « partiellement fautive ». De cette façon, le
témoin 2 dit « Ils ont chacun leurs torts », et le témoin 4 se montre plus tranché
en expliquant que « la personne ciblée, elle n'avait rien fait pour changer dès le
début, elle a laissé les choses aussi ».
- et ceux justifiant qu’elle n’avait aucun tort formant le second sous-thème « pas
fautive ». Le témoin 3 exprime que le fait que la personne cible n’ait selon lui
rien à se reprocher l’a amené à agir pour elle : « si maintenant lui n’avait été de
bonne foi, déjà premièrement, si j’estimais que son boulot était mal fait, là c’est
clair que j’aurais pris une autre décision ».
49
5.3.2.2. Conclusion de la rubrique
Le tableau 4 nous montre donc que la responsabilité du harceleur est quasi
systématiquement engagée puisque 7 témoins sur 8 l’ont évoqué et la seule personne
qui ne l’a pas faite ne s’est pas prononcée du tout sur l’attribution causale et de
responsabilité dans ses propos, même si nous pouvons observer que dans le
questionnaire elle a estimé le « harceleur » responsable. En effet, les données sont
peu fournies sur ce point n’ayant pas interrogé directement les témoins afin de ne pas
les influencer. Cependant, dans le thème « responsabilité du harceleur », ce sont les
sous-thèmes « exercice abusif de l’autorité » et « problèmes relationnels et
communicationnels » qui semblent expliquer le plus cette attribution puisqu’à eux
deux, ils représentent l’ensemble des témoins s’étant exprimés et leurs propos sont
plutôt insistants à ce sujet. Les responsabilités de l’entreprise et de la victime restent,
elles, peu citées même si 4 témoins sur 8 ont considéré que la victime n’était pas
fautive.
5.3.3. Lien entre les comportements pro-sociaux et l’attribution causale et
de responsabilité
Afin de tester notre première hypothèse, nous allons à présent comparer les
résultats de l’analyse catégorielle et des questions fermées, concernant les
comportements pro-sociaux et l’attribution causale et de responsabilité. Notre
hypothèse H1 émettait l’idée que l’attribution causale et de responsabilité que fait le
témoin de la situation influencerait ses comportements pro-sociaux, et notamment
que si un témoin attribut une causalité interne à la victime, il en développera moins. Le
tableau 5 page suivante permet de rassembler les données nécessaires à l’analyse.
50
T1 T2 T3 T4 T5 T6 T7 T8 Total
Faible
immédiateté / Faible
implication
Soutien informationnel
0 0 0 3 0 0 0 2 2/8
Soutien émotionnel
1 2 2 1 3 3 0 3 7/8
Faible
immédiateté / Haute
implication
Aide par intervention auprès d'une hiérarchie ou
juridiction
3 0 1 2 2 3 0 0 5/8
Aide par investissement syndical ou au
CPPT
0 1 0 0 0 0 0 2 2/8
Aide par intervention
tardive auprès du « harceleur »
0 0 0 1 0 0 3 0 2/8
Soutien matériel et
fonctionnel 0 2 0 0 0 0 0 0 1/8
Soutien par proposition de divertissement
1 1 1 2 0 0 0 0 4/8
Haute
immédiateté / Haute
implication
Aide par intervention
immédiate auprès du « harceleur »
2 0 0 0 0 3 0 0 2/8
TOTAL du nombre de type de comportements pro-sociaux
différents développés 4/8 4/8 3/8 5/8 2/8 2/8 1/8 3/8
Responsabilité du
« harceleur »
Exercice abusif de l'autorité
1 0 2 0 0 3 3 2 5/8
Problèmes relationnels et
communicationnels 0 3 0 3 0 2 2 0 5/8
Personnalité « inadaptée »
0 0 0 0 0 2 2 0 2/8
51
Tableau 5: Lien entre les comportements pro-sociaux et l'attribution causale et responsabilité
Dans un premier temps, on observe que les données de l’analyse et du
questionnaire concernant l’attribution sont tout à fait cohérentes. En effet, mis à part
le témoin 5 qui ne s’est pas prononcé sur la responsabilité du « harceleur » dans
l’interview, comme nous l’évoquions précédemment, tous les témoins ont à la fois
estimé que le « harceleur » était responsable dans la question fermée et dans leurs
propos, quel que soit la raison invoquée. Il va de même pour la responsabilité de
l’entreprise. Cependant on observe que le témoin 2 s’est permis d’imputer une part de
responsabilité à la « victime » dans ses propos mais pas dans le questionnaire.
Néanmoins, l’attribution de responsabilité à la personne cible reste flou puisque les
deux témoins l’ayant déclaré comme partiellement fautive ont aussi eu des propos la
déclarant non fautive.
De plus, on observe que l’analyse de contenu pourrait permettre d’expliquer
les réponses aux questions fermées, comme pour le témoin 6 qui semble estimer que
l’entreprise est en partie responsable puisqu’elle a un passif de harcèlement, ou
comme pour les témoins 2 et 8 qui dénoncent, dans l’entreprise, le management
soutenant face au harcèlement.
Dans un second temps, on remarque que notre première hypothèse ne semble
pas validée ici puisque le témoin 4 qui est le seul à avoir osé attribuer ouvertement
Responsabilité de l'entreprise
Management soutenant le harcèlement
0 2 0 0 0 0 0 3 2/8
Passif de harcèlement
0 1 0 0 0 1 0 0 2/8
Responsabilité de la
« victime »
Partiellement fautive
0 1 0 2 0 0 0 0 2/8
Absolument pas fautive
0 1 1 1 0 0 0 1 4/8
Attribution causale et de
responsabilité
« Harceleur » X X X X X X X X 8/8
« Victime » X 1/8
Entreprise X X X 3/8
52
une part de responsabilité à la victime est aussi celui qui a développé le plus grand
nombre de comportements d’aide et de soutien différents.
Enfin, que les témoins attribuent la responsabilité au « harceleur » et à
l’entreprise conjointement, ou uniquement au « harceleur », cela ne semble pas
influer sur leur développement de comportements pro-sociaux.
Au vu de ces résultats, nous allons à présent nous pencher sur les autres raisons
que les témoins ont évoquées pour justifier le fait d’être intervenu ou non, afin de
mieux comprendre leur comportement.
5.3.4. Les justifications des comportements
Comme nous l’évoquions précédemment, cette rubrique est apparue au fil de
l’analyse puisque ce sont les témoins qui ont apporté ces éléments d’informations
supplémentaires, qu’il nous a semblé judicieux d’exposer ici. En effet, ces justifications
représentent l’apport majeur d’une analyse de contenu. Nous avons donc choisi de
distinguer trois thèmes selon que les propos justifiaient l’action du témoin, son
inaction, ou expliquait son ambivalence à agir.
T 1 T 2 T 3 T 4 T 5 T 6 T 7 T 8 Total
Action
Besoin de justice
3 3 3 1 2 1 2 0 7/8
Solidarité 3 0 0 0 0 3 0 0 2/8
Amitié 1 2 0 0 0 2 3 1 5/8
Pas peur de perdre son
emploi 0 1 2 3 0 2 2 1 6/8
Personnalité prompte à
réagir 2 1 2 0 0 3 3 3 6/8
Vécu de harcèlement
2 0 0 3 1 0 1 0 4/8
53
Ambivalence à l'action
Difficultés psychiques
1 1 0 1 2 3 1 0 6/8
Respect excessif de la
hiérarchie 3 0 0 0 0 3 0 0 2/8
Inaction
Peur financière
1 0 0 0 2 0 0 0 2/8
Peur pour l'avenir
professionnel 3 1 0 0 3 1 0 0 4/8
Peur des représailles
2 0 0 3 0 1 2 0 4/8
Conformité 0 1 0 3 0 1 0 0 3/8
Hors-rôle 0 0 0 1 0 0 1 2 3/8
Sentiment d'auto-
efficacité insuffisant
0 1 0 0 2 1 0 0 3/8
Tableau 6: Les justifications du comportement
5.3.4.1. Description de la rubrique
Le premier thème « action » explique donc ce qui a poussé les témoins à
développer des comportements pro-sociaux d’aide et de soutien. Il se décompose en
six sous-thèmes.
Le premier sous-thème « besoin de justice » a été cité par des personnes qui
disent ne pas supporter l’injustice, et expliquent s’être senties légitimes d’intervenir
car ils estimaient que la cause est juste. Le témoin 2 nous l’explique : « je sais où je
mets mes forces, je me dis que je me bats pour une justice », tout comme le témoin 3 :
« c’était vraiment plus parce que c’était pas juste et il faut pouvoir dénoncer certaines
choses en entreprise ».
Le deuxième sous-thème « solidarité » évoque la puissance du groupe et de la
solidarité entre collègues lorsque l’on souhaite mettre en place des comportements
pro-sociaux. Le témoin 1 nous le confirme : « On est toujours plus fort en groupe donc
54
on essayait au maximum de faire des actions groupées parce que ça avait plus de
poids ».
Le troisième sous-thème « amitié » correspond au rôle que l’amitié peut avoir
dans l’investissement des témoins, que ce soit vis-à-vis de la personne cible ou du
« harceleur ». Le témoin 3 nous explique cela par rapport à la personne cible : « Mais
je pense que je suis aussi plus investi parce que c’est mon ami quoi ». Et le témoin 7 par
rapport au « harceleur » : « quand on a la possibilité comme moi d'être près, dans une
relation particulière avec la hiérarchie qu'on voit agir, bah peut-être que... ce n'est pas
une chance, mais que... euh... peut-être que de faire changer au moins une personne, je
n'aurais pas perdu complètement mon temps ».
Le quatrième sous-thème « pas peur de perdre son emploi » correspond aux
personnes qui disent ne pas avoir peur de perdre leur emploi que ce soit du fait d’une
situation particulière (CDD, …), ou simplement de par leur statut de fonctionnaire ou
du fait de leur élection à un comité protégé tel que le CPPT, comme nous l’indique le
témoin 2 : « Non j’ai jamais eu peur des conséquences. Je sais pas si c’est une garantie
mais je fais partie du CPPT donc je suis quelque part protégée du licenciement ».
Le cinquième sous-thème « personnalité prompte à agir » correspond aux
personnes qui manifestent ne pas avoir pu faire autrement qu’agir, et qui souvent
l’attribue à leur caractère ou leur personnalité. Le témoin 2 nous dit à ce propos :
« j’aurais pas pu faire autrement c’était plus fort que moi », et le témoin 3 : « je ne
pouvais pas ne rien faire, c’était pas possible et je m’en serais voulu ».
Le sixième sous-thème « vécu de harcèlement » évoque un vécu antérieur ou
actuel de harcèlement chez certains témoins. Lorsque je demande au témoin 4
pourquoi elle a aidé le témoin, elle me répond ceci : « Parce que quand j'étais à l'école
primaire, je me suis fait beaucoup harceler […] je crois vraiment que ça a dû être le fait
que moi aussi j'ai souffert beaucoup quand j'étais à l'école primaire. C'était sûrement
ça. Et je n'aime pas voir ces injustices. Parce que quand j'étais à l'école primaire, il n'y
avait personne qui m'a aidé. Et j'aurais bien voulu qu'il y ait des gens qui m'aident, qui
me supportent, qu’il y ait des gens qui me donnent la main ».
Le thème « ambivalence à l’action » présente les éléments qui peuvent rendre
délicat la décision de s’investir en tant que témoin.
55
Le premier sous-thème « difficultés psychiques » évoque les difficultés
psychologiques qu’une aide soutenue peut occasionner chez le témoin. En effet, le
témoin 4 nous dit à propos des comportements pro-sociaux qu’elle a développé : « à
certains moments, vers la fin, j'avais eu un ras-le-bol. Ce type de comportement fait en
sorte qu'on ait très très vite un ras-le-bol. C'est dur parce que c'est... c'est très
psychique ».
Le deuxième sous-thème « respect excessif de la hiérarchie » a été cité par les
témoins qui expliquent avoir un schéma du respect dû à la hiérarchie très ancré. Le
témoin 1 en est par exemple venu à cette conclusion : « Bah quand je me dis "pourquoi
t’as pas agis comme ça, pourquoi t’as pas fait ça là ?", j’en ai conclu à postériori que
c’était en partie à cause du schéma de respect dû à un professeur ou un chef ».
Le thème « inaction » développe les raisons qui ont parfois empêché les
témoins d’intervenir.
Le premier sous-thème « peur financière » évoque bien entendu l’enjeu
financier qu’un emploi représente, et la peur qui en découle lorsque l’on choisit de
prendre parti dans un conflit interne. Le témoin 5 le mentionne clairement : « Donc il y
avait que mon revenu pour nourrir trois bouches, trois bouches : ma femme, mon
enfant et moi-même. Tu vois, donc il y avait quand même des enjeux financiers ».
Le deuxième sous-thème « peur pour l’avenir professionnel » présente l’enjeu
pour la carrière et l’évolution professionnelle des témoins, qui risque d’être
compromise s’ils se positionnent ouvertement. Le témoin 5 l’évoque aussi : « mon
avenir dépendait et dépend de lui. Demain si je postule pour faire de la recherche, on va
certainement l'appeler, et il ne va certainement pas me faire de cadeau, tout
simplement parce que j'ai porté plainte contre lui. Et tous les jours, tous les jours, tu te
réveilles avec ça, tu dors avec ça, tu travailles avec ça, avec une boule d’angoisse, avec
de la peur, avec le désir de faire plaisir pour... ».
Le troisième sous-thème « peur des représailles » correspond à une peur de se
voir pris en grippe à son tour par le « harceleur ». Le témoin 4 nous en a parlé : « Au
début, j'avais peur que les gens se retournent contre moi, que ce serait moi le bouc
émissaire. Ça, j'avais peur ».
56
Le quatrième sous-thème « conformité » évoque la peur du jugement des
autres avec le besoin de se conformer aux attentes et aux normes de la société. Le
témoin 4 insiste à plusieurs reprises sur ce point : « Parce que, au début, quand on
travaille, quand on commence à travailler, on veut être sympa avec tout le monde, on
veut leur montrer qu'on appartient au groupe, on veut tisser des liens d'appartenance.
On veut leur montrer "Voilà, je suis bien aussi, je fais du bon boulot". On veut une
approbation du groupe ».
Le cinquième sous-thème « hors-rôle » évoque la justification que fournissent
les témoins quand ils estiment que ce n’est pas leur rôle d’intervenir, que leur place
dans la société n’était pas celle-là. Le témoin 4 nous le dit très clairement : « En plus, je
trouvais aussi que ce n'est pas mon rôle de le faire. Ce n'était pas mon rôle de le faire,
c'était aux autres responsables, c'était au directeur de prendre les décisions ».
Le sixième et dernier sous-thème « sentiment d’auto-efficacité insuffisant »
présente les difficultés que les témoins peuvent avoir face au « harceleur », le fait
qu’ils ne se sentent pas toujours capables, suffisamment forts ou confiants pour réagir.
Le témoin 2 nous l’explique ouvertement : « c’est mon caractère. Quand elle est
virulente ou qu’elle l’agresse avec plusieurs, je suis incapable de répondre, moi ça me
mets dans un état, j’ai le souffle coupé, je ne sais pas répondre. Je veux bien le soutenir
mais je ne sais pas répondre à une attaque ».
5.3.4.2. Conclusion de la rubrique
En conclusion, on observe tout d’abord dans le tableau 6 un premier élément
important. En effet, les justifications qui semblent pousser à l’action sont très
différentes de celles provoquant l’inaction.
Concernant l’action, le besoin de justice est le sous-thème le plus cité puisque
sept témoins sur huit l’ont évoqué. Mais le fait d’avoir une personnalité prompte à
réagir ainsi que le fait de ne pas avoir peur de perdre son emploi semblent aussi très
importants puisque six témoins sur huit l’ont mentionné. L’amitié et le vécu de
harcèlement paraît aussi jouer un rôle étant donné que, respectivement, cinq et
quatre personnes sur huit l’ont abordés. Puis en moindre mesure, la solidarité
mentionnée par deux témoins dont le harcèlement était groupal.
57
Concernant les justifications de l’inaction, la peur des représailles et la peur
pour l’avenir professionnel sont les sous-thèmes les plus importants de ce thème avec
quatre témoins sur huit qui ont souvent insisté dessus. De plus, en toute logique les
deux sous-thèmes « peur financière » et « peur pour l’avenir professionnel »
répondent presque symétriquement au sous-thème « ne pas avoir peur de perdre son
emploi » du thème « action ». Puis dans une proportion plus faible, les sous-thèmes
« conformité », « hors-rôle » et « sentiment d’auto-efficacité insuffisant » ont été
mentionnés par trois témoins.
Pour finir le thème « ambivalence à l’action » semble montrer que les
difficultés psychiques que ces situations provoquent sur les témoins ne sont pas
négligeables au vu des six témoins sur huit qui l’ont au minimum abordé une fois.
Afin de clarifier cette rubrique qui nous semble très riche en informations, nous
avons construit un arbre hiérarchique l’illustrant comme le montre la figure 2 page
suivante.
58
Figure 2: Arbre hiérarchique des justifications du comportement
Justifications du comportement
Action
Besoin de justice
Solidarité
Amitié
Pas peur de perdre son
emploi
Personnalité prompte à réagir
Vécu de harcèlement
Ambivalence à l'action
Difficultés psychiques
Respect excessif de la hiérarchie
Inaction
Peur financière
Peur pour l'avenir
professionnel
Peur des représailles
Conformité
Hors-rôle
Sentiment d'auto-efficacité
insuffisant
59
5.3.5. Le processus organisationnel
Dans le questionnaire, nous avions choisi de définir trois types de sous-culture
de climat organisationnel selon la typologie de Leblanc et ses collègues (2004),
cependant il est très difficile de retrouver une classification aussi nette dans les propos
des témoins. Nous avons donc décidé de distinguer les conditions organisationnelles
préexistantes avant le phénomène de harcèlement ; et les conditions processuelles qui
peuvent être des particularités de l’organisation présentes au moment du harcèlement
voire même participantes au processus de harcèlement.
L’entreprise et le service ont aussi été différenciés dans l’intitulé des sous-
thèmes afin de bien noter le contexte dans lequel le témoin installe sa pensée, puisque
nous nous sommes rendus compte que pour de nombreux témoins la réalité de
l’entreprise passait avant tout par l’ambiance du service dans lequel ils travaillaient.
T 1 T 2 T 3 T 4 T 5 T 6 T 7 T 8 Total
Conditions préexistantes
Pression / stress 1 0 2 3 0 0 1 2 5/8
Manque de justice de
traitement dans l'entreprise
1 0 0 2 1 1 0 0 5/8
Antécédents de harcèlement
dans l'entreprise 1 0 1 0 2 2 1 0 5/8
Conditions processuelles
Chef de service manipulateur
2 0 0 0 3 3 0 2 4/8
Incompétence (contenu et
relationnel) du chef de service
2 2 1 1 2 3 3 3 8/8
Manque de justice
distributive dans le service
0 3 0 0 0 0 0 3 2/8
Manque de justice
procédurale dans le service
0 3 2 1 2 0 0 2 5/8
60
Diffusion de médisances sur la victime dans
le service
1 3 0 2 1 2 0 1 6/8
Soutien du harcèlement par
la hiérarchie 0 3 2 2 0 0 2 2 5/8
Souhait de conserver l'image de
l'entreprise
2 0 1 0 0 0 0 0 2/8
Climat de permissivité
dans l'entreprise 0 0 1 3 0 0 0 3 3/8
Soutien par l'entreprise du
développement de
comportements pro-sociaux
0 0 0 0 1 2 0 0 2/8
5.3.5.1. Description de la rubrique
Dans le premier thème « conditions préexistantes », on discerne trois sous-
thèmes.
Le premier sous-thème « pression/stress » évoque un climat de stress très
présent dans l’entreprise. Le témoin 4 explique l’ampleur des enjeux créant un stress
omniprésent : « donc il y avait beaucoup beaucoup de stress et c’est plusieurs
départements qui doivent travailler ensemble pour faire fonctionner l’aéroport parce
que sinon s’il y a un département qui faille y’a un effet domino […] si un jour un
département décide de faire grève, ce qui a eu le cas après, on ferme l’aéroport, et si
l’aéroport ferme on perd un million en une journée, et l’aéroport a été fermé pendant 5
jours, 5 millions. Donc il y avait pas mal de pression, parce qu’à la finale c’est nous qui
devons justifier le budget, donc nous on avait pas mal de pression ». Mais cette
situation s’avère récurrente pour plusieurs témoins, pour des raisons diverses.
Tableau 7: Le processus organisationnel
61
Le deuxième sous-thème « manque de justice de traitement dans
l’entreprise » correspond à des différences de traitement entre les employés,
notamment vis-à-vis de cette situation de harcèlement. Les témoins 1, 5 et 6 ayant
vécu la même situation dénoncent ce phénomène, que le témoin 1 nous explique :
« Les deux qui n’osaient pas, on a pas pu les incruster dans l’affaire parce qu’ils ont pas
porter plainte officiellement dès le début, […] et quand ils ont senti qu’ils pouvaient
rejoindre le groupe, y’a quand même eu un schisme qui a fait qu’ils sont quand même
restés en retrait et que maintenant ils sont toujours dans le labo. C’est dommage,
quand y’a un bateau qui coule tu sors tout le monde, tu laisses pas les deux… allez quoi
y’a un souci » « A ce niveau-là je trouve ça honteux, tout le monde est au courant, tout
ceux qui doivent être au courant sont au courant et y’a rien qui se passe, les gars ils
sont là, en souffrance… on les laisse ».
Le troisième sous-thème « antécédents de harcèlement dans l’entreprise » se
rapproche du sous-thème « passif de harcèlement » dans le thème « responsabilité de
l’entreprise » de la rubrique « attribution causale et de responsabilité », mais cette fois
le passif de harcèlement dans l’entreprise n’est pas nécessairement vécu comme une
faute de l’entreprise mais plutôt comme un fait connoté ou non négativement. Le
témoin 7 nous le présente de façon relativement neutre : « c'est une boîte où j'ai déjà
travaillé, et où j'ai déjà subi du harcèlement, il y a, il y a plus de vingt ans ». Tandis que
le témoin 5 nous l’explique plutôt sur le ton de la colère mais sans directement en
imputé la faute à l’entreprise : « Surtout qu'à un moment donné, en discutant avec des
collègues, on s'est rendu compte qu'il a eu les mêmes problèmes en 2000 ou 2001.
Donc à ce moment-là, il y avait harcèlement sexuel, il y avait harcèlement moral, il y
avait tout ».
Le second thème « conditions processuelles » se penche donc sur ce qui était
contemporain à la situation de harcèlement.
Le premier sous-thème « chef de service manipulateur » évoque la
particularité d’un chef de service plutôt manipulateur, culpabilisant ou
instrumentalisant dans son rapport avec ses employés. Il faut noter que le chef de
service en question, pour les témoins ayant cité ce sous-thème, correspondait toujours
au « harceleur ». Le témoin 1 , qui a vécu la même situation que le témoin 5 et 6 qui
62
ont aussi évoqué ce sous-thème, décrit très bien ce phénomène : « il peut faire en
sorte de te dire n’importe quoi mais tu vois dans le seul but que tu t’excuses et que lui
soit à nouveau le chef et que lui à nouveau domine donc il te ment en te disant que lui a
toujours tout fait pour toi, que c’est grâce à lui si tu es là, que sans lui tu ne sais pas
continuer, que tu as besoin de lui. Puis en disant que mon comportement depuis
quelques temps est réellement inadéquat, en fait il te fait culpabiliser et te montre que
lui est vraiment là pour t’aider et que tu as besoin de lui ».
Le deuxième sous-thème « incompétence (contenu et relationnel) du chef de
service » est cité par tous les témoins, et se situe selon les personnes plutôt au niveau
des connaissances et des compétences techniques que le chef de service n’aurait pas,
ou plutôt au niveau de l’incompétence relationnelle avec un type de management
impulsif décrit comme mettant l’accent sur la peur et les critiques. Le témoin 2 donne
sa vision de l’incompétence de sa directrice : « Elle n'est pas très compétente et en fait
ce qu'il y a c'est qu'elle le sait, je pense qu'elle doit le savoir, et elle a peur d'être
démasquée en fait je pense dans son incompétence et donc elle fait diversion en faisant
chier les autres en gros c'est vraiment ça ». Tandis que les témoins 1 et 6 décrivent le
management par la peur, le témoin 1 nous dit : « on discutait et quand il arrivait qu’on
entendait ses clés ou son sifflement on se barrait tous, mais effrayés », et le témoin 6 :
« il était tellement autoritaire et contrôleur qu'à un moment donné, t'as peur, quoi ».
Le troisième sous-thème « manque de justice distributive dans le service »
correspond à une différence flagrante entre les personnes dans la façon dont les
choses sont attribuées. Le témoin 2 explique qu’elle ne supportait pas cette
différence : « c’est terriblement injuste, c’est injuste déjà d’être partial, la direction a
ses chouchous et ils peuvent tout faire et en fait ce qui s’est passé c’est que j’ai observé
qu’il n’avait pas les mêmes droits que les autres ». Le témoin 8 s’exprime aussi sur le
sujet : « Quand les jardiniers, on sait qu’ils ont besoin de deux paires de chaussures, […]
quand on a un chef qui est un peu véreux et pernicieux, il va dire "Celui-là y a droit, et
l’autre n’y a pas droit". Il y avait des choses comme cela qui se passaient ».
Le quatrième sous-thème « manque de justice procédurale dans le service »
évoque un problème de clarté des procédures dans le service comme nous l’explique
très bien le témoin 2 : « elle change tout le temps les règles, tout le temps, tout le
temps, tout le temps, pour lui c’est vrai que c’est… comme le cadre n’est pas clair pour
63
finir moi aussi je sais plus quoi et c’est angoissant c’est très angoissant parce qu’on sait
jamais quand elle va nous tomber dessus ».
Le cinquième sous-thème « diffusions de médisances sur la victime dans le
service » correspond aux rumeurs ou propos désobligeants que les collègues ou le
« harceleur » ont pu diffuser sur la victime. Le témoin 2 explique cela : « Ma collègue
[…] dénigrait J.-L. à mes yeux en me disant que c’était un manipulateur… qu’est-ce
qu’elle m’a encore dit… des trucs abominables… […] je me suis dit mais enfin qu’est-ce
que notre direction a été mettre dans la tête de mon amie […] et je me dis que notre
directrice a foutu la merde partout, dans toute l’équipe en allant raconté des trucs faux
pour savoir le vrai, en inventant des machins, bref, je n’essaie même plus de penser à
tout ça, peu importe, elle a foutu la merde, vraiment la merde ».
Le sixième sous-thème « soutien du harcèlement par la hiérarchie » présente
les entreprises où le harcèlement a été soutenu que ce soit en marchant dans le jeu
des « harceleurs » avec parfois même des relations de pouvoir protégées comme l’a
évoqué le témoin 2, ou en refusant d’intervenir et de jouer son rôle comme l’exprime,
entres autres, le témoin 3 : « ils défendront systématiquement le chef de village quoi
qu’il arrive qu’il ait tort ou raison ».
Le septième sous-thème « souhait de conserver l’image de l’entreprise »
correspond aux entreprises qui donnent un grand intérêt à l’image qu’elles dégagent
et font en sorte de ne pas la salir. En effet le témoin 1 nous explique cela à propos
d’une institution reconnue : « Chaque industrie a envie d’étouffer ce genre d’affaire,
n’a pas envie que ça se sache publique et dans mon entreprise on n’arrête pas de te
parler de moral, de justice, de libre examen, et je suppose que tout en ayant ses belles
paroles, quand une injustice survient ils essaient quand même de l’étouffer pour que ça
fasse pas trop de bruit au niveau des médias, au niveau de l’image de l’entreprise qu’il
faut absolument protéger, donc l’affaire est restée coincée dans l’entreprise ». Ainsi
que le témoin 3 concernant une célèbre enseigne de villages de vacances : «
L’entreprise elle-même a défendu ses intérêts le plus longtemps possible.
Obligatoirement… l’image ».
Le huitième sous-thème « climat de permissivité dans l’entreprise » présente
les entreprises où le climat est perçu comme ultra permissif sans sanctions apparentes.
Dans notre cas, c’est dans le secteur public que les témoignages des témoins 4 et 8, qui
64
ont mentionné ce sous-thème, s’inscrivent. Le témoin 4 nous explique d’ailleurs
qu’étant donné leur sécurité de l’emploi les employés de son entreprise se pensent
tout permis : « c'est une machinerie, une mentalité qui a été mise en place, qui a fait
aussi que les gens, ils s'en foutent, il y a un non-foutisme. Et que ça fait en sorte que,
voilà, "Moi je m'en fous, je peux faire ce que je veux, je peux..." Il y avait des gens qui
disaient au directeur que c'était un grand connard. Moi, si je disais ça à un chef dans
une entreprise privée, le jour d’après je serais dans la rue ! C'est inimaginable ! ».
Le neuvième sous-thème « soutien par l’entreprise du développement de
comportements pro-sociaux » correspond aux entreprises où les comportements pro-
sociaux développés par les témoins et notamment les démarches de plainte ont été
soutenues. Seuls les témoins 5 et 6 ont évoqué ce sous-thème et il s’avère qu’ils
appartiennent à la même entreprise. Le témoin 5 nous dit : « L'ULB, le doyen nous a
soutenus. […] Mais dans tous les cas, l'ULB d'une manière générale nous a soutenus ».
5.3.5.2. Conclusion de la rubrique
A travers l’ensemble de ces thèmes et sous-thèmes, le tableau 7 nous montre
donc que dans les conditions préexistantes de l’organisation, les antécédents de
harcèlement dans l’entreprise sont tout de même cités par cinq témoins sur huit. De
même le stress souvent omniprésent à tous les échelons de la société est aussi cité par
le même nombre de témoins. Cela pourrait donc peut-être être des facteurs
favorisants.
Dans les conditions processuelles, il est intéressant de relever que
l’incompétence du chef de service (qui s’avère être toujours au moins un des
« harceleurs ») est mentionné par tous les témoins. Cela pourrait donc possiblement
être un facteur important. Le manque de justice procédurale dans le service est aussi
évoqué par cinq témoins, et la diffusion de médisances ou rumeurs sur la victime
semble courant puisque six témoins sur 8 l’évoquent. De plus, tous les témoins
travaillant dans une entreprise publique (3 sur 8) ont dénoncé un climat de
permissivité.
Malheureusement, on observe en parallèle que pour cinq témoins sur huit,
l’entreprise a soutenu le harcèlement, contre seulement deux témoins sur huit dont
65
l’entreprise a soutenu les comportements pro-sociaux (d’autant plus que ces deux
témoins appartenaient à la même entreprise).
5.3.6. Lien entre les comportements pro-sociaux et le processus
organisationnel
Afin de tester notre seconde hypothèse, nous allons à présent comparer les
résultats concernant les comportements pro-sociaux et le processus organisationnel.
Malgré leur intérêt, les résultats de l’analyse de contenu relatif au processus
organisationnel ne permettent pas une classification claire, c’est pourquoi nous avons
choisi d’utiliser les données du questionnaire pour pouvoir les comparer aux
comportements pro-sociaux développés.
Notre hypothèse H2 émettait l’idée que le contexte organisationnel
influencerait les comportements pro-sociaux développés par les témoins ; et
notamment que s’ils évoluaient dans une entreprise dont la sous-culture est de type
« constructive » ils développeraient plus de comportements pro-sociaux envers les
victimes que ceux issus d’une autre sous-culture.
T1 T2 T3 T4 T5 T6 T7 T8 Total
Faible
immédiateté / Faible
implication
Soutien informationnel
0 0 0 3 0 0 0 2 2/8
Soutien émotionnel
1 2 2 1 3 3 0 3 7/8
Faible immédiateté /
Haute implication
Aide par intervention auprès d'une hiérarchie ou
juridiction
3 0 1 2 2 3 0 0 5/8
Aide par investissement syndical ou au
CPPT
0 1 0 0 0 0 0 2 2/8
66
Nous n’avons ici que deux types de sous-culture organisationnelle représentés :
la sous-culture constructive où les employés sont encouragés à interagir les uns avec
les autres et à orienter leur travail de façon à rencontrer leurs besoins
d’accomplissement les plus élevés, et la sous-culture passive-défensive où les individus
interagissent de façon à préserver leur propre sécurité par une attitude de soumission
et de conformité. Les trois témoins de notre situation commune (témoins 1, 5 et 6)
disent appartenir à la sous-culture constructive, tandis que les cinq autres témoins
estiment appartenir à la sous-culture agressive-défensive. Il est à noter que lors de
leurs réponses, nous avons insisté sur le caractère global de l’ambiance de toute
l’entreprise et non leur service en particulier.
Cependant, nous ne notons pas de différences particulières entre les deux sous-
cultures dans le développement de comportements pro-sociaux. Ni le type, ni le
Aide par intervention
tardive auprès du « harceleur »
0 0 0 1 0 0 3 0 2/8
Soutien matériel et
fonctionnel 0 2 0 0 0 0 0 0 1/8
Soutien par proposition de divertissement
1 1 1 2 0 0 0 0 4/8
Haute immédiateté /
Haute implication
Aide par intervention
immédiate auprès du « harceleur »
2 0 0 0 0 3 0 0 2/8
TOTAL du nombre de type de comportements pro-sociaux
différents développés 4/8 4/8 3/8 5/8 2/8 2/8 1/8 3/8
Sous-culture de climat
organisationnel
Constructive X
X X
3/8
Passive-défensive (conformité)
X X X X X 5/8
Agressive-défensive
(compétitivité)
0/8
Tableau 8: Lien entre les comportements pro-sociaux et le processus organisationnel
67
nombre de comportements émis ne semblent significativement différents ce qui
tendrait à infirmer notre seconde hypothèse.
5.3.7. Lien entre le processus organisationnel et l’attribution causale et de
responsabilité
Afin de tester notre troisième et dernière hypothèse, nous allons à présent
comparer les résultats concernant le processus organisationnel et l’attribution causale
et de responsabilité. Cette hypothèse très exploratoire présume simplement un lien
entre ces deux éléments. Nous nous servirons des mêmes données que
précédemment.
T1 T2 T3 T4 T5 T6 T7 T8 Total
Responsabilité du
« harceleur »
Exercice abusif de l'autorité
1 0 2 0 0 3 3 2 5/8
Problèmes relationnels et
communicationnels 0 3 0 3 0 2 2 0 5/8
Personnalité « inadaptée »
0 0 0 0 0 2 2 0 2/8
Responsabilité de l'entreprise
Management soutenant le harcèlement
0 2 0 0 0 0 0 3 2/8
Passif de harcèlement
0 1 0 0 0 1 0 0 2/8
Responsabilité
de la « victime »
Partiellement fautive
0 1 0 2 0 0 0 0 2/8
Absolument pas fautive
0 1 1 1 0 0 0 1 4/8
Attribution causale et de
responsabilité
« Harceleur » X X X X X X X X 8/8
« Victime » X 1/8
Entreprise X X X 3/8
68
Aucun lien ne semble apparaître entre le processus organisationnel et
l’attribution causale et de responsabilité. Quel que soit la sous-culture, les témoins
déclarent tous considérer le « harceleur » responsable, au moins en partie. Puis des
différences individuelles apparaissent tant dans la première sous-culture que dans la
deuxième, puisqu’au moins une personne de chaque milieu déclare estimer aussi
l’entreprise responsable. Seuls les témoins 2 et 4, qui appartiennent tous les deux à la
culture passive-défensive, évoquent la responsabilité de la personne cible. Cependant,
cette particularité est à nuancer puisque les trois témoins appartenant à l’autre sous-
culture étaient à la fois « victime » et témoin du harcèlement moral, ce qui peut
provoquer un biais sur leur attribution de responsabilité de la personne cible. Notre
dernière hypothèse ne semble donc pas confirmée.
Constructive X X X 3/8
Sous-culture de climat
organisationnel
Passive-défensive (conformité)
X X X X X 5/8
Agressive-défensive
(compétitivité) 0/8
Tableau 9: Lien entre le processus organisationnel et l'attribution causale et de responsabilité
69
6. DISCUSSION
Aucune de nos hypothèses ne semble confirmée, cependant d’autres éléments
intéressants sont apparus dans notre étude. Nous allons donc reprendre, rubrique par
rubrique, les points pertinents à discuter, puis nous étudierons les hypothèses et enfin
nous nous pencherons sur la rubrique « justifications des comportements » qui s’est
avérée riche en informations. Dans un second temps, nous aborderons les limites et
biais de l’étude, puis nous finirons par les pistes de réflexions pour des
recommandations concrètes sur le harcèlement moral en entreprise qui nous ont
semblées intéressantes à proposer.
6.1. L’apport des thèmes et sous-thèmes
Notre première rubrique se penche sur les comportements pro-sociaux
développés par les témoins.
Dans les comportements à faible immédiateté et faible implication, selon le
modèle de Bowes-Sperry et O’Leary-Kelly (2005), les témoins n’ont mis en place que
des comportements de soutien. Le soutien émotionnel est le comportement le plus
développé par les témoins parmi tous les comportements cités. Cela semble
relativement évident puisque c’est souvent une réaction naturelle lorsque l’on voit
quelqu’un en souffrance, ce résultat n’est donc pas surprenant. Cependant, le soutien
informationnel est, lui, très peu développé alors qu’il est aussi en général assez
courant de vouloir donner des conseils. Mais étant donné le contexte particulier de
harcèlement moral au travail, auquel les témoins que nous avons interviewé sont
confrontés, nous pouvons supposer qu’ils manquaient, très probablement, eux-mêmes
d’informations adaptées pour pouvoir aider au mieux les personnes cibles.
Les comportements à faible immédiateté et haute implication recouvrent le
plus grand nombre de comportements d’aide ou de soutien différents, c’est donc un
positionnement très fréquent. Dans ce thème, les témoins semblent avoir
majoritairement tendance à se tourner vers les hiérarchies ou instances supérieures
disponibles pour aider la victime. Puis dans un registre différent, ils soutiennent la
70
personne cible en lui proposant des divertissements, parfois en toute discrétion, mais
bien souvent au vu et au su de tous souvent dans l’objectif de la réintégrer au groupe
de collègues. Ce comportement relativement fréquent selon notre étude semble
tenter de rompre l’isolement des « victimes » et a peut-être pour but second d’attirer
la sympathie d’autres témoins qui pourraient renforcer leur action. D’autres témoins
choisissent la voie indirecte d’un investissement syndical ou au CPPT pour faire
entendre la détresse qui règne dans leur service. Ceci est intéressant à soulever
puisqu’en comparaison au faible soutien informationnel, ces deux biais semblent
encore les plus connus en cas de conflit bien qu’aujourd’hui des instances plus directes
et plus efficaces existent pour faire face à ce type de situation. Ensuite, rares sont les
témoins qui vont jusqu’à un soutien matériel et fonctionnel tel qu’une aide
quotidienne dans la sphère privée, mais cela a tout de même été relevé ici.
Concernant l’intervention directe auprès du harceleur, que ce soit dans
l’immédiat ou plus tardivement, ce comportement est encore peu fréquent, ce qui se
comprend tout à fait, étant donné l’implication que cela exige et les risques de
représailles qui pourraient être perçus comme plus accrus dans cette situation. Notons
que cette peur des représailles pousse à l’inaction, comme nous le verrons plus tard.
C’est aussi pourquoi peu de comportements à haute immédiateté et haute implication
sont développés.
Notre seconde rubrique se centre sur les attributions causales et de
responsabilités.
La responsabilité du « harceleur » est bien évident mis en avant par tous,
principalement pour des raisons d’exercice abusif de l’autorité ou pour des problèmes
relationnels et communicationnels de la part du « harceleur ». Cette problématique
souvent relevée dans la littérature (Desrumaux, 2011) démontre une certaine dérive
dans la façon dont les managers sont choisis. Encore aujourd’hui, leurs compétences
techniques prônent largement sur leurs compétences managériales, ce qui peut mener
à des comportements abusifs pas toujours identifiés comme tels par le manager. Mais
la répétitivité de ce type de communication inadaptée peut malheureusement
rapidement mener à un ressenti de harcèlement chez les employés. Comme on a déjà
71
pu le constater (Leymann, 1996 ; Desrumaux, 2011), une minorité de personnalité
perverse se glisse parmi les « harceleurs ».
En parallèle, la responsabilité de l’entreprise a été peu évoquée, même si deux
témoins ont insisté sur le rôle du management, qui est décrit comme soutenant le
harcèlement voire même instaurant le climat nécessaire à son développement.
Quant à la responsabilité de la victime, elle est peu abordée. Est-ce par
désirabilité sociale, par peur du jugement d’une société souvent manichéenne qui
développe peu les nuances ? Nous pouvons supposer, d’après les propos des témoins,
que dans l’imaginaire courant la notion de responsabilité est confondue avec celle de
culpabilité. En conséquence, les témoins osent peu parler du rôle de la personne cible
dans l’évolution du conflit. Nous avons même relevé au travers du sous-thème « pas
fautive » que certains témoins se positionnent dans un schéma défensif (Bloch, 2010)
en présentant la personne cible de façon très positive et en justifiant de son absence
de responsabilité. Seul le témoin 4, nous a semblé vouloir installer son discours dans
une vision très nuancée de la situation, par des propos profondément honnêtes qui
n’hésitaient pas à aller à contre-courant de la pensée générale. Il a donc été le seul à
affirmer à plusieurs reprises, malgré des comportements d’aide et de soutien très
développés envers la victime, qu’elle avait aussi une part de responsabilité.
La troisième rubrique s’intéresse au processus organisationnel. Nous avons
distingué les conditions préexistantes et les conditions processuelles afin de tenter de
différencier ce qui a pu participer au déclenchement du harcèlement, et ce qui peut
avoir un rôle dans l’évolution négative ou positive de ce harcèlement.
Dans les conditions préexistantes, une forte pression ou stress, un manque de
justice de traitement dans l’entreprise et des antécédents de harcèlement dans
l’entreprise ont été fréquemment relevés par les témoins. Une ambiance de travail
caractérisée par un stress et une pression omniprésente ont en effet déjà été relevés
comme des facteurs favorisants (Desrumaux, 2011). Il en est de même pour les
problèmes de justice organisationnelle (Desrumaux, 2011). Cependant, sans être
particulièrement surprenant, il est plutôt navrant de constater que ces entreprises ont
souvent des antécédents de harcèlement. Cela signifie donc que, soit ces entreprises
72
n’ont pas pris des mesures adaptées, soit elles n’ont pas eu conscience du phénomène.
Cette seconde hypothèse est défendable mais elle marque tout de même, de notre
point de vue, un manquement de la part de l’entreprise.
Les conditions processuelles sont plus difficiles à interpréter puisque nous ne
pouvons présumer du lien entre ces sous-thèmes et l’évolution du harcèlement.
Cependant nous relevons à nouveau deux éléments concernant l’attitude du manageur
(« chef de service manipulateur » et « incompétence (contenu et relationnel) du chef
de service »), et deux éléments relatifs à la justice organisationnelle (« manque de
justice distributive dans le service » et « manque de justice procédurale dans le
service ») que nous évoquions précédemment. Puis plusieurs types de réactions de la
part de l’entreprise se distinguent dans les propos des témoins. Le plus fréquemment,
selon leurs dires, l’entreprise soutient directement le harcèlement. Deux des trois
témoins travaillant dans une entreprise publique évoquent le fait que l’entreprise
laisse un climat de permissivité s’installer. Plus rarement, l’entreprise soutient les
comportements pro-sociaux mis en place par les témoins. C’est d’ailleurs les témoins
qui ont estimé évoluer dans une entreprise de type constructive qui évoque cela. Deux
autres mentionnent le souhait de l’entreprise de conserver son image, qui la pousse
dans un cas à laisser faire, et dans l’autre à soutenir (après enquête) les
comportements pro-sociaux sans pour autant prendre de mesures disciplinaires à
l’encontre du « harceleur ».
La dernière rubrique présente les justifications que les témoins ont évoquées
pour expliquer leurs comportements, que ce soit dans l’action, l’inaction ou
l’ambivalence à l’action. Nous allons développer ici l’apport des différents sous-thèmes
de cette rubrique, mais nous reviendrons plus longuement par la suite sur l’intérêt
général de cette rubrique.
D’après notre analyse, le moteur à l’action le plus manifeste est sans nul doute
le besoin de justice. Contrairement à la croyance en un monde juste qui a souvent été
évoqué dans la littérature pour expliquer le comportement des témoins de
harcèlement (Desrumaux, 2011), ici il ne s’agit pas d’ajuster sa perception aux faits,
mais bien de combattre les injustices.
73
Le rôle de l’amitié a aussi été soulevé que ce soit pour expliquer le degré
d’implication auprès de la personne cible ou pour justifier d’une position privilégiée
auprès du « harceleur ». D’après les propos des témoins, cet élément semble avoir une
réelle influence dans le développement de comportements pro-sociaux. Cela a
d’ailleurs déjà été confirmé une première fois par D’Cruz et Noronha (2010) qui ont
mené une étude spécifiquement sur ce sujet. Il semblerait donc intéressant
d’approfondir cet aspect afin de définir de quel type d’amitié entre collègues il s’agit,
pour déterminer par exemple la force du lien nécessaire à l’intervention.
La solidarité entre les témoins n’a été mentionnée que deux fois mais avec
beaucoup d’insistance. Nous pouvons bien sûr comprendre que dans un tel cas la
dynamique de groupe peut être d’un grand soutien pour agir. Cependant, cela
contredit le « bystander effect » de Latané et Darley (1968) qui décrit plutôt une
diffusion de la responsabilité entre les témoins, inhibant les comportements d’aide.
Nous avions dans la situation décrite par les témoins qui ont évoqué ce point, de
nombreux observateurs et donc les conditions pour une dilution de responsabilité,
mais l’effet inverse s’est produit. Mais d’autres auteurs (Levine & Cassidy, 2010)
estiment que l’identification sociale à un groupe est capital dans l’intention
d’intervenir, surtout si la « victime » est considérée comme appartenant à ce groupe.
Un vécu antérieur de harcèlement moral semble aussi pousser les témoins à
intervenir, probablement du fait de la facilité d’identification. En effet, selon certains
auteurs si le témoin peut se mettre à la place de la « victime » et envisager qu’il peut
lui aussi être victime, il prendra beaucoup plus facilement conscience de la gravité de
la situation et de ses conséquences (Bertone, Mélen, Py & Somat, 1995), multipliant
ainsi les chances d’intervention.
Les témoins ont aussi évoqués leur personnalité comme moteur à l’action,
expliquant qu’ils ne pourraient plus « se regarder dans un miroir » s’ils n’intervenaient
pas. Cela est peut-être à relier à la personnalité altruiste ou à d’autres dimensions
sous-jacentes comme le besoin de justice mentionné précédemment.
En dernier lieu, le fait de ne pas avoir peur de perdre son emploi répond aux
trois moteurs principaux poussant à l’inaction : la peur financière, la peur pour l’avenir
professionnel, et la peur des représailles. Ceci est le seul élément commun entre les
74
raisons de l’action et de l’inaction ; et n’est bien évidemment pas surprenant dans un
marché du travail en pleine crise économique, comme l’ont relevé d’autres études
avant la nôtre (Desrumaux, 2011).
D’autres points ont été soulevés par les témoins comme justification à leur
inaction.
La conformité est le premier. Les trois témoins qui ont cité ce sous-thème
expliquent avoir eu peur du jugement des autres, et avoir préféré au moins pendant
un certain laps de temps se conformer au comportement officieusement prescrit.
L’influence des normes subjectives sur l’intention d’action démontrée par Ajzen dans
sa théorie du comportement planifié (1991) est peut-être ici en jeu.
Un second point plutôt fréquent, même si ici seulement trois témoins l’ont
abordé, est le fait que l’intervention est, selon eux, hors-rôle. Les témoins estiment
dans cette situation que ce n’était pas à eux d’intervenir et précisent parfois que cela
relève du rôle de la hiérarchie.
Enfin, trois autres témoins ont mentionné leur sentiment d’auto-efficacité
insuffisant c’est-à-dire le fait qu’ils ne se sentaient pas suffisamment efficace pour se
défendre, défendre l’autre et intervenir. Certains l’ont parfois évoqué directement en
expliquant leur incapacité à intervenir ouvertement, tandis que d’autres ont plutôt
reporté cela sur la personnalité inaccessible du « harceleur » qui rendait impossible
toute intervention. Et c’est, en effet, un facteur important que l’on retrouve dans la
littérature sur les témoins de harcèlement moral (Thornberg & Jungert, 2013 ; Gini et
al., 2008).
Pour finir, l’ambivalence à l’action est marquée par les difficultés psychiques
que l’implication dans ces situations implique chez les témoins. Nombre d’entre eux
ont insisté sur ce point. Il nous semble, en effet, évident que quel que soit leur
positionnement, les témoins ne sont certainement pas insensibles à ces conflits étant
donné l’importante charge émotionnelle qui en découle et qui ne peut que resurgir sur
chacun.
75
6.2. Les hypothèses
Nous avons cherché à relier les comportements pro-sociaux des témoins de
harcèlement moral, à la fois au contexte organisationnel, et à l’attribution causale et
de responsabilité qu’ils font de la situation. Malheureusement aucune de nos
hypothèses ne semble validée par les propos des témoins. Cependant dans le cadre
d’une recherche par entretiens semi-directifs, il était très difficile de tester des
hypothèses précises comme nous avons voulu le faire. Nous avons privilégié dans nos
entretiens ainsi qu’au moment de la construction de notre canevas, des questions très
ouvertes afin de ne pas influencer les participants et de provoquer un discours sincère.
De ce fait, peu de questions se référaient aux variables indépendantes de nos
hypothèses, ne permettant pas un discours suffisamment riche à ce sujet pour tester
des hypothèses ciblées. Cependant, comme nous l’avons vu au travers des thèmes et
comme nous allons le voir dans la partie suivante, l’ensemble des interviews a permis
de faire ressortir des éléments très intéressants.
Concernant, les deux questions fermées, elles n’ont pas non plus contribué à
valider les hypothèses. Au regard de ce que les témoins ont choisi d’invoquer sur leur
organisation, il apparaît aujourd’hui que les trois sous-cultures sélectionnées pour
représenter le climat organisationnel des entreprises n’était pas forcément adapté. Ce
découpage en trois sous-cultures était probablement trop réducteur et a posé des
difficultés à certains témoins qui identifiaient le climat de leur entreprise à celui de
leur service gangréné par le harcèlement.
6.3. L’apport général de la rubrique « justifications des
comportements »
Au-delà de nos hypothèses, notre question de recherche questionne les
différents facteurs qui pourraient influencer le développement de comportements
pro-sociaux chez les témoins de harcèlement moral sur le lieu de travail. La rubrique
« justifications des comportements » nous informe justement sur les facteurs qui ont
poussé les témoins à l’action ou à l’inaction.
76
La première chose que l’on a observé c’est que ce sont des raisons tout à fait
différentes qui poussent les témoins à agir ou non. Cette constatation est plutôt
surprenante au vu de la littérature existante. En effet, Bowes-Sperry et O’Leary-Kelly
(2005) ont défini, dans leur étude sur le harcèlement sexuel, un schéma qui propose
que la prise de décision des témoins quant à leur intervention emprunte un « chemin »
où les mêmes éléments de questionnement pousseraient à l’action ou à l’inaction en
fonction de la réponse choisie. Ce serait donc les mêmes facteurs qui influenceraient
les témoins à agir ou à ne pas agir. Or, les propos de nos participants ne soutiennent
pas cette théorie et tendent plutôt vers la proposition inverse. Il est vrai que nous nous
situons dans le cadre du harcèlement moral et non du harcèlement sexuel, ce qui
pourrait en partie expliquer cette différence. Cependant cette nouvelle vision des
choses nous semble suffisamment pertinente pour l’approfondir.
Selon la conception de Bowes-Sperry et O’Leary-Kelly (2005), dans son
cheminement, le témoin se demande tout d’abord si la situation nécessite une
intervention, puis si c’est sa responsabilité personnelle d’agir, ensuite si cela nécessite
d’intervenir maintenant ou plus tard, et enfin quel est le coût de leur implication. En
revanche, notre analyse met en lumière les éléments suivants comme moteur à
l’action pour les témoins de harcèlement moral : le besoin de justice, la solidarité,
l’amitié, le fait de ne pas avoir peur de perdre son emploi, et le vécu de harcèlement.
De même les éléments suivants semblent agir comme moteur à l’inaction : la peur
financière, la peur pour l’avenir professionnel, la peur des représailles, un esprit de
conformité, estimer que le comportement est hors-rôle, et un sentiment d’auto-
efficacité insuffisant. Ces facteurs ne sont probablement pas exhaustifs mais apportent
un nouvel éclairage que nous avons discuté précédemment. Plusieurs études ont déjà
évoqué certains de ces facteurs (Leymann, 1996 ; Hellemans & De Vos, 2009 ;
Desrumaux, 2011), toutefois une zone d’ombre subsiste.
Cette étude nous apporte des éléments expliquant l’action et l’inaction mais
nous ne savons pas ce qui se situe entre ces deux extrêmes. Il semble que ce ne soit
pas un continuum allant de l’inaction à l’action mais plutôt deux dimensions distinctes.
77
A titre de comparaison, nous pouvons citer le cas de la satisfaction au travail. Les
facteurs instaurant la satisfaction professionnelle s’avèrent être différents de ceux de
l’insatisfaction. De plus, l’absence de facteurs de satisfaction ne mène pas
nécessairement à l’insatisfaction, et inversement (Herzberg, 1987). Il semblerait que
nous soyons dans un cas de figure similaire concernant l’intervention des témoins de
harcèlement moral au travail, mais nous ignorons tout à propos de la dimension
intermédiaire qui semble se dessiner, si tant est que cela soit une seule et même
dimension. C’est donc ce point précis qu’il serait fort intéressant d’approfondir dans
les recherches futures. La figure suivante schématise cette zone encore inconnue qu’il
serait nécessaire de tester.
Par ailleurs, nous ne savons pas non plus ce que produirait la combinaison de
facteurs appartenant aux deux extrêmes. Par exemple, une personne ressentant de la
peur (peur financière, peur des représailles ou peur de l’avenir professionnelle) mais
qui a un important besoin de justice choisira-t-elle d’agir ou de garder le silence ? En
conséquence, nous nous questionnons sur l’existence possible d’une variable
médiatrice ou même d’une pondération de chaque facteur en fonction de son
importance pour le témoin. Il serait en tout cas capital de pouvoir mieux comprendre
la façon dont les témoins gèrent ce dilemme dans leur esprit. Suivent-ils un
Neutralité ?
Figure 3: Schéma du lien entre action et inaction
Inaction
Action
78
raisonnement tel que celui décrit par la théorie du comportement planifié
d’Ajzen (1991) ? Nous pourrions, en effet, supposer que « l’attitude envers le
comportement » influencé par la désirabilité sociale, les « normes subjectives »
induites par la société ou l’entreprise, ainsi que le « contrôle comportemental perçu »
pas toujours suffisant comme l’ont évoqué certains témoins (au travers du sentiment
d’auto-efficacité), modulent l’intention d’agir et donc le développement des
comportements pro-sociaux. Cela est probable mais encore à explorer.
6.4. Limites et biais
Notre sujet s’inscrit dans une problématique très sensible et très délicate. La
société condamne le harcèlement mais la position de témoin reste très difficile entre
l’injonction d’agir et la nécessité de se protéger et de protéger son emploi. De ce fait,
certains biais se sont insérés dans notre étude.
En premier lieu, les personnes qui ont acceptées de répondre à notre étude
sont toutes des personnes qui se sont positionnées et qui sont intervenues que ce soit
par de l’aide ou du soutien. Il est beaucoup plus difficile d’atteindre les sujets qui ont
choisi de prendre leurs distances par rapport à la situation ou même d’alimenter le
conflit. Par conséquent, nous n’avons qu’une version des choses, certes déjà riche
puisque les témoins nous ont aussi expliqué pourquoi ils ne sont pas allés plus loin
dans leur intervention, mais cette version n’est pas complète. Il serait donc très
intéressant de pouvoir interviewer aussi ces personnes dans une prochaine étude afin
d’avoir leur vision et afin de mieux comprendre ce qui peut pousser à l’indifférence
voire même à la participation.
Dans un second temps, un biais de désirabilité sociale s’est probablement
installé tant vis-à-vis de la délicatesse du sujet que vis-à-vis des attentes prétendues du
chercheur. En effet, se permettre d’incriminer la victime ou de ne pas incriminer le
harceleur pourrait sembler socialement inacceptable, ou tout du moins paraître
inadapté dans le cadre de notre recherche, même si nos intentions étaient toutes
79
autres. Il paraît donc compliqué de provoquer un témoignage sincère et ouvert, sans
pour autant l’influencer, ce qui nous amène à penser que les participants à notre étude
n’ont pas nécessairement été entièrement francs quant à leur attribution causale et de
responsabilité notamment.
Enfin, il faut bien sûr relever que dans le cadre de ce mémoire, l’analyse de
contenu de nos entretiens n’a été réalisée que par le mémorant, le choix de nos
catégories ne peut donc justifier d’aucune fidélité inter-juges, même si nous assurons
les avoir construit avec le plus d’application possible en tentant d’être exhaustif,
pertinent, homogène et représentatif. De plus, la taille de notre échantillon ne permet
pas de généraliser les résultats mais peut amener des pistes intéressantes.
6.5. Pistes de réflexion pour des recommandations concrètes
Pour finir, il nous a semblé important d’apporter les pistes de réflexion qui nous
ont été proposées ou qui nous sont venus lors de cette étude. En effet, plusieurs
témoins nous ont signalé, en aparté, l’importance de pouvoir faire entendre à la
communauté académique des pistes d’applications concrètes. Certaines idées
intéressantes et tout à fait pertinentes nous ont semblé intéressantes à relever ici.
Le premier point à relever est le manque d’informations concrètes, comme
nous le relevions précédemment à propos du soutien informationnel. Le harcèlement
est à présent un concept connu tant dans ses manifestations que ses conséquences
possibles. Cependant, même si cela tend à s’améliorer, nous ne recevons que peu
d’informations sur les recours possibles, les instances existantes, les personnes à qui
l’ont peut s’adresser tant sur un plan médical que juridique. Il est donc capital
d’informer l’ensemble des protagonistes, non seulement pour qu’ils puissent aider et
orienter au mieux les victimes mais aussi, dans le cas des témoins internes à
l’entreprise, pour qu’ils puissent se sentir suffisamment entourés pour se permettre
d’intervenir. Il manque encore aujourd’hui un regard bienveillant et avisé de la part de
la société sur les comportements pro-sociaux des témoins. En effet, l’entreprise est
80
souvent, dans un premier temps, un lieu où ce type d’agissement n’est pas toujours
bien vu, comme si le laisser-faire et l’absence d’intervention était la norme. Puis dans
un second temps, l’entourage qui est souvent très protecteur dissuade d’intervenir
pour « éviter les problèmes ». Il faut donc continuer activement à informer l’ensemble
de la population pour instaurer de nouvelles normes comportementales et valoriser
l’intervention comme un comportement qui sera soutenu et suivi.
Deuxièmement, la création d’un lieu d’entraide aux victimes de harcèlement
semblerait très utile puisqu’inexistant aujourd’hui. Ce lieu pourrait permettre aux
victimes de partager leur vécu, et aux témoins de venir chercher des informations et
des conseils pour réagir. Il pourrait être virtuel sous forme d’un site internet
communautaire permettant à chacun de briser la solitude et de partager son
expérience, ou simplement d’éclairer son vécu au regard des autres témoignages ;
mais aussi de se transmettre des adresses et des conseils à la lumière de l’expérience
de chacun. Ce lieu pourrait aussi être physique sous la forme d’un groupe de parole
bénévole, supervisé par, ou avec un relais direct vers, un ou plusieurs professionnels
qualifiés tel qu’un psychologue ou un médecin. L’intérêt serait double : à la fois les
bénéfices bien connus de l’identification et de la projection dans les groupes de parole,
mais aussi celui d’un accès à tous quel que soit les revenus, ce qui n’est
malheureusement encore que rarement le cas pour les consultations
psychothérapeutiques. Cet espace supplémentaire de parole pourrait prévoir des
séances ouvertes à l’entourage ou aux témoins pour leur permettre de décharger les
difficultés psychiques que le harcèlement engendre aussi chez eux, comme notre
étude l’a montré.
Ces propositions ne sont bien évidemment que des pistes de réflexion mais
elles pourraient constituer selon nous, notamment au travers du premier point, la base
d’une politique globale de prévention destinée à encourager et soutenir les
comportements pro-sociaux des témoins.
81
7. CONCLUSION
En conclusion, notre étude s’est penchée sur le harcèlement moral au travail,
vaste sujet souvent étudié, mais avec un angle encore peu exploré : le rôle des
témoins. En effet, il semble aujourd’hui évident que leur rôle n’est pas négligeable et
qu’ils ont le pouvoir de modifier la situation. Nous nous sommes donc questionnés sur
ce qui influence leur intention d’agir. Pour cela, nous avons eu la chance de rencontrer
huit témoins ayant vécu des situations très diverses. Certains évoluaient dans des
entreprises privées, d’autres dans des entreprises publiques ; le harcèlement était
souvent de type vertical descendant entre un supérieur hiérarchique et un employé ;
mais le positionnement des témoins était très distinct.
Nos hypothèses reliant leurs comportements pro-sociaux au contexte
organisationnel et à l’attribution causale et de responsabilité n’ont pas été confirmées.
Néanmoins, le riche discours des témoins nous a permis de relever quelques pistes
pour des recherches futures concernant le développement de comportements d’aide
et de soutien chez les témoins de harcèlement moral au travail :
- Le besoin de justice évoqué par les témoins contredit ce que la littérature avait
jusqu’à présent décrit. Il serait donc intéressant de savoir s’il domine la
croyance en un monde juste, ou si la croyance en un monde juste s’applique ou
non chez tous les témoins laissant alors peut-être place au besoin de justice.
- Le rôle de l’amitié semble important, il faudrait donc maintenant creuser cet
aspect et délimiter les contours et les influences précises de ce que l’on nomme
« amitié ».
- D’une façon plus générale, nous ignorons encore tout de l’articulation des deux
dimensions que semblent être l’action et l’inaction, tout comme du processus
réflexif qui amène les témoins à intervenir ou non et avec plus ou moins
d’implication.
82
Les témoins sont donc des protagonistes capitaux dans le processus de
harcèlement moral. Il faut cesser de les négliger et centrer sur eux nos actions de
prévention et nos recherches, afin de faire changer durablement le climat sociétal et
organisationnel dans lequel le harcèlement s’impose actuellement.
83
8. BIBLIOGRAPHIE
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87
9. ANNEXES 9.1. Annonce pour le recrutement des témoins de harcèlement
Bonjour,
Etant étudiante en dernière année de master à l’ULB, je suis à la recherche de
participants pour mon mémoire de fin d’études. Spécialisée dans la psychologie du
travail, je m’intéresse aux personnes qui ont été TEMOINS de harcèlement moral
afin de déterminer ce qui dans le contexte ou dans la perception de la situation a
pu influencer la possibilité d’intervenir et d’aider la victime.
Si vous souhaitez m’apporter votre aide dans la compréhension de ce problème,
nous réaliserons un entretien pour en discuter. Nous pourrons nous rencontrer
dans un endroit au calme de votre choix, et la confidentialité de l’entretien sera
bien sûr assurée : vos noms ne seront jamais transmis et si nécessaire les éléments
de votre histoire seront modifiés afin de la garantir.
Vous pouvez me joindre par e-mail : [email protected] ou au
0470/58.12.23. Je vous serais très reconnaissante de l’aide que vous accepterez de
m’apporter.
88
9.2. Canevas d’entretien et questionnaire
Bonjour, je vous remercie d’accepter de participer à mon étude. Je vous rappelle que
tout ce qui est dit ici est bien sûr strictement confidentiel. Nous allons donc avoir un
entretien à propos de votre position de témoin dans la situation de harcèlement moral
auquel vous avez assisté.
1) Pour commencer, je vais vous demander de vous présenter en expliquant votre
position de travail et vos liens avec la personne cible et le « harceleur », et de
m’expliquer en quelques mots la situation.
2) Par rapport à cette situation de harcèlement, comment vous êtes-vous situé ?
êtes-vous intervenu d’une manière ou d’une autre vis-à-vis de la personne-
cible ? (aide / soutien)
Si oui, comment et pourquoi ? (creuser chaque situation séparément => Ces
comportements étaient-ils habituels ? Etaient-ils faciles à mettre en
place ou cela vous demandait-il un effort ? Pourquoi avez-vous réagit de
cette manière plutôt qu’une autre ?)
Si non, pourquoi ? Qu’est-ce qui vous a empêché de réagir ?
3) Avez-vous a un moment donné pris plus conscience de ce qui était en jeu dans
la situation, ou bien sa gravité ? Cela a-t-il modifié votre comportement ?
4) Les autres membres de l’entreprise ont-ils réagi ? Avaient-ils le même type de
comportements que vous ?
5) L’entreprise a-t-elle réagit ?
6) Pensez-vous que cela est plus dur dans votre entreprise plutôt que dans une
autre de pouvoir intervenir (idéalement en repassant en vue tous les
comportements expliquées auparavant par la personne) ? Pourquoi ?
7) Quels ont été les obstacles les plus durs à dépasser pour pouvoir mettre en
place des comportements d’aide ou de soutien (idéalement en repassant en
vue tous les comportements expliquées auparavant par la personne) ?
8) Qu’est ce qui aurait pu faire que vos comportements soient différents (plus ou
moins présents) ?
89
Dans la situation de harcèlement que vous décrivez, selon vous, qui est responsable de
cette situation ? Est-ce plutôt :
□ Le « harceleur »
□ La personne cible
□ L’entreprise
Comment décririez-vous votre entreprise de manière générale ?
□ C’est une entreprise dans laquelle les membres sont encouragés à interagir les
uns avec les autres et à orienter leur travail de façon à rencontrer leurs besoins
d’accomplissement les plus élevés.
□ C’est une entreprise à l’intérieur de laquelle les individus interagissent de façon
à préserver leur propre sécurité par une attitude de soumission et de
conformité.
□ C’est une entreprise dans laquelle l’interaction entre les membres, caractérisée
par de l’opposition, de la rivalité et de la compétition, a pour objectif
d’atteindre des standards de performance élevés, ou du moins de préserver
leur statut et leur sécurité
90
9.3. Retranscription de l’entretien avec le témoin n°1
E : Pour commencer, je vais vous demander de vous présenter en expliquant votre
position de travail et vos liens avec la personne cible et le « harceleur », et de
m’expliquer en quelques mots la situation.
T1 : Donc moi j’ai commencé une thèse de doctorat dans un laboratoire où tout
semblait se passer correctement et au fur et à mesure du temps, ben je me suis rendu
compte que le chef était très dur avec une certaine personne qui en fait encadrait tous
les étudiants qu’il y avait en dessous. En fait, elle faisait vraiment tampon entre lui et
nous, donc nous initialement on ne se rendait pas compte qu’il y avait un souci. Mais
lorsqu’elle est partie en dépression on a été directement confronté à lui, et on s’est
rendu compte que son comportement n’était réellement pas celui d’un chef de
laboratoire où il voulait tout diriger, en fait. On avait vraiment l’impression que c’était
son seul et unique but et que même ça passait avant n’importe quel fait scientifique
qui est réel. Son avis est vraiment plus important que n’importe quel fait scientifique
c’est vraiment lui qui était au-dessus de tout, lui qui dirigeait tout, lui qui savait tout,
une espèce d’être omniscient comme ça qui sait réellement tout et à partir de là ça
n’allait pas du tout parce que nous notre but c’est d’être libre, de penser de manière
libre et de nous développer de manière libre et d’apprendre par nous-même. Et cet
homme-là nous frustre énormément parce qu’il nous met des barrières qui ne
devraient pas exister dans la recherche. Rien que pour ça on s’est un peu rebeller tous.
Et alors y’a à chaque fois des petites histoires que j’ai pu observer. Un soir je reçois un
appel par exemple d’un collègue, il me dit voilà S**** y’a le chef qui a envoyé mon
article, enfin qui a soumis mon article sans que j’ai eu l’occasion de le regarder. Là lui a
pris son rôle de chef très à cœur et il a pas pris l’avis de son étudiant et il a envoyé
l’article sans qu’il puisse le relire et lui il était pratiquement en pleurs quoi. Au
téléphone je savais pas exactement quoi faire et le lendemain matin je suis allé trouver
le chef en lui disant que je trouvais inadmissible ce qu’il avait fait, que j’aurais jamais
voulu qu’il me le fasse à moi, que ça se faisait pas, qu’un chef de laboratoire devait pas
faire ça, et notre relation s’est quelque peu effrité à ce moment-là on va dire.
91
E : Comment il a réagi lui sur le coup ?
T1 : Bah lui était un peu pris au dépourvu, clairement, il a, on voyait qu’il bouillait, il se
mettait à baver, vraiment il avait de la mousse blanche sur le côté, que je me disais
mais qu’est-ce qu’il lui arrive ? Mais étant donné qu’il y avait d’autres gens dans le labo
autour, j’avais fait exprès qu’il y ait d’autres gens pour pas me retrouver tout seul avec
lui. Parce que lui c’est ce qu’il adorait faire, mais ça c’est pour une autre histoire. Ben il
a du se retenir, il a du se contenir, et sur le moment même il s’est écrasé. Après il a fait
ce qu’il fait toujours, prendre les gens dans son bureau un à un, demander à la
personne de fermer la porte, et à il joue à domicile tu vois, il est dans son bureau tu
vois, il peut faire en sorte de te dire n’importe quoi mais tu vois dans le seul but que tu
t’excuses et que lui soit à nouveau le chef et que lui à nouveau domine donc il te ment
en te disant que lui a toujours tout fait pour toi, que c’est grâce à lui si tu es là, que
sans lui tu ne sais pas continuer, que tu as besoin de lui. Puis en disant que mon
comportement depuis quelques temps est réellement inadéquat, en fait il te fait
culpabiliser et te montre que lui est vraiment là pour t’aider et que tu as besoin de lui.
