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Page 1: Région - Union Internationale des Alsaciens · coup de foudre. « Quand la porte de l’avion s’est ouverte, il y a eu ... installé en Extrême-Orient depuis plus de trente ans,

1985 à Hô-Chi-Minh-Ville, effectuant la première visite commer-ciale d’Essilor depuis la « chute » de Saigon, dix ans plus tôt.

1983 à Londres, lors de la remise desdiplômes à l’Université du Middlesex

1986, en Birmanie pour Essilor. À l’arrière-plan, lapagode Shwedagon de Rangoun. DR

Olivier Brégeard

L’exil n’était peut-être pas inscritdans les gènes de Claude Jaeck,mais il s’est imposé peu à peu aucours de son enfance. Du côté deHégenheim, sa mère tenait un ca-fé-restaurant, son père travaillaitcomme comptable dans la Suissevoisine. Comme tous les deuxétaient très occupés et qu’il fallait« dompter le saute-ruisseau »,avec l’espoir que les études luipermettraient de grimper l’échellesociale, il fut placé en internat. Àl’École des Missions de Blotzheim,l’enfant écoute les récits des prê-tres revenus après des décenniesd’Afrique. Le petit Sundgauvien estcontaminé par ces visions d’hori-zons lointains. Puis, à Landser, en-touré d’une campagne quiressemble à ses yeux au désert desTartares, il n’a d’autre échappatoi-re que le sport et la lecture, JulesVerne, les explorateurs du XIXe siè-cle.

Le grand voyage de ses 17 ansachève d’orienter son avenir. Fasci-né par la colonie alsacienne deCastroville, son père l’inscrit auxéchanges qui se mettent alors enplace avec le Texas, au milieu desannées 70. Claude Jaeck y passetrois mois, en revient « fluent »,en parfait cow-boy. « Je suis des-cendu de l’avion à Bâle avec mesbottes, mon Stetson, ma Lone StarBuckle et ma boîte de tabac àchiquer », raconte aujourd’hui cequinquagénaire massif, au sourirebonhomme.

« Dès que les portesse sont ouvertes,je suis parti »

L’Amérique fut « un événementfondateur », qui a changé sa vie.« Dès que les portes se sont ouver-tes, je suis parti. Sans rancune (ilenverra son premier salaire à DonBosco). Mais j’avais soif, je voulaisdépasser l’horizon de la salle declasse. »

Plus que d’un métier précis, il sevoit alors passer sa vie dans desavions, des hôtels, « à l’autre boutdu monde ». Il fait donc une écolede commerce à Reims, avant uncomplément passe-partout à Lon-dres. Puis le père d’un de ses cama-rades de Landser, Yves Pintaud,« qui était un grand ponte chezSandoz », lui trouve son premierposte, à Singapour, comme coopé-rant. « Il a poussé le premier domi-no… »

À l’arrivée dans la cité-Etat, c’est lecoup de foudre. « Quand la portede l’avion s’est ouverte, il y a eucette grande bouffée d’air humide,cette odeur particulière mêlant

l’air marin, les épices et l’en-cens… » Alors que les « expats »vivent entre eux et que les hom-mes d’affaires ne parlent pas chi-no is, lu i se rapproche desautochtones. « J’étais jeune, j’aieu des petites amies locales, quiont favorisé ma découverte de laculture. Il faut être curieux, avoirenvie de comprendre, s’intéresserà l’autre, au pourquoi des compor-tements. La connaissance de l’his-toire permet d’éviter des erreurs. »

Après son service, il reste évidem-ment en Asie : pendant douze ans,à Singapour puis à Bangkok, ilouvre les marchés de la péninsuleindochinoise au français Essilor. Iltravaillera plus tard dans l’autresens, en redéfinissant le marketingdu chinois Swank, qui exporte éga-lement des verres optiques. Il con-tribuera aussi à développer lesactivités en Asie de la chaîne decafés-boulangeries Délifrance, dela grande marque des arts de latable Arc International, du fabri-cant français de matériels indus-triels APEM…

