Voyage au bout de la nuit
Louis-Ferdinand Céline
Fiche de lectureDocument rédigé par Hadrien Seret
maitre en langues et littératures françaises et romanes(Université libre de Bruxelles)
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RÉSUMÉ 3
ÉTUDE DES PERSONNAGES 6Ferdinand Bardamu
Léon Robinson
CLÉS DE LECTURE 8Voyage au bout de la nuit : explication du titre
Un réquisitoire contre le début du XXe sièclePremier tableau : la Première Guerre mondialeDeuxième tableau : les coloniesTroisième tableau : le rêve américainQuatrième tableau : la misère du prolétariat
Un style d'écriture unique
PISTES DE RÉFLEXION 11
POUR ALLER PLUS LOIN 12
2Voyage au bout de la nuitFiche de lecture –LePetitLittéraire.fr –
Louis-Ferdinand CélineMédecin et écrivain français
• Né en 1894 à Courbevoie• Décédé en 1961 à Meudon• Quelques-unes de ses œuvres :
Voyage au bout de la nuit (1932), romanMort à crédit (1936), romanNord (1960), roman
Louis Ferdinand Destouches, dit Céline, est un auteur français né en 1894 et décédé en 1961. Il est considéré comme un des romanciers majeurs du xxe siècle pour des ouvrages tels que Voyage au bout de la nuit (1932) ou Mort à crédit (1936).
Médecin de formation, il tire l’essentiel de son oeuvre littéraire d’un parcours de vie atypique, multipliant lieux de villégiature (Angleterre, Cameroun, États-Unis) et métiers. Les expériences qui en découlent servent de base à une dénonciation des vicissitudes de son époque. Une démarche qui l’amène à adopter des opinions diffici-lement conciliables (de l’exercice gratuit de la médecine pour les miséreux à son antisémitisme notoire) qui feront de lui un des écrivains les plus contestés de la littérature française .
Voyage au bout de la nuitPéripéties d’une dénonciation
• Genre : roman• Édition de référence : Voyage au bout de la nuit,
Paris, Gallimard, coll. « Folio », 2009, 505 p.• 1re édition : 1932• Thématiques : misère, absurdité de la guerre,
colonialisme, exotisme, industrialisation
Publié en 1932 et couronné du prix Renaudot la même année, Voyage au bout de la nuit est le roman qui apporte la reconnaissance à Céline et lui permet d’asseoir sa légitimité dans le champ littéraire.
Dans cette œuvre dense à la prose caractéristique, l’écri-vain fustige le refus du monde (et surtout de l’Europe des Années Folles) de constater sa propre misère au profit d’une fuite vers des bonheurs illusoires qui ne font qu’aggraver la situation au lieu de l’améliorer. L’écrivain livre ainsi à travers le vécu de son narrateur Bardamu une vision sans concession de cette époque qui suit directement la Première Guerre mondiale. Un portrait original et dissonnant auquel les différents voyages du héros offrent une portée universelle.
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RÉSUMÉ
Afin de résumer le plus clairement possible ce roman, nous avons choisi d’opter pour une sub-division par lieu de voyage.
PARIS ET LA PREMIÈRE GUERRE MONDIALEÀ Paris, en quête de reconnaissance et par bravade envers l’ami qui l’accompagne, Ferdinand Bardamu décide de suivre une troupe et de s’engager dans l’armée. Cependant, le quotidien d’un conflit mondial n’est pas aussi héroïque qu’il l’espérait : il découvre les affres et les bassesses d’une bataille dont il ne comprend ni le but ni le fonctionnement. Un jour, lors d’une mission de reconnaissance, il tombe nez à nez avec Robinson, un réserviste dont l’ambition est de déserter. Ce personnage joue le rôle du double de Bardamu que ce dernier suivra dans un premier temps puis fuiera. Peu après cette rencontre, il est grièvement blessé et rapatrié dans la capitale française.