Et c’est la technique, et bah en gros à la fin il te demande de lui serrer la main et tu le
fais parce que bon et puis tu repars en te disant que ce gars est complètement malade.
Et c’est un peu comme ça tout le temps, en fait il avait des tiques du genre rentrer
dans la pièce, enfin rentrer dans le laboratoire et secouer ses clés tout en sifflotant
toujours la même mélodie. Quand tu observes les gens c’est… Quand il arrivait, on se
barrait tous, on discutait et quand il arrivait qu’on entendait ses clés ou son sifflement
on se barrait tous, mais effrayés. Et puis un jour je me suis dit, attend S****, calme toi,
tu vas regarder tes collègues, tu vas discuter et si tu entends ce sifflement ou… enfin
les clés et le sifflement, tu observes. Je me suis dit vraiment mec il faut que t’observe,
j’ai regardé la tête et le comportement des gens qui étaient là et c’était la peur sur le
visage et ils sont tous partis mais effrayés quoi. Donc je me suis dit mais putain je réagi
comme ça moi, mais c’est terrible, c’est pas normal quoi, ca peut pas…
E : C’est pas viable.
92
T1 : C’est pas viable quoi et donc c’est vraiment petit à petit au fur et à mesure des
clash qu’il y a eu dans le labo quoi, entre celui-là et d’autres, et des comportements
que lui a eu avec d’autres étudiants qui n’allaient pas, des moment d’agressivité qu’il a
eu aussi vis-à-vis d’autres, qu’on s’est rendu compte que ça allait pas du tout et c’est
comme ça qu’on s’est un peu déjà souder entre nous puisqu’on vivait la même chose
et puis on a décidé d’aller voir, d’aller trouver de l’aide en fait parce que …
E : Donc c’est vous qui avaient trouvé de l’aide ou …
T1 : C’est nous qui avons décidé de trouver de l’aide
E : C’est pas la responsable au-dessus ?
T1 : Non, elle est partie, elle, elle est partie en dépression. Elle est partie on s’est
retrouvé face à lui et en voyant que c’était complètement…
E : Donc c’est vous en tant que groupe ?
T1 : C’est nous en tant que groupe.
E : Est-ce qu’il y avait une personne qui était visé plus qu’une autre ?
T1 : Non. En tout cas le harceleur, le chef, n’était capable que de viser qu’une personne
à la fois. C’était une personne qu’il ciblait sur une journée, ou qu’il prenait dans son
bureau ou qu’il harcelait mais on sentait qu’il visait une personne, on la sentait, puis il
changeait de personne quand ça lui plaisait plus ou qu’il avait le tour et une deuxième
sur une autre après-midi ou sur une autre matinée et alors il checkait comme ça.
E : Ok et s’est tombé parfois sur vous aussi ?
93
T1 : Oui c’est tombé parfois sur moi. Mais étant donné que je me laissais moins faire
que d’autres, je sais pas exactement. Je sais pas dire, j’ai parfois essayé de mettre les
limites, il l’a senti donc il était peut-être moins …
E : C’était moins envers vous en tout cas ?
T1 : Ah ça dépendait, je sais plus si vraiment il me ciblait tout … Mais je sais plus si
vraiment j’ai eu des gros moments comme certains ont vécu et que moi je me disais
mais enfin moi je pourrais pas tenir ça.
E : Mais donc y’a des personnes quand même qui ont, en tout cas, vécu plus fortement
la chose, et que vous vous étiez plus en retrait ?
T1 : Non j’étais quand même dedans.
E : Plus dans une position de témoin que de victime ?
T1 : En fait le problème c’est que comme je suis très sensible au mal-être de l’autre, et
donc je le prenais pour moi sans que lui m’est directement fait quelque chose le fait de
voir quelqu’un s’écraser, déprimer. Je le prenais pour moi et je le vivais aussi en fait. Et
donc au final même si lui ne m’a pas spécialement ciblé de manière aussi forte que les
autres je l’ai quand même très très mal vécu. Lorsque lui a appris qu’on allait, parce
que maladroitement il a appris qu’on allait voir son supérieur qui est le doyen de la
faculté de médecine, lorsqu’il l’a appris il est venu chez moi et il m’a dit S**** si tu vas
voir ce doyen, tu seras … je te ferais souffrir pour les autres parce que tu seras le
dernier à quitter le laboratoire parce que je venais d’entrer dans le laboratoire. Enfin
j’étais le dernier à être entré dans le laboratoire donc j’allais être le dernier à quitter
donc il m’a dit que si je faisais ça je devrais payer pour les autres et puis il m’a dit c’est
pas une menace hein c’est un conseil. Et donc là je me suis fais ok bah là j’ai encore
plus envie d’aller voir ton chef mec parce que ton argument est complètement, enfin
t’es con, tu vas essayer de me faire du mal, bah je vais te bloquer avant que tu me
bloques. Faire en sorte que.
94
E : Ok donc vous êtes d’abord allé voir le doyen et puis après ?
T1 : Ouais qui nous a écouté, qui nous a envoyé vers M.D***. Lui il nous a écouté, il
nous a entendu, il a pris des notes, il a fait un dossier et puis il aurait conclu qu’on était
victime effectivement d’harcèlement moral et puis notre doyen a lui porté plainte
contre notre chef pour que ça puisse passer au niveau au-dessus, pour que ça puisse
sortir de la faculté et se retrouver au niveau du rectorat donc est passé un échelon au-
dessus. On a de nouveau tous dû aller raconter ce qui s’était passé, et durant tout ce
processus en fait on a découvert qu’il avait déjà fait ça il y a 10 ans notre chef. Et qu’il y
a 10 ans il s’était passé exactement la même histoire, alors ce qu’on a fait c’est qu’on a
été recontacté les anciens d’il y a 10 ans et c’était assez drôles de les retrouver enfin
certains parce que y’en a qui voulaient plus en entendre parler et d’autres qui étaient
encore assez motivés et donc on les a revu et on a discuté avec eux et on a un peu
rigolé parce que c’était exactement les mêmes … C’était marrant parce qu’on s’est
rendu compte qu’ils avaient vécu exactement la même chose et donc quand ils
parlaient d’un comportement que lui avait bah on rigolait parce que c’était
exactement le même comportement. Rentre ici, il ferme la porte, c’est moi le chef,
blablabla, le sifflement, les clés, tout était exactement la même chose, ils ont vécu
exactement la même chose. Euh ont également été interrogé par le rectorat donc on a
mis au courant el rectorat qu’il y avait une situation similaire qui s’était passé il y a 10
ans.
E : Eux à l’époque s’étaient plaint ?
T1 : Eux à l’époque ça se serait bloqué au niveau du doyen, s’était pas sorti de la
faculté. Et tout le monde avait été… soit ils étaient partis spontanément parce qu’ils en
pouvaient plus, soit ils avaient été écarté et mis ailleurs quoi. Et puis à ce moment-là
celle qui nous encadrait, celle qui faisait tampon entre le chef et nous est arrivée et
donc pendant ces 10 ans, ces 8 ans il y a plus rien eu parce qu’elle faisait réellement
tampon entre les deux. Et puis quand elle est partie, on s’est rendu compte et ça a
pété de nouveau.
95
E : D’accord et par rapport à cette situation de harcèlement, comment vous êtes-vous
situé ? Etes-vous intervenu d’une manière ou d’une autre vis-à-vis de la personne-
cible ?
T1 : Bah la fois où je me suis le plus… où j’ai le plus affronté, où je me suis le plus
engagé c’est la fois où j’ai eu l’appel de cet ami, où je me suis dit c’est pas possible faut
que j’aille lui dire parce que lui ne va jamais osé lui dire. Et donc là j’ai été lui dire mais
la plupart du temps je me mettais derrière l’un de ceux qui était le plus virulent je vais
dire et qui osait répondre plus et de manière plus ferme que moi et lui avait disons …
quand lui parlait nous on se mettait plus ou moins derrière en se disant bah lui va oser
y aller, de manière un peu lâche on laissait lui dominer, c’est un petit labo…
E : Vous alliez le chercher parfois pour vous aider à intervenir ?
T1 : Ouais parfois on pouvait aller le chercher pour dire oh tu veux pas venir, y’a ça qui
s’est passé, ouais clairement et c’est lui qui… c’est avec lui que évidemment le chef
s’est le plus clashé jusqu’à l’insulter de connard et… le chef l’a traité de connard et lui a
dit tu baises avec une de tes collègues et… donc il lance des rumeurs qui sont
complètement infondées comme argument vraiment très puissant et puis il l’insulte
vraiment de manière tout aussi lamentable de connard en criant dans tout le labo
jusqu’à le labo d’à côté l’a entendu aussi. C’est bien parce que quand L***** le plus
virulent arrivait à attaquer le chef, il arrivait pas à tenir le chef, il craquait et donc il
faisait des erreurs qui faisaient qu’on se disait mais ce gars est fou quoi.
E : Et est-ce que s’était habituel chez vous d’essayer d’aider, comme par exemple
quand vous êtes allés voir le chef après l’appel ?
T1 : Oui oui oui, moi je … le fait de vivre ce que les autres vivaient et de le ressentir, ça
me donnait envie d’aider cette personne, dès que je pouvais soit aider au niveau des
manip’ soit aider niveau moral bah je faisais ce que je pouvais, encore maintenant
d’ailleurs parce qu’il en reste 2 qui sont coincés dans ce laboratoire et régulièrement je
vais les voir, pour la noël je leur ai apporté des chocolats, j’essaie de … je fais des
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sorties avec eux. Ce week-end ci on va à Chimay avec tout le groupe en fait, le groupe
est très soudé donc ce week end ci on va carrément à Chimay dans un gîte passer le
week end ensemble. En fait aussi dans cette ambiance horrible on s’est très fortement
rapproché, on est devenu une super bande de potes en fait, on sait qu’on peut
compter l’un sur l’autre et ça nous a énormément soudé.
E : Vous êtes plus soudés qu’avant ?
T1 : Oui complètement.
E : Même si c’était déjà habituel ?
T1 : Même si on était déjà un peu soudé là c’est vraiment comme une petite famille
quoi. Tous les membres s’entraident.
E : Et avant vous sortiez déjà ensemble, le week end ?
T1 : Non pas autant que maintenant, pas autant que depuis le… Déjà un petit peu mais
on était des collègues et on se voyait toute la journée donc y’avait quand même
forcément des liens qui se soudaient mais là les liens se sont plus que soudés.
E : Est-ce que c’était facile d’aller voir le chef après avoir reçu un appel ?
T1 : Non.
E : Ça vous demandait un effort ?
T1 : Oui après pour le reste de la journée j’étais claqué dans mon bureau,
psychologiquement c’était très très dur, surtout de voir sa réaction et que après je sais
que… enfin il m’avait pris dans son bureau en disant n’importe quoi comme d’habitude
et j’avais dû subir ça en me disant ne te clashe plus avec, en rentrant dans son bureau
juste après je me suis dit j’ai plus envie de me battre, qu’il raconte ce qu’il veut comme
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connerie, moi j’oublierais pas ce qu’il va me dire mais là maintenant j’ai plus la force de
l’affronter donc je … je l’ai laissé dire toutes ces conneries, n’importe quoi, j’ai retenu
et puis je me suis dit bon ok sers la main comme il veut que je lui sers la main en
sachant que j’utiliserais ça plus tard comme argument en disant voilà il dit n’importe
quoi. D’ailleurs je prenais note à chaque fois qu’il arrivait, qu’il disait n’importe quoi
hop hop hop et comme ça bah regarder il m’a dit ça, juste au moment où il le dit où il
sort du bureau je le note comme ça je l’oublie pas je suis sûr clac, ça on le faisait
souvent. Y’a eu aussi un moment où après avoir été interrogé par M.D*** ou par le
rectorat je sais plus, on … dès qu’il se passait quelque chose on écrivait, on envoyait au
rectorat, peut-être pas à M.D***, je sais plus si on le faisait mais en tout cas au
rectorat on envoyait, c’était quotidien quoi. Mais c’était une perte d’énergie monstre
parce que on avance pas, on travaille, tout ce qu’on fait c’est souffrir et noté ce que lui
dit et l’envoyer. Ecrire ces mails de la manière la plus structurée possible pour que ce
soit compréhensible, tout en demandant de l’aide et en voyant le gars de l’autre côté
et qui souffre plus que toi parce qu’il est dans une situation … parce que l’autre est
plus dessus et essaie de l’écraser le plus possible. C’était vraiment une ambiance
terrible et c’est pas évident de rester là-dedans de manière… à long terme c’est pas
possible.
E : Je comprends. Et pourquoi avez-vous réagi de cette manière plutôt qu’une
autre par rapport à la publication de l’article?
T1 : Ca je sais pas, ça dépend du caractère de chacun. Mais là je me sentais, je sais pas,
j’ai l’impression que là je me sentais suffisamment fort, suffisamment soutenu,
suffisamment entouré que pour pouvoir le faire, si j’avais été tout seul et que tout
autour personne ne voyait rien tout le monde continuait à faire comme-ci de rien
n’était et que vraiment j’étais le seul à me rendre compte qu’il y avait un soucis j’aurais
pas pu. Enfin je crois pas ? Là je parle avec ma famille, j’en parle avec ma copine, j’en
parlait avec les gens du labo et donc je me disais c’est juste, tu vas … ce que tu vas
faire est juste, tu vas dire ce que tu penses et tu mens pas, tu dis juste ton mal-être, tu
dis juste la souffrance de l’autre, et y’a rien d’injuste dans ce que tu vas faire donc fais-
le et puis tu es soutenu par … donc fais-le tu verras bien.
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E : D’accord, c’est intéressant ça que le fait d’être soutenu …
T1 : Bah oui ça te donne des forces le fait d’avoir des gens sur qui tu peux compter,
sinon t’es dans les sables mouvants et tu te casses la gueule.
E : Pourquoi est-ce que vous avez choisis de sortir avec eux boire un verre par exemple
plutôt que de régir d’une autre manière ?
T1 : Bah le fait de vivre les mêmes souffrances, t’as envie de partager le reste quoi, t’as
envie de les aider et pendant que tu les aides tu … mais c’est tous les sens c’est pas
juste moi c’est eux aussi, une espèce de cercle pas vicieux du tout, vertueux. C’est un
très beau cercle, et donc en plus comme y’en a qui viennent du Maroc, y’en a qui
viennent d’Equateur, y’en a qui viennent d’un peu partout, et en plus y’a un échange
culturel qui est normal qui se fasse mais qui … comme le fait qu’on vive les mêmes
difficultés tu discutes et tu découvres que les personnes sont supers et ont de
l’humour et voilà et c’est comme ça que … ça se fait naturellement.
E : Est-ce qu’il y a d’autres fois où vous avez pu intervenir ?
T1 : J’aurais dû réfléchir avant de venir. Bah y’a une fois où on a dû tous quitter le labo,
enfin y’a eu une histoire entre le plus virulent et le chef du labo et d’abord y’a eu lui
qui s’est fait engueulé puis y’en a eu un deuxième qui s’est fait engueulé par le chef et
on s’est dit … on s’est tous regardé et puis on s’est dit ensemble, je sais pas si c’est
vraiment moi, mais en tout cas j’étais là, on s’est dit on se casse quoi. On a tous pris
nos affaires, on s’est barré, et d’ailleurs à ce moment-là le chef engueulait la deuxième
personne dans son bureau porte fermée et nous on attendit qu’il sorte, on avait tous
nos affaires, manteaux, vestes, parapluie si on avait un parapluie, et on attendait qu’il
ouvre la porte donc il a ouvert la porte, notre collègue est sorti du bureau l’air dépité
et quand le chef a vu ça il a dit non non reviens, reviens dans le bureau, il l’a repris
dans le bureau et il a essayé de calmer, il a fait pffff on reprend tout à zéro, on oublie
tout ce qui s’est passé. Et là nous on pouvait pas quoi c’était la dixième fois que ça se
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passait donc c’est bon on a compris, donc on l’a pris avec nous et on s’est barré.
D’ailleurs je crois qu’on a été … on est rentré dans le bureau à deux, le plus virulent et
moi sommes rentrés dans le bureau, on a pris la personne qui était en train de subir les
conneries de l’autre et on s’est barré tous ensemble, on a fermé le labo et on s’est
cassé. On est toujours plus fort en groupe donc on essayait au maximum de faire des
actions groupées parce que ça avait plus de poids, d’ailleurs quand on a été se plaindre
chez le doyen on l’a fait en groupe : les ¾ du labo ; on a écrit une lettre de 4 pages
signée par ceux qui voulaient parce que aussi il y en a qui voulaient pas. On était ¾ à
vouloir et ¼ qui avait trop peur que pour signer, que pour s’investir, que pour… Ceux
qui subissaient le plus se sont le moins investit sans que ce soit une règle générale, eux
c’est des cas particuliers, ils sont … c’est deux marocains qui sont marocains comme lui
qui n’ont… enfin je ne sais absolument pas ce qui se passe dans leur tête mais j’ai
l’impression qu’il y a une sorte de hiérarchie qui les empêche, qui les empêche de
réellement affronter un être dominant. Mais c’est pas exactement ça, y’a aussi le
côté… je sais pas… même en discutant avec eux… j’ai l’impression qu’ils veulent
l’affronter un à un, que comme ça c’est plus juste que d’affronter à plusieurs contre
un. Je sais pas exactement expliquer mais y’a plusieurs comportements qu’ils ont qui
me font dire que… un : le respect de la hiérarchie, deux : le fait que le combat soit le
plus juste possible à un à un. Une espèce de moral particulière probablement dictée
par leur religion parce qu’ils sont musulmans mais ... Enfin ils essaient de faire ça… leur
justice à eux est différente de la nôtre et ils ont préférés agir comme ça, mais
maintenant ils regrettent un peu parce que les conséquences ont été qu’eux doivent
maintenant rester avec lui, alors que tous les autres sont pratiquement parti ou se
sont échappés, et donc ils regrettent un petit peu mais c’est comme ça. Mais c’est sûr
qu’on a tous eu des comportements différents vis-à-vis de lui et vis-à-vis de la
situation, ça c’est au cas par cas.
E : Est-ce que vous avez d’autres exemples comme celui-là qui vous viennent ?
T1 : Maintenant oui. Je t’ai expliqué qu’il y avait parfois… y’avait des moments où
quotidiennement on avait envoyé des mails, au début il y en avait un qui s’en chargeait
et puis j’ai pris le relais et c’est moi qui quotidiennement envoyait des mails pour le
100
groupe ou pour une situation qui s’est passé, ça c’est beaucoup d’investissement et
c’est terriblement fatiguant parce qu’en plus le chef il passait dans le couloir et moi je
stressais, j’étais en stress tout le temps quoi parce que pendant plusieurs semaines
tous les jours j’écrivais des trucs, je pouvais pas travailler, j’arrivais pas, j’étais
terriblement fatiguée, psychologiquement c’était vraiment difficile, et tout ça a fait
que j’ai pas tenu très longtemps, j’ai tenu quelques semaines et après lui m’a fait une
remarque : en fait j’étais venu très tôt le matin pour travailler, j’avais fini vers 4-5h,
c’était le vendredi soir, enfin 4-5h vendredi après-midi et je vais dans son bureau… ah
oui fallait lui dire au revoir et bonjour tous les matins à ce chef sinon il te faisait la
remarque et ça allait pas du tout. Donc je vais dans son bureau, je toque et je dis voilà
au revoir, et puis il me regarde et il fait quoi tu pars déjà, rentre dans le bureau. Et là
j’ai pété un câble mais en moi, ce qui fait que sur mon visage je crois qu’il a dû voir que
j’avais peur ce qu’il adorait, enfin je pense parce qu’il était tout énervé je ne sais pas
pourquoi, en tout cas moi j’ai dû montrer un visage effrayé et je suis resté paralysé, j’ai
dit non, j’ai dit non je rentre pas, Et lui si si tu rentres maintenant dans le bureau, j’ai
dit non je rentre pas, j’ai finis, j’ai finis ma journée, j’ai bien travaillé, je suis venu très
très tôt et je rentre chez moi c’est le week-end. Et je suis parti mais pendant deux
semaines c’était le nuage dans ma tête j’ai commencé à sentir que c’était nuageux, je
sais pas expliquer mais c’était réellement physique. J’avais l’esprit embrumé, mais
psychiquement, je le sentais, je voyais pas bien, j’étais… donc j’ai pris deux semaines
de congé à ce moment là parce que j’en pouvais plus et puis par hasard je partais une
semaine au Liban juste après et donc je me suis pris un petit mois de repos parce que
j’étais chaos, réellement chaos. Cette situation était insoutenable, devoir se battre
continuellement, et lui qui continue à te lancer des pics et puis à faire en sorte de te
casser ou de te dominer c’est pas, c’est pas possible.
E : Pourquoi avoir pris la responsabilité d’écrire et d’envoyer quotidiennement ce qui
se passait, plutôt que d’agir d’une autre manière ?
T1 : Je sais pas c’est une sorte de combat, tu vois quand tu fais la guerre, je l’ai jamais
fait, mais tu crois tellement en ce que tu… ton combat t’y crois, tu te bats pour la
justice, tu te bats pour sauver ton pays, contre l’envahisseur, quelque chose comme
101
ça. C’est un sentiment qui doit être assez beau en fait parce que t’as le sentiment que
ce que tu fais est réellement juste et qu’il faut s’impliquer à mort pour que ta justice
soit la justice et que tu gagnes. Bah j’ai l’impression que c’était un peu ça. Tu veux que
la justice soit faite et donc tu te bats à mort pour que tes collègues et toi vous vous en
sortiez en ayant toujours l’espoir que ça se passe le plus vite possible et avec le fait
qu’il y ait le moins de dégâts possible soit sur ta personne soit sur les autres, mais c’est
un peu ça je crois. C’est une sorte de fierté, enfin c’est inconscient parce que je me
disais pas « ouais je suis super fier, je vais faire ça pour aider tout le monde » mais tu le
fais parce que tu crois que c’est nécessaire et que ça va aboutir à quelque chose de
positif. Je crois.
E : En tout cas c’est ce que vous pensiez à ce moment-là ?
T1 : C’est ce que je pense maintenant sur le moment je sais pas si vraiment j’étais
capable de me dire « ce que tu fais c’est beau mec il faut y aller jusqu’au bout ».
E : Du coup avez-vous une idée de ce qui au moment même vous poussait à faire ça ?
T1 : Un catalyseur ? Je sais pas. Bah la survie, il faut s’en sorti et faire ce qu’il faut pour.
T’as pas le choix tu peux t’écraser et subir ou au contraire faire tout ce qui faut pour…
A mon avis s’il y avait une guerre, je serais dans les cons kamikazes qui font sauter un
pont ou qui se font sauter eux pour… Faut pas écouter ce que je dis. Mas je serais
plutôt du genre à attaquer qu’à rester comme un imbécile et rester les bras croisés.
E : C’est déjà votre habitude d’agir comme ça dans la vie ?
T1 : De faire de mon mieux pour que les choses changent ou de faire de mon mieux
pour avancer, et ce qui est bien c’est que j’ai une tête de gamin, enfin je veux dire on
me soupçonne pas d’essayer d’attaquer, d’essayer de faire de mon mieux. Moi il m’a
jamais soupçonné en fait le chef, il a jamais pensé que j’aurais pu avancer si loin, parce
que par exemple maintenant lui voulait plus que je travaille sur son sujet et alors je
suis allé voir maintenant dans son nouveau labo son ancien chef mais j’allais comme
102
ça, je suis allé voir l’ancien chef de mon chef, en sachant que c’était un monstre en
sciences et qu’il fallait que je lui explique que son étudiant était complètement
malade, donc j’allais vraiment comme ça mais je suis allé, je lui ai expliqué, j’ai
commencé en lui disant que j’avais réussi à me sauver du laboratoire maudit, le
laboratoire de votre étudiant, et il m’a regardé comment ça maudit ? J’ai dû lui
expliquer mais j’avais aucune garantie qu’il me croit, qu’il m’aide à retravailler sur
l’ancien sujet, j’avais aucune garantie. C’était du kamikaze, « vas-y et puis tu verras
bien ce qui se passe ». Alors il m’a cru parce qu’il avait entendu des choses
heureusement et qu’il avait une étudiant qu’il aimait beaucoup qui avait été travaillé
chez lui et en fait qui s’est barrée très très vite et lui a donné aucune explications et
donc il s’est dit qu’il y avait quelque chose qui allait pas. Et d’ailleurs il en était très
triste, il m’a dit « je suis très triste que cette personne soit allée chez lui parce qu’elle
me donne plus de nouvelles, elle m’a pas expliqué pourquoi ça avait pas été ». Et donc
j’ai pu lui expliquer ça, lui…, enfin je tremblais, j’avais la voix qui tremblait, mais j’y suis
allé je lui ai dit. Et puis il m’a dit « présente moi tes résultats » donc une semaine après
je lui ai présenté mes résultats et il m’a dit « bah je vais essayer de t’aider
scientifiquement et politiquement » donc il va essayer de faire en sorte que je puisse
retravailler dessus. Mais bon c’est un peu mon caractère d’essayer de… même si ça me
fait pleurer, même si ça me touche très fort, même si c’est dur, j’essaye j’ai rien à
perdre. Je crois.
E : Par rapport à l’aide que vous avez apporté en écrivant des mails quotidiens au
rectorat pour faire avancer votre situation, est ce que c’est un comportement
habituel ?
T1 : Ca a été plutôt un déclic. C’est une question difficile. C’était un comportement
habituel dans le sens d’aider les autres, c’était plutôt habituel, mais de m’impliquer
autant dans une seule situation ça c’est nouveau parce que je l’avais jamais vécu
avant, mais c’était un comportement relativement habituel d’essayer d’aider les
autres. Mon frère ou ma sœur, je sais pas si c’est un bon exemple, mais je les aide pour
leurs examens ou la veille ma sœur arrive en pleurs « S**** explique moi ça » « Viens
103
on a pas beaucoup de temps mais on va essayer de le faire ». Oui c’est plutôt un
comportement que j’ai depuis initialement.
E : Est-ce que ce comportement était facile à mettre en place ou est-ce que cela vous a
demandé un effort ?
T1 : C’était psychologique parce qu’il y avait une pression de sa part néfaste, que je ne
rencontre pas quand j’aide quelqu’un spontanément, naturellement, y’a pas une
espèce de loup qui va me bouffer juste derrière.
E : Donc à cause de ça, c’était plutôt un effort ?
T1 : C’est un effort oui, parce que j’ai assez vite… après quelques semaines j’ai dû
prendre du recul ça n’allait plus du tout. On peut pas tenir très longtemps dans ce
genre de stress, vraiment, parce que déjà au niveau du boulot tu bosses plus, enfin
t’avances pas, tu réfléchis plus, t’es en mode survie, y’a des fonctions de ton corps qui
fonctionnent plus. Et juste le mode survie s’enclenche et tu fais ce que tu peux pour y
arriver mais y’a des trucs que tu dois mettre de côté, tu peux pas tout faire en même
temps.
E : Et quand en groupe, vous avez décidé d’aller chercher la personne dans le bureau
du chef, est ce que c’est quelque chose qui vous a demandé un effort ? Est-ce que
c’était habituel ?
T1 : Non c’était un soulagement ça, c’était un soulagement parce que c’était une
délivrance ça, on allait partir du labo tous ensemble donc moi personnellement j’étais
plutôt content qu’on ait pensé à ça et qu’on se barre. La fuite parfois tu peux pas faire
autrement, soit tu rentres dedans, soit tu fuis, bah là j’avais envie de fuir. On a été
chez le doyen de la faculté de médecine, après le doyen a mis notre chef de côté
pendant 10 jours mais sans que ce soit une sanction. Le doyen a dit que c’était
important que ce soit pas une sanction mais effectivement on le mets… c’est pour
calmer le jeu mais sans que ce soit une sanction. C’est vraiment pour que nous on
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puisse souffler un peu. Ensuite on est retourné travailler, mais c’était pas évident parce
qu’en 10 jours, nous on se disait on va pouvoir travailler, on va pouvoir avoir la tête
libre mais on en discutait tellement qu’on était dedans, on était contaminé, c’est un
virus quoi, qui nous avait tous attrapé et on savait pas s’en dépêtrer, en 10 jours c’était
pas possible surtout qu’on savait qu’il allait revenir et donc au plus le temps avançait
au plus on savait qu’il allait revenir et donc le travail n’était pas efficace de nouveau.
E : Et c’était un comportement habituel, de décider en groupe de s’en aller et d’aller
chercher une personne dans le bureau du chef ?
T1 : Non c’était la première fois qu’on prenait cette décision-là.
E : Et est ce qu’il a des situations où vous n’avez pas pu réagir ?
T1 : Parfois je pouvais rien faire, mais dans notre groupe aussi il y en avait qui ne
racontait pas tout ce qui se passait et gardait ça pour eux, enfin ça c’est chacun…
y’avait disons ¼ qui voulait pas raconter, qui voulait pas que ça s’ébruite alors que
nous on demandait que ça pour qu’on puisse les aider ou pour qu’on puisse… à ce
moment-là c’est frustrant parce qu’on en voit qui souffre à la limite plus que les autres
et on peut pas les aider parce qu’eux restent dans leur cocon et veulent pas, et c’est
leur caractère je sais pas. A ce moment-là t’as envie d’agir mais tu peux pas. Je sais pas
si je réponds à ta question.
E : Et est-ce que dans les situations dont vous avez eu connaissance, que vous avez su,
que vous avez vu, il a des situations où vous n’avez pas pu réagir ?
T1 : Je sais pas. Quand je savais pas réagir c’est que j’étais pas là, que je le savais par
après. Parfois on ose pas, oui probablement, parfois on ose pas non plus. En fait c’est
ça parfois j’osais pas, quand lui me disais des conneries parfois j’allais pas au clash
directement avec lui, j’osais pas.
E : Quand c’était tourné vers vous ?
105
T1 : Quand c’était tourné vers moi et que lui me disais des âneries, quand il essayait de
me chercher, parce que dans la lettre de plainte qu’on avait envoyé au doyen, on avait
mis que tout lui appartenait, même nos plats à nous, on laissait des gâteaux dans le
frigo, il ouvrait le frigo il prenait les plats et il le mangeait. Tu demandes, on aurait pas
dit non mais enfin t’es pas notre pote, tu prends pas nos plats, ça se fait pas. Et alors
on avait mis ça en disant voilà il s’accapare tout, et on avait parlé d’un crème, une
crème Nivea qui était là enfin bref et donc lui il avait toujours accès à tout ce qu’on
disait. Je sais pas pourquoi dans la procédure légale il est l’accusé et donc il doit être
au courant de tout ce qu’on lui reproche, à chaque fois, à toutes les étapes de cette
procédure, il sait toujours tout et donc il est venu nous narguer plusieurs fois il est
passé dans le couloir, il y avait sa crème Nivea bref et il l’a prend et il vient devant moi,
il l’a prend et il fait « ah cette crème elle est à moi, ah ah ah tu vois de quoi je parle
hein, ah la crème ouais », et dans ces situations-là t’ose pas, enfin moi j’osais pas
répondre à ce genre… j’avais un peu peur, je me disais comment ça se fait qu’il est au
courant de tout ça, il faut nous protéger ou il faut que lui sache… pourquoi est-ce que
lui est au courant de tout et que nous on sait pas exactement ce qui se
passe maintenant ? Donc souvent, j’osais pas, y’a souvent des fois où je suis resté
bloqué ou j’osais pas répondre, mais en sachant que si je répondais c’était le clash
donc j’essayais de me retenir.
E : Qu’est ce qui faisait que vous n’osiez pas justement ?
T1 : La peur, le fait de savoir que si je me disputais avec lui ça sera… y’a ma thèse qui
est en jeu quoi. Y’a ma thèse, y’a le fait que j’ai peut-être peur de lui envoyer un coup
de poing dans le visage même si j’ai pas des gros bras, mais j’ai peur d’avoir un
comportement qui n’est pas adapté à une société dans laquelle on vit, j’ai peur de
redevenir un animal et de taper dedans sans réfléchir, ça aurait pu arriver, n’importe
qui d’entre nous, on se l’ait déjà dit. On a pensé suicide, on a pensé fracassage de
crâne, on a pensé à… dans cette situation là on était vraiment dans une ambiance très
nocive, très triste, déprimante et donc ce sujet revenait souvent donc moi j'essayais de
pas rentrer trop en clash avec lui parce que je savais pas exactement comment il fallait
106
réagir, c’est la première fois que je rencontrais ce genre de situation donc est ce que
j’allais rentrer dedans comme un bourrin ou est-ce que j’allais arriver à argumenter
malgré la peur, parce que argumenter en ayant peur c’est pas … argumenter face à
quelqu’un qui n’a aucune argumentation c’est encore pire, et quand c’est ton chef
c’est encore pire. Y’a aussi le respect de la hiérarchie, et des chefs quand même. Enfin
y’a plein de trucs qui font que j’osais pas.
E : Et quand vous dites peur…
T1 : C’était physique, c’était une peur assez physique, oui j’aurais pu aller aux toilettes
plusieurs fois par jour.
E : Peur de quoi à ce moment-là ?
T1 : Peur de lui, parce qu’il est assez imposant, grand agressif du visage. Il est massif
quoi, il a un caractère agressif. Peur pour ma thèse, peur pour moi, peur pour les
autres, peur de faire une connerie, c’est inconscient mais c’est une peur qui existe
quoi. Peur de son comportement à lui, il peut avoir des gestes un peu brusques donc
j’ai pas envie de ramasser un poing. Parce qu’on a appris aussi par la suite, qu’il avait
tapé une de ces anciennes étudiantes donc tu relativises, tu essaies de prendre du
recul, enfin tu relativises pas tu prends du recul uniquement.
E : Avez-vous a un moment donné pris plus conscience de ce qui était en jeu dans la
situation, ou bien sa gravité ? Cela a-t-il modifié votre comportement ?
T1 : Y a eu un déclic au moment où celle qui était entre nous deux est parti et que je
me suis retrouvé face à lui, donc il m’a pris dans son bureau, il m’a dit on va parler
scientifique et il a dit que des conneries, mais scientifiques quoi. C’est terrible, c’est
ton chef et il te dit que de la merde. Il sait pas dessiner un palindrome, enfin bref
scientifiquement il faisait de la merde, il te donne pas le mauvais type cellulaire à
utiliser. Moi j’ai rien dit, je me suis dit je vais pas à chaque fois lui dire qu’il dit de la
merde. J’aurais peut-être dû mais on se serait clasher, on se serait disputer, on en
107
serait peut-être venu aux mains parce qu’il m’énervait trop, donc j’ai rien dit, j’ai laissé
couler, j’ai pris note. Puis en sortant je suis allé voir les autres, j’ai fait écoutez c’est
avec ça qu’on fait cette expérience-là, ah non c’est avec ça, ok et ça c’est pas un
palindrome hein regardez ce qu’il m’a dessiné, non c’est pas un palindrome, et ça c’est
pas une connerie aussi, si si, mais tu viens d’où, je fais bah du bureau du chef, on a
discuté scientifique, on a tous rigolé mais là tu prends conscience qu’il y a un gros
soucis : son comportement est une catastrophe et son niveau scientifique est… c’est
un professeur d’université le mec, un professeur d’université et il sait pas te raconter
des choses simples, et il a jamais tort. Il a jamais tort donc… enfin un professeur peut
dire des bêtises, on est des êtres humains, on fait tous des erreurs mais quand tu fais
des erreurs, que tu t’en rends pas compte, que tu es sûr de toi, que tu écrase l’autre
quand lui fais une erreur, enfin tout ça fait que là ça va pas du tout. Ça c’est un déclic
qui s’est passé dans ma tête, et un autre déclic c’est le fait de voir partir ma … celle qui
encadrait tout le monde en fait, qui était entre lui et nous, parce que je suis rentré
dans son bureau, y’avait tout qui était rangé. Je fais « ah tu déménages ? », et elle me
regarde en pleurant et elle me dit bah oui je pars quoi. Je fais « comment ça tu pars ? »
Bah oui je pars cette nuit, je range tout mais cette nuit je me barre, on vient chercher
mes affaires et je me barre quoi , j’en peux plus, c’est plus possible, il s’est passé
quelque chose mais je veux pas en parler mais je me barre. Je fais ok.
E : C’est ce qu’elle vous a dit à ce moment-là ?
T1 : C’est ce qu’elle m’a dit à ce moment-là donc c’était dur quoi. C’était une super
amie, on rigolait, enfin en plus d’être une encadrante, on rigolait, c’était une amie
quoi, qui se barrait triste quoi. Ça c’est les deux déclics. Le fait de voir tous mes
collègues se faire massacrer bah troisième déclic. De me voir moi complètement
déprimé, incapable de travailler, devoir envoyer des mails, enfin c’est tout, c’est toute
la situation qui fait que…
E : Et chronologiquement ça s’est passé comment à peu près ?
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T1 : Bah en gros le premier déclic c’est elle qui part, le deuxième déclic c’est j’étais
dans son bureau pour discuter scientifique catastrophe, et puis après de voir tous mes
collègues se faire massacrer parce qu’ils sont face à lui réellement et qu’il fait
n’importe quoi. Et puis là on a été voir le doyen parce que c’était plus possible. Et juste
avant ça il y avait aussi deux étudiantes en doctorat qui avaient un financement. En fait
pour obtenir un financement pour faire un doctorat il faut vraiment se battre
énormément, il y a une sélection à passer au niveau du FRIA, enfin le FNRS donne des
bourses et il y a une personne sur 4 qui l’a. Il faut vraiment passer devant, préparer,
faire une présentation, un dossier scientifique robuste et avec ça il y a une personne
sur 4 qui l’a. Donc c’est vraiment dur, et on reçoit quelque chose comme 1800€ par
mois, et quand on a, on est content, on va jusqu’au bout. Mais là y’a eu deux
étudiantes qui en plein milieu de leur financement ont arrêtées, qui sont parties dans
ce labo-là, dans le labo où j’étais. Quand je suis arrivé, il y en a une qui était en train de
partir, elle m’a dit ne va pas dans ce labo, ce gars est malade, il te harcèle tout le
temps, mais j’ai pas écouté. Enfin je me suis dit, je vais tester, enfin tu prends pas
conscience du truc tant que tu l’as pas vécu, enfin c’est ce que j’en ai conclu. Enfin elle
est partie assez rapidement, pendant que j’étais là y’en a une autre qui est partie aussi.
En fait ces deux-là étaient directement en relation avec lui, elles ne passaient pas
l’intermédiaire par lequel moi je passais. Et donc la deuxième également s’est barrée
en plein milieu de sa thèse, et puis il y a eu ma promotrice qui s’est barrée, et puis
nous on s’est retrouvé face à lui et on s’est battu. Donc en fait, chronologiquement il y
avait encore deux autres personnes que j’avais oubliées qui étaient là et qui se sont
barrées.
E : Quand avez-vous vraiment pris conscience de cette situation de harcèlement, est ce
que cela a modifié votre comportement ?
T1 : Oui. Oui, oui. Avant je laissais couler. Tout au début c’était le chef donc il savait
tout, il allait t’aider, c’est grâce à lui que t’étais là, dans ma tête j’ai toujours été très
scolaire un peu : le professeur ou le chef a raison constamment. Mais le fait de me
rendre compte que ce schéma était faux, que c’était complètement erroné, c’est une
question de maturité je crois car avant d’avoir vécu ça je devais pas être très mature,
109
et après je le suis devenu un peu plus en me rendant compte que dans la vie même
ceux qui s’appellent chef ou sui ont une couronne sont des êtres humains aussi et
peuvent se tromper et faire des conneries. Donc là je me suis rendu compte que c’était
le cas, qu’il faisait n’importe quoi et effectivement mon comportement était plus sec,
plus ferme, j’ai osé dire certaines choses. Le comportement de mettre une limite en
disant ce que tu dis c’est de la merde, développe un peu, ben je l’aurais jamais fait
avant, en sachant qu’il faisait n’importe quoi, qu’il blessait les autres, et que lui
m’écrabouillait, j’avais besoin parfois de m’exprimer quoi, et de lui faire comprendre
qu’il faisait des conneries, qu’il était pas compétent. Ah oui j’ai un autre exemple, en
fait on avait un comité d’accompagnement, lui choisissait deux ou trois amis à lui et
ces personnes-là devaient nous encadrer nous au fur et à mesure de notre travail pour
essayer de … en plus de lui, de nous chapoter en plus, de vérifier que tout va bien. Et à
eux, j’ai été le premier à leur dire qu’on avait un soucis avec lui et ils ne m’ont pas cru
mais de nouveau c’est comme l’histoire où je suis allé voir l’ancien chef de mon chef
où j’ai tout lâché, où j’ai dit ce qui n’allait pas, là j’ai fait pareil mais c’était ses amis à
lui donc ils m’ont pas cru et je me suis retrouvé face à une barrière et je me la suis pris
en pleine figure parce qu’ils m’ont dit bah non S**** on te crois pas, tout va bien,
blablabla, moi j’étais le premier à passer, puis y’en avait un deuxième qui passait le
même jour et un troisième qui passait le même jour et eux ont tenu le même discours
que moi, et à partir de ce moment-là ils se sont rendus compte qu’il y avait réellement
un soucis mais moi je me suis dit vas-y de toute façon derrière toi il y en a deux autres
qui devraient normalement aller dans ton sens, fonce. Je suis aussi allé voir le FNRS, je
suis allé voir les directeurs administratif du FNRS donc ceux qui donnent les bourses, à
qui j’ai tout expliqué, j’ai dit voilà ce qui se passe au laboratoire, mais je m’étais dit 10
ans avant il y a des gens qui ont dû allé voir le FNRS aussi, qui ont dû se plaindre, je vais
pas être le premier quoi, il y a plein de chercheurs qui sont passés par là et qui ont dû
raconter leur truc au FNRS donc moi j’y vais en me disant bon je vais juste rajouter un
élément, en fait non il n’y a jamais personne qui a osé se plaindre, ce qui fait que je me
suis de nouveau retrouvé face à des gens qui ont dû me croire, à qui j’ai dû exposer
mes arguments, essayer d’argumenter le mieux que je pouvais même si je suis pas un
grand argumentateur.
110
E : Ca vous l’avez fait pour vous ? pour les autres ?
T1 : Pour moi et pour les autres. Mais nous notre objectif depuis le début c’est que lui
ne puisse plus avoir d’étudiants, c’est tout ce qu’on veut, on ne demande pas d’argent,
on ne demande pas de reconnaissance, on demande rien, on veut juste que ce gars ne
puisse plus avoir d’étudiants parce qu’il fait que de la merde, il est pas fait pour.
E : Les autres membres de l’entreprise ont-ils réagi ?
T1 : Tout le monde a réagi sauf 3-4 personnes et à chaque fois c’était un choix qui était
personnel, que je sais pas exactement pourquoi. En gros c’est parce que sinon ils
avaient pas de travail et c’est une assurance financière en plus qui difficile à obtenir
donc ils veulent le garder le plus longtemps possible et puis il y a ce titre de docteur
qu’on obtient à la fin donc rentrer en conflit avec son chef c’est pas ce qu’il y a de
mieux à faire et puis voilà. Y’en a qui n’ont pas osé d’autres qui se sont battus. Là y’en
a un qui a réussi à terminer sa thèse, un qui galère complètement qui n’arrive pas à
terminer, il est au chômage et il fait du jardinage en black avec son frère pour payer
son appart, y’a moi qui ait dû me barrer dans le labo de Namur pour continuer mais
qui espère toujours pouvoir retravailler sur ce que je faisais au début, et là y’en a
encore deux qui souffrent dans le labo, ils arrivent pas à s’en sortir et je sais même pas
s’ils arriveront à terminer leur thèse car ce mec est complètement fou. Mais ce que je
trouve terrible dans cette situation c’est que ils restent les deux étudiants là, alors
qu’on sait qu’ils ont souffert, ils restent avec ce chef en train de travailler, ça fait un an
et ils risquent de pas s’en sortir. A ce niveau-là je trouve ça honteux, tout le monde est
au courant, tout ceux qui doivent être au courant sont au courant et y’a rien qui se
passe, les gars ils sont là, en souffrance… on les laisse.
E : Et ceux qui ont réagi est ce qu’ils ont le même type de comportement que vous ?
T1 : Disons qu’il y en avait 3, on était 4. Ceux qui réagissaient le plus on étaient 4. Un, il
critiquait beaucoup le chef, mais il s’écrasait complètement devant, mais vraiment, j’ai
jamais vu quelqu’un s’écraser autant
111
E : Donc lui ne réagissait pas ?
T1 : Non lui pas du tout. Y’en a un il s’écrasait aussi mais se concentrait uniquement
sur l’aspect scientifique, il avançait de son côté en gros, il voulait terminer sa thèse et
avancer de son côté, c’est celui qui m’a appelé pour son article là, lui aussi on peut
conclure qu’il s’écrasait plus ou moins tout en essayant d’utiliser des arguments plus
ou moins logiques avec le chef mais ils parlaient deux langues différentes mais il
essayait de parler et se concentrait à morts sur sa thèse. Y’en a un qui, rien à foutre, le
plus virulent, rentrait dedans dès qu’il pouvait, dès que quelque chose était pas juste il
le disait il rentrait dedans mais il a pas tenu très longtemps d’ailleurs il arrive pas à
terminer sa thèse, c’est celui qui arrive pas à terminer sa thèse, et puis il y avait moi
qui était un peu entre les deux, essayer de le moins possible entrer dedans mais quand
je sentais que je pouvais plus tenir, il fallait que je lui dise des trucs donc je lui rentrait
un petit peu dedans, mais tous on étaient soudés et face à lui on avait des
comportements différents, mais ensemble dans la procédure on avait le même
comportement qui était d’essayer de dire la vérité le plus possible lorsqu’on devait
être entendu et de se battre ensemble pour que lui ne puisse plus avoir d’étudiants.
E : Ok mais il n’y a pas que l’affronter comme comportement il y a aussi les différentes
démarches. Est-ce que les autres prenaient part à ça aussi ?
T1 : Les deux qui n’osaient pas, on a pas pu les incruster dans l’affaire parce qu’ils ont
pas porter plainte officiellement dès le début, apparemment il faut porter plainte
officiellement dès le début pour pouvoir passer à toutes les autres procédures, eux ne
l’ont pas fait et quand ils ont senti qu’ils pouvaient rejoindre le groupe, y’a quand
même eu un schisme qui a fait qu’ils sont quand même restés en retrait et que
maintenant ils sont toujours dans le labo. C’est dommage, quand y’a un bateau qui
coule tu sors tout le monde, tu laisses pas les deux… allez quoi y’a un souci.
E : L’entreprise a-t-elle réagit ?
112
T1 : Bah oui, le doyen nous a envoyé chez le rectorat, le rectorat nous a entendus. Et
ce qu’on a aussi c’est qu’on a un syndicaliste, enfin un directeur de syndicat libéral de
l’ULB qui fait actuellement le pont entre nous et le rectorat. Lui il assiste à toutes les
réunions des grands chefs et lui nous transmet les données, enfin il les envoie à moi et
moi je les transmets.
E : Qui est ce qui a fait intervenir ce syndicaliste ? Qu’est-ce qu’a fait concrètement
l’entreprise ?
T1 : Non, c’est nous, c’est encore nous qui avons dû trouver ce gars.
E : Concrètement qu’est-ce qu’il a fait le doyen ?
T1 : Concrètement, il a mis notre chef 10 jours à l’arrêt et puis lui-même à porter
plainte pour que cela puisse passer au niveau du rectorat, donc disons qu’il a fait ce
qu’il devait mais en même temps maintenant qu’il sait qu’il y a encore deux étudiants
qui souffrent dans le labo ben on le voit plus.
E : Pensez-vous que cela est plus dur dans votre entreprise plutôt que dans une autre
de pouvoir intervenir ?
T1 : Bah j’en sais rien. Je suppose que lorsqu’un groupe est harcelé s’il arrive à prendre
conscience de sa force, qu’il arrive à être uni, quel que soit l’endroit où il se trouve il
arrivera à faire entendre sa voix, mais il faut qu’il prenne conscience de sa force et il
faut qu’il soit unit. Je pense que ces deux caractéristiques là devrait leur permettre de
s’en sortir ou du moins de se faire entendre, mais si ils tiennent tous dans leur coin ou
qu’ils se rendent pas compte qu’il faut qu’ils interagissent ensemble pour s’en sortir, ils
y arriveront pas. Je pense pas qu’en Belgique, il ne soit pas possible de s’exprimer dans
une industrie si on en a envie et si on a l’occasion enfin peut-être que dans certains
réseaux de proxénétisme c’est difficile mais dans une vraie industrie où il y a des
droits, où il y a des gens qui … où il y a un règlement il y a possibilité de discuter et se
faire entendre je crois. Naïvement je crois qu’un groupe qui a envie de se faire
113
entendre se fera entendre, mais faut que ce soit en groupe, individuellement ça risque
d’être plus dur parce que c’est la parole d’une personne contre ce qu’il y a autour.
E : Et donc pensez-vous que cela est plus dur dans votre entreprise plutôt que dans
une autre de pouvoir intervenir ?
T1 : Je sais pas, peut-être que ça aurait été plus vite dans d’autres entreprises parce
que ça fait plus d’un an. Peut-être qu’au niveau du labs de temps où il y a une réaction,
parce qu’en plus mon entreprise là doit être très vigilante. Mais probablement que
c’est plutôt plus dur. Chaque industrie a envie d’étouffer ce genre d’affaire, n’a pas
envie que ça se sache publique et dans mon entreprise on n’arrête pas de te parler de
moral, de justice, de libre examen, et je suppose que tout en ayant ses belles paroles,
quand une injustice survient ils essaient quand même de l’étouffer pour que ça fasse
pas trop de bruit au niveau des médias, au niveau de l’image de l’entreprise qu’il faut
absolument protéger, donc l’affaire est restée coincée dans l’entreprise. Nous a un
moment on a hésité à la sortir, à aller se trouver des avocats extérieurs à l’entreprise
mais on nous a … je pense qu’ils préféraient que pour le moment la procédure suive
son cours au sein de l’entreprise sans que ça fasse de grabuge. Donc peut être que
c’est pas… au vu de l’image de l’entreprise qui doit rester magnifique, une espèce
d’illusion que l’entreprise est joli quoi.
E : Quels ont été les obstacles les plus durs à dépasser pour pouvoir mettre en place
des comportements d’aide ou de soutien ?
T1 : Y’a eu la peur à dépasser, le fait ne pas réellement savoir où on va, ça fait parti de
la peur, enfin ne pas savoir de quoi sera fait le futur, ça génère un stress, y’a beaucoup
de stress.
E : Le futur par rapport à quoi ?
T1 : Par rapport à la thèse, à la procédure, par rapport aux collègues « est ce qu’ils vont
s’en sortir aussi ? ». Par rapport même à ma santé parce qu’il y a un moment où je suis
114
parti deux semaines où je me suis dit mais ça va pas quoi, j’ai jamais … on était tous
insomniaques, on dormait pas, on avait des pensées suicidaires et tout ça fait que …
c’est pas cool en fait, ça me fatigue beaucoup…
E : Qu’est ce qui aurait pu faire que vos comportements soient différents ?
T1 : Nos relations entre les collègues qui étaient excellentes et ça ça te pousse à agir,
les techniques … le fait que tu te rendes compte qu’en fait la hiérarchie ça veut rien
dire dans un laboratoire et qu’un chef doit être une espèce de chef d’orchestre et pas
un tyran qui veut absolument faire ces trucs, et en plus il était incompétent donc c’est
aussi un déclic qui m’a fait… je me suis dit ça va tu peux le remettre à sa place quand il
faut parce qu’il dit de la merde. Si j’avais été le seul à réagir … on aurait pas pu aller
aussi loin si j’avais été tout seul. D’ailleurs ceux qui étaient tout seul auparavant, la
première elle est partie, la deuxième elle est partie, la troisième elle est partie,
dépression, dépression, dépression, non la première pas dépression, la deuxième
dépression, la troisième dépression. Et puis là on s’est unifié et on s’est rendu compte
que peut être que si cette personne-là était pas partie, surtout la troisième qui était
ma… celle qui faisait tampon entre les deux, on aurait pas réagi comme ça. Peut-être
que si elle était restée encore quelques années on se serait jamais rebellé parce qu’elle
était là pour nous calmer aussi en disant « mais non il est pas si méchant ». Elle calmait
le plus virulent et quand lui était calmé nous on était plutôt calmé. C’est un schéma
très particulier, chaque situation sera différente, là y’a eu plusieurs départs qui ont fait
que le plus virulent s’est rebellé et puis nous on a suivi le plus virulent parce qu’il avait
raison et qu’on s’en rendait compte. Et puis le fait qu’on s’entendait bien, ça aussi il
suffit que tu t’entendes pas avec le collègue même si tu dois te battre avec lui pour ça
tu risques de… ça dépend de la taille du groupe mais si le groupe est comme nous
entre 5 et 10, si tu ne t’entends pas avec l’un deux ça va vite générer deux groupes qui
ne seront plus aussi fort que si c’était un seul, enfin je sais pas exactement mais toute
la situation a fait que tout s’imbriquait relativement bien pour permettre notre
rébellion.
115
E : Quand vous dites tout s’imbriquait, vous pensez à quoi ? Au groupe, aux bonnes
relations, et puis ?
T1 : Ouais principalement quoi, on était tous des chercheurs qui travaillaient sur un
sujet très proche tous, on s’entendait tous bien comme une petite famille quoi, à ce
moment-là ça permet de combattre ensemble.
E : Est-ce que d’autres choses auraient pu rendre votre comportement différent ?
T1 : Bah quand je me dis « pourquoi t’as pas agis comme ça, pourquoi t’as pas fait ça
là ? », j’en ai conclu à postériori que c’était en partie à cause du schéma de respect dû
à un professeur ou un chef. Donc j’imagine dans une industrie, il y a des gens qui ont
ce même schéma que moi et qui oseront pas aller plus loin ne connaissant pas leurs
droits, le fait de pouvoir dire la vérité, de dire que c’est pas juste, que ce qui se passe
n’est pas normal. Qu’est ce qui est normal aussi ? Parce que si à côté de toi il y a
quelqu’un qui souffre mais que personne ne dit rien on a l’impression que c’est la
normalité et que se plaindre… On a l’impression que c’est nous qui sommes le
problème et pas l’autre, parce que comme ça a l’air d’être une situation normale et
que personne ne se rebelle, on ose pas faire le premier pas, nous on a de la chance
parce que chez nous il y en avait un qui était virulent et qui a osé faire le premier pas,
on était amis et donc on comprenait ce qu’il voulait dire, il le disait plus fort mais il
avait raison parce que nous on se faisait pas entendre, mais on a eu de la chance qu’il y
avait lui, sinon on se serait encore tous laissé écraser, surement, je serai encore dans le
labo en train de souffrir. Le fait que c’était ma première expérience professionnelle en
quelque sorte aussi, que j’avais pas de point de comparaison, maintenant que je
travaille dans un autre labo je peux comparer mais en bien car le chef est très
compétent et très à l’écoute.
E : Vous m’avez dit que si vous aviez été seul à intervenir, vous ne seriez pas allé si loin,
qu’est-ce qui vous en aurait empêché selon vous ?
116
T1 : J’aurais pas osé je crois, parce que je te dis ce schéma complètement aberrant que
t’as en tête parce que c’est injonctif. Et la peur aussi parce que se rebeller contre un
chef « qui est ce qu’on va croire, le chef ou toi ? » C’est probablement lui, c’est ta
parole contre la sienne, c’est plus dur. J’étais soutenu parce qu’on était un groupe
donc c’était plus facile d’aller de l’avant.
Commentaires pendant la passation du questionnaire :
T1 : … (silence) … Voilà
E : Merci
117
9.4. Retranscription de l’entretien avec le témoin n°2
E : Pour commencer, je vais vous demander de vous présenter en expliquant votre
position de travail et vos liens avec la personne cible et le « harceleur », et de
m’expliquer en quelques mots la situation.
T2 : Ben le harceleur c’est ma chef directe, c’est la directrice du centre et la victime
c’est mon collègue, mon collègue direct parce que je travaille avec lui dans plusieurs
écoles. Donc ça c’est pour situer. Euh…
E : Et quelle est la situation de harcèlement à laquelle vous a avez assisté ?
T2 : En fait la situation personnelle de J.-L. était assez compliquée, et à la rentrée elle
m’a demandé de venir dans son bureau, pas cette rentrée scolaire çi, la rentrée
scolaire précédente, pour faire un peu le point et pour me dire que si je devais dire des
choses, c’était à elle aussi que je pouvais… je pouvais tout lui dire quoi. Je dis bah alors
moi ce que je pense c’est que J.-L. a besoin de soutien et c’est juste ça qu’il a besoin, et
à ce moment-là il n’y avait pas encore de harcèlement ou de … vis-à-vis de moi en tout
cas et lui ça c’était un petit peu calmé à ce moment-là donc c’était y’a deux ans quoi, si
ma mémoire est bonne. Donc voilà il a juste besoin de soutien car il venait de vivre une
séparation, ses parents n’allaient pas bien du tout, donc voilà le contexte compliqué.
Donc à quoi est-ce que j’ai pu assister ? En réunion d’équipe parfois elle… une fois elle
l’a traité de petit garçon devant toute l’assemblée et les gens n’ont même pas relevé
et moi je n’ai rien dit mais c’est quand même… enfin je trouvais ça blessant et lui a été
super blessé. Je vais raconter des faits un peu…
E : Pas de soucis.
T2 : Directement c’est difficile d’expliquer parce qu’elle le fait souvent en aparté. Elle
va dans son bureau, elle surgit dans son bureau et elle s’en prend à lui comme ça. Mais
je sais que par exemple il y a une grande inégalité entre les différents membres du
personnel, par exemple pour prendre des récupérations. Euh pourquoi ? parce que
118
quand moi je demande c’est pas bon ou à la fin de l’année on m’a spolié des heures en
trop, on m’a dit que je pouvais les récupérer et lui c’est pareil. Il demande quelque
chose et c’est non, bon ça c’est peut-être pas vraiment du harcèlement mais il y a une
injustice en tout cas mais c’est une accumulation de choses. Qu’est-ce qu’il y a encore
d’autres que je pourrais dire d’autres ? Oui un jour, donc on est chaque fois plusieurs
sous-équipes, on s’arrange toujours entre nous pour fixer les conseils de classe avec les
directions d‘école pour parler des enfants. Ça c’est normalement dans la logique mais
il y a une de nos autres collègues qui a fixé un rendez-vous sans concerter J.-L. et donc
il y a eu un conflit d’agenda. C’est débile de dire ça mais l’infirmière l’a vraiment super
mal pris et tout s’est retourné contre J.-L., mais voilà c’est un exemple. J’ai du mal à me
re-souvenir de choses bien concrète.
E : Par rapport à cette situation de harcèlement, comment vous êtes-vous situé ? Êtes-
vous intervenu d’une manière ou d’une autre vis-à-vis de la personne-cible ?
T2 : Alors est ce que je suis déjà intervenue ? Bah quand elle me dit « méfie-toi de J.-
L. », pas devant lui mais qu’elle s’adresse à moi sans justifier, elle me dit de me méfier
mais sans étayer puis de toute façon c’est à moi à faire ma propre opinion par rapport
aux gens que je rencontre, mais elle me dit ça dès le début quand je commence à
travailler dans ce service-là, je trouvais ça quand même un petit peu… lourd, parce
qu’elle est là quand même pour mettre les choses en place pour que le travail et les
relations soient positives, pour que le travail se fasse. Sinon je l’écoute beaucoup
quand il se passe des trucs qui le blessent, bah il m’en parle, on en discute ensemble,
j’essaie de le soutenir comme ça en l’écoutant, je sais pas faire autre chose que
l’écouter, je vois pas ce que je pourrais faire d’autre et pour moi l’écoute fait partie du
soutien que je peux lui apporter.
E : Est-ce que cette écoute était déjà habituelle avant ?
T2 : Bah oui on a toujours eu des relations on va dire... au début je le connaissais pas
donc j’ai appris à le connaitre en tant que collègue et on est devenu petit à petit ami,
ce qui a quand même suscité à mon avis des jalousies de la part d’autres collègues.
119
E : Ce comportement était-il facile à mettre en place ou cela vous demandait-il un
effort ?
T2 : Oui c’était facile puisque j’ai appris à le connaître, on est devenu amis et donc il a
ouvert la porte de sa vie personnelle donc il m’a confié pas mal de choses donc à partir
de ce moment-là forcément que je lui ai apporté mon soutien, c’était pas un étranger
quoi.
E : Pourquoi avez-vous réagit de cette manière plutôt qu’une autre ?
T2 : Bah parce que c’est terriblement injuste, c’est injuste déjà d’être partial, la
direction a ses chouchous et ils peuvent tout faire et en fait ce qui s’est passé c’est que
j’ai observé qu’il n’avait pas les mêmes droits que les autres et je trouvais pas ça
logique donc moi je l’ai soutenu, je l’ai écouté à ce moment-là, mais la direction a bien
senti que je me rapprochais de lui et que je m’écartais un petit groupe on va dire, des
autres collègues et donc ça ça a créé quand même pas mal de tensions, parce que moi
je m’en souviens très bien aussi avec une autre collègue avec qui je parlais quand
même assez facilement, je suis même partie en vacances avec elle et cette collègue a
été raconté des choses de ma vie privée à d’autres personnes du bureau et donc là je
me suis sentie quand même assez trahie et en fait ça a été le cas aussi pour J.-L. car il
s’était aussi lié d’amitié avec cette collègue là et elle a fait pareil pour lui donc elle
nous a trahi tous les deux. Donc c’est comme-ci… en fait je pense que pour le reste de
l’équipe c’est comme-ci j’avais choisi mon camp en gros, pour la direction aussi, alors
que non moi je soutiens J.-L. parce qu’il y a une injustice vis-à-vis de lui, la direction
n’est pas juste, elle change les règles aussi au dernier moment comme ça l’arrange…
pour lui, enfin contre lui, donc ça ça ne va pas non plus. Et comme elle a bien senti que
moi aussi j’étais pas d’accord de faire la frotte-balle parce que moi je suis pas du tout
comme ça, tous les autres le font mais moi je suis pas comme ça donc je veux rester
neutre mais à partir d’un moment où on est injuste bah là je savais plus resté neutre,
donc je l’ai soutenu lui donc je me suis mis tout le monde à dos. Mais je crois que la
direction y est pour beaucoup parce qu’elle a… en fait comme j’ai été absente
120
pendant… j’ai eu une mononucléose moi au mois de mai et juin donc pendant 2 mois
j’ai été absente, jusqu’au mois de mai moi je n’ai jamais ressenti aucune tension avec
mes collègues, rien, mais après quand je suis revenue à la rentrée ça a été
catastrophique quoi, ça s’est déchainé et je me dit « mais qu’est-ce que sui s’est passé
pendant les deux mois où j’étais pas présente ? ». Moi j’étais pas présente mais lui non
plus n’était pas présent, il a été absent de mi-février à juin pour burn-out. Moi j’étai en
burn-out aussi j’avoue parce que j’en pouvais plus, lui absent, pas remplacé, je devais
faire son travail plus le mien, sans aide donc ça c’était un peu dur dur mais bon voilà.
E : Est-ce que vous avez pu mettre en place d’autres comportements de soutien vis-à-
vis de lui ?
T2 : Bah je vais beaucoup plus souvent chez lui, j’allais beaucoup plus souvent chez lui,
parfois je restais plusieurs jours. Quand j’ai eu ma mononucléose j’avoue que je suis
restée très longtemps chez lui parce que j’étais tellement fatiguée que c’est plutôt lui
qui s’est occupée de moi que…
E : Ce comportement était-il habituel ?
T2 : Non, non, non, non, ça s’est mis comme ça en fait.
E : Etait-ce facile à mettre en place ?
T2 : Bah oui.
E : Cela vous demandait-il un effort ?
T2 : Non pas du tout.
E : Pourquoi avez-vous réagit de cette manière plutôt qu’une autre ?
121
T2 : Pourquoi ? Très bonne question. Quand il a été en burn-out je sentais qu’il était
très très très mal et moi j’étais… au mois de février, j’étais pas mal quoi je veux dire et
donc j’ai pas voulu le laisser tomber parce qu’il était tout seul. Donc comme il s’était…,
ses parents étaient… son papa… je vais peut-être pas re-raconter toute l’histoire mais
son papa est entré en maison de repos, sa maman s’est faite opérée du cœur et il a
déménagé, il s’est séparé de son copain euh… enfin bref un tableau assez noir je dois
dire. Je sais pas je me suis sentie investit d’une mission et puis voilà j’ai appris à le
connaitre et je l’aime beaucoup et donc je voyais pas comment… j’aurais pas pu faire
autrement c’était plus fort que moi et ça je lui ai dit c’était plus fort que moi je savais
pas faire autrement, je devais être présente pour toi, pour t’aider à ce moment-là quoi
donc c’est vrai que je suis restée… je suis allée très souvent chez lui. J’ai même
désinvesti un peu ici pour être… j’étais plus souvent chez lui que chez moi, ça a été ma
façon de le soutenir dans cette épreuve-là quoi. Voilà. Qu’est-ce que j’ai pu faire
d’autre ? Bah c’est vrai que quand sa maman a été hospitalisée et tout ça j’ai été fort
présente, mais à ce moment-là j’étais ici quoi.
E : Présente à l’hôpital avec lui ?
T2 : Oui j’étais à l’hôpital avec lui, quand elle a failli mourir j’étais là enfin bref ça a été
assez… En fait on a quand même une relation assez particulière, j’avoue que on est
collègues, on est amis mais on est très proche quoi. Voilà quoi. Mais sans plus.
E : Ce comportement était-il habituel ? Est-ce que cela s’est resserré à ce moment-là ?
T2 : Oui. En fait toutes les épreuves n’ont fait que renforcer le lien.
E : Est-ce que vous avez pu mettre en place d’autres comportements de soutien vis-à-
vis de lui ?
T2 : Je ne vois pas ce que je pourrais encore dire de plus.
E : Vous êtes venu à la clinique du stress avec lui.
122
T2 : Oui. Ah oui, pour le soutenir. Ah oui tout à fait, non seulement pour le soutenir
mais je me rends compte que moi aussi ça m’a fait du bien de juste objectiver les
choses. Voilà. Je suis crevée, je suis fatiguée, en fait je pense que ça m’a aussi épuisée
de le soutenir mais euh voilà … moi j’ai vécu… ces derniers temps j’ai aussi vécu pas
mal de trucs, moi, de mon côté, j’ai perdu ma grand-mère, on m’a volé ma voiture
enfin bref un tas de trucs qui font que ouhhhhhh plus tout ce qui s’est passé au bureau
qui font que, je sais pas si vous êtes au courant du P&O qui nous a convoqué et tout
ça. Ce qu’il y a c’est que on a eu un rapport de … on a eu une inspection en février, en
janvier et tous les autres membres de l’équipe ont été rencontrés par les pouvoirs
organisateurs donc c’est encore au-dessus de notre chef si vous voulez, en réunion
d’équipe mais J.-L. et moi on était absents puisqu’on était en maladie et c’était par
rapport à ce rapport d’inspection. Enfin officiellement c’était par rapport à ça mais en
fait ils n’ont pas parlé du rapport ils ont parlé de nous. On n’était pas là mais ils ont
parlé de nous, je le sais parce que ma collègue me l’a dit donc euh… sans rentrer dans
les détails parce qu’elle voulait pas me le dire mais je sais que ce que notre hiérarchie
nous a dit c’était pas vrai, ils ont pas parlé du rapport d’inspection et en fait après ils
nous ont convoqué séparément alors qu’ils auraient très bien pu nous voir ensemble
ou bien refaire une réunion avec tout le monde enfin je trouvais ça logique mais bon…
et on a pas parlé de ce rapport d’inspection, le rapport d’inspection c’était pour parler
des pistes de travail à envisager pour améliorer notre travail, on a pas parlé de ça, moi
on m’a dit que je devais être autonome par rapport à lui, mais je suis autonome dans
mon travail de février jusqu’à mai j’ai travaillé toute seule donc je sais travailler toute
seule mais je pense qu’il y a eu beaucoup de persifflage, ça a envenimé toutes les
relations puisqu’on était pas là, physiquement on était pas là donc ça donne le libre
champs à toutes les dérives qu’on peut imaginer, en disant que c’est peut-être malsain
que je sois toujours avec lui, parce qu’en fait au bureau il y en a plusieurs qui savent
qu’il est homosexuel, et alors c’est mon ami j’entretiens les relations que j’ai envie
avec mon ami mais je crois qu’il y a de l’homophobie aussi quelque part derrière. Et
donc quand on a été vu… pace qu’on a été rencontré séparément au mois de
septembre par le pouvoir organisateur, je me suis fait représenter par mon syndicat et
par le délégué syndical, c’était lui, bah oui mais bon voilà c’est tout, y’avait aussi une
123
personne du syndicat qui était présente et j’ai même pas pu ouvrir la bouche pour
parler du travail, on nous jugeait sur notre relation, mais pour finir ça c’est un petit peu
apaisé pour le moment mais on ne sait pas très bien vers quoi ça va aller parce que lui
il a quand même eu une note dans son dossier disciplinaire en rapport avec le rapport
d’inspection, parce que dans le rapport d’inspection il est dit qu’il ne fait pas le travail
qu’il devrait faire alors que ça fait 30 ans qu’il travaille, il fait très bien son travail mais
bon, en gros ça c’est un résumé du truc. Et donc on a eu des recommandés, on a eu…
enfin ça nous a mis dans un stress pas possible cette réunion enfin ce truc-là, et puis
comme on se laisse pas faire puisqu’à chaque fois on répond par courrier via le
syndicat au P&O, ça a été un peu l’escalade aussi. Bon avec le décès de ma grand-
mère, j’ai un petit peu laissé tomber parce qu’on me demande de me recentrer sur
mon travail psychologique, en tant que psychologue on ne me décrit pas ce que je dois
faire, et quand je demande ce que je dois faire on me dit que je dois m’adresser à ma
direction, d’accord mais bon ils peuvent pas me le dire par écrit donc après on peut
dire oui tu ne fais pas ça, tu ne fais pas ça, tu ne fais pas ça, mais si on me dit pas ce
que je dois faire, enfin bref… Enfin je sais pas si je suis claire.
