Le silence et le contrat . approche comparée
Olivier Frédéric Boyer
Institut de Droit Comparé
Université McGill Montréal
Septembre 1991
Thèse présentée à la Faculté d'études supérieures et de recherche en vue de l'obtention de la Maîtrise en droit (LL.M).
© Olivier Frédéric BOYER 1991
- --, ,
- REMERCIEMENTS -
Je tiens à remercier, tout d'abord, Monsieur le profess~ur D. Jutras pour la
rigueur de ses remarques, ses conseils avisés et pour ses encouragements
bienveillants lors de la rédaction de cette thèse.
J'adresse aussi mes remerciements à Monsieur P. Benson qui a bien voulu
m'apporter de nombreux éclaircissements fort utiles et me prodiguer ses
conseils.
. '
RESUME
Dans cette thèse, l'auteur entreprend de comparer le rôle que tient le silence dans le contrat en Droit civil ,et en Common law. Cette étude nous montre Que ces deux systèmes de droits. qm ont commencé par "ignorer" le silence. ont de plus cn plus tendance à
"l'apprivoiser" en l'objectivant. Cet exposé a donc pour but non seulement d'étudier de façon comparée les différentes phases du contrat où se révèle un tel processus d'objectivation. mais aussi de s'interroger sur les raisons d'un tel processus et sur son devenir. Le silence étant aussi vaste que l'infini. il serait déraisonnable. quelque soit son système d'origine, de rechercher une objectivation totale de tous les silences. Cependant. le processus en cours dans nos deux systèmes de référence semble devoir encore évoluer afin de permettre au silence de prendre toute sa dimension en matière contractuelle. Le succès d'une telle évolution passe sans nul doute par la prise en considération des enrichissements propres à toute étude comparée.
ABSTRACT
The author of this thesis undertakes to compare the role of silence in the Civil and Common law of contracts. This thesis demonstrates that these two legal systems which had at first ignored silence, have reined it in to an increasingly greater degre-e by objectifying il.
This plper's purpose is thus not only to comparatively assess the role of silence through the various phases of the contract, where this process of objectivization occurrs, but also to examine the reasons behind this process. Lastly. it will examine the direction the process takes.
The scope of silence being indefinite. it would be unreasonable to imagine its complete objectivization. Nevertheless. the parallel processes in both the Common and the Civil law will have to evolve further in order to aHow silence to take on a greater role in Contracts. The sucees of such an evolution. in either system. wiIJ no doubt result from a comparative approach of this phenomenon .
a
- TABLE DES MATIERES -
Introduction
1ère Partie: Le silence et la formation du contrat
Sous- ,.,artie 1/ Le silence et l'offre
Sectioll Il Droit civil ~ Il Le silence contemporain de l'offre ~21 Le silence postérieur à l'émission de l'offre
Section Il 1 Coramon Law ~ II Le silence contemporain de l'offre §2/ Le silence postérie-ur à l'émission de l'offre
Section 1111 Approche comparée
Sous-partie 111 Le silence et l'acceptation
Section Il Droit civil ~ Il Principe : le silence ne vaut pas acceptation §21 Exceptions : !e silence vaut acceptation
Section III La Common law ~ Il Principe : le silence ne vaut pas acceptation ~21 Une exception de portée limitée
Section III! Approche comparée du problème
Hème Partie: Le silence et l'obligation précontractuelle de renseignement
Section Il Droit civil § Il Le silence et le débiteur de l'obligation de renseignements AI Un silence volontaire
II Sur le telTain des vices du consentement
''II!.
21 Sur le terrain des vices cachés BI Un silence prémédité
II Sur le terrain des vices du consentement 21 Sur le terrain des vices cachés
§21 Le silence et le créancier de l'obligation de renseignements AI Un silence inéluctable
BI Un silence au dessus de tout soupçon
Section III La Common law § Il Le principe : la règle caveat emptor §2/ Les atténuations au principe
AI Le devoir de renseignement et l'obHgation de réveler un danger
11 Cas d'existence d'un devoir de renseignement
21 L'obligation de révéler un danger
BI L'interprétation extensive de la "representation"
Section 1111 Approche comparée
IlIème Partie: Le silence et l'interprétation du contrat
Section Il Droi( Civil
§ 11 L'interprétation objective du silence AI Principe
BI Méthode
§21 Le contrôle de la Cour de cassation et les interprétations n di vinatoires "
AI Le Contrôle de la Cour de cassation 11 La loi
21 L'usage
3/ L'équité
BI Les interprétations "divinatoires"
Section III Common Law
§ 11 Nature des implied terms
§21 Conditions d'application des implied terms
(
§21 Conditions d'application des implied terms
Section 1111 Approche comparée
IVème Partie : Le silence et la fin du contrat
Section Il Droit civil: le silence et la théorie de )'imprevision § II Le silence "reconnu" par la théorie de l'imprévision
*21 Le silence "délaissé" par la Jurisprudence
Section III Common law: le silence et la notion de "frustration ft
§II Principe: le silence "reconnu" par la notion de "frustration"
§21 Les limites à la reconnaissance du silence par la "frustration"
Secf!on Ill: Approche comparée
Conclusion
Bibliographie
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· 1 -
Introduction .
Le silence. ce néant qui n'est pas plus facile à conceVOlr que l'intini.
a toujours fasciné l'homme. Nombreuses sont les disciplines
humaines qui comme la philosophie. la sociologie. la pédagogie ou lu
médecine psychiatrique se sont intéressées à ~e phénom~ne. La
science juridique ne saurait échapper à la règle car les points de
rencontre entre le Droit et le silence sont multiples. En effet. le
silence. en tant qu'expérience ou phénomène humain se révèle êtn:.
bien souvent. au cœur de la réflexion juridique. Bien sûr. le silence
est un fait qui peut être irritant pour le Droit qui cherche la plus
grande cohérence possible afin d'instaurer un certain ordre. Mais
appelé à régir et à ordonner les activités humaines. le Droit doit
nécessairemnent être confronté' au silence. Rapidement viennent à
l'esprit une pléiade de problèmes pouvant naitre de la rencontre du
Droit et du silence : le silence face à l'administration. le silence ct
le secret professionnel. le silence et la création d'une personne
morale. le silence et le droit de la preuve... Mais encadrer toute
ces matières afin de dégage à grands traits la rencontre du droit et
du silence d'un point de vue général. sacrifierait la précision et le
détail technique. Aussi. afin d'être le plus précis possible. notre
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étude se conl..t:lIlrera sur le contrat. "armature sociale du monde
moderne"o. Cependant. certains types de contrats seront
volontairement exclus de notre champ de recherche, ce sera le cas
du contrat de mariage. du contrat de travail. et des opérations à
trois personnes. En effet. chacun de ces contrats. de par sa
spécificité et sa complexité. mériterait une étude particulière qui
ne saurait prendre place dans nos développements. Notre étude des
rapports entre le silence et le contrat se fera selon une approche
comparée qui aura pour base principale le Droit civil Français et la
Common law Anglaise, mais aussi leurs "proches cousins". la
Common law Canadienne et le Droit civil Québécois.
Mais avant tout. il est nécessaire de cerner la notion de silence qUi
sera au cœur de notre étude. En consultant le dictionnaire I , nous
apprenons que le silence c'est le fait de ne pas parler. mais aussi. au
sens ab~trait. le fait de ne pas exprimer son opinion. de ne pas
répondre. de ne pas divulguer ce qui est secret. Dans cette
définition. la notion de silence apparaît surtout comme négative. et
il n'est pas question du silence "significatif" dont le rôle sera
pourtant très important dans notre étude.
En matière juridique. certains auteurs ont tenté de donner une
définition du si1ence: pour Monsieur le doyen Breton2• le silence
"c'est l'attitude de la personne qui non seulement ne dit rien, mais
o A . Mar~ . "Raisun philosophique et religion révélée", éditions Desclée de Brouwer, 1954, p.50.
1 P. Rotlert : "Dictionnaire alphatlétique & analogique de la langue Française", Société du nouveau Littré, 1973.
2J. 8arrault : "Rôle du silenœ créateur d'obligations", Thèse Dijon, 1912.
1 - ] -
demeure dans une abstention complète"; pour MonsÎl:ur PopesL'o
RamnÎsceanoJ : "c'est J'absence de toutt" l1lanÎ festiu;on de volonté" et
pour Monsieur Aubert-l: "Le silence consiste. non seulement dans le
fait de n'avoir rien dit et rien écrit. mais encore en une attitude
entièrement passive". Toutes ces détlnitlOns ont en commun
qu'elles associent silence ::t "non- faire". cependant il est important
de savoir qu'clics sont intervenues alors que leurs auteur~
s'intéressaient uniquement au rôk que pouvait tenir le sileilce dans
la formation du contrat et plus spécialement dans le processus
d'acceptation de l'offre. Mais notre cadre de raisonnl!ment sc
voulant plus vaste. puisqu'il s'agit d'envisager le contrat dans son
entier. de sa formatioll à sa nn. il est possible dc se demander si le
silence ne constitue pas une notion genérique qu'il est difficile de
ramener à l'unité. et s'il ne serait pas préférable dc parler des
silences qu'il est possible de renc0ntrer en matière juridique
Choisir une telle solution revient à suivrt" la voie ouvertc au début
du siècle par Monsieur 8arraults qui distinguait déjà deux dcgrés
de silence: le silence de premier degré qui laisse apparaître une
volonté présumable. et le silence de secono degré qui n'offre aucun
moyen de connaître la volonté (si \!lIe existe) de celui qui reste
silencieux.
3 M. Popesco Ramnisceano :"u ~i1ence aéateur d'ooligation), et l'aou~ du drOit", Rev trim. dr. civ., 1936, p. 763 .
4 J-L. Aunert : "NotIons et rôles de l'offre et de l'acceptatIon dans la formatIOn du contrat", L.G.DJ. , 1970
5 J. Barrault :"Rôle du silence créateur d'ooligations" ,Thèse DIjon, 1912 .
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Pour notre part. nous avons choisi d'adopter une approche pratique
des problèmes posés par le silence en espèrant que cette méthode
nou~ permettra de considérer la question le plus largement possible.
Pour ce faire, il est possible de répartir les silences en trois
catégories :
1/ Le silence neutre 6: c'est le silence qu'il est impossible
d'interpréter. il est impo~sible de savoir ce qu'il cache et même s'il
cache quelque chose.
2/ Le silence significatif : c'est le silence qu'il est possible
d'interpréter; parfois sa significiltion sera certaine7 et sans
équivoque (silence purement significatif), dans d'autres hypothèses
il sera simplement possible de présumer Sft signification (silence
simplement significatif).
3/ Le silence coupable : c'est le silence que l'on garde alors que
"parler" est une obligation. [ Dans cette classitication, le "mobile"
de celui qui reste silencieux l'emporte sur les caractéristiques
intrinsèques du silence .]
Cette classification empirique n'est pas une nouvelle définition
juridique du silence, mais simplement \Ut point de repère nécessaire
à l'étude d'un phénomène aux facettes multiples.
Dans le cadre du contrat et face au silence, deux attitudes sont
concevables et pourront être observées, tantôt le Droit ignore le
6 Cette ~att!gon~ recouvre le silenœ de 2ème degré préconi!lé par M. Barrault.
7 Cuntraireml!nt à certain!l auteur~ pour qui un "silenœ" dont l'intl!rprétation est œrtaine ne saurait être considéré comme un véritahle silence , nous considèrons qu'un t~l sil~nce a hlen sa plaœ dans notre c1assitication qui se veut la plus ouv~rte possible.
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f,
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silence et l'exclut de son influence. tantôt le Droit intervient ct
s'efforce de ramener le silence dans la sphère cOJltractuclle.
Notre étude a pour hut de comparer les évolutions connues en ce
domaine par la Common law et le Droit civil. Nl)US constaterons que
ces deux systèmes ont commencé par ignorer k "ih.-'n<:e ct p!.~r
refuser de lui reconnaître une place: originak en matière
contractuelle. Cette atti!llde traduisant sans .. tolite l'individualisme
exacerbé du XIXème siècle et l'intluence du prindpe de la liberté
individuelle. Ainsi, durant une longue période ces systèmes de Droit
ne manifestèrent aucune velléité J'un ql,dc(·n<l'Je interventionnisme
à l'égard des trois formes de silence que nOlis avon~ définits. En
effet, l'abstention générale est considérée comme l'expres~ion d'lm
droit. Il est aussi possible de dire qu'à (:ette époque. l'mtl:rl~{ de
l'individu enfermé dans sa sphère privée. prime la rc<.:hache de la
vérité et la réalisation du juste.
Mais depuis la fin du XIXème nos deux systèmes de référence ont
progressivement adopté une attitude de plus en plus
interventionniste face au silence. Les traces d'un dépassement de
l'individualisme se multiplient. l'individu n'apparaît plus maître
absolu de ses silences. Les notions classiques de ~écurité. de
stabilité et d'égalité sont revues à la lueur des rapports collectifs
et de la solidarité des personnes dans une société complexe.
Notre étude tend à montrer qu'au delà des différences techniques qui
séparent le droit des contrats en Common law et en Droit civil. ces
deux systèmes connaissent un processus d'objectivation du silence
souvent similaire. En effet. dans nos deux systèmes. la tendance
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1
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actuelle est d'objectiver les silences. de les transformer en réalités
qu'il n'est plus possible d'ignorer et qui ont un rôle à jouer dans la
sphère contractuelle.
A fin de mieux comprendre les raisons et le devenir de cette
évolution, nous avons choisi d'étudier de façon comparée les
différentes phases du contrat où se révèle un tel processus : la
formation du contrat (1), l'obligation précontractuelle de
renseignement (II), l'interprétation du contrat (III) et la fin du
contrat (IV).
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'ère Partie Le silence et la formation du contrat
Sous-partie Il Le silence et l'offre
Section Il Droit civil
Dans cette étude nous allons distinguer le rôle tenu par le silence
lors de l'émission de l'offre et celui qui peut être le sien
postérieurement à cette émission.
§ll Le silence contemporain de J'offre
La notion d'offre peut être définie comme une déclaration
unilatérale de volonté adressée par une personne à une autre (ou au
public en général) et par laquelle l'offrant propose à autrui la
conclusion d'un contrat.
Ainsi donc, l'offre implique une manifestation extériorisée de
volonté, ce qui veut dire que l'idée d'offre est nécessairement
associée à l'idée d'action.
Le fait que J'offre puisse être considérée comme la manifestation
d'une volonté ferme et précise de passer un contrat peut faire
pressentir qu'une antinomie existe 'entre la notion de silence et
celle d'offre. Il est cependant possible de se demander s'il existe
une place pour "l'offre silencieuse" en Droit civil.
Concrètement, comment qualifier les situations suivantes : la
présentation d'objets étiquetés d'un prix dans la vitrine d'un
magasin, ou le simple stationnement d'un taxi à une station de prise
l
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en charge. Pour Monsieur Aubert8 ces diverses hypothèses et autres
cas similaires ne sont que des "offres tacites" auxqueIJes les
circonstances el le contexte économiGue confèrent la signification
juridique d'une offre. Si le qualificatif "tacite" peut de prime abord
faire penser qu'jci le silence joue un rôle dans le processus de
pollicitation. Monsieur Aubert affirme cependant que ces offres
sans ambiguité ni équivoque ne sont pas "silencieuses" dans la
mesure où aucun effort d'interprétation n'est nécessaire pour
comprendre leurs significations. Pour notre part, nous pensons qu'il
y a bien là une situation où Je silence joue un rôle dans le processus
de pollicitation. mais ce silence étant "purement significatif". et
donc sans équivoque, il est aisé de l'interpréter sans risque d'erreur.
Il est cependant nécessaire de préciser que le silence non
accompagné de certaines circonstances économiques ne saurait
constituer une offre en lui-même : une offre "purement" silencieuse
est donc impossible.
Lors de son émission, J'offre peut s'accompagner de réserves qui
sont soit expresses. soit tacites. La réserve expresse qui
accompagne l'offre a Je mérite de ne pas être susceptible
d'interprétation dans la mesure où il s'agit d'une déclaration de
volonté pure et simple. En revanche, dans le cas où la réserve qui
accompagne l'offre n'est que tacite, une interprétation s'avère
nécessaire et l'on peut donc ici reconnaître les caractéristiques d'un
8 J-L. Aubert :"Notions et rôles de l'offre et de l'acceptation dans la formation du contrat", L.G.DJ., 1970, p.35. n028 .
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silence simplement significatif. Ainsi le silence de l'offrant peut
jouer un rôle direct et affecter le contenu et l'efficacité de l'offre.
Pour que cela soit le cas. il faut que l'existence de la réserve tacite
considérée ait pu ou dû être légitimement soupçonnée par le
destinataire de l'offre. L'exemple le plus classique est celui du
magasin qui aménage une vitrine dans laquelle un mannequin porte
un costume dont le prix est indiqué par ailleurs : il y a bicil ici une
offre de vendre ce costume, mais avec cette réserve tacite que le
client ne saurait exiger celui-là même qui est présenté. mais Uil
autre. en tous points identiques à celui-là. conservé dans les
rayons9• Les seules réserves tacites admissibles et pouvant
permettre à l'offrant de faire échec à la formation du contrat sont
donc celles qui découlent de la nature des choses et correspondent à
la nature même de la convention. Il semble en effet logique qu'une
réserve purement mentale sur un point inhabituel ne puisse être
prise en considération.
Après avoir constaté que le silence contemporain de l'émission de
l'offre peut avoir un effet sur la formation du contrat~ il convient
désormais de s'intéresser au rôle que peut tenir le silence
postérieurement à l'émission de l'offre.
----._----------9 Avec la réserve que si le stock de costumes présent dans les rayons vient à s'épuiser, il convient de retirer le mannequin de la vitrine ou tout au moins d'ôter l'étiquette indiquant son prix .
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§2/ Le silence postérieur à l'émission de l'offre
Si comme nous l'avons précédemment constaté, le sil~r.ce peut avoir
son importance au moment de l'émission de l'offre. il peut
également jouer un rôle confirmateur en maintenant ('offre une fois
celle-ci émise. En effet. Je silence de l'offrant faisant suite à
l'émission de l'offre ne saurait avoir qu'une seule signification le'
maintien de cette offre. Ce raisonnement ne souffre aucune
contestation dans la mesure où l'on accepte le principe de la libre
révocabilité de l'offre. A l'inverse. si l'on pose le principe de
J'irrévocabilité de l'offre. le maintien de celle-ci étant obligatoire;
le silence n'a plus aucun rôle à jouer.
La doctrine Française s'est depuis longtemps intéressée à ce sujet.
mais si la très grande majorité des auteurs s'accorde pour faire
peser sur l'offrant une obligation de maintenir l'offre pendant un
certain délai~ il y a cependant discordance quant au raisonnement
juridique qui conduit à cette solution. Que ce soit le sytème de
l'avant-contrat défendu par Demolombe lO• celui de l'engagement
unilatéral soutenu par Worms ll ou encore le système de la
responsabilité délictuelle de Planiol et Ripert 12; aucune de ces
justifications n'a été retenue clairement par le droit positif qui
10 C. Demolombe : "Traité des contrats ou des obligations conventionnelles en général", Tome 1. 2ème édition, A. Durcmd éditeur. 1870, p. 62, nO 65.
11 R. Worms: "De la volonté unilatérale considérée comme source d'oblig'cltions", A. Giard éditeur, 1891, p. 175.
12 M. Planiol et G. Ripert : "Traité pratique de Droit civil français - Les Obligations -Tome VI", par Esmein, L.G.DJ .• 1934 • p.174 , n0132.
y, f~ " ,
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admet de façon pragmatique l'irrévocabilité temporaire de l'offre.
sam se prononcer sur sa nature juridique l3 . Ainsi l'offre doit être
maintenue pendant un délai raisonnablement nécessaire pour qu'il lui
soit répondu. la longueur de ce délai pouvant varier selon l'objet du
contrat et les circonstances de fait. Pendant l'écoulement de ce
délai. il est clair que Je silence n'a aucun rôle à jouer: en revanche.
une fois ce délai raisonnable passé. il est possible dtaffirmf~r que le
silence gardé par J'offrant proroge ce délai. L'offrant redevenu alors
maître de l'offre peut en effet. soit la retirer expressément. soit la
maintenir en gardant le silence.
Section III Common Law
Il convient tout d'abord de préciser que la Common Law est aussi peu
formaliste que le Droit civil en ce qui concerne la notion de
pollicitation.
Il faut ici encore rechercher le rôle que peut tenir le silence au
moment de l'offre et après l'émission de celle-ci.
§ 11 Le 'iilence contemporain de l'offre
Selon Corbin l4 l'offre est une "external expression of intention
which looks forward to response to exact same terms ". Les termes
13 Bordeaux, 17 janvier 1871, D. 1871. 2. 96 .
14 A.L. Corbin: "Corbin on Contracts", one volume editioo, West Puhlishing Company, 1952, § Il et § 12, p. 16 et s.
(
- l '2-
"external expression" semblent indiquer que l'offre silencieuse ne
saurait exister en Corn mon law.