Fêté comme un héros de guerre, Ferdinand jouit un court moment de sa notoriété et essaie d’oublier les horreurs qu’il a vécues. Mais très vite, il se rend compte de l’hypocrisie de la situation : la valeur factice des médailles, la ferveur des femmes et des infirmières à partager sa couche uniquement pour happer leur part de célébrité (par exemple Musyne) ou encore l’empressement des soldats blessés à élaborer des combines pour ne pas retourner au combat. Paris elle-même est l’image de l’hypocrisie ambiante : la ville est en plein déclin économique même si en apparence tout semble aller pour le mieux. Écœuré de cette atmosphère et de son statut de soldat, Bardamu est finalement réformé après deux autres séjours en hôpital. Plus tard, une nouvelle rencontre avec Robinson pousse le héros à partir à l’aventure en Afrique, dans les colonies.
LES COLONIES (FORT-GONO, TOPO)Après un voyage en mer houleux où il manque d’être lynché par l’équipage et les passagers, Bardamu débarque finalement à Fort-Gono. Il y découvre que la vie est bien moins facile qu’il ne l’avait imaginé : il ne parvient pas à s’acclimater au confort précaire, à la chaleur étouffante, aux maladies, ainsi qu’aux insectes nombreux et voraces. Les autochtones, quant à eux, l’intriguent beaucoup, et il partage son temps entre les observer et les insulter.
Motivé par la volonté de réussir, le protagoniste principal parvient à trouver du travail comme employé dans une échoppe située à Topo. Le cheminement jusque-là est pénible et c’est un Bardamu affaibli qui rejoint son nouveau lieu de villégiature. L’homme qu’il doit remplacer est un certain Robinson. Ce dernier profite de la nuit pour s’enfuir vers d’autres cieux, tout en prenant soin d’emporter avec lui la caisse.
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Flanqué de deux acolytes (Alcide et Grappa), Bardamu mène une existence pauvre et ponctuée par des accès de fièvre. Le jour où sa case brule, il comprend que les colonies ne lui apporteront pas la richesse espérée : il quitte alors l’Afrique pour les États-Unis.
LES ÉTATS-UNIS (NEW-YORK, DÉTROIT)Malgré la mise en quarantaine de son navire, Bardamu parvient à pénétrer dans la cité de New York. Il y découvre avec fascination les gratte-ciel, Manhattan, Broadway, les banques, les maga-sins, le cinéma rutilant, les hôtels immenses et labyrinthiques (le Laugh Calvin), et surtout le dollar, qu’il assimile à un dieu. Jour après jour, le narrateur voit son petit pécule colonial fondre comme neige au soleil. S’il parvient dans un premier temps à extorquer des fonds à une ancienne maitresse (Lola), il doit bien vite se résigner à trouver un autre moyen pour assurer sa subsistance. Il part ainsi pour Détroit afin de se faire engager chez Ford. Dans cette entreprise en plein essor, il se trouve confronté aux réalités du travail à la chaine, des cadences horaires infernales et de la paie modique. Heureusement, sa rencontre puis son attachement à la prostituée Molly lui permet de tenir le coup.
Une nuit, il rencontre Robinson dans un tramway. Ce dernier le convainc de rentrer en France où il le rejoindra une fois sa situation régularisée. Contre l’avis de Molly, Bardamu reprend donc la mer, cette fois-ci en direction de sa patrie natale.
LA GARENNE-CLICHYPlusieurs années se sont écoulées. Après avoir repris des études et obtenu son diplôme de méde-cin, Bardamu s’installe comme praticien à La Garenne-Clichy. Cette ville comptant déjà plusieurs docteurs, la vie est difficile pour le héros qui se voit souvent appelé en dernier recours par des clients qui ne le paient pas. Cette gratuité le fait passer pour un mauvais médecin. Hanté par la peur de ne pouvoir guérir autrui, il voit défiler devant ses yeux la misère du monde : un avortement raté, un accouchement qui tourne au désastre, le couple Henrouille qui essaie de le corrompre grassement afin qu’il envoie leur belle-mère à l’asile ou encore son ami Bébert qu’il ne parvient pas à sauver de la typhoïde. Pour couronner le tout, Robinson, revenu en France, le harcèle sans cesse avec ses angoisses. Ce dernier doit même être soigné en urgence par son ancien camarade, après qu’un piège élaboré par ses soins et destiné à assassiner la belle-mère Henrouille ne se soit retourné contre lui et l’ait blessé aux yeux. Avec l’aide providentielle de l’abbé Protiste, Bardamu envoie Robinson en convalescence à Toulouse avec la belle-mère Henrouille. Pendant ce temps, lui-même est engagé dans un petit dispensaire avant d’endosser le rôle d’un pacha dans un petit cabaret parisien, ce qui lui permet de découvrir le monde du spectacle, ses joies et ses tragédies.