E : Vous m’avez dit que vous ne pouviez intervenir directement, qu’est-ce qui vous a
empêché de réagir selon vous?
T2 : Ah ça c’est moi, c’est mon caractère. Quand elle est virulente ou qu’elle l’agresse
avec plusieurs, je suis incapable de répondre, moi ça me mets dans un état, j’ai le
souffle coupé, je ne sais pas répondre. Je veux bien le soutenir mais je ne sais pas
répondre à une attaque. Et quand elle m’attaquait d’ailleurs j’étais le souffle coupé,
mais par contre le soutenir en l’écoutant ça oui ça je sais faire, je suis capable de faire
mais répondre et rentrer dedans j’ai pas un caractère comme ça, même si c’est des
choses que je pourrais apprendre je suis pas comme ça donc voilà.
E : Est-ce qu’il y a d’autres choses que votre caractère qui vous a empêché de réagir ?
T2 : …
124
E : Peur de quelque chose ? ou des conséquences ?
T2 : Non j’ai jamais eu peur des conséquences. Je sais pas si c’est une garantie mais je
fais partie du CPPT donc je suis quelque part protégée du licenciement donc euh…
Mais je suis pas comme… je me sentais pas capable de répondre de façon offensive et
affirmée.
E : Et de manière indirecte, en passant par le CPPT par exemple, est ce que vous avez
pu intervenir ?
T2 : Alors directement non, parce qu’on parle toujours au nom de tout le monde, mais
ce qu’on essaie de mettre en place avec J.-L. c’est prévenir les risques psychosociaux
donc la surcharge de travail et plein d’autres trucs, et donc on a été à une réunion, on
a essayé d’investir ce côté-là mais bon c’est le début quoi ou sinon… et faut savoir que
le représentant… le membre du CPPT c’est la même personne que P&O, enfin c’est la
même personne qui... Enfin bref y’a des trucs un peu illogique. Mettre en place une
enquête sur les risques psychosociaux ça peut être super intéressant mais… moi j’y
crois, je pense que J.-L. doit y croire aussi, ce qu’il y a c’est que c’est boycotté quoi,
donc je sais pas comment faire bouger les choses.
E : Est-ce que vous avez pu mettre en place d’autres comportements de soutien vis-à-
vis de lui ? Est-ce que d’autres choses vous reviennent maintenant ?
T2 : J’ai de bonnes relations avec sa maman aussi. Quand il était super mal ça m’est
arrivée d’aller faire les courses pour sa maman, parce que lui fait ses courses pour sa
maman parce qu’elle est assez âgée, elle ne sait pas se déplacer toute seule, bon elle a
d’autres personnes qui l’aident pour faire les courses, mais ça lui arrive de lui faire les
courses pour sa maman et ça m’est arrivée d’aller faire les courses pour elle. Ce genre
de choses je l’ai déjà fait quoi.
E : Ce comportement était-il habituel avant ?
125
T2 : Depuis qu’on s’est rapproché, sinon non, avant on était collègues, on allait boire
un verre ensemble c’est tout. Puis depuis qu’il y a 2 ans, il s’est séparé de son copain,
que sa maman était hospitalisée et que son papa était en maison de repos, ça a changé
beaucoup de choses dans notre relation en fait. Je pense que si c’était pas arrivé, je ne
sais pas si je me serais autant rapproché de lui, là c’est parce que y’a une porte ouverte
et que je sentais que… en plus il a beaucoup d’amis, franchement beaucoup d’amis, et
des amis sur qui il peut compter mais il les voit pas très souvent. Et bah moi je le vois…
déjà c’est mon collègue donc je le voyais tous les jours donc voilà j’ai pris un peu cette
place-là.
E : Ce comportement était-il facile à mettre en place ou cela vous demandait-il un
effort ?
T2 : Je l’ai pas fait beaucoup de fois, je l’ai fait peut-être deux fois ou trois fois. En fait,
non parce que j’ai l’habitude, j’avais l’habitude de m’occuper de personnes plus âgées
parce que ma grand-mère était, donc elle est décédée il y a pas longtemps, et je
m’occupais beaucoup d’elle, c’était un peu naturel je pense.
E : C’est pour ça que vous avez réagi de cette manière ?
T2 : Oui je pense c’est mon vécu en fait qui a fait ça, à mon avis oui.
E : Avez-vous a un moment donné pris plus conscience de ce qui était en jeu dans la
situation, ou bien sa gravité ?
T2 : Quand l’équipe s’est retournée contre nous je crois. Ma collègue qui était aussi
mon amie avec qui je partais en vacances et tout, j’ai compris à un moment qu’elle
était allée raconter des trucs sur ma vie et celle de J.-L. à tout le monde au bureau. Elle
dénigrait J.-L. à mes yeux en me disant que c’était un manipulateur… qu’est-ce qu’elle
m’a encore dit… des trucs abominables… alors la seule réponse que j’ai pu lui donner
c’est que moi je ne le percevais pas du tout comme ça. Je ne le perçois pas comme ça
donc voilà ça c’est ta position moi j’en ai une autre et je me suis dit mais enfin qu’est-
126
ce que notre direction a été mettre dans la tête de mon amie parce que pour moi
c’était une amie, et est ce qu’elle n’est pas suffisamment, elle, indépendante de
pensée que d’être influencée par une direction, enfin je me suis posée quand même
pas mal de questions et je me dis que notre directrice a foutu la merde partout, dans
toute l’équipe en allant raconté des trucs faux pour savoir le vrai, en inventant des
machins, bref, je n’essaie même plus de penser à tout ça, peu importe, elle a foutu la
merde, vraiment la merde et au total V*****… en fait je suis déçue qu’elle n’ait pas un
esprit indépendant, qu’elle se soit fait quelque part avoir. Ou bien je me trompe
complètement et J.-L. est un manipulateur et je fais erreur quoi mais bon (rires) mais je
ne pense pas, je ne crois pas. Mais parfois je me suis posée la question mais est ce que
je suis vraiment dans le bon, est ce que je suis vraiment droite ou est-ce que je suis
aveuglée par mes sentiments d’amitié par rapport à lui, comment rester objective,
enfin voilà, je suis ce que je sens et c’est tout.
E : Cela a-t-il modifié votre comportement vis à vis de lui ?
T2 : Au bureau ?
E : En général.
T2 : Alors au bureau, on ne laisse plus rien transparaitre comme relation entre nous
donc on se… oui parce que il m’a fait un compliment, ça s’est retourné contre lui, enfin
bref je peux faire un roman avec tout ce qui s’est déjà passé, en fait je me souviens au
fur et à mesure. Donc maintenant on reste le plus neutre, le plus plat possible entre
nous, et donc sur le temps de midi on mange très rarement ensemble dans la
cafétéria, sinon on se fixe des rendez-vous dans les écoles et on mange ensemble
parce que voilà on est libre, pendant le temps de midi on fait ce qu’on veut, mais si on
est occupé bah on est occupé, on se voit pas voilà.
E : Cette prise de conscience a-t-elle modifié votre attitude de soutien ?
127
T2 : Oui parce que je sais où je mets mes forces, je me dis que je me bats pour une
justice, mais en fait c’est pas juste lui, c’est par rapport à… ça pourrait arriver à
n’importe qui d’autre quoi. Et je veux que ce soit juste pour … que ce soit pour
n’importe qui. Enfin je pense… c’est débile de penser ça mais au nazisme ou des trucs
comme ça, mais non je suis pas d’accord, je suis pas d’accord quoi, la liberté de
chacun, le respect, la tolérance et puis dans le monde dans lequel on vit on pourrait
quand même… bah non, non, surtout dans ce milieu-ci c’est quand même assez catho,
ils sont comme ça, et voilà. En fait je pense que ça dépasse juste J.-L., c’est plus grand,
je me bats pour quelque chose de plus grand que ça.
E : Pour quoi exactement ?
T2 : Pour une justice, une égalité, une justice pour chacun. Donc oui c’est lui mais bon,
ça aurait pu être pour quelqu’un d’autre. Mais je pense que je suis aussi plus investi
parce que c’est mon ami quoi. Je m’investirai peut-être moins si c’était pour une
cause… allez quelqu’un qui est emprisonné en Chine, voilà et que c’est injuste, lui je le
connais c’est mon ami et si je peux déjà agir pour lui c’est déjà très bien.
E : Les autres membres de l’entreprise ont-ils réagi ?
T2 : Alors la copine qui nous a trahi un jour, oui, elle a agi, elle, verbalement, elle a pris
position, c’est arrivé une fois et après bah c’est comme-ci elle s’était rétractée elle a
plus jamais… elle ne l’a plus jamais soutenu, mais je me demande si… En fait, elle, je
pense qu’elle a peur de l’autorité, mais bon c’est mon analyse et donc… et comme elle
a un statut particulier parce qu’elle est thérapeute, sur le côté elle est thérapeute et
donc notre chef, la directrice, l’a mets un peu sur un piédestal parce qu’elle est
thérapeute, attention elle est thérapeute donc elle, elle sait, et ce qui faut savoir aussi
c’est que elle est licenciée en psychologie donc elle a un master, moi je n’ai pas de
master en psycho, je suis graduée, j’ai fait un graduat, j’ai fait 3 ans, 3 ans d’études
donc moi je ne sais rien en fait en gros.
E : Dans la vision de votre supérieure ?
128
T2 : Oui dans sa vision à elle. Mais en fait, elle le fait peut-être sentir comme ça mais
tout compte fait elle se rend bien compte que je suis pas si bête que ça parce qu'à la
rentrée quand elle m'a fait venir dans son bureau elle m'a dit qu'elle regrettait de
m'avoir engagé, elle m'a dit ça je l'ai entendu, mais qu'elle était très contente de mon
travail et que mes dossiers étaient très bien tenus, que j'avais des bonnes hypothèses,
mes conclusions étaient très bien, très claires, qu'elle pouvait rendre mes conclusions
comme ça, sans avoir vu l'enfant, aux parents. Et après j'ai appris qu'une maman, parce
que j'ai eu une maman au téléphone qui m'a dit que c'était elle qui avait fait la remise
de conclusion et qu'elle lui avait lu les conclusions, et ça tombait un peu à plat, bah
évidemment on ne lit pas des conclusions comme ça, on relit tout le dossier, on analyse
le truc. Elle n'est pas très compétente et en fait ce qu'il y a c'est qu'elle le sait, je pense
qu'elle doit le savoir, et elle a peur d'être démasquée en fait je pense dans son
incompétence et donc elle fait diversion en faisant chier les autres en gros c'est
vraiment ça, c'est mon analyse, c'est l'analyse que je partage avec J.-L.
E: Les autres membres de l'équipe avaient-ils le même comportement que vous vis-à-
vis de J.-L. ?
T2: Alors j'ai dit Valérie elle l'a défendu une fois, c'est arrivé précédemment qu'une
infirmière l'ait soutenu mais elle a retourné sa veste parce que évidemment, si la
direction donne des avantages c'est bien plus facile d'accepter les avantages que de
rester droit, correct, respecter le règlement, arriver à l'heure, partir à l'heure, ce que je
fais mais il y ne a d'autres qui ne le font pas.
E: Est ce que certains ont établi avec J.-L. des relations de soutien ?
T2: Non, oh non, en fait c'est récurrent. Il a déjà subit du harcèlement il y a quelques
années mais moi j'étais pas encore là.
E: Dans cette même entreprise ?
129
T2: Oui mais avec d'autres personnes. Oui d'ailleurs ça ça serait intéressant d'analyser
comment ça se fait que ça revient, pourquoi ça revient comme ça. Alors il se dit mais
c'est de ma faute, c'est moi, bah je dis bah non, mais y'a peut-être quelque chose, c'est
pas que lui, y'a un système, y'a quelque chose qui fait que … Mais moi je suis sûre que
l'homophobie à avoir, je suis certaine, je suis certaine et donc que ce soit avant avec
d'autres personnes ou maintenant forcément lui il est toujours lui, il va pas changé ça
et donc s'il y a toujours cette question-là bah voilà. Donc l'infirmière précédemment l'a
soutenu, puis elle a tourné sa veste pour cette fois-ci et elle ne le soutient plus. Et alors
les autres, bah non ils font tous allégeance à notre chef qui les chouchoute et qui leur
donne des privilèges parce que c'est vraiment ça c'est un système de privilèges. Moi j'ai
pas droit.
E: Est-ce que l'entreprise a réagi ?
T2: Ça je sais pas. Bah oui parce que la directrice s'est plainte au P&O, leur réaction ça
a été quoi ? Bah de nous convoquer.
E: Donc ça a été une réaction en faveur de la directrice ?
T2: Bah oui c'était pas pour lui, ah non non non c'était pas pour lui. Mais je sais que elle
notre chef elle fait véhiculer une image de J.-L. de quelqu'un qui ne respecte pas les
règles, c'est pas vrai, il respecte le cadre si le cadre reste toujours le même. Mais si il
est tout le temps changeant on ne sait plus quoi pour finir et ça il supporte pas et donc
chaque fois il lui met le nez dans son caca et alors ça l'énerve parce qu'il ne se laisse
pas faire non plus quoi.
E: Pensez-vous que cela est plus dur dans votre entreprise plutôt que dans une autre
de pouvoir intervenir ?
T2: Je pense que oui parce qu'on travaille dans le social, psycho-social, et que ce qui
nous a été dit justement à cette réunion avec le P&O c'est que comme on était des
130
personnes qui travaillent dans le social on savait comment faire. Bah non, justement
c'est bien pire. Donc voilà je sais pas ce que je pourrais dire de plus.
E: Donc vous ne pouvez pas remonter d'informations aux supérieurs car on va vous
renvoyer qu'ils savent, c'est ce que vous voulez dire ?
T2: Non, nous on sait comment tirer notre plan et arranger les bidons. Vous savez vous
êtes dans le milieu.
E: Donc le P&O estime qu'ils n'ont pas besoin d'intervenir car vous êtes dans le milieu,
vous devriez savoir comment faire ?
T2: Oui, on sait faire tout seul.
E: Donc quand vous essayer de leur remonter des choses, il ne se passe rien ?
T2: Ah non il ne se passe rien du tout, absolument rien. Mais sauf que au CPPT comme
on aimerait bien prévenir les risques psycho-sociaux et donc mettre des choses en
place pour tout ça, bah on ne sait pas vers quoi ça va déboucher parce qu'on a quand
même pas mal de blocage. Chaque fois... bon on a été à une réunion d'informations, on
a des documents, c'est déjà ça mais J.-L. m'a déjà dit que ça faisait je sais pas combien
de temps qu'il essayait de mettre ça en place mais que ça tombait chaque fois à l'eau,
donc … Mais bon avant j'étais pas élue donc maintenant au lieu qu'ils soient 2 on est 3
donc peut-être que ça peut changer la donne j'en sais rien, je sais pas. Mais en fait le
fait d'être... je reviens à l'équipe, le fait d'être 2 que J.-L. ne soit plus tout seul, parce
que pendant tout un temps il a été tout seul et c'est quand même arrivé qu'il se fasse
agresser par la directrice, il s'épuisait là-dedans, mais le fait d'être 2 bah il se sent plus
fort, ça il m'a déjà dit, on est plus fort, on est 2 , oui mais à quel prix, purée ouuhhh, je
commence vraiment à être fatiguée, j'aimerais bien que ça s'arrête. Mais peut-être
qu'elle va partir au mois de juin mais est-ce que ça va tout résoudre, qui est ce qu'on va
avoir à la place, il faut investir autre chose, enfin moi c'est mon avis, investir autre
chose un autre travail quoi. Je vois pas comment on pourrait.... Moi mes projets pour
131
me centrer sur moi c'est de réduire mon temps de travail et démarrer une activité
complémentaire et m'investir là-dedans parce que faire confiance en l'équipe pour J.-L.
c'est plus possible et moi non plus c'est plus possible, comment refaire confiance, c'est
impossible, enfin moi je vois pas, à moins qu'il y ait une médiation avec quelqu'un
d'extérieur mais ça a déjà été tenté ça n'a jamais rien donné, enfin bref, bon c'est pas
les mêmes acteurs donc je sais pas... mais moi j'ai envie de prendre une porte de
sortie.
E: Est-ce que d'autres choses vous font penser que c'est plus dur de pouvoir intervenir
dans votre entreprise plutôt que dans une autre ?
T2: Bah oui parce que, en fait ce qui se passe c'est que les membres du P&O,
l'administrateur du P&O... tout est imbriqué donc le médecin conseil c'est une copine
du gars du P&O, ce gars du P&O est lui-même dans un syndicat.
E: Et au CPPT ?
T2: Oui mais dans un autre, pour les hautes écoles. Mais même y'a des ramifications,
tout est mélangé, y'a rien qui est sain, qui est neutre, qui est séparé. Comme c'est avec
la mutuelle enfin y'a des … je sais pas tout expliquer mais je sais qu'en tout cas les
personnes ne sont pas neutres, ça je sais. Et donc si c'était dans une autre entreprise
peut-être que … privée, y'aurait moins de ramifications, de gens qui se connaissent et
qui bidouillent des trucs ensemble, enfin voilà, je sais pas.
E: Est ce qu'il y a quelqu'un encore au-dessus du P&O ?
T2: Euh non, je pense pas non. Et le Pouvoir Organisateur, donc il y a plusieurs
membres hein, notamment des enseignants, des directeurs d’école, enfin des choses
comme ça et y’a un administrateur délégué et c’est toujours celui-là qu’on voit quand
on est convoqué ou bien au CPPT, c’est toujours le même, c’est toujours la même
personne qui vient. Moi je le connais pas très bien parce que je l’ai pas vu
régulièrement mais… ça fait pas longtemps que je suis élue donc euh… J.-L. m’a déjà dit
132
que c’était quelqu’un qui mentait beaucoup… sur la loi, il avançait des trucs qui
n’étaient pas vrai et ça il ne supporte pas. La loi c’est la loi, et c’est vrai pourquoi
transgresser la loi, la loi est la même pour tout le monde, bah non lui il arrange la loi un
peu comme il veut. Et puis quand on a été convoqué là par le P&O, ce qui a été loin
aussi c’est qu’ils annonçaient dans la lettre qu’on allait travailler sur les pistes de travail
pour le centre, donc là il a menti aussi, et c’est pas ça qu’on a fait, on a pas parlé de ça,
et ça je supporte pas non plus.
E : Quels ont été les obstacles les plus durs à dépasser pour pouvoir mettre en place
des comportements d’aide ou de soutien ?
T2 : Je dirais le jugement des gens de mes collègues. Je suis passée au-dessus, mais
c’est vrai qu’au départ ça a quand même été un obstacle. Et puis le fait que je sois pas
élue au CPPT, j’étais pas encore élue quand les choses ont été mises en place.
E : Vous aviez peur pour votre emploi ?
T2 : Peur pour ma place ! Parce que j’étais pas nommé donc je pouvais très bien ne pas
être renouvelée dans mon contrat si je ne convenais pas. Et là comme je me bats à ses
côtés, déjà je suis nommée et en plus je fais partie du CPPT donc là je suis protégée.
Mais au départ ça a été un obstacle de ne pas avoir cette protection pour le soutenir.
C’est vrai que ça a été un obstacle, le jugement, ça. Et ce qui est toujours difficile c’est
mes parents aussi, c’est un peu débile de dire ça mais.. enfin mon père pas ma mère, il
comprend pas pourquoi je peux soutenir, je soutiens quelqu’un, il comprends pas, et
donc voilà mais bon je fais mes choix donc, ça a été… ça n’a pas été un obstacle mais ça
me pèse quand même de rentrer en conflit avec mon père à cause de ça, mais quelque
part il me juge et ça je ne supporte ça, je supporte pas. Mais bon je dois dépasser ça, le
jugement de l’autre. Mais une fois que j’ai fait mes choix je les assume, donc voilà.
E : Est-ce que d’autres obstacles vous viennent à l’esprit ?
133
T2 : Bah quand j’ai été malade, quand j’ai fait ma mononucléose, ça a été un peu plus
compliqué pour le soutenir évidemment parce que là je me suis quand même fort
centré sur moi à ce moment-là. C’est lui qui m’a épaulé à ce moment-là, j’aurais pas pu,
c’est lui qui m’a épaulé, c’est lui qui m’a soutenu.
E : Qu’est ce qui aurait pu faire que vos comportements soient différents (plus ou
moins présents) ?
T2 : Je pense que tout aurait été différent dans mon comportement, si on ne m’avait
pas dit de me méfier de lui, enfin pourquoi, pour quelles raisons… là j’ai eu la puce à
l’oreille, je me suis déjà dit mais pourquoi est-ce qu’on me dit ça, enfin c’est un peu…
je suis assez grande déjà pour penser par moi-même. Et mon comportement aurait pu
être différent si l’équipe avait réagi différemment.
E : Dans quel sens ?
T2 : Bah si ils avaient été plus soutenant par rapport à J.-L. j’aurais été moins… c’est
moi qui me serait senti moins à l’écart de l’équipe, mais en même temps j’ai été
absente parce que j’étais malade c’est pas eux qui m’ont mis à l’écart, c’est moi parce
que j’ai été malade qui me suis mise à l’écart et comme tout s’est enchainé et bah
pour finir j’ai plus voulu avoir des relations plus personnelles avec le reste de l’équipe.
Maintenant le reste de l’équipe c’est bonjour, je ne parle plus du tout de ce que je fais
de ma vie privée, plus rien rien rien, plus rien. Et c’est une façon de me protéger parce
qu’ils ont été trop loin, ils ont été beaucoup trop loin.
E : Et qu’est ce qui aurait pu faire que vos comportements soient plus présents ?
T2 : …
E : Comme intervenir plus directement au niveau de la hiérarchie ?
134
T2 : Ce qui a ce que la hiérarchie, avec la directrice c’est toujours insidieux, disons
qu’on s’attend jamais, on s’attend pas à ce qu’à un moment donné elle agresse ou…
donc réagir autrement bah… Je suis chaque fois surprise, j’ai toujours été surprise en
fait, et embobiner, je sais pas comment dire mais oui embobiner, donc réagir
autrement bah… Je crois qu’il m’a fallu… maintenant je suis plus consciente qu’elle est
capable du pire, on va dire ça, parce que j’ai toujours cru, mais non… c’est une
personne qui est gentille, qui parfois pète des câbles parce que J.-L. c’est vrai parfois
c’est vrai il est embêtant quoi, quand il respecte pas le cadre que elle elle a mis, mais si
elle le change tout le temps forcément ça fait ça, mais ils ont chacun leurs torts quoi je
veux dire. Mais chaque fois j’ai été… oui c’est chaque fois une surprise donc réagir
autrement bah… voilà je suis plus consciente donc je suis tout le temps sur mes gardes,
mais c’est fatiguant d’être tout le temps sur ses gardes et me dire oui elle peut encore…
mais ça fait… elle ne m’agresse plus moi, elle ne m’agresse plus pour le moment, ça fait
quelques mois qu’elle ne m’agresse plus.
E : Ce que vous voulez me dire c’est que si le caractère de votre directrice avait été
moins impulsif, cela vous aurait permis de réagir différemment ?
T2 : Si elle avait été plus dans l’écoute, l’empathie et le soutien de J.-L., parce qu’au tout
départ c’est ça que je lui ai demandé moi qu’elle soit empathique et soutenante par
rapport à lui, c’était ma seule demande parce que moi je voyais bien dans quel état il
était il y a 2 ans. Elle a fait tout le contraire, elle a tapé dessus, tapé, bien tapé, bien
tapé. Je me dis je peux pas le laisser comme ça, moi j’ai été soutenante, empathique.
Mais j’aurais aimé que tout le monde dans l’équipe le soit, que elle le soit en premier
parce que c’est notre directrice et que si on vit des choses personnelles qui sont un peu
difficile bah elle est aussi là, pas pour nous écouter de long en large mais nous soutenir
et être compréhensive par rapport aux choses parce que refuser à J.-L. d’aller voir sa
maman le jour de son opération je suis désolé c’est pas humain, c’était une opération à
cœur ouvert enfin bref c’est pas humain, bah ça je peux pas accepter, et alors quand J.-
L. dit à une collègue qu’elle lui a refusé d’aller voir sa maman, elle fait venir la collègue
et J.-L. et devant la collègue elle ment et elle dit à J.-L. qu’elle l’a autorisé, mais quoi…
donc c’est ça qu’elle change tout le temps les règles, tout le temps, tout le temps, tout
135
le temps, pour lui c’est vrai que c’est… comme le cadre n’est pas clair pour finir moi
aussi je sais plus quoi et c’est angoissant c’est très angoissant parce qu’on sait jamais
quand elle va nous tomber dessus, et si le cadre était clair et qu’elle était soutenante et
compréhensive et empathique bah je pense que ça aurait tout changé, parce qu’elle
aurait insufflé une autre dynamique aussi dans l’équipe mais là c’était pas du tout… ça
n’a pas été le cas quoi, y’a que moi qui ait pris cette position-là. Je la prends toujours
mais là le fait est que je commence à être fatiguée.
E : Est-ce que des choses auraient pu rendre votre intervention encore plus difficile ?
T2 : Non, je vois pas parce que franchement on a pas eu… ça n’a pas été facile du tout.
En plus on a pas été aidé d’un point de vue personnel donc y’a le boulot ok mais y’a
aussi tout ce qui est vie personnel, donc lui il a une vie personnelle assez
mouvementée, ça ne l’a pas aidé non plus, ce qui l’a achevé c’est sa vie personnelle
aussi, moi ce qui m’a permis de tenir jusqu’à maintenant c’est que dans ma vie
personnelle j’avais pas de soucis mais là ma grand-mère est quand même décédée, je
veux pas ne rajouter une couche mais on m’a volé ma voiture, on m’a volé mon
ordinateur enfin bref, j’ai eu plein de petits trucs comme ça, c’est du matériel, c’est
débile mais bon voilà c’est embêtant, et puis le soutenir lui. Je pense que si j’avais pas
mes problèmes personnels pour le moment je serais plus dispo encore à l’aider et à le
soutenir mais là j’ai l’impression que je suis arrivée au bout parce que moi de mon côté
j’ai des trucs qui me tracassent quoi donc voilà. Alors pire que ça ? Je pense pas, je
pense que là on a touché le fond.
Commentaires pendant la passation du questionnaire :
T2 : (Lis à haute voix) Dans cette situation est ce plutôt le harceleur, la personne cible,
l’entreprise…
Ah ! Je sais pas cocher un seul.
E : Vous pouvez en cochez plusieurs
136
T2 : C’est la dynamique qui s’est installée mais je dirais plutôt, je vais plutôt dire
l’entreprise que une personne en particulier. Parce que celle qui harcèle J-L***, ça a
été aussi loin avec la convocation au P&O, etc… pourquoi ? parce que au-dessus ils ont
marché dans son jeu. Si le P&O avait coupé court en disant écoute le rapport
d’inspection n’est pas positif mais tu n’as qu’à gérer ça avec ton équipe et lui renvoyer
à elle, c’est quand même son boulot, non ? Gère ça avec ton équipe si il ne fait pas son
travail quoi, en même temps elle avait briefé l’inspectrice. Moi je dirais plus tôt
l’entreprise que… enfin je sais pas très bien comment.
(Lis à haute voix) La situation que vous décrivez, selon vous qui est responsable de
cette situation…
En même temps… je réfléchis tout haut… celle qui le harcèle c’est la directrice, c’est
elle qui l’agresse dans son bureau, qui lui fais signer des papiers parce qu’il arrive 10
minutes en retard qui n’ont aucun sens mais bon voilà. Donc je vais dire le harceleur,
ouais. Parce que c’est avec elle qu’il a le plus, c’est elle qui est à l’origine, c’est pour ça
sinon y’a aussi plus haut mais ce qui est plus haut marche dans le jeu donc …
(Lis à haute voix) Comment décririez-vous votre entreprise de manière générale …
On peut en cocher plusieurs ?
E : Ça serait mieux d’en cocher une seule ici, mais vous pouvez commenter votre
hésitation.
T2 : J’hésite entre ces deux-là en fait.
E : Il y’en a une où c’est plutôt tout le monde est invité à se taire et à se conformer et
l’autre c’est plutôt tout le monde est invité à se marcher dessus pour évoluer, très
grossièrement.
T2 : C’est ça, on doit se taire. Aux réunions d’équipe on doit se taire, on peut parler,
bah à la convocation du P&O on a pas pu parler, c’est la preuve.
E : Merci beaucoup.
137
9.5. Retranscription de l’entretien avec le témoin n°3
E : Pour commencer, je vais vous demander de vous présenter en expliquant votre
position de travail et vos liens avec la personne cible et le « harceleur », et de
m’expliquer en quelques mots la situation.
T3 : Bon alors, moi j’ai vécu ça comme prestataire extérieur dans la société du Club
Méditerranée. En fait faut savoir que j’ai travaillé 10 ans pour le Club Med et
qu’ensuite pour raisons extérieures je suis devenu un prestataire au niveau du Club
Med en tant que moniteur de ski. Alors la personne qui a été harcelée cette saison
était carrément le directeur des ressources humaines, le RH du centre dans lequel on
était. Au départ c’était, ouais j’ai envie de dire entre guillemets un collègue de travail,
plutôt quelqu’un qu’on se voyait au bar de temps en temps on prenait un petit apéro
et puis petit à petit nos relations se sont resserrées justement à cause de ce
harcèlement parce que en interne il n’avait plus beaucoup de soutien et il m’a
demandé tout simplement un jour , écoute toi qui a fait le club t’as pas l’impression
qu’ils sont vraiment entre guillemets en train de me faire chier là pour reprendre
vraiment… et à partir de là j’ai commencé à regarder et de fait on a rapidement
compris qu’ils voulaient l’écarter de l’entreprise, ce qui a d’ailleurs été fait. Et après
par rapport au travail qu’on a fait avec lui ben j’ai suivi la procédure juridique et j’ai
même été témoin… non j’ai pas été directement témoin au procès disons que j’aurais
dû être témoin au procès mais il y a eu arrangement à l’amiable juste avant que je ne
rentre dans la salle d’audience voilà.
E : Et qui était le harceleur ?
T3 : C’était son employeur, c’était le chef de village au départ, c’est un terme un peu
particulier au niveau du Club Med mais c’est le directeur d’hôtel plus son adjoint et
petit à petit l’ensemble des chefs de service.
E : Et concrètement, que s’est-il passé pour la personne-cible ?
138
T3 : Alors concrètement, ils ont commencé à l’attaquer sur tout ce qui était en dehors
de son travail donc c’est-à-dire il faut savoir également le Club Méditerranée est une
entreprise très particulière où on a un cahier de charges précis au niveau du travail
comme dans d’autres entreprises par contre à côté il y a une espèce de zone grise où
on oblige le contact avec les clients et ben lui ils ont commencé à l’attaquer
exclusivement sur ce niveau-là comme quoi il allait pas assez souvent manger avec les
clients, comme quoi il était pas au bar, comme quoi il faisait pas spectacles, or ça ne
rentre pas dans le vrai cadre du travail et lui il s’est braqué et donc quelque part il en a
fait un petit moins là en disant allez-y, il est juriste hein au départ, ça faisait quand
même je pense presque 10 ans qu’il était dans la boîte et il dit voilà dites-moi pourquoi
est-ce que je fais mal mon travail et expliquez etc. Et donc évidemment ils n’ont pas pu
l’attaquer, continuer là-dessus et là vraiment le harcèlement a commencé genre oubli
de le convoquer à une réunion chef de service, oubli dans les mails, remise en cause de
son travail en public et en privé, en public jamais devant les clients mais par contre
effectivement devant certains moniteurs de ski comme nous nous sommes à
l’extérieur, c’est un village de vacances d’hiver, et ben on venait le rechercher ou des
trucs comme ça et je me rappelle également d’un épisode où alors qu’il était dans le
village c’est son assistante qui a été convoqué à la réunion chef de service donc ça
c’était vraiment tout le début puis tout d’un coup la procédure de licenciement a été
prise à la va-vite, ça c’était très comique, enfin comique, c’est un juriste et puis il s’y
attendais parce que on a commencé à discuter avant donc… niveau moral il était nulle
part faut quand même insister là-dessus aussi et en fait ce qui s’est passé c’est qu’au
club en général quand on perd son boulot on perd également son logement on perd
tout, parce qu’on est tout simplement renvoyé à la maison, mais lui ils l’ont renvoyé à
la maison à un détail près c’est que lui en tant que ressources humaines il avait un
logement de service mais à l’année donc qu’est-ce qu’il a fait il a été à la police, nous
sommes en période d’hiver, il est revenu, j’en rigole encore parce que fallait… moi
j’étais pas là à ce moment-là mais fallait voir la tête de tout le monde qui croyait qu’ils
s’étaient enfin débarrassé de lui, il revient l’après-midi même avec deux policiers
encadrés pour récupérer sa chambre. A partir du moment où il était là et il n’avait plus
de fonction au sein du village ça s’est évidemment encore empiré parce que au niveau
de la nourriture tout est dans les hôtels etc et tout, mais il pouvait plus accéder au bar,
139
etc et tout, ça c’est vraiment ce qui s’est passé à ce moment-là. Puis ensuite est venue
la procédure de contre-attaque entre guillemets. Je conseille à tout le monde d’avoir
une bonne assurance juridique parce que comme il avait une assurance juridique aussi
il a pas eu de problème donc il a contacté un avocat et à partir de là il est rentré dans
tout ce qui était factuel, qu’est ce qui lui était reproché, récupérer les mails, etc et
tout, et on a pu démontrer que effectivement il y avait harcèlement moral sur cette
personne, parce qu’il s’attendait à un moment donné à ce qu’il démissionne, mais lui il
était plus fort que ça on lui a tous dit de toute façon tu démissionnes pas, il a dit non
non je démissionnerai pas. Et à partir de là c’était assez amusant aussi parce qu’il en
avait parlé à différentes personnes, et demander au niveau de l’avocat qui est-ce qui
pourrait être dans le dossier, et dans le dossier en fait ils ont fait pression également
sur tous ceux qui étaient encore employés du Club Med, eux petit à petit se sont
retirés, par contre avec une autre personne également extérieure qui avait connu le
Club Med aussi nous on est resté parce que sur nous ils n’avaient pas de pression et
une pression avait été faite notamment sur une personne qui travaille à la
maintenance tout simplement en lui disant tu sais que tu es bientôt à la retraite, ce
serait dommage de perdre quelques avantages juste avant… un procès entre
guillemets, ils lui ont pas dit comme ça mais nous on l’a su après autour d’un petit
apéro, il nous l’a avoué. Et quand je dis on en fait c’est parce que toute la défense avait
été mise en place avec le RH, on était vraiment inclus dans le processus même si on ne
connait pas tous les tenants et les aboutissants mais on a vraiment fait attention à
tout, au point même que l’avocat ne m’avait jamais rencontré parce que dans le droit
c’était quelque chose de litigieux si l’avocat rencontrait un des témoins, on avait été
vraiment dans tous les détails.
E : Est-ce que cela a été reconnu comme un harcèlement moral juridiquement ?
T3 : Alors juridiquement, y’a pas eu reconnaissance de harcèlement moral parce qu’il y
a eu un compromis avant. Et il faut savoir que… moi c’est ce que j’ai dit c’est dommage
qu’on a pas été au bout, mais ça pouvait pas aller au bout parce qu’en fait c’était une
méthode du Club Med habituelle et on avait ouvert la boîte de Pandore avec tout ce
qui était le travail réel donc des prestations, dans son cadre RH, moi dans mon cadre à
140
l’époque j’étais responsable mini-club donc c’est-à-dire ma fonction de management ;
et tous les à-côtés qui ne sont pas dans les heures de travail pourtant on est
constamment sur place, le bar, l’accueil des clients, tout le travail et tout, et on avait
réellement pu chiffrer tout ça, de combien on fait d’heures et en fait le juge c’était là-
dessus qu’il venait voir plus, plus que par rapport au harcèlement moral, le
harcèlement moral était plutôt lié à une procédure de licenciement traditionnel. Mais
au départ c’est la procédure de licenciement et puis après effectivement… et quand le
juge a vu ça… enfin le juge on aurait dit plutôt la justice a vu cela, elle a accepté cette
attaque comme totalement fondée en fait, mais comme on a pas été au bout il n’y a
pas eu de jugement, mais bon il y a eu réparation.
E : Par rapport à cette situation de harcèlement, comment vous êtes-vous situé ? Êtes-
vous intervenu d’une manière ou d’une autre vis-à-vis de la personne-cible ?
T3 : Alors oui, moi je voulais intervenir, à partir du moment… enfin tout de suite. Pour
une raison simple, moi quand j’ai quitté le Club, j’ai quitté sur une démission, certaines
personnes auraient pu dire que j’étais en… moi-même je pense j’étais en burnout,
mais par rapport à tout ce que j’ai vécu au Club Med je voulais pas attaquer parce que
ma balance personnelle était positive, j’ai dit ok c’est bon. Par exemple maintenant je
suis diplômé en ski, en tant que belge, si j’étais pas rentré par le Club Med j’aurais pas
eu, pour moi ça allait. Par contre ce qui s’était passé avec mon copain était
complètement différent parce que c’est une situation qui était injuste, c’était vraiment
quelque chose qui me tenait à cœur de pouvoir rester à côté de lui, je voyais que tout
le monde partait et moi comme il n’y a pas de pression sur moi vis-à-vis de mon
employeur, à la limite l’école de ski aurait pu me tomber dessus mais personne n’a
jamais su de toute façon, et ils ne s’occupaient pas de ça, ils ne seraient jamais venu
me dire « excuse-moi ne va pas comme témoins dans cette affaire », ils ne le font pas
donc j’avais pas de pression, mais par contre quand je voyais que tout le monde partait
et surtout pour moi c’était une situation injuste donc il fallait rester là, on va pas dire
comme un chevalier blanc la question elle est pas là mais c’était… quand je le voyais
petit à petit, ça faisait peut-être 2-3 ans qu’on se connaissait, mais comment il
141
déprimait, comment ça… je veux dire le sourire qui partait, les choses comme ça, tu te
dit oulalalala, faut… y’a un problème.
E : Mis à part votre participation au procès, est ce que vous avez pu mettre en place
des comportements d’aide et de soutien avant cela ?
T3 : Oui alors concrètement… à partir du moment où… tout est passé avec un
changement de chef de village parce que là aussi, enfin c’est comme d’hab’ ça change,
donc concrètement qu’est-ce qu’on a pu… au départ c’était juste quand il m’a posé des
questions vraiment informelle au niveau du bar entre amis « écoute je vais regarder un
petit peu mais je pense que oui » puis comme je connaissais bien l’intérieur de
l’entreprise je lui a dit « c’est bon ils veulent te dégager », c’est les méthodes, chaque
entreprise a ses méthodes voilà. Et lui il voulait pas partir parce qu’il estimait qu’il
faisait du bon travail, qu’ils étaient contents de lui dans son boulot, et qu’il aimait la
boîte donc à partir de là tout a été vraiment par contre très vite, au Club Med tout va
toujours très vite, quand on dégage c’est vite fait bien fait vu que la plupart des gens
ne se retournent même pas voilà. Donc quand ça ça a été annoncé ça a été encore plus
du soutien parce que c’était pas facile pour lui de se retrouver dans un environnement
où il avait quand même réussi à récupérer son logement, à être là mais pas… d’être un
paria en fait à l’interne. Donc à partir de là c’était plus un soutien moral et présent, la
présence est importante aussi, comme beaucoup de gens au Club il était célibataire
enfin c’est plein de petites choses donc c’était peut-être aller boire un verre et
discuter, toujours discuter de tout ça avec lui et l’encourager dans ses démarches, dire
« oui oui vas-y fonce » « ah est ce que t’es sur qu’on va chez l’avocat ? » « je dis pas on
c’est toi, t’y vas », et puis tout d’un coup il a décidé de prendre tout en main et à partir
de là la machine judiciaire s’est mis en route et à partir de là j’ai envie de dire que
entre guillemets mon travail était fini vis-à-vis du harcèlement jusqu’au procès où
j’arrivais comme témoin, où j’aurais dû arriver comme témoin. Mais c’est plus… ouais
c’était de l’humain en fait dont il avait besoin, moi je le sens plus à ce niveau-là.
E : Est-ce que c’était un comportement habituel d’aller boire un verre avec lui pour
discuter de ses problèmes ?
142
T3 : Non, en fait on s’est rapproché par rapport à cette procédure. J’ai envie de dire
que là il s’est rendu compte qu’il pouvait compter sur moi, et bon on s’appréciait déjà
avant la question elle était pas mais moi au départ c’était vraiment plus parce que
c’était pas juste et il faut pouvoir dénoncer certaines choses en entreprise.
E : Etait-ce facile à mettre en place ?
T3 : Pour moi oui, pour lui plus difficilement parce qu’il a dû faire et le deuil de son
boulot et l’attaquer donc je pense que par rapport à lui… mais je voudrais pas non plus
m’avancer pour lui.
E : Et pour vous, est ce que ça a été facile de le soutenir ?
T3 : Moi oui, par rapport à moi ça a été très facile de le soutenir pour une raison c’est
que j’estimais que le combat était juste, parce qu’on parle vraiment de combat dans
un cas pareil, fallait vraiment arriver et dire au gars « attendez », y’a par exemple
certaines choses où on est pas content mais… moi je suis pas content par exemple de
pas avoir été au bout mais c’est grave, mais nous on savait en interne par exemple…
parce qu’on a toujours de toute façon des gens au Club Med que le chef de village est
toujours en place, on sait dans quel village il est et par contre la justice a toujours dit
qu’il n’existait plus, qu’il avait été…, qu’il était plus dans l’entreprise, qu’ils savaient pas
le contacter, et nous on savait qu’il était contactable, en plus il est contactable par
facebook partout, on dit mais il est là mais bon ça ne justifiait pas non plus une
demande d’expatriation ou un truc comme ça, mais ça par contre c’était des petites
choses qui étaient un peu plus difficile toujours je pense d’un côté justice.
E : Pourquoi avez-vous réagit de cette manière plutôt qu’une autre ?
T3 : En fait je me suis même pas posé la question, quand il est venu vers moi et qu’il
m’a dit « est-ce que je peux compter sur toi ? », j’ai dit oui tout de suite, et toujours
dans cet aspect de justice, de dénoncer quelque chose qui ne peut pas se faire, ouais
143
d’un point de vue honnête on ne vire pas quelqu’un sur un délit de sale gueule entre
guillemets. Quand je dis délit de sale gueule ça n’a rien avoir avec le côté
discriminatoire d’une ethnie ou non mais c’est juste voilà le chef de village ne l’aimais
pas, on va trouver un moyen on va le dégager, voilà quoi. C’est juste pour ça, je me
suis pas posée la question.
E : Est-ce que vous avez pu mettre en place d’autres comportements d’aide et de
soutien ? Comme parler directement à la hiérarchie ?
T3 : Oui, ça oui. Je sais qu’il y a des choses qui avaient été mises en place en interne,
mais plus…on va pas dire une mise en place formelle, à aujourd’hui je ne sais pas…
c’était y’a 5 ans déjà. A aujourd’hui je ne sais pas comment ça se passe quand il y a du
harcèlement au sein du Club Méditerranée, donc je ne voudrais pas être là mais par
contre à l’époque tout se réglait plutôt au bar, c’est assez particulier, quand je dis au
bar c’est dans des moments de convivialité plutôt ça veut pas dire qu’on est en train de
picoler, c’est pas exactement ça. Mais et puis surtout c’est que les gens ne se
rendaient pas compte, on faisait semblant de pas le voir et je sais que le chef de
village, il avait fait… toute façon il avait décidé que lui resterait pas, voilà. Et je sais
également parce que lui dépendait du… parce que je réfléchis par rapport à la
question. Comme lui dépendait de la RH, il avait été mis… y’avait eu des questions qui
avaient été posées, on lui posait des questions : « mais qu’est ce qui t’arrive ? Qu’est
ce qui se passe avec le chef de village ? » etc et tout. Et d’après ce qu’on sait aussi,
mais sans aucune preuve ni rien, y’a quand même des personnes plus haut placées qui
ont dit au chef de village « fait gaffe parce que B**** ne mérite pas d’être viré et puis
c’est un bon élément et si il se retourne on est mal ».
E : Donc d’autres personnes sont allés parler au chef de village ?
T3 : Oui
E : Vous vous êtes intervenu à ce moment-là ?
144
T3 : Pas du tout. En fait moi j’étais anonyme, parce que comme j’étais pas dans
l’entreprise… c’est ça qu’était drôle en plus, comme j’étais pas dans l’entreprise les
gens ne s’attendaient même pas à ce que je sois en train de regarder. Parce que quand
il m’a demandé de regarder un petit peu comment ça se passe, j’ai regardé vraiment
avec un œil extérieur mais entre guillemets inquisiteur, et tout « non mais vraiment te
pose de questions, t’es en train d’être sorti de la boîte c’est », mais par plein de petits
détails qui sont entre guillemets invisibles mais qu’on voit, c’est… je reprenais
vraiment le… je voyais des petites choses, l’équipe de chef de service qui sont à 3 ou 4
au bar, lui il arrive et ben ils partaient tous. Lui il est au bar tout le temps, parce qu’on
a fait quelques petits tests comme ça pour rigoler, il est là des G.O. viennent le voir
mais par contre les chefs de service vont se mettre ailleurs, alors qu’il était quand
même chef de service, c’est des petits trucs comme ça qu’on peut… sans être parano
non plus, mais tout d’un coup on se rend compte c’est bon entre ça, les oublis, le truc
des collègues,… ça va. Mais lui qui est quand même, comme je disais il est juriste et
puis il est vraiment dans les RH, c’est son truc il a tout de suite vu, il a fait merde, oh ils
font chier, c’est un peu plus ça qu’il disait « oh merde c’est mon tour ».
E : Est-ce que vous avez pu mettre en place d’autres comportements d’aide et de
soutien entre le moment où il vous en a parlé au bar et le procès ?
T3 : Non, après y’a plus eu grand-chose, oui à part un peu de soutien, mais à partir du
moment où il a pris la décision d’attaquer, là tout a été géré par l’avocat et par lui et
puis il me tenait au courant de comment ça se passait et quand étaient les procédures,
etc… Parce que évidemment on part pas sur une procédure expéditive, deux mois
après c’était pas fini, je me rappelle même plus combien de temps ça a pris mais c’était
assez long parce que y’avait d’abord eu des négociations avec le club Med pour les
indemnités de départ, pour reconnaissance de faute, enfin plein de petites choses qui
devaient être faite pour que… enfin je dois dire un divorce à l’amiable entre guillemet,
qui n’a pas eu lieu donc et bah on a commencé à voir un petit peu comment ça allait se
passer vraiment pour un procès qui devait arriver au tribunal du travail et jusque… oui
j’étais un petit peu briffé, mais de nouveau pas énormément parce que le… c’est pas
du tout à l’américaine, ça m’a fait rire ce qu’on voit à la télé, c’est… je suis arrivé là, j’ai
145
été convoqué et puis j’étais censé arriver comme témoin, aucune idée des questions
qu’ils allaient poser c’était voilà, c’était vraiment toute cette préparation-là. Et puis par
contre après quand il y a eu réparation, là on était vraiment content parce que j’ai
vraiment ressenti aussi qu’il y a un poids qui était perdu et qu’il était là bah voilà ok et
lui il a pu fermer cette armoire et dire ok ça y est le dossier est classé, le Club
Méditerranée et la justice enfin plutôt le Club Med a reconnu que j’ai fait autant
d’heures supplémentaires, que j’ étais là, que je ne suis pas un con en gros et c’est bon
ils m’ont payé c’est parfait.
E : Lorsque vous avez accepté d’être témoin, est-ce que cela impliquait d’autres
démarches de votre part ?
T3 : Non, à part prévenir mon employeur à ce moment-là, j’ai dit tel jour je serais pas
là mais c’est tout. Et pareil il m’a pas dit « pourquoi ? », enfin il ne m’a pas demandé,
j’ai dit je dois aller témoigner à un procès. Après il a su pourquoi et puis il est venu me
voir et il m’a dit t’as bien fait, oui c’est un petit village, c’est quand même 2000
personnes, il faut quand même trouver les gens pour y aller, c’est amusant parce que
ça ne s’est absolument pas ébruité comme quoi j’étais sur la liste des témoins mais
une ou deux personnes sont venues me voir en train de dire t’as bien fait, mais tu te
dis… moi j’ai dit mais enfin vous étiez tous au courant vu que tous ceux qui ont vu ça,
« ouais mais… » moi non plus j’ai pas voulu commencer à dire mais pourquoi t’as pas
voulu témoigner et tout, c’est pas mon problème moi je sais que il avait besoin, j’étais
un témoin privilégié, en plus comme je connaissais en interne le Club Med et comment
ça se passait, c’était bon je pouvais arriver et vraiment expliquer bah voilà on a vu à
partir de quel moment il était prêt à partir, là il pouvait déjà commencer ses bagages,
comment ça se passe, etc…
E : Est-ce que c’était un comportement habituel ?
T3 : Oui et non en fait c’est devenu habituel au Club Med, moi j’étais au Club Med de
1995-1996 à 2004-2005, mais essentiellement après 2001, un truc comme ça, je dirais
2001-2002 tout d’un coup dans chaque village on sentait vraiment une énorme
146
pression qui venait sur les chefs de service, sur tout le monde et puis on voyait que ça
des délits de sale gueule. Je me rappelle une fois, j’ai dû rentrer en conflit mais très
direct avec le chef de village parce qu’il y avait une des animatrices qui arrivait, elle
était un peu forte et il dit « oh bah moi je veux pas de grosse dans mon équipe », je lui
fais « tu te fous de ma gueule » et tout de suite j’étais vraiment mais rentré dedans,
puis j’avais eu un petit peu, enfin à l’époque j’avais quand même quelques couilles et
j’ai regardé et j’ai fait « tu te fous de ma gueule toi, qu’est-ce qu’on aurait dit si on
disait qu’il n’y avait pas de chef de village arabe ? Tu crois que tu serais là toi ? », ça a
été vite réglé. En plus on venait de commencer la saison ensemble donc là-dessus il a
voulu me virer évidemment, mais après c’est resté, et puis mais par contre
constamment des conflits là depuis cette époque-ci, une des raisons pour laquelle j’ai
quitté.
E : Et vous, vous positionnez en tant que témoin dans un procès, est-ce que c’était un
comportement habituel ?
T3 : Non, non, c’était la première fois.
E : Etait-ce facile à mettre en place ?
T3 : Oui, ça m’a absolument pas posé de questions parce que c’était… enfin je me suis
pas posé de questions vu que c’était juste. C’est vraiment le truc je pense qui m’a… il
m’a posé la question, j’ai fait oui comme ça, pas de problème, pas de problème, c’est
pas… Pour ça oui, c’est pas…
E : Pourquoi avez-vous réagit de cette manière plutôt qu’une autre ?
T3 : Euh… bah là je dirais ma morale personnelle, l’estime de moi, je pense que c’est
une des premières choses qui… je ne pouvais pas ne rien faire, c’était pas possible et je
m’en serais voulu. Qu’il gagne ou qu’il perde la question elle est pas là mais je m’en
serais voulu de pas l’avoir soutenu à ce moment-là même si nos relations au départ
étaient pas… oui c’était une relation de copain de bar, d’un petit restaurant de temps
147
en temps, j’allais dire un copain de guindaille entre guillemets mais non je m’en serais
voulu moi de… étant donné qu’il est venu me voir moi pour faire ça, je pouvais pas lui
dire non étant donné que j’ai vu. Ah tiens par rapport à cette question, je sais pas si
c’est contemporain ou pas, mais ça m’étais déjà arrivé aussi… y’a eu une bagarre dans
un… ça n’a rien avoir mais c’est pour bien montré le genre de personne que je suis et
bien il y a eu une bagarre dans un bar près de chez moi, le gars a mal fini c’est vrai faut
dire ce qu’il y ait, et il y a eu toute une pétition en disant que ce sont des gars qui
l’attendaient dehors et tout, seulement ce jour-là moi j’étais dans le bar et j’ai bien vu
que lui avait eu une altercation puis il est sorti du bar pour aller… moi j’ai quand même
appeler la police, j’ai été me faire mettre comme témoin, j’ai dit voilà je veux quand
même dire qu’il y a eu ça, ça, ça avant, qu’il faut pas croire que c’était que un guet-
apens, que non non il faut remettre un petit peu dans le contexte aussi parce que je
trouve que c’est normal, ce qui ne voulait pas dire pour cette affaire-là que le mec
était en tort pour moi, se faire frapper dehors ça c’est clair qu’on est bien là mais il faut
que ça soit juste, c’est plus ce sentiment-là.
E : Avez-vous a un moment donné pris plus conscience de ce qui était en jeu dans la
situation, ou bien sa gravité ?
T3 : Oui quand il se fait virer, parce que jusque-là je veux dire on voyait la démarche,
on se dit c’est bon, tu vas être là, on va tenir jusqu’au mois d’avril parce que les saisons
c’est comme ça mi-décembre mi-avril, le chef du village est sur place, le reste il
dégage, avec un peu de chance juillet-aout quand la saison reprend on lui en envoie un
autre et puis ça passe à l’as, c’est bon, mords sur ta chique pendant trois mois et puis
c’est bon de toute façon un RH on le dégage pas comme ça, c’est ça le truc. Et puis tout
d’un coup bam, ah il était viré, ah merde, ah bon… j’en rigole maintenant mais sur le
moment même on rigolait moins parce que lui a quand même perdu son boulot enfin
c’est des trucs et tu fais « ah ok », bon bah branle-bas de combat.
E : Cela a-t-il modifié votre comportement ?
148
T3 : Disons qu’à partir de là, c’est là que… on a discuté s’il attaque ou pas et à partir de
là c’était encore un soutien inconditionnel en fait, moi je serais là oui et plus tard
quand il m’a dit « tu viens comme témoin » « oui y’a pas de problème ». Là ça a
vraiment modifié disons que ça été le vrai déclic parce qu’avant je regardais un petit
peu « ouh vu ce que tu me dis mon gaillard tu vas partir » mais par contre ça a quand
même une surprise pour tous… tous les deux bah je dis bah non quand même au mois
d’avril tu seras encore à et puis tout d’un coup tu te dis bon bah d’accord maintenant
on va changer de stratégie quoi.
E : Les autres membres de l’entreprise ont-ils réagi ?
T3 : Non, non, non. Enfin oui y’a eu des réactions après vu qu’évidemment le Club Med
c’est un hôtel-club assez fermé, mais dehors les gens disaient « ah ils t’ont quand
même mal traité, c’était pas cool et tout » mais y’a personne qui n’a voulu se mouiller.
Personne. Comme je le disais même le collègue qui était proche de la retraite, ils lui
ont mis un peu de pression « ah non mais tout compte fait je veux pas voir ». Mais au
sein même de l’entreprise, personne. Oui comme je disais, quelques-uns un coup de
téléphone plus haut en train de dire fais gaffe B**** un truc comme ça mais pas… rien
d’autre.
E : D’accord, donc est ce que certains avaient le même type de comportements que
vous ?
T3 : Non. Au sein de l’entreprise, non. Il faut aussi remettre dans le contexte, c’est que
la plupart des gens au bout de 4 mois ils se voient plus, donc ils partent, ils oublient. Ça
m’avait toujours marqué, je fais un parallèle comme je suis moniteur, c’est quand
quelqu’un se blesse dans le village parce que ça arrive hein, y’a 400 personnes quand
y’en a un qui se blesse, on a presque l’impression que quand c’est arrivé au moniteur,
avoir quelqu’un qui se blesse dans le cours, que ça soit de sa faute ou pas, il est
content quand la personne part parce que comme ça on le voit plus, et cette chose-là
est assez présente au niveau du Club à la fin de la saison « ah ouais mais tout ça c’est
derrière, la saison est finie ».
149
E : L’entreprise a-t-elle réagit ?
T3 : L’entreprise elle-même a défendu ses intérêts le plus longtemps possible.
Obligatoirement… l’image. Maintenant je sais également, mais de nouveau comme je
suis plus dedans… quand il y avait des grosses choses comme ça il y avait
systématiquement silence radio complet sur l’affaire en elle-même pour pas que ça
s’ébruite, et de l’autre côté y’avait également des mises en place pour faire attention à
certaines choses. On peut imaginer un séminaire avec les chefs de village suivants, ils
auraient une mise en situation de harcèlement en expliquant où sont les intérêts du
club Med etc et tout. Et le Club Med a pour moi un gros souci, pas d’un point de vue
harcèlement ou pas, la question n’est pas là mais ils doivent gérer une entreprise où
tout le monde est constamment en contact avec les clients donc même en interne ils
doivent faire très attention à ce qu’ils disent. Sur ce que nous on est en train de parler
là ici, je sais que j’en parlerais jamais à un client, jamais, même si je n’y suis plus parce
que ils n’ont pas à savoir. Mais quelqu’un d’autre à table pourrait expliquer parce que
les gens du Club Med mangent à table avec les clients donc c’est… L’entreprise par
rapport à ça, j’imagine bien, n’a pas du tout facile à communiquer.
E : Ces petites formations sur le harcèlement, ont été mise en place suite à cette
affaire selon vous ?
T3 : Oui, oui certain. Certain ! J’en mettrai ma main à couper.
E : Donc l’entreprise n’a pas réagi directement sur l’affaire ?
T3 : Non, non, non, de toute façon ils ne l’auraient pas fait, ils pouvaient pas parce que
de par la structure du Club Med ils ne le feront pas. Le Club Méditerranée est basé sur
les chefs de village, c’est une structure de base parce que ça a toujours été comme ça,
le chef de village est le roi du village, c’est un dieu, c’est comme ça. Et les meilleures
promotions au sein même du Club Med sont tenues par les chefs de village. Y’a des
postes si tu n’as pas été chef de village, tu ne peux pas l’avoir donc il y a également
150
une énorme solidarité chefs de village, ils défendront systématiquement le chef de
village quoi qu’il arrive qu’il ait tort ou raison, donc ça ils ne l’auraient pas fait.
E : Pensez-vous que cela est plus dur dans votre entreprise plutôt que dans une autre
de pouvoir intervenir ?
T3 : Je ne sais pas en fait, j’en ai aucune idée. Je ne sais pas en fait pour une raison
simple c’est que par rapport à ma carrière personnelle, quand j’ai quitté la Belgique je
suis entré au Club Med ensuite j’ai fait un interlude de quelques mois en Belgique où
ça se passait très bien, et en Suisse ça ne se pose même pas la question parce qu’ils
sont tellement respectueux que pour trouver du harcèlement en Suisse ça serait
vraiment… donc je ne sais vraiment pas dire, je n’ai pas travaillé dans d’autres
entreprises où les relations pouvaient être difficiles ou quoi. Je réfléchis… J’ai travaillé
cet été dans une entreprise de construction où je devais aller vérifier un petit peu
comment ça se passait, contrôleur c’était assez drôle, c’est une entreprise française, là
y’a une hotline pour appeler, pour dire… enfin c’est en Suisse mais y’a quand même
une hotline pour dénoncer le harcèlement, j’ai aucune idée si ça aide réellement,
sincèrement, franchement.
E : Vous dans votre position de témoin, est ce que vous avez ressenti par rapport à
l’ambiance que c’était plus ou moins difficile de réagir ?
T3 : Non, et je pense aussi que… mais ça c’est peut-être le côté idéal que j’ai en moi,
c’est que si on réalisait plus rapidement même en entreprise que certaines personnes
autour de la table osaient le dire « eh oh fais gaffe là » même en dédramatisant parce
que c’est pas bien grave tu sais, la personne qui arrive elle dit « eh oh t’as pas
l’impression de la faire chier elle là, c’est bon si tu continues comme ça elle aura le
droit de te faire un procès pour harcèlement moral et je suis avec elle hein » même
juste ça et ça dédramatise un peu je pense. C’est ce que j’ai vu parce que dans d’autres
trucs, après une réunion tu vois quelqu’un, parce qu’en tant que chef de service au
Club je voyais ça, je dis « putain t’a été hard quand même » « tu crois ? » « bah oui
attend dis l’autre tu l’as démonté devant tout le monde là comme ça » « ah merde » et
151
puis la personne allait peut être pas nécessairement s’excuser mais allait discuter avec
elle au moins, remettre les ponts, faut pas les couper. Maintenant que ce soit plus dur
là ou pas, je ne sais pas dire vraiment.
E : Quels ont été les obstacles les plus durs à dépasser pour pouvoir mettre en place
des comportements d’aide ou de soutien ?
T3 : Aucun, pour moi y’avait aucun obstacle. Comme je le répète à chaque fois à partir
du moment où c’était juste, y’a pas d’obstacle. Au contraire c’est si j’y allais pas que
j’aurais vraiment eu du mal parce qu’en moi-même, en me regardant j’aurais dit
merde, tu ne peux pas laisser passer ça, tu ne peux pas fermer tes yeux.
E : Qu’est ce qui aurait pu faire que vos comportements soient différents (plus ou
moins présents) ?
T3 : Alors si maintenant lui n’avait été de bonne foi, déjà premièrement, si j’estimais
que son boulot était mal fait, là c’est clair que j’aurais pris une autre décision, déjà
avec lui je lui aurais dit « non mais regarde bien là tu merdes, là tu merdes, attends là,
si tu devais être au bureau à 10h et que t’arrives à midi, tu peux pas y être » ça ça
aurait été une première chose. Je pense que le comportement aurait été différent
aussi s’il avait gardé son poste, parce que s’il avait gardé son poste on aurait
dédramatisé puis fin avril on aurait bu un verre, on aurait dit « tu vois, t’es toujours
là ». Je pense que ce sont les trucs principaux.
E : Vous évoquiez tout à l’heure les employés interne au Club Med qui n’ont pas tenu
le coup face à la pression, est ce que vous pensez que vos comportements auraient pu
être différents si vous aviez été un employé direct du Club Med?
T3 : Ça aurait certainement changé quelque chose, c’est juste, je pense que ça aurait
changé quelque chose. C’est d’ailleurs une des raisons pour laquelle je n’ai jamais été
chef de village, enfin que de toute façon je n’aurais pas pu monter plus haut parce que
moi j’ai dénoncé certaines choses en interne, et en sachant ça je ne sais pas ce que
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j’aurais fait si j’avais été encore à ce moment-là salarié du Club Med, je pense quand
même que je l’aurais soutenu c’est clair, s’il faut jusqu’au procès.
E : Au risque de perdre votre emploi ?
T3 : Oui. Oui ça ça m’aurait pas posé de problème, je pense même plutôt qu’en interne
ça l’aurait peut-être lui permis de rester, mais je sais pas dire mieux parce que la
situation fait que je n’étais plus au Club donc… j’étais en gros dans la bonne situation
pour arriver, je venais de quitter le Club depuis un ou deux ans donc je connaissais
encore vraiment bien la forme contemporaine du Club à ce moment-là et en même
temps j’étais extérieur donc aucune pression sur moi. D’ailleurs c’est juste avant que je
n’arrive, que je sois appelé qu’ils ont trouvé un arrangement, ça nous a toujours fait
rire parce qu’on était persuadé que, sans être démago, c’est ouais « ils voulaient pas
que tu parles, ils voulaient pas que tu parles, c’est bon » parce que l’autre personne
qui est passé juste avant moi, qui était aussi du Club enfin l’autre témoin, il m’a dit ah
mais en fait eux ce qu’ils veulent savoir c’est le fonctionnement du Club. Je ne sais pas
du tout comment ça se serait passé si j’étais encore salarié du Club, je sais pas dire.
E : Est-ce que maintenant vous avez plus d’idées sur le fait de savoir si c’est plus dur
dans votre entreprise plutôt que dans une autre de pouvoir intervenir ?
T3 : Je sais toujours pas parce que j’ai quand même de la chance de pas avoir été
confronté à ça tous les jours. Et puis je dois avouer que depuis j’ai plutôt fuit les
grosses entreprises et je ne sais pas non plus quelle est la norme de tolérance
aujourd’hui, parce que ça fait presque 22 ans que je suis sur le marché du travail, la
tolérance a vachement baissé, comment on peut dire ça, peut-être l’intégrité humaine
est plus fragile, je ne sais pas c’est pas un souci pour moi, mais je sais bien que c’est un
changement dans la société, y’a 13 ans j’ai bossé en Belgique et le gars c’était assez
drôle il venait du Burundi, vraiment bien noir et tout, on l’appelait le roi pour une
raison simple, on était sur le même plateau mais monsieur n’allait jamais chercher ses
feuilles à l’imprimante, il imprimait des feuilles mais il voulait pas y aller, alors on se
moquait de lui on l’appelait « ah bah voilà le roi africain il est là, il veut qu’on aille
153
chercher », super gentiment mais je suis pas du tout sûr qu’aujourd’hui ça passe en
entreprise, c’est de ce genre d’exemple que je veux dire, je ne sais pas où est la norme
vu que je suis plus dedans. Et ça aurait été drôle qu’on nous dise que c’était du
racisme, je pense que ça aurait été le premier à en rire, c’est ça que je ne sais pas.
Commentaires pendant la passation du questionnaire :
T3 : Ça c’est clair, oui, oui, ça c’est clair parce que à part le fait… parce que c’est pas le
Club Med qui a mis en place ça, maintenant la solidarité chef de village de laquelle je
parlais c’est clair que l’entreprise pourrait être prise responsable, moi ce qui me fait le
plus chier c’est que même après le procès, même après l’argent c’est que lui il est
toujours en place quoi, mais dans la situation de harcèlement je mettrais pas
l’entreprise dedans.
Oui c’est clair, là c’est une raison simple de par l’entreprise en elle-même…il faut que
je note où c’est bon ? En fait c’est une entreprise de saisonnier. Si tu veux ravoir un
boulot derrière tu dois être dans la norme, donc tu te tais.
E : Ce sont des contrats renouvelables, pas un CDI ?
T3 : Non, et tu peux pas en avoir de toute façon, ce qui est logique je veux dire… la
saison d’hiver 15 décembre / 15 avril et la saison d’été on va dire 1er juin / 30
septembre, entre temps y’a pas de saison c’est comme ça, donc si tu veux avoir un
boulot … parce que c’est très facile ah non mais lui tout d’un coup on l’oublie, y’a pas
de raison mais il en a plus.
E : Merci beaucoup pour tout.
154
9.6. Retranscription de l’entretien avec le témoin n°4
E : Pour commencer, je vais vous demander de vous présenter en expliquant votre
position de travail et vos liens avec la personne cible et le « harceleur », et de
m’expliquer en quelques mots la situation.
T4 : Alors j’ai travaillé au Luxembourg et il faut savoir que cette entreprise ça
appartient à l’institut public, donc c’est des fonctionnaires, et au Luxembourg, je ne
sais pas comment ça se passe ici mais ils ont tendance… il y a beaucoup de rumeurs qui
parlent « oui les fonctionnaires travaillent pas, etc.. », ils les aiment pas trop. Et dans
cet institut c’était des employés privés et des employés publics donc on se faisait un
peu la guerre parce que les uns étaient pris en charge par un employeur privé donc ils
n’avaient pas le même statut que les employeurs public, que eux on peut pas les
renvoyer au Luxembourg, on a une loi qui dit qu’on peut pas renvoyer les
fonctionnaires public, et donc c’était déjà une tension quand je suis arrivée dans ce
travail, il y avait déjà une tension de groupe qui partait de là, à savoir qu’en plus c’était
un travail où c’était plutôt une entreprise publique faisant partie de l’aéroport donc il y
avait beaucoup beaucoup de stress et c’est plusieurs départements qui doivent
travailler ensemble pour faire fonctionner l’aéroport parce que sinon s’il y a un
département qui faille y’a un effet domino, déjà il y avait aussi un effet de stress et les
harcelants j’avais beaucoup vu plutôt des personnes très stressées qui
hiérarchiquement étaient très haut placés donc soit des chefs de département, soit le
directeur lui-même de l’entreprise. Et donc c’était aussi mes chefs à moi, parce que
j’avais deux chefs qui étaient plus ou moins au même niveau, c’était l’employeur
privée c’était lui qui me donnait le travail, mais après au niveau du fonctionnement du
travail c’était l’employeur public, c’était lui qui me disait comment le faire et donc je
devais le suivre parce que l’aéroport c’est du domaine public c’est pas privé, donc
c’était un peu des rapports employeur/chef/directeur. Et la personne victime elle était
aussi hiérarchiquement bien placée c’était juste en-dessous du directeur donc c’était
sa main droite en quelque sorte et le problème c’était qu’elle venait fraichement de
l’université et qu’on lui donnait des mauvais ordres, des mauvais ordres dans le sens
qu’on lui disait tu as l’autorité tu dois l’utiliser mais elle devait utiliser cette autorité
155
face à des gens qui travaillent là depuis 20 ans et donc quelque part je comprenais la
frustration des gens qui travaillent là depuis 20 ans et quelqu’un qui vient fraichement
de l’université et donc c’était un peu mal géré.