Il est bien sûr des circonstances particulières. comme l'exposition
de marchandise dans un magasin. où le silence est présent et où son
rôle doit être analysé. Dans ce genre d'hypothèse~ il n'est pas
toujours aisé de faire la di fférence entre l'offre véritable et la
simple invitation à faire des offres, mais la majorité de ces cas
sont résolus soit par une intervention du législateur15• soit par la
simple casuistique. Dans l'affaire Timothy v. Simpson 16, il a par
exemple été décidé que lorsque des marchandises sont exposées
dans un magasin. il s'agit à première vue d'une simple invitation à
faire des offres. La décision Pharmaceutical S"dety of Great
Br;tain v. Boots Cash Chem;sts Ltd 17 semble même aller pius loin en
affirmant que dans le cadre d'un libre service la présentation de
produits étiquetés d'un prix ne constituait qu'une simple invitation à
faire des offres.
En résumé, en Common Law le silence qu'il soit "simplement
significatif" ou "purement significatif" (qu'il soit équivoque ou non).
est en règle générale considéré comme une simple invitation à faire
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IS En Angleterre par exemple, c'est la section 57 du Sale of Goods Act de 1979 qui, à propos des ventes aux encMres, décide que le commissaire-priseur qui ne fait qu'appeler des offres n'est pas toujours tenu d'adjuger au plus offrant la marchandise qui est mise en vente.
16 Timot!:y l'. Slmp.!iOn (1834) 6 C.and P. 499.
17 PhllrmtlCeutlcal Society of Great Brilain v. &Jots Cash Chemists LJd . (1952) 2Q.B. 765 et ~n appel 11953] IQ.B. 401.
- 1 3-
des offres et ne saurait en aucun cas constituer une offre en lui-
même.
§2/ Le silence postérieur à l'émission de "offre
En Common Law la révocabilité de l'offre est le principe. et
l'irrévocabilité demeure l'exception 18. Ainsi jusqu'au moment où
l'acte est conclu. l'offre peut être librement révoquée par celui qui
l'a faite. Il en est de la sorte même si le pollicitant a déclaré qu'il
maintiendrait son offre pendant un certain délai; du moment qu'il n'a
reçu aucune contrepartie en échange de cette promesse. l'offrant
n'est pas lié par elle.
Dans un tel cadre juridique. il est évident que le rôle du silence peut
être déterminant. En effet. le principe que l'offre puisse être
librement révoquée comporte d'après la jurisprudence un
tempérament : la révocation de l'offre ne produit effet que si elle
est communiquée au destinataire de l'offre 19: que cette
communication soit directe ou non 20.
18 Pour que l'offre !oroit irrévocahle, Il faut qu'elle ~{)it faite dans une forme spédale, par acte portant le sceau de l'offrant: "contrat under sealn.
19 Voir dans ce sens Stevenson v. McLean (1880) 5 Q.B D. 346 De plus, est considérée comme communiquée directement au destinataire de l'offre la rétractation envoyée par télex, à partir du moment où dIe est reçue par la machine de celui-cI durant les heures de bureau; voir dans ce ~en~ : The Brimmes 119751 Q.B 929. Cependant, si celui qui effectue cette rétractation par télex sait pertinemment que son destinataIre ne sera pas en mesure d'en prendre connaissance, la rétractation ne produira pas d'effet; voir dans ce sens : 8rmlabon Lill. v. SUlhllK Slahi und Stahlwarenhandelsgesllschllft mbH 119821 1 Ali E.R. 293, 295.
20 Voir dans ce sells : Dickinson v. Dodds (1876) 2 Ch. D. 463, où l'on consid~re comme communiquée la révocation apprise par hasard (et par l'intemlédiaire d'un tiers) .
- 1 4-
A contrario. le silence gardé par l'offrant doit être interprété
comme le maintien de son offre. Dans ce cas, le silence va donc
jouer un rôle de prorogateur de l'offre. Cependant le silence gardé
ir.jétiniment par J'offrant ne signifie pas que l'offre demeurera en
existence ad vitam eternam; en effet. si aucun délai n'a été fixé, on
considèrera l'offre comme caduque à l'expiration d'un délai
raisonnable21 • Une telle solution semble être dictée par le souci de
maintenir une certaine stabilité juridique dans le monde des
affaires.
Section III/ Approche comparée
En ce qui concerne le silence postérieur à l'émission de l'offre, il
faut tout d'abord remarquer que le rôle qu'il tient en Common law et
en Droit civil est similaire. Toutefois, il est possible d'observer que
la Common law permet au silence de jouer un rôle plus important
que celui qu'il tient en Droit civil. En effet, dans nos deux systèmes.
le silence agit comme un prorogateur de l'offre: si l'offrant reste
silencieux. l'offre continue d'exister. Mais cette prorogation
implicite est surtout importante en Common law car celle-ci,
contrairement au Droit civil. connait le principe de la libre
21 Voir dans ce sens Ramsgate Victoria Hotel Co. Lid. v. Montefiore (1886) L.R. Ex. 109. Ce délai raisonnahle sera plus court lorsqu'il s'agit de la vente de biens périssables, ou encore lorsque l'offre a été faite par télégramme; voir dans ce sens : Quenerduame v. Cole (1883) 33 W.R. 185. En outre, il est possihle que par sa conduite, le destinataire de l'offre prolor.ge ce délai raisonnahle~ voir dans ce sens: Manchester Diocesan Council fi" EiiuCllt;on v. Commercinl and General Investments Ltd. [1970] 1 W.L.R. 141.
•
- 1 5 -
révocabilité de l'offre. Cette position en vertu de laquelle l'offre .
même si elle comporte la fixation d'un délai. est toujours révocable.
a souvent été critiquée. mais semble trop fermement établie pour
que les tribunaux l'abandonnentu .
Il est donc possible d'affirmer que la Common law et le Droit civil
ont exactement la même approche quant au rôle accordé au silence
qUI suit l'émission de l'offre et précède J'acceptation. Il s'agit dans
les deux systèmes d'un silence "purement significatif" qui maintient
la pollicitation de l'offrant. Seul le domaine d'expression de ce
silence varie d'un système à l'autre. il est très vaste en Common
law (puisque le silence y joue un rôle prorogateur dès l'offre émise)
et est plus limité en Droit civil (puisque le silence ne peut jouer un
rôle qu'à partir du moment où l'offrant se voit offrir la possibilité
de rétracter son offre23 ). Mais les deux systèmes connaissent la
même limite de temps quant à la fin de ce rôle prorogateur du
silence. L'offre ne pouvant pas exister pour l'éternité. elle est
déclarée ca Juque lorsqu'un délai raisonnable s'est écoulé depuis son
émission. la durée de ce délai dépendant de l'objet de l'offre
considérée et des circonstances de faits. De plus. dans les deux
systèmes. la caducité de l'offre peut aussi intervenir à cause du
refus ou de la contreproposition du destinataire de l'offre ou encore
en cas de "silence forcé" de l'offrant : décès 24 ou incapacité.
22 En Angleterre, le Law Revision Committee avait déjà, sanll lIUCC~S. pro(lollt! l'aholition de cette règle.
23 Lorsqu'un délai raisonnahle se sera écoulé.
24 En Common law, on peut toutefois se demander ce que devient l'offre lorsque le destinataire de celle-ci n'a pas connaissance du décès.
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l
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Pour ce qui est du silence contemporain de l'offre. il faut tout
d'abord constater que ni la Common law. ni le Droit civil ne
reçoivent la notion d'offre purement silencieuse. Cette position
commune se comprend assez bien dans la mesure où dans ces deux
systèmes l'offre. qui n'est que la première étape du processus
contractuel. doit recevoir une acceptation lui correspondant
exactement. Pour que cette correspondance soit possible, il est
nécessaire que l'offre soit claire et précise. Une offre purement
silencieuse résultant d'un silence simplement significatif. qui
serait par définition sujet à inttrprétation • ne saurait donc être
satisfaisante quel que soit le système juridique considéré.
En ce qui concerne le rôle du silence dans des situations où des
marchandises sont exposées avec leur prix dans des libre-services.
son appréciation est. cette fois. bien différente dans les deux
systèmes qui nous intéressent. En Droit civil le silence purement
significatif résultant, par exemple, de l'exposition de marchandises
dont le prix est indiqué constitue. en principe. une offre de contrat
de vente 25. En effet. le silence qui accompagne la présentation de
ces marchandises n'est pas de nature à créer une quelconque
ambiguité. les circonstances économiques encadrant cette situation
n'étant pas du tout équivoques. A l'inverse. la Common law n'accorde
pas la même valeur à ces sile,lces "purement significatifs" et ne
voit dans ces présentations de marchandises qu'une invitation à
25 Ce que Monsieur Aubert appelle une "offre tacite"dans "Notions et rôles de J'offre et de l'acceptation dans la formation du contrat", L.G.DJ., 1970, p. 35, n028 .
• 1
r t
1 ~
- 1 7 -
faire des offres26. Afin de justifier ce refus d'objecti \'atÎon du
silence. il est souvent soutenu qu'il s'agit du meilleur moyen de
reconnaitre aux consommateurs le droit de s'emparer d'une
marchandise. de l'inspecter et de la remeltre évenmellement sur
son présentoire. Cette explication est contestabk dans la mesure
où l'on pourrait considérer la présentation de marchandises comme
une offre avec possibHité d'inspecter le bien offert et dl..' le
remettre en place le cas échéant. Cette solution serait
techniquement acceptable et pratiquement en deçà des politiques
commerciales actuelles~ en effet. nombreux sont les magasins qUI
autorisent leurs clients à rapporter leurs achats avec ou sans raison
alors même qu'un contrat de vente a déjà pris place.
Ainsi, la distinction entre offre et invitation à faire des offres n'cst
pas exactement la même en Droit civil et en Common law; les
civilistes ont tendance à accorder un rôle au silence lorsque celui
ci ne vient pas contrarier la clarté et la précision de l'offre alors
que les Commo., lawyers paraissent pius stricts et semblent penser
qu'un silence. même non équivoque. n'a pas sa place dans le
processus de pol licitation .
26 "an invitation to treat" : Pharmaceullcal SocIety of Great Brllmn v. &)(11\' Cll.\h Chemists Lld. (1952) 2Q.B. 765 et en appd (19531 IQ.B. 401.
•
- 1 8 -
Sous-partie III Le silence et l'acceptation
Section 1/ Droit civil
En Droit civil. une importance capitale s'attache à l'acceptation car
c'est elle qui va former le contrat. Avec elle, l'accord des volontés
existe et les parties ne peuvent revenir unilatéralement sur leur
volonté. L'acceptation peut être soit expresse. soit tacite.
L'acceptation est tacite lorsqu'elle peut être présumée à partir d'un
comportement. S'il est généralement admis que le destinataire d'une
offre puisse l'accepter par l'exécution du contrat27 ~ l'acceptation
par le silence est, elle, plus problématique.
~ II Principe le silence ne vaut pas acceptation
Il est admis qu'en règle générale, le silence n'oblige pas et ne vaut
pas adhésion à un contrat. La vieille maxime "qui ne dit mot consent"
n'a pas de valeur juridique. En effet, admettre que l'acceptation
puisse résulter d'une absence de manifestation de volonté,
risquerait de conduire à la création d'une obligation contre la
volonté de l'obligé. car le silence peut avoir une signification
équivoque. Cette règle n'est d'ailleurs pas propre au droit
contractuel. elle existe aussi dans d'autres domaines du droit
27 Celte solution provient ùe l'article 1985 a1.2 du Code civil Français qui disopse : "L'acceptatton du mandat peut n'être que tacite, et résulter de l'exécution qui lui a été donnée par le mandataire". Mais la jurisprudence [Casso civ., 9janvier 1933, S. 1933. 1. 145 et Casso civ. Ire, 2 décembre 1969. Rev. trim. dr. civ., 1970, 589, (note Cornu) 1 applique cette rêg1e spéciale à l'ensemble des contrats .
- 1 9-
privé28. La Cour de cassation l'a même proclamé dans un arrêt de
principe du 25 mai 187029 en affirmant que "le silence de celui
qu'on prétend obligé ne peut suftire. en l'absence de toute aurre
circonstance. pour faire preuve contre lui de l'obligation alléguée".
La conséquence majeure de ce principe est que l'offrant ne saurait
valablement imposer au destinataire de l'offre l'obligation d'y
répondre, en indiquant qu'il considère le silence comme valant
acceptation des conditions offertes.
Cependant. la simple présence de la formule "en l'absence de toute
autre circonstance" employée dans l'arrêt de 1870 laisse présager
que le silence peut. exceptionnellement. valoir acceptation.
§2/ Exceptions le silence vaut acceptation
Il faut tout d'abord préciser que dans certains cas c'est le
législateur lui même qui dispose que le silence vaut acceptation.
28 En ce qui concerne les donations par exemple, le Code civil Françah Jlspo~e dans loon article 932 que l'offre de donation n'engag~ le donateur "que du jour où elle aura été acceptée en terme exprès".
29 Casso civ., 25 mai 1870 , S.1870. 1. 34 t, cassant un arrêt ayant adm IS l'existence d'une acceptation résultant du silence gardé par le client d'une hanque qui l'avait informé par lettre qu'elle avait lIouscrit pour lui des actions et déhité son compte de la somme correspondante à leur prix.
- 20-
comme par exemple en droit des assurances30 ou pour les contrats
de louage 31,
Mais en dehors de ces consécrations légales du silence,
manifestations de volonté, la jurisprudence a admis certaines
exceptions au principe posé par la Cour de Cassation le 25 mai 1870.
Les tribunaux ont donc précisé quelles étaient les circonstances
exceptionnelles dans lesquelles il y avait un silence "qualifié" ou
"circonstancié", c'est-à-dire les cas où le silence perd sa
"neutralité" et peut être interprété comme la manifestation d'une
volonté d'acceptation.
La valeur du silence peut tout d'abord être fondée sur les usages
commerciaux32• qui peuvent être tantôt généraux, tantôt variables
selon la place ou la nature de l'activité considérée. La signification
du silence peut également être éclairée par les relations d'affaires
existant entre les parties33: le silence peut valoir acceptation
lorsque l'offrant pouvait. en raison des relations antérieures,
compter sur l'acceptation à défaut de refus exprès34•
30 Selon l'article L.112-2 alinéa 2 du Code Français des assurances , est "acceptée la propositiun , faite par lettre recommandée, de prolonger ou de modifier un contrat ou de remettre en vigueur un contrat suspendu, sÎ l'assureur ne refuse pas cette proposition dans les dix jours après qu'elle lui est parvenue" (cette solution ne s'appliquant pas aux assurances vie).
JI L'article ) 738 du Code civil Français dispose que "si à l'expiration des baux écrits , le preneur reste et est laissé en possession , il s'opère un nouveau bail dont l'effet est réglé par l'article relatif aux locations faites sans écrits" .
32 Voir dans ce sens: Casso Req., 15 mars 1944, S. 1945. 1. 40 , et Cass civ. 9janvier 1956. Bull. cÎv. 1956.111. n° 17.
33 Aix. 13 août 1873, D. P. 1877. 5. 56 ; et Trib. com. Nantes, 19 mai 1906, D. P. 1908. 2. 213.
34 Voir dans ce sens: Bordeaux, 3 juin 1867, D. P.1867. 2. 56.
,
....
- 2 1 -
C'est aux juges du fond que revient le soin d'apprécier
souverainement le sens qu'il convient de donner au silence gardé par
le destinataire d'une offre; il appartient en outre à celui qui se
prévaut de l'acceptation de prouver que le silence du partenaire
pouvait effectivement avoir cette signification, ce qui implique
qu'il devait être compris comme tel par les deux panies.
Enfin, la jurisprudence admet aussi qu'une offre puisse être
acceptée par le silence du destinataire. lorsqu'elle est faite dans
son intérêt exclusif35; mais en pratique il est souvent difficile de
déterminer si une offre est ou non faite dans son intérêt exclusif.
La liste de ces exceptions démontre bien que si le Droit civil refuse
de considérer le silence "neutre" comme une acceptation de l'offre.
il accepte néanmoins que le silence "simplement significatif"
puisse, dans certains cas, valoir acceptation.
Section III La Common law
En Common law l'offre confère à son destinataire un pouvOIr
d'acceptation et donc de création du contrat. Le silence n'est pas en
principe reconnu comme un mode d'exercice valable de ce pouvoir. Il
existe cependant certaines situations pratiques qui peuvent faire
croire à l'existence d'exception à ce principe. Une analyse plus
complète de ces situations semble révéler que le principe ne souffre
------ -------"-
35 Voir dans ce sens: Casso Req., 28 Mars 1938, D.P. 1939. 1. 5 , (note Voirin) .
i
-
- 2 2-
d'exception que lorsque le silence considéré se révèle "purement
signi ficati f".
§ 11 Principe le silence ne vaut pas acceptation
Il suffit de se référer à la décision Felthouse v. Bindley 36 pour bien
comprendre que la Common law écarte, en principe. toute idée
d'acceptation par le silence. Dans cette espèce. le pollicitant a fait
savoir à l'autre partie que s'il ne recevait pas de réponse. il
présumerait que celle-ci avait accepté son offre. Le tribunal a
déclaré que le silence du pollicité ne valait pas acceptation car SI
un offrant peut prescrire la forme ou le moment de l'acceptation, il
ne peut en faire autant du refus en stipulant que le destinataire sera
lié par le contrat pour le cas où il ne refuserait pas d'une certaine
façon ou à un moment déterminé. La clarté et la fermeté de cette
décision n'ont jamais été contestées par la doctrine Anglo
Canadienne37 et ont même été données en exemple par Monsieur
Aubert38• lA a cependant été possible de s'interroger sur
l'intangibilité de ce principe notamment dans les situations où les
parties étaient antérieurement en relations d'affaires.
36 Ffllhouse v. Bindley (1862), II C.B.; (N.S.) 869; affirmed (1863), 1 L.T. 835. Voir aussi dans le même sens: Financial Techniques (Planning Services) v. Hughes 11981] I.R.L.R. 32, 35.
37 J. Swan et B. J. Reiter: "Contracts " , 3ème édition, Emond Montgomery Publications
Limited. 1985, p.264; et G.H. Treitel: "The law of contract", 6ème édition, Stevens, 1983, p.26, où Treitel discute les tàits de Felthouse v. Bindley, mais n'eD consteste pas le principe.
38 J-L Aubert: "Notions et rôles de l'offre et de l'acceptation dans la formation du contrat". L.G.DJ., 1970, p. 300, n° 324.
-23-
§2/ Une exception de portée limitée
Pour contester le principe selon lequel le silence ne saurait valoir
acceptation. il est tentant de se référer à la décision Brogden l'.
Metropolitan Rai/way Co 39. mais pour que la démonstration soit
exacte, il faut bien exposer les faits de cette affaire. En l'espèce.
Brogden avait fourni pendant des années du charbon à la Metropolitan
Railway Co. sans qu'aucun contrat formel n'ait jamais été conclu
entre eux. Plus tard les panies souhaitèrent mettre leur accord noir
sur blanc. A cette occasion, la Metropolitan Railway Co envoie à
Brogden un projet de contrat. dans lequel il est prévu que les
contestations éventuelles seront résolues par l'arbitrage de ... (le
nom de l'arbitre était laissé en blanc). Brogden renvoie le projet à
Metropolitan Railway Co avec la mention "approuvé" alors qu'il a
indiqué sur le document le nom d'un arbitre de son choix. Après ces
faits les parties continuèrent normalement leur commerce. Plus
tard, alors qu'une contestation vient à exister. la question s'est posé
de savoir si la Metropolitan Railway Co devait se soumettre à
l'arbitrage. Dans cette espèce la Chambre des L0rds décida que la
Metropolitan Railway Co devait. sans conteste. ::te soumettre à
l'arbitrage. Une première analyse de cette décision pourrait faire
croire qu'ici la Chambre des Lords avait décidé que le silence valait
acceptation. En effet. la Metropolitan Railway Co était bien resté
silencieuse à l'offre concernant l'arbitre choisi unilatéralement par
Brogden.
------------39 Brogden v. Metropolitan Rai/way Co (1877), L.R. 2 App. Cas. 666.
- 24-
Pourtant, si l'on examine la motivation de cette décision, il apparait
que l'acceptation de l'offre faite par Borgden ne résultait pas
simplement du silence gardé par la MetropoJitan Railway Co, mais
aussi du fait que celle-ci avait dt! nouveau commandé du charbon à
Brugden. En l'espèce. il s'agissait donc d'un silence rendu "purement
significatif" par les nouvelles commandes effectuées par le
destinataire. En d'autres mots. il est possible de dire qu'en Common
law, s'il peut y avoir parfois des acceptations tacites par
l'exécution du contrat40• il ne saurait cependant jamais y avoir
d'acceptation purement silencieuse.