Il est ensuite invité à Toulouse par un Robinson retrouvant petit à petit la vue et sur le point de se marier avec une certaine Madelon. La belle-mère Henrouille, quant à elle, se porte comme un charme et fait visiter une lucrative crypte remplie de momies aux touristes.
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De retour à Paris, Bardamu est engagé dans un asile tenu par l’aliéniste Baryton. Après que le narrateur lui ait appris l’anglais, ce dernier laisse les clés de son établissement à Ferdinand et part pour la Grande-Bretagne. Gérant tant bien que mal l’asile avec l’aide de son ami Paraphine, le héros voit un jour débarquer dans son institut Robinson qui cherche à se cacher de Madelon qu’il ne supporte plus et qu’il ne veut donc plus épouser. Diplomate, le médecin tente de réconcilier le couple, mais cette tentative tourne au tragique : devant le refus catégorique de Robinson de se marier avec elle, Madelon tire sur ce dernier qui meurt quelques heures plus tard dans les bras de Bardamu.
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ÉTUDE DES PERSONNAGES
FERDINAND BARDAMUFerdinand Bardamu est le narrateur et le protagoniste principal de Voyage au bout de la nuit. Il s’agit d’une figure récurrente dans l’œuvre de Céline puisqu’on le retrouve dans d’autres œuvres, que ce soit en qualité de héros ou de personnage secondaire (notamment dans Mort à crédit ou L’Église) .
Tout au long de l’œuvre, Bardamu évolue. On peut distinguer deux étapes dans son déve-loppement. La première couvre les trois premiers tableaux et peut être considérée comme l’apprentissage de son époque. On constate que pour chacun des trois tableaux, l’auteur utilise le même schéma narratif, à savoir :
• une phase d’émerveillement où Bardamu se forge des espoirs de vie meilleure (l’image héroïque du régiment, le côté aventurier des colonies et l’aspect novateur de la modernité américaine) ;
• une phase de retour à la réalité lors de laquelle Bardamu est freiné dans ses aspirations par des obstacles (souvent d’ordre pécuniaire) qui provoquent chez lui un brusque retour sur terre (la blessure sur le champ de bataille, les fièvres et la misère en Afrique, et le travail pénible chez Ford aux États-Unis) ;
• une phase de dénonciation : en se confrontant à la réalité des choses (souvent par le biais du travail), Bardamu prend conscience que toutes les manifestations d’une vie meilleure qu’il voit autour de lui ne sont qu’illusoires et ne profitent qu’à quelques-uns.
Ce triple parcours que l’on pourrait qualifier d’initiatique met en lumière une des caractéristiques principales de ce personnage, à savoir l’impossibilité d'accéder au bonheur. Parce que ce dernier a un caractère illusoire dans le monde dans lequel il vit, le héros ne parvient pas à inscrire sa félicité de manière durable. On le voit d’ailleurs très bien dans le domaine amoureux (voir les cas de Musyne, Lola ou Molly) ou dans celui de l’amitié (pensons à la relation intermittente qu’il entretient avec Robinson ou celle avec Paraphine qui se termine dans le silence).
La seconde étape du développement de Bardamu prend place dans le quatrième tableau : en choi-sissant la destinée de médecin, le héros donne à son existence une consistance, un point d’ancrage qui met fin aux péripéties des trois premiers volets. Comme pour accentuer ce changement opéré dans son personnage, Céline met en place un intervalle de plusieurs années de telle sorte que le lecteur se retrouve d’emblée face à un Bardamu beaucoup plus mature et qui se pose, non plus comme acteur du récit, mais comme l’observateur d’une souffrance dont il a pris conscience (en témoignent les descriptions très détaillées des affres des malades auxquels il rend visite) et qu’il essaie de soulager à son échelle.
