7/23/2019 Nova Histria Cultural e Social das Cincias
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Annales. Histoire, SciencesSociales
Pour une histoire sociale et culturelle des sciences. Nouvelles
dfinitions, nouveaux objets, nouvelles pratiques
Dominique Pestre
Citer ce document Cite this document :
Pestre Dominique. Pour une histoire sociale et culturelle des sciences. Nouvelles dfinitions, nouveaux objets, nouvelles
pratiques. In: Annales. Histoire, Sciences Sociales. 50anne, N. 3, 1995. pp. 487-522.
doi : 10.3406/ahess.1995.279379
http://www.persee.fr/doc/ahess_0395-2649_1995_num_50_3_279379
Document gnr le 15/10/2015
http://www.persee.fr/collection/ahesshttp://www.persee.fr/author/auteur_ahess_6146http://www.persee.fr/doc/ahess_0395-2649_1995_num_50_3_279379http://dx.doi.org/10.3406/ahess.1995.279379http://www.persee.fr/author/auteur_ahess_6146http://www.persee.fr/doc/ahess_0395-2649_1995_num_50_3_279379http://www.persee.fr/doc/ahess_0395-2649_1995_num_50_3_279379http://www.persee.fr/collection/ahesshttp://www.persee.fr/collection/ahesshttp://www.persee.fr/7/23/2019 Nova Histria Cultural e Social das Cincias
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HISTOIRE
ET SOCIOLOGIE
DES
SCIENCES
POUR UNE HISTOIRE SOCIALE ET CULTURELLE
DES
SCIENCES
Nouvelles dfinitions nouveaux
objets
nouvelles pratiques
Dominique PESTR
Depuis le milieu des annes 1980
histoire
des sciences
connat un
renouveau profond
Plus
prcisment
elle connat
une inflexion qui trouve
ses origines
dans
des approches
contestataires
dployes depuis le
dbut
des
annes 1970 et qui visent
redfinir
la nature des pratiques scientifiques
Ces approches ont t le fait un groupe ayant
travaill
de fa on assez co
ordonne
u
ilieu
des
annes
1980
groupe
form
de jeunes
socio
logues anthropologues philosophes et historiens et
dont
le
noyau
fut
essentiellement britannique Un
notable
contingent amricain
partielle
ment rejoint dans la dernire dcennie et Michel Call Bruno
Latour
Karin Knorr-Cetina et autres ont contribu lui donner une
saveur
conti
nentale ds la fin des annes 1970 Pendant un temps
la
revue Social Studies
of
Science
constitu le point de
ralliement
du groupe autre vhicule privi
lgi de ses
rflexions
ayant t la tenue de colloques dont les actes ont t
rgulirement
publis1
Cet article doit
beaucoup aux
nombreuses discussions que ai eues au
cours
de
sa
rdac
tion
Je
tiens
remercier les tudiants du DEA
REHSEIS-Paris
VII
avec qui les
premires pr
sentations et discussions ont eu lieu puis Catherine Chevalley Jean Paul Gaudiliiere Fran ois
Jacq Christian Licoppe
liana Lewy
et
Simon
Schaffer
pour
leurs
commentaires
prcis
et infor
ms sur la premire version
de ce texte enfin tous les
participants
du sminaire du
CRHST
et
en
particulier Bruno Belhoste Yves Cohen Loup
Verlet
et Antoine
Pic
qui
ont
mis par crit
leurs commentaires
Une liste partielle incluerait 16 18 septembre 1975 confrence
universit de
York
Aspects of
the Sociology
of
Science
publie
dans
Social
Studies
of Science
et
4) 1976
MACKENZIE
et
NORTON
dans
Social
Studies
of Science
1
1978
consacr
la
Socio
logy of
Mathematics BARNES et SHAPIN eds Natural Order Historical Studies
of
Scienti
fic Cultures Sage 1979 KROHN
KNORR
et WHITLEY eds
The
Social Process of
Scientific
Investigation
Sociology of
the Sciences Yearbook
vol Dordrecht
Reidei 1981
confrence
Bath 27-29
mars 1981
organise
par
COLLINS et
SHAPIN sur
New
Perspectives
in
the
History
and
Sociology
of
Scientific
Knowledge publie
en partie
dans
487
Annales HS mai-juin
1995
no pp 487-522
7/23/2019 Nova Histria Cultural e Social das Cincias
3/37
HISTOIRE
ET
SOCIOLOGIE DES
SCIENCES
Dans les
dernires
annes la dfinition de la science
ils
ont
offerte ou
plus prcisment
ensemble
de propositions ils nt
articules propos
de
ce
que
sont
les pratiques scientifiques constitu un
cadre
de rfrence
nouveau pour de
nombreux
historiens objet de investigation la
science
ayant
t
radicalement
redfini
de
nouvelles
manires
de
abor
der se sont fait jour des objets
dcoups
diffremment sont
apparus
de nou
velles
questions lgitimes
ont
merg En
un
sens et toute proportion
garde pour
une discipline
de
moindre
ampleur
histoire des sciences se
trouve hui
ans
une position homologue
celle
qui
prvalu dans
les annes 1930 pour la
discipline
historique
dans son
ensemble Car Marc
Bloch Lucien Febvre et autres redfinissaient ce taient les
objets
lgi
times de
la
discipline
ils
roposaient de soumettre
son
rgne une
gamme
activits
jusque-l tenues hors de sa juridiction ils
annexaient
autres pratiques disciplinaires ils ouvraient un
espace
nouveau conqu
rir ils offraient
la
sagacit de historien la possibilit historiciser des
pra
tiques
jusque-l
non considres
par
lui
Plus spcifiquement
et
analogie
avec ce
qui
se
passe en
histoire
des sciences est ici
tout
fait pertinente ils
rendaient caduque assimilation une forme historiographique particulire
la
discipline dans son
ensemble
ils
abolissaient la
suprmatie
un
genre
unique
et dominant
le grand
genre
comme
on
dit
en peinture)
ils promou
vaient
et
rendaient
lgitimes
des approches
jusque-l
tenues
pour
marginales
ou
mineures2
Ce cadre de rfrence ce
systme
nouveau apprhension des sciences
et des pratiques scientifiques largement pntr
le
milieu des
historiens
des sciences du
Royaume-Uni
et des tats-Unis
mme si
les diffrences
me
semblent
rester
notables
entre
les deux pays
Chacun
pourra en juger en
parcourant
les dernires-nes
des
revues
comme Science in
Context
aussi
bien
que les revues classiques du milieu
comme History of Science
Studies
in
the History and
Philosophy of
Science ou Isis
Dans le
cas
britannique
cette
redfinition
eu comme corollaire
une
rencontre politique avec quelques
grands historiens
comme
Christopher
Hill
Eric
Hobsbawm
ou
Thomp
son et
elle conduit
apparition de liens
intellectuels
et institutionnels
nouveaux
avec le
milieu historien Symtriquement et est un fait il
conviendra de considrer le milieu des historiens des sciences
fran
ais
est
rest
peu
permable ce
nouveau
cadre
de travail et il peu rencontr les
historiens
gnralistes
assez
peu
curieux pour leur part de ces volu
tions
est
pourquoi
le
premier
objet
de
cette
note
est
de
revenir
sur
cet
ensemble de propositions en offrir un
rsum
incitant la
lecture Le
deuxime
est
de prsenter
quelques-uns des effets proprement
historiogra-
phiques qui en ont dcoul et offrir quelques ides sur les nouveaux
Social
Studies
of Science
11
l 1981
sous le
titre
Knowledge
and Controversy Studies of
Modern Natural Science KNORR-CETINA et
MULKAY
eds Science
Observed Sage
1983
confrence Bath septembre 1985 dont les
actes partiels
sont
dits par GOODING
PINCH
SCHAFFER The Uses
of Experiment
Studies
in the
Natural
Sciences
Cambridge
University Press
1989
Sur
le
grand genre
en
histoire
voir J. C
PERROT
1992)
488
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PESTR
FINITIONS OBJETS PRATIQUES
objets les nouvelles approches et les nouvelles
questions suggrs
par
cette
historiographie3
Je prciserai
encore deux points abord
objet
de ce
travail est
en
aucune
fa on crire
une
histoire de ce
courant
en proposer
une
analyse
historique
essayer
de comprendre
par
exemple
pourquoi
il
est
abord
apparu
dans
le contexte britannique Les connaissances
me
manqueraient et
une enqute plus
approfondie
serait ncessaire objectif
est
donc
plus
modestement
de installer
dans les textes
en prsenter les thses intellec
tuelles de
montrer
les
stratgies
qui sont
utilises
la
force
de renouvelle
ment on trouve et de
le faire
avec une certaine sympathie Second
point corrlatif du
prcdent
cette prsentation
ne
sous-entend
pas que
rien existerait indpendamment de ce qui
est
prsent ici excellents tra
vaux
ont t publis par les historiens des sciences depuis des dcennies et
cela est ni remis en
cause
ni
contest
Ce
que
ces tudes
aident
faire