Au début de la décennie actuelle,Claude Jaeck a passé deux ansdans le Shandong, une province del’est de la Chine, afin de redresserune usine du groupe belge Beau-lieu, spécialisé dans les revête-ments de sol. « C’était synonymede sacrifices familiaux, et j’étais leseul Blanc dans un « village » de

700 000 habitants. J’ai relevé lechallenge… »

Il voit le commerce internationalcomme une question de bon sens,« bon sens paysan, ou alsacien ».« Il faut voir les besoins, mettre enrelation les acteurs et les solu-tions. Les problématiques sontsouvent les mêmes. Les hommesse connaissent mais ne se com-prennent pas. »

Selon lui, « les Occidentaux conti-nuent de faire les mêmes erreurs.Ils viennent avec des certitudes.Mais si les Chinois s’habillentaujourd’hui comme nous, boiventdu bordeaux, consomment à l’occi-dentale, ils ne fonctionnent tou-jours pas comme nous. Ils sontimbus de leur histoire, persuadésque les baguettes constituent lafaçon de manger la plus civilisée.Après trente ans, j ’en suisd’ailleurs persuadé, moi aussi ! »

« Chacun croitdans la supérioritéde son système »

À l’expérience professionnelle,l’homme d’affaires ajoute son his-toire personnelle. Resté en Asieaprès lui avoir rendu visite, YvesPintaud lui a un jour présenté lasœur de sa femme, Shau-Yu, origi-naire de Taïwan. Nouveau coup defoudre. Les deux anciens camara-

des de Don Bosco sont devenusbeaux-frères, en même temps quepartenaires en affaires (le commer-ce d’œuvres d’art). « Avec monépouse, c’est encore le clash descivilisations tous les jours, s’amu-se Claude Jaeck, surtout quand ils’agit de l’éducation des enfants !Chacun croit dans la supériorité deson système, il faut composerconstamment avec l’autre, et sa-voir perdre certaines batailles… »

De même, il décrit l’implantationréussie dans « l’Empire du Milieu »comme une marche plus longue etplus coûteuse qu’il n’y paraît.« Les business plans ne sont pasréalistes, les difficultés plus impor-tantes. Et les entreprises ne sontpas prêtes à payer pour compren-dremais pour survivre, quand ellessont déjà en bout de course. »

Aujourd’hui, Claude Jaeck s’est unpeu retiré des affaires. « Je ne con-seille plus que ceux qui veulentécouter, je rapproche ceux qui veu-lent l’être. » Il a tout de mêmeencore deux projets personnels, àRangoun : la création d’une écolehôtelière (« le tourisme explose,comme en Thaïlande il y a 50ans »), et l’importation de lait in-fantile. Il voit la Birmanie comme« la dernière frontière », avec unpotentiel extraordinaire. Pas unhasard si son fils François-Guillau-me, déjà aussi français que chi-nois, étudie actuellement le

birman à Londres, sur les traces deson père…

Les enfants ayant quitté la maison– Sheela, l’aînée, chante et dansedans un « girls band » californientrès sexy, Syd Youth –, Claude etson épouse, parfois assommés parle rythme frénétique de Shanghai,envisagent de se retirer en Thaïlan-de. Il y a vingt ans, le couple aacheté un grand terrain, dans unezone touristique prisée par la clas-se moyenne de Bangkok. Aujour-d’hui, sa valeur a explosé, les Jaeckprojettent d’y construire deux mai-sons pilotes, avant un éventuel« resort »…

« Si on croità quelque chose,tout devient évident »

Mais de retour en France, il n’estpas question. L’Alsacien a fait sou-che, énumérant « ces cultures lo-cales incomparables » d’Asie duSud-Est, ces pays entre lesquels ilne saurait choisir. « J’ai l’impres-sion d’avoir rêvé ce que j’ai vécu…J’ai eu la chance d’arriver à labonne période, je m’en suis bientiré. À force de travail aussi, septjours sur sept, du matin au soir »,souligne-t-il. Ajoutant une touchepresque mystique à sa trajectoire :« Si on croit à quelque chose avecpassion, avec détermination, toutdevient évident. Tout convergedans le même sens… »

