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Page 1: Le Social et l'Humain - Valeurs de Construire (ensemble)

SAMEDI 22 AOÛT 2015

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Construire, avec du lien social et humainPour Patrick Bouchain et Loïc Julienne, l’agence d’architecture qu’ils ont fondée traduit un état d’esprit qu’ils entendent diffuser

Depuis la création offi-cielle de l’agenceen 2003, c’est devenuun rituel, une sorte de

devoir quotidien, par convictionet par plaisir. Tous les jours, à17 heures, dans les bureaux situésrue Rambuteau, dans le 3e arron-dissement de Paris, un thé estservi, accompagné de ses incon-tournables petits gâteaux. Il y aparfois seulement deux person-nes, parfois dix fois plus, peu im-porte. On y parle d’architecture, mais aussi, le plus souvent, de po-litique. Cet usage résume l’esprit qui souffle sur l’atelier Cons-truire, où le lien social et humainn’est pas la moindre des valeurs.

La création de Construire est, àl’origine, partie de la rencontre entre les architectes Patrick Bou-chain et Loïc Julienne. Au milieu des années 1990, chacun cher-chait un nouveau lieu pour ins-taller son activité. « On se ren-voyait bien la balle », se souvientce dernier. De cet échange finira,quelque dix ans plus tard, par naî-tre l’agence, sise rue Rambuteau.

Ensemble

Construire est le plus atypiquedes cabinets d’architecture. Il n’a pas de statut juridique, doncd’objet. « C’est une relation asso-ciative, résume Patrick Bouchain.Chaque affaire, chaque projet fait l’objet d’un contrat entre diffé-rents associés : ingénieurs, bu-reaux d’étude, artistes. » Dans

Construire, dont l’appellationn’est pas déposée, l’adjectif « en-semble » est sous entendu.

« C’est un état d’esprit qui se dif-fuse auprès des gens avec lesquelson collabore. C’est une manièredifférente, particulière, souligne Loïc Julienne. Il s’établit entrenous un dialogue sans ambiguïté.C’est une pensée commune, mais ce n’est pas une doxa. C’est une philosophie dans l’acte de cons-truire. » Pour Patrick Bouchain,« Construire s’apparente à un pha-lanstère forain, sans enseigne, nilieu. Ce n’est pas un modèle strict.C’est un phalanstère de comporte-ment ». Pour cet ancien conseillerde Jack Lang, que seule la politi-que intéresse, « l’architecture est l’expression du politique. » Cons-truire, son bras armé.

Il est ici davantage question dechemin que d’objectif. L’architec-ture ne doit pas se résumer à l’exécution d’un produit, qu’il s’agisse de confort ou de perfor-mance, mais à l’élaboration d’unprocessus. Le plus souvent dans d’anciens lieux industriels rema-niés a minima, l’agence a surtoutsigné des projets à vocation cul-turelle. Parmi ceux-là : la trans-formation à Nantes des ancien-nes usines LU (2000), le Musée international des arts modestes àSète (2000), l’Académie Fratellinià Saint-Denis (2002), la reconver-sion de La Condition publique àRoubaix (2003), Le Channel,scène nationale de Calais (2005),ou encore le Centre Pompidou mobile (2011).

A partir de 2009, Construire aaussi voulu « dénormer » le loge-ment social, tenter de réinventersa production et sa gestion. Qua-lifier, plutôt que quantifier. A laHQE, la haute qualité environne-mentale, l’agence préfère la HQH, la haute qualité humaine,qu’elle a mise en application àTourcoing (L’Atelier électrique), àBoulogne-sur-Mer (la Maison deSophie) et à Beaumont, en Ardè-che (Les Bogues du Blat). Danstous les cas, ses projets se distin-guent par la faiblesse de leurscoûts. Ce qui ne laisse d’interro-ger les confrères architectes,Renzo Piano compris.

Convergence des savoirs

Enfin, sous des formes diverses, àRennes, Avignon et Clermont-Ferrand, Construire et ses asso-ciés dispensent, depuis 2006, cequ’ils appellent leur Universitéforaine. L’ambition : sortir l’écolede son enfermement et y faireconverger tous les savoirs. « Uneuniversité où un développementthéorique magistral a autant de valeur qu’un bœuf à la ficelle cui-siné amoureusement, souligne l’agence. Une université-auberge espagnole. »

« Construire n’est pas un label,c’est une manière de faire », expli-que l’architecte Chloé Bodart, quifut, de 1999 à 2006, salariée de l’agence, avant de monter sa pro-pre structure, désormais instal-lée à Bordeaux, et qui s’appelle…Chloé Bodart Construire. Il nes’agit pas d’une antenne de la maison mère parisienne, maisdu prolongement de l’action quiy avait été menée.