toutefois est prendre du recul
par
rapport
nos
propres pratiques celles
des
historiens
des
sciences)
les
considrer
un
il
plus
systmatiquement
critique et identifier les prsupposs et les attitudes implicites qui gou
vernent nos dfinitions et approches qui dlimitent nos enjeuxet guident
nos choix
en particulier
vis--vis
des grandes positions
philosophiques
proposes
au sujet des sciences En cela ces travaux ne peuvent tre
source
enrichissement
Quelle nouvelle image des sciences et des pratiques scientifiques
Une
brve
chronologie
une
des origines des
Social
Studios Knowledge est constitue
par
les
travaux proposs par David
Bloor
au
sminaire
tude sur les sciences
Edimbourg dans
la premire moiti des annes 1970 travaux qui consti
tuent un
cadre
de rfrence pour le groupe un signe de ralliement mthodo
logique Ce
cadre
programmatique de travail
est
articul autour de
quatre
principes de
mthode
dnomms causalit symtrie impartialit et rflexi-
vit)
principes qui ont pour but avou de
dgager
histoire des sciences des
lectures construites de fa
on
rtrospective et qui tiennent
que
rien est au
fond expliquer
un avant dcouvre
une vrit
de
la nature on
est
simplement
face
un
bon
scientifique
mais
que
explication
est
essentielle dans
le
cas
contraire
Refusant
histoire juge fa
on
Bache
lard
et anachronisme elle mplique quant usage trans-historique des
caractrisations de vrai et faux David Bloor suggre
que
historien
des sciences
soit
symtrique et impartial dans le
traitement
des
acteurs il
nticipe
pas sur la suite de histoire il
raconte
il oit
au contraire le plus contextualiste possible et avance des explications de
mme nature pour
les
vainqueurs et pour les vaincus En bref il
ne commette
pas le
pch
anachronisme
et ne
pense pas
en termes vi-
Ce vocabulaire
nouveaux objets
nouvelles approches nouvelles questions est
videmment
emprunt
LE
GOFF
et
NORA
1974
489
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5/37
HISTOIRE
ET SOCIOLOGIE DES SCIENCES
dence
de la dcouverte une part empchement
pathologique social
psychologique
ou
pistmologique de
autre4
Ces principes de mthode
contraignants
autant opposs au sens
commun
sont pour
Bloor
des propositions
heuristiques
dont usage simul
tan
est
pas
simple
Elles
ne
sont
ailleurs
pas
acceptes
sans
infinies
nuances dans les annes qui suivent Sans pouvoir
entrer
ici
dans
le
dtail
retenons
que
certains des principes de Bloor
perdent
rapidement de leur fas
cination est notamment le cas de la
condition
de causalit emprunte
Karl Mannheim et qui
renvoie une conception
troite de
explication
his
torique autres sont ignores ici
mais
places
l
au centre de programmes
de
recherche
est ce qui se produit avec exigence de
rflexivit
savoir
que
les historiens et
sociologues
appliquent
eux-mmes
les conditions
ils noncent pour tude des scientifiques) exigence explicitement aban
donne par Collins
dans
les annes 1980 mais transforme en arme mili
tante
par
Mulkay Woolgar ou Ashmore En ralit seules les conditions de
symtrie
et
impartialit
restent
unanimement
acceptes
devenant
ainsi
les
emblmes du groupe5
Le second moment se situe dans la seconde moiti des annes 1970 et
est
marqu
par les
premiers
travaux
de
Barry Barnes Steve
Shapin
Donald
Mackenzie etc
Stimules par
le programme
fort de Bloor et par
ce
il
vhicule
de
radical quant au traitement historique des
sciences ces
tudes se
dploient du
ct une analyse
critique
de
la production
des savoirs scienti
fiques qui emprunte beaucoup aux approches
structurales
la
sociologie
allemande et
anthropologie
fonctionnelle Cela
signifie
que les
produc
tions scientifiques sont traites comme des systmes de propositions et
actions
comme des cosmologies constitues localement par les humains
afin
de rendre compte
du
monde
qui
est
le
leur Le rle
de historien
consiste alors dcoder et dcrire
ces cosmologies
puis mettre en
vi
dence les conditions culturelles
politiques et
sociales qui en ont gouvern
la
constitution
Le ur
de la
dmonstration est
constitu une srie ana
lyses embotes les unes dans
les autres et qui se dploient du
local
telle
thorie
dfendue par tels
savants
tel moment
au gnral
ce est la
sociabilit de
telle
ville
ou
de tel
pays telle
poque
explication histo
rique comme fonction harmoniser le
cosmologique
et le social le
scienti
fique
et le
contextuel
de rendre
compte
du contenu des sciences par
leur
contenant
approche traitant des productions scientifiques
comme
de
toutes
les
autres productions culturelles
gnres
par
les
humains6
On fera ce propos trois remarques dont le sens apparatra mieux
par
la
suite Cette
dmarche
est essentiellement statique
puisque les
schmas
conceptuels et les pratiques
des savants sont
chaque
fois rapports
un
contexte ou un groupe
social donns
dont on pense pouvoir offrir une
caractrisation
non problmatique est la
notion intrt social
cono
mique
politique ou
catgoriel
des
divers
groupes qui gouverne explica-
BLOOR 1973) COLLINS 1982)
SHMORE
1989)
COLLINS
1981) MULKAY 1985) WOOLGAR 1988)
.BARNES
et SHAPIN
1979)
KNORR
R.KROHN
et
WHITLEY
1980)ACKENZIE 1981) SHAPIN
1985)
WOOLGAR 1981
et
les
numros
et 4) 1976
et
l
978
de
Social
Studies
of
Science
490
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PESTR FINITIONS
OBJETS
PRATIQUES
tion
finalement
objet
de tude reste la science en
tant
que
Savoir
et non
la science en tant
elle
est
un faire dont les produits transforment le monde
Le
troisime
moment chronologiquement
concomitant
des
prc
dents dplace la scne dans
le
sud
de
Angleterre et renvoie aux travaux
de Harry
Collins
Les
approches
de
celui-ci sont
plus
sociologiques
histo
riques ses outils
sont
les
interviews et
la
prsence auprs des
scientifiques
et ce
sont les pratiques
contemporaines de
laboratoires
qui sont analyses
et dcortiques Les
travaux
de
Collins sont
locaux
il
pratique
une micro
sociologie limite quelques individus et ne
met
pas en scne de cosmologies
ou
de
groupes
sociaux larges)
ils
ont comme objet la
manire
dont se ngo
cient quotidiennement les faits scientifiques Ce sont les gestes et les actes
matriels
qui intressent
Collins
les
savoir-faire
et les savoirs
tacites
la
manire dont les scientifiques comparent et calibrent
leurs
instruments les
procdures de validation localement
mises
en uvre
par
les exprimenta
teurs Un
de ses
objectifs est de montrer infinie flexibilit des
interprta
tions
que
proposent
les
acteurs
le
fait
que
les
consensus
qui
mergent
relvent de considrations multiples et htrognes que les
conclusions
pra
tiques
sur lesquelles se
font
finalement les
accords sont toujours
largement
contingentes
Au tournant des annes 1970 et 1980 Collins prend des posi
tions plus
gnrales et propose
sa
propre version
du programme
fort sous
intitul de
Programme
Empirique
du Relativisme Prcisons afin offrir
des tudes empiriques fort pouvoir de conviction Collins
suit deux
strat
gies parallles une part
il
prend de nombreux exemples dans
ce
qui est
traditionnellement
considr
comme le
ur
du systme scientifique
savoir
les sciences physiques de
autre il
cherche montrer
que les
procdures
revendiques comme
lgitimes dans
ce domaine
les mthodes
ne
sont
pas
qualitativement
diffrentes
de celles
on
rencontre
sur
les
marges
du
sys
tme en parapsychologie par
exemple7
Ce on pris coutume appeler
analyse
de
controverse est
le rsultat
des programmes
prcdents
Trs en vogue
dans
la premire moiti des
annes 1980
ce
genre historiographique
combine deux
choses Le choix un
terrain circonscrit abord est--dire
le
choix
un objet empirique
volontairement
limit
document au
jour
le jour et dont le
ur est
consti
tu une polmique
ouverte
Souhaitant cerner au
plus prs
la pratique
quotidienne des communauts
scientifiques ces
tudes analysent
de
prf
rence des
dbats
techniques ordinaires
la question de la couche
dvo-
nienne
en
gologie
dans la premire moiti
du
19e
sicle
celle
des
cou