Section III/ Approche comparée du problèm~
En ce qui concerne le rôle du silence dans l'acceptation de l'offre, il
est tout d'abord notable que la Common law et le Droit civil
connaissent le même principe : "qui ne dit mot ne consent pas", le
silence n'oblige pas et ne saurait valoir adhésion à un contrat.
De même, les deux systèmes reconnaissent parfois la validité d'une
acceptation simplement tacite. dans la mesure où celle-ci résulte
d'un silence rendu "purement significatif" (non équivoque) par la
seule exécution du contrat.
En revanche, si ce principe est d'une totale rigueur en Common law,
nous avons observé qu'il souffrait quelques exceptions en Droit civil.
40 En matière d'assurance, le simple fait de rester silencieux pendant plusieurs mois après reception de sa police vaut acceptation tacite. voir dans ce sens Rust v. Abbey life Ins. CO 11979J 2 Lloyd's Rep. 335.
!
;.'
~
l
-25-
Le Droit civil reconnait qu'un silence "simplement significatif" (dont
il est possible de présumer la signification) peut valoir acceptation.
Les décisions reconnaissant ces exceptions sont pourtant assez
marginales et sont toujours intervenues en matière commerciale.
Dans toutes ces espèces. le silence ne se suffit pas à lui-même. il
est encadré de circonstances de faits. Il est même possible de
soutenir avec Monsieur Aubert41 que le silence vient en quelque
sorte confirmer les circonstances de fait qui entraînent la
formation du contrat; If- silence ne détruisant pas l'indication
positive qu'a pu percevoir le pollicitant. Présentées de telle façon
les décisions Françaises seraient très proches de l'esprit de Brogden
v. Metropolitan Railway Co 42 dans la mesure où ce sont les
circonstances de fait qui constitueraient une acceptation lorsque
celui qui les provoque conserve par ailleurs le silence.
En conclusion. nous avons pu constater qu'en Common law. comme en
Droit civil, les cas d'objectivations du silence sont assez limités
lorsqu'il est question de la formation du contrat. En effet. dans ce
domaine la volonté des parties se doit d'être dénuée de toute
équivoque et sa manifestation suftisamment précise. ce qui réduit
fatalement le rôle qui peut être accordé au silence. C'est pourquoi
seuls les silence;, significatifs peuvent être objectivés et tenir un
rôle dans le processus de formation du contrat. En effet. une
41 J-L Aubert: "Notions et rôles de l'offre et de J'acceptation dan. .. la formation du contrat", L.G.D.J., 1970, p.300, n° 324.
42 Brogden v. Metropolitan Railway Co (1877), L.R. 2 App. Cas. 666 .
1
"
- 2 6-
objectivation plus complète du silence n'est pas souhaitable dans la
mesure où eHe pourrait. non seulement créer des situations de doute
quant à l'existence du contrat (ce qui irait à l'encontre de la
sécurité juridique), mais pourrait aussi nuire aux "faibles" qui dans
les négociations de contrats considèrent souvent le silence comme
un refuge leur permettant d'échapper à la conclusion du contrat et
aux insistances des plus "forts fi.
En revanche. c'est une situation presque opposée qu'il va nous être
permis d'observer lors de la seconde partie consacrée au silence et à
l'obligation précontractuelle de renseignements.
,
..
- 27-
Hème Partie: Le silence et l'obligation précontractuelle
de renseignements
Section Il Droit civil
En Droit civil le problème de l'obligation de renseignements a été
pour la première fois traité de façon globale par Monsieur de Juglart
en 194543 . Cet auteur avait effectué son étude à partir d'un
recencement de diverses dispositions légales et de quelques
décisions judiciaires. A cette époque. il était possible de considérer
que la règle générale était que nul n'était tenu de rompre le silence
et de renseigner son cocontractant à moins qu'une telle obligation ne
soit imposée par la loi ou par la convention elle-même. Ce n'est que
plus tard que cette analyse a été mise en question par l'évolution du
droit positif qui prit de plus en plus en considération l'inégalitr des
parties. Cette évolution s'est traduite chez le législateur par la
multiplication de lois spéciales44 et chez les juges par une eXigence
accrue de bonne foi dans les relations précontractuelles. De nos
Jours. l'obligation de renseigner étant devenue le principe. le silence
gardé par le débiteur de cette obligation pourra très souvent être
43 M. de Juglart : "l'obligation de renseignement dans les çontrat!!" , Rev. trim. dr. dv , 1945, p.l et s.
44 Voir dans ce sens la loi Française du 10 janvier 1978 (dite aussi loi "Scrivener") relative à l'information et à la protection des consommateurs dans Je crédit à la consommation, ou encore la loi française du 22 juin 1982 (dite aussI loi"Quilliot") qui impose à toute personne qui propose à une autre la conclusion d'un bail. de remettre une fiche de renseignements sur la localisation, la consistance des locaux. le montant du loyer ...
,. }
•
-28-
sanctionné lorsqu'il aura déterminé le consentement de l'autre
partie. La sanction aura le plus souvent pour fondement les vices du
consentement et plus spécialement le dol, ou encore la garantie des
vices cachés.
Aux termes de l'article J 116 du Code Civil français "le dol est une
cause de nullité de la convention lorsque les manœuvres pratiquées
par l'une des parties sont telles qu'il est évident que. sans ces
manœuvres. l'autre partie n'aurait pas contracté". En d'autres
termes. le dol dans la formation du contrat s'entend de la tromperie
par laquelle une des parties, en usant de manœuvres. a induit l'autre
en erreur pour l'amener à contracter. Si le terme de "manœuvre"
évoque tout naturellement des mises en scènes. artifices et ruses
diverses combinées dans le but de réaliser une tromperie, il n'en
demeure pas moins imprécis et la question s'est posée de savoir si
ce vocable pouvait recouvrir le silence gardé par l'une des parties.
La thèse classique fondée sur la maxime "Qui ne parle pas ne trompe
pas" voulait que la réticence soit inopérante en dehors des cas où la
loi fait un devoir de parler. La Cour Suprême renversa ce principe en
1933 dans un arrêt4S où elle retint la réticence dolosive comme
cause de nullité du contrat. Dans cette affaire les juges décidèrent
que la bonne foi doit dominer les relations contractuelles, et qu'en
l'occurrence. la bonne foi consiste à fournir à l'autre partie les
éléments d'appréciation dont dépend son consentement, mais qu'elle
4S Casso Req., 23 mai 1933, D.P. 1933. 1. 143, qui a approuvé les juges du fond d'avoir annulé pour dol un partage de succession auquel avait été admise la veuve du colonel S.: parce qu'on avait dissimulé à une sœur naturelle le legs universel dont la faisait bénéficier un testament, déjà déposé chez le notaire .
r 1
1 -29-
n'est pas en mesure de connaître ou de vérifier elle-même. Depuis
cette date. la jurisprudence moderne n'hésite plus à appliquer
l'article 1116 chaque fois que le silence d'un contractant "présente
un caractère dolosif propre à induire son cocontractant en erreur sur
les motifs du consentement qu'il donne à une transaction destinée à
régler leurs rapports 46".
La garantie des vices cachés. intimement liée à l'obligation de
garantie et sécurité. est aussi l'un des domaines d'élection où se
manifeste l'obligation de renseignement. La violation de cette
obligation est sanctionnée par la résolution de l'acte et,
éventuellement. par l'attribution de dommages-intérêts. Grâce aux
dispositions du Code Civil Français et notamment aux articles 1641
et 1721. les contractants sont énergiquement protégés contre le
silence. Ces dispositions qui ne concernent que les contrat de vente
et de louage et qui ne s'appliquent que lorsque le vice de la chose est
non-apparent, permettent d'atteindre le vendeur qui. ayant gardé le
silenc~, viole ainsi l'obligation à laquelle il est astreint d'informer
son cocontractant avec exactitude et précision.
Pour bien comprendre le rôle que peut tenir le silence dans
l'obligation précontractuelle de renseignements, il est utile de
s'intéresser non seulement au débiteur de cette obligation (1), mais
aussi au créancier de cette obligation (2).
46 Casso Civ. 3e, 15 janvier 1971, l.C.P. 1971. IV.43 .
l
•
- 3 0-
§ Il Le silence et le débiteur de l'obligation de renseignements
L'obligation de renseignements suppose que le débiteur qui reste
silenci.eux connaisse non seulement l'information [silence
volontaire], mais encore, l'influence de cette information sur le
consentement de l'autre partie [silence prémédité].
AI Un silence volontaire
Pour que le silence soit volontaire. il faut que le débiteur de
l'obligation de renseignements ait connaissance de l'information et
garde le silence.
En principe si le débiteur ignore l'information, il n'est pas tenu de
renseigner le créancier. C'est au créancier d'établir que l'autre
partie connaissait les faits non divulgués.
Il Sur le terrain des vices du consentement
Bien que les textes soient muets sur ce points, de l'avis unanime,
l'un des éléments constitutifs du dol est relatif à l'intention de son
auteur. La doctrine47 juridique met l'accent sur cet élément
psychologique et exige le caractère intentionnel de la tromperie. La
jurisprudence se prononce dans le même sens et selon certains
47 R. Demogue :"Traité des obligations en général", volume l, librairie A Rousseau, 1923, p.S6S. 0°360. A. Weill et F. Terré: "Droit Civil: les obligations". 4ème édition, Dallo7, 1986 , nO 181. E. Gaudemet et H. Desbois : "Théorie générale des obligations", Sirey, 1937, p.70 .
,
.'
- .3 1 -
arrêts. l'article Il 16 implique la constatation de la mauvaise foi de
celui qui reste silencieux 48. Pour que le silence soit dolosif il faut
donc qu'il soit volontaire et que le débiteur connaisse l'existence de
l'information passée sous silence.
2/ Sur Je terrain des vices cachés
Ici. contrairement aux situations de dol. le vendeur qUI reste
silencieux de bonne foi et qui ignorait l'existence d'un vice sera tout
de même tenu à la restitution du prix reçu et au remboursement des
frais occasionnés par la vente 49 Cependant. le vendeur de mauvaise
foi qui connait l'existence du vice et passe son existence sous
silence est traité plus sévèrement car lui seul sera tenu de tous les
dommages-intérêts envers l'autre partieSO et n'est pas autorisé à
limiter conventionnellement sa garantieS 1. Il faut aussi ajouter que
selon la jurisprudence actuelle52• est assimilé au vendeur resté
volontairement silencieux sur l'existence du vice. tout vendeur qui.
en raison de sa profession. ne pouvait l'ignorer. ou était tenu de le
48 Casso civ., 5 avril 1949, J.c.P. 1949. Il. 5185.
49 Cf : article 1645 du Code civil Français.
SO Cf : article 1645 du Code civil Françai~.
SI Cf : article 1643 du Code civil Français.
52 Casso civ. 1re, 24 novemllre 1954, J.C.P. 1955, 8565, cet arrêt de principe déclarait : " le vendeur qui connaissait les vices de la chose, auquel il convient d'assimiler celui qui, par sa profession, ne pouvait les ignorer". Depuis cet arrêt, la jurisprudence assimilant le professionnel à un vendeur de mauvaise foi est ah!.olument constante: Casso civ. 1re, 19 janvier 196:5, Rev. trim. dr. civ. 1965, 665, (note Cornu); Casso corn., 12 mars 1979, Bull. civ. IV, n098; et Casso corn" 3 mai 1983, Bull civ IV, nO 131.
- 3 2-
connaitre. il s'agit là d'une présomption irréfragable que le vendeur
professionnel ne saurait renverser. ni en établissant qu'il pouvait
légitimement ignorer le vice, ni en prouvant que le vice était
impossible à déceler. En d'autres termes. le silence gardé par le
vendeur est toujour:-. sanctionné. mais la sanction est bien plus
sévère lorsqu'il s'agit d'un silence volontaire émanant soit d'un
profane de mauvaise foi. soit d'un professionnel dont le silence sera
toujours jugé volontaire.
BI Un silence prémédité
Le silence gardé par le débiteur de l'obligation de renseignements
est prémédité lorsque celui-ci avait connaissance de l'influence de
l'information sur le consentement de l'autre partie.
Il Sur le terrain des vices du consentement
L'annulation d'un contrat sur le fondement de l'article 1116 suppose
que le défendeur ait connu l'importance essentielle attachée par la
victime du dol à l'information passée sous silence. En effet, pour
qu'il y ait dol, l'élément psychologique constitué par l'intention de
tromper est essentiel. Ainsi. la plupart des arrêts sanctionnant la
réticence dolosive relèvent que le défendeur avait connaissance du
but poursuivi par l'autre partie et savait que le contrat ne
l
. .
- 3 3-
permettait pas de le réaliser. Celui qui garde le silence sait bien que
s'il informait l'autre partie. celle-ci refuserait de contracter (dol
principal) ou tout du moins refuserait de contracter aux mêmes
conditions (dol incidentS3).
2/ Sur le terrain des vices cachés
La garantie du vendeur suppose qu'il ait connu ou qu'il ait dlÎ
connaitre la destination du produit. En règle générale le vendeur
présume que l'acheteur va faire une utilisation normale du produit
acheté, et si l'acheteur lui cache l'usage spécial auquel il destine
l'objet la garantie ne saurait jouer. En effet. décoler du papier peint
avec un séchoir à cheveux ou cuire des poteries dans un four à
micro-ondes sont des utilisations que déconseillerait tout vendeur
si l'acheteur prenait la peine de lui faire part de ses projets. En
revanche. il n'est pas injustifié d'attendre d'un vendeur
professionnel qu'il s'intéresse à l'adaptation de la chose vendue aux
besoins de l'acquéreur et qu'il mette l'acheteur profane en garde
contre les possibles inconvénients ou dangers54 d~ la chose vendue.
53 Casso civ. Ire, 9 Février 1970 , J.CP. 1971. n. 16806, le dol incident n'ouvre logiquement droit qu'à des dommages-intérêts.
54 Cass.civ. 1re, Il octohre 1983, Rev. trim. dt, civ. 1984. 73 , (note J. Huet) .
1 ... "'_"_" _______ ....;.;-....... .-...-----~ ------ - -- ~ -
- 3 4-
§21 Le silence et le créancier de l'obligation de renseignements
Pour que l'obligation de renseignements puisse être invoquée. il faut
non seulement que le créancier de cette obligation soit dans
l'impossibilité de connaître l'information (à cause du silence
ineluctable du débiteur de cette obligation). mais encore que la
confiance du créancier de cette obligation soit légitime (à cause du
silence au dessus de tout soupçon du débiteur de cette obligation).
AI Un silence inéluctable
Si au début de notre siècle, la Cour de cassation affirmait que "le
contractant qui s'est trompé parce qu'il a été trop crédule ou
négligent dans ses vérifications ne doit s'en prendre qulà lui
mêmess ", l'évolution des mœurs et de la législation a cependant
modifié de façon notable le devoir de se renseigner et le principe
est admis aujourd'hui "qu'il y a obligation d'infonner celui qui ne
peut pas s'infonnerS6". Cette évolution peut s'expliquer tout à la fois
par l'influence du consumérisme et par une exigence accrue de bonne
foi s7 dans les relations contractuelles. qui est caractéristique du
droit contemporain des contrats.
55 Casso Req .• 7 janvier 1901, D. 1901. 1. 128.
56 J. Flour et l.L. Aubert :"Ohligations ,1er volume", éditions Armand Colin, collection U, 1975, p. 150.
57 Cette exigence de loyauté. se retrouve aussi en matière pénal avec l'évolution du délit de pu~licité mensongère qui sanctionne bien souvent les silences des annonceurs sur certaines qualités essentielles du produit vanté.
, 1
-35-
La cause de l'impossibilité de se renseigner peut être objective et
tenir à la nature de l'objet. ou aux circonstances dans lesquelles est
conclu le contrat. Dans le cas où l'objet du contrat est détenu par
l'autre partie. il devient difficile de l'examiner et donc de poser les
questions Qui pourraient s'imposer afin de lutter efficacement
contre le silence gardé par l'autre partie.
Mais plus souvent, l'impossibilité de se renseigner est subjective et
résulte de l'inaptitude personnelle de l'une des parties. Le silence
est inéluctable car l'une des parties n'est pas assez compétente pour
connaître les informations nécessaires dans ce genre de contrat.
En ce Qui concerne le Dol. certains auteurs exigent un minimum de
diligence de la part de la victime car il serait licite de garder le
silence sur ce Que le cocontractant serait inexcusable de ne pas
connaître. [Inversement sera qualifié de manoeuvre illicite "Je
silence gardé par le contractant sur une circonstance ou un fait que
son cocontractant était excusable de ne pas connaîtreS8"]. Ici. c'est
en fait la notion d'erreur inexcusable qui est utilisée. notion qui est
définie par Monsieur Ghestin comme "une erreur résultant d'une
faute de celui Qui entend s'en prévaloir et Qui ne peut justifier de la
mauvaise foi de son cocontractant59 " • En conséquence. cette notion
ne semble pas avoir sa place en matière de dol où le comportement
négligent de la victime est effacé par la déloyauté de son
cocontractant.
58 Casso SOC., 1er avril 1954, J.C.P. 1954. Il. 8384, (note J. Lacoste).
59 J. Ghestin "La notion d'erreur dans le droit positif actuel". Bihliothèque de droit privé, tome 41, L.G.DJ . 1971 , p. 159.
,--------------
(
(
- 3 6-
En ce qui concerne la garantie des vices cachés. le caractère
inéluctable ou non du silence gardé par 1 ~ débiteur de l'obligation de
renseignements dépend de la compétence de l'autre partie. La
profession de celle-ci est alors un élément essentiel. dans la
mesure où elle permet de présumer sa compétence technique et, par
là. son aptitude à déceler les défauts, passés sous silence.
Si les tribunaux Français peuvent faire preuve d'une grande sévérité
à l'égard des acheteurs ayant une compétence professionnelle, ils
admettent cependant qu'ils ne sont pas tenus de déceler les défauts
indécelables 60. A l'inverse. la jurisprudence Française se montre
particulièrement indulgente pour ceux qui n10nt pas une telle
compétence. et il ne peut être exigé d'eux un examen que seuls les
usages professionnels imposent.
Entin. pour ce qui est de l'obligation de conseil. le silence est
reconnu inéluctable dès lors que le contrat porte sur des matériels
de haute technicité. Ici encore le principe est que le fournisseur ne
saurait rester silencieux dans la mesure où l'autre partie est un
profane qui n'a pas les moyens d'obtenir par lui même une
information complète et satisfaisante61 •
60 Casso civ. 3e, 7 février 1972, I.C.P. 1975. II. 17918.
61 Paris, 15 mai 1975, J.C.P. 1976. Il. 18265.
1 '1 '.
l
• ..
-37-
BI Un silence au dessus de tout soupçon
Dans certains cas, une des parties peut légitimement faire
confiance à J'autre car elle est en droit d'attendre de son
cocontractant les informations nécessaires et ne saurait donc
soupçonner le silence auquel elle fait face.
H n'est pas question ici de la simple bonne foi contractuelle. mais
plutôt d'une confiance particulière qui peut résulter de la nature du
contrat, de la qualité de l'autre partie. ou des informations fournies.
La confiance légitime du créancier de l'obligation de renseignement
peut tout d'abord découler de la nature de certains contrats qui
supposent une confiance toute particulière entre les parties. comme
le contrat de société62• le contrat de mandat ou le contrat de
travail. Dans un contrat de travail par exemple. le salarié se doit de
préciser en toute loyauté à son nouvel employeur l'étendue de la
liberté d'engagement résultant d'accords précédemment passés par
lui, et le silence gardé sur une clause de non-concurrence doit être
considéré comme au dessus de tout soupçon63 .
La confiance légitime d'une partie peut aussi être fondée sur la
qualité de, l'autre. Il est possible tout d'abord de citer les pactes de
famille car le contrat conclu entre les membres d'une même famille
suppose une loyauté particulière qui rend tout silence
insoupçonnable. Mais de nos jours l'exemple le plus topique est bien
sûr la confiance légitime que nourrit le profane lorsqu'il contracte
--- -------- - ----- ---
62 Surtout dans le cadre de sociétés de personnes .
63 Casso soc., 3 janvier 1964, J.C.P. 1972. Il. 13551.
(
c
- 38-
avec un professionnel. Ce dernier doit renseigner l'autre partie
chaque fois que le caractère techn;que du contrat ou de son objet
met celle-ci dans un état d'infériorité excessive. Comme l'explique
Monsieur IvanerM. "la bonne foi du professionnel comporte
l'obligation de mettre le profane à son niveau de connaissance pour
traiter à annes égales". Il est donc naturel de ne pas suspecter le
silence gardé par un notaire65 ou par un expert en œuvres d'art66 car
leur titre et leur profession inspire une confiance particulière.
