L’effectivité du droit de gage général et la préservation du patrimoine
Réalisé par M. Marc Merceron
Sous la direction du Professeur A. Leborgne Master 2 Professionnel Procédure Civile et Procédures Civiles
d’Exécution
Juin 2013
Liste des abréviations :
AFF Association française des fiduciaires Art. Article Bull. civ. Bulletin des arrêts des chambres civiles de la Cour de cassation C. assur. Code des assurances C. civ. Code civil Civ. Chambre civile de la Cour de Cassation CMF Code monétaire et financier C. com. Code de commerce Com. Chambre commerciale de la Cour de Cassation CPCE Code des procédures civiles d’exécution C. trans. Code des transports éd. Edition EIRL Entrepreneur individuel à responsabilité limitée EURL Entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée Gaz. Pal. Gazette du palais Ibid ibidem (Dans le même ouvrage) infra Ci-‐dessous J.-‐CL Civil Code Juris-‐Classeur Code Civil JCP G Juris-‐Classeur périodique, édition Générale JCP N Juris-‐Classeur périodique, édition Notariale LPF Livre des procédures fiscales op. cit opere citato (Dans l’ouvrage déjà mentionné du même auteur) Ord. Ordonnance Rép. com. Répertoire de droit commercial Dalloz Rép. sociétés. Répertoire de droit des sociétés Dalloz RTD civ. Revue trimestrielle de droit civil SARL Société à responsabilité limitée SCI Société civile immobilière supra Ci-‐dessus
Sommaire :
Introduction Partie I –Les voies classiques de contournement de l’affectation générale : Titre I : Les limitations au droit de gage général des créanciers sans atteinte à l’unité du patrimoine. Titre II : Concessions « classiques » à la théorie subjective, sources d’aménagements au droit de gage général. Partie II – L’influence des patrimoines d’affectation sur l’effectivité du droit de gage général : Titre I : Le statut d’EIRL, affectation patrimoniale concédée à l’entrepreneur individuel. Titre II : Le patrimoine d’affectation fiduciaire.
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1 « Messieurs, il nous était dû à tous en bloc un million. Nous avons dépecé notre
homme comme une frégate sombrée. Les clous, les fers, les bois, les cuivres ont donné
trois cent mille francs. Nous avons donc trente pour cent de nos créances. »1 Si BALZAC parle en ces termes du concordat, la formule semble plus que tout propice à
illustrer l’exécution forcée de manière générale, selon une conception que d’aucuns
qualifieront de pessimiste, vu le dénouement que l’auteur donne à son propos.
Tout pessimisme mis à part, cet aphorisme, en ce qu’il décrit le démantèlement pur et
simple d’un homme à l’image d’un navire, suscite cependant l’interrogation quant à
l’assiette de l’exécution, son support matériel, ce sur quoi elle doit s’exercer. La question
se posera naturellement d’avantage dans le cadre d’obligations monétaires, dites
« obligations de sommes d’argent »2.
A ce titre, le code civil de 1804 prévoyait déjà que la personne n’est plus la garantie de
ses créanciers et que c’est en ses richesses que le débiteur défaillant doit succomber3,
aussi « La menace d’une exécution forcée consiste principalement en une exécution sur
les biens. »4 Les Art. 2284 et 2285 C. civ. sont le siège d’une telle conception et
envisagent ce que doctrine et praticiens qualifient de « droit de gage général » en
disposant : « Quiconque s’est obligé personnellement, est tenu de remplir son
engagement sur tous ses biens mobiliers et immobiliers, présents et à venir. » « Les
biens du débiteur sont le gage commun de ses créanciers ; et le prix s’en distribue entre
eux par contribution, à moins qu’il n’y ait entre les créanciers des causes légitimes de
préférence. »
Ainsi est-‐il courant d’expliquer qu’en vertu du droit de gage général, le patrimoine
répond des dettes, « les biens du débiteur (étant) le gage commun de ses créanciers ».
1 H. de BALZAC, César Birotteau, Gallimard, 1975, p. 356. 2 P. HOONAKKER, Procédures civiles d’exécution, Larcier, 2013, 2e éd., p. 4, n°9. 3 L’exécution sur les biens n’a pas toujours été une évidence. Le droit Romain organisait une exécution sur la personne à travers l’institution de la manus injectio. Un créancier pouvait contraindre directement son débiteur en le gardant chez lui, le temps que sa dette soit apurée. Il pouvait à défaut le vendre comme esclave afin de se payer. Cette institution qui deviendra par la suite la « contrainte par corps », perdurera globalement jusqu’à la Révolution. On peut noter que le droit de l’exécution n’a pas banni toute intervention sur la personne du débiteur. En témoignent certaines infractions constituées par le non-‐paiement ou encore la contrainte judiciaire, exposant le débiteur à de courtes peines de prison. Notons qu’il s’agit néanmoins de simples moyens de pression institutionnalisés, l’intervention sur la personne ne visant qu’à réactiver le solvens dans sa volonté de payer. 4 A. LEBORGNE, Voies d’exécution et procédures de distribution, Dalloz, 1ère éd. 2009, p. 7, § 8.
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Afin de mieux appréhender ce principe, il est donc essentiel de détailler la physionomie
du droit de gage général ; ses caractéristiques et son champ d’application et d’envisager
la relation qu’il entretient avec le patrimoine dans son acception juridique.
2 La place du droit de gage général dans le Code offre de premiers renseignements.
Alors que les trois premiers Livres du Code Civil traitent successivement des personnes,
des biens et enfin des obligations5, les Art. 2284 et 2285 ouvrent le Livre quatrième sur
les sûretés, coiffant ainsi l’ensemble des dispositions qui s’y trouvent et séparées en
deux Titres qui distinguent sûretés personnelles et réelles. Une telle place au sein du
Code, sans pour autant en faire formellement des « dispositions générales », semble
néanmoins instituer ces articles en préceptes charnières : le droit de gage général se
situerait entre les obligations, dont il assure notamment l’assiette de réalisation et les
sûretés, dont il constituerait une sorte de régime général offert à tout créancier, dont la
créance ne bénéficie d’aucune cause de préférence. Aussi le droit de gage général, en
tant que garantie à disposition de tout créancier sur tous les biens de son débiteur,
semble gouverné par « l’indifférence » d’une part et un principe d’égalité d’autre part.
3 Une indifférence quant aux biens qui en constituent l’assiette semble en effet se
dégager de l’Art. 2284 C. civ. Ce dernier en ce sens, ne distingue pas entre la nature des
biens grevés par ce droit et « tous les biens » mobiliers comme immobiliers sont visés.
Plus encore, le même article désigne les biens « présents et à venir », ce qui implique
nécessairement que le droit de gage général puisse indifféremment s’exercer sur tout
bien que le débiteur possèderait au moment ou le créancier entend le mettre en œuvre,
peu important la date de naissance de l’obligation à l’origine de sa créance. Ainsi, même
si le débiteur ne possède rien au moment ou la créance nait, son créancier pourra à
l’avenir exercer ses droits sur tout bien qu’il aura entre temps acquis : « L’avenir
s’intègre au patrimoine parce que le patrimoine s’étend aux biens à venir. »6 Notons que
la réciproque est vraie, le créancier chirographaire n’ayant aucun droit acquis sur les
biens disparus de son débiteur devenu indigent. Aussi peut-‐on distinguer le droit de
gage général d’un droit réel, qui confère à son titulaire un droit de suite, lui permettant
de saisir le bien grevé en quelques mains qu’il se trouve.
5 A travers un Livre troisième, sur les différentes manières d’acquérir la propriété. 6 G. CORNU, Droit civil -‐ Les biens, Domat, 2007, 13e éd., p. 11, § 5.
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A contrario, le droit de gage général qui « épouse les fluctuations du patrimoine »7,
n’ouvre aucune prérogative sur les biens qui en sont sortis au moment ou il est exercé.
4 Le droit de gage général semble en outre instituer une égalité entre créanciers. L’Art.
2285 C. civ. décrit en ce sens les biens du débiteur comme le « gage commun de ses
créanciers », leur prix se distribuant « entre eux par contribution8 », sauf cause légitime
de préférence. Aussi, en prenant le soin d’écarter les créanciers titulaires d’une sûreté
(cause légitime de préférence), les rédacteurs du Code Civil ont placé les créanciers
chirographaires bénéficiant du seul droit de gage général sur un pieds d’égalité. Pour le
professeur WITZ, « L’assiette du droit de gage général est affectée indistinctement à tous
les créanciers dotés du seul droit de gage général (…) Les créanciers, non titulaires de
sûretés réelles, sont sur un strict pied d’égalité.»9. En effet, dans le cadre d’une
distribution par contribution, les créanciers subissent une répartition des sommes
réalisées, sans que l’un d’entre eux puisse primer les autres et un paiement au marc le
franc dans le cas ou les actifs seraient insuffisants pour tous les désintéresser. Une telle
procédure emporte nécessairement une égalité de fait entre les créanciers.
Notons que cette égalité pourrait être rompue au profit d’une forme de concurrence, dès
lors que par certaines voies d’exécution, un créancier diligent pourra supplanter les
autres. La situation se résumera certaines fois dans la notion de « privilège du premier
saisissant », d’autres fois par certains mécanismes tels que l’attribution immédiate de la
créance saisie10, véritables primes à la rapidité d’action. L’égalité des créanciers serait
donc un principe fondamental du droit de gage général, qui pourrait néanmoins rompre
sous les diligences du créancier souhaitant améliorer sa situation.
5 Au total, régi par une indifférence relative aux biens et une égalité des créanciers qui
l’exercent, « le droit de gage implique la saisissabilité indifférenciée de n’importe quel
bien du débiteur par l’un quelconque de ses créanciers »11
7 Op. cit., G. CORNU, § 5. 8 La distribution par contribution, constitue la procédure qui permet de répartir les sommes réalisées par la vente des biens du saisi entre ses créanciers. 9 C. WITZ, J.-‐CL Civil Code, Art 2284 et 2285, fasc. Unique, § 41. 10 Art. L211-‐2 CPCE. 11 O. SALATI, La loi n°2010-‐658 du 15 juin 2010 relative à l’entrepreneur individuel à responsabilité limité et le principe de saisissabilité : Une menace de plus sur le droit au recouvrement ?, Procédures, novembre 2010, n°11, §1.
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En outre, si prétendre que le patrimoine répond des dettes semblait peu audacieux, en
ce qu’il représente tous les biens d’une personne dans le langage courant12, il s’agit
pourtant de dire quelques mots de cette notion en droit, afin d’appréhender ses
conséquences éventuelles sur le droit de gage général.
6 Ainsi le patrimoine dans son acception juridique, correspond à « (l’) ensemble des
biens et obligations d’une personne, envisagé comme une universalité de droit, c’est à
dire comme une masse mouvante dont l’actif et le passif ne peuvent être dissociés »13, le
lexique renvoyant d’ailleurs sans surprise à la lecture des Art. 2284 et 2285 C. civ. Pour
autant, cette simple définition est réductrice au regard de la pensée juridique française,
le patrimoine étant le lieu d’une véritable « théorie subjective » 14 . On doit sa
systématisation à la collaboration d’AUBRY et RAU, deux juristes du XIXe siècle, qui
proposèrent un véritable dogme connu sous le nom de « théorie du patrimoine » ou
« théorie de l’unité du patrimoine »15.
7 Aussi peut-‐on exposer la pensé des auteurs qui partent du postulat suivant : Le
patrimoine est une universalité de droit et une émanation de la personnalité juridique.
En tant qu’universalité de droit il s’agirait donc d’un ensemble « de droits et
d’obligations (…) soumis à un système juridique global, en ce sens que l’actif et le passif
sont indissolublement liés. »16 Il semble d’ores et déjà que tout soit dit : le patrimoine est
composé d’un actif (des « biens » notamment) et d’un passif lui répondant.
Pourtant les auteurs vont plus loin, l’essentiel de leur travail de systématisation
résultant des conséquences qu’ils tirent de ce postulat et qu’ils résument en trois
axiomes célèbres :
12 Le Professeur WITZ, dans l’ouvrage précité (§41), souligne en ce sens que le terme patrimoine n’apparaît que peu dans le Code Civil, ses rédacteurs lui ayant préféré le vocable de « biens » . 13 Lexique des termes juridiques, Dalloz, 16e éd., p. 478. 14 La théorie construite autour du patrimoine est dite « subjective », car elle est propre à la pensée juridique française. 15 Issue dans un premier temps de la simple traduction d’un ouvrage du professeur allemand ZACHARIAE, ils ne s’en détacheront réellement que dans la quatrième édition de leur ouvrage. 16 Lexique des termes juridiques, Dalloz, 16e éd., p. 663.
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« Les personnes physiques ou morales peuvent seules avoir un patrimoine ; (…) toute
personne a nécessairement un patrimoine, alors qu’elle ne possèderait actuellement
aucun bien ; (…) la même personne ne peut avoir qu’un seul patrimoine (…) »17
Abstraction faite de la valeur du postulat de départ, on ne peut alors qu’adhérer aux
affirmations qui en découlent, notamment en ce que le patrimoine n’est qu’un contenant,
puisque lié à la personnalité juridique il existe même vide et qu’il est ainsi indivisible
comme la personne de son titulaire. Les auteurs acceptent néanmoins l’idée qu’il existe
certaines universalités juridiques qui s’en distinguent18.
8 Enfin, et c’est bien là que réside tout l’intérêt d’exposer les grandes lignes de la théorie
du patrimoine, les auteurs envisagent le « droit de gage auquel est soumis le
patrimoine. »19, celui-‐ci en constituant l’assiette. Or, en rappelant incessamment ce lien
entre patrimoine et personnalité, véritable postulat et conception la plus critiquée de la
théorie subjective 20 , AUBRY et RAU en viennent inévitablement à formuler la
conséquence la plus fâcheuse de ce leitmotiv : « le droit de gage général est indivisible,
comme le patrimoine auquel il s’applique21 ». En ce sens, c’est bien l’unité du patrimoine
telle qu’elle se répercute sur le droit de gage général dont il s’agit de tirer des
conséquences.
9 Le droit de gage général ainsi envisagé, s’oppose principalement à toute division
interne du patrimoine dans le but d’en préserver certaines fractions et semble donc
absolument inconciliable avec la théorie des patrimoines d’affectation. La notion de
patrimoine d’affectation, par opposition à la théorie subjective, procède d’une théorie
objective du patrimoine. Le patrimoine selon cette conception constitue toujours une
universalité juridique, sans pour autant être intimement lié à la personnalité. Ainsi,
selon cette théorie, le patrimoine peut se résumer à l’affectation d’une masse de biens à
une fin commune, cette affectation suffisant à lui conférer la qualité d’universalité de
17 C. AUBRY et C. RAU, Cours de droit civil français d’après la méthode de Zachariae, t.6, IVe éd., 1873, p. 231, § 4. 18 Op. cit., AUBRY et RAU, p. 232, § 1. 19 Op. cit, AUBRY et RAU, p.247, § 579. 20 F. TERRE et P. SIMLER, Les biens, Dalloz, 7e éd., 2006, p. 27, § 20 ; P. DUPICHOT, L’unicité du patrimoine aujourd’hui observations introductives, JCP N, 2009, n°6, p. 18, § 25. 21 Op. cit, AUBRY et RAU, p.248, § 579.
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droit22. L’intérêt fondamental de cette théorie est d’admettre qu’une même personne
puisse disposer de plusieurs patrimoines, chacun affecté à sa propre fin. En ce sens,
toute personne pourrait diviser son patrimoine en diverses masses d’actifs, répondant
chacune d’un passif propre à son affectation, sans que les créanciers de l’une ne puisse
exercer de droits sur les autres.
10 Plus généralement, le simple fait qu’une personne ne puisse avoir qu’un seul
patrimoine n’aurait que peu de conséquences, si l’on admettait qu’elle puisse le diviser
en plusieurs universalités ou plus simplement en plusieurs compartiments qu’elle
pourrait affecter au gré de ses activités. Tel n’est pas le cas ; si le titulaire du patrimoine,
en tant que seul maitre des biens qui le composent, peut librement en disposer et les
administrer comme bon lui semble, ne pouvant diviser leur enveloppe en plusieurs
universalités, il sera contraint de tous les affecter à toute activité qu’il entreprendra,
sans pouvoir n’en offrir qu’une partie afin d’en préserver une autre. Aussi l’adage qui
s’oblige oblige le sien reçoit ici l’application la plus large qui soit, celui qui s’oblige
engageant nécessairement tout son « avoir », qui devra répondre de ses dettes quelle
qu’elles soient. Alors, toute personne ne pourrait limiter les risques des activités qu’elle
entreprend que conventionnellement, c’est à dire en accord avec les créanciers propres
à cette activité. Par la voie des sûretés23, en leur concédant des garanties suffisantes sur
un ou plusieurs biens composant son patrimoine, en se pliant aux règles du jeu de la
technique sociétaire, ou plus généralement, dans le cadre d’une limitation
conventionnelle du gage offert à son créancier24.
22 La conception germanique du patrimoine d’affectation, de laquelle découle la théorie objective est d’autant plus radicale. Elle admet l’existence de patrimoines « autonomes ». Le Zweckvermögen (littéralement, « fonds à des fins ») constitue une masse de biens abandonnée à sa seule affectation, sans qu’elle n’ait besoin d’une personne à sa tête. 23 Toujours est-‐il qu’une sûreté n’empêcherait pas pour autant le créancier non rempli de ses droit, d’exercer les prérogatives que lui confèrent le droit de gage général, le débiteur, pourtant seul maitre de son patrimoine, se trouvant impuissant à en restreindre l’assiette. 24 Comme semble l’admettre la Cour de Cassation : en ce sens, Civ. 1ère 15 février 1972, n°70-‐12.756, bull. civ. I, n°50, p.44 : La cour de cassation reconnaît en l’espèce qu’une caution avait pu valablement limiter le gage de son créancier à ses biens disponibles en Algérie, dans la mesure ou elle s’engageait en contrepartie, à ne pas disposer de ce patrimoine algérien sans l’accord de ce dernier. En l’espèce les concessions étant réciproques, il faut comprendre que la cour de cassation admet la possibilité d’une limitation conventionnelle du droit de gage général, à condition qu’il ne soit pas réduit à néant.
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11 Ces conséquences, liées à l’extrême rigidité attachée à la théorie subjective
impliquent deux enjeux majeur : La limitation du risque associé à l’affectation générale
et le cas échéant, le contournement du droit de gage général.
En effet, on peut concevoir l’effectivité du droit de gage général comme participant à la
stabilité des rapports économiques, par l’instauration d’une certaine confiance dans
l’esprit de tout dispensateur potentiel de crédit. Pour autant, l’affectation générale
poussée à son paroxysme par l’unité du patrimoine, expose tout acteur économique à un
risque lui aussi maximum. En ce sens, l’exemple de l’entrepreneur est particulièrement
significatif. Dans une telle conception, celui-‐ci devrait accepter d’exposer son patrimoine
personnel, voire familial au risque de ses affaires, c’est à dire à toutes ses déconvenues
professionnelles éventuelles. Or, sa responsabilité financière étant proportionnelle aux
engagements qu’il souscrit, eux mêmes proportionnels aux ambitions de développement
de ses affaires, l’entrepreneur le plus audacieux s’exposerait à l’aléa d’une véritable
ruine. Aussi un second enjeu découle-‐t-‐il naturellement du premier et la rigidité
conférée au droit de gage général conditionnerait directement l’ambition de le fuir. Un
auteur en ce sens souligne justement que l’organisation frauduleuse est un phénomène
aussi ancien que la société des hommes et que le réflexe de fuite devant la dette est
inhérent à la nature humaine25 . Sans aller pour autant jusqu’à l’organisation de
l’insolvabilité en vu de fuir la dette, il s’agit de constater que l’esquive du gage général
constitue une véritable discipline, au service de laquelle se trouve souvent l’ingénierie
juridique, répondant à la préoccupation de toute personne soucieuse de protéger son
patrimoine.
Il s’agira ainsi de souligner que l’exercice du droit de gage général, dans un double souci
de limitation du risque et de préservation du patrimoine, se trouve naturellement
émaillé d’une multitude d’obstacles26 sous des formes les plus diverses, remettant
directement en question sa pleine effectivité.
25 D. GRILLET-‐PONTON, L’organisation de l’insolvabilité en droit patrimonial de la famille, Dalloz, 1996, p. 339, §1. 26 Pour autant, en fait d’obstacle, nous n’aborderons pas la question des insaisissabilités telles qu’elles sont envisagées par l’Art. L112-‐2 CPCE. En effet, les insaisissabilités bien qu’elles aient pour finalité de faire sortir des actifs de l’assiette du gage général des créanciers et donc de créer un obstacle, ou au moins d’impacter celui-‐ci, ne peuvent naître que par une disposition législative. Elles présentent ainsi un régime relativement uniforme conféré par leur source commune, engendrant de facto une certaine égalité des créanciers face à cette situation. Il ne nous semble donc pas pertinent de les développer ici, dans le sens ou le débiteur n’a par principe aucun contrôle d’un tel outil. A contrario, nous nous autoriserons à mettre en lumière
8
12 L’unité patrimoniale en ce sens, qui procède pourtant d’une simple théorie, continue
d’ailleurs à préoccuper doctrine et législateur. On peut en ce sens relever une
proposition de réforme du droit des biens émanant de l’association Henri Capitant27.
Issue d’un groupe de travail constitué par elle en 2006, elle ouvrirait la brèche à des
atteintes plus que modérées à la théorie subjective, témoignant davantage d’un grand
attachement au dogme de l’unité. Le groupe propose ainsi d’inclure la définition
classique du patrimoine au sein du Code Civil, affirme son unité et aménage au
législateur la possibilité d’y déroger de manière expresse 28 . C’est finalement le
législateur, qui depuis 2007, semble avoir définitivement ouvert la voie à l’affectation
patrimoniale avec la consécration de la Fiducie puis de l’EIRL.
Après avoir pris conscience de tels enjeux, il s’agira de s’interroger sur l’effectivité
du droit de gage général, face au poids des dispositions dérogatoires tendant à préserver le
patrimoine.
Aussi étudierons nous dans un premier temps, les voies classiques de contournement de
l’affectation générale (Partie I), avant de prendre la mesure de l’influence des
patrimoines d’affectation sur l’effectivité du droit de gage général (Partie II).
certains cas ou des insaisissabilités procèdent de la volonté du débiteur, lui permettant d’opposer à ses créanciers des poches de résistances par lui crées. 27 Association Henri Capitant, Proposition de réforme du Livre II du Code Civil relatif aux biens. 28 Op. cit., Association Henri Capitant, Titre 1er « Du patrimoine et des biens qui le composent », Art. 519.
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Partie 1 – Les voies classiques de contournement de l’affectation
générale:
Le droit français avant de reconnaître l’existence de patrimoines d’affectation,
semble ne jamais avoir organisé une stricte affectation générale des biens à la garantie
des dettes, de sorte que le droit de gage général semble de longue date pouvoir être
limité, ces limites se concrétisant au sein même d’un patrimoine unitaire (Titre I) ou par
la voie d’entorses ponctuelles à la théorie subjective (Titre II).
Titre I – Les limitations au gage général des créanciers sans atteinte à l’unité du
patrimoine.
Alors que les voies d’exécution constituent le vecteur de mise en œuvre du droit
de gage général, on constate que la matière n’échappe pas à une affectation naturelle des
biens (Section 1), le gage général des créanciers subissant par ailleurs la contrainte de
l’organisation patrimoniale, au service de laquelle semble se trouver le droit des sociétés
(Section 2).
Section 1 – Les procédures civiles d’exécution, source d’affectation tacite des biens.