E : Donc ça c’était les harceleurs ?
T4 : Les harceleurs c’étaient les gens qui étaient là depuis 20 ans plus encore les gens
du haut donc elle elle était vraiment dans une impasse des deux côtés, et sa
personnalité faisait en sorte qu’elle est assez timide et qu’elle avait du mal déjà à gérer
des conflits sociaux. Donc elle avait d’un côté le boss qui lui disait il faut que tu fasses
comme ça, comme ça, comme ça, il faut que tu fasses ça et ça et ça, et quand elle
disait « écoute j’ai un petit problème » il fait « je veux rien savoir tu le fais sinon tu
auras une autre place » il faisait une sorte de pression et il l’a harcelait dans le genre
« de toute façon tu es pas bonne dans ton travail, tu sers à rien » je ne sais pas si ça
c’est aussi une forme de harcèlement mais pour moi ça l’est de l’entendre dire « tu
sers à rien, tu comprends rien ». Et puis de l’autre côté, il y avait les gens qui voyaient
ça ou qui entendaient ça je sais pas, et qui donc se légitimaient un peu quelque part
« je suis là depuis 20 ans, tu sais pas comment ça se passe, tais-toi, fais ce qu’on te dis,
etc… ».
E : Elle, elle se plaçait où hiérarchiquement au milieu de ces gens-là ?
T4 : C’était la chef pour tout le département administratif, elle était la main droite du
directeur donc quand le directeur n’était pas là c’était elle qui devait prendre en
charge, donc, elle, elle devait gérer tous les autres chefs de département qui étaient
au même niveau qu’elle, donc elle devait travailler avec eux pour avoir de meilleurs
résultats dans le département , elle devait travailler avec le chef, et elle devait donner
des ordres aux autres. Donc dès qu’il y avait une réunion importante c’était elle qui
devait organiser les documents, c’était elle qui donnait la réunion avec le directeur,
c’est elle qui gérait les gens qui rentraient dans le département c’est-à-dire des
nouvelles personnes pour le travail, c’était elle qui gérait, notamment qui donnait au
sous-directeur le budget, après le sous-directeur devait gérer le budget mais c’était
156
elle qui aussi devait gérer avec les autres administrations publiques, avec les autres
ministères puisque c’est une administration qui travaille avec le ministère du
développement durable avec le ministère des transports, avec le ministère des
finances, et donc elle elle devait gérer aussi ça donc elle avait beaucoup de pression de
la part du directeur et en même temps elle recevait des directions, des traités
internationaux tels que DAC (Direction de l’Aviation Civile) qui travaille pour une
organisation internationale. Comme le Luxembourg a signé une chartre en disant
qu’on accepte toute harmonisation des aéroports c’est ça qui nous permets d’aller du
Luxembourg et prendre l’avion pour partir aux Etats-Unis, parce qu’on a décidé de
travailler ensemble et afin de ne pas avoir de problèmes de trafic d’aviation ou
d’accidents, on s’est dit d’accord on vient ensemble et on essaie d’harmoniser les
équipements, la façon de travailler, etc… pour qu’un pilote luxembourgeois puisse
aussi atterrir à New York et qu’un pilote new-yorkais puisse aussi atterrir chez nous
sauf que l’aéroport n’était pas performant et qu’il y avait beaucoup de problèmes
techniques et donc on était pas conforme à des lois nationales et internationales, ce
qui rendait les choses un peu compliquées et dans tous ces ministères, tous ces
organisations à gérer d’en haut et d’en bas, et donc je la voyais souvent pleurer à son
bureau et au début quand je suis rentrée dans l’entreprise on m’a tout de suite dit
« oui cette fille… » on avait tout le temps des surnoms pour elle du genre « daisy
duck » parce qu’une fois elle s’est cassée le genou et depuis elle boîte un petit peu,
c’est pas de sa faute je veux dire et c’est vrai qu’au niveau du visage elle avait les yeux
qui louchait mais c’était quelqu’un de gentil, elle faisait son travail, je veux dire c’était
pas un alien, c’était quelqu’un de gentil. Et donc au début je me suis dit si tout le
monde a un problème… j’avais l’impression que si tout le monde a un problème avec
elle, je me tiens à part et j’observe. Sauf que depuis le début on m’a mise au bureau
avec elle, j’ai dû travailler avec elle, etc… et puis je me suis dit elle est quand même
gentille, elle a quand même pris du temps pour m’apprendre le travail, elle m’a
gentiment montré des choses, parce qu’au travail on n’est pas forcément les meilleurs
amis c’est pas le but, c’est de travailler ensemble, tu peux devenir les meilleurs amis
mais je trouvais qu’elle était assez sympa. Et voilà et donc avec le temps j’ai quand
même réussi à parler avec elle et j’ai vu que plus il y avait de pression plus elle
commençait à s’endurcir, je crois que c’est très humain, plus on s’attaque à une autre,
157
plus elle s’endurcit. Et puis j’ai été changé dans un autre bureau et puis j’ai commencé
à parler avec ces gens-là et j’ai dit mais c’est quoi leur problème et tout ça, et donc les
gens ont commencé à me raconter que le problème avec elle c’est que elle elle leur
donnait des ordres alors que eux ils sont là depuis longtemps et donc là je pense que
c’ »tait plutôt quelque chose… une frustration. Et j’ai dit c’est quand même pas correct
de lui donner des surnoms et d’aller chez le directeur et de se plaindre sur elle alors
qu’elle faisait un très bon boulot et donc elle avait beaucoup de mal parce qu’elle avait
déjà même fait une lettre au ministère en demandant s’il elle pouvait pas changer
d’administration publique parce qu’en fait quand on est fonctionnaire public on a un
boulot, on a un cadre et on reste, on change pas, il faudrait alors à ce moment-là
expliquer pourquoi et le ministère a dit « écoute dès qu’on aura une place de libre,
faudra attendre que quelqu’un soit promu, faudra attendre que quelqu’un parte à la
retraite, ou qu’il y ait une place de libre » mais ça peut prendre 5 ans, ça peut prendre
10 ans, ça peut prendre 20 ans, ça peut prendre une semaine. Et donc voilà et donc ça
allait pas très bien, et donc elle commençait de plus en plus à devenir froide et donc
elle disait plus bonjour aux gens, elle allait chez les gens « j’ai besoin de ça et ça et ça »
et elle repartait. C’était une très très grande tension en fait.
E : Quel était le lien hiérarchique entre vous deux ?
T4 : Par rapport à moi, c’était quelqu’un qui m’aidait dans mon travail parce que mon
travail c’était… j’étais, comme je disais, employée privé qui travaillait pour une
administration publique et mon travail c’était d’aménager l’aéroport de telle sorte qu’il
y ait une meilleure performance donc un meilleur équipement, une meilleure
harmonisation, une meilleure discussion entre les départements parce que chaque
département à sa spécialité et ils s’entendaient pas forcément dû à un incident datant
d’il y a 10 ans, vous imaginez ! Et donc ça fonctionnait pas du tout et puis au niveau
qualité de l’aéroport c’était pas ça, parce qu’on a reçu une direction disant que tous les
avions, toutes les heures, il n’y avait que 10 avions qui pouvaient atterrir et décoller
parce qu’il a eu un accident sur l’aéroport et donc l’aéroport au lieu de faire des
bénéfices, était déficitaire, on sait que tous les aéroports sont déficitaires mais on était
déjà dans le milliard et le Luxembourg a dit on peut plus, on est dans une crise on ne
158
peut plus et donc mon boulot à moi c’était : on a des équipements, qu’est-ce qu’on
peut faire avec des équipements ? Y’en a qui fonctionne, y’en a qui fonctionne pas,
qu’est-ce qu’on fait avec les équipements qui fonctionnent pas ? Et puis dans le
domaine publique quand on fait une demande pour on va dire un système radar au sol
comme tous les autres aéroports en Europe, à ce moment-là il faut l’écrire dans le
journal, le rendre public sur le site internet pour que les entrepreneurs nationaux et
internationaux qui s’occupent des radars au sol puissent faire une demande. Et donc
c’était plutôt ça là où je travaillais, c’était voir qui nous faisait des demandes, est ce
que c’était bon les demandes, est ce que ça correspondait par rapport à ce que nous
on avait demandé. Et puis on a des projets au niveau radar, au niveau climat parce que
dans tous les aéroports ils ont un département climatologie qui garde le ciel, qui dit les
températures parce qu’il y a aussi des avions qui ne volent pas avec des équipements
mais seulement avec la vue, donc eux ils ont tout le temps besoin de savoir comme
c’est, s’il y a une tempête devant, un avion très peu motorisé lui il coupe le moteur
quand il vole parce qu’il vole contre le vent, ils doivent savoir tout ça donc il y a
beaucoup beaucoup de départements c’est très complexe et nous on était là pour ça,
et je collaborais avec elle, donc c’était plutôt une collaboratrice.
E : Donc ce n’était pas votre supérieure ?
T4 : Parfois selon les projets c’était ma supérieure mais en général c’était plus une
collaboratrice qu’une supérieure mais il y avait des cas où oui ça pouvait aussi être une
supérieure donc c’était un peu conflictuel.
E : Donc le harcèlement venait à la fois de ses supérieurs et de ses subordonnées qui se
moquaient d’elle ?
T4 : Oui ils se moquaient beaucoup d’elle, et de manière injustifiée je trouve, parce
qu’ils se moquaient du fait qu’elle voulait toujours être perfectionniste, qu’elle savait
toujours tout, qu’elle voulait toujours tout faire mieux que les autres, et ce qui
m’énervait le plus c’est qu’ils se moquaient d’elle par rapport à son physique parce
qu’elle était un peu plus ronde que les autres, parce qu’elle était un peu plus petite,
159
parce qu’elle ne ressemblait pas l’image de la beauté qu’eux attendaient, j’ai trouvé
que c’était très injustifié. Et le problème c’est que je ne pouvais pas prendre parti
parce que je devais travailler avec eux, et plus le temps passait, enfin je disais rien au
début mais plus le temps passait et plus je trouvais que c’était dur parce que les gens
venaient tous chez moi et après elle elle disait « mais pourquoi tu es avec eux ? et tu
sais très bien qu’ils m’aiment pas » et j’ai fait « oui mais je dois aussi travailler avec eux
qu’est-ce que tu veux que je fasse ? ». Et donc à certains moments je me suis
retrouvée sous pression aussi et donc je me sentais pas bien dans un climat où tout le
monde est contre tout le monde et puis il y avait aussi une autre personne qui est le
chef du département des ressources humaines, sauf que cette personne elle n’a jamais
fait d’études en ressources humaines, elle a été posée parce qu’il y a une place de libre
et justement elle rentrait dans le fonctionnement public. Cette personne-là savait pas
gérer non plus, elle était aussi souvent sous harcèlement moral. Pourquoi ? Bah parce
qu’elle avait pris parti et qu’elle avait dit « cette bonne fille elle fait son travail arrêtez
de vous plaindre », et le truc c’est que c’est aussi une personne très spéciale dans le
sens où elle est très « homme » dans sa façon de faire les choses, elle fait pas attention
aux sentiments des autres, elle elle arrive, on fait comme ça point à la ligne, alors que
c’est même pas de son ressort d’autorité mais le directeur il fermait un peu les yeux
parce qu’il se disait « y’a tellement de conflits si moi encore je mets mon grain de sel »,
c’est comme mettre de l’huile sur le feu. C’était très compliqué, au début je ne
comprenais pas la situation, les 6 premiers mois je devais passer beaucoup de temps
dans les différents départements pour assimiler les informations, pour comprendre le
travail, pour comprendre le fonctionnement de l’aéroport parce que c’était une
formation de 6 mois été je voyais tout le monde contre tout le monde, et
principalement contre cette personne là, tout le temps avec des mots « oh la sorcière,
ceci… », parfois ils se cachaient même pas, elle descendait des escaliers « ah tiens la
sorcière ». Mais c’était des gens qui étaient des chefs de département, c’était des gens
de 50 ans, c’étaient des gens qui ont une fonction importante ou qui sont là depuis
longtemps. Moi j’étais une stagiaire et on m’a fait comprendre, tu te tais, tu nous
regardes et tu te tais, c’était dur de savoir comment réagir parce qu’on se sent seul
contre tous à un certain moment, et surtout cette personne là je peux très bien
m’imaginer qu’elle se sentait très très seule contre tout le monde, c’était dur.
160
E : Quels étaient les comportements harcelants de son supérieur hiérarchique ?
T4 : Il lui demandait un travail, souvent j’étais là quand il lui demandait « oui tu peux
faire ça et ça et ça » sauf que comme elle aussi ça faisait que 1 ou 2 ans qu’elle était là
elle devait… elle se confrontait à des projets ou à des choses qu’elle avait jamais eu
avant et étant main droite du directeur, normalement quand on veut faire un projet ou
quand on veut faire quelque chose on fait une réunion à 2, on explique ce qu’on veut
faire et après il faut regarder comment on peut procéder. Sauf que cette personne-là
qui était sous-directeur à l’époque, c’était pas le directeur, c’était un peu un mélange
des deux. Aujourd’hui il est devenu directeur, il savait très bien que le directeur allait
partir et donc il attendait le peu de semaines pour déjà se faire comme directeur, il
arrivait dans son bureau et il lui disait « voilà je veux que tu fasses ça et ça et ça » il
était tout le temps très pressé et très nerveux, et il repartait. Et elle elle était là, « bon
qu’est ce qui me veut ? » et elle elle a noté ce qu’il avait dit et donc elle elle regardait
« bon qu’est-ce qu’on peut faire avec ce qu’il vient de me dire ? » elle elle faisait une
sorte de document et donc après elle arrivait chez lui avec des questions qu’elle savait
très bien « je dois lui demander ce que ça et ça veut dire, ce qu’il veut faire avec ça
parce que je n’ai aucune idée » et donc quand elle elle faisait ça, elle disait « écoute je
ne sais pas comment tu veux procéder, je ne sais pas ce que tu veux faire, qu’est-ce
que tu attends de ma part ? » et lui il lui disait t’es bête mais franchement tu
comprends rien, tu es là, tu occupes une place inutilement, on devrait mettre
quelqu’un d’autre à ta place. C’est dur, c’était dur, et parfois il le cachait même pas,
parfois il disait ça devant les autres. Alors les autres eux ils se légitimaient, « ah bah si
le directeur il dit ça, nous aussi on peut le dire », et je trouve que c’était un très
mauvais exemple en tant que personne autoritaire qu’il donnait aux autres, et donc les
autres ils prenaient un peu la légitimation « le directeur il a dit ça donc moi je peux
aussi dire ça ». C’est un peu une relation parents-enfants si le parent donne le mauvais
exemple les enfants suivent le mauvais exemple, et c’était ce qu’ils faisaient là-bas. Et
une fois, elle avait tellement pleurée en une journée, parce qu’elle s’était vraiment fait
clasher de tous les côtés ; parce que souvent le travail qu’on me donnait en tant que
stagiaire c’était pas des grandes responsabilités mais j’avais pas mal de boulot, c’était
161
parce que j’avais deux autres chefs dans mon département et c’était eux qui avaient
les responsabilités et moi j’étais plutôt la secrétaire et donc moi je les suivais,
j’essayais de comprendre le travail, et donc souvent comme eux ils partaient très tôt,
ils partaient souvent vers 4h, ils peuvent se le permettre étant dans le public, moi je
voulais faire mes heures donc moi de 4 à 5, parfois jusqu’à 6 heures, j’allais à son
bureau et j’allais l’aider. Donc ça ça tissait aussi des liens, et une fois elle avait
tellement pleurée qu’elle m’avait dit « je supporte plus, j’en peux plus » et elle m’avait
raconté ce qu’elle ressentait, pendant toute une après-midi on était là on a parlé, on
est allé boire un verre, et je lui ai dit « oui écoute pour le moment je crois que c’est
mieux de se calmer un petit peu » et je lui avais dit d’aller prendre un peu de réconfort
chez elle à la maison avec son mari et prendre quelques journées de vacances, parce
que souvent on sait que ça aide de calmer le climat. Et c’était dur parce que je savais
pas je m’entendais bien avec tout le monde et en même temps j’avais l’impression que
les gens ne voulaient pas changer, et c’était arrivé à un tel point que les gens ne
voulaient plus communiquer ensemble, les différents départements, il y a eu des
clans, des clans de 2-3 personnes qui s’entendaient pas très bien, qui disaient « oh
c’est un connard il sait pas très bien travailler », mais quand il s’agissait de remettre en
question le travail c’était toujours la même personne, c’était toujours vers elle qu’ils se
retournaient, ils s’entendaient pas très bien mais dès qu’il y a un problème on se réunit
contre elle. Et a un certain moment comme j’étais externe les gens ils m’aimaient bien
parce que j’avais vraiment rien de lien avec les autres et j’étais la nouvelle et donc au
début les gens ne me disaient rien mais après le fait que j’allais toujours dans le bureau
de l’autre, les gens me disaient « écoute j’ai besoin de telle et telle approbation de tel
et tel département mais ils m’aiment pas », et donc moi j’allais à sa place et j’allais
communiquer et les gens me disaient « bon parce que c’est toi on te fais l’approbation
et parce que c’est bien fait » alors que ça venait pas de moi, c’était juste pour une
personne mais c’était tellement compliqué dans leur tête, c’était tellement compliqué
dans les relations qu’apparemment ça n’allait plus. Et à un certain moment j’avais
même parlé avec mon chef, et il m’avait dit on doit améliorer cette situation parce que
si un jour un département décide de faire grève, ce qui a eu le cas après, on ferme
l’aéroport, et si l’aéroport ferme on perd un million en une journée, et l’aéroport a été
fermé pendant 5 jours, 5 millions. Donc il y avait pas mal de pression, parce qu’à la
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finale c’est nous qui devons justifier le budget, donc nous on avait pas mal de pression
et moi je suis venue avec l’idée de changer les relations, de mettre en collaboration les
départements les plus importants qui doivent collaborer parce que le département
climatologie ne doit pas forcément collaborer avec la tour opérator, celle qui dirige
l’avion pour atterrir mais par contre la tour opérator elle doit très bien collaborer avec
ceux qui sont de « l’approche », ceux qui voient les avions sur les écrans noirs et verts.
Mais en attendant, elle elle devait collaborer avec tout le monde, c’était ça le jeu le
plus difficile, et les gens voulaient pas dès qu’on disait « oui elle vient aussi » les gens
voulaient pas, alors que c’était le pion le plus important et il y avait même une fois où
les gens s’étaient tellement énervés qu’ils sont partis et ils ont dit « nous on
abandonne, on peut pas », et ils sont tous partis du boulot ce jour-là, on s’est retrouvé
à très peu à faire le travail de beaucoup de personne, c’était très dur.
E : Par rapport à cette situation de harcèlement, comment vous êtes-vous situé ? Etes-
vous intervenu d’une manière ou d’une autre vis-à-vis de la personne-cible ?
T4 : Au début pour être honnête, j’ai travaillé deux ans. La première année ce que j’ai
fait c’était de comprendre ce qui se passe, de comprendre la situation, d’analyser la
situation, et je me suis dit… J’avais peur, j’avais très, très peur, j’avais peur parce que
j’étais intimidé par les personnes là, par leur fonctionnement et je voulais me
distancer, mais en même temps pas trop me distancer parce que je voulais quand
même qu’ils sachent que je fais partie du groupe. Et après un an, je me suis dit… j’avais
quand même une meilleure connexion etc… avec les gens et les gens avaient vu que
j’avais une bonne connexion avec eux, et j’avais une bonne connexion avec elle. Des
gens ils se sont dit… il y avait même une personne qui m’a dit (maintenant il est partie
à la retraite) il m’a dit « en vingt ans que je travaille ici, j’ai jamais vu une autre
personne aussi horrible que l’autre personne mais au même temps c’est la première
fois que je vois que c’est possible de collaborer avec elle et avec nous ». Et j’ai dit, bah
oui c’est possible, il faut juste un intermédiaire. Et au fait ce qui était le problème c’est
que dans les fonctions publiques, parce que j’ai entendu d’autres personnes qui disent
que c’est pareil dans d’autres fonctions publiques, c’est qu’on met un peu des gens,
c’est comme des dés, on les prend, on les mets ensemble, on fait un melting-pot et ils
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doivent travailler ensemble. On regarde pas forcément les compétences, on regarde
pas forcément les profils, il y a pas de groupe, c’est pas comme dans une entreprise
privé. Donc parfois on se retrouve devant une personne qui doit faire un travail, qui est
incompétent pour le travail, mais comme il a réussi l’examen pour rentrer dans le
gouvernement, dans la fonction publique, il est là, il faut lui donner une place. Dans la
fonction privée, jamais, jamais. Alors je lui ai dit, écoute… j’avais dit à cette personne là
qu’eux ils appelaient toujours Daisy, écoute au lieu de voir ce nom si méchant, essaie
de trouver quelque chose de positif, et je lui ai dit, Daisy veut aussi dire une fleur et
c’est une fleur jaune, et c’est ta couleur préférée, alors tu sais quoi, tu vas leur jouer
un tour, tu vas apporter des fleurs jaunes, des daisy au travail et tu vas mettre une
chemise avec ces fleurs-là, et tu dire, tu vas leur montrer que « Oui vous m’appelez
Daisy, mais ça me passe par-dessus ». Elle était un peu restreinte au debout, mais j’ai
dit vas-y quoi, y a pas de soucis, montre leur que voilà, ça t’apporte peu qu’il t’appelle
Daisy. Bien sûr quand ils l’appelaient d’autrement c’était pas ça mais, faut savoir
toujours que Daisy c’était par rapport… méchant parce que c’était la Daisy Duck. Et j’ai
commençais à lui dire, toi tu dois, essaie de t’allier avec des gens les plus gentils, parce
que il y a aussi des gens un peu neutre qui disait ouais elle est dure, je l’aime pas trop
mais bon il faut travailler avec. Et je lui dis ces gens-là tu commences à être gentil, tu
vas dans leur bureau, parce que je lui dit travailler quelque part, tu passes 8 heures au
moins dans le travail, donc ça devient ton 2ème lieu de résidence. Et il y a des jours où
tu passes plus de temps, surtout à l’aéroport, à travailler, que chez toi à la maison.
Donc essaie de… n’essaie pas de voir pas que du travail, essaie de voir des personnes.
Des personnes qui ont des familles, des personnes qui ont des problèmes, et quand tu
vas demander quelque chose, un service à quelqu’un, tu passes aussi un peu de temps,
tu parles : « Comment vas-tu ? Comment ça se passe ? J’ai appris que tu as un enfant !
Comment il s’appelle ? » Parce que je lui ai dit qu’elle connaissait personne. Elle aussi
elle avait pris… c’était un cercle vicieux puisqu’elle est rentré dans ce cercle en disant :
« Ah comme ces gens sont méchants avec moi, moi aussi je suis méchante, je
commence aussi à leur donner les noms et à les juger. » Je lui ai dit, bah non, c’est la
mauvaise approche. Et donc… et donc voilà, à un certain moment il y a eu des gens
avec qui elle s’entendait et des gens que peu à peu les gens se disent : « ah, tiens, elle
est gentille, elle est aussi, elle peut être aussi très gentille etc… » Donc, les gens ils
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étaient gentils, et les gens commençait aussi à lui donner une chance, y avait des gens
qui commençait aussi à lui demander, tiens… par exemple il y avait aussi souvent des
fêtes de département, et les gens ne l’invitaient pas, et donc une fois il y avait
quelqu’un qui avait fait une fête il lui a dit tiens on va quand même l’inviter, donc elle a
quand même été invitée et peu à peu ça s’est transformé, mais il y avait toujours
encore des tensions. Il fallait que quelqu’un pète pour que, pour que tout le truc lâche.
Et donc je lui dis, surtout quand tu as des projets ensemble avec des gens que tu
n’aimes pas, c’est toi qui dois mettre les points au clair, parce que c’est toi l’autorité.
Donc tu regardes les gens et tu leur dis, voilà, on va mettre au clair, ce projet va se
dérouler comme ça et comme ça. Néanmoins, je prends toutes... toutes nouvelles
idées, toutes nouvelles innovations, je les prends en compte. Mais voilà, ça c'est le but
du projet et je veux que ce soit une collaboration. Il faut que tu dises à ces gens-là,
parce que je leur ai dit, c'est toi qui dois montrer quelque part aussi ton autorité et
aussi un exemple. Parce que c'est... ils vont se baser sur toi ». Et puis, les gens, ils
commençaient à venir chez moi, ils disaient « Oui, elle commence à être gentille, elle
commence à dire bonjour, elle commence à dire ça ». Et moi, je lui ai dit ça comme
écho, je lui ai donné un écho et elle se sentait toute bien et elle a continué à faire ça.
Après, j'ai quitté le boulot parce que je voulais reprendre les études, donc je n'ai pas
trop... Les premiers mois, je n'ai pas trop suivi l'affaire. Mais après, on m'avait raconté
que c'est devenu... parce qu'il n'y avait plus d'intermédiaire, c'est devenu très dur et il
s'est formé deux grands clans. Avant c'étaient des petits clans, maintenant c'est deux
grands clans. Un clan qui se dit gentil, qui travaille ensemble, qui essaye de faire des
projets. Et un autre clan qui se dit méchant. Et les gens, il y avait aussi des gens qui
étaient tellement jaloux, je ne sais pas... Je ne sais pas si c'est de la jalousie mais quand
je suis partie, il y avait des gens qui ont commencé à lancer des rumeurs sur moi. De
telle façon que moi, une fois je voulais revenir travailler pour les grandes vacances,
parce que je connaissais déjà le travail, et ils ont dit au directeur qu'il ne faut pas me
prendre parce que de toute façon je ne faisais rien, je ne faisais que papoter. Donc on
ne m'a plus pris. Et ça, c'était dur, c'était très très dur au début. Parce que, à la fin,
c'était moi qui m'en est pris, alors que je n'avais rien à voir avec toute cette affaire. Et
aussi, au début, il faut dire que si cette personne-là a été jugée physiquement, c'était
par des autres filles, des femmes qui se trouvent... qui ont, on va dire, un corps de
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mannequin, on va pratiquement dire. Qui sont très très belles, qui font attention à
elles, qui font faire du sport. Et après, au niveau du boulot, ce n'était pas ça. Mais elles
étaient gentilles en tout cas avec moi. Et justement, c'est elles qui ont commencé
toute... toute cette histoire. Et c'est aussi après elles qui se sont retournées contre
moi. Et ça, j'ai trouvé que c'est très méchant. C'était très injustifié. Les arguments qu'ils
apportaient c'était... c'était du n'importe quoi, mais on est frustré par le travail et dès
qu'on a quelqu'un à qui on peut mettre toute la pression, on fait ce qu'il faut.
E : Et par rapport à cette situation de harcèlement, comment vous êtes-vous situé ?
êtes-vous intervenu d’une manière ou d’une autre vis-à-vis de la personne-cible ?
T4 : Ce que je n'ai pas pu faire, c'était de faire... j'avais proposé une fois aux ressources
humaines de faire une thérapie de groupe. Il y a des spécialistes qui viennent et qui
essaient de tisser des liens, et qui essayent par exemple de faire des exercices. Elle m'a
dit « On oublie ça tout de suite, on ne va pas le faire ». Et ce que je n'ai pas réussi à
faire, c'est de faire comprendre aux gens qu'il faut travailler ensemble et il faut
améliorer les rapports. Et je leur ai dit « On n'est pas forcément... on n'est pas là pour
être les meilleurs amis mais on est là pour travailler ensemble. Si ça, on arrive à
comprendre ça, c'est déjà mieux ». Parce que les gens, souvent ils pensent « Oui, je
travaille avec cette personne-là, il faut que je devienne bon ami ». Non, il faut qu'on se
comprenne. Après, si on devient meilleurs amis, tant mieux.
E : Mais donc vous quand même, concrètement, vous êtes quand même allée voir les
ressources humaines en disant « Il y a un problème, est-ce qu'on ne pourrait pas faire
une thérapie de groupe » ?
T4 : Mais les ressources humaine, elle savait qu'il y avait des problèmes, elle ne voulait
rien faire. Elle ne voulait rien faire. J'avais aussi parlé avec mon chef et mon chef aussi
m'avait dit « Oui, je sais qu'il y a des problèmes, je sais qu'il y a des tensions, ils sont
tous très méchants. Mais tu fermes les yeux et c'est bon ». Et j'avais parlé... et avec le
directeur, je n'en avais jamais parlé parce qu'il m'avait pas mal clashé aussi à un
certain moment. Et donc à un certain moment, j'en avais tellement marre, j'avais
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tellement peur et je me suis dit « Je n'en ai rien à foutre ». À un certain moment je me
suis dit « Je n'en ai rien à foutre, de toute façon je ne suis ici que pour 2 ans ». C'était
le contrat à faire. Je voulais de toute façon reprendre les études. Et donc, à un certain
moment, plus j'arrivais à la fin, plus, allez, je m'amusais au boulot. Plus j'arrivais à la
fin, plus je me disais « Je prends ça très à la légère et donc c'est bon ».
E : Et vous disiez avoir peur, peur de quoi ?
T4 : Au début, j'avais peur que les gens se retournent contre moi, que ce serait moi le
bouc émissaire. Ça, j'avais peur. Parce que, au début, quand on travaille, quand on
commence à travailler, on veut être sympa avec tout le monde, on veut leur montrer
qu'on appartient au groupe, on veut tisser des liens d'appartenance. On veut leur
montrer « Voilà, je suis bien aussi, je fais du bon boulot ». On veut une approbation du
groupe du genre « Elle est gentille, elle est cool, elle travaille bien. C'est bon, elle est
approuvée ». C'est ce genre de sentiment qu'on a au début, quand on commence à
travailler. Et quand j'ai vu qu'ils étaient tellement méchants les uns contre les autres,
surtout contre elle, qu'ils l'utilisaient toujours comme bouc émissaire, moi j'avais peur
que ce soit moi. J'avais peur que, si eux ils font ça avec moi, qu'est-ce que moi je vais
faire ? Comment moi je vais réagir ? Et moi, je sais très bien que si c'était moi, je ne
réagirais pas aussi bien. Je serais tout le temps malade, je serais tout le temps en train
de pleurer. Parce que je sais que je ne supporte pas cette situation. Et donc moi, j'avais
très peur de ça au début. Et j'avais peur que les gens aillent dire au directeur que je
faisais du très mauvais travail ou dans ce sens-là.
E : Et est-ce qu'il y avait autre chose qui vous empêchait de réagir au départ ?
T4 : Je ne connaissais pas les personnes, je ne savais pas comment réagir, je ne connais
pas la structure de l'entreprise, je ne sais pas comment ça se passe. Surtout quand on
est nouvelle, on ne veut pas prendre part, on ne veut pas prendre parti. On se dit
« Non, non, non. Chacun reste chez soi », on regarde comment ça se passe. On ne sait
pas comment réagir, on n'est pas... On sort de l'école, on sort de l'université, on a une
théorie. On sait comment faire son boulot mais on ne nous a jamais appris. Donc peu...
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quelque importe les sociétés, quelle importe les institutions, ou aussi familles, on ne
nous a jamais appris comment travailler ensemble. Et c'est ça aujourd'hui, on essaye
d'incorporer des groupes, du travail en groupe dans les universités, dans les écoles.
Mais ça ne nous apprend toujours pas comment travailler ensemble. Et c'est ça, je
crois, le plus gros problème, c'est que je ne savais pas comment réagir, comment je
vais dire ça aux personnes, qu'est-ce que... ? En plus, je trouvais aussi que ce n'est pas
mon rôle de le faire. Ce n'était pas mon rôle de le faire, c'était aux autres responsables,
c'était au directeur de prendre les décisions. C'était aux ressources humaines de venir
ensemble avec le directeur et de se dire « Bon, on est dans une impasse, il faut
changer, il faut changer le cap, il faut... Soit on va délocker les personnes, on va voir
comment... » Parce que, à un certain moment... il faut s'imaginer, à un certain
moment, il y avait des différents départements, ils ont pris les différentes personnes
du département « Toi, tu ne t'entends pas avec lui, eh bien on te met dans un autre
département. Toi, tu ne t'entends plus... » On s'en foutait, tu fais le bon job dans ce
département mais on va te mettre dans un autre département. Ce n'était pas la
solution à faire, ce n'est pas ça, ce n'est pas te prendre ton bureau et te mettre
quelque part d'autre. Il y avait une personne, en durant d'un mois, elle a été changée 7
fois de bureau. Ce n'est pas... ce n'est pas la solution à suivre. Ce n'est pas la solution à
suivre. Et je leur ai dit « Ce n'est pas... ce n'est pas la meilleure solution. Si on veut un
travail social de groupe, il faut que ça puisse mieux passer. Il faudrait à ce moment-là
vraiment faire des réunions ». Et je leur ai dit « Pourquoi est-ce que vous ne faites pas,
une fois par semaine, surtout maintenant avec les tensions, où on vient avec les chefs
de départements et on dit qu'est-ce qui s'est amélioré dans le département cette
semaine ? Après, quand ça s'améliore, on peut toujours faire ça tous les mois ». Parce
que, c'est ce que je leur ai dit, dans une entreprise privée, c'est ce qu'on fait. On prend
tous les chefs de départements. Il y en a qui font ça tous les jours, il y en a qui font ça
une fois par semaine, il y en a qui font ça une fois par mois. Tout dépend de
l'entreprise, comment ça fonctionne. Et qui viennent ensemble, ils disent : il y a un
problème ou il n'y a pas de problème, ça fonctionne, ça ne fonctionne pas.
E : Donc vous êtes quand même allée proposer au supérieur au-dessus de faire ce type
de réunions par exemple ?
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T4 : Oui. Oui, oui. Ils l'ont fait, ils ont commencé à le faire quand mon chef s'est
imposé. Parce que j'avais dit ça à mon chef, et il m'a dit « Propose ça à la... aux
ressources humaines ». J'ai proposé ça aux ressources humaines plusieurs fois, elle n'a
pas voulu. Après, à un certain moment, elle a dit « Je vais proposer ça au directeur ».
Et c'est juste quand mon chef et moi, ensemble, on est allé chez le directeur, qu'ils ont
commencé à introduire ça. Parce qu'on leur a dit « Ce n'est pas normal ». Ce n'est pas
normal parce qu'on voyait, parce que nous, on venait toujours avec un bon argument,
c'étaient les chiffres, c'était l'argent. Et donc on s'est dit « Voilà... » Et j'ai fait des
recherches, aux États-Unis ou bien en Europe, en Autriche. Par exemple aux Pays-Bas
surtout, où on leur montrait que si on collabore ensemble, eh bien la productivité, elle
monte, et du coup les chiffres, ils montent. Et donc j'ai dû... mais j'ai dû toujours
trouver ça par rapport à des aéroports. Et les Pays-Bas, c'est eux qui publient le plus de
statistiques, c'est eux qui font le plus de recherches, etc… Et donc, ce n'était pas
évident. Et déjà, rien que pour changer quelque chose, on ne peut pas le faire tout seul
hein ! Il faut qu'il y ait une personne d'autorité. Si on n'est pas dans l'autorité, si on
n'est pas dans la hiérarchie, enfin dans le plus haut niveau de la hiérarchie, on ne peut
rien faire. Il faut vraiment... C'est comme en politique, il faut s'allier avec un qui est
fort, que lui, il a des bonnes connexions avec d'autres personnes qui sont fortes, pour
pouvoir s'allier, pour pouvoir changer de cap. C'était vraiment ça.
E : Et est-ce que ça a été facile pour vous de mettre en place ça ?
T4 : Mais en fait, les gens savaient tous ces problèmes-là. Les gens, ils savaient très
bien, il y a des problèmes. C'était... ce n'était pas le problème. Il y avait déjà un
problème de mettre ça en place. Mais je crois que le problème le plus grand, c'était de
vouloir faire comprendre aux gens qu'il faut changer et leur faire comprendre que ça
doit venir d'eux. Et les gens, ils n'avaient aucune envie de changer. Aucune envie de
changer, aucune. Et c'était ça le plus dur.
E : Et vous, avec votre place extérieure, est-ce que ça a été facile ou difficile ?
169
T4 : Pour moi, ça a été plus facile que les autres parce que je n'avais rien à perdre.
Parce que le directeur ne pouvait pas me mettre dehors, il ne pouvait pas me
renvoyer. C'était que mon chef à moi, parce que j'étais employée privée. Donc lui, il ne
pouvait pas dire à mon chef « Je ne l'aime pas, on la dispense ». Ce n'était pas comme
ça. On a un contrat fixe et ce contrat, même la fonction publique, on ne peut pas le...
on ne peut pas le briser. Donc il faut une bonne excuse. De plus, je n'avais rien à
perdre. Je n'avais rien à perdre, pourquoi ? Parce que je savais que de toute façon d'ici
1 an, je vais partir. Et on ne veut pas... je ne veux pas renouveler le contact... le
contrat. Peut-être eux non plus. Donc voilà, je... j'ai un peu quartier libre, on va dire, je
peux un peu... C'est comme quand on renvoie quelqu'un, on lui dit « Voilà, tu as
encore 6 mois à faire ». La personne, elle ne travaille plus. Je veux dire, ces personnes-
là, elles font plus privé qu'autre chose. Donc pour moi, c'était... je crois que c'était,
pour moi, c'était moins difficile de mettre ça en place que ceux qui étaient vraiment de
l'administration publique. Parce que, eux, alors à ce moment-là, s'ils font un faux pas,
ils vont rester toute leur vie là-dedans. Et donc toute leur vie, ils auront des problèmes
à gauche, ils auront des problèmes... Et les gens n'oublient pas ! « Ah oui ! C'est elle ou
c'est elle, ou c'est elle ». Ça, c'est dur parce qu'il y avait aussi une autre femme, son
père travaillait aussi dans cette... dans un autre, dans un département où elle travaille
aussi. Et c'était tout ce qui est équipements spécifiques à l'écoute, donc tout ce qui est
les équipements qui se trouvent en haut de la tour pour pouvoir entendre les avions,
les pilotes, les copilotes. C'était elle aussi tout ce qui était ingénieur, comment faire les
sorties pour la tour, pour la piste. Donc c'était une femme très cultivée, très très
intelligente. Le seul hic, c'est que son père avant était là aussi et il a été renvoyé pour
cause de corruption. Et donc ça, on lui a fait sentir à elle. Elle n'avait rien à voir avec
son père. C'est peut-être un lien familial mais au niveau boulot, ils n'avaient rien à voir.
Et donc, à elle aussi, on lui a fait pas mal sentir. Et donc, les gens, ils m'avaient dit... ils
m'avaient dit, ils m'avaient confié « Écoute, si moi je fais un truc et que je le fais mal.
Moi, je l'aurais, ça, longtemps sur mon dos ». Il y a des gens qui ont fait des lettres.
Moi je connais quelqu'un, on fait encore des liens et cette personne-là a fait... a
envoyé une lettre il y a 2... Allez, on est 2014, il a envoyé la lettre en 2000, il attend
encore une autre place, il veut changer. Il veut changer ! Il y a même des gens qui ont
demandé de changer de bureau parce qu'ils ne supportaient plus la tension. J'en ai un
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qui a pris 1 mois de congé, il a dit « Je ne supporte pas, je pars en Australie ». Il est
parti en Australie, il est revenu, il avait tout de suite changé de... il avait fait en sorte
de changer le bureau dans une annexe pour que là où il ne voit personne, tellement il
se sent mal. Il y a une autre personne, il y a un couple aussi dans l'administration
publique qui est... Donc tous les midis, il allait manger avec sa femme. Sa femme, elle
lui dit « Mais parfois je veux manger avec d'autres personnes ». Il a dit « Non, moi je ne
peux pas ! Je ne peux plus les voir, je ne supporte pas ! ».
E : Et est-ce que c'était habituel chez vous, déjà pour d'autres problèmes, d'aller
chercher la direction et de dire « Il faut faire quelque chose » ?
T4 : Comme c'est mon premier boulot, je ne peux pas dire. Par contre...
E : Mais dans ce boulot-là ?
T4 : Dans ce boulot-là, je... j'allais plutôt toujours vers mon chef. Parce que comme je
recevais pas mal de barrières de la part de la direction, j'allais d'abord vers mon chef.
Et ensemble, si on était d'accord, on allait chercher des alliances. Et on allait contre la
direction.
E : Et donc, vous alliez quand même déjà assez souvent chercher votre chef pour
d'autres choses, pour d'autres problèmes ?
T4 : Oui, quand il s'agissait de projets et qu'on devait faire avancer le projet et que ça
n'avançait pas, et que j'essayais de voir avec les personnes quel était le problème. Et
les personnes là m'ont fait voir qu'elles n'avaient pas envie de travailler ou ils
attendent des lettres, etc… Alors mon chef et moi, on venait ensemble, on allait vers
ces départements à ce moment-là et il est allé pour dire « Pourquoi est-ce qu'il est
resté coincé là ? Qu'est-ce qu'il faut faire ? » C'était notre job, c'était performer, c'était
pour performer l'aéroport. Sauf que nous, on ne s'était pas rendu compte, quand on a
commencé, que c'était au niveau social le problème. Parce que les gens, là-bas, ils
étaient compétents. C'était au niveau social le problème. Et euh... et moi, je me suis dit
171
« Il faut que... » j'ai parlé avec d'autres gens qui sont aussi... parce que souvent, quand
ils sont jeunes, ils aiment bien être fonctionnaires. Ils aiment bien être fonctionnaires
publics parce que ça paye bien. Et c'est pour ça que les gens dans la fonction publique
qui ont des problèmes, ils ne veulent pas aller travailler au privé, à cause du
financement. Parce qu'ils savent « Si je vais travailler pour le privé maintenant, si je
change maintenant, à mon âge, automatiquement je perds 1 000 € ». C'est beaucoup
1 000 € à la fin du mois ! C'est beaucoup. Et donc, les gens, ils se disent « Non, je suis
trop bien payé pour partir au privé ». Et je leur ai dit souvent aux gens « Mais si tu pars
au privé, la première année tu es mal payé mais après, ça va crescendo, ça augmente
beaucoup. Alors que dans le public, ça va stagner. À un certain moment, il y a un
plafond, tu ne peux plus le dépasser. Il faudra alors faire des études pour dépasser ce
plafond. Alors qu'au privé, études ou pas études, ça peut toujours aller crescendo si tu
es bon ». Il n'y a qu'une seule personne qui est partie au privé et qu'aujourd'hui, il se
retrouve à Singapour en tant que chef. Et aujourd'hui encore, il m'envoie des mercis.
Et moi, je pense que le plus grand problème dans le public, c'est mettre des gens
ensemble qui n'ont pas forcément envie de travailler ensemble. Et aussi parce qu'il y a
cette mentalité « On ne peut pas me renvoyer, ce n'est pas grave, je peux faire ce que
je veux ». Parce que, au Luxembourg, le problème c'est que même si tu viens au travail
et que tu dors pendant tes heures de travail, tu ne fais rien, on ne peut pas te
renvoyer. Alors que c'est une faute grave ! Dans la loi spéciale du Luxembourg, il y a
écrit que si tu fais une faute grave au travail en étant fonctionnaire, on a le droit de te
renvoyer. Mais on a cette politique qu'on ne veut pas renvoyer des personnes.
Pourquoi ? Parce qu'ils se disent eux-mêmes « Oui, il y a des jours où aussi, moi, j'ai
envie de glander ». Et c'est pour ça qu'on a envie de faire des réformes à nouveau,
parce que... ça n'avance pas. Et on a envie de faire des réformes qu'il faut d'abord
travailler dans le secteur privé, là où ça pousse bien, là où il y a des pressions. Pour
après venir dans le secteur public et savoir qu'il faut travailler ensemble. Et aussi
changer le statut, qu'on peut renvoyer les gens. Moi, je trouve que ça, c'est très
important. Parce que c'est... en fait, c'est une machinerie, une mentalité qui a été mise
en place, qui a fait aussi que les gens, ils s'en foutent, il y a un non-foutisme. Et que ça
fait en sorte que, voilà, « Moi je m'en fous, je peux faire ce que je veux, je peux... » Il y
avait des gens qui disaient au directeur que c'était un grand connard. Moi, si je disais
172
ça à un chef dans une entreprise privée, le jour d’après je serais dans la rue ! C'est
inimaginable ! Moi, c'était la première fois que j'avais fait cette... j'avais déjà travaillé
dans le... j'ai toujours travaillé dans le secteur privé et puis, je suis allée travailler dans
le secteur public. Moi, dans ma tête, je me suis dit « Jamais je ne retournerai au
secteur public ! » Ça me fait trop peur, il y a trop de pressions, c'est trop de... de gens
avec qui on doit faire face, qui n'est pas forcément un... Ils n'avalent pas leurs mots, ils
ne mettent pas une feuille devant la bouche en fait. C'est une expression
luxembourgeoise.
E : Et pourquoi vous pensez que vous avez réagi de cette manière, plutôt que d'une
autre ?
T4 : Parce que quand j'étais à l'école primaire, je me suis fait beaucoup harceler.
Pourquoi ? Parce que je suis... mes parents sont de nationalité portugaise et j'habitais
dans un village où il y avait très très peu de Portugais. Et donc eux, ils me harcelaient
beaucoup. Il y avait même des... souvent, ça venait même aux mains, surtout quand on
est gosse, ça vient souvent aux mains. Et donc, je crois que je... je comprenais très bien
ce que la personne elle souffrait. Et je savais très bien me mettre dans sa situation, et
j'avais pitié avec cette personne. Pas pitié pour la personne mais pitié de la situation.
Et en plus, c'était du ressort de mon travail, c'était de performer. Et j'ai vu qu'il fallait...
pour moi, c'était ça le plus important. Pour mon chef, c'étaient les projets, l'argent,
etc… Pour moi, non, ma priorité à moi c'était le social.
E : Et vous m'avez dit aussi que vous lui donniez des conseils en lui disant « Tiens, mets
une fleur jaune pour Daisy ou essaie d'aller demander aux gens comment ça va,
comment s'appelle leur enfant, etc. » Est-ce que ça c'était habituel chez vous, déjà
avant de faire ça avec elle, de donner des petits conseils sur certaines choses ?
T4 : En fait, au début non. Mais après, elle... comme il y avait un bon lien entre elle et
moi, elle commençait à se confier, elle se confiait de plus en plus à moi. Et comme elle
se confiait de plus en plus à moi, elle me disait ce qu'elle ressentait. Donc forcément,
pour moi c'était plus facile de lui dire ce qu'elle pouvait faire. Et comme les autres gens
173
me confiaient aussi à moi, qu'ils me disaient « Oui mais, J***, franchement moi je ne
l'aime pas parce qu'elle ne me dit jamais bonjour. Elle, elle vient chez moi, elle me dit
ça et ça, et ça, et ça. Elle ne me regarde pas dans les yeux, elle ne me dit pas comment
ça va ? Alors que c'est au moins la chose minimum que j'attends d'une personne ».
Sachant ça, c'est vrai qu'alors, pour moi, c'est facile de lui donner ce conseil-là. Puisque
les gens, ils me disaient ce qu'ils attendaient d'elle. Et elle, elle me disait ce qu'elle
attendait des gens. Alors c'est facile, je suis la personne. J'avais les informations des
deux parties, donc moi je disais aux gens « Voilà ce qu'elle elle attend », et je disais à
elle ce que les gens, ils attendent d'elle. Et c'était ça le problème, c'est que les gens, ils
ne s'étaient jamais dit ce qu'eux ils attendaient. Il y avait... j'avais regardé cette
personne « Mais si elle ne te dit jamais bonjour, pourquoi tu ne prends pas une pause
et tu la regardes : Comment vas-tu ? Pourquoi tu ne vas pas ? Pourquoi tu ne me
demandes jamais comment je vais ? En fin de compte, elle va lâcher. Si tu lui disais ça,
parce que c'est une personne très raisonnable, elle aurait compris et à chaque fois,
quand elle reviendrait chez toi, elle te dirait bonjour ». Mais les gens, j'ai l'impression
qu'ils ne se sont jamais rendu compte que parfois, il faut juste dire quelque chose pour
avoir quelque chose. Et je ne comprenais pas pourquoi. J'avais... parfois j'avais
l'impression que c'était moi la plus raisonnable de tous et que j'étais la plus âgée, alors
que c'étaient eux qui étaient tous dans les 50 ans. C'était... parfois on se demande
comment, arrivé à cet âge-là, on peut ne pas être raisonnable ?
E : Est-ce que c'était facile pour vous justement de donner des conseils, de lui donner
des conseils à elle pour que ça se passe mieux avec les autres ?
T4 : Comme on avait des bons liens, oui, c'était... c'était assez facile. Avec le temps,
c'était facile. Mais surtout parce qu'elle ne le prenait pas mal. Ce n'était pas un genre
de personne... par exemple quand une personne venait chez elle et lui disait
raisonnablement « Écoute, ça ce n'est pas bien parce que ça et ça, et ça, arguments
justifiés. Ça et ça et ça, l'argument était justifié ». Et donc elle, elle voyait ça, elle fait
« OK, je comprends, je te donne raison. Si c'est ça et ça que tu veux et que je ne l'ai pas
fait, je t'accorde que c'est mal fait ». Donc c'est quelqu'un... c'est quelqu'un qui a fait
des études, c'est quelqu'un qui a un Master, qui a fait un doctorat. Donc ce n'est pas
174
une personne fermée au monde, c'est quelqu'un qui comprend. Mais il faut juste venir
avec des arguments. Soit on lui dit « Tu l'as mal fait parce que... », ça ne veut rien dire.
Et si on venait chez elle et on faisait une approche du genre « Voilà, tu l'as mal fait
parce que ça et ça et ça manquent, parce qu'il faut avoir ça », alors c'est bon. Et au
niveau social, c'était pareil. Je veux dire, ce n'est pas une personne complètement
asociale. Elle a un mari, elle a des amis, elle a une famille. Si on est vraiment asociale,
je veux dire, on serait coupé du monde. Mais c'était juste au niveau du travail, c'était
ça le problème.
E : Et pourquoi vous pensez que vous avez réagi de cette façon, en lui donnant des
conseils, en essayant de l'aider, etc., plutôt que d'une autre ?
T4 : Je... je crois vraiment que ça a dû être le fait que moi aussi j'ai souffert beaucoup
quand j'étais à l'école primaire. C'était sûrement ça. Et je n'aime pas voir ces injustices.
Parce que quand j'étais à l'école primaire, il n'y avait personne qui m'a aidé. Et j'aurais
bien voulu qu'il y ait des gens qui m'aident, qui me supportent, qu’il y ait des gens qui
me donnent la main. Enfin, mes camarades plutôt, et ce n'était pas le cas. Et donc, je
savais très bien que c'était dur, dur, dur, dur. Et quand on est gosse, c'est dur. Mais
alors, quand on est... quand on a une... quand on est plus âgé, qu'on a une famille,
quand on a fait des études et qu'on est quelqu'un, et que même comme ça on n'est
pas reconnu, ça doit être d'autant plus dur. D'autant plus dur, je me suis dit. Et je crois
que je suis une personne qui a une facilité de comprendre les autres personnes,
j'arrive à me mettre à la place de l'autre, très facilement. Et c'est ce genre de
raisonnement qui m'a aussi aidé à trouver des solutions. Et c'est ce genre de
raisonnement qui manque aux personnes du travail. Pourquoi ? Parce qu'il n'y a jamais
eu personne qui leur ait dit quoi que ce soit. Parce qu'il n'y a pas un spécialiste qui
vient et qui dit « Fais attention ! ». Parce que c'est normal, c'est humain, chacun a sa
personnalité, chacun a son caractère. Pas tout le monde est doué pour les mêmes
choses, heureusement, c'est ce qui fait que le monde est si différent. Mais parfois, il
faut juste un peu pousser et c'est ce qui manque. C'est ce qui manque, c'est ce coup de
pouce, dans toutes les institutions publiques. C'est pour ça que souvent, face à nous, il
y a des gens... ras-le-bol ! Et je ne sais pas si... je ne sais pas si c'est le cas ici, en
175
Europe, mais j'avais vu en Chine, à Hong Kong. À Hong Kong, c'était... ils ont fait une
recherche et les gens sont très déprimés dans les instituts publics. Et donc ils ont fait...
ils ont fait des... ils ont commencé à faire des jeux, etc… Donc une fois par mois, ils
félicitent « Ah ! Cette personne-là, elle a fait un marathon, elle est allée courir 20
kilomètres. Bravo ! » Et donc à midi, ils allaient tous manger ensemble et « Bravo ».
Donc ça faisait des liens, ça tissait une communauté et en même temps c'était
individuel aussi. C'est ce qu'on n'a pas. C'est ce qu'on n'a pas, c'est... on ne sait pas.
Aujourd'hui c'est : on est vraiment dans un lien métro boulot dodo, qu'on ne fait plus
attention aux autres, j'ai l'impression. Et ce n'est pas que dans le public hein, c'est
aussi dans le privé. Mais j'ai l'impression que dans le public, d'autant plus.
E : Et est-ce qu'il y a d'autres choses que vous avez pu mettre en place pour l'aider ou
la soutenir ? Mise à part d'aller voir votre supérieur, lui donner des conseils.
T4 : J'ai commencé à l'inviter aussi quand on faisait des choses ensemble. Par exemple
parfois on faisait... on allait, une fois en été, deux fois en été, eux ils font... On a un
grill, on a une sorte de terrasse où on peut mettre un grill et puis on va faire un
barbecue. Et elle n'était jamais invitée. Donc moi, je l'avais invitée en fait. J'avais
envoyé le mail, je lui ai dit « Viens avec nous, viens, viens ». Et donc, elle était là et les
gens, ils devaient parler avec elle, ils devaient l'accepter. Et puis, il y a des gens qui se
sont dits « Ah ! Tout compte fait, elle n'est pas si méchante que ça ». Je ne sais pas si
c'était assez ce que j'avais fait, en tout cas...
E : Et c'était facile de le faire, ça, par rapport aux autres justement ?
T4 : Non, parce que je sentais... je ne supporte pas. J’ai beaucoup... ça m'attriste
beaucoup, on va dire. Je supporte les critiques mais ça m'attriste profondément les
critiques. Parce que je me dis « Je ne suis pas parfaite, je n'ai pas bien fait les choses ».
Et je savais qu'il y avait des gens qui n'aimaient pas ce que je faisais, et ça m'attristait.
Ça m'attristait parce que je me dis « Les personnes ne voient pas que c'est important
et c'est dommage ». Et ça me rendait triste, ça me rendait profondément triste. Et j’ai
du mal avec ça, du mal quand on...
176
E : Donc ça vous demandait un effort de l'inviter, de l'inclure dans le groupe, que les
gens savent que c'était vous qui l’aviez invité ?
T4 : Parfois, je me levais le matin, je me regardais dans le miroir (souffle) « Alors, tu vas
faire ça et ça et ça. Alors, tu vas dire ça à cette personne. Tu vas le faire, tu vas le
faire. » Parce que ça demande beaucoup d'efforts, parfois même surhumains, de se
surpasser. Et c'est dur parce qu'on sait que les gens vont nous pointer avec le doigt. Et
il faut aussi dire... il faut être dur, il faut accepter qu’on va être critiqué. Et si, à certains
moments... c'est ce que j’appelle de partir du jeune homme au jeune mûr, c'est quand
on a... Comme Marx le disait, comme Hegel le disait, c'était quand à un certain
moment on s'associe à la réalité, on se dit « Il faut accepter que les choses ne se
passent pas comme on le dit, comme on l'espère ». Et c'est ça en fait, c'était ça le plus
dur, de se rendre compte, voilà, ça ne va pas être comme ça. Parce qu'alors, à ce
moment-là, si on va contre un mur, on se dit « Voilà, j'étais prête, je savais que je
pouvais aller contre un mur. Parce que je savais que, voilà, les choses ne vont pas
toujours comme on le pense ». Et c'est ça en fait. Et pas tout le monde à cette
maturité, très peu de gens ont cette maturité, je pense.
E : Et donc pourquoi l'avoir fait si c'était si dur ?
T4 : Parce que j'en ai souffert beaucoup quand j'étais petite. Quand j'étais petite, ce
n'était pas un jour, ce n'était pas une semaine, c'était ma durée de scolarité. C'était à
l'école primaire et c'était à l'école secondaire. Et s'est allé tellement loin que j'avais un
professeur qui m'avait dit... Parce qu'il faut savoir qu'au Luxembourg, il y a 3 sortes de
niveaux scolaires, il y a le classique, il y a le technique et le modulaire. Pour rentrer
dans le classique, il y a très peu d'étrangers qui rentrent dans le classique parce que
c'est très poussé niveau langue, c'est des études très poussées. Donc il faut déjà avoir
une moyenne au-dessus de 17/20 pour rentrer dans ce système-là. Et qui rentre
principalement dans ce système-là ? C'est les Luxembourgeois. Pourquoi ? Parce qu'ils
ont déjà un capital... un capital d'éducation de la part de la maison. Alors que si on
vient souvent d'enfants émigrés, ce capital-là, il est un peu manquant. Alors c'est vrai
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que c'est un peu dur de la personne elle-même de reconstituer ce capital. Et j'ai quand
même réussi à rentrer dans ce système-là. Donc je suis remontée dans ce système-là,
et il y a très très peu de Portugais, très très peu en général d'étrangers. Et donc à
l'époque, il faut dire, j'étais assez costaud, je n'étais pas comme maintenant, c'était les
20 kilos en plus. Être enfant d'émigrés, ne pas être Luxembourgeois et en plus ne pas
avoir le corps de rêve comme eux ils attendaient, c'est bon ! C'était le pion à qui on va
tous... le bouc émissaire. Et voilà ! Et j'ai passé... j'ai de très mauvais souvenirs de mon
école secondaire, de très très très mauvais souvenirs. Je n'ai que très peu d'amis avec
qui je suis restée en contact, très très peu. Alors quand je vois ça, et je me dis « J'ai
passé de très mauvaises années parce que les gens, ils étaient contre moi ». Il y avait
un professeur, c'est si loin, un professeur qui m'avait dit « Écoute, tu sais, tu ne t'es pas
posé des questions pourquoi tu as des si mauvais points en allemand ? » Et j'ai dit
« Oui, justement, parce que toutes les autres années j'avais quand même assez des
bons points ». Il me fait « C'est parce que tu as le mauvais nom de famille ». Parce que
j'étais portugaise et pas Luxembourgeoise. Et donc, ça, ça m'a fait un grand coup, ça
m'a tué. Et donc, savoir que cette personne-là, elle n'y pouvait rien de son physique et
qu'on... Et que moralement, on la faisait détruire, je me suis dit « Ce n'est pas possible
qu'il y a encore, aujourd'hui, les gens sont... ils sont adultes, et on fait détruire
quelqu'un pour son physique, c'est pas possible ! Je m'attendais à ça à l'école primaire,
secondaire, mais au travail quand même ! Il y a des limites ». Et là, ça m'a... je crois
qu'il y avait tout ce... toutes ces mémoires qui seront revenues et ça m'a donné un
coup d'énergie. Et voilà, je suis partie.
E : Et pour en revenir à cet exemple où vous l'invitiez au barbecue, est-ce que c'était
déjà habituel avant de faire ce genre de chose ?
T4 : Habituel avec elle ou habituel en général d'aider les gens ?
E : Non, habituel avec elle. Est-ce que ça arrivait déjà que vous l'invitiez au barbecue ?
T4 : Oui ou bien à midi. Parce que, une fois par semaine, j'allais manger avec tout le
groupe et je commençais à l'inviter peu à peu. Au début, elle disait toujours non, et les
178
gens, ils étaient contents. Et après, moi, j'avais utilisé une ruse, c'est que j'avais... je
l'avais invitée à manger avec nous à midi parce qu'il y avait quelqu'un qui allait partir.
Et... et les gens m'ont dit « Mais pourquoi tu es venue avec elle ? » J'ai fait « Mais quel
est le problème ? », « Mais tu sais bien, on ne s'entend pas très bien. » Et donc moi,
j'avais fait un petit jeu, j'ai fait « Ah bon ? Vous ne vous entendez pas bien ? Je savais
qu'il y avait des problèmes, mais à ce point ? » Et donc, les gens ils se sont dit « Ah !
Tiens, elle ne connaît pas le problème parce qu'elle est jeune ». Alors que je
comprenais très bien le problème. Mais parfois, il faut jouer le jeu aussi.
E : Et est-ce qu'il y a d'autres choses que vous avez pu mettre en place pour l'aider ou
pour la soutenir ?
T4 : J'avais dit... je lui avais dit que... que c'était bien d'avoir une amie ou des amis avec
qui on peut se confier. Parce que souvent, c'est ce qui manque. Je lui ai dit aussi pour
parler avec les gens, pas de tout de suite aller chez le directeur et se plaindre ou chez
quelqu'un mais, quand on a un problème, plutôt de parler avec la personne. Je l'ai
aussi convié à faire du sport ou à avoir un hobby où on peut se détacher du travail.
Parce que je lui ai dit « Détache-toi de ton travail, parce que ce n'est pas bon de tout le
temps... » Parce que je lui ai dit « Surtout ne pas ramener du travail à la maison ».
Surtout quand on a des problèmes, séparer les deux. Et en plus, je lui ai aidé là où je le
pouvais le plus, mais après, ça devait aussi venir de sa part.
E : Donc c'est de nouveau lui donner des conseils.
T4 : Oui, la soutenir. Parfois elle me disait... parfois elle me disait « Tiens, regarde, j'ai
envie de mettre ça et ça, et ça, est-ce que tu crois que ça ira ? » Parce que, comme je
vous... je l'avais dit au début, on n'arrêtait pas de la montrer du doigt parce qu'elle
n'était pas bien habillée ou que sais-je. Donc elle aussi, là, à ce moment-là, elle
commençait à faire plus attention comment elle s'habillait et tout ça.
E : Et est-ce que parfois vous avez senti que vous ne pouviez rien faire, qu'il y a des
choses qui vous ont empêché d’agir ?
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T4 : Oui, surtout quand il y avait le directeur qui... qui lui donnait des... enfin, qui lui
disait qu'elle était une bonne à rien. Quand tu as un directeur... qu'est-ce qu'on peut
faire ? On ne peut rien faire. C'est justement lui, qu'il faut faire quelque chose et pas,
en tant que personne, aller contre le directeur. Je crois que c'est ça le plus difficile,
c'est d'aller contre la plus haute hiérarchie. C'est ça. C'est... quand ça émane du
directeur, on est impuissant. On est impuissant. En plus, je ne savais pas qu'il y avait
des... je l'ai su plus tard, des associations qui aident. Ça, je ne savais pas du tout. Je ne
savais pas du tout. Ça, je l'ai su plus tard. Et je lui avais envoyé le lien, je lui ai dit « Si
jamais ça s'empire, voici un lien, tu sais, où tu peux faire recours ou appel pour
t'aider ».
E : Donc en fait, vous arriviez à l'aider par rapport à ce qu'elle vivait avec les gens en
dessous d'elle ou à la même hauteur qu'elle. Mais pas par rapport à au-dessus ?
T4 : J'étais impuissante, oui.
E : Et pourquoi, qu'est-ce qui vous bloquait ?
T4 : Ce qui me bloquait, c'était le pouvoir. Lui, il a tous pouvoirs. Lui, il ne pouvait pas
me renvoyer, OK, mais il pouvait me faire la vie dure aussi. Donc j'étais... j'avais une
certaine limite. Lui, il pouvait aussi me dégager de tous les projets. Il pouvait... il
pouvait dire aux autres « On ne travaille plus avec elle ». Donc, à ce moment-là, ça
allait vers ma personne aussi. Et c'est ça en fait, c'est dur de juger. À un certain
moment je veux l'aider mais jusqu'où ? Où sont mes limites ? Et j'avais senti que là,
c'étaient mes limites.
E : Et quand elle vivait ça par rapport à son supérieur, est-ce que vous essayiez de la
soutenir ? Sans essayer d'intervenir mais plutôt en retrait.
T4 : Je crois que je lui disais... je lui donnais des mots de courage mais... peu importe si
on était gentil avec lui, peu importe si on prenait des... si on avait des raisonnements
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rationnels avec la personne, elle était très émotionnelle. C'était une personne qui
disait ce qu'il pensait. Parce qu'il faisait ça aussi avec nous. Il faisait ça aussi avec moi.
Moi, parfois je venais avec des projets, il me fait « Ah ! Mais que tu es bête ! Tu ne vois
pas qu'il y a une faute dans le projet ! » Au lieu de nous dire « Non, écoute, j'ai bien
aimé ton idée mais, sur ce point-là, il faut faire attention parce que... » Ça, c'est bien
plus productif que de dire « Non mais tu es... laisse tomber, tu as fait une erreur ».
E : Avez-vous a un moment donné pris plus conscience de ce qui était en jeu dans la
situation, ou bien sa gravité ?
T4 : Le déclic, c'était lorsque l'aéroport a dû fermer 5 jours, pendant 5 jours. Parce que
ce n'était même pas dû à des problèmes techniques, mais c'était dû à des problèmes
sociaux dans l'entreprise. Et là où j'ai eu le... ça m'a fait un grand déclic, c'est quand
pendant une semaine elle était malade parce qu'elle n'arrêtait pas de pleurer. Et là, j'ai
dit « Non, il faut faire un truc, il faut faire quelque chose ». Il faut faire quelque chose.
Il y a eu mon chef qui avait remarqué que c'était grave et celle des ressources
humaines. Et là, on a... on s'est dit « Enfin quelqu'un de notre côté ! » parce qu'à 3, on
peut faire... on peut faire le poids. Et donc là, à ce moment-là, le directeur il avait
compris « Bon, OK, on va changer les choses ».
E : Cela a-t-il modifié votre comportement à partir de ce moment-là ?
T4 : Je crois que j'ai été... quand j'ai eu mon chef à moi et celle des ressources
humaines derrière moi, je me suis sentie plus confiante, j'avais moins peur. Parce que
j'avais compris que les gens aussi, ils avaient compris qu'il fallait changer quelque
chose. Donc déjà, les gens, ils avaient une certaine volonté. Il y avait la volonté qui
était là. Et c'est beaucoup plus facile de changer les choses quand il y a une volonté qui
est là que de changer les choses alors qu'on est face à un mur. Je crois que c'était ça.
E : Et donc, ça vous a poussé à plus agir, à plus essayer de faire des choses pour elle ?
T4 : Je crois que oui, oui. Je crois que oui.
181
E : Par exemple quand vous avez proposé la thérapie de groupe, ça c'était avant ou
après ?
T4 : Ça, c'était avant. Et ils n'ont jamais pris la thérapie de groupe, mais par contre ils
ont commencé les réunions une fois toutes les deux semaines.
E : D'accord. Ils ont commencé les réunions après cette grève ?
T4 : Oui.
E : Donc là, il y a eu une prise de conscience. Et vous êtes revenue avec cette idée ?
T4 : Oui, mais ils ne l'ont jamais pris vraiment en compte. Ils ont préféré faire les
réunions pour le début.
E : D'accord. Mais c'est vous qui avez parler des réunions aussi, non ?
T4 : Oui, oui. Oui.
E : Les autres membres de l’entreprise ont-ils réagi ?
T4 : Le sous-directeur a commencé... Non, son... le sous-directeur n'a jamais rien fait.
Parce qu'il y avait deux sous-directeurs. Celui qui est toujours resté neutre, parce qu'il
en avait marre de l'affaire, c'était le vieux sous-directeur. Parce que, dans 15 ans, il va
partir à la retraite donc il veut avoir... il veut la paix. Non, pas dans 15 ans, pardon, je
me suis trompée, dans 5 ans. Donc lui, il veut la paix. Sa main droite par contre, lui, il
est encore là pour longtemps. Lui aussi, il a commencé à se distancer, mais il
commençait à voir que, voilà, il faut être gentil, il faut... il ne faut pas prendre parti. Là,
il a été très... très ingénieux, il n'a jamais pris parti. Par contre, il a tout de suite su qu'il
faut faire quelque chose, qu'il faut jouer ensemble, qu'il faut travailler ensemble. Donc
là aussi, il a commencé, de sa part aussi, à dire « Non, on ne va pas commencer sur ça.
On ne va pas commencer sur ce ton-là. On va rester juste, on va argumenter juste ».
182
Lui, donc les gens, ils savaient très bien « Ah ! Si je veux me plaindre de lui ou parler
avec lui, il faut que je vienne avec des arguments ». Et ça... ça, ça m'a fait du bien, que
je voyais que... Parce que lui, il était très aimé hein, de tout le monde. Et ça, ça m'a fait
du bien aussi de voir qu'il commençait à... que lui aussi, il avait fait quelque chose.
E : Donc lui, il n'est pas intervenu directement en disant « Arrêtez de vous moquer
d'elle » par exemple, mais il a dit « Maintenant si vous voulez dire quelque chose,
donnez-moi des arguments ».
T4 : Voilà.
E : Et « Arrêtez d'écouter les rumeurs ».
T4 : Voilà exactement.