Cette manière de faire a pourmaître mot le chantier devenulieu de vie à part entière, et soncorollaire, la permanence archi-tecturale : les deux concepts fon-damentaux de l’agence et de sonréseau à géométrie variable. C’estlà que tout se joue, à travers lamême démarche : « Pour faire unprojet différent, il faut l’habiter,

explique Chloé Bodart. Dès qu’onest en phase chantier, on l’investit,et on conçoit intégralement sur place. »

Le chantier, et le travail desouvriers qui y opèrent, doit pou-voir être vu et arpenté. Ici, pas question de faire un trou dans lapalissade. Dans un respect scru-puleux des règles de sécurité, celieu s’ouvre à tous, des plus jeu-nes aux plus âgés. « On y expliquece que c’est, qui y travaille, préciseChloé Bodart. Chacun y est lebienvenu : habitants, politiques, curieux. » Durant le chantier duChannel à Calais, l’élévation de laprincipale charpente s’est opéréeen public et en musique. Dans ceterritoire revisité à forte teneursociale et culturelle, la cabane dechantier occupe une fonctioncardinale.

A Saint-Pierre-des-Corps (Indre-et-Loire), un ancien entrepôt in-dustriel et ses annexes, propriétéde la Communauté d’aggloméra-tion Tours Plus, sont devenus le Point haut, un lieu culturel au profit de la Compagnie Off et duPolau, le pôle des arts urbains. Après avoir été à la fois une salle de restaurant, un lieu de rencon-tre, de repos, d’échange ou encored’élaboration du projet, la cabane de chantier, qui d’habitude con-naît une brève existence, est deve-nue un des éléments du projet ar-chitectural. Durant la construc-tion de la scène nationale de Ca-lais, le maire communiste d’alors, Jacky Hénin, a même choisi d’ymarier son fils.

Patrick Bouchain parle de « re-donner ses lettres de noblesse au chantier » qui s’ouvre aussi par-fois à des temps forts. Au Pointhaut, des conférences ont été or-ganisées sur le thème du bruit etde l’accessibilité. Le 16 octobre s’ytiendra une rencontre sur lespermanences architecturales.

La permanence architecturaleest, le plus souvent, un lieu deformation, entre un « maître » etun jeune architecte, un lieu de lien et d’invention, aussi, où sematérialise, in situ, la com-mande. Le chantier est l’incarna-tion de la permanence architec-turale. Pour « Ensemble à Boulo-gne-sur-Mer », un projet de réno-vation de soixante maisonslocatives sociales avec les habi-tants, conçu en 2013 avec le sou-tien du programme des « Nou-veaux Commanditaires » de laFondation de France, l’architecte Sophie Ricard s’est installée surplace. Sa maison est devenue unespace d’invention ouvert sur levoisinage où s’est déployé le pro-gramme. La grisaille d’origine duquartier a accouché d’un projet aussi fonctionnel que bigarrédans lequel les habitants se sontlargement impliqués.

L’engagement le plus spectacu-laire, et le plus médiatisé deConstruire, fut dans ce sens latransformation du pavillon fran-çais en pavillon habité lors de la10e édition de la Biennale inter-nationale d’architecture de Ve-nise, en 2006. En réponse à lathématique générale « Métacité »(en référence aux évolutionsphysiques et sociales des agglo-mérations), Patrick Bouchain et le collectif EXYZT ont dit : « Me-tavilla » (« Mets ta vie là »). Soit :un hôtel intégré dans une struc-ture en échafaudage pouvant ac-cueillir une quarantaine de per-sonnes, une cuisine, un salon delecture, un espace de travail et, sur le toit, un sauna, une piscineet un jardin ; l’ensemble ouvert24 heures sur 24. Comme dans lavie. p

jean-jacques larrochelle, annoté ERIC LEGER

A la 10e Biennale d’architecturede Venise,en 2006

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