rants faibles neutres en
physique
des particules
dans
les annes 1970 et
vitent
les grandes
controverses les dbats
forte rsonance idologique
du
genre creationisme ou volutionnisme Ce mode historiographique
implique autre
part
une
mthode
de
traitement stricte
du
dbat dont
le
matre mot est en toute
orthodoxie
bloorienne de
symtriser
ce qui
est
dit
ou imput
aux
acteurs une
mthode
qui
refuse histoire
juge Dans
analyse de la polmique la rgle
est
tre agnostique
vis--vis
des acteurs
de ne pas faire
intervenir
les explications de la science actuelle car
elles
empchent de
saisir
les spcificits des noncs et des dbats
du
pass)
COLLINS
1974
1975 1981
1985
PINCH
1980
1986
491
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7/37
HISTOIRE ET
SOCIOLOGIE
DES SCIENCES
de suivre la fabrication
progressive
chez chacun
des
convictions
des
non
cs
des savoir-faire Appliques
aux
dbats qui traversent en
permanence
les communauts savantes quant ce
que
sont
les faits
scientifiques
les
tudes
de controverse offrent des
dmonstrations
empiriques
fort
vivantes
Usant
un
ton
souvent
iconoclaste
elles
donnent une image
de
chair
et os
de ce que sont les pratiques de terrain des gologues ou le travail la pail
lasse des physiciens et des biologistes Ces
tudes
butent toutefois
toutes
sur une
mme
question pourquoi un consensus particulier merge quasi
ment
toujours
par del infinie diversit des propositions initiales
par
del
leur
mallabilit Les
rponses
de
principe
apportes
cette
question
sont
extrmement varies
cette
poque
reviendrai8
ajouterai
un
commentaire Ces
analyses
de controverse ne enracinent
pas abord
dans une
culture
historique
mais dans la tradition de tude de
cas philosophique
ou sociologique forte vertu
dmonstrative
Dans ces
annes exercice
est
souvent militant il
est
une
machine
de guerre contre la
philosophie
analytique
et/ou
la
philosophie popperienne
alors dominante en
Grande-Bretagne Il
est
affirmation un programme celui de revenir
pour
reprendre une expression alors
trs
en vogue une description de la science
telle elle se fait une description plus paisse
mme
si
elle est
pas encore
anthropologique des sciences
et
de
leurs
pratiques On notera ici
un petit paradoxe
Ce que cherchent dmontrer ces
tudes
de
cas est
souvent
que
les faits scientifiques sont des
constructions
ngocies
et
ils
ne permettent que rarement
de dpartager des
thories concurrentes ce
qui
dans le contexte
intellectuel
britannique reste alors une extrme
importance Ces
analyses
ne en prsentent pas moins
comme
des
cas
trans
parents
comme des exemples
parlant
eux-mmes et dont la fonction
est
invalider
du
fait de
cette vidence
factuelle les thses
classiques9
Par
simplification
ai prsent prsent ce renouveau
comme
tant le fait historiens
et
de
sociologues refusant une conception rationa
liste
ou
positiviste
des
sciences
image est
pas
fausse
mais
oublie de
pr
ciser que ces
historiens
et
sociologues ont
alors lu et tudi ethno-
mthodologie
cette
socio-ethnologie
minimale
et asctique apparue en
Californie dans
les annes I960 et qui se
caractrise par un rejet
radical de
toute interprtation
mene
par
exemple en terme
de
groupes ou
de
classes
image prcdente oublie aussi le livre de Bruno
Latour
et Steve Woolgar
de 1978 Laboratory Life un livre qui montre par contraste en quoi les tra
vaux
prcdents
ne
sont
pas
de
nature
anthropologique
en
quoi ils
ne
sont
pas de anthropologie de laboratoire La nouveaut radicale du livre
est
en
effet il e place au ur de
son
travail ni tude des cosmologies
scienti-
Comme
exemples analyses de controverse je
retiendrai
PICKERING
1984
et
RUDWICK
1985)
ainsi
que
les recueils articles
traduits
par
Call
et Latour
1982
1985
MuLKAY 1979
et
PESTR 1990 Une
remarque
sur ma
prsentation
des
choses
Dans
les faits histoire sociale
la
fa on Edimbourg et ce que appelle ici analyse de
controverse se chevauchent largement La diffrence est
souvent
que
de
degr
notamment
dans appel
plus ou moins grand des
lments
extrieurs la controverse
Notons
toutefois
que
analyse de controverse
telle
que je
la dcris
ici
conduit
deux choses un loignement
progressif
des
questionnements macro-sociaux une part un
renforcement des descriptions
dtailles
des micro analyses
de
pratiques matrielles
des
thick
descriptions
de
autre
492
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8/37
PESTR DEFINITIONS
OBJETS
PRATIQUES
fiques
analyse
des
controverses
Situ
ailleurs
dans
un monde
sans
v
nement
ni
diachronie le
livre
refuse
radicalement
toute
intentionnalit
Ne
proposant
ni
un
rcit ni une explication sociale
des
sciences
il montre
que ethnographie fonctionnaliste
est
pas la seule qui
soit
viable et int
ressante Le livre regarde en fait les scientifiques avec un regard si radicale
ment
tranger
leur
notre culture il n oublie de parler de la
seule
question
ils
jugent
que nous jugeons essentielle celle des
connaissances
produites
du
contenu
du sens fabriqu
par
les acteurs via un
dbat ides
Ce
faisant il libre un
espace
nouveau pour il il permet
un regard inattendu sur un monde qui paraissait
pourtant
familier
il
per
mettra
aussi
aux
historiens
de
se renouveler10
Finalement il convient de mentionner les travaux postrieurs de Latour
et Call
travaux
qui
ont
profondment marqu ce
groupe
en dpla ant ses
centres intrt hors des
milieux
de scientifiques Ce qui
caractrise
cette
approche
est
abord
la
volont de comprendre
efficacit
de la science en
action
de
comprendre comment
des
pratiques
de laboratoires
en viennent
peser sur
le monde
et
le
transformer
Elle se
dfinit
aussi par le
refus
admettre on puisse se limiter univers des savants
pour
comprendre
les sciences
et
leur dynamique on puisse se contenter des microanalyses
de
controverses Non satisfait par
la prtention sociologique expliquer
un
savoir
scientifique par
un contexte social)
Latour sort
du laboratoire
et
cherche comprendre
comment le complexe
techno-)scientifique
et le
corps social se
re dfinissent
et se re)construisent
simultanment
Ce est
plus
localement
dans le seul cadre des
laboratoires est
cherch le
secret
des savoirs et
de
leur
validation mais
dans les
reprises
et traductions qui
oprent dans ensemble du corps
social
La
question
est
alors
plus
tant
de
savoir comment
les
propositions des
scientifiques deviennent pistmologiquement vraies ceci est
le programme
classique
ni
de
reprer
comment leur lgitimit est
ngocie
dans
la
communaut savante ce
pourrait tre une
dfinition du programme
controverse mais de
dcrire comment des
noncs
travers des
objets
et des pratiques imposent dans la
comptition
pour la survie sociale et
cognitive
La science tant un dispositif qui produit et invente un ordre
et non un dispositif qui dvoile ordre cach
de
la nature il
est
maladroit
de
dcontextualiser ses
noncs
Toujours
lis
des
porteurs
ceux-ci ont pas
existence
indpendante
Pris traduits en permanence
adapts et
transforms
par
ceux
qui
en
font usage
ils restent
jamais spci
fis
et
non
passibles un
tribunal universel
le
contexte
de justification
Fruits
de
conjonctures aux
composantes trs
diverses ils peuvent
tre
victo
rieux
ici
transforms
l et
dcrits comme toujours
identiques eux-
mmes
chaque
fois
un nouvel
agencement
indissociablement social et
cognitif
est
ralis un
agencement
toujours
en
passe tre dplac En bref
Latour propose
abandonner
les
schmas
explicatifs classiques
le
cognitif
10 KNORR-CETINA 1981) LATOUR et
S.WooLGAR
1988) M.LYNCH
1985)
YNCH LIVINGSTON et GARFINKEL
1983)
WOOLGAR 1984 Pour
une tude
classique anthropologie
de
laboratoire voir
le livre de
TRAWEEK1988
et
ses
rponses
aux
prcdents dans PICKERING
1992)
493
7/23/2019 Nova Histria Cultural e Social das Cincias
9/37
HISTOIRE
ET
SOCIOLOGIE DES SCIENCES
explique
par
le social
par
exemple et offre un systme emble dyna
mique
sans hirarchie apriori
le
social se reconstruit en permanence Pour
faire
apparatre
ce