LE PORTRAIT DU LUNDI

ClaudeJaeck, l’Alsacienquiaépousél’AsieSingapour, Bangkok, Hong Kong, Shanghai : installé en Extrême-Orient depuis plus de trente ans, ce natif de Hégenheim est devenu un homme d’affaires spécialisé dansl’accès aux marchés asiatiques, passé maître dans l’intelligence de l’autre.

Claude Jaeck à Saint-Louis, lors de sa dernière visite en Alsace, à Noël : « J’ai l’impression d’avoir rêvé ce que j’ai vécu ». Photo L’Alsace/Jean-François Frey

2000, à Hong Kong, posant avec fem-me et enfants dans un studio. DR

•1960 : naissance à Bâle, le25 février.•1977 : séjour à Castroville.•1983 : diplômé de l’Universitédu Middlesex (Londres). Part àSingapour comme volontairedu service national dans l’ad-ministration auprès de laFrench Business Association.•1985 : représentant en Asiedu Sud-Est du fabricant fran-çais de verres optiques Essilor.•1990 : nommé pour la pre-mière fois conseiller du com-merce extérieur de la France.•1997-99 : depuis Hong Kong,dirige une chaîne de 250 cafés-boulangeries français du grou-pe Délifrance.•1999-2002 : directeur du mar-keting et des ventes de Swank,fabricant chinois de verres op-tiques.•2003-2005 : chargé du déve-loppement en Chine des ven-tes d’Arc International, grandemarque des arts de la table.•2005-2008 : représente enAsie les intérêts de la sociétéfrançaise APEM, fabricant d’in-terfaces homme-machine.•2010-2013 : restructure l’usi-ne du groupe belge Beaulieu(spécialiste des revêtementsde sol) à Rizhao, dans la pro-vince chinoise du Shandong.•Depuis 2013 : partenaire deRelecom & Partners, « sociétéde conseil en fusions et acquisi-tions et stratégie internationa-le ayant pour particularité detraiter les dossiers de sesclients d’abord par la dimen-sion culturelle ».

Dates

ClaudeJaeck,qui rendvisiteàsesparentsàHégenheimtroisàquatrefoisparan,acréé l’andernier l’AmicaledesAlsaciensdeShanghai,« pourparlerdupaysautourd’unechoucrou-te ».« Noussommestousdeshommesd’affaires,nousconnaissons leterrain, l’asso-ciationpourraitdeveniruneéquipedeconseilpour lesAlsaciensquis’installent,d’AlsaciensàAlsaciens,sanscomplication »,note-t-il.LoindelaFrance, il s’estégale-mentprisdepassionpourl’histoirenationale, fondantnotamment laSociétéd’histoi-redesFrançaisdeChineen2010.« J’aigrandiavec lesfrèresdemagrand-mère,dansl’arrière-cuisinedurestaurantfamilial. J’ai lesouvenirqu’ilsparlaienttout letempsde14-18.Maissi j’étais restéenAlsace, jen’auraispaseuunetelleenviedem’attacheraupassé. »Il considèrequ’unAlsacienestplusFrançaisqu’unautre.« EnAlsace, lacultureestdifférente,onparttravaillerenSuisse…ÊtreFrançaisestdoncunchoixpersonnel,pasunedonnéeintangible.Ailleurs, laquestionneseposepas. »Pour lemoinspessimistesurl’évolutiondelasituationpolitico-socialeenFrance,ClaudeJaeckestmembred’un« thinktank »deFrançaisdel’étranger,« encoreassezinformel »,qui réfléchità la« reconstruction »dupays,avec leregardet l’expériencedel’étranger.« UnemanièrederedonnerquelquechoseàlaFrance… »

Côté cœur

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