Les défis rencontrés par les jeunes avocats et les réponses apportées
par le Barreau de Liège1
Monsieur le Président,
Chers Confrères,
Mesdames, Messieurs,
Je remercie Monsieur le Président BULGARELLI pour son aimable invitation, relayée par Monsieur le
Président HENRY, qui me vaut le plaisir de prendre la parole devant vous pour vous exposer le point
de vue d’un jeune avocat du Barreau de Liège sur les défis de la profession et les solutions que le
Barreau tente d’y apporter.
Mon exposé se base sur trois sources :
Le baromètre 2013 des avocats belges francophones et germanophones2 ;
Les réponses apportées à une série de questions posées à plusieurs autres membres de la
Conférence Libre du Jeune Barreau de Liège ;
Mon expérience personnelle.
Il ressort de ces éléments que les préoccupations essentielles des jeunes avocats sont l’argent, le
temps et les perspectives futures. Rien de bien nouveau sous le soleil.
Première préoccupation : l’argent.
Il faut tout d’abord se rendre compte que le stage d’avocat et les premières années de collaboration
sont souvent beaucoup moins bien payés que la plupart des autres emplois accessible à un titulaire
de diplôme universitaire. Le stage d’avocat est même beaucoup moins bien payé que la plupart des
autres emplois tout court.
Lorsqu’un jeune avocat veut se lancer seul, il ne peut en général compter, dans un premier temps,
que sur les revenus provenant de l’aide juridique. Or, l’aide juridique est en crise : les conditions
d’accès sont de plus en plus restreintes pour les justiciables ce qui entraine une perte d’accès à la
justice pour une large part de la population et les indemnités versées à l’avocat sont, sinon en
diminution, à tout le moins plus adaptée au coût de la vie.
Plus que leur montant, ce sont surtout les conditions dans lesquelles ces indemnités sont versées qui
rendent difficile la vie d’un jeune se développant en dehors d’une structure déjà existante. En effet,
les indemnités provenant de l’aide juridique sont versées ex-post, plus d’un an après la fin de la
1 Alexandre Cassart, trésorier de la Conférence Libre du Jeune Barreau de Liège, avocat au Barreau de Liège et
inscrit au Barreau de Charleroi, Philippe & Partners. Twitter : @acassart 2 Avocats.be, ULG, « Baromètre des avocats belges francophones et germanophones », 2013, accessible via ce
lien : http://gallery.mailchimp.com/d552fd66716b81b8fb8f922cc/files/Barom_tre_des_avocats_2013_final_05112013.pdf
prestation. Une solution doit donc être trouvée pour pouvoir vivre – et assumer les nombreuses
charges subies par les indépendants – le temps que la pompe soit amorcée.
Deuxième préoccupation : le temps.
Et, plus précisément, l’équilibre entre vie privée et vie professionnelle. Peut-être sont-ils exigeants,
mais les jeunes avocats ne veulent – en général – plus d’une vie intégralement dédiée au travail et
souhaitent parvenir à mener de front une vie professionnelle épanouissante à une vie de famille
enrichissante. Ce souhait est évidemment partagé par les jeunes mamans – dans un contexte de
féminisation galopante de la profession – mais pas uniquement.
Or, cette recherche d’un équilibre est constamment mise sous pression par différents facteurs.
Premièrement, l’inflation législative et règlementaire – singulièrement en Belgique qui connait de
multiples niveaux de pouvoirs et législateurs – rend très difficile l’actualisation des savoirs, même
pour les spécialistes d’un domaine particulier.
Deuxièmement, les clients sont de plus en plus exigeant quant à la réactivité et la disponibilité des
avocats. Cela est sans doute lié à la popularité croissante des technologies de l’information et à
l’hyper connectivité que celle-ci entraine.
Troisièmement, l’asymétrie d’information existant traditionnellement entre le client et l’avocat est
en train de s’atténuer, voire de disparaitre pour certaines matières, grâce à l’abondance
d’information juridique disponible sur l’Internet. Les clients sont – ou pensent être – de mieux en
mieux informés. Pour justifier son existence, le service procuré par l’avocat doit dès lors offrir une
plus grande valeur ajouté, ce qui nécessite un investissement en temps très conséquent pour
toujours mieux se tenir informé et se spécialiser.
Troisième préoccupation : les perspectives futures.
Les jeunes avocats comprennent très vite qu’ils se meuvent dans un monde de compétition féroce.
Entre avocats tout d’abord : Les confrères sont avant tout des concurrents qui ne se font pas de
cadeaux. Entre avocats et autres fournisseurs de service juridique ensuite. Ces derniers ne sont pas
tenus par un cadre déontologique, une tradition ou une certaine « image de la profession ». Ils
disposent souvent de ressources importantes en termes de capital et de marketing et n’ont aucun
scrupule à empiéter allégrement sur les plates-bandes traditionnellement réservées aux avocats.