mouvement ensemble
il
suit
souvent
la trajectoire
acteurs
privilgis acteurs essayant de convaincre-intresser-contraindre
les
autres
accepter
leurs
histoires
Dans
ces
tudes la
dimension
spatiale
de
intressement
remplace
souvent avantageusement
les
lectures tempo
relles plus habituelles11
Quelques
propositions rsultant de
ces travaux
II existe un
discours dominant
en Occident au
cours
de ces derniers
sicles propos des sciences Ce
discours est
abord le fait des scientifiques
en particulier des physiciens qui le dploient et le redploient au
fil
des
gnrations)
mais aussi de maints philosophes et spcialistes de sciences
humaines qui ont cherch le systmatiser Dans ces discours si on accepte
une
grande simplification
les
sciences
sont
le plus
souvent
prsentes
comme
des
systmes
de propositions des systmes noncs pouvant ou
devant tre falsifis
par confrontation
exprience Le plus souvent
la
dimension abstraite est sur-valorise est en effet dans
le thorique que se
joue essentiel de la science
est
l que
imagination
invente le monde
exprimentation
restant toujours plus
triviale peu
diffrente
de la
notion
de test dpartageant
des propositions thoriques rivales
On
tient
souvent
aussi que les
procdures
qui caractrisent la
science
en
propre
peuvent
tre
explicites
on parle
alors
de mthode scientifique
un
l
ment majeur tant la
reproductibilit
toujours possible des rsultats expri
mentaux La science
est
enfin le Savoir
par
excellence le moyen accs
privilgi la
connaissance
du
monde
Transcendant
le
temps
ordinaire
des
historiens
la
catgorie
de
science est enfin
peu
problmatique et peut
tre
utilise sans trop de risque travers
les
ges12
Au regard
de
cette image un
certain
nombre
de
contre-propositions
drives des tudes prcdentes peuvent
tre avances Celles que nous for
mulons ici
ont pas
comme
fonction de donner
une
image exhaustive et
glo
bale
des
positions tenues Elles ont plutt une fonction
heuristique
celle de
souligner
quelques contestations et de faire
apparatre
des
lignes
de
force
Celles-ci concernent
tant
les pratiques scientifiques
que
les
manires
de les
tudier elles mlent allgrement des lments
descriptifs
et des points de
mthodes
historiques
Finalement
le
fait
que
je
sois
abord
un
historien
des
sciences physiques contemporaines est pas sans effet Mes images
sponta
nes comme la plupart des exemples
que utilise viennent
de ce domaine
et je connais
par
exemple trs mal les sciences biomdicales et les spcifi
cits impliquent
la variation
du
vivant la multiplicit
des institutions lgi-
11
CALL
1975 1981
LATOUR
1983 1984 1989 1991 ROUSE 1987)2
Voir
HACKING 1983
pour une
caractrisation
non
dnue humour Comme crit
fort
justement Loup Verlet les sciences tendent
vacuer ide mme de leur
fondation Pour
les scientifiques prcise-t-il
la
ralit ils dcrivent impose peu
de
choses prs
la
descrip
tion
qui en
est
faite et epistemologie qui encadre cette description
Ils
proposent alors
une
histoire
qui
rinterprte
de
manire
faire
ressortir la
logique et
la
ncessit vient ainsi
appuyer
le mythe
une
science
totalement
et
absolument
objective
VERLET
1993
28-29
494
7/23/2019 Nova Histria Cultural e Social das Cincias
10/37
PESTR DEFINITIONS
OBJETS PRATIQUES
times ou la rencontre de la souffrance Chacun retiendra donc les limites et le
caractre partiel et partial de ce qui suit
Premire
contre-proposition il
est
prfrable abandonner la catgorie
de
Science
13
avec
tout ce que celle-ci
vhicule
de
rification
et de parler
plutt
de
champs disciplinaires
et
de
pratiques
matrielles
et
cognitives
multi
ples Les
diffrences
qui sparent la
pratique de
la philosophie naturelle
de
celles
de
la
gologie
du
dbut
du
19e
sicle et
de
la physique nuclaire
de
aprs
seconde
guerre mondiale
sont
telles que les
subsumer
sous
une catgo
rie
unique
est un exercice trompeur conduisant des
questions de peu de
per
tinence Le postulat
de unit
des
sciences
appuye
sur
une
manire
parti
culire de
traiter
les
problmes
ou
son
usage
implicite travers
emploi de
adjectif scientifique
est certes
revendiqu par de
nombreux scienti
fiques
mais rien oblige le prendre pour argent comptant Dit positive
ment il semble prfrable de considrer les
divers
moments et
espaces
comme autant de
lieux
aux
rgles
pistmologiques sociales
matrielles et
rhtoriques
spcifiques
chacun
eux tant
ailleurs plus une
somme
de
systmes
et de
reprsentations partiellement articules
un
nsemble
uni
fi14
Le rle de historien
est alors
de suivre ces
transformations
de
construire une cartographie historique plusieurs
dimensions et de ne
point
inquiter outre mesure de la coupure pistmologique
Historiciser
radicalement
la
notion de science comme crire histoire de
mergence
rhtorique de cette notion sont
donc
des pralables de
ce
programme15
La seconde contre-proposition
oppose
ide
que
la science
serait
avant
tout un
systme noncs que le
propre
de la
science
serait
sa capa
cit
expliciter
pleinement
ces noncs
et
les dgager
des
savoir-faire non
formalisables
qui caractrisent
les
autres pratiques
Il convient
au
contraire
de
reconnatre
que
pour
les
sciences thoriques
comme pour les
sciences
exprimentales ou instrumentales
les savoirs tacites les
savoir-faire
les
manires
de
faire
et de
traiter concrtement des
problmes
sont
premiers
et que est
mme
la
matrise
de ces savoirs corporels qui caractrisent
les grands scientifiques Le praticien des sciences
est
un
ui
acquis
une
culture
qui t form
model
par un
certain milieu
qui t fabriqu
au contact
un
groupe et en partag les activits et non une conscience
critique uvre
un pur
sujet
connaissant
Accultur
un ensemble
de
pra
tiques de techniques de
tours
de main
expertises
matrielles et sociales il
est
partie
prenante une
communaut un groupe
une cole
une tra
dition un pays
une
poque Depuis que Polanyi Kuhn et
Collins
ont
montr
que la transmission des
savoirs
scientifiques ne fait pas exception et
passe moins par les mots que par le
faire avec
les
historiens
ont constat
la gnralit du fait Personne jamais t en
mesure
de construire un
13
La philosophie fran aise me semble prfrer
le pluriel les
sciences
le monde anglo-
saxon le singulier Dans le cas fran ais usage du
pluriel ne
doit toutefois pas masquer
la
recherche
une
scientificit voire un discours normatif
14
Les
physiciens
des
matriaux
des
annes 1930-1960 par exemple montrent
des attitudes
extrmement variables vis vis de la mcanique quantique des
modlisations de niveau
inter
mdiaire des outils
matriels de
la discipline
aussi
bien
que
vis vis
de ce qui
fait
preuve
Voir par exemple
PESTR
1989
15
CUNNINGHAM
1988)
495
7/23/2019 Nova Histria Cultural e Social das Cincias
11/37
HISTOIRE
ET
SOCIOLOGIE DES
SCIENCES
cyclotron dans les annes 1930 par exemple sans un sjour
prolong
Ber
keley le lieu invention de ces machines et sans participer sur place
la construction un acclrateur De mme
acceptation
une interprta
tion commune sur ce non ait la relativit einsteinienne
est construite
progressivement
autour un
ensemble
de
pratiques progressivement
homo
gnises et
la mtaphore de
la diffusion
de
la thorie
de
la
relativit
con ue
comme
un
ensemble
conceptuel univoque dans
ses
significations et
transparent tous
les
acteurs
est
problmatique16
Une troisime
contre-proposition
pourrait tre celle-ci le fait
que
les
savoirs
scientifiques apparaissent comme assez cumulatifs ce qui fonderait
notamment la
diffrence entre
sciences et
humanits
ne rsulte de la
mise
en
uvre
un ensemble de rgles logiques
la
mthode scienti
fique ni de comportements thiques ou sociaux particuliers Sur le pre
mier point
les analyses
de controverse ont
fait
vanouir
universalisme
de
la
mthode17
Sur
le
second notons
que
les normes thiques
que
Merton
attribue
aux
communauts
scientifiques
organises
volont
de
partage
des
savoirs scepticisme collectivement organis universalisme des
noncs
dsintressement des
individus
etc.)