Cette tendance des tribunaux Français à déduire de la seule
compétence technique du professionnel l'obligation de renseigner
l'autre partie est encore accentuée lorsqu'il est question de contrat
d'adhésion. C'est surtout dans les domaines immobilier et banquaire,
où existent déjà de nombreuses obligations légales de
renseignements. que les tribunaux se montrent très sévères vis à
vis des professionnels qui passent sous silences certaines
"subtilités" des contrats qu'ils font signer à leur clients. Ainsi la
troisième Chambre Civile. dans un arrêt du 25 avril 197867, a admis
la responsabilité d'une société coopérative de construction pour
avoir incomplètement informé l'acquéreur d'un appartement, édifié
par elle. sur les conditions dans lesquels les prêts, qu'il avait
contractés. étaient garantis par une assurance-décès.
64 lvaner : "D~ l'ordre t~chnique à l'ordre public technologique", J.C.P. 1972 .1. 2495.
65 Casso civ. Ire, 21 juin 1960, Bull. civ. 1960. Ill. 279, n0339.
66 Paris. 22 Janvier 1953, J.C.P. 1953. Il. 17435.
67 Gaz. Pal., 8 août 1978, Panorama de Jurisprudence.
,
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1
-39-
Enfin. la confiance légitime d'une partie peut encore être fondée sur
les informations fournies par l'autre partie. En effet. en fournissant
spontanément certaines informations qui paraissent se suffire à
elles-mêmes. l'une des partie fait disparaître dans l'esprit de
l'autre la n..!cessité de rechercher le renseignement passé sous
silence. C'est ce principe que l'on retrouve dans certaines actions
ayant pour fondement le dol. où pour mieux garder le silence sur un
fait décisif une partie décide de submerger l'autre d'informations
apparemment exhaustives.
Section III La Common law
Comme le Droit civil . la Common law a commencé par ignorer toute
obligation précontractuelle de renseignement et au XIXème siècle
les tribunaux appliquaient avec rigueur la règle caveat emptor (§ 1 )
puis progressivement sont apparues certaines atténuations à ce
principe (§2) .
§ 11 Le principe la règle caveat emptor
Si comme le pense Monsieur Atiyah68• il existe quelque:, indications
qu'un principe de bonne foi aurait pu prospérer en Angleterre à la fin
du dix-huitième siècle, cette façon de concevoir les relations
68 P.S. Atiyah : "The Rise and Fan of freedom of Con'Iact", Oxford University Press, 1979, p.168.
(
1
-40-
contractuelles n'a pas duré bien longtemps et depuis le début du dix
neuvième siècle c'est la maxime caveat emptor qui est appliquée
dans toute sa rigueur. Selon ce principe. chaque contractant doit
s'informer sur ce qui lui paraît intéressant dans le contrat qu'il se
prépare à conclure . Différents arrêts illustrent bien la rigueur de ce
principe.
Dans l'affaire Keates v. Lord Cadogan 69, Keates avait loué une
demeure qu'il se proposait d'aller habiter tout de suite . mais Lord
Cadogan qui connaissait les intentions de son cocontractant a
préfèré passer sous silence le fait que la maison qu'il louait était en
ruine. Contrairement au Droit Civil • la Common Law ne conn ait,
dans ce cas, nulle garantie contre le bailleur et Keates agit en
"misrepresentation"70 contre Lord Donogan afin d'obtenir des
dommages-intérêts pour fraude. Mais dans cette espèce l'action
échoue car Lord Donogan n'ayant fait aucune affirmation inexacte, il
ne saurait y avoir "misrepresentation".
Il convient aussi de citer la très célèbre affaire Smith v. Hughes 71
Dans cette espèce, il s'agit d'une vente d'avoine sur échantillon
entre un fermier. Smith et un entraineur de chevaux de courses,
Hughes. Hughes voulait de la vieille avoine et croyait que l'avoine
69 Keates v. Lord Cadogan (1851) 10 c.a. 59. Dans le même sens, Fletcher v. Krell (1872) 42 L.J.Q.8. 55, une femme qui postule un poste de gouverneur n'a pas à révèler qu'elle est divorcée; Bell v. Lever Brothers Ltd. [l932J A.C. 161, lors d'une démission négociée, un employé n'est pas tenu de révèler à son employeur ses écarts de conduite.
70 La notion de "misrepresentat\on" est très différente de la notion civile de dol , car si cette dernière suppose des manœuvres, la "misn:presentation", elle, ne requiert qu'une aftirmation inexacte.
71 Smith v. Hughes (1871) , LR 6 QB 597.
'41<
- 4 1 -
fournie en échantillon était effectivement ancienne. Smith
connaissait les désirs de Hughes et savait aussI que son avome était
nouvelle. Smith se contenta de fournir à Hughes un échantillon de
nouvelle avoine de qualité marchande acceptable et ne fit rien pour
la faire passer pour vieille, ou pour détromper Hughes. En l'espèce.
la question était de savoir si dans de telles circonstances.
l'acquiescement passif de Smith à J'erreur de Hughes permettait de
résilier la vente. Les Juges estimèrent que non, et le Juge
Cockburn72 justifia cette décision en posant que la règle doit être
que "quand Uil bien spécifique est à vendre. sans garantie expresse.
ou de circonstances à partir desquelles le droit déduira une garantie
implicite. et quand l'acheteur a pleinement l'occasion de véritier et
de former sa propre opinion, la règle caveat emplor doit
s'appliquer" .
Dans ces deux exemples. il était clair que non seulement l'une des
parties connaissait l'information passée sous silence. mais
connaissait aussi le caractère déterminant de cette information
pour son cocontractant73• Ainsi donc. il semble qu'en Common law. il
n'existe en général, ni sur le fondement de la bonne foi. ni sur aucun
autre fondement. une obligation imposée à une panie à un contrat de
révéler les faits qu'elle connait et que l'autre partie ignore. et ceci
même lorsqu'elle sait qu'une connaissance de ces faits dissuaderait
l'autre partie de conclure le contrat. La rigueur de ce principe est
72 Smith v. Hughes (1871) , LR 6 QB 603.
73 Dans l'affaire Smith v. Hughes, on se trouvait même en présence d'un vendeur professionnel!
..
f
•
- 4 2-
bien le retlet d'une société de libre entreprise où les parties qui
négocient sur un pied d'égalité ont pleinement J'occasion de former
leurs propres jugements. Cependant ce principe qui a été aménagé au
fil des ans, connait de nos jours certaines atténuations.
§2/ Les atténuations au principe
Il Y a différentes atténuations à la règle caveat emptor, certaines
découlent d'un devoir de révèler un danger ou de renseigner (A) et
d'autres résultent de l'interprétation extensive de la notion de
"representation" (8).
AI Le devoir de renseignements et l'obligation de révéler un danger
11 Car. d'existence d'un devoir de renseignements
En Common law un devoir de renseignements est parfois reconnu
dans le cadre de certaines relations fiduciaires ou pour les contrats
uberrimae fldei.
Ainsi le silence gardé par une partie pourra être sanctionné lorsqu'il
intervient dans un rapport contractuel où une partie est en situation
de supérioité par rapport à l'autre et peut en profiter pour exercer
des pressions (dans une relation medecin Imalade par exemple), ou
encore parce que la nature même de la relation suppose une
confiance particulière (entre associés d'une même société par
exemple) .
,
j
-------
- 4 3-
La catégorie des contrats uberrimae fldei est essentiellement
constituée par les contrats d'assurances74 (assurance maritime.
assurance-vie. assurance-incendies ... ), les contrats de vente
immobilière75 (en ce qui concerne seulement les défauts que peut
comporter les titres du vendeur). cenains contrats de droit de la
famille76 et certains contrats entre actionnaires et ~ociété par
actions.
Pour l'ensemble de ces contrats la Common law. par exception au
principe caveat emptor. va prendre en considération le silence ou la
réticence des parties. Dans le cas du contrat d'assurance par
exemple l'obligation est même particulièrement stricte. en effet
l'assuré n'a le droit de rester silencieux ni sur les faits qu'il
connaît, ni sur ceux qu'il devrait connaître et qu'un assureur
raisonnable et prudent considérerait comme pertinent.
En ce qui concerne le contrat de vente. il convient de remarquer que
le Sale of Goods Act Anglais de 1979 prévoit dans certains cas une
véritable obligation de renseigneme,lts à la charge de celui qUI vend
un bien dans le cadre de son activité professionnelle.
D'une part, l'article 14(2) du Sale of Goods Act Anglais de 197977
dispose que les marchandises doivent être de qualité marchande
74 Rownes v. Bowen (1928) 32 Ll.L.R. 98, 102.
75 Faruqui v. English Real Estate (1979J IW.L.LR. 963.
76 Gordon v. Gordon (1817) 3 Swam. 400. Cependant, si les memhres d'une même tàmille négocient de tàçon distante et compétitive ("at arro's lenght"), la règle pf.1urra être écanée : Wales v. Wadham fi 977 1 IW.L.R. 199, 218.
77 En Ontario, des dispositions !>imilaires prennent place au sien du Sale of Go()ds Act, RSO 1980, c. 462. aux sections 15(1) et s.
(
(
-44-
sauf lorsque l'attention de l'acheteur a été spécialement attirée sur
certains défauts.
D'autre palt, l'article 14(3) du même tC'xte prévoit que les
marchandises doivent être raisonnablement aptes à l'emploi pour
lequel elles sont achetées • à condition que l'acheteur porte cet
usage à la connaissance du vendeur. expressement ou tacitement.
Ces dispositions. même si leur champ d'application est 1imité~ sont
de véritables exceptions au principe caveat emptor, en effet le
vendeur professionnel ne saurait garder le silence sur les vices ou
défauts d'une marchandise78. L'acheteur profane se trouve protégé
contre le silence du professionnel. Il faut noter aussi que le
consommateur qui désire faire un usage particulier de la
marchandise achetée doit en informer son vendeur . S'il reste
silencieux. il court le risque de ne pas être couvert par ces
dispositions.
En effet si son silence est purement significatif et permet tout de
même au vendeur d'avoir connaissance de l'usage projeté, la
protection existera; en revanche si l'acheteur garde un silence
neutre ou siluplement significatif, qu'un vendeur raisonnablement
compétent ne pourrait interpréter. alors la protection sera
i nexisten'e.
Pour bien comprendre la limite de ces clauses, il suffit de se
reporter à l'affaire Smith v. Hughes 79 qui, si elle devait être
78 Lorsque l'acheteur est un profane, aucune clause incluse au contrat ne pourra changer cette règle.
79 Smith \'. Hughes (1871) , LR 6 QB 597.
-45-
rejugée de nos jours. ne pourrait guère bénéficier de ces
dispositions dans la mesure où dans cette espèce l'acheteur qui
désirait de la vieille avoine se retrouvait en possession de nouvelle
avoine qu'il avait eu l'occasion d'examiner et dont la qualité
marchande était indiscutable.
2/ L'obligation de révéler un danger
En Common law. la personne qui met en circulation une chose
susceptible de causer un dommage matériel ou corporel a le devoir
de prendre les précautic,ns nécessaires pour éviter une telle
blessure ou un tel dommage. En revanche si cette personne reste
silencieuse et ne remplit pas ce devoir et que quelqu'un subisse un
préjudice prévisible. elle devra par principe réparation.
Pourtant l'affaire Hurley v. Dyke 80 nous montre bien les limites de
cette obligation. Dans cette espèce, le propriétaire d'un garage avait
fait vendre une voiture aux enchères "telle quelle avec tous ses
défauts et sans garantie" mais en passant sous silence le fait que
cette automobile était dangereusement défecteuse. Le jeune
acheteur de cette voiture fut impliqué dans un accident causé par
les défauts et dans lequel il trouva la mort et blessa grièvement son
passager. C'est ce passager qui décida d'agir contre le garagiste au
motif qu'il avait gardé le silence sur la défectuosité du véhicule.
Contre l'avis de Lord Denning la Court of Appeal puis la Chambre des
Lords à l'unanimité jugèrent qu'en l'espèce l'expression "telle quelle
80 Hurley v. Dylœ (1979) R.T.R. 265. 303.
(
-46-
avec tous ses défauts et sans garantie" se suffisait à elle-même et
que le silence du vendeur sur un "danger potentiel très réel" n'avait
pas à être sancti onné81 •
BI L'interprétation extensive de la "representation"
La "representation" est l'affirmation faite par une partie à un futur
contrat , et si cett~ affirmation s'avère fausse. c'est alors une
"misrepresentation Il qui peut dans certaines conditions82 donner lieu
à des sanctions.
Dans certaines affaires. il a été considéré que le silence pouvait
constituer une "representation" et donc être sanctionné lorsqu'il
"équivaut" à une fausse affirmation. Dans J'affaire Schneider v.
Health 83. le propriétaire d'un navire dont la coque est pourrie décide
de le remettre à l'eau juste à l'occasion de la vente afin de rendre
plus difficile toute inspection par l'acheteur. Lors de la vente le
vendeur reste silencieux sur la coque défecteuse et déclare vendre
le navire avec tous ses défauts. En l'espèce les juges ont décidé que
le silence ne pouvait sauver ce vendeur car , purement significatif,
il constituait une affirmation de la flottabilité correcte du navire
présenté dans le bassin à flot.
81 Les juges prirent aussi en compte le fait que d'après l'usage, il est courant d'acheter des voitures aux enchères, non pas pour les faire circuler, mais pour récupérer des pièces détachées.
82 L'affirmation fausse doit porter sur un fait, elle doit émaner de celui contre lequel on agit, elle doit avoir été faite en vue de décider l'autre panie à contracter et doit avoir déterminé effectivement le demandeur à contracter.
83 Schneider v. Heallh (1813) . 3 Camp 505.
- 47-
Il est cependant possible de se demander SI plus que le silenœ. ce
n'est pas la manœuvre de dissimulation que les juges ont voulu
sanctionner ICI.
Dans l'affaire With v. O'Flallagall 84 la sanction du silence est plus
évidente encore. Dans cette espèce. il s'agissait d'une vente portant
sur la clientèle d'un médecin: le futur acquéreur demanda une
estimation de cette clientèle et on lui donna un chiffre exact.
pourtant peu après le médecin tomba malade et sa clientèle diminua
sans que l'acheteur en fut informé. Les juges de la Court of Appeal
décidèrent qu'en l'espèce le fait de garder le silence sur la
diminution de clientèle constituait une fausse affirmation et que
c'est à bon droit que l'acquéreur demandait l'annulation du contrat8S .
Dans cette affaire c'est indiscutablement le silence du vendeur qui a
été sanctionné et ceci grâce à une interprétation extensive de la
notion de "representation ".
Section IIII Approche comparée
Le sort qui doit être réservé au silence dans les relations
précontractuel1es est un sujet de discussion qui bien avant
l'existence du Droit civil moderne ou de la Common law a fait
84 With v. O'Flanagan (1936) lCh. 575.
85 Cependant, si les négociations durent plusieurs années. les jug~s estiment que le vendeur peut garder le silence sur d'éventuels changement!! car l'acheteur a le temps de se former son propre jugement : Argy Trading Development Co. Lld. v. Lapul Developments Lld. (1977) lW.L.R. 444, 461.
9.
-
"
L--___ _
- 48-
disserter les hommes. Déjà Cicéron86, qui s'interrogeait sur la
distinc..tion à faire entre ce qui est moralement bon et ce qui est
économiquement utile prenait des exemples parmis les relations
contractuelles. Dans un premier exemple le philosophe cite le cas
d'un marchand de blé qui arrive dans le port de Rhodes où règne la
famine et qui sur son chemin a dépassé de nombreux navires eux
aussi chargés de blé. Doit-t-i1 révèler ce qu'il a vu ou profiter des
circonstances pour vendre son grain à vil prix? Dans un autre
exemple Cicéron cite le cas du vendeur d'une maison qu'il sait rongée
par la vermine et sur le point de s'effondrer. Doit-il révèler la
défectuosité ou laisser l'acheteur se fonder sur son propre
jugement? Dans les deux hypothèses Cicéron condamne le silence et
affirme que le vendeur doit parler. que ce soit pour révèler une
condition intrinsèque (le délabrement de la maison) ou extrinsèque
(la fin imminente de la famine). Il s'agissait certes d'un débat
philosophique. mais le nécessaire équilibre entre morale et utilité
économique est aussi la base des discussions juridiques entourant
le droit des contrats.
D'après la classification des silences que nous avons proposée. le
silence "coupable". est celui que l'on garde alors que "parler" est une
obligation. Cette obligation peut être soit légale, soit
jurisprudentielle. ou tout simplement morale: ce qui importe, c'est
la volonté de celui qui garde le silence d'influencer le consentement
de son cocontractant.
86 "De Ofticiis". 3.13.
l' }
-49-
Notre courte étude des relations précontractuelles en Droit civil et
en Common law nous montre bien qu'il y a une certaine convergence
dans la façon dont ces deux systèmes de droit traitent le silence
"coupable" gardé par les futures parties à un contrat. Pour expliquer
ces convergences. il est possible de s'intéresser à l'évolution des
priorités réservées dans les deux systèmes aux arguments
économiques et aux considérations morales.
Traditionnellement. le Droit civil intluencé par les canonistes
attache une grande importance aux considération morales. alors que
la Common law. imprégnée par les coutumes commerciales. est plus
"utilitariste" que "Kantienne" et fait prévaloir les considérations
économiques. Cependant notre étude semble démontrer les limites
de cette distinction.
Bien sûr, il n'est pas contestable que la bonne foi apparaît comme un
principe de base en droit civil. En ce qui concerne le dol. par
exemple. ce principe est patent : tout silence volontaire ayant pour
but d'amener l'autre partie à contracter est sanctionné. Sur le
terrain des vices cachés. en revanche. l'approche du problème prend
une coloration plus économique dans la mesure où la jurisprudence
s'intéresse à la qualification technique des différentes parties.
Avec cette approche les professionnels seront traités avec beaucoup
plus d'exigence que les profanes et leurs silences seront rarement
considérés comme innocents. Cette différence de traitement entre
les parties a bien sûr un aspect moral dans la mesure où il s'agit de
protéger le faible cor.tre Je fort . le profane contre le professionnel.
mais elle a aussi des explications plus prosaïquement économiques
car il est certain que les juges tiennent compte de critères comme
-
- 50-
le fait que les vendeurs professionnels soient couverts par leurs
assurances professionnelles.
La rigueur du sort que réserve le Droit civil au silence lors des
relations précontractuelles n'est donc pas uniquement due au
principe de bonne foi que le législateur et les tribunaux utilisent
pour faire pénétrer la règle morale dans le droit positif87, elle est
aussi la conséquence d'une évolution vers une conception plus
utilitariste du contrat.
Oc la même façon. en Common law. c'est en général J'efficacité
économique qui prévaut sur ce que Monsieur Nicholas appelle la
"sensibilité morale"88. A cet égard l'affaire Smith v. Hughes est
édifiante. le vendeur sait ce que désire son cocontractant. il sait
aussi que la marchandise vendue ne fait pas l'affaire mais se garde
bien de lui signifier ce fait . Pourtant. comme nul n'est tenu de
fournir des armes contre lui-même, la vente est déclarée parfaite.
Cependant. il est des situations spécifiques où la Common law, en
exigeant la bonne foi. condamne le silence.
II s'agit des cas où le législateur est intervenu afin de protéger les
parties en position d'infériorité (les consommateurs par exemple).
En Angleterre le Sale of Goods Act de 1979 va dans ce sens et est
même très sévère dans la mesure où le vendeur professionnel qui
reste silencieux sur la défectuosité de la marchandise est tenu
responsable même lorsqu'il ne connait pas l'existence du vice. En
87 Sur cette idée cf : J . Ghestin : "Traité de Droit civil, volume II, le contrat" , L.G.D.J., 1980, n° 185.
88 Barry Nicholas et autres : " Le contrat aujourd'hui : comparaison Franco-Anglaise", L.G.DJ .• 1987. p. 201.
- 5 1 -
Droit Canadien. le silence gardé par une partie pourra aussi être
sanctionné lorsque celle-ci se trouvait en position de supériorité et
lorsque le contrat s'avère "uncon~cionable". En effet. dans l'affaire
Canadian Kawasaki Motors Ltd v. McKenzie 89. les juges Canadiens
ont sanctionné le représentant de Kawasaki qui avait fait signer une
caution solidaire à McKenzie en restant silencieux sur la nalure el
la portée d'un tel engagement. En Angleterre une opinion similaire
avait été défendue par Lord Denning90 mais elle est demeurée très
marginale.
Notre étude nous a aussi montré que le Droit civil et la Common law
ont évolué dans le même sens quant à la place accordée au silence
dans les relations précontractuelles. Ainsi la maxime "Qui ne parle
pas, ne trompe pas" et l'adage Caveat emptor. qui dominaient ces
deux systèmes au XIXème siècle. ont perdu de leur puissance .
