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Page 1: Les chemins tortueux de la gestion de la qualité dans les hôpitaux publics au Québec

LES CHEMINS TORTUEUX DE LA GESTION DE LA QUALITÉ DANSLES HÔPITAUX PUBLICS AU QUÉBEC Daniel Lozeau HEC Montréal | Gestion 2002/3 - Vol. 27pages 113 à 122

ISSN 0701-0028

Article disponible en ligne à l'adresse:

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------http://www.cairn.info/revue-gestion-2002-3-page-113.htm

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Pour citer cet article :

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------Lozeau Daniel, « Les chemins tortueux de la gestion de la qualité dans les hôpitaux publics au Québec »,

Gestion, 2002/3 Vol. 27, p. 113-122. DOI : 10.3917/riges.273.0113

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Certains milieux organisationnels

se révèlent propices à l’adoption de

nouvelles approches de gestion. Cepen-

dant, cela ne garantit pas pour autant

la mise en œuvre effective de ces

approches. Or, lorsqu’une approche de

gestion pose un problème majeur de

mise en œuvre dans plusieurs organi-

sations comparables, cela soulève des

questions sur la nature de l’approche

adoptée, sur la dynamique interne et

sur l’environnement de l’organisation

qui accueille cette approche ainsi que

sur le processus de diffusion en tant

que tel. C’est à une telle problématique

que nous avons fait face lorsqu’au

milieu des années 1990 nous avons

entrepris d’étudier la pratique de la

gestion de la qualité dans le secteur

hospitalier au Québec.

En 1994 et 1995, nous avons effec-

tué la première phase d’une étude

empirique qui a porté sur la pratique

de programmes de gestion de la qualité

dans des hôpitaux publics au Québec.

Nous avons alors constaté que ces

programmes ont presque tous connu

des ratés majeurs au moment de leur

mise en œuvre (Lozeau, 1996, 1997).

Toutefois, il était permis d’espérer que

la situation de la gestion de la qualité

dans les hôpitaux s’améliorerait avec le

temps, ne serait-ce qu’à cause de

l’enracinement attendu des pratiques

liées à cette approche. Par ailleurs, les

dernières années ont aussi été mar-

quées par des modifications apportées

au programme d’évaluation de services

de santé administré par le CCASS1

ainsi qu’à la nature des visites sur le

terrain effectuées périodiquement par

ses représentants2. Cinq ans plus tard,

nous avons entrepris de procéder à la

deuxième phase de cette recherche en

ayant comme objectifs d’actualiser

l’état de la situation concernant le

degré de mise en œuvre des pro-

grammes de gestion de la qualité dans

les hôpitaux au Québec et de reprendre

en même temps l’analyse des facteurs

qui manifestent un impact sur cette

mise en œuvre.

LES HÔPITAUX PUBLICS : UN

CONTEXTE ORGANISATIONNEL PEU

PROPICE À LA GESTION DE LA QUALITÉ

De manière générale, les principes

de la gestion de la qualité3 s’incarnent

dans un ensemble diversifié de pra-

tiques qui se sont d’abord répandues

dans des organisations privées, surtout

dans le secteur manufacturier, puis,

plus récemment, dans celui des ser-

vices publics. Plusieurs écrits qui

traitent de ce courant présentent la

gestion de la qualité comme une

dimension désormais incontournable

de la gestion moderne. En revanche,

peu de place est réservée aux diffi-

cultés de mise en œuvre qui peuvent

en découler ou encore aux limites

d’application de ses principes dans des

milieux organisationnels particuliers,

malgré l’accumulation d’évidences

récentes sur ce point de première

importance4.

Plus précisément, la gestion de la

qualité est présentée comme étant

orientée vers la satisfaction du client,

devant même susciter l’enthousiasme

de ce dernier à qui le produit ou le

service est offert5. Une telle orientation

se justifie en ce que la survie à long

terme d’une organisation qui évolue

sur un marché concurrentiel tient

habituellement à sa capacité d’attirer

puis de fidéliser les clients qui forment

sa première source de revenus. Puisque

la pression de la concurrence est faible

ou nulle pour nombre d’organisations

publiques et à but non lucratif,

l’expression des besoins des usagers

risque, d’un point de vue stratégique,

de passer au second plan en raison de

l’absence d’incitation économique à les

satisfaire6.

Par exemple, il en est ainsi des

hôpitaux publics au Québec – maillons

d’un réseau monopolistique – où

l’usager se retrouve souvent en sur-

nombre (la demande de soins excédant

largement l’offre des services), dans un

contexte organisationnel chronique de

difficultés budgétaires où celui-ci

représente une source de dépenses

plutôt qu’une source de revenus. À cela

s’ajoute non seulement la vulnérabilité

physique et psychologique du patient,

mais également un déficit d’expertise

clinique qu’il concède à son théra-

peute, ce qui accentue son état de

dépendance et donc, éventuellement,

sa difficulté à résister à des conditions

de soins qui lui sont prescrites mais

qui l’indisposent (Lozeau, 1996, 1997).

Par ailleurs, ces hôpitaux possèdent un

milieu bureaucratique dont les bases

reposent sur la bipolarisation d’un

pouvoir partagé structurellement entre

la hiérarchie administrative et celle du

corps médical (chapeauté par un

Conseil des médecins, dentistes et

pharmaciens ou CMDP, situé – à

l’instar du directeur général – immé-

diatement sous le conseil d’adminis-

tration). Ces acteurs évoluent à l’inté-

rieur d’un cadre réglementaire rigide et

lourd favorisant une organisation du

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travail «compartimentée» (Backoff et

Nutt, 1990; Lozeau, 1996, 1999), sans

compter l’existence de «frontières»

plus ou moins perméables séparant la

pratique des divers groupes profes-

sionnels qui travaillent auprès des

patients (Forsyth et Danisiewicz, 1985;

Mintzberg, 1982). Cette dynamique

organisationnelle s’écarte nettement

des principes de gestion proposés par

les auteurs prônant la gestion de la

qualité (et particulièrement l’«amélio-

ration continue de la qualité»), qui font

l’éloge de modes participatifs de ges-

tion articulés autour de «chaînes

fournisseurs-clients» plutôt que d’être

axés sur les rapports hiérarchiques

traditionnels7.

Enfin, soulignons le rôle central

du CCAES tout au long de l’histoire de

la gestion de la qualité dans le secteur

hospitalier canadien. Là aussi, les cir-

constances singulières qui ont présidé

tant à la diffusion qu’à la mise en

œuvre de programmes de gestion de la

qualité se démarquent sensiblement

des écrits prescrivant cette approche.

Ainsi, alors que les auteurs s’entendent

généralement pour affirmer que ce

type d’activité doit être l’objet d’un

besoin ressenti et mis en œuvre par les

principaux acteurs de l’organisation, il

en a été tout autrement sur le terrain.