normes qui rgleraient
les comporte
ments
et les
actions
et
seraient ainsi
au fondement de la dynamique
propre
des
sciences apparaissent comme
infiniment trop
simples pour tre
conserves18
Les
analyses
de controverse ont t ici une relle efficacit dmonstra
tive Toujours articules sur des
tudes
dtailles
elles ont montr et
dmontr
que
les dbats concrets qui
se dveloppent
entre
experts
sur
la
frontire des savoirs suivent des
trajectoires multiples
ils ne sont jamais
rsolus
par
un argumentaire
logiquement
ncessaire
et auquel
personne ne
pourrait
chapper que
le
forum
de
justification
lieu
abstrait des
ides
dans
lequel se
droulerait
la confrontation logique et
rationnelle des
argu
ments
et
des
preuves
est une rationalisation
posteriori Ces
analyses
ont
par exemple montr que tablissement
du
fait
exprimental
i
dcou
vert
telle
proprit de
telle particule
et interprtation du
rsultat
ces
proprits sont
celles
nonces par tel modle ne
sont
jamais separables
dans
tous les
cas faits preuves et
normes
de
la
preuve sont dfinis dans
le
mme
mouvement De
mme le
dbat
sur le rsultat de exprience
est-
-dire sur
le
fait
et
celui
sur ce est
une exprience
correctement
16
HEILBRON
et
SEIDEL
1989 propos
de
Berkeley
POLANYI
1958)
KUHN
1983)
notamment la postface de 1969 et surtout COLLINS 1985 pour les savoir faire et
les
savoirs
tacites
17 Un mot propos de
la
mthode Rtrospectivement et si on
limite
suffisamment le
domaine activit considr
par
exemple la physique mathmatique de la seconde
moiti
du
19e sicle on peut identifier
des
rgularits dans
les
manires de faire et les qualifier de rgles
de mthode
Descriptivement
exercice est envisageable
Il convient toutefois
de
noter que
cela
est possible
que par
induction
partir
des pratiques
effectives et donc
posteriori
et que ce
est
pas
la
connaissance
des
rgles
de
mthode
ou
de comportement qui
guide les
acteurs
analogie
classique avec
le maniement de
la
langue
vis vis
de
la grammaire
est ici
adquate
18 MERTON
1973 La question des normes
et de
leur efficace
dans les
pratiques
quo
tidiennes et la socialisation mrite tude cela va sans dire
Ma critique
porte ici
sur
a-histori
cit
des
catgories
mertoniennes
et
la
dimension
souvent difiante
de
leur
emploi
496
7/23/2019 Nova Histria Cultural e Social das Cincias
12/37
PESTR DEFINITIONS OBJETS PRATIQUES
mene et qui implique exprimentateur et son instrumentation sont un
seul et
mme
dbat19
Formul
autrement on
peut dire
que toute
activit
scientifique est
une
activit
pratique interprtation et invention impliquant
savoirs
et savoir-
faire
certitudes formalises
et
conviction
intime
elle
consiste porter
des
jugements
toujours contextuellement
situs
Entre
les acteurs scientifiques
les modes et critres de
jugements
ne
sont
ni donns ni
toujours explicits
Au contraire
la
dfinition de ce qui fait preuve et de ce qui
est
acceptable
est
prcisment
enjeu
du dbat On pourrait ici reprendre Martin Rudwick
et dire que les propositions des scientifiques pour ne pas parler des objets et
des instruments sont des
constructions et
des actes
de
reprsentations
qui
sont
entirement humains qui
sont
100 le fait
des hommes
Certes on
peut arguer que ce qui se
dit est
pas
sans
rapport avec ce qui
est
dcrit que
les noncs et
objets
produits par les hommes de science le sont partir de
pratiques
interaction avec le rel
que
les
ralisations
scientifiques per
mettent
par
exemple
une
matrise
sur
le
monde
Rudwick
utilise
la
mta
phore de la carte permettant aux personnes convenablement socialises de
se dplacer
dans
des
environnements
inconnus elles mais la Nature
soyons clair ne parle jamais Ce sont
toujours
des hommes qui parlent en
son
nom
tout ce ils
roposent sont
leurs
constructions celles-ci sont ins
parables de cultures
plus
vastes et aucune mthode existe qui
mettrait
les
scientifiques part
du commun des mortels et les librerait du
fardeau
et des
contraintes
sociales
de la reprsentation et de
interprtation
Les
implica
tions
pour historien sont il ui faut reprer les
conventions
et les proc
dures pratiques qui rglent laboration et
valuation
des connaissances
dans chaque espace les notions
objectivit
ou exactitude tant des
catgories propres
aux acteurs
des
productions h istoriques
dont
il
convient
prcisment de rendre compte20
introduirai
ma
quatrime
contre-proposition
par
une
question
Si les
analyses
de
controverse ont
montr la flexibilit quasi
infinie
des ressources
dont
disposent
les humains pour construire les faits et
leur
donner
un
sens
comment rendre compte de la clture des controverses
comment
expliquer
que des consensus mergent trs rgulirement
entre
spcialistes des
sciences
dures Si
on souhaite
rpondre pleinement
la question il
faut abord revenir sur cette notion peut-tre
trop
vidente
de consensus
qui imposerait ncessairement Je ferai ce propos
trois
remarques
abord
les
consensus
concernent rarement
ensemble
des spcialistes
ayant
t
impliqus
dans un dbat donn21 est une lecture rtrospective et
cavalire
des vnements qui
permet de le croire
une
simplification due
une
vision
lointaine
Les phnomnes
gnrations mme ils ne sont
pas
les
seuls sont
par exemple
importants
Pour paraphraser Max Plank
parlant
du
19 COLLINS
1985
chapitre ainsi que le dbat
rcent
et vif propos de
ces
thses
entre
FRANKLIN
et
COLLINS
dans Studies
in
the History and Philosophy
of Science
FRANKLIN 1994
et
COLLINS 1994)
20 COLLINS 1985 et
RUDWICK
1985 Sur historicisation
de
la
catgorie
objectivit et
parmi
autres DASTON 1991 1992
21
Ceci
est
analys
avec
une
grande finesse
dans
le
livre
de
RUDWICK
497
7/23/2019 Nova Histria Cultural e Social das Cincias
13/37
HISTOIRE ET SOCIOLOGIE DES SCIENCES
dbat
quantique
on pourrait dire un
nouveau systme thorique
en
occurrence
mais il
pourrait tre
matriel ne
convainc
jamais par
lui-
mme
mais
une gnration
meurt et
une autre
la remplace qui les
nouvelles rgles
sont
familires est
bien
sr ce qui donne impression que
le
consensus
se
rpand
comme
une
trame
de
poudre 22
Ma
seconde
remarque
est
que
les consensus ne concernent
souvent
que
des
groupes
acteurs soigneusement dlimits
que
des aires
de
savoirs finies et situes
dans des
contextes
usage prcis
Certes
les acteurs posent
toujours
leurs
propositions comme
universelles
mais
elles sont
avances
pour rsoudre des
questions spcifiques
Des
thories et
des
pratiques
sont acceptes car
utiles
pour traiter de
certaines questions
mais juges
par
les
mmes hommes
ina
dquates
ou fausses pour en
aborder
autres
Une solution peut tre pas
reprise
par un
groupe mais largement utilise
par
un autre qui
expertise
requise pour la
faire
fructifier
Finalement
la dynamique des sciences ne se
rduit pas
une
dialectique
controverses-consensus
mais
appuie
surtout
sur
la circulation
objets
et
de
savoir-faire
est
donc
souvent
existence
une technique qui
parce
elle se rpand et devient
commune permet
homognisation une communaut
Parce
elle unifie les
pratiques
un groupe parce elle
permet
chacun
de reproduire un mme phno
mne et de
le
formaliser
la controverse
qui impliquait
initialement
des
outils
diffrents conduisant des
rsultats non reproductibles se termine
elle-mme23
Il
convient
donc de prendre au srieux le fait
une
solution est amais
logiquement ncessaire et contraignante elle ne impose jamais au sens
absolu du terme
que
toute clture un dbat ou tout consensus
est
local
par nature et ne peut tre
compris que
dans
le contexte prcis de
son
labo
ration
Pour
cette
raison
apparente
universalit
des
noncs
scientifiques
le fait ils
soient
dcrits
comme
vrais partout et
compris
dans les
mmes
termes par
tous
ne peut constituer un bon point de
dpart
pour
une
analyse
historique des sciences Si les savoirs
scientifiques
comme
les
autres formes de
savoirs circulent
ce
est
pas parce
ils ont
universels
est
parce
ils circulent est--dire parce ils
sont
r-utiliss dans
autres
contextes
et
un