Si le droit de gage général mis en œuvre par les voies d’exécution, procède d’une
indifférence quant à la nature des biens qui en constituent l’assiette (§1), la pratique
semble cependant démontrer que la matière exerce un fort pouvoir de suggestion sur le
créancier, de nature à limiter sa liberté de choix dans les biens à réaliser (§2).
§ 1 – La mise en œuvre du droit de gage général et le principe de
saisissabilité indifférenciée.
13 Les procédures civiles d’exécution, constituent d’après nous le lieu de la plus
pure expression du droit de gage général, notamment à travers les saisies qui les
composent. Ces saisies doivent être comprises comme des voies d’exécution forcées, par
10
lesquelles un créancier fait mettre sous main de justice les biens de son débiteur, en vue
de les faire vendre aux enchères publiques et de se payer sur le prix29. Elles constituent
ainsi la forme la plus réaliste d’exercice du droit de gage général d’un créancier, à
travers la réalisation des biens composant le patrimoine de son débiteur. En effet, il
semble qu’au stade de l’exercice d’un tel droit, le débiteur de mauvaise foi ou non, qui ne
manifeste pas la volonté de payer, ne proposera pas au créancier de vendre ses biens en
dehors de toute procédure afin d’apurer sa dette. Ainsi, on pourrait d’ores et déjà
affirmer, en opposant simplement le principe du droit de gage général et la logique des
voies d’exécution, que la seconde tend indéniablement à servir la première, sans avoir à
en étudier davantage le contenu. Partant d’un tel constat et après avoir souligné tout
l’intérêt à porter au droit de gage général, chacun s’attendra donc à ce que la matière se
trouve largement dédiée à la faveur de l’accipiens, à travers des procédures certes
efficaces, mais lui conférant surtout une certaine liberté d’action, indispensable à un
exercice pertinent de son droit de gage général.
14 En ce sens, il s’agit de noter que le droit de l’exécution organise purement et
simplement la mise en œuvre du droit de gage général. Aussi, dès les dispositions
générales du code des procédures civiles d’exécution, l’Art. L111-‐2 dispose que « Le
créancier muni d’un titre exécutoire (…) peut en poursuivre l’exécution forcée sur les
biens de son débiteur dans les conditions propres à chaque mesure d’exécution. » La
formulation, même si elle laisse apparaître des modalités d’exercice à travers le terme
« conditions », semble ne souffrir d’aucune exception. Le créancier jouirait ainsi d’un
plein exercice de son droit de gage général par le biais des procédures civiles
d’exécution. Pour autant, elles ne se résument pas à « mettre en œuvre le principe (…) de
l’article 2284 du Code Civil. »30 et consacrent au delà « l’indifférence quant aux biens »31
suggérée par cette disposition . L’Art. L111-‐7 CPCE dispose en effet que le créancier a le
choix des mesures propres à assurer l’exécution ou la conservation de sa créance. Plus
loin, le code poursuit à l’Art. L112-‐1 al. 1er, disposant que « Les saisies peuvent porter
sur tous les biens appartenant au débiteur alors même qu’ils seraient détenus par des
tiers. »
29 Lexique des termes juridiques, Dalloz, 16e éd., p. 587. 30 Op. cit., A. LEBORGNE, §469. 31 En ce sens, voir : supra, n° 3.
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La lecture combinée des deux articles permet d’une part, d’affirmer que le créancier
dispose d’une large liberté d’action et qu’il peut ainsi diligenter des procédures
d’exécution en opportunité (une opportunité relative à la consistance de sa créance mais
également au patrimoine qui la supporte), d’autre part, que cette liberté d’action qui
consiste à laisser à son appréciation la pertinence du choix de la mesure, se répercute
sur le choix des biens qui en seront l’objet.
15 On a coutume de détailler le principe de libre choix du créancier à travers la
présentation des possibilités qui s’offrent à lui, mais il semble qu’il faille davantage
souligner la logique d’un tel principe. En ce sens, l’Art. L111-‐7 CPCE permettrait à lui
seul de fonder une telle liberté. Assurément, c’est bien parce que les voies d’exécution
offrent au créancier la liberté de choisir les mesures à mettre en œuvre, qu’il peut
indirectement décider du ou des biens à saisir. Ce raisonnement s’explique par la
construction du droit de l’exécution forcée, qui propose des procédures « spécialisées »,
c’est à dire adaptées aux différentes catégories de biens pouvant composer un
patrimoine.32 Ainsi, le créancier qui se voit en premier lieu offrir le choix des mesures,
dispose nécessairement du choix de jeter son dévolu sur une catégorie de biens plutôt
qu’une autre. La réciproque est cependant valable et le créancier, en pratique, une fois
cette autonomie admise, désignera plutôt les biens en premier par opportunité, puis
choisira la mesure adaptée afin de les réaliser.
16 On pourra néanmoins évoquer les possibilités offertes au créancier. Le principe de
libre choix se déclinant sous une multitude de formes, dont il s’agit simplement de
dresser un bref panorama sans prétention d’exhaustivité. On peut distinguer en ce sens
l’autonomie conférée au créancier dans le choix des mesures : quant à leur gravité33,
quant à leur cumul éventuel, voire leur chronologie en cas de successions de mesures, ou
quant au caractère exécutoire ou simplement conservatoire qu’il souhaite poursuivre…
32 A titre d’exemple, les procédures civiles d’exécution prévoient des procédures distinctes pour les saisies de créances (notamment la saisie attribution prévue à l’art. L211-‐1 suiv. CPCE) et les saisies de biens meubles corporels (notamment la saisie-‐vente prévue aux art. L221-‐1 suiv. CPCE) 33 La gravité de la mesure pourrait se définir par rapport à l’importance du bien qu’elle grève, ou simplement quant à l’importance de la mesure elle-‐même, relativement à son cout et / ou aux contraintes qu’elle implique. Ainsi, une mesure de saisie-‐attribution, serait une mesure de moindre gravité qu’une procédure de saisie-‐immobilière.
12
Ainsi la matière semble offrir à ce dernier des « procédures sur mesure », qu’il pourra
diligenter en stratège, afin d’exercer au mieux les droits qu’il tient des Art. 2284 et 2285
C. civ.
17 Les voies d’exécution mettraient alors en œuvre le droit de gage général de la
manière la plus absolue qu’il soit à travers cette « saisissabilité indifférenciée ».
Pourtant, même au sein de ce qui apparaît être la place forte de l’Art 2284 C. civ., un tel
absolutisme souffre de tempéraments et cette liberté conférée par les textes doit être
nuancée, la pratique semblant avoir émoussé le tranchant de l’indifférence.
§ 2 – Une saisissabilité largement suggérée en pratique.
18 Si selon O. SALATI, « le droit de l’exécution est tout entier tourné vers le
recouvrement des créances, si nécessaire par la coercition, et (que) son objectif ne peut
être de procéder à une réduction de l’assiette du gage de certains créanciers »34, la
matière par certains tempéraments semble avoir entrainé des obstacles au libre exercice
du droit de gage général. Il existe ainsi des cas ou le créancier avant même d’engager
une mesure d’exécution, subira des restrictions au libre choix qui lui est par principe
reconnu.
19 En ce sens, il faut noter que le droit de l’exécution oppose au créancier un principe de
« subsidiarité » qui tend à affecter le principe de saisissabilité indifférenciée. Le code des
procédures civiles d’exécution prévoit en effet que certains biens ou mesures, n’auront
qu’une vocation subsidiaire à participer à l’exécution forcée engagée par un créancier.
La subsidiarité quant aux biens concerne les immeubles, que le législateur a entendu
préserver au maximum en privilégiant autant que faire ce peut une exécution sur les
biens meubles35. On peut à titre d’exemple citer la subsidiarité imposée au créancier du
mineur ou de l’incapable majeur qui entend saisir l’immeuble de ce dernier. En vertu de
34 O. SALATI, La loi n°2010-‐658 du 15 juin 2010 relative à l’entrepreneur individuel à responsabilité limité et le principe de saisissabilité : Une menace de plus sur le droit au recouvrement ?, Procédures, novembre 2010, n°11, §3. 35 Il faut entendre « biens meubles » au sens large, comprenant les meubles corporels ou non, et incluant donc les créances.
13
l’Art. L311-‐8 CPCE, le créancier devra avant toute saisie immobilière discuter les
meubles de ce « débiteur protégé ».
Quant à la subsidiarité affectant les mesures d’exécution elles-‐mêmes, la saisie-‐vente
peut présenter un caractère subsidiaire en vertu de la loi. Ainsi, l’Art. L221-‐2 CPCE
prohibe toute saisie vente dans le local d’habitation du débiteur, pour le recouvrement
d’une créance modeste36 autre qu’alimentaire et sauf autorisation du juge, si le créancier
a la possibilité de procéder par voie de saisie de créances (compte bancaire ou
rémunérations du travail). L’accent est mis cette fois sur la protection de l’intimité du
débiteur, qui ne devra autant que possible, souffrir de l’immixtion d’un créancier au
cœur de sa vie privé pour le recouvrement d’une créance de faible montant.
De tels cas de subsidiarité, bien qu’ils participent à la prise en compte des intérêts du
débiteur, ne s’opposent pas moins à la liberté de choix du créancier censée guider le
droit de l’exécution. Il semble en outre qu’en fait de subsidiarité, le législateur ait
entendu organiser une sorte de hiérarchie des mesures d’exécution. Le créancier devrait
toujours agir à moindre mal pour le débiteur, l’intérêt de ce dernier heurtant ainsi de
front sa liberté d’action. Un auteur en ce sens va jusqu’à proposer la hiérarchie suivante :
« 1° Saisie-‐attribution du solde d’un compte bancaire ; 2° Saisie-‐attribution sur une
autre créance ; 3° -‐ Saisie des rémunérations du travail ; 4° Saisie-‐vente hors d’un local
d’habitation ; 5° Saisie-‐vente dans un local d’habitation. »37 Une telle hiérarchie nous
semble cependant artificielle et les huissiers de justice ne sont pas enfermés dans un tel
carcan lorsqu’ils exécutent. Néanmoins, sans aller jusqu’à une taxinomie des mesures
selon l’ordre dans lequel elles doivent être employées, il est peu contestable que
derrière une idée de subsidiarité mal nommée38, se trouve de facto une forme de
hiérarchie : la subsidiarité d’une mesure par rapport à une autre, suggérant
inévitablement au créancier, l’ordre dans lequel il doit procéder.
20 Aussi, même si les cas de subsidiarité sont limitativement énumérés par le code des
procédures civiles d’exécution, il semble plus généralement qu’une hiérarchie de fait se
déduise des dispositions propres à chaque mesure. On constate en effet en manipulant le
36 L’Art. R221-‐2 CPCE fixe le seuil de la créance à 535 euros en principal. 37 B. NICOD, La réforme des procédures civiles d’exécution, Dalloz, 1994, p.15. 38 Ce qui est subsidiaire pouvant se définir comme ce qui est « accessoire », et la subsidiarité telle qu’elle est présentée en voies d’exécution, présentant l’apparence d’un ordre de priorité entre certaines mesures, le terme, s’il est curieusement évocateur, est cependant mal choisi.
14
code, que chaque procédure se caractérise par une complexité de mise en œuvre et une
lourdeur différente39. S’il n’est pas question de procéder ici à une étude comparée de
toutes les mesures d’exécution, l’exemple suivant permettra d’éclairer nos propos :
Une procédure de saisie-‐vente se distingue d’une saisie-‐attribution en ce qu’un
commandement de payer préalable est nécessaire, ouvrant sur des délais subséquents
avant de pouvoir exécuter (Art. L211-‐1 et L221-‐1 CPCE) ; une procédure de saisie-‐
immobilière se distingue d’une saisie-‐vente en ce qu’elle nécessite, en plus du
commandement de payer préalable, l’information de tous les créanciers inscrits sur
l’immeuble et la tenue d’une audience obligatoire (Art. R322-‐6 et R322-‐4 CPCE.)
De tels éléments sélectionnés parmi d’autres permettent bien de mettre en lumière cette
disparité que nous évoquions dans l’accessibilité des différentes mesures d’exécution.
Sans considérer que les conditions propres à chaque procédure ne sont pas pertinentes,
on prétendra en revanche qu’elles exercent à nouveau un fort pouvoir de suggestion sur
le créancier au moment de passer à l’exécution. En ce sens, d’aucuns regarderont
certainement le prix (nécessairement relatif au nombre d’actes nécessaires à la
procédure), la complexité de mise en œuvre et le temps nécessaire au recouvrement de
leur créance, ce qui devrait logiquement guider leur choix dans la mesure à mettre en
œuvre.40
21 S’il s’agissait de rechercher des motifs légitimes à ces tempéraments, il n’en
manquerait pas41. Pour autant, une atteinte au principe de saisissabilité indifférenciée,
essence même d’un plein exercice du droit de gage général découle directement d’un tel
tempérament. En effet, comme nous le suggérons plus haut42, le droit de gage général tel
qu’il est prévu par l’Art. 2284 C. civ. procède d’une indifférence quant aux biens qui en
constituent l’assiette ; « Le droit de gage implique la saisissabilité indifférenciée de
39 Il faut également souligner qu’en pratique, chaque procédure présentera un coût différent. 40 Le créancier prendra également en compte sa qualité (chirographaire ou titulaire d’une sûreté) dans sa prise de décision. Ainsi, il vaut mieux se garder de poursuivre la saisie d’un immeuble lorsque l’on n’est pas « inscrit » dessus, au risque de ne rien toucher à l’heure de la distribution du prix. 41 La seule idée « d’humanité » des voies d’exécution pourrait expliquer ces tempéraments qui permettent de favoriser la mise en œuvre des mesures les moins intrusives et les moins traumatisantes en priorité à l’encontre du débiteur. En outre, la logique même, voudrait que le créancier s’empare en priorité des biens les plus liquides, qui semblent les plus à même à le remplir de ses droits à moindre coût et à moindre temps. 42 En ce sens, voir : supra, n° 3.
15
n’importe quel bien du débiteur par l’un quelconque de ses créanciers »43. Aussi, toute
disposition ou pratique contraire, visant à réduire cette liberté en orientant le créancier
dans ses poursuites ou en hiérarchisant les mesures d’exécution, tendrait à créer une
affectation patrimoniale tacite, en favorisant la réalisation de certains éléments du
patrimoine plutôt que d’autres.
22 Au total, s’il ne résulte pas de ce constat une cause principale d’infléchissement du
droit de gage général, nous ne pouvons que constater qu’il existe au sein même du droit
de l’exécution, « place forte de l’Art. 2284 C. civ. »44, une tendance naturelle à contourner
l’affectation générale. Par ailleurs, bien que le débiteur passif ne semble finalement pas
livré aux appétits sans fin de ses créanciers, force est de constater que le droit des
sociétés offre la possibilité d’une limitation active de l’assiette du droit de gage général.
Section 2 – Le droit des sociétés, limitation du gage des créanciers par
contournement de l’unité du patrimoine :
Le droit des sociétés, terrain favorable à la multiplication des personnes morales,
constitue un instrument redoutable de « gestion du risque ». Il offre une technique de
limitation du droit de gage général à travers une division du patrimoine (§1) et constitue
un milieu de prédilection pour l’entrepreneur soucieux de limiter les risques de ses
affaires sur son patrimoine (§2).
§ 1 – La société, outil de séparation des patrimoines.
23 Conformément à la théorie subjective telle qu’on l’a présentée, une même
personne ne peut avoir qu’un seul patrimoine et cette unique enveloppe contenant ses
biens n’est pas divisible, tout comme son titulaire. Ainsi, une personne physique n’est
pas susceptible, afin de limiter le droit de gage de ses créanciers ou simplement afin
d’avoir une gestion utile de cette garantie, de n’affecter qu’une partie de son patrimoine
à certains créanciers. Par conséquent, si toute personne physique a nécessairement un 43 Op. cit., O. SALATI, §1. 44 En ce sens, voir : supra, n° 15.
16
patrimoine, qu’elle ne peut en avoir qu’un seul et qu’il ne peut souffrir d’aucune division
matérielle, une idée séduisante vient immédiatement à l’esprit de celui qui souhaiterait
faire fi du dogme de l’unité : Si l’Homme ne peut diviser (son patrimoine) pour mieux
renier, il lui reste la possibilité de se dédoubler, s’adjoindre un « titulaire » à qui confier
certains de ses actifs. « Pour diviser le patrimoine, il suffit de multiplier les
personnes »45. Ce titulaire né de la volonté de l’homme, c’est la personne morale, à qui
même les pères de la théorie du patrimoine reconnaissent la qualité de pouvoir être à la
tête d’un patrimoine46. Elle se définie comme un « Groupement doté de la personnalité
juridique (…), abstraction faite de la personne des membres qui le composent »47, la
société en étant une variété. Il s’agit alors de s’interroger sur les relations
qu’entretiennent, la notion de personne morale à travers le droit des sociétés, le droit de
gage général et l’unité du patrimoine. La simple lecture des propos introductifs des
manuels de référence en droit des sociétés est éloquente. On retiendra ainsi que « La
société, (est une) technique d’organisation du patrimoine »48, permettant notamment de
se soustraire à l’unité du patrimoine.
24 L’Art. 1832 C. civ. dispose en effet que « La société est instituée par deux ou plusieurs
personnes qui conviennent par un contrat d’affecter à une entreprise commune
(notamment) des biens (…) » L’Art. 1842 du même code précisant quant à lui qu’elle
jouit de la personnalité morale à compter de son immatriculation. Or, une fois la
personnalité juridique acquise, il s’agit de distinguer clairement le patrimoine de la
société, constitué de ses droits et obligations propres, des patrimoines respectifs des
« associés » (bien que le premier soit nécessairement composé des apports réalisés à
partir des seconds). Ainsi le patrimoine social, patrimoine de la personne morale,
répondra des seules dettes de la société, conformément au principe du droit de gage
général qui lui est applicable. Les associés quant à eux répondront de leurs dettes
propres sur leur patrimoine personnel, en vertu encore de l’Art. 2284 C. civ. Enfin, la
dualité de titulaires ne permettra pas aux créanciers de l’un de recourir sur le
patrimoine de l’autre. La création d’une société dotée de la personnalité juridique,
permet donc aux associés qui la constituent de réduire l’assiette du gage de leurs
45 COZIAN, VIANDIER, DEBOISSY, Droit des sociétés, Lexis Nexis, 24e éd., §23. 46 Op. cit., AUBRY et RAU, p. 231, §4. 47 Lexique des termes juridiques, Dalloz, 16e éd., p. 487. 48 Op. Cit., COZIAN, VIANDIER, DEBOISSY, §23.
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créanciers personnels, en apportant simplement à cette dernière des actifs qui sortent
inévitablement de leur patrimoine. Notons cependant qu’une telle séparation des
patrimoines n’est pas absolue et il s’agira de revenir, lorsque nous traiterons de la
société au service de l’entrepreneur, sur les conditions et limites qui l’assortissent49.
25 Pour autant, la notion de société évoquant d’avantage le cadre juridique de
l’entreprise, on peut s’interroger sur les perspectives d’utilisation de la forme sociétaire
comme un simple cadre de gestion du patrimoine. En ce sens un auteur souligne le fait
suivant : « La société est devenue aussi, par glissements législatifs successifs, un simple
outil d’organisation du patrimoine. » « On observe un recours de plus en plus fréquent à
la société utilisée par ses fondateurs comme un simple outils d’organisation
patrimoniale également dans la sphère privée. »50 Un exemple tout à fait significatif
résiderait dans ce que l’on a coutume d’appeler les « Sociétés de patrimoine »,
regroupant les SCI et les sociétés civiles de portefeuille51. La simple appellation les
regroupant suffit à éclairer le lecteur sur le but qu’elles poursuivent et Il s’agit de mettre
en lumière l’usage qui peut être fait de la SCI au détriment du droit de gage général.
La SCI constitue souvent un support juridique de la propriété immobilière52 dans le
cadre privé et plus particulièrement dans la sphère familiale. C’est à dire que l’immeuble
est apporté à une SCI (en réalité, elle est habituellement créée pour les besoins de
l’opération) qui en constitue la structure juridique. L’immeuble comme tout apport en
droit des sociétés sera dès lors représenté par des parts sociales. Aussi, toute personne
propriétaire d’un immeuble pourrait avec le concours de tiers53 (pourquoi pas des
membres de sa famille, voire ses enfants), décider de faire sortir de son patrimoine son
ou ses biens immeubles, en créant une SCI à laquelle il les apporterait. De ce fait,
l’immeuble quitterait matériellement le patrimoine de son propriétaire pour y être
remplacé par des parts sociales. L’instigateur d’un tel montage modifierait de facto
l’assiette du gage général de ses créanciers personnels et ces derniers ne pourraient plus
49 En ce sens, voir infra, n° 29 suiv. 50 J. –F. DESBUQUOI, Vingt ans de stratégies sociétaires patrimoniales, Droit et Patrimoine, 2011, n°204, p 59 et 60. 51 Les sociétés civiles de portefeuille permettent de rassembler toutes sortes de droits sociaux. Les fonds communs de placement font l’objet d’un développement particulier : voir infra n° 51 suiv. 52 Op. Cit. M. COZIAN, A. VIANDIER, F. DEBOISSY, §1214. 53 Il faut au moins deux associés pour constituer une société civile, sans condition de capacité.
18
saisir l’immeuble composant désormais le patrimoine de la personne morale. Quant à la
possibilité de saisir les parts sociales du débiteur, l’option présente indubitablement un
intérêt moindre, leur cession étant soumise à agrément selon l’Art. 1861 C. civ.
Il ne s’agit toutefois que d’un simple schéma propre à souligner l’affectation
patrimoniale qui découle d’un tel montage. La pratique présente en effet des situations
plus complexes, faisant fréquemment intervenir un démembrement du droit de
propriété54 au soutien des opérations poursuivies : Ainsi le propriétaire d’un immeuble
pourra choisir de n’apporter que la nue-‐propriété de celui-‐ci à une SCI afin de pouvoir
continuer à en jouir, tout en le plaçant hors d’atteinte de ses créanciers. Une telle
pratique se rencontre souvent à des fins successorales55.
On peut néanmoins noter qu’il existe une limite à de telles pratiques. Si la SCI offre un
cadre de gestion du patrimoine, elle ne doit pas en revanche poursuivre un but
« d’entrave à l’exercice du droit de gage des créanciers »56. A défaut, ces derniers
pourraient user de l’action paulienne de l’Art. 1167 C. civ, afin d’attaquer les actes de
leur débiteur passés en fraude de leurs droits.
26 Enfin, la SCI n’est pas un outil de gestion du patrimoine à la portée des seules
personnes privées et permet également d’isoler les actifs immobiliers d’une société. En
effet, l’immobilier nécessaire à l’activité d’une société sera souvent confié à une SCI
constituée des mêmes associés, le but poursuivi étant toujours « l’affectation ». Les
créanciers de la société ne pourront alors pas poursuivre le recouvrement de leurs
créances sur ces actifs immobiliers, propriété d’une SCI tierce. Un tel mécanisme offre
donc aux associés la possibilité de préserver cet actif immobilier, en cas d’ouverture
d’une procédure collective à l’encontre de leur société. On parle de « couple société civile
54 Le droit de propriété se composant de trois prérogatives : User de la chose, en percevoir les fruits, en disposer, les droits réels qui ne confèrent à leur titulaire qu’une partie de ces attributs sont des « démembrements du droit de propriété. » 55 Il s’agit de souligner l’existence d’un montage courant en droit patrimonial, se fondant sur la SCI et le démembrement de propriété, même s’il n’est pas question à titre principal, de porter atteinte au droit de gage général dans une telle opération : Des parents souvent, choisiront d’apporter la nue propriété d’un immeuble « familial » à une SCI, afin d’en conserver l’usufruit jusqu’à leur décès et de procéder à une « donation partage » des parts à leurs enfants. Plusieurs buts sont poursuivis ; l’allègement des droits de donation qui sont calculés sur la valeur des parts ; éviter une indivision entre les enfants à la mort des parents. 56 Op. cit., M. COZIAN, A. VIANDIER, F. DEBOISSY, § 1218.
