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49TERRITORIAL

Zepros 3 | Avril 2018 JURIDIQUE | PRATIQUE

Les obligations s’impo-sant aux agents publicsne s’alourdissent pas

lors de l’utilisation des réseauxsociaux. Mais appliquées à des instruments autorisantune communication élargie etindividualisée, elles peuventparaître plus restrictives. Dès lors que les messages et les images sont accessiblespar tous, les agents doiventveiller aux termes utiliséscomme aux sujets abordés.Mais l’administration doit également tenir compte de la liberté d’opinion et d’expres-sion garantie aux fonction-naires par la loi du 13 juil-let 1983.

n Un agent peut-il toutdire sur un blog personnel ou sur des comptes ouverts à son nom sur desréseaux sociaux?

Non. Si la liberté d’opinion et d’ex-pression est reconnue aux fonc-tionnaires, leur liberté d’expressionreste limitée sur les réseaux sociaux par les obligations tradi-tionnelles s’imposant à eux, tel lerespect du secret professionnel.Un agent public ne peut livrer desinformations à caractère personnelsur la situation sociale, l’état desanté, le comportement d’admi-nistrés, que ses fonctions le condui-sent à détenir, sans encourir dessanctions pénales et disciplinaires.L’article 26 de la loi du 13 juillet1983, énonce en effet que « lesfonctionnaires sont tenus au secret professionnel dans le cadredes règles instituées dans le Codepénal ». Selon l’article 226-13 duCode pénal: « La révélation d’uneinformation à caractère secret parune personne qui en est déposi-taire soit par état ou par profes-sion, soit en raison d’une fonctionou d’une mission temporaire, estpunie d’un an d’emprisonnementet de 15000 € d’amende. ».Un fonctionnaire de police ayant

mis en ligne les images d’une agres-sion, dont il avait connaissance enraison de ses fonctions, a étécondamné à deux mois de prisonavec sursis pour violation du secret professionnel (T. corr., 17e ch., 6 sept. 2011; page Facebookaccessible à tous).

n L’obligation de respecter le secret pro-fessionnel s’applique-t-elle à tous les agents?

Selon l’article précité du Code pénal, les professionnels sont sou-mis au secret selon quatre moda-lités: « par état ou par profession,soit en raison d’une fonction oud’une mission temporaire ». Il fautdonc comprendre que sont pleine-ment soumis au secret profes-sionnel les agents du statut de lafonction publique exerçant dansune des quatre catégories (état,profession, fonction ou mission).Ce n’est pas le cas des enseignants,animateurs sportifs, services cul-turels, agents des routes, sapeurs-forestiers, agents administratifsdans un service hors mission soumise au secret. Pour chacunedes situations, un texte législatifou réglementaire doit mentionnerla soumission à l’obligation de secret professionnel. Un éducateurspécialisé qui n’est pas soumis ausecret professionnel par sa pro-fession va le devenir s’il exerce dans une mission d’aide sociale àl’enfance (ASE).

n Quelles différences entresecret professionnel etobligation au respectde la discrétion profes-sionnelle?

La violation du secret profession-nel est celle du secret des admi-nistrés. Le manquement à la dis-crétion professionnelle se compareà la violation des secrets des services administratifs.Le respect de la d iscrét ion professionnelle est une obligationstatutaire des agents dont la violation n’est passible que de

sanctions disciplinaires.C’est l’article 26-2 de la loi du 13 juil-let 1983 portant droits et obliga-tions des fonctionnaires qui définit cette dernière obligation:« Les fonctionnaires doivent fairepreuve de discrétion profession-nelle pour tous les faits, informa-tions ou documents dont ils ontconnaissance dans l’exercice ou àl’occasion, de l’exercice de leursfonctions. En dehors des cas expressément prévus par la régle-mentation en vigueur, notammenten matière de liberté d’accès aux documents administratifs, les fonctionnaires ne peuvent êtredéliés de cette obligation de dis-crétion professionnelle que par décision expresse de l’autorité dont ils dépendent. »

n L’obligation de discré-tion professionnelle a-t-elle encore un sensà l’heure d’Internet?

