Le règne des Carolingiens :
l’empire d’Occident retrouvé et perdu
Les successeurs des Mérovingiens
Les Carolingiens, dynastie fondée par la famille des Pippinides, règnent sur l’Europe
occidentale des années 750 jusqu’à la fin du xe siècle.
Prenant appui sur l’Église de Rome, leur pouvoir est marqué par la réalisation de
la quasi-unité de l’Occident chrétien sous Charlemagne, sacré empereur d’Occident
en 800, et par de grandes réformes entreprises par Pépin le Bref, poursuivies et
amplifiées par Charlemagne, dans les domaines religieux, administratif, législatif
et éducatif. Cette véritable restauration de l’État s’appuie sur des lettrés et
savants chrétiens, conseillers de l’empereur. Nommés à des postes clés, ils seront
les artisans de ce qu’on a appelé la « Renaissance carolingienne », voulue par
Charlemagne, qui s’épanouit sous son règne et ceux de son fils Louis le Pieux
et de ses petits-fils.
Les successeurs de Charlemagne auront du mal à conserver l’empire dans ses
limites, son unité et son intégrité. En transmettant de son vivant son titre d’empereur
à son fils aîné et en le faisant son héritier principal, Louis le Pieux tente de rompre
avec la tradition franque de l’héritage (répartition égale du royaume entre les fils),
génératrice de déchirements fratricides. Mais il échouera. Le traité de Verdun (843)
partage l’empire entre les petits-fils de Charlemagne et met fin au grand rêve d’unité.
Une brève reconstitution théorique de l’empire apparaîtra sous Charles III le Gros,
qui sera empereur d’Occident quelques années (881-887).
Couronnement de Charles le Chauve
Sacramentaire de Charles le Chauve
BNF, Manuscrits, latin 1141, f. 2 v°
École du Palais de Charles le Chauve,
v. 870
Charles le Chauve, entre deux dignitaires
ecclésiastiques, est couronné roi de
Lotharingie (à Metz, le 9 septembre 869)
par la main de Dieu, qui impose ainsi
sa souveraineté sur les hommes.
À la mort de Charlemagne, le monde occidental est,
d’apparence évidente, tout entier chrétien. C’était la mission,
c’est le mérite de l’empereur défunt d’avoir, en repoussant
toujours plus loin les limites de l’empire, dilaté la chrétienté.
Laurent Theis, L’Héritage des Charles
L’Empire chrétien d’Occident, de sa naissance à sa dislocation
Les maires du palais
Les deux ancêtres des Carolingiens, Pépin
de Landen et saint Arnoul, évêque de Metz,
appartiennent à l’aristocratie d’Austrasie.
Ils rallièrent au roi de Neustrie Clotaire II
l’aristocratie de la Gaule du Nord-Est (613).
Pépin occupa une fonction apparue au vie siècle
et qui prit de l’importance en même temps que
s’affaiblissait l’autorité des rois mérovingiens :
celle de maire du palais, réel détenteur
du pouvoir, au cœur des relations avec
l’aristocratie. Mais le véritable chef du lignage
carolingien est Pépin II, dit Pépin de Herstal,
petit-fils de Pépin de Landen et de saint Arnoul
(qui avaient marié leurs enfants) ; maire du
palais d’Austrasie en 679, il vainc les Neustriens
en 687, et se fait nommer maire du palais pour
tout le royaume franc par Thierry III, qui n’a
plus de royal que le titre. Pépin II gouverne
en s’appuyant sur la religion et s’allie avec la
papauté. Mais l’unité franque se désagrège
après sa mort en 714.
Charles Martel (v. 688-741)
Il faudra sept ans au bâtard de Pépin II, Charles
Martel, dernier de ses fils vivants, pour réunir
l’Austrasie et la Neustrie et s’imposer comme
maire du palais (721-741). Il lutte contre
l’invasion arabe (Poitiers, 732) et reconquiert
des territoires du Sud-Ouest, sauf Narbonne
qui reste aux mains des Arabes. Il apparaît
ainsi comme le protecteur de la civilisation
chrétienne. En 734, le pape Grégoire III, se
sentant menacé par les Lombards — ils ont
occupé Ravenne (gouvernée par Byzance) et
sont aux portes de Rome —, appelle à son
secours Charles Martel, auquel il a donné le titre
de vice-roi. Mais Charles est peu désireux
d’intervenir en Italie. À la mort du roi Thierry IV
(737), son successeur Childéric III est expédié
dans un monastère. Avant de mourir, Charles
dispose du royaume en faveur de ses fils
légitimes : Carloman administre l’Austrasie,
l’Alémanie et la Thuringe et Pépin, dit le Bref,
dirige la Neustrie, la Bourgogne et la Provence.
Griffon, fils illégitime, tentera d’obtenir sa part,
mais sera neutralisé. Face à l’agitation des
grands d’Austrasie, les deux frères devront
rappeler Childéric III sur le trône (743).
Pépin III le Bref (v. 715-768)
Dès leur arrivée au pouvoir, les deux frères
entreprennent une vaste réforme religieuse
que Pépin poursuivra seul : en 747, Carloman
se retire dans un monastère. Désireux alors
de se faire nommer roi, Pépin envoie deux
ambassadeurs requérir l’avis du pape Zacharie.
Celui-ci donne la réponse devenue célèbre :
« Mieux vaut appeler roi celui qui détient la
puissance que celui qui dispose du titre, mais
pas du pouvoir. » Assuré du soutien du pape,
Pépin dépose le dernier Mérovingien
Childéric III, se fait élire roi des Francs par
les grands (751) et sacrer par les évêques de
Neustrie et d’Austrasie, nouant ainsi des liens
étroits avec Rome. En 754, le successeur
de Zacharie, Étienne II, se déplace lui-même
jusqu’à Saint-Denis — fait sans précédent —
pour demander l’aide militaire de Pépin III
contre les Lombards. Pépin reprend Ravenne
et plusieurs villes, agrandissant l’État pontifical,
ce qui lui vaudra le sacre du pape (à Saint-
Denis) et, honneur suprême, le titre de
« patrice des Romains » (protecteur).
À la mort de Pépin III (768), le royaume
est partagé entre ses deux fils, Charles et
Carloman, mais Carloman meurt en 771
et Charles recueille l’héritage de son frère,
au détriment de ses deux neveux, qui sont
aussi les petits-fils de Didier, roi des
Lombards… source de futurs conflits.
Charlemagne (v. 747-814)
Le long règne de Charlemagne (768-814)
est marqué par une politique intérieure
réformatrice, qu’il conduit en s’appuyant sur
des conseillers érudits (tel Alcuin, le principal),
Portrait de Lothaire Ier
Évangiles de Lothaire
BNF, Manuscrits, latin 266, f. 1 v°
Saint-Martin de Tours, 849-851
Le petit-fils de Charlemagne, Lothaire Ier, commanditaire
du manuscrit, ouvre la série de superbes illustrations de ces
Évangiles, production de la collégiale de Saint-Martin de Tours.