19
immobilière – société d’exploitation. »57. Pour autant il existe aussi des limites à un tel
montage, qui ne doit pas simplement servir à faire obstacle au droit de gage des
créanciers de la société d’exploitation. Le droit des entreprises en difficultés envisage en
effet des hypothèses d’extension de la procédure collective au patrimoine de la SCI, en
cas de fictivité de cette dernière ou de confusion des patrimoines de la SCI et de la
société d’exploitation58.
27 La société malgré les limites59 posées par le législateur, peut donc bien constituer un
outil de contournement de l’unité du patrimoine, permettant d’affecter le droit de gage
général des créanciers de celui qui la constitue, à condition bien sur qu’elle ne soit pas
uniquement constituée à cette fin. Il s’agit alors d’envisager l’usage qui peut en être fait
par l’entrepreneur, pour qui la gestion du risque est essentielle.
§ 2 – Le droit des sociétés, une réponse à la gestion du risque
entrepreneurial.
28 Alors que nous soulignions dans nos propos introductifs l’enjeu particulier
constitué par l’exercice du droit de gage général au regard du statut d’entrepreneur, il
s’agit dès lors d’envisager les éventuelles solutions du droit des sociétés aux risques
auxquels il s’expose. En effet, s’étant toujours dégagé de l’opinion générale une certaine
bienveillance à l’égard de l’entrepreneur, vu les risques qu’il prend en s’engageant dans
57 En pratique, la SCI est le bailleur de la société d’exploitation. Ainsi, l’avantage d’un tel montage, n’est pas uniquement d’isoler les actifs immobiliers des risques économiques liés à la société d’exploitation, mais permet également le financement d’un capital immobilier par celle-‐ci : La SCI souscrit un emprunt pour acquérir un ou des immeubles, la société d’exploitation lui verse des loyers calculés afin de couvrir les annuités du crédit. 58 Art. L621-‐2 du C. com. 59 Il s’agit de remarquer que toutes les limites à l’utilisation d’une société comme outil de gestion du patrimoine, qu’il s’agisse de l’action paulienne, ou des causes d’extension de procédure collective, peuvent être considérées comme découlant de la notion plus large « d’abus de droit », en ce sens qu’elles viennent sanctionner la mauvaise foi d’un débiteur, qui ne chercherait qu’à limiter l’assiette du gage de ses créanciers, manifestant ainsi un abus dans l’usage de son droit subjectif de constituer une société.
20
les affaires60, il s’agit de s’intéresser aux réponses que le droit des sociétés aurait déjà
apportées à la limitation, ou tout au moins à la gestion du gage général de ses créanciers.
Le droit des sociétés avant de constituer un simple outil de séparation des patrimoines,
apparaît comme une technique juridique d’organisation de l’entreprise. L’entreprise en
effet, constitue une entité économique que le droit semble ignorer lorsqu’elle n’entre
pas dans un cadre juridique destiné à la régir61 : en droit français, l’entreprise n’est « ni
sujet, ni objet de droit »62. Elle se définit en ce sens comme « un ensemble cohérent de
moyens humains et matériels regroupés, quelle que soit la forme juridique de ce
groupement, en vue de l’exercice d’une activité régulière participant à la production ou à
la circulation des richesses, autrement dit à une activité économique. »63
Le droit des sociétés permet alors d’attribuer une « forme juridique » à l’entreprise. Si
l’on suivait notre précédent raisonnement sur la « société outil de séparation des
patrimoines », il suffirait à l’entrepreneur d’apporter les actifs nécessaires à son
entreprise à une société créée pour l’occasion. Une fois la société immatriculée et la
personne morale nouvellement créée à la tête des biens apportés, la séparation des
patrimoines serait réalisée et l’entrepreneur n’aurait plus à craindre pour son
patrimoine personnel, tenu à l’écart des créanciers de son affaire. Pour autant, deux
difficultés propres à la mise en société sont à envisager afin d’apporter une réponse
complète à notre interrogation.
29 Tout d’abord, le droit des sociétés n’organise pas toujours une séparation absolue
des patrimoines, les dettes de la personne morale pouvant parfois rejaillir sur les
associés qui la composent, ce que cherche pourtant à éviter à tout prix l’entrepreneur
soucieux de protéger son patrimoine personnel (voire familial). Il s’agit de passer
rapidement sur cette difficulté qui relève de la distinction classique entre les sociétés à
risque limité ou non, la séparation des patrimoines ne devant pas être un leurre pour 60 Ainsi le législateur semble toujours avoir pris en compte la nécessité de conférer un statut protecteur à l’entrepreneur, dont nous tentons de faire un historique au titre intéressant l’EIRL, afin de démontrer l’intérêt particulier dont il est le centre. Il s’agit donc de se reporter au titre relatif à l’EIRL, afin de trouver la justification d’une telle affirmation, voir infra, n°57 suiv. 61 Peut être faudrait il revenir sur une telle affirmation avec la création du statut d’EIRL, dont le code de commerce régit le statut et s’interroger sur le point de savoir si le droit ne prend pas désormais en compte l’entreprise, par le prisme de l’entrepreneur auquel il confère un cadre légal d’existence. 62 J.-‐J. DAIGRE, La société unipersonnelle en droit français, Revue internationale de droit comparé, 1990, p. 665. 63 Op, cit., M. COZIAN, A. VIANDIER, F. DEBOISSY, § 16.
21
l’entrepreneur. Les associés selon les besoins de leurs affaires64, opteront donc pour une
forme sociale plutôt que pour une autre. En optant pour une forme sociale à risque
illimité, les associés sont tenus indéfiniment au passif social, ils répondent donc des
dettes de la société sur leur patrimoine propre lorsque celle-‐ci ne paye plus ses
créanciers65 et peuvent en outre se trouver engagés au delà du montant de leurs
apports. Une telle option envisagée dans une optique de gestion du risque par
l’entrepreneur et de limitation du gage de ses créanciers professionnels semble donc
peu pertinente. Néanmoins, le droit des sociétés offre la faculté aux associés d’opter
pour une forme sociale à risque limité. Elle présente l’avantage d’une séparation étanche
des patrimoines, l’associé n’étant tenu au passif social qu’à concurrence du montant de
ses apports et constitue ainsi une option pertinente pour l’entrepreneur qui souhaite
protéger son patrimoine personnel du risque des affaires.
30 Toutefois, si le droit des sociétés répond à la principale préoccupation de
l’entrepreneur à travers la limitation des risques, la société représente classiquement un
mode d’« organisation du partenariat »66, un contrat entre associés qui ne semble pas
correspondre à la pratique solitaire des affaires de l’entrepreneur individuel. En effet,
l’Art. 1832 C. civ. dont nous avions retranscrit la lettre évoque l’institution d’une société
par un contrat entre « deux ou plusieurs personnes ». Une composante traditionnelle de
la société réside en ce sens dans l’affectio societatis, que l’on peut traduire comme la
volonté de s’associer. Or, il est difficilement concevable, sauf à souffrir de schizophrénie,
de considérer la volonté de s’associer d’une seule personne dans la gestion de ses
affaires. En outre, cette volonté de s’associer constitue une composante fréquente du
faisceau d’indices retenu en jurisprudence pour prononcer la nullité d’une société pour
fictivité67.
64 Selon qu’ils voudront constituer une simple société de subsistance, ou au contraire une société de croissance, nécessitant de lever des capitaux ; qu’ils préfèreront conserver un fort intuitu personae, ou au contraire se tourner vers le plus offrant … 65 Qu’elle ne puisse plus payer, ou qu’elle ne veuille simplement plus ! Ainsi l’obligation aux dettes sociales ne joue pas qu’en état de cessation des paiements. 66 Op. cit., M. COZIAN, A. VIANDIER, F. DEBOISSY, § 15. 67 Notamment : Com. 9 juin 2009, n° 07-‐20.937, Les juges de la cour de cassation retiennent la fictivité d’une SCI pour défaut d’affectio societatis, absence de convocation d’assemblées générales et absence de documents attestant du fonctionnement de la société.
22
31 Néanmoins, il semble que ces deux obstacles à ce qu’un entrepreneur individuel
puisse trouver satisfaction dans une mise en société aient été écartés par le législateur.
Dès la lecture du second alinéa de l’Art. 1832 C. civ., on note en effet qu’une société peut
être instituée « dans les cas prévus par la loi, par l’acte de volonté d’une seule
personne. » Dès les dispositions générales relatives à la société, on comprend donc que
l’entrepreneur individuel pourra organiser une « affectation professionnelle »68 par la
création d’une personne morale. C’est la loi du 11 juillet 198569 qui la première crée la
notion de « société unipersonnelle » en droit français à travers l’EURL70. Depuis 1985,
l’entrepreneur peut alors habiller son entreprise d’un vêtement juridique, lui
permettant de conférer une autonomie à celle-‐ci. Empruntant directement au régime de
la SARL, le législateur apporte une double réponse à l’entrepreneur : il pourra par un
acte de volonté unilatéral, créer une personne morale distincte et titulaire d’un
patrimoine professionnel et limiter les risques de ses activités à travers le régime des
sociétés à risque limité. Cette innovation a entendu faciliter la constitution de l’EURL,
afin d’inciter l’entrepreneur à recourir à un tel cadre juridique d’exercice ; en témoigne
l’Art. L223-‐1 C. com., qui offre à l’associé unique la faculté d’assurer la gérance de la
société, lui proposant même de recourir à des statuts type prévus à cet effet. Ainsi,
l’associé unique qui déciderait de gérer sa société, serait placé dans une situation quasi-‐
identique à celle d’un entrepreneur individuel, seul maitre de ses affaires, l’affectation
d’un patrimoine professionnel et la limitation subséquente des risques en plus.
32 L’affectation générale serait alors de longue date vaincue par le droit des sociétés, qui
offrirait à l’entrepreneur un statut juridique propre à limiter les risques de ses affaires.
Le professeur LUCAS résume toute l’opportunité de ce statut d’EURL dans la formule
suivante : « En réalité cette société n’était qu’une technique d’organisation patrimoniale,
rien de plus, permettant au constituant de l’EURL de réaliser ce rêve de tous les
entrepreneurs de pouvoir dissocier deux patrimoines, l’un, professionnel, sur lequel il
devait répondre de ses dettes professionnelles, l’autre, privé, sur lequel il répondait de
68 C. KUHN, Des patrimoines et des hommes, Droit et Patrimoine, 2012, n°211, p.33. 69 Loi n° 85-‐697 du 11 juillet 1985 relative à l'entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée et à l'exploitation agricole à responsabilité limitée 70 Entreprise Unipersonnelle à Responsabilité Limitée, SARL à associé unique, à laquelle le législateur adjoint L’EARL, Exploitation Agricole à Responsabilité Limitée.
23
ses autres engagements. »71. Aussi un tel statut constitue le fruit d’un compromis. Le
législateur de 1985 aurait choisi de préserver le dogme de l’unité, refusant à
l’entrepreneur individuel ce qu’il lui concède aujourd’hui à travers le statut d’EIRL72 et
préférant ainsi sacrifier la définition classique de la société pluripersonnelle afin de
limiter les risques de l’entreprise d’un seul homme73.
33 Tous ces éléments, qu’il s’agisse de la tendance naturelle à contourner l’affectation
générale, ou de l’organisation patrimoniale par le biais du droit des sociétés, tendent à
tenir en échec l’effectivité du droit de gage général, sans pour autant contredire la
conception unitaire française du patrimoine. Il s’agit pourtant de souligner que le
législateur, malgré son attachement apparent à la théorie subjective, a de longue date
ouvert de larges brèches dans l’unité patrimoniale, participant à l’infléchissement du
droit de gage général.
71 F. –X. LUCAS, Défense et illustration de l’EURL, Droit et patrimoine, 2010, n°191, p. 67. 72 infra, n°63 suiv. 73 Dans un tel schéma l’unité patrimoniale n’est sauve qu’en apparence : le but poursuivi (diviser l’assiette du droit de gage général) étant en totale contradiction avec celle-‐ci, son apparence est préservée au prix d’un artifice juridique (la création d’une personne morale), mais son sens est largement mis à mal.
24
Titre II – Concessions « classiques » à la théorie subjective, sources d’aménagements du droit de gage général :
Les exceptions au principe d’unité du patrimoine étant éparses, on pourrait
distinguer d’une part les aménagements à la théorie subjective propres au droit civil
(Section 1) et d’autre part la constitution de fonds au service de l’affectation
patrimoniale (Section 2)
Section 1 – Les entorses du droit civil à l’unité du patrimoine : En évitant une confusion naturelle d’actifs par le jeux de la transmission
successorale (§1) et en permettant l’acquisition ou la capitalisation d’actifs tenus à
l’écart du patrimoine (§2), le droit des successions et les mécanismes de l’assurance vie
et de la tontine, permettent un aménagement substantiel du droit de gage général.
§ 1 – Le droit des successions, source classique d’exceptions à l’unité du
patrimoine et aménagement du droit de gage général.
34 Le droit des successions constitue la source des exceptions les plus
fréquemment présentées par la doctrine au principe d’unité patrimoniale. Il s’agit de
rappeler que si le patrimoine, considéré comme universalité de droits, ne peut être
aliéné en vifs, il se transmet à cause de mort lorsque cesse d’exister la personnalité
juridique. En ce sens, les professeurs TERRE et SIMLER 74 présentent les trois
caractéristiques du patrimoine systématisées par AUBRY et RAU en y insérant la
proposition suivante : « Le patrimoine reste lié à la personne aussi longtemps que dure
la personnalité. Il est donc intransmissible entre vifs. » Ainsi distinguent-‐ils la cession de
tout l’actif composant le patrimoine qui peut intervenir entre vifs, de la transmission du
patrimoine dans son ensemble à cause de mort, comprenant tant l’actif que le passif et
opérée par une fusion des patrimoines du de cujus et de l’ayant cause.
74 F. TERRE, P. SIMLER, Droit civil, Les biens, Précis Dalloz, 2006, 7e éd., p.24, n°18.
25
35 Cette transmission est par principe conforme à l’esprit de la théorie subjective :
Opérant un transfert de propriété de plein droit selon la lettre de l’Art. 724 C. civ., les
héritiers restent à la tête d’un patrimoine unique, celui du de cujus qui se fond dans le
leur.75 Le code civil consacre néanmoins une liberté de choix à l’ayant cause, de
poursuivre ou non la personne du défunt sur le plan patrimonial et L’Art. 768 C. civ.
organise en ce sens une « Option » : L’héritier peut accepter purement et simplement la
succession, renoncer à celle-‐ci, ou l’accepter à concurrence de l’actif net.
Alors qu’AUBRY et RAU admettaient eux-‐mêmes que certaines universalités se
distinguent du patrimoine76, force est de constater que l’ayant cause, lorsqu’il opte dans
le sens de l’acceptation, peut finalement se retrouver à la tête de deux patrimoines.
36 Aussi l’option, même exercée dans le sens d’une acceptation pure et simple, peut
entrainer l’affectation de certaines dettes à un actif déterminé par un « privilège de
séparation des patrimoines. »
Par principe, l’acceptation pure et simple de la succession entraine la confusion totale
des patrimoines de l’acceptant et du de cujus, en consolidant la transmission réalisée par
le décès. Une telle confusion implique naturellement que l’acceptant soit indéfiniment
tenu aux dettes dépendant de la succession et on retrouve sans surprise un tel principe à
l’Art. 785 C. civ. L’ensemble des créanciers, qu’il s’agisse de ceux du défunt ou de ceux de
l’ayant cause, n’auront alors qu’une seul masse d’actifs sur laquelle exercer leurs droits.
Outre le respect de l’unité patrimoniale, le droit de gage général des créanciers est aussi
servi par un tel mécanisme.
Néanmoins, selon la composition de l’hérédité qui n’est pas forcément faite que d’actifs,
ou selon celle du patrimoine personnel de l’ayant cause, pouvant lui aussi présenter un
passif excédentaire, ces créanciers ne trouveront pas forcément d’intérêt à une telle
confusion, qui risquerait de diminuer l’assiette de leur gage. Ainsi le droit des
successions organise-‐t-‐il en leur faveur, la possibilité d’être préférés pour le paiement de
leur créance, sur l’actif sur lequel ils auraient naturellement tenté d’obtenir paiement.
L’Art. 878 C. civ prévoit alors que les créanciers du défunt et ceux de l’héritier pourront
demander la séparation des patrimoines. Cette séparation entraine un cloisonnement
75 H. CAPITANT, Cours élémentaire de droit civil français, 1947, p.111. 76 Op. cit. AUBRY et RAU, p.234.
26
entre les biens de la succession et les biens propres de l’acceptant, qui se retrouve au
moins le temps de l’apurement du passif successoral à la tête de deux patrimoines.
37 Contrairement à la lettre de l’Art. 2284 C. civ, qui veut que l’ensemble des biens tant
présents que futurs du débiteur répondent de ses dettes, on assiste ici à une affectation
certaine d’une catégorie de dettes à une catégorie d’actifs. En effet, la séparation des
patrimoines lorsqu’elle est demandée par les créanciers du défunt, permet à ces
derniers d’être préférés sur les actifs composant l’hérédité, par rapport aux créanciers
personnels de l’héritier. Réciproquement, ces derniers pourront demander à être
préférés sur ses biens personnels. Ainsi le privilège de séparation des patrimoines,
n’offrira aux créanciers du défunt pour seul gage, que l’actif successoral à concurrence
du montant de leur créance et aux créanciers personnels de l’héritier, que le seul
patrimoine propre de ce dernier tel qu’il était composé avant l’ouverture de la
succession. En ce sens, user du privilège de séparation des patrimoines reviendrait à
restreindre l’espoir des créanciers de voir évoluer la consistance du patrimoine de leur
débiteur, alors même que cette idée ressort de l’Art. 2284 C. civ77.
Les créanciers de l’héritier perdraient ainsi une possibilité d’exercer leur gage sur un
« bien futur » composant l’hérédité, la réciproque étant vraie pour les créanciers du
défunt. (Ces derniers peuvent eux aussi trouver un avantage à exercer leur droit sur le
patrimoine de l’ayant cause augmenté de l’hérédité.)
Aussi, un tel mécanisme peut laisser à penser que chaque masse de créanciers
conserverait une sorte de contrôle sur l’assiette de son gage.
38 Nonobstant ce constat, c’est la dernière branche de l’option qui présente les effets les
plus significatifs. Le bénéfice d’inventaire, désormais dénommé « acceptation à
concurrence de l’actif net78 » est largement consacré par la doctrine79 comme une
entorse à l’unité du patrimoine. Cette option permet à l’héritier une gestion du risque
dans l’acceptation de la succession et ce en limitant son obligation aux dettes à hauteur
de l’actif composant l’hérédité. En optant de la sorte, l’héritier obtient lui même la 77 En ce sens, voir : supra, n° 3. 78 Terminologie en vigueur jusqu’à la Loi n° 2006-‐728 du 23 juin 2006 portant réforme des successions et des libéralités, qui en modifie en outre le régime sans pour autant changer le principe. 79 V. en ce sens, F. TERRE, P. SIMLER, Droit civil -‐ Les biens, Précis Dalloz, 2006, 7e éd., p.25. G. CORNU, Droit civil -‐ Les biens, Domat, 2007, 13e éd., p. 13.
27
séparation du patrimoine du défunt de son patrimoine propre80. Il refuse ainsi en amont,
de prendre le risque que les créanciers du de cujus tentent de recouvrer leurs créances
sur ses biens propres. Là encore, le droit des successions contredit la théorie subjective,
l’héritier se trouvant à nouveau à la tête de deux patrimoines. Pour autant, c’est
l’incidence pratique de l’option sur l’exercice du droit de gage général qu’il s’agit de
mettre en lumière.
39 Afin de mettre en œuvre le principe de l’Art. 791 3° C. civ, qui prévoit que l’héritier ne
sera « tenu au paiement des dettes de la succession que jusqu’à concurrence de la valeur
des biens qu’il a recueillis. », les Art. 792 à 792-‐2 C. civ., organisent un véritable
traitement collectif des créances de la succession :
D’une part ; les créanciers de la succession qui espèrent être payés, devront déclarer
leur créance dans un délai prévu par les textes (La sanction de cette obligation pour des
créances chirographaire étant la déchéance pure et simple).
D’autre part ; la déclaration d’acceptation à concurrence de l’actif net, dès sa publication,
arrête ou interdit toute voie d’exécution ou inscription de sûreté sur les meubles ou
immeubles de la succession par lesdits créanciers.
Alors qu’en cas d’acceptation pure et simple, sans recours à la séparation des
patrimoines, le droit de gage de tous les créanciers s’exerce sur une masse unique de
biens, une sorte de procédure collective s’ouvre ici à l’encontre de l’actif successoral, afin
de ne désintéresser que certains créanciers. L’exercice du droit de gage général est alors
bouleversé et le principe d’égalité des créanciers propre aux procédures collectives est
préféré à la « logique égoïste des voies d’exécution »81. Aussi, en cas d’acceptation à
concurrence de l’actif net, la masse de créanciers du défunt n’aura d’autre choix que la
passivité, s’en remettant à la bonne volonté du successeur ou d’un mandataire dans
l’apurement du passif successoral.
40 Au total, le droit des successions qui offre l’opportunité de déroger à l’unité du
patrimoine, porte directement atteinte à l’effectivité du droit de gage général. En effet,
80 Art. 791 C . civ. 81 P. DELMOTTE, L’égalité des créanciers dans les procédures collectives, Rapport annuel de la cour de cassation, 2e partie, Etudes sur le thème de l', 2003 ; En effet, les procédures civiles d’exécution offrent l’opportunité au créancier de rompre l’égalité au profit d’une forme de concurrence, voir supra, n° 4.
28
en permettant aux créanciers et à l’ayant cause d’éviter la confusion des patrimoines, les
dispositions susvisées font clairement échec à l’Art. 2284 C. civ., en ce qu’il comprend les
biens futurs du débiteur dans l’assiette du gage général de ses créanciers. Plus encore,
l’acceptation à concurrence de l’actif net semble procéder d’une logique d’affectation,
inconciliable avec un exercice du droit de gage général conforme à la théorie subjective.
Aussi, on constate que cette concession classique à l’unité du patrimoine, constitue une
réponse ponctuelle et opportune aux risques que peut engendrer l’affectation générale.
Il s’agit à présent de noter que d’autres mécanismes juridiques, tolérés dans la
conception unitaire du patrimoine, permettent de tenir certains actifs à l’écart du droit
de gage général des créanciers.
§ 2 – La tontine et l’assurance vie au service d’une limitation du gage général
des créanciers.
41 Alors que l’ingénierie patrimoniale s’épanouie largement en droit des
successions, nous constatons que la mort constitue de façon plus générale, la source de
spéculations tendant à limiter l’assiette du gage général. S’il est en effet une certitude
dans la vie d’un homme, c’est bien la mort, dont l’aléa principal réside dans sa date de
survenance. Ainsi, l’aléa résultant de la survie ou du décès peut-‐il s’assurer et ces deux
évènements constituer les conditions82 d’un contrat. De tels paris sur la vie sont mis en
œuvre par deux instruments, l’assurance vie83 et la clause de tontine84, dont nous nous
efforcerons de caractériser l’atteinte qu’ils portent au droit de gage général. Ces
mécanismes permettraient à toute personne de tenir des actifs à l’écart de son
patrimoine, en ce sens qu’ils échapperaient au gage général de ses créanciers.