E : Et est-ce qu'il y a d'autres gens qui ont réagi ?
T4 : Les 3 amis avec qui j'étais toujours. Et je ne travaillais pas avec eux mais c'était de
l'informatique, c'étaient deux informaticiens et un... et un qui s'occupe de tout ce qui
est supports informatiques. Ce n'est pas la même chose... enfin, je n'ai pas très bien
compris le lien qu'ils avaient mais c'était tout ce qui était informatique. Et ces trois-là,
ils étaient toujours très gentils et très... ils rentraient bien dans le cliché des
informaticiens en fait. Je ne veux pas être méchante mais ils étaient vraiment « On est
gentil, on est un peu neutre » Et donc eux, je m'entendais super bien avec eux, parce
que ce n'est pas des gens qui rentrent dans le jeu « Allez, on clashe tout le monde ! ».
Non, ils n'étaient pas comme ça, c'était justement l'inverse. Et eux aussi, ils ont
commencé à sortir avec elle, enfin pour midi, aller manger ensemble à midi. Une fois
par semaine ils allaient boire un verre et ils prenaient... et ils allaient... ils l'invitaient
aussi pour prendre un verre, etc… Ça, je crois qu'il y a des gens qui ont... Mais sinon,
pour le reste, pas beaucoup changé.
E : Il n'y avait personne d'autre ?
183
T4 : Non, ils ont commencé à être gentils avec elle, c'est-à-dire lui demander des
choses normalement. Sans crier, sans... ils viennent chez elle, ils font « Bonjour Dai... »,
« Bonjour » J'allais dire Daisy ! Mais bonjour Daisy, non. « J'ai besoin de ça et ça, est-ce
que c'est possible de l'avoir ? », etc… Donc à la fin, quand je suis partie, c'était comme
ça.
E : Ça, c'était plus grâce à ce qui s'était réglé ?
T4 : Oui, voilà, plus... plus grâce aux... aux...
E : Aux interventions entre guillemets qui avaient été faites.
T4 : Oui, aux réunions, etc…
E : Et est-ce qu'il y en avait qui avaient le même type de comportement que vous, à
essayer de donner des conseils, à essayer de l'inviter, à essayer d'intervenir auprès des
supérieurs ?
T4 : Non, pas que je sache, en tout cas pas que je sache.
E : Seulement les informaticiens qui essayaient de l'inviter un petit peu peut-être ?
T4 : Oui.
E : Et ça, c'était à peu près en même temps que vous ou c'était quand les choses se
sont beaucoup calmées ?
T4 : C'était quand les choses se sont beaucoup calmées. Parce que, à ce moment-là, ils
avaient moins peur. Parce que ce sont des personnes qui sont extrêmement timides,
ne sont pas sûrs d'eux. Et donc voilà, c'était... Ils m'aimaient bien parce que, voilà, moi
je leur ai... parce qu'ils m'aidaient beaucoup parce que moi et l'ordinateur, c'est
184
horrible. Et je leur ai dit « Écoutez, je n'ai pas envie d'être un peu bête devant les
autres gens qui travaillent depuis des années avec les ordinateurs. Est-ce qu'en une
fois, vous pouvez m'expliquer ? » Et puis, ils sont restés toute une après-midi en
m'expliquant, en me disant les choses, en me... ceci et cela. Et depuis, j'ai dit « Vous
êtes trop gentils », ils me disent « Oui, mais toi aussi, tu es la seule qui est gentille avec
nous, qui ne nous dise pas qu'on est inutiles, tu sais ». Et là, c'est à travers eux que j'ai
beaucoup su qu'est-ce qu'il se passait. Parce que, eux, ils sont toujours appelés. Parce
qu'il n'y a personne qui a pris des cours d'informatique on est d'accord, encore
aujourd'hui. Donc dès qu'il y a un problème, c'est eux qui vont partout. Donc eux, ils
entendent toutes les discussions. Et donc, c'est eux, ils m'ont tout raconté aussi. Et
après, c'est dur, c'est dur.
E : Donc eux, indirectement, ils vous ont expliqué la situation. Est-ce qu'ils vous ont dit
peut-être « Il faut faire quelque chose » ou est-ce qu'ils t'ont juste expliqué ?
T4 : L'un m'a dit « C'est comme ça, c'est comme ça, on ne peut pas changer ». Et
l'autre, il m'a dit « J'aimerais bien que ça change mais je ne sais pas comment ».
E : Et est-ce que l'entreprise elle-même a réagi au plus haut niveau, est-ce que des
gens ont réagi ? Le sous-directeur, là, mais il y avait encore d'autres gens au-dessus de
lui ?
T4 : Non, non. Ça, le Ministère public, ils s'en foutent, franchement. Tout ce qui est de
ce ressort-là. Parce qu'ils se disent « Il y en a tellement de problèmes dans tous les
autres départements, dans tous les autres Ministères et administrations ». Ce n'est
pas...
E : Oui, pour eux, ce n'est rien.
T4 : Oui, oui. Parce que c'est vraiment cette mentalité-là.
E : Pensez-vous que cela est plus dur dans votre entreprise plutôt que dans une autre
de pouvoir intervenir ?
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T4 : Oui. Parce que, comme dans une entreprise privée, les gens ont cette conscience
qu'il faut travailler collectivement, c'est des projets collectifs et il faut être le meilleur.
Donc c'est collectif et en même temps individuel, donc il y a ce jeu de balance. Pour
l'État, peu importe qu'on fait un bon travail ou non. Et donc, si dans le... si dans le privé
il y a des problèmes, les gens, la première chose qu'ils se disent « S'il y a un problème
avec moi, moi je peux être dehors à tout moment ». Donc ils ont cette conscience et ils
se disent « Je dois montrer que je suis bon, je dois montrer que je peux le faire ». Et
surtout en temps de crise, les gens, ils n'ont pas envie d'être dehors. Je veux dire,
surtout quand on a des enfants ou une famille, que sais-je, on essaye de régler les
choses. Et les gens, dans le privé, ils ont compris, il faut travailler. Et dans l'État, c'est
un peu comme, vous le voyez, je peux faire ce que je veux. C'est deux mentalités
complètement différentes.
E : Quels ont été les obstacles les plus durs à dépasser pour pouvoir mettre en place
des comportements d’aide ou de soutien ?
T4 : Les obstacles les plus durs à dégager, dans quel sens ? Individuels ?
E : Oui, vous, vraiment pour vous, qu'est-ce qui a été le plus dur, quel a été l'obstacle le
plus dur à dépasser, donc qu'est-ce qui a été le plus dur à surmonter ?
T4 : Les critiques. Les critiques, vraiment les critiques. Quand on est... comme j'avais
déjà expliqué auparavant, je supporte... ce n'est pas que je ne supporte pas les
critiques, c'est que je ne sais pas bien les travailler, les critiques, c'est mon point faible.
Et dans le sens émotionnel, toujours dans le sens émotionnel. Et c'était ça que je
devais dépasser, le fait que... pas tout le monde mais le fait que pas tout le monde ne
veut être ami avec moi, prendre conscience de ça. Je crois que c'était le plus dur. Parce
que je suis une personne qui est toujours dans le sens... j'ai envie d'être amie avec tout
le monde, j'ai envie que tout le monde m'aime. Alors quand après, en travail ce n'est
pas le cas. Ce n'est pas une école, ce n'est pas une classe, ce n'est pas... On veut être...
on veut appartenir à un groupe et après, il y a quand même des gens qui ne nous
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aiment pas. Alors qu'on veut être aimé par tout le monde. Ça, je crois que c'était le
plus dur.
E : Et est-ce qu'il y a eu d'autres obstacles à dépasser ? Par exemple la fois où vous
deviez lui donner des conseils pour l'aider, pour la soutenir.
T4 : Non, je crois que c'est assez naturel. Pour moi, ça c'était assez naturel.
E : Et quand vous avez dû aller chercher votre supérieur pour en parler, essayer de dire
mettre des réunions, faire une thérapie de groupe. Est-ce que là, il y a eu d'autres
obstacles que vous avez dû surmonter ?
T4 : Je réfléchis. Je... directement, je ne m'en rappelle pas qu'il y ait des obstacles. Je
crois que le plus grand obstacle était de... de prendre mon chef avec moi et de lui faire
rendre compte en fait, c'était ça. Jusqu'à ce que je l'ai motivé, ça a pris du temps. Mais
après, comme il était avec moi, non, je crois qu'il n'y a plus eu d'obstacle.
E : Et la fois où vous l'avez invitée au barbecue, aux repas, etc…, est-ce que là il y a eu
d'autres obstacles aussi ?
T4 : Il y avait des gens qui sortaient des... des petits commentaires du genre « Ah ! Elle
est là aussi ! » ou du genre « Tu n'as pas pu te retenir ! » mais... ce n'était rien de
grave.
E : Qu’est ce qui aurait pu faire que vos comportements soient différents (plus ou
moins présents) ?
T4 : Je crois parce que j'ai vu qu'elle changeait. Si elle ne... elle ne s'était pas, après
tout ce que je lui avais raconté, comment... ce que les gens, ils attendent d'elle, qu'est-
ce qu'il faudrait faire, qu'est-ce qu'elle pourrait faire pour améliorer, etc. Je crois que si
elle n'avait pas pris ces critiques... ces critiques en compte, je... et qu'elle-même,
d'elle-même elle n'aurait pas changé, je crois que je l'aurais laissé mijoter dans son
187
malheur. Mais quand j'ai vu qu'elle a commencé à changer, et elle s'est donné
beaucoup d'efforts, et que j'ai vu aussi que les gens commençaient à l'apprécier, je lui
ai dit « Bravo ! Voilà, les gens, ils ont dit ça et ça et ça. C'est vraiment bien, continue ».
Et je crois que c'est ça vraiment qui... faire autant d'efforts et puis voir qu'il y a quand
même un résultat à cet effort. S'il n'y avait pas eu de résultat, je crois que j'aurais dit
« Bon, tant pis. J'ai déjà tellement investit, je n'ai plus envie d'investir plus ».
E : Oui, s'il n'y avait pas eu de résultat, si elle, elle n'avait pas essayé ou si les autres
n'avaient pas réagi positivement. Si elle avait essayé mais que les autres avaient quand
même continué à dire « Elle est nulle » ?
T4 : Mais en fait, elle avait essayé et elle m'avait dit « Ça fait... j'ai déjà essayé et les
gens, ils sont comme ça ». J'ai fait « Oui, mais ce n'est pas en une fois ». J'ai dit « La
mentalité, ça change en semaines ». J'ai dit « Donc, prends-toi un mois, tout un mois.
Tu vas te dire par exemple tout le mois de février, je vais être gentille avec tout le
monde. Tout le mois de février. Et tu vas voir qu'après, les gens... ce n'est pas en une
fois mais c'est répétitivement que les gens, ils vont se rendre compte : Ah ! C'est vrai,
ce n'est pas la première fois, ce n'est pas aujourd'hui qu'elle a avalé une pilule
magique et qu'elle est gentille. C'est tout le temps. Alors moi aussi, je vais être gentil ».
Et c'était effectivement seulement après 6 semaines qu'on avait vu que les gens
commençaient à aussi être gentils, à lui parler, à... certains avaient arrêté les... arrêté
de parler d'elle et tout ça. Et ça, c'était... je crois que c'était... c'était ce qui a fait en
sorte qu'elle, elle avait davantage envie de changer. Et que les autres, ils avaient vu
« Ah ! Tiens, c'est beaucoup plus plaisant d'avoir des relations comme ça que... que
d'être dans une impasse en fait ».
E : Est-ce qu'il y a d'autres choses que, si ça a avait été différent, ça aurait pu changer
votre façon de réagir ?
T4 : Pas... pas que je sache en fait. Oui, s'il n'y aurait pas eu de résultat, si les gens
n'auraient pas voulu changer et... peut-être aussi le fait de se heurter tant de fois
contre un mur. Je me suis heurtée beaucoup de fois contre un mur jusqu'à ce que ça
188
soit bon, parce que je suis très têtue, j'aime bien les choses... j'aime bien faire les
choses. Et donc, à un certain moment, j'ai vu une approbation. Donc je crois que si
moi-même aussi je me serais heurtée tant de fois contre un mur qu'elle, je te dis, je
crois que j'aurais eu le ras-le-bol aussi. Ras-le-bol de ma part aussi. Parce qu'à certains
moments, vers la fin, j'avais eu un ras-le-bol. Ce type de comportement fait en sorte
qu'on ait très très vite un ras-le-bol. C'est dur parce que c'est... c'est très psychique.
C'est... si c'est... si c'était un effort physique, on se repose pendant quelques jours et
on recommence. Mais comme c'est un effort psychique, on ne peut pas faire un repos,
c'est constamment.
E : Et si par exemple vous aviez été employée de la fonction publique et pas dans le
privé ?
T4 : Je crois que je n'aurais pas fait ça. Je crois que je n'aurais pas fait ça, je crois que
j'aurais écrit une lettre du genre « Je veux changer de boulot, je veux changer quelque
part ». Et j'aurais fait mon boulot, je me serais enfermée dans mon bureau et ce serait
tout. J'aurais essayé d'avoir des bons liens et je l'aurais, elle, laissé mijoter dans son
malheur. Parce qu'alors, à ce moment-là, c'est... on sait très bien que si on est
employé, on est dans ce bureau-là, on ne va pas changer du jour au lendemain. Ça, on
le sait. Et si on est dans la merde, enfin, pardon pour l'expression mais si on est dans la
merde, ça peut le faire sentir tous les jours. Non, ça aurait été trop pesant, je crois. Ça,
oui. Je crois que c'était ça, le fait que je savais que j'allais partir, que je n'allais pas
rester toute ma vie là. Et le fait de savoir que j'étais employée privé et pas public.
E : D'accord. Est-ce qu'il y a d'autres choses auxquelles vous pensez qui auraient pu
modifier ?
T4 : Non, je... peut-être le fait d'avoir un autre directeur. Ce fait-là. Je crois que c'était
vraiment ce qu'il me fallait, avoir un autre directeur, un directeur qui prend des
décisions, un directeur qui soit neutre et un directeur qui... Parce que le directeur, lui,
comme une personnalité publique, il doit être prêt à recevoir ou à entendre des
critiques, à les confronter. Et il doit prendre des décisions, il doit avoir une main de fer
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et dire « Ça suffit, on fait comme ça et pas autrement ! ». Et aussi, je pense qu'un
directeur il doit avoir... pas seulement avoir des qualités... des qualités en... dans la
matière dans laquelle il exerce, mais aussi des qualités en tant que relations, savoir
comment réagir. Un bon... être quelqu'un qui sait comment motiver un groupe. C'est...
parce que le directeur en fait, c'est le père de la famille, on va dire. C'est comme un
père de famille ou une mère de famille, c'est quelqu'un qui doit porter soin à sa
famille. S'il ne porte pas soin à sa famille, il ne peut pas s'attendre que ça marche bien.
Et je crois que si j'avais eu... si à l'époque on avait un autre directeur, je crois que les
choses se seraient passées beaucoup plus simples et pas aussi... Je crois que la
situation ne se serait jamais aussi aggravée.
E : Donc le directeur aurait pu changer les choses ?
T4 : Oui, beaucoup de choses. Il aurait pu changer pratiquement tout. Parce que s'il
aurait... parce que c'est lui qui donne le ton sur lequel on va avancer. C'est... parce que
les gens, à un certain moment ils disent « Ah ! C'est quand même le directeur. Si c'est
le directeur, c'est parce que... » c'est important. Et les gens, c'est ce que je disais
auparavant, comme le directeur donnait la mauvaise... le mauvais exemple, les gens
suivaient le mauvais exemple.
E : Et est-ce qu'il y a d'autres éléments, peut-être dans l'entreprise par exemple, là
vous évoquiez le directeur, est-ce qu'il y a d'autres éléments qui auraient pu changer
les choses ?
T4 : Oui. Je suis toujours d'avis que les thérapies de groupe, c'est toujours quelque
chose de bien. Surtout dans les fonctions publiques. Mais moi, je pense que la
personne des ressources humaines, elle devait s'occuper de ça. Et je pense aussi que la
personne des ressources humaines doit être une personne qualifiée et non quelqu'un
à qui on lui donne un job comme ça, juste parce qu'elle a réussi l'examen d'entrée.
C'est quelqu'un qui doit... Je ne dis pas que cette personne doit forcément faire
l'université, qu'elle doit forcément avoir un diplôme de psychologie, mais je pense que
c'est quelqu'un qui doit au moins savoir... au moins vu ce que c'est d'être tout ce qui
190
est relations des ressources humaines, donc savoir... Parce que la personne, là, elle ne
savait même pas choisir au niveau des critères, au niveau des personnes. Par exemple
je l'avais aidé, on avait fait un tri pour choisir une personne quand il y avait eu une
place de libre. Et elle m'avait donné un CV, elle a commencé à... à rigoler, elle fait
« Regarde cette personne, elle est trop bête pour finir son université ! ». Et je le
regarde, je lui fais « Mais non, cette personne a fait 4 ans d'université ! », elle fait
« Oui, mais c'est 5 ans ». Je lui fais « Oui, mais en Angleterre c'est en 4 ans. Et c'est la
deuxième année de Master est supplémentaire, ce n'est pas comme chez nous. Et ce
n'est pas dans toutes les facultés ». Et j'ai dit « Et même si... » Et j'ai dit
« Indépendamment du Master, de la finalité qu'on a fait, on peut toujours faire... il y a
beaucoup de gens qui préfèrent faire la dernière année de Master en 2 ans et aller
travailler parce qu'ils ont déjà envie de travailler. Donc tu ne peux pas juger sur ça ». Et
là, je me suis dit « Mais mon Dieu ! Mais c'est qui cette personne qui travaille dans les
ressources humaines ? Ce n'est pas quelqu'un de qualifié, ce n'est pas quelqu'un de
rationnel. C'est quelqu'un qui est là parce qu'elle est là ».
Commentaires pendant la passation du questionnaire :
T4 : Je pense que c'est plutôt le harceleur. Qui est responsable de cette situation ?
Parfois, ça peut être aussi la personne ciblée, donc moi je pense que c'est les deux.
C'est... souvent, c'est comme dans une relation pour moi, souvent ça peut être les
deux, tout dépend. Mais dans mon cas, dans mon cas c'était plus le harceleur. Mais la
personne ciblée, elle n'avait rien fait pour changer dès le début, elle a laissé les choses
aussi. Donc ça aussi c'était une critique par rapport à elle. Et bien sûr aussi le directeur,
donc je ne sais pas si c'est l'entreprise ou non.
E : L'entreprise, ça va plutôt être au sens global, comment la pression qui arrive ou qui
peu à peu pourrait créer ça ou cette ambiance.
T4 : Non, je pense plutôt les deux premiers.
(Lis à haute voix) Comment décririez-vous votre entreprise de manière générale ? C'est
une entreprise dans laquelle les membres sont encouragés à interagir les uns avec les
191
autres et...
Non, justement non.
(Lis à haute voix) Une entreprise à l'intérieur de laquelle...
Oui. C'est une entreprise... Non, je pense que c'est plutôt la deuxième.
E : OK. Merci beaucoup.
T4 : De rien.
192
9.7. Retranscription de l’entretien avec le témoin n°5
E : Pour commencer, je vais vous demander de vous présenter en expliquant votre
position de travail et vos liens avec la personne cible et le « harceleur », et de
m’expliquer en quelques mots la situation.
T5 : Harceleur... OK. Bon, avant de... donc avant de venir chez A***, j'ai fait… j'ai
collectionné les masters 2, donc j'en ai trois en fait, j'ai fait une thèse en France, et
après ma thèse, donc je l'ai contacté. Il m'a répondu très très rapidement. Euh... Il m'a
accueilli, il m'a expliqué, euh, les thématiques de son labo, on a été mangé ensemble.
Euh... Pour le premier, lors du premier contact, j'ai rien remarqué. Pour moi, c'était
quelqu'un de bien normal. Euh... la première situation qui m'a un peu euh... mis mal à
l'aise, mon entretien, enfin plutôt mon contrat devait se commencer… je devais
commencer le 1er octobre 2011. En septembre 2011, il m'a déjà envoyé plusieurs
messages pour me demander quand est-ce que j'allais arriver en Belgique, est-ce que
j'avais déjà trouvé un appart... à un moment donné, il m'avait même demandé de venir
en Belgique deux semaines avant le 1er octobre euh, pour pouvoir faire la paperasse,
m'inscrire à la commune, euh... signer le bail, et comme ça, le 1er octobre, je serais
déjà au labo. Bon, ça à la rigueur, ce n'est pas grave, ce n'est pas méchant. Et donc,
euh... Voilà, après mon arrivée dans son labo, au fil des semaines et des mois, je...
c'était clair comme le nez au milieu de la figure, comme on dit, que ce type était un...
harceleur, était un malade, était... Enfin, malade, c'est le mot qu'on peut utiliser pour
qualifier ce genre de personnes, c'était à tous les niveaux. À 9h00, il commençait à
regarder sa montre... Par exemple, à la technicienne, contrairement à nous, elle, elle
avait des horaires, 9h-17h. Quand elle arrive à 9h05, elle reste jusqu'à 17h05, si elle
arrive à 9h30, elle reste jusqu'à 17h30. Donc lui, à 9h, il commençait à regarder sa
montre, il commençait déjà à la chercher dans le labo. Donc la pauvre arrive, on lui dit
qu'il te cherche. Donc là, déjà, tu la vois trembler. Bah, il est nous est arrivé de la voir
par l'arrière-cour, elle dans la cour pour arriver à 9h pile-poil, à 9h tapantes. Donc elle
arrive, elle lui dit bonjour, la première chose qu'il lui fait, il regarde sa montre. Soit il lui
dit : « bonjour », soit il continue à travailler sur son ordi, il ne la regarde même pas, en
lui disant « bonjour ». Tu vois, donc ça c'était vis-à-vis de la technicienne, mais il y avait
193
ça vis-à-vis d'autres... enfin, d'autres thésards. On était pratiquement deux catégories
de personnes, il y avait une catégorie de personnes qui arrivait très tôt le matin, qui
partait un peu tôt le soir. Moi, par exemple, je faisais du 7h-18h. Il y avait des
personnes qui faisaient du 7h-22h, des thésards qui faisaient du 7h-22h. Bah... pour
aller chez le médecin ou pour aller euh... dans un autre bâtiment, ces personnes, je
crois qu'ils devaient demander l'autorisation à partir. Il y avait un étudiant, son prénom
c'est Y***, il avait rendez-vous chez le dentiste, mardi par exemple. Donc il est venu au
labo à 11h, il est resté jusqu'à 11h du soir, le lendemain, il l'a, il l'a chopé dans le
couloir, il lui a dit : « voilà, la prochaine fois, tu dois prendre tes rendez-vous chez ton
dentiste en dehors des heures du boulot ». Donc là, il lui a expliqué que ses heures de
boulot c'est 9h-18h30, 19h. Aucun dentiste n'est ouvert avant 9h ou après 19h. Donc
tu vois, c'est un peu ce... Voilà... Donc... C'était tout le temps comme ça, c'était comme
ça vis-à-vis de pratiquement tout le monde. Bah, pour ne pas parler de moi, je vais
juste te donner un exemple. Une fois, je sais pas si tu te rappelles la fois où on a
agressé un conducteur de la STIB, un conducteur ou un contrôleur, c'était, c'était en
2012, ou 2013, je sais pas trop. Et donc je suis resté chez moi pendant trois jours, je
pouvais pas aller au travail, je n'ai pas de permis de conduire, donc mon seul moyen de
transport, c'était les transports en commun. Trois jours après j'arrive, déjà il savait que
j'étais pas au labo. Donc là, il me dit : qu'est-ce que tu as fait hier et avant-hier ? Je lui
dis : « bah, j'étais pas là, parce qu'il y avait grève », et donc là il me sort deux histoires,
la première, c'était quand il était en thèse lui, il a fait Paris de... il a marché pendant
treize, enfin il a marché treize kilomètres à Paris pour aller sur son lieu du travail, et
aussi dans la vie on doit choisir : soit la proximité, soit un joli quartier, parce que
j'habite à Woluwé Saint Lambert, donc pour lui j'ai choisi un quartier chic, donc je dois
assumer les conséquences. Un jour férié, il m'est arrivé de l'avoir au téléphone : « allo,
est-ce que machin est là ? Est-ce que machin est là ? Est-ce que machin est là ? » Et
quand tu lui réponds que par exemple telle ou telle personne n'est pas là, le lendemain
à 9h quand il arrive, voilà la première question : « qu'est-ce que tu as fait hier ? - bah
j'étais pas là. - Oui, mais quand on est en thèse, quand on fait un stage, on doit être au
labo le samedi, le dimanche, les jours fériés, moi à mon époque, je travaillais même
des jours fériés, je faisais des journées de treize, quatorze heures, c'était comme ça ».
Euh... le plus d'harcèlement auquel j'ai assisté, c'était le harcèlement qu'il a fait vis-à-
194
vis d'une technicienne. Donc là, c'était flagrant quand même. Pendant son heure de
table, il vient et il lui pose des questions sur le boulot, pendant ses trente minutes de
table. Elle va aux toilettes, si elle met beaucoup de temps aux toilettes, si elle met dix
ou quinze minutes aux toilettes pour une raison ou pour une autre, donc là il
commence à la chercher, et il fait tout le tour, tout le tour plusieurs fois pour la
chercher. Et c'était comme ça tout le temps. Donc c'est ce qui nous a incités à un
moment donné de porter plainte contre lui, auprès du doyen, puis auprès du recteur.
Donc là l'histoire, enfin l'affaire est en cours, et il y a une instruction de discipline qui a
été ouverte à son égard, donc on attend toujours le verdict. Voilà.
E : Par rapport à cette situation de harcèlement, comment vous êtes-vous situé ? Êtes-
vous intervenu d’une manière ou d’une autre vis-à-vis de la personne-cible ?
T5 : Pas possible. Pas possible. Déjà, il faut se protéger, ce n'est pas possible de se
protéger soi-même, alors là, pour aider quelqu'un d'autre, bah... ce qu'il y a, c'est que,
à un moment donné, on était dispersé, mais comme on était soumis à la même
pression, comment... comme notre unique et seul problème c'était lui, donc ça, ça
nous a incités à être beaucoup plus soudés, à nous soutenir les uns les autres. Voilà. À
nous protéger aussi. Donc par exemple le matin, quand il arrive, bah quand il arrive à
8h30, on envoie un SMS pour les personnes qui ne sont pas encore au labo : « voilà, il
est là », donc il ne faut surtout pas arriver à 9h00, il faut arriver à 8h59, à 8h55. C'était
comme ça tout le temps, comme ça. Donc il y a... quelqu'un avec qui on pouvait pas
discuter, c'était quelqu'un qu'on pouvait pas contrarier, il a été jusqu'à traiter un
collègue de connard, connard, je ne sais pas si S*** t’as raconté ça ou pas. Il a utilisé
des gros mots pour lui dire : « voilà, tu fais ça avec ta collègue », tout simplement
parce que le collègue en question lui a dit que « voilà, ce labo, c'est pas le vôtre, c'est
un labo de l'ULB, même si... même si vous êtes le chef, euh, j'ai aussi mon mot à dire ».
C'est parti d'un... En fait, l'étudiant en question avait préparé un poster, donc il y avait
un S sur un mot, enfin, il y avait un mot qui, qui se, qui se terminait avec un S. Il lui a dit
« non, L***, il ne faut pas mettre un S ». Donc euh... L*** lui a expliqué par 1+1=2 que,
il faut vraiment mettre un S. Là, il lui a dit : « non, c'est moi le chef, c'est moi qui
décide », là il lui a dit : « non, vous êtes le chef, mais quand c'est quelque chose qui
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n'est pas vrai ou pas juste... » Et là, il l'a traité de connard. Il lui a dit : « voilà, tu fais
des choses avec ton collègue » chose que, mot que je vais pas oser répéter ici,
tellement c'est vulgaire. Il a, il a, il a toujours divisé, donc il vient te voir en disant :
« oui, il y a A*** qui s'est plaint parce qu'il travaille pas bien », au début on le croyait.
Mais à un moment donné, on a décidé de crever tous les abcès, voilà, je lui dis : « voilà
il m'a dit ça, il m'a dit ça, il m'a dit ça », et c'était que des mensonges. Donc son
principe, c'est diviser pour mieux régner. C'était comme ça, c'était comme ça pendant
deux ans. Moi j'ai arrêté la recherche, justement, à cause de ça. Donc là je donne des
cours aux élèves de 16-17 ans, parce que je ne voulais plus entendre parler de la
recherche, ni de monsieur A***.
E : D'accord. Est-ce que vous avez pu essayer d'aider ou de soutenir, ne serait-ce que
soutenir ceux qui étaient aussi victime de son comportement ?
T5 : Quand tu dis « on », qui, tu parles de qui ? Les autorités ?
E : Vous, en tant que témoin, est-ce que vous avez pu essayer de soutenir les autres du
labo ?
T5 : Moralement. Bah, on s'est soutenu mutuellement. Moralement, tout le monde
faisait ça, voilà. Quand il engueule par exemple quelqu'un, quand il l'engueule pour un
oui ou pour un non, le prend pas pour toi, il est comme ça avec tout le monde, mais...
pas plus que ça. On pouvait pas aller voir le chef pour lui dire : « voilà, il fallait pas dire
ça à telle ou à telle personne, parce que ça, c'était... » pas question.
E : Et qu’est-ce qui vous en empêchait ?
T5 : Bah, toute discussion avec lui était impossible. Quand tu parles avec lui, si tu
arrives à placer une ou deux phrases pendant dix ou quinze minutes de discussion, de
conversation, là tu es... Donc là pour lui dire ce que tu penses...
E : Est-ce qu'il y avait d'autres choses qui vous arrêtaient ?
196
T5 : Non, pas forcément mais... On a tellement peur qu'on essaie d'abord de se
protéger, de ne pas faire... on ne fait pas de conneries, mais comme il considère ça
comme des conneries, on, on, on essaie de pas les faire. Le 15 août de l'année 2012,
j'ai failli me fâcher avec mes camarades, c'était un mercredi, tu peux vérifier. Donc on
était au labo le 13 et le 14, et le 15 qui est férié, c'est un mercredi. Donc je leur ai dit :
« voilà, moi je ne viens pas demain », parce que j'étais fatigué, j'avais pas pris de
vacances en 2012, j'avais pris deux jours de vacances, pour lui plaire. Non.... Tout le
monde était là... Donc je suis arrivé le mercredi matin, le 15, je ne voulais pas être le
seul à ne pas venir... Et donc là, on s'est fâché un peu : « voilà, il faut pas faire ça, parce
que si tu lui donnes ça, il réclame ça, si tu lui donnes ça, il te réclame tout le bras ».
Donc à un moment donné, c'était plutôt entre nous que...
E : Par rapport à la technicienne, est-ce que vous avez pu faire quelque chose ? Est-ce
que vous la souteniez elle aussi moralement ?
T5 : Je ne sais pas si on peut, on peut appeler ça soutien moral, mais quand il
l'engueule, tu la vois dans son coin, tu vas la voir. Enfin, il m'est arrivé d'aller la voir
pour lui dire : « voilà, t'en fais pas, c'est pas contre toi, il fait ça avec tout le monde »,
quoi que tu fasses, tu peux pas compenser le...
E : Est-ce que c'était habituel déjà avant de se soutenir les uns les autres, comme ça ?
T5 : Non. C'est ce que je te disais, à mon arrivée au labo, c'était pas... parce qu’à ce
moment-là, il manipulait les gens, il manipulait les gens dans le sens, moi j'étais pas
impliqué dans l'histoire. Dans notre labo il y avait des personnes qui sont d'origine
marocaine et des Belges. Donc il allait voir les Belges pour leur dire : « les Marocains
trouvent que vous êtes racistes », et il allait voir les Marocains pour leur dire : « les
Belges considèrent votre religion comme du n'importe quoi. » Alors tu vois, il y avait
euh quand même... une certaine tension entre les Belges et les non Belges. C'était en
août 2012 que tout a commencé. Il y avait la technicienne justement, autour d'un café,
elle discutait avec un collègue, et puis à un moment donné, la technicienne, il lui a dit :
197
« voilà, mais pourquoi tu as porté plainte contre moi ? » La technicienne a dit à la
collègue en question, mais la collègue l'a regardé, elle lui a dit : « mais quelle
plainte ? » Et là elle lui a sorti un mail que le chef lui a envoyé comme quoi AN*** a
porté plainte contre la technicienne. Donc ce, ce jour-là AN*** lui a dit : « voilà, il nous
a dit aussi que toi tu trouvais que j'étais raciste, et ainsi de suite ». Et donc on a fait
une petite réunion, donc tout le monde avait dit ce qu'il avait à dire, avec des preuves
bien sûr, des mails, des échanges de mails et tout, c'est à ce moment-là qu'on s'est
rendu compte qu'en plus du fait qu'il harcelait les gens, il les manipule.
E : Est-ce que ça a été facile pour vous de soutenir les autres ?
T5 : Oh, là, que oui. Enfin... Dans le sens où voilà quand tu sais que le problème il ne
vient pas de toi, donc c'est facile de, d'aller voir les gens pour leur dire : « voilà, t'en
fais pas, c'est pas contre toi ». Mais ce qu'il y a, c'est que tu attends tout le temps ton
tour, tu attends tout le temps ton tour, dans le sens où il arrive le matin... il est un peu
bipolaire, il arrive le matin, il te, il te fait un grand sourire, à 10h ou à 11h, il vient
t'engueuler. Et aussi, moi j'ai fait de... de la recherche dans un autre labo, je faisais le
point avec ma chef une fois par semaine, des fois une fois par quinze jours. Avec lui, on
faisait le point cinq, six fois par jour. Il arrivait à 9h : « alors, qu'est-ce que ça a
donné ? » Tu lui racontes. À 10h30, il vient soi-disant avec une idée : « si tu faisais
ça ? » Comme ça, tout au long de la journée.
E : Vous disiez tout à l'heure que les fois où vous ne pouviez pas réagir, vous aviez
peur. Est-ce que vous savez de quoi vous aviez peur exactement ?
T5 : Bah de lui. De lui, surtout que j'étais pas payé directement par lui, mais mon avenir
dépendait et dépend de lui. Demain si je postule pour faire de la recherche, on va
certainement l'appeler, et il ne va certainement pas me faire de cadeau, tout
simplement parce que j'ai porté plainte contre lui. Et tous les jours, tous les jours, tu te
réveilles avec ça, tu dors avec ça, tu travailles avec ça, avec une boule d’angoisse, avec
de la peur, avec le désir de faire plaisir pour... D'ailleurs, dans notre labo il y a deux
personnes qui n'ont pas porté plainte contre lui, parmi ces deux personnes, il y avait
198
une personne qui avait peur de ne pas avoir une bonne recommandation pour faire un
post-doc.
E : Vous aviez peur pour votre thèse ?
T5 : Pour... J'avais déjà, moi j'avais déjà ma thèse quand je suis arrivé chez lui. J'avais
déjà ma thèse.
E : C'était votre post-doc. Vous aviez peur qu'il ne vous fasse pas une bonne
recommandation ensuite ?
T5 : J'étais sûr qu'il, qu'il allait pas faire une bonne recommandation. Bien sûr, après
avoir porté plainte contre lui. D'ailleurs, avant de porter plainte contre lui il me disait
qu'il allait me payer encore pendant deux ans, et euh... en août il m'a convoqué dans
son bureau pour me dire que c'était pas, que c'était plus possible, que j'avais porté
plainte contre lui, que les autorités vont trouver ça contradictoire de garder dans son
labo quelqu'un qui... chose normale, mais c'est pour te dire à quel point...
E : Donc financièrement aussi, il y avait un enjeu ?
T5 : Pour moi, il y avait que l'enjeu financier, et un enjeu carrière. Mais pour les autres
il y avait aussi un enjeu carte de séjour. Moi j'ai pas de problème, je suis français, donc
je suis considéré comme ressortissant européen, donc il y avait aucun problème, mais
pour les deux autres, notamment... enfin, pour les autres, notamment ceux qui n'ont
pas signé la lettre contre lui...
E : Ceux qui sont encore là-bas ?
T5 : Voilà, ceux qui sont encore là-bas, donc eux c'était par rapport à la carte de séjour,
parce que chaque année, il faut y aller avec un papier signé par le promoteur. Et lui, il
profite de cette situation lorsqu'il engage des étudiants, il profite du fait que les
étrangers, entre guillemets, en situation très très difficile : « vous avez des papiers », et
199
donc là, là actuellement il a recruté un Indien. C'est comme s'il y avait pas de Belges ou
d'habitants en Belgique qui veulent pas faire une thèse-doc. Il y a des étudiants de
l’UCL, de Namur, de Mons, de Liège qui veulent faire une thèse, et bah il a été en
Suède chercher un Indien pour faire une thèse, parce qu'il savait qu'il allait bien le
maîtriser.
E : Est-ce qu'il y a d'autres choses que vous avez pu essayer de faire ?
T5 : Rien. Rien. Mis à part soutenir, à ma façon, les camarades, les prévenir qu'il était
là, euh, c'est tout. Mais à part ça, rien du tout.
E : Par exemple les prévenir qu'il était là, qu'il était déjà arrivé. C'était un
comportement habituel avant ça déjà ?
T5 : Je te disais qu’avant août 2012, il y avait vraiment deux clans.
E : Et pourquoi avoir réagi de cette façon plutôt qu’une autre ?
T5 : Pourquoi avoir soutenu mes camarades ?
E : Oui.
T5 : Qu'est-ce que je pouvais faire d'autre ?
E : Vous auriez pu ne rien faire du tout.
T5 : Bah, je, j'ai subi ce qu'ils ont subi tout au long de, de mon séjour chez lui, donc...
En plus, bon, enfin certes, j'ai subi moins qu'eux, il m'a jamais engueulé comme il le
faisait avec les autres, mais quand tu vois ces injustices, tu te dis à un moment donné :
c’est bon faut que ce type, faut plus que ce type accable des gens. Surtout qu'à un
moment donné, en discutant avec des collègues, on s'est rendu compte qu'il a eu les
mêmes problèmes en 2000 ou 2001. Donc à ce moment-là, il y avait harcèlement
200
sexuel, il y avait harcèlement moral, il y avait tout, il y avait détournement d'argent, il y
avait un étudiant qui a obtenu une bourse, il l'a menacé en disant : « tu me files la
moitié de ta bourse sinon je te vire ». L'étudiant en question a témoigné à l'ULB
justement lorsqu'on a ouvert le dossier disciplinaire à son encontre, donc elle avait
toutes les preuves, le mail qu'il lui a envoyé pour lui dire : « il faut que tu me vires cet
argent sur ce compte », c'était son compte personnel à lui. Donc il y avait eu ça dans le
dossier.
E : Avez-vous a un moment donné pris plus conscience de ce qui était en jeu dans la
situation, ou bien sa gravité ?
T5 : Tu sais, quand on était encore chez lui, ma femme ne travaillait pas encore, Enfin
elle est médecin mais comme son diplôme n’est pas belge, donc elle avait fait et refait
plusieurs années d'études pour travailler. Donc il y avait que mon revenu pour nourrir
trois bouches, trois bouches : ma femme, mon enfant et moi-même. Tu vois, donc il y
avait quand même des enjeux financiers. Et à un moment donné, je me suis dit : voilà,
au diable le salaire que je perçois. La dignité et la justice passent avant tout. Parce que
si je me suis, enfin si je me suis comporté... si j'avais adopté une autre attitude, ne pas
porter plainte contre lui, rester neutre, ne pas prendre parti, je suis certain qu'il
m'aurait garder au moins pour deux ans de plus. Mais pour moi, ce qui compte, c'est
pas percevoir un salaire, mais percevoir le salaire quand on fournit un travail dans des
bonnes conditions.
E : Est-ce qu'il y a un moment donné où il y a eu un événement, quelque chose qui a
fait comme un déclic, pour réaliser la gravité de la situation ?
T5 : Je me suis rendu compte que c'était du harcèlement un mois après mon arrivée.
Mais le déclic qui a fait que j’ai décidé de porter plainte contre lui, c'était des insultes,
et le fait qu'il y avait une collègue qui est partie, qui était dans le labo depuis 8 ans. Au
lieu de se remettre en question, et de se dire : peut-être j'ai fait des erreurs, il a
d'abord raconté que la collègue en question avait un cancer, par la suite que son
copain l'a quittée, enfin que son amant l'avait quitté, qu'elle était obligée de partir,
201
que son mari l'a menacée de... tu vois, donc... C'était tout le monde sauf lui, donc il y
avait cette histoire. Et un mois après, il y avait l’insulte « connard », c'est à ce moment-
là que je me suis dit : « stop ». Il a atteint un point de non-retour.
E : Cela a-t-il modifié votre comportement ?
T5 : Vis-à-vis de lui ?
E : Oui et vis-à-vis de la situation.
T5 : Vis-à-vis de lui, j'avais moins peur de lui. Après avoir porté plainte, je savais que
j'allais pas rester dans son labo, je savais qu'en septembre j'allais me retrouver au
chômage, donc j'avais beaucoup moins peur. C'est comme si j'étais libre.
E : Est-ce que les autres membres de l'entreprise ont réagi ?
T5 : Quand tu dis de l'entreprise, dans le cadre de l'ULB ?
E : Ouais, même du labo, déjà.
T5 : Est-ce qu'ils ont réagi ?
E : Oui.
T5 : À quoi ?
E : À la situation. Les autres, qu'est-ce qu'ils ont essayé de faire ?
T5 : Rien. Pour soutenir les autres, franchement au début, avant ma plainte, personne
ne faisait rien pour protéger quelqu'un d'autre. Personne. Mais après la plainte, donc
là il y a des voix qui se sont levées. Quand on voyait qu'il engueulait quelqu'un, qu'il
maltraitait quelqu'un, donc là il y a six mois... En fait, une fois il a, enfin à un moment
202
donné, il a envoyé un article pour la publication. Normalement avant d'envoyer un
article, il faut faire lire l'article à toutes les personnes qui sont auteurs ou co-auteurs.
Donc lui il a envoyé l'article sans, sans consulter qui que ce soit. Il arrive le matin, il dit
à S*** « est-ce que ça va ? » S*** lui dit non. Il lui dit : « pourquoi ? » Il lui dit : « voilà,
vous avez envoyé l'article avant que, avant qu'on ne le lise » Et là, déjà ça, sachant que
c'est un droit, il l'a très très mal pris. Et là, il lui a sorti des histoires du genre : « moi
mon chef, il a jamais fait ça avec moi, je fais ce que je veux, c'est mon labo. Vous vous
faites pousser des ailes... » Mais avant la plainte, on s'est toujours écrasés, on disait
rien, vraiment rien.
E : Et c'est venu de qui cette plainte ?
T5 : En fait, après l'insulte, après l'insulte, L*** a envoyé un mail à la personne qui a
été insultée, et un mail au doyen, pour lui dire : « voilà, le professeur A*** m'a
insulté », le doyen lui a donné rendez-vous. Le lendemain, il s'est dit : « voilà, comme
on vit tous la même situation, comme l'environnement est devenu toxique,
l'environnement est empoisonné, pourquoi ne pas aller voir le doyen ? Pourquoi on ne
ferait pas d'une pierre deux coups ? »
E : Donc il a envoyé un mail à tout le monde L***.
T5 : Non, il a envoyé un mail au doyen pour lui dire : « je veux... il y a monsieur A***
qui m'a insulté, je veux vous voir ». Il nous a envoyé la réponse du doyen comme quoi
il était d'accord pour le voir, et donc le lendemain on a décidé, je me rappelle, on était
dans... je, j'avais pris le train avec S***, donc on avait discuté, et là, S*** le jour même
a envoyé un SMS : « et si on allait tous voir le doyen ? » Et donc ça c'était l'idée de
base, donc l'idée a évolué. Au lieu d'aller voir le doyen comme ça, on avait rédigé une
lettre, il y a marqué, on avait mis tout ce qu'il faisait, pratiquement chacun, on avait
signé la lettre, on a été déposé la lettre chez le doyen. Et encore une fois, au lieu de se
poser des questions, il nous a sorti des histoires de racisme, comme quoi c'est du
racisme. Je sais pas comment, moi qui ai, qui a, enfin j'ai des origines magrébines,
comment je peux être raciste vis-à-vis d'un Magrébin ? Sur dix personnes, il y avait
203
trois Belges et sept Marocains, Algériens, Tunisiens, tout ce que tu veux.
E : Donc les autres aussi avaient comme vous un comportement de soutien les uns
envers les autres ?
T5 : Chacun à sa façon, mais on s'est vraiment soutenu mutuellement. Samedi,
dimanche, on s'envoie des messages pour savoir qu'est-ce qu'il s'est passé, est-ce qu'il
y a du nouveau. On discutait que de ça, tout le temps, tout le temps.
E : Et l'entreprise, donc l'ULB vraiment, est-ce qu'elle a réagi ?
T5 : L'ULB, le doyen nous a soutenus. On a vu D*** qui a fait un rapport qu'on n'a
jamais vu. On a été convoqué chacun son tour, on a vu D*** on lui a raconté tout ce
qu'on vivait au labo. Par la suite, il y a madame C***, je sais pas si tu vois qui c'est,
c'est l'inspectrice, enfin c'est une inspectrice, donc elle nous a convoqués dans son
bureau, en présence d'une greffière, qui nous a auditionnés un par un. Mais dans tous
les cas, l'ULB d'une manière générale nous a soutenus. Jusqu'à présent, ils nous ont
soutenus. À aucun moment on nous a dit : « voilà, c'est un prof, il fait ce qu'il veut ».
Ça a pris le temps que ça a pris, ça prend le temps que ça prend, mais en tout cas l'ULB
applique la règlementation en rigueur, pour ce qui est harcèlement.
E : Pensez-vous que cela est plus dur dans votre entreprise plutôt que dans une autre
de pouvoir intervenir ?
T5 : Je ne connais pas autre chose que l'ULB, mais je pense qu'il y a... Enfin, ce n'est pas
difficile, mais c'est que, par exemple les autres profs de la faculté de médecine ont
uniquement sa version à lui, ils n'ont pas notre version à nous. Donc... et ça,
uniquement ce qu’il leur a raconté. Donc... sur auquel on avait accès, avec lesquels on
avait discuté, donc ils étaient à 100 % avec nous, il y avait quand même certains profs
qui étaient plutôt réticents, et qui étaient contre les actions entreprises, contre nous. Il
y a par exemple un certain monsieur I***, donc il y a A*** qui lui a raconté tout ce
que... il lui a raconté. Trois jours après il a croisé S***, et euh, là il lui a dit : « mais
204
pourquoi vous avez ça contre A*** ». Donc S*** a commencé à lui raconter, il l'a pris
dans son bureau, il lui a tout expliqué, à ce moment-là il lui a dit : « voilà, moi je n'ai
pas la version d'A***, je n'ai pas ça comme version de monsieur A***, la version
d'A***, c'est un complot contre lui, on veut le faire virer pour que quelqu'un d'autre
prenne sa place, parce que machin couche avec machin, ça avec ça, donc... » Donc tu
vois, il y a quand même... Il a fabriqué l'histoire qu'il raconte aux autres profs. Mais à
part ça, le doyen nous a soutenus dès le début, et les hauts du rectorat aussi, donc... Le
recteur avait d'ailleurs pris une, une mesure. On a reçu un courrier dans lequel il est
stipulé que A*** n’est plus notre chef, mais bien sûr, lui il a pas respecté le document,
après la plainte, il y a le recteur qui lui a envoyé le courrier, il a reçu le même courrier
dans lequel c'était bien expliqué que A*** n'était plus notre chef hiérarchique. On
reçoit le courriel le lundi, le mercredi Y*** n'était pas là, le jeudi il va le voir pour lui
dire : « pourquoi tu n'étais pas là mercredi ? » Là, il y a, le courrier du recteur je n’ai
pas à vous répondre.
E : Donc selon vous, c'est plus dur ou pas de réagir dans l'ULB que dans une autre
entreprise ?
T5 : Je sais pas. J'ai pas travaillé dans une autre... En Belgique, en tout cas, j'ai pas
travaillé dans une autre entreprise. En France, c'était un système complètement
différent, mais je pense que si c'était en France, A*** serait déjà viré depuis de
nombreuses années. On ferme les yeux sur beaucoup de choses en Belgique.
E : Vous avez été confronté à une situation comme celle-là en France ?
T5 : Non, pas directement, mais on va continuer dans un labo de recherche, si tout le
monde respecte tout le monde, il n'y a pas de chef qui est harceleur comme A***,
donc je pense que soit elles ont peur, soit elles savent qu'elles ont pas intérêt à faire ça
parce qu'il peut y avoir des répercussions très négatives.
E : Est-ce que le fait d'être à l'ULB vous a posé souci pour soutenir les autres ?
205
T5 : Non. Je trouve que la démarche est quand même très lente, mais à part ça, on n'a
pas été... enfin, on n'a pas subi de pression, personne ne nous a contactés pour nous
dire de ne pas porter plainte contre lui, qu'il faut le laisser tranquille... Donc tu vois,
pour ça, il y a aucun souci, au contraire.
E : Quels ont été les obstacles les plus durs à dépasser pour pouvoir mettre en place
des comportements d’aide ou de soutien ?
T5 : Bah, les soutiens étaient officieux, donc c'était uniquement le soutien moral, donc
il n'y avait pas d'obstacles. Tu vois, enfin, il savait pas qu'on se soutenait
mutuellement, il savait pas qu'on se racontait des choses, donc je viens te voir... il y
avait aucun obstacle.
E : Il n’y avait pas d'obstacle pour le soutien moral, mais est-ce qu’il y avait quand
même des obstacles pour intervenir directement ?
T5 : C'était impossible. C'était juste impossible. C'était... C'est quelqu'un avec qui on
peut pas discuter, c'est quelqu'un que tu peux pas contrarier, que tu peux pas
contredire. Il dit quelque chose, même s'il a tort, il a raison. Il dit quelque chose, même
si c'est faux, c'est juste. Donc soutenir quelqu'un ou protéger quelqu'un, ou défendre
quelqu'un, c'était hors de question. Il engueule quelqu'un comme du poisson pourri à
côté de toi, tu peux pas ouvrir la bouche pour dire quoi que ce soit. Si tu essaies… c'est
jamais arrivé...
E : Sinon quoi ?
T5 : Je sais pas. Je sais pas. Sinon, il te vire, il transforme ta vie en cauchemar, sinon tu
vas... tu es viré, non, mais il peut transformer ta vie en cauchemar. Je sais pas. Je sais
pas. Je suis pas médecin, mais je suis presque sûr que ce type a quelque chose qui
tourne pas, qui tourne pas rond dans... On peut être sévère, on peut être exigeant,
mais là c'est maladif. On n'appelle pas le labo pour savoir qui est là, qui n’est pas là un
jour férié. Quand il est malade, il reste chez lui. Il reste dans son lit, il est malade, c'est
206
normal. 17h55, 17h50, il vient au labo pour voir, comme ça, il vient au labo pour voir
qui était là, qui était pas là, et à quelle heure les gens sont partis. Un technicien, il est
musulman, chez les Musulmans, il y a le ramadan, le ramadan, c'est un mois pendant
lequel ils mangent pas, ils boivent pas.
E : Seulement après le coucher du soleil.
T5 : Voilà. Pendant le ramadan, il arrivait à 8h, il prenait pas trente minutes de table, il
partait à 15h30. Au bout de trois jours, il a dit : « OK », trois jours après, il est venu à
7h. 7h, 7h30, j'étais déjà au labo, il me dit : « je viens pour voir à quelle heure il va
arriver, parce que je l'ai autorisé à partir à 15h30, je ne sais pas à quelle heure il
arrive ». Pour être là à 8h, et voir s’il arrivait ou pas à 8h. Il part le soir, il vous dit à
demain, non, il dit : « à tantôt, à demain ». Quand il partait pour récupérer ses enfants,
genre il part à 16h30, il ne dit pas à demain, il prend son cartable, il laisse son sac, il
ferme son bureau, et il te dit : « à tantôt, à demain », tu ne sais pas s'il va revenir ou
pas. Et il lui est arrivé de revenir pour savoir si les gens sont partis juste après lui.
C'était comme ça tout le temps, tout le temps, tout le temps.
E : Il manageait par la peur en quelque sorte ?
T5 : Manque de confiance, parce que, parce que la... parce que quand il était étudiant,
il faisait que magouiller, je sais pas, mais c'est pas normal d'avoir un comportement
comme ça, parce qu'après tout on est adulte, on ne travaille pas à l'heure, on travaille
sur des projets de recherche.
E : Qu’est ce qui aurait pu faire que vos comportements soient différents (plus ou
moins présents) ?
T5 : C'est le comportement de mes collègues à mon arrivée. À mon arrivée si mes
collègues protestaient son comportement, donc là je ne serais pas resté comme ça les
bras croisés pendant deux ans. Mais à mon arrivée, ce qu'ils faisaient : profil bas,
personne ne disait rien, personne ne disait « oui, oui ». Donc quand tu arrives dans un
labo et que tu vois que les gens sont comme ça, tu as pas d'autre choix que... tu dois te
207
comporter comme eux, quoi. Y’a aussi parmi nos collègues, il y a un certain AL***, il
est un peu têtu, il lui tenait tête. Il le contredisait. Des fois, il a été comme ça, il
tremblait « je n'aime pas quand on me contrarie, j'aime pas quand on me tient tête »,
je te jure, il travaillait comme ça. C’est pour te dire ce qui va pas quoi, donc avec tout
ça, tu te dis : « bon, je suis pas obligé de l'écouter, mais je conteste pas, je laisse
passer, et demain ça sera un autre jour ».
E : Vous pensez qu'il aurait pu être violent physiquement ?
T5 : Il est malade, mais il n'aurait pas agressé physiquement.
E : Est-ce qu'il y a d'autres choses qui, si ça avait été différent, ça vous aurez permis de
réagir différemment ?
T5 : Si on avait plus de droits, à l'ULB. En France par exemple, dans chaque institut, il y
a un parrain pour les thésards, les post-docs, c'est une personne neutre que tu peux
aller voir en toute discrétion si tu as un problème avec ton chef. Là, il te conseille, et s'il
voit que la situation est grave, là il prend des décisions, et il agit en conséquence. Mais
à l'ULB, jamais il va signer des contrats avec l’ULB. Comme j'avais une bourse, j'avais
reçu l'attestation comme quoi j'avais la bourse, mais je n'avais pas signé de contrat, je
ne connaissais pas mes droits, est-ce que j'avais des congés, est-ce que je n'avais pas
de congés, quels étaient mes droits, quels étaient mes devoirs, rien. Il n'y avait ni
charte, ni quoi que ce soit.
E : Est-ce qu'il y a d'autres choses encore, peut-être à l'inverse, qui aurait fait que vous
auriez moins réagi ?
T5 : Moins réagi, là, j'ai pas fait grand-chose, hein, mis à part chuchoter avec mes
camarades pour les calmer, et avoir signé la lettre pour raconter vraiment ce qu'il s'est
passé. Mais je ne regrette pas d'avoir signé la lettre, et je ne regrette pas non plus de
ne pas avoir... Enfin, de le... de ne pas avoir tenu tête à A***, parce que je sais bien
que je pouvais rien faire, quoi. Moi je suis convaincu que j'aurais pas pu faire mieux.
208
E : Est-ce qu'il y a d'autres choses auxquelles vous pensez qui, si elles avaient été
différentes, vous aurez permis de réagir plus ?
T5 : Je pense que c'est tout, il y a les comportements des gens qui sont déjà dans le
labo, enfin qui étaient déjà dans le labo, il y a aussi les droits et devoirs de chacun. À
l'ULB, on n'a pas ça. Une responsabilité de l'ULB dans le sens : en 2001, on avait
étouffé l'affaire en interne. Donc en 2001, il avait harcelé sexuellement sa secrétaire,
on avait, enfin on a eu accès à la plainte déposée par la personne en question, donc
dans laquelle, dans laquelle il a bien décrit ses attitudes, son comportement, ses mots
et tout. Donc au lieu de le mettre à la porte, l'ULB a décidé de, d'étouffer l'affaire en
interne. Cinq ou six après, c'est-à-dire en 2007 ou en 2008, il a, il a... enfin... En 2001, il
n’avait plus personne. En 2008, il avait une dizaine de personnes, en 2012, il avait
quinze personnes. Quelque part, c'est la faute de l'ULB, quoi, parce que quelqu'un qui
fait ça, OK, tu le vires pas, parce que c'est la parole de la personne contre sa parole à
lui, après tu vois qu'il y a cinq, six personnes qui viennent porter plainte, qui racontent
la même chose, là tu te dis à un moment donné : ce n'est pas possible que les cinq ou
six personnes mentent. Moi je veux pas qu’on le vire mais pour moi, il doit plus
encadrer, il doit plus avoir de personnes sous sa responsabilité, parce qu'il sait pas...
Regarde, on a porté plainte contre lui fin 2012. Actuellement, il se comporte de la
même façon avec le petit Indien dont je te parlais. La dernière fois, apparemment, il l'a
engueulé parce qu'il était, enfin il était pas au labo un jour férié, la fête francophone
en septembre. Apparemment, il lui a dit : « tu es pas concerné par ça, toi ». C'est pas
parce que je suis pas concerné que je dois pas prendre un jour férié offert à tout le
monde, quoi. Alors, là, si tu restes devant ton ordinateur, c'est la catastrophe. Il passe
une première fois, il voit quelqu'un devant son ordi, il retourne dans son bureau, il
repasse une deuxième fois, si tu es toujours devant ton ordi, il vient te voir. Et d'abord
il regarde qu'est-ce que tu fais, puis il te dit : « est-ce que tu as pas des manips
aujourd'hui ? » Si tu es devant ta paillasse, devant ton plan de travail, même si tu fous
rien, pour lui tu travailles. Mais si tu es devant ton ordi, même si tu lis, même si tu fais
des choses sur le travail, tu rédiges ou autre pour lui tu travailles pas... Donc c'est là le
problème.
209
Commentaires pendant la passation du questionnaire :
T5 : (Lis à haute voix) Dans la situation de harcèlement que vous décrivez...
Je pense que c'est le harceleur.
Je pense que c'est la première pour l'ULB, donc la première et la première.
E : Et donc, la responsabilité de l'entreprise, dans quel sens ?
T5 : Ouais. J'aurais dû connaître les droits et devoirs.
E : Ça, c'est la part de responsabilité de l'entreprise, de te faire connaître tes droits ?
T5 : Je connaissais pas, je savais même pas à quel nombre de jours j'avais droit, de
vacances, j'avais droit. Il y a ça. Il y a aussi le fait que voilà, en cas de conflit, qui
contacter, comment faire…
E : Merci beaucoup.
T5 : Bah de rien.
210
9.8. Retranscription de l’entretien avec le témoin n°6
E : Pour commencer, je vais vous demander de vous présenter en expliquant votre
position de travail et vos liens avec la personne cible et le « harceleur », et de
m’expliquer en quelques mots la situation.
T6 : Moi, en fait, j'ai commencé ma thèse, j'ai commencé à côtoyer le laboratoire
pendant mon mémoire, mon mémoire de master qui a duré six mois, parce qu'on a un
mémoire de six mois, de là où je venais. Donc c'est là que j'ai fait connaissance avec le
patron, et heu... on va dire la majeure partie de l'équipe, et qui entre-temps, a changé
un petit peu, heu... à l’époque, tout allait bien, on va dire. Il avait quand même cette
particularité, mais à l’époque, je ne m'en rendais pas vraiment compte de toujours
tout contrôler, etc… mais à ce moment-là, moi, je me disais « bon, ça fait partie de sa...
de sa personnalité », il y avait pas de débordement, plus que ça, donc voilà. Et donc j'ai
poursuivi, il a insisté pour que je fasse ma thèse heu... dans son laboratoire, pour que
je fasse une thèse, pour que j'en fasse une dans son laboratoire, et j'ai fini par
accepter, même si c'était pas mon premier choix, à la base. Et heu... donc voilà, et pour
en arriver là où je suis maintenant, donc c'est vraiment vers la dernière année de
thèse, la quatrième année de thèse, où tout a basculé, on va dire, réellement, dans la
mesure où c'est d'abord une série de départ, on va dire, clés, qui ont fait qu'on a
commencé à se rendre compte de certaines choses. Il y a eu, d'abord, un premier
départ heu... d'une... d'une doctorante qui avait commencé en même temps que moi
son doctorat, mais qui venait elle de Namur. Et elle, elle est partie pour dépression. Les
raisons de son départ, en troisième année de thèse, fin de troisième année de thèse,
étaient que ces résultats n'aboutissaient pas, il y avait heu... la plupart de ses résultats
étaient publiés par une équipe concurrente, ce qui fait qu'on a perdu trois années de
thèse. Et le boss, au lieu de trouver une solution, etc... il avait aucune solution à nous
proposer, donc il a un peu laissé dans son coin. Il a mis du temps, d’ailleurs, à lui dire
qu'un article était sorti, enfin il l'avait découvert, il a mis du temps à... à oser lui dire, ce
qui fait que quand elle l'a su, en plus de voir que le gars n'avait pas le courage de lui en
parler une semaine avant, eh bien il a pas proposé de solution au fil du temps, donc
elle est partie en deux fois, on va dire. Elle a fait d'abord une maladie pour dépression
211
pendant un mois. Ensuite, elle est partie définitivement, elle en pouvait plus. Et ce
qu'elle ressentait à ce moment-là, vis-à-vis de lui, c'est vraiment ce qu'on ressentait,
nous, l'année d'après. Moi, là, je m'en suis rendu compte, de tout ce qu'elle me
racontait, moi, c'est-à-dire... no... notamment le fait qu'elle n'osait plus aller lui parler,
que quand il l'appelait, elle était stressée, qu'elle... tout ça, je l'ai ressenti, moi, après, a
posteriori, quand j'étais dans la même situation qu'elle. Heu... donc voilà, son premier
départ, c'était elle, vers le mois de juillet, en fait, de l'année d'avant, donc on va dire,
ça... c'était 2012, si je me trompe pas, oui, c'était en juillet 2012. Un mois et demi
après, c'était A*** qui partait, heu... donc elle, c'était mon encadrante, elle était déjà
docteur, elle était en post-doc et c'est elle qui m'encadrait heu... qui m'avait encadré
pendant mon mémoire, et on avait un projet plus ou moins en commun, donc on
travaillait plutôt ensemble, on se connaissait très très bien, on s'aimait beaucoup.
Enfin, on se voit encore, hein. Mais heu... le fait est qu'elle est partie en... fin août, et
elle en pouvait plus. Elle était au laboratoire depuis pratiquement huit ans, et c'est à ce
moment-là qu'elle a fini par partir, et elle m'a pris à part, elle m'a expliqué pourquoi
elle partait. Le jour où elle est partie, en fait, le boss n'était pas là, il était à l'étranger,
donc elle a profité de cette période où il était pas là pour vraiment faire ses valises et...
et se casser, quoi. Au départ, bien... bien évidemment, elle a prétexté maladie, enfin,
c'était vraiment une maladie, mais elle a pas dit que c'était un départ définitif, pas à
lui. Donc nous, on le savait, mais en tout cas, elle prenait son temps, elle était en
dépression complète, elle pleurait pour un rien et heu... elle nous expliquait qu'elle n'y
arrivait plus, et que le gars en question, donc le... le patron, heu... lui faisait vivre un
calvaire, qu'elle faisait... qu'elle portait tout sur son dos, mais dès qu'il y avait un
moindre à-coup, il la faisait pleurer dans son bureau, et que... vraiment, il la traitait
assez mal. Et quand elle en avait marre de supporter ça au fil des années, maintenant,
elle... elle en pouvait plus, quoi. Et c'est ce départ-là qui nous a vraiment choqués,
parce qu'on se disait pas, en pensant... on se rendait pas compte, en fait. On savait
pas. Voilà, on se rendait pas compte que c'était à ce point-là. On savait que c'était
compliqué, les relations avec lui, mais bon, on pensait qu'il était juste sévère, etc., mais
on se rendait pas compte que... de là à faire partir deux personnes en dépression,
heu... on va dire, en deux mois, heu... il y avait aussi un mémorant qui voulait pas faire
de thèse, et qui a essayé de partir, mais au moment où le patron a su qu'il allait partir,
212
heu... il s'est plus ou moins vengé de lui en lui mettant une mauvaise cote pour son
mémoire et lui a fait vivre un... enfin quand il l'a pris dans son bureau, qu'il a demandé
« est-ce que tu restes ou tu pars ? », bon, quand le mémorant lui a dit « bon, je préfère
partir », etc., le gars heu... lui a balancé son mémoire en pleine tronche, et il lui a dit
« dégage, je ne veux plus te voir ici ». Enfin, il a vraiment très mal pris le fait qu'il
n'acceptait pas de faire une thèse chez lui. Donc c'est quand même un certain...
directeur possessif, de « tu m'appartiens, je t'ai tout donné, c'est grâce à moi que t'en
es là, tu as profité de faire des photocopies ici », enfin bref, il a tout balancé en pleine
tronche, des absurdités. Alors que le mémorant voulait juste dire « je ne veux pas faire
de thèse ici », ce qui est un droit tout à fait légitime. Donc voilà, ça, c'était pendant
l'été, et heu... tout ça... tout ça d'un coup quoi. Donc alors heu... à la rentrée, nous, on
était un peu pris à parti dans la... dans la mesure où heu... on n'osait pas dire au patron
pourquoi est-ce que A***, donc la post-doc, partait, pourquoi est-ce qu'elle était pas
là, parce que lui... elle est partie pendant qu'il... qu'il était en déplacement, alors qu'on
savait très bien, donc à chaque fois, il revenait vers nous, heu... il nous empêchait pas
de dire du mal de tous ceux qui étaient partis. Les mémorants, la doctorante en
dépression, la post-doc en dépression, il arrêtait pas de... de dire du mal d'elle, dès
qu'il y avait moyen, quoi. Donc c'est à partir de ce moment-là que nous, on a
commencé à prendre nos... nos distances avec lui, et on s'est rendu compte, un peu,
de comment il était vraiment. Pourquoi ? Simplement parce que c'était la post-doc qui
prenait tout sur elle, elle faisait office de tampon... moi, je me... c'est... c'est pour ça
que je me suis rendu compte, moi, que j'avais très peu d'interaction avec lui
directement, à l'époque. Je me rendais compte qu'en fait, tout passait par elle. Et c'est
pour ça que je le connaissais pas vraiment vraiment. Et là, du coup, on se retrouvait
directement en frontal avec lui. Et ça passait pas. Donc là, on s'est rendu compte que...
donc là, on s'est rendu compte que le gars était pas net du tout heu... et qu'il avait un
vrai problème, de management, de gestion, qu'il ne savait pas nous gérer, qu'il avait
une emprise sur tout et qu'il savait pas nous parler. Vraiment, il y a... il y a des fois,
c'était limite du mépris, c'était très dur à vivre, et on en avait marre de venir au
laboratoire. Moi, je me levais le matin, j'avais pas envie d'y aller. Vraiment, j'y allais, et
je... on comptait les quarts d'heure. C'était incroyable, dès qu'il arrivait, c'était la
panique à bord, au laboratoire, même quand on est en train de travailler, on a
213
l'impression qu'il fallait en faire plus, de manière visuelle, il fallait vrai... vraiment
montrer qu'on est vraiment en train de faire quelque chose. Sinon, il nous saute
dessus, « qu'est-ce que tu fais ? », machin, et tout, il passait cinq fois par jour pour
demander où est-ce qu'on en était, dans le travail. Tout le temps contrôle, dès qu'on
est sur l'ordinateur, alors qu'on travaille, il passe avec un regard... mais monstrueux,
genre heu... on est en train de faire quelque chose de très très mal, le moindre retard,
enfin bref, à chaque fois qu'il y avait quelque chose, c'était tout de suite une
réprimande, et c'est là que... qu'on a... on en avait marre, un peu, de supporter, il y a
eu des clashs, notamment, avec moi, avec heu... un collègue, L***, il y a eu des
insultes. Donc là, on a décidé de passer au doyen, enfin tout lui raconter, quoi. Là, on
était nombreux, tout le labo était là, sauf deux personnes qui préféraient ne pas se
mouiller, on va dire. Donc là, je dirais que c'est... on va dire le... grand résumé. Pas
facile à expliquer dans... dans les dé... enfin entrer vraiment dans les détails, jour par
jour, etc., mais heu... on va dire que c'est plus ou moins le… Si t'as des questions ?
E : Est-ce que vous avez assisté à des choses, par rapport aux autres ? Enfin des
comportements violents de sa part sur les autres ?