sens
leur est
attribu par
autres ils sont
dcrits comme
universels Derrire
cette proposition
se
trouve ide
dj
voque
que
seul
Dieu pourrait
dire
ce est le
mme
lui
seul
pourrait
dire
si
un
savoir est
con interprt vcu de fa on parfaitement quiva
lente par
tous
si
invariant
existe dans une
communication
vrai
dire
il
semble
plus
plausible de supposer le contraire Et peut-tre
ajouter
une
chose
chaque personnalit est multiple
ft-elle le
thoricien
le
plus
eminent)
nous habitons
tous
diffrents univers
la
fois
nous
relevons
de
communauts et de systmes de
pratiques nombreux
et au
moment
de
22
PLANCK
1960 Prcisment Max
PLANCK
crit dans
son autobiographie
scientifique
Une vrit
nouvelle
en
science
arrive jamais triompher
en convainquant
les
adversaires et
en les
amenant
voir la lumire
mais
plutt parce que finalement ces adversaires
meurent et
une gnration nouvelle grandit
23 propos de la pompe air SHAPIN et SCHAFFER 1985)
propos du
prisme et de
Newton
SCHAFFER
1989
Voir aussi SIBUM
paratre
et
PESTR
1994)
498
7/23/2019 Nova Histria Cultural e Social das Cincias
14/37
PESTR
FINITIONS
OBJETS PRATIQUES
action au moment du faire nous prlevons des ressources
dans
tous ces
mondes
tout en tentant de maintenir une
identit24
Une cinquime contre-proposition
dj
voque
consisterait dire que
la pratique des sciences est peut-tre pas avant tout une activit cognitive
qui
chercherait rsoudre
des
nigmes
une activit qui
assez
autonome
des
autres pratiques
sociales progresserait
par
la rsolution
successive de
ques
tions intellectuelles
Certes la controverse
autour
un problme
est
mi
nemment prsente
dans
les sciences mais la dynamique la logique de
dveloppement des domaines scientifiques excde trs largement Les pro
grammes qui visent stabiliser et matriser
matriellement
les phno
mnes ceux qui cherchent abord produire des objets ou des instruments
ont des logiques propres qui sont au
moins
aussi dcisives Une approche
instrumentale par
exemple concevoir des dispositifs gnrant des ondes
toujours plus courtes une
logique
qui peut tirer en avant tout un
champ
de recherche et induire
des
rorganisations
intellectuelles
aussi sou
daines
inattendues25 La
science
est
alors
considre
comme
organi
quement
incluse dans
des systmes larges technologiques ou productifs et
elle est
valide au
nom
de critres diffrents selon les lieux
selon
des cri
tres
efficacit au
combat
pour les militaires
par exemple
Contrairement
apparence cette situation rien exceptionnel elle est pas
limite
aux pratiques de la physique du 20e sicle ou celles des biotechnologies
On la trouve aussi
par exemple
au ur de
la
philosophie naturelle des 17e
et
18e sicles
Une expression
que
emprunte Kohler peut
permettre
voquer un
autre aspect
de
cette proposition
Les engagements
les plus forts des
exp
rimentalistes
crit-il
propos des
biologistes du
20e
sicle
sont pour les
sys
tmes
exprimentaux
et
non pour
les
problmes
Par
cette
phrase
il
indique que
leurs
pratiques exprimentales
et instrumentales ne se dfi
nissent pas abord par rapport aux grandes questions thoriques et aux
alternatives que
celles-ci soulvent mais
que chaque
groupe
chaque
cole
chaque
laboratoire plutt une
dynamique
lie ses
systmes prfrs
investigation
que ceux-ci soient
des
appareillages
des
systmes concep
tuels ou
comme
ici des systmes biologiques
la drosophile par exemple
Les
actes
experiment at
if
nous
dit Kohler suivent
le
plus souvent des
pro
grammes investigation
models
en creux par les
savoir-faire et
les disposi
tifs disponibles
savoir-faire
et
dispositifs
qui
dlimitent
horizon des
possibles court et moyen terme Il est donc pas de systme de valeurs qui
dfiniraient la hirarchie des questions rsoudre
des plus
importantes aux
plus secondaires) mais des logiques de
validation
et de
croissance
qui sont
multiformes et diffrencies qui voluent dans
toutes sortes
de directions
et qui
imposent
localement en fonction de
critres
htrognes
valorisa
tion sociale
reprise
dans un milieu
technologique
etc. Plus
clats
on
ne
le dit la pratique et le dploiement
des sciences ne peuvent
tre tudis
en ne
sparant
jamais le conceptuel le
matriel
ou instrumental du
24 ROUSE 1987
VEYNE 1983 STAR 1991)5 Sur importance dcisive de
la dynamique instrumentale
dans les
sciences
physiques
aprs
1945
PESTR
RHMC
1992
499
7/23/2019 Nova Histria Cultural e Social das Cincias
15/37
HISTOIRE
ET SOCIOLOGIE DES SCIENCES
technique
ou
du
politique Toujours
mles la logique
des uns redfinit en
permanence la dynamique
des
autres26
vidence les propositions
rapportes
trs
succinctement
ici
engagent
des questions
philosophiques et pistmologiques trs vastes qui portent sur
la nature
du
savoir scientifique comme
sur les
approches
et
prsupposs
qui
doivent
tre ceux de
analyste-historien il est vident
pour moi
que
ces
deux questions ne peuvent tre spares sans les outils de sa mise en acte
pratique toute proposition thorique
est
assez
vaine
Mme
si ce est pas
de front ces propositions touchent
par
exemple aux points
suivants
comment penser le rapport du
savant
au rel ce rel doit-il tre pris
en compte dans analyse historique
si
oui
par
quel moyen pratique et/ou
littraire
puisque
historien
pas
en gnral
accs
ce rel
moins
de
reproduire des
expriences
par
lui mme ce
qui soulve autres
pro
blmes27
si non
convient-il tre
mthodologiquement relativiste
en
ne
suivant que les noncs et pratiques
des
acteurs et
par
exemple
ontolo-
giquement
agnostique
Ces dbats sont passionnants ils sont non
triviaux
ils ont jalonn les
ren
contres mentionnes dans cet article et ils ont bien
sr toujours
t au
ur de la
tradition
philosophique Cet article
toutefois
pas comme
objectif
premier
de
rpondre
ces questions de
proposer
un systme
clos
Son
but
est
identifier
de
nouvelles approches en
histoire
et mon senti
ment est
que
historien peut travailler excellente fa
on
en
mettant pro
visoirement
entre
parenthses
les
rponses certaines des questions
prcdentes
Il
doit
seulement
tre conscient
des simplifications
trs prju
diciables
un travail historique digne de
ce nom
induites
par la vision
clas
sique des
sciences il doit viter mthodologiquement anachronisme
systmatique
que
cette
dernire
implique
souvent28
Quels nouveaux objets et quelles
nouvelles
approches
pour histoire
des
sciences
Ce que
je me
propose de
faire maintenant est
de
mettre en vidence
aide exemples quelques-unes des
nouvelles manires
de faire quelques-
uns des nouveaux
objets
historiques
apparus dans
les dernires annes Il
toujours
pas prtention
exhaustivit
ni
dans
la lecture de ce qui t
publi le
biais historien de la physique dj
mentionn est
ici
plus
impor
tant
que
jamais) ni dans le catalogue des formes nouvelles qui
est
propos
Il
agit
un inventaire partiel aucun t
tent
ici
ma
connais
sance 29
dont la fonction
est
autant
attirer attention
des
historiens que de
susciter
des
extensions
des
prcisions
des contestations Un
de
mes objec
tifs est
de
souligner
que beaucoup de ces nouveaux
objets
ont
lors
pas t considrs
soit
parce
ils
taient invisibles
une
histoire qui
26
KOHLER 1991 1994
7
PESTR
1994)
8
titre de contributions au dbat de fond voir toutefois COLLINS 1981 1983 et
les
divers articles
dans PICKERING 1992)
29 SHAPIN
1985
est
aussi
un article
de synthse
500
7/23/2019 Nova Histria Cultural e Social das Cincias
16/37
PESTR DEFINITIONS OBJETS PRATIQUES
restait abord une histoire des ides est e cas pour ce qui trait aux civi
lits de la preuve
par
exemple) soit parce ils taient per
us
comme banals
et sans noblesse histoire
pistmologisante
souvent cr de
telles
situations Ce
que
je souhaite faire
apparatre
est
que
sous
apparence
de
la
trivialit
ou
de
la
non-pertinence
se
cachent en
fait
des
objets
essentiels
une
bonne comprhension des pratiques scientifiques des
objets
dots
une
historicit
forte permettant la discipline de ne pas
rester
enferme sur elle-
mme
