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Page 1: re À quoi servent les examens de passage? · (ou 3 pour les filières professionnel-les) pour le lycée (nommé Collège d’Enseignement Général et Profes-sionnel ou CEGEP). Il

D E B AT 06Le Quotidien d'OranLundi 02 juillet 2007

Par Ahmed Bensaada *

De nombreux pédagogues sesont penchés sur l’utilité del’examen de passage aux cy-

cles primaire et secondaire. Est-ce unmoyen de vérifier les acquis cognitifsou les compétences des élèves? Est-ce un instrument pour s’assurer queles enseignants dispensent effective-ment la totalité des contenus notion-nels prescrits par les programmes?Est-ce une méthode pour s’assurer del’uniformité d’un système éducatifdans un pays? Est-ce une façon delimiter l’accès aux niveaux subsé-quents? Est-ce une manière de valo-riser un diplôme? Ou est-ce un pro-cédé de ségrégation entre les bons etles mauvais élèves? Même en Occi-dent, les réponses à ces questions dif-fèrent d’un pays à l’autre. Dans la majorité des pays à traversle monde, le cursus scolaire se diviseen 3 niveaux distincts : primaire, col-légial et secondaire. Seuls les 2 pre-miers sont, en général, obligatoiresselon la loi. Ces niveaux ont différen-tes appellations selon les pays et leurdurée totale varie normalement en-tre 12 et 14 années. Ils correspondentà des étapes clefs du développementde l’être humain sur les plans physi-que et psychique : l’enfant, l’adoles-cent et le jeune adulte. Même les lieuxd’enseignement qui abritent ces ni-veaux sont en général différents :écoles, collèges et lycées. Il paraît donc très logique et naturelde ponctuer ces étapes par des exa-mens qui permettent le passage del’une à l’autre des institutions : on adonc mis sur pied l’examen de sixiè-me (1ere AM), le brevet d’enseigne-ment collégial (ou moyen, ou fonda-mental) et le baccalauréat. C’est le casde l’Algérie. L’exemple de la France (proximitéhistorique, culturelle et géographiqueoblige) est légèrement différent : les3 ordres sont maintenus, mais l’exa-men de sixième a été supprimé. Lebrevet, quant à lui, existe mais negarantit pas le passage au lycée encas d’obtention. Cela veut dire quel’élève français arrive en classe deTerminale sans avoir passé d’examennational sanctionnant son passaged’un niveau à l’autre. Ce système éducatif ne fait pas né-cessairement l’unanimité [1]. Ses dé-tracteurs arguent, qu’à la fin de l’éco-le primaire, les deux tiers des élèvesne maîtrisent pas l’ensemble des com-pétences fixées par les programmes[2]. Ces lacunes pédagogiques ontmême fait irruption lors de la derniè-re course à l’Élysée. Dans son discoursdu 1/12/2006, à Angers, N. Sarkozya déclaré que « 15% des élèves desixième ne savent pas lire et écrire etque 160 000 élèves quittent chaqueannée l’école sans aucune qualifica-tion » et a dénoncé « l’hypocrisie dubac qu’on brade peu à peu, pourmieux sélectionner à l’université dansle secret des examens de fin dedeuxième année ». Dans son dernier livre [3], C. Allè-

À quoiservent

les examensde passage?

La récente polémique entourant laprépondérance de la note du BEM dansle passage à la première annéesecondaire au détriment des résultatsobtenus durant l’année scolaire méritequ’on s’y attarde quelque peu.

gre, ancien ministre de l’Educationnationale française, note que « le ni-veau a baissé pour diverses raisons.La raison essentielle me paraît être ladisparition des contrôles qui, jadis,permettaient le passage d’un niveauà un autre ». Plus près de nous, laTunisie possède un système éducatiffortement inspiré du modèle français.Là aussi, la suppression de l’examende sixième fait couler beaucoup d’en-cre. Dans un ré-cent ar ticle dujournal Le Tempson pouvait lire :« La suppressionde l’ancien exa-men de sixièmeet l’entrée en vi-gueur de l’écolede base, depuisles années qua-tre-vingt-dix, ontété à l’origined’un gonflementsans précédentdu nombre d’élè-ves autorisés àpoursuivre leursétudes dans leslycées et collègesde notre pays. (_)C’est qu’il estgrand temps derepenser le con-cept d’école debase qui est ac-tuellement syno-nyme de «garde-rie». Or, l’écoleest, en principe,faite moins pour «retenir » que pourformer et édu-quer » [4]. Revenons à laFrance et à sonbrevet. Commeindiqué précé-demment, cetexamen ne con-ditionne pas lepassage au lycée.Mais, à quoi bonsert-il alors? Certains vous diront àrien, d’autres que c’est le premierexamen que passent les élèves fran-çais et qu’il permet de garantir uncertain niveau. Cet examen, jugé fa-cile par la plupart des élèves, estréussi par environ 80% des candi-dats. Dans les colonnes de l’Express,un professeur d’histoire-géographied’un collège du Val-d’Oise commen-te ainsi ce haut taux de réussite : «ces80% de réussite ne signifient rien. Les réponses sont dans les docu-ments fournis aux élèves, les dictéessont du niveau CM 2 et une copienulle mais sans rature récolte 4 pointssur 40 pour le soin!» [5]. Intéressons-nous à un autre exem-ple : celui du Québec. Dans cetteprovince, comme dans tout le Cana-da, l’éducation est de juridiction pro-vinciale. Le système éducatif québé-cois est organisé comme suit : 6 anspour le primaire, 5 ans pour le collè-ge (nommé école secondaire) et 2 ans