T6 : Il y en a... comment dire... heu... il y a des choses qu'il a faites qui sont juste
incroyables heu... notamment quelque chose qui a conduit à un clash avec moi,
justement, c'était après heu... qu'on ait été le doyen, etc., pour se plaindre, le boss a
décidé de se venger de L***, qui était en fin de thèse, qui n'avait plus de financement,
mais qui avait demandé une bourse, un fonds de 5000 euros, ce qu'on appelle un
« fonds de fin de thèse », etc…, qui aide les étudiants qui sont en fin de thèse, pour
financer leurs derniers mois de travail. Donc ils avaient déjà... une ancienne application
pour ça, vers le mois heu... d'octobre, plus ou moins. Et entre-temps, le boss, lui, il... il
a appris la plainte, en sous-main, avait fait annuler cette demande de fonds. Donc L***
reçoit un e-mail de la fondation, qui lui dit « bonjour, nous avons reçu une demande
d'annulation », etc…, on comprenait pas, « est-ce que vous la confirmer ? ». Il tombait
des nues, il comprenait pas pourquoi que ça avait été annulé entre-temps. Nous, on a
tout de suite deviné que c'était l'autre qui l'avait fait. Et heu... un jour, apparemment,
L*** et le patron, devait aller voir le doyen, pour essayer de... travailler plus ou moins
214
ensemble, pour leur fin de thèse, sans que ça se... n'éclate. Et heu... le patron insistait
pour que L*** fasse une pré-réunion avec lui, avant d'aller se rendre chez le doyen, ce
que L*** ne voulait pas faire. Il n’y avait pas de raison de faire une pré-réunion, si on
va tout de suite... si on va quand même voir un médiateur, enfin ça n'a pas de sens de
s'arranger d'abord entre nous pour aller voir le médiateur. C'est contre-pr... c'est
vraiment l'opposé de... de ce qu'il faut faire. Donc il refusait, tout simplement. Et heu...
le ton a un peu monté. Et le boss a fini par dire un... chose assez drôle sur le moment,
« j'ai tout fait pour toi, heu... vraiment, chaque fois, je fais tout pour que ta thèse
avance bien, dans les bonnes conditions ». Et c'est là que L*** lui a sorti « ah oui ? Et
l'annulation de... de mon financement, là, des 5000 euros, c'est aussi pour que ma
thèse avance bien ? ». Et là, le boss était surpris, mais en même temps, il a lâché un
sourire assez amusé, vraiment, « oui, je fais ce que je veux, et alors ? Oui, c'est moi ».
Oui. Et heu... et en faisant ça, il me regardait moi, nous étions dans... dans le... dans le
même bureau, la plupart des doctorants partagent le même bureau, et heu... il me
regarde moi en souriant, du genre « oui, alors, il y a un problème ? ». J'ai dit « écoutez,
si je puis me permettre, vous auriez au moins pu le prévenir que vous l'annuliez, c'est
votre droit de l'annuler, hein, mais au moins le prévenir, parce qu'il est au chômage,
quoi ». Et là, il l'a très mal pris, et heu... il m'a demandé de venir dans son bureau, il
m'a engueulé monstrueusement, il m'a demandé de dégager du laboratoire, qu'il
voulait plus me voir, j'ai pris mes affaires... que je devais me casser, parce que... parce
que ce que j'ai fait, ça ne se faisait pas, de le prendre à partie, comme ça. heu... ça,
c'est un premier clash. Et avant ce clash-là, y en avait un deuxième où il a traité L***
de connard, parce qu'il refusait de... en gros, c'était basé sur une histoire de...
d'orthographe sur un poster qu'il devait présenter, et L***, heu... et moi, d'ailleurs,
aussi, on... on trouvait qu'il fallait garder cette orthographe en anglais, donc on avait...
on s'é... on s'était concertés, ensemble, L*** était voir sur internet, etc., et
effectivement, l'orthographe était correcte, mais le boss n'était pas d'accord. Donc le
ton a monté, et heu... L*** a fini par dire « oui, de toute façon... », enfin, entre autres,
il a dit « de toute façon, je s... je sais ce que vous valez scientifiquement, et moi, je
reste sur mes positions ». Et là, L*** lui a dit « moi aussi... » heu... il a dit « je sais que
tu... », et là, je dis texto, comment il l'a dit : « je sais que tu baises avec A*** », et là,
heu... le ton a monté entre les deux, encore une fois. Mais ça... « ça ne se fait pas de
215
parler comme ça », et ensuite, le boss a demandé à L*** de se casser du laboratoire,
que L*** refusait, il était en pleine manip', il travaillait, quoi. Il doit être 14 heures, 15
heures de l'après-midi, en plein travail. Et là, le boss, mécontent du fait que L***
refuse, retournait vers son bureau, et il a crié dans le couloir « connard », les voisins du
labo d'à côté l'ont entendu. D'ailleurs, ils arrivaient pas comp... à en croire leurs yeux,
enfin ni leurs heu... oreilles, quoi. Il a fini par retourner à son bureau, il a claqué la
porte. Donc voilà, c'est pour ça, on a même des témoins, qui ne comprenaient pas
comment ça se fait que dans le grand labo, quand même un directeur de laboratoire,
on peut entendre des propos pareils. Ça, on va dire que ce sont les deux gros éléments
qui sont limite heu... scandaleux. Parce que nous, même s'il nous a poussés à bout, on
n'en est jamais arrivé au point où il nous insulte. À chaque fois qu'on communique
avec lui, on est poli, même quand on est ferme, on reste poli. Et ça, c'est... enfin c'était
un gros manquement qu’ils ont vraiment confirmé dans le personnage, qui il était
heu... récemment, AD*** a aussi heu... dû dégager...récemment, je crois, il y a deux
semaines. Il venait travailler au laboratoire, et le boss état pas content qu'il vienne
travailler, il a dit « qu'est-ce que tu fais ici ? Tu es censé travailler à la maison ». AD***
a dit « oui, mais j’ai des choses à faire ici ». Il a dit « non, c'est moi le chef, c'est moi qui
décide, je veux pas te voir ici, tu te casses d'ici, tu ranges tes affaires et tu rentres chez
toi ». Voilà, quoi.
E : Vous êtes toujours dans le labo ?
T6 : Non, non, j'ai terminé ma thèse. J'ai pu la terminer, difficilement, on va dire, mais
je l'ai terminée. Et jusqu'au dernier moment, il a quand même réussi à... à m'embêter,
il a fait un speech à la fin de ma thèse, soi-disant gentil heu... mais dans lequel il a
quand même placé tout un slide « les défauts de Y*** », sur le ton, entre guillemets
« humoristique », mais il a pas hésité à placer quand même pas mal de choses, c'était...
c'était long et assez gênant. Après, bon, il se rattrape avec des qualités et dans les
qualités, il lâche certaines informations de manière insidieuse, que seuls nous,
membres du laboratoire, pouvons comprendre, entre guillemets. Hein, donc en nous
cassant, moi et mes collègues, mais de manière subtile, pour que les gens étrangers ne
comprennent pas, et nous, on com... on comprend. Donc vraiment, jusqu'au dernier
216
moment, il a réussi à gâcher la soirée, donc entre autres. Moi, j'étais de très mauvaise
humeur après, j'étais un peu cassé. J'avais réussi, mais je... j'étais pas bien, quoi. Et
donc, il a vraiment réussi à m'embêter jusqu'au dernier moment, vraiment. Voilà.
E : Par rapport à cette situation de harcèlement, comment vous êtes-vous situé en tant
que témoin? Êtes-vous intervenu d’une manière ou d’une autre vis-à-vis de la
personne-cible ?
T6 : Oui, là, j'ai intervenu, mais c'est... je l'aurais pas fait s'il m'avait pas regardé. Donc il
m'a regardé en souriant, donc pour moi, quand on me regarde en souriant, je suis dans
la capacité d'intervenir, et heu... qui plus est, après, quand il m'a pris dans son bureau,
il m'a dit que je n'aurais pas dû le faire, parce que ça me regarde pas. J'ai dit « écoutez,
vous m'avez regardé, et en plus, vous aviez dit à S*** deux semaines auparavant s'il y
a quelque chose qui vous déplaît », non, il était dans l'apaisement, il lui disait... il avait
dit à S*** « si quelque chose ne va pas, tu m'en parles ou tu nous en... il y a pas de
problème, et tu nous dis voilà, ça j'aime pas ». C'est exactement ce que j'ai fait,
d'ailleurs. Donc même cette... même en apportant cette... cette information
supplémentaire, je n'aurais pas dû intervenir, selon lui, à ce moment-là, parce que ça
ne me regarde pas. Voilà. Et il nous reprochait, d'ailleurs, de heu... d'être solidaires les
uns des autres. Un jour, notamment, pendant la rédaction d'un de mes articles, un
moment on voit rien, mais on était censé l'envoyer un jeudi, on était un lundi, et donc
en journée, il me dit « on va l'envoyer, etc., etc., fin de semaine à partir de jeudi, là, il y
a encore quelques modifications à faire ». Je dis « OK, pas de problème ». Donc sur ce
moment-là, il était cinq heures de l'après-midi, je quitte le laboratoire, je rentre à la
maison, j'arrive à la maison vers heu... quelques heures plus tard, je reçois un e-mail
du journal qui dit « confirmation de la réception de l'article, etc… », là, je ne
comprends pas ce qui m'arrive. J'envoie un e-mail à S*** qui est... j'appelle S***, qui
est co-auteur sur l'article, et L*** aussi, ils sont aussi co-auteurs sur l'article. Je leur
dis... moi, je suis premier auteur, donc j'ai.. j'ai tout écrit, j'ai fait toutes les manip'. Et
j'ai dit « vous êtes... vous êtes au courant, vous, qui êtes restés plus tard que moi au
laboratoire, que l'article a été envoyé ? Est-ce qu'il y a une information que j'ai pas ? ».
Ils m'ont dit « non, pour nous... » pour eux aussi, l'article ne devait être envoyé que
217
jeudi, trois jours plus tard. Donc là, je passe la nuit un peu... là, j'envoie un e-mail au
patron. Donc voilà, « je viens de recevoir la confirmation, et j'en suis très étonné, parce
que nous... étions convenus, même, en quittant le laboratoire, qu'il ne serait envoyé
que jeudi et donc je suis d'ailleurs très déçu de ne pas avoir la version finale de
l'article ». heu... alors là, il me répond « tu ne dois pas être déçu, retiens simplement
que l'article... retiens simplement le positif, c'est que l'article est parti ». Ça ne met pas
de très bonne humeur non plus, je décide de ne pas répondre et d'attendre le
lendemain matin. J'arrive, je frappe à sa porte, et je lui dis « bonjour... », parce qu'on
est censé dire « bonjour » dès qu'on arrive, on frappe à sa porte, comme des petits
ouvriers heu... et il me dit « oui, bonjour machin », il me dit « alors, bonne nouvelle,
hein ? L'article est passé ». Je dis « oui, justement, qu'est-ce qu'il s'est passé ? Qu'est-
ce qu'il s'est passé entre-temps ? Il y a encore des corrections à faire », et je l'envoie
deux heures après, sans mon aval, sans que j'aie le temps de relire la dernière version,
que j'ai pas encore lue, depuis le mois d'octobre, c'était deux mois auparavant. Il dit
« oui, mais... » enfin il me dit « assieds-toi, assieds-toi ». Et quand il me dit « assieds-
toi », c'est que vraiment, il a beaucoup de choses à me dire. Et il sait qu'il a mal agi.
Alors il commence à s'y prendre, etc…, « oui, je suis désolé mais il fallait absolument
que je l'envoie, parce que c'est bientôt les fêtes », on était un peu avant le... 25
janvier, donc c'était après les fêtes. Il me dit « comme ça, on est sûrs que c'est bien
arrivé », etc… Je dis « oui, mais je n'ai pas lu la dernière version, je suis le premier
auteur dessus, je n'ai pas lu le papier. L'éditeur l'aura lu avant moi, ce qui est pas
normal, et d'autant plus qu'on s'était mis d'accord, donc je ne vois pas ce qui change
entre un... vous auriez pu me l'envoyer le soir, je le relis, le lendemain matin, il est
envoyé. Donc entre le soir et le matin, c'est la même chose, il y a pas de différence,
sauf qu'au moins, je l'aurais lu, et s'il y a des modifications à faire, tant mieux, s'il n'y
en a pas, tant mieux aussi, tout le monde est content, on n'est pas à 2-3 heures près ».
« Oui, j'ai pas vu ça comme ça, etc..., je veux pas que tu le prennes mal ». Je dis « ben
oui, c'est mon premier article et je l'ai pas lu ». Entre-temps, il me dit qu'il va me
l'envoyer, on croise S*** dans le labo, et S*** lui en parle. Il dit « oui, vous avez
envoyé le papier sans le dire à Y*** », donc S*** me défend un peu, quelque part. Je
ne sais pas s'il t'en a parlé. Donc il heu... il prend parti, il lui dit que voilà, c'est pas
normal, quoi, qu'il trouvait ça scandaleux, que ça ne se faisait pas. Et là, le boss a
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littéralement engueulé S***, « ça ne te regarde pas, Y*** et moi, on s'est arrangé,
c'est bon, et tu n'as pas à me parler comme ça », et par la suite, il a demandé de
présenter des excuses. C'est vraiment une sorte de retournement de situation, dans la
mesure où c'est lui qui est en tort, et il arrive à se retrouver avec des excuses. C'est
incroyable, moi, je sais pas comment il fait. Et par la suite, on se rend compte, quand il
m'envoie le papier, quand je relis, je prends une demi-heure pour le relire vite fait, je
me rends compte qu'il reste trente fautes. Trente fautes, d'anglais et de sens, dans le
papier. Je les ai corrigées toutes, donc je les corrige, je lui montre, il est surpris « ah,
mais comment ça se fait, pourtant, je l'ai lu ligne par ligne ». Je dis « oui, mais... moi, ça
m'a pris une demi-heure, si vous voulez, je passe plus de temps, je peux en trouver
d'autres ». Il me dit « non, ça va, etc..., on va envoyer ça, on va trouver un moyen, ah,
je suis vraiment désolé », donc là, il s'excuse encore une fois, mais... et il essaye de
m'assurer que ce n'est pas une vengeance par rapport aux événements de deux
semaines avant. Ce que j'ai un peu de mal à... à avaler. Le connaissant, il est toujours
sur heu... sur le mode de la vengeance, je peux pas croire que ce coup bas, là, ce soit
pas...
E : Il s'était passé quoi, deux semaines avant ?
T6 : Justement, tous les événements de chez le doyen, etc…
E : Ah oui, d'accord.
T6 : C'était à ce moment-là, quoi. À ce moment-là. Et moi, je peux pas croire que ce
soit une coïncidence, que... il me promet de l'envoyer deux jours, trois jours après, et
puis qu'il l'envoie dans mon dos, sans vraiment de bons a... sans de bons arguments,
solides, alors qu'il suffisait qu'il me l'envoie, « Y***, il est prêt avant l'heure, relis une
dernière fois ». Ça, c'est... donc il avait pris à partie S***. Autre chose, là, comme ça, je
ne vois pas, mais...
E : Une fois, vous êtes intervenu pour L***, pour l'annulation de sa bourse. Est-ce que
ça, c'était habituel, d’intervenir auprès du chef, quand il y avait quelque chose qui
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n'allait pas, avant ?
T6 : Avant, non, parce que... non, avant, on... tu veux dire avant qu'il y ait le clash, ou
quoi que ce soit ? Enfin...
E : Quand ça allait « bien », entre guillemets.
T6 : Non. Non. On était plus ou moins... on se soutenait entre nous, par la suite, « oh
t'inquiète, etc., c'est pas grave, on va trouver une solution », mais jamais heu... on
venait jamais lui dire en face « ce que vous avez fait, c'est pas bien », quoi, on n'osait
pas. On n'osait vraiment pas le faire. On osait seulement... on a commencé à oser le
faire quand on était vraiment déjà en clash avec lui, on n'avait plus rien à perdre, à ce
moment-là, on était déjà très mal vu par lui, donc c'était pas heu... à une engueulade
près. Par contre, avant, on considérait pas qu'il y avait besoin de rentrer dedans. On
considérait plutôt que lui était dans son droit de nous en vouloir, etc…, même si des
fois, il dépassait un peu les heu... limites.
E : OK. Est-ce que c'était facile de faire ça, de s'opposer à lui ?
T6 : Quand même. Oui, quand même. Je me souviens, la première fois où j'ai dû heu...
m'opposer à lui, j'ai eu du mal. D'ailleurs, après l'insulte du « connard », il avait appelé
L*** dans son bureau par la suite, pendant une heure, ils ont discuté, porte... fermée.
Et après, quand il a fini avec L***, il m'a appelé moi. Il m'a appelé moi, dans son
bureau, il m'a demandé de fermer la porte. C'était avant le... l'hi... l'histoire de... du
financement, enfin des 5000 euros. Donc voilà, je m'assis, il me dit « alors, tu as
entendu ? ». Je dis « oui, j'ai entendu » et heu... et c'est là que j'ai... c'est vraiment la
première chose que j'ai dite, heu... et là, j'osais pas, au début, mais j'ai... comment
dire, j'ai... j'ai un peu hésité, dans ma tête, à lui dire, et j'ai quand même pris mon
courage à deux mains, et j'ai dit « je trouve ça incroyable, quand même, d'entendre de
votre bouche que vous le traitiez de connard ». Là, je l'ai lâché, et ça allait bien. Enfin,
je veux dire, ça allait mieux, alors que j'appréhendais, au moment de le dire, est-ce que
j'y vais, est-ce que j'y vas pas ? Je dis « franchement, j'arrive pas à le croire ». Et là, lui,
220
il a… j'ai vu sa réaction, il s'est mis en arrière il était vraiment surpris, il s’attendait pas
à ce que... parce que c'était la première fois que je lui disais un truc cash, « j'aime
pas ». Et moi-même, j'étais surpris, donc... mais je lui ai dit, et moi, je n'avais rien à me
reprocher, donc je dis « écoutez, moi, je suis surpris que... je ne m’attendais pas à ça
de la bouche de mon directeur de laboratoire, ni de qui que ce soit, ici, d'ailleurs, au
laboratoire, mais surtout de vous ». Je dis « et même les voisins sont choqués ». Il me
dit « ah ouais ? ». Je dis « oui, ils ont entendu et ils comprennent pas comment ça se
fait ». Heu... je veux dire on peut avoir toute les raisons du monde, mais à partir du
moment où... on peut s'engueuler, on peut hausser la voix, mais quand on passe à
l'insulte, c'est... pour moi, c'est autre chose. Je veux dire, « on n'est pas dans une cour
de récré, on n'est pas dans la rue, on est dans un laboratoire, vous êtes directeur ».
C'est vraiment là, la première fois où... où je me suis opposé à lui ouvertement et
heu... c'était pas facile, mais une fois qu'on l'a fait, on se sent vraiment mieux, et on se
dit « voilà, c'est fait, c'est fait » mais c'est un moment pas simple. Je pense, c'est
comme heu... rentrer dans une eau froide, il faut se lancer quoi. Au début, on n'a
vraiment pas envie de le faire.
E : Et vous disiez « j'appréhendais », vous appréhendiez quoi ?
T6 : Heu... rentrer en clash avec lui, quoi. Parce que je savais que ça allait être une
confrontation, et j'irais pas de son côté, en fait. J'allais pas de son côté, et dire « oui,
vous avez raison », là, c'est quand même... on est quand même plus à l'aise si on est de
son côté. On est plus à l'aise, on... par contre, là, je me mettais vraiment du côté de
L***, contre lui. Et heu... voilà, c'était pas simple.
E : Et pourquoi vous avez réagi de cette manière plutôt que d'une autre ?
T6 : Je ne sais pas. C'est... ça s'est fait sur le moment, et heu... je pense que comme on
était... comme on en avait déjà marre, un peu, de ce qu'il faisait, et il le savait, lui,
qu'on avait été... qu'on avait été voir le doyen, sauf qu'il heu... qu'il ne rentrait pas
dedans directement. Et donc... j'étais plus ou moins à l'abri, parce que le doyen avait
demandé que le doy... que le patron et nous-mêmes ayons uniquement des relations
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d'ordre scientifique. Et qu'on ne parle pas d'au... d'autre chose, ça nous… ça nous
protégeait. Donc lui, il osait pas nous rentrer dedans, donc j'était plus ou moins à l'a...
à l'abri. J'aurais pu y rester, hein... mais heu… là, sur le moment, le fait qu'il l'ait insulté,
c'était vraiment trop, quoi. Enfin je veux dire, ça veut dire qu'il peut insulter n'importe
qui du laboratoire, et qu'il peut rien faire. Donc voilà.
E : Qu’est-ce qui vous a poussé, à votre avis, à dire « là, ça, c'est trop » ?
T6 : heu... quand j'ai appris l'histoire, tout le monde dans le labo était choqué. Tout le
monde était choqué, donc il y avait personne qui était « non, c'est pas grave, ça peut
arriver », ou quoi. Ce qui fait que déjà, j'aurais pas pu me retrouver moi-même de
l'autre côté, du genre, heu... être le seul à trouver ça normal, c'était pas possible.
Surtout, c'était pas vrai, moi, j'étais vraiment... j'avais pas entendu dire directement,
j'avais entendu que le « connard », j’avais pas entendu l'histoire d'avant, mais heu... ça
m'a suffisamment choqué, quoi. Donc je pouvais pas le... je sais pas, je crois que je me
suis lancé, je me suis dit « on verra ce que ça donne », mais ça... au final, franchement,
je crois que c'est une bonne chose. C'est comme aller voir le doyen, là aussi, il fallait
que j'y aille, parce que lui, il avait appris qu'on allait voir le doyen tous ensemble, il le
savait, et heu... il nous avait tous envoyé un e-mail pour nous dissuader d'y aller. Lui
étant allé à l'étranger. Et heu... moi, j'avais reçu mon e-mail, donc 22 heures le soir,
avant, donc la veille au soir à 22 heures. Et le mien était différent de celui de tout le
monde, vraiment, parce qu'on les a comparés, le matin, en arrivant. « Toi, tu as reçu
un e-mail ? » etc…, le mien disait heu... déjà, qu'il connaît... mon père connaît un prof
de chimie qui est au troisième étage du même bâtiment, qui est un ami avec le patron.
Donc on a un ami en commun au niveau par... au niveau familial. Et donc il a dit « je
vais en parler à monsieur AZ***, qui va en parler à ton père, etc…, donc n'y va pas,
heu... machin », non, vraiment, heu... comme si mon père allait me dire « n'y va pas »,
enfin... je comprenais déjà pas... mais rien que... parce que si mon père a cette
histoire, je trouvais ça vraiment malsain, et en plus, il... il l'avait terminé en signant, et
c'est là que c'était vraiment très très différent, « n'oublie pas », heu... « pense à la
thèse et à ton article », qu'on devait envoyé, donc ça veut dire « si tu y vas, tu auras
des problèmes pour ta thèse et pour ton article », ce qu'il a d'ailleurs fait par la suite,
222
en l'envoyant... et il a signé « à ta conscience, à ton péril ». Alors ça, je reçois à 22
heures du soir avant d'aller voir le doyen, et heu... je peux dire que je n'ai pas dormi de
la nuit, quoi. J'y vais, j'y vais pas, j'y vais, j'y vais pas ? Au final, je suis parti avec le mail
chez le doyen. Le doyen, quand il a vu ça, il n'en croyait pas ses yeux. Il m'a dit « tu
peux me l'envoyer en format électronique, s'il te plaît ? ». J'ai dit « pas de problème ».
Donc voilà, donc heu... là, je pense que c'est vraiment... je pense que c'est plutôt... là,
la première fois où je me suis opposé à lui, c'était plutôt par mail, parce que là, il me
menaçait de pas y aller, enfin de... et là, j'ai préféré y aller, quoi. Donc là, heu... j'ai un
peu brisé le... enfin, c'est là que j'ai cessé de lui obéir, on va dire.
E : Et la fois que vous êtes intervenu pour l'annulation de la bourse, pourquoi vous
avez agi de cette manière plutôt que d'une autre ?
T6 : Déjà, je l'ai fait de manière très très polie. C'est-à-dire, au moment où j'allais
parler, je savais que si je parlais d'une manière... enfin j'ai vraiment mesuré mes... mes
mots, c'est-à-dire que heu... j'y suis allé en disant « si je peux me permettre, je trouve
que vous auriez pu le prévenir, vous avez le droit de le faire, mais à mon avis, vous
auriez pu lui dire, parce qu'il est au chômage ». Et j'ai dit ça de manière très polie, très
calme, et vraiment gentille, quoi. J'ai pas haussé le ton, j'ai pas engueulé, je me suis dit
« bon, comme ça, j'ai rien à me reprocher ». Je peux pas... je serai pas celui... enfin il
peut pas en... il peut pas porter plainte contre moi parce que je l'ai engueulé ou quoi.
Donc j'ai vraiment fait ça, j'ai envie de dire, dans les règles et gentiment. Et même ça,
ça n'a pas suffi. Même ça, ça l'a mis... je crois même que ça a fait un effet inverse, je
crois. Le fait de le faire vraiment dans les règles, ça l'a mis hors de lui, quoi, plus
qu'autre chose. Et au final... au final, il m'a demandé de dégager, et au final, au
moment où je prenais mes affaires, il s'est rendu compte que tout le monde partait,
dans le labo. Il faut savoir qu'entre-temps, dans son bureau, ça a duré un bon quart
d'heure où il criait. Les voisins devenaient... comprenaient pas ce qui se passait. Le gars
me criait dessus. Et là, je lui ai répondu d'ailleurs moi aussi en criant, j'en pouvais plus.
J'ai mis tout sur le tapis. Au final, c'est là qu'il m'a dit « dégage », trois fois, et donc en
sortant, les voisins nous... nous regardaient, et heu... je voyais S*** qui prenait sa
veste, il me dit « ça va ? », je dis « oui, oui, ça va, il faut que je parte », j'ai éteint mon
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ordinateur, je voyais L*** qui prenait sa veste aussi, N*** qui prenait sa veste, tout le
monde, tout le monde partait, quoi. Et là, je... là, le boss me regardait, je prenais mes
affaires, et tout, il revient vers moi, il dit « Y***, je suis désolé, je suis désolé, reste,
reste, je sais pas ce qui m'a pris », et là, ça m'a fait marrer, parce que sur le coup,
j'avais vraiment plus rien, je m'en foutais quoi. heu... et j'ai dit « quoi, je reste, je pars ?
parce que là, je suis perdu, vous me dites 'dégagez', maintenant, je dois rester ? ». Il
me dit « non, non, c'est pas contre toi, franchement, heu... je suis devenu fou, c'est à
cause de lui, vas-y, viens, viens, on va discuter, on va calmer les choses ». Donc là,
rebelote, dans son bureau, heu... il s'est excusé 25 fois. Il a... il a essayé de calmer les
choses, parce qu'il s'est rendu compte qu'il était allé trop loin. Mais entre-temps, L***
est re... a frappé à la porte, et a ouvert la porte, a dit « Y***, le doyen nous appelle, il
veut qu'on quitte tous le laboratoire », parce que les voisins avaient appelé le doyen.
Ça gueulait trop fort, ils avaient peur qu'il se passe quelque chose. Donc voilà, donc
moi, je me suis levé à ce moment-là, il m'a regardé, je lui ai dit « écoutez, je dois y
aller, le doyen m'appelle, apparemment ». Et là, il m'a dit heu... « s'il te plaît, pense à
moi, j'ai des enfants, machin… ». J'ai pas osé lui répondre quoi que ce soit, heu... je suis
parti. On est tous partis voir le doyen, enfin, à ce moment-là. Donc je sais pas pourquoi
j'ai agi, à un moment ou à un autre, mais je pense, c'est juste que... t'arrives un point,
faut faire un choix, quoi. Et heu... je crois pas que c'est statistique, genre 50-50, c'est
qu'à un moment donné, tu penches plus vers le choix de... c'est bon, on va exposer les
faits, plutôt que rester cachés, rester heu... à ce moment-là, c'est lui qui gagne, en fait.
Il a pesé les choses, et nous, on est tous de son côté. Alors que nous, on en avait
marre, on voulait que ça cesse vraiment. Et j'ai dit « il faut que ça cesse, quoi, que... ».
Pour moi, la seule issue... la seule issue pos... possible, j'ai envie de dire, c'est que...
c'est qu'il parte. Ça fait deux fois que... que ça arrive, et il y aura une troisième, c'est sa
façon d'être, il est comme ça. Il peut pas faire autrement. Même maintenant, il est
revenu à... ces agissements maintenant que L*** et moi sommes plus au laboratoire,
heu... il réattaque N***, il attaque le nouveau, qui vient d'arriver. Il comprend pas ce
qu'il lui arrive, d'ailleurs. Heu... parce qu'il lui tombe dessus. AH*** est parti, enfin
bref, maintenant qu'ils sont beaucoup moins, au laboratoire, il reprend le dessus, il se
sent plus... plus fort, parce qu'il y a moins de... résistance, donc voilà, donc il va jamais
s'arrêter. Donc vraiment, la seule issue possible, pour qu'il se calme, enfin pour qu'il y
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ait un... pour qu'il y ait le calme au laboratoire, c'est qu'il ne soit pas là. Donc heu...
E : Sur le moment, vous vous êtes dit « là, pour qu'il se calme, il faut que nous, on fasse
quelque chose » ?
T6 : Non, pour que ça évolue de manière positive pour nous, il faut qu'on se rebelle,
quoi, il faut qu'on dise « stop », point. Et il faut qu'on tape un peu du poing sur la table,
parce que j'ai remarqué, en fait, avec lui, heu... j'ai remarqué que quand on est ferme,
et qu'on bouge pas, qu'on est ferme, qu'on veut quelque chose, heu... il ose pas en
rajouter. Une fois qu'il a le dessus, une fois qu'on est trop doux, trop gentil, « oui, vous
avez raison », une fois qu'on s'excuse, même, il en rajoute. Il se met sur nous, quoi,
vraiment, il... il prend le dessus. Mais dès qu'on est ferme... moi, une fois, il m'a
engueulé parce que j'étais parti en vacances, et que c'est... enfin, il m'autorise à
prendre des vacances, j'avais pas pris de vacances depuis un an et demi, je prends dix
jours, je reviens, heu... déjà, il me fait comprendre que ce n'est pas la bonne période,
alors qu'on était d'accord pour ces vacances, hein, j'avais pas pris des vacances comme
ça. J'ai un mail qui me dit « pas de problèmes, tu les as bien méritées, vas-y », etc…
« Oui, c'était pas la bonne période, machin, et tout, heu... en plus, tu m'as pas envoyé
les papiers que je t'avais envoyés, enfin les derniers résultats ». Je dis « si, si, je vous ai
envoyé », je lui montre. « Ah oui, c'est vrai, j'avais pas vu », et heu... c'est quand il me
prend... en fait, là où j'ai été ferme, c'est quand il m'a dit « c'est pas la bonne
période », j'ai dit « si », je dis « alors c'est quand ? Il y a jamais de bonne période,
alors ? ». J'ai dit « ça fait un an et demi que je prends zéro jour de congé, que je bosse
les jours fériés et les week-end, je prends dix jours, vous êtes d'accord, et là, quand je
reviens, ce n'est pas la bonne période ? ». Là, j'étais vraiment fâché, j'étais hors de
moi. Et là, il m'a dit « oui, non, c'est pas comme ça », heu... là, il... enfin il fait un pas en
arrière, quoi. Mais si j’avais dit « vous avez raison, etc… », là, il aurait... enfin il en
aurait remis une couche, etc…, « c'est pas sérieux, c'est pas professionnel », machin.
Donc il fonctionne vraiment, heu... quand on ferme, on dit « voilà, c'est comme ça et
pas autrement », tout en étant dans son droit, évidemment, je ne vais pas non plus...
exagérer, mais il fonctionne comme ça. Donc je pense que si je l'ai fait, enfin...
consciemment ou inconsciemment, c'est parce que.. il y a qu'une manière d'avoir ce
225
qu'on veut, c'est être ferme. Dès qu'on est trop gentil, trop doux, on se fait marcher
dessus, directement, et il en rajoute, « c'est moi le chef, c'est moi ceci, heu... c'est moi
qui décide, ici, toi, tu n'es rien, c'est grâce à moi que tu as tout ce que tu as ». Enfin,
c'est à chaque fois...
E : Et est-ce qu'il y a d'autres situations où vous avez pu intervenir ou soutenir vos
collègues victimes ?
T6 : Soutenir, oui, heu... avant qu'AN*** parte, j'avais assisté, une fois où elle sortait
de son bureau en pleurant, son bureau à lui, en... en pleurant, et heu... sur le moment,
je l'ai laissée, enfin je suis parti, je suis revenu une heure après, quand lui est parti. Je
suis parti voir dans son bureau, je dis « ça va pas ? », elle me dit « si, si, ça va, tout va
bien, machin ». Je dis « écoute, je t'ai vu pleurer, qu'est-ce qu'il se passe ? », et là, elle
ne voulait pas trop m'en parler, mais elle m'a dit « ça va pas, il m'a engueulée pour
heu... il dit que tout ce que je fais est mal, et pas bien, que je suis nulle, que je mérite
pas d'être sur l'article en dernière auteure, nananinana », enfin qu'elle mérite rien, en
gros, et que lui, il a tout fait bien. Elle a commencé à pleurer à son... dans son bureau,
heu... il lui a dit « ah, les larmes de crocodile, ça faisait longtemps, celles-là ». Heu...
« tu peux les ravaler, j'y crois pas une seconde ». Voilà ce qu'il lui fait pour que... ça,
c'est juste avant que... qu'elle quitte le laboratoire. Donc là, tout ce que j'ai pu faire,
c'est la soutenir, mais bon... C'est déjà pas mal, mais on va dire, sur le moment même,
on n'était pas encore en conflit avec lui, donc heu... de là à aller lui dire le lendemain
matin « qu'est-ce que tu as fait à AN*** ? » Ça n'avait pas de sens déjà, non.
E : Et c'était habituel, déjà avant, de la soutenir ?
T6 : C***, surtout, celle qui est partie en dépression, avant. Déjà parce que... au niveau
de ses résultats, c'était pas la gloire, heu... surtout le fait que lui ne l'aide pas, propose
aucune solution, qu'il la laisse dans sa merde heu... souvent, ça, C***, on la soutenait.
Voilà.
E : Et est-ce que c'était facile de soutenir les gens ?
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T6 : Soutenir, c'est pas un problème. Heu... surtout à l'époque, enfin même à l'époque
où on n'était pas en conflit, c'était normal, c'était de l'amitié, on va dire. Donc à un
moment donné, tu vois quelqu'un qui pleure, ou qui est pas bien, tu es ami avec lui, ça
fait... même si on est que collègues, entre guillemets, on est quand même très
proches. Et au final c'est normal, ils en ont fait autant avec moi, quand ça allait pas, ou
quoi. On est dans le cadre de l'amitié, à ce moment-là. Heu... il y a aussi... là où j'ai
heu... plutôt défendu mes collègues que soutenu, on va dire, heu... c'était après le
départ de AN*** et C***, quand... quand j'ai dit qu'il arrêtait pas de dire du mal des
collègues qui étaient partis, heu... une fois, j'étais dans son bureau, c'était pour...
parler science, et lui, il a toujours cette manie, dès qu'il parle science, il arrive à
bifurquer sur le personnel. Incroyable, je sais pas comment il fait, mais il arrive à
switcher sur autre chose, de rien à voir. Te là, il a commencé à me parler de... de C***,
de AN***, etc…, etc…, mais en mal. Et j'en avais... et de L***, aussi. Et j'en avais marre,
je lui ai dit « écoutez... ». C'était avant qu'on rentre en vrai conflit, à ce moment-là,
avant qu'on porte plainte chez le doyen. J'ai dit « écoutez, c'est pas la première fois,
maintenant, mais j'en peux plus, donc si il y a moyen que vous arrêtez de dire du mal
de mes collègues devant moi, parce que moi, c'est mes amis et heu... je sais pas
comment réagir, après, c'est compliqué, heu... je préfère qu'on parle juste science et
que vous arrêtez de dire du mal de mes collègues ». Et là, il a dit « non, c'est juste pour
te protéger toi, etc…, tu sais c'est pas comme ça, c'est pour que tu fasses attention,
voilà », et heu... non seulement il dit du mal de mes collègues, mais il parlait des Belges
en général, parce que lui, il est d'origine maghrébine, en fait, comme moi. Heu… et
heu... il disait plutôt « les Belges sont ceci, les Belges, il faut pas leur faire confiance »,
etc…, etc…, « ils ont pas la foi, patati, patata », enfin bref. Et heu... j'étais pas vraiment
d'accord avec ce qu'il disait, donc ça m'énervait un peu. Ça a duré bien cinq minutes où
il me parlait, il me disait, là, j'en pouvais plus, je lui ai dit « écoutez, stop », quoi.
E : Et à ce moment-là, c'était la première fois que vous lui disiez ça ?
T6 : Oui, la première fois que je lui disais ça. Et heu... ça m'a fait du bien, parce que... à
chaque fois, il me prenait moi, à parti, il me disait heu... « C*** se met en mini-jupe,
227
c'était dégueulasse, elle sortait en boîte le soir, c'est pas professionnel, patati patata ».
Heu... « ceux qui sont partis, c'est la sélection naturelle », heu... c'était vraiment
scandaleux, quoi, tu vois. Heu... donc ça, ça... ça m'énervait, et puis à un moment
donné, je lui ai dit « stop », enfin je... c'est horrible, quoi. Enfin je peux pas accepter ça,
une fois, deux fois, trois fois, c'est bon, quoi.
E : Et ça a été facile, pour vous, de lui dire ça ?
T6 : Oui, parce que ça m'énervait, en fait, c'était vraiment... à un moment donné, c'est
indigeste, tu peux pas... c'était même pas réfléchi ou quoi, c'était vraiment « stop », tu
vois ? C'est comme une vision de l'horreur, à un moment donné, c'est vraiment
répulsif, je pouvais pas faire autrement, c'était heu... il fallait que je lui dise. Parce que
entendre ça encore, ça me faisait... heu... c'était vraiment hyper désagréable. Parce
qu'après, moi, après ça, je retourne dans le bureau avec mes collègues, lesquels il vient
de dire des... des grosses crasses, quoi. Et lui, quand il vient, il rigole avec eux
« hahaha », grand sourire, heu..., tout va bien, je vais bien. Et quand tu sais ce qu'il a
dit juste avant sur eux, c'est extrêmement dégueulasse, donc heu... donc c'était pas
choisi.
E : Donc c'est pour ça que vous avez réagi de cette façon-là, à ce moment-là ?
T6 : À ce moment-là, oui, parce que je trouvais ça extrêmement super indigeste. C'est
pas... et c'était pas réfléchi, je me suis pas dit « je vais lui dire stop, ça va être
compliqué », ou machin, non, là, c'était vraiment du... action, réaction, je n'ai pas
contrôlé.
E : Vous n’avez pas spécialement pensé aux conséquences que ça pouvait avoir ?
T6 : Non, même pas. C'était vraiment... c'est comme s'il me frappait dessus, et que je
disais « stop », c'était vraiment ça.
E : D’accord. Est-ce qu'il y a d'autres souvenirs qui vous viennent, comme ceux-là où
228
vous avez pu aider ou soutenir un de vos collègues ?
T6 : Heu... non, il me semble pas, non. J'ai pas l'impression.
E : Est-ce que parfois, il y a des fois où justement, vous ne pouviez rien faire ?
T6 : Heu... ouais. Heu c'était heu...
E : Qu'est-ce qui vous empêchait de réagir à ce moment-là ?
T6 : On n'était pas dans l'objectif de, entre guillemets, de se défendre, donc on... on
était plutôt en train de ramasser des coups, à ce moment-là, donc on disait rien, c'était
habituel, quoi. On était dans une sorte de... c'était normal, c'est le quotidien, il était un
peu sévère, et c'est tout, quoi. On se rendait pas compte, heu... en fait, là où on s'en
est rendu compte, quand un jour, on a tout mis sur la table, on... quand on allait...
quand on avait décidé de voir le doyen, c'est parce qu'en fait, on avait tout mis sur la
table, tous les griefs de chacun. Et on s'est rendu compte que c'était incroyable, quoi,
tout ce que chacun ne savait pas, et tout, il y avait des manipulations qu'il avait
orchestrées, entre nous, c'était incroyable. Là, on s'est rendu compte que le gars,
c'était pas juste 2-3 trucs, c'était chaque fois, quelque chose. Et là, on s'est dit « c'est
pas normal qu'il fasse... », moi, la fois où j'avais assisté à un truc où j'avais rien dit,
pourtant, c'est pratiquement mon meilleur ami, maintenant, c'était le mémorant qui a
pas voulu rester. C'était un matin, il travaille dans la même paillasse, enfin l'un en face
de l'autre, plus ou moins, quoi. Et le boss arrive vers neuf heures, l'étudiant est là,
quoi, en train de travailler, manipuler. Il arrive, et il lui dit... il lui dit même pas bonjour,
« alors, les résultats, hier soir, ça a produit, ça a pas produit ? ». AS***, il répond
« ouais, heu... bonjour, oui, non, ça a pas marché, etc. », mais super timide, tu vois.
Heu... « ça a pas marché, je dois... je vais recommencer, je vais faire ci, je vais faire
ça ». Le boss l'a regardé, il a soufflé et il est parti. Mais je trouvais ça vraiment
scandaleux, sur le moment. Le gosse lui dit bonjour, enfin le gosse... il lui dit bonjour,
l'autre, il répond même pas, tout ce qui l'intéresse, c'était l'histoire, et quand c'est pas
bon, il souffle dessus et il se casse. C'était vraiment heu... scandaleux, quoi. Ça m'a... je
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trouvais ça grave. AS*** il m'a dit... je dis « je sais pas ». Et je voyais bien qu'il était
fâché, quoi, tu vois, mais heu... il est mémorant, il dépend de lui au niveau des...
points, il peut pas se permettre de faire quoi que ce soit. Et puis à ce moment-là, nous,
on n'était pas vraiment heu... on trouvait ça pas normal, mais c'était un truc de plus,
quoi. C'est après, quand on a tout mis sur la table, qu'on s'est rendu compte que c'est
pas que ça, que c'est pas que l'autre chose, ou... c'était... il y avait pratiquement de
quoi écrire dix pages. D'ailleurs, on a écrit tout ça, hein. On a résumé, je sais pas si
S*** t'en a parlé, on avait écrit plusieurs pages qu'on avait transférées au doyen, voilà,
l'ensemble des griefs, on avait essayé de mettre ça le plus... le plus impersonnel
possible, quoi. Pas heu... « Moi, Y***, voilà ce qui m'est arrivé », c'est vraiment heu...
tantôt il fait ça, tantôt il fait ça, vraiment le plus... le fait de résumer, parce que
souvent, ce qu'il faisait à l'un, c'était aussi ce qu'il faisait à l'autre, ou quoi, donc heu...
on a essayé de faire des gros titres en fonction des... on s'est rendu compte que c'était
incroyable, quoi.
E : Dans ces moments, qu’est-ce qui vous empêchait de réagir ?
T6 : Mais déjà parce que c'est... c'est notre boss. Déjà parce qu'on l'appelait « boss »,
« monsieur », ou heu... on ne pouvait pas le tut... le tutoyer. Moi, je peux tutoyer tous
les chefs de laboratoire, tous les autres, hein, etc…, qui me disent « tutoies-moi ».
C'est incroyable, et lui, qui est mon chef à moi, que je connais mieux que les autres, ils
nous imposent de le vouvoyer. Donc déjà, il met une distance, « c'est moi, le patron,
vous, vous êtes rien », quoi. D'ailleurs, il me l'a dit, une fois, heu... « toi, tu n'es rien du
tout, moi, j'ai fait ci, j'ai fait ça, j'ai fait ci, j'ai fait ça, toi, tu n'es rien », si tu veux. Heu...
donc déjà, on le vouvoyait, donc il y a une distance, et il était tellement autoritaire et
contrôleur qu'à un moment donné, t'as peur, quoi. Enfin t'as peur, je sais pas si c'est la
peur, mais c'est vraiment le fait que... il met vraiment une grosse distance entre nous
et lui, donc on peut pas se rebeller facilement. Tout de suite, il va nous réprimander,
quoi. Et heu...
E : Peur de quoi ?
230
T6 : Je sais pas. Sur le moment, tu sais pas, tu as... c'est juste ton... ton patron, donc
t'as un certain respect du patron, t'as trop, et comme tout le monde fait la même
chose, tu te dis « si moi, je fais autrement, ça passera pas ». Donc c'est... c'est un peu
trop de respect de l'autorité. Un peu trop. Là, à ce moment-là, on se rendait pas
compte de nos droits. Genre, voilà, il y a des choses qu'on peut pas faire. Et surtout, on
n'avait pas d'exemple. Moi, personnellement, par exemple, j'avais pas d'autres
exemples de comment ça... ça se passe, comment ça devrait être. J'avais pas de quoi
comparer, en fait.
E : C'était ta première expérience professionnelle, entre guillemets ?
T6 : Exactement, enfin j'avais déjà fait un stage dans un autre laboratoire, ça avait rien
à voir, ça, je dois dire, ça avait rien à voir, c'était vraiment... le boss qui pour moi, était
plus compétent, mais ça, c'est autre chose, était super gentil, il me demandait... lui, il
me demandait de le tutoyer, et moi, je n'arrivais pas, tellement je le considérais, que je
l'avais en estime, parce que non seulement, c'était quelqu'un de compétent, mais en
plus, de très heu... très présent, mais pas envahissant. C'est-à-dire, il est là si t'as
besoin de lui. Il s'applique, il se donne à fond, et il est très gentil, hyper gentil.
Vraiment l'exact opposé de heu... de notre patron de l'époque mais bon, j'étais resté là
un mois et demi, donc je pouvais pas comparer vraiment, et pour moi, c'était un stage,
donc heu... on se comporte pas pareil avec un stag… là, c'était vraiment la première
expérience, on va dire, professionnelle. J'étais diplômé et j'étais dans un laboratoire Et
comme tout le monde fait pareil, je fais je fais comme tout le monde. Tout le monde se
tait, tout le monde baisse la tête, tu baisses la tête.
E : Avez-vous a un moment donné pris plus conscience de ce qui était en jeu dans la
situation, ou bien sa gravité ?
T6 : Oui, comme je t'ai dit tout à l'heure, c'est heu... quand AN*** est partie, on s'est
retrouvés directement en face, il y avait plus d'intermédiaire, parce qu'elle gérait non
seulement son projet, mais quatre, cinq autres projets en parallèle, toute la logistique,
les commandes, elle faisait tout, dans le laboratoire. Quand elle est partie, ça a fait un
231
vide, mais énorme. Elle gérait tout. Elle écrivait même ses cours, elle lui faisait ses
Powerpoint, enfin pas mal de choses, et heu... quand elle est partie, on est... on a
commencé à interagir directement avec lui, et on s'est rendu compte que ce gars-là est
pas normal, quoi. Et là, on s'est dit, AN*** se prenait tout ça en pleine figure, ce
qu'on... on a... on a compris pourquoi elle est partie en dépression. D'ailleurs, même
moi, à un moment donné, je sais pas si j'étais en dépression ou en pré-dépression,
mais j'étais vraiment au plus mal, je chialais pour un rien, d'ailleurs, quand je parlais à
la vice-rectrice qui nous écoutait pour le témoignage, j'ai pleuré, mais pour rien du
tout, quoi. On était en larmes, dès qu'il y avait un problème, ça n'allait pas. Le soir, je
suis pas moi-même. Je parle à personne, je suis renfermé, je suis ailleurs, à chaque
fois. Plus de joie de vivre, plus rien du tout. Donc là, j'ai compris que ce qu'il avait fait
aux autres, ça arrivait à moi, ça arrivait à chacun. Tu voyais, les regards étaient
vraiment tout de suite tristes, quoi. Il y avait un gros problème, quoi. Donc là, j'ai senti
que... là, c'était plus tard, mais c'est vraiment quand AN*** est partie. Là, on a compris
que ce qu'il nous faisait, sa façon d'interagir avec heu... son personnel était pas normal
du tout.
E : Cela a-t-il modifié votre comportement ?
T6 : Ouais, ouais, tout d'abord, on essaye de fuir, au début. Moi, il m'arrivait, avant
cinq heures, parce que lui, il partait vers cinq heures, quand je sentais qu'il allait partir,
moi, et c'est triste à dire, mais je partais du laboratoire pour pas avoir à lui dire au
revoir. Je partais, hein. J'allais parfois aux toilettes, je m'enfermais un petit quart
d'heure et j'attendais qu'il passe. C'est vraiment triste à dire, mais c'était le moment
où tu n'as pas envie de lui dire au revoir, c'est... c'est viscéral, tu peux pas. On l'évitait
au maximum. Je l'entends... du bout du couloir, qu'il est là-bas, moi, je me mets à
l'opposé. Heu... on jouait, comme disait AS***, à ce moment-là, heu... enfin, c'était
avant ça, mais même AS***, il faisait ça, le mémorant, donc avant son conflit, parce
que lui, il s'en prenait plein la t... plein la tronche. Il jouait à Pacman, il me disait. Ça
nous faisait marrer, à l'époque, c'était plus un... un jeu qu'autre chose, mais c'est pas
normal, quoi. C'est pas normal. Et heu... non, je te dis, la première réaction, c'était de
fuir, on va dire, son regard, ou... quand il me parlait, je le regarderais pas, j'arrivais pas
232
à le regarder en face. Je veux juste qu'au moment où il vient me parler, ça passe. Je
veux juste que ça passe. Je l'entendais discuter, des fois, à moitié, déjà que... il se
répète 36000 fois, il se contredit, donc je sais déjà que ce qu'il a à dire, ça
m'apporterait rien de plus, mais je voulais que ça passe. Je te dis, on fuyait, quoi. Moi,
personnellement, en tout cas. Après, plus dans la résistance.
E : Est-ce que le deuxième déclic ça a été le moment où vous avez mis les informations
en commun ?
T6 : Ouais, là, c'était plus dans la résistance, où je répondais du tac-au-tac. Enfin,
quand il me parlait mal, je le reprenais, je dis « pardon ? _Ah oui, excuse-moi heu... »,
quand il me dit par exemple, heu... là, c'était vers la... vers la fin, on va dire, quand il
me dit heu...parce que je devais rédiger à la maison ma... ma thèse, et il me dit heu...
de manière très très sèche, il me dit heu... « voilà, à partir de début juin, je ne veux
plus que tu fréquentes le laboratoire ». Je dis « pardon ? ». Il me dit quoi ?
« Fréquenter le laboratoire ? Ça fait vraiment... », enfin je lui dis « c'est une façon de
me parler, là ? ». Je dis « ça.. ça ne se dit pas ». « Ah bon ». Je dis « non, ça ne se dit
pas, ça ». Je dis heu... « ah je me suis pas rendu compte, excuse-moi, excuse-moi, non,
bien sûr, tu es le bienvenu au laboratoire, mais c'est pas ça ». Je dis « ah bon, OK ».
Donc heu... là, c'était vraiment du tac-au-tac, à ce moment-là, quand il me parlait mal,
je le reprenais directement. Parle scientifique, mais si tu me parles mal, il y a... ça va
pas aller. Moi, je te respecte, tu me respectes. Voilà, donc là, vers la fin, c'était plutôt
de la résistance, on va dire. Mais au début, c'était la fuite.
E : Et vous le repreniez, parfois, quand il parlait mal aux autres ?
T6 : Non. Non. Enfin sauf les cas où je t'en ai parlé, mais de toute façon, ça n'arrivait
plus vraiment, heu... il se tenait à carreau, parce qu'il y avait une instruction qui était
en court, et chaque faits et gestes qu'il disait ou qu'il faisait, au lieu de le reprendre,
des fois, ce qu'on faisait simplement, c'est... on le notait, on l'envoyait, un mail. Tout
ce qui faisait le travail, on envoyait un mail. D'ailleurs, il le savait, par après, parce
qu'on le lui reprochait, tu vois, genre « vous avez dit ça, vous devez arrêter », etc…, lui,
233
il revenait et il nous engueulait pour ça, du coup, rebelote, on lui répondait encore une
fois, on renvoyait un mail. On jouait à ce jeu-là, on la jouait, on va dire, politique. On
répondait de manière à ne pas avoir à nous reprocher quoi que ce soit, on prévenait
simplement les autorités qu'il faisait un dérapage. Et lui, ça l'embêtait vraiment.
E : Et vous, vous avez pris part à cette écriture de mails, cet envoi de mails ?
T6 : Oui, oui.
E : Donc parfois, c'est vous qui envoyait des mails ?
T6 : Moins moi, mais quand même, j'ai participé pas mal, j'ai envoyé quelques mails,
surtout quand il m'arrivait un truc, on discutait. À chaque fois, en fait, qu'il nous
arrivait un truc, on en parlait entre nous, « est-ce qu'on l'envoie ? Est-ce que c'est un
événement important ? Est-ce que vous pensez que ça peut faire évoluer les choses en
notre faveur ? Est-ce que c'est grave, est-ce que ça vaut la peine de les embêter avec
ça ». Et une fois que... on disait « oui, quand même ». On se concertait, je n'ai pas
envoyé un mail, moi-même, etc…, mais c'était quand même stupide, moi aussi, il m'est
arrivé un truc. En général, on combinait, si sur la journée, il engueulait trois personnes
de manière complètement abusive, ou etc…, ou quoi, on envoyait un e-mail. Par
exemple, quand on avait rendez-vous avec la vice-rectrice, on ne lui en parlait pas,
parce que c'est... c'est dans le cadre de l'instruction, on voulait pas lui dire quoi que
soit, de où est-ce qu'on est. Parce que lui est très contrôlant, si on n'est pas là, il veut
savoir où on est. Donc moi, quand j'étais invité chez la vice-rectrice, par... par exemple,
je lui ai dit, « parce que je n'ai pas prévenu mon patron que je venais, c'est grave ? ».
« Non, non, il y a pas de problème ». Je lui dis « qu'est-ce que je fais si... il me reproche
après de pas être venu ? ». Elle m'a dit « tu lui dis simplement que la vice-rectrice t'a
autorisé à venir, et qu'il y a pas de problème par rapport à ça ». Ah ouais, voilà quoi.
Donc moi, quand je suis revenu, après, il m'a engueulé parce que je n'étais pas venu au
laboratoire. Et je lui ai dit « écoutez, je ne vais pas vous dire où j'étais », parce qu'elle
m'avait dit « tu n'as pas à lui dire où tu allais si tu ne veux pas. Et si vraiment tu veux lui
dire, tu peux lui dire, mais tu n'es pas obligé ». Lui, il a très mal pris, à ce moment-là. Et
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là, il m'a engueulé de ne pas être venu, j'ai envoyé un e-mail à la vice-rectrice, « voilà,
écoutez, etc… ». Et comme il l'avait pas fait qu'à moi, il l'avait fait à S*** et à tous ceux
qui... n'étaient pas venus, à ce moment-là, on a combiné, quoi. Donc en général, c'est
un qui se portait volontaire pour écrire le mail, il le faisait relire par les autres, et puis
on envoyait, quoi. Mais souvent, c'était S*** et AH***, qui prenaient les initiatives,
majoritairement.
E : Les autres membres de l’entreprise ont-ils réagi ?
T6 : Tout le monde a réagi, il y en a qui ont moins réagi, il y a N***, il y a LA*** qui se
sont mis en retrait, qui n'ont pas signé la première plainte, mais eux... ils nous ont
expliqué d'ailleurs pourquoi, enfin ils étaient de tout cœur avec nous, mais ils n'osaient
pas prendre parti dans la première plainte, celle chez le doyen, parce que eux, ils
viennent de l'étranger, ils viennent du Maroc, ils ne sont pas résidents Belges. Enfin ils
sont résidents en Belgique, mais ils sont de l'étranger, donc ils avaient peur qu'il s'en
prenne à eux de manière indirecte, soit en les faisant renvoyer au pays, enfin même si
techniquement, on sait pas trop s'il pouvait ou pas. Mais eux, ils avaient vraiment cette
crainte-là. Et deuxièmement, heu... qu'il pouvait leur salir leur réputation au Maroc.
Parce que lui connait pas mal de monde, là-bas, il connaît leur ancien professeur, etc…,
donc ils... ils avaient peur à ce niveau-là. Parce que eux, si après, retournent au Maroc
pour travailler, le gars a de l'influence là-bas, peut les... les détruire Donc au départ, ils
étaient pas très chauds, ils avaient peur. Et on n'a vraiment obligé personne à faire
quoi que ce soit. Donc heu... on a respecté ça, tout le long, jusqu'à ce qu'à un moment
donné, eux n'en pouvaient plus de voir ce qui se passait non plus, et ils s'en prenaient
eux aussi plein la tronche, et surtout, quand ils ont été témoigner, parce que la vice-
rectrice, elle voulait voir tout le monde, avoir l'avis de tout le monde. Et eux n'ont pas
menti, ils n'ont pas dit « non, tout se passe bien ». et heu... je pense que c'est aussi
dans le processus de raconter tout ce qui ne va pas qui a fait que eux aussi, au final, se
sont mis dans une position contre lui. Parce que ça... ça les a fait se rendre compte que
c'est pas possible, quoi. Heu... surtout que lui, entre-temps, son comportement s'est
pas amélioré du tout. Et donc voilà, progressivement, maintenant, ils en sont au point
où ça clashe, mais de manière vraiment... heu... vraiment flagrante, quoi. Ça ne va pas
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au niveau scientifique parce qu'il les bloque partout. Heu... parce qu'il a appris
évidemment que eux avaient aussi dit des choses très négatives sur son compte. Donc
il s'en... il s'en est pris à eux. Évidemment, ils se défendent comme ils peuvent,
maintenant. Donc ça a mis plus de temps, mais ils l'ont fait.
E : Donc tout le monde a réagi avec le même type de comportement que vous, ou avec
d'autres comportements ?
T6 : Non, je pense que L*** est un peu plus impulsif que moi, et moi, je suis plus
conciliant, je pense. Heu... ce qui fait que lui, tout de suite, quand ça allait pas, c'est
d'ailleurs pour ça que lui, ça a pété directement. Heu... le « connard », là, heu... ça a
pas... ça a pas raté. Parce que tous... tous les deux ont un tempé... un tempérament un
peu... rugueux, on va dire et entre eux ça a a fait des étincelles, quoi. Moi, je suis plus
conciliant, donc moi, ça a mis plus de temps. Les autres encore... encore un peu plus.
S***, lui aussi, est assez heu... répondant. Donc heu... surtout qu'il prend... il prend
d'abord beaucoup sur lui, et puis quand ça va pas, il a plus de contrôle... heu... voilà,
quoi. On a tous un comportement différent, enfin, qui est, je pense, juste le reflet de...
de ton caractère, quoi. Si tu es de nature impulsive, tu vas pas supporter ça très
longtemps. Si tu es de nature calme, et puis réfléchie, enfin pas réfléchie dans le sens
où eux ne sont pas réfléchis, mais plutôt à processer longtemps, à calm... à être
patient, on va dire. Ça prend plus de temps. Moi, j'ai pris longtemps avant de
vraiment... me fâcher. Et je pense que si par exemple... parce que moi, déjà
auparavant, il m'arrivait plein de trucs pas très agréables, mais je prenais sur moi. Je
prenais sur moi. Et je pense que si L*** avait reçu les trucs que moi j'avais... j'avais
reçus, ça aurait péter, déjà. Déjà, on va dire, deux ans avant, quoi, si c'était lui. Et
d’ailleurs, je pense que même s'il était arrivé ce qui est arrivé à AN***, elle a résisté
pendant huit ans, il aurait pas réagi de la même manière, et moi non plus, quoi. AN***
a vraiment beaucoup patienté, avant de... même pas de rentrer en clash, mais de
partir pour dépression, quoi. D'ailleurs, elle, elle s'en est jamais... directement,
ouvertement, elle a pris en pleine tronche, et heu... Et elle est partie, quoi. Elle était
toute seule, heu... et elle n'osait pas nous le dire, en fait. Quand ça allait pas, elle
venait pas nous dire « ça va pas ». Elle le protégeait, au tout début. « Oh, vous savez, il
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est comme ça, enfin machin, c'est pas grave ». Une fois... quand... quand il nous
arrivait un truc, quand à une réunion, il était... il avait un comportement bizarre, ou
qu'il nous criait dessus, dans... pendant la réunion, elle le protégeait pas mal, au tout
début. « Non, mais... », elle relativisait les choses, elle faisait vraiment le tampon, quoi.
Et heu... d'ailleurs, elle l'a regretté, après, elle... elle me l'a dit, quand... le jour où elle
devait partir, elle m'a dit « je suis désolée, parce que... à chaque fois, je le protégeais
pour vous, mais heu... au final, j'aurais peut-être pas dû réagir comme ça, et... ». Voilà.
Non, je pense que c'est vraiment par rapport... les réactions étaient le reflet du
caractère.
E : Et comment vous définiriez votre caractère ?
T6 : Moi, je... j'aime pas cher... j'aime pas chercher le conflit. Je suis pas très
conflictuel, on va dire, de caractère. Heu... sauf quand vraiment... j'aime pas qu'on... je
préfère à la limite qu'on s'en prenne à moi, plutôt qu'on... qu'on s'en prenne aux
autres, quoi, tu vois ? Moi, à la limite, je peux prendre sur moi, c'est pas grave, une
fois, deux fois, c'est pas un souci. Mais quand je vois qu'on fait du mal aux autres, ça
me heurte plus, déjà. Mais même comme ça, je suis pas conflictuel. Je suis très patient.
Heu... Et là, je pense que si il m’arrivait juste des trucs à moi et pas aux autres, enfin je
n'aurais pas demandé à ce qu'on porte plainte juste pour moi, par exemple, tu vois. Je
pense que c'est vraiment le fait que je me rende compte qu'il faisait des saloperies à
tout le monde, etc…, et tout, enfin je dis... « voilà, moi aussi, je suis avec vous, voilà ce
qui m'est arrivé, à moi », etc..., etc…
E : Si ça avait été qu'une personne, ça aurait différent, vous pensez ?
T6 : Ça dépend qui, heu... je sais pas, je sais pas dire, déjà, ça peut dépendre de
n'importe qui. Ça peut dépendre de quoi, exactement, qu'est-ce qui s'est passé ? Mais
en tout cas, moi, s'il m'était arrivé juste à moi des trucs, et pas aux autres, je... me
serais dit que c'est moi, le problème, déjà, parce que ça m'arrive qu'à moi.
E : Par exemple, si ça n'avait été que L*** ?
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T6 : Oui, justement, il y a LA***, au tout début, et puis il y a eu une personne qui a...
qui a quitté le laboratoire. Heu... ça n'allait pas, parce qu'elle avait un caractère assez
trempé, quand même. Même avec nous, des fois, ça allait pas. Enfin quelqu'un, qui,
dès que ça va... dès que ça va pas, ou même, dès que ça va pas dans son sens à elle,
elle s'engueule avec les gens. Je l'ai remarqué, on s'engueulait parfois pour des
broutilles. Mais même avec le boss, elle se laissait pas faire. C'était d'ailleurs la seule,
et on trouvait que son comportement était pas normal, elle. Ce qui est pas normal,
maintenant.
E : Qu’elle n’aurait pas dû s'opposer au boss ?
T6 : On trouvait que sa manière de faire était pas normale, tu vois. Quand... qu'elle
osait, etc…, ce... ce qui est contradictoire par rapport à la situation actuelle. Mais sur le
coup, nous, on était dans une ambiance où... dans une ambiance où on se laissait faire,
en fait. Et c'était vraiment la seule qui se laissait pas faire du tout, même avec lui. Et je
pense que c'est dans son caractère. Parce que même avec nous, elle... elle était moins
intégrée, déjà, dans le... dans le groupe, du fait de son caractère, vraiment... vraiment
trempé, quoi. Donc peut-être aussi du fait qu'elle était moins bien intégrée que nous
dans le groupe, on était moins amis, elle mangeait moins souvent avec nous, à midi,
etc… Donc nous, on était vraiment très très soudés. On s'est dit que c'est elle qui avait
un problème, quoi. Et c'est vraiment dommage. Ouais, mais lui, en fait, il faut savoir
qu'il a.... qu'il a... qu'il est très fort, lui. Il est extrêmement manipulateur. C'est heu...
c'est... quand il vient, il te dit « tu travailles très bien, toi, tu es mieux que... que untel,
etc… », il te met dans sa poche. Quand il te félicite juste pour casser quelqu'un d'autre,
toi, tu ne te rends pas compte qu'il casse l'autre, tu te rends compte juste qu'il te
félicite. Moi, quand il me dit « oh, c'est de très belles fuites, ça, hein, mieux que celles
de LA***, machin, ouais regarde ça, ça ressemble à rien, et tout ». Sur le coup, tu ne te
rends pas compte, parce que toi... tu es... tu es flatté. Il est très fort, pour... pour
manipuler. C'est un baratineur d'exception, quoi. On se rendait compte, quand même,
qu'il était heu... nul. Parce que ça, il faut le dire, il était vraiment nul dans son domaine.
Heu... il savait rien, il était pas à jour. Il était toujours à côté de la plaque quand il
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proposait des idées, c'était... une vraie catastrophe. Quand on exposait des trucs un
peu compliqués, il suivait pas. Donc ça, on s'en rendait compte, on aurait... on en
rigolait entre nous, quoi. Ça allait pas plus loin que ça. Il y avait quand même... je sais
pas, ce respect imposé, heu... qui faisait qu'on n'osait pas se rebeller.
E : Est-ce que l'entreprise a réagi ?
T6 : Oui, maintenant, oui, parce que le... le doyen a porté plainte contre A***... contre
le boss. Donc en fait, le doyen, quand il nous a écoutés, après, il a convoqué le patron.
« Voilà, voilà, tes étudiants sont venus se plaindre, avec quand même pas mal de
choses... intrigantes, qu'est-ce qu'il se passe ? », voilà, et apparemment, ils se sont
engueulés, parce que... et apparemment ils se sont engueulés, et le boss a pas
respecté le... le doyen. Il a dit qu'il allait passer au-dessus, etc. Et heu... le doyen a fini
par porter plainte, en notre nom, bien sûr, mais aussi en son nom à lui, contre le boss.
D’ailleurs, on a un papier du rectorat qui dit que « suite aux plaintes des étudiants,
suite aux plaintes du doyen de la faculté de médecine... », et maintenant, il y a une
instruction en cours, quoi, donc heu... contre heu... contre le boss. Heu... après les
différents témoignages, ils ont statué qu'il y avait heu... je sais pas comment on appelle
ça, heu... ils ont certifié que... que c'était pas juste un simple rappel à l'ordre, mais qu'il
devait passer devant une instruction de discipline, un conseil heu... disciplinaire. Parce
que c’était quand même des faits grave quoi. L'accumulation de tous les témoignages
présents et passés, d'ailleurs, même ceux du passé sont venus témoigner, pour nous
soutenir, quoi. Nous, on a été les chercher, pour heu... appuyer un peu ce qu'on dit,
que c'est pas juste nous, les affabulateurs mais que le gars a déjà fait ça auparavant, et
que ça avait été étouffé, auparavant. Mais voilà, on n'invente rien. Et d'ailleurs, quand
tu compares les écrits, les anciens écrits, avec... avec nos... nos plaintes à nous, tu peux
changer juste les noms, hein. C'est la même chose, c'est identique. Le gars se
comporte de la même manière. Ça, vraiment, moi... quand on a lu une plainte,
d'ailleurs, les trois, quatre pages de son ancienne secrétaire, on avait l'impression de...
de relire ce qui nous est arrivé nous, c'était vraiment... bluffant. Donc heu... non, l'ULB
a réagi, mais ça prend du temps, ça fait maintenant plus d'un an, il faut passer par là.
Lui a pris trois avocats pour se défendre, contre l'ULB, quoi.
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E : Pensez-vous que cela est plus dur dans votre entreprise plutôt que dans une autre
de pouvoir intervenir ?
Je sais pas te dire, j'ai pas les pieds dans une autre entreprise. Mais heu... J'ai
l'impression quand même qu'on a été pas mal soutenus. Enfin, je veux dire, ça... je
pense que dans une autre entreprise, on se serait fait virer directement. Je sais pas, j'ai
cette impression-là, je peux me tromper complètement, hein. Mais je pense que du
fait que dans l'ULB, il y a une certaine charte, il y a des règlements qui sont faits pour
ça, heu... peut-être pas... c'est pas vraiment très bien fait non plus, mais qui a quand
même heu... le cas de figure qui existe, et toute une série de procédures qui sont
établies à ce niveau-là, qui sont rassurantes. On s'est pas jeté dans la gueule du loup
comme ça. Nous, avant de... porter plainte, on a été voir s'il y avait déjà un truc qui
existait pour porter plainte. On a été voir, dans le cas du harcèlement, il y avait... heu...
d'abord, une médiation au niveau du doyen, et puis toutes les procédures. Donc il y
avait quand même un truc. On se lançait pas dans le vide, à porter plainte comme ça.
Maintenant, tu vois, dans une entreprise, s'il y a vraiment une procédure qui existe...
et je pense que ce qui nous a surtout aidés, c'était le fait qu'on était groupés. On
n'était quand même pas qu'une personne à porter plainte. On était plus de dix. Donc
ça, c'était quand même heu... confortant. Maintenant, dans le privé, je sais pas. Moi, je
travaille dans le... dans le privé, maintenant, mais je sais pas te dire si il y a quelque
chose... qui existe. Il y a les ressources humaines, on a les ressources humaines, etc…
E : Si, ça vous arrivait, maintenant ?
T6 : Moi, seul ? Ça dépend aussi de la gravité de la situation, dans la mesure où je... de
deux choses l'une. Soit je considère ce qui m'est arrivé comme un truc que je ne peux
plus laisser passer, et donc, s'il m'arrive quelque chose, maintenant, je réagis du tac-
au-tac. Soit je considère que je suis plus résistant au stress qu'auparavant, et que je
peux résister à n'importe quoi, maintenant. C'est selon. Maintenant, t'as toujours la
possibilité... ce que je pouvais pas faire, auparavant, dans ma thèse, de changer de
département. Quand tu fais une thèse, tu peux pas changer de département, c'est :
ton patron, il dirige tout. Là, maintenant, si j'ai un problème avec mon boss, ce qui est
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carrément impossible... je te promets, c'est l'exact opposé de mon patron précédent,
et ça me fait du bien. S'il m'arrivait un truc, je pense que je passerais... je pense que
j'en parlerais, et s'il le prend mal, je demanderais carrément de changer de poste. Il y a
moyen, il y a pas mal de possibilités, d'ailleurs. Parce que souvent, même... même
quand il y a pas de conflits, hein, donc voilà.