En effet, c’est par le biais du pro-

gramme d’évaluation des établisse-

ments de santé du CCAES, auquel on a

ajouté une norme portant sur la qua-

lité, que les hôpitaux ont adopté gra-

duellement le virage de la gestion de la

qualité, d’ailleurs selon la forme pres-

crite par ce programme8. Actuellement,

l’adhésion au programme de cet orga-

nisme d’agrément et la conformité à sa

vision de la gestion de la qualité sont

pratiquement devenues des éléments

incontournables dans ce secteur

d’activité9. Le problème est que, au sein

du personnel hospitalier, cette pression

externe ne garantit en rien l’existence

correspondante d’une motivation

intrinsèque et profonde à s’investir

dans des activités de gestion de la

qualité.

Conséquemment, l’écart créé

entre les principes de la gestion de la

qualité et le fonctionnement réel des

hôpitaux appelait ces établissements à

procéder à des changements internes

radicaux. Or, dans quelle mesure ces

organisations peuvent-elles réussir à

mettre sur pied un programme de

gestion de la qualité fonctionnel mal-

gré les conditions initiales adverses?

De plus, quels sont les facteurs qui

risquent de faciliter ou d’entraver la

réalisation d’un tel changement orga-

nisationnel?

Les hôpitaux publics : un terrainprivilégié de diffusion

Malgré les incongruités qui oppo-

sent les principes de la gestion de la

qualité et la dynamique des hôpitaux,

il demeure que cette approche s’est

largement diffusée, ce qui n’a fait

qu’accentuer le problème de la mise en

œuvre d’activités de gestion de la

qualité. Sur ce point, la théorie insti-

tutionnelle – qui met l’accent sur

l’importance de la légitimité sociale

plutôt que sur l’efficacité technique

comme moteur de diffusion (DiMaggio

et Powell, 1983) – nous fournit une

explication sur ce mécanisme. Dans un

environnement institutionnel, la

diffusion se nourrit de comportements

mimétiques alors que les organisations

qui adoptent les premières une «inno-

vation» deviennent des modèles rapi-

dement suivis par les autres organi-

sations. L’effet boule de neige

(bandwagon) qui en découle donne

naissance à une «mode» de gestion

éphémère si l’innovation est rapide-

ment écartée par une nouvelle mode

ou s’il s’avère avec le temps que l’inno-

vation ne donne pas les fruits attendus

(Abrahamson, 1991; Abrahamson et

Rosenkopf, 1993). Or, le secteur hospi-

talier possède les caractéristiques

typiques d’un environnement institu-

tionnel : des organisations en réseau

entretenant des liens étroits (Westphal

et al., 1997) et dont les critères d’effica-

cité reposent pour une bonne part sur

la légitimité des actions de leurs diri-

geants et leur conformité à des normes

émises par une autorité reconnue (le

CCASS).

L’ÉTUDE EMPIRIQUE : SITES ET

MÉTHODOLOGIE

L’étude est divisée en deux phases.

La première phase a été réalisée entre

1994 et 1996 dans 13 hôpitaux (sites),

alors que la deuxième phase a été

menée en 2000 dans les 8 sites étudiés

précédemment toujours en activité

(compte tenu des fusions et des ferme-

tures d’établissements survenues à la

fin des années 1990). Chaque site, situé

en milieu urbain à l’intérieur d’un

périmètre de 80 kilomètres autour de

Montréal, possède au moins 100 lits et

est, à une exception près, un établisse-

ment prodiguant surtout des soins de

courte durée. Quelques sites ont une

vocation d’enseignement et de

recherche (hôpitaux universitaires).

Enfin, au moment de la première phase

de l’étude, chaque site sélectionné était

doté d’un programme officiel de ges-

tion de la qualité depuis plus de deux

ans (la plupart depuis plus de cinq

ans).

Nous avons adopté une approche

de recherche qualitative afin de saisir

la complexité de la situation à travers

le récit des acteurs10. Nous avons choisi

de rencontrer un petit nombre de par-

ticipants lors d’entrevues en profon-

deur. Les données recueillies dans les

sites proviennent de 31 entrevues

semi-structurées qui ont duré de 90 à

180 minutes (complétées par une

recherche documentaire). Lors des

deux phases de cette étude, nous avons

interviewé la responsable11 de la

gestion de la qualité de chaque site

(21 entrevues)12. Dans sept sites, nous

avons aussi interviewé une ou deux

autres personnes (10 entrevues auprès

de gestionnaires ou de cliniciens13)

lorsqu’il s’avérait qu’elles avaient joué

un rôle central dans le programme de

gestion de la qualité de leur établisse-

ment. En complément, nous avons

rencontré des personnes œuvrant dans

le réseau de la santé qui possèdent une

perspective globale du dossier à

l’échelle du Québec, voire du Canada14.

Les informations recueillies auprès de

ces dernières personnes ont contribué

à valider notre étude. Une des limites

de notre recherche tient au petit

nombre de participants et à leur pro-

venance : les deux tiers sont des res-

ponsables de la gestion de la qualité

(c’est-à-dire des cadres), dont plus de

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Daniel Lozeau est professeur à l’École nationale d’administration publique de Montréal.Ge

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la moitié viennent du milieu infirmier

(ce qui risque d’être une source de

biais systématique).

RÉSULTATS DE L’ÉTUDE EMPIRIQUE :PREMIÈRE PHASE (1985-1995)15

Introduction hâtive et activitéscycliques de gestion de la qualité

Dans la plupart des sites, l’intro-

duction d’un projet de programme de

gestion de la qualité s’est butée sur une

faible participation de la part de plu-

sieurs acteurs clés. Cela n’est sans

doute pas étranger au fait que dans ces

sites la gestion de la qualité a été

introduite de manière précipitée, sans

consultation ni diagnostic préalables

portant sur la pertinence de l’implan-

tation de cette approche. D’ailleurs,

presque toutes les responsables de la

gestion de la qualité reconnaissent

d’emblée qu’on a instauré ces pro-

grammes d’abord en vue de «montrer»

aux représentants du CCAES que

l’hôpital se conformait à leurs normes.

Cela a favorisé sélectivement l’accom-

plissement d’activités dotées d’une

grande visibilité externe. Par exemple,

à peu près tous les programmes de

gestion de la qualité des sites étudiés

ont connu des ralentissements

notables de leurs activités, ponctués

par de brefs «regains de vie» (reprise

des réunions du comité de la gestion

de la qualité, remise à jour des docu-

ments de la gestion de la qualité, acti-

vités de rayonnement, etc.) précédant

de peu chaque visite triennale des

représentants du CCAES.

Le comportement des acteurs

Dans plusieurs sites, la direction

s’est retrouvée entre l’arbre et l’écorce,

soumise à des pressions externes pour

que l’hôpital aille de l’avant avec la

création d’un programme de gestion de

la qualité tout en devant faire preuve

de leadership en face de groupes

internes apparemment indifférents ou

réticents à la concrétisation de ce

projet. Selon plusieurs gestionnaires et

responsables de la gestion de la qualité,

il en a été ainsi des représentants du

corps médical qui ont souvent brillé

par leur absence malgré la place qui

leur était réservée dans divers comités

liés au processus de gestion de la

qualité. Plusieurs gestionnaires inter-

viewés expliquent le peu d’engagement

du corps médical dans ce dossier par la

réticence de ces derniers devant tout

décloisonnement risquant d’aboutir à

une altération des frontières profes-

sionnelles dont ils tirent souvent

profit. En revanche, la majorité des

médecins interviewés évoquent la

lourdeur administrative des processus

de gestion de la qualité (documenta-

tion, temps passé en réunions) pour

justifier leur démobilisation. De toute

façon, la conséquence est que, sans

l’engagement des médecins, ces pro-

grammes de gestion de la qualité ont

toujours connu un déficit de légitimité

et sont donc constamment précarisés.