Cependant • cette évolution n'a pas eu la même intensité dans les
deux systèmes. En Droit civil. la vieille maxime fait partie de
l'histoire ancienne et l'obligation précontractuelle de
renseignements est presque devenue le principe. Ainsi
l'objectivation du silence est devenue la règle. ce qui perm( ... t de le
surveiller étroitement et de le sanctionner dès qu'il s'avère
"coupable"91. En revanche. en Corn mon law. l'adage Caveat emptor
89 Canlldian Kawasaki Morors Lui v. McKenzle (/981) 126 DLR Ot!) 253 (Ont. Cn. CL).
90 Lloyds Bank Lrd. v. Bundy (1975), QB 326, 339, (\974), 3 Ali ER 757, 765.
91 Même si cette culpabilité n'est que suhjective comme c'e~t partOls le~ ca~ pour le!. vendeurs professionnels.
f
- 52-
est toujours VIvace, et l'obligation d'informer est moins étendue. de
telle sorte que le silence "coupable" n'est que sporadiquement
sanctionné. Pourtant il est possible de penser que la Common law
puisse encore se rapprocher du Droit civil en objectivant le silence
(comme le fait déjà le Restatement Contrat 2d Américain) dans les
cas où une partie a. par son silence. agi contrairement à la bonne foi
et de façon non conforme aux exigences raisonnables de la loyauté
contractuelle92• Une telle évolution aurait le mérite de permettre au
juge de sanctionner un plus grand nombre de silences "coupables". ce
qui serait moralement souhaitable et économiquement tolérable
dans des systèmes qui font de plus en plus de place à l'ordre public
de protection.
Après avoir étudié le rôle que pouvait tenir le silence avant la
"naissance" du contrat. nous allons dans la troisième partie étudier
le rôle qu'il peut jouer durant "l'existence" de la convention.
92 Dans le Restatement 2d • la formule employée est : "failure to act in good faith and in accurdance with reasonable standdrds of fair dealing".
l - 53-
IIIème Partie . Le silence et l'interprétation du contrat
Section Il Droit Civil
En Droit Civil. si une difficulté surgit sur le sens d'un contrat. le
juge doit trancher le différend. Pour cela il doit interpréter le
contrat comme il interprète la loi93 . Il doit en déterminer le sens,
ou plus précisément les obligations qu'il a fait naître. Ce sont
normalement les juges du fond qui procèdent à cette interprétation.
Les tribunaux. qui ne sauraient interpréter une clause claire et
précise sans la dénaturer. doivent cependant interpréter les clauses
équivoques. confuses ou contradictoires. mais aussi le silence de
certains contrats.
Si. bien souvent. les juristes considèrent avec Monsieur
Carbonnier94 que "l'interprétation est un hommage rendu à
l'autonomie de la volonté", c'est sans nul doute parcequ'ils ont à
l'esprit l'article 1156 du Code Civil Français qui dispose : "On doit
dans les conventions recherch~r quelle a été III commune intention
des parties contractantes, plutôt que de s'arrêter au sens littéral
des termes". Selon cet article, l'interprétation doit tendre à la
découverte de la volonté interne des parties et non de la volonté
déclarée. elle doit. plutôt que de s'arrêter à la lettre du contrat,
93 Selon l'article 4 du Code Civil Français, le juge est ohligé de statuer ~ns qu'il ptus!>e se récuser sous le prétexte du silence de la loi: de même, il doit statuer dan!> le !>i1ence du contrat, loi des partie!>.
94 1. Carhonnier : "Les Obligations". 13ème édition, Colle.ction Thémis, P.lJ.F, 1988 . N°88.
(
(
- 5 4-
poursuivre son investigation pour atteindre la volonté réelle, la
volonté psychologique. Cette méthode classique ou thèse subjective
semble cependant peu appropriée au cas qui nous intéresse. car dans
l'hypothèse de l'interprétation du silence. il est souvent vain de
rechercher une commune intention des parties. Le législateur lui
même reconnaît que la volonté exprimée par les parties n'est pas
tout le contrat car l'article 1135 du Code Civil Français dispose:
"Les conventions obligent non seulement à ce qui est exprimé, mais
encore à toutes les suites que l'équité, l'usage ou la loi donnent à
l'obligation d'après sa nature". Après avoir étudié comment cette
thèse objective s'applique à l'interprétation du silence (1), nous
nous intéresserons aux risques d'interprétations "divinatoires" et
aux contrôles effectués par la Cour de Cassation (2).
§II L'interprétation objective du silence
Après avoir étudié les principes de bases de cette interprétation
(A). nous nous intéresserons aux méthodes employées par les
tribunaux (8).
AI Principe
En vertu de l'article 113595, dans le silence du texte, le juge doit
aller au-delà des termes du contrat. pour lui faire produire "toutes
9S Cet article du Code civil Français est à rapprocher de l'article 1024 du Code civil du Quéhec qui lui dispose: "Les obligations d'un contrat s'étendent DOn seulement à ce qui y est exprimé. mais encore à toutes les conséquences qui en découlent, d'après sa nature, et suivant l'équité, l'usage ou la loi".
,
"
. 1 ,
t
- 5 5-
les suites que l'équité. l'usage ou la loi lui donnent d'après sa
nature". Dans le même ordre d'idées, l'article 116096 dispose : "On
doit suppléer dans le contrat les clauses qui y sont d'usage.
quoiqu'elles n'y soient pas exprimées". En effet. en présence d'un
silence. il n'est plus possible pour le juge de "traduire" les clauses
du contrat et il doit y "ajouter" ce qui. n'y figurant pas. semble
néanmoins correspondre à la volonté des parties.
Ces articles servent souvent de base au tenants de la thèse
objective. pour qui le contrat n'est pas un simple instrument
d'échange de biens ou de services entre les deux panies. Pour eux. le
contrat doit aussi servir la collectivité. ne pas être contraire au "
bien commun". à l'équité et à la bonne foi; à cet effet. on doit faire
confiance au juge. En pratique. il est certain qu'il sera tentant pour
le juge de s'inspirer de cette doctrine même si il ne l'aftirmera pas
ouvertement: et bien souvent • même si son intention véritable est
de faire prévaloir une solution objectivement souhaitable. il
déclarera. dans les motifs de sa décision. que telle était la volonté
réelle des parties. compte tenu de son interprétation .
BI Méthode
En cas de silence du contrat rendant la volonté des parties
indécelable. le Code Civil invite donc le juge à recourir à la loi. à
96 Cet article du Code civil Français est à rdpprocher de l'article 1017 du Code civil du Québec qui lui dispose : "On doit suppléer dans le contr.lt les clauses qui y sont d'usage, quoiqu'elles n'y soient pas exprimées"; ces deux textes étant strictement identioues.
•
- 56-
l'usage et à l'équité. Il est donc primordial de savoir ce que
rel~ouvrent ces trois notions et comment le juge va pouvoir les
utiliser.
Il La loi
Il est possible de penser qu'aux yeux des rédacteurs du Code Civil. le
recours à la loi n'est encore qu'une démarche servant à rechercher la
volonté des cocontractants. En effet. on présume que les panies en
gardant le silence. ont entendu se référer aux dispositions légales
sUPJtlétives. En effet le législateur • pour faciliter le commerce
juridique et "alléger" la tâche des contractants, a suppléé au silence
des parties en édictant de nombreuses règles contractuelles.
Par t~xemple. il suffit qu'un vendeur et un acheteur soient d'accord
sur la chose et le prix pour que le contrat de vente existe : à défaut
d'autn! précision. ce contrat sera soumis à toutes les règles
supplétives du titre du Code Civil relatif à la vente97• Lorsqu'il
s'agit d'interpréter le silence. il faut se souvenir qu'il existe deux
catégories de lois supplétives. Il y a d'un côté les lois dispositives
qui sont écartées par la volonté. même implicite, des parties; et de
l'autre les lois dites purement supplétives. qui ne peuvent être
écartées que par une clause expresse98•
97 Comme par exemple les dispositions relatives à l'obligation de garantie du vendeur (article 1625 et s. du Code civil Français).
98 Une telle dause n'est nécessaire que là où le législateur l'exige formellement.
1
l
- 57-
En pratique cependant. il est plus facile d'appliquer les règles
légales supplétives à un contrat nommé. conforme aux normes du
Code civil . qu'au contrat innommé. En effet. dans ce contrat "sur
mesure" qu'est le contrat innommé. les parties manifestent leur
intention de ne pas s'en tenir aux règles habituelles. el les clauses
exprimées se concilient souvent mal avec les contrats nommés les
plus voisins.
Mais la loi n'est pas la seule règle supplétive. il y a aussi l'usage
auquel les parties sont censées s'être ralliées en gardant le silence
et en ne prennant pas d'autres dispositions.
2/ L'usage
En ce qui concerne t'interprétation du silence d'un contrat. le rôle de
l'usage tst très inégal selon les cas. Si les usages professionnels.
spécialement les usages commerciaux sont importants. il est
beaucoup plus rare qu'il en existe pour régir les contrats civils. En
effet. les usages conservent surtout une grande importance cn droit
commercial: ils se forment. se maintiennent. et parfois se
développent dans une profession. dans une branche. sur une place
déterminée99• Ici encore il faut distinguer entre deux sortes
d'usages, il y a ceux ayant un caractère supplétif et ceux ayant un
caractère ,impératifIOO.
99 Sur le sujet, E. Leymane : "Les usages eo Droit Commercial" , Thèse Bordeaux, 1 970, 0°20.
100 Certains auteurs distinguent aussi entre usage de droit et usage de l'ail . Escarra et Rau1t: "Droit Commercial" Tome l, Sirey, 1934-37, n033.
- 58-
Le silence ne pose pas de problème en ce qui concerne les usages à
caractère impératif comme par exemple la solidarité présumée
entre commerçants 101. Dans ce domaine. l'usage ayant une valeur
absol ue. les parties ne sauraient y échapper et le juge doit connaître
la règle et l'appliquer comme s'il s'agissait d'une loi impérative.
Quant aux usages à caractère supplétif, il en existe de deux types
d'une part ceux auquels la loi renvoie expressément 102, et d'autre
part ceux auxquels la loi ne fait aucune allusion précise. Ces
derniers n'ont aucune force impérative en ce sens que les parties
peuvent en toute liberté convenir d'en écarter l'application.
Cependant, dans le silence du contrat les parties sont censées s'y
soumettre. ce qui semble d'autant plus naturel pour les
professionnels qui ne peuvent en ignorer l'existence.
Si l'usage. comme la loi. est un outil d'interprétation qui semble
pouvoir être justifié par la théorie de l'autonomie de la volonté. le
recours à l'équité semble lui plus difficile à justifier.
3/ L'équité
Selon les principes classiques d'interprétation du silence, le juge
doit tenter de déceler la volonté des parties directement par le
contrat lui-même • à défaut par les circonstances qui l'ont
accompagné. ou encore recourir à la loi supplétive ou aux usages
101 Contrairement à l'article 1202 du Code dvil Français !
102 On e ,rime généralement que dans ce cas l'usage tire sa force ohligatoire de la loi dle-m~m\~ à laquelle il s'incorpore : Ripert par Rohlot : "Traité élémentaire de Droit Commercial". Tome 1. 13ème édition. L.G.D.J .• 1989. p.27. n049.
1
1
- 5 9-
parce qu'ils sont présumés correspondre à la volonté silencit!ust! des
contractants. Ce n'est donc qu'en dernière analyse t!l presque en
désespoir de cause, faute d'une volonté décelable. d'une loi ou d'un
usage supplétifs. que le juge devra faire appel à l'équité.
Les nombreux partisans de l'autonomie de la volonté redoutent que le
juge ne modifie le contrat en se fondant sur l'équité. Cette notion
n'est pas. en effet. sans danger pour les relations commerciales 10.1.
Elle manque d'abord de précision. et chaque juge. comme chaque
homme, a une conception personnelle de l'équité; d'autre part. les
obligations librement consenties. fussent-elles d'une rigueur
extrême, ne doivent pas être modifiées~ la sécurité du commerce
juridique étant à ce pnx.
En pratique, à la lecture des recueils de jurisprudence. on peul être
tenté de croire que les juges se conforment strictement aux règles
classiques d'interprétation car h! recours à l'équité n'est
qu'exceptionnellement formulé. Pourtant. il est possible de
constater que bien souvent les juges. sous prétexte de déceler
l'intention des parties dans le silence du contrat. prêtent aux
contractant des intentions équitables.
En conclusion. la loi • la coutume et l'équité interviennent comme
des révélateurs d'une volonté probable qui se dissimule derrière le
silence. Cependant. le danger de toutes ces méthodes
d'interprétation est essentiellement celui de l'arbitraire du Juge
103 Sur ce sujet, Chevalier, ohservations dans la Rev. trim. dr. dv. 1965. p. 338.
• \
-60-
qui, sous couvert d'interprétation du silence. risque de modifier.
voire de bouleverser le contrat. La seule garantie contre cet
arbitraire est dans le contrôle de la Cour de Cassation, même si la
Cour Suprême n'a pas toujours pu empêcher les interprétations que
Messieurs Flour et Aubert qualifient de "divinatoires" 104.
§21 Le contrôle de la Cour de cassation et les interprétations
"di vinatoires"
AI Le Contrôle de la Cour de cassation
En principe. la Cour de cassation~ s'attachant à la théorie classique,
considère que l'interprétation des contrats est une question de fait
et non une question de droit et relève donc des pouvoirs souverains
des juges du fond 1os. En effet, la recherche de la volonté des
parties. variable dans chaque contrat, n'est pas celle d'une règle de
droit qui est essentiellement générale: d'autre part les règles
d'interprétation formulées par les articles 1135 et 1160 sont
considéiées comme dépourvues de tout caractère impératif: simples- J
104 J. Flour et J-L. Aubert :"Les Obligations, volume 1", éditions Armand Colin, Col!ection U, 1975, p.308, n0396.
105 Cf. G. Marty: "De la distinction du tait et du droit", • thèse toulouse, 1929; et "Le rôle du juge dans l'interprétation des contrats". Travaux de l'Association Henri Capitant, Dalloz, 1949, P.85 et s.
1 - 6 1 -
conseils donnés aux juge. leur inobservation ne saurait motiver un
pourvoi en cassation 106.
Pourtant ce principe connait plusieurs tempéraments. En dehors du
silence. la Cour de cassation va contrôler la dénaturation des
clauses "claires et précises" et tenter d'unifier les interprétations
des clauses ambigües.
Dans les cas d'interprétation du silence. la Cour de cassation
vérifiera la bonne interprétation des lois. supplétives ou
impératives, ainsi que des coutumes et usages qui s'intègrent à
l'économie du contrat. mais surtout elle devra contrôler les
interprétations abusives et "divinatoires".
BI Les interprétations "divinatoires"
Si comme nOLIs l'avons précédemment étudié. l'article 1135 permet
au juge. dans le silence du texte d'aller au delà des termes du
contrat, il est toutefois possible de remarquer que parfois le juge
peut faire produire à un contrat des effets auxquels il est à peu près
certain que les parties n'avaient pas songé.
Ainsi d'un silence "neutre". le juge va déduire une obligation.
L'exemple le plus topique de ces interprétations, que Messieurs
Flour et Aubert jugent "divinatoires", nous est fourni par la
jurisprudence qui a reconnu dans certains cas une obligation de
106 Casso Req., 28 février 1868, D. 1868. 1.308 ; Casso SOC., Il mal 1948, Rev. trim.dr. civ. 1948, (observations de H. et L. Mazeaud).
- 6 2-
sécurité à la charge des parties. Dans le silence des contrats de
transports par exemple. la jurisprudence estime que le transporteur
assume envers le voyageur une obligation de sécurité qui le rend, de
plein droit, responsable de tout préjudice subi par celui-ci. alors
même qu'aucune faute n'est établie à sa charge 107 • Il est fort
difficile de prouver que ce soit l'intention silencieuse des parties
qui ait joué un rôle à cet égard. En effet. il n'est pas fréquent qu'un
voyageur songf! à la perspective d'un accident en prenant son billet
de chemin de fer ou en montant dans un autobus et si quand bien
même cette éventualité avait été prévue, comment le transporteur
aurait-il accepté ce que souhaitait le voyageur? Dans le silence du
contrat de transport. le juge ne constate pas ce que les parties ont
voulu. il le devine. non pas au hasard. mais d'après ce que
personnellement il estime juste. Pourtant, jamais les tribunaux
n'ont affirmé que c'étaient eux qui créaient cette obligation à partir
d'un silence neutre, bien au contraire ils l'ont consacrée en se
référant à l'intention présumée des parties alors que le fondement
de l'obligation se trouve dans l'équité. la bonne foi. et le caractère
technique du contrat. C'est sans nul doute cette façon d'agir qUI a
permis à la jurisprudence d'être encore plus audacieuse en matière
de transport de personnes. où dans le silence du contrat elle a aussi
"découvert" une stipulation pour autrui du voyageur en faveur de ses
\07 Sur la création de cette ohligation de résultat: Casso civ., 21 novemhre 191 l, S. 1312. 1. 73. (nOie Lyon-Caen) .
r 1
1 - 63-
ayants cause, créanciers à son égard d'une obligation alimentaire 108 .
Ce genre d'interprétation du silence justifie à lui seul l'intervention
de la Cour de cassation qui doit dans ces cas-là jouer un rôle
unificateur. A partir du moment où les tribunaux recherchent.
ouvertement ou non, à faire produire au silence du comrat les
obligations qu'ils estiment les plus justes ou les plus souhaitables
pour la société: ni la justice, ni l'intérêt social. ne sauraient alors
différer d'un ressort à l'autre.
Section IIi Common Law
Traditionnellement. la Corn mon law est un droit très formaliste
dans lequel la tendance a longtemps été de considérer exclusivement
les contrats à travers la lettre même des engagements qui y étaient
pris. Dans ces conditions. il n'était guère question de faire jouer un
rôle au silence gardé par les parties.
Certaines décisions illustrent bien cette position. Ainsi. dans
l'affaire Aspdin v. Austin 109, Lord Denman déclarait : "Là où les
parties ont conclu un contrat écrit avec des clauses expresses, il
est manifestement indésirable d'en induire d'autres: les parties en
108 Ainsi leur sera assurée l'mdemmté réparatrice du préJudict: cau~é par k d~cè~ du transporté, sans qu'ils aient à prouver la faute du tran~p()rteur . Ca!.!. dv., 6 décemhre 1932, D.P. 1933. l. 137, (note Jo!.serand) et, S. 1934 .1. 81, (nOie EsmelllJ.
109 Aspdin v. Austin (1844) 5 Q.B. 671.
,
- 6 4-
ayant exprimé certaines dispositions. ont par là même exprimé
toutes les dispositions par lesquelles elles entendaient être
tenues".
Dans l'affaire Churchward v. R. 110, le Juge Cockbum, bien que plus
mesuré. affichait ses craintes Jorsqu'i1 déclarait : "Lorsqu'un
contrat est silencieux et qu'il est demandé à un tribunal ou un JUry
d'y voir une clause implicite, ils doivent se montrer
particulièrement vigilants afin de ne pas lui faire dire quelque
chose là où il restait volontairement silencieux". Plus proche de
nous, Lord Wright reprenait ce principe dans l'affaire Luxor
(Eastbourne) Lld. v. Cooper III où il déclarait : "Il est généralement
accepté qu'il existe une présomption générale contre l'ajout au
contrat de clauses qui n'ont pas été exprimées par les parties". Il
faut aussi remarquer que la tendance actuelle semble être de
considérer que, plus le contrat est détaillé et semble complet, plus
la présomption est forte que le silence est intentionnel 112•
110 Churchwllrd v. R. (1865) L.R. 1 Q.8. 173 at 195 . Dans cette affaire, un entrepreneur avait passé un contrat avec Ir.! Ministère de la Marine en vertu duquel il pourrait lui être demandé, de temps Z autre, de transponer du courrier entre Douvres et Calais. Un tel !lervice ne lui fut .,amais demandé, et s'estimant lésé, il demanda des dommages-intérêts au Ministère De tels dommages lui furent refusés par les juges au motif que, dans le silence du contrat , il était impossible de lire une quelconque obligation pour le Ministère de lui donner du courrier à transporter.
III Luxor (Eastboumd Lld. v. Cooper (1941j A.C. 108 at 137, dans cette affaire un agent immohilier avait passé un contrat avec un propriétaire désirant vendre deux cinémas, sdnn cette convention, l'agent touchait sa commission le jour de la signature de la vente ("on complet ion of sale"). Le jour de la signature le vendeur refusa de signer (afin de vendre à un acheteur qu'il avait lui-même trouvé!), et l'agent s'estimant lésé, lui demanda lout de même sa commission pour avoir trouvé une personne prête â acheter le!l cinémas aux conditions voulues. Les juges rejetèrent une telle demande refusant d'ajouter au contrat une clause qui n'y était pas exprimée.
112 Duke (~f We.~tmlnster v. Guild (19851 Q.B. 688 at 698.
..