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LÉON ROBINSONLéon Robinson est un personnage au statut particulier dans Voyage au bout de la nuit. Il y joue le rôle du double de Bardamu. Ce dernier le suivra dans un premier temps puis le fuiera. Homme mystérieux, Robinson est un être qui est constamment à la recherche de ce bonheur illusoire auquel il va initier Bardamu et que ce dernier finira par rejeter. Il prend dans la première partie du récit le rôle de guide, d’ouvreur pour les propres expériences du héros, à un point tel que celui-ci tend à le considérer comme un modèle à suivre pour parvenir à la réussite. Il s’étonnera d’ailleurs de sa mauvaise fortune aux États-Unis : « Mais ce qui m’a plutôt surpris, c’est que lui non plus il aye pas réussi en Amérique. C’était pas du tout ce que j’avais prévu. » (p. 233)
Robinson ne parvient à rien malgré sa persévérance. Pourtant, son désir de vivre heureux (et riche) est tel qu’il le pousse à accepter toutes sortes de tâches, même les plus sordides : on le voit, par exemple, préparer un piège pour tuer la belle-mère Henrouille dans l’espoir de toucher une grosse somme d’argent. Cependant, à l’instar de Bardamu, Robinson est frappé de cette impossibilité d’accéder à la félicité quelles que soient ses entreprises (citons en guise d'exemple son histoire d’amour avec Madelon). Mais malgré les nombreux échecs qu’il essuie, il refuse de changer et s’accroche à un but qu’il ne pourra atteindre, ce que lui reproche vertement Bardamu (« T’es qu’un bourgeois que je finis par conclure [ ...] tu ne penses en définitive qu’à l’argent ! Quand tu reverras clair tu seras devenu pire que les autres », p. 369). Ainsi, à l’abnégation gratuite et à l’altruisme dont fait preuve le médecin dans le quatrième tableau s’opposent la soif de richesse et l’envie de l’aventurier de profiter des plaisirs passagers. Cet antagonisme provoque le délitement progressif de leur amitié en plus d’une inversion de leurs rapports : on voit ainsi Robinson devenir dépendant de Bardamu contrairement à avant (notamment dans la scène où ce dernier accepte de cacher son ami dans son établissement).
Pourtant, Robinson arrivera à se libérer de l’illusion du bonheur en refusant les ultimes avances de Madelon. Mais pour un personnage tourné tout entier vers ce mirage, cet acte ne pouvait que se terminer dans la mort.
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CLÉS DE LECTURE
VOYAGE AU BOUT DE LA NUIT : EXPLICATION DU TITRESi le choix d’incorporer le terme « voyage » au titre se justifie de manière évidente, en revanche, l’associer à la « nuit » et surtout à ce « bout » qui n’est jamais vraiment explicité peut étonner, voire dérouter. Non pas que les ténèbres soient absentes de l’intrigue : elles sont au contraire omniprésentes, que ce soit sous la forme de simples marqueurs spatiotemporels ou de méta-phores tantôt positives, tantôt négatives (la nuit comme moment de repos, de rêverie ; la nuit comme vecteur de solitude, d’angoisse, etc.).
Pourtant, au travers d’une phrase en particulier, Céline tend à mettre en évidence une piste de compréhension : « La vie, c’est ça, un bout de lumière qui finit dans la nuit. » (p. 414) L’ambiance nocturne symbolise une atmosphère où la vie, tout comme les aspirations matérielles et psy-chologiques, ne peuvent (sur)vivre. Les voyages de Bardamu et Robinson pour obtenir le bonheur s’apparentent donc à une quête impossible, étant donné qu’ils essaient de posséder quelque chose qui ne peut exister.
Dans le même ordre d’idées, refuser – comme les deux protagonistes le font – cette logique de l’illusion qui régit leur monde, c’est refuser d’y vivre. Dès lors, le « bout de la nuit », c’est tout simplement mourir : Robinson s’engouffre à corps perdu dans ce terminus tandis que Bardamu n’en reste qu’à la frontière, lucide sur les lois qui régissent son existence mais sans les refuser totalement (pensons à son aventure avec Sophie), ce qui lui permet de livrer au lecteur le récit de sa vie.