Dans la mesure où la gestion de la

qualité commande l’adoption d’un

style de gestion participatif, cela

semble également poser un problème

chez la majorité des directeurs. En

effet, d’après la plupart des respon-

sables de la gestion de la qualité et

quelques directeurs ouverts à la ges-

tion de la qualité, le problème réside

dans le fait que certains directeurs en

fin de carrière répugnent à l’idée de

devoir modifier leur manière de gérer.

D’autres encore considèrent que

l’accent placé sur des processus admi-

nistratifs horizontaux et interfonc-

tionnels aurait comme inconvénient

d’affaiblir leur imputabilité. Cepen-

dant, renonçant à exprimer leur réti-

cence aussi librement que le corps

médical, nombre de directeurs

semblent se limiter à des actions

indirectes difficiles à interpréter

comme étant de la non-collaboration

(par exemple, ne manifester aucune

diligence à apposer leur «imprimatur»

sur des projets d’amélioration de la

qualité amorcés par des subalternes),

tout en faisant des actions symbo-

liques afin de souligner publiquement

la contribution de leur directorat au

programme de gestion de la qualité

(par exemple, rédaction d’articles dans

le journal de l’hôpital sur les initiatives

réalisées par des subalternes en

matière de gestion de la qualité).

Dans ce contexte, les circons-

tances qui ont entouré la nomination

de la responsable de la gestion de la

qualité dans plusieurs sites ont été

interprétées par la majorité des «non-

responsables» interviewés comme le

signe d’un désengagement de

directeurs généraux plutôt motivés par

la nécessité de maintenir une excel-

lente image organisationnelle dans le

réseau de la santé. Cette interprétation

s’appuie sur le fait que, dans 11 des 13

sites, les dirigeants ont confié le dos-

sier à une responsable qui ne possédait

qu’un statut de cadre intermédiaire ou

inférieure et à qui ils n’ont fourni qu’un

appui politique relatif16, malgré l’enver-

gure organisationnelle du mandat

confié à la responsable.

Devant tant d’incertitude associée

à la mise en place d’un programme de

gestion de la qualité bien ancré dans le

milieu organisationnel et, par opposi-

tion, compte tenu des exigences

bureaucratiques précises exprimées

par le CCAES, tout concourait donc à

ce que la responsable conçoive un

programme à l’image des attentes de

cet environnement. D’ailleurs, selon la

quasi-totalité des gestionnaires inter-

viewés, c’est ce qui s’est produit : un

programme de gestion de la qualité axé

sur la production d’une documenta-

tion abondante, lourde et complexe à

administrer (manuels de normes à res-

pecter, grilles périodiques d’évaluation

à remplir, etc.). L’effet – dévastateur – a

été de réduire la réalisation des acti-

vités de gestion de la qualité à leur

volet administratif. Il s’en est alors

trouvé plusieurs pour affirmer que

l’essentiel du temps consacré à la ges-

tion de la qualité consistait à «gérer de

la paperasse» plutôt qu’à «faire» de la

qualité.

Le caractère bureaucratique de

cette gestion des résultats a eu tôt fait

de susciter chez près de la moitié des

gestionnaires interviewés la crainte

d’être sanctionnés éventuellement sur

la base des rapports qu’ils devaient

remettre à leur supérieur ou à la res-

ponsable de la gestion de la qualité.

Parmi ces participants, plusieurs ont

ajouté qu’ils connaissaient quelques

collègues qui s’étaient mis, en consé-

quence, à filtrer le contenu de leurs

rapports à leur avantage17. Enfin, si peu

de cadres ont franchement refusé de

mettre de côté leur style de gestion

centralisé, d’autres plus nombreux

semblent avoir recréé malgré eux les

anciens rapports hiérarchiques avec

leurs subalternes, même dans le cadre

d’activités telles que des cercles de

qualité (qui ont souvent pris l’allure de

simples réunions de service).

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Bref, si plusieurs cadres ont été

hésitants à s’engager dans la gestion de

la qualité, c’est en partie parce qu’ils

ont cherché à éviter d’être au centre

d’un processus inachevé de décentra-

lisation administrative dans lequel,

selon eux, ils risquaient de se retrouver

perdants. Concrètement, ils redou-

taient d’hériter du pire de deux

mondes, en subissant des contrôles de

plus en plus serrés de leurs autorités et

en devant accepter d’être conjointe-

ment imputables de processus de

gestion dont ils auraient eu de moins

en moins la maîtrise.

La quête et le maintien de l’auto-

nomie des groupes professionnels sont

des thématiques bien documentées en

matière de théorie des organisations18.

Sur ce point, il est clair que les infir-

mières et les médecins n’y échappent

pas. Cependant, dans le dossier de la

gestion de la qualité, d’autres facteurs

plus spécifiques ont été à la source de

la position dominante occupée par les

infirmières par rapport aux comporte-

ments de retrait qui ont caractérisé les

médecins.

Du côté des soins infirmiers, deux

périodes distinctes ont jalonné l’his-

toire des programmes de gestion de la

qualité dans la plupart des sites. La

première période, entre 1985 et 1990

environ, a été caractérisée par le lance-

ment des premiers programmes de

gestion de la qualité sous l’influence de

la direction des soins infirmiers. Dans

ces sites, le directeur général subissait

des pressions du CCAES afin qu’il dote

rapidement son établissement d’un tel

programme. Mais, à l’interne, comme

personne n’avait d’expertise en la

matière, la direction générale s’est

tournée vers sa direction des soins

infirmiers dont une subalterne gérait

déjà un programme d’évaluation des

soins infirmiers. C’est donc à cette

subalterne, désignée responsable de la

gestion de la qualité, qu’est revenue la

tâche de monter un programme. Pour

des raisons de commodité et de rapi-

dité, cette responsable a transposé

dans le nouveau programme de gestion

de la qualité plusieurs éléments du

programme d’évaluation des soins

infirmiers, qui reposait alors principa-

lement sur une logique d’appréciation

des soins19. La parenté entre les deux

programmes était si grande que, dans

certains sites, les infirmières ont cessé

d’utiliser leur propre programme pour

n’employer que le programme de

gestion de la qualité. D’ailleurs, selon

plus du quart des participants, ce

programme est devenu tellement

associé aux soins infirmiers (plutôt

qu’à l’hôpital dans son ensemble) que

cela a contribué à en restreindre la

diffusion en dehors du nursing. Par

contre, à partir des années 1990,

l’orientation des programmes de

gestion de la qualité a officiellement

bifurqué vers une pratique dorénavant

centrée sur le concept plus global

d’«amélioration continue», ce qui a

incité plusieurs infirmières chefs

d’unité à renouer avec leur programme

d’évaluation professionnelle. Dès lors,

plus que jamais, le programme de ges-

tion de la qualité est devenu stricte-

ment associé aux préparatifs liés à la

venue périodique des visiteurs du

CCAES.