et de se lier histoire culturelle
histoire
industrielle ou celle des
instruments en bref des
objets
permettant histoire des sciences de rin
tgrer ensemble des
questionnements
historiques sans aucune exception
Ajoutons afin
viter
les ambiguts
que
les
social
studies of science
ne sont pas les
seules
sources de historiographie
que
nous allons dcrire
maintenant
Des
phnomnes osmose et de
transferts
se
sont
en effet pro
duits
avec
les
milieux historiens
proprement dits
dont
bien sr les
histo
riens des
sciences
comme avec ensemble du milieu
intellectuel
internatio
nal
des
quinze
dernires
annes
le
lecteur
reprera
aisment
ces
fertilisations croises Il en reste pas
moins
une configuration spci
fique
peut-tre identifie avec ses insistances propres ses
manies
et ses
tics
et
que
les filiations restent troites avec ce qui t dcrit prcdemment
Histoire
des
sciences et histoire
des instruments
Si histoire des
sciences
est
pas abord
histoire
des
mthodes
ou des
thories si
elle
ne
relve
pas seulement de
histoire
des ides et des
concepts mais suppose
que
les sciences
sont
des systmes de pratiques visant
dterminer ce
qui
dans
exprience doit
tre
tenu pour
rel histoire
de
instrumentation et des logiques instrumentales doit fournir des pistes de
recherche nouvelles et intressantes
Si
on admet que la pratique de la phi
losophie naturelle et
des sciences depuis
le 17e
sicle
consiste
largement
intervenir
sur le monde et transformer
des
observations et
des
expriences
locales en appareils et
instruments
capables de circuler hors de
leur
lieu
ori
ginel de fabrication si on admet que cette dimension
est
inhrente
aux
pro
jets des acadmies et des
socits
savantes comme des particuliers et des
tats
qui les soutiennent depuis
poque moderne
si on admet encore
que
les faits scientifiques ne circulent avec les savoir-faire permettant de les
oprationaliser et que dans le domaine exprimental les machines sont les
moyens privilgis
de
cette
acculturation
tude
des
rseaux de
circulation
et de validation
des
appareillages
apparat
comme
central30
Je
me
bornerai
ici voquer
un spect
de
cette
histoire
contextuali-
se et sociale de interface
entre
science instrumentation et exprimenta
tion
un aspect
qui
illustre
autonomie des
logiques
instrumentales et la
varit des projets des philosophes naturels et des physiciens contemporains
Plus
prcisment je
souhaite montrer
que le
programme rductionniste
qui postule
que
la science la
physique
ne trouve le salut
que
dans
tablissement de lois toujours plus lmentaires
dans
la description de
phnomnes ramens leurs composantes fondamentales est pas le
30
SCHAFFER
Invisible
Connexions
1992
501
7/23/2019 Nova Histria Cultural e Social das Cincias
17/37
HISTOIRE ET SOCIOLOGIE DES SCIENCES
seul qui ait droit
de
cit Des articles
de
Galison et Assmus Hackmann
Lindqvist et
Schaffer permettent
illustrer
ce
point
Ce
ils font revivre
est importance
de la tradition
mimtique de recherche une tradition
qui
cherche
imiter la Nature
reproduire
en
laboratoire les
phnomnes
naturels Parmi
les exemples de cette
science
mimtique retenons la re
cration par
homme
des tremblements de terre du mouvement
des
gla
ciers des
aurores
borales
des nuages
des tourbillons de vent des orages et
du
comportement
de
la
foudre cette r-fabrication humaine
reposant
sur
un argument
analogie
selon lequel des
effets
similaires ils oient pro
duits en laboratoire ou
dans
la
nature relvent certainement de causes
identiques31
Le but est pas
alors par
exemple de raconter la dynamique un
cyclone par application
des lois
du
mouvement aux particules fondam entales
qui le composent mais de le
faire
exister
dans
enceinte
du
laboratoire de
recomposer et exhiber un
authentique
cyclone
Omniprsente
au
18e
sicle
cette
manire de
pratiquer la science
est
revivifie
par
la
tradition
humboldtienne elle
occupe
une
large
place dans
Angleterre victorienne et
persiste au 20e sicle mme si elle
est alors
occulte
dans
les discours sur ce
est
la
pratique lgitime de la science
par
la nouvelle microphysique
certains moments les deux traditions peuvent se rencontrer et vivre en har
monie est
par
exemple le cas avec la chambre brouillard de CTR Wil
son
dans les
annes 1895-1911
ce dispositif thermodynamique fonctionne
la fois
comme
un moyen investigation utilis par les
physiciens
occupant
de
radioactivit au laboratoire Cavendish
physiciens
qui cherchent dans
la
tradition rductionniste identifier
la
nature microscopique
de la
matire
et comme
un
outil
exploration de
la
constitution
et de la mor
phologie
des
nuages
par
Wilson
lui-mme
dans la plus pure
tradition
analogique32
Faire revivre cette
tradition
est
essentiel
plus
un titre abord
car
elle permet de lutter
contre
image simplificatrice une historiographie qui
tient
le
programme rductionniste comme
emblmatique
de
toute
science33
on egarde
ces travaux
on voit en effet ils ne sont
pas le
fait de
marginaux
que ces
recherches
inscrivent
dans des traditions
de long
terme
elles sont essentielles pour
certains milieux sociaux
ou dans
certains
champs la dynamique
des
fluides
ou
maintes
pratiques
ingnieurs Ce
sont souvent des
lectures rtrospectives et profondment anachroniques qui
font que cette tradition est
ignore ou
mal lue
Un
exemple simple
serait
ici
appareil
de Von Guericke dvelopp
dans
les annes
1660
et qui
est
31 GALISON et
A.AssMUS
1989) HACKMANN
1989) S.LINDQVIST 1993)CHAFFER Critical
Inquiry
19922
propos de
CTR Wilson GALISON et
ASSMUS
1989)3 ajouterai
ici
deux choses essentielles
Premirement
cet
idal
rductionniste
rig
en
ncessit surtout t le
fait des
physiciens deuximement son
vidence
est directement
remise en cause
par les
physiciens
eux-mmes depuis une quinzaine annes
Avec les frac
taies les thories du chaos et certains usages de
ordinateur
la mtaphysique de la physique est
en train
de
profondment muter la notion
de
fondamentalit
change
totalement par exemple
comme
celle
de temporalit les
lois
de
la
physique
ne
sont
peut tre plus
immuables
Sam
Schweber et Tian
Cao
Harvard sont ceux qui
travaillent
de
fa
on
la plus suivie
et cons
quente
sur
ces
questions
502
7/23/2019 Nova Histria Cultural e Social das Cincias
18/37
PESTR FINITIONS
OBJETS PRATIQUES
souvent
dcrit comme un prototype
de
machine
lectrostatique
alors il
tait en fait
un
appareillage devant
prouver
que la gravitation
tait
de
nature
lectrique et non magntique comme suggr par
Gilbert
et elle tait
cause
par la friction de air sur la
terre
en mouvement Faire revivre cette
tradition
mais
elle
est
pas
la
seule
qui
mriterait un
tel
traitement
permet
enfin de jeter des ponts entre les historiens des sciences et les historiens des
instruments elle permet de revivifier par enrichissement mutuel deux
communauts vivant
en partie
dans indiffrence
une de
autre alors
que
rien ne autorise
Un autre lment noter
mme si
je ne
le
dvelopperai
pas
ici est
que
les
instruments ne sont
pas que
des objets
con
us et
valids par
les philo
sophes naturels
ou
les scientifiques et
que
leur statut varie selon
les contex
tes
dans lesquels ils sont mis en uvre
Ils sont souvent
des
objets
qui
remplissent
des fonctions
techniques
ou de production et qui
sont alors
aussi construits et valus en fonction de critres propres
par
des commu
nauts artisans
entrepreneurs
ou ingnieurs
ils
sont
des
dispositifs
dots de symboliques
varies
et qui ont des fonctions rhtoriques et poli
tiques tel tlescope ou tel instrument mathmatique
spcifiquement
con
pour un
prince
dans
le
contexte de
cour
ils sont des objets qui peuvent tre
con
us
pour des collections et qui rpondent
alors
de nouveaux critres
esthtiques
ou sociaux ils
peuvent
enfin tre des instruments pdagogiques
dont le but
est
de permettre une reproduction aise et non controverse de
phnomnes prcis Comme bien montr le programme de replication
expriences historiques
entrepris