-65-
A l'inverse. si le contrat semble manifestement "incomplet". les
tribunaux seront plus enclins à faire jouer un rôle au silence l l.l.
De nos jours. les interprétations du silence contractuel sont choses
courantes en Common Law et les implied terms sont l'intrument de
cette interprétation.
En dépit de leur appellation. ces implied rerms ne sont pas autre
chose que des dispositioh.i de droit supplétif qui ont principalement
pour but de règler les questions sur lesquelles les parties sont
restées involontairement silencieuses. leur attention ne s'étant à
aucun moment ponée sur ces problèmes. Après s'être intéressé à la
nature de ces impJied terms (l). nous observerons comment ils
s'appliquent à l'interprétation du silence contractuel (2).
§ll Nature des implied terms
L'expression implied term est très employée par les Common
lawyers qui l'utilisent dans un grand nombre de circonstances et lui
donnent plusieurs significations. Pour sa part. Lord Wright 114
distingue entre deux types d'implied terms :
Il place d'un côté ceux qui découlent de la loi: par exemple. le juge
qui doit interpréter le silence d'une convention portant sur une vente
d'objets mobiliers corporels, devra se rapporter aux clauses que le
113 Liverpool Cuy CounClI v. Irwm 11977} A.C. 239 at 253. Dan~ cette! affaire le!. juges ont estimé que ~i un contrat de location était ~ilencieux quant à l'entretien de!. parties communes. il était raisonnabll! d'tm conclure qUI! c't.!st au propriétaire que revenait l'obligation de les entretenir.
114 Luxor (Eastboume) LJd. v. Cooper 119411 A.C. lOS al 137.
- 66-
Sale of Goods Act regarde comme implicites sauf convention
contraire l15 •
Dans la seconde catégorie. se trouvent les implied lerms qUI
découlent des circonstances contractuelles et des intentions que
l'on prête aux parties dans le silence du contrat.
Le Professeur Glanville Williams l16 observe quant à lui qu'il y a au
moins trois sortes d' implied terms que l'on peut appliquer dans le
silence du contrat :
Il Y a tout d'abord les clauses que les parties avaient à l'esprit lors
de la rédaction du contrat mais qu'elles n'ont pas jugé nécessaires
de meUre par écrit. Il s'agit alors de "lire" dans le silence
l'intention réelle des parties.
Il y a ensuite les clauses que les parties avaient ou non à l'esprit
lors de la rédaction. mais qu'elles auraient probablement exprimées
si le problème avait été porté à leur attention. Il s'agit ici de
découvrir au delà du silence l'intention probable des parties.
Il y a enfin les clauses qui sont "découvertes" par le juge pour des
raisons d'équité. ou qUi découlent simplement de la loi. Dans ce cas
il ne s'agit plus de découvrir l'intention des parties cachées par le
silence. mais plutôt de se réfèrer à ce que des parties
"raisonnables" auraient pu prévoir dans de telles circonstances.
115 Comm~ par ex~mp1e les conditions ou warranlies .
116 Glanville Williams: "Language and the 1aw" (1945) 61 L.Q.R. 71 al 401.
1
-
-67-
C'est cette diversité de but et de résultat qui selon le Juge Mason 117
distingue les implied terms de la rectification qui. elle. ne se
réfère qu'à la volonté réelle des parties.
A l'origine. les tribunaux qui devaient interpréter le silence d'un
contrat se focalisaient sur l'intention des parties et ne déclaraient
implicites que des clauses qui allaient de soi. comme par exemple le
fait qu'un emplacement désigné à un navire marchand par les
autorités d'un port doit comporter une hauteur d'eau suftisante pour
que les opérations de dlargement et déchargement s'effectuent
sans dangerl18. Ce n'est que très récemment que )a Chambrc des
Lords l19 a ouvertement reconnu le fait que pour interpréter le
silence d'un contrat. il est possible de se réfèrer non pas à
l'intention des parties. mais plus vraisemblablement à celle de
parties raisonnables placées dans les mêmes conditions. Dans la
même affaire. Lord Cross of Chelsea précisait que les tribunaux IlC
sauraient interpréter le silence du contrat en lui ajoutant une
clause dans le seul but de le rendre meilleur ou plus équitable.
En pratique cependant. il est impossible de dire que les tribunaux
adhèrent à une division rigide des implied terms ~ pour Lord
Wilberforce J20 les juges les traitent plutôt comme les différentes
nuances de couleurs d'un spectre continu.
117 Mason J. in Code?fa Co"stru(:t;o" Pty. lId. v. Stale Rall Authortty of New South Wales (1982) 149 C.L.R. 337 al 346.
118 The Moorcock (1889) 14 P.D. 64 al 68.
119 Liverpool City Councll v. Irwm 119771 A.C. 239 al 25 .
120 Lord Wi1herforc~ in Liverpool Ciry Councll v. Irwin 119771 A.C. 239 al 253.
•
1
1
-68-
A une extrémité du spectre. le tribunal ne fait rien de plus que "lire"
dans le silence des parties une clause qui est le corollaire logique
d'une clause expresse. Vers le milieu du spectre. le tribunal va
expliciter ce qui est implicite dans le silence du contrat. non pas de
façon logique. mais en prennant en compte les aspects pratiques et
commerciaux de la convention . A l'autre extrémité du spectre le
tribunal va interpréter le silence du contrat en se référant non plus
aux termes ou au but de la convention, mais plutôt à la réaction
qu'aurait un hommt" "raisonnable" dans les mêmes circonstances.
Après avoir étudié les différentes catégories d'implied terms. nous
allons désormais nous intéresser aux conditions nécessaires pour
qu'il s ,it possible d'y avoir recours dans le silence du contrat.
§2/ Conditions d'application des implied terms
Pour que dans le silence du contrat, il soit possible d'avoir recours
aux implied terms , il faut que plusieurs conditions soient remplies.
Dans l'affaire B.P Refinery (Weslernport) Pty. Ltd. v. Shire of
Hastings 121. Lord Simon of Glaisdale identifiait cinq conditions
pour qu'une clause soit déclarée implicite dans le silence du contrat:
la clause doit être raisonable et équitable.
elle doit être nécessaire pour que le contrat soit commercialement
efficace. elle doit être évidente (et aller sans dire), elle doit
pouvoir être exprimée clairement et enfin elle ne doit pas aller à
121 8. P Refinery (We~'ternpon) Ply. Lld. v. Shire of Haslings (1978) 52 A.L.J.R. 20.
1
l
- 69-
l'encontre d'une clause expresse du contrat. En général ces cinq
conditions sont cumulatives • pourtant il n'est pas certain que la
deuxième et la troisième conditions ne puissent pas parfois être
considérées comme alternatives. En effet. si pour Lord Denning 122
une clause implicite doit être à la fois nécessaire et évidente. le
Juge Steyn 123 pense. lui. qu'une clause évidente qui va sans dire doit
être lue dans le silence du contrat même si elle n'est pas
apparemment nécessaire à l'économie du contrat.
La clause implicite découverte dans le silence du contrat doit être
raisonnable et équitable. Le vocable "équitable" signifiant ICI que la
clause doit être jugée raisonnable du point des deux parties en
cause. Il est possible de se demander si cette condition doit encore
être satisfaite si le contrat lui-même. tel qu'il ressort des clauses
explicites. apparait comme déraisonnable!
La clause implicite ajoutée au contrat dans le silence de celui-ci
doit être nécessaire pour que le contrat soit commercialement
efficace. Ainsi les tribunaux devront se livrer à un lest de
"nécessité". Bien sûr, le terme "nécessaire" est assez vague pour
que selon les affaires le degré de "nécessité" exigé soit différent.
Cependant la tendance des tribunaux est plutôt à la rigueur et selon
le Juge Cons l24, une clause implicite n'est justifiée que SI sans
122 Lord Denning M.R. in Shell V.K. Lld. v. Lostock GaTaKt' Ltd. /19761 1 W L.R 118.
123 Mosvolds Rederi AIS v. Food Corpn. of India /19861 2 Lloyd's Rep. 68 § 5.01.
124 Tai Hing Conon Mill Lld. V. LIU ChonK Hing &mk Lld /19841 1 Lloyd's Rep. 555.
1
1
-70-
cette interprétation le contrat parait futile. inefficace ou absurde;
une clause ne sera donc découverte dans le silence du contrat que si
elle est absolument essentielle. A titre d'exemple. dans l'affaire
Fraser v. Thames television Lld. 125. trois. actrices ayant l'idée d'une
série télévisée. dans laquelle elles désirent apparaître. accordent
une option à une chaîne de télévision. mais celle-ci veut engager
d'autres actrices. Dans cette espèce. les juges ont pu lire dans le
silence du contrat une dause implicite selon laquelle la chaine de
télévision devait en priorité proposer les rôles aux trois actrices
ayant cédé l'idée. en effet sans cette clause essentieHe le contrat
apparaissait futile et absurde. du moins du point de vue des trois
actrices ...
La clause implicite découverte dans le silence du contrat doit aussi
être si évidente qu'elle doit "aller sans dire". Pour le Juge
MacKinnon l26• cette condition est remplie lorsqu'il est certain que
les parties avaient cette interprétation du silence à l'esprit
lorsqu'elles ont passé leur contrat. Dans l'affaire Dodd v. Wilson 127
par exemple. des fermiers ayant passé un contrat avec un
vétérinaire pour que leurs troupeaux soient vaccinés. la Cour a
trouvé qu'il "allait sans dire" que la substance inoculée aux bêtes
devait être sans danger. Cette condition peut être liée à celle selon
laquelle la clause considérée comme implicite par le juge doit
125 Fra.'îer v. Thtlmes teleVision Lid. r 1984) Q.B. 44.
126 in Shirltlw v. Southem Foundnes (1926) Ltd. [1939) 2K.B. 206.
127 Dodd v. Wilson 119461 2 Ali E.R. 691.
r
1 - 7 1 -
pouvoir être formulée clairement. En effet. il parait peu probable de
considérer qu'une clause "va de soi" s'il cst impossible de la
formuler clairement.
Enfin. la clause implicite tirée du silence du contrat ne saurait aller
à l'encontre des termes exprès de celui-ci. Celle condition peut être
appréciée assez largement comme le fait Lord Parker of
Waddington 128 qui considère qu'il faut comparer la clause implicite
que "on veut appliquer. non seulement avec les clauses expresses du
contrat. mais aussI avec l'intention des parties: ou bicn être
entendue plus strictement comme le fait Juge MacKinnon l29 pour qUi
une clause implicite ne serait être appliqué à un domaine du contrat
où une clause expresse existe déjà et ceci même si les deux clauses
ne devaient pas se contredire.
En conclusion. si la Common law prévoit que l'interprétation du
silence contractuel doit toujours être ramenée à la volonté
implicite des parties. il est bien certain que le "l'homme
raisonnable" qui se trouve souvent à l'origine de la découverte d'une
intention implicite divinatoire n'est personne d'autre que le juge
lui-même.
128 Tamp/in (F.A.) Sleamship Co. Lld. v. Anglo-Mexican Petroleum Prodttcts Co. Lld. (1916) 2A.C. 397 at 422.
129 Broom v. Pardess Co-Operative Society of Orange Growers (Est. J9(X))Llli. 119401 lAU E.R. 603.
'j 4,
,
- 72-
Section III/ Approche comparée
Historiquement, Je Droit civil et la Common law ont commencé par
avoir une attitude opposée face au problème de l'interprétation du
si lence cor 'ractuel . En effet. alors que les rédacteurs du Code civil
énonçaient clairement que lors de l'interprétation d'un contrat la
volonté interne devait primer la volonté déclarée 130. la Common law
demeurait très formaliste et considérait exclusivement les contrats
à travers la lettre même des engagements qui y étaient pris 131.
Mais graduellement, ce formalisme s'est atténué et la Common law
s'est de plus en plus référée au critère de l'homme raisonnable. en
complétant les vides laissés par le silence des parties par des
implied terms qui "raisonnablement" sont adjoints à l'accord des
contractants.
Le résultat de cette évolution fait que de nos jours les deux
systèmes se retrouvent très proches dans leurs façons d'interpréter
le silence contractuel. Que ce soit en Common law ou en Droit civil.
les silences qui étaient hier considérés comme "neutres", et donc
impossible à interpréter. sont de plus en plus souvent considérés
comme "significatifs", ce qui les rend interprétables!
Ainsi dans le silence du contrat, les tribunaux des deux systèmes
ayant à interpréter le sens à donner à une convention se
rapporteront tout d'abord aux lois supplétives. En matière de vente
130 L'article 1156 du Code civil disposant : "On doit dans les conventions rechercher quelle a été la commune intention des parties contractantes, plutôt que de s'arrêter au sens littéral des termes".
131 Dans ce sens cf. lord Denman in Aspdin v. Austin (1844) 5 Q.8. 671.
1
t
- 7 3-
d'objets mobiliers par exemple. l'interprétation du silence
contractuel pourra se faire par référence au Sale of Goods ACf pour
le juge de Common law. ou par application des articles du Code civil
relatifs à la vente pour le juge de Droit civil.
De la même façon. si les lois supplétives se révèlent impropres à
l'interprétation du silence. les juges des deux systèmes se
rapporteront aux usages ou à la coutume. Cette technique
d'interprétation du silence qui s'applique surtout aux contrats
intéressants le commerce. a le grand mérite de se référer à des
règles que les parties. étant commerçantes. ne peuvent ignorer et
qu'elles devaient donc avoir à l'esprit. même si elles sont restées
silencieuses lors de la conclusion du contrat.
Le recours à l'équité quant à lui est plus problématique. En effet. si
le Droit Civil reconnait explicitement U:! que le juge pourra
silence contractuel en faisant appel à l'équité. très
rares sont les décisions où les juges admettent avoir eu recours à
ce procédé d'interprétation. De son côté la Common law ne reconnait
pas explicitemen~ le recours à l'équité comme un des moyens mIs à
la disposition de~\ juges pour interpréter une convention dans le
silence du contrat. Pourtant. il ne faut pas être grand clerc pour
s'apercevoir que dans ces deux systèmes de Droit. le recours à
l'équité constitue l'une des pierres de touche de l'interprétation du
silence contractuel.
En effet. le Droit civil comme la Common law semblent avoir
certaines difficultés à se dégager de "l'idolâtrie" du volontarisme.
132 Article 1135 du Code civil Français et 1024 du Code civil Quéhecois
1 -74-
et à reconnaître que les dispositions du droit supplétif sont autre
chose que la volonté présumée des parties au contrat. De plus, dans
les deux systémes. on semble tenir à la fiction selon laquelle les
tribunaux ne font pas un contrat pour les parties. Cependant cette
attitude ne change rien au fond des choses. et très fréquemment la
référence à la volonté des parties n'est qu'un prétexte pour déceler
dans le silence du contrat des intentions équitables l33 .
Cette étude nous a démontré. qu'une fois encore les deux systèmes
n'adoptent pas de positions radicalement différentes face aux
problèmes posés par le silence. Ce sont plutôt les mêmes
incertitudes et les mêmes remises en question du schéma
volontariste qui ont été constatées. Et si à l'origine le
conceptualisme du Droit civil et le pragmatisme de la Common law
opposaient les deux systèmes. aujourd'hui ils connaissent des
interprétations similaires du silence contractuel. Mais pour en
arriver à la situation que nous connaissons de nos jours. c'est
indéniablement la Common law qui a le plus évolué par rapport à ses
principes de départ : le recours aux implied rerms lui a en effet
permis d'accorder une plus grande place aux considérations morales
lors de l'interprétation du silence contractuel. Le Droit civil de son
côté a pu évoluer vers une conception plus utilitariste du contrat.
comme par exemple lorsqu'il s'agit de lire dans le silence des
133 Dans l'affaiœ DaVIS COnlrtlcrors v. Fareham U.D.C (19561, A.C. 696 , p.728, Lord Radcliffe œcunnait ouvertement qu'il arrive que les parties deviennent des esprits désincarnés qu'il est préférable de laisser totalement au repos pour invoquer à leur place le "fair and reasonable man" qui n'est rien d'autre que l'image anthromorohique de la Justice dont le porte-parole est la Cour elle-même.
, c-
-75-
contrats d'adhésion; évolution tout de même marquée par le souci de
prendre en compte, au nom de la morale et de la justice
contractuelle. l'inégalité des parties au contrat.
Dans notre notre quatrième partie. nous allons nous intéresser au
rôle que peut tenir le silence lorsque "l'existence" du contrat se
trouve troublée par des changements de circonstances.
(
-76-
IV ème Partie Le silence et la fin du contrat
Dans cette partie nous nous intéresserons plus particulièrement au
rôle que peut jouer le silence en cas de bouleversement de
J'économie du contrat. En effet, lorsque les parties sont restées
silencieuses sur l'éventualité d'un tel bouleversement. il est
possible de se demander s'il faut. soit laisser ce silence profiter à
une panie et nuire à une autre. soit mettre tin au contrat qui n'est
plus en rapport avec les intentions de départ, soit lire dans ce
silence des parties la volonté de maintenir l'équilibre initial de la
convention.
Afin d'essayer de répondre à cette question. nous allons étudier le
rôle tenu par le silence, respectivement dans la notion d'imprévision
en Droit civil et dans celle de "frustration" en Common law.
Section 1/ Droit civil: le silence et la théorie de l'imprévision
Nombreux sont les contrats s'inscrivant dans une certaine durée 1 34,
et qui à ce titre s'exposent aux "meurtrissures du temps" 135. celles
ci provenant souvent d'événements extérieurs aux contrats.
L'histoire nous a montré l'influence que pouvaient avoir sur les
contrats privés les guelTes. les crises économiques ou sociales ou
134 L'c'-emple le plus net étant celui des contrats successifs, lorsque les prestations ont été échelonnées, ou lorsqu'il existe entre les parties un rapport continu d'ohligation.
135 R. Fahre : "Les dauses d'adaptation dans les contrats" , Rev. trim. dr. civ., 1983. n03, Janvier-mars, p. 1 à 30.
•
r 1
-77-
encore les révolutions industrielles. L'environnement politique et
économique en mutation constante (en particulier les dévaluations)
peut avoir pour effet de perturber les contrats. gêner leur exécution
et surtout déséquilibrer les prestations réciproques que les parties
avaient voulu ajuster.
Tous ces faits ont pour conséquences de donner du contrat une image
différente de celle que les parties avaient voulu lui donner à sa
concl usion.
Bien sûr. il est parfois possible de prévoir l'avenir et le devenir d'un
contrat grâce à certaines techniques comme les clauses
d'indexations. Mais lorsque les parties sont restées silencieuses. la
situation est bien plus délicate.
En Droit civil. le problème est moindre lorsque des événements
extérieurs rendent impossible l'exécution du contrat. ('ar dans cc
cas une résolution de la convention pour force majeure J3b pourra
intervenir. En revanche. le problème est plus di fficile à résoudre
lorsque l'exécution du contrat. bien que toujours possible. est
devenue plus onéreuse. voire même ruineuse. pour l'un des
contractants. en raison de la survenance d'un événement imprévu. En
effet. dans ce cas de figure. les tribunaux civils qui sont
traditionnellement très rigoureux en ce qui concerne les conditions
d'application de la force majeure en refuseront l'application.
Cependant quand le contrat est silencieux sur le sujet des
changements de circonstances. la théorie de l'imprévision pourrait,
136 Articles 1147 et 1148 du Code civil Français et article J 7 alinéa 24 du Code civil du Québec.
(
(
- 7 8-
elle. permettre de "lire" dans ce silence la nécessité d'un
réequilibrage des prestations (1), mais les tribunaux refusent de se
livrer à une telle "lecture" du silence (2).
§ Il Le silence "reconnu" par la théorie de l'imprévision
En cas de changement de circonstances entrainant un
bouleversement de l'économie du contrat, la théorie de l'imprévision
permettrait au juge. dans le silence du contrat. d'adapter certaines
clauses contractuelles aux nouvelles conditions économiques. Cette
véritable révision du contrat pour imprévision peut être justifiée
par plusieurs arguments.
L'argument principal est tiré du contrat lui-même par interprétation
des volontés des parties. Un contrat se trouvant situé dans un
certain contexte économique que les parties connaissent, les
clauses du contrat sont équilibrées en conséquence. Bien sûr les
parties n'ignorent pas que des modifications peuvent survenir et
elles en tiennent compte. Mais elles ne peuvent pas prévoir un
bouleversement complet de la situation. Si elles l'avaient prévu, le
contrat n'aurait pas été passé. ou il l'aurait été dans des conditions
différentes. Il est donc normal d'admettre que toute convention
contient. dans son silence. une clause tacite en vertu de laquelle le
contrat ne doit pas être exécuté si les circonstances
contemporaines du contrat se sont profondément modifiées; les
parties ont. par leur silence. sous-entendu dans leur convention une
1
1
J
- 7 9-
clause "rebus rec stantibus"137. Cependant. cette thèse de la clause
tacite "rebus sic stabtibus" se heurte à une objection majeure que
résument très bien Messieurs Flour et Aubert en rappelant que "tout
contrat est assurance contre un chaf1~ement éventuel des
circonstances: il est précisément une emprise sur l'avenir. C'est en
respecter la fonction que d'en refuser systématiquement la
révision"138.