La représentation de l’empereur est copiée sur celle des
empereurs antiques. Vêtu d’une toge, il trône majestueusement
dans un décor théâtral, entouré de deux gardes armés qui
symbolisent la protection divine. L’empereur figure le pouvoir
temporel, tandis qu’à la page suivante, un Christ en majesté
siégeant sur un globe incarne le pouvoir spirituel.
Histoire des fils de Louis le Pieux
Nithard
BNF, Manuscrits, latin 9768, f. 13, détail
Saint-Riquier ou Soissons (?), fin du ixe s.
Nithard est le fils de Berthe (fille de Charlemagne) et d’Angilbert (abbé laïc
de Saint-Riquier). Témoin des querelles d’héritage entre ses cousins Charles
le Chauve, Lothaire et Louis le Germanique après la mort de Louis le Pieux,
il prend le parti de Charles, dont il devient le conseiller, et participe à la
bataille de Fontenoy-en-Puisaye (841) contre Lothaire. Il se retire peu après
à l’abbaye de Saint-Riquier, où il succède à son père en 845. C’est à la
demande de Charles le Chauve qu’il fait le récit des luttes de pouvoir des fils
de Louis Ier le Pieux, nous transmettant, entre autres choses, le serment de
Strasbourg, de 842.
Fulda
Lorsch
Echternach
St-Gall
ReichenauAuxerre
St-Amand
Luxeuil
Laon
Fleury
Hersfeld
Soissons
St-DenisDol
Malmesbury
Corbie
Lan-Carvah
St-Riquier
Tours
Ferrières
Aniane
Gellone
Mt-Cassin
Bobbio
Hautvillers
St-Wandrille
Mayence
Strasbourg
MetzReims
Vienne
Lyon
VéroneMilan
Pavie
Paris
Orléans
Cambrai
Utrecht
Ratisbonne
Cantorbery
Freising
Salzbourg
Coire
Rome
Gérone
Barcelone
Le Mans
York
Brême
Aix-la-Chapelle
Venise
Ravenne
aquitaine
marche d’espagne
mercie
moraves
navarre
roy. desasturies
septimanie
gascogne
provence
bourgogne
lombardie
spolète
carinthie
bavière
alémanie
bohême
sorabes
saxe
thuringe
bretagne
neustrie
frise
austrasie
monastère
évêché
Empire de Charlemagne (814)
mouvance de l’Empire
paysslaves
émirat decordoue
états de l’église
territoiresbyzantins
hommes de confiance placés à des postes clés,
et les luttes incessantes, avec le soutien de
Rome, pour étendre sa domination en même
temps que la christianisation de l’Europe. En
774, le roi des Francs entre dans Rome comme
un simple pèlerin. Il s’engage auprès du pape
Hadrien Ier, de nouveau menacé par les
Lombards, à l’aider à asseoir son autorité sur
la plus grande partie de l’Italie. Il combat
victorieusement les Lombards, reçoit la
capitulation de Didier et se proclame roi de
Lombardie. Il reçoit, comme son père, le titre
de « patrice des Romains ». En 781, il fait sacrer
ses fils par Hadrien Ier : Pépin, roi d’Italie,
et Louis, roi d’Aquitaine.
La christianisation de la Saxe prendra plus de
trente ans d’une succession de rebellions et
de pacifications ; le capitulaire Partibus saxonis
(785), ordonnant aux Saxons de se convertir
au christianisme sous peine de mort, entraînera
des massacres de part et d’autre. La Bavière
est intégrée au royaume en 788. La conquête
du nord de l’Espagne (Catalogne) constitue
la marche d’Espagne, qui protège les Aquitains
des Maures. Enfin, la soumission des Avars
repousse les frontières de l’Est jusqu’aux
territoires des peuples slaves, dont certains
s’allient aux Francs. À l’ouest, la Bretagne
pacifiée forme une nouvelle marche.
En 790, Charlemagne s’installe à Aix-la-Chapelle
avec son entourage. Jusque-là, les rois n’avaient
pas de résidence fixe ; Charles fera du palais
le cœur administratif et culturel de l’empire,
organisant la cour sur le modèle de celle
de l’empire d’Orient. Son règne reçoit sa
consécration le jour de Noël 800 dans la
basilique Saint-Pierre de Rome : Charlemagne
est couronné « empereur des Romains » par le
pape Léon III, après avoir instruit un attentat
perpétré contre ce pape accusé d’immoralité
et l’avoir ramené sur le Saint-Siège. L’empereur
des Francs est regardé comme un nouveau
David : il a restauré l’empire d’Occident.
En 806, Charlemagne partage son empire, selon
la tradition franque, entre ses trois fils, Pépin
d’Italie, Charles et Louis, mais Pépin meurt en
810 et Charles en 811. Charlemagne nomme
Bernard, fils de Pépin, roi d’Italie, et, en 813,
quelques mois avant sa mort, il désigne Louis
comme son successeur devant l’assemblée
réunie à Aix-la-Chapelle.
Louis Ier le Pieux (778-840) et ses fils
Dès son arrivée sur le trône, Louis Ier remplace
les proches de son père par ses propres
conseillers, comme Benoît d’Aniane, un moine
qu’il place à la tête de tous les monastères de
l’empire, le chargeant de les réorganiser et
réformer selon la règle de saint Benoît. En 816,
il se fait sacrer à Reims par le pape Étienne IV
et s’engage à garantir l’indépendance de
l’institution pontificale (ce que n’avait pas voulu
Charlemagne). Pensant sauvegarder l’unité
de l’Empire et le protéger des invasions (les
Normands menacent les côtes ouest et nord),
Louis Ier organise sa succession dès 817 :
rompant avec la tradition franque, l’Ordinatio
Imperii désigne son fils aîné Lothaire comme
unique héritier, le proclame empereur et
l’associe au pouvoir ; Pépin est nommé roi
d’Aquitaine, Louis reçoit la Bavière, et tous deux
sont placés sous l’autorité de Lothaire. En cas
de décès d’un des rois, un seul héritier devra
être désigné ; si l’empereur meurt, les grands
devront choisir son successeur entre ses
deux autres frères. Mais, en 823, un autre fils,
Charles, naît du remariage de Louis Ier avec
Judith. Pressé par sa femme, Louis finit par
changer l’Ordinatio (829), attribuant à Charles
une partie importante des territoires de
Lothaire, qui est expédié en Italie où il s’était fait
couronner empereur par le pape Pascal Ier à
la naissance de son demi-frère. Les trois frères
s’unissent alors contre leur père et le déposent
en 833. Louis Ier est enfermé avec Judith et
Charles, mais il est rappelé sur le trône quelques
mois plus tard. Pépin d’Aquitaine meurt en 838
et Louis le Pieux donne son royaume à Charles
le Chauve, au détriment du fils de Pépin qui se
révoltera contre Charles. Un nouveau partage
intervient en 839 (assemblée de Worms).