La voie traditionnelle de l’association ne fait plus rêver les jeunes qui la considèrent comme
largement bouchée. Cela concerne les femmes bien entendu puisque, malgré la féminisation de la
profession, les hommes restent majoritaires au sommet des structures de cabinet3, mais pas
seulement elles. Du fait des modifications démographiques, les avocats vivent plus âgés, travaillent
plus longtemps et sont moins enclins à faire monter des jeunes à des postes auxquels ces derniers
pourraient leur faire de l’ombre.
Les associés que j’ai interrogé avant de préparer cet exposé mettent, eux, plutôt en avant un certain
manque de compétences managériales – que eux ont acquis au fil du temps mais qui sont
maintenant immédiatement nécessaires pour exercer – voire un manque d’esprit d’entreprise chez
3 Sur les 44 associés des 4 plus gros cabinets de Liège, seulement 10 sont des femmes.
les jeunes. S’il est vrai que les études de droit ne mettent probablement pas assez l’accent sur le
« business », dont la maitrise est maintenant indispensable, je ne pense toutefois que l’on puisse
reprocher aux jeunes, de manière générale, un manque d’esprit d’entreprise. La profession d’avocat
étant encore, par essence, profondément une profession indépendante, ce simple choix de carrière
démontre, au contraire, une attitude entreprenante et dynamique.
Il me parait qu’une grande partie des craintes liées aux perspectives futures sont liées aux tensions
générées par le choc de deux modèles de la profession d’avocat.
Le modèle traditionnel tout d’abord, selon lequel l’avocat est un notable, bien né et disposant d’une
fortune personnelle lui permettant d’être indépendant, de travailler gratis pro deo dans certains cas
et pour lequel l’argent est finalement quelque chose de vulgaire dont il ne faut pas discuter4. La
majeure partie de notre cadre déontologique est basée sur cette conception de la profession et c’est
encore l’image qu’en a le public. Le modèle futur ensuite, selon lequel l’avocat est un prestataire de
service juridique hautement spécialisé, organisé comme une entreprise commerciale.
De longue date, le Barreau de Liège a entamé un processus de réflexion sur les difficultés et les
remous rencontrés par la profession d’avocat. Et, au-delà de la réflexion, le Barreau a pris – et prend
– des mesures en vue de s’attaquer à ces questions :
En 2013, un groupe de travail du Barreau de Liège a rédigé un nouveau modèle de contrat de
stage, rendu ensuite obligatoire. La principale amélioration apportée par ce nouveau contrat
concerne la rémunération des stagiaires. Auparavant, les stagiaires étaient tenus, au
minimum, de travailler 75 heures par mois pour un montant forfaitaire de 882 EUR brut5. Le
nouveau contrat de stage prévoit cette fois un tarif horaire de 16 EUR brut (soit 1.200 EUR
brut minimum) ce qui permet au stagiaire qui souhaite travailler plus, de gagner plus.
Il est intéressant de noter que la principale motivation du groupe de travail était simplement
la dignité de la profession.
Le Barreau de Liège a également développé et rendu accessible gratuitement à tous ses
membres, un module de consultation en ligne. Ce module de consultation en ligne permet,
d’une part, de faire entrer la profession dans le 21ème Siècle et, d’autre part, de donner accès
aux plus jeunes à de la clientèle. En effet, ce module est, notamment, accessible via
l’annuaire des avocats du Barreau, annuaire qui est classé par activités préférentielles ou
spécialisation, sans distinction entre les avocats jeunes ou expérimentés.
La communication et le marketing sont au cœur de la stratégie du Barreau de Liège. Celui-ci
utilise énormément les ressources offertes par les technologies de l’information et est très
actif sur les réseaux sociaux. Il met d’ailleurs régulièrement en avant sur ces mêmes réseaux
sociaux les avocats qui travaillent dans telle ou telle matière.
4 L’avocat est d’ailleurs « honoré » et non « payé ». Que dire alors de la vulgarité que représente une facture
TVA comprise ? 5 Soit bien en dessous du seuil de pauvreté belge.
Le Barreau organise encore chaque année des colloques ou des formations consacrés à ces
matières et permet aux avocats qui le souhaitent de se former pour mieux communiquer,
maitriser les réseaux sociaux et même créer leur propre site web.
Enfin, à l’occasion de conférences organisées à destination des entreprises, qui se tiennent
dans les locaux de ces entreprises, le Barreau fait confiance à des jeunes avocats et leur offre
l’opportunité de réaliser des présentations directement devant des clients potentiels.
Le 20 et 21 février 2014, plusieurs jeunes avocats du Barreau de Liège organise un grand
colloque de réflexion sur l’avenir de la profession intitulé « Tomorrow’s lawyer ». Au cours de
ces deux jours, un panel international d’universitaires de haut niveau et de représentants
d’ordres de différents pays viendront exposer, à Liège, leur vision de l’avenir de l’avocat6.
Voici quelques exemples des actions entreprises par le Barreau de Liège pour s’ancrer – et avec lui
tous les avocats qui le composent – dans le présent et préparer, au mieux, le futur.
Je vous remercie pour votre attention.
Alexandre CASSART
6 Les actes de ce colloque sont disponibles, sous forme d’un ebook, à l’adresse :
http://editionslarcier.larciergroup.com/titres/131822_1/tomorrow-s-lawyer.html