En ce qui concerne les médecins,

nous avons noté précédemment que

ceux-ci ont en général manifesté de

l’inertie lorsqu’ils ont été sollicités.

Cependant, à leur décharge, il faut

aussi mentionner que la plupart des

responsables de la gestion de la qualité

n’ont jamais essayé de les faire parti-

ciper de manière significative à la

conception ou à la mise en route du

programme de gestion de la qualité,

présumant leur désintérêt dans ce

dossier. Au mieux, ces responsables

nous ont exprimé leur intention de

tenter éventuellement une percée

auprès du corps médical, mais unique-

ment après avoir réussi à enraciner le

programme dans le reste de l’organi-

sation, là où la résistance était estimée

moins importante. Or, entre 1985 et

1995, cette intention ne s’est pas

concrétisée.

Quant aux quelques autres

employés qui ont été intégrés dans des

activités de gestion de la qualité, ils

semblent avoir apprécié leur expé-

rience. Par contre, leurs associations

syndicales ont plutôt affiché de la

méfiance devant ce type de projet, sans

pour autant avoir constitué un réel

obstacle à sa réalisation. Il est vrai que,

selon l’ensemble des participants, la

gestion de la qualité ne paraît pas avoir

constitué un enjeu important sur le

plan des relations du travail entre les

dirigeants et leurs employés.

Des programmes de gestion de laqualité mal adaptés et mal intégrés

Entre 1985 et 1995, la mise en

route des programmes de gestion de la

qualité dans les sites de notre étude a

été caractérisée par un certain nombre

de problèmes qui ont contribué à

ralentir puis à stopper les activités de

ces programmes.

Selon la plupart des participants,

les efforts visant à satisfaire aux exi-

gences bureaucratiques du CCAES ont

dès le début rendu laborieuse la trans-

position des principes de la gestion de

la qualité dans un vocabulaire acces-

sible aux non-initiés et dans des acti-

vités opérationnelles, en plus d’avoir

fait de celle-ci une inutile surcharge de

travail. Cependant, à partir des années

1990, un changement d’orientation a

contribué à affaiblir encore plus le

processus d’intégration de la gestion

de la qualité dans les hôpitaux. En

effet, jusqu’alors centrée sur le concept

d’«appréciation» (logique d’évaluation

systématique visant la conformité à

des normes), la gestion de la qualité est

devenue axée sur l’idée d’«améliora-

tion continue» (logique de processus

en constante évolution faisant appel à

l’engagement de tout le personnel). Or,

la majorité des participants (dont

quelques responsables de la gestion de

la qualité) éprouvent de la difficulté à

distinguer ces deux visions de la ges-

tion de la qualité, plusieurs leur don-

nant vaguement la même signification

comme si ce changement n’était guère

plus qu’un renouvellement d’image. Au

contraire, d’autres participants qui

font la distinction entre ces deux ver-

sions (presque tous des responsables)

déplorent que les activités d’améliora-

tion continue se soient le plus souvent

substituées aux activités d’apprécia-

tion (plutôt que de s’y ajouter),

mettant ainsi en relief le fait que la

«transition» a souffert d’un manque de

continuité. Bien que tirant des

conclusions opposées sur la réalité du

changement qui a vu la gestion de la

qualité passer du concept d’apprécia-

tion à celui d’amélioration continue (ce

qui correspond peut-être à des réalités

différentes vécues par les acteurs dans

les différents sites), il demeure que

plusieurs de ces participants partagent

une conclusion analogue, à savoir que

cette approche de gestion s’est révélée

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changeante (pour les uns, dans sa

forme, pour les autres, dans son

contenu) selon les caprices des cou-

rants de gestion à la mode, et que cela

n’a fait que nuire à son enracinement20.

Enfin, à l’intérieur des sites où les

tentatives pour arrimer le programme

de gestion de la qualité dans la totalité

de l’organisation ont été les plus

sérieuses, deux problèmes sont appa-

rus : le manque d’intégration verticale

et le manque d’intégration horizontale

du programme. Le manque d’intégra-

tion verticale résulte d’un faible enga-

gement des cadres supérieurs dans les

activités de gestion de la qualité qui

ont cours sous leur autorité (considé-

rant leur rôle moteur dans une orga-

nisation hiérarchisée). Les subalternes,

alors laissés à eux-mêmes, désinves-

tissent à leur tour les activités de

gestion de la qualité au profit d’autres

activités pour lesquelles ils sont plus

étroitement sanctionnés. Le manque

d’intégration horizontale découle de

l’engagement inégal des divers services

envers la gestion de la qualité à travers

l’organisation (situation qui a prévalu

dans les sites de notre étude). Un tel

phénomène fragilise particulièrement

les projets d’amélioration continue

dont l’existence dépend de la coopé-

ration de plusieurs services dans

l’organisation, d’autant plus si le

défaut d’un seul maillon de la chaîne

est susceptible d’empêcher le fonction-

nement de toute la chaîne. Ce pro-

blème est aggravé notamment lorsqu’il

se manifeste chez des acteurs en

amont de la chaîne de production d’un

service, engendrant un effet en

cascade. Devant ce problème, certains

chefs de service déterminés malgré

tout à pratiquer des activités de

gestion de la qualité ont alors choisi de

n’élaborer que de petits projets en

«autarcie», isolés du reste de l’organi-

sation. Malgré ces initiatives «locales»,

il va sans dire que, dans de telles

circonstances, le caractère intégré et

synergique d’un programme de gestion

de la qualité à l’échelle de l’organisa-

tion est gravement altéré.

En résumé, jusqu’en 1995, les

programmes de gestion de la qualité

n’ont débouché sur une mise en œuvre

soutenue et intégrée d’activités

d’appréciation ou d’amélioration

continue dans aucun site, ce qui ne les

a nullement empêchés d’obtenir, pour

la plupart, une reconnaissance insti-

tutionnelle sous la forme d’un agré-

ment de trois ans renouvelable.

RÉSULTATS DE L’ÉTUDE EMPIRIQUE :DEUXIÈME PHASE (1996-2000)

À l’automne 2000, les huit sites

toujours en activité évoluent dans un

contexte sociopolitique apparemment

plus favorable à la gestion de la qualité :

réformes centrées sur le citoyen et sur

une plus grande imputabilité de

l’administration publique, enquêtes

sur la satisfaction des usagers, réorga-

nisation des processus d’achemine-

ment des plaintes, etc. À cela s’ajoute

le renouvellement du programme

d’évaluation du CCAES – devenu

entre-temps le CCASS – ainsi que de

son processus de «visite sur place»,

dorénavant centré sur des rencontres

directes effectuées auprès du person-

nel et des usagers, plutôt que sur

l’examen de documents (CCASS, 1995,

2001).