À la mort de Louis Ier le Pieux (840), ses fils vont
s’affronter de plus belle. Lothaire Ier revendique
l’application de l’Ordinatio de 817, tandis que
ses frères veulent conserver leur part. Après la
violente bataille de Fontenoy-en-Puisaye (841),
L’empire de Charlemagne en 814 et les principaux foyers culturels
Les territoires des trois fils de Louis Ier le Pieux d’après le traité de Verdun (843)
Portrait de Charles II le Chauve
Psautier de Charles le Chauve
BNF, Manuscrits, latin 1152, f. 3 v°
École du palais de Charles le Chauve, avant 869
Le roi (il ne sera sacré empereur qu’en 875) est
représenté ici avec les attributs de sa fonction :
un sceptre et un globe, au centre d’un espace
bordé de draperies évoquant un sanctuaire.
Au-dessus de sa tête, la main de Dieu le bénit
et le désigne comme son représentant sur terre.
où Lothaire est battu, Louis et Charles se
retrouvent avec leurs armées à Strasbourg et
échangent solennellement, le 14 février 842,
un double serment resté célèbre : Louis le
Germanique prononce la promesse de paix
en langue romane pour les soldats francs
et Charles le Chauve en langue tudesque
pour les Germains. Finalement, à l’instigation
des grands, l’empire sera partagé en trois
royaumes à peu près égaux par le traité
de Verdun (843) : à l’ouest, la Francia
occidentalis de Charles le Chauve, à l’est,
la Francia orientalis de Louis le Germanique,
et, entre les deux, la Media Francia de
Lothaire Ier, qui garde le titre d’empereur,
mais n’a aucun pouvoir sur les autres rois.
La fin de l’empire d’Occident est signée.
Charles est sacré roi en 848 à Orléans.
Lothaire transmet son titre à son fils aîné
Louis II et le fait couronner empereur d’Italie
en 850 ; avant sa mort (855), il répartit le
reste de son empire entre ses deux autres
fils, Lothaire II (Lotharingie) et Charles
(Provence).
Charles II le Chauve (823-877)
Le territoire imparti à Charles le Chauve par
le traité de Verdun recouvre l’ancienne Gaule
(Neustrie, Aquitaine) et la marche d’Espagne.
Son règne est marqué dès le début par des
luttes incessantes : contre les Normands
(dès 841), contre les Bretons qui débordent
de leurs frontières (à partir de 845), contre
une aristocratie dont la montée en puissance
sape l’autorité royale. En 858, Charles doit
affronter une révolte des grands de Neustrie
menée par le puissant Robert le Fort, comte
de Tours et d’Angers, fondateur de la lignée
des Robertiens et arrière-grand-père
d’Hugues Capet. Louis le Germanique
pénètre dans le royaume de son frère, appelé
par les rebelles, et convoque les évêques
à Reims pour asseoir sa légitimité. Mais les
évêques francs, sous la conduite d’Hincmar,
désavouent Louis et proclament reconnaître
comme unique roi Charles II. Grâce à l’appui
de l’épiscopat et les conseils d’Hincmar,
Charles viendra à bout de toutes les
rebellions — souvent en payant le prix fort.
À la mort de Lothaire II (869), Charles le
Chauve, soutenu par les évêques, se fait
couronner roi de Lotharingie, à Metz. En 870
(traité de Meersen), il doit rétrocéder Aix-la-
Chapelle et Metz à Louis le Germanique ;
il ne reste alors rien de la Lotharingie, et
deux ensembles apparaissent bien distincts :
la Francie et la Germanie. Pour certains
historiens, la France naît du partage de
Meersen, et Charles II en est le premier roi.
À la mort de Louis II (fils de Lothaire Ier),
le pape Jean VIII fait proclamer Charles II
le Chauve empereur d’Occident, et le sacre
à Rome le jour de Noël (875). Charles va
tenter de reconstituer l’empire : il envahit
la Lorraine à la mort de Louis le Germanique,
mais il est repoussé par le fils de Louis.
En 877, le pape l’appelle pour défendre Rome
contre la menace musulmane. Avant de
partir, il réunit une assemblée à Quierzy
et promulgue un capitulaire, véritable
testament, dont les articles réglant l’hérédité
des honneurs seront considérés comme
fondateurs de la féodalité. Pendant son
absence, la Francie se soulève. Il meurt sur
le chemin du retour. Son fils Louis II le Bègue
meurt à son tour en 879.
Après une période confuse de luttes de
rivalité entre les petits-fils de Charles le
Chauve et les fils de Louis le Germanique,
Charles le Gros, dernier des fils de Louis le
Germanique, est sacré empereur en 881 et
roi de Francie occidentale en 884, après la
mort de Carloman (petit-fils de Charles le
Chauve). L’empire semble s’être reconstitué,
regroupant à nouveau les royaumes francs,
mais ce n’est qu’apparence, l’autorité de
Charles III le Gros est sapée par l’anarchie
des grands et l’invasion des Normands,
à laquelle il ne peut faire face. Il est destitué
en 887. À sa mort en 888, l’empire est
définitivement morcelé entre les royaumes
de France, Lotharingie, Bourgogne, Italie,
Alémanie. C’est la fin réelle des Carolingiens,
bien qu’il faille attendre près d’un siècle (987)
pour voir Hugues Capet leur substituer sur
le trône de France la dynastie des Capétiens.
Magdebourg
Marseille
Arles
Milan
Embrun
Lyon
Vienne
Toulouse
Bordeaux
Bourges
Paris
Tours
Orléans
Rome
Ravenne
Venise
Spolète
Meersen
Strasbourg
Mayence
Trêves
Metz
Verdun
Ratisbonne
Aix-la-Chapelle
Barcelone
aquitaine
francie
carinthie
bavière
provencelombardie
alémanie
rhétie
austrasie
océanatlantique
merdu
nord
saxe
bohème
bourgogne
lotharingie
Soissons
Reims
Laon
bretagne
charles le chauve lothaire
louis
le germanique
territoires
byzantins
états
de l’église
Le développement de l’instruction
Que des écoles soient fondées
où les enfants puissent lire.