E : Quels ont été les obstacles les plus durs à dépasser pour pouvoir mettre en place
des comportements d’aide ou de soutien ?
T6 : Déjà psychologique, de se... de se dire on rentre en conflit avec quelqu'un qui gère
notre thèse. Le gars a énormément de pouvoir. D'ailleurs, c'est ce que je lui ai
reproché, un jour, parce qu'il me disait « tu te rends pas compte, dans quelle situation
je suis, est-ce que... est-ce que je suis à l'aise, selon toi, est-ce que c'est confortable,
selon toi ? ». Là, je lui ai dit « non, je peux bien le comprendre... concevoir que c'est
pas confortable non plus, voilà, d'être en conflit comme ça, mais mettez-vous à notre
place, est-ce que vous trouvez que nous, on est confortable ? On n'a aucun pouvoir ».
Parce que moi, sur le coup, cinq minutes avant, il m'avait heu... il m'avait dit « tu me
signes pas ma... ». C'est un papier qu'il fallait remplir avant de présenter sa thèse à la
faculté, pour dire « voilà, j'ai... j'ai terminé mes manip', je vais commencer à rédiger ».
Le patron doit signer ça. Et moi, il... il me... il me l'avait refusé. Il dit « non, je te la signe
pas ». Alors qu'avant, il me l'avait accepté. Et donc, je lui ai dit « regardez, d'un coup
de baguette magique, vous m'avez annulé toute... toute ma thèse d'un coup, là, vous
vous rendez pas compte du pouvoir que vous avez sur nous, nous, on n'est... on n'est
rien du tout, on est étudiants ». Donc c'est vraiment le fait qu'il ait un pouvoir. Ça, c'est
un premier obstacle, on se dit qu'il a du pouvoir sur nous, qu'il peut foutre en l'air
notre thèse, les articles, ce qu'il m'avait menacé de faire, d'ailleurs. Ça, c'est le premier
obstacle, c'est vraiment psychologique. C’est se dire on va rentrer en conflit avec ce
gars-là, ça va être des jours difficiles pendant un an, ça va pas être... deux-trois jours,
hein, ça va prendre un an, voire plus pour d'autres, et heu... ça va être la guerre, quoi,
et on n'est pas sûrs de gagner, et heu... on peut se retrouver à la rue, entre guillemets.
C'est vraiment le... pour moi, le plus gros obstacle, parce qu'une fois qu'on a franchi,
une fois qu'on se dit « c'est bon », c'est encadré, on va dire, de manière légale, par le
241
doyen, etc…, et tout. C'est bon... c'est bon, t'es dedans, tu continues, quoi. Faut se
lancer. Ça, je pense que c'était le plus dur. Comme on était en groupe, on faisait pas
seuls, c'était... c'était plus simple à mon avis. C'est ce que la vice-rectrice nous a dit,
« heureusement que vous étiez... heureusement que vous êtes tous soudés, entre
vous ». C'est d'ailleurs ce que lui nous reproche aussi, il nous dit « vous êtes tous
solidaires, dès que j'attaque à l'un, je tombe sur l'autre ». Il aime pas, à chaque fois, il
disait « je sais plus où donner de la tête, avec vous ». Je pense que c'est plus une force
qu'une faiblesse. On l'a vu, si on n'était pas soudés, ou quoi, tout serait ébranlé, on
aurait... on aurait perdu facilement.
E : Est-ce qu’il y a eu d’autres obstacles à dépasser ?
T6 : À part l'obstacle psychologique, franchement, de me dire « voilà, là, l'acte que je
vais poser... me met directement face-à-face avec lui », je suis juste... un... son
étudiant, mais je suis son étudiant qui est pourtant contre lui, quoi. Voilà, je m'oppose
à lui. À part le psychologique, franchement, une fois... une fois qu'on l'avait dépassé,
une fois que moi, personnellement, je l'avais dépassé, heu... c'est bon, quoi.
E : Même si ça vous demandait, par exemple pour les mails, un certain investissement
et implication ?
T6 : Non, au contraire, tu sais, c'était dans une mouvance où... où heu... tu avais
l'impression de participer à quelque chose. De le faire. En tout cas, moi, c’est comme
ça que je le vivais, ça me faisait plaisir, justement, de vérifier. Quand je vérifiais, par
exemple, souvent, S*** écrit un mail, et bam, je vérifie ce qu'il a écrit, je corrige
l'orthographe, je corrige la mise en forme, heu... « S***, parle de ça aussi, rajoute ça,
rajoute ça », voilà, moi, ça me faisait plaisir, j'avais envie qu'on envoie un truc, fondé,
réel, heu... qui soit juste, exactitude, qu'il y ait pas des trucs rajoutés, ou... que la mise
en forme corresponde vraiment à ce qui s'est passé, et heu... moi, ça me faisait
plaisir... quand je l'écrivait pas moi-même directement, mais en tout cas, de participer
à ce que ce soit envoyé, avec heu... que ça ait un impact, quoi, tu vois ? Donc heu...
non, il y avait une sorte de... comment dire, le fait qu'on parte tous ensemble, comme
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ça, il y a un mouvement, quoi. Je trouvais ça plus facile, et même... je dirais pas
« agréable », parce que c'est pas agré... enfin agréable, c'était plus... je sais pas
comment dire ça. Heu... stimulant, tu as l'impression de... de... de bouger, quoi.
Surtout qu'on savait que lui, de son côté, il... il était pas là les bras croisés, quoi. Et que
nous, on pouvait pas juste compter sur l'ULB, juste sur les éléments passés, mais heu...
il fallait aussi, à chaque fois, comme le disait la vice-rectrice, alimenter le dossier en
continu. Dès qu'il se passait un truc, il fallait le... l'apporter, il fallait que ça s'empile, si
on voulait que ça bouge, il fallait plusieurs preuves, heu... à charge, quoi. Et donc, il
fallait absolument bouger, et être actif, quoi. Donc je pense que c'est ça qui faisait que
heu... que c'était même plus facile de participer, que de rien faire. Ne rien faire, tu
avais l'impression que... que tu es en train de perdre, quoi. Tu vois ce que je veux dire ?
Si tu fais rien, ça n'avance pas, et tu as l'impression que... que lui, de son côté, avance,
et... une fois... une fois qu'on avait décidé de se battre, il fallait y aller.
E : Donc la dynamique de groupe avait un vrai rôle ?
T6 : Oui, ça nous a vraiment soudé entre nous, on est super heu... maintenant on est
devenu beaucoup plus proches qu'on l'était avant, grâce à lui. C'est pas juste l'effet
heu... l'effet « ennemi commun », il y a plus que ça, parce qu'il y a tout ce qu'on a
passé entre-temps, tout ce qu'on... qu'on a fait l'un pour l'autre, c'est pas juste on se
voit ensemble, pour un... pour un même objectif, non, c'est vraiment, toute
l'expérience qui s'est passée, où on s'est soutenu les uns les autres. C'est ça qui nous
a... qui nous a soudés, c'est pas vraiment l'ennemi en commun. Lui, il a des fois essayé
de nous diviser entre nous, donc c'est pas...
E : Qu’est ce qui aurait pu faire que vos comportements soient différents (plus ou
moins présents) ?
T6 : Qu'est-ce qui aurait fait que je me serais mis en retrait ? Parce que là, je me suis
mis contre mon patron, et qu'est-ce qui aurait fait que je me serais mis en retrait et
rien fait ? Je pense que dans... dans les événements qui se sont produits, je ne pouvais
pas le faire, c'est impossible. Tout allait dans le sens où... ce gars-là est pas... quelque
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part, quelqu'un de bien, et ce qu'il fait n'est pas normal. Heu... à partir de ce constat-
là, tu pouvais pas faire autrement. Moi, j'ai... j'ai été éduqué comme ça, heu...
comment dire... c'est de l'injustice, et c'est surtout abusif au niveau du pouvoir. Je
supporte pas de voir un gars qui a du pouvoir faire ce qu'il veut des autres, sous
prétexte qu'il a du pouvoir, quoi. À la limite, qu'il l'utilise en bien, entre guillemets,
pour les aider, ça, c'est magnifique. Mais quand il l'utilise pour écraser les gens et les
humilier et faire ce qu'il veut d'eux, c'est pas supportable. Tu peux pas laisser faire ça.
Donc de son côté, c'est super lâche et c'est... après, je pourrais pas... je m'en prendrais
pas à moi-même. Je crois que je suis pas comme ça. Tu peux le faire dans un coup de
faiblesse, une fois, à la limite, je sais pas, je dis ça comme ça, mais heu... là, par rapport
à la situation qui s'est produite, c'est impossible, je peux pas l'imaginer. À la limite, ça
m'aurait peut-être... j'aurais peut-être pu réagir avec plus de temps, dire heu... me
laisser aller plus de temps, mais à un moment donné, ça aurait pété, ça aurait pété,
c'est pas possible.
E : Et si, vous n'aviez pas eu le soutien de l'ULB ?
T6 : Sans le soutien de l'ULB, tu n'es rien du tout, ils te mangent tout cru. Autant pas
faire de bruit, tu dois rester bien gentiment, tu termines, tu peux partir, et tu le...
essayes de partir, quoi. Heu... non, sans le soutien de l'ULB, tu peux rien faire. À la
limite, passer par la presse, ce qu'on pensait faire, à un moment donné, bon là, c’est se
mettre l'U... l'ULB à dos, et là, tu es foutu, t'as pas de thèse. Alors que nous, on était là
pour faire une thèse, à la base.
E : À l'inverse, est-ce que si certaines choses avaient été différentes, ça t'aurait incité à
agir plus vite ou plus directement ?
T6 : S'il avait frappé quelqu'un. Ce gars-là, quand même, il est... il est quand même
costaud, en attendant, il fait peur. Il est super impulsif, des fois, il contrôle pas ce qu'il
dit, il réfléchit pas, des fois, avant de parler. Donc il aurait pu très bien glisser, déraper.
D'ailleurs, il l'a dit une fois, à N***, il lui avait dit heu... « des fois, j'ai envie juste de... si
je me retiens pas, je lui explose la gueule », à moi ou à untel, tu vois. Donc s'il avait
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frappé quelqu'un, je pense que ça aurait été beaucoup plus rapide, ne serait-ce que
pour nous, déjà. On n'aurait pas tergiversé deux fois avant d'aller porter plainte. Et
heu... l'ULB n'aurait pas tergiversé non plus avant de... de le foutre dehors. Ce qui est
malheureux, c'est que... c'est ça que je comprends pas, c'est que heu... il y a une
différence entre frapper quelqu'un et les harceler, ou leur faire du mal, on va dire,
verbalement, ou par des actes non violents. Non violents, on va dire, physiquement.
Mais quand même, hyper violents, quand tu rentres chez toi et que tu es... tu es
fracassé, quoi, et que t'as le moral à zéro pendant des semaines et des semaines. Et ça,
c'est pas sur le... même degré d'égalité, ça, je comprends pas. Moi, ça me… sidère,
surtout que dans la mesure où après que tu aies porté plainte, on te remet avec lui
dans le même bain. Lui, sachant que tu as porté plainte contre lui. Et tu es là, pendant
un an. Pour ceux qui sont encore là, ça n'a pas changé. Ça, c'est... c'est pas normal,
pour moi, alors que heu... c'est comme si tu mettais un agresseur, hein, pour moi, c'est
la même chose, avec l'agressé, à cohabiter pendant un an ensemble. Ça n'a aucun
sens. Et heu... je sais pas, pour moi, c'est un truc que je comprends pas. Donc ça aurait
été plus vite s'il avait frappé quelqu'un, mais ça va pas spécialement plus vite s'il fait du
mal à dix personnes.
E : Est-ce que il y a d'autres choses qui auraient pu changer votre attitude, vos
comportements ?
T6 : Si les gens étaient partis si heu... on se retrouve plus que deux ou trois, ou de...
des dix, on n'aurait pas été jusque-là. C'est la force du nombre qui a fait que... on était
tous déterminé... on aurait été beaucoup moins nombreux, on n'aurait pas agi de la
même manière. Et aussi, si toutes les personnes n'étaient pas décidées, même si elles
étaient là mais pas décidées, ça aurait été plus compliqué, quand même. Parce que du
coup, lui aurait... il y en a cinq qui portent pas plainte, il y en a deux qui portent
plainte, c'est que c'est leur problème, c'est pas les autres.
Commentaires pendant la passation du questionnaire :
T6 : Heu... moi, il y a le harceleur, bien sûr, il y a aussi l'entreprise, parce qu'elle savait
245
que ce gars-là avait déjà un problème, avant, ils l'ont... ils nous l'ont un peu caché. Moi
j'aurais aimé savoir, en arrivant, que le gars avait déjà un passif, à ce niveau-là. Je
serais pas venu. D'ailleurs, c'est pareil, pour le nouveau heu... qui s'est ramené, heu... il
a jamais su que ça s'est passé, et maintenant, il est train de chercher un autre
laboratoire, quoi, tu vois. Enfin, il essaye de pas faire ça devant le boss, donc il cherche,
parce qu'il... qu'il le supporte plus non plus. Il a aucune liberté à travailler. Il est tout le
temps sous son joug, il se fait engueulé.. donc moi, le harceleur, parce que c'est
normal, mais l'entreprise, parce que heu... elle nous a caché son passif, quoi.
Maintenant, je veux bien comprendre que eux n'auront pas arrivés, « bonjour, lui, c'est
un harceleur ». Je veux bien le croire aussi, donc je sais pas comment... le mettre en
cause sans...
Tu veux dire, avant le conflit ? Parce qu'il y avait quand même deux phases, hein. Celle-
là a existé...
E : C'est très globalement, dans l'entreprise, en général, pour vous comme pour les
autres, quoi.
T6 : Oui, mais je veux dire, avant que ça pète, quoi. Puisque quand ça a pété, ça a été
radicalement différent. Au début, on était dans une... dans une... interaction l'un par
rapport à l'autre, de façon sécurisé, donc on est soumis, on est conformes à ce que lui
veut qu'on fasse. Ça, c'était avant.
Non, ça, c'est pas le cas, ici. On n'a jamais été en compétition les uns avec les... les...
E : C'est pas votre attitude à vous, c'est vraiment comment tu dis décris l'entreprise.
Est-ce que c'est... c'est une entreprise qui va vous pousser à évoluer ? Plutôt une
entreprise qui vous pousse à vous taire, pour réussir à vous conformer à ce qu'on dit,
ou est-ce que c'est plutôt une entreprise qui va vous heu... vous forcez à vous marcher
dessus, pour... ?
T6 : Non, elle nous a jamais... enfin on a jamais été en compétition les uns avec les
autres, on travaille ensemble. On travaille ensemble, on se donnait des coups de main,
246
on était amis. On était vraiment amis, on faisait des sorties ensemble, et tout, donc
heu... c'est clairement pas la dernière, mais on était quand même soumis à l'autorité,
donc il nous mettait dans une position où on pouvait pas trop l'ouvrir, par rapport à lui,
quoi. C'est lui, le patron. Celui-là, je dirais... je dirais vraiment celui-là, par... je dirais le
premier, mais le deuxième n'est pas contradictoire avec le premier, quoi. Je sais pas si
tu...
E : Mais le deuxième, est-ce que c'est plus dans ton interaction avec lui en particulier ?
Ou est-ce que ça représente vraiment l'ULB en général ?
T6 : Ah, tu parles de l'ULB, toi, ici ?
E : L'entreprise, ici, c'est l'ULB, c'est pas juste lui.
T6 : D'accord. Alors je dirais le premier, ou quoique, à l'ULB, tu as les laboratoires, où
ils sont en compétition les uns avec les autres. Le laboratoire de Blanpain, c'est le
premier qui a le plus d'infos, et premier auteur, le deuxième, deuxième auteur. C'est
une compétition pour être le premier auteur. Donc l'ULB, tu peux pas la décrire
comme... maintenant, dans le papier, dans les titres en théorie, c'est censé la... c'est la
première, on est ensemble, pour un standard élevé.
Dans la mesure où... en dehors du fait qu'on devrait se soumettre à l'autorité, etc.,
être conforme, il y avait quand même un objectif de... faire du bon travail, un bon
travail de thèse, mais sans jamais… il nous a jamais dit « le premier qui y arrive a
gagné », tu vois, ça a jamais été comme ça. Ça a jamais été comme ça. Heu... au
contraire, il nous encourageait à travailler les uns avec les autres, pour faire avancer le
travail de l'un ou de l'autre. Quand même favoriser le sien, mais si... quand on avait
besoin d'un coup de main, il allait jamais nous dire « non, ne l'aide pas », quoi. Donc
ça, c'est sûr et certain.
E : Et du coup, est-ce qu'il y en a un des deux vers lequel vous penchez plus ?
T6 : le... on va dire le premier, mais le deuxième, ça va... alors du coup, je l'élimine, et
247
c'est... c'est un manquement, quand même. Parce que c'est vraiment heu... quand tu
arrives dans ce labo, tu sens tout de suite que le gars, c'est le boss, et toi, t'es pas le
boss. Tout le monde, hein, je veux dire, c'est les vouvoiements, c'est le... l'autorité,
c'est… il te prend dans son bureau, tu te tais, tu fais... tu fais ce qu'il te dit. Dans une
posture où t'as pas vraiment ton mot à dire, hein.
E : Là, ici, dans celui-là, l'idée, c'est que les individus interagissent, donc c'est pas
seulement le patron et vous, on fait en sorte que vous aussi, entre vous, vous resteriez
bien dans votre petite case.
T6 : Non. Non, entre nous, des fois, on s'eng... on s'engueulait entre nous, mais on
rigolait, on était comme des amis, quoi, il y en avait pas un qui était soumis par rapport
à l'autre. Il y a pas de conformité, non, on n'était pas... heu... comment dire. Froid les
uns avec les autres, juste là pour travailler, et pas de...
E : Dans celui-là, c'est plutôt l'idée, de faire en sorte que vous, vous soyez bien dans
votre petite place pour éviter les vagues. Ou on fait en sorte que vous vous aidiez, ou
on fait en sorte que vous vous écrasiez les uns les autres.
T6 : Non, non, on s'a... on s'aide entre nous, et heu... moi, il y a plein de fois où je... je
bossais avec AN***, je bossais avec heu... C***, etc., ou je passais le dimanche soir, je
lançais mes cultures à moi, je lançais celle des autres aussi, tu vois. Le samedi matin, il
y avait Anne qui passait, qui faisait des trucs pour nous, tu vois, c'est toujours... on
s'arrangeait entre nous pour que... pour que quand quelqu'un a fait quelque chose, et
qu'il peut aider l'autre, il le fait, quoi. Non, on avait une très bonne ambiance, ce qui
fait qu'on était vraiment amis entre nous.
E : D'accord, OK.
T6 : Voilà.
248
9.9. Retranscription de l’entretien avec le témoin n°7
E : Pour commencer, je vais vous demander de vous présenter en expliquant votre
position de travail et vos liens avec la personne cible et le « harceleur », et de
m’expliquer en quelques mots la situation.
T7 : Donc... moi je travaille dans une entreprise où je suis amie avec la directrice, et
euh, elle a reçu un courrier euh... qui avait été envoyé euh... euh... à la directrice des
ressources humaines de la part d'une des salariés comme quoi au cours d'un entretien,
elle l'aurait traité de conne, et elle lui aurait parlé sur un ton, euh, euh, inconvenant,
etc… Il y a... elle m'en parle, et elle est comme une furie, parce que d'abord je pense
qu'elle est atteinte dans sa... dans, dans, dans... dans son... ça l'a touche, dans son...
l'image qu'elle, qu'elle veut renvoyer, et que, elle va devoir s'expliquer sur ses
comportements. Donc c'est quelque chose qu'elle supporte très mal, d'abord, rendre
des explications à la hiérarchie, et quand elle, elle, elle... elle aime ce poste de
direction, puis que, c'est quelqu'un qui aimerait bien tout diriger, donc... bon... Et elle
se sent prise au piège, quoi. Et, et moi je lui dis : « bah, euh, peut-être, peut-être
euh... » Donc tout de suite elle la traite de... elle la traite de conne, de machin, ce que
l'autre avait rappelé, euh, bon, très curieusement. Et je lui dis : « mais peut-être que ta
façon de parler », parce qu'elle a une façon de parler très péremptoire, et assez euh...
elle ne se rend pas... enfin, j'espère qu'elle ne se rend pas compte et que ce n'est pas
tout le temps, parce que même vis-à-vis de moi, ce n'est pas très agréable, qui est
assez cassante, qui est assez... il paraît qu'il faudrait qu'on ait plus d'humour, mais je
trouve que... il y a des limites, et que... elles sont parfois franchies. Bien... Donc je lui
dis : « écoute, bon, voilà, on est en fin d'année, tu es fatiguée, on a eu beaucoup de
boulot, tu, t'es, peut-être que, euh, la façon dont tu as parlé elle n'est pas non plus
euh... on peut la décrypter, on peut comprendre ce qu'il se passe quand on est près de
toi, qu'on est amie, et que je sais comment tu fonctionnes, par contre, pour quelqu'un
d'extérieur, ce n'est pas forcément évident et c'est très violent, donc peut-être que...
voilà...
E : Du coup, qu'est-ce qu'il s'est passé après par rapport à cette personne, la personne
249
cible ?
T7 : Euh... Alors, elle a été convoquée... par la direction générale, par la... Et ça a été un
stress terrible pour... pour... mon amie, qui n'admettait pas, qui devait justifier et, et
qui avait peur... une peur panique... Voilà... Alors, après, je ne me pose pas en juge,
mais je pense que quand on est... quand on n'a rien à se reprocher, on, on ne monte
pas si haut dans... les degrés de stress et de... Et donc, moi, je lui ai dit : « mais, écoute,
enfin, n'en fais pas un fromage. Peut-être, tu lui as pas, tu lui as parlé un peu sec, et
qu'elle réagit mal, voilà ». Et elle me dit : « ouais, c'est depuis qu'elle est élue, euh...
euh... au CHSCT, elle se prend pour quoi ? » Mais je lui dis : « mélange pas tout enfin. »
« Ouais, ces gens-là, ils ont le droit de tout... » Et bon... Donc, j'ai, j'ai senti fort que
voilà, elle était... Elle, elle manquait de droit, visiblement, par rapport à... et que son,
sa position et son comportement, tout était remis en question. Donc... Bon... Et puis
moi, je n'ai pas non plus à mêler de, au-delà quoi. Donc on est parti, on s'est quitté,
euh, à la fin de la semaine pour les vacances, et je n'ai pas eu de nouvelles. Il se trouve
que, voilà, ils devaient venir dîner ici, parce que c'est comme ça depuis vingt, plus de
vingt ans, que... voilà, elle m'a avoué que j'ai bien vu que, ça, c'est... ils étaient pas, ni
l'un, ni l'autre bien, que... les cadeaux étaient pas comme d'habitude, que c'était des
cadeaux de convention, et que c'était pas des cadeaux affectueux. Puis donc, j'ai fini
par lui dire : « mais qu'est-ce qu'il se passe ? Enfin, il y a quoi ? » Et elle m'a avoué
qu'elle m'en voulait de pas l'avoir soutenue. Je lui ai dit : « mais bon, enfin, soutenue
de quoi ? » J'ai dit : « mais enfin, pour quelqu'un qui te reproche d'avoir eu un
comportement qu'elle n'a pas accepté, si moi je te dis pas de... bah... enfin, attention,
peut-être tu... peut-être tu peux aussi entendre des choses et écouter. Et tout de suite,
et tout de suite tu balaies tout, c'était que : « c'est une conne », moi tu me jettes, mes
enfants tu les jettes, 25 ans d’amitié, tu jettes, je trouve que c'est beaucoup pour
quelqu'un qui dit : « je ne veux pas que vous me traitiez de conne » ». Enfin, la
proportion, c'est disproportionné. Et quand on est rentré, elle n'avait qu'une
obsession, c'était de lui faire la peau, « de toute façon, je l'aurais, je lui ferais la peau ».
Et j'ai essayé de lui faire comprendre que ça n'avait pas de sens, et que... euh... euh...
et qu'au départ, c'était parti d'une réflexion justifiée de la direction sur l'application
d'un règlement intérieur, et que, euh, on en arrivait à un règlement de compte de
250
personne à personne, et surtout à... euh... à une volonté de broyer l'autre par tous les
moyens, donc euh... euh... mettre au courant la responsable du service, la responsable
du service, qui, qui, qui de toute façon est... quelqu'un qui a les dents longues et dures,
et qui méprise tout le monde, alors ça a été un jouet délicieux. Et je trouve ça
dégueulasse, voilà, je trouve ça dégueulasse, parce que ça n'a, parce que ce jeu-là n'a
pas lieu d'être. Il y avait un règlement intérieur qui n'était pas respecté, elle lui mettait
une lettre « vous n'avez pas respecté, voilà », je vous rappelle ou je vous mets un
blâme, ou... Je veux dire la juste punition qui va avec le non-respect, après elle l'a
traitée soi-disant de… Il y a deux solutions : soit c'est faux, et euh, elle dit : « bah
écoutez, qu'est-ce que vous voulez que je... » On était toutes les deux dans le bureau,
donc... Vous le dites, bah vous le dites, et je dis non, bah je dis non, et puis ça s'arrête
là, parce que ça n'a pas lieu d'aller au-delà. Mais c'est comme si elle avait remis en
place, en jeu toute sa fonction de direction, son incapacité à l'être, et puis de toute
façon, effectivement, ses peurs d'assumer, finalement au plus profond d'elle, ce poste
de direction puisque, moi je sais que si elle m'a embauché, euh, quand elle a pris ce
poste, c'est pour... parce qu'elle avait besoin de moi, elle me l'a dit. Euh, donc, c'est
qu'elle n'était pas sécure. Et cette insécurité est à l'origine de cette, de ce... le fait que
quelqu'un la mette en situation de, d'insécurité, sa solution c'est la broyer.
E : Par rapport à cette situation de harcèlement, comment vous êtes-vous situé ? Vous
avez essayé de parler au harceleur si je comprends bien ?
T7 : Oui, que ça ne... Bah... ça n'a pas, enfin ça n'a pas de sens, et... et ça ne résout pas
le problème fondamental, qui est que sa position de directrice, c'est de faire respecter
un certain nombre de règles, ça, on s'entend, et que ça, c'est perdu, c'est-à-dire
qu'aujourd'hui on a un règlement qui est de l'intime, c'est-à-dire : « tu dis que je te t'ai
dit que tu m'as dit que je t'ai dit, et que moi je suis la directrice, et moi je te broie. Toi,
tu as pas le droit à la parole, et je te permets pas de dire ça ». Alors, à juste titre ou
pas, je veux pas, je veux pas savoir. Mais pourquoi ? Si cette personne raconte des
mythos, il y a des solutions propres qui font qu'on lui met une lettre, que si elle
perpétue, et d'ailleurs on a été cherché, et on a trouvé, bien évidemment qu'elle avait
commis des fautes dans son travail, et on en fait une deuxième et on la licencie. C'est
251
un processus qui existe, qui est légal, ça ne fait pas de vague, ça s'applique comme un
rouleau compresseur, et c'est son, son positionnement à ce moment-là de directrice
qui fonctionne. Le fait de ne pas enclencher ça, mais dans la passer au broyeur
pendant des semaines et des mois, et de l'obliger à venir produire son travail comme
une petite fille, c'est-à-dire la positionner vraiment comme, comme quelqu'un qui
n'est pas capable ni de penser, ni d'être responsable, ça, c'est dégradant. Et ça, elle le
joue à deux maintenant, avec la chef de service et avec elle. Et ça, c'est dégradant. Et
ça les fait marrer de voir cette salariée, maintenant, avec des plaques sur la figure,
avec des boutons, et « ce n'est pas fini, on va voir ce qu'elle va voir », j'entends.
E : Et vous hiérarchiquement, vous êtes qui par rapport elle ?
T7 : Je suis... Moi je suis en dessous... Je suis en dessous de la directrice, et je n'ai
aucune relation hiérarchique avec cette salariée.
E : D'accord, vous êtes dans un autre service en quelque sorte.
T7 : Voilà.
E : Est-ce que c'était habituel, déjà avant de lui parler, de lui dire les choses comme ça
quand il y a quelque chose qui vous choque ?
T7 : Oui. Oui. Mais je pense que c'est pour ça qu'elle a confiance en... Enfin, que voilà,
on a... On est habitué à se dire les choses. J'entends, quand elle me dit des choses,
même par rapport à ma vie ou mes enfants, ou... Ce n'est pas toujours ce que
j'aimerais entendre, ou ça n'a pas toujours la pertinence que je voudrais, mais
j'entends. Et elle, elle sait qu'elle peut avoir confiance en moi. Par contre, comme tout
un chacun, quand on n'a pas envie d'entendre des choses, ou les choses les plus
difficiles qui font qu'on doit se remettre en question, on ne les entend pas bien
évidemment, ou on les entend dans une voix très lointaine. Alors, là, ça commence à...
à décanter, parce que... euh... Je lui ai dit que je n'avais plus envie de venir travailler,
que cette ambiance-là, je ne la supportais pas, que remettre en question notre amitié,
252
ça n'avait pas de sens, que si ça allait jusque-là, j'en prenais acte, mais que je n'avais
plus... je ne voyais pas ce que je pouvais faire dans cette relation-là, et que... euh...
Voilà, je trouvais que c'était pas digne d'elle, que c'était pas... Je, moi je lui ai dit, je lui
ai dit : « tu as la trouille, et tu as la trouille de toi, de ta légitimité, de... », voilà... « C'est
polluant, c'est nul, ça va te retomber, ça te revenir dans la figure parce que tu fais chier
tout le monde avec ça, et que c'est récurrent dans tous les services, et que ça va
tourner, tourner, tourner, et tu vas le prendre dans la figure, parce que tu nous fais
chier avec ça, tous, tu pollues tout. Donc, c'est comme tu veux, mais voilà, moi, ce sera
sans moi », parce que, voilà, je... je peux m'arrêter de travailler, j'ai l'âge, et je m'en
fous, je participerai pas à ça, mais parce que j'ai une relation d'amitié, et parce que je
suis en fin de carrière. Je serais au milieu de ma carrière, ce n'est pas simple de
prendre position quand on a besoin d'avoir son travail, je sais ce que c'est, j'ai élevé
mes gamins toute seule, donc je sais ce que c'est, et qu'on peut comprendre, et puis je
l'ai vécu il y a déjà vingt ans, et je sais que les collègues qui étaient avec vous, qui
voyaient le harcèlement, qui entendaient le harcèlement trouvaient ça dégueulasse,
mais que le jour où vous avez eu besoin, euh, d'un témoignage, euh, eux aussi ont eu
besoin de garder leur boulot, et tout le monde s'est tu. Donc je sais comment ça se
passe, et je... et je l'ai vécu, et je ne veux pas participer à ça. Donc j'ai essayé de lui
faire comprendre. Euh, il semble que... voilà, elle est un peu dépassée, et tant mieux,
parce que chacun peut avoir ses faiblesses. J'espère que ça ne se reproduira pas. Je
n'en suis pas sûre. Alors, je me dis que peut-être rester, c'est peut-être veiller encore
au grain et l'empêcher d'aller un peu plus loin.
E : Est-ce que c'était facile, ou est-ce que ça vous a demandé un effort particulier,
d'aller lui parler ?
T7 : C'est difficile. Quand quelqu'un a, comme ça, a comme ça sa proie dans la gueule
et, et, et n'a pas l'intention de la lâcher, et euh, se concentre, ses forces, son esprit,
son idée, que dans l'idée de la broyer, euh, ils sont pas accessibles, quoi. Ils ferment les
accès. Et je pense que... peut-être que la seule chose qui l'a... c'est que je lui ai dit que
j'allais arrêter. Je lui ai dit : « moi, je... je... j'ai plus de plaisir à venir euh... » Ça ne va
pas. On déjeune, on en parle, on arrive, on en parle, on se voit... Euh... Non... pas...
253
pas... je, je ne vois pas l'intérêt de gérer les choses de cette façon, et surtout là encore,
en repartant de là où c'est parti. J'ai dit : « maintenant, te voir chercher, comme on
m'a fait il y a vingt ans, tout, tout, tout ce qu'on pouvait trouver de, de, de faux, de,
de... Mais pour se justifier, euh, euh, à, un comportement non adéquat, je peux pas, je
ne peux pas cautionner ça ». Donc, je, je, voilà, j'avais une idée autre de toi, et je ne
peux pas, je ne peux pas... Voilà.
E : Pourquoi avoir réagi de cette façon plutôt qu’une autre ?
T7 : Alors, je crois que... euh, il y a, il y a... il y a un problème de personnalité, j'ai une
formation d'avocate, je supporte très mal euh les injustices et les... je supporte très
mal quand les faibles euh... utilisent des moyens pernicieux voire illégaux pour assoir
leur pouvoir, c'est un truc qui me dégoûte. Donc je ne peux pas aller quelqu'un qui se
dit être mon ami, et que je pense être mon ami agir de cette façon. Donc ce n'est pas
grave, on n'est plus amies, on n'est plus amies, mais moi je... enfin, si c'est ça, si elle
est devenue ça, je ne peux pas la garder comme amie. Donc c'est... euh... ce n'est pas
plus grave que ça, elle a le droit d'évoluer, elle a le droit de changer, moi je ne suis pas
obligé de la garder. Je... voilà, je me positionne, je me positionne avec... j'ai besoin
d'être... j'ai besoin d'être claire avec moi, j'ai besoin de me regarder dans la glace, et je
ne veux pas être salie par ça. Je ne veux pas porter ça. Et cautionner ça, en restant
l'amie de quelqu'un qui se comporte comme ça, que je ne respecte pas.
E : Vous évoquiez aussi le fait que d’avoir été vous-même victime de harcèlement il y a
quelques années. Est-ce que ça a pu jouer un rôle ?
T7 : On est toujours dans sa vie plus ou moins victime de gens comme ça. Euh, donc, la
seule chose, c'est quand justement on a quelqu'un qui se dit, et que l'on, et que l'on a
comme amie, que l'on a acceptée comme amie, et qui se met à fonctionner comme ça,
c'est juste pas possible. Donc on doit se positionner, euh, tant pis, ou peut-être tant
mieux, parce que ça va lui permettre de, de... voilà, de comprendre que, elle, elle doit
changer, elle, elle doit peut-être travailler sur elle, comprendre pourquoi elle
fonctionne comme ça, pourquoi ça la met dans une telle colère, pourquoi elle, elle est
254
amenée à se défendre aussi fort, alors que... bon... ça pouvait être très simple, et
pourquoi ça, ça secoue autant, quoi, et pourquoi dès lors il faut détruire. Détruire
quoi ? Celui qui a vu sa propre faiblesse, c'est ça ? Et bah on assume. On est faible, on a
des faiblesses, et on est des humains, et c'est comme ça. Euh... Donc on assume ce
qu'on est pour pouvoir évoluer, et se dire : « merde, j'ai fait une connerie, je suis allée
trop loin. Bah, voilà, je ne peux pas me permettre, en tant que direction, de directrice,
de me comporter comme ça, donc je dois changer ». Voilà. Si on n'est pas capable de
faire ça, on... voilà... me semble-t-il... Tout le monde a ses faiblesses, et tout le monde
a... la seule chose, c'est quand on se rend compte que ça génère des situations
conflictuelles, et qui ne sont pas positives, en premier lieu pour soi, on se dit : « je
recommence pas, quoi ». Et peut-être qu'il faut que je... moi, que je comprenne
pourquoi je suis partie comme un, voilà, comme un tonton comme ça, en boucle, et
pourquoi je fonctionne comme ça. Il me semble que ça, mais c'est comme ça que moi
je... je ne veux pas dire que je suis parfaite, j'ai aussi mes... j'ai aussi mes élastiques qui
me rattrape, et je suis aussi capable de... voilà, de péter un câble quand il y a des
choses qui, qui, qui me... Voilà. Mais je pense que l'amitié, c'est aussi ça, c'est être
capable de se dire : « là, tu vas trop loin, tu déconnes, ça ne va pas ». Donc... Donc
voilà.
E : Est-ce qu'il y a d'autres choses que vous avez pu mettre en place, d'aide ou de
soutien par rapport à la victime directement ?
T7 : Je continue à avoir le même comportement, même si elle sait que nous sommes
amies, euh... Je... Voilà, je, j'ai le même comportement, je lui dis bonjour, je lui
demande... enfin, voilà : « ça va bien ? Un café ? Un machin ? » Je travaille avec elle.
C'est ma façon de la soutenir, c'est-à-dire de ne pas la fuir, de ne pas alimenter les
discussions que j'entends dans les coins de couloir, avec les représentants du
personnel, et tout ça, d'avoir un comportement neutre, qui ne change pas de celui que
j'avais avant.
E : Donc c'est habituel comme comportement ?
255
T7 : Oui. Ouais.
E : Et c'est plutôt facile à mettre en place ou est-ce que ça te demande un effort ? Par
rapport aux autres par exemple.
T7 : C'est plutôt les autres qui se méfient.
E : De quoi ?
T7 : De moi. Et c'est à moi de leur montrer que... euh... ma relation privée, euh, avec
cette directrice, et ma relation professionnelle sont deux choses différentes. Voilà.
Donc dans mon travail, je n'ai pas à savoir ce qu'il se passe dans les autres services,
donc j'agis de, de, de... J'agis comme si je ne savais pas et comme si je n'étais pas au
courant, et comme si... Voilà. Et dans la relation privée, ça me permet de lui dire
qu'elle déconne.
E : Donc c'est plutôt facile ou difficile ?
T7 : C'est difficile. Ouais, enfin... là-dessus, je crois que les gens savent que je suis
honnête. Je crois que les gens savent aussi que... euh... il y a des gens qui sont anciens,
qui connaissent, qui connaissent mon passé, parce que c'est une boîte où j'ai déjà
travaillé, et où j'ai déjà subi du harcèlement, il y a, il y a plus de vingt ans. Et les gens
savent que je suis quelqu'un d'honnête, et de franc. Donc ça me... c'est bien et c'est
pas bien, parce que euh... parce que... parce que tout le monde n'a pas ces, ces, ces
valeurs-là, et que... euh... elles ne sont pas forcément les bienvenues dans le monde
du travail. Bien. Donc quand j'ai quelque chose à dire, je le dis, qui que ce soit, et que
ça me paraît fondé, et sinon, je ne mêle pas des affaires des autres. Donc quand j'ai
quelque chose à dire en direct à quelqu'un, je lui dis, je ne passe pas par... Et je... Voilà.
Bah, on peut pas tout dire, il faut apprendre, à, à, à modérer, à moduler, à, à... à
prendre du recul, et à ne pas... à faire en sorte que les gens fassent ce qu'on a besoin
qu'ils fassent, et sans, et sans pour autant tout dire. Mais euh... mais ça donne aussi
une liberté d'action. Ce n'est pas facile, mais... euh... Les gens savent aussi qu'ils
256
peuvent compter sur, sur moi, que je suis fiable. Voilà. Donc... Ouais, ça me rend, ça
me donne une liberté. Et je pense que ça donne la liberté aux autres aussi. Euh... Les
gens sont comme ils sont, je m'en fous, euh, à partir du moment où il y a un respect
dans la relation de travail et qu'il y a un professionnalisme dans le travail qu'il exécute.
Le reste, ça n'a pas à me regarder, me semble-t-il, et c'est ça qui est particulier avec
euh... avec ma collègue de la direction, c'est que moi je la connais dans l'intime, et que
je sais qu'elle a évolué, je sais qu'elle a changé, et qu'aujourd'hui plus elle monte, et
plus elle est en situation d'insécurité, dans son moi profond, et plus elle est violente,
dans ses propos, dans sa façon de s'adresser aux autres, elle est cassante, elle est
nerveuse, elle est... Et pourtant, le pouvoir la fascine, je pense.
E : Et pourquoi avoir décidé de garder cette neutralité, plutôt que de suivre les autres
par exemple ?
T7 : Euh, parce que je ne peux pas être témoin, euh, de quelque chose qui est... euh...
Qui est dégradant, qui est... je ne peux... je ne peux pas accepter d'être témoin de... de
deux adultes, de deux humains euh... Dont un n'a comme quête, comme un animal,
que de détruire l'autre. Je pense qu'on a, on n'est pas des animaux, enfin... on n'est...
on n'est pas des animaux, on a la parole, et que... que... que l'objectif de détruire un
homme ou une femme, rien que parce qu'il résiste ou parce qu'il n'est pas d'accord, ou
parce qu'il exprime un refus, euh, de se faire traiter, ou de s'entendre parler de cette
façon. C'est juste pas possible. On perd l'humanité, les relations humaines. Enfin, je
peux pas...
E : C'est pas juste ?
T7 : C'est pas une question de juste ou pas juste, c'est que c'est acceptable. C'est
inacceptable. C'est... voilà... c'est... on revient... Enfin, faut regarder, faut regarder ce
qui a tellement fait frémir les, la France avec euh, avec une Allemagne toute puissante
qui se permettait tout, la vie et la mort, c'est la même chose. C'est la même chose. On
a le droit de vie et de mort sur quelqu'un : l'objectif est de le broyer. Et s'il tombe, c'est
parce qu'il était faible. Mais on est où ? On est où ? Qui, qui sont ces gens ? Quel est le,
257
qu'est-ce qui leur permet, au nom de quoi ? Il y a rien. C'est, c'est juste pas possible.
C'est pas po... c'est pas... on ne peut pas laisser faire ça. Alors, alors c'est vrai qu'on est
faible aussi, et que quand on se retrouve avec, euh, avec... et puis, est-ce que perdre
son boulot et démissionner ça suffit ? Non. En plus. Ce n'est pas parce qu'on va, même,
même à 40 ans quand on a encore besoin de bosser, et qu'on va dire : « moi je
démissionne de cette boîte », est-ce que ça va suffire pour faire arrêter le
comportement d'un supérieur hiérarchique, destructeur ? Non. Donc... euh... Soit il
faut dénoncer, il faut annoncer... il faut aussi que les gens soient capables d'encaisser,
parce que quand ils ont été malmenés pendant des mois comme ça, euh, euh, ils n'ont
plus leur propre-arbitre. Ils sont, ils sont enfermés dans une spirale qui les emmène au
fond, donc la dépression, donc les médicaments, donc moins pertinents, donc une
image de soi qui est affaiblie, donc ils ne veulent plus qu'on parle d'eux, ils veulent
disparaître, et, et, et donc, est-ce qu'on peut faire le travail à la place des autres ? Non.
Euh, donc c'est délicat. Par contre, euh... Par contre, quand on a la possibilité comme
moi d'être près, dans une relation particulière avec la hiérarchie qu'on voit agir, bah
peut-être que... ce n'est pas une chance, mais que... euh... peut-être que de faire
changer au moins une personne, je n'aurais pas perdu complètement mon temps.
Euh... on ne peut pas faire changer le monde, mais...
E : Est-ce qu'il y a parfois des choses qui vous ont empêchée d'agir, d'intervenir ?
T7 : Oui, sa violence.
E : Peur qu'elle se retourne contre vous ?
T7 : Ah oui. Oui, parce qu'elle a une violence verbale, parce qu'elle est capable de, de,
de... Elle gueule. Donc... Et puis, on peut plus parler, on peut pas échanger. Donc moi,
voilà, j'ai pas de... Ce n'est pas le genre de relations dont j'ai besoin. Donc on les... Du
coup, on pose pas les, on pose pas forcément les questions qui nous taraudent ou...
parce qu'on se dit « ça va exploser ». Donc c'est une bombe qui se balade, et euh...
C'est une bombe sur pattes, et on sait que si on, on... euh... que si on... on la bouge un
peu elle va exploser. Euh... Et donc, c'est avec cette image-là que je me suis dit... euh...
258
je vais dire que j'arrête, parce que j'ai pas d'autres moyens que de dire : « je coupe »,
pour arrêter la bombe. Peut-être. Puisqu'autour, le reste, elle l'entend pas, les
raisonnements, elle l'entend pas, la remise en question, elle l'entend pas. Donc je
démi... voilà, moi je... Tu ne veux plus que je sois ton amie, je... c'est pas... c'est pas un
souci. Tu veux... voilà... On évolue... On évolue différemment, je... je prends acte. Je ne
suis pas dans le jugement, je... je prends acte, mais, euh, voilà, je ne peux avoir de la
vaisselle cassée comme ça. Soit c'est des jolies personnes, et, qui m'inspirent le
respect. Ça non, donc... Tant pis.
E : Avez-vous a un moment donné pris plus conscience de ce qui était en jeu dans la
situation, ou bien sa gravité ?
T7 : Parce que, parce qu'elle n'avait que ce mot à la bouche... euh... « je vais la broyer,
je vais le broyer, elle ne m'aura pas, tu te rends compte, il faut encore que je fasse un
courrier, je passe ma vie à ça », et du matin au soir, et du matin au soir, et du... on
déjeune, et : « et quelle conne »... Mais, mais, c'est, c'est, mais, enfin... comme ça,
comme ça... remplies, des journées comme ça. Oui, et puis avec comme justificatif,
euh, « cette conne, je vais la broyer ». Enfin, ça, ça... Euh, ça n'a pas de sens. Qu'elle
dise : « elle va respecter la règle, ça je te le dis, et elle n'est pas près de nous la faire à
l'envers », je comprends. OK. Euh, « cette conne, je vais la broyer », euh, ça n'a... ça n'a
pas de consistance. C'est quoi ? C'est un gamin qui tape du pied qui fait une colère, et
parce qu'on lui résiste, et parce qu'on lui dit « non », il se fout en colère, et, et, et il va
détruire ce, ce, son jouet. Là, ça devient un jouet. Et il va le détruire, taper, taper,
taper, taper jusqu'à tant qu'il tombe. bah... sans moi.
E : Cela a-t-il modifié votre comportement ?
T7 : Ça m'a fait beaucoup de peine, et puis euh... pour elle. Parce que je me suis dit
qu'il fallait qu'elle soit aussi sacrément mal pour agir comme ça. Ceci étant mes
enfants m'ont dit que depuis qu'elle prenait, qu'elle prenait de, de l'importance, et euh
des postes à la direction, puisque moi j'occupais ce poste à la direction dans le temps,
donc c'est très curieux comme positionnement, je suis aujourd'hui dans un autre
service, euh, euh, puisque je m'occupe de la comm’, mais euh... euh... Même si je
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dirige ce service, pour autant elle reste la directrice de l'unité, euh... Mais euh, mes
enfants m'ont dit que, ouais, elle était, elle avait changé, et pas en bien, et qu'elle avait
pris la grosse tête, et que, euh, euh... que voilà... C'était pas que positif. Et que oui, j'ai
vu, j'ai vu. J'ai dit. Je lui en ai parlé. Ceci étant, chacun a le parcours qu'il souhaite
avoir, je suis pas, je suis qui pour dire...
E : Est-ce que vous avez essayé de plus lui parler à partir de ce moment-là ?
T7 : Oui, j'ai essayé avant, et puis, et puis... et puis je lui ai dit, je lui ai dit : « tu... » Je
lui ai dit : « tu es en train de te détruire, et te détruire ton image ici, qui était plutôt
une image dynamique », alors elle est dynamique, elle est pète-sec, mais c'était une
image de fille gaie. Je lui dis : « là, tu es triste, tu es méchante, et tu perds. Tu ne
gagnes pas, tu perds ». Et euh... On faisait notre... Je lui ai dit : « tu vois, on avait des
projets de... euh... on faisait des trucs sympas avec les étudiants, tu les annules parce
que ça n'a plus de sens », je lui dis : « je suis désolée, notre métier, c'était ça. Notre
plaisir dans notre métier, c'était ça. Aujourd'hui, tu l'envoies... Pourquoi ? Pour
quelqu'un qui dit que tu lui aurais mal parlé ». Tout ça pour ça ? « Alors que tu as la
main, puisque c'est en réponse à un reproche que tu lui as fait parce qu'elle n'avait pas
respecté le, le... le règlement intérieur ».
E : Et donc vous avez été plus directe dans vos propos à partir de ce moment ?
T7 : Bah, j'ai vu... D'abord, j'ai vu que quand j'ai, quand j'ai été... quand j'ai commencé
par dire que je n'avais plus envie de venir travailler, et que, voilà. Quand j'ai
commencé, globalement, à lui dire que, je, je, voilà, je me retirais, et que... je, je, je
n'avais plus envie de travailler dans cette ambiance qui était polluée, euh... ça
m'intéressait pas, mais je suis restée près d'elle, je ne me suis pas non plus... j'ai
déjeuné tous les midis avec elle, et euh... et... Alors, un peu sous la rigolade en lui
disant que j'avais vu des massages tibétains, de la pub pour des massages tibétains,
que j'allais lui offrir ça parce que je pense que c'était le dernier recours, et c'est un peu
par ça, c'est-à-dire un peu par aussi l'affectif, pas lui dire que je la lâchais, parce que je
la jugeais, mais de lui dire : « il faut que tu te soignes, il faut que tu... euh... voilà, il faut
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que tu comprennes pourquoi tu te fous... » et après, on a pu un peu plus parler plus,
plus à, plus au fond. Mais d'abord en lui proposant, en lui disant : « mais, enfin...
Retrouve-toi, tu es où ? » Voilà.
E : Est-ce que les autres membres de l'entreprise ont réagi ?
T7 : Alors, ça se sait, et ça se plaque bien au mur, et ça ne... Il n'y a rien qui dépasse.
E : Donc aucun d'entre eux n'a eu le même type de comportement que vous en
essayant de lui parler ?
T7 : Oh ! Surtout pas. Elle est inaccessible de toute façon, on ne peut pas lui parler,
enfin au, dans, de... de choses comme ça, elle explose, et elle t'envoie... Elle te colle au
mur avec des propos qui te...
E : Est-ce que certains ont essayé de garder la neutralité que vous vous avez gardée
face à la personne cible ?
T7 : Oh, bah, il y en a toujours, qui ont toujours fonctionné comme ça, c'est-à-dire
qu'ils sont... Ils ne voient rien, ils n'entendent rien, et ils sont eux-mêmes d'ailleurs
parfaitement transparents. Donc, euh, euh... Et d'ailleurs, c'est les plus anciens de
l'entreprise.
E : Et donc personne n'a eu le même type de comportement que vous en essayant à la
fois de faire changer les choses, tout en gardant une certaine bienveillance ?
T7 : Non, il y en a même qui l'ont largement, qui ont largement... Il y a en a une au
moins qui a largement participé à son excitation, c'est-à-dire qu'elle, c'est son propre
fonctionnement, détruire les autres. Euh... Mais comme elle fait du chiffre, on ne lui dit
rien. Alors, en ce moment, je suis en train de travailler avec, avec, avec mon amie
directrice en lui disant : « tu ne peux pas accepter tout, certes, elle te rapporte, certes,
elle signe des contrats, certes, c'est celle qui en fait le plus... Avec tous les... De toute
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façon, avec tout et n'importe quoi comme moyens, je suis pas sûre, surtout sur le dos
de ses collègues ». Et elle me dit : « ses collègues n'ont qu'à se défendre ». Certes...
Mais je pense aussi que tout le monde n'a pas, n'a pas des personnalités de, euh, de
lions et de... Tout le monde n'est pas fait pareil, et après avoir dit... après avoir dit,
après être descendue en larmes dans le bureau de la directrice parce que ce n'était
plus possible, la directrice les a trouvées ridicules, et ça a donné du pouvoir à l'autre. Et
je lui ai dit : « elle est mauvaise, professionnellement, elle est mauvaise, c'est-à-dire
qu'elle ne suit pas correctement les affaires, elle pique les entreprises aux autres et
elle fait des contrats, voilà comment elle travaille ». Mais professionnellement, on a..,
je lui ai déjà démontré que le travail n'était pas fait correctement, que ça ne pouvait...
on pouvait s'en apercevoir que quand l'agent avait le courage de dénoncer. On a eu un
parent qui est venu sur le salon gueuler comme un putois, certes, mais en colère
contre le comportement et les propos de cette femme. Ça ne... ça ne... je vois bien que
je ne rentre pas dans le... il y a du béton « oui, mais de toute façon c'est elle qui fait le
plus de contrats ». Et moi je lui dis : « si tu prends quelqu'un, qui est un professionnel,
dans ce service, ça va changer des choses, elle n'aura plus, elle ne pourra plus avoir ce
comportement, mais il faut que ce soit un professionnel, et les autres vont faire plus
de contrats, parce que ça va leur permettre de ne pas se faire bouffer jusqu'à la moelle
par elle qui gueule, qui gueule, qui gueule, elle fait que ça gueuler. Euh, elle pique des
colères, et elle, elle... voilà, elle utilise des moyens pas, pas propres, et pas, pas légaux,
parce qu'elle dit : « mais c'est moi qui avais avant eux... » Mais justifie... Et en face, on
lui dit pas : « justifie », les gens n'ont pas suffisamment... Elle gueule tellement, que les
gens se plaquent et puis pour, pour, pour pas que ça fasse de... Et comme les gens ne
restent pas dans ce service tellement elle est impossible, et tellement elle rend les
autres mauvais parce qu'elle ne leur donne pas accès aux informations, bah... c'est
facile. Là aussi, là, cette fille-là est une destructrice. Là aussi, elle, elle détruit. Et moi je
l'ai dit à M*** : « regarde un peu le nombre de personnes qui passent dans ce service,
c'est quand même le seul service où il y a autant de turnover », à part une vieille qui
a... qui a de la bouteille et qui a son salaire assuré, son titre de cadre, et qui... bon... qui
n'a pas l'intention d'aller plus loin, et qui a un caractère qui fait que... Elle est
malheureuse dans son travail, elle est pas très heureuse, mais elle supporte... Bon...
Les autres ne restent pas. Et on reste pas. Et en plus, elle leur colle une image de
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mauvais. C'est quand même beaucoup... Soit tu sais pas recruter, ce qui pose un
problème puisqu'on aurait recruté des mauvais, soit ces gens ne peuvent pas exprimer,
exploiter ce qu'ils sont. Donc... Alors... Euh... Là, on a une prof qui s'est plainte de...
suivi du dossier de son gamin, ça a failli être dramatique, un parent qui vient devant
des profs, c'est dommage, il est venu le lendemain de sa présence sur le salon, donc
et... Voilà... Donc il y en a deux qui s'en vont dans ce service, moi je lui dis : « au lieu de
reprendre deux avec des gens qui ont des... salaires qui sont ce qu'ils sont, tu en
prends un avec les deux salaires collés, qui ait un peu de... carrure, de
professionnalisme », « je ne peux pas faire ça, elle est responsable du service », et bah
l'autre sera directeur, et elle, elle sera responsable de ce qu'elle voudra, de, de... J'ai
dit : « ne me dis pas que tu ne peux pas organiser hiérarchiquement un service » et
elle... Et non, elle en a peur. Elle en a peur. Parce que si le type fait qu'elle, elle ne
supporte pas, elle va s'en aller, alors là, l'assurance de ces contrats, elle l'a plus. Voilà.
Et on préfère laisser un loup dans la bergerie, qui tue des animaux tous les jours, et qui
les détruit pour s'assurer son pouvoir, parce que son pouvoir à elle, il est assuré sur le
nombre de contrats qu'on va signer dans l'année. Alors, je suis en train de travailler là-
dessus, moi. Je ne veux pas la peau de l'autre, je veux juste qu'elle soit professionnelle
et qu'elle arrête de se comporter comme ça. Elle a le droit de travailler, elle a le droit
d'être, elle a ses raisons pour être ce qu'elle est, qu'elle ait besoin d'argent, je
comprends, qu'elle ait besoin d'en gagner, qu'elle ait un caractère, qu'elle raie le
parquet, très bien, c'est son boulot, c'est le commercial, donc on ne va pas lui
demander autre chose. Maintenant, on n'est pas obligé d'utiliser des moyens pour,
pour, pour broyer les autres, être le meilleur, être le meilleur ne veut pas dire broyer à
côté. Être le meilleure, c'est avoir des outils, avoir une pertinence, avoir, voilà, une
maîtrise de son métier, qui fait que, euh, piquer le travail des autres, ce n'est pas du
professionnalisme. Être le meilleur sur un contrat, je suis d'accord, mais euh... Non.
E : L’entreprise a-t-elle réagit ?
T7 : Alors, elle réagit, parce que c'est une nouvelle réaction, et c'est un mec, mec, un
peu macho. Donc ça... ça hérisse un peu... et euh, et la mienne, de directrice, qui est
une fille extrêmement mince, sèche, qui est, qui est dans la maîtrise de tout, euh, ça se
fritte un peu, ça... gentiment, mais quand même. Le pouvoir aux hommes, euh... pas,
263
pas, pas bien quand même. Et le type résiste, mais résiste calmement. Euh... et très...
beaucoup de distance, et dit : « vous allez pas me faire chier longtemps avec, avec
cette histoire ». Alors... Il y a plus de prise, parce que c'est pas quelqu'un qui rentre là-
dedans et qui est... On va s'intéresser à son travail : elle fait son travail ou pas son
travail ? Elle a commis des erreurs ou pas ? Oui, non ? Alors, oui, je prends cette
position, non, euh, démerdez-vous, arrêtez de me faire chier avec... voilà, avec vos, vos
nombrils respectifs. Voilà. Et ça... « Oui, mais quand même, j'ai besoin qu'il m'assure
de son, de son soutien ». Ah ?
E : Donc il prend pas parti, à la fois, il va pas défendre la victime en mettant des limites
à la directrice, mais d'un autre côté, il va pas dans le sens de la directrice non plus ?
T7 : Il est chirurgical, moi j'appelle ça chirurgical. C'est-à-dire que, euh... On repart du
départ : on vous a reproché un non-respect du règlement, à côté, on trouve des fautes,
elles sont réelles ou pas, bien, je vous fous un blâme, terminé, c'est réglé. Elle vous a
dit, vous avez dit, je... Votre travail c'est quoi ? Vous devez faire ça ? Vous l'avez fait ?
Oui, non ? Vous l'avez respecté ? Oui, non ? Et en ça, je le trouve euh... Je le trouve à la
bonne position, et je trouve qu'il gère bien, voilà. Par contre, si elle continue à le faire
chier avec des histoires qui ressortent de ce genre, ou, ou... ou à s'opposer à lui en
disant : « bon, de toute façon, il va bien attendre quinze jours parce que, euh, voilà,
moi ça fait trois semaines que j'attends qu'il me réponde », à ce jeu-là, elle va pas
gagner.
E : À un moment donné, il va peut-être finir par lui mettre des limites ?
T7 : Oui. Là, elle n'a pas le bon raisonnement. C'est-à-dire que, faire chier pour exister,
parce que c'est un peu ce... ce qu'elle est en train de devenir, faire chier à ne, à, à
s'imposer en, en retenant les autres en otage d'une certaine façon, en ne donnant pas
les réponses, en... ça va lui retomber sur le nez.
E : Parce que lui, en étant très chirurgical, il accepte malgré tout qu'elle soit beaucoup
plus dans l'affectif ?
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T7 : Il accepte pas, puisqu'il ne condamne pas pour ça ni l'une ni l'autre. Démerdez-
vous. Euh... Par contre, il reprend bien à plat : « vous, vous avez pris des jours sans en
avoir l'autorisation, et vous avez trente dossiers qui ont disparu, ça représente pour
nous 300 000 euros, donc expliquez-moi. Elle vous a traité de conne, peut-être que
finalement c'est à juste titre, donc on ne va pas... » Hein, tu vois ? Et il s'en fout de ça.
Elle vous a mal parlé ? Et ça, enfin... OK, elle n'aurait pas dû, mais vous, vous avez
commis des fautes. Donc il sort de ça, et il dit : « bon, moi, vous n'avez pas respecté le
règlement intérieur, vous êtes d'accord ? Oui, non ? Oui, hein. Bon. Les trente dossiers
ils sont où ? On vous reproche trente dossiers, ils sont où ? Justifiez. »
E : Il va se baser sur le factuel, et ne pas s'occuper du relationnel ?
T7 : Non. C'est une façon aussi de désamorcer, c'est-à-dire que je pense aussi que la
salariée... euh... elle n'a pas été très maligne sur ce coup-là. Euh, elle a... euh... elle n'a
pas respecté le règlement, et elle a dit : « oui, mais, euh, euh, j'avais récupéré mes
heures avant », enfin, voilà, c'est pas intelligent. Donc elle a commis une faute. Et euh,
je pense que pour euh, pour euh... je sais pas pour... les deux ont été inintelligentes, la
directrice et elle. La fille a fait des heures, soi-disant anticipées, pour pouvoir prendre
une journée. Elle a informé la directrice une fois qu'elle avait fait ses heures anticipées
qu'elle ne serait pas là le lendemain. La directrice lui a dit : « que... ? Non, ce n'est pas
comme ça que ça marche ! ». Et comme elle, elle avait, je pense, honnêtement fait ses
heures avant pour pouvoir prendre sa journée, mais elle n'avait, alors peut-être en
ayant peur de pas l'avoir, s'est dit : « je vais les faire avant, comme ça, elle ne va pas
pouvoir m'interdire de le prendre après », euh... Et au lieu d'avoir la franchise de le
dire, parce qu’à la fois, quand on va voir sa directrice et qu'on lui dit les choses, ça se
passe très bien. Elle dit oui en général, c'est une fille qui dit oui, hein. Tu dis : « voilà,
j'ai besoin d'une heure, j'ai besoin d'une demi-journée », il n'y a pas de souci. Ça, elle
est pas, elle est... Donc là, elle a pas aimé le... elle a pas aimé le zigzag. Et l'autre...
euh... et l'autre... a dit : « oui, mais moi je suis honnête, et puis vous me dites non ».
Voilà comment c'est parti. C'est pas très... Je suis persuadée que... en temps de moins
grande fatigue, peut-être, elle aurait pas réagi comme ça, bon. Euh, voilà, c'est comme
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ça, cette situation. Et euh, dans les trucs de, de... Non, il ne s'est pas très bien
position... Enfin, il ne s'est pas positionné euh... dans, dans, dans la relation... Mais il va
pas laisser faire non plus de la destruction pour de la destruction, en ce sens qu'il va
dire : « moi je veux du factuel ». La seule chose c'est que... euh... maintenant... Moi, ce
qui me, ce que je trouve encore pas bien, alors, pas bien parce que peut-être j'ai pas
toutes les infos, mais la fille elle est obligée de descendre au rapport avec la
responsable de son service, qui a, qui a le bras armé, devant la directrice, pour être au
rapport, toutes les semaines. Alors... à juste titre ou pas, parce que si la fille, elle a
effectivement pas traité trente dossiers, et qu'on a 300 000 euros dehors... Bon. Donc,
là-dessus... C'est pour ça que je dis que peut-être c'est pas très malin au départ, c'est
que... Voilà, elle ne respecte déjà pas les procédures dans son travail, qui fait qu'elle ne
les respecte pas non plus dans... et qu'on arrive à ça. Alors, ce que... la seule chose que
je dis, c'est que ça fait trois ans et demi qu'elle est là, et que si elle pratique comme ça,
ça veut dire que la chef de son service ne fait pas son travail. Et là, je touche un truc, je
sens bien que ça fait mal. Et j'ai dit à M*** : « méfie-toi parce que ça va te retomb... tu
vas le reprendre dans le nez. Comment se fait-il que cette fille qui est la dernière
marche de ce service puisse mettre ce service autant en danger avec 300 000 dehors,
pendant là cette année, si elle pratique comme ça, elle le pratiquait l'année d'avant, et
encore l'année d'avant, et la responsable du service la laissait faire, ça veut donc dire
qu'elle ne fait pas son travail ». Et là, je sens bien qu'il ne faut pas toucher. Donc j'ai
déjà... Moi, j'ai ma petite brique, j'ai cette brique-là, j'ai le salon où on a eu des
insultes, j'ai un prof qui s'est plaint, ça va, ça va, ça va faire un peu... Mais j'entends
bien que quand je lui parle, c'est toujours minimisé. Mais je sais bien aussi que... euh...
Si ça devient récurrent, ça va aussi lui chauffer les oreilles. Il faudrait pas que ça monte
trop haut, euh, et puis... Et puis, elle se méfie de la DRH qui va... Alors, moi je suis pas
copine avec, et ça tombe bien, euh... Mais la DRH, euh, elle ne va pas ne pas pouvoir
avoir le même raisonnement que moi.
E : Pensez-vous que cela est plus dur dans votre entreprise plutôt que dans une autre
de pouvoir intervenir ?
T7 : Ah, c'est plus facile parce qu'on a une relation, on a une relation euh... privilégiée.
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Sinon, je ne pourrais pas. Sinon, je ne pourrais pas. Il n'y a que prévenir les syndicats,
est-ce que le salarié a besoin d'être mis en avant dans l'entreprise par les syndicats,
etc. Après... Si je n'étais que la salariée que je suis, je ne pourrais jamais me permettre
de faire ça. Parce qu'elle ne m'y autoriserait pas.
E : Quels ont été les obstacles les plus durs à dépasser pour pouvoir mettre en place
des comportements d’aide ou de soutien ?
T7 : Dépasser l'image qu'elle donne d'elle, c'est-à-dire l'avoir, l'avoir connue depuis
longtemps, savoir qu'elle a d'autres richesses, savoir qu'elle est capable d'être une
belle personne, et que... et espérer qu'il y ait encore du bon. Oui, bah... L'image idéale,
je la vois évoluer, je me dis : mais... euh... en, en, en fonction d'une évolution, on
planque aussi ses... bon... ses faiblesses, et ses fragilités, etc. Et je me dis : est-ce
qu'elle va... est-ce qu'elle va prendre conscience qu'elle est en train de perdre plus
qu'elle ne gagne ?
E : Et donc pour vous, ça a été un obstacle de dépasser cette image ?
T7 : Oui, parce que je la protège un peu, c'est une fille qui a un parcours difficile, que je
connais... On a vingt ans de différence, c'est presque ma fille. Hein. Ça pourrait être ma
fille. C'est une fille qui a vécu des choses extrêmement douloureuses, euh, une maman
que je connais qui a été malade pendant vingt-cinq ans, qui a été à la charge de sa fille
pendant vingt-cinq ans, euh... euh... Entre temps, elle a perdu un frère dans un
accident... euh... con, de la route, voilà, un drame. Elle est seule, elle est seule. Un
père... elle a été battue petite, euh, bon. Donc cette gamine, elle a, je veux dire, faut
du courage aussi pour se sortir de tout ça, pour garder, pour, pour rester beau et pas...
Donc... ouais, j'ai une espèce de, de, de truc protecteur, et je pense qu'elle a confiance
en moi. Je, j'ai pas du tout d'image de mère de substitution, et tout ça. Euh... Non, je
suis plutôt une référente, une grande, une amie, une amie plus âgée, mais... euh... sur
laquelle je peux m'appuyer. Mais moi, quand j'ai eu besoin de m'appuyer à des
moments de ma vie difficile, elle a toujours été là. Donc, des moments difficiles, tout le
monde a le droit d'en avoir. C'est pour ça que cette amitié-là elle me permet de... Ou
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c'est tout du moins le sens que je donne à l'amitié. C'est-à-dire que si on est amies que
pour se faire des compliments, non, c'est très facile. Si on est... l'amitié doit pouvoir
permettre de dire : « hé, oh, chérie, ça ne va pas là, hein, tu te perds ». Alors, ça
claque, enfin ça clashe, ça claque, euh, euh... Mais... Mais je pense que ça vaut le coup.
Maintenant, euh, maintenant je pense que... J'espère... Elle est, elle a, elle est
intelligente, et elle sait qu'elle a des fragilités qui la bouffe physiquement, qui... et elle
va... elle... là, elle a pris, j'ai vu, je sais, elle a des rendez-vous chez des... Alors, pour
des massages, et chez une nana qui fait un peu psy, euh, kiné, et qui est une fille
remarquable. Donc elle sait qu'elle va pas, elle sait qu'elle va pas bien. Et elle a le... elle
a le courage d'aller vers pour comprendre, pour comprendre. Je pense que ces
armures sont son agressivité. Ceci étant après, on se fait l’armure qu’on peut avec
l'histoire qu'on a. Mais elle a besoin de douceur, elle a besoin de... elle a besoin de, de
sérénité, et, et... C'est une fille qui a eu trop peur, toute sa vie, peur avec son père qui
battait, peur après avec sa mère qui, qui ne pouvait plus travailler, qui... Parce qu'elle a
eu la maladie de Parkinsons, et que ça a été une horreur, et puis que c'est une nana
qui avait fait n'importe quoi, qui n'a pas eu de droit, enfin... Bon, peur de, de, voilà.
Portant aussi ses grands-parents qui étaient âgés, parce que voilà, il y avait qu'elle
pour... et les accompagner âgés, etc. Peur de manquer, peur, peur de perdre, peur,
peur de tout. Et euh... Donc voilà. Je, je comprends son schéma, maintenant...
j'accepte pas... qu'elle en... qu'elle en fasse ça. Donc je lui dis.
E : Est-ce qu'il y a eu d'autres obstacles à dépasser auxquels vous pensez ?
T7 : Bah déjà, la remise en jeu de notre, de notre amitié, c'est déjà beaucoup.
E : Oui, bien sûr.
T7 : Voilà.
E : Qu’est ce qui aurait pu faire que vos comportements soient différents (plus ou
moins présents) ?