82 La condition d’un contrat doit s’entendre au sens des Art. 1168 suiv. C. civ., et peut constituer notamment en une condition « suspensive » ou « résolutoire », visées par les Art. 1181 et 1183 C. civ. 83 « L’assurance vie » désigne dans le langage courant et parfois même dans le langage juridique, de façon certes impropre mais relativement commode, une multitude de contrats d’assurances de personnes, qu’il convient mieux de regrouper sous l’appellation « assurance sur la vie ». 84 Notons que l’idée de traiter ensemble la tontine et l’assurance vie, résulte du fait que les deux notions se conjuguent assez bien, leur source historique commune pouvant l’expliquer.
29
42 Rappelons que la tontine, avant de devenir un « pacte », constitue l’opération par
laquelle un groupe de personnes alimente un fond commun, capitalisé durant un temps
fixé et dont le solde est ensuite distribué à l’échéance entre tous les souscripteurs
survivants85. La tontine serait tout à la fois l’ébauche de l’assurance vie et l’ancêtre du
pacte tontinier86, tous deux inévitablement fondés sur un certain votum mortis.
43 Concernant la clause d’accroissement, bien qu’elle ne soit prévue par aucun code87,
elle constitue une pratique largement entérinée par la jurisprudence. Elle consiste en un
pacte, conclu entre les coacquéreurs d’un bien et inséré à l’acte d’achat au jour de sa
conclusion. La clause prévoit que le dernier survivant d’entre eux, sera considéré comme
le seul propriétaire du bien depuis sa date d’acquisition. Le mécanisme repose donc sur
deux conditions rétroactives assortissant le contrat : une condition suspensive de survie
de l’un des coacquéreurs et une condition résolutoire de prédécès des autres. Toute
l’originalité et l’intérêt de cette clause résident dans le régime auquel le bien est soumis
entre la date de son acquisition et la date de réalisation des conditions. On peut noter
que la doctrine réfute toute idée d’indivision88 entre les coacquéreurs, qui jouissent
simplement de droits concurrents sur le bien. En ce sens, un auteur rapporte que le
pacte tontinier ferait naître « une sorte de droit de propriété en suspension »89.
Ainsi, la cour de cassation tire plusieurs conséquences de la clause d’accroissement90 :
les acquéreurs d’un bien en tontine, ne sont pas titulaires d’un droit privatif de propriété
sur tout ou partie du bien avant la réalisation des conditions susvisées. Le bien avant la
réalisation des conditions, ne peut donc être saisi par les créanciers personnels des
tontiniers, leur droit de gage général ne pouvant s’exercer que sur les biens dont leur
85 Lexique des termes juridiques, Dalloz, 2012, 19e éd., p. 853 ; Cette pratique est issue de l’idée d’un banquier italien du XVIIe siècle, L. TONTI, qui proposa un tel mécanisme à destination des emprunts d’Etat. 86 Le pacte tontinier est aussi indifféremment désigné par les termes « clause d’accroissement » et « clause de tontine ». 87 Le Code Général des Impôts livre néanmoins une définition assez précise de cette clause, pour les besoins de l’encadrement qu’il apporte à son usage : Art. 754 CGI. 88 J. PATARIN, Clause d’accroissement : statut des biens acquis, avant le décès de l’acquéreur prémourant et nullité de la clause convenue postérieurement à l’acquisition, RTD. civ, 1998, p 432. 89 G. HUBLOT, La libéralisation de la tontine ? (figures en matière d’assurance-‐vie et d’acquisition immobilière, Droit et patrimoine, 2008, n° 176, p. 38. 90 Notamment, Civ. 1ère 18 novembre 1997, n°95-‐20.842 : La cour rejette le pourvoi d’un créancier, contre un arrêt d’appel qui avait annulé le commandement de payer valant saisie-‐immobilière, au motif qu’il avait été délivré à une date ou la condition de survie n’était pas réalisée, peu important le caractère d’ordre public du droit de gage général.
30
débiteur à la propriété. Aussi faut-‐il en déduire que tout bien acquis sous le jeu de cette
double condition, serait de facto insaisissable, faute de propriétaire actuel (la qualité de
propriétaire de chacun des acquéreurs n’étant que conditionnelle).
44 L’assurance vie quant à elle, se définie comme le « contrat par lequel l’assureur
s’engage envers le souscripteur, moyennant une prime, à verser une somme déterminée
au bénéficiaire désigné, l’exécution de son obligation dépendant de la durée de vie de
l’assuré. »91 Ce procédé semble bien relever du même « jeu à la mort »92 que la tontine et
sa descendante, la clause d’accroissement, l’économie du contrat étant basée sur la
durée de vie de l’assuré qui en constitue le risque.
L’assurance vie est cependant multiple93 et nous retiendrons, dans le cas fréquent ou le
souscripteur est également l’assuré, qu’elle permet le versement par l’assureur d’un
capital ou d’une rente au souscripteur lui même s’il survit à une date fixée, ou à tout
bénéficiaire désigné au contrat, en cas de décès94.
Aussi, un tel contrat ne pourra se dénouer que de la volonté de son souscripteur, qui
avant acceptation d’un bénéficiaire désigné au contrat, dispose seul de la faculté de
rachat95, ou à défaut, par la réalisation de l’un des risques couverts (survie ou décès dans
le cas d’un contrat mixte, comme dans l’hypothèse retenue plus haut.) Le code des
assurances prévoit ainsi à l’Art. L132-‐14, que « Le capital ou la rente garantis au profit
d’un bénéficiaire déterminé ne peuvent être réclamés par les créanciers du
contractant. » La cour de cassation fait en outre une stricte application de ces
dispositions au détriment du droit de gage général. La première chambre civile au terme
d’un arrêt de rejet, livre en effet un attendu de principe très clair96, selon lequel aucun
91 Y. LAMBERT-‐FAIVRE, L. LEVENEUR, Droit des assurances, Dalloz, 2011, 13e éd., §888. 92 M. COZIAN, La clause de tontine, Droit et patrimoine, 1994, n°20, p.22. 93 On dénombre une multitude de contrats relevant des « assurances sur la vie » : assurance vie, assurance décès, assurances mixtes, ces dernières se déclinant à nouveaux en plusieurs variétés de contrats. 94 Un tel schéma semble entrer dans le cadre des « assurances à capital différé avec contre-‐assurance ». 95 Le rachat est un droit strictement personnel de l’assuré-‐souscripteur : Art. L132-‐9 I al. 2 C. assur. -‐ Civ. 2e 5 juin 2008, n°07-‐14.077, « la faculté de rachat d'un contrat d'assurance vie est un droit personnel du souscripteur qui ne peut être exercé par son mandataire qu'en vertu d'un mandat spécial prévoyant expressément cette faculté. » -‐ Le fait que ce droit soit rattaché à la personne du souscripteur, empêche ses créanciers de provoquer le rachat par la voie de l’action oblique (Art. 1166 C. civ.) 96 Civ. 1ère 28 avril 1998, n°96-‐10.333.
31
créancier du souscripteur ne peut saisir entre les mains de l’assureur, des sommes qui
ne lui sont pas encore dues, dans la mesure ou le contrat ne serait pas dénoué.
La cour de cassation rejette ainsi le pourvoi d’un receveur principal des impôts, qui
entendait saisir par avis à tiers détenteur signifié entre les mains d’un assureur, les
sommes desquelles il pourrait être redevable au souscripteur d’un contrat d’assurance
vie. Si l’argumentation du saisissant se fondait sur le plein exercice de son droit de gage
général, en vertu duquel tous les biens de son débiteur pouvaient être appréhendés, peu
important leur caractère conditionnel ou à terme, il faut en déduire que tout
souscripteur d’un contrat d’assurance-‐vie pourrait ainsi tenir des actifs à l’écart de son
patrimoine personnel, échappant par conséquent au gage général de ses créanciers.
45 Au total, la clause de tontine comme le contrat d’assurance vie, constituent de
véritables outils de gestion du patrimoine. Elles permettent à leurs souscripteurs
d’acquérir ou de capitaliser des actifs insaisissables, alors même que les voies
d’exécution s’opposent à toute insaisissabilité qui ne serait pas textuellement prévue.
Ces deux mécanismes consacrés par les textes et la jurisprudences, contredisent donc la
logique unitaire du patrimoine, en permettant de tenir à l’écart de celui-‐ci certains actifs.
En tenant en échec les créanciers dans l’exercice de leur droit de gage général le temps
d’une vie, elles constituent de redoutables instruments à l’encontre de l’affectation
générale prévue par les Art. 2284 et 2285 C. civ. Pour autant, le droit civil ne constitue
pas l’unique branche du droit à autoriser des concessions à l’unité patrimoniale. Il s’agit
dès lors de mettre en lumière certaines dispositions du droit maritime et du droit
bancaire, propres à mettre à mal l’effectivité du droit de gage général à travers la
constitution de « fonds ».
32
Section 2 – Les entorses à l’unité du patrimoine par constitution d’un « fonds » :
Au titre des concessions classiques à la théorie subjective, la constitution de
fonds permet également d’envisager des universalités de droit distinctes du patrimoine,
qu’il s’agisse d’alimenter un fonds au delà duquel certains créanciers ne pourront plus
exercer leurs droits (§1) ou de souscrire les parts d’un fonds représentant des actifs qui
seront tenus à l’écart du patrimoine du souscripteur (§2).
§ 1 – La fortune de mer, affectation patrimoniale classique concédée à
l’armateur :
46 « L’exploitation d’un navire ne peut être bien comprise que si on a sans cesse
dans l’esprit cette idée que le propriétaire du navire n’est pas un débiteur comme les
autres. »97 Au titre des « universalités se détachant plus ou moins de la notion classique
de patrimoine98 », il s’agit alors de dire quelques mots de la « fortune de mer »,
institution permettant au propriétaire d’un navire, de limiter les risques liés à la
navigation. Un simple rappel sémantique permet en partie de mesurer toute l’ampleur
de cette institution. La fortune en effet, au delà des richesses amassées, s’interprète
avant tout comme le « sort »99 ; c’est à dire comme tout ce qui peut arriver de bon ou de
mauvais à quelqu’un. Aussi faut il retenir comme sens premier à la fortune de mer : tout
événement qui pourrait survenir lors d’un voyage en mer, « Tout risque de mer
fortuit100 » qui causerait des dommages au navire ou à sa cargaison. On constate que
l’expression est tout à fait évocatrice, puisque la fortune de mer désigne en outre un
fonds, constitué par un armateur à destination de certains créanciers et propre à limiter
sa responsabilité pour des dommages en rapport avec la navigation. Ce fonds
constituant une fortune de mer par opposition à sa fortune de terre. Il semblait en effet
intéressant de souligner la richesse de ce terme, qui désigne tout à la fois : l’événement à
la source d’une affectation patrimoniale et la masse d’actifs affectés elle-‐même.
97 G. RIPERT, Droit maritime, Rousseau, 4e éd., 1950, t.2, § 1228. 98 Op. cit., P. TERRE, F. SIMLER, § 19. 99 Le mot « fortune » vient en effet du latin fors, qui signifie : hasard, sort. 100 Dalloz, Lexique des termes juridiques, 16e éd., p.317.
33
Aussi, afin de tirer les conséquences de cette institution sur le droit de gage général, il
s’agit donc de présenter brièvement ses sources et son fonctionnement.
47 Une telle limitation de responsabilité repose à l’origine sur la propriété du navire, qui
constitue comme nous le soulignions plus haut un bien de grande valeur, en outre
soumis à des risques eux aussi importants101. Ainsi c’est l’armateur, qui représente toute
personne exploitant un navire qu’il en soit propriétaire ou non102 , qui voyait sa
responsabilité limitée par cette institution. Le régime de cette limitation de
responsabilité, aujourd’hui prévu par la Convention de Londres du 19 novembre 1976 et
en droit interne par le Code des Transports, aux articles L5121-‐1 et suivants103,
s’applique désormais à des « créances », afin de couvrir avec plus de réalisme un
ensemble plus large de personnes exposées aux mêmes risques104 . (Ainsi, même
l’assureur responsabilité civile maritime pourra profiter de ce régime, selon l’Art. L173-‐
24 C. assur.)
48 Ce régime aménagé de responsabilité est mis en œuvre par la constitution d’un
« fonds de limitation », demandé par requête au président du Tribunal de Commerce
compétent par celui qui entend s’en prévaloir105. La limitation ne pouvant s’opérer que
pour certaines créances, l’Art. L5121-‐3 C. trans. vise celles qui sont nées de
dommages produits à bord du navire, ou en relation directe avec la navigation ou
l’utilisation du navire. La Convention de Londres détermine en outre des plafonds de
responsabilité, selon les évènements et le tonnage du navire, qui permettront au
responsable d’alimenter le fonds à hauteur des limites retenues à sa responsabilité.
L’institution de la fortune de mer propose ainsi à celui qui deviendrait débiteur, du fait
des risques liés à la navigation, de limiter les conséquences financières de cet événement
et donc le montant de sa dette, à travers la constitution d’un fonds au delà duquel ses 101 I. CORBIER, Armateur, Rép. Com. Dalloz, 2002, § 8. 102 Loi n°69-‐8 du 3 janvier 1969, relative à l'armement et aux ventes maritimes, Art. 1er. 103 Ces dispositions remplacent celles de la Loi n°67-‐5 du 3 janvier 1967, relative au statut des navires et autres bâtiments de mer, abrogées par l’Ord. n°2010-‐1307 du 28 octobre 2010. 104 Seront notamment couverts : Le propriétaire, l’affréteur, l’armateur, le capitaine, les autres préposés nautiques et terrestres – Art. L5121-‐2 C. trans. 105 Selon l’Art. 60 du décret n°67-‐967 du 27 octobre 1967, relatif au statut des navires et autres bâtiments de mer, la requête énonce principalement l’événement au cours duquel les dommages sont survenus, les modalités de constitution du fonds et son montant maximum. Un état des créanciers connu du requérant et les pièces justifiant le calcul du montant du fonds sont annexés.
34
créanciers d’infortune ne pourraient plus recourir contre lui. On soulignera cependant
que le fonds de limitation ne crée pas une « responsabilité limitée objective ». L’article 4
de la Convention de Londres, exclut en effet le bénéfice d’un tel fonds en cas de « faute
inexcusable.»106 C’est ensuite par un véritable traitement collectif et judiciaire des
créances, qu’est apurée la dette du responsable sur ce fonds. Se succèdent en effet
déclaration, vérification et état des créances, conclus par une répartition des fonds
proportionnelle au montant de chacune107.
49 Ainsi, la fortune de mer revêt les caractéristiques du patrimoine d’affectation, la
constitution du fonds, représentant l’affectation d’un actif limité au paiement d’un passif
déterminé. Elle présente pour autant une originalité notable, en ce que la limitation du
risque intervient a postériori108. L’affectation patrimoniale tendant en général à « mettre
le patrimoine à l’abri des dettes futures ou virtuelles. »109, si cette institution correspond
en théorie à un patrimoine d’affectation, elle n’en partage pas en revanche les qualités
pratiques, qui procèdent de l’organisation patrimoniale.
50 En revanche, elle implique incontestablement des conséquences redoutables à
l’égard de l’effectivité du droit de gage général. Si cette institution constitue « un
dispositif permettant à la fois de limiter la responsabilité du propriétaire (ou de toute
autre personne désignée par l’Art. L5121-‐2 C. trans.) et de protéger le droit des
créanciers. »110, les droits de ces derniers n’en sont pas moins bouleversés dans leur
exercice. Ainsi, les créanciers du responsable, deviennent créanciers du fonds à compter
de sa constitution. Dès cet instant, ces derniers ne peuvent plus exercer aucun droit sur
les biens du responsable pour le règlement de créances auxquelles la limitation est
opposable111.
106 Art. 4 Conv. Londres 1976 : « (…) un fait ou une omission personnels commis avec l’intention de produire un tel dommage, ou commis témérairement et avec conscience qu’un dommage en résulterait probablement. ». 107 L’Art. L5121-‐10 C. assur. organise une procédure de répartition plus complexe, le fonds étant lui même divisé en parties, chacune affectée à une catégorie de créance, qu’il ne s’agit pas ici d’expliquer d’avantage, sauf à souligner qu’il existerait une affectation dans l’affectation. 108 Le fonds de limitation est en effet constitué après la réalisation du risque. 109 Op. cit., D. GRILLET-‐PONTON, § 2. 110 P. CATALA, La nature juridique des fonds de limitation, Mélanges Derrupé, GLN Joly-‐itec, 1991, p. 162. 111 Art. L5121-‐6 C. trans.
35
Ils subissent donc une limitation de leur gage général, qui ne peut dorénavant plus
s’exercer que sur les actifs du fonds. Plus encore, le bénéficiaire du fonds peut obtenir la
mainlevée de toute saisie sur ses biens à compter de sa constitution112.
Pour autant, cette affectation patrimoniale répondant à des situations exceptionnelles,
l’atteinte à l’effectivité du gage général des créanciers qui en résulte doit être vue
comme résiduelle. Aussi s’agit-‐il de s’intéresser à une institution plus répandue du droit
bancaire, que certains auteurs qualifient de patrimoine d’affectation et dont il s’agit
d’envisager les conséquences sur le droit de gage général.
§ 2 – La nature discutée du fonds commun de placement.
51 Faire obstacle au droit de gage général de ses créanciers ne consiste pas
toujours en un appauvrissement, une « dissipation ou (un) retranchement d’éléments
d’actifs »113, afin de « faire échec au recouvrement d’une créance certaine et liquide. »114
On a même souligné plus haut qu’un tel comportement, pouvait être caractérisé dans
l’acquisition ou la capitalisation d’actifs hors d’atteinte des créanciers. Aussi, d’aucuns
décideront d’allier l’utile à l’agréable, en confiant leurs actifs à un tiers chargé de les
faires fructifier. Ainsi pourrait on résumer l’objectif poursuivi par le souscripteur auprès
d’un fonds commun de placement, dont il s’agit plus précisément de retenir la définition
suivante : le fonds commun de placement, qui relève de la catégorie plus large des
organismes de placement collectifs en valeurs mobilières (OPCVM)115, constitue une
« copropriété de valeurs mobilières et de sommes d’argent placées à court terme ou à
vue. »116 Il est donc question d’une opération à trois têtes, par laquelle un porteur
souscrit des parts auprès d’un fonds commun, à charge pour une société commerciale
d’assurer la gestion de ce fonds, dont les actifs sont placés auprès d’une personne
morale dépositaire117 : Le fonds commun de placement constitue ainsi un « mode de
112 Art. L5121-‐9 C. trans. 113 Op. cit., D. GRILLET-‐PONTON, § 2. 114 Ibid. 115 Art. L214-‐4 CMF. 116 Lexique des termes juridiques, Dalloz, 16e éd., 2007, p. 311. 117 L214-‐24 CMF.
36
gestion indirecte de l’épargne »118. On peut enfin souligner qu’en tant que copropriété, le
fonds commun n’a pas la personnalité morale 119 et que les souscripteurs par
conséquent, exercent directement un droit réel de propriété sur les valeurs mobilières le
composant.
52 Aussi la doctrine va t-‐elle parfois jusqu’à qualifier le fonds commun de placement de
patrimoine d’affectation120. Or, s’il s’avérait qu’il constitue un patrimoine d’affectation
tel qu’on l’a définit dans nos propos introductifs, il faudrait alors en déduire que les
créanciers personnels d’un porteur, ne peuvent exercer aucun droit sur les actifs de ce
fonds, tenus à l’écart de son patrimoine. Aussi un tel placement, en permettant au
souscripteur de tenir des actifs à l’écart du gage général de ses créanciers, contredirait
par la même l’effectivité de ce droit. Il s’agit donc d’exposer brièvement par quel
raisonnement le professeur BONNEAU assimile ce mode de gestion de l’épargne à un
patrimoine d’affectation, afin de tirer toutes les conséquences d’un tel instrument sur
l’effectivité du droit de gage général.
53 Le fonds commun de placement présente en premier lieu une parfaite corrélation
entre son actif et le passif qui le grève. L’Art. L214-‐23 CMF dispose en ce sens que « Les
porteurs de parts ne sont tenus des dettes de la copropriété qu’à concurrence de l’actif
du fonds et proportionnellement à leur quote-‐part. » Ainsi les souscripteurs ne sont pas
tenus des dettes du fonds au-‐delà du montant de leurs parts. Or, l’actif du fonds étant
constitué de l’ensemble des parts souscrites, les dettes du fonds ne peuvent donc être
recouvrées au-‐delà de cet actif.
Le fonds commun de placement qui revêt ainsi les qualités d’une universalité juridique,
semble en outre présenter une certaine étanchéité. Aussi les créanciers personnels de
chaque protagoniste de l’opération121, ne peuvent exercer leurs droits sur les actifs du
fonds et réciproquement, les créanciers du fonds n’ont pas de recours à l’encontre des
118 T. BONNEAU, Les fonds communs de placement, les fonds communs de créance et le droit civil, RTD Civ., 1991, p.1, § 1. 119 Art. L214-‐20 CMF. 120 Op. cit., T. BONNEAU, § 45 suiv. 121 On peut les qualifier de « créanciers personnels » par opposition aux créanciers du fonds, dont la créance est née de la conservation ou de la gestion de celui-‐ci, conformément à la lettre de l’Art. L216-‐6.
37
protagonistes122. Une telle conséquence résulte de la lettre de l’Art. L214-‐6 CMF, selon
lequel les créanciers du fonds n’ont d’action que sur ses actifs, par opposition aux
« créanciers personnels », qui ne peuvent poursuivre le recouvrement de leurs créances
sur les actifs du fonds123.
Enfin s’agit-‐il de noter que les éléments du fonds, présentent une unité qui procède de la
fin commune à laquelle ils sont assignés. En effet, une telle proposition découle
inévitablement de l’objectif poursuivi par le fonds de placement : La conservation et la
gestion des valeurs mobilières composant le fonds dans l’intérêt commun des
souscripteurs qui participent à ses produits.
Au total, le fonds commun semble largement s’apparenter au patrimoine d’affectation.
La corrélation entre l’actif et le passif évoque inévitablement une universalité juridique
et son unité résulte de l’affectation commune des biens qui le composent et non de son
titulaire.
54 Pour autant, si cette apparence existe en théorie, on ne peut affirmer que les fonds
communs de placement présentent les intérêts pratiques du patrimoine d’affectation. Un
tel patrimoine en effet, conformément à la conception utilitariste que nous en retenons
jusqu’à présent, consiste principalement dans la limitation du risque qu’il offre à son
titulaire, au service de l’activité pour laquelle il le crée. Or, cette limitation du risque ne
peut procéder que d’une étanchéité entre son patrimoine personnel et son (ou ses)
patrimone(s) affecté(s). A contrario, dans le cas des fonds communs de placement, si les
actifs du fonds ne se fondent pas dans le patrimoine des souscripteurs, les parts qui les
représentent font quant à elles partie intégrante de leur patrimoine personnel. Ainsi,
alors que cet instrument juridique revêt toutes les caractéristiques d’un patrimoine
d’affectation, s’affranchissant de l’artifice d’une personne morale à la tête de ses actifs, il
ne s’émancipe pas de tous les inconvénients de la société. En effet, si les valeurs
composant le fonds ne constituent pas un actif saisissable pour les créanciers du
souscripteur, ces derniers, comme à l’encontre d’un associé, peuvent néanmoins exercer
leurs droits sur les parts qui les représentent et participent à l’assiette de leur gage
122 Les protagonistes constituent les trois acteurs de l’opération de placement : Les souscripteurs, le dépositaire et la société de gestion. 123 L’Art. L214-‐6 al. 2 vise en réalité expressément les « créanciers du dépositaire » et non les « créanciers personnels ». Il faut pour autant interpréter cette disposition comme s’appliquant à tous les « créanciers personnels », sous peine de retirer tout sens au premier alinéa.