UN RÉQUISITOIRE CONTRE LE DÉBUT DU XXe SIÈCLEVoyage au bout de la nuit n’est pas seulement le récit d’un voyage initiatique et de ses consé-quences. C’est aussi un vibrant réquisitoire contre le début du xxe siècle, une époque dépeinte comme étant en pleine décomposition et qui se complait dans une espèce de félicité artificielle, ce qui lui permet de ne pas constater tout le dénuement qui l’entoure.
Cette dénonciation se trouve dans les quatre tableaux de l’ouvrage. Chacun renvoie à une réalité bien précise.
Premier tableau : la Première Guerre mondiale
Céline met en évidence deux pôles dans sa description du conflit :
• le premier, c’est le carnage qu’un tel affrontement provoque et la non-compréhension des raisons qui devraient pousser à combattre (« Aussi loin que je cherchais dans ma mémoire, je ne leur avais rien fait aux Allemands », p. 33) ;
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• le second, c’est cette volonté du peuple parisien d’oublier qu’il est en guerre et de vivre comme si de rien n’était. Céline fustige notamment la soif de gloire des infirmières, la couardise des soldats blessés, les fastes de la notoriété ainsi que les profiteurs de guerre (notamment Mme Hérote).
Céline déplore donc dans son texte le côté factice de la vie : il n’y a pas de vrai amour ni de vrai héroïsme, juste une ambiance de souffrance que le monde ignore en se tournant vers un hédonisme illusoire.
Deuxième tableau : les colonies
Dans cette section, l’écrivain cherche à casser le stéréotype des colonies associé à une sorte d’Eldo-rado exotique : il dresse le portrait de compagnies françaises avides de richesses qui n’hésitent pas à exploiter de la manière la plus dure les indigènes, ou de soi-disant baroudeurs courageux qui ne sont que des étrangers souffrant du climat et abusés par un espoir de fortune rapide qui se rélève illusoire. Cette description est également l’occasion pour l’auteur de se demander qui des allochtones ou des autochtones sont les plus sauvages.
Troisième tableau : le rêve américain
Les années qui suivent la Première Guerre mondiale se révèlent fastes pour les États-Unis. Le pays, en pleine prospérité économique, voit sa technologie ainsi que ses villes progresser rapidement : le symbole par excellence de cette double dynamique est sans conteste Détroit, qui se développe sous l’égide des célèbres usines Ford. Mais de telles entreprises nécessitent une main-d’œuvre colossale. Celle-ci viendra du dépeuplement rural américain, mais aussi des nombreuses personnes qui quitteront une Europe dévastée dans l’espoir d’une vie meilleure. Pourtant, la plupart du temps, ce n’est qu’un travail abrutissant et mal payé qui les attend. Exploitées jusqu’à la corde par leurs employeurs, elles ne sont qu’une masse déshumanisée et automatisée qui travaille pour le confort d’un petit nombre. C’est cette déshumanisation que fustige Céline. Un avis qui tranche à une époque où tout le monde est fasciné par l’Amérique.
Quatrième tableau : la misère du prolétariat
Céline dresse ici le portrait d’un prolétariat urbain subissant les pires maux dans l’anonymat le plus complet. Y est également mise en exergue la non-considération dont souffre le protagoniste principal malgré tout le soulagement qu’il essaie d’apporter à cette couche de la population. Cette dernière section de Voyage au bout de la nuit vaudra au roman d’être souvent taxé de populaire.
UN STYLE D'ÉCRITURE UNIQUEUne des marques de fabrique de Louis-Ferdinand Céline est sans conteste son style d’écriture : il opère une transposition écrite du langage oral populaire. Si ce procédé est loin d’être original en soi (il est déjà utilisé par un auteur comme Eugène Dabit), l’auteur arrive néanmoins à se démarquer en l’étendant à l’ensemble de son ouvrage, et non pas à quelques dialogues. Ce choix
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n’est pas anodin : il traduit une volonté de l’écrivain de restituer sous forme scripturale l’émotion du parler quotidien. En adoptant une telle posture, il se met délibérément en porte-à-faux par rapport aux grands auteurs classiques dont il juge le style rédactionnel trop hermétique et froid.