D'autre part. il est possible de penser que la théorie de l'imprévision
peut se fonder sur l'équité. En effet. il n'est pas douteux que c'est
une donnée morale qui est à l'origine de cette théorie. Puisque la
morale n'oblige plus le débiteur en cas d'imprévision. le Droit ne
doit pas être plus exigeant. De plus. les articles 1134 ct 1135 du
Code civil Français déclarent que les contrats doivent être exécutés
de bonne foi et conformément à l'équité. Si les circonstances
bouleversent le contrat. rendant écrasante la charge d'un
contractant et dérisoire la prestation de l'autre. ne serait-ce pas
contraire à la bonne foi et à l'équité que d'ehÎger la stricte
exécution du contrat? A ce sujet le doyen Ripert J39 parle de
"l'éternelle plainte du malheur humain que le législateur doit
J 37 Cette clause qui remonte au Droit canoniqut!, fut transposée eo thl!\lrie juriulqut! au XIV ème siècle par Bartole et Balde. Avant eux, Saint Thomas D'Aquin ~e plaçant du pOint de vue de h morale, avait déclaré que ne pas tenir sa promesse, c'est mentir, mai!. seulement si les circon~tances qu'on a pu prévoir lors du contrat se ~lOt maintenues.
138 J. Flour et J-L. Auhert ;"Les obligations, Volume 1", éditions Armand Colm, Collection U, 1975, n0405.
139 G. Ripert ; "La règle morale dans les obligations civiles", 4ème édition, L.G.D.J., 1949.
J
1
1
-80-
entendre", précisant que le contractant ne saurait user ju~qlJ'à
l'injustice du droit que juridiquement lui confère Je contrat.
Les civilistes partisans de la théorie de l'imprévision peuvent aussI
faire valoir le fait que cette thèse a déjà été admise depuis près de
quatre-vingts ans en matière administrative. En effet. depuis
l'affaire du gaz de Bordeaux 140, le Conseil d'Etat élabore une théorie
de l'imprévision dans les contrats ldministratifs. Grâce à ce
principe. le cocontractant de l'Administration Française victime du
bouleversement économique de son contrat pourra se vOIr accorder
une indemnité afin de rétablir l'équilibre financier de la
convention 141.
Pourtant. il est important de savolT que SI cette théorie a été
admise en Droit Administratif. c'est aussi afin d'assurer la
continuité du Service Public et non pas seulement par souel de venir
en aide au contractant en difficulté. C'est donc une situation propre
au Droit public qui n'a pas d'équivalent en droit privé. J'ir.thrêt
général n'étant pas. en principe. compromis lorsqu'un partict,Uer est
ruiné par l'exécution d'un contrat.
Mais l'ensemble de ces arguments n'a guère convaincu les tribunaux
Français qui depuis la fin du XIX ème siècle refusent d'admettre
cette théorie et d'intervenir dans le silence du contrat. faisant
prévaloir l'adage "Pacta sunt servanda".
140 Cons.d'Etat. 30 mars 1916, 0.1916. 3. 25; S.1916. 3. 17, (note Hauriou).
141 Cette théorie est d'ordre public et s'applique donc de plein droit, même si le cahier des charges déclare le prix forfaitaire convenu non révisahle.
1 - 8 1 -
§2/ Le silence "délaissé" par la Jurisprudence
Au début du XIXème siècle. quelques décisions éparsesl4~ avail~nt
commencé à admettre que. dans le silence du contrat. les parties
avaient sous-entendu une clause "rcbus sic st8ntibus" permettant au
juge de réviser la convention en cas de changemcnts de
circonstances. Cependant. ce courant fut arrêté net dans la l:élèbre
affaire du canal de Craponne 143 par une Cour de cassation toute
empreinte de la théorie de l'autonomie de la volonté qui connaÎ',sait
alors son apogée. Dans cette affaire . les juges du fond s'étaient
permis. dans le silence du contrat. dc réviser les redcvanl:es ducs
par les bénéficiaires d'un droit tixées par des contrats datant de
trois siècles. sous prétexte qut~ cette redevance n'était plus en
rapport avec les frais d'entretien du canal. La Cour de cassation
cassa l'arrêt de la Cour d'Aix en précisant que "dans aucun cas. il
n'appartient aux tribunaux. quelque équitable que pllis~c leur
paraître leur décision. de prendrle en considération Ic temps ct les
circonstances pour modifier les conventions des parties ct
substituer des charges nouvelles à celles ql1i ont été Hbrement
acceptées par les contractants" .
Les bouleversements économiques dûs aux guerres mondiales
auraient pu être l'occasion pour la jurisprudence de reconsidérer sa
position. mais la Cour de cassation ne s'est pas départie de son
142 Cf : Rouen, 9 février 1844, D.P. 45. 2. 4; et Bordeaux, 18 mai 1852, D.P. 53. 2. 105.
143 Casso civ., 6 mars 1876, D.P. 1876. 1. 193, et S. 1876. 1. 161.
",' c,
- 8 2-
attitude rigide. Pourtant. les moyens ne lui manquaient pas pour
moditier son attitude. avec notamment l'interprétation de la volonté
des parties. l'abus de droit. ou le recours à la bonne foi. En d'autres
domaines. la jurisprudence n'a pas craint de prendre certaines
libertés dans J'interprétation des textes ou des conventions 144: c'est
donc délibérément que la jurisprudence a refusé de s'engager sur la
voie de la révision pour imprévision. Cette position est lourde de
conséquences dans la mesure où elle s'ajoute au refus des tribunaux
d'élargir le champ d'application de la force majeure. et limite ainsi
de façon drastique les possibilités d'intervention des juges.
Face à l'étroitesse de celte jurisprudence. le législateur Français a
dû parfois intervenir afin de donner expressément au juge le pouvoir
de modifier la convention malgré le silence du contrat. Ainsi. à la
suite de la guerre de 1914-18. la loi du 21 janvier 1918 145 avait
admis la résolution (mais non la révision) des contrats passés avant
la guerre. si l'un des contractants subissait un préjudice dépassant
les prévisions qui avaient pu être raisonnablement faites au moment
de la convention. De même après la guerre de 1939-45. le
législateur a dû intervenir de nouveau par une loi du 23 avril 1949
qui reprenait des dispositions analogues à celle de la "loi Faillot". En
dehor~ de ces conditions d'après-guerre. le législateur a continuer
çà et là à intervenir dans le même sens. avec par exemple la loi du
144 La théorie des intentions tacites qui se trouve à la base des obligations de sécurité "découvertes" par la jurisprudence aurait très hien pu être appliquée au présent prohlème.
145 Dite aussi "loi Faillot" du nom de son promoteur .
1
t
-83-
11 mars 1957 sur la propriété littéraire et artistique l40 qUI
autorise l'auteur qui a cédé son droit d'exploitation à faire réviser
les conditions de la cession en cas de "prevision insuffisante".
Ainsi. avec une législation pour le moins fragmentaire. et Il'
rigorisme dont fait preuve la C •. )\Ir de cassation. le Droit dvil se
trouve à ignorer le silence contractuel là où la Common law accepte
parfois de le connaître.
Section 11/ Common law: le silence et la notion de "frustration"
A l'origine. la Common law adoptait une position extrêmement
formaliste et considérait que lorsqu'une personne ava~t pns un
engagement. elle devait en toute hypothèse l'exécuter.
L'impossibilité de le faire n'était jamais pour elle une excuse. Les
engagements pris avaient un caractère absolu. La loi ne venait pa51
au secours de celui qui se trouvait. par suite de circonstances
imprévues. dans l'impossibilité d'exécuter~ c'était au contractant
lui-même de prévoir. dans l'acte duquel dérivait son obligation. que
dans telles ou telles circonstances il serait libéré. Cc principe
ayant été établi par l'arrêt Paradine v. Jane 147 en 1647 fut à
maintes reprises réaffirmé 148. Toutefois. comme nous l'avons déjà
146 Cf : article 37 dt! la lui du Il mars 1957.
147 Paradine v. Jane (1647) Ale/n 26, dans cette affaire le~ juges estimèrent qu'un locataire qui avait été dépossédé de sa demeure par ks ennemis du Roi devait tout de même continuer à payer son loyer au propriétaire de la maison.
148 Voir dans ce sens Lewis Emanuel & Son Lld. v. Sammut 119591 2 Lloyd's Rep. 629; et The Zuiho Maru [19771 2 Lloyd's Rep. 552.
1
- 84-
constaté. vers le milieu du XIXème siècle la Common law a vu son
formalisme s'atténuer et un drnit supplétif se développer. Il a été
reconnu que tous les engagements n'étaient pas inconditionnels et
absolus. et les Cours se sont arrogé le pouvoir de lire. dans certains
contrats. des clauses implicites. en vertu desquelles le contrat
devra cesser d'exister en diverses circonstances où il est devenu
impossible de l'exécuter. L'arrêt qui a inauguré cette évolution fut
rendu par le Juge Blackburn dans l'affaire Taylor v. Caldwell 149. où
il décida d'exempter le contractant de sa responsabilité parce que
l'inexécution de sa pan était due à un événement de "force
majeure" 150. La voie ainsi tracée se trouvait donc ouverte pour
prendre en considération les événements imprévus. Nous allons donc
pouvoir constater que de nos jours la notion de "frustration"
reconnait le silence (1). mais aussi que cette notion ne peut pas
toujours intervenir pour que soit effectuée cette reconnaissance
(II ).
~ll Principe le silence "reconnu" par la notion de "frustration"
En Common law. la doctrine de la "frustration" va permettre de
remédier à certains changements de circonstances bouleversant
l'économie du contrat. Selon la définition généralement acceptée, il
149 Tay/or v. Làldwell (1863) 38. and S. 826.
150 En l'espêce, un incendie avait détruit le théatre que le défendeur avait loué pour une série de concerts.
J
-85-
y a "frustration". entrainant la résiliation de la convention.
lorsqu'un événement survient de façon imprévue. sans faute des
parties et rend l'exécution des obligations impossible.
A première vue. cette définition ressemble étrangement à celle que
donne le Droit civil de la force majeure avec ses caractères
d'imprévisibilité. d'extériorité et d'irrésistibilité. Mais en fait. la
Common est plus souple que le Droit civil en ce qUI concerne
l'impossibaité d'exécution. En effet. elle reconnait trois sorte:,
d'impossibilités. une impossibilité juridique et une impossibilité
physique qui sont "irrésistibles" et une impossibilité pratique
qui.elle. est inconnue du Droit civil et va permettre à la
"frustration" d'intervenir plus largement que la notion de force
majeure ne le fait en Droit civil. En effet. dans certains cas. bien
que l'exécution du contrat reste juridiquement et physiquement
possible. les circonstances ont tellement changé que l'exécution est
devenue, dans son ensemble une affaire commerciale différente de
ce qui avait été envisagé dans le contrat ("another adventurc"):
l'exécution du contrat est alors considérée comme impossible. Ainsi.
dans le silence du contrat. le juge pourra mettre fin à une
convention victime de changements de circonstances bouleversant
radicalement son économie. La première espèce dans laquelle a été
appliquée cette idée est l'arrêt Jackson v. Union Marine Insurance Co.
Ltd. 151. Dans cette affaire. l'armateur Jackson avait frété ~;on
navire et devait se rendre de Liverpool à Newport le plus vite
possible, "périls de la mer et accidents de navigation exceptés".
15 l Jackson v. Umon Marine lnsuronce Co. Lld (1874) L.R. 10 c.P. 125.
1
- 86-
Le lendemain de son départ, le navire s'est échoué. il a fallu un mois
et demi pour le rentlouer et le remorquer à son port de départ. où
plus de six mois allaient être nécessaires pour le réparer. Les
affréteurs décidèrent alors de répudier le contrat et d'utiliser un
autre navire. Le problème était donc de savoir si cette répudiation
était justifiée. le contrat restant silencieux sur les retards pouvant
être excusés par les "risques de mer". En l'espèce. le jury décida
qu'un voyage du navire ayant lieu sept mois après la date prévue
initialement était "une autre aventure" et qu'il fallait considérer
l'exécution initiale comme impossible et par là même le contrat
comme "frustrated": dès lors le Juge 8lamwell déclara les deux
parties libérées de leurs obligations.
En pratique. le point de savoir si un événement imprévu et
imprévisible a rendu l'exécution du contrat "radicalement"
différente de ce qui était prévu, est une question d'appréciation •
comme nous le montre les très célèbres "Coronation cases".
A la mort de la reine Victoria. le roi Edouard VII va être couronné et
de grandes cérémonies sont prévues à cette occasion; on loue très
cher des fenêtres pour VOir passer le cortège royal. des
embarcations pour assister à une revue de la flotte que présidera le
nouveau roi. Au dernier moment . le roi attrape une angine et les
cérémonies prévues sont décommandées.
Dans l'affaire Krell \l. Henri 152; Henri a loué l'appartement de Krell
pour les deux jours des cérémonies Londoniennes. Le contrat passe
sous silence l'existence du cortège, mais celui-ci doit passer devant
152 Krell li. Henri (19031 2K.B. 740.
t
-87-
les fenêtres de l'appartement et le prix ainsi que la durée de la
location ne s'expliquent que par cette circonstance. Le loyer n'a pas
encore été payé: il n'est pas encore exigible le jour où la cérémonie
est décommandée. Krell agit contre Henri en paiement de ce loyer.
Dans cette espèce la Cour va juger que. malgré le silence du contrat.
l'appartement est loué afin de regarder le défilé et que l'annulation
de celui-ci entraine la "frustration" du contrat. Henri ne doit donc
rien verser à Krell. Cette espèce nous montre bien comment la
"frustration" peut agir dans des cas "d'imprévision": en effet. le
"but" du contrat n'était pas mentionné dans l'écrit. et rien
n'empêchait physiquement ou légalement Henri de prendre
possession de l'appartement de Krell pendant ces deux jours.
L'affaire Herne Bay Steamboat Co. v. Hulton 15J, contemporaine de la
précédente. permet de bien saisir les mécanismes de cette
interprétation. Dans cette affaire. Hutton a loué un bateau avec
l'intention d'organiser une excursion le jour de la revue de la floue
on montrera aux clients le roi passant en revue les navires et les
navires eux-mêmes assemblés à cette occasion. La revue navale
ayant été décommandée. Hutton répudie son contrat. Dans cette
affaire la Cour estime qu'il n'y a pas "frustration" dans la mesure où
même si le roi est absent, les navires de guerre sont là et peuvent
être montrés aux clients. Contrairement au cas précédent. ii n'y a
pas d'impossibilité pratique et l'objet du contrat demeure. Hutton
doit donc verser le loyer convenu.
153 Herne Bay Sttamboar Co. v. Hutton [19031 2K.B. 683.
1
•
-88-
Après avoir constaté comment la "frustration" permet parfois de
lire dans le silence du contrat les motifs d'une résiliation. il est
nécessaire de s'intéresser
aux limites concernant l'application de cette théorie.
~21 Les limites à la reconnaissance du silence par la "frustration"
Les limites que connait l'application de la "frustration" aux
situations "d'imprévision" sont de deux ordres. il y a tout d'abord les
situations contractuelles qui échappent à cette application. et
ensuite les effets de la "frustration" qui n'ont pu être réglés u":
façon satisfaisante par la jurisprudence.
En Common law. tout changement de circonstances entrainant un
bouleversement de l'économie du contrat ne saurait permettre au
juge de résilier le contrat. En effet. la notion d'équité n'est pas le
fondement de la doctrine de la "frustration" dont le but n'est pas de
porter secours à une partie que les circonstances ont mise dans
l'embarras. Ainsi. l'application stric~e de la "frustration" tend à
éviter que ceux qui font de mauvaises affaires cherchent à s'en tirer
par son biais: et cela en fait aussi un mécanisme mal approprié pour
lutter contre l'inflation I54 • Cette caractéristique montre que la
154 Voir dans ce s~ns Brillsh Mov/etonenews Ltd. v. London aruJ District Cinemas (1952) A.C. 166, et Kirk/us M.B.e. v. Yorks Woollen District Trcmsport Co. (1978) L.G.R. 448, ou encme Mu/mervll:e Bookhmding Lld. v. Marden [19791 Ch.84 (dans cette affaire ''l'intlation" I!tait due à une variation du taux de change). Il faut aussi noler que quelques arrêts ont fait application de la "frustration" afin de lutter contre des houlversements contractuels n~s de l'inflation, mais ils proviennent des Etats-Unis, voir dans Ct! sens: Aluminium Co of America v. Essex Group 1,1C., 499 F. Supp. 53, 1980, District Court. Western District, Pennsylvania .
- 8 9-
"frustration" est plus rigoureuse que la doctrine du Droit
Administratif Français concernant l'imprévision. Cette attitude
s'explique aussi par le fait qu'en ayant recours à la "frustration". le
juge ne peut que mettre tin au contrat et non le réviser.
L'importance de cette intervention permet de comprendre pourquOI
les juges agissent souvent avec parcimonie; ne pouvant. dans le
silence du contrat. changer l'équilibre de la convention. ils ont le
choix entre mettre fin au contrat ou le laisser tel quel.
Même lorsque le juge décide d'appliquer la "frustration" el donc de
résilier le contrat. des problèmes demeurent quant au règlement de
l'après-contrat.
A l'origine. la Common law décidait qW! la "frustration" ne mettant
fin au contrat que pour l'avenir. les avances versées ne pouvaient
être répétées 155. Par la suite cette solution qui était très contestée
fut tout simplement inversée dans Je célèbre arrêt Fibrosa 156 où la
Chambre des Lords déclara que toute avance versée devait être
répétée même si la partie à laquelle eHe a été payée démontrait
qu'elle avait engagé des frais en vue de l'exécution du contrat. Cette
nouvelle solution pouvant donner lieu à des injustices comparables à
celles causées par la précédente. le législateur dut intervenir en
155 Solution donnée dans Chandler v. Webster (19041 IK.B. 493 (Un aulrt! "CoronallOn case"). dans cette affaire Chandler avait loué un appartement L 141 15!. atin de vOIr passé le cortège royal, pour cela il avait versé une avance de [100 et devait payer f.41 15s. le jour du défilé. Après l'annulation de la cérémonie. les juge!. e!.timèrt!nt qu'il n'avait pas à payer les !41 15s .• mais qu'il ne pouvait pa!> recouvrer ~cs [100.
156 Fibrosa Spo/ka Akcyjna v. Fairhaim. Lawson. Combe. &lr!Jour Llti (19431 A.C. 32.5~.
- 90-
1943 157 afin de corriger ses défauts. Selon le texte de loi. quand
une partie. avant d'être libérée. a engagé des frais pour exécuter le
contrat. le tribunal peut lui accorder. ou lui permettre de garder.
tout ou partie des sommes déjà payées ou dues. s'il l'estime
raisonnable. De cette façon le juge est censé répartir la perte de
façon plus juste. Ce pouvoir "d'équitt!" accordé au juge est tout de
même limité dans la mesure où les sommes accordées à la partie
ayant engagé des frais ne saurait Jépasser le montant du dépôt; et
dans l'hypothèse où il n'y aurait pas eu de dépôt. le juge ne pourra
rien faire pour répartir la perte due au changement de circonstances.
Pour cette raison. il semble que le contenu du "Frustrated Contracts
Act" pourrait être amélioré en permettant par exemple au juge de ne
plus avoir pour plafond le montant des avances versées. En effet.
cette règle légale qui a pour fondement l'équité. ne saurait être
satisfaisante en limitant le montant de la "compensation" par
référence à celui de l'avance versée ou due. car à aucun moment les
parties n'ont associé cette somme avec l'éventuel équilibrage des
pertes.
En conclusion. si la théorie de la "frustration" permet bien au juge
de Common law d'intervenir dans le silence du contrat lorsque des
changements de circonstances ont bouleversé l'économie de celui-ci.
cette intervention n'aura lieu que dans certains cas précis. et selon
157 Law Reform (Frustrated Contracts ) Act, 1943. En Ontario les mêmes dispostions se trouvent dans le Frustrated Contracts Act. RSO 1980. c. 179.
1
,
- 9 1 -
des modalités qui ne permettent au Juge. ni de réviser le contrat • ni
de pouvoir en gérer librement la fin.
Section III Approche comparée
Nous avons pu observer qu'en cas de bouleversement de l'économie du
contrat entrail1é par un changement de circonstances. le Droit civil,
dans le silence du contrat. préférait ne pas intervenir. alors que la
Commo" law. elle. pou\ait être plus audacieuse et appliquer dans
certains cas la doctrine de la "frustration".