Admonitio generalis, 23 mars 789, chapitre 72
De nouvelles lois et un nouveau
programme pour l’école
Jusqu’à Charlemagne, l’enseignement est
confiné dans les monastères, où les moines
étudient les textes anciens dans les scriptoria
et les bibliothèques. Pour mener à bien ses
réformes, Charlemagne a besoin d’une
administration performante et d’un clergé
instruit dans une langue commune ; lui-même
comprend et lit le latin, le parle mais ne sait pas
l’écrire. Il promulgue une série de capitulaires
(le plus important, l’Admonitio generalis, date
de 789), rédigés par des conseillers, qui
prescrivent l’organisation d’écoles cathédrales,
monastiques et presbytérales, destinées
aux futurs clercs et moines, mais accueillant
également les laïcs. Avant lui déjà, en 772,
son cousin Tassilon III, duc de Bavière, avait
demandé aux évêques d’ouvrir des écoles
dans leurs églises.
Les écoles délivrent les apprentissages
de base : lecture et écriture du latin, calcul.
Sous l’égide d’Alcuin, qui a enseigné à l’école
cathédrale d’York, de grands centres culturels
s’organisent autour des monastères (Corbie,
Saint-Riquier, Saint-Martin de Tours…), près
des cathédrales comme à Reims, Orléans, Lyon,
et dans le palais de l’empereur. Les écoles
installées là dépassent le niveau élémentaire
et enseignent les « arts libéraux », programme
d’enseignement « secondaire », propédeutique
des études supérieures constituées
essentiellement de la théologie. Hérités de
l’Antiquité, où ils regroupaient les « formes de
savoir » propres à l’homme libre, les sept arts
libéraux sont distribués en deux cycles :
grammaire, rhétorique et dialectique (les
sciences du langage) forment le trivium ;
arithmétique, géométrie, musique et astronomie
(soit les disciplines scientifiques) composent le
quadrivium. Cette répartition du savoir et du
« savoir-dire » était définie par Martianus Capella
dans son œuvre majeure De Nuptiis Mercurii
et Philologiæ (« Les Noces de Mercure et de
Philologie »), écrite vers 410. Cette véritable
encyclopédie, où chaque discipline est
personnifiée, fut le manuel de base de
l’enseignement des écoles carolingiennes,
complété par les Institutiones de Cassiodore
(vie siècle) et les Etymologiæ d’Isidore de Séville
(viie siècle), et enrichi un peu plus tard des
commentaires de Jean Scot Érigène.
On étudie également les textes des Pères de
l’Église et l’on réapprend la Bible à la lumière
de leurs écrits. Les auteurs romains anciens
sont redécouverts : Térence, Cicéron, Virgile,
Sénèque, Aulu-Gelle… C’est le latin de ces
écrivains qui est pris pour modèle. Leurs textes
sont copiés et imités : ainsi Éginhard
paraphrase-t-il Suétone dans sa biographie
de Charlemagne. Les disciplines scientifiques
du quadrivium sont étudiées à travers les textes
diffusant l’héritage antique. On apprend à
connaître les plantes pour leurs utilisations en
agriculture, mais aussi en médecine, discipline
qui naît à cette époque.
La littérature grecque commence à arriver,
mais il faudra attendre la deuxième moitié du
ixe siècle pour voir les premières traductions
de textes grecs en latin, dues à des Irlandais
comme Jean Scot Érigène, qui enseignera
à l’école palatine de Charles le Chauve.
Ces grands centres culturels sont des lieux de
rencontre de maîtres que Charlemagne a fait
venir de toute l’Europe, tels les Italiens Paul
Diacre et Paulin d’Aquilée, l’Espagnol Théodulfe,
les Irlandais Dungal et Dicuil, et surtout l’Anglo-
Saxon Alcuin, entraînant un brassage des
influences antiques et byzantines avec les
héritages insulaires, francs et germaniques.
Sénèque, Lettres à Lucilius
BNF, Manuscrits, latin 8658A, f. 128
Région de la Loire (?), 1re moitié du ixe s.
Ce traité de Sénèque, composé de lettres philosophiques
et morales, faisait partie des œuvres classiques étudiées
par les lettrés carolingiens.
Cassiodore, Commentaire sur les psaumes I-L
BNF, Manuscrits, latin 2195, f. 9 v°, détail
Saint-Denis, début du ixe s.
Librement inspirée de saint Augustin, cette
œuvre théologique traite également de questions
grammaticales et stylistiques. Elle connut
un grand succès durant tout le Moyen Âge.
La majuscule historiée qui ouvre cette page,
et dont les extrémités dessinent des têtes
d’animaux, est d’influence insulaire.
Recueil de traités grammaticaux
BNF, Manuscrits, latin 13025, f. 40 v°
Corbie, début du ixe s.
Cet ouvrage, composé d’une copie du manuel
scolaire du grammairien latin Donat (v. 350) et de
divers commentaires et autres traités ou extraits
(Isidore de Séville, Bède…), témoigne de
l’enseignement de la grammaire à Corbie au
ixe siècle. La page reproduite ici est le début d’un
traité sur les déclinaisons et les conjugaisons, dont
la première lettre, P, est une initiale ornée
remarquable : elle est formée par un homme vêtu à
l’orientale qui porte un lion sur son dos. Le corps
du texte est en écriture minuscule caroline.
La révision des textes
Le développement de l’instruction implique
une relecture des textes : « Dans chaque
monastère ou évêché, corrigez
scrupuleusement les psaumes, les notes,
le chant, le comput, la grammaire et les
livres religieux », prescrit le capitulaire
Admonitio generalis. La Bible, base de
l’enseignement, se rapproche plus ou
moins, selon les versions, de la Vulgate
de saint Jérôme, avec des interpolations
de textes plus anciens. De plus, erreurs,
approximations, fautes grammaticales
se sont accumulées au fil des copies.
Maurdramne, abbé de Corbie (772-781),
effectue la première correction, qui
apporte, avec l’écriture caroline, une plus
grande lisibilité au texte. Angilram, évêque
de Metz, établit également une version
rénovée.
Alcuin, abbé de Saint-Martin de Tours,
après avoir dirigé l’école palatine, s’engage
à son tour, à la demande de Charlemagne,
dans une révision sur laquelle il va
travailler de 796 à 800. Il entend purifier
le texte. Il rectifie la grammaire et
l’orthographe à partir de plusieurs
manuscrits latins, et surtout il revient
à la Vulgate. En revanche, le Wisigoth
Théodulfe, évêque d’Orléans et abbé
de Fleury, complète la Vulgate par des
passages de la Vetus latina (texte ancien
antérieur à la Vulgate), cite des variantes
en marge, et cherche à se rapprocher de
l’original hébreu pour l’Ancien Testament.
C’est la Bible d’Alcuin, à l’origine de
la production de Bibles et d’Évangiles
par l’école de Tours au ixe siècle,
qui s’imposera comme modèle.