La phrase suivante est un bon exemple de ce style particulier : « Moi d’abord la campagne, faut que je le dise tout de suite, j’ai jamais pu la sentir, je l’ai toujours trouvée triste, avec ses bourbiers qui n’en finissent pas, ses maisons où les gens n’y sont jamais et ses chemins qui mènent nulle part. » (p. 13) On y retrouve en effet plusieurs traits populaires comme des répétitions inutiles (notamment l’emploi de deux pronoms locatifs (« où » et « y ») dans une même expression ou encore l’absence de négation (« j’ai jamais ») et de pronom (« faut que »). Néanmoins, ce choix stylistique n’empêche pas une certaine recherche dans la prose : on peut ainsi mettre en lumière dans cet extrait une anaphore (« je […], je »), ainsi que des allitérations (notamment en [r] : sentir/ trouvée/ triste).
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PISTES DE RÉFLEXION
QUELQUES QUESTIONS POUR APPROFONDIR SA RÉFLEXION...• Dans Voyage au bout de la nuit, le personnage de Robinson est-il un guide, un révélateur ou
un antihéros ? Justifiez votre réponse.• Quels sont les arguments qui pourraient convaincre le lecteur que Bardamu est un personnage
de fiction ? Et quels sont ceux qui tendraient à prouver que c’est un double romanesque de l’auteur ?
• Quel est l’intérêt de Céline d’écrire sur un évènement tel que la Première Guerre mondiale ?• Expliquez en quoi chacun des lieux visités par Bardamu est l’occasion pour Céline d’une
dénonciation particulière.• Pourquoi peut-on dire que le roman s’ouvre et se ferme sur un silence ? En quoi ce constat
apporte-t-il une dimension supplémentaire au récit de Bardamu ?• Soit la phrase suivante : « Je dus lui sembler tout-à-fait navré au copain car il m’interpella
assez brusquement pour me faire sortir de mes réflexions [... ]. Il parlait un peu dans le même ton que l’Agent général mais des yeux pâles comme Alcide, il avait. » (p. 163) Pourquoi n’est-elle pas acceptable en français standard ? En quoi ce style rédactionnel constitue-t-il une innovation à part entière de Céline ?
• Compte tenu de l’époque d’écriture du roman, peut-on considérer les propos tenus par Bardamu sur les noirs d’Afrique comme relevant de racisme ?
• Pourquoi peut-on affirmer que la profession de médecin de Céline joue un rôle primordial dans l’intrigue elle-même et sa conception ?
• En quoi le contraste entre la modernité américaine et la déshumanisation des travailleurs chez Ford est-elle représentative du concept de l’illusion du bonheur chez Céline ?
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POUR ALLER PLUS LOIN
ÉDITION DE RÉFÉRENCE• Céline L.-F., Voyage au bout de la nuit, Paris, Gallimard, coll. « Folio », 2009.
ÉTUDES DE RÉFÉRENCE• Alméras P., Dictionnaire Céline, Paris, Plon, 2004.• De Phalèse H., Guide de Voyage au bout de la nuit. Voyage au bout de la nuit à travers les
nouvelles technologies, Paris, Nizet, coll. « Coll. Cap’ Agrèg’ n°4 », 1993.• Latin D., Le Voyage au bout de la nuit de Céline, roman de la subversion et subversion du roman :
langue, fiction, écriture, Bruxelles, Palais des Académies, 1988.• Morand-Devillier J., Les idées politiques de Louis-Ferdinand Céline, Paris, Écriture, 2010.• Vitoux F., Céline, Paris, Belfond, coll. « Les dossiers Belfond », 1978.
