30 x ENJEUX LES ECHOS x NOVEMBRE 2012
ENJEUX ANALYSES
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PAR ERIC LE BOUCHER
LES PATRONS NE SONTPLUS CE QU’ILS ÉTAIENT
Intuition, réactivité, pédagogie…
sont quelques-unes des qualités
de cette génération de PDG scrutée
par la sociologue Maria Pourchet.
«La culture du brouillon, c’est la mienne.
Mais ce n’est pas français. Le nombre de
fois où j’entends: “Non, il ne faut pas lancer
ce projet, il n’est pas prêt”… Les concur-
rents, eux, le sont toujours ! Il faut supporter
l’idée de l’échec d’une première version,
cultiver la réactivité, se jeter sur le marché
quand on est poussé dans le dos.» Cette
phrase paraît inouïe dans la bouche d’un
dirigeant français élevé dans le culte de la
certitude rationnelle.
Le propos illustre comment agissent les
nouvelles générations de dirigeants. Il est
tiré de la deuxième édition de l’enquête du
cabinet de conseil en recrutement de hauts
dirigeants NB Lemercier & Associés, réali-
sée par la sociologue Maria Pourchet,
auprès de 68 hauts dirigeants français de
56 groupes du CAC40 et du SBF120 sur
l’évolution du rôle de dirigeant. Une pro-
fonde mutation est en cours.
On peut dénombrer trois générations de
patrons depuis un demi-siècle. Le patron
de droit divin, qui régnait dans la période
de reconstruction d’après-guerre, le mana-
ger qui sût internationaliser son groupe à la
vitesse de la mondialisation, aujourd’hui
émerge une figure qui reflète «une vision
organique et écologique» de l’entreprise :
mouvance, adaptabilité, exemplarité.
Premier constat : le PDG a un corps. Le
métier est «dingue» tant il est «physique».
Horaires de travail, voyages, nuits brèves,
imposent une stricte hygiène de vie. Etre
PDG raconte l’un d’eux, «est un sport de
haut niveau… Il faut connaître son seuil
de résistance, ses limites, ses réactions à la
pression». D’où le souci de protéger sa vie
familiale : «Si vous vous crucifiez, et votre
famille avec, pour votre boîte, vous êtes
toxique pour tout le monde en définitive.»
Se maintenir en forme physique mais aussi
morale donne la force d’être un homme
libre dans les tourmentes.Cela permet aussi
de garder à l’esprit que le job est précaire.
Précaire mais jouissif. Le PDG n’est pas
un individu commun. « Je me suis habitué
à la violence, je suis toujours prêt à une
bonne baston, prêt à être agressé, à ripos-
ter. Et vous voulez savoir ? J’aime bien. »
Règles de bonne gouvernance
Deuxième constat : les méthodes de mana-
gement changent parce que le monde est
en permanent bouleversement. D’où cette
culture du brouillon. « Il faut accepter l’in-
certitude et il faut la réduire, ça, c’est acquis.
Donc il faut agir vite, plus vite qu’avant,
quitte à se planter.» La complexité est une
obsession chez les nouveaux dirigeants. Du
besoin de bonnes informations découlent
des principes très forts : bien s’entourer et
se méfier des courtisans; respecter les syn-
dicats qui sont la meilleure source d’alerte
sur les malaises ou les dysfonctionnements.
D’où aussi la revalorisation de « l’intuition».
A condition «de ne pas trop croire en son
propre génie», se dessine là une rupture.
Le monde change à toute vitesse, il faut être
autant intuitif et réactif que stratège.
L’esprit de finesse passe au premier plan.
Le pouvoir doit céder au leadership capable
de créer une dynamique. Le PDG n’est plus
un général mais un entraîneur.
Gérer autrement, c’est aussi réformer
la relation avec les salariés. Les dirigeants
s’inquiètent de la perte de sens du travail,
ils veulent le revaloriser. Solution avancée:
l’explication pédagogique, le partage du
diagnostic et la mise en perspective d’un
espoir. Cela passe par la transparence et
l’encouragement à la mobilisation des
intelligences collectives. Un chapitre moins
convaincant : les dirigeants ont conscience
d’un manque de confiance des salariés,
d’un décrochage des cadres intermédiaires
mais semblent minorer le rejet du travail et
les nouvelles formes du mal-être salarial (1).
En revanche, ils ne minorent pas le dis-
crédit qui entache le monde patronal dans
l’opinion publique. La critique de leurs pré-
décesseurs reste timide mais les dirigeants
entendent la colère. Modifier cette mau-
vaise image est devenu primordial. Com-
ment y parvenir? Les dirigeants souhaitent
des actionnaires stables et dénoncent les
fonds activistes. Ils savent que l’action-
naire-roi n’est pas populaire. Mais sans que
cela débouche sur des propositions. Toute-
fois, l’engagement envers la société civile
est net. Surtout en faveur des territoires où
les entreprises sont implantées. Mais aussi
en apparaissant «exemplaire», d’où des
réflexions sur le mode de rémunération.
Endurant, mutant, transparent, le diri-
geant français «après l’âge de la crois-
sance» est loin d’être un modèle achevé.
Mais ses galons se gagnent en combattant.
On a pu nourrir de l’admiration pour leurs
prédécesseurs stratèges. Les battants méri-
tent de la sympathie. n
(1) Lost in management, François Dupuy,
Seuil. Refonder l’entreprise, Blanche
Segrestin et Armand Hatchuel, Seuil.
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