La réforme de la liturgie sur le modèle
romain, entreprise sous Pépin III par
l’évêque de Metz Chrodegang dans
l’objectif d’unifier les pratiques religieuses,
retentit sur les textes et leur présentation,
et entraîne la production de nouveaux
livres. Bibles, Évangiles, sacramentaires
(recueils de prières à l’usage de celui qui
célèbre la messe), psautiers (recueils des
cent cinquante psaumes bibliques à
l’usage des ecclésiastiques et des laïcs),
lectionnaires (recueils d’extraits bibliques
destinés à être lus à la messe),
évangéliaires (passages des quatre
Évangiles recomposés en fonction de leur
lecture dans l’année liturgique), produits
sous les Carolingiens, témoignent des
diverses transformations liturgiques.
Bible de Théodulfe
BNF, Manuscrits, latin 9380, f. 248 v°
Orléans ou Fleury, 1er quart du ixe s.
Théodulfe ajoute au texte de la Vulgate des
extraits de traités d’Isidore de Séville, de saint
Augustin, d’Eucher de Lyon…, dont il explique
l’utilité dans un poème.
Cet exemplaire a pu être copié sous la direction
de Théodulfe. Luxueux et sobre dans sa
décoration (sur cette page, un encadrement
architectural de colonnes, motif courant pour
les tables des canons des Évangiles), il est
fidèle aux opinions de l’évêque d’Orléans,
hostile à la figuration de Dieu.
Évangiles de Saint-Martin de Tours
BNF, Manuscrits, latin 260, f. 23
Saint-Martin de Tours, époque d’Alcuin
(796-804)
Ce manuscrit est un des plus anciens livres
d’Évangiles décorés à Saint-Martin de Tours
sous l’abbatiat d’Alcuin. Il contient le texte
des quatre Évangiles, accompagnés de leur
appareil critique.
Le décor des tables des canons est
d’inspiration à la fois insulaire (entrelacs,
motifs tressés) et orientale.
La querelle iconoclaste vue par
les Carolingiens
Traité sur les images, dit Libri carolini
BNF, Arsenal, ms. 663, f. 1
Reims, vers 869-870
Ce traité, commandé par Charlemagne
et attribué à Théodulfe, donne la position
des Carolingiens dans la controverse
sur le statut des images en cours en
Orient. Le concile de Nicée de 787, réuni
à l’initiative du pape Hadrien qui voulait
restaurer l’adoration des images,
avait suscité les réactions défavorables
des théologiens entourant Charlemagne.
Rédigé entre 791 et 793, cet ouvrage
affirme le rôle pédagogique des images
dans l’instruction des fidèles, l’aide à
la mémorisation et l’édification, mais
en rejette l’adoration.
Ce manuscrit est l’œuvre d’une vingtaine
de copistes du scriptorium de la
cathédrale de Reims, dont l’écriture
minuscule ronde aux lettres détachées
est caractéristique du style.Dans chaque monastère ou évêché,
corrigez scrupuleusement les psaumes,
les notes, le chant, le comput, la grammaire
et les livres religieux ; parce que souvent,
ceux qui souhaitent bien prier Dieu le font
mal à cause de livres non corrigés. Ne
permettez pas que vos élèves les altèrent,
soit en les lisant, soit en les écrivant ;
et s’il faut copier les Évangiles, le psautier
ou le missel, que des hommes d’expérience
les transcrivent avec le plus grand soin.
Admonitio generalis, 23 mars 789, chapitre 72
La Renaissance culturelle carolingienne
Une place essentielle à l’écrit
Le renouveau, qui prend toute son ampleur sous Charlemagne, débute avec la réforme
religieuse entreprise par Pépin III le Bref, entraînant la fondation d’abbayes qui
deviendront des foyers culturels importants.
La réorganisation des institutions engagée par Charlemagne donne une place essentielle
à l’écrit : l’empereur gouverne en émettant des capitulaires, diffusés dans tout le pays
par ses envoyés (les missi dominici) qui en surveillent l’application ; la restructuration
de l’enseignement passe par la révision des textes sacrés et la redécouverte de textes
anciens. Les livres se multiplient et participent à l’épanouissement de la création
artistique. Charlemagne et ses successeurs passent commande de manuscrits de luxe,
qui viendront enrichir leurs trésors et ceux des églises. Dirigés par de grands
personnages érudits venant de toute l’Europe, ces lieux de production de manuscrits
— monastères, cathédrales, ou palais — vont constituer des foyers intellectuels et
artistiques, développant leur esthétique propre, tout en s’influençant les uns les autres.
Les œuvres circulent d’un centre à l’autre, diffusant la culture carolingienne, fondement
de la culture du Moyen Âge et de la civilisation européenne.
Le renouveau artistique s’observe dans tous les domaines : peinture murale, mosaïque,
sculpture, orfèvrerie, architecture. On peut encore en admirer un témoignage dans
l’église de Germigny-des-Prés, construite à l’initiative de Théodulfe, évêque d’Orléans,
avec la mosaïque de l’abside orientale, composée sur place en 805, qui représente
l’Arche d’Alliance.
À la fin du ixe siècle, privée du soutien royal, cette intense activité créatrice déclinera,
tandis que les invasions normandes porteront un coup fatal à de nombreux centres.
C’est une noble tâche que de copier des livres sacrés, et le scribe
ne manquera pas sa récompense. Il est préférable d’écrire des livres
que de planter des vignes : celui-là entretient son ventre, celui-ci son âme.
Alcuin, poème pour l’abbaye Saint-Martin de Tours
Comme nous l’avons décidé, nos livres qui sont dans notre trésor doivent
être partagés entre Saint-Denis, Notre-Dame de Compiègne et notre fils…
Charles le Chauve, capitulaire de Quierzy, 14 juin 877
Saint Grégoire, inspiré par le
Saint Esprit, dicte son sacramentaire
à deux scribes.
Sacramentaire de Charles le Chauve
BNF, Manuscrits, latin 1141, f. 6
École du palais de Charles le Chauve,
vers 869-870
Les grands centres de production de manuscrits
Les premières enluminures carolingiennes
de la seconde moitié du viiie siècle
subissent les influences opposées de l’art
irlandais et de l’art byzantin. L’art
carolingien va naître de la rencontre
des cultures chrétiennes et de l’héritage
antique transmis par l’Italie et les
Byzantins. Les écoles d’enluminure
développent leur propre style à travers
ces diverses influences. Les ateliers sont
installés dans les palais impériaux et dans
les centres culturels que constituent les
grands établissements religieux, abbayes
ou cathédrales.
Les écoles palatines
L’école du palais de Charlemagne à Aix-la-
Chapelle produit des ouvrages liturgiques de
prestige, témoignant du souci du souverain de
perpétuer la tradition artistique gréco-romaine.
Les artistes, influencés par l’art byzantin,
font preuve d’une grande richesse d’inspiration
dans la variété des encadrements, les peintures
pleine page, les lettres ornées. La pourpre, les
encres d’or ou d’argent participent au prestige
de ces œuvres. Une intense activité se déploie
entre 795 et 810. L’atelier ne survivra pas
à la mort de Charlemagne, mais son style
influencera durablement la production de l’est
de l’Empire.