Oldenbourg et
Cambridge
un gouffre
existe entre les matriels utiliss sur le front de la recherche et ceux qui nor
maliss et standardiss servent ensuite aux manipulations dmonstratives
Optimiss pour produire
et exemplifier
le rsultat maintenant
considr
comme juste
ces derniers
ne peuvent
permettre de
rendre compte des
pro
blmes rencontrs
dans
la phase de recherche34
origine
en effet la nature du fait
exprimental est
inconnue elle
est
prcisment ce qui
est
en jeu ce il onvient de dfinir Dans la mesure o
existence de
dispositifs
diffrents
conduit souvent
les spcialistes dcrire
des phnomnes divers la polmique se droule abord autour de
la
fiabi
lit des
appareillages
et de la qualit des exprimentateurs Au stade de la
recherche la ralit du phnomne ne peut tre invoque
pour
trancher
entre les diverses propositions ll st prcisment
ce
on cherche
tablir
Symtriquement
une
fois
le
consensus
acquis
est--dire
lorsque la
vrit
de la nature
est
admise par
une
majorit experts un cri
tre simple
permet
de
diffrencier entre
les
bons dispositifs
et les
bons
manipulateurs et les
mauvais
La fonction dmonstrative
peut alors
jouer
plein obtention du bon rsultat
par apprenti-savant
obtenu
grce
un
dispositif unique con cet effet et accept comme la norme
est
la garan
tie de apprentissage
la
garantie une socialisation russie35
34 Pour une
remarquable
tude de replication contemporaine voir les
articles
SIBUM
Pour une rflexion
sur ces
pratiques et ce elles
peuvent
apporter historien GAUDIL-
LI
RE Aster 1994
et
PESTR 1994)
35
La rfrence
fondamentale
sur
cette question reste COLLINS
1985
et
sa
notion de
experimenters
regress
503
7/23/2019 Nova Histria Cultural e Social das Cincias
19/37
HISTOIRE
ET SOCIOLOGIE DES SCIENCES
Histoire
des sciences
et
analyses des pratiques
En parfaite rsonance avec histoire culturelle actuelle qui
analyse
des
pratiques et prend comme objet les
oprations
par lesquelles le sens
est
loca
lement
produit
de
nombreux travaux histoire des
sciences
refusent main
tenant
les notions passives de diffusion et de rception pour retenir celles
plus
actives de
reprsentations
et appropriations
historiquement situes
illustrerai cet
aspect
partir de deux
articles
Andy Warwick le premier
proposant de
relire histoire
des premiers temps de la thorie de la relativit
partir de ces notions autre intressant aux
techniques du
calcul num
rique
de
poque
victorienne
intrt de choisir ici des
analyses
portant
sur des
travaux
thoriques
est
il eut sembler
moins vident
utiliser la
notion
de pratique
dans
ce
contexte36
Le point de
dpart
de Warwick dans son
premier
article
est
une mise en
garde savoir
que
la thorie
propose
en 1905
par
Einstein est
pas
objet
auto vident
et
hautement
significatif
que
prsente traditionnellement
his
toriographie
Il rappelle que la
signification couramment attribue
aujour
hui aux
travaux
Einstein
rsulte
de
la
manire
dont
ils ont
t
rinterprts par les physiciens elle dcoule un
travail
rtrospectif
attribution de sens ayant initialement impliqu
autres interprtations
Les
scientifiques tant
les premiers faire sens de leurs gestes Warwick
insiste sur la ncessit de
se
dfier de histoire
ils
racontent
eux-mmes
qui
est une
histoire de vainqueurs
il
insiste pour
que
les objets de
tude
historique soient
abord les
divers
usages ont faits les scienti
fiques des textes
Einstein
puis ce
que
ces usages rvlent quant aux pra
tiques
thoriques des
divers groupes enfin
les
modes par
lesquels un
consensus
interprtatif
merge
via une
homognisation
des
manires
de
travailler37
Par
emploi de expression pratique thorique Warwick entend
on reconnaisse la dimension de savoir-faire
inhrent
au
travail mathma-
tico-thorique
le fait
que
celui-ci repose sur
un
ensemble de procdures
employes de fa on automatique
ou
privilgie le fait il
st
toujours
matriellement
et culturellement situ
pigraphe
de
son
travail
est
ail
leurs
une citation de Wittgenstein qui dit Proposer un nouveau concept ne
peut signifier
que
donner un
nouvelusage que
proposer une
nouvelle
pra
tique
Les
technologies thoriques qui sont
mises
en uvre sont
constitues
de
manires
de
faire
propres
chaque
groupe les
physiciens
36 WARWICK 1992-1993 paratre Pour des rflexions plus larges
sur
la notion de praiques voir le numro 1
1988
de Science in Context et ouvrage
collectif
dit par PIC
KERING
1992)
37 La linarit et les fausses continuits que cre histoire spontane des savants tiennent
au
fait que une ratique
est
devenue
hgmonique
et que les
ontologies
associes ne
sont
plus
controverses la
tendance est de relire les textes anciens
pour
le
plaisir
ou
la curiosit
et
apercevoir
de
fa
on anachronique
des outils
et
des objets ressemblant aux
siens
dcouvrir des prcurseurs
voir
un champ de ressources
formelles
qui
sont
lues heuristique-
ment partir
du
point arrive Ainsi se
cre une histoire qui
permet
de
se situer un rcit
qui
permet
de
donner un
sens ce qui vient
tre
accompli
Bien
videmment cette opration
est en rien particulire aux scientifiques elle se
retrouve
dans tout travail intellectuel et donc
chez nous-mmes
504
7/23/2019 Nova Histria Cultural e Social das Cincias
20/37
PESTR DEFINITIONS OBJETS PRATIQUES
mathmaticiens de Cambridge au dbut du sicle comme les thoriciens du
groupe de Broglie
trois dcennies
plus
tard
ont
leurs modes
propres
pour
aborder
et traiter les problmes et ces technologies
sont
acquises tra
vers des processus
acculturation
classiques apprentissages scolaires via
les
tripos
mathmatiques
de
Cambridge
par
exemple)
contacts
indivi
duels
participation aux travaux une cole etc Une certaine incommen
surabilit
peut donc exister entre les diverses
technologies
thoriques
employes une poque donne ce qui interdit pas la discussion
commune de certains problmes
puisque
ces thories sont censes rfrer
une ralit physique unique38
Sans
entrer
ici
dans
un
dtail
qui
deviendrait vite
sotrique ce que
montre Warwick est
que
les travaux des
physiciens
et mathmaticiens
de
Cambridge avaient
que
trs
peu
voir
entre
1905 et 1911 avec ceux dve
lopps la
mme
poque en Allemagne travaux qui fixrent ce
que
nous
entendons
maintenant
par
thorie de la
relativit
restreinte Bien
que
le
mathmaticien Cunningham
soit
par
exemple
souvent
tenu
pour
un
des
introducteurs de la relativit en Angleterre Warwick montre il ravaille
dans
le
cadre bien particulier du programme de Larmor le programme bri
tannique de la thorie lectromagntique de la
matire
et il dopte
pas
ce qui
est
au fondement des technologies de la nouvelle lectrodynamique
relativiste allemande notamment la question centrale de la synchronisation
des horloges
ou
emploi
dans
sa gnralit de quation me
Cunningham considre
Einstein fait attirer attention sur le fait
que prises
ensemble
la structure lectronique de la matire et le formalisme
mathmatique des transformations de Lorentz implique de rviser
la
conception
alors
dominante de ther Prenant naturellement le travail
Einstein
comme
un
complment aux travaux
fondateurs
de Lorentz
et
Larmor
il imagine
pas avant
1909 il uisse
avoir
des
interprtations
physiques diffrentes du principe
de relativit Une
dmonstration
parallle
est
mene par
Warwick propos
de
Campbell un physicien britannique
contemporain de
Cunningham
Dans
son
article sur la pratique du calcul numrique
dans
Angleterre
victorienne
est--dire sur les
techniques
et les moyens matriels et
humains mis en uvre pour obtenir partir de formules algbriques des
valeurs
numriques) Warwick
combat
ide il aurait l rien
int
ressant
tudieron
e serait jamais
que
dans
application de
for
mules dans
le
simple
travail
technique
de
dduction
opration
la
fois triviale
et sans
historicit
propre
La
question prcise il e pose
est
de
savoir
comment des sries de
nombres comment
des
tables
de logarithmes
par
exemple) voire des
machines sont
concrtement produites de
savoir o
comment
par
qui et