Par contre, d’autres aspects

semblent avoir peu changé. Ainsi, le

CCASS est demeuré la principale

source de pression incitant les hôpi-

taux à effectuer des activités de gestion

de la qualité, et ce, à l’intérieur d’un

modèle conceptuel très balisé. Par

ailleurs, la responsable de la gestion de

la qualité est, presque aussi souvent

qu’avant, une cadre intermédiaire issue

des soins infirmiers. À l’intérieur des

services, il n’est pas clair que le pro-

gramme de gestion de la qualité soit

bien connu et surtout bien compris de

la majorité du personnel non adminis-

tratif (nos données sont contradic-

toires), ce qui est le signe d’une péné-

tration incomplète et superficielle de

cette approche au cœur de l’organisa-

tion. Enfin, malgré les renouvellements

successifs effectués par le CCASS, la

documentation et l’administration du

programme de gestion de la qualité

dans les services demeurent lourdes et

très techniques.

Quant à l’état de la pratique des

programmes site par site, nos données

empiriques suggèrent l’existence de

deux situations distinctes. Dans six

sites, la gestion de la qualité semble

embourbée (comme auparavant) dans

un processus de reconstruction chro-

nique, tandis que dans un ou deux

sites, nous rapportons pour la pre-

mière fois l’émergence d’une pratique

en voie de s’intégrer en profondeur aux

processus de gestion courante de

l’organisation.

Des programmes de gestion de laqualité en reconstruction chronique

Dans six des huit sites, la respon-

sable de la gestion de la qualité

témoigne encore d’un programme de

gestion de la qualité «cyclothymique»

accordé avec les visites triennales

effectuées par les représentants du

CCASS. La réactivation des activités de

gestion de la qualité se déroule tou-

jours dans la précipitation, à quelques

mois de la venue des «visiteurs».

L’objectif premier est demeuré le

même : obtenir un agrément de trois

ans. Les caractéristiques du pro-

gramme se conforment aux nouvelles

exigences prescrites par le CCASS,

notamment en ce qui concerne la

formation de certains comités. De plus

grands efforts semblent menés pour

que ce programme génère des activités

de gestion de la qualité au sein des

services et des unités de soins, mais

dès que les «visiteurs» sont repartis, le

programme de gestion de la qualité

– de nouveau doublé par d’autres

dossiers jugés plus critiques – tend à

retomber pendant près de trois ans

dans une demi-léthargie. Certaines

activités bénéficiant de plus de visi-

bilité à l’échelle de l’organisation ou

possédant un caractère ponctuel ont

plus de chances de donner des résul-

tats positifs.

Le programme de gestion de la

qualité dans ces sites constitue géné-

ralement une entité séparée des autres

activités de gestion. Selon la plupart

des responsables de la gestion de la

qualité, les acteurs qui contribuent au

programme considèrent celui-ci

comme un alourdissement de la tâche.

La complexité des éléments techni-

ques du programme est telle que la

responsable doit parfois assister des

chefs de service et d’unité de soins

dans la gestion de la documentation de

la gestion de la qualité. Enfin, les pro-

blèmes liés au manque d’intégration

horizontale et verticale perdurent.

Ainsi, les projets d’amélioration conti-

nue en voie de réalisation sont souvent

ceux qui s’accomplissent localement et

isolément dans l’organisation (l’autarcie

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est un gage de succès). Comme la

gestion de la qualité est reléguée au

second plan par plusieurs directeurs,

cela a également pour effet d’empêcher

la mobilisation intégrée du personnel,

même à l’intérieur de la majorité des

directorats. Bref, en matière de gestion

de la qualité, les initiatives indivi-

duelles demeurent la règle.

Un programme de gestion de laqualité en voie de prendre racine

Dans au moins un site, le témoi-

gnage de la responsable de la gestion

de la qualité (corroboré par un gestion-

naire intermédiaire et des chefs de

service) indique qu’un programme de

gestion de la qualité semble prendre

véritablement racine dans les pratiques

courantes de gestion d’un hôpital.

Cette affirmation repose en bonne par-

tie sur le maintien du niveau d’activité

du programme (qui aurait peu diminué

après la dernière visite du CCASS) et,

surtout, de l’intégration des principes

de la gestion de la qualité dans d’autres

transformations majeures en cours de

réalisation dans l’organisation.

De quelle façon ce processus a-t-il

pris forme? Comme dans les autres

sites, le programme de cet hôpital ne

s’est pas diffusé immédiatement avec

facilité et selon une vision stratégique

rectiligne dictée par le sommet ou par

sa responsable. Au contraire, les pre-

mières années du programme ont été

difficiles : les problèmes de lourdeur

administrative étaient omniprésents

alors que les tentatives par tâtonne-

ment visant la mobilisation du person-

nel se sont longtemps soldées par des

demi-échecs. Pourtant, la persistance

d’efforts apparemment vains aurait, en

fait, permis la découverte par essais et

erreurs d’initiatives plus porteuses tout

en concourant à réduire l’inertie de

plusieurs acteurs (à l’image d’un auto-

mobiliste parvenant à sortir d’un banc

de neige à force d’effectuer avec son

véhicule des manœuvres avant et

arrière).

À cela s’ajoute un autre élément :

la mise en place d’une nouvelle struc-

ture organisationnelle qui aurait servi

de tremplin pour le développement de

la gestion de la qualité. Il s’agit d’une

structure transfonctionnelle par

programme-clientèle étayée par des

équipes d’amélioration continue telles

qu’exigées par le CCASS. La première

version de cette structure s’est super-

posée à la structure fonctionnelle

traditionnelle, fondée sur des direc-

torats. Comme cette cohabitation de

structures était vécue de manière

conflictuelle, les administrateurs de la

structure fonctionnelle se voyant à la

remorque des priorités dictées par les

chefs des équipes d’amélioration

continue, la direction de l’hôpital n’a

conservé qu’une structure par pro-

gramme, ne réservant aux directeurs

fonctionnels qu’un rôle conseil (sauf

exception, voir plus loin). Dans cette

nouvelle structure, les équipes d’amé-

lioration continue – dorénavant les

pivots opérationnels de l’hôpital – ont

été directement rattachées à la direc-

trice générale adjointe (également

responsable de la gestion de la qualité).

L’hôpital a aussi amorcé une

décentralisation administrative

convergente avec la valorisation d’acti-

vités centrées sur la satisfaction du

«client». Plusieurs de ces initiatives

ont renforcé le changement de struc-

ture organisationnelle dans un

contexte où les modalités de cette

nouvelle structure découlaient d’un

processus participatif de prise de

décision. Cette façon de procéder a

donné l’occasion à un grand nombre

d’acteurs de partager la paternité de ce

projet comme de ses résultats, les

disposant d’autant plus à en défendre

l’intégrité par la suite.

Enfin, le changement structurel

faisant des équipes d’amélioration

continue la courroie de transmission

des opérations de l’hôpital a été

appuyé non seulement par la direction

générale et plusieurs gestionnaires,

mais aussi par le corps médical. Pour

convaincre les médecins de participer

à ce changement, les dirigeants de

l’organisation ont dû accepter d’«amé-

nager» la nouvelle structure de telle

façon que ces cliniciens en sortent

gagnants. C’est ainsi que le directeur

des services professionnels (poste

occupé par un médecin) est devenu la

seule direction de l’ancienne structure

à laquelle on a accordé la charge d’un

programme (portant sur les diagnos-

tics), plutôt que de le confiner dans

une fonction conseil. De plus, il a été

convenu que chaque programme serait

chapeauté par deux codirecteurs, dont

obligatoirement un médecin. D’une

certaine manière, les dirigeants de

l’organisation se sont résignés à

«cloner» la bureaucratie profession-

nelle bicéphale (administrative et

médicale) de l’hôpital à l’intérieur de

chaque programme.