(ou 3 pour les filières professionnel-les) pour le lycée (nommé Collèged’Enseignement Général et Profes-sionnel ou CEGEP). Il ne prévoitaucun examen national de passaged’un niveau à l’autre. Seules desépreuves nationales dans certainesmatières sont organisées par le minis-tère de l’Education à la fin de certai-nes années. Pour d’autres matières,les examens sont du ressort de lacommission scolaire (l’équivalent del’académie). Dans le cas des exa-mens ministériels, la note obtenuepermet la réussite du cours (et nondu niveau). En cas d’échec, la noteannuelle obtenue en classe rentre enconsidération avec le même coeffi-cient que l’examen. Si l’élève est en-core en échec, il peut s’inscrire auxcours de rattrapage de la matièreéchouée. Ces cours sont organiséspar les commissions scolaires et du-rent 2 ou 3 semaines pendant lesvacances d’été. Les élèves sont alorssoumis à un autre examen ministé-riel dit de rattrapage. En fin de cinquième année secon-daire, l’élève s’inscrit au CEGEP enfonction de sa moyenne des 2 der-nières années du secondaire et de sonchoix de carrière. À cet égard, il fautmentionner que de nombreux courset activités sont organisés durant lecycle secondaire pour aider l’élève àfaire un choix éclairé de sa future car-rière (tests, recherches sur les emplois,

stages, conférences, visites, etc.). Contrairement à la France, l’exa-men du baccalauréat n’existe pas.L’accès à l’université se fait grâce à lamoyenne obtenue durant les 2 (ou 3)années du CEGEP. Pour uniformiserles résultats d’un CEGEP à l’autre etd’une région de la province à l’autre,une cote de rendement collégial (coteR) est calculée pour chaque élève.Cette cote est calculée par le minis-tère de l’Éducation pour chacun descours suivis par l’élève et tientcompte de la note obtenue, de laposition relative d’un élève dans songroupe, de la force relative du grou-pe par rapport à celle des autresgroupes. L’accès aux filières univer-sitaires contingentées se fait princi-palement à l’aide de la cote R del’élève, mais aussi d’entrevues de sé-lection, d’examens spécifiques ou detests d’aptitude. Voilà donc une or-ganisation qui se passe complètementd’examens nationaux de passage et

dont le système éducatif est un desplus efficaces au monde. Nous ne pouvons clore ce bref tourd’horizon sans parler du système sco-laire finlandais, considéré parl’OCDE comme le plus performantdu monde. Une enquête internatio-nale réalisée en 2000 et 2003 re-groupant 41 pays développés a don-né le prix d’excellence aux jeunesfinlandais qui se sont démarqués enlecture, mathématiques et résolutionde problèmes et à leur systèmeéducatif [6]. Mais à quoi tient cetteépoustouflante réussite? L’école y est obligatoire de 7 à 16ans et aucun examen ne vient per-turber la douce quiétude de la vie sco-laire. Le redoublement est banni : lesélèves en difficulté sont suivis par desenseignants spécialisés. Les études, letransport et les repas chauds sont gra-tuits et les institutions d’enseignementsont de taille humaine : tout est faitpour que l’élève se sentent bien àl’école. Ici, l’expression « l’élève doitêtre au centre de l’école » n’est pasjuste un slogan qui décore les pro-grammes de formation. Tout le systè-me éducatif public est mobilisé pourla réussite de l’élève de sorte que l’en-seignement privé est quasimentinexistant. Les établissements jouis-sent d’une grande autonomie et sontrégulièrement évalués. Ces évaluations ne servent pas àcomparer les élèves ou les établisse-

ments, mais à dé-tecter les institu-tions qui ont desdifficultés pourmieux leur al-louer les fondsnécessaires afinde trouver dessolutions à leursproblèmes. Laconcurrence et lasélection ne faitson apparitionqu’après l’écoleobligatoire, c’est-à-dire après 9 ansde scolarité.Aucun examenn’est nécessairepour le passageau lycée. Les no-tes obtenues du-rant le cycle fon-damental condi-tionnent l’orien-tation vers un ly-cée professionnelou général. À lafin du lycée, unexamen national,équivalent dubaccalauréat, estorganisé par leministère del’Education. Ce-pendant, l’obten-tion de ce diplô-me ne donne pasnécessairementl’accès aux uni-versités. En effet,ces dernières or-ganisent leurs

propres examens surtout dans les fi-lières contingentées. Remarque inté-ressante: aussi bien au Québec qu’enFinlande, il n’y a ni inspection ni ins-pecteurs de l’enseignement contrai-rement à la France ou à l’Algérie. Alors quel modèle choisir pournotre pays? Faut-il bannir les exa-mens de passage (au moins les 2premiers) puisque les pays les plus