38
général. Aussi les créanciers d’un souscripteur peuvent-‐ils choisir d’exercer leur droit de
gage général sur les parts d’un fonds commun de placement qu’il détient, par le biais
d’une saisie des valeurs mobilières. L’Art. L231-‐1 CPCE pose en effet le principe de la
saisie et de la vente des droits incorporels d’un débiteur et les Art. R232-‐1 suiv. CPCE
organisent les opérations de saisie.
55 Il s’agit cependant de nuancer cette critique quant à l’efficacité du fonds commun de
placement dans la limitation du gage général des créanciers du souscripteur.
Assurément, les valeurs mobilières ne constituent pas les actifs les plus prisés des
créanciers. Le professeur LEBORGNE souligne en ce sens que la procédure de saisie des
valeurs mobilières « demeure difficile à mettre en œuvre et pas toujours satisfaisante au
stade de la vente forcée. »124 Elle subit en effet les contraintes et la complexité de
diverses branches du droit, tel que le droit des instruments de paiement et crédit, le
droit bancaire ou encore le droit boursier, entrainant notamment une incertitude quant
à la valeur du bien saisi.
56 Au total, le fonds commun de placement aux vues de nos préoccupations, n’aurait
que les charmes du patrimoine d’affectation. S’il en présente en effet toutes les
caractéristiques juridiques, il ne faut pas y voir autre chose qu’un outil de placement de
l’épargne. Ainsi, l’atteinte qu’il porte à l’effectivité du droit de gage général semble n’être
qu’un « dommage collatéral » dans le but qu’il poursuit. Le fonds commun de placement
en ce sens, ne porterait atteinte au droit de gage général qu’en pratique et
indirectement, en remplaçant des actifs d’un patrimoine, par des biens moins attrayants
et aléatoires dans leur réalisation. Aussi cet instrument juridique, bien qu’il se dispense
du recours à une personne morale dans l’affectation de biens, ne présente pas pour
autant plus d’avantage que le classique recours à la société dans la gestion du
patrimoine.
124 Op. cit. A. LEBORGNE, § 1608.
39
En revanche, on peut s’interroger sur les vertus de l’EIRL et de la fiducie, qui créent
quant à elles l’unanimité quant à leur nature de patrimoine d’affectation. Plus
généralement, l’étude de ces deux dispositifs nous permettra de constater si la
consécration en droit français de la théorie des patrimoines d’affectation, constitue un
outil d’autant plus efficace que ceux déjà étudiés, tendant à un infléchissement
particulier de l’effectivité du droit de gage général.
40
Partie II – L’influence des patrimoines d’affectation sur l’effectivité du droit de gage général :
Il semble que le législateur ait finalement rompu avec le dogme de l’unité
patrimoniale, dotant le droit français de deux patrimoines d’affectation, l’un à
destination de la limitation du risque entrepreneurial (Titre 1) et l’autre à vocation
généraliste, procédant d’un transfert fiduciaire (Titre 2).
Titre 1 – Le statut d’EIRL, affectation patrimoniale concédée à l’entrepreneur individuel :
Le législateur grâce au statut d’EIRL, permet à l’entrepreneur de limiter le gage
de ses créanciers professionnels à un patrimoine d’affectation (Section 1). Pour autant,
la fragilité du cloisonnement réalisé entre les patrimoines de l’EIRL semble impliquer un
retour fréquent à l’affectation générale (Section 2).
Section 1 – Le gage des créanciers de l’entrepreneur individuel à responsabilité limitée : Bien que le législateur ait finalement consacré l’existence d’un véritable
patrimoine d’affectation à destination des entrepreneurs individuels (§2), le statut
d’EIRL, loin de constituer une réponse consensuelle et spontanée à la problématique du
risque entrepreneurial, procède d’une réflexion ancienne et constante, sur le moyen de
concilier effectivité du droit de gage général et exercice sécurisant de l’entreprise (§1).
§ 1 – Le pouvoir accordé à tout entrepreneur sur l’assiette du gage de ses
créanciers professionnels.
57 La question du gage des créanciers de l’EIRL doit être abordée au regard des
mécanismes antérieurs à sa consécration et permettant à l’entrepreneur de limiter
41
l’assiette du gage offert par lui à ses créanciers125. Il s’agira à ce titre de mettre en
lumière deux dispositifs toujours en vigueur et permettant à l’entrepreneur d’une part,
d’orienter ses créanciers professionnels dans leurs poursuites, d’autre part, de tenir
purement et simplement certains actifs à l’écart de l’exercice de leur droit de gage
général.
58 En ce sens, la loi du 11 février 1994126, ajoutant un article 22-‐1 à la loi du 9 juillet
1991127, désormais repris à l’Art. L161-‐1 CPCE, offre la possibilité à l’entrepreneur
individuel de diriger ses créanciers professionnels dans le recouvrement de leurs
créances. Aussi, l’entrepreneur individuel peut demander à tout créancier
professionnel, poursuivant le recouvrement d’une créance contractuelle née à l’occasion
de son activité, d’exercer en priorité ses droits sur les biens nécessaires à l’exploitation
de son entreprise. Un tel mécanisme procède du principe de subsidiarité décrit plus
haut128, le débiteur exerçant bien un pouvoir de suggestion à l’égard de son créancier.
L’intérêt de ce mécanisme pour l’entrepreneur réside uniquement dans la faculté qu’il
lui offre d’essayer de préserver ses biens personnels. 129 Aussi pourrait on conclure que
cette disposition, en contredisant le principe de saisissabilité indifférenciée, porte
directement atteinte à une parfaite application de l’Art. 2284 C. civ. Il s’agit néanmoins
de nuancer l’efficacité d’un tel dispositif. Cette subsidiarité ne concerne avant tout que le
débiteur entrepreneur individuel. Elle ne trouve ensuite à s’appliquer qu’aux « créances
contractuelles » nées de son activité130. Enfin et surtout, l’Art. L161-‐1 CPCE laisse au
créancier la liberté de s’opposer à la demande de son débiteur, s’il « établit que cette
proposition met en péril le recouvrement de sa créance. »131 Ainsi, si la liberté d’action
125 On distinguera le sort des « créanciers personnels » de l’entrepreneur (dont les droits sont étrangers à l’activité professionnelle de celui-‐ci) de celui de ses « créanciers professionnels » (dont les droits sont nés à l’occasion de l’exercice de l’activité professionnelle de l’entrepreneur.) 126 Loi n°94-‐126 du 11 février 1994, relative à l’initiative et à l’entreprise individuelle. 127 Loi n°91-‐650 du 9 juillet 1991, portant réforme des procédures civiles d’exécution. 128 En ce sens, voir : supra, n° 19 suiv. 129 En ce sens, Op. cit. A. LEBORGNE, § 481. 130 Ainsi, l’entrepreneur ne pourra bénéficier de cette subsidiarité lorsqu’il engagera sa responsabilité délictuelle dans le cadre de son activité professionnelle. Il semble au contraire qu’aucune disposition récente, qu’il s’agisse de la déclaration d’insaisissabilité ou de l’EIRL ne distingue entre la nature des créances de l’entrepreneur. Seuls les droits du créancier nés à l’occasion de l’exercice de l’activité professionnelle sont en effet visés. 131 On peut souligner le fait que l’Art. L161-‐1 CPCE, n’envisage la responsabilité du créancier qui refuse la proposition de son débiteur que dans le cas ou ce refus procède d’une « intention de nuire. » Ainsi, le débiteur qui voudra engager la responsabilité de son créancier ne pourra se
42
du créancier poursuivant est contrariée, le texte prévoit en revanche un retour à la
saisissabilité indifférenciée afin de garantir l’effectivité de son recouvrement. Le
professeur CROCQ conclut logiquement de cette protection qu’elle n’est efficace « que
dans la mesure où les biens professionnels sont suffisants pour satisfaire les créanciers
professionnels. »132
59 Aussi face à cette protection toute relative, procédant nécessairement d’une certaine
bonne fois et d’un volontarisme des parties en présence, le législateur a renforcé la
protection offerte à l’entrepreneur. Par la loi du 1er aout 2003133, complétée par une loi
du 4 aout 2008134, l’entrepreneur individuel s’est vu conférer un véritable pouvoir
créateur d’insaisissabilité dont il s’agit de tirer d’avantage de conséquences à l’égard du
droit de gage de tous ses créanciers. Les Art. L526-‐1 suiv. C. com. envisagent en effet la
possibilité pour l’entrepreneur individuel, de déclarer insaisissables l’immeuble ou est
fixée sa résidence principale et tout bien foncier bâtis ou non qu’il n’affecte pas à son
activité professionnelle. Cette déclaration reçue par notaire à peine de nullité fait l’objet
d’une double publication135, la rendant à compter de ce jour opposable à tout créancier
dont les droits naîtraient à l’occasion de L’activité professionnelle de l’entrepreneur.
60 Cette déclaration d’insaisissabilité porte à plusieurs titres une atteinte franche à
l’effectivité du gage général des créanciers de l’entrepreneur. En premier lieu, alors que
la lettre de l’Art. 2284 C. civ. implique que tout le patrimoine d’une personne répond de
l’ensemble de ses dettes, l’entrepreneur peut ici purement et simplement soustraire
certains de ses actifs à la poursuite de ses créanciers. Ainsi, certains ont pu voir un
contenter de rapporter la preuve d’une consistance suffisante des biens à lui proposés et devra en sus démontrer l’intention de nuire de son créancier. Il nous apparaît que ce cas de responsabilité ne coïncide pas parfaitement avec la disposition qu’il sanctionne, offrant d’autant plus de liberté au créancier professionnel au moment d’accepter ou non cette proposition tant qu’il ne commet pas un abus de droit. 132 P. CROCQ, Théorie du patrimoine et déclaration d’insaisissabilité, Revue Lamy Droit Civil, décembre 2010, n°77, p. 77, § 7. 133 Loi n° 2003-‐721 du 1er août 2003, pour l'initiative économique. 134 Loi n° 2008-‐776 du 4 août 2008, de modernisation de l'économie. 135 Art. L526-‐2 al 2 et 3 C. com : « Lorsque la personne est immatriculée dans un registre de publicité légale à caractère professionnel, la déclaration doit y être mentionnée. Lorsque la personne n'est pas tenue de s'immatriculer dans un registre de publicité légale, un extrait de la déclaration doit être publié dans un journal d'annonces légales du département dans lequel est exercée l'activité professionnelle (…) »
43
« véritable patrimoine d’affectation » 136 dans cette insaisissabilité volontaire. Pour
autant, ces biens immobiliers (ou plus généralement fonciers) qui font partie intégrante
de l’unique patrimoine de l’entrepreneur et donc de l’assiette du gage de tous ses
créanciers, ne peuvent être considérés comme formant une universalité juridique qui
s’en distingue137. Plus encore, ce dispositif d’insaisissabilité volontaire, en ce sens qu’il
n’est pas opposable à tous les créanciers de l’entrepreneur, procède d’un traitement
inégalitaire de ces derniers, contraire à l’esprit de l’Art. 2285 C. civ.138 En effet, les actifs
déclarés insaisissables demeurent le gage des créanciers personnels de l’entrepreneur,
ainsi que de ses créanciers professionnels dont les droits seraient nés avant la
publication de la déclaration.
Outre une discrimination entre créanciers personnels et professionnels, la disposition va
jusqu’à créer une inégalité de traitement dans une même catégorie de créanciers ;
certains créanciers professionnels bénéficiant d’une surface économique moindre en
garantie de leurs droits nés postérieurement à la déclaration139. Cette inégalité atteint
son paroxysme dans la lettre de l’Art. L526-‐3 al. 4. C. com. Cette disposition en
permettant au déclarant de renoncer au bénéfice de sa déclaration au profit de tout
créancier, pour tout ou partie de ses biens fonciers, multiplie les situations particulières
de chaque créancier. Au gré des renonciations consenties par le déclarant (souvent dans
l’optique d’obtenir du crédit), on assiste inévitablement à une évolution difficilement
perceptible de l’assiette du gage de chacun de ses créanciers sur son patrimoine.
61 Enfin, il s’agit de souligner que ce dispositif survit à l’ouverture d’une liquidation
judiciaire à l’encontre de l’entrepreneur. Ainsi, les créanciers à qui la déclaration est
opposable ne peuvent espérer voir leur situation modifiée au stade d’un traitement
136 Op. cit. A. LEBORGNE, § 606. 137 Si ces actifs répondent bien d’un passif déterminé (les dettes personnelles de l’entrepreneur ou ses dettes professionnelles nées avant la déclaration), ils restent en revanche inévitablement confondus dans le patrimoine de leur propriétaire, ne pouvant former une universalité autonome qui s’en distingue. Aussi, même s’ils participent à l’idée d’une limitation du risque des affaires, on ne peut y voir une véritable « affectation » en ce sens qu’ils continuent à répondre de dettes qui ne sont pas toutes nées de la poursuite d’un but commun. 138 En ce sens, voir : supra, n° 4. 139 Cette schizophrénie pourrait être poussée plus loin selon une lecture stricte de l’Art. L526-‐1 C. com. : QUID du créancier professionnel qui voudrait poursuivre le recouvrement de plusieurs créances, l’une antérieure et l’autre postérieure à la déclaration d’insaisissabilité. On peut s’interroger sur le point de savoir s’il serait contraint d’engager plusieurs procédures s’il entendait saisir l’immeuble de son débiteur en vertu de sa première créance.
44
collectif du passif de l’entrepreneur. Si certains auteurs considéraient auparavant que la
déclaration d’insaisissabilité n’est pas opposable au liquidateur, dès lors qu’elle n’est pas
opposable à certains créanciers parties à la procédure collective140, la Cour de Cassation
en décide aujourd’hui autrement. La Chambre Commerciale dans un arrêt du 13 mars
2012141, précise que l’immeuble régulièrement déclaré insaisissable en vertu de l’Art.
L526-‐1 C. com. n’est pas « incorporé dans le périmètre de la saisie des biens appartenant
au débiteur » et que le liquidateur judiciaire qui représente l’ensemble des créanciers,
ne peut réaliser un actif pour lequel certains d’entre eux seulement pourront participer
à la distribution.
62 Si ce dernier mécanisme peu respectueux de l’affectation générale témoigne d’une
grande efficacité dans la limitation du risque entrepreneurial, notamment au regard du
droit des entreprises en difficulté, le législateur a pour autant entendu aller plus loin,
consacrant un véritable patrimoine d’affectation professionnel.
§ 2 – La consécration assumée d’un patrimoine d’affectation professionnel.
63 Le statut d’EIRL issu de la loi du 15 juin 2010142, semble comme nous
l’annoncions, constituer « la dernière couche d’un millefeuille législatif destiné à
protéger l’entrepreneur individuel (…) »143. On trouve les motivations ayant présidé le
choix d’un patrimoine d’affectation comme réplique à cette préoccupation dans l’étude
d’impact qui accompagne le projet de loi relatif à l’EIRL144. Aussi, afin de tirer les
conclusions de ce patrimoine d’affectation quant à la réponse qu’il apporte à la
limitation du gage offert par l’entrepreneur à ses créanciers, il s’agit d’en présenter tant
les motifs que le fonctionnement.
140 F. PEROCHON, R. BONHOMME, Entreprises en difficulté, instruments de crédit et de paiement, LGDJ, 7e éd., 2009, § 423. 141 Com. 13 mars 2012, n°10-‐27.087 : Le liquidateur judiciaire soutenait en l’espèce qu’il pouvait seul réaliser l’actif immobilier du déclarant, dès lors qu’en tant que représentant des créanciers parties à la procédure collective, la déclaration n’était pas opposable à certains d’entre eux. 142 Loi n°2010-‐658 du 15 juin 2010 relative à l’entrepreneur individuel à responsabilité limitée. 143 P. THERY, Le patrimoine professionnel d’affectation (premières analyses de l’EIRL), Droit et patrimoine, avril 2010, n°191, p. 85. 144 Projet de loi relatif à l’entrepreneur individuel à responsabilité limitée (EIRL), Etude d’impact, janvier 2010.
45
64 Le législateur afin de légitimer aujourd’hui ce qu’il avait refusé en 1985145, part du
constat de l’insuffisance des dispositifs déjà existants en faveur de l’entrepreneur
individuel. Ainsi sont notamment pointées du doigt les limites de l’EURL et de la
déclaration d’insaisissabilité. Bien que nous ayons décrit l’EURL comme un ersatz de
patrimoine d’affectation, prémices d’une EIRL à qui l’on refusait la dispense d’un
recours à l’écran de la personnalité morale de peur de contredire l’unité du patrimoine,
on constate presque trente ans après sa création qu’elle ne correspondrait pas à la
psychologie et à la culture de l’entrepreneur individuel146. Outre la complexité de
fonctionnement de l’EURL qui est également stigmatisée, c’est la déclaration
d’insaisissabilité qui semble essuyer le plus de reproches147.
En ce sens, l’insuffisance de la déclaration d’insaisissabilité résiderait dans le fait qu’elle
ignore le patrimoine mobilier de l’entrepreneur, qui reste le gage de ses créanciers
professionnels et que ce patrimoine immobilier constitue de toute façon la garantie
courante des dispensateurs de crédit, réduisant ainsi la portée de la déclaration. Enfin,
qu’une extension du champ d’application de la déclaration à d’autres biens créerait une
dissymétrie entre les droits des créanciers personnels et professionnels de
l’entrepreneur. Aussi le législateur conclut-‐il que seul un patrimoine d’affectation, en ce
qu’il permet de distinguer l’actif et le passif personnel de l’actif et du passif
professionnel et qu’il présente une étanchéité des deux masses, permet de répondre tant
aux attentes de l’entrepreneur individuel qu’aux intérêts de ses créanciers148.
65 Ainsi, notons que le statut d’EIRL qui consiste dans l’instauration d’un patrimoine
professionnel d’affectation, procède, constat pris de « l’échec » de la déclaration
d’insaisissabilité ; d’une « déclaration de saisissabilité »149. Le Code de Commerce qui
organise le statut de l’EIRL aux articles L526-‐6 suiv. et R526-‐3 suiv. prévoit en ce sens
que « Tout entrepreneur individuel peut affecter à son activité professionnelle un
145 Le législateur au moment de consacrer l’EURL par la loi n°87-‐697 du 11 juillet 1985, s’interrogeait déjà sur l’opportunité de consacrer un patrimoine d’affectation professionnel, tel qu’il était présenté par le rapport CHAMPAUD commandé par la chancellerie. 146 Op. cit., Projet de loi relatif à l’entrepreneur individuel à responsabilité limitée, p. 4, § 1.2.1. 147 Op. cit., Projet de loi relatif à l’entrepreneur individuel à responsabilité limitée, P.5, § 1.2.2 suiv. 148 Op. cit., Projet de loi relatif à l’entrepreneur individuel à responsabilité limitée, p. 8, § 3.2 suiv. 149 H. LETELLIER, Les avantages de l’EIRL, Droit et patrimoine, avril 2010, n°191, p. 77.
46
patrimoine séparé de son patrimoine personnel, sans création d’une personne
morale. »150 L’entrepreneur doit donc déclarer l’ensemble des biens qu’il entend affecter
à l’assiette du gage de ses créanciers professionnels, afin qu’ils forment une universalité
juridique distincte de son patrimoine personnel, constituant l’assiette du gage de ses
créanciers personnels (ou presque !). Le patrimoine affecté constitue ainsi le seul gage
des créanciers professionnels et le patrimoine personnel ne répond quant à lui que des
dettes personnelles. C’est la déclaration qui fait naitre cette universalité de droit à
compter de sa publication à un registre de publicité légale défini151. L’entrepreneur doit
y faire figurer tous ses biens, droits, obligations ou sûretés nécessaires à l’exercice de
son activité professionnelle et peut y ajouter tous ceux qu’il entend utiliser 152 ,
l’ensemble devant être détaillé dans un état descriptif précis.153 Enfin, l’Art. L526-‐12 C.
com. précise l’opposabilité d’une telle affectation aux créanciers de l’entrepreneur : « La
déclaration (est) (…) opposable de plein droit aux créanciers dont les droits son nés
postérieurement à son dépôt. » L’opposabilité peut néanmoins s’étendre aux créanciers
dont les droits sont nés antérieurement, à condition que l’entrepreneur le mentionne
dans sa déclaration et qu’il avertisse individuellement ces derniers qui peuvent former
opposition154. Aussi plusieurs conclusions peuvent-‐elles être tirées d’un tel dispositif.
66 Même si le patrimoine d’affectation s’apparente à une « déclaration de
saisissabilité », il procède pour autant d’une division de l’assiette du gage des créanciers
de son titulaire, visant à limiter celui-‐ci à des actifs déterminés et limités. En ce sens,
bien qu’une affectation générale règne au sein de chaque universalité juridique, à la tête
desquelles se trouve un unique titulaire, ses créanciers n’exerceront les prérogatives
qu’ils tiennent de l’Art. 2284 C. civ que sur une fraction de ses biens et non sur « tous ses
biens mobiliers et immobiliers, présents et à venir. » L’exercice de ces prérogatives est
d’autant plus limité depuis le 1er janvier 2013, que l’EIRL a la possibilité de disposer
150 Art. L526-‐6 C. com. 151 Art. L526-‐7 C. com. 152 Art. L526-‐6 C. com. 153 Art. L526-‐8 C. com. 154 L’Art. R526-‐10 C. com. précise que les créanciers antérieurs peuvent former opposition dans le mois suivant l’information individuelle qu’ils ont reçue. L’issue d’une telle opposition réside nécessairement dans une décision de justice, conformément à la lettre de l’Art. L526-‐12 C. com : soit l’opposition est rejetée, soit le juge ordonne le remboursement des créances de l’opposant ou la constitution de garanties suffisantes.
47
d’autant de patrimoines affectés qu’il exerce d’activités professionnelles différentes155,
lui permettant de diviser d’avantage son patrimoine.
67 En outre, comme en matière de déclaration d’insaisissabilité, en rendant cette
déclaration d’affectation opposable de plein droit aux seuls créanciers postérieurs à sa
publication, L’Art. L526-‐12 C. com. crée une inégalité entre les créanciers professionnels
dont les droits sont nés avant l’affectation et les créanciers professionnels postérieurs,
dont les droits sont nés à compter de la déclaration. Alors que les premiers conserveront
un droit de gage général sur l’ensemble des biens de l’entrepreneur, peu important
l’affectation intervenue ensuite, les seconds verront leur gage réduit aux seuls biens
affectés à l’activité professionnelle de l’entrepreneur. Il y a effectivement fort à parier
pour que les « créanciers professionnels antérieurs », refusent toute réduction de leur
gage et forment opposition à une déclaration qui les concernerait.
68 Enfin, si les textes qui régissent la constitution et le fonctionnement de l’EIRL
prévoient un seuil concernant le montant des actifs affectés, au delà duquel une
évaluation par un expert est obligatoire156 , ils n’envisagent pas expressément de
montant minimum auquel les actifs affectés doivent correspondre 157 . Un auteur
envisage en ce sens avec ironie la situation suivante : « L’entrepreneur pourrait même
être tenté de ne pas trop faire figurer de biens sur cette liste (…) Pourquoi l’avocat ne
porterait-‐il pas sur sa déclaration son seul costume ou sa robe d’avocat (…) ? »158.