DISCUSSION

Entre 1985 et 1995, l’adoption de

la gestion de la qualité tout comme

l’application de ses principes dans les

hôpitaux au Québec ont davantage

relevé de l’image publique que de la

réalité d’une pratique ancrée. Le

comportement des acteurs montre que

l’enjeu premier associé au dossier de la

gestion de la qualité a été la poursuite

d’une reconnaissance sociale par

l’obtention d’un agrément émis par le

CCAES.

À l’intérieur des sites, l’application

des principes de cette approche s’est

butée sur l’inertie plus ou moins voilée

d’acteurs clés, tels certains directeurs

et médecins. Au sein des services et

des unités de soins, la gestion de la

qualité a souvent été centrée sur la

rédaction et la gestion de documents,

principaux objets d’examen des visi-

teurs du CCAES. Dans l’esprit de la

majorité des gestionnaires, l’essentiel

des activités de gestion de la qualité

visait dans l’immédiat à faire bonne

impression auprès des visiteurs. Cela

explique le caractère cyclique du

niveau d’activité des programmes, sys-

tématiquement accordé avec la visite

des représentants du CCAES et le temps

des préparatifs précédant celle-ci.

La période comprise entre 1996 et

2000 a été marquée, plus que jamais,

par un système de santé ayant de la

difficulté à garantir aux citoyens des

soins convenables avec promptitude

(OIIQ, 2002). En ce qui a trait à la ges-

tion de la qualité, les améliorations

apportées au programme du CCASS

n’ont généralement pas suffi à sortir les

programmes de gestion de la qualité

des hôpitaux de leur léthargie pério-

dique. Par contre, fait nouveau, les

principes de la gestion de la qualité ont

semblé s’enraciner dans au moins un

des sites étudiés. En effet, après avoir

été laborieusement mis en place, le

programme de cet hôpital s’est inséré

dans une dynamique de changement

structurel dans laquelle il a enfin

trouvé une pertinence au sein de

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l’organisation. Les principes de cette

approche ont pu s’ancrer dès lors qu’ils

ont été renforcés par le contexte orga-

nisationnel et qu’ils sont devenus utiles

auprès d’un nombre critique de ges-

tionnaires et de cliniciens dans ce site.

Plus qu’une simple technique,mais moins que le fer de lance du changement organisationnel

Sur la base de nos données empi-

riques, il se dégage que si l’apport de la

gestion de la qualité ne peut être réduit

à une simple amélioration de tech-

niques de gestion, cette approche ne

suffit pas à elle seule à déclencher un

processus de changement organisa-

tionnel en profondeur. L’impulsion en

faveur du changement est à la fois trop

forte pour ne pas activer des méca-

nismes de défense et trop faible pour

venir à bout de ceux-ci.

Ainsi, la gestion de la qualité n’est

pas assimilable à une technique de

gestion sans incidence sur les éléments

profonds d’une organisation. En effet,

les comportements compatibles avec

certains de ses concepts – telle l’amé-

lioration continue – sont étayés par

des valeurs qui impliquent un réaligne-

ment des zones de pouvoir, mais aussi

une reconstruction mentale de la

réalité de la part d’acteurs habitués à

œuvrer dans une bureaucratie profes-

sionnelle. Par exemple, l’expansion de

processus transversaux de production

est difficilement applicable sans que

cela altère le caractère compartimenté

des processus usuels de travail dans la

quasi-totalité des hôpitaux actuels au

Québec. Conséquemment, l’introduc-

tion de la gestion de la qualité dans ces

organisations est susceptible de pro-

voquer de la résistance chez les indi-

vidus habitués à jouir d’une grande

autonomie professionnelle. Pareille-

ment, les systèmes de contrôle techno-

cratiques et centralisés caractérisant

ces organisations risquent d’entrer en

conflit avec de nouvelles pratiques

consistant à encourager une plus

grande appropriation des processus de

travail et de contrôle de production

par les employés qui fournissent les

services aux usagers. Ainsi, la sous-

utilisation de l’abondante documen-

tation de gestion de la qualité dans

nombre de services s’explique sans

doute par la complexité de son

contenu, mais peut-être aussi par la

difficulté des gestionnaires à envisager

l’information qui s’y trouve comme un

outil de communication et de rétro-

action donnant l’occasion à leurs

employés (si ces derniers devaient en

faire usage «par et pour eux-mêmes»)

de prendre une part importante à

l’amélioration des processus de pro-

duction.

Ces considérations nous amènent

au point suivant : lorsque la gestion de

la qualité se heurte à des aspects

profonds de l’organisation (habitudes,

constructions mentales de la réalité,

etc.), nous constatons que, loin de

déclencher un changement organisa-

tionnel majeur, cette approche tend

plutôt à être absorbée par la dyna-

mique adverse de l’organisation

(Lozeau, 1999; Lozeau et al., 2002). Cet

«effet boomerang» résume la nature

du problème auquel les responsables

de la gestion de la qualité ont fait face :

devoir mettre en œuvre une approche

de gestion qui demande des change-

ments significatifs dans le fonctionne-

ment de l’organisation sans qu’elle soit

pour autant un puissant générateur de

tels changements. Le fait que la ges-

tion de la qualité ait été l’objet d’une

mode de gestion qui a précipité sa

diffusion dans de nombreux hôpitaux

n’a fait que reproduire ce problème à

plusieurs exemplaires.

Le cas d’une réussite? Un modèleà reproduire?

L’intérêt d’exposer des «cas de

réussite» réside, en principe, dans la

capacité de reproduire avec suffisam-

ment de fidélité le modèle présenté en

vue d’obtenir des résultats compa-

rables. Or, notre objectif est ici plus

modeste. En effet, bien qu’il soit pos-

sible de tirer des enseignements de ce

qui a été accompli dans le site où la

gestion de la qualité semble en voie de

s’enraciner, il reste que l’estimation des

réalisations attribuables à cette

approche qui ont effectivement béné-

ficié aux usagers demeure à préciser21.

De plus, la nature incrémentale (au

sens où l’entendent Braybrooke et

Lindblom, 1970) du processus dans

lequel la gestion de la qualité s’est

longtemps incarnée, conjuguée avec la

spécificité du contexte organisationnel

dans lequel cette approche a pris son

envol, a pour effet de limiter le poten-

tiel de généralisation de ce cas en tant

que modèle à imiter.

Cela dit, nous retenons deux élé-

ments qui ont rendu possible l’enraci-

nement de la gestion de la qualité dans

ce site. Le premier élément concerne le

temps nécessaire à la maturation d’un

changement des valeurs organisa-

tionnelles. Comprenons qu’il s’agit

moins du «temps chronologique» (la

quantité abstraite de temps écoulé)

que du «temps événementiel». Ce

temps événementiel a été tissé par la

nature et l’intrication des activités de

gestion de la qualité que les acteurs

ont expérimentées dans leur milieu

organisationnel et par les adaptations

qu’ils ont dû concrètement y apporter.