L’école palatine de Charles le Chauve, dont on
ne connaît pas la localisation, naît à la fin des
années 860. Sa production mêle les diverses
influences des scriptoria francs avec les
héritages italien et insulaire. Son atelier réunit
aussi bien des scribes, calligraphes, peintres,
que des sculpteurs sur ivoire et des orfèvres ;
ainsi des modèles semblables sont déclinés
dans chaque technique. Les artistes suivent
les déplacements successifs de la cour
(Soissons, Saint-Denis, Ponthion, Compiègne).
Corbie
Fondée entre 657 et 661, l’abbaye royale de
Corbie devient vite le plus important monastère
du nord de la Gaule. Les abbés successifs
entretiennent des relations étroites avec
les souverains carolingiens. Moines érudits,
ils animent la vie intellectuelle de leur
communauté, faisant de l’abbaye un foyer
d’étude remarquable, avec une bibliothèque
constituée de livres fabriqués sur place
(copie, enluminure, reliure), mais aussi acquis,
échangés ou prêtés. Son scriptorium, qui
travaille également pour d’autres institutions,
joue un rôle important dans la naissance et la
mise au point de la caroline et le développement
de nouvelles pratiques d’écriture sous l’abbatiat
de Maurdramne (772-781). Corbie tient une
place essentielle dans la transmission des
textes classiques et patristiques.
Non loin de Corbie, l’abbaye de Saint-Riquier
(à l’époque Centula) a été reconstruite et est
devenue un foyer culturel très vivant, grâce
à une importante bibliothèque créée par son
abbé Angilbert. Celui-ci est un personnage
intéressant : élève et ami d’Alcuin, poète,
proche de Charlemagne (il est son ambassadeur
auprès du pape Hadrien Ier, puis de Léon III), il
est aussi le compagnon de la fille de l’empereur,
Berthe, dont il aura deux fils.
Saint-Denis
L’abbaye de Saint-Denis bénéficie, dès le milieu
du viie siècle, d’une immunité qui la place sous
la juridiction directe du pape et du roi. Le sacre
de Pépin le Bref par le pape dans cette abbaye
en 754 scelle l’alliance entre Saint-Denis
et le pouvoir carolingien. Son école, sa riche
bibliothèque, son scriptorium participent à la
sauvegarde et à la transmission des textes
anciens religieux et profanes, en relation
constante avec d’autres monastères. Les abbés
de Saint-Denis (Fulrad, Fardulfe, Hilduin) sont
des personnages puissants. Grâce à eux et
aux donations royales d’objets et de manuscrits
précieux, en particulier celles de Charles
le Chauve, le trésor du monastère devient
l’un des plus riches d’Occident.
Saint-Martin de Tours
L’abbaye s’est développée grâce au culte des
reliques de saint Martin. Elle devient
bénédictine au viie siècle. Son scriptorium
s’enrichit au viiie siècle avec l’arrivée de scribes
irlandais, mais se développe surtout à l’arrivée
d’Alcuin, un Anglo-Saxon proche conseiller
de Charlemagne, qui a dirigé l’école palatine : il
entreprend de réformer l’écriture et de corriger
les textes sacrés. Les abbés qui lui succèdent
continuent son action. Apparaissent un nouveau
style d’écriture et un nouveau décor, plus
dépouillé, d’inspiration antique, rompant avec
l’art mérovingien et insulaire. La production
artistique de l’école de Tours atteint son apogée
sous l’abbatiat de Vivien, et sa renommée
est telle que son scriptorium est sollicité pour
exécuter des commandes impériales. Mais son
activité déclinera après le pillage du monastère
par les Normands (853).
Dans la région de la Loire, les scriptoria de la
cathédrale d’Orléans et de l’abbaye de Fleury
(Saint-Benoît-sur-Loire) sont également
renommés, en partie grâce à une grande figure :
Théodulfe, qui contribue à l’essor de la
production de livres bibliques et liturgiques
révisés. Wisigoth originaire d’Espagne,
Théodulfe est appelé à la cour dans les années
780, où il participe à la vie intellectuelle,
intervenant dans les grands débats théologiques,
comme la querelle des images. Charlemagne
le nomme évêque d’Orléans en 798, et abbé
de Fleury. En 804, il succède à Alcuin auprès
de l’empereur. Accusé d’avoir pris le parti de
Bernard d’Italie contre Louis le Pieux, Théodulfe
est emprisonné, en 818, à Angers où il finira
ses jours.
Le décor des manuscrits exécutés dans ces
deux scriptoria reflète les influences antiques et
insulaires, mais se distingue surtout par un rejet
de la figuration conforme aux prises de position
de Théodulfe.
Évangéliaire de Charlemagne
BNF, Manuscrits, NAL 1203, f. 3 et f. 3 v°
École du palais de Charlemagne, 781-783
Ce manuscrit pourrait être l’emblème
du début de la Renaissance carolingienne :
il est en même temps le seul témoignage
restant des premières réformes liturgiques
décidées par Charlemagne et l’illustration
de la rencontre des influences artistiques
celtes, insulaires (dans les motifs du décor)
et byzantines (dans l’image figurative).
Le texte est écrit en onciales à lettres d’or
et d’argent, sur un parchemin pourpré.
La caroline est réservée au poème
de dédicace, qui renseigne sur le maître
d’œuvre — Godescalc — et les destinataires :
Charlemagne et sa femme Hildegarde.
Ces deux peintures en pleine page
illustrent deux thèmes nouveaux en
Occident à cette époque : à gauche,
un Christ en majesté, jeune, chevelu et
imberbe, et, à droite, une Fontaine de vie
d’une belle exubérance, thème que l’on
trouve dans les canons grecs ou syriaques
de l’Antiquité tardive.
Reims
Les ateliers de l’école de Reims, héritière de
l’école palatine d’Aix-la-Chapelle, sont disséminés
dans plusieurs établissements religieux
(cathédrale et monastère Saint-Remi de Reims,
monastères de Saint-Thierry et d’Hautvillers).
Les enlumineurs inventent un style original,
issu du double héritage pictural antique et
expressionniste. Leurs œuvres appartiennent aux
heures de gloire de l’enluminure carolingienne.
L’apogée de la création artistique est lié aux deux
archevêques qui se succèdent à Reims entre 816
et 882 : Ebbon et Hincmar. Ebbon, frère de lait
et bibliothécaire de Louis le Pieux, veut faire de
Reims le centre de la Renaissance carolingienne.