Soulignons qu’une telle situation, dans laquelle l’entrepreneur envisagerait de n’affecter
qu’une quantité dérisoire de biens à son activité professionnelle, constituerait un
véritable outil de fraude paulienne, par lequel le déclarant réduirait le gage de ses
créanciers professionnels à peau de chagrin, ces derniers (au moins pour ceux dont les
droits sont nés après la déclaration) ne pouvant exercer leurs droits que sur ces actifs. 155 Art. 14. Loi n°2010-‐658 du 15 juin 2010, Relative à l’entrepreneur individuel à responsabilité limitée. 156 Art. L526-‐10 et D526-‐5 C. com. 157 Notons pour autant que si aucun minimum n’est quantifié, l’affectation ne procède pas d’un choix discrétionnaire de l’entrepreneur. L’entrepreneur qui souhaiterait doter son patrimoine professionnel du strict minimum, devra veiller à ce que l’on ne puisse à l’avenir, lui reprocher un manquement grave aux règles de l’Art. L526-‐6 C. com. et n’affecter à son patrimoine certes rien que le « nécessaire », mais aussi, tout le nécessaire. Cependant, le nécessaire peut se résumer à peu de chose dans certaines activités dans lesquelles la responsabilité est pourtant importante : Activités de service, de conseil … 158 Op. cit., H. LETELLIER, p. 77.
48
69 Autant d’éléments tendent incontestablement à contredire un plein exercice de leur
droit de gage général par les créanciers de l’entrepreneur. Pour autant, il semble qu’une
telle atteinte ne puisse réellement se concrétiser qu’à travers un cloisonnement solide
des patrimoines de l’EIRL, tenus strictement à l’écart les uns des autres.
Section 2 – La fragilité du cloisonnement patrimonial réalisé par l’entrepreneur, gage d’un retour à l’affectation générale : L’EIRL avant-‐même de procéder à sa déclaration d’affectation, devra
souvent se résoudre à grever son patrimoine personnel de garanties afin d’obtenir du
crédit (§1) et une fois la déclaration effectuée, ce dernier sera confronté à de
nombreuses cause de porosité de ses patrimoines, entrainant un retour à l’affectation
générale (§2).
§ 1 – Un cloisonnement tué dans l’œuf : Le problématique accès au crédit de
l’EIRL.
70 « Aucune entreprise ne vit sans crédit et aucune banque n’en consent sans
garanties. »159 Peut être ne prête-‐t-‐on pas qu’aux riches, mais au moins ne prête-‐t-‐on
qu’à ceux qui acceptent de prendre des risques. En fait de « risques » nous envisageons
évidemment l’hypothèse de la défaillance de l’emprunteur, aléa en vertu duquel tout
dispensateur de crédit ne consent son concours qu’à celui qui lui offre une surface
économique suffisante pour palier à son défaut de paiement. Quel établissement de
crédit serait alors tenté d’accompagner un entrepreneur qui n’entend lui offrir pour seul
gage que les biens nécessaires et affectés à son activité professionnelle ? Il s’agit donc
d’envisager les options d’accès au crédit de l’EIRL, afin de prendre note d’un premier
écueil du dispositif dans la limitation du gage de ses créanciers. L’accès au crédit de
l’EIRL peut en effet être envisagé à deux moments différents (avant ou après la
159 Op. cit., P. THERY, § 1.
49
déclaration d’affectation), plaçant l’entrepreneur dans des situations dont aucune ne
semble conforme au but qu’il poursuit à travers l’adoption de ce statut.
71 On peut avant tout envisager la situation de l’entrepreneur, qui solliciterait un
concours financier afin d’acquérir tout ou partie des actifs nécessaires à l’exercice de son
activité professionnelle. La lettre de l’Art. L526-‐6 C. com. en ce sens, selon lequel le
patrimoine affecté de l’entrepreneur comprend « l’ensemble des biens, droits,
obligations ou sûretés » dont il est titulaire et qui sont « nécessaires à l’exercice de son
activité professionnelle », semble commander que l’entrepreneur, au moment où il
procède à sa déclaration d’affectation, est déjà en possession de ces actifs. Aussi la
plupart du temps, l’entrepreneur qui sollicitera un crédit aux fins de constituer ce
capital, le sollicitera en tant que titulaire d’un seul patrimoine, le dépôt de la déclaration
qui confère seul le statut d’EIRL n’étant pas encore intervenu. Un premier constat
extrêmement simple et procédant d’avantage d’une analyse factuelle que d’une analyse
juridique peut ici être fait. L’entrepreneur au moment d’offrir des garanties de paiement
au prêteur, sauf à ce qu’il se contente du simple cautionnement d’un tiers, ne disposera
que de son unique patrimoine afin de lui consentir des sûretés réelles. A ce titre,
l’entrepreneur avant même de pouvoir jouir d’un statut décrit comme protecteur de ses
biens personnels, aura souvent grevé ces derniers de droits réels au profit d’un
établissement de crédit, afin de pouvoir disposer des fonds nécessaires à la création de
son entreprise. Une telle situation, si elle ne constitue pas une conséquence directe du
statut d’EIRL se doit néanmoins d’être soulignée, en ce qu’elle tend à démontrer que
limitation de la responsabilité et accès au crédit ne font naturellement pas bon ménage.
72 Notons ensuite que d’autres situations, qui contredisent autant l’esprit de la loi du 15
juin 2010, découlent quant à elles directement du statut particulier d’EIRL. Les besoins
d’un entrepreneur ne se résumant pas nécessairement à l’acquisition des biens
nécessaires à l’exercice de son activité, d’aucuns auront en effet besoin de se procurer
du crédit en cours d’activité. Ainsi, l’EIRL qui sollicitera un concours financier afin de
développer ses activités, se présentera cette fois au dispensateur de crédit comme un
entrepreneur à patrimoine affecté. Ce patrimoine affecté constituant l’unique assiette du
gage général du prêteur, deux postures de l’EIRL sont alors envisageables afin de
convaincre ce dernier de prêter son concours, ou tout au moins de « l’argent ».
50
73 Aussi la première posture qui permettrait à l’entrepreneur de s’attirer les faveurs
d’un établissement de crédit, consisterait à affecter une quantité d’actifs à son
patrimoine professionnel, propre à offrir une large assiette au gage du prêteur.
Rappelons que l’Art. L526-‐6 C. com, distingue entre les biens « nécessaires » à l’activité
professionnelle de l’entrepreneur et les biens qu’il entend simplement utiliser et qu’il
« décide d’y affecter ». Si l’affectation des premiers, sur lesquels il s’agira de revenir au
titre de la perméabilité des patrimoines, ne procède pas d’un choix discrétionnaire de
l’entrepreneur 160 , celui-‐ci pourra en revanche choisir d’affecter tout bien, droit,
obligation ou sûreté qui pourrait s’avérer utile à son activité, permettant par la même
d’élargir l’assiette du gage de ses créanciers professionnels et donc de son prêteur161. La
doctrine souligne même qu’un tel comportement pourrait permettre aux créanciers
professionnels de prendre des sûretés sur des biens affectés162 , afin de devenir
créanciers privilégiés au sein de cette masse d’actifs. C’est certainement la position
qu’adoptera un dispensateur de crédit face à un EIRL qui solliciterait un prêt.
En ce sens, la nécessité pour l’EIRL d’avoir accès au crédit et les garanties nécessaires
qui accompagnent tout concours financier, tiendraient en échec l’entrepreneur qui
entendrait faire obstacle au plein exercice du droit de gage général de ses créanciers
professionnels. L’entrepreneur qui souhaitera obtenir du crédit et développer son
entreprise, devra donc jouer le jeu d’une large affectation, permettant de compenser la
division de l’assiette du gage de tous ses créanciers et leur offrant la possibilité d’exercer
les droits qu’ils tiennent de l’Art. 2284 C. civ. voire de prendre des garanties sur les biens
qui composent ce patrimoine affecté.
74 Enfin, la dernière posture envisageable de l’EIRL constitue certainement la plus
contradictoire au but poursuivi par l’adoption d’un tel statut. En effet, l’EIRL qui 160 A la lumière des sanctions prévues par l’Art. L526-‐12 C. com et de la logique même d’un patrimoine professionnel d’affectation, il s’agit de comprendre que l’entrepreneur est « contraint » d’affecter l’ensemble des biens nécessaires à son activité professionnelle, par opposition aux autre actifs, qu’il « décide (simplement) d’y affecter » et dont l’affectation dépend de sa seule volonté. 161 Conformément à l’Art. L526-‐12 1° C. com., le dispensateur de crédit qui accorde un concours financier nécessaire à l’activité professionnelle de l’EIRL, devient bien titulaire d’un droit de créance né à l’occasion de l’exercice de cette activité. Il s’agit donc d’un créancier professionnel dont les droits ne peuvent s’exercer que sur le patrimoine affecté de l’entrepreneur. 162 V. LEGRAND, L’accès au crédit de l’EIRL ou comment concilier l’inconciliable ?, Petites affiches, 7 octobre 2011, n°200, p 4 suiv.
51
souhaitera limiter à l’extrême les droits de ses créanciers professionnels, en n’affectant
que les biens strictement nécessaires à son activité, sans pourvoir son patrimoine
professionnel d’une large palette de biens simplement utiles, sera lui aussi rattrapé par
la logique impitoyable du crédit. Ainsi tout établissement de crédit, face à une telle
restriction de l’assiette de son gage, sollicitera certainement des garanties sur le
patrimoine non affecté de l’entrepreneur, replaçant l’entrepreneur dans la situation qu’il
fuyait : l’affectation de biens personnels à la garantie de ses dettes professionnelles. En
ce sens, notons qu’aucune des dispositions légales ou réglementaires régissant le statut
d’EIRL n’interdit la prise de garantie sur le patrimoine non affecté de l’entrepreneur163.
Aussi l’EIRL devra-‐t-‐il sûrement se résigner à consentir une sûreté réelle sur un bien
non affecté, afin de garantir tout concours financier.
75 Néanmoins le législateur n’a pas été totalement muet face à cette problématique
évidente de l’accès au crédit de l’EIRL et deux mesures ont été prises : dès le projet de loi
relatif à l’EIRL était annoncée la nécessité d’un recours à des « garanties extérieures »164,
notamment à travers le concours d’OSEO, entreprise publique offrant des « dispositifs
de cautionnement de prêts »165 et le recours au cautionnement mutuel166. En outre, dès
le 31 mai 2011, une charte était signée entre le secrétaire d’Etat chargé des petites et
moyennes entreprises et la Fédération bancaire française, visant à ce que les banques
s’engagent à ne pas exiger de garanties sur les biens non affectés de l’entrepreneur, en
cas de mise en œuvre des solutions de cautionnement, avec ou sans l’appui d’OSEO167.
Pour autant, force est de constater que cette charte a expiré en novembre 2012168 et
n’ayant pas en ce qui nous concerne, la prétention de pouvoir justifier de l’insuffisance
du recours à des garanties extérieures à satisfaire la frilosité de établissements de crédit,
163 Il s’agira cependant d’exclure toute possibilité pour l’EIR, de cautionner ses dettes professionnelles : nul ne pouvant être tenu d’une obligation à titre principale et de la même obligation comme caution (Com. 28 avril 1964, Bull. civ. 1964, IV, n°215.) 164 Op. cit., Projet de loi relatif à l’entrepreneur individuel à responsabilité limitée, p. 18, § 4.7. 165 Charte pour l’accès au crédit des EIRL, 31 mai 2011, Préambule. 166 La SIAGI et la fédération nationale des SOCAMA ont en ce sens été mobilisés. 167 Charte pour l’accès au crédit des EIRL, 31 mai 2011, Art. 2 al. 1. 168 La Charte pour l’accès au crédit des EIRL avait été conclue le 31 mai 2011 pour une durée de 18 mois.
52
il s’agira de surveiller le succès de l’EIRL dans un futur proche afin d’en avoir le cœur
net169.
76 Quoi qu’il en soit, l’EIRL qui aura bravé l’obstacle de l’accès au crédit, certainement
au prix d’une première désillusion quant sa capacité à réduire le gage général de ses
créanciers, devra se méfier d’une certaine porosité de son patrimoine professionnel, le
spectre de l’affectation générale le guettant toujours.
§ 2 – L’étanchéité relative des patrimoines de l’EIRL.
77 En envisageant la problématique de l’accès au crédit de l’EIRL, à travers la
prise de garanties des créanciers sur le patrimoine non affecté, on touchait d’ores et déjà
du doigt l’inconvénient d’une certaine porosité de chaque patrimoine, les créanciers par
le jeu des sûretés réelles, pouvant obtenir des droits sur les actifs composant un
patrimoine ne constituant pas l’assiette de leur gage général. Pourtant, bien que
l’étanchéité entre les deux ou plusieurs patrimoines de l’EIRL soit affirmée à l’Art. L526-‐
12 al. 6 C. com., répondant ainsi aux vœux du législateur170, il s’agit de souligner que
cette étanchéité est loin d’être absolue. L’affectation spéciale connait de nombreux
aménagements, de telle sorte que l’affectation générale ressurgira souvent, nuançant
davantage encore la possibilité offerte à une personne physique de réduire l’assiette du
gage de ses créanciers sans recours à l’écran d’une personne morale. Nous envisagerons
ainsi les causes de retour à une affectation générale prévues par la Loi du 15 juin 2010
elle-‐même, puis celles organisées par l’ordonnance du 9 décembre 2010171, adaptant le
droit des entreprises en difficulté au statut particulier de l’EIRL.
78 Il s’agit avant tout de noter qu’une parfaite étanchéité entre les patrimoines
personnel et professionnel, n’aurait pu passer que par une opposabilité de plein droit de
l’affectation à l’ensemble des créanciers de l’entrepreneur, sans distinction entre les
créanciers « antérieurs » et « postérieurs ». Offrir aux créanciers professionnels, dont les 169 Selon l’INSEE, sur 549 788 entreprises crées en 2011, seulement 4 520 ont adopté le statut d’EIRL, soit moins de 1.5%. 170 Op. cit., Projet de loi relatif à l’entrepreneur individuel à responsabilité limitée, p. 8, § 3.3.1. 171 Ord. n°2010-‐1512 du 9 décembre 2010, Portant adaptation du droit des entreprises en difficulté et des procédures de traitement des situations de surendettement à l'entrepreneur individuel à responsabilité limitée.
53
droits sont nés antérieurement à la déclaration d’affectation, l’opportunité de conserver
un droit de gage général sur l’ensemble des biens de leur débiteur entrepreneur, sans
que les effets de l’affectation ne leur soit opposable, crée nécessairement un lien
permanent entre les deux masses d’actifs, sur lesquelles ces créanciers pourront
indifféremment exercer leurs droits172. Une telle opposabilité de plein droit aurait certes
engendré une réduction soudaine de l’assiette du gage de ces créanciers, mais c’est
pourtant la logique à laquelle sont soumis les créanciers personnels de l’EIRL, qui voient
fuir certains biens composant l’assiette de leur gage vers un patrimoine professionnel,
sur lequel ils ne peuvent exercer aucun droit selon la lettre de l’Art. L526-‐12 al 6 C.
com.173
79 Outre ce premier pont entre les deux patrimoines de l’EIRL, certaines dispositions
régissant son statut, permettent un anéantissement pur et simple des effets de la
déclaration d’affectation, le rendant responsable sur l’ensemble de ses biens.
En ce sens, les créanciers de l’EIRL pourront envisager un retour à l’affectation générale,
chaque fois que ce dernier se sera rendu responsable de fraude ou de manquement
grave dans la composition de son patrimoine professionnel174 ou de manquement à ses
obligations comptables175, conformément à l’avant-‐dernier alinéa de l’Art. L526-‐12 C.
com. Cette menace ne pourra qu’encourager à nouveau l’EIRL à jouer le jeu d’une réelle
affectation, en offrant une assiette suffisante au gage des créanciers des deux « camps »,
afin d’éviter de s’attirer les vindictes de ces derniers, qui, se plaçant sur le terrain de la 172 L’Art. L526-‐12 C. com. al 2 et 3 implique, dans le cas ou l’entrepreneur déciderait de ne pas rendre opposable sa déclaration à ses créanciers professionnels « antérieurs », que ces derniers puissent continuer à exercer leurs droits sur l’ensemble de ses biens. Il s’agit de noter que même dans le cas ou l’entrepreneur procèderait aux formalités propres à leur rendre cette déclaration opposable, ces derniers par le jeu de l’opposition, pourraient espérer obtenir le remboursement immédiat de leurs créances ou l’obtention de garanties de paiement suffisantes. 173 Il s’agit certainement de la raison pour laquelle l’Art. L526-‐12 C. com. in fine, permet aux créanciers personnels de l’EIRL, d’exercer leurs droits sur le bénéfice qu’il aura réalisé lors du dernier exercice clos, en cas d’insuffisance de son patrimoine non affecté. 174 La composition du patrimoine doit s’entendre au sens des Art. L526-‐6 et R526-‐3-‐1 C. com., qui prévoient que l’entrepreneur est tenu d’affecter tous les biens, droits, obligations ou sûretés nécessaires à son activité professionnelle, les biens nécessaires étant ceux qui ne peuvent être utilisés que dans le cadre de son activité. Ainsi, le « manquement » de l’EIRL dans la composition de son patrimoine, semble renvoyer à la conservation d’actifs « nécessaires » dans son patrimoine personnel et la « fraude » renverrait quant à elle à la « fraude paulienne » de l’Art. 1167 C. civ. 175 Selon l’Art. L526-‐13 C. com., l’activité à laquelle le patrimoine est affecté doit faire l’objet d’une comptabilité autonome, pour les besoins de laquelle l’entrepreneur devra ouvrir un ou plusieurs comptes bancaires exclusivement dédiés.
54
fraude, du manquement grave, ou des flux financiers anormaux entre ses patrimoines,
procédant d’une comptabilité non conforme aux prescriptions de la loi, tenteraient
d’obtenir l’extension de leur gage à l’ensemble de ses biens. En outre, dans l’hypothèse
ou l’EIRL procèderait à l’affectation d’actifs (autres que des liquidités), d’une valeur
déclarée supérieure à trente-‐mille euros176, il devra veiller à faire évaluer ces derniers
par l’un des professionnels désignés à l’Art. L526-‐10 C. com., au risque de voir encore et
toujours, sa responsabilité engagée sur l’ensemble de ses biens durant cinq ans, à
hauteur de la différence entre la valeur déclarée et la valeur réelle de ces biens au jour
de l’affectation177.
Enfin, notons que le fisc et les organismes de sécurité sociale jouissent également d’une
extension spéciale de leur gage à l’ensemble des biens de l’EIRL178, lorsque celui-‐ci par
des manouvres frauduleuses ou des manquements graves et répétés à la législation
fiscale ou de la sécurité sociale, aura rendu impossible le recouvrement des impositions,
pénalités, cotisations ou contributions sociales dont il est redevable au titre de son
activité professionnelle.179 Le fisc pouvant même se prévaloir de cette extension pour
des dettes fiscales étrangères à son activité professionnelle, l’EIRL afin de conserver les
bénéfices de son affectation patrimoniale, devra être aussi vigilant au titre de sa fiscalité
personnelle que de la fiscalité de son entreprise.
80 Par ailleurs, à quel moment l’entrepreneur devrait-‐il le plus compter sur une
séparation étanche de ses patrimoines personnel et professionnel, si ce n’est à l’heure
du dépôt de bilan ? Ainsi, bien qu’il existe de nombreuses causes d’anéantissement du
cloisonnement patrimonial de l’EIRL en cours d’exploitation (lorsqu’il est in bonis), au
profit de ses créanciers, c’est d’avantage au jour ou l’entrepreneur se trouvera en état de
cessation des paiements180, que ses créanciers professionnels pourraient voir d’un
176 Ce seuil est fixé par l’Art. R526-‐5 C. com. 177 Art. L526-‐10 al 4 C. com ; Notons qu’en vertu de l’alinéa 3 du même article, l’EIRL qui aurait recouru à une telle évaluation mais qui aurait décidé de déclarer une valeur supérieure, verrait sa responsabilité engagée dans les mêmes conditions à hauteur de la différence entre la valeur évaluée et celle déclarée. 178 Art. L273 B LPF. et L133-‐4-‐7 CSS. 179 Une décision de justice ayant constaté ces manœuvres frauduleuses ou ces manquements graves et répétés, sera néanmoins nécessaire au fisc ou aux organismes de sécurité sociale, afin de se prévaloir d’une telle extension de leur gage. 180 Selon l’Art. L631-‐1 C. com., l’état de cessation des paiements est caractérisé par l’impossibilité pour un débiteur, de faire face à son passif exigible avec son actif disponible.
55
mauvais œil la limitation de leur gage, surtout s’ils devaient être soumis à la discipline
collective d’un redressement ou d’une liquidation judiciaire de leur débiteur EIRL.
81 En effet, si une procédure collective est par principe ouverte à l’encontre d’un
débiteur et non d’un patrimoine181 , que « Le principe d'unité du patrimoine des
personnes juridiques interdit (ainsi) l'ouverture de deux procédures collectives contre
un seul débiteur, même si celui-‐ci exerce des activités distinctes ou exploite plusieurs
fonds. »182 et que l’ensemble des biens de ce débiteur doit être saisi par l’effet réel de la
procédure collective, qui correspond à « la mise en œuvre du gage commun des
créanciers dans la procédure collective »183, telle n’est pas la logique applicable au
traitement des difficultés de l’EIRL. Le législateur afin de respecter l’esprit de la loi du 15
juin 2010 et le bénéfice d’une réelle limitation du risque à l’entrepreneur individuel,
organise un traitement des difficultés « des activités professionnelles exercées par un
entrepreneur individuel à responsabilité limitée (…) patrimoine par patrimoine. »184
Ainsi, comme lorsque l’EIRL est in bonis, la mise en œuvre du gage commun de ses
créanciers se réalisera uniquement sur les actifs affectés à l’activité ayant donné
naissance à leurs droits.
82 Pour autant, cette limitation de leur gage n’est pas absolue et une porosité du
patrimoine d’affectation de l’EIRL est à nouveau engendrée par les textes, qui
permettent d’envisager une diffusion de l’effet réel de la procédure collective à son
patrimoine personnel185. Le droit des procédures collectives envisage d’abord un cas
d’extension de la procédure aboutissant à une réunion de deux ou plusieurs patrimoines
de l’EIRL. Ainsi le mandataire judiciaire, organe représentant l’intérêt collectif des
créanciers, pourra notamment solliciter la réunion du patrimoine personnel de l’EIRL à
son patrimoine professionnel visé par la procédure, « en cas de confusion avec celui-‐
181 En ce sens, les conditions d’ouverture d’une procédure de sauvegarde, de redressement ou de liquidation judiciaire, sont respectivement envisagées par les Art. L620-‐1 suiv., L631-‐1 suiv. et L640-‐1 suiv. C. com, qui désignent tous un « débiteur » et non un patrimoine. 182 Com. 19 février 2002, n°96-‐22.702. 183 M. SENECHAL, L’effet réel de la procédure collective : essai sur la saisie collective du gage commun des créanciers, thèse, Litec, 2002, n° 5. 184 Art. L680-‐1 C. com. 185 En ce sens, voir : J. –F. QUIEVY, Entreprise individuelle à responsabilité limitée (EIRL), Rèp. Sociétés Dalloz, septembre 2011, § 132 suiv.
56
ci. »186 Les créancier de l’EIRL pourront à ce titre envisager un retour à l’affectation
générale, toutes les fois que les critères prétoriens de la confusion de patrimoine seront
réunis (une imbrication comptable rendant impossible l’identification des différentes
masses patrimoniales ou des flux financiers anormaux entre les patrimoines de
l’EIRL)187, mais également dans les cas prévus à l’Art. L526-‐12 C. com., lorsque l’EIRL se
sera rendu coupable de fraude, de manquement grave dans la composition de son
patrimoine professionnel ou à ses obligations comptables188.