C’est au long de ces chemins «tortueux

et tout en boucles» que les principes et

les pratiques de gestion de la qualité se

sont adaptés de manière particulière

à leur milieu organisationnel. Le

deuxième élément a trait à la modi-

fication de la structure organisa-

tionnelle dès lors fondée sur une

dynamique transfonctionnelle. Cela a

engagé l’hôpital dans un mouvement

global convergeant avec les principes

de la gestion de la qualité. Jusque-là,

les nombreuses adaptations apportées

au programme de gestion de la qualité

n’avaient pas vraiment réussi à inflé-

chir les pratiques de l’organisation. En

revanche, l’établissement de cette nou-

velle structure a sans doute été facilité

par un «dégel» des valeurs chez

nombre de gestionnaires touchés par le

programme. Mais ce n’est qu’avec

l’avènement de la structure par

programme-clientèle que la gestion de

la qualité est devenue une solution

répondant aux besoins de cette orga-

nisation. Cessant de n’être qu’une

initiative isolée à l’intérieur d’une

bureaucratie, elle s’est alors fondue

dans une mouvance plus vaste sup-

portée par un grand nombre de cadres

et de cliniciens. C’est donc la présence

combinée de ces deux éléments – la

maturation d’un changement des

valeurs nourrie par les adaptations

successives apportées au programme

de gestion de la qualité et le change-

ment de structure organisationnelle –

qui a créé une situation (unique parmi

les sites de notre étude) de «conver-

gence réciproque22» de la dynamique

de l’organisation et des principes de la

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gestion de la qualité, et qui a fait

basculer le statu quo. L’un sans l’autre,

chacun de ces deux éléments aurait

connu un destin incertain, mais l’un

avec l’autre, ils sont devenus les leviers

conjoints d’un changement

organisationnel majeur.

Dans les autres sites : des activitésritualisées de gestion de la qualité

Bien qu’un déblocage comparable

puisse se produire dans les autres sites

étudiés, la situation qui prévaut

actuellement montre peu de signes

qu’il en soit ainsi (sauf dans un

deuxième site). Même si plusieurs

gestionnaires expriment discrètement

du mécontentement et du cynisme en

rapport avec la bureaucratisation de

leur programme de gestion de la qua-

lité, il s’en trouve fort peu qui tentent

réellement de modifier la donne. Or,

leur désabusement n’explique sans

doute pas entièrement leur passivité.

En effet, pour nombre d’entre eux, la

décision de se conformer sur papier

aux normes du CCASS est perçue

comme un moindre mal, en ce sens

que cela correspond à leurs yeux à

l’avenue la plus proche d’un statu quo

protégeant leur zone d’autonomie. En

réponse à cette inertie, plusieurs

promoteurs de la gestion de la qualité

(les responsables de la gestion de la

qualité, les visiteurs du CCASS, etc.)

feignent l’ignorance du phénomène

pour éviter tout affrontement, jugeant

que ce dossier est un enjeu qui n’en

vaut pas la chandelle. À travers les

«rituels» d’activités qui en découlent

(Lozeau, 1999), chacun en retire dans

l’immédiat des bénéfices secondaires,

les uns préservant leur autonomie

locale, les autres conservant intacte

leur autorité, mais tous projetant une

image extérieure de conformité à la

rhétorique de l’excellence (en expan-

sion dans le secteur public). Dans ce

contexte, il serait réducteur d’attribuer

au seul CCASS (malgré les effets per-

vers qui ont parfois résulté de ses

interventions) la responsabilité des

échecs de mise en œuvre des pro-

grammes de gestion de la qualité.

L’écueil a bien plus résidé dans le

manque de convergence existant entre

la dynamique de ces établissements et

les principes de la gestion de la qualité

ainsi que dans la menace que cette

approche a représentée pour certains

acteurs quant à la perte de pouvoir et

au bouleversement de leurs pratiques

familières.

CONCLUSION

Cette étude a mis en évidence

certaines difficultés de mise en œuvre

d’activités de gestion de la qualité dans

les hôpitaux au Québec. Il est apparu

que cette approche n’est pas assimi-

lable à une simple technique de gestion

sans incidence profonde sur le fonc-

tionnement d’une organisation. De ce

fait, son introduction est susceptible

d’entraîner beaucoup de résistance

lorsque la dynamique de l’organisation

ne correspond pas aux principes de

cette approche. En revanche, l’enra-

cinement de la gestion de la qualité

semble facilité lorsqu’une telle

approche s’accompagne de la mise sur

pied d’autres initiatives qui amènent

les principaux acteurs de l’organisa-

tion à s’investir avec constance (plutôt

ponctuellement) dans des activités de

gestion de la qualité. La nature contin-

gente des organisations indique égale-

ment que ces activités ont avantage à

être adaptées au milieu organisation-

nel qui les accueille plutôt que d’être

campées sur une orthodoxie de prin-

cipes. Cela implique que les solutions

utilisées avec succès dans un site

donné ne sont pas nécessairement

transposables à d’autres sites. Vu sous

cet angle, le mimétisme interorgani-

sationnel constitue donc une stratégie

de mise en œuvre apparemment

commode, mais dont les résultats se

révèlent souvent décevants. Malheu-

reusement, ce mimétisme est favorisé

par des pressions institutionnelles qui

incitent les acteurs des organisations à

adopter avec précipitation la gestion

de la qualité moins pour son utilité

intrinsèque que par souci de satisfaire

un environnement pourvoyeur de

ressources matérielles et symboliques.

On comprend alors pourquoi tant de

processus de gestion de la qualité ont

été ritualisés, puisqu’ils n’ont trouvé de

sens qu’en servant de «vitrine» orga-

nisationnelle.

La ritualisation de la gestion de la

qualité a mis en lumière une caracté-

ristique fondamentale de la pratique

de cette approche qui n’a jamais cessé

d’être une cause de démobilisation du

personnel dans ce dossier : la réalisa-

tion effective d’activités de gestion de

la qualité n’est pas nécessairement

corrélée avec la réalisation des objec-

tifs de l’organisation. Plus précisément,

une organisation peut être récom-

pensée même si son programme de

gestion de la qualité n’est pas réelle-

ment fonctionnel. Bien plus, cette

organisation peut également ne pas

être récompensée même si son pro-

gramme devient fonctionnel. C’est en

effet ce qui se produit lorsque la

gestion de la qualité est considérée

dans une perspective plus large : celle

de la pénurie chronique des ressources

budgétaires, techniques et profes-

sionnelles que subissent les services de

santé depuis plusieurs années. Ainsi,

pendant que l’État soutient un dis-

cours sur l’importance de doter le

Québec d’un réseau de services de

santé centrés sur le citoyen, les auto-

rités politiques obligent chaque hôpital

à respecter strictement un équilibre

budgétaire qui, sur le terrain, s’avère

souvent impossible à réaliser sans que

soient réduites la quantité et la qualité

des services prodigués aux patients. En

fait, les contraintes budgétaires sont

telles que presque aucun gain d’effi-

cience attribuable à la gestion de la

qualité ne pourrait répondre à ces

exigences tout en atteignant un objec-

tif d’amélioration continue de la

qualité des services. Aux yeux des

personnes qui œuvrent dans les hôpi-

taux, de telles contraintes imposées

par l’État lancent le message que ses

priorités sont bel et bien budgétaires.