Oui, l’obligation est toujours appli-cable! Les fonctionnaires doivents’interdire de divulguer sur Internet des éléments relatifs à leur activité professionnelle aurisque d’être sanctionnés ou licen-ciés. L’obligation de discrétionconcerne tous les documents non communicables aux usagers.De plus, cette obligation s’appliqueà l’égard des administrés maisaussi entre agents publics, à l’égardde collègues n’ayant pas, du fait de leurs fonctions, à connaître lesinformations en cause.Un arrêt récent du Conseil d’Étata confirmé avec force l’obligationde discrétion professionnelle desagents publics. « Manque à sonobligation de discrétion profes-sionnelle le fonctionnaire qui divulgue sur Internet, au moyend’un blog personnel et de comptesouverts à son nom dans trois réseaux sociaux, des éléments détaillés et précis sur les domainesd’activité de la police municipaledans lesquels il intervenait, en faisant, en outre, systématique-ment usage de l’écusson de

la police municipale» (CE, 20mars2017, n° 393320).

n L’obligation de discré-tion professionnelleconcerne-t-elle seule-ment les documents ou informations qu’unagent ne peut commu-niquer aux usagers?

Non. Elle s’applique également entre agents publics. L’obligationde discrétion professionnelle in-terdit à un fonctionnaire de fournirà des collègues n’ayant pas, du faitde leurs fonctions, à connaître des informations dont il dispose.

n Les agents sont-ilstenus à un devoir de réserve lorsque des opinions diversess’affichent sur lesréseaux sociaux?

Le devoir de réserve, qui concernesurtout le mode d’expression des opinions et non leur contenu,s’impose à tous les agents publics,notamment sur les réseaux sociaux. Un fonctionnaire peut s’yexprimer, mais de façon modérée,en respectant le principe de loyautéà l’égard de son administration, notamment quant à ses orienta-tions et décisions politiques.Le juge administratif rejettera unrecours dirigé contre une mesurede suspension d’un agent com-munal ayant diffusé sur Facebookdes vidéos d’incendie dans unquartier et mis en cause l’efficacitéde la police municipale. Ces faitsconstituent une faute grave au sensde la loi du 13 juillet 1983 (TA deToulon, 4 février 2011, n° 100128).Un tr ibunal administratif aconfirmé une mesure de déplace-ment d’office d’un professeur de

lycée ayant tenu à plusieurs reprises, dans son blog personnel,des propos excédant les limitespouvant être tolérées à l’encontrede son administration et de sa hiérarchie (TA de Melun, 2 no-vembre 2010, n° 0605739/5).Constitue un manquement au devoir de réserve des commen-taires diffamatoires, grossiers etinjurieux à l’égard de la hiérarchieou de l’administration, postés sur un réseau social (TA Dijon, Ord. 17 novembre 2003).Un mandat syndical autorisera des critiques parfois vives. Il est ad-mis que ce type d’activités néces-site une plus grande liberté (CE18 juin 1956,"Boddaert").

n Le devoir de neutralitédes agents s’applique-t-il avec la mêmerigueur sur les réseauxsociaux?

Oui. Un agent public usant del’adresse électronique de l’École nationale supérieure des arts etmétiers sur Internet à des fins personnelles d’échanges en saqualité de membre de l’Associationpour l’unification du christianisme,a commis une faute grave au regard, en particulier, du devoir deneutralité (CE, 15 octobre 2003,n° 244428).Mais un tribunal a annulé un blâmeinfligé à un agent de catégorie Cayant appelé à voter pour un can-didat aux élections municipales sur Facebook, considérant que « si la vigilance est également demise lors des élections, les collec-tivités ne doivent pas restreindreexcessivement la liberté d’expres-sion de leurs agents » (TA Stras-bourg, 4 mai 2016, n° 1406542,Mme C.). �

LES RÉSEAUX SOCIAUX ET LA LIBERTÉD’EXPRESSION DES AGENTSPar Jean-Louis Vasseur, avocat associé au cabinet Seban & Associés

Les limites au devoir de réserveLe devoir de réserve ne s’applique pas à tous les agents publicsde la même façon. Il pèse sur les agents d’autant plus lour-dement qu’ils sont dans une position hiérarchique élevée. À l’inverse, la publication par un agent communal de critiquesd’ordre général sur la mondialisation n’a pas été sanctionnée(TA de Paris, Ord. 24 juin 2011, n° 1107723/9/1).