Enfin, en cas de liquidation judiciaire ouverte à raison d’une activité professionnelle de
l’EIRL, l’Art. L651-‐1 C. com. aménage l’action en comblement de passif à l’encontre de
l’entrepreneur189. Ainsi, lorsque la liquidation judiciaire d’une activité professionnelle à
patrimoine affecté aura laissé apparaître une insuffisance d’actif et que l’EIRL à la tête de
cette activité aura contribué à cette insuffisance par une ou des faute(s) de gestion, le
Tribunal saisi de la procédure collective pourra mettre à sa charge tout ou partie de
l’insuffisance d’actif, qui s’imputera sur son patrimoine non affecté.190 A ce titre, les
créanciers de l’EIRL qui n’auraient pas obtenu la réunion de ses patrimoines au cours de
la procédure collective ouverte à raison de son activité professionnelle, pourront
envisager une condamnation à titre personnel de ce dernier, à régler tout ou partie des
créances nées à l’occasion de cette activité et que les actifs professionnels auraient été
insuffisants à couvrir. Pour autant, on peut se demander si la faute de gestion d’un EIRL
dans le cadre de son activité professionnelle, ne coïncidera pas souvent avec l’ensemble
de ses obligations légales susvisées et dont la violation serait susceptible en amont
d’être sanctionnée par une extension de la procédure collective à son patrimoine
personnel.
83 Au total, il semble que le statut d’EIRL consacré par la loi du 15 juin 2010 souffre
« d’insuffisances congénitales » et que l’atteinte qu’il porte au droit de gage général soit
186 Art. L621-‐2 al 3 C. com. 187 En ce sens, voir : M. SENECHAL, Le patrimoine affecté à l’épreuve du droit des procédures collectives, Droit et patrimoine, avril 2010, n°191, p 96. 188 Art. L621-‐2 al 3 C. com. 189 Les Art. L651-‐1 suiv. C. com. organisent le régime de la « responsabilité pour insuffisance d’actif ». Elle permet au Tribunal saisi de la procédure collective, de mettre tout ou partie du passif social à la charge du dirigeant, lorsque la liquidation judiciaire aura fait apparaître une insuffisance d’actifs et que ce dernier aura contribué à cette insuffisance par sa ou ses faute(s) de gestion. 190 Art. L651-‐2 al. 2 C. com.
57
d’avantage théorique que pratique. En effet, on a pu noter que le dispositif portait en lui-‐
même de nombreux facteurs de remise en cause de l’affectation, de sorte que l’EIRL s’il
veut bénéficier d’une limitation de responsabilité pérenne, devra procéder à une
déclaration d’affectation raisonnée, offrant un gage satisfaisant à l’ensemble des
créanciers des « deux (ou plusieurs) camps. »
Par ailleurs, l’entrepreneur restant à la tête de son ou ses patrimoine(s) professionnel(s)
d’affectation, il s’agira finalement d’envisager le cas du patrimoine fiduciaire, qui
procède quant à lui d’un transfert d’actifs confiés à un tiers.
58
Titre II – Le patrimoine d’affectation fiduciaire : La fiducie dont le régime est organisé au sein du Code civil, procède d’une
affectation patrimoniale quel que soit le but qu’elle poursuit, contredisant ainsi la lettre
des Art. 2284 et 2285 C. civ. (Section 1). Il semble pour autant qu’une telle contrariété
théorique au droit de gage général puisse être relativisée en pratique (Section 2).
Section 1 – Une affectation patrimoniale contraire à l’esprit du droit de gage général :
L’affectation d’actifs par la voie de la fiducie, procède, contrairement à
l’affectation professionnelle de l’EIRL, d’un transfert de propriété des biens affectés (§1),
de sorte qu’ils sont strictement tenus à l’écart du gage des créanciers du constituant
(§2).
§ 1 – Consécration d’une affectation par transfert de propriété :
84 Selon la lettre de l’Art. 2011 C. civ, « La fiducie est l’opération par laquelle un
ou plusieurs constituants transfèrent des biens, des droits ou des sûretés, ou un
ensemble de biens, de droits ou de sûretés, présents ou futurs, à un ou plusieurs
fiduciaires qui, les tenant séparés de leur patrimoine propre, agissent dans un but
déterminé au profit d’un ou plusieurs bénéficiaires. » La formule qui ouvre le titre XIV
du Livre III du Code consacré à la fiducie a le bénéfice de la clarté et du détail, offrant
une définition démonstrative de ce qu’est la fiducie pour qui a déjà une certaine idée de
ce que recouvre cette « institution. » Le mécanisme qui découle des Art. 2011 suiv. C.
civ. n’est effectivement pas novateur en lui même. Les racines les plus anciennes de la
fiducie proviendraient en ce sens du droit romain et le droit français semble de longue
date compter des formes innomées de fiducie dans ses dispositions, dont il s’agira de
dire quelques mots avant de présenter les particularités de ce patrimoine d’affectation
consacré la loi du 19 février 2007191.
191 Loi n°2007-‐211 du 19 février 2007, instituant la fiducie.
59
85 La fiducie qui repose sur la « confiance »192 était en effet connue en droit romain sous
deux formes : Le pactum fiduciae cum amico et le pactum fiduciae cum creditore. Ces
deux « pactes » organisaient le transfert d’un bien du patrimoine de son propriétaire,
« le constituant », au patrimoine d’un tiers, « le fiduciaire », qui le conservait afin de le
gérer dans le premier cas ou à titre de garantie dans le second cas, à charge pour lui de
le restituer au constituant ou à un tiers désigné une fois le pacte dénoué.
L’institution connut un renouveau dès le XIe siècle en offrant aux Croisés l’opportunité
de faire gérer leurs biens durant leurs pèlerinages armés. Enfin si le mécanisme
fiduciaire s’est ensuite fait oublier en France, il perdura notamment en Angleterre à
travers l’institution du « trust »193, par laquelle un settlor (le constituant) investit un
trustee (le fiduciaire) de la propriété de biens qu’il gère au profit d’un beneficiary (le
bénéficiaire.) ou d’une fin particulière.
86 Le trust étant « l’ange gardien de l’anglo-‐saxon, l’accompagnant partout
impassiblement, du berceau jusqu’au tombeau (…) des Accords des plus grandes guerres
au plus simple héritage, du plus audacieux complot de Wall Street à la protection des
petits enfants (…) »194, on imagine aisément le potentiel d’une institution servant des
causes si hétéroclites et il n’est donc pas étonnant que le droit français soit de longue
date émaillé de dispositions que l’on pourrait considérer comme des « avatars »195 de la
fiducie. Certains dispositifs juridiques permettent en ce sens de confier la gestion de
droits ou de biens à un tiers à qui ils sont transférés et s’apparenteraient à ce titre à une
forme de « fiducie-‐gestion », l’une des déclinaisons de la fiducie que nous mettrons en
lumière. Ainsi, un fonds commun de placement consiste en l’administration de titres par
une société de gestion dans l’intérêt des porteurs qui en sont les copropriétaires. Le
mandat à effet posthume196 également, prévu aux Art. 812 suiv. C. civ., permet au de
192 Du latin fides qui signifie « confiance », « foi ». 193 On retrouve à nouveau l’idée de « confiance » dans la traduction de « trust » de l’anglais au français. 194 P. LEPAULLE, Traité théorique et pratique des trusts en droit interne, en droit fiscal et en droit international, Paris : Rousseau, 1932, p. 114. 195 L’exposé des motifs des la proposition de loi instituant la fiducie, souligne en ce sens l’existence de fiducies « innomées » dans le système juridique français, qui n’auraient pas reçu de la loi cette qualification, mais qui en auraient au moins les principales caractéristiques : http://www.senat.fr/leg/ppl04-‐178.html 196 Le mandat plus généralement, prévu aux Art. 1984 suiv. C. civ, permet à une personne, le mandant, de conférer un pouvoir à un mandataire afin qu’il fasse « quelque chose en son nom » et peut ainsi constituer un outil de gestion de biens
60
cujus de son vivant, de confier la gestion de ses biens héréditaires à un tiers chargé de
les administrer pour le compte et dans l’intérêt d’un ou plusieurs héritiers désignés197.
D’autres dispositions légales, offrant l’opportunité d’user de la propriété à titre de
garantie s’apparenteraient quant à elles à la « fiducie-‐sûreté », une deuxième déclinaison
du contrat de fiducie qu’il s’agira de présenter.
En ce sens le Code Civil prévoit que la propriété peut être « retenue à titre de
garantie »198. La clause de réserve de propriété prévue à l’Art. 2367 C. civ. permet à ce
titre au vendeur de « retenir » la propriété du bien vendu, contrairement aux
prescriptions de l’Art. 1583 du même code, en garantie du complet paiement du prix. A
l’opposé le droit des affaires, par la pratique des « Bordereaux de cession de créances
professionnelles », permet la garantie d’une créance par un transfert de propriété199
vers le patrimoine d’un créancier. Notons qu’autant de mécanismes, bien qu’ils servent
tous la cause d’une gestion ou d’une garantie, organisée par le biais d’un transfert de
propriété, aboutissent à une confusion des droits ou des biens transférés dans le
patrimoine propre du « pseudo-‐fiduciaire », incompatible avec les caractéristiques du
trust dont les biens « constituent une masse distincte et ne font pas partie du patrimoine
du trustee »200.
87 Ainsi peut on expliquer que la France, dans un soucis de compétitivité juridique201 à
l’égard des Etats reconnaissant la pratique du trust ou de mécanismes équivalents, ait
décidé par la loi du 19 février 2007 de doter son arsenal juridique d’une fiducie (bien 197 Les libéralités graduelles et résiduelles prévues aux Art. 1048 suiv. et 1057 suiv. C. civ., qui constituent d’autres mécanismes propres au droit des succession, semblent s’apparenter à des formes de « fiducie-‐mutation », en ce qu’elles permettent de transférer un droit ou un bien dans le patrimoine d’un tiers, à charge pour ce dernier de le conserver, de l’administrer si besoin est le temps de sa vie et de le transmettre à un second gratifié désigné à l’acte à son décès. Nous choisirons de ne pas traiter de la fiducie transmission ou mutation, dans la mesure ou l’Art. 2013 C. civ en interdisant tout contrat de fiducie procédant d’une intention libérale au profit du bénéficiaire, restreint considérablement l’attrait d’une telle opération. 198 Livre IV, Titre II, Sous-‐titre II, Chapitre IV, Section première du Code Civil : « De la propriété retenue à titre de garantie. » 199 L’Art. L313-‐23 CMF prévoit en ce sens qu’un établissement de crédit peut exiger d’un professionnel dans le cadre d’un concours financier, la cession de « toute créance que celui-‐ci peut détenir sur un tiers » comme garantie du prêt. 200 Art. 2 de la Convention de La Haye du 1er juillet 2005, relative à la loi applicable au trust et à sa reconnaissance, signée par la France le 26 novembre 1991. 201 L’exposé des motifs de la proposition de loi instituant la fiducie souligne le fait que la France ne connaît pas « d’institution équivalente au « trust » » et que les résultats de cette institution pourraient être obtenus avec « la pratique (…) de la fiducie. » : http://www.senat.fr/leg/ppl04-‐178.html
61
nommée cette fois), dans laquelle « les éléments d’actif et de passif transférés (…)
forment un patrimoine d’affectation. »202. Le choix d’organiser le régime de la fiducie
dans le Code Civil n’est pas anodin. Rompant ainsi avec la multitude « d’objet
juridiques » spécialisés et destinés, ou tout au moins utilisés à des fins particulières de
gestion du patrimoine, la fiducie telle qu’elle est instituée en France se veut être un
instrument généraliste et transdisciplinaire203.
Notons à ce titre que le législateur n’a pas cantonné la fiducie à une fin particulière,
l’opération n’étant guidée que par un « but déterminé » par les parties au contrat et
seule la fiducie procédant d’une intention libérale au profit du bénéficiaire étant
expressément proscrite 204 . Ainsi dans le cadre d’une opération fiduciaire, toute
personne physique ou morale pourra transférer des biens, droits ou sûretés205 à un
établissement de crédit, d’assurance ou un avocat206, à charge pour lui de les tenir
séparés de son patrimoine propre et d’agir dans un but et au profit d’un bénéficiaire
déterminé au contrat207. La durée du transfert devra également être prévue au contrat et
ne pourra excéder quatre-‐vingt-‐dix neuf ans208. Si le Code Civil reste pour le moins
lacunaire quant à la nature du transfert de ces actifs au sein d’un patrimoine fiduciaire,
la doctrine s’accorde généralement pour y voir un transfert de propriété209 et au moins
deux dispositions du Code semblent confirmer cette interprétation210. Enfin, bien que la
fiducie semble pouvoir constituer une institution protéiforme, vu la rédaction
« libérale » de l’Art. 2011 C. civ qui la définit, on pourra néanmoins retenir deux
utilisations particulières d’un tel dispositif : La gestion autonome d’actifs, placés dans un 202 Art. 12 de la Loi n°2007-‐2011 du 19 février 2007, instituant la fiducie. 203 Aussi attrayants soient-‐ils, les dispositifs permettant de tenir des actifs à l’écart de son patrimoine aux fins de poursuivre un but déterminé, procèdent, au moins pour ceux que l’on a présentés dans ces lignes de droits spéciaux (droit des sociétés, droit maritime, droit des assurances…) et pour ceux qui relèvent du Code civil comme la transmission successorale, il s’agit de souligner qu’ils ne s’exercent que dans des situations particulières et prédéfinies. 204 Art. 2011 et 2013 C. civ. 205 On déduit l’ouverture de la fiducie aux constituants personnes physique de l’Art. 2017 al. 2 C. civ. 206 En ce sens, voir : Art. 2015 C. civ. ; outre ces trois fiduciaires fréquemment présentés, la liste complète compte également les entreprises d’investissement, le Trésor public, la Banque de Rance, La Poste et la Caisse des dépôts et consignations. 207 Art. 2011 C. civ. 208 Art. 2018 C. civ. 209 En ce sens, voir : B. FRANCOIS, Fiducie, Rèp. Sociétés Dalloz, septembre 2001, § 19 suiv. ; M. GRIMALDI, L’introduction de la fiducie en droit français, Revue de droit Henri Capitant, 30 juin 2011, n°2, § 9 suiv. 210 Les Art. 2372-‐1 et 2488-‐1 C. civ. disposent tous deux que « La propriété d’un bien (…) peut être cédée à titre de garantie (…) en vertu d’un contrat de fiducie (…) »
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patrimoine fiduciaire dans le cadre d’une « fiducie-‐gestion » et la constitution d’une
sûreté au profit d’un créancier par le jeu de la « propriété cédée à titre de garantie »,
dans le cadre d’une « fiducie-‐sûreté »211.
88 Ainsi, les actifs fiduciaires procédant d’un transfert de propriété de biens, droits ou
sûretés appartenant au constituant et ce patrimoine fiduciaire devant être tenu à l’écart
du patrimoine propre de celui qui le conserve où le gère, il paraît légitime de
s’interroger sur les droits des créanciers des parties à l’opération sur ces actifs isolés.
§ 2 – Un patrimoine fiduciaire tenu à l’écart du gage général des créanciers du
constituant.
89 Le patrimoine fiduciaire a-‐t-‐on précisé, constitue un patrimoine d’affectation.
En vertu de la loi d’une part, puisque l’Art. 12 de la Loi du 19 février 2007 le prévoit et
d’autre part car ce que la loi a prévu peut être démontré : la fiducie procède en effet de
l’affectation d’actifs à un but (notamment leur gestion ou leur conservation à titre de
garantie) et ces actifs ne répondent que d’un passif propre ; les dettes nées de leur
conservation ou de leur gestion, en vertu de l’Art. 2025 al. 1 C. civ.212
Ainsi, les créanciers personnels213 du constituant et ceux du fiduciaire n’ont aucun droit
sur les actifs fiduciaires214.
90 Un tel constat concernant les créanciers personnels du fiduciaire n’implique pas pour
autant une restriction à l’exercice de leur droit de gage général. Si le fiduciaire est bien à
la tête d’un ou plusieurs patrimoine(s) d’affectation, tenu(s) à l’écart de son patrimoine
211 Ces deux utilisations sont respectivement régies par les Art. 2011 à 2030 C. civ pour la « fiducie-‐gestion » et les Art. 2372-‐1 à 2372-‐5 et 2488-‐1 à 2488-‐5 C. civ. pour la « fiducie-‐sûreté ». 212 Ainsi le patrimoine fiduciaire, comme tout patrimoine d’affectation, correspond à une masse d’actifs, tous regroupées à une fin commune et présentant les caractéristiques d’une universalité juridique en ce sens qu’il présente une stricte corrélation entre son actif et un passif propre. 213 On qualifiera à nouveau de « créanciers personnels » les créanciers dont les droits ne sont pas nés à l’occasion de la conservation ou de la gestion du patrimoine affecté. 214 Les Art. 2011 et 2024 C. civ. confirment cette affirmation quant aux créanciers du fiduciaire. Il s’agira cependant concernant les créanciers personnels du constituant, de nuancer cette proposition en cas de fraude à leurs droit ou de droit de suite attaché à une sûreté publiée antérieurement au contrat de fiducie, conformément au premier alinéa de l’Art. 2025 C. civ.
63
propre, il s’agit néanmoins de souligner qu’un patrimoine fiduciaire ne se compose à
priori pas d’actifs provenant de l’assiette du gage naturel de ses créanciers (ce
patrimoine n’est pas doté par des actifs provenant de son patrimoine propre). En ce
sens, le professeur GRIMALDI souligne que « (…) jamais le fiduciaire n’est riche des
actifs fiduciaires : jamais il ne peut les aliéner à son profit ni ne fait siens leurs fruits ; sa
propriété n’accroit pas son capital ni ne lui procure de revenus (…) »215 La gestion en
réalité est faite au profit d’un bénéficiaire au sens de l’Art. 2011 C. civ. et le fiduciaire en
rend compte au constituant, conformément à l’Art. 2022 du même Code. Le fiduciaire
n’est ainsi riche que des revenus qu’il tire du contrat de fiducie lui-‐même, c’est à dire de
la rémunération versée par le constituant dans le cadre de l’opération et qui se fond
quant à elle dans son patrimoine propre, gage de ses créanciers personnels.
En outre, bien que l’activité de fiduciaire ait finalement été ouverte aux membres de la
profession d’avocat, dont on ne peut affirmer leur solvabilité comme une évidence, on
constatera néanmoins que les deux autres catégories de fiduciaires (établissements de
crédit ou d’assurance) offrent généralement une surface économique suffisante à leur
créanciers avant que ces derniers n’aient à s’intéresser au(x) patrimoine(s) fiduciaire(s)
qu’ils détiennent et dont on a souligné qu’ils n’étaient pas réellement riches.
91 Aussi la menace viendrait d’ailleurs et c’est au gage des créanciers du constituant
dont il s’agit de s’intéresser plus particulièrement. Les créanciers personnels du
constituant ne peuvent saisir les actifs du patrimoine fiduciaire. En ce sens, la loi offrirait
la possibilité à tout constituant, en transmettant à un fiduciaire certains biens, droits ou
sûretés dont il est titulaire, de tenir volontairement ces actifs à l’écart du gage général de
ses créanciers personnels. Ce constat s’applique aussi bien à la fiducie-‐gestion qu’à la
fiducie-‐sûreté, pour laquelle le patrimoine fiduciaire s’il n’est conservé qu’à titre de
garantie par le fiduciaire reste néanmoins soumis aux dispositions générales régissant la
fiducie216. Ainsi la loi, conformément à la logique du patrimoine d’affectation, permet au
215 M. GRIMALDI, théorie du patrimoine et fiducie, Rev. Lamy droit civil, décembre 2010, n° 77, p. 74, § 5. 216 En ce sens, les Art. 2372-‐1 et 2488-‐1 C. civ., renvoient aux Art. 2011 à 2030 C. civ., qui sauf dérogations expresse régissent le contrat de fiducie-‐sûreté.
64
constituant de réduire l’assiette du droit de gage général de ses créanciers par sa seule
volonté217.
92 Pour autant, si comme le laisse penser la lettre de l’Art. 2011 C. civ. la fiducie
s’inscrivait toujours dans une opération triangulaire, dans laquelle la conservation ou la
gestion des actifs fiduciaires se réalise au profit d’un tiers bénéficiaire, la situation
susvisée n’aurait rien de choquant. Le droit de gage général épousant en effet les
fluctuations du patrimoine218, le constituant qui agit au profit d’un tiers bénéficiaire
pourrait tout aussi bien lui céder directement ces biens, droits ou sûretés, sans recours à
un contrat de fiducie et réduirait d’autant l’assiette du gage de ses créanciers.219
En ce sens, tant qu’une transmission des actifs fiduciaires à un tiers bénéficiaire procède
de l’opération, il semble que le même résultat puisse être atteint par une cession directe
de ces actifs à ce tiers, opération conforme à l’esprit de l’Art. 2284. C. civ.
93 Aussi ce qui interpelle en réalité, c’est la possibilité de confusion prévue par la loi
entre les qualités de constituant, de fiduciaire et de bénéficiaire, qui concrétise l’atteinte
potentielle au droit de gage général des créanciers du constituant. L’Art 2016 C. civ.
prévoit à ce titre que « Le constituant ou le fiduciaire peut être le bénéficiaire (…) du
contrat de fiducie. » Ainsi, lorsque le constituant cumulera également la qualité de
bénéficiaire, ce dernier pourra à son profit, tenir certains de ses actifs hors de portée de
ses créanciers, tout en profitant des fruits éventuellement générés par l’opération et in
fine, de la restitution desdits actifs en pleine propriété au terme du contrat220. En vertu
des dispositions régissant la fiducie, toute personne physique ou morale peut alors
décider de transférer une partie de son patrimoine à un fiduciaire (pensons à un
portefeuille de titres ou à des biens immobiliers), à charge pour lui d’en tirer le meilleur
217 Si le contrat de fiducie constitue un contrat synallagmatique, en ce sens que les parties à l’opération ont des obligations réciproques (transmettre des actifs pour le constituant et les administrer conformément au but déterminé au contrat pour le fiduciaire), l’opération à la base peut bien procéder de la volonté du constituant qui décide d’y recourir. 218 En ce sens, Voir : supra n° 3. 219 Ainsi comme pour toute aliénation, s’il devait résulter de la conclusion du contrat de fiducie un obstacle au recouvrement de sa créance pour le créancier du constituant, ce dernier pourrait se prévaloir de l’action paulienne ; En ce sens, voir : infra, n° 97. 220 Bien sur, ce capital ainsi constitué et transféré entre les mains d’un fiduciaire ne sera pas totalement insaisissable, puisqu’il répondra des dettes nées de sa conservation ou de sa gestion.
65
emploi221 et se désigner comme bénéficiaire de l’opération. Dans un tel schéma, le
constituant tient une fraction de son patrimoine à l’écart du gage de ces créanciers
durant le temps de l’opération222, sans perdre la valeur économique de ces actifs
destinés à réintégrer son patrimoine. Notons que par une convention de mise à
disposition le constituant pourra même se réserver le droit de conserver la jouissance
du bien qu’il a placé hors de portée de ses créanciers223. En ce sens, la fiducie-‐gestion
lorsqu’elle est utilisée à des fins de gestion patrimoniale semble particulièrement
attentatoire aux droits des créanciers du constituant.
94 On constate finalement qu’une telle affectation fondée sur un transfert de propriété,
semble opposer un cloisonnement patrimonial solide aux créanciers du constituant, qui
voient fuir certains actifs composant l’assiette de leur gage général sans qu’ils n’aient en
retour un droit de poursuite subsidiaire sur les biens fiduciaires . Aussi s’agit-‐il
d’envisager la protection accordée à leurs droits, de nature à reconstituer
ponctuellement l’assiette de leur gage.