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Anouilh• Antigone
Balzac• Eugénie Grandet• Le Père Goriot• Illusions perdues
Barjavel• La Nuit des temps
Beaumarchais• Le Mariage de Figaro
Beckett• En attendant Godot
Breton• Nadja
Camus• La Peste• Les Justes• L’Étranger
Céline• Voyage au bout
de la nuit
Cervantès• Don Quichotte
de la Manche
Chateaubriand• Mémoires d’outre-tombe
Choderlos de Laclos• Les Liaisons dangereuses
Chrétien de Troyes• Yvain ou le Chevalier au lion
Christie• Dix Petits Nègres
Claudel• La Petite Fille de
Monsieur Linh• Le Rapport de Brodeck
Coelho• L’Alchimiste
Conan Doyle• Le Chien des Baskerville
Dai Sijie• Balzac et la Petite
Tailleuse chinoise
De Vigan• No et moi
Dicker• La Vérité sur l’affaire Harry Quebert
Diderot• Supplément au Voyage
de Bougainville
Dumas• Les Trois Mousquetaires
Énard• Parlez-leur de batailles, de rois et d’éléphants
Ferrari• Le Sermon sur la chute de Rome
Flaubert• Madame Bovary
Frank• Journal d’Anne Frank
Fred Vargas• Pars vite et reviens tard
Gary• La Vie devant soi
Gaudé• La Mort du roi Tsongor• Le Soleil des Scorta
Gautier• La Morte amoureuse• Le Capitaine Fracasse
Gavalda• 35 kilos d’espoir
Gide• Les Faux-Monnayeurs
Giono• Le Grand Troupeau• Le Hussard sur le toit
Giraudoux• La guerre de Troie n’aura pas lieu
Golding• Sa Majesté des Mouches
Grimbert• Un secret
Hemingway• Le Vieil Homme et la Mer
Hessel• Indignez-vous !
Homère• L’Odyssée
Hugo• Le Dernier Jour d’un condamné
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Jenni• L’Art français
de la guerre
Joffo• Un sac de billes
Kafka• La Métamorphose
Kerouac• Sur la route
Kessel• Le Lion
Larsson• Millenium I. Les hommes qui n’aimaient pas les femmes
Le Clézio• Mondo
Levi• Si c’est un homme
Levy• Et si c’était vrai…
Maalouf• Léon l’Africain
Malraux• La Condition humaine
Marivaux• Le Jeu de l’amour
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Martinez• Du domaine
des murmures
Maupassant• Boule de suif• Le Horla• Une vie
Mauriac• Le Sagouin
Mérimée• Tamango• Colomba
Merle• La mort est mon métier
Molière• Le Misanthrope• L’Avare• Le Bourgeois
gentilhomme
Montaigne• Essais
Morpurgo• Le Roi Arthur
Musset• Lorenzaccio
Musso• Que serais-je sans toi ?
Nothomb• Stupeur et Tremblements
Orwell• La Ferme des animaux • 1984
Pagnol• La Gloire de mon père
Pancol• Les Yeux jaunes
des crocodiles
Pascal• Pensées
Pennac• Au bonheur des ogres
Poe• La Chute de la maison Usher
Proust• Du côté de chez Swann
Queneau• Zazie dans le métro
Quignard• Tous les matins
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Rabelais• Gargantua
Racine• Andromaque• Britannicus• Phèdre
Rousseau• Confessions
Rostand• Cyrano de Bergerac
Rowling• Harry Potter à l’école
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Sartre• La Nausée• Les Mouches
Schlink• Le Liseur
Schmitt• La Part de l’autre• Oscar et la Dame rose
Sepulveda• Le Vieux qui lisait des romans d’amour
Shakespeare• Roméo et Juliette
Simenon• Le Chien jaune
Steeman• L’Assassin habite au 21
Steinbeck• Des souris et
des hommes
Stendhal• Le Rouge et le Noir
Stevenson• L’Île au trésor
Süskind• Le Parfum
Tolstoï• Anna Karénine
Tournier• Vendredi ou la
Vie sauvage
Toussaint• Fuir
Uhlman• L’Ami retrouvé
Verne• Vingt mille lieues
sous les mers• Voyage au centre
de la terre
Vian• L’Écume des jours
Voltaire• Candide
Yourcenar• Mémoires d’Hadrien
Zola• Au bonheur des dames• L’Assommoir• Germinal
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