Il fait édifier la cathédrale, entreprend des
réformes, encourage la production de manuscrits,
rassemblant des artistes à Saint-Pierre
d’Hautvillers. Il est exilé à Fulda (835) pour être
intervenu dans la querelle entre Louis le Pieux et
son frère Lothaire, revient à Reims après la mort
de Louis, mais est destitué un an plus tard (841)
par Charles le Chauve. Il se réfugie alors auprès
de Louis le Germanique et obtient le siège de
Hildesheim. Hincmar, un moine de Saint-Denis
familier de la cour, lui succède en 845. Il va mener
une intense activité de juriste et de théologien,
prenant part aux querelles théologiques sur
les thèses de la prédestination et de la Trinité.
Également abbé de Saint-Remi, il enrichit
la bibliothèque de ce monastère.
Metz
Capitale de l’Austrasie sous les Mérovingiens,
Metz est aussi la ville natale d’un des fondateurs
de la dynastie carolingienne, l’évêque saint
Arnoul. Pépin le Bref charge l’évêque Chrodegang
de la réforme du clergé et de la rédaction d’une
règle des chanoines, faisant de Metz un centre
liturgique et théologique. Les évêques suivants
sont des proches de la cour : Angilram, chapelain
de Charlemagne, auteur d’une première révision
de la Bible, puis Drogon, bâtard de l’empereur,
nommé à ce poste par son demi-frère Louis
le Pieux. Angilram crée le scriptorium de la
cathédrale, où l’historien Paul Diacre écrit
à sa demande les Gesta episcopum Mettensium
(vers 783), retraçant l’histoire des évêques de
Metz et de la dynastie carolingienne. L’activité
artistique se développe sous l’épiscopat
de Drogon, qui commande des manuscrits
exceptionnels, tant par les peintures que
par les reliures d’ivoire sculpté et d’orfèvrerie.
Ces manuscrits viendront enrichir le trésor
de la cathédrale et s’y ajouteront ceux offerts
par Charles le Chauve en 869, à l’occasion
de son couronnement (roi de Lotharingie).
Saint-Amand
L’abbaye royale de Saint-Amand-en-Pévèle est
considérée comme le centre de l’école franco-
saxonne. Son scriptorium, très actif dès la fin
du viiie siècle, est spécialisé dans la production
de livres liturgiques de grand luxe (sacramentaires
et Évangiles essentiellement) destinés à de hauts
dignitaires, ou au roi, et à d’autres établissements
religieux. Les enlumineurs développent un style
décoratif propre, combinant les motifs anglo-
irlandais des viie et viii
e siècles et les apports
carolingiens. Les représentations de la figure
humaine ou de scènes narratives sont délaissées
au profit des encadrements et des initiales
ornées. C’est le triomphe de l’ornementation
pure : formes géométriques, entrelacs, tresses,
animaux fantastiques, têtes d’oiseaux ou de
chiens, caractéristiques de l’art anglo-irlandais,
mais qui sont organisés dans une mise en page
classique, rigoureusement structurée.
L’influence du style franco-saxon s’est prolongée
au-delà de la période carolingienne, ouvrant
la voie à l’art roman.
Psautier de Charles le Chauve
BNF, Manuscrits, latin 1152, plat inférieur
École du palais de Charles le Chauve,
avant 869
Cette reliure d’origine est constituée de deux
plaques d’ivoire intégrées dans des
planchettes de chêne (ais) et encadrées d’une
bordure d’orfèvrerie en argent doré composant
des motifs floraux enchâssés de pierres
précieuses et de verre. Les personnages
sculptés en ronde bosse dans l’ivoire illustrent
un passage du Livre de Samuel.
Sacramentaire de Drogon
BNF, Manuscrits, latin 9428,
f. 15 v°
Metz, entre 845 et 855
Confectionné sous
l’archiépiscopat de Drogon, ce
manuscrit est le chef-d’œuvre
de l’enluminure messine.
Toutes les scènes peintes sont
contenues dans trente-huit
initiales historiées, comme
celle-ci, dans laquelle s’insère
un petit tableau évoquant
la célébration de la messe.
Seconde Bible de Charles le Chauve
BNF, Manuscrits, latin 2, f. 11
Saint-Amand-en-Pévèle, 871-877
La décoration de cette Bible exécutée à la demande de Charles
le Chauve représente l’apogée du style franco-saxon dont
Saint-Amand était le foyer. Cette page qui ouvre la Genèse, et
qui évoque les pages-tapis des manuscrits irlandais, laisse voir
la double influence des traditions insulaires — jeux d’entrelacs,
motifs tressés, initiale aux contours soulignés de pointillés
rouges et verts se terminant par des têtes d’animaux,
d’oiseaux stylisés — et de la tradition classique (frises de
palmettes, acanthes, chapiteaux).
Les évangélistes
Les évangélistes sont figurés en tête de chacun
de leur livre, entourés des instruments de
l’écriture et accompagnés de leur attribut. Ils sont
souvent dans l’attitude du copiste, écrivant
dans un livre posé sur un pupitre, sous la dictée
de leur symbole, messager de la parole divine.
Quelques thèmes de l’iconographie carolingienne
La scène de dédicace
Les manuscrits de luxe commandités par les souverains
ou par de hauts dignitaires religieux ou laïcs présentent
habituellement un portrait du commanditaire,
accompagnant un poème de dédicace.
Présentation de la Bible à Charles
le Chauve
Bible de Vivien, dite Première Bible
de Charles le Chauve
BNF, Manuscrits, latin 1, f. 423
Saint-Martin de Tours, 845
Le poème de dédicace qui précède cette
page indique que cette Bible richement
illustrée a été offerte à Charles le Chauve
par Vivien, abbé laïc de Saint-Martin
(843-851).
À gauche de l’image, on voit deux moines
portant le manuscrit enveloppé dans
un linge, en queue d’une procession
se déployant aux pieds du roi, qui trône
en position dominante, sous un vélum,
encadré par des hommes en armes
et béni par la main de Dieu. Vivien,
à droite, présente les moines.
Comme toutes celles produites par
l’atelier de Saint-Martin de Tours, cette
Bible luxueuse est une copie du texte
révisé par Alcuin.
Portrait de saint Jean
Évangiles de Hurault
BNF, Manuscrits, latin 265, f. 176 v°
Reims, 2e quart du ixe s.
Ce portrait d’évangéliste, comme les deux autres
de cet ouvrage, se caractérise par l’absence
de son symbole traditionnel et la taille démesurée
de son auréole. L’attitude majestueuse de saint Jean,
drapé dans une toge aux larges plis et placé dans
un cadre dépouillé, évoque la peinture de l’Antiquité
tardive en vogue à Rome et dans le nord de l’Italie.
Ce livre d’Évangiles a été exécuté
sous l’archiépiscopat d’Ebbon.
David entouré de ses musiciens
Psautier de Charles le Chauve
BNF, Manuscrits, latin 1152, f. 1 v°
École du palais de Charles le Chauve, avant 869
David et ses musiciens jouent du psaltérion,
des cymbales, de la cithare et du cor.