1. Brighelli, Jean-Paul. La fabrique du crétin,Paris, Jean-Claude Gawsewitch Éditeur, août2005, 222 p.2. Débat 2007.fr. (Page consultée le 26 juin2007). Enseignement scolaire, [En Ligne].Adresse URL: http://www.debat2007.fr/index.php?id=2483. Allègre, Claude et Pierre-Luc Séguillon. 10+ 1 questions à Claude Allègre sur l’école,Paris, Michalon, mars 2007, 107 p.4. Moncef Mehedhbi. « Encore faut-il quel’Ecole de base cesse d’être une garderie». LeTemps (Tunisie), 26 mars 20075. Marie Cousin. (Page consultée le 27 juin2007). Le brevet, pour quoi faire?, [EnLigne]. Adresse URL: http://www.lexpress.fr/info/france/dossier/educationnation/

Références:dossier.asp?ida=4283036. OCDE. (Page consultée le 27 juin 2007).Programme for International StudentAssessment (PISA), [En Ligne]. Adresse URL:http://www.pisa.oecd.org/document/24/0,3343,en_32252351_32235731_38378840_1_1_1_1,00.html7. Pôle de Dakar, Analyse sectorielle enéducation. (Page consultée le 28 juin 2007).La situation des systèmes éducatifs en Afriquedu Nord, Statistiques 2006, [En Ligne].Adresse URL: http://www.poledakar.org/IMG/Afrique_Nord-web.pdf8. Paul Robert. (Page consultée le 28 juin2007). L’éducation en Finlande : les secretsd’une étonnante réussite, [En Ligne]. AdresseURL: http://www.meirieu.com/ECHANGES/robertfinlande.pdf

performants au monde dans le do-maine de l’éducation ne leur don-nent aucune importance? Regardons tout d’abord les taux deréussite aux examens de passage pourl’année en cours. Celui du BEM estpresque la moitié de celui de l’exa-men de 1re AM (44% contre 73,51%).Est-ce que l’examen du BEM a unedifficulté disproportionnée par rap-port aux exigences du programme ouest-ce que la préparation et les acquisdes élèves ne sont pas suffisants? Sila réponse à la première question estaffirmative, il faut se demander ce quemesure ce type d’examen et y remé-dier rapidement. Si le niveau des élèves laisse à dé-sirer, le problème est beaucoup plusgrave et ce n’est pas la diminution dela pondération de l’examen compa-rativement à la moyenne annuelle(modification des coefficients) qui varégler le problème. Il ne s’agira qued’une modification cosmétique quin’aura pour effet que de niveler leniveau vers le bas en augmentant ar-tificiellement le nombre d’élèves ausecondaire et translater le problèmevers le baccalauréat. Et puis, si la noteannuelle est aussi importante, pour-quoi ne l’est-elle pas dans le cas dubaccalauréat? Il est vrai que la moyenne annuel-le dépend du travail de l’élève maisaussi de la qualité des enseignantsqui dispensent les cours, de l’orga-nisation de l’établissement, de sasituation géographique et de laclientèle qui le fréquente. Le vrai défi de l’école algérienne ré-side, à mon avis, dans la définitionclaire d’un projet éducatif pour tousles Algériens, dans la formation d’unpersonnel enseignant professionnel etengagé qui croit en sa mission, dansla valorisation de la profession d’en-seignant, dans la mise en valeur del’école et de l’éducation, dans la dé-centralisation de certains pouvoirsvers les établissements éducatifs, dansla capacité de transformer les écolesen milieux de vie et d’y promouvoirun sentiment d’appartenance et dansun financement adéquat du systèmeéducatif. À titre indicatif, la Finlande,la France et le Québec consacrent res-pectivement 6,2%, 6,9% et 7,5% deleur PIB à l’éducation. L’Algérie,quant à elle, n’y consacre que 3,7 %de son PIB, en deçà de nos voisinstunisiens ou marocains (~6%) [7]. Dans son analyse exhaustive dusystème scolaire finlandais, Paul Ro-bert, principal d’un collège français asouligné que « l’étonnante réussite del’éducation finlandaise n’est pas seu-lement due à la prouesse d’une sa-vante construction technocratique :elle a partie liée avec une langue, uneculture, un peuple qui a fait du déve-loppement de la personne humainedans toutes ses composantes le butde l’éducation » [8]. Ainsi, lorsque nous aurons décidécollectivement, comme un vrai peu-ple, que le développement de la per-sonne humaine algérienne est la prin-cipale de nos préoccupations, nousrelèverons les vrais défis de notre éco-le. Nous ne nous soucierons plus dela modification de quelconques coef-ficients, car notre école, comme dansles pays développés, se sera affran-chie de tout examen de passage.

* Docteur en physique,Ex-conseiller pédagogique

en sciencesMontréal (Canada)

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