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Page 1: Quand les enfants hyperactifs deviennent adultes

Le TDAH (Trouble Déficitaire del'Attention/Hyperactivité) a long-temps été considéré comme unt rouble spécifique de l'enfant. Onsait aujourd'hui qu'il s'agit d'unt rouble associé à d'importants dysfonctionnements et qui peut,dans près de la moitié des cas, persister à l'âge adulte. La préva-lence est évaluée entre 1 % et 4 %de la population générale. Commechez l'enfant, le TDAH se caracté-rise par des troubles attentionnels,une hyperactivité motrice et unt rouble du contrôle des pulsions.

TROUBLES ATTENTIONNELS

Le processus attentionnel est p e rturbé : il existe une distractibi-lité invalidante, des difficultés àsoutenir l'attention et une tendanceà l'hyperfocalisation, en part i c u l i e rpour les tâches stimulantes et susceptibles d'apporter une grati-fication immédiate. Les patientshyperactifs sont enclins à la pro c r a s-tination, s'ennuient rapidement et gèrent difficilement le temps,leurs activités et leurs priorités.

HYPERACTIVITÉ MOTRICE

Plus discrets que les enfants, lesadultes atteints de TDAH manifes-tent leur hyperactivité par uneimpatience intérieure. On notenéanmoins souvent des mouve-ments des mains et des jambes,

« incontrôlables » selon les patients.Ils ont un besoin permanent debouger et de multiplier les acti-vités, re c h e rchant les sensationsfortes. Avec comme conséquenceune difficulté à se détendre.

TROUBLE DU CONTRÔLE DES PULSIONS

Les symptômes d'impulsivité peu-vent se limiter à une impatience, àune tendance à couper la parole àses interlocuteurs et à imposer saprésence dans les discussions. Lespatients perdent facilement leurs a n g - f roid et peuvent développerdes symptômes compatibles avecun trouble de personnalité anti-sociale, en particulier si le TDAH estassocié à un trouble des conduitesdurant l'enfance. Les patients seplaignent fréquemment de labilitéémotionnelle et d'instabilité person-n e l l e et professionnelle.

Les répercussions du TDAHUne fois adultes, les patients hyper-actifs multiplient les échecs scolaire set professionnels. La confiance en soi est limitée. Au travail, si c e rtains deviennent de véritables « workaholics », ils ont tendance à e n t re p re n d re de multiples tâchessans pouvoir les planifier et les ache-v e r, et supportent mal toute auto-rité. Les patients TDAH changentd'ailleurs plus souvent de travail etsont plus fréquemment licenciés

que les sujets non atteints. Les re l a-tions sociales sont instables et l'isole-ment fréquent. Plusieurs études ontmontré que le TDAH était associé àdes comportements dangereux auvolant et à des conduites sexuelles à risque. La vie familiale est un vrai défi pour les adultes hyper-actifs, chargés de gérer des horaires stricts et d'abandonner des activitéshautement stimulantes pour allerc h e rcher leurs enfants à l'école !

DES COMORBIDITÉS INVALIDANTES

Peu de patients se présenteront enconsultation de psychiatrie avec desplaintes de TDAH à l'avant-plan. Le diagnostic est souvent posé àl'occasion d'une décompensationa n x i o - d é p ressive, révélatrice d'un « fonctionnement » hyperactif etconfirmé par une anamnèseexhaustive. Une étude récente amontré que plus de deux tiers despatients ont présenté ou présente-ront un ou plusieurs troubles psychiatriques associés. Les tro u b l e sdu sommeil sont également trèsfréquents et doivent être investi-gués, par une polysomnographie sipossible. Les hyperactifs le re s t e n tégalement la nuit et on décrit une latence d'endormissementaugmentée, une incidence élevéede parasomnies et de mouvementsdes jambes. L'investigation desp a r a m è t res de sommeil est indis-

Quand les enfants hyperactifsdeviennent adultesDr Pierre OSWALDService de Psychiatrie,Cliniques Universitaires de Bruxelles, Hôpital Erasme, Bruxelles, Belgique

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Le Trouble Déficitaire de l'Attention/Hyperactivité ne touche pas exclusivement l'enfant.Lorsqu'il persiste à l'âge adulte, il constitue une pathologie invalidante en raison destroubles associés, de leurs répercussions sociales et des comorbidités importantes.

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pensable car elle peut mettre enévidence des dysfonctionnementsspécifiques, avec pour conséquenceun traitement part i c u l i e r.