T7 : Si je n'étais avec, amie avec elle... J'aurais beaucoup de mal à travailler avec elle. Je
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la supporterais pas, je crois, honnêtement.
E : Et vous n’auriez pas pu intervenir, lui parler ?
T7 : Sûrement pas. Parce que j'aurais été la deuxième après elle.
E : Est-ce qu'il y a d'autres choses ? Vous évoquiez à un moment donné le fait que si
vous aviez été en milieu de carrière et non pas en fin de carrière, est-ce que ça aurait
changé les choses ?
T7 : Bah oui, parce que, parce que tout le monde a besoin de bosser, qu'on est dans
une période économique qui est fragile, et que, moi, en plus, j'étais chef de famille,
j'avais trois enfants à, à charge, donc je ne pouvais pas jouer trop avec ça, même si,
même si je ne me suis pas tu, il y a, il y a vingt-cinq ans maintenant, je ne me suis pas
tu, et j'ai payé le prix fort, puisqu'on m'a foutu dehors, même si j'ai gagné, même si je
suis partie avec des grosses indemnités, j'ai quand même perdu mon boulot, et ça m'a
quand même affectée, abîmée. J'ai, voilà, j'ai mis du temps avant de... euh... avant
de... dépasser euh... la, la, la souillure, la... voilà. Euh... Et euh... Donc je comprends
que... Pour autant, je pense que les gens qui partent, qui voient ça, ça les abîme, pas
autant que celui qui est, qui est, qui est dans la machine, mais... Ouais. C'est aussi des
victimes. Des comportements de ces gens-là. Et c'est dans cet état-là que je me suis
retrouvée finalement, c'est, voir et ne pas pouvoir. Ne pas être en…, ne pas pouvoir lui
dire parce qu'elle était inaccessible, parce que c'était un... et, et... un... et voilà, et je
me suis dit : « non, euh... » L'état de victime, non.
E : Et est-ce que vous pensez qu'il y a d'autres choses qui auraient pu faire que vous
interveniez plus ou que vous interveniez moins ? Est-ce qu'il y a d'autres choses qui
auraient pu brider votre possibilité d'intervenir ?
T7 : Bah c'est pas mon... enfin... C'est pas mon rôle, c'est pas mon poste, enfin c'est pas
ma place. Euh... il y a, il y a... je suis... normalement, je, je devrais même pas être au
courant. Ce n'est pas mon service. Euh... je ne suis pas aux ressources humaines, donc
269
je n'ai pas à être informée de ça. Donc euh, j'aurais pu être informée par la victime
elle-même ou par... euh, oui, par des conversations de couloirs. Mais je pense que si
on m'avait pas dit : « j'ai besoin de toi », je ne m'en serais pas mêlée, parce que je... je
suis externe à cette, à cette relation entre les deux. Voilà.
E : Et est-ce que quelqu'un vous a dit « j'ai besoin de toi » ?
T7 : Son état, l'état de mon amie directrice, euh... c'est comme... enfin, sa colère était
telle, que quand on voit les gens dans des états comme ça, on se dit que bien sûr ils
ont besoin de quelqu'un. Euh, parce que voilà... Mais si ma collègue qui... aujourd'hui
est dans le collimateur m'avait dit : « j'ai besoin de toi », euh, je lui aurais demandé en
quoi. Si elle m'avait demandé de faire une attestation, de quoi ? Moi, je travaille pas
directement avec elle, donc je ne peux attester que simplement c'est une collègue qui
a des relations charmantes, mais je ne peux pas aller au-delà. Si elle m'avait dit : « mais
tu sais très bien qu'elle est... odieuse »... euh... j'estime que si j'ai des choses à dire à
ma directrice, je suis assez grande pour les dire, et que si je ne les dis pas, j'ai mes
raisons. Je les accepte. Euh... bon... donc après, c'était juste une histoire de
positionnement, euh... et de dire comment intelligemment tu peux résoudre le conflit.
Comment tu peux te positionner, à qui tu peux t'adresser. Voilà. Parce que je pense
que tout conflit a une solution, normalement. Même si c'est de quitter l'entreprise. De
dire : « bon, écoutez, je suis ce que je suis, vous êtes ce que... il n'y a pas de souci, on
ne va pas... voilà ». Sauf que quand on est passé déjà par un tour de moulinette, on n'a
plus cette capacité-là, ou on est mal, on est entouré par des DP qui vous disent qu'il
faut faire, que les, les, que les directions sont des salauds, et... et on n'utilise pas les
bonnes armes, c'est-à-dire que la direction a, a toujours tort, et c'est, et c'est toujours
eux qui ont, bon. Là encore, c'est pas une question d'avoir tort ou raison. C'est là,
quand ils sont pas bons, ça donne ça, et ça donne ça chez nous. Qui a tort... ? Il y a pas
de raison et pas de tort. Il y a : « tu t'es mal positionnée, comment maintenant tu fais
pour dire : OK, d'accord, je me... Et vous allez pouvoir me faire confiance ». Si c'est pas
ça, et si c'est l'idée de faire payer à la direction une réflexion qu'on a pris et qu'on ne
veut pas encaisser, ça n'a pas de sens. Il faut qu'on arrête. Bon voilà, mais pour ça, il
faut avoir un peu de... il faut être un peu couillu, il faut être un peu... prendre de la
270
distance, faut, faut... voilà... Là aussi, pas tout passer par l'affect, et prendre des outils
qu'ils font pour faire, pour faire le boulot. Pas les, pas d'autres outils qui servent à rien,
à part envenimer les choses. Mais ça, faut... voilà. Donc, tout le monde les a pas, tout
le monde les donne pas, et c'est dommage. Voilà, parce que je pense aussi que, quand
on se retrouve là-dedans, on n'en parle pas, et on n'en parle surtout, et quand on en
parle, on n'en parle pas aux bonnes personnes.
Commentaires pendant la passation du questionnaire :
T7: (Lis à haute voix) Dans la situation de harcèlement que vous décrivez, selon vous,
qui est responsable... Dans la situation de harcèlement que vous décrivez...
E: C'est de la faute à qui?
T7: Euh c'est de la faute du harceleur. C'est de la faute du harceleur parce que c'est un
manque de professionnalisme. Parce qu'elle l'a reçue dans son bureau sûrement en...
et puis en lui rentrant dans le lard alors que... c'est pour ça que je dis que c'est un
manque de professionnalisme. Elle aurait dû lui dire "F*** je vous refuse ce... Je
voudrais bien que vous compreniez..." calmement, sans déjà invectiver et dans déjà...
elle n'a pas besoin de démontrer qu'elle a raison ni qu'elle est la chef. "Je vous dit non
parce que le règlement intérieur dit non, vous comprenez ça? J'entends, vous me dites
que vous avez fait vos heures avant, j'entends mais vous savez que c'est pas comme ça
donc à ce titre-là, je ne vais pas pouvoir faire autrement que de vous envoyer une
lettre. C'est la procédure, c'est comme ça. Avez-vous compris? Oui? Non?" Et c'est tout
et pas de l'invectiver et de rien comprendre et d'être la dernière des dernières, ce n'est
pas comme ça. C'est pour ça que je dis que si elle avait parlé comme ça, ça ce serait
pas passé comme ça.
(Lis à haute voix) Décririez-vous votre entreprise de manière... (Silence). Oh bah oui.
Voilà.
E: Merci beaucoup
271
9.10. Retranscription de l’entretien avec le témoin n°8
E : Pour commencer, je vais vous demander de vous présenter en expliquant votre
position de travail et vos liens avec la personne cible et le « harceleur », et de
m’expliquer en quelques mots la situation.
T8 : Donc, j’avais un collègue qui travaillait dans mon bureau, figurez-vous. Il était d’un
autre département que moi et il avait été, ça je l’ai appris après (il me l’a dit après),
qu’il avait été chargé d’être près de moi pour me surveiller, alors que nous ne faisions
pas du tout les mêmes choses. C’était bien, on était ensemble, on s’entendait bien,
mais voilà ce qui se passe. Cet homme a été harcelé, lui, par... Dans le milieu dans
lequel nous travaillons, il y a les politiciens et puis, il y a le service public. Mais, c’est les
politiciens qui gèrent tout le service public. Et, leur type de management, vous savez
comment ça va, enfin... ou vous ne savez peut-être pas encore, mais tout cela
fonctionne au pouvoir, à l’instrumentalisation des gens, etc…, etc… Et donc, moi, j’ai
découvert un collègue qui devenait de plus en plus amorphe, de plus en plus mal, et
qui a déclaré, à un moment donné il a été absent six mois, il a déclaré un burnout.
Donc, il est allé chez un psychiatre et il s’est fait suivre. Pas de clinique du stress, etc…,
il nous est revenu deux, trois mois, et nous sommes quasiment partis ensemble. Il est
revenu trois mois et rebelote. Rebelote. Cet homme était harcelé, non seulement par
le même chef de service que moi, et par le politicien en question ; c’est un politique,
on va dire un politique. Il ne s’est jamais plaint. Il a, de temps en temps, été discuté
avec la personne de confiance, mais il faut bien se dire qu’une personne qui est
harcelée ne veut pas s’en rendre compte tout de suite. Ça, c’est vraiment une des
premières choses. C’est quelque chose de très, très difficile à faire. Et puis, il y a aussi,
parmi elles, une certaine honte, une honte à le reconnaître. Et donc, cet homme-là,
qu’est-ce qu’il a fait pour ne plus entendre parler de tout cela ? Il a donné sa
démission, alors qu’il était nommé, qu’il avait cinquante ans. Et moi, j’étais avec lui et il
savait très bien que s’il faisait une procédure, n’importe laquelle, il allait avoir mon
soutien, ça c’est évident. Mais je pense qu’il n’en a plus pu. Vraiment, il n’en a plus pu.
Il s’est retrouvé seul. Il s’est retrouvé à la maison, il a donné sa démission, un truc de
fou. Et après, moi, je l’ai appris par sa sœur qui venait trouver la direction, donc, c’est
272
la famille qui a réagi là, en essayant de récupérer les droits de ce garçon, il avait fait
une tentative de suicide. Donc, les choses sont quand même allées loin. Bien entendu,
l’institution en conseil communal s’est quand même posée des questions. L’opposition
connaissant bien ce gaillard qui travaille bien, enfin, bon, rien à dire, il se posait la
question. Et personne n’a donné de réponse. C’était le silence total. Donc, ça c’est
dans un service, dans le même service.
E : Pouvez-vous m’expliquer ce qu’il a subi exactement ?
T8 : En fait, il était lui... Il travaillait directement avec la bourgmestre, et je pense qu’il a
eu des injonctions paradoxales, tout le temps. Donc en fait, ce type était d’un niveau...
il avait un niveau universitaire B, et il avait le droit... comment dire... une telle fonction
vous donne des responsabilités. Mais, en même temps, on ne lui donnait pas de
responsabilités. Donc, on jouait avec lui. Il devait, comme un gamin de cinq ans,
montrer le travail qu’il était en train de faire. Je veux dire, cela n’avait absolument
aucun sens. C’était des choses comme cela, des choses pernicieuses. Il était appelé
dans le bureau... on lui coupait l’herbe en-dessous du pied tout le temps, tout le
temps, tout le temps. On le contrôlait, enfin, il était contrôlé par le chef et ce qu’il
faisait ne semblait jamais être bon. Il y avait des choses de cet ordre-là. Mais, il fumait
comme un trou, enfin, je veux dire, plutôt que de parler, parce que c’était un homme
quand même assez taiseux, plutôt que de parler, eh bien, il bouffait ses cigarettes
dehors quoi, voilà. Et, ce sont toutes des choses comme ça. Alors, il y avait, bien sûr,
un apparatchik contre lui. A un moment donné, ça s’est mis contre lui. Le politicien
était d’accord avec le pervers...
E : Le chef de service ?
T8 : Oui, c’est ça.
E : C’était votre chef à vous aussi ?
T8 : Oui, oui.
273
E : C’était un chef direct, où est-ce qu’il y avait quelqu’un entre lui et vous ?
T8 : Non, malheureusement pas. A la limite, L*** aurait pu être mon chef direct,
éventuellement, mais il n’a jamais voulu. Donc, L*** n’a jamais exercé quoique ce soit
comme... alors que dans sa mission, il devait le faire. Mais il savait très bien que j’étais
autonome et donc, qu’il n’avait pas besoin de me contrôler. Donc, il y a déjà tout une...
toute sorte de... Bon, d’abord, on n’avait jamais de réunion d’équipe. Jamais. Donc,
tout était fait à la tête du client, en fait. Il n’y avait jamais de réunion où on pouvait
s’exprimer. On recevait des ordres, point. Mais donc, on sait difficilement fonctionner
là-dedans. Voilà, donc, le type de management a favorisé, enfin, ou en tout cas,
favorise des pervers à s’immiscer là-dedans et à tirer leur flûte, quoi, ça s’est sûr. Donc,
moi, j’ai toujours dit aux sœurs que je voulais bien être témoin, parce que les sœurs
ont essayé d’intenter une action en justice pour que cet homme-là puisse réintégrer le
boulot, parce qu’il n’avait droit à rien. Quand on est nommé et qu’on donne sa
démission, on a droit à strictement plus rien. Elles ont mes coordonnées, et je leur ai
dit, moi je suis témoin de toute une série de choses et on peut refaire ce travail-là avec
L***. Mais ce que je sais, c’est que ne n’ai plus jamais eu de contact avec L***, non
pas de ne pas avoir essayé. Il s’est coupé. Il s’est coupé véritablement de nous tous,
alors qu’on s’aimait bien, on était... oui, on s’entendait bien, on s’aimait bien, on faisait
de bonnes analyses et tout, on se soutenait. On se soutenait. Mais, je pense qu’il a
coupé court parce qu’il est en souffrance. Enfin moi, c’est la seule explication que je
vois. Effectivement, même si les sœurs sont là pour le soutenir, si lui ne fait pas la
démarche, ça ne peut pas aller. Voilà. Ça, c’est une situation. Dans le même service, là,
je n’ai pas appelé à être témoin, mais dans le même service, évidemment, le harceleur
faisait des évaluations négatives à tout le monde. C’est une des sonnettes d’alarme.
On peut se rendre compte aussi que ça fonctionne comme ça. Et cette personne-là a
reçu son évaluation négative le jour où elle devait partir en congé maternité. C’est
comme ça que ça se faisait. Et, elle a demandé au secrétaire communal si elle pouvait
introduire un recours (enfin, c’est lui qui lui a dit d’introduire un recours, et que se
serait postposé parce qu’il y a des délais, etc…, ce serait postposé), et puis finalement,
elle a obtenu gain de cause. Elle a obtenu, devant tout un jury, les chefs de services, les
274
syndicats, etc…, cette commission de recours lui a donné raison. Mais, elle n’a jamais
porté plainte pour harcèlement parce qu’elle me disait qu’elle n’en avait pas la force,
tout simplement. Elle n’avait pas la force et le courage de faire ça.
E : Par rapport à cette situation de harcèlement, comment vous êtes-vous situé ? Êtes-
vous intervenu d’une manière ou d’une autre vis-à-vis de la personne-cible ?
T8 : Non. Parce qu’il ne demandait pas d’aide et la seule chose que je pouvais lui dire
c’est « Fais-toi aider. Arrête de travailler ici et fais-toi aider. » C’est la seule fois, parce
que bon, il faisait des cauchemars la nuit, etc., et moi je me suis dit: « Va au moins voir
le médecin, enfin, essaye de voir avec ton médecin, fais quelque chose. » Mais il n’était
pas syndiqué. Pour lui, ça n’avait pas de sens. Moi, je sais que je suis intervenue à
quelques fois. Ça, ça a été ma bataille, en tant que déléguée syndicale. Par rapport à la
loi sur le bien-être au travail, c’était de dire: « Ecoutez, dans l’institution, il y a des
problèmes. Qu’est-ce que nous mettons... Qu’est-ce que vous mettez en place,
conseillers en prévention, vous l’institution, pour que le bien-être soit rencontré par
tous les travailleurs ? Parce qu’il y a des départements dans lesquels il y a de réels
problèmes. » Mais, je ne pouvais pas citer de personne, évidemment, parce qu’un
affilié chez nous n’a pas du tout envie d’être identifié, parce que les gens ont peur tout
simplement. Ça c’est... voilà. Donc, il faut jouer...
E : Donc, malgré tout, vous avez essayé d’intervenir à un niveau plus haut sans le citer
directement.
T8 : Toujours. En essayant de provoquer une réaction et en essayant – parce que ça
fait partie du travail des conseillers en prévention – de mettre en place une stratégie
pour faire une espèce d’audit, d’enquête, et permettre à des gens de s’exprimer de
manière anonyme aussi. Donc, pas auprès du conseiller en prévention qui est rattaché
là, parce qu’évidemment, tout se sait, tout se dit, mais d’un organe extérieur puisse
éventuellement faire ça. Ça se fait quand il y a des souffrances. C’était... Au travers de
ça, ce que je disais, mais il faut... ce serait bien d’analyser le nombre de congés de
maladie de longue durée, de courte durée, et de voir un petit peu... enfin... Ceux-là
275
sont des indicateurs, évidemment, de là où il y a des souffrances éventuelles. Mais ça a
toujours été remis sur le côté, et moi je revenais toujours avec ça. Toujours.
L’employeur vous dit: « Oui, oui, on va le faire », et puis, il n’y a rien qui vient. Donc, à
chaque réunion, on se fait passer pour les méchants: « Tiens, vous aviez suggéré...
enfin, vous aviez dit que… », « Ah oui, mais on n’a pas eu le temps », enfin bon, etc…,
etc…
E : Et c’était habituel de votre part, déjà, d’essayer d’intervenir auprès du CPPT ?
T8 : On intervenait tout le temps. Tout le temps. Parce qu’il n’y avait pas que ça. Vous
savez, quand des types... Quand les jardiniers, on sait qu’ils ont besoin de deux paires
de chaussures, ça peut paraître idiot de rappeler ça à l’employeur: « Ecoutez, il faut
deux paires de chaussures, parce que quand une paire de chaussures est mouillée –
parce qu’ils ont travaillé dehors dans la pluie – il faut qu’elle puisse sécher une journée
et que l’homme puisse avoir une autre paire ». Enfin, tout ça fait partie de
l’équipement. Mais, quand on a un chef qui est un peu véreux et pernicieux, il va
dire: « Celui-là y a droit, et l’autre n’y a pas droit. » Il y avait des choses comme cela
qui se passaient. Et là, mes camarades ouvriers ont réagi très fort en disant: « Ecoutez,
ça ne va pas. Tout le monde doit être mis aux mêmes règles, etc…, etc… » Donc, alors
que là il y avait du harcèlement, mais du harcèlement de niveau à niveau et du chef
aux hommes, c’était invraisemblable, tout était maintenu comme ça, on a essayé de
décrypter et de comprendre ce qui se passait. On a été jusqu’à la police d’ailleurs. On a
déposé un dossier à la police. Il n’y a pas eu de suite. Et en fait, qu’est-ce qui se
passait ? Il y avait du vol. Il y avait du vol de la part de certains hommes, notamment
des chefs. Et donc, ceux qui couvrait le chef parce qu’il y avait du matériel qui
manquait: un camion de matériel qui arrive, et tiens, un tel en a besoin pour sa
maison, et donc on prend deux planches, j’invente c’est un exemple, ces hommes-là
qui protégeaient, ils avaient droit à plus de faveurs, et les autres pas. Donc, ce genre
de chose existe, vraisemblablement, dans toutes ces administrations communales.
Voilà, tant qu’on ne prend pas quelqu’un sur le fait, on ne sait pas prouver et,
effectivement, ce que la police judiciaire nous a rétorqué, c’est que nous devions aller
voir les politiciens qui sont dans l’opposition, ce que j’ai fait. J’ai été voir un gars dans
276
l’opposition qui est médecin. Et donc, je lui ai déjà raconté l’affaire de L***, parce qu’il
m’a dit: « Tiens, pourquoi L*** est parti etc… ? » Je lui ai dit aussi qu’il y avait de la
souffrance au travail et qu’il y avait des malversations financières. En qu’en tant que
déléguée syndicale, je lui mettais ça sur le plateau et qu’il n’avait qu’à agir, après tout.
Et j’ai trouvé un autre conseiller communal qui, actuellement, est dans la bande et qui
traite les CPTT. Mais rien ne semble encore fort changer. Voilà. Donc, tous ces gens
sont au courant, mais tous ces travailleurs sont arrivés par clientélisme. Vous voyez ce
que c’est le « clientélisme » ? C’est « Ah ! Viens mon petit, je vois que tu es un peu
dans la difficulté, je vais te donner un travail et ça ira mieux après, et comme ça, on va
être copain tous les deux, et tu me rendras des services, hein ? » C’est comme ça que
ça se passe. Donc, les gens sont muselés. Et les gens... enfin, bon. Pour témoigner, ils
ne sont pas très, très courageux.
E : Est-ce que c’était facile à mettre en place, ou est-ce que ça vous demandait un
effort d’aller parler au CPPT, d’aller leur expliquer ?
T8 : Bien sûr que c’était un effort. D’abord, c’était institué, mais c’est vraiment un
effort. Oui, oui. Nous, les délégués, on s’en prenait tout le temps. Enfin, je veux dire...
« Oui, c’est toujours les mêmes trucs qu’ils racontent, c’est toujours... ». On est perçu
un peu comme ça, alors qu’il y a des réglementations. Alors, quand on a senti qu’on
n’était pas forcément entendu et suivi, car il y avait différentes familles syndicales, et
moi j’étais du côté socialiste, nous, ce qu’on a fait, à trois, on a été déposé plainte
auprès du ministère de l’Emploi et du Travail pour qu’une enquête soit établie par un
inspecteur. Alors ça, ça ne plaît pas. Et donc, nous avons donné des éléments bien
précis pour qu’un inspecteur puisse contrôler et aller là directement où il faut. Et donc,
ils ont fait des rapports, des rapports. Je ne sais pas s’ils sont arrivés jusqu’au procès-
verbal. C’est fort probable. Parce que moi, j’ai quitté à un moment donné, et voilà. Et
l’affaire court toujours, mais les choses n’ont pas changé fondamentalement. Enfin,
voilà. Ça, c’est dans le cadre du bien-être, duquel découle la loi sur le harcèlement,
évidemment. Voilà.
E : Pourquoi avoir réagi de cette manière plutôt qu’une autre ?
277
T8 : Parce que c’était notre mission. Donc, en tant que délégué syndical, nous avions
une mission par rapport à l’ensemble des travailleurs qui est de dire qu’il y a des
choses qui ne vont vraiment pas. Essayons d’utiliser les outils qui sont à notre
disposition pour pouvoir arriver à nos fins. Voilà. Parce que parler dans le vide, ça ne
sert à rien. Voilà. Il y a des choses qui doivent être contrôlées, il y a des choses qui sont
contrôlables, le législateur a quand même mis quelques petites choses en place pour la
sécurité des gens et tout. C’est quand même important. Donc, quand on envoie sur
une machine qui n’est pas fiable, on envoie un type, « un pauvre type » qu’on déclare
ainsi, s’il se fait mal, on s’en fiche, et on laisse une autre machine qui en bon état, et,
comme par hasard, c’est toujours le même qui l’utilise. Qu’est-ce qu’on va faire nous,
quand on voit ça ? La seule chose qu’on puisse faire, c’est pas de dire: « C’est pas bien,
patron, d’agir comme ça », c’est: « Est-ce que cette machine est en bon état de
fonctionnement ? Est-ce qu’elle propose assez de protection aux travailleurs, etc…,
etc… » Voilà. Par des biais objectifs, enfin, par des éléments objectifs, on va arriver à
ça. Voilà. Mais le harcèlement tout fin qui se passe dans la vie de tous les jours, ça
c’est... ce sont d’autres problèmes. Ce sont d’autres problèmes.
E : Vous m’avez dit l’avoir soutenu, en lui disant que vous pourriez être témoin.
Expliquez-moi de quelle manière vous avez pu le soutenir moralement ?
T8 : En l’écoutant d’abord. En l’écoutant. Donc L***, je l’ai écouté beaucoup, mais
c’était un homme assez fier, comme ça, et il n’avait pas envie de... Je lui disais aussi
d’en parler avec le secrétaire communal. Donc, il en parlait avec le secrétaire
communal, qui lui, s’en foutait éperdument. C’est aussi un type de management. Ce
type voulait simplement qu’on lui fiche la paix, point barre. Donc, quand Luc allait
éventuellement se plaindre et dire: « Je reçois des injonctions paradoxales, l’un veut
ça, l’autre veut ça etc… ça ne me va pas », il n’était pas entendu. Il n’était pas entendu
ou alors, à un moment donné, on disait: « Il commence à nous casser les oreilles. » Il a
été lui bien accueilli chez une juriste, et puis moi. Et puis de toute façon, avec V***
aussi, qui elle, a obtenu un changement... de partir du département. Ça, elle l’a
obtenu, mais...
278
E : Donc, vous l’avez poussé à en parler à la hiérarchie ?
T8 : Oui, mais ça ne servait pas à grand-chose. La personne de confiance, il n’avait pas
tellement confiance. C’est pas parce qu’on est nommé personne de confiance qu’on
peut avoir confiance, ça c’est très clair. Et, il n’a pas fait la démarche d’aller vers un
service externe de prévention, d’autant que je ne crois pas qu’il ait identifié l’affaire du
harcèlement. Je ne pense pas qu’il ait identifié des choses comme ça. Je pense que ça
met du temps avant de s’en rendre compte. Ça met du temps. Moi, je commençais à le
savoir, mais, entre le savoir, l’analyser et le reconnaître, c’est très subtil et c’est très
différent. Et moi, je me suis dit toujours: « Mais ça va s’arrêter. Allez, je fais bien mon
travail. » Et j’en remettais des couches et des couches pour être encore plus parfaite.
Eh bien, ce n’était jamais suffisant. Et il a fallu que je m’effondre pour ça. Il a vraiment
fallu ça pour me rendre compte. Et c’est en parlant à la personne de... moi, j’ai fait
appel à la personne de confiance qui m’a dit: « Oui, je crois que tu es dans cette
situation-là. Va en parler au service externe de prévention Arista », ce que j’ai fait. Et
puis, quand j’en pouvais vraiment plus, j’ai été dans un centre de santé mentale pour
pouvoir déverser. Encore à l’époque, je me disais: « Mais c’est moi le problème, etc…
etc… » parce que qu’on croit que c’est soi qui est responsable. Donc, j’ai été... là, j’ai
fait quelques séances, très rapprochées, comme ça, toutes les semaines. Au
moins, j’avais un endroit d’accueil, et c’est comme ça qu’il a bien fallu reconnaître dans
quoi j’étais, et à un moment donné, dire stop. Donc, je suis allée travailler un matin. Je
devais changer de service l’après-midi, et ça, ça a été le pompon: je devais changer de
service l’après-midi, reprendre le service de V*** qui était partie dans un autre service,
reprendre le commerce, et pour le soi-même il fallait deux dossiers prêts. Je ne
connaissais rien au commerce. Moi, mon travail c’était la vie sociale et mener des
projets de rencontre dans les communes jumelées. Moi, le commerce et toute la
réglementation sur tout ça, je ne connais que dalle, plus toute l’organisation du
marché et tout... Je me suis dit: « Je ne vais pas savoir me retrouver dans un ordi, dans
les papiers ». Je me suis dit: « Ça, c’est vraiment me mettre encore en difficulté, etc...,
etc... » Et donc là, je suis rentrée à midi et je me suis effondrée ici. Je n’arrêtais pas de
pleurer et j’ai téléphoné à la chef du personnel en disant: « Je suis désolée, je pleure je
279
ne sais pas revenir, c’est pas possible. » Je lui ai dit que j’allais aller voir le médecin,
etc… et j’ai suivi comme ça toute une... J’ai cru que ça allait s’arranger en un mois, mais
ce n’est pas comme ça que ça se passe. Voilà.
E : Et quand vous avez poussé Luc à parler à la hiérarchie au-dessus, est-ce que, ça,
c’était habituel de votre part ?
T8 : Bien sûr. Mais quand c’est fermé, c’est fermé. Donc, on réfléchissait ensemble,
« Comment on fait ? »
E : Est-ce que c’était facile à mettre en place, où est-ce que ça vous demandait un
effort ?
T8 : Non, c’était naturel chez moi. Moi, je suis une personne qui écoute, je pense. Ça a
toujours été mon truc. Dès que quelqu’un avait un problème, les gens venaient me
voir. Ça a toujours été comme ça. Ça aussi, ça a sans doute fort dû déplaire.
E : Pourquoi avoir réagi de cette manière plutôt que d’une autre ?
T8 : Pourquoi lui avoir dit ça ? Mais parce qu’à un moment donné il faut alerter les
gens qui sont censés prendre des décisions par rapport au personnel. Oui. Ça me
paraît... Mais dans certaines institutions, ça ne se fait pas. On a demandé aussi qu’il y
ait des réunions d’équipe, avec ce fameux harceleur-là et toute l’équipe, etc… Mais,
c’était d’une perversité incroyable. Il travaillait au travers des échevins, etc... c’était... il
instrumentalisait tout le monde ce bonhomme. Et donc... Non, c’est terrible. Enfin, je
veux dire, quand on est dans un truc comme ça, c’est « prends tes jambes à ton cou et
fous le camp ». C’est vraiment ça.
E : Vous disiez que vous souteniez L*** aussi en l’écoutant quand ça n’allait pas ?
T8 : Oui, et on parlait beaucoup. Parce que quand il y a du harcèlement, c’est aussi un
peu... de la part de l’employeur... Un employeur doit savoir que si les travailleurs ne
280
sont pas heureux, ils parlent. Voilà. Ça me paraît logique. Donc, quand on fait attention
à ses travailleurs, les travailleurs sont plus rentables, je veux dire. Enfin, voilà. Ce n’est
même pas une logique libérale. Enfin, moi, je n’ai pas du tout envie de défendre une
logique libérale, je serais plutôt sociale, mais c’est élémentaire. Les gens ont le droit de
bien aimer leur travail. Bon sang, on y passe quand même notre vie, enfin, c’est une...
Voilà. Eh non, là, c’était pas ça. Et effectivement, beaucoup de perte de temps était
liée au fait que les gens parlaient entre eux. Parce qu’il n’y avait pas que dans notre
bureau que ça se passait. Ça se passait un peu partout. Il y avait des changements qui
s’opéraient, on ne tenait pas compte des gens, on n’avait pas tenu compte de nos avis,
enfin des choses comme ça. Ou bien on vous colle de plus en plus de travail, ou bien…
enfin des choses ainsi. Donc, forcément, L***, très bonnes analyses, on faisait de très
bonnes analyses tous les deux, il était... Il se posait des questions. Il me posait des
questions. Il se demandait s’il devenait dingue, pas en le disant comme ça, mais c’est
un peu ça. Moi, j’ai beaucoup fait ça avec V***, notamment, parce qu’on avait les
mêmes... Elle et moi nous étions deux femmes, et nous avions les mêmes propos, par
mail, venant du harceleur. Mais, pour monter un dossier harcèlement, il faut en être
conscient. V*** avait déjà été au service externe de prévention et quand elle s’est
rendue compte de la masse de travail, de la masse d’énergie dont elle aurait besoin,
elle a dit: « Ca, moi je ne peux pas. » Elle avait rencontré une nouvelle relation, elle
était enceinte, etc…, etc… Elle disait: « Non, maintenant, moi je dois penser à ma vie, je
ne peux pas m’impliquer là-dedans. » C’est comme... Je ne peux pas m’impliquer en
tant que déléguée syndicale, etc. ... Enfin... Ça fait un peu partie de ces choses-là aussi,
se syndiquer pour défendre notre travail et défendre notre personne, parce que... il
s’agit vraiment de ça.
E : Est-ce que déjà, avant, vous aviez des discussions comme ça avec L*** ?
T8 : Mais, oui, tout le temps. Oui, oui. En ce qui me concerne, moi, ma situation a
démarré en 2007. Donc, les choses se sont affirmées en 2007, au moment où j’ai été
dans le bureau avec L***. Et donc, oui, nous parlions beaucoup, ça c’est sûr, de ce qui
nous arrivait, de...
281
E : Est-ce que c’était facile à mettre en place ?
T8 : Non, pas du tout. Enfin, je veux dire... Ou bien il ne répondait pas, ou bien il en
avait assez d’en parler, ou... etc… Ça oui. Mais pour moi, ça n’a jamais fait de
problème. Quand quelqu’un est en train de ruminer... Donc, moi, je le voyais dans sa
figure. Il ruminait, comme ça, en lui-même. Et j’ai dit: « L***, tu sais que tu es en train
de ruminer. Qu’est-ce qui ne va pas ? Qu’est-ce qui se passe ? » Et... Mais, c’était
terrible de voir ça. Et donc, il était là, comme ça, il commençait à avoir des tics, et tout.
Mais, bon. Moi, je n’ai pas été en parler à d’autres personnes, parce que je trouvais
que je n’avais pas à le faire, parce que... voilà. Il faut quand même bien se dire une
chose, c’est que je n’ai pas eu tort. Une chose qui a été dite lors du départ de L***:
« Oh, mais de toute façon, L***, il avait un problème d’alcoolisme. » Ça, c’est le genre
de truc qu’on raconte... voilà. « De toute façon, il avait des problèmes personnels ».
E : Pourquoi avez-vous réagit de cette manière plutôt qu’une autre ?
T8 : Parce que ce n’est pas... Moi, je ne sais pas voir quelqu’un qui ne va pas bien et
rester de marbre. C’est pas possible, pour moi.
E : C’est votre personnalité, en quelque sorte ?
T8 : Oui. Oui, je pense que... Oui, je pense qu’il y a des gens qui peuvent très bien
rester tout à fait sans réaction devant une situation qui se passe. Mais ça c’est vrai
dans la vie de tous les jours. Vous avez un gamin qui tombe en vélo, ou bien vous allez
vers lui, vous l’aidez à le soulever, à lui demander s’il a mal, voir s’il saigne, ou que sais-
je, ou bien vous passez votre chemin et il se débrouille. Enfin, je veux dire que ça, ça
fait partie des individus. Oui, ça, ça me paraît... Et je suis, moi, quelqu’un de plutôt
aidant. Et donc, m’être retrouvée comme déléguée syndicale, c’était pas étonnant.
C’était pas étonnant. Enfin, on me l’a demandé, aussi, dans l’assemblée. Voilà. C’est
l’assemblée qui en a décidé.
282
E : Et est-ce qu’il y a d’autres comportements d’aide ou de soutien que vous avez pu
mettre en place vis-à-vis de L*** ?
T8 : Non. Non, parce que c’était une situation sans solution possible. Si lui ne réagit
pas, si lui ne monte pas au créneau et n’utilise pas les voies de recours, on ne peut rien
faire. Donc, après son départ, j’ai dit à sa famille que je veux bien être témoin de tout
ce que j’ai vu, je veux bien relater des événements. Mais, bon, apparemment, ça ne se
passe pas, ces gens connaissent mes coordonnées. Voilà.
E : Et qu’est-ce qui, selon vous, vous empêchait de réagir plus ?
T8 : Moi-même, j’étais déjà... Moi-même... Enfin, parler à ce chef de service, ça et rien,
c’était la même chose. Ça n’avait pas de sens. Il fallait aller beaucoup plus haut. Mais
ça, L*** avait quand même cette... comment dire... je ne me voyais pas... enfin, L***
n’installait pas, ne demandait pas ça. Et il aurait été, je pense, mal venu de se faire son
défenseur alors qu’il n’a pas fait de demande. Voilà. S’il avait été effondré, par
exemple, s’il s’était effondré vraiment en larmes, un truc comme ça, là effectivement,
j’aurais appelé le médecin du travail, j’aurais fait appeler quelqu’un, etc., un constat
quoi. Un constat. Mais, ça ne s’est pas passé. Donc, il prenait, éventuellement... il
partait, il prenait un jour de congé, etc… Mais bon, il a quand même craqué deux fois
solidement. Ce n’était pas des petits congés, c’étaient des longs congés. Et alors bien
entendu, le chef a été cracker son ordinateur. Il a dit: « Mais enfin, comment est-ce
possible, il n’y a rien là-dedans. » Donc, entre son départ et son retour, j’ai vu les gens
qui allaient sur son ordinateur et qui ont commencé à le critiquer, mais à le critiquer.
Ça, c’était épouvantable. Epouvantable.
E : Est-ce qu’il y a d’autres choses qui vous empêchaient d’intervenir ?
T8 : A partir du moment où la personne ne vous demande pas d’intervenir, je pense
que là c’est une limite. Quand L*** était malade, j’allais certainement pas lui
téléphoner et lui dire que son travail était critiqué, etc…, etc…, quoi. C’était pas la
peine d’en remettre une couche, voilà. Quand il est revenu, il a été hyper contrôlé,
283
enfin, ça a été vraiment terrible. Enfin, on peut se dire aussi que quand on est dans des
situations contradictoires comme ça, on ne sait plus travailler. On est obnubilé par
d’autres choses, et ça, c’est caractéristique.
E : Avez-vous a un moment donné pris plus conscience de ce qui était en jeu dans la
situation, ou bien sa gravité ?
T8 : Quand je pense à L***, je pense que lui-même ne reconnaissait pas qu’il y avait du
harcèlement.
E : Et vous, vous dites l’avoir vu, avoir perçu ça comme du harcèlement. Est-ce qu’à un
moment donné vous avez eu un déclic ?
T8 : Mais L*** est tombé malade. Il n’était plus là.
E : Donc là, vous vous êtes dit que ça commençait vraiment à l’atteindre fortement ?
T8 : Ah, oui. Là, il était en congé de maladie, et personne n’en parlait. Personne n’en
parlait. Voilà. Et on ne me demandait pas d’en parler, en plus, puisqu’il n’y avait jamais
de réunion d’équipe. Donc, voilà. Ce que nous pouvions faire, c’est que, on lui
envoyait, nous, V*** et moi, on lui envoyait des petits mails gentils et des machins
comme ça, pour avoir de ces nouvelles. Ça, on faisait pour garder le... On avait envie
de garder le lien.
E : Cela a-t-il modifié votre comportement ?
T8 : Non. J’ai toujours été très... Enfin, j’ai toujours été très, très attentive à L***. Je
pense qu’il commençait à capter les contradictions dans lesquelles il avait été, et donc,
il me les a dites, notamment qu’il avait été soit disant chargé de me surveiller. Je lui ai
dit: « Quel beau boulot. » Enfin, bon, voilà. Donc tout ça, c’était... C’est quand même
pervers. Enfin, voilà. Mais ce gars s’est fermé pour se protéger, et donc, on n’a plus eu
de nouvelles de lui, aussi bien la psychologue qui a agi pour moi, aussi bien V***, parce
284
qu’on était une bonne bande à quatre, quoi. Et on aimait bien... Oui, on aimait bien
papoter ensemble, voilà.
E : Est-ce que les autres membres de l’entreprise ont réagi ?
T8 : Non. Non. Nous, on veut bien les soutenir, mais il faut qu’ils fassent... Enfin, il faut
qu’ils fassent quelque chose, quoi. Mais bon, maintenant, on ne sait absolument pas
où il est. On ne sait absolument pas où il est, et c’est vrai que... Je fais des
expositions... Il a fait de la photo, aussi, et donc, je me suis dit, je vais lui envoyer un
petit mot... D’autant que... Lui envoyer un petit mot pour l’inviter au vernissage, parce
que j’en ai déjà eu trois, là, maintenant. J’ai repris pied, moi, enfin, dans la photo, etc…
Mais, pas de nouvelles. Je me dis que je vais reprendre contact avec sa sœur et voir un
peu. J’ai pas envie de jouer les intrusives non plus, parce que je sais que c’est
extrêmement difficile. On a parfois bien besoin de se protéger, de ne plus voir. Moi, ne
vais plus à la maison communale. J’ai changé ma banque, elle est ailleurs maintenant,
enfin, etc…, alors que c’est quand même ma commune, bon sang, je me dis, la
prochaine fois que je dois rentrer dans ces locaux, ce sera en 2015 pour ma carte
d’identité. C’est tout à fait idiot, mais je suis dans l’évitement. Enfin, de moins en
moins quand même, mais, voilà. Je reprends pied dans la vie sociale maintenant, dans
la vie... Mais, voilà. Il y a un autre gars que j’ai vu hier au vernissage, qui est un
médecin, qui lui a été harcelé par tout un groupe d’infirmières. Et moi, j’ai vu ce type
craquer. C’est un médecin pédiatre. Je l’ai vu craquer dans le bureau de la vie sociale. Il
a été mis dehors par le chef de service là-bas. Le chef de service lui a dit: « Téléphone à
la bourgmestre », et c’est tout. Il a été jeté, mais comme une vieille loque. Et, je l’ai
accueilli, je l’ai mis dans un petit bureau. Il pleurait. Je lui ai donné à boire, je lui ai
amené un téléphone, je lui ai trouvé le numéro de téléphone du GSM de la
bourgmestre. On n’arrivait pas à la joindre, etc… Il m’a expliqué ce qu’il s’était passé,
et je lui ai dit: « Ecoute, tu peux compter sur moi, je témoignerai de ce que je viens de
voir maintenant, ici. » Et donc, ça fait deux ans que ça s’est passé. L’affaire est en
justice aussi, et je lui ai rappelé hier soir: « Tu sais, je suis toujours témoin pour toi. »
On va manger la semaine prochaine ensemble, et on va un peu parler de comment ça
fonctionne pour lui, quoi. Voilà. Il est en train de se reconstruire, le bonhomme. Il
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donnait des cours, et il est médecin aussi, c’est un pédiatre. Les cours, ça il sait encore
les donner, mais il est en mi-temps. Il travaille à mi-temps seulement.
E : Mais donc, vous m’avez parlé de V***. Elle soutenait Luc ?
T8 : Oui. Oui, ils s’aimaient bien.
E : Donc elle, elle avait, malgré tout, le même type de comportement que vous par
rapport à cette situation ?
T8 : Oui. Oui, oui. Mais à un moment donné, elle a dû se sauver. Elle, elle a sauvé sa
peau en demandant de changer de service, en introduisant un recours contre
l’évaluation négative. Donc, elle a suivi cette voie-là. Et elle me disait... On s’était dit,
on va introduire un recours... une plainte pour harcèlement à deux. Et quand elle s’est
rendue compte ce que cela demandait comme travail, elle a dit: « Non. Non, ça je ne
peux pas. » Parce qu’on re-souffre une deuxième fois tout ce qu’on a vécu, parce
qu’on ré-ouvre tout. C’est vraiment pénible, pénible.
E : Et mis à part elle, est-ce que d’autres personnes soutenaient aussi L*** ?
T8 : Une juriste qui est toujours là.
E : Et les autres membres de l’entreprise, ça se passait comment ? Ils ignoraient la
situation, ou ils allaient dans le sens du harceleur ?
T8 : Mais il y avait double harcèlement. Tant de la part du bourgmestre que du chef de
service. Et je pense qu’il n’en parlait pas à tout le monde. Donc, il allait au secrétariat.
Ça, c’était près de... C’était les gens qui savaient tout, au niveau des décisions, etc., etc.
Et donc, la juriste l’écoutait beaucoup, en tout cas.
E : Donc les autres ne le savaient pas forcément, n’étaient pas au courant de cette
situation ?
286
T8 : Non. Non.
E : Mais ceux qui savaient étaient plutôt à le soutenir ?
T8 : Oui, c’est sûr.
E : A avoir le même type de comportement que vous vis-à-vis de L*** ?
T8 : Oui, je pense. Je pense. Enfin, moi, j’ai été sans doute... Parce que quand on
fermait nos portes, je pouvais lui dire ce que je pensais. J’ai été quelques fois assez
dure avec lui, en disant: « Ecoute, maintenant, tu dois demander de l’aide. Et ce n’est
pas un médecin de famille. Maintenant, tu vas voir un psychiatre, tu vas voir un
spécialiste, parce que là, à mon avis, tu es en grande souffrance, et ça suffit, quoi. Ça
suffit ». Et ça, il l’a entendu quand même. Et ça, il l’a fait. Ça, il l’a fait. Et alors, je lui ai
dit: « Tu te mets en congé, aussi. » Et alors, il a dit: « Ok, mais je vais... D’accord, mais
je vais arranger un peu mes affaires ici, prendre ce qui ne doit pas rester dans mon
bureau. » Il a quand même attendu une semaine à mettre ses affaires un peu en place,
à éliminer des choses de son ordinateur, et tout, et voilà. Et donc lui, son ordinateur a
été cracké quand même. Alors moi, on a voulu le cracker quand je suis partie. Et là, la
chef informatique a directement enlevé mon ordinateur, et a dit: « C’est l’ordinateur
d’A***. Il n’y a rien à aller voir là-dedans. » Voilà. Et heureusement qu’elle l’a fait.
Enfin, ça, j’ai trouvé une mesure à mon égard que j’ai vraiment bien perçue. Là, j’ai
trouvé du soutien. Voilà. Mais il y en a peu. Il y en a peu, dans les chefs, qui font ce
genre de chose et qui prennent des positions, quoi, très clairement.
E : L’entreprise a-t-elle réagit ?
T8 : Non. Non. Pas du tout. Alors oui, ils ont dû réagir, ils ont dû payer. Donc, quand
une instruction est demandée, l’employeur est au courant que j’ai déposé une plainte
auprès de Arista, et l’employer doit accepter de payer - enfin, peut ou ne pas accepter
- doit payer Arista pour l’instruction du dossier qui va prendre, j’invente, 60 heures,
287
par exemple, de travail. Et donc, c’est facturé, et, quand il paye, l’instruction du dossier
commence. Donc, ils ont été prévenus, ça, c’est le circuit légal. Ils ont été prévenus. De
toute façon, moi, j’étais sous couvert du congé de maladie. La chef de service était
encore là, mais elle prenait sa pension. Donc, c’est la personne de confiance qui
m’avait vue qui, elle, est devenue la grande chef de service du personnel. Et donc, on a
eu des rapports tout à fait cordiaux, et on a toujours un rapport cordial. Il n’y a pas de
problème parce qu’on s’estime. Enfin, elle m’estime et je l’estime, même si on a eu
une réunion avec l’avocat de la partie adverse, dans laquelle, moi, je reprenais corps et
je me défendais déjà, quoi, sans grimper à l’arbre. Non, non, c’était vraiment solide, ça.
E : Et dans l’affaire de L***, est-ce que l’entreprise a réagi ?
T8 : Rien du tout, parce qu’il n’y avait pas de plainte. Seul un conseiller communal a
demandé: « Comment se fait-il que L*** ait démissionné, soit parti ? » Parce que cet
échevin-là, qui était dans l’opposition à ce moment-là, l’avait connu au service des
travaux publics avant, et il ne comprenait pas. Il ne comprenait pas. Et aucune raison
n’a été donnée publiquement. Aucune raison. Et moi, j’en ai parlé après, sous cape.
J’en ai parlé après, quand j’ai appris que le conseil communal avait posé la question
officiellement.
E : Ce n’est pas allé plus loin que ça ? Il a posé la question, mais ça n’a pas fait boule de
neige ?
T8 : Non, non. Pas du tout. Pas du tout.
E : Pensez-vous que cela est plus dur dans votre entreprise plutôt que dans une autre
de pouvoir intervenir ?
T8 : Je pense que c’est difficile partout. Je pense que c’est difficile partout, surtout là
où on a enlevé la solidarité dans le management du travail. Donc, de plus en plus
d’institutions fonctionnent par un service, une personne. Et donc, quand cette
personne n’est pas là, on attend cette personne, etc… Et donc on isole les gens de plus
288
en plus. Et donc... Moi, je crois vraiment que le type de management est en train de
désolidariser les gens entre eux. Voilà. Et ça, c’est une... Il y a des gens de ma
génération qui ont travaillé sur ce mode-là. Donc moi, je travaille depuis quarante ans,
quand même. J’ai 58 ans et j’ai commencé à 18 ans. Et effectivement, je travaillais
comme éducateur, je suis éducateur à la base. Face à un souci, face à une urgence, les
femmes battues, etc… Enfin, dans toutes les institutions où j’ai travaillé, on se serre les
coudes. Enfin, je veux dire que les éducateurs viennent aider l’autre, en cas de
difficulté, qu’est-ce qui se passe ? On est dans des systèmes d’urgence. Donc, dans ce
milieu-là, j’ai été éduquée aussi à la solidarité. Et quand un type était là, avec son
couteau et qu’il voulait tuer une jeune fille, il fallait bien faire quelque chose, enfin
voilà. Donc, je pense que, aussi, dans notre génération, la solidarité y a été. On est
aussi plus proche de ces mouvements syndicaux de nos grands-parents qui ont quand
même été dans la rue, qui ont été... Enfin, qui ont fait des choses comme ça, et qui
n’ont pas peur d’ouvrir leur bouche. Voilà. Mais c’est vrai que la plupart des jeunes,
aujourd’hui, font leur petit boulot, ne veulent pas trop s’investir. Ils font... Voilà, c’est
un petit peu la génération: « J’ai peur, si je parle je n’aurai plus mon travail, etc… » On
est aussi... Oui, la peur est en train de rendre les gens très silencieux, ça c’est évident.
E : Donc, pour vous, le management qui est mis en place dans votre entreprise a quand
même rendu les choses plus difficiles ?
T8 : Je crois. Il n’y avait plus de syndicats dans l’entreprise. Moi, j’y suis depuis 98. Il n’y
avait plus de représentations syndicales jusqu’en 2006, au moment où on s’est dit:
« Oh, ils sont en train de liquider le personnel. » Pourquoi ? Pour faire des économies,
etc… Et donc, il y a des gens qui se sont mobilisés du coup, on y avait droit. Mais ça a
été très, très difficile. « Mais ici, on n’a pas besoin de syndicats », etc… etc… Non,
tiens ! On a commencé à regarder un petit peu de plus près. Voilà.
E : Vous m’avez donné l’exemple d’être intervenue auprès du CPPT. Est-ce que c’est
plus difficile de faire bouger les choses à ce niveau-là dans votre entreprise que dans
une autre ?
289
T8 : Non. Moi je pense que... Euh... Enfin, dans tous les réseaux des maisons
communales des CPAS, etc., en région bruxelloise, les travailleurs... les syndicalistes
ont du mal à faire valoir des choses en CPPT. Mais, au moins là, nous avons des recours
possibles. Et donc là, on peut s’aider, soit de... Enfin, nous, à la... nous chez les... à la
CGSP puisque c’est le service public, à la CGSP, on a... comment dire... un spécialiste...
un spécialiste sur le bien-être au travail, et un type qui y va. Donc, quand lui, force la
porte, quand il dit: « Ça, ça doit être fermé maintenant, parce qu’il y a de l’amiante, ça,
ça doit être fermé parce qu’il n’y a pas de cabinets », enfin, etc…, etc… Il a agi
notamment au niveau de la police, c’est bien. Et quand Marc vient, quand j’invite Marc
à une de nos réunions, tout le monde tremble, tout le monde est comme ça. Voilà.
Donc, ça, ce sont des armes... ce sont les armes que nous pouvons utiliser, tout en
étant bien gentil, maintenant rappelons, voilà, il y a des textes qui existent. On doit
faire comme ça, et pas comme ça. On fait comme ça. Ça pour moi, c’est le seul organe
aujourd’hui dont les travailleurs disposent pour …, dont les travailleurs qui veulent
bien s’impliquer en tant que délégués syndicaux, on est bien d’accord. Ça c’est un outil
objectif, qui existe, qui est là, et pour lequel on peut avoir des recours. S’il y a des
choses qui ne sont pas bien, on porte plainte et on le dit à l’employeur: « Nous allons
porter plainte, nous allons porter cette affaire devant le service d’inspection ad hoc, au
ministère de l’Emploi et du Travail, et voilà. Maintenant, vous faites comme vous
voulez. » Et donc, on a dû faire ça.
E : Et en comparaison à une entreprise privée, par exemple, est-ce que vous pensez
que c’est plus difficile d’intervenir ?
T8 : Moi, je pense que, dans le public, c’est plus difficile. C’est plus difficile parce qu’il y
a des nominations, des choses comme ça. Dans le privé, les gens n’ont pas la même...
Enfin, il me semble que dans le privé, on comprend vite les choses. On comprend
beaucoup plus vite les choses que dans le public. Il me semble que c’est... Il me semble
que ce serait plus facile. Par exemple, moi, j’ai demandé mon... enfin, ce n’est pas moi
qui l’ai demandé, mais ça aurait été bien si l’on m’avait licenciée. L’employeur ne veut
pas parce que ça coûte trop cher. Tous mes autres camarades harcelés ont obtenu leur
licenciement, et on leur a donné deux ans, au moins, de salaire. Voilà, comme ça, on
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n’en parle plus, terminé, on ne va pas faire souffrir et la personne, et nous, on ne va
pas être ennuyé non plus, donc, voilà. Mais dans des systèmes, comme ça,
administratifs, où tout est lourd, où tout est très difficile, je pense que c’est encore
plus difficile que dans le privé.
E : Quels ont été les obstacles les plus durs à dépasser pour pouvoir mettre en place
des comportements d’aide ou de soutien ?
T8 : Je ne m’en souviens pas. En ce qui me concerne, moi, je n’avais pas tellement de
difficulté, puisque j’avais déjà fait l’analyse, par rapport à ma situation de déléguée
justement. J’avais déjà une bonne analyse des choses et je ne me... On n’a plus trop
d’espoir. Quand les gens ne fonctionnent pas bien, on peut se dire qu’ils vont bien
s’arrêter un jour, qu’ils vont comprendre. La seule chose qu’on puisse espérer c’est
qu’ils ne soient plus réélus. Enfin, je parle des politiciens qui sous-tendent ça.
E : Par exemple, qu’est-ce qui a été le plus difficile, les obstacles les plus durs à
dépasser pour aller parler au CPTT et exprimer la souffrance générale que beaucoup
de travailleurs ressentent ?
T8 : Ce n’était pas difficile à faire. Enfin, pour moi, c’était pas difficile parce que, en
général, je m’exprime facilement face à un groupe, face au médecin du travail, face au
patron, etc… Et de toute façon, je n’affirmais pas, je ne jugeais pas. Donc, c’est: « Il me
semble que… il se passe des choses. » C’était toujours très prudent, et on
demandait: « Est-ce qu’il n’y aurait pas moyen de faire quelque chose pour diminuer
ça ? » On a donné des exemples, des exemples qui se passaient dans d’autres
communes, etc… Voilà. « Mais, on n’a pas les moyens. » « D’accord. » Enfin, bon. On
tourne en rond, quoi.
E : Vous n’aviez pas peur des conséquences possibles ?
T8 : Oui, bien sûr. On regardait les conséquences possibles pour moi, oui, ça c’est sûr.
Enfin, moi, je n’ai pas vraiment eu peur, parce que sinon, on ne fait pas ça. Ils savaient
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ce que je pensais, et puis, c’est bon, quoi. Bien sûr, on peut avoir peur, mais de toute
façon, j’ai jamais été nommée et je me suis dit, bon bah finalement, ce n’est pas ça que
je cherchais. Moi, je n’ai pas cherché à défendre ma cause en tant que déléguée. Ça se
saurait. Je ne serais pas là aujourd’hui, en tout cas. Mais, le prix a été très cher. Ça,
c’est évident.
E : De l’avoir soutenu, aussi ?
T8 : Non, non. Pas ça. Mais, le fait de m’être engagée dans une procédure en tant que
déléguée, effectivement, j’aurais pu... Oui, ça effectivement, ça m’a coûté
personnellement.
E : Qu’est ce qui aurait pu faire que vos comportements soient différents (plus ou
moins présents) ?
T8 : Quand on est délégué syndical, on est assez seul. C’est bizarre, mais, bon. Il y a des
affiliés qui payent pour qu’un délégué monte au créneau, et le délégué, il est seul. Et
moi, j’étais déjà dans la couverture du harcèlement. Moi, j’étais déjà... Mais je
n’intervenais pas en parlant de moi. Jamais. J’avais une sensibilité telle que, je flairais
partout, là où il y avait des soucis. Je pense que, la solidarité, justement, aurait pu... on
aurait pu faire quelque chose de plus, mais je ne vois pas... Pour moi, on a fait le
maximum, avec mes camarades du même groupe que moi.
E : Mais s’il y avait eu plus de solidarité entre les gens...
T8 : Mais, si les gens avaient moins peur, et si les gens... Oui, mais ça... bon. Les gens
ont peur. Ça, ça leur appartient. Les gens ne s’engagent pas, ça leur appartient. Moi, je
ne suis pas dans... Je n’ai pas du tout envie de critiquer ça, parce qu’ils en prendront
conscience un jour. Ça c’est ce que je me dis.
E : Donc, la solidarité. Est-ce qu’il y a d’autres choses qui auraient pu faire en sorte que
vous puissiez plus intervenir en tant que témoin ?
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T8 : Oui. Moi, je pense que... Enfin, il y a déjà eu des campagnes de prévention et
d’affichage, je pense, pour essayer de... des affiches, etc. Moi, j’en avais mis sur ma
porte, et bien sûr, elles ont été arrachées par le chef. Voilà. Je pense que des
formations, à l’intérieur de l’entreprise, seraient tout à fait judicieuses. Mais, quel est
l’employeur qui va faire ça ? C’est vrai que... On a, dans les services publics, il y a un
certain nombre de jours de formation obligatoire, en principe, pour parfaire son outil,
pour être plus performant, pour s’adapter à de nouveaux logiciels, etc…, etc… Je me
demande s’il ne serait pas opportun de créer régulièrement - comme la prévention
incendie, qui devrait être faite mais qui ne se fait pas, enfin bon, etc… - de créer
régulièrement des groupes de parole, des groupes de sensibilisation, en tout cas, à la
notion de bien-être au travail et à la notion de harcèlement. Voilà.
E : Vous pensez que si les gens avaient été plus sensibilisés à ça, plus informés sur ça,
ça aurait aidé à plus réagir ?
T8 : Peut-être. Peut-être. C’est quelque chose que, moi, j’avais envie d’installer. Il y a
eu des vidéos qui ont été faites aussi, par le ministère de l’Emploi et du Travail,
concernant le harcèlement. J’avais visionné ça, et c’était terrible. Et je me suis dit, ici, il
faut qu’on organise quelque chose, qu’on invite les travailleurs. Mais bon sang, quand
on faisait, rien qu’une assemblée, les travailleurs ne venaient pas aux réunions. Ils ne
venaient pas parce que ça se passait, plus ou moins, dans l’enceinte proche du travail,
et, après le travail, tout le monde avait sa famille, etc…, etc… Et je veux dire... ça
concernait... ceux-là auraient éventuellement été l’initiative d’un syndicat. Donc, il y a
déjà une coloration, quelque part. Qui dit syndicat, dit... Voilà. Moi, je pense que, ce
qui serait bien, c’est qu’en dehors de tout syndicat: une entreprise pourrait mettre sur
pied des espèces de formations de sensibilisation à une mise en garde sur des
pratiques qui ne sont pas respectueuses, etc... etc… Il y a ça et y’a d’autres choses.
Apprendre la solidarité, aussi, pourquoi pas. Quelques petites leçons de civisme, ça ne
fait pas de tord non plus. Des choses comme ça. Mais, ça pourrait être intégré, de la
même manière qu’il faut faire de la prévention incendie. On doit prévoir tout ça, mais,
sur le terrain, ce n’est pas comme ça que ça se passe. On doit faire des rappels tous les
293
ans, mais chez nous, ça fait trois ans qu’on attend maintenant. Et donc, pour ça, il faut
que... Il convient qu’il y ait un système de contrôle et il faut qu’il y ait un système, du
coup, d’obligation vis-à-vis des employeurs. Voilà. Pour les choses élémentaires, ça ne
se fait déjà pas beaucoup, mais pour le harcèlement, je pense qu’il devrait y avoir des
sensibilisations aussi bien des patrons que des travailleurs. Tout le monde. C’est
d’ailleurs un truc que j’avais mis dans mon dossier: qu’est-ce qui pourrait faire changer
les choses ? C’était une de mes propositions.
E : D’accord. Et est-ce qu’il y a d’autre chose qui aurait pu faire que vos
comportements soient plus présents ?
T8 : Non. Je pense que je l’étais assez. Vraiment. Je pense que je l’étais assez et que je
l’ai toujours été. Voilà.
E : Donc, plus présents chez les autres témoins. Est-ce qu’il y a des choses qui auraient
pu, comme vous venez de l’évoquer (la prévention et la sensibilisation), est-ce qu’il y a
d’autres choses qui auraient pu inciter les gens à réagir ?
T8 : Mais, les gens se défendent. Enfin, je veux dire... Il y a un crash ici, un accident, il y
a des gens qui vont dire: « Voilà ma carte, je suis pressé, je peux témoigner plus tard »,
ou bien « Je ne veux pas avoir d’ennuis avec la justice », etc… Ça, c’est un fait bien réel.
Deux voitures se cognent, il y a de la casse, c’est clair et net. Enfin, ça paraît clair et
net. Mais, dans le cas du harcèlement, on ne connaît pas suffisamment la
problématique du harcèlement, et on va dire: « Mais, de toute façon, elle était chiante,
c’est normal hein… c’est normal ce qui lui est arrivé », ou des propos comme ça,
puisque les gens ne connaissent pas cette problématique-là. Donc, effectivement,
parler du harcèlement, renvoyer vers des écrits d’ Hirigoyen etc…, ça pourrait aider.
Mais, bon. Les gens n’ont pas envie de se mettre là-dedans. Voilà.
E : Et à l’inverse, qu’est-ce qui pourrait faire que les gens réagissent moins ?
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T8 : J’essaye de penser… Eh bien d’abord, j’aurais pu être instrumentalisée. J’aurais pu
être instrumentalisé, en disant: « De toute façon, cet individu-là, il est comme ça,
comme ça, comme ça, ça ne vaut pas la peine de le défendre », enfin, que sais-je, un
truc comme ça. Ou bien, je sais que je dois re-signer un contrat dans six mois et que je
n’ai vraiment pas intérêt à me faire remarquer, et que si j’ai envie d’avoir mon
contrat...
E : La peur de perdre son emploi ?
T8 : La peur de perdre son emploi, ça c’est évident, la peur aussi d’une promotion.
Parce que, quand même, on peut évoluer dans le service public. Oui, la peur d’être mis
sur le côté. Parce que dans les institutions, il y a toujours des groupes, comme ça, qui
fonctionnent bien ensemble, qui s’auto contrôlent.
E : De perdre certains bénéfices, peut-être, le bénéfice d’être dans un groupe...
T8 : Oui, c’est ça, aussi, aussi. Oui. C’est rare les personnes qui se positionnent. J’ai une
amie que j’ai rencontrée aussi à Brugmann et qui me parlait l’autre jour... Il y a des tas
de gens que je connais et qui peuvent raconter des choses. Il n’y a rien à faire. Là, dans
cette entreprise, c’est à la région bruxelloise, celle qui a… Région de Bruxelles-capitale,
aussi un service public, le chef harceleur est devenu la personne de confiance. Alors, il
poursuit un gars au sein d’une équipe pour le moment, c’est en train de se passer
maintenant, il poursuit un gars, et il a envoyé des mails à tous les collaborateurs en
disant: « S’il met son pied de travers, ou s’il a fait une faute dans un truc, il faut me le
signaler. » J’ai dit à M***: « J’espère que tu as bien gardé ça. » Et, un beau jour, elle va
en réunion d’équipe, et elle a dit: « Ecoutez, moi je ne suis pas d’accord, sur votre
manière de fonctionner, on n’a pas le droit de faire ça. On n’a pas le droit. Vous n’avez
pas le droit. Il ne fait pas mieux ou moins bien son travail que chacun d’entre nous
ici. » Le type est en congé de maladie, maintenant. Et donc, elle lui a déjà dit à ce gars-
là: « Ecoute, si tu as besoin d’un témoignage, de mon soutien, je suis là. » Et là,
maintenant, il prend un peu de recul, il se repose, et M*** me demandait: « Qu’est-ce
que je peux faire dans ce cas-là ? Si la personne de confiance est justement le
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harceleur, qu’est-ce qu’on fait ? » Alors, je lui ai dit d’aller dans un service externe de
prévention, c’est justement le même que le mien, de prendre contact là, et de voir, et
d’effectivement, d’aller plus haut, parce que là, c’est grave. Voilà. Elle va le faire. Elle a
reçu, elle, clairement le mail, en disant: « Si J*** oublie de mette une virgule quelque
part, vous me le signalez tout de suite. » Et, ça, tous les gens du service l’ont reçu. Une
faute. Enfin bon, c’est très bien. C’est très bien, oui, oui.
E : Et est-ce qu’il y a d’autres choses, selon vous, qui pourraient faire que vos
comportements, ou que les comportements d’un témoin soient moins présents ?
T8 : La peur de l’après.
E : C'est-à-dire ?
T8 : Par exemple, moi j’ai... Mon harceleur a essayé, il instrumentalise tout le monde,
et alors il a dit: « Oui, Anne, elle ne travaille pas beaucoup, elle fout rien, en fait, mais
elle se plaint d’avoir trop de travail. » Ça, c’est classique. C’est partout. Et il dit ça à des
gens, dans la rue. C’était mon amie, il ne le savait peut-être pas trop, mais, cette amie
est en présence d’un autre ami, ils vivent ensemble. Et, je demande à mon amie:
« Veux-tu bien témoigner, pour moi, qu’il t’a dit « elle fout rien et elle se plaint toujours
d’avoir trop de travail », tel mois, dans telle année ? » Son copain a dit: « Non, moi je
ne veux pas avoir d’ennuis. Si tu fais ça, moi, je risque d’avoir des ennuis pour faire des
jobs, des promotions, dans le cadre de « Bruxelles ma belle », etc. Enfin, bon. Parce
qu’ils sont dans un milieu artistique, c’est le chef du service de la culture, en plus.
Donc, il y a des ramifications de connaissances. Et donc, D*** a peur de rater des
contrats à cause de ça. Parce que du coup, le harceleur, va lui fermer les portes.
E : Donc, peur des conséquences pour soi après...
T8 : Pour soi, mais pour son ami qui était là aussi. Donc, ça, c’est une réalité. J’ai reposé
la question, maintenant. Je n’ai toujours pas de réponse, mais je l’ai reposée. Je lui ai
dit: « Ecoute, ça n’engage le fait que cette personne ait dit ça. Ce n’est pas pour ça
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qu’il faut dire que c’est un méchant harceleur. Ça, c’est pas ton problème, c’est autre
chose, mais d’apporter un élément ». Voilà.
E : Donc, peur des conséquences pour son emploi, après, quelque part, qu’elle n’ait
pas les contrats ?
T8 : C'est-à-dire... oui, pour son emploi. Mais ce ne sont même pas des personnes qui
font partie de la commune, qui ne travaillent pas à la commune, mais pour d’autres
relations qui peuvent aboutir à des emplois après. Ça, oui. Par exemple, j’ai une amie
qui est artiste. Ce type de la culture, il gère tous les artistes de la commune. Si cette
fille se porte témoin... Parce que cette fille a travaillé bénévolement pour moi, j’ai
demandé l’autorisation au collège, etc…, donc, si elle a travaillé bénévolement, ce
n’était pas pour se tourner les pouces. C’est parce qu’elle a bien vu qu’il y avait un
problème. J’ai eu d’autres travailleurs bénévoles dans des actions qui nécessitaient
d’être à plusieurs, quand même, et elle... Enfin, qu’est-ce qui va se passer ? Elle n’aura
pas le droit d’exposer dans la commune. Elle risque ça. Donc, il tient quand même pas
mal de rênes. Donc, si les gens ne témoignent pas, c’est aussi pour ces raisons-là.
E : Est-ce qu’il y a d’autres raisons qui vous viennent à l’esprit ?
T8 : Moi, je crois que le témoin... Le témoin devient un petit peu le paria, comme la
personne qui a osé porter plainte. Je crois qu’elle pourra être perçue comme ça. Et de
toute façon, on en dira du mal. « Ah, oui, mais, celle-là... ». Voilà.
Commentaires pendant la passation du questionnaire :
T8 : Pour moi, c’est le harceleur. C’est très clair, mais, intégré dans une entreprise qui
le soutient. Voilà. Moi, c’est ce que je dirais. Est-ce que je peux écrire ?
(Lis à haute voix) Et selon vous qui est responsable de cette situation ?
Pour moi, c’est le harceleur. La personne cible, non. Faut arrêter, ça. Dans une
entreprise saine, les harceleurs sont immédiatement recadrés. C’est ce que je pense...
Enfin, c’est ce que... voilà.
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Chez moi, c’est celle-ci. Ça correspond plus à de la... au service public.
(Lis à haute voix une des propositions) … les uns avec les autres orientaient leur travail
de façon à remontrer leur besoin d’accomplissement les plus élevés ...
Ça, c’est un travail de groupe, ici. Ça, on casse. Ça, on casse. Oui, ici, je dirais... Oui...
utilise cette tendance... Le harceleur peut déployer ses talents de perversité dans une
institution dont le management est soutenant. Voilà. Il y a différentes descriptions à
faire parmi les types de management, mais... oui, c’est une... ça, c’est ce que je pense
maintenant, aujourd’hui. Mais, pendant de longs mois, en ce qui me concerne, j’ai
pensé être coupable. Voilà. Le fait de passer à la clinique du stress, quand même, ça
remet un peu les pendules à l’heure sur tout ce que Corten fait, notamment, par
rapport à la manipulation, etc., tous les cours qu’il donne, ça éveille quand même, et
toutes les lectures aussi. Voilà. Je viens de tomber sur un livre... Je ne sais pas si c’est
fini ?
E : Oui. Merci.