Le roi David
Les psautiers sont souvent illustrés par une représentation
de David et également de saint Jérôme, auteur de la
version de la Bible adoptée par les Carolingiens.
La Genèse
Dans certains manuscrits de luxe, les livres de l’Ancien Testament débutent
par une illustration. Le thème de la Création, différemment interprété
selon les écoles, ouvre ainsi assez fréquemment le livre de la Genèse.
La création de l’homme et
le bannissement du paradis
Bible de Vivien, dite Première
Bible de Charles le Chauve
BNF, Manuscrits, latin 1, f. 10 v°
Saint-Martin de Tours, 845
Cette peinture pleine page
illustre, en trois registres
superposés, la création d’Adam
et Ève, la tentation et le
bannissement du paradis.
Bible de Vivien, dite Première Bible
de Charles le Chauve
BNF, Manuscrits, latin 1, f. 423, détail
Saint-Martin de Tours, 845
La page obéit aux critères fixés : disposition
du texte sur deux colonnes, hiérarchisation
des écritures (incipit en capitales, titre
en onciales, prologue en semi-onciales,
corps du texte en minuscules carolines).
Titre courant
Capitales
Minuscules carolines
OncialesSemi-onciales
Naissance de la caroline
À l’époque mérovingienne, on utilise pour
les livres l’onciale, écriture majuscule
avec emprunts aux cursives communes
romaines, et la semi-onciale,
transformation de l’onciale en minuscule
avec des liaisons apparaissant entre les
lettres. L’écriture dite mérovingienne est
une cursive adaptée de la semi-onciale.
L’onciale est longue à copier et prend de
la place, les autres graphies sont difficiles
à déchiffrer, sans espace entre les mots,
utilisant les majuscules de façon
arbitraire, et surtout très diverses.
Déjà sous Pépin le Bref, on observe un
début de régularisation de la graphie.
Mais ce sont les scribes de la chancellerie
chargés de la rédaction des actes royaux
qui vont, à la demande de Charlemagne,
créer une écriture rapide, régulière
et commune à tous : la caroline, conçue
à partir de 770. Cette graphie s’impose
rapidement dans les scriptoria, en
commençant par celui de Corbie, amenant
de nouvelles pratiques d’écriture, comme
l’utilisation du point d’interrogation et
des abréviations.
L’étude du grand nombre de manuscrits
copiés dans le scriptorium de Corbie
(plus de huit cents parvenus jusqu’à nous)
a mis en évidence les écritures utilisées
à la fin du viiie siècle et au début
du ixe siècle, et leur évolution jusqu’à
l’apparition de la caroline sous l’abbatiat
de Maurdramne (772-781), auteur de la
première révision de la Bible.
Dès son arrivée à l’abbaye de Saint-Martin
de Tours (796), Alcuin déplore la
« rusticité » des scribes du scriptorium
et engage une réforme. Il impose une
hiérarchie dans l’emploi des différents
styles et l’usage systématique de la
ponctuation. Des règles de mise en page
sont édictées et la graphie est fixée.
Histoire des Francs, de Grégoire de Tours
BNF, Manuscrits, latin 17655, f. 14, détail
Écriture cursive mérovingienne de la fin du viie siècle :
les ligatures complexes rendent la lecture difficile.
Questions sur la Genèse, d’Alcuin
BNF, Manuscrits, latin 13373, f. 33 v°, détail
Un exemple de la première caroline née à Corbie
sous Maurdramne (a ouverts, ligatures).
De la doctrine chrétienne, de saint Augustin
BNF, Manuscrits, latin 13359, f. 108, détail
Début du poème de dédicace d’Angilbert, abbé de Saint-Riquier,
à Louis le Pieux
Exemple d’écriture caroline évoluée (796-810).
La réforme de l’écriture
Seconde Bible de Charles le Chauve
BNF, Manuscrits, latin 2, f. 146
Saint-Amand-en-Pévèle, 871-877
Cette page introduisant au Livre d’Isaïe
constitue un exemple de calligraphie parfaite.
Le décor des lettres ornées du premier
mot « Visio » est d’influence insulaire
(jeux d’entrelacs, motifs tressés, lettres
enclavées, pointillés rouges et verts
soulignant le contour de l’initiale).
Respect de la hiérarchie entre les écritures,
grandes capitales dorées pour l’incipit,
onciales dorées pour le début du texte.
Qu’ils se procurent des textes corrigés
avec soin afin que la plume d’oiseau aille
droit son chemin…
Alcuin, poème pour l’abbaye Saint-Martin
de Tours
Les scriptoria
La copie de la Bible, des textes des Pères
de l’Église et de l’Antiquité classique fait
partie des tâches quotidiennes des
moines. Ils travaillent en équipe, encadrés
par des chefs d’atelier.
Le support de l’écriture est le parchemin
qui, depuis le ive siècle, a peu à peu
remplacé le papyrus, en même temps que
le codex remplaçait le volumen. Le livre
est composé de cahiers cousus ensemble
et reliés entre deux planchettes de bois
(les ais) recouvertes de parchemin ou de
cuir (peau de cerf ou de daim), ou parfois,
pour les manuscrits de luxe, de plaques
d’ivoire sculptées ou encore de pièces
d’orfèvrerie. Des droits de chasse sont
accordés aux moines pour qu’ils puissent
se procurer les peaux nécessaires
à la reliure de leurs manuscrits.
Il y a souvent plusieurs scribes pour
la copie d’une même œuvre. Ils s’en
partagent alors les cahiers. Les feuillets
sont préparés par la réglure, sorte de grille
tracée à la pointe sèche, sur laquelle doit
s’appuyer le texte. Le schéma de la grille
doit tenir compte de la taille de l’écriture
choisie, de la disposition en une ou
plusieurs colonnes, de la place de
l’enluminure. Il se complexifiera encore
dans les siècles suivants lorsqu’il faudra
faire une place à la glose (commentaire
du texte principal). L’enluminure intervient
après que le texte a été copié et elle est
effectuée par le copiste lui-même ou un
artiste spécialisé. Il travaille selon un
programme établi par le chef d’atelier ou
le commanditaire, et d’après un modèle
(l’exemplum).
Les copistes et enlumineurs des scriptoria
monastiques ou épiscopaux peuvent être
des clercs comme des laïcs. Des études
récentes ont montré que certains artistes
(peintres, ivoiriers, orfèvres) travaillaient
de façon indépendante, se déplaçant
au gré des commandes des souverains
ou hauts dignitaires pour réaliser la
décoration de manuscrits d’apparat — ce
qui explique les emprunts stylistiques
d’une école à l’autre.
Le travail accompli dans les scriptoria
devait assurer la conservation des textes
latins qui seraient redécouverts plus tard,
à la Renaissance, par les humanistes.