Section 2 – Une atteinte au droit de gage général à relativiser : L’atteinte portée par la fiducie au droit de gage général peut être nuancée à
double titre, les dispositions qui la régissent organisent d’une part la protection des
droits des créanciers du constituant (§1) et la fiducie d’autre part, semble faire l’objet
d’une utilisation relativement circonscrite en pratique (§2).
§ 1 – La protection du gage des créanciers du constituant.
95 Alors même que nous ne nous étions pas particulièrement préoccupé du gage
des « créanciers de la fiducie »224, qui s’exerce naturellement sur le patrimoine fiduciaire
dont la conservation ou la gestion a donné naissance à leurs droits, force est de 221 En ce sens, Op. cit., B. FRANCOIS, § 38 suiv. 222 Dont la durée pourra atteindre quatre-‐vingt-‐dix neuf ans selon l’Art. 2018 C. civ. 223 Art. 2018-‐1 C. civ. 224 Ceux dont les droits sont nés à l’occasion de la conservation ou de la gestion du patrimoine fiduciaire.
66
constater que c’est à eux que la loi réserve le sort le plus favorable. Le patrimoine
fiduciaire en effet n’est pas étanche à leur égard, de sorte ces créanciers semblent
disposer d’un droit de gage subsidiaire. Cette proposition se justifie au regard de la
lettre de l’Art. 2025 C. civ. qui dispose qu’ « En cas d’insuffisance du patrimoine
fiduciaire, le patrimoine du constituant constitue le gage commun de ces créanciers ».
Ainsi, l’affectation patrimoniale réalisée par le jeu d’un transfert de propriété ne serait
plus opposable aux créanciers de la fiducie lorsque par une insuffisance d’actifs, le
patrimoine fiduciaire ne serait plus à même de les désintéresser. De ce fait, après avoir
exercé leurs droits sur les actifs fiduciaires, ces derniers pourraient envisager de
reprendre leurs poursuites sur les biens propres du constituant.225 Aussi pourrait-‐on
s’attendre à trouver dans le Code Civil une disposition équivalente au profit des
créanciers du constituant, leur conférant un droit de poursuite subsidiaire sur le
patrimoine fiduciaire226. Ce n’est pourtant pas ce que le législateur a prévu227 et on
comprend mal en quoi les créanciers du constituant auraient moins de légitimité que les
créanciers de la fiducie à être titulaire d’un droit de poursuite subsidiaire, remettant en
cause l’étanchéité de l’affectation. Plus encore, les dispositions relatives à la fiducie ne
prévoient pas de mécanisme protecteur particulier des droits des créanciers du
constituant A ce titre, afin d’envisager la protection des droits des créanciers du
constituant, il s’agit de se référer à des dispositions générales du droit civil auxquelles
les dispositions relatives à la fiducie renvoient, ou encore aux droit des entreprises en
difficultés, le législateur n’ayant pas prévu de dispositions spécialement dédiées à
l’anéantissement de l’affectation fiduciaire comme il la fait pour l’EIRL.
225 L’Art. 2025 al 2 et 3 C. civ. prévoit cependant que le déficit du patrimoine fiduciaire pourra être mis à la charge du fiduciaire lorsque le contrat le prévoit expressément, voire que les poursuites des créanciers de la fiducie seront cantonnées au seul patrimoine fiduciaire pour ceux qui l’ont expressément accepté. Pour autant les situations dans lesquelles le fiduciaire acceptera de prendre à sa charge le passif fiduciaire et les créanciers de la fiducie de limiter leur droit devraient être assez rares. 226 A plus forte raison lorsque le constituant est également le bénéficiaire du contrat de fiducie, ces biens n’étant tenus que temporairement à l’écart de son patrimoine dans lequel ils sont destinés à être réintégrés. 227 Rappelons qu’en vertu de l’Art. 2025 al. 1 C. civ., les créanciers du constituant n’on aucun droit sur le patrimoine fiduciaire qui ne répond que des dettes nées de sa conservation ou de sa gestion.
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96 Notons en premier lieu que les créanciers du constituant titulaires d’une sûreté
réelle sur un bien qu’il décide de transférer au fiduciaire ne sont pas démunis face à la
réduction de l’assiette de leur gage général. L’Art. 2025 al 1 C. civ bien qu’il exclut toute
saisie du patrimoine fiduciaire par les créanciers du constituant, réserve néanmoins
l’hypothèse « d’un droit de suite attaché à une sûreté publiée antérieurement au contrat
de fiducie. »228 Ainsi, ces créanciers titulaires d’une sûreté réelle sur un bien transféré
dans un patrimoine fiduciaire pourront toujours saisir le bien qu’elle grève, à condition
que cette sûreté ait été publiée avant que ne soit conclu le contrat de fiducie.
Il s’agit de souligner que les sûretés publiées entre la conclusion du contrat de fiducie et
son enregistrement, prévu par l’Art. 2019 C. civ., ne semblent pas conférer un tel droit.
L’enregistrement du contrat de fiducie ne conditionne en effet que sa validité et non son
opposabilité au tiers, de sorte que celui-‐ci serait opposable aux tiers de plein droit dès sa
conclusion. Enfin, cette opportunité de saisir des actifs fiduciaires ne concernant
évidemment pas les créanciers chirographaires, ils devront avant tout compter sur les
dispositions générales du droit des obligations afin de protéger leurs droits sur le
patrimoine du constituant.
97 Ainsi, bien que les créanciers chirographaires du constituant n’aient aucun droit
particulier sur les actifs fiduciaires, l’Art. 2025 al. 1 C. civ réserve néanmoins le cas de
« fraude » à leurs droits, renvoyant sans équivoque ces derniers à se prévaloir de l’action
paulienne de l’Art. 1167 C. civ. L’ouverture de l’action paulienne à l’égard des créanciers
du constituant se conçoit tout à fait. Dans la mesure ou le contrat de fiducie procède d’un
transfert de propriété d’actifs composant le patrimoine du constituant, ses créanciers
subissent de facto une diminution de l’assiette de leur gage.
Aussi, seuls les créanciers dont les droits sont nés antérieurement à la conclusion du
contrat de fiducie seront fondés à se prévaloir de la fraude paulienne de leur débiteur
constituant229. La sanction de la fraude paulienne étant l’inopposabilité au créancier de
l’acte passé en fraude de ses droits, ce dernier en cas de succès de son action pourra
saisir les biens composant le patrimoine fiduciaire à hauteur du montant de sa
228 Ce droit de suite attaché à une sûreté, résultera la plupart du temps d’une hypothèque ou d’un nantissement, consentis sur un immeuble ou des droits incorporels transférés dans un patrimoine fiduciaire. 229 En ce sens, voir : Civ. 1ère 1er janvier 1984 n° 82-‐15.146. Il faut qu’un principe de créance au moins ait existé avant l’acte frauduleux, afin que le créancier puisse exercer l’action paulienne.
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créance230. S’agissant d’une inopposabilité au seul créancier dont l’action a prospéré,
l’affectation fiduciaire ne sera pas remise en cause au profit des autres créanciers du
constituant et le contrat de fiducie ne sera en rien anéanti.
Le créancier qui entend se prévaloir d’une telle action doit néanmoins rapporter la
preuve de la réunion des conditions de la fraude paulienne : une modification de la
composition du patrimoine du constituant de nature à faire obstacle au recouvrement
de sa créance231 et le caractère frauduleux de la conclusion du contrat de fiducie232. Dans
la mesure ou le contrat de fiducie devrait en pratique constituer un contrat conclu à titre
onéreux233, le créancier du constituant afin d’exercer l’action paulienne, devra veiller à
rapporter la preuve de la complicité frauduleuse du fiduciaire234. Enfin, l’opération
fiduciaire étant temporaire235 et les biens transférés étant destinés à réintégrer le
patrimoine du constituant lorsque celui-‐ci est également le bénéficiaire du contrat, les
juges saisis d’une action paulienne contre un fiduciaire 236 devront logiquement
apprécier la durée pour laquelle a été conclue le contrat afin de pouvoir caractériser une
fraude. Il semble en revanche que la durée importe peu lorsque sera désigné un tiers
bénéficiaire.
230 En ce sens, voir : Civ 1ère 30 mai 2006 n°02-‐13.495, « l'inopposabilité paulienne autorise le créancier poursuivant, par décision de justice et dans la limite de sa créance, à échapper aux effets d'une aliénation opérée en fraude de ses droits, afin d'en faire éventuellement saisir l'objet entre les mains du tiers » 231 En ce sens, voir : P. –Y. GAUTIER, F. PASQUALINI, Action paulienne, Rép. Civ. Dalloz, septembre 2006, § 43 ; la situation patrimoniale du débiteur caractérisant la fraude paulienne n’implique pas forcément son insolvabilité et peut résider dans une modification de la consistance de son patrimoine. 232 Civ 1ère 19 mai 1985 n°83-‐17.329 ; La fraude paulienne (…) résulte de la seule connaissance que le débiteur (…) (a) du préjudice causé au créancier par l’acte litigieux. » 233 Si aucune disposition n’interdit qu’un contrat de fiducie soit conclu à titre gratuit (tant qu’il ne procède pas d’une intention libérale au profit du bénéficiaire, conformément à l’Art. 2013 C. civ.), la qualité de fiduciaire étant limité ratione personae et seuls les avocats, les établissements bancaires et d’assurance pouvant avoir cette qualité, sauf philanthropie de leur part, il y a peu de chance que l’on rencontre des contrats de fiducie conclu à titre gratuit. 234 En ce sens, voir : Civ 1ère 27 juin 1984 n°83-‐12.749, « lorsqu'il s'agit d'un acte à titre onéreux, le créancier qui exerce l'action paulienne doit prouver la complicité de fraude du tiers acquéreur » 235 En ce sens, voir : supra, n°87. 236 En ce sens, voir : Com. 4 juin 1969, Bull. civ. IV , n°207 : « L’action révocatoire de l’article 1167 du Code civil doit être dirigée contre le tiers-‐acquéreur ».
69
98 Aussi, le succès de l’action paulienne étant soumis à de strictes conditions, les
créanciers du constituant pourront également compter sur le droit des entreprises en
difficulté en cas d’ouverture d’un redressement judiciaire contre ce dernier, afin de
protéger l’assiette de leur gage. Le code de commerce en soumettant les transferts
fiduciaires aux nullités de droit de la période suspecte237 offre une protection très
souple et très efficace aux créanciers du constituant. A ce titre, l’Art. L632-‐1 I 9° C. com.
dispose que « Tout transfert de biens ou de droits dans un patrimoine fiduciaire (…) »238
est nul dès lors qu’il est intervenu postérieurement à la date de cessation des paiements.
Ainsi, la date de cessation des paiements pouvant être reportée jusqu’à dix-‐huit mois
avant la date du jugement d’ouverture de la procédure collective239, les créanciers du
constituant pourront obtenir la nullité de tout acte de transfert dans un patrimoine
fiduciaire intervenu jusqu’à dix-‐huit mois avant l’ouverture d’une procédure de
redressement judiciaire à son encontre, de sorte que les biens transférés réintègreront
son patrimoine afin d’être soumis à la procédure collective. Enfin, s’agissant d’une
nullité de droit, par oppositions aux « nullités facultatives » prévues par l’Art. L632-‐2 C.
com., les créanciers du constituant n’auront pas à rapporter la preuve de l’intention
frauduleuse de leur débiteur ou du fiduciaire et laisseront les organes de la procédure
collective exercer l’action.
99 Au total, il semble que les dispositions nécessaires à prévenir toute atteinte aux
droits des créanciers du constituant soient prévues. L’action paulienne constitue un outil
de protection individuelle des créanciers relativement souple240 , procédant d’une
certaine conciliation entre le droit du constituant de disposer de ses biens (en vertu de
l’Art. 544 C. civ.) et la protection des droits de ses créanciers. Quant à la nullité de tout
transfert fiduciaire en période suspecte, elle semble largement prévenir la fraude du
237 Les nullités de droit de la période suspecte sont prévues à l’Art. L632-‐1 C. com. et permettent d’anéantir un certain nombre d’actes passés par le débiteur depuis la date de cessation des paiements. Selon l’Art. L632-‐4 du même Code, « L'action en nullité est exercée par l'administrateur, le mandataire judiciaire, le commissaire à l'exécution du plan ou le ministère public. Elle a pour effet de reconstituer l'actif du débiteur » 238 En vertu de la même disposition, la nullité ne sera cependant pas encourue si le transfert est intervenu à titre de garantie d'une dette concomitamment contractée. 239 Art. L631-‐8 C. com. 240 En effet, sa mise en œuvre s’inscrivant dans un débat judiciaire, cette action permet de prendre en considération les caractéristiques de chaque cas d’espèce.
70
constituant « aux abois », qui tenterait de protéger un certain nombre d’actifs qu’il
souhaiterait tenir temporairement à l’écart de son patrimoine.
Par ailleurs, dès lors que la réduction de l’assiette du gage des créanciers du constituant
constitue un principe de base du contrat de fiducie, il s’agit finalement de s’interroger
sur les perspectives de développement de la fiducie en pratique, notamment auprès des
« particuliers », afin de prendre la mesure de la contrariété qu’elle exercera réellement
sur l’effectivité du droit de gage général.
§ 2 – Une utilisation circonscrite de la fiducie en pratique.
100 Alors que l’on a déjà relativisé l’atteinte portée par la fiducie au droit de gage
général des créanciers, en soulignant l’existence de dispositions propres à éviter d’en
faire un outil de fraude à leurs droits, il semble pertinent de s’interroger sur
l’épanouissement d’un tel dispositif en pratique. En effet, le poids de la fiducie dans
l’éventuel infléchissement de l’affectation générale, ne pourrait se mesurer qu’au regard
du développement, de la banalisation d’une telle institution dans le paysage juridique
français ; est-‐ce un dispositif de niche ou une large consécration de l’affectation
patrimoniale en droit civil ? L’objet de cette étude n’ayant par pour ambition d’apporter
une réponse tranchée à une telle question, il s’agira simplement en l’état de nos
recherches de porter une appréciation sur cette interrogation.
101 Nous soulignions plus haut que le choix du Code civil pour accueillir les dispositions
relatives à la fiducie, suggérait l’idée d’un instrument généraliste241, de sorte qu’à limage
du trust, la fiducie pourrait devenir un « objet juridique » d’usage courant242 au service
de chaque citoyen, comme peuvent l’être le mandat ou le cautionnement lorsqu’il est
question de gestion ou de garantie. Pourtant, le peu de chiffres que l’on trouve
concernant la fiducie ne permet pas d’affirmer qu’en six ans d’existence, cette institution
ait connu un épanouissement particulier en droit français : selon M. DUBERTET,
241 En ce sens, voir : supra n° 87. 242 En ce sens, voir : supea n° 86.
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membre de l’AFF243 « près de trente fiducies ont été réalisées en 2011 et plus d’une
centaine de fiducies sont activées aujourd’hui. »244 Il semble en effet, répondant ainsi
aux vœux du législateur245, que la pratique de la fiducie se doit d’avantage développée
dans le cadre du droit des affaires, afin de réaliser des opérations qui l’étaient
auparavant par le biais de trust étrangers246,
102 Aussi, en limitant la qualité de fiduciaire à certaines personnes seulement, l’Art.
2015 C. civ. semble restreindre en pratique l’opportunité d’user de la fiducie gestion à
des fins de simple gestion patrimoniale, notamment pour des particuliers. En effet,
lorsqu’il s’agira de transférer des actifs immobiliers afin de les faire gérer et qu’il en soit
tiré le meilleur profit, la qualité d’entreprise d’assurance, d’établissement de crédit,
d’investissement ou d’avocat pourra sembler peu pertinente. Le même raisonnement
vaudrait pour d’autres actifs et un auteur envisage en ce sens la transmission de fonds
de commerce, de bateaux ou encore de d’instruments financiers, concluant cependant
que les fiduciaires actuels « n’ont guère paru enclins à gérer de tels biens en fiducie. »247
103 Ainsi, bien qu’elle paraisse recevoir un accueil favorable en droit des affaires, il
semble que la fiducie ne constitue pas encore aujourd’hui un mécanisme juridique
courant du droit civil. A ce titre, en tant qu’outil de division du patrimoine, dont les
conséquences sur le gage général des créanciers semblent limitées pas la loi, la fiducie
ne constituerait pas pour l’heure une source majeure d’infléchissement du droit de gage
général.
243 L’AFF (Association française des fiduciaire) est une association créée à l’initiative de la Caisse des Dépôts et consignations et de sociétés de crédit et d’investissement afin de centraliser l’actualité et les informations relatives à la fiducie : www.asso-‐aff.org 244 S. SILGUY, La fiducie, une réussite ?, Revue Lamy Droit Civil, 2013, n°104, p. 60. 245 En ce sens, voir : supra n° 87. 246 En ce sens, voir : Op. cit. B. François, § 43 suiv . 247 Op. cit., B. FRANCOIS, § 39.
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104 Plus généralement et à titre de conclusion, il nous apparaît que le droit de gage
général formulé par les Art. 2284 et 2285 C. civ n’aurait pas plié sous le poids des
dispositions dérogatoires.
Le droit de gage général comme nous avons tenté de le souligner, constitue un principe
émaillé d’exceptions, procédant de cette préoccupation antagoniste qu’est la
préservation du patrimoine, notamment dans le cadre d’une limitation du risque
entrepreneurial.
Ainsi, les patrimoines d’affectation consacrés par le législateur en droit français à
travers le statut d’EIRL et la fiducie ne constitueraient qu’une atteinte supplémentaire
au principe d’affectation générale, simplement fondée sur une fiction nouvelle : la
possibilité d’affecter un ensemble d’actifs à une fin commune afin qu’ils forment une
universalité de droit, de sorte qu’ils ne répondent plus que des dettes nées de leur
conservation ou de leur gestion et d’un point de vue pratique, que les actifs non affectés
soient préservés des risques liés au but poursuivi par l’affectation.
En effet, la même atteinte avait précédemment pu se concrétiser dans une autre fiction
juridique que constitue la personne morale, à travers l’utilisation de la société comme
« outil de séparation des patrimoines »248. Plus encore, une multitude d’atteintes au
droit de gage général avaient pu prendre naissance dans de simples aménagements à
l’unité du patrimoine249 et nous avions même pu relever qu’une forme d’affectation
tacite des biens, signe d’une hiérarchie dans la valeur attachée à ces derniers pouvait
exister en droit de l’exécution forcée250.
Aussi un auteur souligne-‐t-‐il qu’il faut « défendre le principe d’unité du patrimoine (…)
(qu’)un principe est l’expression d’une hiérarchie des valeurs (…) la traduction d’un
modèle, d’une préférence exprimée par le législateur ou le juge. Peu importe le nombre
des exceptions, elles ne suffisent pas à remettre en cause la supériorité axiologique du
principe ainsi formulé. »251
Le même raisonnement pourrait s’appliquer au droit de gage général qui semble à lui
seul induire l’idée d’unité patrimoniale, en ce sens qu’il prévoit que tout « l’avoir » d’une
personne répond indistinctement de l’ensemble de ses dettes. Or, l’ensemble des biens
de cette personne composant son patrimoine, la théorie subjective n’aurait alors qu’une
248 En ce sens, voir : n° 23 suiv. 249 En ce sens, voir : n° 34 suiv. 250 En ce sens, voir : n° 18 suiv. 251 M. MEKKI, Le patrimoine aujourd’hui, JCP G, 2011, n° 46, p. 2252, § 36.
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valeur explicative du principe d’affectation générale252 . Le droit de gage général
constituerait le principe juridique (et moral) selon lequel qui s’oblige, oblige le sien et
toute disposition contraire, visant à préserver une fraction du patrimoine, n’en
constituerait qu’un simple aménagement nécessaire à en tempérer la rigueur.
252 Notons en ce sens que c’est la théorie du patrimoine qui s’est en partie construite à partir du droit de gage général et non l’inverse. En effet, la première édition des travaux de systématisation de la notion de patrimoine par Aubry et Rau en France date de 1838, plus de trente années après la consécration du droit de gage général dans le Code civil de 1804 aux Art. 2092 et 2093.
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Table des matières :
PARTIE 1 – LES VOIES CLASSIQUES DE CONTOURNEMENT DE L’AFFECTATION GENERALE: 9 TITRE I – LES LIMITATIONS AU GAGE GENERAL DES CREANCIERS SANS ATTEINTE A L’UNITE DU PATRIMOINE. ................................................................................................................................................................................................ 9 Section 1 – Les procédures civiles d’exécution, source d’affectation tacite des biens. ...................... 9
§ 1 – La mise en œuvre du droit de gage général et le principe de saisissabilité indifférenciée. .............................. 9 § 2 – Une saisissabilité largement suggérée en pratique. ......................................................................................................... 12
Section 2 – Le droit des sociétés, limitation du gage des créanciers par contournement de l’unité du patrimoine : ............................................................................................................................................... 15
§ 1 – La société, outil de séparation des patrimoines. ............................................................................................................... 15 § 2 – Le droit des sociétés, une réponse à la gestion du risque entrepreneurial. .......................................................... 19
TITRE II – CONCESSIONS « CLASSIQUES » A LA THEORIE SUBJECTIVE, SOURCES D’AMENAGEMENTS DU DROIT DE GAGE GENERAL : ......................................................................................................................................................... 24 Section 1 – Les entorses du droit civil à l’unité du patrimoine : .............................................................. 24
§ 1 – Le droit des successions, source classique d’exceptions à l’unité du patrimoine et aménagement du droit de gage général. ............................................................................................................................................................................... 24 § 2 – La tontine et l’assurance vie au service d’une limitation du gage général des créanciers. ............................. 28
Section 2 – Les entorses à l’unité du patrimoine par constitution d’un « fonds » : ......................... 32 § 1 – La fortune de mer, affectation patrimoniale classique concédée à l’armateur : .................................................. 32 § 2 – La nature discutée du fonds commun de placement. ...................................................................................................... 35
PARTIE II – L’INFLUENCE DES PATRIMOINES D’AFFECTATION SUR L’EFFECTIVITE DU DROIT DE GAGE GENERAL : ...................................................................................................................... 40 TITRE 1 – LE STATUT D’EIRL, AFFECTATION PATRIMONIALE CONCEDEE A L’ENTREPRENEUR INDIVIDUEL : ............................................................................................................................................................................................. 40 Section 1 – Le gage des créanciers de l’entrepreneur individuel à responsabilité limitée : ........ 40
§ 1 – Le pouvoir accordé à tout entrepreneur sur l’assiette du gage de ses créanciers professionnels. ............. 40 § 2 – La consécration assumée d’un patrimoine d’affectation professionnel. ................................................................. 44
Section 2 – La fragilité du cloisonnement patrimonial réalisé par l’entrepreneur, gage d’un retour à l’affectation générale : ............................................................................................................................ 48
§ 1 – Un cloisonnement tué dans l’œuf : Le problématique accès au crédit de l’EIRL. ................................................ 48 § 2 – L’étanchéité relative des patrimoines de l’EIRL. ............................................................................................................... 52
TITRE II – LE PATRIMOINE D’AFFECTATION FIDUCIAIRE : ....................................................................................... 58 Section 1 – Une affectation patrimoniale contraire à l’esprit du droit de gage général : ........... 58
§ 1 – Consécration d’une affectation par transfert de propriété : ........................................................................................ 58 § 2 – Un patrimoine fiduciaire tenu à l’écart du gage général des créanciers du constituant. ................................. 62
Section 2 – Une atteinte au droit de gage général à relativiser : ........................................................... 65 § 1 – La protection du gage des créanciers du constituant. ..................................................................................................... 65 § 2 – Une utilisation circonscrite de la fiducie en pratique. .................................................................................................... 70