En ce qui concerne la Common law, tout d'abord, eHt" a su. mieux que
le Droit civil. évoluer au COU1'S des ans afin de tenir compte des
"meurtrissures" que le temps peut imposer aux contrats. Cependant.
si la solution appliquée par la Common law est satisfaisante, elle
est encore loin d'être parfaite. En effet, il existe encore des
situations où elle refuse "d'objectiver" le silence du contrat et
préfère ne pas intervenir. De p)l\S. les effets de son intervention
n'ont pas toujours la souplesse que l'on pourrait souhaiter.
En ce qui concerne les cas d'application de la "frustration", il est
certain que les critères de distinction de l'''another adventure"
pourraient permettre. comme là déjà montré la jurisprudence
américaine1S8• d'utiliser la "frustration" comme un moyen de lutte
158 Aluminium Co of America v. Essex Group Inc., 499 F. Supp. 53, 1980 , District Court, Western District, Pennsylvania.
•
l
-92-
contre une inflation imprévisible 159. Une telle évolution aurait le
mf,rite de réduire considérablement le nombre des silenres
contractuels ignorés par les juges et de raisonnablement venir en
aide à certains contractants qui n'envisageaient pas forcément leur
convenûon comme un pari sur l'avenir. Il ne s'aghait pas là d'une
plime à l'inconscience. mais plutôt d'un moyen d'éviter que l'une des
parties profite d'une situation qui n'était pas prévue lors de la
signature du contrat.
D'autre part. il .:terait souhaitable que le juge qui désire appliquer la
"frustration" dans le silence du contrat dispose d'une plus grande
latitu1e.
Il sel ait utile que le juge pUisse non seulement r~silier le contrat
comme li en a la possibilité aujourd'hui. mais aussi le réviser afin
de corriger son équilibre sans l'anéantir160• Une telle possibiliti:
aurait sans doute pour effet d'encourager les juges à appliquer la
"frustration" dans un plus grand nombre de cas. sachant que leur
intervention ne signifierait pas forcément la fin du contrat. Ainsi.
bon nombre de silences actuellement considérés comme "neutres"
seraient alors déclarés "significatifs" et mterprétés de façon à
permettre la survie du contrat. D'autre part. comme nous l'avons
déjà remarqué précédemment. il semble que le contenu du
"Frustrated Contracts Act" pourrait lui aussi être amélioré.
--------- -- ------- - - --- - -
159 Lord Denning M.R. a soutenu ce point de vue dans l'affaire Swjj()rdshire Are(l Hfallh Authority v. South Sta.ffordshire Warerworks Co. [19781 IW.L.R. 1387; maill c'est sur une autre hase légale que la décision a été rendue.
160 Aux U.S.A., le Restatement Second otfre une telle possibilité aux juges.
1
, L
-93-
Si l'application de la doctrine de la "fustration" en Common law
semb'e pouvoir être revue afin de mieux intervenir dans le silence
du contrat. elle a tout de même l'avantage de nous montrer combien
les arguments invoqués par les civilistes contre la théorie dt!
l'imprévision peuvent être constestés.
En effet, comme le remarque très justement Monsieur René David l61 :
"La jurisprudence Française nous paraÎt liée à des manières de voir
du XIXème siècle, qui sont aujourd'hui périmées". Mais qui s'est
soucié, au moment où la théorie de l'imprévision était proposée, des
arguments qui pouvaient être puisés dans le droit comparé?
Pourtant la position Française est claire: "Pacta sunt servanda". on
s'arrête à cette formule et, hormis le cas spécial des <:ontrats
administra!ifs. on n'admet pas qu'un changement survenu dans les
circonstances autorise une partie à demander. dans le silence du
contrat. soit la résolution du contrat. soit sa révision. Au moment
où cette position a été prise par la juri~prudence civile, la Common
law. elle aussi. l'admettait. mais depuis lors. elle a su abandonner
cette trop grande rigueur.
Aujourd'hui. on a tendance à crOire que la quasi-unanimité de la
doctrine civile reste fidèle à cette position. Pourtant une lecture
attentive des auteurs nous montre que Monsieur Starck l62 juge )a
161 R. David: "L'imprévision dans les Droits Européens", Etudes offertes à Alfred Jauffret. Faculté de Droit et de science politique d'Aix-Marseille, 1974, p. 211 et suivantell.
162 B. Starck : "Droit civil : Les Obligations" volume 2" , 2ème édition, UTEC, 1986, p. 409. nO 1169.
1
1
-94-
position de la jurisprudence civile difficilement déf<:ndable. que
Monsieur Carbonnier163 doute que les solutions admises soient
bonnes et que Monsieur Weill l64 reconnaît que cette jurisprudence
heurte son sens moral. Certes. il y a encore qudques auteurs qui.
comme les frères Mazeaud l65 , pensent que cette jurisprudence est
nécessaire "pour faire régner. avec le respect de la parole donnée. la
moralité et la sécurité des contrats". Mais ce point de vue
"classique" semble pouvoir être contesté. car si l'on observe les
espèces où la théorie de l'imprévision a été invoquée devant It's
tribunaux civils. el celles où elle a été acceptée par les tribunaux. de
Common law. la morale semble généralement demander un
réajustement du contrat (ou la libération du débiteur) plutôt que
l'exécution à la lettre de ce contrat. En ce qui concerne la sécurité
du contrat. sl!conde considération cUiiduisant les "classiques" à
rejeter l'imprévision. elle ne saurait constituer un but en s()i~ ellc
n'a d'intérêt que dans la mesure où elle est un facteur avantageux
pour le commerce. Or si l'on regarde les U.S.A. le Canada et le
Royaume-Uni il Jemble bien que le développement et le progrès de
la société n'exigent pas que l'on rejette une théorie qui a été
acceptée dans ces pays sans conséquences néfastes.
163 J. Carbonnier : "Droit civil, Les Ohligations", 100me édItiun, Collection Thémis, P.U.F., 1979, p. 240, n067.
164 A. Weill et F. Terré : "Droit civil : Les Ohligation!\", 3ème édition, Dalloz , 1980, n0382.
l6S H.L & L. Mazeaud: "Leçons de droit civil, tome Il ", 6ème édition, Montchrétien , 1978, nO 734.
l'
- 95-
L'ensemble de ces facteurs conduit à penser que le Droit civil n'a
plus beaucoup de raisons légitimes de vouloir se passer d'une
théorie d~ l'imprévison. En effet. en considérant comme "neutres"
des silences que la théorie de l'imprévision permettrait de rendre
"significatifs". le Droit civil accepte. en fait. que des s\lences a
priori "involontaires" puissent bénéficier à une partie et nuire à
J'autre. Une telle attitude est non seulement moralement
condamnable, mais aussi économiquement néfaste.
En pratique. cependant. il y a peu de chance pour que la Cour de
cassation change une jurisprudence encore très respectée pail la
doctrine, et c'est donc au législateur qu'il appartiendrait
d'intervenir en prenant exemple sur ce qui existe à l'étranger t;t sur
la jurisprudence admistrative qui n'a jamais abusé des pouvoirs que
peut conférer au juge la théorie de l'imprévision.
Si une telle intervention législative était réalisée. elle aurait le
mérite de permettre au juge çivil d'intervenir dans le silence du
contrat afin de résilier ou de réviser une convention qui. à la suite
d'un changement de circonstances imprévisible. n'a plus l'économie
qUI était la sienne au moment de sa conclusion. Ainsi le Droit civil
qUI se trouve pour le moment "en retard" sur la Common law dans ce
domaine. pourrait prendre cette fois une "longueur d'avance" en
permettant une "objectivation" du silence plus complète que celle
autorisée de nos jours par la doctrine de la "frustration". En effet, si
le Droit civil se contentait d'accepter une notion élargie de la force
majeure, il serait tout de même en deçà de ce que permet la Common
law dont le "Frustrated Contracts Act" autorise une certaine
"réécriture" du contrat afin de mieux répartir les pertes éventuelles.
1 - 9 6-
En revanche. l'acceptation de la théorie de l'imprévision aurait. elle.
le mérite de mettre cette réécriture au service de la survie des
cllntrats victimes de bouleversements de circonstances.
.,
L
- 97-
Conclusion .
certains
Arrivé au terme de notre étude. il est possible d'en lirer
enseignements.
En premier lieu. nous pouvons affirmer que de nos jours Common law
et Droit civil connaissent de nombreuses !iituations dans lesquelles
le silence contractuel est volontairement objectivé par les juges ou
le législateur afin de lui faire tenir un rôle danr, le contrat. Bien sûr.
d'un système à l'autre l'intervention varie, mais dans l'ensemble les
points communs l'emportent sur les disparités.
Afin de mieux comprendre ce phénomène d'objectivation du silence.
il est possible dt; reprendre la classification que I\OUS avons
proposée dans notre introduction et d'observer comment chaque
sorte de silence est traité par les juges de nos systèmes de
référence.
Il faut. en premier lieu, parler du silence "coupable" qui depuis des
siècles fait réfléchir philosophes et juri~tes. Déjà Ulpien l66
refusait de distinguer entre dissimulation active et passive et
condamnait celui qui par son silence laissait croire à un fait erroné.
Au XIXème siècle régnait une doctrine individualiste qui , invoquant
un postulat de liberté. s'opposait vivement à ce que l'homme soit
166 Digeste 19. 1. 11. 5.
~ 1
1
1
~ 9 8-
rendu responsable de son inertie. Le Droit ne pouvait donc maÎtris~r
aisément le silence "coupable". Mais de nos jours la situation a bien
changé et l'évolution actuelle de la Common law el du Droit civil
commence à rdléter le développt"!ment de l'esprit tie solidarité
sociale qui caractérise de plus en plus notre époque. L'homme en
société voit peser sur lui . tantôt un devoir de se lair~. tantôt un
devoir de parler : il n'cst plus le maître absolu ni dt" ses actes. ni de
ses silences. Il est même possible de penser que l'on s'or;ente en
Common law et en Oroit civil vers l'établissement d'un nouvel
équilibre ISSU de la régulation de la sanction du silence.
En ~ffet, nous avons pu constater que le Droit civil connait
désormais une véritable obligation de parler lorsqu'il s'agit de
renseigner le cocontractant. et que la Common law. bien qu'un peu en
retrait dans ce domaine. accepte de nombreuses exceptions au
principe "caveat emptor".
En ce qui concerne le silence "signiticatif" et le silence "neutre". il
est nécessaire de les examiner conjointement. En effet. le même
silence pourra être caractérisé de façon différente d'un système à
l'autre. Par exemple. lorsqu'un bien est disposé avec son pnx sur le
présentoir d'un libre servIce. le Droit Civil voit là un silence
"significatif" qui vaut offre. alors que la Common law préfèrera
ignorer ce silence qu'elle considère comme "nel!tn:". A l'inverse la
Common law par le truchl!ment l\.! la doctrine de la "frustration" va
attribuer une signification à des silences que le Droit civil ignnre
parce que selon lui ils sont "neutres". Mais au delà de ces
disparités. Common law et Droit civil ont un grand nombre de
1
- 99-
silences "significatifs" en commun. En effet. les silences "neutres"
sont des silences que l'on rcf'.se d'objectiver. et Je processus que
nous avons pu constat~r tend à la diminution du nombre de ces
silences. Notre étude montre même qu'H n'y a pas d'objectivations
impossibles. mais seulement des objectivations non désirées. Faire
naître une obligation de sécurité à partir du silence d'un contrat de
transport. pouvait sembler juridiquement impossible. pourtant les
tribunaux Français sont arrivés à le faire en objectivant un silence
qui semblait être d'une totale neutralité. II semble donc que le
processus d'objectivati(\n du silence repose sur la volonté
d'intervention des tribunaux ou du législateur. C'est pourquOi nous
allons tout d'abord essayer de faire le point sur les motifs qui
peuvent pousser le législateur ou les tribunaux à vouloir objectiver
le silence. et ensuite tenter de montrer comment se réalise leur
intervention.
Comme le dit si justement Monsieur Rieg 167, "le Droit ne s'exerce
jamais en vase clos. et au contact des réalités quotidiennes. la
plupart des systèmes théoriques s'estompent et se déformement".
Aussi. pour mieux comprendre le sort qui est désormais réservé au
silence dans nos systèmes de référence. il est nécessaire d'avoir à
l'esprit ce qu'est la réalité quotidienne du contrat en cette fin de
siècle.
167 A. Rieg : "Le rôle de la volonté dans l'acte juridique en droit civil", bibliothèque de droit privé t.19, L.G.Dol., 1961, p.554, nOll.
1 - 1 00-
L'An~deterre, la France et le Ciilnada sont de~ sociétés qUI sonl
parvenues à un degré d'industrialisation ... emhlahle et qUI
connaissent des structures économiques voisines dan~ ksquelles le
con!rl-lt remplit des fonctions identiqucs. Cette similarité expli(lUC
sans d..lute Je fait qu'il soit possible de constater dans ces pays It·
même phénomène de "déshumanisation" des rapports COrHractuds et
le même problème d'inégalité des puissances contractan{c~. ce qUi
provoque un accroiss~laent du dirigisme contractuel.
La "déshumanisation" des rapports I~ontractuels ticnt au fait que des
contrats de plus en plus nomhreux wnt conclus de plus en plus
rapidement et de manière impersonnelle. Au si(:cle dernier. un
individu pouvait très bien vivre dans un circuit clos où chaque
opération contractuelle était le fruit d'une véritable réflexion
conche entre parties se connaissant. De nos jours. la situation est
complètement différente, et le plus modeste des "hons pères de
famille", aussi "raisonnable" soit-il. va en une année passer un
nombre impressionnant de conventions. Il est possihle de tout
acheter, tout louer. de manière rapide par téléphone, télex ou
télécopie et ceci sans que les parties juridiques COnlractantes,
séparées par un intermédiaire. aient pris ensemhle des contacts
personnels. En effet, la multiplication des intermédiaires contribue
aussi à cette "déshumanisation" des contrats car comme le relève
justement Monsieur Savatier l68 , "la plus grande partie de la vie
économique fonctionne par la technique de la représentation".
168 R. Savatier : "La théorie des Obligations, vision juridique et éwnomlque", Dalloz, Paris, 1967, §99,
-
1
l
- 1 0 1 -
A ces facteurs. il convient d'ajouter la fausse 5timplicité de
nombreuses conventions. qui dissimule des pièges impossibles à
déjüuer pour le non Initié et qui crée fréquemment un déséquilibre
des forces contractantl~s En effet. rares seront le~ contrats entre
particulier\.. Otl l'indivIdu va traiter d'égal à égal. et plus rares
encore. ceux liant un groupe quelconque à ce même individu. dans
lesquels ce dernier Ile ~era pas en position d'infériorité. Dans la
première éventualité. la rupture d'équilibre lient aux nécessités de
la spéciali~atjon. dans la seconde. elle traduit simplement la
faiblesse de l'homme seul fàce à la masse.
Dans un tel contexte. il est évident que le silence va être
omniprésent dans les transactions contractuelles et qu'en cas de
problème non prévus par le législateur. les juges vont être amenés à
définir son rôle. tout en protégeant les parties se trouvant en
position d'inféfiorité.
Dans certains cas. c'est le législateur lui-même qui va se livrer à
une objectivation du silence ~fi,1. non seulement de cornplèter des
conventions restées silencieuses sur des points déterminants. mais
aussi pour protéger les cocontractants qui se trouvaient en position
d'infériorité lors de la conclusion du contrat. Les exemples sont
multiples dans des domaines comme le droit du travail, le droit des
assurances ou le droit de la construction. Plus simplement. il suffit
de penser à la vente de biens mobiliers pour laquelle l'interprétation
du silence contractuel sera souvent facilitée par le Sale of Goods
Act en Common law et par les articles du Code relatifs à la vente
en Droit civil.
- 1 02-
Cependant. le législateur ne peut pas (ou ne veut pas) toujours
anticiper tous ks silences contractuel s pouvant poser pr()bl~mc: et
ce sont alors les tr,bunaux qui peuvent prendre le rclai~.
Il est possible de diviser les cas d'interventi0n des tribunaux dans
ce domaine en deux ca:égories principales.
Il y a tout d'abord les cas dans lesquels :~s Juges vont ohjectiver un
silence "coupable" afin de le sanctionner et de protéger le
consentement des parties.
Depuis longtemps les juges connaissaient l'existence et l'effet
néfaste de ces silences. mais ils préfèraient les ignorer car selon
eux ils fnisaient partie intégrante du "jeu" des négociations
contractuelles où la liberté des parties devait primer. Dc nos jours.
la multiplication du nombre des contrats. la rapidité avec laquelle
ils sont passés. et le fréquent déséquilibre des forces contractantes
fait qu'il n'est plus possible d'ignorer ces silences. Les juges ont
bien compris ln nécessité qu'il y avait à sanctionner ces silences
dans notre monde moderne. Que ce soit l'acceptation du silence
comme manœuvre dolosive en Droit civil ou 1 extension jusqu'au
silence de la notion de "representation" en Common law. le
processus est le même: objectiver les si lenres coupables ct les
sanctionner afin de protéger ceux qu'ils ont trompés. Cette
intervention des juges a le mérite de correspondre non seulement à
une certaine morale. mais aussi aux réalités économiques dc<; pays
où elle intervient.
La seconde catégorie d'objectivation du silence par le') juges se
distingue de la première dans 1a mesure où il ne s'agit plus de
sanctionner le silence habilement "utilisé" par une partie, mais
- 1 03-
plutôt d'équilibrer. ou de résilier les conventions qui sont victimes
du silence. a priori involontaire, des deux parties. Dans ce cas de
figure les juges interviennent parfois comme une véritable
troisième partie qui va ajouter les termes qui lui font défaut ou
encore inclure une véritable clause de résiliation. Ce qui caractérise
cette catégorie objectivation. ce n'est pas tant le but poursuivi par
les juges que leur façon de le réaliser. En effet, les motifs d'une
telle intervention sont toujours les mêmes, il s'agit d'ajouter à un
contrat qui se révèle incomplet la clause "équitable" qui lui
permettra de continuer à exister ou de mettre fin à un contrat dont
l'équilibre initial a été bouleversé.
En revanche. il est intéressant de noter que les juges répugnent à
admettre qu'il font parfois un nouveau contrat pour les parties, et
qu'ils ne manquent pas d'aftirmer qu'en objectivant ces silences. ils
n'ont fait que révéler la volonté des parties. Mais c'est peut être
cette offrande faite à la déesse volontariste qui permet aux juges
de faire preuve d'audace tout en évitant le schisme!
En conclusion, ces deux types d'intervention ne relèvent pas
ex.actement du même état d'esprit. En effet, dans le premier cas, les
juges interviennent et sanctionnent un silence "agres~if", coupable
d'avoir influencé le consentement de l'une des parties. Une telle
intervention est. somme toute. assez classique dans la mesure où
eHe apparaît comme simpJement corrective. A l'inverse, la seconde
sorte d'intervention est plus originale dans la mesure où d'une part.
le silence pris en compte résulte souvent de la paresse ou de
l'indifférence des parties et. d'autre part. l'interprétation de ce
silence sert de prétexte aux jug'~s afin de parfaire équitablement un
.t
-104-
contrat incomplet. ou pour équilibaer un contrat victime de
bouleversements de circonstances. Une telle intervention. de paf ses
motifs même. est plus distributive que corrective. D'une telle
attitude il est possible de conclure que les juges qui plaçaient hier
le centre de gravité des contrat dans le seul consentement.
accordent aujourd'hui une importance plus grande aux éléments
réalistes et matérialistes du contrat. De telle sorte que de nos
jours. les juges ne se contentent plus de s'arrêter à la volonté qui
transparaît ou non du silence. ils s'intéressent aussi aux
répercussions que peut avoir ce silence sur la situation matérielle
ou économique des parties au contrat.
Après avoir étudié les tenants et les aboutissants du processus
d'objectivation du silence que connaissent la Common law et le
Droit civil, il est possible de s'interroger sur l'avenir de ce
processus dans ces deux systèmes. Il est certain que l'avenir éloigné
de ce processus sera lié à l'avenir qu'aura le contrat lui-même au
sein de notre société. Mais à plus court terme, il est possible de
penser que ce processus peut encore voir sa portée augmentée. En
effet, notre étude comparée a montré que chacun de nos deux
systèmes de référence connait une objectivation du silence encore
perfectible. Ainsi, il serait souhaitable que le Droit civil s'inspire
de la notion de "frustratiof1l" afin d'accueillir une théorie dp.
l'imprévision ou tout du moins élargir les critères traditionnels de
la force majeur; quant à la Common law. elle pourrait empn:nter au
Restatement 2nd Américain la notion de "good faith" afin d'échapper
plus souvent à la règle CQveat emptor .
n
-105 -
Mais. quelque soient les efforts d'objectivation auxquels se
livreront civilistes et commonlawyers, il est certain que le silence
n'est pas à la veille de nous livrer tous ses ~ecrets car son
éloquence va évoluer au gré des volontés interventionnistes des
législateurs et des magistrats.
l
,...
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