Nonobstant la gravité et la justesse des

raisons qui motivent les choix budgé-

taires déchirants du gouvernement en

la matière, cette réalité de plomb ne

manque pas d’avoir un impact dévas-

tateur sur la mobilisation d’un per-

sonnel (dont plusieurs membres pré-

sentent des symptômes d’épuisement

professionnel) à qui l’on demande,

dans les faits, de s’engager dans de

dérisoires activités de gestion de la

qualité. Les acteurs qui luttent sur la

ligne de feu auprès des usagers savent

bien qu’au-delà d’un certain niveau

exigé de restrictions il n’existe plus de

solutions satisfaisantes que les nou-

velles approches de gestion telles que

la gestion de la qualité puissent propo-

ser avec réalisme.

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Si la gestion de la qualité se

limitait à un ensemble d’outils et de

normes techniques à assimiler, sa

diffusion ne poserait pas de réelle

difficulté. Toutefois, le peu de conver-

gence existant entre la dynamique des

hôpitaux publics et les principes de la

gestion de la qualité, combiné avec le

contexte de manque chronique de

ressources qui désorganise au quoti-

dien ces établissements de santé, ne

peut former un terreau fertile à l’appli-

cation d’une approche qui demande la

mobilisation du personnel. En consé-

quence, bien que nos données tendent

à montrer que l’enracinement de la

gestion de la qualité dans le secteur

hospitalier soit possible même dans de

telles conditions, elles indiquent aussi

qu’au mieux ce type de situation relève

encore de l’exception.

Notes

1. Le CCASS ou Conseil canadien d’agrément des servicesde santé (autrefois : Conseil canadien d’agrément desétablissements de santé ou CCAES), organisme nongouvernemental composé de membres issus du sec-teur de la santé.

2. Lorsqu’un établissement de santé adhère à ce pro-gramme d’évaluation, des représentants du CCAESeffectuent des visites périodiques (généralement tousles trois ans) afin de transmettre aux gestionnaires unerétroaction sur l’état de leur gestion et des servicesofferts (excluant le contenu clinique des actes profes-sionnels).

3. Dans cet article, nous utiliserons l’expression «gestionde la qualité» pour qualifier les approches d’amélio-ration continue de la qualité et d’appréciation de laqualité qui ont principalement fondé le concept degestion de la qualité dans les hôpitaux.

4. Voir Cole et Scott (2000), Godfrey et al. (1993), Laza etWheaton (1990), Radin et Coffee (1993), Reeves etBednar (1993, 1994), Spencer (1994),Westphal et al.(1997).

5. Voir Kélada (2000), Laza et Wheaton (1990), Le Beau etRoberge (1992), Lengnick-Hall (1995), Milakovich(1991), Spencer (1994), Swiss (1992).

6. Voir Éthier (1994), Farquhar (1993), Radin et Coffee(1993), Rago (1994),Younis et al. (1996).

7. Voir Cole et Scott (2000), Kélada (2000), Laboucheix(1990), Stupak et Leitner (2001).

8. Voir Carignan (1991), CCAES (1986), CCASS (1995).

9. La puissance de l’effet d’entraînement résultant de ladiffusion de pratiques organisationnelles a été l’objetd’étude de nombre d’auteurs rattachés à l’école insti-tutionnelle (Abrahamson, 1991; Abrahamson etRosenkopf, 1993; DiMaggio et Powell, 1983; etc.).

10. Voir De Ketele et Roegiers (1993), Huberman et Miles(1991), Lozeau (1997), Poupart et al. (1997).

11. Nous utiliserons le féminin pour qualifier les respon-sables de la gestion de la qualité, car la plupart étaientdes femmes.

12. Lors de la première phase, nous avons aussi procédé àune étude de cas approfondie dans deux de ces hôpi-taux afin de répondre à des hypothèses soulevées à lasuite de l’étude des 13 sites. À cette occasion, nousavons effectué 29 entrevues supplémentaires auprèsde membres du personnel administratif, clinique (infir-mières, médecins, etc.) et non clinique (voir Lozeau,1999). Dans les prochains mois, nous ferons de mêmeafin d’étayer les résultats issus de l’étude des huit sitesvisités en 2000.

13. La distribution de ces 10 autres personnes intervie-wées est la suivante : deux anciennes responsables dela gestion de la qualité (aussi infirmières chefs d’unitéde soins), quatre directeurs des services professionnels(aussi médecins), quatre chefs de service (diététique,ergothérapie; salaires; salubrité). De plus, quatre direc-teurs généraux ont été rencontrés de manière plusinformelle.

14. Il s’agit de représentants du CCAES, de gestionnaires deRégies régionales et d’un membre permanent del’Association des hôpitaux du Québec.

15. Voir les résultats détaillés de la première phase decette étude dans l’article de Lozeau (1997).

16. Par exemple, dans la plupart des sites, le directeurgénéral n’a pas cru bon de faire siéger la responsablede la gestion de la qualité (ou, du moins, de l’invitersur une base régulière) au comité de gestion de l’hôpi-tal regroupant les membres de la haute direction. Or,pour les responsables, cela aurait été une des raresoccasions de rencontrer simultanément le directeurgénéral et les autres directeurs afin de faire valoir demanière privilégiée les enjeux liés au programme degestion de la qualité.

17. Un gestionnaire disait, à propos du fait de remplir lesgrilles d’autoévaluation : «Il y en a qui cochent“excellent” partout sur leurs feuilles! Comment est-ceque la responsable de la gestion de la qualité ou ledirecteur général peuvent évaluer ça intelligemmentpar après? Pis toi, si tu ne fais pas comme les autres, turisques d’être mal vu pis pénalisé : no way!»

18. Voir Benson (1973), Champagne (1982), Derber etSchwartz (1988), Freidson (1986), Hall (1967),Mintzberg (1982).

19. En 1987, le concept d’«appréciation de la qualité» abénéficié de la promotion de l’Association des hôpi-taux du Québec, ce qui a facilité sa diffusion.

20. Une des réactions typiques émises par certains parti-cipants a été de conclure : «Pourquoi étudier l’amélio-ration continue, alors que ce sera démodé dans troisans, tout comme l’appréciation de la qualité estmaintenant démodée!»

21. Nos données portant sur les bénéfices attribuables auxactivités de gestion de la qualité retirés par les usagerssont parcellaires et peu probantes.

22. En partie inspirées par le concept de customization deWestphal et al. (1997), les vertus d’une convergenceréciproque ont d’ailleurs fait l’objet d’unemodélisation tirée de résultats d’études empiriquesayant porté sur diverses tentatives de mise en œuvrede planifications stratégiques et de programmes degestion de la qualité (Lozeau et al., 2002).

Références

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