UN TROUBLE GÉNÉTIQUE

Les données issues des études familiales et d'adoption confirm e n tle caractère génétique du TDAH. Les parents du premier degré d'un patient présentant un TDAHauraient 4 à 10 fois plus de risquesd ' ê t re atteints que dans la popula-tion générale. Les études de jumeauxont également démontré que l'héri-tabilité (part de l'étiologie liée à desfacteurs génétiques) était de 0,8 ;l'une des plus élevées en psychiatrieen comparaison, par exemple, à lad é p ression (0,5) et aux troubles bipo-l a i res (0,7). Par ailleurs, des facteurse n v i ronnementaux semblent égale-ment importants aux côtés des facteurs génétiques : consommationde tabac durant la grossesse, préma-turité, hypoxie néonatale. Les étudesde génétique moléculaire n'ont pas pu perm e t t re de définir l'un oul ' a u t re gène directement impliquédans l'étiopathogénie du TDAH, malgré des résultats encourageantssur les gènes liés aux voies dopami-n e rgiques, comme le gène trans-p o rteur de la dopamine (DAT). On évolue plutôt vers un modèle poly-génique, associant de nombre u xpolymorphismes génétiques définis-sant une susceptibilité génétique et des facteurs environnementaux, à l'image de ce qui se passe dans l ' h y p e rtension artérielle ou le diabète.

DYSFONCTION NEUROPSYCHOLOGIQUE ETANOMALIES CÉRÉBRALES

Les récentes études neuro p s y c h o -logiques ont mis en évidence, chez l'enfant comme l'adulte, dest roubles attentionnels purs et plu-sieurs anomalies exécutives. Parm iles fonctions exécutives, l'inhibitionexécutive (à opposer à l'inhibitionmotivationnelle) entre en actionlorsqu'une tâche ou une pensée

doit être interrompue. Cette fonc-tion est déficiente dans le TDAH. Parailleurs, des similitudes phéno-typiques ont été mises en évidenceavec les patients présentant unelésion frontale traumatique. Ces éléments ont permis de suggére rque le TDAH est lié à une dysfonc-tion fronto-striée, le lobe frontal n'exerçant pas correctement sonrôle inhibiteur. Si les études d'ima-gerie cérébrale restent limitées chezl'adulte, elles tendent à confirm e rcette hypothèse, associant dysfonc-tion fronto-striée et anomalies des stru c t u res impliquées dans les fonctions d'attention et exécutives.

Dopamine et noradrénalineTant les études précliniques que cliniques ont montré des dysfonctions dopaminergiques etn o r a d r é n e rgiques. Par exemple,le méthylphénidate, traitementde base du TDAH, augmente lestaux extracellulaires de dopamineen bloquant le transporteur de ladopamine (DAT) en tomographiepar émission de positons (PET).Des anomalies dopaminerg i q u e set noradrénergiques ont étére t rouvées au niveau du cort e xpréfrontal des sujets atteints. Cesdonnées confirment le terr a i nneurobiologique du TDAH et vali-dent son existence chez l'adulte.

Démarche diagnostiqueLa mise au point devra compre n d reune évaluation développementaleexhaustive. Selon le DSM-IV, le diagnostic de TDAH re q u i e rt la pré-sence de symptômes avant l'âge de7 ans. Ils doivent être perm a n e n t s(même s'ils sont souvent fluc-tuants), présents dans au moinsdeux environnements (au travail eten famille par exemple), invalidantset occasionner une gêne fonction-nelle. L'examen mental doit égale-ment être complet, à la re c h e rc h ed'éventuelles comorbidités. Unesérie d'échelles ont été développéeset sont part i c u l i è rement pratiquespour évaluer la sévérité et l'évolu-tion symptomatique. Rappelons

l ' i m p o rtance de l'hétéro a n a m n è s eet de certains examens para-cliniques (polysomnographie et testing neuropsychologique).

Approches thérapeutiquesL'éducation et le soutien constituentles pre m i è res étapes essentielles du traitement. Il est important pourle patient de lui appre n d re que lesd i fficultés qu'il re n c o n t re font part i ed'un syndrome connu et traitable.Plusieurs centres ont développé desmodules de psychoéducation, dontle rôle est d'apporter une inform a-tion exhaustive sur le TDAH et desoutenir certaines stratégies d'adap-tation comportementale. L'appro c h emédicamenteuse est indiquée dansles situations invalidantes. En pre -m i è re intention, les psychostimulants(principalement le méthylphénidate)sont associés à une réponse positive à court terme dans près de 80 % des cas, à des doses variant de 0,5 à1,5 mg/kg/j. Peu de données existentc o n c e rnant les autres traitements. À ce jour, des données positives existent pour l'atomoxétine, lemodafinil, le bupropion et cert a i n sa n t i d é p resseurs tricycliques (en part i-culier la désipramine). Les appro c h e spsychothérapeutiques les mieux étu-diées sont les thérapies cognitivo-c o m p o rtementales, part i c u l i è re m e n tindiquées pour l'apprentissage dec o m p o rtements de compensation.

CONCLUSION

Le TDAH est, chez l'adulte, unepathologie invalidante marq u é epar un taux élevé de comorbidités.Le traitement est efficace dans la plupart des cas. Il reste donc àa m é l i o rer l'information autour dece syndrome, malheure u s e m e n tpeu connu des psychiatres.

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